Goethe, Faust, introduction de P. Labatut, 1951
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Goethe, Faust, introduction de P. Labatut, 1951
Goethe, Faust, introduction de P. Labatut, 1951 Form ation de la légende ! Antiquité croyance à la magie commune à presque toutes les religions primitives : soucieuses d’expliquer la présence du mal, personnifient les forces de la nature + aspiration à franchir les limites du pouvoir humain : par ex Prométhée, Icare : Châtiment : condamne cette aspiration qui met en danger l’équilibre de l’univers ! Le christianisme hérite de la conception dualiste d’origine persane, qui met en conflit Dieu et Satan, les anges supérieurs et les anges déchus. Croyance héritée des anciennes religions orientales que le monde des esprits est accessible à l’homme ; au moyen de formules d’incantations le magicien peut évoquer les démons, les faire entrer à son service et signer un pacte avec eux ; mais au terme du délai convenu le magicien appartient au démon qui emporte son corps et son âme. XVIème siècle période d’affranchissement de l’esprit humain siècle qui vise à exalter toutes les forces de l’individu : audace intellectuelle et désir de puissance ; l’homme de génie voisine avec le « surhomme inquiétant » ! Le Faust historique Docteur Johannes Faust, né vers 1480 Nombre de témoignages divergents, qui dressent le portrait d’un homme érudit ou charlatan, « bachelier errant » Dès son vivant partiellement entré dans la légende ; faits réels auxquels vinrent se juxtaposer toutes sortes d’anecdotes. ! Tradition orale, puis tradition manuscrite : 1575 : premier recueil d’anecdotes sur Faust, qui aurait inspiré le fameux « livre populaire du docteur Faust », le Volksbuch. libertinage spirituel : poursuite du savoir ; soif immodérée de connaissance libertinage moral : poursuite des plaisirs charnels à la fois divertissement du lecteur (merveilleux, tours de sorcellerie, aventures burlesques) et volonté d’édification (châtiment) Dès sa publication, la légende passe d’Allemagne en Angleterre Le Faust de Marlowe Auteur dramatique, mais subit les réprobations haineuses que les puritains vouent au milieu théâtral ; tué d’un coup de poignard à 30 ans Peut-être terreau de ce personnage, ardent et fougueux, défiant le conformisme et la société. Faust = homme de la Renaissance, aux besoins démesurés et aux instincts insatiables ; reste jusque dans les affres des derniers moments le « titan » ; sa soif de savoir et de jouissance acquiert une dimension surhumaine, mais surtout se différencie de son modèle par son culte de la beauté et par sa volonté de puissance. Sympathie de l’auteur pour son personnage évidente : condamnation finale = prudence ? fidélité à la tradition ? conception pessimiste du monde, d’après laquelle toute grandeur serait condamnée à sombrer ici-bas ? // Dom Juan La tragédie de Marlowe fut introduite en Allemagne par des comédiens anglais nombreuses variantes, et bientôt avatar populaire, proche de la farce, puis vers 1746 « Puppenspiel », théâtre de marionnettes, jusque 1817. Lessing vers 1786 : premier dénouement heureux, conforme à l’esprit rationaliste du XVIIIème siècle et à la foi de Lessing en la raison : loin d’être satanique, l’usage de la raison et l’instinct de vérité sont d’essence divine. Goethe donnera la même conclusion à sa pièce, mais son Faust sera le titan qui veut étreindre la vie tout entière, qui aspire à la fois à connaître et à jouir, davantage dans la tradition de Marlowe. Période préromantique : Sturm und Drang (orage et assaut) : au nom de la passion et de l’instinct, révolte contre la tyrannie de la raison, de la loi et de la règle : Faust va représenter le surhomme aux instincts déchaînés, le révolté, le titan individualiste en lutte contre la société et le destin. Le Faust de Goethe : œuvre de toute une vie « Moi aussi j’avais erré à travers tout le domaine du savoir et j’avais été amené de bonne heure à connaître la vanité. J’avais, dans la vie aussi, fait des essais de toutes sortes et j’étais revenu toujours plus mécontent et tourmenté » : écho de diverses expériences intellectuelles et sentimentales Urfaust (1773-1775) : dominé par trois grands thèmes : sciences et religion, amour, titanisme Fragment (1790) : versifié ; surhomme, individu génial aspirant à la totalité Faust : devient un personnage typique représentant de l’humanité : problème du Mal dans le monde et des destinées de l’humanité ; recherche et effort qui entraînent l’erreur, mais préférable à l’inertie satisfaite. Acte de foi optimiste dans la perfectibilité humaine, affirmation que les tendances altruistes triompheront finalement des instincts égoïstes (dénouement : prenant conscience de l’aspect criminel des actes de Méphistophélès, Faust renonce à la magie, et décide de se consacrer à l’action utile et désintéressée). Caractérisé par le Streben, attitude héroïque de l’esprit et de la volonté, tension orgueilleuse par laquelle l’individu s‘efforce d’exalter toutes ses facultés pour se dépasser lui-même et franchir les limites où il a été placé par le destin. Anonyme : Volksbush (1587) Christopher Marlowe : La tragique histoire du Dr Faust (1594) Pedro Calderòn : Le Magicien prodigieux (1637) Friedrich Maximilian Klinger : Vie, actions et descente en enfer de Faust (1792) Johann Wolfgang von Goethe : Faust I (1808) et II (1832) Christian Dietrich Grabbe : Don Juan et Faust (1828) Honoré de Balzac : Melmoth réconcilié (1835) Nikolaus Lenau : Faust, ein Gedicht (1836) Gertrud Stein, Docteur Faustus lights in the lights,1938 Michel de Ghelderode : La Mort du docteur Faust (1925) Paul Valéry : Mon Faust (1941-1945) Thomas Mann : Docteur Faustus (1947) Jean Giono : Faust au village (1947) Mikhaïl Boulgakov : Le Maître et Marguerite (1966) Fernando Pessoa : Faust (1988) Michael Swanwick : Jack Faust (1997). L' horloge sonne onze heures. Faust. Ah! Faust! Tu n'as plus maintenant qu'une pauvre heure à vivre, Puis il te faut périr, à tout jamais damné! Arrêtez-vous, sphères du ciel, toujours mouvantes! Que le temps cesse et que minuit jamais n'arrive! Bel œil de la nature, ah! lève-toi, surgis Sur un jour éternel; ou que cette heure soit Un an, un mois, une semaine, un jour complet, Pour que Faust se repente et qu'il sauve son âme ! o lente, lente currite noctis equi.1 En dépit de mes pleurs, les étoiles cheminent, Le temps maintient son cours, l'horloge va sonner, Le démon va venir, c'est la damnation ... Je veux bondir vers Dieu! ... Qui donc à bas me tire? ... Voyez, le sang du Christ ruisselle au firmament ! Ah! mon Christ ! Une goutte, une à peine et mon âme est sauvée! Tu m'arraches le cœur pour avoir nommé Christ ... Je le ferai pourtant !... Ah! pitié, Lucifer! Où est ce sang? Parti! mais voyez Dieu là-haut Le bras tendu, le front de colère chargé. Montagnes, arrivez, venez tomber sur moi Et dérobez ma tête au lourd courroux de Dieu! Ah ! vous me refusez ! Donc je veux follement m'enfoncer dans la terre: Terre, ouvre-toi! Non, non, point d'asile pour moi! Etoiles qui régniez sur ma nativité, Qui m'avez alloué l'enfer et le trépas, Aspirez aujourd'hui Faust ainsi qu'un brouillard; Aux flancs de cette nue en travail cachez-moi; Alors l'éruption de vos bouches fumeuses Dans les airs projetant mes membres déchirés, Mon âme ne pourra que monter vers le ciel. L' horloge sonne. Ah! la demi-heure est passée ... Le reste va passer ... Seigneur, si tu n'as point de mon âme pitié, Oh! pour l'amour du Christ, par le Sang Rédempteur, !" #$" #!" %$" %!" &$" &!" Citation tirée des Métamorphoses d’Ovide (I, XII) « Lentement, allez plus lentement, ô coursiers de la nuit ! » Cet intérêt se révèle également par les nombreuses productions lyriques (opéra de Gounod notamment) et cinématographiques. '$" Impose quelque terme 11 ma peine éternelle, '!" !$" !!" ($" (!" )$" )!" Que Faust dans les enfers demeure mille années, Cent mille ans, mais qu'enfin arrive le salut. Aux âmes des damnés, nul terme n'est fixé! Pourquoi n'est-tu pas né créature sans âme? Et l'âme que tu as, pourquoi donc immortelle? Ah! Pythagore ... Si ta métempsycose était la vérité, Mon âme s'enfuirait et je serais changé En quelque bête brute; ah! les heureuses bêtes! Lorsque la mort les tient, Leur âme se dissout bientôt en éléments; Mais la mienne éternelle aux enfers souffrira. Maudits soient les parents qui m'ont donné la vie! Mais, non, maudit soit Faust, maudit soit Lucifer Qui t'ont privé du ciel et de toutes ses joies. L' horloge sonne minuit. Minuit ! minuit ! mon corps, en air transforme-toi, Ou Lucifer t'entraîne aux enfers tout vivant. Tonnerre, éclairs. Mon âme, change-toi, fais-toi gouttes menues, Tombe dans l'Océan, disparais pour toujours; Ah! détourne de moi, Seigneur, ton œil terrible! Entrent les diables. Vipères et serpents, un instant laissez-moi; Horrible enfer béant, referme ton abîme; Ne viens pas, Lucifer, je vais brûler mes livres .... Ah! Méphistophélès, ah! Méphistophélès ! (Ils l’entraînent..} Entre le Chœur. Chœur. Coupé, le lier rameau qui pouvait pousser droit; Hélas! il est brûlé, le laurier d'Apollon, Naguère florissant en ce docteur insigne! Faust est mort, méditez sur sa chute infernale. Que sa fin de démon puisse exhorter le sage A contempler de loin les choses défendues Qui ont poussé cet imprudent par leur mystère A se risquer plus haut qu'il n'est permis sur terre. Christopher Marlowe, La Tragique Histoire du Docteur Faust, 1589 """"""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""" 1 Cette liste non exhaustive des productions littéraires témoigne de la persistance du mythe, et de l’intérêt pour cette figure de la révolte, de la démesure, de la foi en la perfectibilité humaine, mais aussi du questionnement sur les limites et les dangers de cette quête incessante. *$" FAUST, seul — Philosophie, hélas ! jurisprudence, médecine, et toi aussi, triste théologie !... je vous ai donc étudiées à fond avec ardeur et patience : et maintenant me voici là, pauvre fou, tout aussi sage que devant. Je m'intitule, il est vrai, maître, docteur, et, depuis dix ans, je promène çà et là mes élèves par le nez — et je vois !" bien que nous ne pouvons rien connaître !... Voilà ce qui me brûle le sang ! J'en sais plus, il est vrai, que tout ce qu'il y a de sots, de docteurs, de maîtres, d'écrivains et de moines au monde ! Ni scrupule ni doute ne me tourmentent plus ! Je ne crains rien du diable, ni de l'enfer ; mais aussi toute joie m'est enlevée. Je ne crois pas savoir rien de bon en effet, ni pouvoir rien enseigner aux hommes pour les améliorer et les convertir. Aussi n'aije ni bien, ni argent, ni honneur, ni domination dans le monde : un chien ne voudrait pas de la vie à ce prix ! Il ne #$" me reste désormais qu'à me jeter dans la magie. Oh ! si la force de l'esprit et de la parole me dévoilait les secrets que j'ignore, et si je n'étais plus obligé de dire péniblement ce que je ne sais pas ; si enfin je pouvais connaître tout ce que le monde cache en lui-même, et, sans m'attacher davantage à des mots inutiles, voir ce que la nature contient de secrète énergie et de semences éternelles ! Astre à la lumière argentée, lune silencieuse, daigne pour la dernière fois jeter un regard sur ma peine !... j'ai si souvent, la nuit, veillé près de ce pupitre ! C'est alors que tu #!" m'apparaissais sur un amas de livres et de papiers, mélancolique amie ! Ah ! que ne puis-je, à ta douce clarté, gravir les hautes montagnes, errer dans les cavernes avec les esprits, danser sur le gazon pâle des prairies, oublier toutes les misères de la science, et me baigner rajeuni dans la fraîcheur de ta rosée. Hélas ! et je languis encore dans mon cachot ! Misérable trou de muraille, où la douce lumière du ciel ne peut pénétrer qu'avec peine à travers ces vitrages peints, à travers cet amas de livres poudreux et vermoulus, et de %$" papiers entassés jusqu'à la voûte. Je n'aperçois autour de moi que verres, boîtes, instruments, meubles pourris, héritage de mes ancêtres... Et c'est là ton monde, et cela s'appelle un monde Et tu demandes encore pourquoi ton cœur se serre dans ta poitrine avec inquiétude, pourquoi une douleur secrète entrave en toi tous les mouvements de la vie ! Tu le demandes !... Et au lieu de la nature vivante dans laquelle Dieu t'a créé, tu n'es environné que de fumée et de moisissure, dépouilles d'animaux et ossements de %!" morts ! Délivre-toi ! Lance-toi dans l'espace ! Ce livre mystérieux, tout écrit de la main de Nostradamus, ne suffit-il pas pour te conduire ? Tu pourras connaître alors le cours des astres ; alors, si la nature daigne t'instruire, l'énergie de l'âme te sera communiquée comme un esprit à un autre esprit. C'est en vain que, par un sens aride, tu voudrais ici t'expliquer les signes divins... Esprits qui nagez près de moi, répondez-moi, si vous m'entendez ! (Il frappe le &$" livre, et considère le signe du macrocosme.) Ah ! quelle extase à cette vue s'empare de tout mon être ! Je crois sentir une vie nouvelle, sainte et bouillante, circuler dans mes nerfs et dans mes veines. J.W. von GOETHE, Faust (1808), Première partie, traduction de Gérard de Nerval. Dr Faustus Qu'est-ce que j'ai fait, je savais, je savais qu'il pouvait y avoir de la lumière, pas celle de la lune pas celle des étoiles, pas celle du jour, ni celle des bougies, je savais je savais, j'ai vu la lumière de l'éclair, je l'ai vu éclairer, j'ai dit, moi moi je dois avoir cette lumière et qu'est-ce que j'ai fait, oh qu'est j'ai fait, j'ai dis que je voulais vendre mon âme intégralement, mais je savais je savais que la lumière électrique c'est la vérité, vraiment la vérité, oh oui c'est vrai qu'ils ont aussi compris que c'était vrai que je leur avais vendu mon âme, et donc que jamais jamais je pourrais aller en enfer, jamais jamais moi. Barrez-vous Dog and Boy barrez-vous Marguerite Ida and Helena Annabel " barrez-vous tous ceux qui peuvent mourir et aller au paradis ou en enfer barrez-vous oh barrez-vous, oh barrez-vous laissez-moi tout seul, oh laissez-moi tout seul. Je l'ai dit Je l'ai dit que c'était la lumière j'ai dit que j'ai donné la lumière j'ai dit les lumières sont vraies et le jour est lumineux oh Boy and Dog foutez-moi la paix oh laissez-moi tout seul Gertrud Stein, Docteur Faustus lights in the lights, 1938