Le test cutané tuberculinique devrait-il être un pré

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Le test cutané tuberculinique devrait-il être un pré
INT J TUBERC LUNG DIS 16(7):857–859
© 2012 The Union
PERSPECTIVES
Le test cutané tuberculinique devrait-il être un pré-requis
pour prolonger le TPI chez les adultes infectés par le VIH ?
T. H. Boyles,* G. Maartens†
* Divisions of Infectious Diseases and HIV Medicine, and † Clinical Pharmacology, Department of Medicine,
Groote Schuur Hospital, University of Cape Town, South Africa
EN 2010, on estimait à 1,1 millions le nombre de cas
incidents de tuberculose (TB) à travers le monde et à
350.000 les décès attribuables à cette maladie chez
les adultes infectés par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH).1 La réponse de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a été de faire appel à la mise
en œuvre sur une large échelle de mesures préventives
de la TB, y compris le traitement préventif à l’isoniazide (TPI).2 La couverture mondiale du TPI parmi les
sujets infectés par le VIH est faible et estimée à moins
de 1% à la fin de 2010.1 Le fait que les directives de
1999 de l’OMS3 exigent un test cutané tuberculinique (TCT) est considéré comme l’un des obstacles à
l’adoption du TPI.
Dans une méta-analyse, les auteurs ont montré
qu’un TPI de courte durée (6 à 12 mois) réduisait de
manière significative le risque relatif de TB chez les
sujets dont le TCT est positif comparée aux sujets
dont le TCT est négatif.4 Toutefois, le risque relatif de
TB était réduit de manière significative (33%) dans
cette méta-analyse lorsqu’on considérait l’ensemble
des patients, quel que soit le résultat du TCT.4 En raison de ce bénéfice net pour la population, les nouvelles directives de l’OMS approuvent le TPI sans la
réalisation d’un TCT,2 bien qu’elles suggèrent que
lorsque le TCT est réalisable, il devrait déterminer le
traitement.
Les avantages du TPI de courte durée dans une population augmentera avec la prévalence de la positivité du TCT. Nous avons calculé le risque relatif de
TB en fonction de la prévalence de la positivité du
TCT dans une population (Figure). La limite supérieure de l’intervalle de confiance (IC) supérieur à
95% fait intersection avec l’unité dès que la prévalence est de 23%, ce qui suggère qu’un TPI de 6 mois
sans TCT préalable est susceptible d’être bénéfique
dans la plupart des contextes.
Un des inconvénients majeurs du TPI de 6 mois
est que sa durée de protection est courte et elle disparait environ 1 à 2 ans après la fin du traitement.5,6
Trois études publiées récemment ont examiné les avan-
tages qu’apportent une prolongation du TPI. L’étude
BOTUSA (Partenariat Botswana–USA) a comparé la
durée standard de 6 mois avec une durée de 36 mois
de TPI chez les patients infectés par le VIH au
Botswana à la fois chez les sujets dont le TCT était
positif ou négatif.7 Dans l’ensemble, prolonger le TPI
est significativement plus efficiente que la durée de
6 mois de TPI pour la prévention de la TB, mais le
bénéfice provient de ceux dont le TCT était positif,
ce qui reflète les observations provenant des essais
contrôlés par placebo. L’incidence de la TB décroit de
92% chez les patients dont le TCT est positif et qui
ont poursuivi le TPI jusqu’au 6ème mois et l’ont prolongé par rapport à ceux qui ne l’ont reçu que durant
6 mois. L’incidence de la TB augmente de manière dramatique dans les 200 jours après l’arrêt du TPI chez
les patients dont le TCT est positif et qui ont reçu le
TPI pendant 6 mois, ce qui confirme que cette intervention n’entraine qu’un bénéfice de courte durée.
Le TPI de longue durée a été un des régimes comparés avec le TPI de 6 mois dans une étude menée en
Afrique du Sud chez les participants dont le TCT était
positif.8 Le TPI de longue durée n’est pas supérieur
aux 6 mois de TPI dans l’analyse Intention-to-Treat
(ITT), peut-être en raison de la faible puissance de
l’étude. Toutefois, le TPI de longue durée est supérieur au TPI de 6 mois en matière de réduction du résultat final qui combinait la TB et le décès, dans une
analyse en cours de traitement.8 Des augmentations
de niveau 3 ou 4 des transaminases sont survenues
respectivement chez 28% et 5,5% des patients sous
TPI de longue durée et de 6 mois. A l’inverse, le TPI
de 36 mois a été bien toléré dans l’étude du Botswana,
avec des taux d’effets indésirables similaires à ceux
du bras placebo. Une raison possible de l’observation
d’une toxicité moindre dans l’étude du Botswana est
qu’elle incluait un suivi clinique pour l’hépatite, alors
que l’étude d’Afrique du Sud s’est contentée d’un
suivi de routine au laboratoire.
Dans une troisième étude, provenant de Chennai
en Inde, qui n’est encore disponible que sous forme
Auteur pour correspondance : Tom Boyles, Department of Infectious Diseases, Groote Schuur Hospital, Observatory Cape
Town 8001, South Africa. Tel : (+27) 791 081 876. Fax : (+27) 865 793 279. e-mail : [email protected]
[Traduction de l’article : « Should tuberculin skin testing be a prerequisite to prolonged IPT for HIV-infected adults? » Int J
Tuberc Lung Dis 2012; 16(7): 857–859. http://dx.doi.org/10.5588/ijtld.11.0659]
2
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
Figure Estimation du risque relatif (——) et intervalle de
confiance à 95% (- - - - -) de tuberculose avec un TPI de courte
durée en fonction de la prévalence de la positivité du TCT dans
une population infectée par le VIH. Les estimations ont été dérivées des volumes de population de sujets à TCT positif et négatif provenant d’une méta-analyse du TPI.4 TCT = test cutané
tuberculinique ; TPI = traitement préventif à l’isoniazide ; VIH =
virus de l’immunodéficience humaine.
d’abstract,9 les auteurs ont randomisé les patients dans
un bras de 6 mois d’isoniazide (INH) et d’éthambutol
(EMB) ou dans un bras de 36 mois d’INH. Aucune
différence en termes d’incidence ou de décès de TB
n’a été notée, ce qui pourrait s’expliquer par la faible
puissance statistique de l’étude. En attendant la publication des résultats complets de cet essai, aucune
conclusion supplémentaire concernant l’influence du
statut du TCT ne peut être tirée.
En se basant sur ces études, l’extension du TPI des
6 mois standard chez les adultes positifs au TCT et
infectés par le VIH est clairement avantageuse. Le
mécanisme par lequel la prolongation du TPI protège
contre une TB active n’est pas encore clairement décrit, mais il est possible que le TPI confère une protection à l’égard des réinfections. Malheureusement,
l’étude BOTUSA a montré que l’administration du
TPI pendant 36 mois aux patients dont le TCT était
négatif était néfaste et multipliait par trois le risque
de décès par rapport au TPI de de 6 mois. Ces observations doivent être interprétées avec prudence car
l’analyse n’était pas pré-spécifiée et les intervalles
de confiance étaient relativement larges (HR 2,99 ;
IC95% 1,27–7,04). Il y a eu 21 décès dans le groupe
INH (14 de plus que dans le groupe placebo), avec un
décès seulement dû à une atteinte hépatique, l’effet
indésirable fatal le plus courant. Toutefois, il a été noté
sous INH une grande variété d’effets indésirables qui
pourraient être impliqués dans l’excès de mortalité, notamment l’agranulocytose, l’anémie aplastique, l’anémie hémolytique et la psychose. L’INH est également
un inhibiteur enzymatique puissant et les réactions
indésirables au médicament dues à des taux accrus de
médicaments concomitants sont également une cause
potentielle de surcroit de mortalité.
Bien qu’il faille être prudent pour l’interprétation
des données BOTUSA, cette étude aura des implications majeures sur la politique de santé publique si
ces observations sont confirmées. Chez les sujets né-
gatifs au TCT qui le sont restés jusqu’au 6ème mois,
on n’a observé aucune réduction d’incidence de la TB
et le nombre de cas nécessaires à un préjudice (NNH)
a été de 101 par mort supplémentaire par an. A titre
de comparaison, chez les sujets positifs au TCT, les
nombres de cas nécessaires de traiter (NNT) par un
TPI prolongé pour prévenir respectivement un cas
de TB et un décès ont été de 43 et 67 par an. L’analyse combinée des sujets dont le TCT était positif et
négatif a montré que le NNT pour prévenir un cas de
TB était de 147 par an et que le NNH était de 222
par an par décès supplémentaire. En se basant sur ces
données, on trouve un bénéfice net en termes d’incidence et de mortalité de TB lorsque l’INH est administré pendant 36 mois aux sujets dont le TCT est positif et un préjudice évident lorsqu’on l’administre
quel que soit le statut du TCT. Ces observations remettent également en cause la recommandation de
l’OMS d’administrer le TPI pendant 36 mois à condition que le statut du TCT des patients soit inconnu
ou positif.
Dans l’étude BOTUSA, l’effet du traitement antirétroviral (TAR) sur l’incidence de la TB dépend du
statut du TCT et de la durée du TPI. Les sujets à TCT
positif, recevant un TPI prolongé ne bénéficient que
très peu de l’adjonction du TAR, alors que les sujets à
TCT négatif ainsi que ceux ne recevant le TPI que
pendant 6 mois bénéficient d’une réduction de plus
de 50% de l’incidence de la TB lorsqu’on les met
sous TAR.
Des défis opérationnels importants doivent être surmontés pour la mise en œuvre du TCT, notamment
les coûts d’achat, le maintien d’une chaine de distribution efficiente et la formation du personnel pour
l’administration et la lecture précise du test. Une
chaine de froid adéquate existe déjà dans les zones où
les vaccinations sont réalisées en routine. Le TCT est
inclus dans les recommandations de l’OMS pour le
diagnostic de la TB chez les enfants,10 et les données
suggèrent que les difficultés d’administration du TCT
ont été surmontées dans certains contextes de soins
de routine.11 L’absence de retour du sujet pour la lecture du TCT est considérée comme une barrière importante, mais on note que respectivement 82% et
76% des patients infectés par le VIH en Afrique du
Sud et en Ouganda reviennent dans les polycliniques
urbaines pour la lecture du TCT.12 Le taux d’adhésion
à la lecture du TCT pourrait être plus faible en dehors des contextes de recherche ainsi que dans les
zones rurales où les distances entre les domiciles des
patients et les dispensaires sont plus grandes. Les stratégies en vue d’améliorer l’adhésion à la lecture du
TCT pourraient inclure des motivations financières13
et l’auto-lecture,14,15 qui sont réalisables mais qui
n’ont pas été correctement décrites dans les contextes
à faibles ressources. Des méthodes novatrices pourraient inclure la lecture du TCT à domicile par des
relais communautaires provenant de la collectivité.
TPI et TCT chez des adultes VIH positifs
Plus de 90% des résultats du TCT sont soit < 2 mm,
soit > 10 mm.16,17 Si l’on admet une limite de positivité à 5 mm, l’auto-lecture par les patients pourrait être possible ; toutefois, l’efficience de n’importe
quelle stratégie devrait être déterminée dans une
étude prospective.
L’alternative à l’administration du TPI pendant
36 mois aux sujets dont le TCT est positif consiste à
administrer le TPI pendant 6 mois à tous les adultes
infectés par le VIH sans réaliser un TCT. Alors que les
bénéfices de cette stratégie en matière de prévention
de la TB pourraient être limités, le processus d’administration du TPI comporte quant à lui d’autres avantages. Des études observationnelles ont noté une association indépendante entre la réduction de mortalité
et l’utilisation du TPI de courte durée, association qui
n’était pas observée dans les essais contrôlés par placebo.18 Ceci pourrait être dû à une augmentation du
dépistage de la TB active au cours du TPI.19 En outre,
tous les patients recrutés pour les programmes de TPI
sont dépistés pour une TB active avant la mise en
route du traitement, ce qui accroit le dépistage actif
des cas. Il a été démontré que l’administration de
cotrimoxazole améliore la rétention dans la prise en
charge des patients qui ne sont pas encore éligibles
pour le TAR,20 et un avantage similaire pourrait être
observé si le TPI était administré à des patients qui ne
sont pas encore sous TAR.
En conclusion, il existe actuellement des preuves sur
les avantages de la prolongation du TPI par rapport
au traitement standard de 6 mois chez les adultes infectés par le VIH et dont le TCT est positif. Toutefois,
nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer l’observation selon laquelle nous ferons plus de tort que
de bien en mettant en œuvre une prolongation du TPI
sans l’exécution préalable d’un TCT. Pour ces raisons,
nos options sont de trouver des façons pratiques de
mettre en œuvre le TCT ou de limiter le TPI à une durée de 6 mois. Cette dernière stratégie est moins efficiente pour la réduction de l’incidence de la TB, mais
peut entrainer d’autres avantages, tels qu’un dépistage intensif des cas et la rétention des patients dans
les soins, avantages qui n’étaient pas apparus dans les
essais contrôlés randomisés.
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