Vers une médecine humaniste et économique
Transcription
Vers une médecine humaniste et économique
VERS UNE MEDECINE HUMANISTE ET ECONOMIQUE 1. Résumé Face à une hausse continue des coûts pour notre système de soins, ce texte invite à un regard novateur sur la philosophie, la pratique et la politique des soins et conclut avec des propositions concrètes et économiques pour les améliorer, allant de suggestions médicales et organisationnelles aux thèmes plutôt sociaux. Nos voisins européens, eux aussi confrontés à une explosion des coûts, expérimentent déjà des solutions diverses et constatent qu’actuellement, aucune ne leur donne satisfaction. Est-ce qu’elles restent infructueuses puisqu’elles ne traitent pas le vrai malade - qui pourrait bel et bien être la médecine moderne elle-même ? Une vision mécaniciste de la santé et des pathologies, à la base de notre médecine moderne, passe à côté de la signification psychique de la maladie ainsi qu’à côté de la demande relationnelle, souvent inexprimée voire subconsciente, du malade. Ceci crée une insatisfaction des patients autant que des professionnels, puisque la dimension humaine s’en trouve négligée. Cette insatisfaction diffuse, non-identifiée, contribue à une spirale de demandes d’examens, d’interventions, de gestes médicaux techniques et de médication et par ce fait à l’explosion des coûts de la santé. Le progrès technologique en médecine provoque, lors d’une négligence simultanée de la dimension psychique, relationnelle et sociale, une soif insatiable de plus en plus de progrès technique. Alors que seul un changement de paradigme réussira à satisfaire cette soif d’ordre psychique, relationnelle et, selon l’avis de certains, spirituelle. Une réorientation dans ce sens de la médecine, tant dans son axe thérapeutique que préventif, pourrait non seulement combler les attentes profondes des soignés et des soignants, mais aurait en plus des chances de réduire les coûts engendrés par une médecine technique, mécanique et chimique. Car celle-ci n’est pas seulement onéreuse en soi mais peut créer des frais supplémentaires, par ses effets secondaires. En plus, les statistiques de grandes études cliniques, citées ici, prouvent l’importance et la fréquence des facteurs psychiques aussi dans les maladies physiques. Ceci est vrai également pour les accidents. Selon une étude menée en collaboration avec une grande caisse-maladie allemande, grâce à des psychothérapies psychanalytiques, les frais médicaux, la durée des congés-maladie et des hospitalisations ont diminué de manière surprenante et impressionnante, ceci de façon durable, ce qui a permis d’amortir l’investissement financier dans ces traitements (voir chapitre 3.5. sur l’économicité). La hantise des assureurs concernant les psychothérapies approfondies est donc injustifiée et devrait laisser la place à une recommandation vive. Si la psychothérapie était un domaine moins personnel, on aurait peut-être déjà proposé une réduction 2 des primes pour ceux qui se décident à en faire, si possible même à titre préventif. Aux automobilistes qui équipent leur voiture d’atouts de sécurité, on accorde déjà des bonus… Malgré ces indices statistiques et économiques en faveur des psychothérapies, on rencontre des réticences aussi parmi des professionnels de la santé. S’agirait-il au fond de l’aversion secrète que l’être humain présente contre les recoins conflictuels de son inconscient ? Dans une psychothérapie, ce sont la bienveillance, la patience, la compétence du thérapeute, la confiance du patient en lui, la fiabilité du cadre et la qualité de l’alliance entre ces deux individus qui permettent d’affronter et de résoudre ces conflits dans une élaboration commune. Si nécessaire, une médication psychotrope bien adaptée par le psychiatre peut apaiser l’angoisse et faciliter ainsi ce travail. Une prescription médicamenteuse seule, en défaveur de l’élaboration psychothérapeutique par contre ne résout rien. Une restriction massive des prestations remboursées par l’assurance oblige déjà certains psychiatres en Suisse allemande à se limiter essentiellement au rôle de prescripteur. De réduire le suivi psychiatrique risque de masquer les conflits intrapsychiques et interpersonnels, de les rendre ainsi chroniques et de provoquer leur transmission à l’entourage du patient, au pire jusqu’aux générations suivantes – à travers des modes de relation pathologiques et pathogènes, mais aussi par le patrimoine génétique. Les nombreux problèmes de couple et de famille ainsi que les troubles présentés par nos jeunes, parfois déjà dès la petite enfance, en témoignent. A juste titre, les patients eux-mêmes se méfient de la dépendance médicamenteuse : non seulement que les tranquillisants et somnifères produisent une dépendance physique qui exige souvent d’augmenter progressivement les doses. De plus, aussi envers les antidépresseurs et antipsychotiques qui ne créent pas d’accoutumance physique, une dépendance psychique peut se développer. Car les patients sentent le danger réel de rechuter à l’arrêt du médicament si les problèmes n’ont pas été résolus. Dans le chapitre sur les propositions concrètes de comment améliorer le système de soins, d’autres particularités importantes du domaine de la psychiatrie et des psychothérapies sont abordées, p.ex. concernant les réseaux de médecins (HMO 1) et les conséquences d’une fin de l’obligation de contracter des caisses-maladies. Il semble être à la mode de critiquer le système de soins, les médecins, les assureurs et les politiciens qui se renvoient la responsabilité pour les dysfonctionnements. Mais ne reflètent-ils pas aussi les mécanismes, les principes, les valeurs et l’ambiance relationnelle dans notre société occidentale en général ? Et si on essayait des solutions basées sur une vision plus large, intégrative, à la fois pratique et philosophique tant dans le système de la santé que dans la société ? 1 HMO, « health maintenance organization », réseau de cabinets de médecins collaborants ensemble dans l’esprit de contrôle de qualité, d’efficacité et de coûts. 3 2. Préambule D’avoir bouleversé pour toujours ma compréhension des soins, des maladies, des malades et de leurs malaises ainsi que de m’avoir convertie d’une interniste cardiologue classique en une psychiatre psychothérapeute convaincue n’est pas l’effet d’un ouvrage volumineux et savant sur la médecine psychosomatique2 mais le mérite de quelques personnes que j’ai eu la chance de rencontrer. À l’époque, je travaillais dans une clinique de rééducation cardiaque, ensemble avec une psychologue clinicienne qui se perfectionnait en psychanalyse freudienne. Quand je lui adressais des patients pour évaluer un trouble psychique, elle me faisait part de ses observations et hypothèses dont je fus fascinée comme si un nouveau monde complexe et plein de significations insoupçonnées s’ouvrait à moi. Comparé à la précision, finesse, richesse et individualité des histoires personnelles qu’elle réussissait de recueillir et de mettre en lien avec la conflictualité actuelle des malades, je me sentais frustrée devant la stéréotypie de mes anamnèses cardiaques. La personnalité et problématique du patient furent négligées dans des questions du style : « Combien d’étages pouvez-vous monter à pied avant d’être essoufflé ? Pouvez-vous dormir à plat ou combien de coussins utilisez-vous ? » Ainsi sensibilisée, j’écoutais plus attentivement mes patients, leur posais des questions différentes et commentais autrement leurs propos. À un monsieur d’une soixantaine d’années, je pouvais ainsi montrer que la date de son infarctus correspondait jour pour jour au cinquième anniversaire de l’accident mortel de son fils, et que c’était ce deuil non accompli qui se trouvait à l’origine de son accident coronarien. Un autre réconvalescent fit sous mes yeux une récidive d’infarctus, en revenant pâle d’une promenade avec son épouse et un monsieur qui, comme j’appris plus tard, était non seulement le cousin mais en même temps l’amant de sa femme. Lors d’une garde de nuit, je fus appelée auprès d’un patient coronarien gravement atteint dont les douleurs thoraciques n’avaient d’équivalent ni à l’ECG ni à la sérologie des enzymes cardiaques, et qui ne répondaient ni à une médication cardiaque ni antalgique ni anxiolytique. L’intervention la plus personnelle de ma carrière d’interniste consistait à écouter avec beaucoup d’empathie l’histoire de sa vie affective douloureuse qu’il n’avait jamais racontée auparavant, en commençant par sa petite enfance, tout en lui tenant la main pendant des heures. Ce qui lui a permis de s’endormir au petit matin, sans douleur et apaisé comme un enfant – contrairement à moi, devenue témoin directe d’une angoisse saisissante d’abandon et de mort. Je me rendis compte que, pour comprendre mes malades, il fallait changer de perspective. Et que, pour les soigner à fond, il me fallait changer de spécialité. 2 Le terme psychosomatique (du grec , psycho :esprit, soma :corps) tient compte l’interdépendance de l’esprit et du corps dans leur fonctionnement tant normal que maladif. de 4 3. En introduction : des chiffres qui parlent Après ces anecdotes individuelles, laissons les statistiques témoigner de la fréquence et de l’importance des facteurs psychiques pour la santé - et pour les finances - de notre société. A partir de là, il devient évident que le traitement approfondi des troubles psychiques, tant dans leurs formes majeurs que subcliniques3, doit être une priorité. 3.1. Les maladies psychiques Dans l’étude The Global Burden of Disease, 1990, publiée par deux collaborateurs de l’OMS (A. Lopez et C. Murray), les 10 plus importantes causes d’invalidité dans le monde ont été classées selon le pourcentage des coûts provoqués. La plus coûteuse de toutes est la dépression, avec 10,3%. Les suivantes sont : accidents de circulation 4,7%, tuberculose 4,6%, alcoolisme 3,6%, blessures auto-infligées (tentatives de suicide) 3,5%, trouble maniacodépressif4 3,1%, violence 3,1%, guerre 3,1%, schizophrénie 3,0%, anémie ferriprive 3,0%. Parmi ces 10 causes, responsables pour 42% des coûts, la plupart est d’origine psychique ou y est liée. En Suisse, selon les statistiques de l’Assurance-Invalidité de janvier 2000, un tiers des rentes est attribué pour des maladies psychiatriques. Leur nombre a déjà triplé depuis 1986 et continue d’augmenter. Selon des recherches allemandes5 sur plus de 20 000 patients, on estime qu’environ 40% des patients qui consultent leur médecin de famille présentent un trouble psychique manifeste, pour ne pas parler des troubles sub-cliniques. Seulement la moitié des troubles psychiques a été diagnostiquée par le généraliste, ce qui laisse l’autre moitié sans traitement. Par contre, un patient sur dix fut diagnostiqué de dépressif, alors qu’il n’en souffrait pas, ce qui pose le problème des médications psychotropes données de façon erronée, mais non sans effets secondaires. 3.2. Les maladies psychosomatiques Parmi les maladies organiques, classiquement reconnues comme étant causées ou aggravées par des facteurs psychiques, comptent les maladies cancéreuses, l’hypertension artérielle et la maladie coronarienne, l’asthme, les troubles somatoformes douloureux6, l’ulcère gastrique, la colite ulcéreuse, l’obésité - qui 3 Un trouble sub-clinique ne réunit pas assez de critères diagnostiques pour être qualifié de pathologique, mais peut néanmoins avoir des conséquences cliniques significatives. 4 Appelé aussi trouble bipolaire, la maladie maniaco-dépressive consiste en phases de dépression alternant avec des phases maniaques, c.à.d. exaltées où le patient lutte de façon frénétique contre l’intensité de sa dépression devenue insupportable. 5 Wittchen HU, Hofler M, Meister W. : Prevalence and recognition of depressive syndromes in German primary care seings : poorly recognized and treated? Int Clin Psychopharmacol 2001 ; 16 :121-35. 6 Dans les troubles somatoformes douloureux, l’examen médical ne montre pas ou pas assez de lésions corporelles pour expliquer les douleurs chroniques qui sont à considérer comme d’origine psychique du moins en partie, comme certains maux de tête, de dos, de nuque, de ventre etc. 5 occasionne tant d’autres affections métaboliques et orthopédiques - l’anorexie et la boulimie, l’arthrite rhumatoïde, les dermites atopiques7 et la thyrotoxicose8. D’autres experts pensent même que toutes les maladies ont des origines psychiques, même si la prédisposition génétique, les influences nutritionnels et environnementales tels que des agents pathogènes y contribuent. Ces maladies dites psychosomatiques sont très fréquentes, la souffrance et les frais qu’elles provoquent sont extrêmement lourds. Que des troubles psychiques ne sont pas seulement une conséquence d’altérations organiques, mais à l’inverse aussi un facteur de risque voire une cause de maladie physique, a été confirmé par de nombreuses études, entre autres sur la maladie coronarienne9 : L’existence préalable d’une dépression chez un sujet au départ noncardiaque double son risque de subir un infarctus et d’en mourir. Pour un patient coronarien connu, une dépression triple voire quadruple le risque de nouvel infarctus et de mort cardiaque ! Selon d’autres études10, ce risque est normalisé par le traitement (psycho-pharmacologique dans ces études) de la dépression. Dans les maladies cancéreuses, la plupart des études démontrent que la dépression sévère et récurrente augmente le risque de développer ultérieurement un cancer (selon Penninx11, le risque est presque double). Une dépression, avec le vécue de désespoir et d’impuissance, peut également être prédictive d’une progression plus rapide de cette maladie, p.ex. du cancer du sein (Watson et coll., 1999). 3.3. Efficacité des psychothérapies Les recherches sur l’efficacité des psychothérapies sont beaucoup plus difficiles à réaliser que l’évaluation d’une substance chimique - et peu sponsorisées par l’industrie pharmaceutique ou des fabricants de technologie médicale... – puisque la qualité de ces traitements dépend de beaucoup plus de variables. 7 Parmi les dermites atopiques, provoquées par une allergie, comptent l’urticaire et l’eczéma endogène, appelé aussi neurodermite atopique. D’autres affections atopiques sont le rhume de foins et l’asthme allergique. 8 La thyrotoxicose est une hyper fonction de la glande thyroïde dont les hormones perturbent gravement l’organisme. 9 Voici un choix de références : 1)Ferketich AK, Schwartzbaum JA, Frid DJ, Moeschberger ML, for the National Health and Nutrition Examination Survey : Depression as an antecedant to heart disease among women and men in the NHANES I study. Arch Intern Med. 2000 ; 160 : 1261-1268. 2) Ford DE, Mead LA, Chang PP, Cooper-Patrick L, Wang NY, Klag MJ : Depression is a risk factor for coronary artery disease in men : the precursors study. Arch Intern Med 1998 ; 158 : 1422-1426. 3) Bush DE, Ziegelstein RC, Tayback M, et al. : Even minimal symptoms of depression increase mortality risk after acute myocardial infarction. Am J Cardiol. 2001 ; 88 : 337-341. 10 1) Meier CR, Schlienger RG, Jick H. : Use of selective serotonin reuptake inhibitors and risk of developing first-time acute myocardial infarction. Br J Clin Pharmacol. 2001 ; 52 :179-184. 2) Sauer WH, Berlin JA, Kimmel SE : Selective serotonin reuptake inhibitors and myocardial infarction. Circulation. 2001 ; 104 : 1894-1898. 11 Penninx BW : Chronically depressed mood and cancer risk in older persons. Journal or the National Cancer Institute. 1998 ; 90(24) ; 1888-1893. 6 Contrairement à la chimie des médicaments, l’alchimie entre le patient et son thérapeute, ainsi que les résultats d’une psychothérapie dépendent entre autres de 12 : facteurs côté patient : intensité, durée et type du trouble psychique ; contexte de vie ; certaines caractéristiques personnelles ; désir de changement ; facteurs côté psychothérapeute : santé mentale ; intérêt à l’égard du patient et espoir concernant le résultat possible; habileté ou maladresse à utiliser la méthode thérapeutique choisie ; facteurs interactionnels : le type de relation établie par le thérapeute envers le patient, et celui établi par le patient envers le thérapeute ; attentes thérapeutiques du patient et du thérapeute (congruentes ou divergentes) facteurs méthodologiques : bonne ou mauvaise indication de la méthode pour le type de trouble psychique présenté par le patient. Eventuelle combinaison propice avec d’autres approches. A cette liste se rajoutent d’autres facteurs p.ex. concernant le cadre, tels que la fréquence des séances, leur durée, leur régularité, la durée du traitement, le lieu etc. dont dépendent le sentiment de fiabilité, de protection et de sécurité nécessaires au patient pour s’ouvrir au travail personnel et l’efficacité (voir chapitre 3.5.). Cette complexité ainsi que la multitude des formes de psychothérapies existantes expliquent que les résultats de recherche sur l’efficacité des psychothérapies sont parfois divergents ou difficiles à interpréter. Voici quelques résultats : Deux méta-analyses13 portant sur 375 et 475 études respectivement, concernant l’efficacité de 10 et 18 types différents de psychothérapies (à l’exception de la psychanalyse freudienne) sont arrivées aux conclusions suivantes14 : Parmi les personnes non-traitées restant sur la liste d’attente pour une psychothérapie (groupe contrôle), 43% ont connu une rémission « spontanée », due à l’intervention d’autres personnes, de groupes, de programmes d’aide ou d’assistance. La moyenne des patients traités par psychothérapie allait mieux que 75% et 80% du groupe contrôle. Si des psychothérapies ont pu entraîner des effets de détérioration, allant en moyenne de 6 à 12 %, c’était principalement dû à un mauvais jumelage du thérapeute et de la méthode utilisée avec le patient et le trouble présenté. On peut imaginer que les études aient été effectuées dans des institutions où les patients sont attribués de façon statistiquement randomisée aux thérapeutes du centre. J’aimerais souligner déjà ici que, pour cette raison, le libre choix mutuel des patients et psychothérapeutes est essentiel. L’effet notamment de psychothérapies de groupe mais aussi d’hypnothérapie a été étudié pour des patients à la fois dépressifs et cancéreux. La majorité des études 12 Lalonde P, Grunberg F : Fondements de la psychothérapie, in :Psychiatrie Clinique, approche biopsycho-sociale,. 1988 ; 1080-1093. 13 Une méta-analyse examine une série d’études singulières pour tirer des conclusions statistiques sur un plus grand nombre de patients observés et pour neutraliser des éventuelles erreurs méthodologiques des études. 14 1) Smith ML, Glass GV : Meta-Analysis of Psychotherapy Outcome Studies. American Psychologist. 1977 ; 32 : 752-760. 2) Smith ML, Glass GV, Miller TI : The Benefits of Psychotherapy. Baltimore, The John Hopkins University Press,1980. 7 montre un bénéfice pour l’état anxio-dépressif et sur l’adaptation à la maladie15, même sur les douleurs physiques16. Cinq17 sur dix études ont constaté de plus une prolongation de la survie, qui atteignait dans une étude 18 mois en moyenne 18. Cette prolongation de survie pour des sujets dépressifs atteints de cancer peut s’expliquer en partie par une meilleure collaboration dans le traitement médical. – Pour la maladie coronarienne, on a constaté que des patients suivaient moins bien les recommandations médicales concernant les facteurs de risque lorsqu’ils étaient dépressifs19. 3.4. Efficacité de l’approche psychanalytique Dans les deux chapitres suivants, nous citerons un choix de recherches sur les traitements psychanalytiques, résumées dans un article du Bulletin des médecins suisses20 et un article mis à disposition du public sur Internet par l’association psychanalytique allemande21. L’association psychanalytique internationale a publié sur Internet un site open door sur ce type d’études, terminées ou en cours 22. Les études portent essentiellement sur les traitements individuels, bien que l’approche psychanalytique s’applique avantageusement aussi aux traitements de couple, de famille et de groupe. La psychothérapie psychanalytique brève, tout comme une thérapie cognitivocomportementale ou interpersonnelle de la même durée, sont plus efficaces que les médications psychotropes à améliorer, de façon durable, les capacités suivantes : comprendre les raisons de sa dépression, gérer sa vie, établir et maintenir des relations humaines. Cependant, seulement 24% des patients gravement dépressifs ont présenté une amélioration aussi 18 mois après un traitement bref de ces types23. La gravité de leur maladie aurait nécessité un traitement plus long. 15 1) Mc Daniel JS, Musselman DL, Porter MR, Reed DA, Nemeroff CB : Depression in patients with cancer. Diagnosis, biology and treatment. Arch Gen Psychiatry, 1995 ; 52 (2) :89-99. 2) Spiegel D, Bloom JR, Yalom I : Group support for patients with metastatic cancer. A randomized outcome study. Arch Gen Psychiatry, 1981, 38(5) : 527-533. 16 Spiegel D, Bloom JR : Group therapy and hypnosis reduce metastatic breast carcinoma pain. Psychosom Med. 1983 ; 45(4) : 333-339. 17 1) Fawzy 1993, 2) Richardson JL, Shelton DR, Krailo M, Levine AM : The effect of compliance with treatment on survival among patients with hematological malignancies. J Clin Oncol 1990 ; 8 () :356364. 3)Kuchler 1999. 4) Ratcliffe 1995 18 Spiegel D, Bloom JR, Kraemer HC, Gottheil E : Effect of psychosocial treatment on survival of patients with metastatic breast cancer. Lancet. 1989 ; 2(8668), 888-891. 19 Ziegelstein RC, Fauerbach JA, Stevens SS, Romanelli J, Richter DP, Bush DE : Patients with depression are less likely to follow recommandations to reduce cardiac risk during recovery from myocardial infarction. Arch Intern Med. 2000 ; 160 :18181-1823. 20 R. Balmer : Psychiatrie und Psychotherapie : Der Fallkostendurchschnitt ist untauglich für die Wirtschaftlichkeitskontrolle. Bulletin des Médecins Suisses. 2003 ;84 : Nr. 6. 21 Deutsche Psychoanalytische Vereinigung : Indikation und Wirksamkeit, Psychoanalyse und psychoanalytische Verfahren in der medizinischen Versorgung. Berlin, 2001. www.dpv-psa.de 22 Fonagy P, Kächele H, Krause R, Jones E, Perron R : An open door review of outcome studies in psychoanalysis. International Psychoanalytic Association, 2001. www.ipa.org.uk 23 Blatt S, Zuroff D, Bondie C, Sanislow C : Short- and long-term effects of medication and psychotherapy in the brief treatment treatment of Depression : further analysis of data from the NIMH TDCRP. Psychotherapy Research. 2000 ; 10 :215-234. 8 En général, l’effet des psychothérapies notamment brèves a la tendance à diminuer dans le temps après leur fin, contrairement aux psychanalyses : il a été prouvé que plus une thérapie d’inspiration psychanalytique était approfondie et longue, plus son effet est meilleur et durable 24. Plusieurs études catamnestiques25 montrent que 60 à 90% des patients en ont bénéficié grandement. Plus les psychanalyses étaient longues et plus la fréquence des séances était élevée, plus leur effet sur les symptômes et la gestion générale de la vie (mesurés avec le questionnaire SCL-90) est important et peut même continuer à s’améliorer après la fin du traitement, grâce à une meilleure structuration et maturation de la personnalité. 26 3.5. L’économicité de l’approche psychanalytique Une étude de valeur historique27 a convaincu les caisses-maladies allemandes au point d’inclure le remboursement des traitements psychanalytiques dans leur catalogue de prestations de base : Les auteurs ont comparé le nombre des jours d’hospitalisation / an avant et après une psychothérapie psychanalytique (freudienne) de seulement 50 séances pour 125 patients, avec comme groupes témoins 100 patients névrotiques en attente d’une psychothérapie, ainsi qu’avec 100 assurés « moyens » d’une très grande caissemaladie publique. Avant la psychothérapie psychanalytique, les patients passaient en moyenne 26 jours/an à l’hôpital, tout comme les patients névrotiques, comparé à 10 jours/an pour les assurés « moyens ». Après la période de psychothérapie, la durée de séjour hospitalier était de 12 pour les assurés « moyens », toujours à 26 jours pour les patients névrotiques non-traités, mais seulement 6 pour les patients ayant eu une psychothérapie analytique. Une étude catamnestique28 effectuée par l’association psychanalytique (freudienne) allemande portait sur 401 patients interrogés au moins 6 ans après la fin d’un traitement psychanalytique, effectué par des analystes expérimentés pendant au moins un an. Les patients avaient des troubles psychiques graves, tels que des troubles graves de la personnalité, des dépressions graves, des troubles obsessionnels-compulsifs et des psychoses. 24 1) Sandell R, Blomberg J, Lazar A et al. : Unterschiedliche Langzeitergebnisse von Psychoanalysen und Psychotherapien : Psyche 2001 ; 55 :277-310. 2) Leuzinger-Bohleber, Stuhr, Rüger, Beutel : Langzeitwirkungen von Psychoanalysen und Psychotherapien – eine multiperspektivische, repräsentative Katamnesestudie : Psyche 2001 ; 55 :193-276. 25 Une étude catamnestique examine les effets d’un traitement après sa fin dans le but d’évaluer si les effets sont durables. 26 1) Sandell R, Blomberg J, Lazar A : When reality doesn’t fit the blueprint: Doing research on psychoanalysis in a public health service program. Psychotherapy Research. 1997 ; 7 : 333-344. 2) Crits-Christoph P, Barber JP : Long-term psychotherapy. In : Snyder CR, Ingram RE (editors) : Handbook of psychological change. John Wiley, New York, 2000 ; 455-473. 27 Dührssen A, Jorswieck E : Eine empirisch-statistische Untersuchung zur Leistungsfähigkeit psychoanalytischer Behandlung. Nervenarzt, 1965 ; 36 :166-169. 28 Leuzinger-Bohleber M, Stuhr U, Rüger B, Beutel M : Langzeitwirkungen von Psychoanalysen und Psychotherapien – eine multiperspektivische, repräsentative Katamnesestudie. Psyche :2001 ; 55 :193-276. 9 Plus de 70% des patients se montraient améliorés de façon durable et stable 6 ans ou plus après la fin du traitement, tant dans leurs symptômes initiales que dans l’amélioration de leur humeur, de leur capacité à faire face aux événements de la vie, de leur rendement, de leur satisfaction générale dans la vie, de leur image propre, de leur créativité etc. Cette amélioration s’est confirmée aussi dans les résultats du questionnaire SCL-90R. Pendant et après le traitement, les consultations médicales ambulatoires, la consommation médicamenteuse, les congés-maladies et les durées d’hospitalisation ont diminué de façon significative, réduction qui est restée stable même 6 ans ou plus après la fin du traitement. Des résultats similaires ont été trouvés pour des traitements psychanalytiques jungiens29 . En collaboration avec les caisses-maladies allemandes, d’autres recherches catamnestiques sur les psychothérapies de longue durée ont montré que la durée annuelle des congés-maladies diminuait de façon drastique : 19,1 jours avant, 10,9 jours pendant et 7,9 jours au moins 6 ans après le traitement. Aussi les jours d’hospitalisation par an ont diminué de moitié : de 1,6 avant à 0,8 jours pendant et au moins 6 ans après la psychothérapie. Soulignons qu’on a pu prouver que l’investissement financier dans une telle thérapie, important certes, est amorti déjà quelques années plus tard, grâce à la réduction des dépenses médicales ultérieures30 . Selon une extrapolation tout à fait logique, on pourrait même présager que les psychothérapies effectuées aujourd’hui avec des adultes permet sous peu des économies de finances et surtout des économies de souffrance psychique aux enfants d’aujourd’hui – qui sont les adultes de demain : Les psychothérapies approfondies permettent d’interrompre la transmission transgénérationnelle des pathologies d’attachement et de relation31 et bien d’autres encore. L’importance des facteurs psychiques dans les processus de somatisation et l’impact des approches psychothérapeutiques sont encore trop souvent méconnus et négligés par le grand public, des professionnels de la santé et les personnes impliquées dans la politique de santé. Ainsi, on cherche en vain l’aspect psychique et psychothérapeutique dans les deux tomes sur l’économie de la santé, publiés par l’édition des médecins helvétiques, EMH32. 29 Keller W, Westhoff G, Dilg R, Rohner R, Studt H : Wirksamkeit und Kosten-Nutzen-Aspekte ambulanter jungianischer Psychoanalysen und Psychotherapien – eine katamnestische Studie. In : Stuhr U, Leuzinger-Bohleber M, Beutel M : Langzeit-Psychotherapie – Perspektiven für Therapeuten und Wissenschaftler, Kohlhammer, Kiel, 2001 ; 343-355. 30Breyer, Heinzel, Klein : Kosten und Nutzen ambulanter Psychoanalyse in Deutschland. Gesundheitsökonomie Qualitätsmanagement 1997 ; 2 :59-73. 31 Fonagy p : The Implication of contemporary neuroscience, psychology and the « cognitive revolution » for psychoanalysis. International Psychoanalysis, 1999 ; 8 (2) 32 1) Jürg H. Sommer : Muddling Through Elegantly : Rationierung im Gesundheitswesen, 2001. 2) Silvia M. Ess : Outcomes Research and Economic Evaluation, 2002 10 4. Quelques mécanismes psychosomatiques L’esprit peut rendre le corps malade. L’esprit peut guérir le corps malade. L’hypnose permet de l’illustrer de manière presque immédiate. Une simple expérience33 exploite l’effet de suggestion et consiste à dire à une personne hypnotisée que le crayon qu’on appuie sur sa peau serait un bout de métal rouge de chaleur qui la brûlerait. Sortie de l’hypnose, la personne ne se souvient pas de cette suggestion. Pourtant, au bout de plusieurs heures, on observe une cloque de la même forme et à l’endroit précis où le crayon avait été appliqué. Mais l’hypnose permet surtout, à l’inverse, de diminuer voire d’enlever complètement la sensation de douleur due aux brûlures, p.ex. chez des enfants avec des grandes surfaces brûlées où les changements de pansement seraient une torture sinon. Il y aurait beaucoup d’autres exemples passionnants à décrire, mais contentonsnous ici des preuves statistiques et cliniques mentionnées déjà. Il nous importe surtout d’obtenir une réponse à la question, vieille comme l’humanité, si c’est l’esprit ou la matière qui domine, l’acquis ou l’héréditaire, le terrain ou les agents pathogènes34. Car en fonction du point de vue qu’on favorise, les réponses thérapeutiques et politiques aux problèmes de santé individuelle et publique vont largement diverger. Notre médecine moderne, elle, se positionne en grande partie d’un point de vue mécaniciste et donne la priorité à la matière. Se leurre-t-elle quand elle conclut des concentrations diminuées ou augmentées de certains neurotransmetteurs 35 dans des maladies mentales (surtout les dépressions, schizophrénies et dépendances de substances) que celles-ci seraient provoquées par ces anomalies biologiques voire génétiques ? Ne confond-elle pas cause et effet, processus et substrat matériel? Si c’était la concentration de neurotransmetteurs qui rendait malade, comment expliquer que la psychothérapie verbale seule peut guérir ? Ne faudrait-il pas conclure que les processus mentaux, psychiques, affectifs sont accompagnés de changements d’abord fonctionnels au niveau du substrat physiologique, corporel, biochimique et qui, selon leur intensité ou durée, peuvent aboutir à des changements durables, voire des lésions d’organe ? Un organisme, affaibli ainsi, sera plus vulnérable aux agents pathogènes qui l’entourent, tout comme aussi des facteurs favorables à la santé (facteurs de résilience), d’ailleurs . Avec ce qui précède, nous pouvons donc affirmer que l’esprit a la possibilité d’influencer la matière et le corps, en tout cas jusqu’à un certain degré, tant dans le 33 Waxman D : Hartland’s Medical and Dental Hypnosis, 1989. Par pathogène, nous entendons tout ce qui contribue aux maladies, tels que des microorganismes, des facteurs mécaniques, chimiques, thermiques, physiques, p.ex. des ondes comme la radioactivité, mais aussi des facteurs relationnels, sociaux etc. 35 Les neurotransmetteurs sont des substances chimiques qui servent de messagers pour faire passer les signaux électriques d’un neurone au suivant. 34 11 sens de la maladie que dans le sens de la santé. La psychothérapie l’aide à aller dans le sens de la santé. Les influences, réciproques certes, entre le psychique et le physique sont très complexes, variables d’un individu à l’autre et d’une situation à l’autre, et en grande partie encore inconnues. Nos chercheurs ont découvert des connexions entre des centres du cerveau, p.ex. entre le système limbique, connu pour son importance dans le vécu affectif, et l’axe fonctionnel hypothalamus – hypophyse - glandes endocriniennes périphériques comme p.ex. les glandes surrénales qui produisent l’adrénaline et la cortisone naturelle, les hormones du stress. Le dernier influence aussi le métabolisme p.ex. du sucre. D’autres liens existent entre le système nerveux central et le système immunitaire, ce qui explique la vulnérabilité variable pour des infections et la prédisposition aux allergies. Nous connaissons depuis longtemps aussi le système nerveux périphérique dit végétatif qui lie les organes internes, p.ex. le cœur, avec le cerveau. Ainsi, le coeur bat plus vite si nous sommes tendus, anxieux ou alors excités rien que par une pensée. Non seulement comme un concept explicatif, mais aussi comme base pour un traitement aussi innovateur que simple et efficace, je voudrais décrire ici les principes développés depuis les années 80 par le Dr Peter Nixon, ancien médecin-chef de cardiologie à l’Hôpital Universitaire Charing-Cross, Londres36. Cette approche, destinée à soigner des affections « somatiques » comme l’hypertension artérielle, l’artériosclérose coronarienne, des troubles du rythme cardiaque auriculaire et ventriculaire, l’insuffisance cardiaque etc., peut être pratiquée en ambulatoire et à l’hôpital. Le Dr Nixon avait constaté que les patients étaient – souvent sans s’en rendre compte - épuisés par des états de stress d’origine différente, ce à quoi l’organisme réagit par une hyperventilation37 chronique intermittente. Celle-ci provoque des modifications importantes dans l’équilibre acido-basique et les concentrations des ions (notamment de potassium, calcium et magnésium) dans le sang et les tissus dont la fonction s’en trouve perturbée. L’excitabilité neuromusculaire devient excessive ; les muscles lisses sont contractés et provoquent des constrictions au niveau vasculaire, digestif etc. ; les muscles striés, crispés également, exercent des tensions sur les articulations qui finissent par s’user, etc. Le cortège des symptômes et maladies psychosomatiques et « somatiques », explicables par ce mécanisme patho-physiologique, est vaste et probablement loin d’être connu. 36 Choix de références : 1) Freeman LJ, Nixon PGF : Dynamic causes of angina pectoris. American Heart Journal. 1985 ; 110 : 1087-92. 2) Nixon PGF, Freeman LJ : What is the meaning of angina pectoris today ? American Heart Journal. 1987 ; 114(6) : 1542-1546. 3) Freeman LJ, Nixon PGF, Legg C, Timmons BH : Hyperventilation and angina pectoris. Journal of the Royal College of Physicians of London. 1987 ; 21(1) : 46-50. 4) Nixon PGF : Stress and the cardiovascular system. The Prac titioner. 1982 ; 226 :1589-1598. 37 Par hyperventilation, nous entendons une respiration trop fréquente et/ou trop forte par rapport aux besoins de l’organisme, à moins qu’elle serve dans certains cas à neutraliser l’équilibre acidobasique perturbé par un trouble métabolique. 12 Pour y remédier, le Dr Nixon tablait sur les vertus du sommeil, antidote naturel contre l’épuisement et correspondant à la phase anabolique, donc réparatrice des tissus. Sachant que le sommeil est souvent perturbé dans les états de stress, sur le plan quantitatif et-ou qualitatif, il a mis sur pied des protocoles thérapeutiques. Ceux-ci associent des recommandations pour le mode de vie pendant et après le traitement, une médication somnifère adaptée au degré d’insomnie en début de traitement, des exercices de respiration abdominale, l’hypnose médicale, la physiothérapie, les massages thérapeutiques que les conjoints peuvent apprendre, et la rééducation physique prudente et progressive. Au centre du traitement se trouve l’information, répétée et approfondie pour les patients, parfois aussi pour la famille, sur l’épuisement, l’hyperventilation et les mesures requises pour les normaliser de façon durable. Ces protocoles sont simples, faciles à mettre en pratique et, last but not least, très avantageux aussi sur le plan financier. Une telle approche mériterait d’être complétée par la dimension psychodynamique. En effet, si des patients s’épuisent et souffrent de stresseurs différents, il faudrait examiner ce qui les empêche de s’en soustraire. Est-ce seulement la faute du conjoint méchant, du patron incompréhensif, du travail difficile et interminable, de la conjoncture défavorable, du destin ? Ou bien existerait–t-il une instance psychique intérieure qui rendrait difficile au patient de se créer, dans la mesure du possible, des conditions de vie plus agréables et plus propices à la santé ? Le modèle psychanalytique l’affirme, et on pourrait dire que dans ces cas, le vrai agent pathogène serait ce que Freud qualifia de Surmoi38 : un juge intérieur qui est trop sévère avec la personne au lieu de la protéger, p.ex. en se défendant contre des conditions réellement insupportables. La théorie psychanalytique est très vaste et complexe concernant les mécanismes psychiques à l’œuvre dans les maladies psychosomatiques, mécanismes dont nous aborderons ici quelques aspects. En simplifiant, on pourrait dire que le corps se charge d’exprimer ce que le psychisme ne parvient pas à élaborer et/ou à contenir, comme un vase qui déborde : l’angoisse, la colère, la détresse, l’excitation etc. dont l’intensité dépasse les moyens mentaux et émotionnels de l’individu, à ce stade de vie et dans un contexte de vie donné, aboutissant à un conflit trop important pour être géré autrement. La résolution du conflit, grâce au travail psychique, passera d’un stade inconscient à la prise de conscience, de sa manifestation corporelle à des expressions affective, mentale et verbale pour aboutir finalement à une solution. Ce travail psychique est aussi appelé mentalisation. 38 Le Surmoi est une instance de notre psychisme qui, tel un juge, veille sur l’application des règles, des lois, est le siège de notre conscience morale et se développe au cours de l’enfance. Dans des situations pathologiques, il peut être trop sévère, écrasant, ou alors ne pas être suffisamment développé. 13 Le « choix de l’organe » qui sera affecté ne se fait souvent pas par hasard, mais prend toute une signification symbolique par rapport au conflit psychique inconscient et à l’histoire du malade. Dieter Beck, ancien psychanalyste et psychosomaticien bâlois39, comparait bon nombre de maladies somatiques et d’ailleurs aussi d’accidents à des tentatives d’auto-guérison et en distinguait quatre catégories : la maladie somatique comme élaboration d’un deuil, comme expiation, comme réparation narcissique et comme élargissement affectif du moi, c.à.d. comme opportunité de ressentir dans le corps propre des aspects du psychisme ignorés jusqu’alors. Le père qui subissait un accident coronarien (infarctus) cinq ans après l’accident mortel de son fils serait un exemple pour l’élaboration d’un deuil, avec comme organe « choisi » le cœur, siège symbolique de l’amour. Un exemple d’expiation serait un monsieur, opéré pour un cancer du larynx, qui depuis plus de trente ans, se réveillait chaque nuit du même rêve d’angoisse: son père lui parle, mais sans qu’il entende le contenu du discours. Le rêve avait commencé le jour où le père décéda d’un accident de tracteur pour lequel le patient se croyait responsable, parce qu’il ne lui avait pas assez mis en garde contre les risques du terrain en pente. L’organe « fautif » étant le larynx, le patient l’avait sacrifié. Suite à la première consultation psychiatrique, comportant un travail sur les représentations et sur ses relations avec sa famille d’origine, notamment sur sa rivalité avec le père, le rêve d’angoisse a disparu de façon durable. Comme la formulation du Dr Beck, « la maladie comme tentative d’auto-guérison » le suggère, il convient d’élaborer la fonction de la maladie dans l’économie psychique et relationnelle du patient. On parle d’un gain secondaire qu’une maladie puisse apporter. Si ces paramètres n’ont pas été pris en considération lors du traitement, on diminue les chances de pouvoir guérir la maladie et encore plus celles de guérir le malade – qui au pire serait obligé, inconsciemment, de « prolonger » sa maladie ou d’en « produire » une autre, coûteuse à plus d’un niveau pour lui-même et sa caissemaladie, afin d’exprimer et finalement de résoudre son conflit interne. 5. Favoriser la mentalisation40 et l’amour de soi Comme lors d’une maladie psychique, il conviendrait dans le cas d’un trouble fonctionnel, d’une affection psychosomatique ou d’une maladie somatique, que le médecin traitant prenne soigneusement l’histoire actuelle, personnelle, familiale et socioprofessionnelle de son patient et l’écoute avec une grille de lecture psychanalytique. 39 Dieter Beck : Krankheit als Selbstheilung. 1981, Insel-Verlag, 18-47 Par mentalisation, nous entendons le développement qui amène l’humain d’un fonctionnement neuromusculaire basé sur les réflexes et les instincts vers la réflexion, le ressenti émotionnel, l’expression verbale et la résolution de conflits autre que par des symptômes corporels. Le terme mentalisation est utilisé également pour un conflit qui, en partant d’un stade inconscient, trouve accès à la conscience sur un mode cognitif ou affectif. 40 14 Certaines questions peuvent donner des pistes pour comprendre la signification de la maladie. Il est utile de demander au patient quelles sont les conséquences de ses symptômes ou alors ce qui changerait dans sa vie si les symptômes avaient disparu (bénéfice primaire ou secondaire de la maladie). Parfois, il s’agit de détecter la similitude entre le tableau clinique du patient et celui d’une personne importante de son entourage (mimétisme, identification inconsciente). Dans d’autres cas encore, c’est le symbolisme des symptômes qui permet leur compréhension. Le moment et le contexte de l’éruption d’une maladie donnent également des indices. Ensemble, médecin et malade cherchent à élaborer le sens personnel de la maladie, à identifier si l’organe malade fait référence à une personne ou une relation significative, de quelle nature est le conflit etc. En fonction de la durée, de l’intensité du conflit et de sa charge agressive, mais aussi des facteurs de résilience internes et externes, d’autres moyens d’expression qu’à travers la maladie et des solutions satisfaisantes peuvent être trouvés. Il est d’ailleurs regrettable que les médecins somaticiens41 ne soient pas formés davantage dans la pensée psychanalytique. Bien qu’avec une sensibilisation à celleci, un médecin généraliste puisse déjà dépister et aborder un certain nombre de telles situations, il reste néanmoins indispensable d’envoyer les situations plus compliquées chez le spécialiste en psychiatrie-psychothérapie. A titre d’exemple, je me souviens d’une jeune femme d’origine méditerranéenne amenée aux urgences par des amis, après un malaise soudain avec agitation psychomotrice, agressivité importante et en même temps impossibilité de se lever. Deux agents de sécurité la maîtrisaient difficilement pendant que le médecin somaticien se demandait quelle injection sédative lui appliquer. Compte tenu d’une éventuelle grossesse, il préféra demander un avis pharmacologique au psychiatre de liaison. Ayant d’emblée l’impression d’avoir affaire à un tableau de conversion hystérique (traduction névrotique d’un conflit psychique en un symptôme somatique fonctionnel), je décidai de privilégier l’approche verbale d’inspiration psychanalytique, et fis sortir les agents de sécurité ainsi que le reste de l’équipe. Devant le refus ou l’impossibilité de la patiente de parler, je fis venir da la salle d’attente sa meilleure amie pour prendre, à côté du lit de la malade, l’histoire de la symptomatologie et du contexte. Ceci me permit de lui glisser des interprétations sur la signification inconsciente de ses symptômes. Petit à petit, elle participa à la consultation. Au bout de 45 minutes au total, la patiente quitta l’hôpital en marchant normalement, calme, collaborante et consciente de son conflit, sans avoir reçu aucune médication, mais avec la recommandation d’entreprendre une psychothérapie pour approfondir l’élaboration de sa problématique. L’équipe des somaticiens s’étonna que « la parole était plus forte qu’une piqûre ». En effet, dans ce cas de trouble psychique, on réalise aisément qu’une injection sédative n’aurait résolu en rien le conflit psychique de base qu’il s’agissait de mettre en évidence et de traiter. 41 Du mot grec soma pour corps sont dérivés les termes somaticien pour le médecin traitant le corporel, et somatique pour ce qui concerne le corps. 15 Mais aussi dans le cas de maladies où la composante somatique est prédominante, il est souhaitable de trouver et de traiter la signification psychique. Dans tous les cas, il faut en plus être attentif à ce qu’on appelle la demande latente, implicite, le plus souvent inconsciente pour le malade et bien souvent d’ordre relationnel. Lorsqu’un patient formule sa demande manifeste, explicite, consciente, il peut p.ex. réclamer un acte médical technique à visée diagnostique ou thérapeutique ou la prescription d’un médicament. Inconsciemment, de façon implicite, latente, il peut rechercher une relation soignésoignant empathique, chaleureuse dans laquelle il espère trouver le bien-être que le lien harmonieux avec une bonne mère procure à l’enfant et qui peut lui avoir manqué. Ceci revient à dire, en termes psychanalytiques, que ce qui guérit, c’est l’investissement libidinal du corps avec de l’énergie provenant de la pulsion de vie. L’investissement du soigné par le soignant peut servir de modèle pour le malade de comment s’investir, comment se soigner et s’aimer. Ne pas tenir compte de la demande implicite peut laisser le patient dans une insatisfaction diffuse. Il sera poussé à redemander une consultation, peut-être auprès d’un autre médecin, d’un spécialiste, dans un autre domaine. Il y a le risque d’un « tourisme médical », d’une surconsommation de médicaments, peut-être d’une automédication chaotique, ou alors de demandes répétitives d’hospitalisation qui peuvent aller jusqu’à des opérations superflues pour des maladies auto-infligées (syndrome de Münchhausen). Derrière ces revendications peut se cacher la demande d’une prise en charge ressemblant à un maternage, en tout cas une demande relationnelle, affective qu’il s’agit de décoder, d’expliciter au patient avec beaucoup de tact et de combler de manière adéquate. De faire avancer le patient dans le processus de mentalisation de son conflit et, comme but final, de l’accompagner vers l’amour de soi, supposerait alors de renoncer à des réponses « techniques » trop rapides et d’investir plus de temps dans la relation thérapeutique, dans l’investigation et l’élaboration des aspects psychiques de sa maladie et éventuellement dans une psychothérapie pour intensifier le processus. Si les organes ne sont pas encore trop atteints, que le patient dispose d’une capacité d’introspection suffisante et qu’il trouve un psychothérapeute et une méthode qui lui conviennent à cette période de sa vie, l’évolution de la maladie pourra être infléchie parfois de manière étonnante. 7. Des ponts entre l’esprit et le corps En résumé, les buts du traitement idéal seraient : rendre conscient le ou les conflits psychiques qui se trouvent à la base des maladies tant psychiatriques que 16 physiques ; élaborer des modes d’expression du conflit et des affects associés autres que par des symptômes ; donner au patient de plus en plus de maîtrise sur ce qu’il vit et la capacité de trouver de bonnes solutions, si possible en accord avec l’entourage; accompagner le patient sur le chemin de l’investissement de l’énergie vitale dans lui-même et plus spécifiquement dans son corps, ou dit avec des mots plus simples : lui apprendre à s’aimer. Les psychothérapies verbales individuelles, de famille – indiquées notamment lors d’un dysfonctionnement du système familial, dans le cas de fortes projections des uns sur les autres, et chez les conflits transgénérationnels - ou les traitement de groupe ne sont pas les seules à pouvoir favoriser ce processus. Parfois elles peuvent être avantageusement combinées avec des approches moins verbales comme la méditation pleine conscience, le psychodrame, les constellations familiales, l’hypnose éricksonienne etc. ou encore des traitements corporels. L’implication du corps dans ces méthodes peut parfois mobiliser les affects plus rapidement que les approches verbales, tandis que les prises de conscience se travaillent sur un mode verbal. Lorsque l’ancrage des conflits psychiques dans le corps est devenu chronique et qu’il est difficile de le lever par des moyens psychothérapeutiques, des méthodes de médecine douce peuvent parfois être utilement associées (p.ex. l’homéopathie, l’acupuncture, la kinésiologie et psychokinésiologie, de différents types de massage et d’exercices respiratoires etc.) A cette occasion, je tiens à valoriser l’intuition et la compétence dont certains praticiens en médecine parallèle ou en psychothérapies « alternatives » comme la PNL (programmation neuro-linguistique) font preuve. Sans formation dans la pensée psychanalytique, ils peuvent disposer de bonnes connaissances sur les liens entre corps et psychisme qui leur permettent d’effectuer des traitements d’une efficacité parfois étonnante. A noter d’ailleurs que l’efficacité d’une thérapie dépend pour beaucoup de la relation qui peut s’établir entre la personnalité du malade et celle du thérapeute. La sympathie mutuelle, la faculté et la volonté existante des deux côtés de se mettre au diapason, de s’écouter, de se laisser toucher par ce qui vient de l’autre, de faire confiance aux intuitions qui jaillissent des deux préconscients, sont des ingrédients relationnels indispensables pour la bonne réussite de chaque traitement et peuvent, bien sûr, exister aussi chez des thérapeutes non-analytiques. Parfois il arrive que, tout au long de son évolution, le même patient puisse utilement avoir recours à des approches différentes et à des thérapeutes différents sans pour autant pratiquer du « shopping » médical, mais simplement parce que la mobilisation de ses conflits le requiert ainsi. En médecine somatique, on associe très couramment plusieurs types de médicaments et des approches différents, p.ex. une médication antirhumatismale avec les fangos, la physiothérapie etc. Ce même effet de potentialisation des éléments thérapeutiques peut être retrouvé dans le domaine psychothérapeutique. Ainsi, de combiner une thérapie individuelle avec un psychodrame est plus onéreux dans un premier temps, mais s’avère plus efficace, donc à long terme meilleur marché qu’une monothérapie. 17 Quant à l’association avec des remèdes de médecine douce, il appartient aux naturopathes d’apporter des précisions et de faire le tri parmi le nombre impressionnant des méthodes existantes. Comme en médecine allopathique, pas toutes sont d’une efficacité convaincante. Là aussi, il faudra éviter le piège de donner des réponses trop techniques ou « matérielles » et s’efforcer plutôt de comprendre la problématique psychique et la demande latente du patient. Il convient cependant de souligner que la relation thérapeutique entre le patient et son psychothérapeute principal ne doit pas être coupée par des mesures basées sur une vision économique de court terme. Car les patients, et a fortiori ceux atteints d’un trouble de l’attachement, nécessitent d’un lien de confiance avec le même thérapeute pour oser affronter les origines cachées, souvent pour cause, de leurs maladies. 8. Propositions concrètes pour le système de santé Nous abordons ici un sujet très complexe et délicat pour lequel des compétences pluridisciplaires sont requises, notamment dans le domaine de la gestion et structuration des lieux et des processus de soins, des assurances, de l’économie, de la politique etc. en plus de celui de la médecine. En effet, le système de soins et la société en général sont d’une complexité extraordinaire et leur équilibre très sensible, ce qui rend l’entreprise d’apporter des modifications plus que délicate. En tant que clinicienne, je suis plus familiarisée avec les problèmes médicaux qu’avec les questions administratives, organisationnelles et politiques. Malgré ces lacunes, j’espère que les idées suivantes contribueront à alimenter un dialogue constructif entre les divers partenaires responsables pour la santé publique. 8.1. Tenir compte des aspects psychiques Certains patients sont très conscients de l’origine psychique de leur affection physique et chercheront de leur propre chef de l’aide spécifique. D’autres malades en sont inconscients ou coupés de leurs émotions et bénéficieraient d’un travail de sensibilisation. Le médecin somaticien pourrait jouer ce rôle, à condition que lui-même ait reçu la formation nécessaire. Lors des études de médecine, certains cours de psychologie médicale, de psychiatrie et de psychosomatique sont proposés mais apparemment insuffisants et nécessiteraient un approfondissement. De plus, les médecins n’ont pas assez de temps pour le dialogue, plainte fréquemment émise par leurs patients. En Allemagne, cet état de fait a souvent été évoqué par les patients, comme argument contre les consultations chez les allopathes et en faveur des naturopathes qui écouteraient et répondraient davantage à ces besoins du patient. Aussi pour réduire le tourisme médical, coûteux, il faudrait augmenter l’alliance thérapeutique en donnant plus de temps et plus d’importance à l’échange entre soignant et soigné. Cependant, l’art de prendre l’anamnèse qui permet de découvrir 18 le sens de la maladie est mal payé, en faveur des actes techniques. Est-il alors étonnant que, lors d’un séminaire sur la gestion de cabinets médicaux, sponsorisé par une entreprise pharmaceutique, le référent ait conseillé aux médecins d’appliquer à chaque patient un maximum de gestes techniques ? Signalons aussi le gaspillage de médicaments, jetés après l’achat à un pourcentage important, car le patient, sceptique, n’a pas pu parler suffisamment longtemps avec le médecin de l’indication, des effets secondaires, des alternatives thérapeutiques, etc. Autrement dit, la tarification actuelle favorise la surconsommation en produits technologiques et pharmaceutiques, éloigne notre société des prises de conscience nécessaires et contribue à l’explosion des coûts, d’où les propositions suivantes : Rémunérer mieux le temps de dialogue pour les médecins somaticiens, ainsi que l’examen clinique soigneux Approfondir la formation des étudiants et des médecins dans la compréhension psychosomatique Favoriser l’alliance thérapeutique avec un médecin référent traitant qui sera non seulement le gérant de la prise en charge médicale mais aussi le garant du lien avec la vie personnelle et la conflictualité du patient à travers le temps Dans ce même but d’une bonne alliance thérapeutique, permettre au patient de choisir son médecin, en maintenant l’obligation de contracter des assurances-maladie Améliorer l’information du grand public sur les liens entre maladie et conflits, par le biais de brochures, de questionnaires que les patients peuvent remplir eux-mêmes, par Internet, avec l’aide des médias de masse etc. ; débuter cet enseignement déjà à l’âge scolaire p.ex. lors des cours de biologie ou en collaboration avec les infirmières et psychologues scolaires Promouvoir la participation des psychothérapeutes (psychiatres, psychologues etc.) dans les prises en charge des maladies somatiques, soit dans le cadre de consultations communes (ce qui existe déjà p.ex. à la consultation pour acouphène de la policlinique d’ORL de l’Hôpital Cantonal de Genève), soit sous forme de consultations séparées mais en parallèle Rembourser aussi par l’assurance de base les psychothérapies effectuées par des psychologues, afin de réduire les listes d’attente pour les psychothérapies et de pouvoir en offrir à plus de personnes Pour certains cas, intensifier, potentialiser le travail psychothérapeutique en conduisant en parallèle une thérapie individuelle verbale et du psychodrame ou des constellations familiales Comme alternative très intéressante aux traitements médicamenteux habituels p.ex. de certaines maladies cardio-vasculaires, utiliser le concept développé par le Dr Nixon (voir ci-dessus), en setting extra- et intrahospitalier, notamment en cliniques de rééducation cardiovasculaire, mais aussi dans des services de soins aigu 8.2. Optimiser l’infrastructure 19 Favoriser des associations comme des cabinets de groupe où des médecins somaticiens partagent l’infrastructure, coûteuse, qui sinon pousserait à sa rentabilisation (appareils sophistiqués qui de plus deviennent vite obsolètes ; locaux ; personnel paramédical etc.) Afin d’éviter la répétition inutile des investigations coûteuses dans des cabinets médicaux ou des hôpitaux différents, introduire soit un carnet d’investigations, peut-être même de médication (à l’instar des carnets de vaccinations), soit une carte de patient électronique, soit transférer les informations (dossiers, compte-rendus d’examen et d’intervention, documents d’imagerie médicale, résultats de laboratoire etc.) par Internet ou Intranet, tout en utilisant une technologie sûre. Pour des raisons de secret médical, cet outil devrait être accessible seulement aux professionnels de la santé mais pas à des organes administratifs. Il permettrait en plus un échange d’avis avec des spécialistes, la comparaison avec des résultats antérieurs obtenus dans un autre lieu de soins etc. Une telle collaboration en réseau devrait relier à mon sens pas seulement les membres d’un groupe de cabinets (p.ex. les HMO, Health Maintenance Organisations), mais idéalement tous les cabinets et hôpitaux à un niveau régional (tel qu’il existe déjà en Thurgovie, Konzept Integriertes Managed Care Thurgau, et mediX-aerzte) voire à échelon national. Ceci permettrait au patient de ne pas être obligé à s’adresser au seul spécialiste p.ex. en ophtalmologie avec lequel son généraliste collabore, mais de pouvoir consulter l’ophtalmologue de son choix. Une telle liberté de choix est évidemment encore plus importante lorsqu’il s’agit d’un engagement aussi « intime » que celui pour une psychothérapie. Pour préserver cette liberté de choix, il faudra maintenir l’obligation de contracter des caisses-maladie. Des répétitions d’examens s’expliquent parfois par la consultation de différents spécialistes, ce qui devrait pouvoir être évité par le travail en réseau et la centralisation des démarches par un médecin référant pour le patient. En ce qui concerne des patients hypochondriaques42 qui tentent de se rassurer par une multiplication des examens, face aux dangers imaginés dans leur corps, des explications rationnelles même approfondies par le médecin somaticien ne suffisent souvent pas. Ils nécessitent une élaboration psychothérapeutique de cette angoisse. Une troisième cause de surconsommation abusive des prestations serait le « shopping médical » par des patients peu solidaires qui désirent obtenir plus des caisses-maladie que ce qu’ils y ont versé. De surveiller leur consommation ne réduira pas cette avidité « orale », résidu d’une carence précoce, qu’il serait bon de travailler en psychothérapie . La surconsommation médicale serait peut-être moindre dans le cas des franchises élevées et lors d’une offre attractive en cas de non-utilisation de la caisse-maladie, à l’instar des bonus pour les assurances d’automobile ou sous forme de remboursement d’une partie des primes. Dans le dessein de favoriser néanmoins la prévention et le diagnostic précoce, il serait bon de faire une exception pour ces prestations. 42 On appelle hypochondriaque un patient qui est angoissé suite à la conviction erronée d’être malade, alors que les examens médicaux prouvent le contraire. 20 Un service téléphonique, accessible non seulement aux assurés de certaines caisses-maladie mais à toute la population, assuré par une équipe de médecins, d’infirmières et d’assistantes médicales, donnertait des informations et conseils. En fonction des symptômes décrits par le patient, cette équipe pourrait se servir comme support d’un programme d’ordinateur médical constamment actualisé. Au final résulterait la recommandation de consulter un médecin ou non, ce qui évite des consultations « superflues », superflues en tout cas du point de vue mécaniciste. Ceci empêche cependant la compréhension psychodynamique de la plainte, ce qui paraît difficile à réaliser lors d’une consultation téléphonique. – Il serait souhaitable que le programme d’ordinateur soit constamment surveillé et que le personnel soit supervisé par les sociétés médicales FMH, afin de garantir une bonne qualité et actualisation des conseils. Un tel contrôle de qualité paraît nécessaire également pour des sites d’Internet dans le domaine de santé. En Allemagne, des portails testés par l’association des consommateurs ont été très insatisfaisants et donnaient en partie des réponses fausses, donc dangereuses pour le client 43. Pour éviter le gaspillage de médicaments, jetés p.ex. à cause d’une intolérance au produit, il conviendrait de vendre au début d’un traitement de petits emballages. De construire plus de homes pour personnes âgées, médicalisés ou non, leur éviterait des hospitalisations prolongées dans un établissement pour soins aiguës, plus onéreux, en attendant une place ailleurs. 8.3. La prévention dans le domaine de la santé La sagesse populaire le sait depuis longtemps : prévenir vaut mieux que guérir - et coûte moins cher. Les anciens chinois même payaient leur médecin seulement quand il réussissait à les maintenir en bonne santé, mais pas en cas de maladie. Bien que la majorité du grand public soit au courant des composantes d’une vie équilibrée, elles ne sont pas toujours respectées pour autant, et l’on se rend compte que l’information sur les risques p.ex. de l’obésité, du tabagisme, d’abus d’alcool et l’éducation aux bonnes conduites ne suffisent souvent pas pour motiver les gens à s’y tenir. Car là encore, le psychique joue un rôle déterminant. Des tendances autodestructrices, d’auto-sabotage ou alors des besoins précoces insatisfaits p.ex. pendant le stade oral de l’enfance, interviennent et nécessitent le travail psychothérapeutique abordé plus haut. Les patients sont encouragés à devenir des partenaires co-responsables de leur santé, ce qui est moins régressif, moins commode, mais aussi un défi plus adulte et valorisant. Mentionnons les composantes de prévention les plus connues : 43 Medical Tribune, 2003, no 16, Verlagsbeilage Wirtschaftsjournal 21 Une alimentation saine du point de vue quantitatif et qualitatif: régime crétois ; alimentation vivante basée sur des légumes et des fruits crus ; cuisine ayurvédique adaptée à la typologie du patient; cuisine végétarienne dont l’efficacité pour baisser la morbidité et la mortalité de tous les groupes de maladies a été prouvée44 Abstinence de tabac et d’autres toxiques, modération de la consommation d’alcool. - Dans une petite ville américaine, l’interdiction de fumer dans des lieux publics pendant six mois a baissé le nombre des hospitalisations pour infarctus de 60 % 45 ! Compte tenu de la valeur protectrice énorme d’une telle mesure générale, elle paraît largement justifiée. Cependant, il convient de la combiner avec des efforts éducatifs et psychothérapeutiques pour aider les personnes dépendantes par rapport à leur problématique de fond. Exercice physique raisonnable (gare à un excès relatif chez un individu épuisé et malade) Quantité de sommeil, de repos et de loisirs en bonne proportion comparée à la charge de travail et des efforts Bonne intégration dans la vie communautaire Des mesures d’hygiène de vie pratiquées avec succès dans d’autres cultures étonnent par leur efficacité si elles sont appliquées assez longtemps : le yoga, le T’ai Chi – d’ailleurs pratiqué aussi en groupe dans des espaces publics et dans les lieux de travail - des techniques de respiration, de méditation etc. mais aussi des pratiques spirituelles comme la prière. La géobiologie et le feng shui – dans sa version authentique taoiste, et non dans sa déformation occidentale qui a perdu l’essence et donc l’efficacité par rapport à l’original qui étudient les conditions de l’habitat, peuvent contribuer à la prévention. Car ll semblerait que l’incidence de cancers et d’autres maladies soit augmentée pour des personnes vivant dans des lieux défavorables. En tant que pédopsychiatre, je voudrais rajouter une proposition de prophylaxie particulière. Nous distinguons deux types de prévention, la primaire qui préserve la bonne santé, et la secondaire qui sert à éviter la récidive d’une maladie. Ma proposition qui peut avoir l’air d’être trop visionnaire irait même au-delà d’une prévention primaire car elle peut se faire ... avant la naissance ! Une étude prospective effectuée par le service universitaire de pédopsychiatrie à Genève a démontré que le facteur ayant la plus grande valeur prédictive concernant l’évolution d’un enfant sont les projections parentales, donc les représentations, attentes, espoirs et craintes que les parents projettent, souvent inconsciemment, sur ou en leur enfant. En parlant avec les futurs parents des idées qu’ils se font de leur enfant, jeune et plus grand, mais aussi en les faisant raconter leur propre enfance, les relations avec leurs propres parents et l’histoire transgénérationnelle, on peut déchiffrer et deviner ces projections et, en extrapolant, les conflits éventuels auxquels le bébé risquera d’être exposé. 44 45 Selon une étude prospective au centre allemand de recherche sur le cancer, DKFZ, Heidelberg Medical Tribune 2003, 38, no 16 22 Si on démontrait aux parents en devenir l’enjeu pour l’enfant que ces conflits soient résolus avant son arrivée, ils pourraient être motivés à participer à une démarche thérapeutique. Une méthode idéale pour cette visée consiste en une forme de psychodrame de groupe, appelée constellations familiales, qui permet de travailler ces projections, issues de conflits transgénérationnels non-élaborés. Elle serait bénéfique aux parents, à un niveau individuel et de couple, ainsi qu’à leur progéniture. Ma proposition serait donc : Lors des contrôles chez le gynécologue ou à la maternité, proposer une évaluation de l’histoire familiale et des projections parentales, du moins par questionnaire, et dans un deuxième temps éventuellement par un thérapeute formé Dans le cas d’une conflictualité significative, inviter les futurs parents à participer à un groupe de constellations familiales, ou éventuellement à une thérapie de famille avant et après l’accouchement 8.4. Particularités de la psychiatrie et psychothérapie Bien que la psychiatrie-psychothérapie tant pour adultes que pour enfants et adolescents soient des spécialités de la médecine, le travail présente des particularités importantes, liées à la nature du psychique, et exige des aménagements différents que ceux pour des traitements somatiques. Ce qui concerne le psychique est souvent ressenti par les patients comme étant plus personnel, plus intime encore que l’intimité physique. Plus une personne a été blessée à ce niveau, et que ces blessures ont été précoces, plus les conditions et le cadre doivent être sécurisants, afin que la personne puisse s’attacher au thérapeute et s’ouvrir au travail psychothérapeutique. Car n’oublions pas que déjà le fait d’être dans une relation thérapeutique de bonne qualité contribue pour beaucoup à la guérison : le thérapeute prend en quelque sorte la place et la valeur d’un parent (transfert) et permet non seulement des prises de conscience mais aussi des expériences affectives réparatrices. Concrètement, il est recommandé d’offrir aux patients, dans la mesure du possible, une constance concernant le lieu (qui doit être calme, confidentiel, à l’abri des dérangements comme des bips et des téléphones, et d’une ambiance accueillante), la personne (le même thérapeute), le jour de la semaine et l’heure des consultations, et ceci de façon durable. Dans les hôpitaux et même dans les institutions ambulatoires psychiatriques, ces conditions idéales sont souvent difficiles voire impossibles à créer, d’où l’avantage des cabinets de psychiatres privés. Plus encore qu’en médecine somatique se pose aussi la question de l’alchimie entre le patient et le psychothérapeute. Cette alchimie est responsable pour une bonne alliance thérapeutique et donc en grande partie aussi pour un bon résultat du traitement. Car on a démontré que, si des psychothérapies peuvent entraîner des détériorations des symptômes, allant en moyenne de 6 à 12 % des cas, c’était 23 principalement dû à un mauvais jumelage du thérapeute et de la méthode utilisée avec le patient et le trouble présenté46. A juste titre, les guides de « consommateur » recommandent aux patients souhaitant d’entreprendre une psychothérapie d’aller s’entretenir avec plusieurs thérapeutes jusqu’à ce qu’ils aient trouvé la personne avec laquelle ils se sentent en confiance. Du côté des thérapeutes, on sait d’ailleurs aussi qu’avec des patients de certains types de personnalité, on collabore parfois mieux qu’avec d’autres. Dans les centres psychiatriques publiques, cet idéal du libre choix mutuel entre patient et thérapeute est souvent impossible à réaliser. Aussi pour cette raison, les patients préfèrent souvent les traitements en cabinet privé et ont recours aux services publiques plutôt quand les psychiatres privés sont débordés et ont des listes d’attente de plusieurs mois. Avec l’augmentation des troubles psychiques et la plus grande facilité qu’a la population actuelle de demander de l’aide, les services publiques sont eux aussi de plus en plus débordés, ouvrent des listes d’attente pour les psychothérapies et limitent leurs prises en charge souvent à des évaluations en trois, quatre séances, au mieux à des consultations espacées. La prise en charge des troubles psychiques, psychiatriques et psychosomatiques est donc déjà très précaire. Quand en plus, comme cela s’est déjà passé dans certains cantons (p.ex. St. Gall, Bâle ville et campagne), santésuisse menace de nombreux psychiatres de devoir rembourser des prestations dépassant 12 séances seulement par an, on s’éloigne de façon catastrophique du cadre thérapeutique nécessaire. Suite à une fin de l’obligation de contracter, les assurances risquent de choisir la collaboration avec des psychiatres principalement selon des critères économiques à court terme, donc avec ceux qui travaillent surtout avec des médicaments ou avec des approches courtes mais superficielles au détriment d’un travail en profondeur, plus efficace à long terme. Seulement des patients fortunés pourraient alors se permettre des bonnes thérapies. On serait arrivé à la psychiatrie à deux vitesses. Les psychiatres privés ne pourraient donc plus assumer des psychothérapies pour des patients plus modestes, les services de santé publiques seraient davantage débordés (en psychiatrie adulte autant qu’en psychiatrie infantile). Par conséquent, les traitements nécessaires ne pourraient plus être effectués. Certains patients ambulatoires, notamment ceux avec angoisse de séparation et de morcellement psychotique, risqueraient de décompenser et nécessiteraient des internements, alors que les hôpitaux psychiatriques sont déjà débordés… Car souvent c’est un traitement à long terme et par le même thérapeute qui diminue ou évite carrément, grâce à la continuité relationnelle, des hospitalisations répétitives en milieu psychiatrique. 46 Pelsser R : Fondements de la psychothérapie, in : Lalonde, Grunberg et al. : Psychiatrie clinique, 1988. 24 Les collaborateurs dans les services publics, insatisfaits d’un travail sous pression et « à la chaîne », souffriraient encore plus de leur impuissance d’aider les patients et risquent de tomber soit malades physiquement, soit en burn-out et dépression (helpless helpers), soit de quitter leur métier, tendance qui s’observe déjà actuellement chez 10 % des médecins diplômés ! Face à ces éléments, on se rend compte de la catastrophe qu’une politique myope de la santé pourrait provoquer dans le domaine psychiatrique. Alors que des décisions pionnières, innovatrices et visant aussi les effets à long terme pourraient tout au contraire inaugurer un modèle de santé exemplaire « made in Switzerland ». En résumé, pour le domaine de psychiatrie-psychothérapie, mes propositions concrètes seraient : Libre choix mutuel des patients et de leurs psychothérapeutes Donc, au lieu d’inclure les psychiatres dans des réseaux HMO, faciliter une collaboration souple de tous les psychiatres avec toutes les HMO locales Libre accès des patients aux soins psychiatriques et psychothérapeutiques, sans nécessairement passer par un médecin généraliste, pour éviter des erreurs concernant les diagnostics et les indications thérapeutiques Encourager aussi les patients avec troubles « physiques » à consulter un psychothérapeute Favoriser des psychothérapies approfondies, notamment psychanalytiques et transgénérationnelles Lors d’une éventuelle fin de l’obligation de contracter, en exclure les psychiatres-psychothérapeutes pour éviter une psychiatrie chimique et bon marché à court terme mais plus coûteuse à long terme Surtout pas de fin de contrats entre assurances et psychiatres pour des psychothérapies en cours (risque de traumatisme supplémentaire pour les patients par une réactivation de l’angoisse d’abandon) Faire participer les psychologues aux psychothérapies remboursées pour offrir de tels traitements à plus de patients Faire participer davantage d’autres professionnels de la santé mentale, p.ex. des infirmières psychiatriques ou des assistantes sociales, dans les prises en charge notamment de patients psychotiques pour leur éviter des hospitalisations Encourager l’installation de plus de psychiatres et de pédopsychiatres en cabinet privé, malgré la clause du besoin (les listes d’attente prouvent qu’il y a besoin) 8.5. Répartition différente entre les assurances sociales ? On peut se demander si une partie des prestations fournies d’habitude par les caisses-maladie, actuellement débordées, pourrait être prise en charge par d’autres assurances. Déjà actuellement, l’Office de l’Assurance Invalidité assume les psychothérapies destinées à promouvoir la capacité de travailler. 25 En effet, il me paraît vraisemblable que toutes les assurances gagneraient en finançant des psychothérapies. Ainsi, l’assurance chômage verrait probablement se réduire le délai jusqu’au retour des chômeurs dans la vie professionnelle. Même l’assurance de maternité pourrait être mise à contribution, en tout cas pour des psychothérapies (p.ex. les constellations familiales) ayant trait à la maternité et aux problématiques transgénérationnelles qui sont activées par le fait de devenir parent. Il est très probable que les complications de grossesse, d’accouchement, de post-partum pour la mère et le bébé pourront ainsi être réduits. 8.6. Améliorer la qualité de vie en général Dans ma pratique d’interniste, puis de psychiatre pour adultes, mais aussi en fréquentant les parents de mes petits patients, je suis confrontée aux problèmes que crée la surcharge de travail notamment pour des mères et pères de famille d’un côté et le chômage ou l’invalidité –parfois relative- de l’autre côté. Je vois des travailleurs s’épuiser et des chômeurs ou rentiers AI déprimer. Les uns souffrent d’un rythme de vie trop accéléré, les autres de manque d’occupation et ressentent un sentiment d’inutilité. Les premiers auraient besoin de plus de temps privé, les derniers bénéficieraient de lieux et d’occasions de socialisation et de valorisation personnelle. Tous les deux risquent de tomber malades psychiquement et physiquement et d’être à la charge de leur caisse-maladie. Les premiers deviennent plus facilement la proie des maladies liées au stress, les seconds peuvent sombrer par désespoir plus fréquemment dans la dépression, entraînant dans les deux cas d’autres maladies psychiatriques telle que l’alcoolisme, l’anxiété, le tabagisme etc. avec les conséquences somatiques connues… Dans les deux situations, grand est le danger que les familles en souffrent et s’effritent. Les enfants, trop livrés à eux-mêmes, manquent de soutien, se sentent négligés et mal aimés. Seuls ou avec d’autres enfants aussi désemparés qu’eux, ils combattent leur propre dépressivité et agressivité devant la télévision ou avec des jeux vidéo anesthésiants ou violents. La fréquence des troubles de personnalité parmi les jeunes est en voie d’augmentation. Quels adultes deviendront-ils ? Quels parents deviendront-ils ? Quels enfants auront-ils ? Quelle société préparons-nous ? Et laquelle voudrionsnous créer idéalement ? Ne serait-il pas temps de repenser l’hygiène de vie, le mode de vie, les valeurs dans notre société post-moderne occidentale ? La santé et la qualité de vie sont influencées par de nombreux facteurs de notre réalité externe. Osera-t-on prendre des mesures politiques dans un sens assez global pour améliorer à la fois la santé publique, la qualité de vie et l’orientation de notre société ? Consciente qu’il sera plus compliqué de les mettre en pratique que de les imaginer, et qu’il appartient à des spécialistes dans ce domaine d’en juger la faisabilité, je me permettrais quand même de soumettre les idées suivantes : 26 Pour mieux répartir le travail, pour soulager ceux qui s’épuisent au travail et pour réintégrer, revaloriser ceux qui sont en inactivité, créer encore plus d’emplois à temps partiel Donner aux mères de jeunes enfants un congé-maternité plus long et la possibilité de reprendre le travail à un pourcentage progressif Pour les rentiers AI et d’autres groupes de personnes non-intégrées: favoriser davantage de mesures de réinsertion professionnelle, voire créer des professions à minima et à temps très partiel, leur permettant de s’occuper et de se sentir utiles, reconnus et intégrés dans la société Certains problèmes que des requérants d’asile rencontrent et créent dans notre société pourraient être améliorés de la même manière. De leur confier de petits travaux p.ex. dans la protection de l’environnement qui sinon ne seraient peut-être pas effectués du tout, donnerait à tout le monde le vécu de leur utilité, de sens et d’un minimum d’appartenance au pays d’accueil. Il serait à réfléchir comment une telle restructuration pourrait être organisée et financée. Elle demanderait notamment au départ un certain investissement pour créer de nouvelles places de travail, de nouveaux lieux et programmes de réinsertion professionnelle etc., mais permettrait à mon avis des économies au niveau des rentes AI, des allocations pour le chômage et des coûts de la santé etc. Dans le domaine du travail qui occupe une si grande partie de notre vie, la médecine – et psychologie - du travail aurait encore beaucoup d’améliorations pas seulement quantitatives mais aussi qualitatives à apporter. Des personnes motivées par un rythme de travail physiologique, une certaine variabilité du travail, un degré d’autonomie subjectivement agréable, la possibilité stimulante d’apporter leur créativité, une ambiance conviviale, etc. tomberont moins souvent malades que des personnes qui se sentent exploitées et pas respectées. En plus, leur productivité en sera le reflet. Ceci d’autant plus que les patrons sont inconsciemment assimilés à de bons ou de mauvais parents auxquels on désire faire plaisir ou alors se révolter contre. Une fois le bon équilibre entre temps professionnel et temps privé atteint, il deviendra plus facile pour chacun d’y apporter les ingrédients nécessaires à une bonne qualité de vie selon ses goûts personnels. Au moment où les gens auront à disposition plus de temps privé et que le rythme de vie se sera apaisé, on peut espérer voir se développer une plus grande solidarité entre les groupes sociaux (p.ex. éthniques et religieux). Les organisations locales de toute sorte, p.ex. associations de quartier, de sports etc., pourraient jouer un rôle important dans la construction d’une vie communautaire plus riche et plus satisfaisante qui diminuerait les problèmes liés aux manques d’intégration de certains sous-groupes de notre société. 8.7. L’art médical de l’omission Dans l’introduction de ce texte sur la médecine moderne, nous avons parlé de la spirale de demandes d’examens médicaux, d’interventions et de médications qui serait favorisée par une insatisfaction diffuse, non-identifiée comme étant au fond 27 d’ordre psychologique, relationnelle et spirituelle. Il nous est apparu cohérent de proposer des réponses à ce niveau-là, notamment sous forme de psychothérapies et d’améliorations des conditions de vie en général. Au moment où un tel soulagement est apporté à l’insatisfaction, il devient plus facilement imaginable et éthiquement possible de s’exercer dans ce que l’on pourrait appeler l’art de l’omission. J’entends par là cette sagesse, modestie et capacité autant psychique que philosophique d’accepter des limites raisonnables à ses actions, de renoncer à faire tout ce qui est faisable. Il s’agirait du contraire du désir si fréquent de toute-puissance, de vouloir obtenir tout et tout de suite, désir existant autant du côté de certains soignés que de certains soignants d’ailleurs. Notre société de consommation prône le progrès surtout quantitatif : plus, plus tôt, plus grand, plus rapide, plus loin. Comme dans le développement individuel, cette attitude de notre société relève d’un registre peu mature où règne le principe de plaisir, tandis que le principe de réalité émerge seulement suite à la prise de conscience de ses propres limites, des droits des autres et à la reconnaissance d’une autorité supérieure. Chez l’individu, il s’agit là notamment du parent du sexe opposé qui met les limites, surtout lors de la phase oedipienne de l’enfance et encore une fois à l’adolescence. Mais quel couple parental mettra le cadre à l’humanité ? Quelles formes prendraient les mises en garde d’une « mère terre » et d’un « Dieu le père » ? L’épuisement des ressources vitales dont l’eau potable et l’air propre, des matières premières, et en l’occurrence des ressources financières pour développer une médecine mécaniciste mettent notre société face à ses limites et aux conséquences d’une attitude infantile qui se croyait toute-puissante. Il est temps d’en faire le deuil et d’adopter une attitude plus mature, plus réaliste et plus responsable. Rassurons ceux qui en ont besoin : c’est précisément en reconnaissant ses limites que l’on peut mieux déployer ses forces réelles. Il ne s’agit pas de renoncer au progrès, au contraire, nous en avons besoin plus que jamais. Mais celui-ci devra plutôt être d’ordre qualitatif que quantitatif, un saut quantique. Pour la médecine, qu’est-ce que cela signifierait concrètement ? D’accepter les limites de la médecine et de la vie individuelle au lieu de forcer le destin et de jouer au bon Dieu serait un exercice à faire dans probablement tous les domaines médicaux, mais peut-être plus particulièrement dans les suivants. La médecine reproductive par exemple entreprend des efforts impressionnants et d’ailleurs parfois assez contraignants et éprouvants, afin de provoquer à tout prix des grossesses. La recherche pour le clonage reproductif va aussi loin de vouloir produire des « copies conformes », pour 200'000 dollars par clone. Comme s’il n’y avait pas assez d’enfants carencés dans le monde qui attendent l’aide pas seulement financier d’adultes généreux. Le clonage thérapeutique qui tente de fabriquer des tissus et des organes réduirait la médecine en une forme de mécanique des pièces détachées et l’humain à une machine qu’on réparerait comme dans un garage d’automobiles. Le patient perdrait sa responsabilité de soigner son corps et d’en respecter les besoins et les particularités. 28 Aussi en médecine palliative, l’effort thérapeutique devient acharnement quand la qualité de vie est irrémédiablement perdue et que la dignité humaine s’en trouve menacée. Il me semble que la quantité de vie que la médecine moderne s’efforce de prolonger, parfois outre mesure, est sensée remplacer une qualité de vie perdue ou jamais atteinte. Qualité qui, nous l’avons déjà souligné, est souvent de l’ordre relationnel, psychique et spirituel. On sait par exemple que des personnes moribondes s’accrochent à la vie s’ils n’ont pas encore pu résoudre certains conflits intra- ou interpsychiques. Ne faudrait-il pas focaliser les efforts thérapeutiques surtout sur ce but ? D’un autre côté, rappelons le cas d’une jeune femme anglaise, Diane, complètement paralysée, réduite à végéter dans son lit d’hôpital, qui demandait elle-même de l’aide pour mettre fin à cette souffrance et mourir, ce qui lui a été refusé par la jurisprudence. L’euthanasie passive et active, un sujet des plus difficiles de l’éthique médicale, provoque des réactions émotionnelles fortes probablement par le fait que les limites sont floues entre l’euthanasie, le suicide ou l’homicide47 et que les horreurs commis par un état allemand nazi sont engravées dans le conscience de tous. Au plus tard en fin de vie, lorsque l’individu n’a pas pu trouver et donner un sens profond à sa vie et que la mort physique lui paraît comme la complète annihilation du Soi, son angoisse de la mort s’accroît. Le patient autant que le corps médical peuvent alors être induits à une quête frénétique en quantité et en pseudo-qualité de vie et à lutter dans une fausse bataille, vouée à l’échec malgré la mobilisation coûteux. Quelle autre réponse pourrait-on donner dans de tels cas ? Autant qu’il peut encore être possible, dans un travail psychothérapeutique, de découvrir après-coup du sens dans certaines expériences de vie incomprises et d’accomplir un travail de réconciliation avec des personnes significatives même décédées, autant il est impossible de se forcer à croire en un Dieu, sur commande ou sur recommandation des religions et de religieux martiaux, moralisateurs ou mielleux. Mais on peut essayer de s’ouvrir à l’éventualité d’expériences nouvelles. 9. Vers une approche spirituelle La perte de lien avec un principe transcendental, existant en l’homme et au-delà de lui, est aussi un résultat de la culture occidentale matérialiste qui nie l’existence de phénomènes souvent trop subtils pour être mesurés avec les outils scientifiques habituels. Depuis la réduction freudienne de la religion à un phénomène de foule qui adhérerait comme des enfants naifs à l’illusion d’un père tout-puissant, il paraît à certains de bon ton d’être athée. S’il est vrai que le père et le Père peuvent être pris comme des 47 Faisst K, Fischer S, Bosshard G, Zellweger U, Bär W, Gutzwiller F : Medizinische Entscheidungen am Lebensende in sechs europäischen Ländern : Erste Ergebnisse. Bulletin des médecins suisses 2003 ; 84 : no 32/33, 1676-1678. 29 substituts mutuels, l’on pourrait interpréter l’athéisme de S. Freud comme effet d’un déplacement de son propre fantasme patricide, résidu de son complexe d’Œdipe, sur un Père céleste. Il est cependant remarquable que Freud a fini par croire en ce qu’il avait rejeté avant comme impossible : la transmission de pensée par voie télépathique48. C’est aussi grâce à l’œuvre freudien que l’on parle en psychanalyse d’énergie de vie qui circule et qui peut être projetée. A partir de là, il me semble possible de jeter un pont entre la psychanalyse, la physique et la spiritualité. De même que les physiciens ont découvert qu’aucune énergie ne peut être perdue mais seulement transformée, peut-être qu’il existerait une énergie psychique qui ne se perdrait pas après la mort physique et qui pourrait correspondre à ce qu’on appelle l’âme ? Le concept d’énergie – dont la source, divine, se situerait cette fois-ci en dehors de l’humain – est évoqué aussi lors des guérisons dites spirituelles. Depuis de nombreuses années, des hôpitaux britanniques collaborent officiellement avec des guérisseurs qui sont admis dans les unités. Il semblerait aussi que dans des hôpitaux valaisans, certaines infirmières demandent par téléphone le service de personnes initiées au « secret » de traiter à distance des hémorragies prolongées suite à des accouchements ou des opérations. Il existerait aussi le « secret » concernant le traitement de brûlures et d’autres affections comme les verrues. La prière, un remède gratuit ? Pour répondre à cette question, des médecins américains49 ont revu de nombreuses études scientifiques menées sur trente ans. Toutes parlaient en faveur d’un effet bénéfique des pratiques religieuses. Voici les résultats de quelque-unes. Dans une étude à double aveugle50 sur la mortalité d’enfants atteints de leucémie, le groupe pour lequel des protestants avaient prié, a connu une diminution statistiquement significative de la mortalité. Une autre étude à double aveugle examinait l’évolution d’un millier de patients coronariens hospitalisés. Ceux pour lesquels des chrétiens ont prié pendant quatre semaines se sont mieux rétablis, avaient un moindre besoin en médication et en oxygénation et bénéficiaient davantage des interventions médicales. Plusieurs études portaient sur l’effet d’une attitude et pratique religieuse des patients eux-mêmes. Le taux de dépression et de suicidalité est plus bas, l’espérance de vie est plus longue en cas de religiosité. Des musulmans atteints de trouble anxieux ou dépressif bénéficiaient davantage de leur psychothérapie si celle-ci tenait compte du 48 (XXXe conférence d’introduction à la psychanalyse : Rêve et occultisme, donnée en 1938, l’an précédant sa mort) 49 (Mark Townsend et al., Southern Medical Journal 2002 ; 95 :1429-1434. Cité dans : Medical Tribune 2003 ; 38 ; no16) 50 Une étude est appelée double aveugle quand ni les soignants ni les patients sont au courant si un patient est traité par l’agent thérapeutique ou non. 30 coran. Des hommes homosexuels HIV-positifs présentaient une meilleure condition immunitaire et un plus grand nombre de cellules CD4 s’ils pratiquaient une religion. Après le processus de mentalisation, faudrait-il aspirer à la « spiritualisation » ? Genève, le 30 août 2003 (Version adaptée le 9 novembre 2016) Dr méd. G. Lucia Hoffmann Spéc. FMH en Psychiatrie et Psychothérapie pour Enfants, Adolescents et Adultes