Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux

Transcription

Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux
Longtemps présentée comme un remède pour sauver les banques, la baisse des taux est
devenue une menace pour l’économie. Deontofi.com décode l’offensive de la Banque de
France pour réduire le rendement de l’assurance vie. (photo © GPouzin)
Longtemps présentée comme un remède miracle pour sauver l’économie après la faillite du
système bancaire en 2008, la baisse des taux d’intérêt à zéro pourcent est devenue une
menace pour l’économie, l’épargne et la stabilité financière. Entre les risques liés à une
forte remontée des taux d’intérêt et le danger s’ils ne remontent pas, les épargnants sont en
première ligne face à la politique des taux nuls, comme le rappelle un récent communiqué
du Haut Conseil de Stabilité Financière incitant à réduire plus fortement le rendement de
l’assurance vie en euros. Deontofi.com décode les arguments trompeurs de cette répression
financière.
Cinq minutes pour comprendre :
Retrouvez ici l’interview TV sur ce thème dans l’émission Ecorama du 21/3/2016
1/ Faut-il baisser les taux de l’assurance vie ?
Non, c’est une propagande des autorités et des lobbies bancaires qui s’inscrit dans une
politique de répression financière pour transférer davantage de risques des banques aux
épargnants, et aussi pour les inciter à consommer en les décourageant d’épargner sur des
placements sans intérêt. Cela fait des années que les banques et le gouverneur de la Banque
de France (BdF) réclament une baisse du taux de l’épargne réglementée d’abord, comme le
Livret A et le PEL, et de l’épargne sans risque ensuite, comme l’assurance vie en euros. Il y
a deux ans, le gouverneur de la Banque de France de l’époque, Christian Noyer, réclamait
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux | 1
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux
déjà une baisse du taux du Livret A, qu’il jugeait trop élevé à 1,25%, et celui du PEL, quand
il était encore à 2,5%. Les deux ont été réduits, à 0,75% pour le Livret A depuis août 2015 et
à 1,5% pour les PEL ouverts depuis février 2016.
Sans surprise, le nouveau gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau,
voudrait réduire encore plus le rendement de l’assurance vie en euros, comme il l’avait préannoncé dans le énième rapport sur « Le financement de l’investissement des entreprises »,
à l’appui des revendications des lobbies qu’il présentait, entre sa sortie de BNP et sa
nomination à la BdF. Dans ce rapport pour pousser les épargnants vers des placements plus
rentables pour les banques et les assureurs, M. Villeroy de Galhau écrivait qu’il fallait
« Accélérer la baisse des rendements servis sur les fonds euros, compte tenu des très bas
niveaux de taux actuels » en rappelant que « le Gouverneur de la Banque de France y a
légitimement incité les assureurs à plusieurs reprises »
2/ Mais les taux des obligations sur les marchés sont trop bas pour maintenir le
rendement de l’assurance vie en euros.
C’est vrai, avec un taux moyen obligataire (TMO) inférieur à 2% depuis mi-2014, et repassé
en-dessous de 1%, à 0,85% en moyenne en février 2016, il semble difficile de maintenir les
rendements de l’assurance vie en euros au niveau actuel. Mais ce n’est pas inéluctable.
Premièrement c’est une conséquence de la suppression des taux d’intérêt, décrétée par les
banques centrales pour prêter autant d’argent que les banques en veulent gratuitement.
Deuxièmement, les compagnies d’assurance vie restent très solides et il n’y a pas péril en la
demeure avec les rendements actuels qu’elles distribuent, compte tenu des obligations à
taux plus élevés qu’elles possèdent et de leurs réserves de plus-values. Même s’il faut rester
vigilant et espérer que les taux d’intérêt remonteront suffisamment sur les marchés
obligataires pour pérenniser les rendements de l’assurance vie en euros, on sait aujourd’hui
que le principal danger pour l’assurance vie serait une trop longue prolongation de la baisse
des taux, plus qu’une remontée progressive.
Troisièmement, il serait probablement possible, et plus honnête pour les épargnants,
d’endiguer l’érosion de rendement de l’assurance vie en euros en assouplissant les
contraintes d’investissement des compagnies d’assurance vie, afin d’orienter une part plus
important de l’épargne qu’elles gèrent vers les actions ou vers des crédits aux entreprises,
dans le cadre sécurisant de l’assurance vie en euros, plutôt que de pousser les épargnants
vers des placements aboutissant au même résultat avec plus de frais et de risques, comme
les fonds euro croissance ou les placements des contrats multisupports.
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux | 2
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux
3/ La baisse des taux a tout de même permis de relancer le crédit à l’économie,
non ?
C’est un raccourci que les lobbies bancaires utilisent dans leur propagande pour bénéficier
des crédits gratuits des banques centrales, et pour pousser les épargnants vers des
placements plus risqués avec plus de frais. Quand on regarde dans l’ensemble, oui, c’est
vrai, la baisse des taux a alimenté une nouvelle bulle du crédit. La dette mondiale totale
atteignait 200 000 milliards de dollars à fin 2014, selon BloomberBusinessWeek, soit plus de
40% de plus qu’en 2007, avant l’éclatement de la précédente bulle du crédit.
Maintenant, est-ce que cet argent finance l’économie productive ? Pas du tout, ou en tout
cas très peu. Quand on regarde comment sont financées les entreprises, comme l’a fait le
Conseil national de l’information statistique (Cnis.fr) avec l’aide de la Banque de France, on
s’aperçoit qu’à peine un sixième (16,5%) des dettes des entreprises (non financières)
correspondent à des crédits bancaires (358,3 milliards d’encours sur un total de dettes de
2174,7 milliards, selon les données de la Banque de France à fin 2013 dans ce document
p.18). Comme le résumait Gunther Capelle-Blancard, économiste universitaire et président
de la Commission système financier au Conseil de l’information statistique :
« Contrairement à l’idée assez répandue selon laquelle l’économie du pays repose très
largement sur le crédit bancaire, une vision enrichie des modalités de financement de
l’économie fait ressortir que celui-ci représente une fraction assez peu importante des
financements totaux accordés aux entreprises ».
Aujourd’hui, l’essentiel du crédit alimente une bulle spéculative. Les banques financent
surtout des fusions-acquisitions et autres rachats d’entreprises comme au début des années
2000 avec Vivendi, des opérations scabreuses de financement des fonds spéculatifs ou des
opérations sur les marchés à terme et autres produits dérivés financiers à risque, qui
accaparent bien plus de crédits que l’économie productive, c’est-à-dire les investissements
dans la modernisation des outils de production. L’économiste bancaire Patrick Artus le
souligne lui-même dans une étude récente : « On avance souvent que la faiblesse de la
croissance mondiale vient de l’excès d’épargne du secteur privé, affirme-t-il. (…) Mais nous
avons vu que depuis 2013, le problème n’est plus l’excès d’épargne privée du Monde mais la
faiblesse des gains de productivité ». Ce n’est l’économiste de Natixis qui le dit,
reconnaissant ainsi que la baisse des taux n’a d’abord pas réduit le taux d’épargne, et que la
bulle du crédit n’a ensuite pas financé des investissements productifs.
4/ La baisse des taux est quand même une aubaine pour les emprunteurs et
l’immobilier.
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux | 3
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux
C’est un argument souvent mis en avant pour faire valoir à nos concitoyens les bénéfices de
la baisse des taux d’intérêt, malgré la chute de rendement de leur épargne. Il est vrai que la
démonstration est assez facile, en particulier pour les prêts immobiliers dont le taux n’a
jamais été aussi bas. Mais c’est une illusion d’optique.
Effectivement, les crédits sont très bon marché. Aujourd’hui le taux moyen des prêts
immobiliers à long terme est autour de 2,3%, selon la Banque de France, contre environ 7%
il y a une quinzaine d’années, en 2001. C’est super ! Par exemple pour un crédit de 150 000
euros sur quinze ans, les mensualités passent à 986 euros par mois avec un prêt à 2,3%, au
lieu de 1348 euros pour le même prêt à 7%, ce qui représente une économie de 27%.
Mais les acheteurs ne sont pas gagnants car la baisse des taux a alimenté la flambée de
l’immobilier. A Paris, par exemple, le prix moyen des logements est passé d’environ 3000
euros le mètre carré mi-2001, à environ 8000 euros aujourd’hui, soit une flambée de 167%
en quinze ans. Résultat: le coût d’un achat à crédit n’a pas du tout baissé avec la baisse des
taux. Il a au contraire augmenté !
Pour acheter un appartement de 50 mètres carrés à crédit sur quinze ans, il faut maintenant
emprunter 400 000 euros avec un crédit à 2,3%, au lieu d’emprunter 150 000 euros avec un
prêt à 7%. Au final, il faut donc débourser 2630 euros par mois pendant quinze ans au lieu
de 1348 euros pour devenir propriétaire du même appartement au bout de quinze ans. Le
coût d’un achat immobilier à crédit a donc augmenté de 95% en quinze ans, malgré la
baisse des taux, ou plutôt à cause de la baisse des taux, qui a alimenté la bulle du crédit
spéculatif.
On ne peut pas dire que les consommateurs-épargnants aient profité de cette baisse des
taux, ni que ce soit de l’investissement productif, car l’essentiel des transactions concerne
des logements anciens et pas des constructions nouvelles. Il y a donc un transfert de
richesse, mais pas de création d’emploi ni de valeur ajoutée, ni de gain de productivité.
5/ Pour revenir à l’assurance vie, est-ce que les fonds euro-croissance pourraient
être une solution à la baisse de rendement des fonds en euros ?
Le problème est que ces fonds et leurs prédécesseurs, les fonds euro diversifiés, n’ont
absolument pas fait leurs preuves. Au contraire, les assureurs eux-mêmes avouent qu’ils
rapportent encore moins que les fonds en euros classiques, si on lit bien le rapport du
gouverneur de la BdF. Il l’écrit lui-même noir sur blanc : « La principale difficulté reste la
comparaison avec le fonds Euro, qui a pu grâce aux stocks d’obligations acquis dans
le passé servir un rendement supérieur à 2,5 % en 2014 tandis que les contrats Euro-
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux | 4
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux
croissance peuvent difficilement dépasser, même après diversification, le taux de
marché obligataire du moment qui est proche de 1 % ». Du coup, la réponse des lobbies
est d’affaiblir les fonds en euros sans risque et rentables, quitte à piocher dans leurs
réserves de plus-values comme ils ont prévu de le faire, pour pousser les épargnants vers
ces fonds euro croissance en réalité moins rentables, plus risqués et avec plus de frais.
6/ Alors faut-il freiner la baisse des taux de l’assurance vie ou l’encourager ?
Il serait malhonnête d’encourager les assureurs à réduire le rendement de leurs contrats.
Heureusement, il y a encore un peu de concurrence pour maintenir quelques contrats
compétitifs. Cet appel à la baisse des rendements participe de la répression financière
dénoncée par les défenseurs des épargnants comme la fédération des associations
d’épargnants pour la retraite, la Faider, qui s’est aussi opposée au projet de mutualisation
des réserves de l’assurance vie en euros pour promouvoir artificiellement les fonds euro
croissance. C’est d’ailleurs un point à surveiller car après deux tentatives contestées par
une pétition et 1300 courriers de réclamation à Bercy, un nouveau projet serait en
préparation pour détourner les réserves de l’assurance vie en euros vers les fonds euro
croissance, selon notre confrère La Lettre A.
On l’a vu avec le sondage de la Faider sur les attentes des Français pour leur épargne. En
période de crise, les gens sont inquiets et mettent de l’argent de côté pour faire face aux
coups durs, comme une perte d’emploi, un pépin de santé mal assuré, ou une retraite pas si
dorée. Or, plus on réduit le rendement de leur épargne, plus les Français redoublent d’effort
pour se constituer une réserve de sécurité, plutôt que de piocher dans leurs économies pour
consommer. Donc, à ce stade, la baisse des taux et des rendements semble bien avoir des
effets plus néfastes pour l’économie que leur remontée.
Assurance vie : pourquoi la Banque de France veut baisser les taux | 5