La publicité et son charme mortel - Mouvement Québécois pour une

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La publicité et son charme mortel - Mouvement Québécois pour une
La décroissance sera-t-elle choisie ?
La publicité et son charme mortel
Claude Cossette, professeur titulaire en publicité sociale
Département de communication, Université Laval, Québec G1K 7P4, [email protected]
Congrès de l’ACFAS, Université de Montréal, les 10 et 11 mai 2010.
Activités spéciales/Colloque intitulé 25-La décroissance, un mouvement d'avenir?
Table : La décroissance sera-t-elle choisie ?
Normand Mousseau, Chaire de recherche en physique de matériaux complexes, Université de Montréal et
Hervé Philippe, Département de Biochimie, Université de Montréal
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Chaque année dans le monde, 500 milliards $ sont diffusés en publicité. Il paraît, aux yeux des gens
d’argent, que ces 500 milliards $ ne sont pas dépensés, ils sont investis pour stimuler la croissance
économique. La décroissance n’est pas envisageable dans le système capitaliste ; il faut croître. Toujours.
Après les événements du 11 septembre 2001, le président George W. Bush a rassuré les lords du marché
en donnant un coup de pouce publicitaire et gratuit à la consommation : « Go shopping ! » a-t-il lancé
dans une déclaration télévisée (http://www.washingtonmonthly.com/features/2003/0310.wallacewells2.html).
Selon le Conseil de l’industrie des communications du Québec (CICQ), il s’est dépensé au Québec en
2009 environ 2 milliards $ en publicité proprement dite sans compter 2,7 milliards $ en relations publiques,
marketing relationnel, promotion, commandite, expositions, sites Internet, etc. À elles seules, les agences
de publicité-marketing et les cabinets de relations publiques produisent des retombées de 1 milliard $
paraît-il. (http://www.cicq.ca/ Communiqué du 20 mai 2009) Les gens d’affaires misent sur la publicité. La
publicité est bonne pour eux, mais est-elle bonne pour le Québec ?
L’activité publicitaire contribue sans doute à faire augmenter le PIB (produit intérieur brut) et, pour
les gens d’argent, c’est heureux. Mais l’est-ce autant quand on comptabilise les effets externalisés (ceux
qu’on ne considère pas) : l’industrie du cochon bon marché est louangée, mais compte-t-on dans ce prix la
pollution des rivières qui seront assainies ultérieurement avec les deniers publics ? Bien sûr que non. Par
ailleurs, la production telle que capitalisée dans le PIB est exemplaire, mais pourquoi ne comptabilise-t-on
pas les millions d’heures de travail que les bénévoles accomplissent gracieusement, ou le travail
domestique que les parents effectuent par amour ? Les biens et les services qui sont produits gratuitement
ne sont pas comptabilisés dans le produit intérieur brut? Ridicule ! Pour qui ces comptables travaillent-ils
donc ? Pour le pays tout entier ou pour les seuls gens d’argent?
Une étude de la New Economic Foundation parue en 2009 (NewEconomicFoundation.org) explique la
distance qui existe entre le rendement financier d’une activité et sa productivité sociale. « [En publicité,]
pour chaque dollar de valeur positive, 11,50$ de valeur négative sont générées. » Pour le dire autrement,
la Foundation a évalué que les professionnels de la publicité détruisent (par l’épuisement des ressources,
l’endettement des clients, l’obésité des consommateurs, le stress des travailleurs) pour 11,50$ de valeur à
chaque fois qu'ils affirment générer un dollar de valeur. En comparaison, la Foundation a évalué qu’un
travailleur de recyclage qui sera payé au salaire minimum produira lui, en valeur sociale, sept fois ce qu’il
coûte. Quel est le citoyen qui devrait être célébré ? Celui qui stimule la croissance ou celui qui récupère les
matériaux gaspillés ?
Les chantres du gaspillage
Les gens d’argent, les annonceurs et leurs publicitaires sont les chantres de la croissance —aussi
bien dire du gaspillage. Les plus gros annonceurs sont les savonniers P&G et Unilever : ±7MM$ à eux deux
dont l’habileté en marketing est chantée dans les universités et les revues spécialisées alors que leur pub
consiste à nous faire acheter des produits chimiques que nous renvoyons dans nos égouts.
Ceux qui suivent dans la liste sont les fabricants d’autos, les majors du divertissement, ceux du
tabac, puis ceux des friandises. (Advertising Age - http://adage.com/globalmarketers09/). La pub suscitet-elle la croissance d’une production nécessaire quand il s’agit de divertissement, de tabac et de
friandises ?
L’économiste Bernard Maris est cynique : « On disait autrefois que la dépense inutile des pays de
l’Est était la bureaucratie, et que celle totalement inutile des pays de l’Ouest, était la publicité. On en a fini
avec les bureaucrates de l’Est, restent les publicitaires. » (http://partisocialiste.anzin.overblog.com/article-31096943.html)
La publicité cherche à faire acheter ce dont le citoyen n’a pas besoin, voire, à créer artificiellement
un besoin —il serait plus juste de dire « un désir ». La publicité est donc une fausse médication pour une
maladie incurable : le désir. Ces désirs exacerbés mènent infailliblement à jeter davantage puisque nous
avons déjà les mains pleines.
J’entendais le directeur de Certex, une entreprise sociale du Québec, expliquer ce qu’il advient de
tous ces vêtements que nous mettons à la récupération : 5% sont recyclés dans les friperies québécoises
et 10% seulement aboutit à la décharge publique. (Radio-Canada, 21 février 2010, La Semaine verte) Pas
si mal ! Mais on oublie la matière première, l’énergie et les forces humaines qui ont été prélevées dans les
pays dits en émergence pour fabriquer toutes ces guenilles bon marché dont on n’a pas vraiment besoin.
Sans oublier la pollution de l’eau et de l’air qui résulte de leur production, de leur transport et de leur
publicité.
Les grandes marques
Les leaders publicitaires dans leur secteur d’activité, les grandes marques, forment une aristocratie
dans laquelle les prétendants les mordillent continuellement sans réussir à les détrôner. Ainsi, les marques
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vedettes de l’alimentation ont toutes été consacrées grâce à des investissements importants en publicité.
Pensons à Coca-Cola, Budweiser, McDonald's, Evian, Nescafé. Ce sont des marques-reines.
Aussi faut-il ajouter un montant important au prix de revient pour construire l’image de marque d’un
produit car c’est l’image de marque qui donne de la valeur ajoutée à un produit, qui permet de le vendre à
un prix supérieur aux autres. Cela n’a pas nécessairement à voir avec la qualité. Un Coke se vendra le
double du prix d’un « Cola sans nom » alors que les deux produits sont indifférenciables : 500 ml d’eau à
laquelle on a ajouté dix cuillérées de sucre, de la saveur artificielle et quelques bulles. Est-il besoin de
consommer autant d’eau sucrée dans un Québec parsemé de 50,000 grands lacs ? Est-il normal, année
après année, de boire notre eau dans un milliard de bouteilles de plastique à remplissage unique ? Sans
doute pas, mais les gens d’argent éprouvent une soif inextinguible… d’argent.
Or, les entreprises qui détiennent les grandes marques investissent en publicité un plus fort
pourcentage de leurs revenus que leurs concurrents du même secteur d'activité.
Les gens de marque
Au début de l’industrialisation, disons vers 1800, l’argent des riches était nécessaire pour permettre
aux entrepreneurs d’acquérir les machines dispendieuses nouvellement inventées. Or, après avoir acheté
pratiquement toutes les entreprises détenant une part intéressante (et rentable) du marché, les grands
capitalistes comprirent, au tournant des années 1980, qu’ils n’avaient même plus besoin de risquer leur
capital dans des organisations de production ; il vaut bien mieux acquérir les droits sur des noms de
marque prestigieux et louer chèrement ces noms à des entrepreneurs qui mettent en marché un produit
sous ce nom. C’est ainsi que les publicitaires se servent du nom du carrossier Bentley pour vendre les skis
Bentley Supersport : pour 10,000$ vous aurez les skis, les bâtons ainsi qu’un sac de rangement. L’eau
Vittel pare une ligne de cosmétiques d’une aura alpestre. Le nom Cadbury donne de l’élan à la crème
glacée d’une grande laiterie.
Les grandes marques font saliver les consommateurs qui sont désormais prêts à dépenser davantage
pour afficher ces grands noms. Des consommateurs acceptent de payer chèrement ces objets dont
l’obsolescence a été planifiée… et qui aboutiront donc rapidement à la décharge publique. L’économie
poursuit ainsi sa « croissance ».
La croissance
Tout le système capitaliste, je ne sais exactement pour quelle raison bizarre, se fonde sur la
croissance. Chaque année, en vertu de cette loi qui nous est présentée comme implacable, nous devons
produire davantage et donc, consommer davantage. Et donc gaspiller davantage. Produire pour répondre à
nos besoins, je comprends, oui. Mais la croissance pour la croissance, pourquoi ?
Si l’économie produit davantage, on devra conséquemment adapter la demande à l’offre (et non pas
l’offre à la demande, la production aux besoins). On y arrive en titillant avec insistance les désirs afin
d’écouler cette production, cette surproduction. C’est ici qu’intervient la publicité. À chaque trimestre,
Statistique Canada publie son taux de croissance. Taux annuel moyen entre 2003 et 2007 : 2%. Bravo !
Les agences de publicité elles-mêmes sont des entreprises qui croissent. Au cours des dernières
années, elles croissent même plus rapidement que le produit intérieur brut. La publicité pèse donc de plus
en plus sur le prix de vente. Voyons l’accroissement annuel de 2007 sur 2006, chiffres dont je dispose et
publiés par le magazine Advertising Age : 1er Procter&Gamble +11,2% (Tide, Ivory, Head&Shoulder,
Pantene, Clairol et autres M. Net) ; 2e Unilever +16% (Cutex, Axe, Dove, Pond’s, Elizabeth Arden, Finesse,
etc.) ; 3e L’Oreal +12% (Maybelline, Lancôme, Biotherm, Helena Rubinstein, Fructis, Ambre Solaire, etc.)
Voyez-vous ce que je vois ? Procter&Gamble qui détiennent 300 marques dépensent chaque année
10,000 millions de dollars pour me faire répandre des produits chimiques dans la nature.
Eh oui, les grands annonceurs dépensent une part de plus en plus grande de leurs revenus en
publicité. Selon le secteur d’activité, l’entreprise ou la stratégie annuelle, de 2% à 50% du montant que
l’on paye pour un produit sert à défrayer les coûts de la publicité. N’est-ce pas cynique?
L’hyperconsommation
Hyper-consommer, c’est se faire du mal à force de consommer trop par rapport à ses besoins. Les
Nord-américains souffrent d’embonpoint à force d’obéir aux publicitaires qui les incitent à coeur de soirée à
s’empiffrer, ils étouffent sous le smog à force de rouler à bord d’automobiles gourmandes, ils détruisent les
forêts tropicales ou assèchent leurs propres rivières simplement pour produire de nouveaux biens qui
remplaceront, sous la pression de tendances suscitées par la publicité, des biens qui sont encore
fonctionnels. Pensons à la vitesse à laquelle les jeunes remplacent leurs téléphones cellulaires. Tous
succombent à la pression publicitaire. Les technofans du monde entier ont dépensé pour 10 milliards $ de
sonneries téléphoniques en 14 mois, une somme suffisante pour reconstruire Haiti détruite par le
tremblement de terre de janvier 2010 (Carnets du Devoir, 25 janvier 2010).
Nous consommons trop et les pays pauvres rêvent de faire comme nous. Or, comme le dit Serge
Mongeau : « Des millions de personnes dans le tiers monde manquent de l’essentiel. […] Comment croire
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qu’une Terre aux limites finies peut supporter une exploitation sans cesse croissante et illimitée de ses
ressources et de ses capacités à détruire les déchets résultant de la production et de la consommation
humaines? Déjà, nous consommons comme si nous avions une planète et demie. » (Simpli-Cité, Vol. 8,
no3) Ce qu’il faut retenir, c’est que hyper-consommer, c’est hyper-gaspiller et donc hyper-polluer.
Qui donc incitent les citoyens à consommer si inconsidérément ? Les publicitaires. Ils nous indiquent
dans leurs pubs comment nous devons vivre, ce que nous devons acheter et quand nous devons jeter. À
elle seule en 2009, Google Ads a publié pour deux milliards $ de ses petites pubs qui paraissent quand
nous « googuelons ».
Certains promeuvent le « développement durable », « un développement qui répond aux besoins des
générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »
selon le Rapport Brundtland1. L’environnementaliste Sunita Narain défend ce qu’elle appelle le
« développement soutenable ». « A New Delhi, explique-t-elle, l’automobiliste occupe 26 fois plus d’espace
par individu que le bus » Qu’arrivera-t-il bientôt quand les publicitaires proposeront à tous les Indiens
d’acquérir, pour 2000 $, une petite voiture Nano de Tata vantée par la pub?
Nos chefs politiques n’agissent pas davantage. Nos rues sont éclairées comme des boulevards, sont
parsemées d’arrêts qui font tourner les moteurs au ralenti, sont badigeonnés de déglaçants, ainsi de suite.
Le Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement (RNCRE) estime que, en matière de
réduction des déchets à la source, le Québec doit passer des voeux pieux aux actes par une attaque
clairement dirigée contre la consommation (http://www.rncreq.org/).
Après cela, nous voudrions que les pauvres (Chinois, Indiens et autres) arrêtent de polluer leur
environnement —qui est pourtant moindre que la nôtre par habitant. Est-ce eux les responsables de cette
pollution ? Non. Ce sont les dollars superflus de nos capitalistes occidentaux qui construisent leurs usines,
pillent leurs ressources naturelles et leurs forces ouvrières pour nous revendre à profit ces vêtements,
meubles et gadgets électroniques bon marché. Et que la publicité nous vante mille fois par jour.
Toujours plus de déchets
Pour les produits de consommation courante, la mise en marché massive compte sur la publicité et
sur l’emballage. Il devient difficile d’imaginer tout ce que l’hyperconsommation entraîne comme déchets.
On assiste au Québec entre 1988 et 2006, à une croissance de 46% du volume de déchets et à une hausse
de 21% des quantités envoyées à l'enfouissement, cela, malgré tous les progrès accomplis du côté du
recyclage.
Pourquoi ? Faute d'une véritable attaque sur le front de la réduction à la source, précise le Mémoire
du Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement du Québec. (Le Devoir, 14 février
2008) Qu’est ce donc que « la source » ? Le citoyen-consommateur ? Ou bien la croissance,
l’hyperconsommation, le délire publicitaire ?
Dans le monde, chaque jour, en bouteilles d’eau seulement, six millions de kilos de plastiques sont
transformés dont à peine 14% est recyclé. Nous jetons à la mer 6,5 millions de tonnes de déchets par an
dont 80% sont du plastique.
Le rôle de la pub
Le combat entre les gens d’argent et les activistes de la décroissance n’est pas égal. Les premiers
ont les publicitaires à leur solde dont la tâche est justement de faire consommer le citoyen, le faire
surconsommer, hyperconsommer. Plus il y a consommation, plus les riches s’enrichissent.
« C’est le résultat d’un système d’échange nécessaire et volontaire », expliquent les économistes
capitalistes. Il est vrai que le boulanger a besoin d’échanger son pain contre les services du comptable, que
la professeure d’université a besoin d’échanger contre les services du plombier. Mais en consommation de
masse, c’est souvent injuste échange. Comme le rappelle le philosophe Comte-Sponville : « Le commerce
n’est juste qu’autant qu’il respecte, entre acheteur et vendeur, une certaine parité dans la quantité
d’informations disponibles.» (Petit traité des grandes vertus).
Ce qui est loin d’être le cas. Les financiers, marketeurs et publicitaires de ce monde —ceux que
j’appelle les gens d’argent— disposent de beaucoup plus de ressources, de budgets, de spécialistes de tout
acabit, que le simple citoyen-consommateur. De quel côté penchera la balance de l’information ? Qui
occupe les espaces publics et de plus en plus, par les technologies de l’information, les espaces privés ?
Les marchands, ceux qui en ont les moyens financiers, les multinationales, les oligopoles.
En matière de consommation, quand une entreprise fait appel à la modération (qui, comme chacun
sait, « a bien meilleur goût »), c’est pour se donner une image de bon citoyen et non pour inciter à la
frugalité qui serait contre ses intérêts, car c’est la raison d’être du commerçant de faire du commerce et
celle d’un capitaliste de faire fructifier le plus possible son capital. La solidarité sociale n’est pas la tasse de
thé des gens d’argent.
La récupération publicitaire
Pourtant, les marketeurs, les publicitaires sont également des êtres humains, des pères ou des
mères de famille, et ils voient bien qu’il est impossible de continuer cette hyperconsommation, car c’est la
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Terre elle-même qui s’épuise, risquant d’affamer les générations futures en les abandonnant dans un
paysage dévasté. Aussi, devant cette perspective, les publicitaires comme les marketeurs changent leur
discours. Mais comme les accros de tout genre, ils expriment de bonnes intentions mais leurs
comportements contredisent leurs discours. Seul leur discours est « vert ».
Et si c’était les consommateurs qui avaient mauvaise conscience de trop consommer ? Les
publicitaires font pour eux, pour nous, le maquillage nécessaire pour apaiser les consciences. C’est ainsi
que le gigantesque Wal-Mart multiplie le placage de son label «Éco-Logique» sur une foule de produits —
qui néanmoins se retrouveront rapidement à la décharge publique.
Nous continuons d’acheter, de sur-acheter. C’est si peu cher. C’est une aubaine, une occasion !
« Pour un temps limité seulement ». Le petit gadget traîne sous nos yeux à la caisse, le panneau
électronique nous enjoint de profiter de l’aubaine du jour, la boîte à grimaces nous titille les papilles. Et les
publicitaires se désâment à calmer nos inquiétudes par des mots magiques inscrits sur les emballages :
« Bon pour l’environnement », « Recyclable », « Biodégradable », « Éco-sécure », ainsi de suite. Bluffeurs!
L’astuce est tellement répandue chez les publicitaires que la technique est connue sous le nom de
green marketing ou de greenwashing. De l’éco-blanchiment ! L’organisme TerraChoice estime que la
publicité verte s’est multipliée par trois entre 2006 et 2009. Après une vérification de 2200 produits
réalisée dans les pays de l’anglosphère fin 2008, on a trouvé que les prétentions vertes étaient trompeuses
dans 98% des cas —sinon, carrément mensongères. (http://www.terrachoice.com/)
Publicité sociale ?
La puissance persuasive de la publicité et l’intensité avec laquelle elle est diffusée sont telles que
pointent à l’horizon maints problèmes engendrés par elle. Une étude récente de l'Institut canadien
d'information sur la santé (ICIS) mentionne que nous ignorons si une hausse des dépenses en
médicaments a même un effet positif sur la santé, précisait le chercheur Marc-André Gagnon (Le Devoir,
22 avril 2009). Or, les publicitaires jouent —dans le domaine de la pharmacie comme en bien d’autres— un
rôle qui n’est pas innocent. Ils m’inventent un problème que je n’avais pas (la dysfonction érectile), pour
lequel ils me proposent un remède dont on connaît peu l’efficacité réelle (le citrate de sildanefil) en
m’étourdissant de publicités télé dont la loi interdit pourtant la diffusion (que les publicitaires contournent
en précisant : « Demandez à votre médecin »).
En alimentation, c’est pire. Les bonbons, grignotines et boissons gazeuses font partie de
l'alimentation quotidienne de 34% des enfants de 6-8 ans. Denis Richard, directeur de la Chaire de
recherche sur l’obésité, a montré que ses rats de laboratoire préfèrent les biscuits sucrés et les chips à leur
moulée habituelle. L’attrait pour les graisses et pour le sucre peut ainsi conduire à l’embonpoint même des
individus qui y seraient pourtant peu disposés génétiquement.
Bon, très bien, c’est parfois génétique. Mais, une étude américaine a révélé que les petits américains
de 3 à 5 ans trouvent la nourriture meilleure quand elle leur est présentée avec le logo de McDonald's.
(Archive of Pediatrics & Adolescents Medicine, 2007) Ça, c’est la force de la publicité. Imaginons la suite
des choses. Et les publicitaires n’auraient aucune responsabilité là-dedans ?
Et pour l’effet de serre, les marketeurs n’ont pas de responsabilité non plus ? Daniel Breton,
chroniqueur automobile «vert», affirme: « Si les constructeurs des États-Unis et de l'Asie vendaient
simplement les modèles beaucoup moins énergivores qu'ils offrent actuellement aux Européens, déjà on
pourrait abaisser le prix des voitures et leur consommation en même temps! » (cité par Louis-Gilles
Francoeur, Le Devoir 23 mai 2009)
Mais que vaut l’opinion d’un chroniqueur «vert» face aux milliards $ dépensés en publicité pour des
automobiles rutilantes, rugissantes et dévorantes ? Que valent les campagnes gouvernementales pour les
fruits et légumes ou l’achat local contre les millions dépensés en publicité pour promouvoir des modes de
vie dépassés, dangereux et qui mènent, à terme, à la mort de la Terre ? « Fruits et légumes : Mmm ! »
disait récemment une campagne québécoise. Est-ce aussi excitant que « Moi, j’aime McDonald’s » ?
Une solution qui viendra de la technologie?
Peut-on croire que le système capitaliste en viendrait à croire à la décroissance ? Impossible ! Le
système est basé sur la cupidité, donc sur l’espérance de ventes accrues pour des profits accrus. Il existe
des mouvements qui réussissent à faire entendre leur cri : « Un seul moyen pour échapper au désastre : la
décroissance ! » Un certain nombre de citoyens commencent à mesurer l’enjeu. Aussitôt les publicitaires se
remettent à la tâche pour se rapprocher de leurs consommateurs sans pourtant renoncer à la croissance.
Ils se pointent le nez avec de nouveaux slogans charmeurs : « consommation durable », « écoconsommation », « consommation de proximité », « consommation responsable ».
Même un écologiste comme le cinéaste Yann Arthus-Bertrand ne se range pas facilement à la
décroissance. La conclusion de son récent film qui a suscité un intérêt mondial, Home, me laisse pantois :
le progrès de la technoscience trouvera une solution à tous les problèmes de la Terre, laisse-t-il entendre.
La technologie nous sauvera des problèmes engendrés par elle? C’est comme demander à la mafia de
maintenir l’ordre dans la société.
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Carrément la décroissance
Comme l’a défendu l’économiste Georgescu-Roegen dans un ouvrage —publié en 1966, imaginez!—
il faut plutôt promouvoir non pas la croissance soutenable, mais la « décroissance soutenable ». Il explique
que « la thermodynamique démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement » et qu’il est
donc impossible de résoudre les problèmes environnementaux par le seul progrès scientifique et technique.
(La Décroissance. Entropie - Écologie - Économie)
Il est vrai que la croissance rend les riches plus riches. Jamie Johnson, un petit fils de la richissime
famille Johnson & Johnson, a produit un documentaire sur l’accumulation des riches qu’il a intitulé The One
Percent dans lequel il rappelle que le 1% des plus riches possèdent 40% des richesses de la terre et 90%
de la valeur nette disponible (http://www.theonepercentdocumentary.com/).
Quand Jamie interviewe le célèbre économiste libertaire Milton Friedman, il se fait répondre : « Mais
les pauvres se sont enrichis eux aussi. Qu’est-ce que tu aimes mieux, garder l’écart identique et qu’il n’y
ait aucune amélioration chez les pauvres, ou que l’écart s’accroisse comme aujourd’hui en permettant aux
pauvres de l’être moins ? » Question intéressante. C’est la défense par ce que l’on a nommé la
percolation : tout se passe en haut, mais il y a tout de même des gouttes qui se répandent autour. Or, la
percolation est bien délayée arrivée en bas de l’échelle : la moyenne des citoyens doivent mettre un an de
travail pour gagner, disons 35,000$, alors que le 1% du haut le gagne en un jour.
La croissance à tout prix n’est pas la solution —et même si les pauvres également en retirent
certains avantages. Le professeur Richard Wilkinson travaille depuis 30 ans sur les effets sociaux de
l’inégalité. Il vient de publier un livre, The Spirit Level (avec Kate Pickett, Ed. Allen Lane), qui fait beaucoup
de bruit parce qu’il démontre de manière irréfutable que ce n’est pas la richesse qui produit une société
vivable, mais la solidarité manifestée par un écart de revenus moindre entre riches et pauvres. Il démontre
avec force graphique que ce n’est pas la richesse qui produit une société vivable, mais sa répartition plus
égalitaire. Les statistiques montrent que dans les sociétés plus égalitaires du Nord (disons, comme la
Suède), l’obésité est moindre, les mères adolescentes moins nombreuses, le nombre de meurtres plus bas,
le nombre de prisonniers par habitants moindre, l’alcoolisme moins répandu, et l’espérance de vie
meilleure que dans les sociétés moins égalitaires, même riches (disons, comme les États-Unis ou la
Grande-Bretagne).
Et c’est également vrai pour les États-unis (quand on compare les états) : moins d’inégalité produit
une société qui en tire des bénéfices statistiques similaires. Bref, on vit plus heureux dans une société
solidaire.
Or, en promouvant des manières de vivre qui exige de l’argent superflu, les publicitaires jouent un
rôle dans la frustration des pauvres et le mépris des riches.
Que faire ?
Alors, la décroissance est-elle possible ? Non si on laisse les chantres de la consommation que sont
les publicitaires occuper tout le terrain médiatique, les relationnistes et autres lobbyistes courtiser nos
politiciens, nos gens d’affaire répéter que nous serons sauvés par la fuite en avant. Serge Latouche,
professeur émérite d’économique, insiste : « Il faut se pencher sur les valeurs fondamentales de nos
sociétés ainsi que sur les modes de fonctionnement qu’elles impliquent, par exemple, la publicité comme
arme de pression à la surconsommation. » (http://1libertaire.free.fr/SLatouche45.html)
Mais comment enclencher la décroissance ? L’économiste Serge Latouche explique : « La
décroissance ne constitue pas vraiment une alternative concrète, mais c’est bien plutôt la matrice
autorisant un foisonnement d’alternatives. Il s’agit donc d’une proposition nécessaire pour rouvrir les
espaces de l’inventivité et de la créativité, bloqués par le totalitarisme économiciste, développementiste et
progressiste ». (Petit traité de la décroissance sereine).
Est-ce possible? Il ne faut jamais oublier l’influence que peut avoir un citoyen tenace. Les
révolutions, comme celle de 1789 en France, ont commencé grâce aux idées d’une poignée de penseurs.
Même les publicitaires acoquinés avec les politiciens véreux du Québec ont perdu la face (et pour quelques
uns, la liberté) suite au Scandale des commandites qui a été dévoilé par les articles d’un seul journaliste
courageux, Daniel Leblanc.
Mais comment autrement enclencher la décroissance ? Serge Latouche explique : « La décroissance
ne constitue pas une alternative, mais une matrice autorisant un foisonnement d’alternatives. Il s’agit donc
d’une proposition pour rouvrir les espaces de l’inventivité bloqués par le totalitarisme économiciste.».
Misons donc sur la créativité des jeunes penseurs.
La décroissance personnelle
Nous engagerons la décroissance soutenable si, personnellement, nous consommons moins, si nous
adoptons un mode de vie volontairement plus simple. En prenant le contrepied de tous ces marketeurs,
publicitaires, menteurs et autres gens d’argent. Le mathématicien et activiste Bertrand Russell le disait
déjà carrément il y a 70 ans : « Les méthodes de production actuelles permettent d'assurer à tous la
sécurité et une certaine aisance. Nous avons continué à déployer la même énergie qu'à l'époque où il n'y
avait pas de machines. C'est là un comportement stupide, mais ce n'est pas une raison pour continuer
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d'agir stupidement pour toujours. » Et il ajoute : « L’idée que les seules activités souhaitables sont celles
qui apportent du profit a mis le monde sans dessus dessous. » (In Praise of Idleness)
En ce qui nous concerne ici, on peut, plus précisément, lutter contre l’envahissement publicitaire. Il
n’y a pas raison pour que ce soit les marchands et leurs publicités qui financent nos écoles (le Pavillon J.Armand-Bombardier ou le Pavillon Jean-Coutu à l’Université de Montréal), nos médias d’information (50%
de nos quotidiens sont payés par les annonceurs), nos infrastructures publiques (le Colisée-Pepsi à
Québec), ainsi de suite. Méfions-nous : partout, celui qui paie est celui qui décide. La publicité continuerat-elle d’envahir tout espace public ?
Oui, nous pouvons tous, individuellement, commencer à agir contre l’envahissement publicitaire.
N’oublions jamais que les médias vivent de la publicité, qu’il y aura toujours une forme de complicité entre
les responsables de la matière éditoriale, et les annonceurs ou leurs publicitaires. Les médias sont ainsi
complices des publicitaires pour faire augmenter la consommation. Ils informent, mais persuadent
également puisque que 30% à 50% de l’espace d’un média est occupé par la persuasion à la
consommation. Il faut donc adopter un esprit critique face aux médias.
Il existe des mouvements qui militent en faveur de la décroissance, cette décroissance dont les gens
d’argent ont si peur (eux ne font jamais de décroissance, toujours de la croissance, sauf qu’elle est parfois
« négative » —comme si on pouvait avancer par en arrière).
Encourageons donc tous ces mouvements qui luttent pour la protection de l’environnement, ou
contre la surconsommation, l’envahissement publicitaire —sauf, peut-être, si cette publicité est sociale.
Supportons ces mouvements par nos contributions, notre présence, notre militantisme, nos engagements
politiques ou nos interventions médiatiques.
Et rêvons avec l’économiste Bernard Maris qui écrit : « Et si l’inutile, la gratuité, le don,
l'insouciance, le plaisir, la recherche désintéressée, la poésie, la création hasardeuse engendraient de la
valeur ? Et si les marchands dépendaient - ô combien ! - des poètes ? Et si la fourmi n'était rien sans la
cigale ? Voici venu le temps d'affirmer, contre les économistes, que l'inutile crée de l'utilité, que la gratuité
crée de la richesse, que l'intérêt ne peut exister sans le désintéressement. » (Antimanuel d'économie : 2.
les cigales)
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