Maroc, un arsenal juridique en constante évolution-FR

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Maroc, un arsenal juridique en constante évolution-FR
Maroc, un arsenal juridique en constante évolution
Abderrahim Kassou
Octobre 2013
Introduction :
Le patrimoine architectural récent dans le monde sud-méditerranéen est un patrimoine significatif qui a de
fortes difficultés à être reconnu en tant que tel, tant sa compréhension reste limitée et sa valeur d’ancienneté
paraît faible. Le contexte historique et politique de sa création rend son appropriation par les populations
locales encore difficile, avec des différences notables entre les pays de la région. Pourtant, le bassin
méditerranéen regorge d’un important patrimoine urbain et architectural datant des XIXème et XXème siècles
qui reflète les multiples facettes de l’identité méditerranéenne et qui peut être porteur du développement
durable de cette région. Bien que récent, cet héritage culturel, doté d’un caractère exceptionnel propre,
constitue un véritable témoignage de 150 ans d’Histoire commune en méditerranée qu’il est impératif de
conserver et de valoriser. Le patrimoine architectural récent est d’ailleurs sous représenté dans les listes
indicatives des pays concernés, bien que les experts internationaux manifestent un intérêt certain pour cet
héritage menacé par le développement urbain agressif qui caractérise ces régions. Le programme initié
récemment par le Centre du Patrimoine Mondial de l’Unesco : « patrimoine des modernités architecturales et
urbaines dans le monde arabe » montre bien l’intérêt récent porté à ce sujet. En effet, si l’on prend pour
exemple la région qui nous occupe dans le cadre du présent projet, l’état des lieux démontre le délaissement
ème
dont a souffert le bâti des XIXème et xx
siècles jusqu'à présent. Sur l’ensemble des biens marocains (9
biens) , algériens (7 biens), tunisiens (9 biens), égyptiens (7 biens), libanais (5 biens) et jordaniens (4 biens)
classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, seule la ville de Rabat a été inscrite notamment pour la qualité
de son architecture moderne.
Au Maroc, depuis une dizaine d’années, les thématiques liées à la question du patrimoine moderne, appelé
communément et de manière réductrice « patrimoine Art-déco », ont dépassé le petit cercle des amateurs
et des spécialistes pour toucher au domaine public et même arriver à jouir d’une certaine présence dans les
médias, avec toutefois une réelle inégalité entre les villes. La presse, en particulier francophone, a une
influence très importante dans la prise en compte de ce patrimoine. Même si, parfois, elle peut avoir
tendance à alimenter un certain mythe de la protection par une méconnaissance des procédures et une
surestimation des effets, elle permet de sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics.
À côté de la presse, plusieurs publications sont parues, aussi bien dans le registre scientifique que dans
celui de la vulgarisation, cette dernière présentant une image moins rigoureuse du sujet, plus
« anecdotique », « romantique » et, généralement, approximative1.
Cette riche production fait émerger les difficultés et les limites de la sensibilisation massive et rapide à
propos du patrimoine : les informations fournies ne sont pas toujours correctes et la plupart des
utilisateurs ne possèdent pas les moyens de s’en rendre compte.
Un rôle important dans la diffusion de la connaissance et de l’intérêt à propos de l’héritage récent est joué
par les nombreuses rencontres et colloques qui jalonnent ces dernières années. Nous nous référons, en
particulier, à des « grands moments » tels que la conférence et table-rondes — sur trois jours ! —,
organisées par l’association Casamémoire en mars 2000 en marge de l’exposition « Casablanca mémoire
d’architectures » de Jean-Louis Cohen et Monique Eleb dans la Villa des Arts à Casablanca.
L’École nationale d’architecture de Rabat a, elle aussi, organisé plusieurs journées d’études autour de la
réhabilitation du patrimoine récent, et plusieurs rencontres ont réuni des spécialistes du sujet mais ont
aussi permis d’atteindre des publics plus vastes ; on peut se référer, à titre d’exemple, au probable lien
entre les actions que la ville de Tanger a mis en œuvre sur l’héritage récent et qui ne sont pas déconnectées
de la Journée d’étude qui avait été organisée à l’initiative de l’association Al Boughaz en 2003.
Un autre « grand moment » a été la journée du 12 juin 2004 sur « Le patrimoine Art-déco », initiée par le
ministère de la Culture et organisée dans un grand hôtel de Casablanca. Au cours de cette journée, le
ministre de la Culture s’est déplacé, de même que les plus hautes autorités de la ville de Casablanca (le wali
et le maire). Ces personnalités ont d’ailleurs pris officiellement position, pour la première fois, sur la
nécessité de protéger le patrimoine marocain récent au même titre que l’ancien2.
Comme nous le verrons plus loin, le système législatif qui s’occupe de la protection du patrimoine culturel
immobilier est le résultat de près de 70 ans de réflexion sur les moyens légaux pour garantir la conservation
d’un patrimoine culturel immobilier aussi riche que varié. Une vision d’ensemble de la préservation du
1
Parmi les ouvrages scientifiques qui abordent le sujet, on peut citer l’incontournable ouvrage de Jean-Louis Cohen et
Monique Eleb (1998), Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine, Edition Belvisi Hazan ; alors que
Casablanca que j’aime, écrit par Mohamed Sijelmassi, publié en 2003 chez Oum Ediions, rentre plutôt dans le registre
des ouvrages « romantiques » avec un certain nombre d’approximations et d’erreurs.
2
Notons que le même jour s’est tenu un deuxième colloque, cette fois-ci à Fès, sur des questions similaires. Hasard du
calendrier ou manque de communication, le fait est que la question du patrimoine moderne commence à mobiliser
largement les universitaires, les professionnels du bâtiment, les autorités ainsi que la société civile.
patrimoine a remplacé progressivement la conception ponctuelle de la conservation des édifices anciens,
conformément à l’évolution de la législation et des mentalités. Le législateur, de manière volontariste, a
défini progressivement des zones de protection de plus en plus larges. À l’origine, seul le monument luimême était protégé ; la possibilité de préserver ses abords a été introduite plus tard. Puis, les sites naturels,
les architectures régionales ainsi que les villes anciennes (médinas) vont bénéficier d’une protection légale.
Lois et décrets, procédures et inventaires
La législation sur la conservation du patrimoine culturel et naturel est aujourd’hui constituée
essentiellement par la loi 22-80 du 25 décembre 1980 relative à la conservation des monuments
historiques et des sites, des inscriptions, des objets d’art et d’antiquité promulguée par le dahir 1-80-341
du 17 safar 1401 (25 décembre 1980). Cette loi ne considère pas uniquement des éléments isolés et le cas
échéant leurs abords, mais prend en compte également les sites. Elle est suivie de peu par le décret
d’application 2-81-25 du 23 hijja 1401 (22 octobre 1981). Deux mesures de protection sont prévues : le
classement et l’inscription.
Evolution des textes de loi
Si on admet que, à l’instar d’autres pays de la rive sud de la Méditerranée, la protection a commencé dans
la deuxième moitié du XIXe siècle par les traces et vestiges archéologiques avant de s’élargir aux
Monuments historiques, le Maroc fait un peu exception à cette règle. La présence coloniale européenne
n’ayant commencé qu’au début du XXe siècle, la prise en compte juridique du patrimoine concerne tout de
suite les Monuments historiques. Le premier texte de loi relatif à cette question est le dahir chérifien du 26
novembre 19123, année de la signature du traité de Protectorat entre la France et le Maroc. Ce texte
considère que « les ruines des constructions antiques antérieures à l’Islam, celles des Palais de Nos
Prédécesseurs, leurs enceintes et leurs dépendances, les monuments religieux ou profanes ayant un
caractère historique ou artistique, etc., sont placés sous la surveillance spéciale du Maghzen qui en assurera
la conservation »4 et que celles-ci « pourront faire l’objet de décrets de classement »5. Par ailleurs, « les
décrets de classement pourront, s’il y a lieu, déterminer autour des édifices, une zone de protection où tous
travaux nuisibles à la conservation ou au caractère des monuments seraient interdits »6. Ce dahir considère
également, au même titre que les immeubles, les inscriptions historiques ainsi que les objets d’art ou
d’antiquité. Notons également que, dès le 28 novembre 1912, est prononcée par arrêté de la Résidence
générale la création du Service des antiquités, Beaux-arts et Monuments historiques dont le rôle sera
d’assurer « le classement, la conservation et l’étude des monuments et documents historiques »7. Nous
voyons émerger l’importance de ces questions de protection et de conservation dès les premiers mois du
Protectorat français au Maroc. Ceci est lié à l’apport du général Louis-Hubert Lyautey et des techniciens et
scientifiques qui l’accompagnent, mais aussi à l’arrivée plutôt tardive de la puissance coloniale, enrichie des
expériences algérienne, tunisienne et levantine8. Le dahir de 1912, dont il est question plus haut, a été
complété et précisé par le dahir du 13 février 19149, considéré actuellement comme le premier texte
marocain de protection du patrimoine historique. Ce texte concerne la protection, par classement, des
immeubles présentant un intérêt particulier pour l’art et l’antiquité, les lieux entourant les monuments
ainsi que les sites et monuments naturels. Le classement ainsi prononcé interdit la démolition des éléments
classés. Leur restauration ou modification ne peuvent se faire qu’après autorisation de l’autorité chargée
des Monuments historiques et des Beaux-arts, et sous son contrôle. Pour les monuments naturels, les sites
et les zones autour des Monuments historiques, le classement implique des servitudes non aedificandi, non
altius tollendi ainsi que des servitudes d’aspect. Il faut noter que le dahir de 1914 ne parle pas
3
Dahir chérifien du 16 doul hija 1330 (26 novembre 1912) relatif à la conservation des Monuments et inscriptions
historiques ; Bulletin officiel n° 5 du 29 novembre 1912.
4
Dahir chérifien du 16 doul hija 1330, op. cit., article 1.
5
Dahir chérifien du 16 doul hija 1330, op. cit., article 2.
6
Dahir chérifien du 16 doul hija 1330, op. cit., article 7.
7
Arrêté du 28 novembre 1912 créant un service des Antiquités, Beaux-arts et Monuments historiques ; Bulletin officiel
n° 5 du 29 novembre 1912.
8
Lyautey était en Algérie avant de travailler au Maroc, Henri Prost, avant de venir au Maroc au milieu des années 10,
était en contact avec des urbanistes allemands qui travaillaient en Turquie et Michel Écochard officiait au Liban et en
Syrie avant son arrivée au Maroc dans les années 40.
9
er
Dahir du 17 rebia 1 1332 (13 février 1914) relatif à la conservation des Monuments historiques, des inscriptions et des
objets d’art et d’antiquité de l’Empire chérifien, à la protection des lieux entourant ces monuments, des sites et
monuments naturels.
explicitement de protection des médinas mais il inclut la protection de sites qui peuvent être des sites
urbains10.
Ainsi, pendant les premières années du Protectorat11, le Maroc connaît une intense activité de protection
de murailles, portes, casbahs, médersas, etc. À partir des années 1920, la protection s’étendra aussi aux
zones entourant les monuments et à certains ensembles urbains. Ce n’est qu’à partir des années 1940 que
la protection s’élargira à certains sites ruraux, cascades, lacs, vallées, etc.12.
Le dahir du 21 juillet 1945 est le deuxième texte de loi d’importance dans l’histoire juridique de la
protection au Maroc. Il vient annuler et remplacer le dahir de 1914 en reprenant l’ensemble des
protections établies précédemment, en y incluant les « villes anciennes et architectures régionales »13.
Celui-ci est le premier texte qui parle explicitement de la protection d’ensembles bâtis et permet l’édiction
de règlements « destinés à préserver le caractère des villes anciennes14 » et « les zones rurales qui
possèdent des architectures particulières »15. Ainsi, et conformément à ce dahir, l’autorisation de bâtir dans
des zones protégées ne peut être délivrée qu’après accord de l’autorité en charge des Monuments
historiques16. Dès lors, la protection va concerner des médinas entières comme celles de Fès, de Marrakech
ou de Meknès, alors que des règlements pour la protection artistique avaient déjà été promulgués pour ces
mêmes villes auparavant17, ces textes imposant essentiellement des servitudes d’aspect dans les médinas
(grilles, auvents, portes…). Ainsi, avant le dahir de 1945, l’ensemble des textes, ainsi que les règlements de
voirie de l’époque18, ne s’attachent qu’à sauvegarder l’aspect visible des médinas sans pour autant les
classer.
Nous avons relevé une quarantaine de textes de loi et autres dahirs qui, entre 1912 et 1956, régissent la
question de la conservation dans le Maroc sous protectorat français. Par contre, le seul dahir sur ces
thèmes concernant la zone de Tanger date de 192519, et la zone Nord du Maroc, sous autorité espagnole,
n’a pas connu d’attirail juridique particulier. De plus, il a fallu plus de dix ans après l’indépendance pour que
les lois en vigueur ne soient étendues à l’ensemble du pays20.
Notons enfin qu’il faut attendre la loi 22-80 du 25 décembre 198021 pour voir introduite la notion
d’inscription d’un monument — une procédure allégée et plus rapide en complément au classement alors
que les textes précédents ne comprennent que la procédure de classement. Cette loi ne parle plus,
contrairement au dahir de 1945, de la protection des villes anciennes et des architectures régionales en
tant que telles. Si nous comparons cette loi avec la Convention Unesco pour la protection des sites du
patrimoine mondial, culturel et naturel, ratifiée par le Maroc22, l’absence de la notion de « patrimoine
culturel » du texte de la loi 22-80 est étonnante et contraste avec son importance dans le texte de la
convention. Les chapitres suivant détailleront les dispositions prévues dans la loi 22-80. Cependant, il y a
10
Abderrahmane Chorfi, 1977, « La protection des médinas et du patrimoine historique », pp. 94-102, in Actes du
colloque « Urbanisme et croissance urbaine au Maroc », p. 95.
11
Le Protectorat de la France sur la partie centrale du Maroc a commencé en 1912 pour s’achever en 1956.
12
Abderrahmane Chorfi, op. cit., p. 96.
13
Dahir du 11 chaâbane 1364 (21 juillet 1945) relatif à la conservation des Monuments historiques et des sites, des
inscriptions, des objets d’art et d’antiquité et à la protection des villes anciennes et des architectures régionales ; Bulletin
officiel n° 1713 du 24 août 1945.
14
Dahir du 11 chaâbane 1364, op. cit., article 43.
15
Dahir du 11 chaâbane 1364, op. cit., article 44.
16
Direction de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Monuments historiques. Cette direction, créée le 26 juillet
1923 et rattachée à la Direction de l’enseignement, est issue du Service des Monuments historiques, palais impériaux et
résidences créé le 25 juin 1921, lui-même découlant du Service des antiquités, Beaux-arts et Monuments historiques
créé le 28 novembre 1912.
17
20 juillet 1922 pour Marrakech, 23 septembre 1922 pour Meknès et 23 avril 1923 pour Fès.
18
Dispositions générales concernant l’ensemble de la ville et comprenant des clauses particulières applicables en
médina ; le règlement de voirie de Fès date de 1936, celui de Rabat de 1938 et celui de Marrakech de 1939.
19
Dahir khalifien du 21 chaoual 1343 (15 mai 1925) relatif à la conservation des Monuments historiques et des objets
d’art et d’antiquité, à la protection des lieux entourant les monuments et les sites dans la zone de Tanger.
20
Arrêté 2-67 du ministre de l’Éducation nationale, des Beaux-arts, de la Jeunesse et des Sports du 30 avril 1967
rendant applicables dans l’ancienne zone de Protectorat espagnol et dans la province de Tanger la législation et la
réglementation relatives à la conservation des Monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d’art et
d’antiquité et à la protection des villes anciennes et architectures régionales ; Bulletin officiel n° 2848 du 31 mai 1967, p.
601.
21
Dahir 1-80-341 du 17 safar 1401 (25 décembre 1980) portant promulgation de la loi 22-80 relative à la conservation
des Monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d’art et d’antiquité.
22
Dahir 1-76-265 du 26 safar 1397 (16 février 1977) portant publication de la Convention pour la protection du patrimoine
mondial culturel et naturel faite à Paris le 16 novembre 1972.
lieu de préciser qu’une dynamique de modification de cette loi a été lancée au milieu des années 2000 par
le ministère de la culture. Cette dynamique a abouti à la promulgation d’une loi sur les archives et la
création de l’institution « Archives du Maroc » entre 2007 et 2009. Une révision de la loi concernant le
patrimoine mobilier a également été promulgué à la même période. Cependant, au même moment, et
malgré la tenue de plusieurs séminaires de réflexion et la mobilisation de plusieurs experts pour proposer
une refonte de la loi concernant le patrimoine culturel bâti, et malgré un projet de loi proposant des
réformes intéressante, ce processus n’a pas abouti. Ce projet de loi est resté lettre morte. Il a fallu
attendre 2013 pour voir un nouveau projet de loi être proposé par le ministère de la culture. Ce texte est
actuellement dans le circuit législatif et n’est pas encore entré en vigueur. Nous ne connaissons pas non
plus les modifications qui seront apportées par le projet avant son adoption, mais en tout état de cause, ce
projet contient un certain nombre d’éléments importants qui seront présentés en fin de ce texte.
Procédure et description de l’inscription dans la loi 22-80
1. Procédure de l’inscription
L’innovation de la loi 22-80 réside dans le fait qu’elle introduit les procédures pour la mise en place de
l’inscription des monuments. Il s’agit d’une mesure de protection dont la procédure simplifiée permet la
mise en action des procédures de sauvegarde immédiate d’un édifice ou d’un site menacé. Toutefois, des
précautions vont être prises pour garantir le droit de la propriété individuelle.
La demande d’inscription doit être adressée au ministère de la Culture23. Elle peut émaner du propriétaire
du bien culturel à inscrire, des administrations publiques pour les immeubles qu’elles occupent, des
collectivités locales pour tout immeuble se trouvant dans leur circonscription, du Comité national de
l’environnement pour les sites naturels. Les établissements publics (entités autonomes sous tutelle de
l’État), les syndicats d’initiative et de tourisme, les sociétés, les associations savantes et les groupements
artistiques dont le but et les objectifs sont en partie ou en totalité consacrés à la connaissance ou à la
préservation du patrimoine culturel peuvent également demander l’inscription « des immeubles, par
nature ou par destination, ainsi que des meubles dont la conservation présente un intérêt pour l’art,
l’histoire ou la civilisation du Maroc »24. La demande doit être accompagnée d’un plan de situation de
l’immeuble et d’une description détaillée. Elle doit aussi indiquer la date ou l’époque de la fondation de
l’édifice, ainsi que sa situation juridique. La demande d’inscription est ensuite soumise à l’avis d’une
Commission tripartite comprenant des représentants du ministère de l’Intérieur, de l’autorité
gouvernementale chargée de l’Aménagement du territoire et de l’autorité chargée des Affaires culturelles
(actuellement le ministère de la Culture) qui en assure la présidence25. Le décret 2-81-25 ne donne aucune
indication quant à son rôle ou à ses attributions. En effet, « l’inscription des meubles et immeubles est
prononcée par arrêté de l’autorité gouvernementale chargée des affaires culturelles […] publié au Bulletin
officiel »26, « après avis [de la] commission »27. Apparemment, sa seule fonction est d’examiner
l’authenticité des pièces fournies.
2. Description de l’inscription
La loi 22-80 consacre six articles aux effets de l’inscription qui, sans être vraiment explicites, montrent que
la mesure de l’inscription est bien une opération de sauvegarde d’urgence et ceci est visible tant au niveau
des obligations du propriétaire qu’au niveau des compensations accordées par l’État qui veut encourager
les demandes volontaires d’inscriptions.
Les deux premières obligations du propriétaire concernent la documentation se rapportant à un immeuble
inscrit. À cet égard, le propriétaire ne peut ni exiger de droits sur la publication d’ouvrages et d’articles
relatifs à l’immeuble, ni interdire l’accès aux chercheurs autorisés. Cela laisse supposer qu’un immeuble
inscrit n’étant pas encore bien connu, les études doivent en être facilitées d’une part et d’autre part,
23
Ministère de la Culture actuellement, auparavant ministère des Affaires culturelles, puis ministère de la Culture et de la
Communication.
24
Article 1, dahir 1-80-341 du 17 safar 1401 (25 décembre 1980) portant promulgation de la loi 22-80 relative à la
conservation des Monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d’art et d’antiquité et des sites ; Bulletin
officiel n° 3564 du 18 février 1981, pp. 73-76.
25
Article 3, dahir 2-81-25 du 23 hija 1401 (22 octobre 1981) pris pour application de la loi 22-80 ; Bulletin officiel n° 3601
du 4 novembre 1981, p. 482.
26
Dahir 2-81-25, op. cit., article 4.
27
Dahir 2-81-25, op. cit., article 3.
l’immeuble devant pouvoir bénéficier d’une publicité gratuite. En second lieu, le propriétaire ne peut
apporter de modifications à la substance ou à l’aspect de l’immeuble sans en avoir averti le ministère de la
Culture six mois avant la date des travaux projetés. Le délai plutôt court et le fait qu’il n’est pas prévu de
finalités spécifiques à l’inscription amènent à penser que cette mesure est provisoire et que sa finalité
ultime est le classement. En effet, et comme nous le verrons plus loin, le classement nécessite une
procédure plus longue, une enquête préalable et des procédures plus contraignantes. On procède souvent
à l’inscription dans deux cas de figure : lorsqu’un élément est en danger de détérioration (l’inscription est
alors plus rapide) ou lorsqu’on souhaite ne pas figer le développement mais juste permettre à l’autorité en
charge de la culture d’avoir un droit de regard sur les actions en cours.
Afin d’encourager les demandes d’inscription et malgré la légèreté des obligations imposées aux
propriétaires, la loi a prévu des compensations substantielles. En effet, l’administration peut prendre en
charge la conservation et la restauration d’immeubles inscrits par des subventions d’une part et par des
interventions directes d’autre part. Concrètement, rien n’empêche un propriétaire qui n’obtient pas de
subventions de laisser son immeuble se dégrader afin d’engager la responsabilité de l’administration. Celleci se verra obligée d’intervenir directement puisque la loi n’oblige pas un particulier à restaurer son bien
alors qu’elle engage la responsabilité de l’État dans la conservation du patrimoine inscrit.
En outre, le propriétaire peut exploiter son immeuble à des fins lucratives sous réserve d’une autorisation
administrative visée par le ministère de la Culture. Cette limitation a été prévue principalement pour les cas
de changements d’affectation d’un immeuble. En effet, l’administration veut conserver la possibilité de
s’assurer que la tentative de réaménagement d’un édifice ne débouche pas sur une réutilisation abusive qui
ruinerait la valeur de l’immeuble inscrit.
L’aliénation d’un immeuble inscrit (vente, échange, cession) est permise. Toutefois, pour garantir la
conservation des biens inscrits, la loi autorise l’État à exercer un droit de préemption. En effet, dans le cas
où le propriétaire d’un immeuble décide l’aliénation de son bien, l’État se trouverait sans garantie aucune
de l’intention du nouveau propriétaire qui peut, alors, démolir ou modifier l’immeuble sous prétexte d’en
changer l’affectation.
La loi accorde donc à l’État un délai de deux mois pour notifier au propriétaire l’intention d’exercer son
droit de préemption et un mois pour acquérir le bien inscrit28. À défaut, l’État peut toujours choisir
d’entamer la procédure de classement afin de mieux contrôler le devenir du bien ainsi aliéné.
Procédure et description du classement selon la loi 22-80
1. La procédure de classement
La demande de classement peut émaner des mêmes catégories d’organismes ou de personnes citées pour
l’inscription. Elle est également adressée à l’autorité chargée des affaires culturelles. Outre les pièces
précitées pour l’inscription, elle doit comporter un plan indiquant les limites de l’immeuble à classer ainsi
que le numéro du titre foncier ou de la réquisition d’immatriculation. La Commission consultative est la
même que la Commission tripartite qui va décider du bien-fondé de la demande d’inscription. « Le décret
prononçant le classement est assorti d’un plan qui fixe les limites du périmètre de classement ainsi que,
éventuellement, celles de la zone de protection » pour laquelle sont définies « les servitudes spéciales
nécessaires à la protection de l’immeuble ainsi que les dérogations aux servitudes générales »29. Ces
servitudes de protection peuvent être de non ædificandi, de non altius tollendi ou d’aspect.
Le classement est prononcé par décret du premier ministre sur proposition du ministre de la Culture après
avis du Conseil communal de la municipalité30 dans laquelle est situé l’immeuble à classer. Cependant, il y a
une différence essentielle entre les immeubles privés et les immeubles domaniaux habous ou appartenant
aux collectivités locales ou ethniques31. En effet, pour les immeubles privés, il est prévu une enquête
préalable ouverte par le ministre de la Culture alors que, pour les autres, l’enquête n’est pas nécessaire
28
Articles 39 et 40, dahir 1-80-341 du 17 safar 1401 (25 décembre 1980) portant promulgation de la loi 22-80 relative à la
conservation des Monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d’art et d’antiquité et des sites ; Bulletin
officiel n° 3564 du 18 février 1981, pp. 73-76.
29
Dahir 2-81-25, op. cit., article 7.
30
Auparavant appelées officiellement « communes urbaines », regroupées au sein d’une Communauté urbaine, les
municipalités sont dorénavant nommées « arrondissements » pour les villes importantes et sont regroupées au sein d’un
Conseil de la Ville.
31
La tutelle administrative des collectivités ethniques est régie par le dahir du 26 rajeb 1337 (27 avril 1919).
mais l’avis conforme de plusieurs départements ministériels est exigé32. Ainsi, pour les immeubles privés,
c’est l’autorité municipale compétente, saisie par le ministre de la Culture, qui procède à l’enquête33, après
réception du dossier du projet de classement. L’enquête, garantissant le droit de la propriété privée, dure
deux mois. Pendant cette durée, il s’agit de procéder à l’affichage de l’avis d’ouverture et de clôture de
l’enquête, de la publication dans deux quotidiens autorisés à recevoir les annonces légales ; pour les
immeubles ruraux, de la publication par crieur public dans les souks ou marchés locaux ; et, enfin, un
registre est ouvert pour les observations de tout intéressé. Seules ces dernières seront admises pour
l’obtention d’éventuelles indemnités compensatoires.
Le classement doit être décrété en moins d’un an à dater de l’insertion au Bulletin officiel de l’arrêté
portant ouverture d’enquête. S’il n’y a pas de décret, l’enquête est alors caduque et doit recommencer
dans les mêmes formes.
2. Description du classement
La plus importante conséquence du classement est incontestablement celle qui est définie par l’article 20
de la loi 22-80 et qui stipule que : « un immeuble classé ne peut être démoli, même partiellement, sans avoir
été déclassé ». Techniquement, le classement prend la forme d’une interdiction sous réserve d’une
procédure légale : le déclassement ; avec tous ses inconvénients formels, d’autant plus que l’administration
peut s’y opposer. C’est pour cette raison que le classement est souvent perçu comme une atteinte au droit
de propriété alors qu’en effet il s’agit d’une simple dérogation au droit commun de construction. Cette
dérogation est manifeste aussi dans les autres articles, notamment par l’interdiction d’altération d’un
immeuble classé que le propriétaire ne peut restaurer ni modifier sans le consentement de
l’administration. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’interdire toute transformation mais de garantir que les
modifications restent, au regard de l’administration, conformes au message et à la signification du
monument.
L’administration dispose de prérogatives et d’un pouvoir considérable puisque les travaux autorisés doivent
s’exécuter sous la surveillance de l’Inspecteur des Monuments historiques (article 30 du décret 2-81-25).
Ces travaux peuvent bénéficier d’un concours financier de l’État (article 25 de la loi 22-80). Cet article est
très significatif car, s’il constitue la base légale d’intervention de l’État, il en laisse la liberté de choix à
l’administration. En d’autres termes, un propriétaire ne peut pas obliger l’administration à exécuter des
restaurations alors que celle-ci « peut faire exécuter d’office, aux frais de l’État et après en avoir avisé le
propriétaire, tous travaux qu’elle juge utiles à la conservation ou à la sauvegarde de l’immeuble classé »34.
D’autres dispositions sont applicables aux immeubles classés. Par exemple, les servitudes d’alignement, qui
peuvent causer la dégradation des monuments, ne sont pas applicables aux immeubles classés (article 18
de la loi) ; d’autre part, les immeubles privés sont cessibles avec droit de préemption par l’État, alors que
les immeubles habous, domaniaux ou appartenant aux collectivités locales sont inaliénables et
imprescriptibles. En plus de ces dispositions, l’interdiction de tout système d’affichage sauf autorisation et
contrôle de l’administration est instauré pour faire respecter l’esthétique du monument et lutter contre les
agressions visuelles pouvant dénaturer un immeuble classé. Il faut ajouter à ces dispositions qu’un
immeuble en cours de classement est assimilé à un immeuble classé et qu’il bénéficie donc des mêmes
avantages et obéit aux mêmes obligations.
Contrairement au dahir de 1945 qui prévoyait que les zones entourant les Monuments historiques
pouvaient être assimilées à ces derniers et par conséquent être classées, la loi 22-80 introduit la notion de
périmètre de classement. Autrement dit, c’est l’acte administratif de classement qui définit les servitudes
assurant la conservation d’un immeuble. Aussi, les conséquences du classement sont différents selon qu’il
s’agisse de conserver le ou les immeubles (le bâtiment en lui-même, plus les jardins, dépendances, etc.) ou
bien les effets qui tendent à conserver par l’assainissement ou l’isolement, les abords du monument ou du
site, pivot du classement ; et, enfin, la protection de larges périmètres (sites urbains et naturels). La loi 2280 ne fixe pas de limite de classement et de zone de protection arbitraires et absolues, celles-ci sont
définies, le cas échéant, au cas par cas par la commission chargée d’instruire la demande. Le décret
prononçant le classement précise, plan à l’appui, les limites de la zone et les servitudes à y appliquer.
L’adossement d’une construction à un immeuble classé est interdit. Les constructions existantes avant le
classement sont tolérées ; toutefois, la partie mitoyenne, lorsqu’elle nécessite des travaux, devra
32
Dahir 2-81-25, op. cit., article 9.
Dahir 2-81-25, op. cit., article 13, 14 et 15.
34
Dahir 1-80-341, op. cit., article 25.
33
comporter un contre-mur sur la propriété du riverain qui pourra être indemnisé. Par contre, tous les dégâts
causés par les propriétaires riverains doivent être pris en charge par eux. De plus, la loi autorise
l’administration à prescrire les mesures nécessaires à faire respecter par les propriétaires riverains. Cette
exigence est décisive car l’expérience a montré que les propriétaires riverains, soit par ignorance, soit par
souci d’économie, ne prennent guère de précautions quant au respect de la mitoyenneté avec un
monument classé. Quoiqu’il en soit, certains juristes considèrent que l’adossement à un immeuble classé
ne doit pas relever des abords, mais doit être assimilé à la modification du monument lui-même. Pourtant,
en se plaçant sous l’angle purement logique, l’immeuble adossé est situé par définition hors du terrain
d’emprise du monument puisque l’acte administratif de classement le place au-delà du rayon de
protection. En tout cas, la loi n’est pas très précise sur ce point, elle se contente de signaler que « lors des
travaux qu’ils effectuent sur leurs immeubles, les propriétaires riverains sont tenus de prendre toutes les
mesures nécessaires pour préserver l’immeuble classé de toute dégradation pouvant résulter des travaux.
Ces mesures peuvent, le cas échéant, leur être prescrites pas l’administration »35.
Si les effets directs ou indirects sur l’immeuble classé sont clairement définis, les effets sur le périmètre de
classement dépendent de la décision de classement qui peut imposer des servitudes sur les constructions
nouvelles, les démolitions, la végétation, les travaux d’utilité publique, les modifications, etc. Aucune de ces
servitudes n’est donnée par la loi même mais elles sont contenues dans la décision de classement. Par
ailleurs, la loi 22-80 complétée par le décret d’application va introduire un concept nouveau inspiré par
l’évolution du droit de l’urbanisme qui, depuis quelques années, a acquis une forte dimension culturelle
(esthétique des « villes nouvelles », paysages...). En effet, jusqu’à présent, les Plans d’aménagement et
autres documents d’urbanisme ne traduisaient qu’une ambition accessoire du droit de l’urbanisme sur la
protection du patrimoine architectural confié à la législation sur la conservation du patrimoine culturel et
naturel. Dorénavant, « les Plans d’aménagement, de développement et autres documents d’urbanisme ou
d’aménagement du territoire national peuvent modifier les servitudes prévues par les décisions de
classement ».
Cette mesure peut avoir des conséquences néfastes sur la protection des périmètres de classement. Elle
est, toutefois, tempérée par l’article 34 du décret 2.81.25 qui prévoit que tous les documents d’urbanisme
modifiant les zones de servitudes prévues par l’acte de classement, doivent comporter le visa conforme du
ministre de la Culture.
Les sites urbains et naturels
Alors que la loi de 1945 prévoyait explicitement le classement des villes anciennes et des architectures
régionales dans son intitulé lui-même36, la loi 22-80 n’est pas claire à ce sujet. En effet, seuls certains
articles laissent entendre que les ensembles urbains peuvent être classés au même titre que les autres
catégories de biens culturels. Par exemple, l’article 13, qui prévoit que « le classement [...] des sites naturels
ou urbains [...] comporte, s’il y a lieu, l’établissement de servitudes qui sont définies par l’acte administratif
de classement [...] en vue d’assurer la protection [...] du style de construction particulier à une région ou une
localité déterminée »37.
Quoiqu’il en soit, la législation actuelle — qui ne prévoit pas de procédure particulière pour classer de
vastes zones — exclut pratiquement les ensembles urbains des XIXe et XXe siècles. En effet, pour classer de
grands sites comportant plusieurs propriétés, il faudrait établir des dossiers de classement immeuble par
immeuble, ce qui serait inapproprié et pratiquement impossible à réaliser.
Mais la description de classement ne serait pas complète si l’on n’évoquait pas les dispositions d’autres lois
non consacrées directement à la protection du patrimoine immobilier, mais qui renforcent les dispositions
de la loi 22-80. Il s’agit, en premier lieu, des lois de finance qui peuvent accorder aux propriétaires de
Monuments historiques des avantages fiscaux pour encourager les demandes de classement et les
restaurations. C’est ainsi que la loi de finance de 1990 exonère les Monuments historiques de la taxe
urbaine et que la loi de finance de 1994 dispense tous les travaux de restauration sur les monuments
historiques de la TVA à partir de cette date.
En second lieu, la loi 12-90 relative à l’urbanisme promulguée par le dahir 1-92-31 du 17 juin 1992, outre les
sanctions aggravées en cas d’infractions, prévoit le recours obligatoire à un architecte privé pour toute
35
Dahir 1-80-341, op. cit., article 28.
Dahir relatif à la conservation des Monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d’art et d’antiquité et
à la protection des villes anciennes et des architectures régionales.
37
Dahir 1-80-341, op. cit., article 13.
36
restauration sur un Monument historique, ceci afin de garantir le monument contre toute dénaturation
pouvant résulter d’une restauration maladroite en le confiant au professionnel de l’acte de bâtir.
Réforme de la loi 22-80 :
De l’avis de plusieurs intervenants et spécialistes de la question du patrimoine, la loi en vigueur
actuellement (loi 22-80) possède plusieurs lacunes liées essentiellement à l’évolution de la notion, à la
diversité du patrimoine concerné ainsi qu’à la multiplicité des intervenants. Ainsi, un nouveau corpus a été
proposé récemment par le gouvernement. Ce corpus suit le processus législatif qui nécessitera sans doute
plusieurs mois. Ci-dessous les éléments nouveaux apportés par les trois projets de loi composant ce corpus.
Projet de charte nationale de préservation, de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel et
mixte.
Ce projet de charte, dans l’esprit du ministère de la culture, s’inscrit « dans la dynamique que connait le
pays dans le cadre du développement social, économique et culturel et qui suscite un intérêt particulier
pour le patrimoine national ». Les dispositions de cette charte concernent « la préservation, la protection,
la mise en valeur et la transmission du patrimoine national ».
L’idée derrière ce projet de charte est de s’adapter à la multiplicité des intervenants dans le domaine. Elle
se veut une démarcation par rapport à « l’approche classique, de nature technique stricto sensu », et
souhaite proposer « une approche basée sur la réflexion concertée et la planification méthodique, avant
toute intervention visant le patrimoine national ». L’idée est de mettre en place « un cadre d’action
consensuel qui favorise la finalité de la préservation, la protection et la mise en valeur du patrimoine ».
Par ailleurs, le projet de loi, dans son article 2, précise que l’objet de la charte s’étend « au patrimoine
national culturel et mixte comme étant un héritage communautaire qui reflète l’identité nationale et
préserve la mémoire ». La définition du patrimoine est sensiblement le même que la loi précèdent, vu
qu’elle inclue : «tous les biens culturels matériels et immatériels légués par les générations passées, de la
préhistoire à nos jour, représentant un intérêt pour la civilisation nationale ou universelle qui nécessite la
conservation et la transmission aux générations futures ».
Par contre, le champ concerné est plus large que dans les lois précédentes car il inclut, outre le patrimoine
immobilier au sens de sites et monuments, les ensembles historiques et traditionnels. Cette charte inclue
également le patrimoine culturel mobilier, le patrimoine culturel subaquatique, le patrimoine culturel
immatériel et le patrimoine mixte (culturel et naturel). La charte ne cite par le patrimoine culturel moderne
de manière spécifique mais laisse des ouvertures permettant de l’inclure.
L’objectif annoncé est d’encourager les actions de préservation du patrimoine en facilitant l’adoption de
structures de coopération entre acteurs publics et/ou privés dans un cadre conventionnel consensuel tout
en mobilisant les moyens pour cela. Ainsi, un des apports essentiels de ce projet de charte est de « définir
les engagements de l’Etat, des collectivités territoriales, des différents organismes publics, des entreprises
privées, des associations de la société civile et des citoyens en matière de protection du patrimoine
national ». Pour ce faire, un certain nombre de principes sont énoncés dans le projet de charte afin de
servir d’éléments de cadrage « à respecter lors des interventions techniques et au moment de l’élaboration
et de mise en œuvre des politiques, des stratégies, des programmes et des plans d’actions ». Parmi ces
principes on peut citer le principe de la primauté, le principe de la responsabilité, le principe de
l’engagement, celui de la transversalité, de la territorialité ou encore celui de la participation…
Le projet de charte annonce également la mise en place d’une réflexion concernant le système discal afin
d’encourager les actions de préservations et de restauration.
Un des apports essentiel de ce document est la place accordée aux communautés et la société civile dans la
préservation du patrimoine. Ceci contraste avec les textes précédents qui considéraient que c’était
essentiellement un rôle dévolu à l’Etat et aux collectivités territoriales. Le projet de charte accorde
également une place importante au secteur privé en leur accordant un rôle important, en les
responsabilisant tout en imaginant des systèmes d’encouragement par la fiscalité. Cependant, le fait que ce
document soit un projet de charte et non un projet de loi en fait un document assez général, pas
suffisamment précis sur les mesures concrètes prévus pour mettre en œuvre ce qui est proposé.
Projet de loi relatif à la protection, à la conservation, et à la mise en valeur du patrimoine national,
culturel et mixte :
Dans le préambule de ce projet de loi, il est rappelé la richesse et la complexité du patrimoine national,
généré par plusieurs un diversité d’affluents, rendant nécessaire la mise en place de nouvelle dispositions
juridiques afin de s’adapter à l’évolution de la notion du patrimoine, mais également pour tenir compte des
dispositions de la constitution de 2011 ainsi que des engagements du Maroc à l’international. Ainsi, comme
le rappelle son article 1, ce projet de loi a pour objet de « définir l’ensemble des biens cultures, déclinés
sous les vocables de patrimoine national culturel ou mixte, d’édicter les règles générales de leur protection,
préservation, sauvegarde et valorisation et d’en fixer les conditions de mise en œuvre ». Par ailleurs, et à
l’instar du projet de charte, ce projet de loi rappelle la définition du patrimoine en ces termes :
-
Le patrimoine culturel national s’étend à tous les biens culturels mobiliers, immobiliers et immatériels, par
nature ou par destination, et mobiliers existants sur et dans le sol des immeubles publics ou privés de l’Etat,
ou appartenant à des collectivités ethniques sous tutelle de l’Etat, à des personnes physiques ou morales
de droit privé, ainsi que dans le sous-sol et espaces subaquatiques des eaux intérieures et des eaux
territoriales maritimes nationales, légués par les générations passées, de la préhistoire à nos jours et
représentant un intérêt pour la civilisation nationale ou universelle.
-
Le patrimoine naturel national s’étend à tout site ou monument, généré par la nature, ou zone ou
formation naturelle ainsi que toute composante de la nature et du paysage qui revet un caractère
exceptionnel.
-
Le patrimoine mixte s’entend du patrimoine culturel et patrimoine naturel dans leur interdépendance.
D’ailleurs, dans les articles suivants, la définition est précisée par type de patrimoine (immobilier, mobilier,
subaquatique, immatériel…). Il est à noter que dans cette définition sont inclus de manière spécifiques des
éléments du patrimoine récent comme les « sites industriels, les friches, les mines, les usines (…) les villes
nouvelles présentant un intérêt architectural et historique (…) les constructions militaires (…).
Concernant le patrimoine mobilier, ce projet de loi se veut assez précis en citant non seulement les
trouvailles archéologiques, les manuscrits et les objets d’antiquités, mais également les photographies, les
films, les supports électroniques ainsi que toute production matérielle de la culture nationale.
L’autre élément saillant de ce projet de loi concerne les mécanismes qu’elle se propose de mettre en place
pour la protection du patrimoine national. Ainsi, il est prévu la création d’une : « commission nationale du
patrimoine culturel et mixte » dont la mission est « consultative ». Cette commission doit « émettre un avis
et présenter des propositions de protection et de classement du patrimoine ». La commission est
également appelée à « donner un avis sur les programmes et les projets relatifs à la protection, la
conservation, la réhabilitation et la mise en valeur du patrimoine ainsi que sur les demandes d’autorisation
de recherche et de fouilles archéologiques, dont celles effectuées à titre préventif ». Cependant le projet de
loi ne précise pas la composition de la commission, son rapport avec le ministère de la culture, ni son
pouvoir réel et sa marge de manœuvre.
L’autre apport important de ce projet de loi concerne l’instauration d’une « police du patrimoine national
culturel et mixte» dont la mission est de « constater les infractions » dans le domaine.
Dans ce projet de loi, les régimes de protection ont également été modifiés. Ce qui constitue sans doute
l’évolution la plus notable par rapport à la loi 22-80. En effet, cette loi instaure trois régimes de protection
distincts :
-
L’enregistrement sur la liste indicative. Cette liste est un « procédé technique et administratif ayant pour
objectif la sélection des biens sur la base d’une connaissance scientifique et technique établissant sa valeur
patrimoniale requérant sa protection ». Cette liste serait mise à jour tous les deux ans.
-
L’inscription au registre national de l’inventaire. Ce registre, tenu par le ministère de la culture, est
composé des inventaires nationaux du patrimoine immobilier, mobilier, immatériel et mixte. L’inscription
d’un bien dans le registre de l’inventaire permet l’application des effets du classement pendant une durée
de cinq années. Si au terme de ce délai le bien n’est pas classé, la protection cesse.
-
Le classement. Prononcé par décret après enquête et avis de la commission nationale du patrimoine. Ce
décret établit également un certain nombre de servitudes et zones de protection. Le classement donne
également lieu, selon le projet de loi, à l’apposition d’une plaque.
Il est également précisé que les « ensembles historiques et traditionnels et les paysages culturels peuvent
être érigés (…) en secteurs sauvegardés qui donneront lieu à l’élaboration d’un plan de gestion et de mise
en valeur ». Cet élément est un des apports essentiels de ce projet de loi par rapport à la loi en vigueur
actuellement. En effet, ce projet précise la possibilité de considération « d’ensembles historiques et
traditionnels » et « des paysages culturels » permettant la mise en place de « secteurs sauvegardés » et
l’élaboration d’un « plan de gestion et de mise en valeur » dans un délai de cinq ans.
Enfin, ce projet de loi prévoit un certain nombre d’encouragements fiscaux pour toute intervention, que ce
soit du secteur privé ou du secteur public, visant la préservation ou la restauration d’un bien patrimonial.
Dans un contexte économique tendu, il serait intéressant de suivre si ces possibilités seront maintenues
dans la version finale de la loi.
Projet de loi relatif aux trésors humains vivants :
Ce projet de loi est le premier du genre à s’intéresser de manière aussi large aux producteurs du
patrimoine. Un certain nombre de dispositions concernant l’organisation de la profession d’artisans
notamment a déjà apporté quelques réponses à la situation particulière des métiers traditionnels.
Seulement, le fait que ce projet fasse partie d’un corpus plus large concernant le patrimoine, et porté par le
ministère de la culture, est une première. Ainsi, dans son article 3, le projet de loi défini les « trésors
humains vivants » comme « des personnes reconnues pour leur possession, à très haut niveau, de
connaissances et de savoirs, de compétences et de savoir-faire, relevant du patrimoine culturel
immatériel ».
Cette attribution sera établie par une « commission nationale du système des trésors vivants ». Ce qui
donne lieu à des mesures réglementaires et financières pour promouvoir la promotion des trésors humains
vivants.
Intervenants
Les administrations
Aujourd’hui, plusieurs institutions publiques et privées participent à la protection du patrimoine culturel ;
pourtant, c’est au ministère de la Culture qu’est confiée cette mission qu’il assure par le biais de la
Direction du patrimoine culturel. Par contre, ce sont les agences urbaines qui jouent un rôle important dans
la reconnaissance du patrimoine récent en commençant à s’y intéresser.
1. Le ministère de la Culture
Au moment de la création de la Direction du patrimoine culturel, en 1985, deux divisions la constituait :
celle des Monuments historiques et des sites et celle de l’Archéologie. En 1988, une troisième division lui
fut rattachée, celle de l’Inventaire du patrimoine culturel.
En 1994, le renforcement et la réorganisation de la Direction du patrimoine culturel se traduisent par la
création d’une nouvelle division et une répartition des tâches plus efficace.
Désormais, la Direction du patrimoine culturel a pour mission « de protéger, de conserver, de restaurer,
d’entretenir et de faire connaître le patrimoine architectural, archéologique et ethnographique […] ainsi que
les différentes richesses artistiques nationales »38. Elle est organisée à l’échelle nationale et, en fonction de
ces principaux champs d’intervention, en quatre divisions qui englobent chacune des services administratifs
et de gestion. À l’échelle régionale, elle s’appuie sur des structures techniques spécialisées comme les
centres d’études et de recherche, les inspections des Monuments historiques, les conservations des sites et
les musées.
a) Les services centraux
Les services centraux de la Direction du patrimoine culturel sont composés de quatre divisions dont il
est intéressant de rappeler ici les domaines de compétences.
• Le rôle de la Division de la gestion des Monuments historiques et des sites consiste à coordonner
l’action des inspections et des conservations tant au niveau des programmes annuels de restauration et de
38
Article 6, décret 2-94-222 du 13 hija 1414 (24 mai 1994) fixant les attributions et l’organisation du ministère des Affaires
culturelles ; Bulletin officiel n° 4277 du 19 octobre 1994, p. 521.
préservation qu’au niveau de la réhabilitation et du classement des monuments et des sites. Outre un
service de gestion administrative et de répartition du budget entre les inspections et les conservations,
cette division est dotée d’un Service chargé de la mise en valeur, de la réhabilitation et du classement des
Monuments historiques. Il est compétent pour les problèmes techniques intéressant les monuments et les
sites sous protection. Au niveau de la réhabilitation, cette division contrôle les travaux de restauration et
propose une utilisation fonctionnelle des monuments (galeries, musées...) et, au niveau de la mise en
valeur, elle veille sur les travaux d’aménagement et donne les autorisations nécessaires aux manifestations
culturelles et aux tournages de films dans les Monuments historiques. Elle reçoit aussi les demandes de
classement et d’inscription et finalise les dossiers avant de les présenter aux autres instances de
l’administration pour conduire les procédures (commission tripartite, avis conforme, etc.).
• La Division des études et des interventions techniques est le pivot de la politique opérationnelle de
l’action de la Direction du patrimoine en matière de restauration et de préservation des monuments et des
sites. Elle est chargée de mener les études techniques et d’assurer le suivi des travaux concernant les
projets d’envergure inscrits au programme annuel de sauvegarde. Elle est dotée d’un Service de la
documentation scientifique et technique qui centralise et classe méthodiquement les renseignements
fournis par les autres services, et qui, par l’accumulation des éléments qu’il détient et analyse, constitue
une banque de données techniques à la disposition des autres services, ainsi qu’aux chercheurs. D’autre
part, le Service des études et des interventions est une structure qualifiée et spécialisée qui procède à
l’élaboration des études et des dossiers de restauration et de préservation, ainsi qu’à la programmation des
interventions matérielles sur les monuments et les sites.
• La Division de l’inventaire général du patrimoine, qui a été créée avec le concours du PNUD39, s’occupe
de recenser, d’étudier et de faire connaître les richesses du patrimoine national mobilier, immobilier et
immatériel. Son principal objet consiste, par le biais du Service de l’inventaire général et des enquêtes, à
inventorier les biens culturels mobiliers et immobiliers, matériels et immatériels qui font partie du
patrimoine artistique, ethnographique et culturel et en particulier, de tenir trois fichiers centraux :
monuments et sites, musées et collections, arts nationaux. Aussi le service doit-il réaliser un recensement
méthodique sectoriel et régional des richesses du patrimoine monumental et naturel afin de permettre aux
personnes et services concernés d’appliquer les mesures de conservation, de restauration et de mise en
valeur indispensables. À ce jour, cette division a établi trois fichiers d’inventaire dont le plus important est
celui du patrimoine immobilier qui regroupe près de 15 000 monuments et sites dans toutes les régions
marocaines. Le pendant de l’inventaire se trouve dans la diffusion, et c’est l’objectif du Service de la
promotion et des publications, qui base ses actions sur quatre domaines :
— la sensibilisation du public à l’importance du patrimoine culturel national, son insertion dans la
société contemporaine marocaine et tout moyen permettant la vulgarisation de l’information ;
— la publication de monographies, de guides, d’études, d’analyses, de bibliographies etc. concernant le
patrimoine culturel ;
— la promotion de la recherche dans le domaine du patrimoine en offrant une documentation et des
moyens aux chercheurs et aux étudiants intéressés ;
— le développement des relations d’échange culturel avec les organismes similaires nationaux et
étrangers.
Enfin, le Service des us et coutumes qui a été créé à la suite du constat selon lequel une grande partie de
la culture marocaine, qui est d’origine orale ou gestuelle et qui demeure encore vivante dans les contes, la
poésie, la transmission des savoirs artistiques, vestimentaires, culinaires, etc., doit être préservée. Ces
traditions méconnues, voire mésestimées, et qui sont en passe d’être écrasées par la modernisation,
doivent être conservées. L’étude, la collecte, l’inventaire, l’enregistrement et enfin la valorisation de ces
traditions sont nécessaires pour mieux les exploiter et les protéger contre les influences actuelles qui les
menacent de déformation, sinon de disparition. La création du Service des us et coutumes est bien entendu
à lier avec l’importance que prend, sur la scène internationale, la notion de patrimoine immatériel.
• La Division des musées assure, quant à elle, la gestion et la coordination des activités des musées
relevant du ministère de la Culture. Elle veille à sauvegarder et faire connaître le patrimoine mobilier et
artistique du Maroc par le biais du Service de fonctionnement et des acquisitions des collections qui est
chargé de la gestion financière et administrative des musées et galeries d’art. Elle prépare le budget annuel,
en fonction des besoins en équipements techniques nécessaires aux activités de restauration et
conservation des objets, ainsi qu’aux études et publications. Elle s’occupe également du personnel exerçant
dans les musées : conservateurs, chercheurs, gardiens, etc. Elle supervise les différentes opérations
39
PNUD : Programme des Nations-Unies pour le développement.
d’acquisition des collections. De plus, elle veille à l’application de la loi sur l’exploitation des objets d’art et
des antiquités dont elle contrôle l’exportation. Enfin, elle entreprend toute action de nature à assurer le
bon fonctionnement des musées et le bon déroulement des expositions temporaires ou permanentes qui y
sont organisées. De son côté, le Service des études et de la préservation des collections a pour mission de
programmer les études sur les collections nationales, de participer — en coordination avec les chercheurs
et les conservateurs — à la réalisation de travaux de recherche sur les collections nationales ainsi que sur
les objets d’art découverts dans les fouilles archéologiques. Il entreprend aussi toute étude de recherche
pour la mise en valeur des collections nationales et en facilite l’accès au public. Enfin, il veille à la
conservation et la préservation des objets d’art et des collections nationales en particulier.
b) Les services régionaux
En parallèle avec les services centraux, la Direction du patrimoine culturel assure son action au plan
régional et local par l’intermédiaire de services extérieurs spécialisés qui mènent à la fois des actions
administratives et des actions de terrain visant à la collecte d’informations, d’études techniques et
d’interventions de sauvegarde.
• Les Inspections des Monuments historiques : la première Inspection a été créée en 1935. Elle couvrait
alors la ville de Rabat et la région du Centre. Aujourd’hui, neuf Inspections, concentrées dans les principales
villes, couvrent près de la moitié du territoire : Casablanca, Fès, Marrakech, Meknès, Rabat, Safi, Tanger,
Taroudant et Tétouan. Chaque Inspection a pour principale tâche de procéder à des travaux de restauration
et d’entretien sur les Monuments historiques, d’assurer la surveillance des immeubles classés, mais aussi
de contrôler et de veiller à la conservation des médinas protégées.
• La Direction de contrôle et de surveillance : dans les zones protégées (médinas protégées ou
périmètres de protection d’un immeuble classé), aucune autorisation de bâtir ou de modifier une
construction ne peut être délivrée sans l’approbation de l’Inspection des monuments et des sites. Celle-ci
doit suivre de près ces travaux par des contrôles continus pour faire respecter les prescriptions
architecturales de l’autorisation de construire (contrôle a posteriori). Sa mission de surveillance s’applique
également aux sites et monuments classés dont elle doit suivre l’évolution : dégradations, modifications,
constructions clandestines etc. L’inspecteur doit également assister aux réunions concernant le classement
ou l’inscription de nouveaux monuments ou sites. Il donne aussi son avis sur les programmes
d’urbanisation ou plans d’aménagement incluant des monuments ou des sites classés ou inscrits. Bref, il
prend part à toutes les commissions dont l’objet se situe sur un territoire comprenant un immeuble ou une
zone protégés.
• L’action de conservation et restauration : l’Inspection doit établir, avant la discussion du budget
annuel, le programme des restaurations au titre de l’année à venir. Ce programme doit être basé sur les
travaux en cours mais aussi sur de nouveaux projets. Cependant, en cas de nécessité, des travaux de
consolidation et de réhabilitation d’urgence peuvent être entrepris sur le champ. Ces dernières années, les
travaux de restauration des monuments sont réalisés par les entreprises extérieures dans le cadre d’appels
d’offres publics. Ce qui pose le débat de la classification des entreprises pour leur permettre de participer à
ces appels d’offres « patrimoine », classification n’existant pas actuellement.
• Les musées : quinze musées constituent actuellement la chaîne des musées confiés au ministère de la
Culture : trois musées archéologiques, neuf musées ethnographiques et trois musées spécialisés. Ils sont
localisés dans les grandes villes et la plupart d’entre eux, créés entre 1920 et 1930, sont installés dans des
Monuments historiques. Les plus représentatifs de la période des XIXe et XXe siècles, par leur architecture
ou par leur organisation sont les suivants : le musée des Oudaïa à Rabat, le musée archéologique à Rabat, le
musée Dar Batha à Fès, le musée Dar Jamaï à Meknès, le musée de la Kasbah à Tanger, le musée Dar Si Saïd
à Marrakech, le musée d’art contemporain à Tanger et le musée Sidi Mohammed Ben Abdellah à Essaouira.
Des modifications devraient être apportées à la gestion des musées avec la création récente de la
« Fondation des Musées », indépendante, dont le président a été nommé directement par le Roi. Il est
encore tôt pour pouvoir se prononcer sur l’évolution de la question de la gestion des musées au Maroc.
• Les conservations des sites : la Direction du patrimoine gère et administre directement les sites
archéologiques classés de Volubilis (région de Meknès), de Lixus (région de Larache), du Chellah (Rabat) et
le parc archéologique de Casablanca.
•
Les directions régionales de la culture : cette déconcentration a permis d’avoir une gestion administrative
plus locale, mais sans changer radicalement le rapport au patrimoine par le ministère de tutelle. Cette
gestion étant essentiellement concentrée entre les mains de la direction du patrimoine culturel au niveau
central, et entre les mains des inspecteurs des monuments historiques et des sites au niveau local.
• Les centres régionaux spécialisés : la diversité et la complexité du patrimoine national ont conduit à la
mise en place de structures spécialisées et orientées vers la prise en charge d’une composante spécifique
du patrimoine. Quatre centres spécialisés furent créés : le Centre de conservation et de réhabilitation du
patrimoine architectural des zones atlasiques et subatlasiques (CERKAS), le Centre des études et des
recherches alaouites, le Parc national du patrimoine rupestre et le Centre d’études et de recherches du
patrimoine maroco-lusitanien. Détaillons à titre d’exemple ce dernier :
La présence de la civilisation arabo-berbère au Portugal au Moyen-Âge a laissé un nombre important de
vestiges ; à l’inverse, la présence lusitanienne sur plusieurs points de la côte atlantique est soulignée par
plusieurs témoins historiques et culturels. Le Maroc et le Portugal ont exprimé la nécessité de conserver,
réhabiliter et mettre en valeur ce patrimoine commun par la création du Centre du patrimoine marocolusitanien en 199440, à El Jadida (l’ancienne Mazagão portugaise, nommée Mazagan sous le protectorat
français). Le centre s’est fixé les objectifs suivants :
— établir un inventaire des monuments et sites archéologiques portugais au Maroc et des sites araboberbères au Portugal, ainsi que définir les diverses typologies architecturales portugaises et postportugaises du littoral marocain et celles de l’architecture arabo-berbère au Portugal ;
— contribuer à l’élaboration de projets de fouilles, de restauration, de conservation et de mise en valeur ;
— faire la collecte des arts et traditions populaires marocains et portugais respectivement imprégnés
d’influences portugaise et arabo-berbère tels les langues, les arts féminins, les techniques architecturales…
2. Les organes du ministère de l’Habitat
a) Au niveau national
À côté du ministère de la Culture, le ministère de l’Habitat joue un rôle technique important dans le
domaine de la protection du patrimoine puisqu’il est chargé de l’élaboration et du respect des documents
d’urbanisme qu’il contribue à mettre en place. Plus haut on a pu remarquer que les dispositions prises dans
les plans d’aménagement peuvent modifier les servitudes et ils sont prioritaires par rapport aux normes de
protection.
La Direction de l’urbanisme, située à Rabat, est l’organe technique du ministère pour tout ce qui concerne
l’urbanisme. Elle intervient comme maître d’ouvrage pour certains documents d’urbanisme importants,
veille à la conformité des grands projets d’aménagement avec les textes et les documents d’urbanisme en
vigueur et fournit des conseils lors de l’élaboration de nouvelles lois. Cette Direction joue aussi un rôle
d’arbitrage lors de toute procédure de dérogation au règlement d’urbanisme.
La Direction de l’architecture, située elle aussi à Rabat, aux prérogatives imprécises, intervient comme
maître d’ouvrage pour des études architecturales préalables à l’élaboration de documents d’urbanisme
pour certaines zones et intervient dans les concours d’architecture ou dans la réalisation des grands
projets.
Par ailleurs, un poste de Directeur général de l’architecture et de l’urbanisme vient d’être (re)créé ; il coiffe,
entre autres, ces deux Directions. Notons que ce poste a existé jusqu’à la deuxième moitié des années 1990
mais a été laissé vacant durant quelques années.
Les Directions internes du ministère de l’Habitat comme la Direction juridique, la Direction technique ou la
Direction de l’habitat social, sont confrontées aux questions de protection à des titres divers de par leurs
missions respectives. Elles consultent le ministère de la Culture lorsque le cas se présente.
b) Au niveau régional
Au niveau régional, les Agences urbaines41 interviennent dans l’instruction des dossiers de permis de
construire et dans la réalisation des documents d’urbanisme. Ces documents peuvent être réalisés soit en
40
Arrêté du 30 janvier 1995 portant création du Centre d’études et de recherches du patrimoine maroco-lusitanien, qui
avait pourtant été inauguré le 13 juillet 1994.
41
Toutes les agences urbaines relèvent du ministère de l’Habitat sauf celle de Casablanca, la première créée en 1984, et
qui dépend du ministère de l’Intérieur. Ces institutions ont un rôle de plus en plus central dans le processus de production
et de gestion de la ville. Elles se composent d’au moins deux départements : un département des études et un
département de la gestion. Le premier gère la production des documents d’urbanisme et les complète ou les précise
quand c’est nécessaire. Le département de la gestion se charge de l’instruction des permis de construire et des
demandes de dérogation. Cette tache ne relève pas de la seule Agence urbaine puisque la préfecture et la municipalité y
participent aussi mais, en général, l’avis de l’Agence urbaine est prépondérant. Leur poids est important car elles sont
considérées comme l’organe déconcentré du ministère et, en même temps, le conseiller technique des collectivités
interne pour des petites localités, soit en externe par un cabinet privé. Dans ce cas, les Agences urbaines
sont soit maîtres d’ouvrage, soit conseillers techniques pour la collectivité territoriale maître d’ouvrage.
Certaines Agences urbaines se mobilisent sur les questions du patrimoine moderne. Ainsi, celle de Kenitra a
établi un inventaire des édifices remarquables qui se situent sur son territoire, alors que celle de Tanger a
établi plusieurs dossiers de demande de classement de bâtiments intéressants, parmi lesquels se trouvent
des immeubles modernes.
Les Délégations du ministère de l’Habitat dans les différentes régions sont chargées de coordonner au
niveau local les actions du ministère de l’Habitat. Elles peuvent ainsi être parfois appelées à participer aux
discussions, rencontres ou commissions au sujet du patrimoine.
3. Administration de la fondation des Habous :
La fondation des Habous, fondation destinée à gérer les biens de main morte au bénéfice de la
communauté, est une institution historique, placée sous la tutelle du ministère des habous et des affaires
islamiques. Relativement indépendante, elle dispose d’un patrimoine immobilier et foncier considérable
accumulé durant des siècles. Ce patrimoine est essentiellement situés dans des tissus historiques de
médina (mosquées, commerces, foundouks, hammams, écoles…). Cette institution est également dotée
d’une puissance financière importante, ce qui en fait un acteur importante dans la gestion et la
réhabilitation du patrimoine bâti, même si ceci concerne rarement le patrimoine moderne.
L’Ordre national des architectes
La loi 16-89 instituant l’Ordre national des architectes et réglementant le titre et la profession
d’architecte42, ainsi que celle du 17 décembre 1976 relative à l’Ordre des architectes43, présentent les
grandes lignes au sujet de la profession, et ce autour de deux points essentiels :
— la définition d’« architecte » et des missions qui lui sont dévolues (en vertu des dispositions de la loi
12-90 relative à l’urbanisme et celle de la loi 25-90 relative aux lotissements, groupes d’habitations et
morcellements) ;
— l’organisation et l’exercice de la profession d’architecte : c’est justement dans ce cadre que la loi a
institué un Ordre national des architectes avec des missions plus étendues et une nouvelle composition
comportant des instances régionalisées.
Selon cette loi, les nouvelles missions de l’Ordre (hormis celles classiques : discipline, déontologie, défense
des intérêts moraux et matériels de ses membres) consistent essentiellement à prendre part d’une manière
plus active à la promotion de l’architecture et notamment à la mise en valeur du patrimoine national.
D’autre part, les structures de l’Ordre, qui existe depuis les années 194044, ont été réorganisées et elles
comportent :
— un Conseil national (à Rabat) : ses attributions générales concernent principalement la coordination
des actions des conseils régionaux, l’élaboration de tous les règlements intérieurs nécessaires à son bon
fonctionnement et le respect des lois et règlements régissant la profession, ainsi que sa représentation
devant l’administration ;
— un Conseil régional par région économique (7) : ce Conseil est créé une fois le nombre total
d’architectes exerçant dans la région égal ou supérieur à 50.
Les attributions du Conseil régional se limitent à son ressort territorial. Elles sont nombreuses et
diversifiées et vont du maintien de la discipline et de l’exécution des lois et règlements qui régissent la
profession jusqu’à la perception des cotisations des membres du Conseil régional, en passant par
l’application des décisions du Conseil national et la gestion des biens qui lui sont affectés par celui-ci. Tous
les architectes sont inscrits de droit au tableau (ils étaient 2 500 en 2002), l’Ordre national devant
obligatoirement tous les regrouper, quel que soit le mode d’exercice professionnel choisi.
locales. Vu le nombre important de « techniciens » dans les agences urbaines du pays (architectes, ingénieurs…), cette
institution est très présente au niveau local dans toutes les Commissions dont l’objet touche à l’urbain.
42
Dahir 1-92-122 du 22 rebia II 1414 (10 septembre 1993) portant promulgation de la loi 016-89 relative à l’exercice de la
profession d’architecte et à l’institution de l’Ordre national des architectes. Bulletin officiel n° 4225 du 20 octobre 1993, p.
560.
43
Dahir portant loi 1-75-452 du 25 hija 1396 (17 décembre 1976) relatif à l’Ordre des architectes.
44
Dahir du 6 joumada II 1360 (1er juillet 1941) portant création d’un Ordre des architectes et réglementant le titre et la
profession d’architecte.
Les associations et les individus, la société civile
Au Maroc, on peut remarquer une société civile dynamique, qui s’est développée dans plusieurs domaines,
et en particulier dans celui de la protection de patrimoine bâti du XXe siècle. En effet, c’est l’activisme de
l’association entre professionnels et individus qui a permis une première prise de conscience — qui peut
être jugée tardive —, mais qui n’en est pas moins réelle. Si des démolitions tragiques d’édifices importants
dans les années 1980 pouvaient se faire en toute impunité45, c’est en l’absence d’une mobilisation
culturelle car, à cette époque, l’architecture du XXe siècle n’était pas encore considérée comme
appartenant au patrimoine du Maroc.
La donne était tout autre dans les années 1990. Une relative ouverture politique et une nouvelle
conscience de la valeur de cet héritage au sein de certains groupes « pionniers » ont créé le contexte
favorable à l’émergence de mouvements de protection.
La démolition de la Villa El Mokri46 à Casablanca est venue créer l’onde de choc nécessaire à la
cristallisation de la mobilisation. Ainsi, si la démolition n’a pas pu être empêchée, elle a permis la création
de l’association « Casamémoire » (Association pour la sauvegarde du patrimoine architectural de
Casablanca), association qui a réussi à évoluer rapidement pour acquérir une renommée publique. Depuis,
cette association se mobilise dès qu’un bâtiment est menacé pour le sauver, avec plus ou moins de succès.
Mais, en tout cas, elle a clairement permis une prise en compte importante de cet héritage et une large
sensibilisation autour des questions de sauvegarde.
L’autre moment important fut l’exposition « Casablanca mémoire d’architectures » organisée par M.Eleb et
JL.Cohen à la Villa des Arts dont nous avons fait mention plus haut. Par ailleurs, en février 2005,
Casamémoire, — en coopération avec le projet « Patrimoines partagés » — a organisé une « Journée
méditerranéenne du patrimoine récent »47 au cours de laquelle ont comparées des expériences différentes.
La tenue de cette Journée a permis une ouverture vers la ville et les medias et de situer les enjeux de la
protection du patrimoine récent dans le champ méditerranéen.
De son coté, le comité marocain de l’ICOMOS, créé en 1997, œuvre par l’intermédiaire de rencontres ou de
visites, à faire connaître le patrimoine bâti de manière générale et pas celui le récent.
Le ministère de la Culture a eu, jusqu’à récemment, une attitude plutôt passive face à l’intérêt montant
envers l’architecture des XIXe et XXe siècles. L’intérêt du secteur public pour ce type de patrimoine est
plutôt l’affaire des Agences urbaines. C’est le cas, par exemple, de celle Kenitra ou de Rabat qui ont réalisé
des inventaires des bâtiments récents notables de leurs territoires respectifs. À Tanger, la mobilisation
conjointe de l’association Al-Boughaz et de l’Agence urbaine a permis, là aussi, de sensibiliser la population
et les institutions publiques et d’enclencher des procédures de classement. À Larache, par contre, où sont
localisés de nombreux témoignages d’architecture datant du Protectorat espagnol, rien n’est fait en-dehors
de la réhabilitation du Marché central en partenariat avec la coopération espagnole ou celle de la
Commandancia par le ministère de la culture. Enfin, à Tétouan, des travaux de réhabilitation des façades du
centre-ville, du marché, de l’institut Cervantes… etc. sont à l’œuvre, mais ils procèdent plus d’une logique
de mise en scène patrimoniale que d’une prise en compte réelle pour ce patrimoine car ce n’est pas
accompagné de procédures de protection juridique.
Au même moment, le marché central de Guéliz à Marrakech datant des années 20 vient d’être démoli, sans
que ceci ne fasse vraiment de bruit, pour laisser la place à un immeuble de 6 niveaux, confirmant ainsi cette
inégalité entre les villes, toute la « charge patrimoniale » étant absorbée par la médina de Marrakech.
Il est important de noter par contre une mobilisation récente au niveau régional de plusieurs jeunes
associations qui se sont emparés de ce sujet et qui se mobilisent, malgré leurs faibles moyens, pour la
préservation du patrimoine. On peut citer à titre d’exemple l’association « Tingitania » à Tanger,
l’association « Maison de l’architecture » à Tétouan ou encore « l’association pour la promotion de
l’architecture et la ville » à Meknès. D’autres villes ont également, dans le sillage de Casamemoire et en
demandant son accompagné, commencer à organiser depuis deux ans les journées du patrimoine en avril
et l’université du patrimoine (cycle de conférences mensuelles). Ces villes sont El Jadida, Tétouan, Safi,
Agadir, Khouribga…
45
Les arènes, le cinéma Vox, le Théâtre municipal, la piscine municipale à Casablanca à titre d’exemple.
Villa réalisée par Marius Boyer et Jean Balois en 1928 et démolie en 1994.
47
Journée du patrimoine récent : Melilla, Alger, Alexandrie, Beyrouth, Casablanca organisée le 26 février 2005 par
Casamémoire à La Coupole (Parc de la Ligue arabe).
46
La réalité de la protection des édifices des XIXe et XXe siècles
D’une manière générale, seul un nombre très limité des bâtiments de la période coloniale était protégé.
Cela procédait d’une non-prise en compte de cet héritage. Cependant, une accélération de la protection est
à signaler. En effet, sur plus de soixante dix édifices datant des XIXe et XXe siècles inscrits ou classés
maintenant, seuls quatre l’étaient déjà en 2000. L’autre particularité est que plus de soixante bâtiments
inscrits le sont pour la seule ville de Casablanca, ce qui est à lier avec l’activisme de cette ville durant ces
dernières années sur la question du patrimoine. Par ailleurs, aucun des bâtiments classés ne se trouve à
Casablanca alors que quasiment tous les bâtiments protégés dans les autres villes le sont par classement.
Ceci vient à notre avis de plusieurs raisons : Tout d’abord, à Casablanca, les personnes impliquées dans la
protection du patrimoine confondent par méconnaissance l’inscription et le classement alors que dans les
autres villes, les démarches ayant plus impliqués les autorités, la connaissance des textes de loi est
meilleure. Deuxième raison essentielle, la procédure d’inscription, de part sa rapidité, permet d’obtenir
rapidement des résultats sans pour autant trop contrarier le développement de la ville. Troisième raison,
Casablanca est au yeux de plus en plus de monde, la « ville art déco » par excellence, a tort ou à raison, ce
qui permet aux dossiers de demande d’inscription d’aller plus vite sans avoir à convaincre.
Dans la réalité, la législation marocaine sur la protection légale du patrimoine culturel bâti, dès le départ, a
adopté un système de protection permettant la conservation d’un édifice sans prendre en considération
l’époque de sa construction ou l’origine de son fondateur ; il suffit que l’édifice ait été construit sur le
territoire national. C’est ainsi que les sites préhistoriques, phéniciens, carthaginois et, plus près de nous, les
monuments lusitaniens ou espagnols ont pu être préservés. Malgré cela, on peut supposer que les édifices
construits lors de la période coloniale sont victimes d’un blocage au niveau des mentalités et du regard
porté sur eux du fait de la domination qui les a vu naître. Il n’est donc pas étonnant que l’essentiel des
édifices inscrits ou classés l’on été après l’an 2000, soit plus de 40 ans après l’indépendance.
Les édifices des XIXe et XXe siècles classés sont disséminés dans tout le pays et très diversifiés. Il s’agit
notamment d’un pont48 situé sur l’oued N’ja entre Meknès et Fès et qui a été classé dès 1924, d’une École à
Azrou, d’un jardin à Sidi Bouknadel. À Rabat, deux édifices sont classés, une école et un cinéma. D’autres le
sont à Tanger et à Kenitra49.
Par contre, la quasi totalité des bâtiments des XIXe et XXe siècles inscrits sur la liste du patrimoine national
sont situés à Casablanca. Le premier fut l’immeuble Bessonneau dit « Hôtel Lincoln » dont les façades ont
été inscrites en 2000 après plusieurs années de luttes entre la ville, les associations qui oeuvrait pour la
préservation du bâtiment et le propriétaires qui en souhaitait la démolition. Actuellement, une procédure
d’expropriation est en cours et des travaux devront être entrepris bientôt pour consolider cet édifice en
piteux état (fig 2).
Une curiosité de la prise en charge du patrimoine récent au Maroc réside dans le fait que tous les
bâtiments inscrits ou classés patrimoine au Maroc sont dans l’ex zone de protectorat français ou à Tanger
ancienne ville au statut international. Aucun témoignage historique de la période de protectorat espagnole
au Nord ou au Sud du Maroc n’est concerné par la protection.
Par ailleurs, même si en général l’inscription ou le classement suffisent à protéger le bien, il est à noter la
multiplication des actions en justice de propriétaires pour contrer les procédures de protection. Dans
certains cas ça abouti comme c’est le cas pour l’immeuble Piot Templier qui a été démoli en 2012, suite à
une décision de justice, alors que son inscription était déjà publiée au bulletin officiel.
La protection par l’action
En dehors de la protection législative, il existe d’autres moyens de conserver un édifice du XIXe ou du XXe
siècle au Maroc, comme la conservation par l’action, publique ou privée.
• Les actions de protection conscientes
Des bâtiments de la période récente sont conservés par l’action publique, qui prend l’initiative de s’installer
dans un environnement « Art déco ». L’exemple des Délégations de la culture ou des Monuments
historiques de Larache, d’Essaouira et de Marrakech — qui se sont toutes installées dans des bâtiments des
48
Ce pont a été construit vers 1870 par un ancien officier français, M. de Saulty, qui fut au service de Sidi Mohammed
Ben Abderrahmane et traça la route de Fès à Meknès ; Bulletin officiel n° 622 du 23 septembre 1924, p. 1486.
49
Liste complète des bâtiments XIX° et XX° siècles inscrits ou classés en annexe.
XIXe et XXe siècles — en témoigne. Ce type d’installation permet de réaliser des interventions ponctuelles
de sauvegarde, par l’entretien régulier. Mais ce phénomène n’est pas systématique.
D’autres actions publiques sont réalisées par des « groupements d’intérêt ». L’opération d’entretien
concerté des façades du centre-ville de Tétouan menée par la municipalité, la Junta de Andalucia et
l’Inspection des Monuments historiques sont aussi des témoignages qui démontrent, sinon la volonté de
conserver, du moins d’embellir le paysage urbain des quartiers originaires des XIXe et XXe siècles.
• Les actions commerciales conscientes
Un cas de protection par l’action est mis en œuvre lorsque des commerces décident de s’installer dans un
édifice ou bâtiment des XIXe et XXe siècles et de communiquer sur cette qualité. Deux exemples récents
rendent compte de ce phénomène : d’un côté, la chaîne de boulangeries-pâtisseries Paul qui joue la carte
des années 1950 en s’installant dans la Villa Zevaco (Villa Suissa de l’architecte Jean François Zevaco),
considérablement réaménagée ; d’un autre côté, l’installation d’un bar espagnol, La Bodega, localisé dans
l’immeuble de La Bavaroise, autre signe de l’intérêt pour ce type d’architecture. Citons également dans un
autre registre le cas de l’immeuble Assayag à Casablanca, inscrit en 2003. Le propriétaire, face à la
notoriété de cet immeuble et à la demande croissante d’architectes ou d’artistes voulant y résider, a ajouté
le caractère patrimonial parmi les critères commerciaux et a augmenté le prix par la même occasion.
La « protection par défaut »
La présence active au Maroc d’architectes de renom, comme Henri Prost ou Michel Écochard, ou encore
Auguste Perret et Georges Candilis, a donné une grande qualité architecturale aux villes nouvelles réalisées
à partir de 1920-1930 et jusqu’au années 60.
La production de cette période, qui compte de nombreux bâtiments administratifs, s’est matérialisée aussi
par la construction d’équipements, comme des cinémas et des parcs, mais aussi par des villas, produites en
grand nombre.
Aujourd’hui, on constate que le parc immobilier hérité du Protectorat constitue un ensemble d’immeubles
et de villas dont la valeur est indéniable, aussi bien dans sa dimension architecturale que dans sa dimension
urbaine, qui découle de sa concentration dans l’espace. L’usage des outils de protection, comme
l’inscription et le classement sur les listes des Monuments historiques, n’est pas encore une pratique
courante. Pourtant, une grande partie de ces édifices bénéficie d’une sorte de « protection par défaut » :
l’occupation — que se soit par des entreprises privées, des administrations ou bien par des résidents —,
mais aussi les règlements d’urbanisme, peuvent avoir des effets positifs sur leur sauvegarde.
Un certain nombre d’institutions (pour la plupart des administrations publiques, mais aussi des banques et
autres activités économiques) utilisent des bâtiments qui sont en train d’acquérir le statut de patrimoine
récent ; la valeur d’usage de ces édifices est exploitable et contribue au maintien de ces bâtiments,
normalement entretenus pas leurs occupants. Le processus de patrimonialisation en cours, et la prise de
conscience de la valeur culturelle et mémorielle de cette architecture, permettent d’intégrer la composante
culturelle dans les mutations naturelles des activités des institutions. C’est par exemple le cas des agences
bancaires, des bureaux de poste, des perceptions… toutes ces nouvelles fonctions venus avec le protectorat
et qui continuent à exister en général dans les mêmes espaces, les préservant par la même occasion, voire
surfant la vague « patrimoine » en communiquant dessus comme c’est le cas pour une grande banque de la
place.
Un autre cas de figure qui s’applique à l’héritage récent est celui des immeubles de cette période qui sont
en mauvais état mais qui ne sont pas démolis car ils abritent une population nombreuse (classe moyenne
paupérisée). Dans ce cas, la « protection » dérive de leur marginalité par rapport aux intérêts fonciers et
commerciaux, à l’abri des interventions extérieures, ils ne sont pas mis sous pression par l’intérieur non
plus, car les habitants n’ont pas la capacité économique de les transformer (les démolir pour construire de
nouveaux bâtiments). Leurs techniques de construction sont solides : il s’agit d’un patrimoine en béton, en
fer et en verre, matériaux qui engendrent une durabilité dans le temps et ce malgré le manque d’entretien.
Une autre cause de « non-mutation » (donc de non-démolition de l’héritage) qui induit une sauvegarde
dérive des difficultés de gestion des héritages familiaux. La plupart de ces édifices sont en propriété
partagée entre plusieurs personnes, personnes qui appartiennent parfois à des familles différentes. Pour
pouvoir démolir un immeuble, il est nécessaire d’obtenir l’accord de tous les propriétaires et la procédure
est bloquée si, en même temps, une procédure de distribution d’héritage est en cours. Ce cas est assez
fréquent et représente une impossibilité à réaliser un investissement rentable ; par conséquent l’immeuble
« survit ».
Les règlements d’urbanisme peuvent constituer un élément de protection des bâtiments de la période
récente « par défaut ». À Casablanca, par exemple, de nombreux édifices ont été construits à R+13 alors
que la législation actuelle est à R+7 pour tout nouvel édifice construit dans certaines zones du centre-ville.
Du coup, on peut penser que les propriétaires de certains immeubles vont être incités – par défaut – à
entretenir leurs biens s’ils veulent garder la rente de location et, plus généralement, la valeur du bien qu’ils
possèdent.
Le fait de parler de bâtiments comme étant classés et/ou inscrits alors qu’il ne le sont pas (le cas du
bâtiment de l’Hôtel Lincoln dont seules les façades sont inscrites) entretient une sorte de mythe de la
protection, qui est souvent repris par les médias et permet de favoriser un changement de regard par
rapport à ces bâtiments, et donc de développer une sensibilité qui renforce l’esprit de protection. On peut
parler des listes de bâtiments qui sont établies soit par les associations (Casamémoire) ou par les acteurs
institutionnels (comme l’Agence urbaine) par exemple, ce qui alimente la vision selon laquelle de nombreux
édifices sont protégés alors que, dans la réalité, ce n’est pas le cas.
Néanmoins, de nombreux effets pervers sont aussi le fait de la médiatisation. En effet, celle-ci provoque
parfois une accélération des dégradations et de la démolition de ce type de patrimoine. La médiatisation
conduit les propriétaires à penser que des mesures conservatoires vont être prises sur leur bien et qu’il ne
sera plus possible d’agir à leur guise ensuite.
L’idée fréquemment répandue est que la protection juridique du patrimoine architectural va engendrer des
démarches qui bloquent, voir qui gênent, le développement et, surtout, l’exploitation économique du bien.
Souvent, le moyen considéré comme le meilleur pour empêcher une protection, ou bien le seul capable
d’atteindre le but, est la dégradation de l’immeuble qui peut être accélérée par des actes volontaires.
Les effets pervers de l’entrée dans le champ patrimonial de l’héritage architectural et urbain de la période
récente sont visibles et connus également dans les pays de la rive Nord de la Méditerranée ; il s’agit de
formes d’accélération de la dégradation que certains auteurs assimilent à du vandalisme.
Conclusion
Le Maroc se caractérise par deux éléments essentiels concernant la question de la protection du
patrimoine. Le premier est l’existence d’un arsenal juridique ancien et complet contrastant avec le nombre
limité de cas de protection. Le second est l’importance de la mobilisation et de l’action de la société civile
dans la prise en compte de ce patrimoine. À cela nous pouvons ajouter une prise de conscience de plus en
plus forte de l’importance de cet héritage, prise de conscience qui atteint dorénavant les autorités et pas
uniquement les professionnels.
Si la formation sur les questions du patrimoine existe, elle est essentiellement dispensée par l’Institut
national supérieur de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) mais n’est pas centrée sur le patrimoine
récent. De son côté, l’École nationale d’architecture (ENA) dispense aussi des cours sur le patrimoine, mais
comme un élément parmi d’autres dans un cursus professionnel plus large. Par contre, la création
d’antennes de l’ENA à Marrakech, Fès et Tétouan a permis d’avoir une présence locale plus importante sur
le sujet du patrimoine, avec la multiplication de travaux d’étudiants sur le sujet. C’est le cas également de
l’école d’architecture qui a été fondée à Casablanca il y a six ans.
Par ailleurs, l’autre particularité du cas marocain est le décalage important qui existe entre les villes. Ce qui
est acquis à Casablanca ne l’est pas forcement à Meknès ou Marrakech pour des bâtiments similaires,
confirmation une fois de plus que le patrimoine n’est pas une donnée intrinsèque mais se construit dans
l’imaginaire collectif et se nourrit essentiellement par la vision que les uns et les autres portent sur cet
héritage : est patrimoine ce qui est considéré comme tel. Ainsi, à Casablanca, la reconnaissance locale et
nationale semble acquise, on parle actuellement de la nécessité d’élargir la protection à l’ancienne médina
d’une part, et de demander un classement mondial (patrimoine de l’humanité) d’autre part. La donne a
également en partie changé depuis la visite royale à l’ancienne médina de Casablanca en 2010 et son
lancement du projet de réhabilitation de ce tissu historique. Ceci a permis de redonner une position
centrale à l’ancienne médina et également à lancer le processus de sa protection au titre du patrimoine.
L’arrêté d’inscription devrait être publié dans le bulletin officiel dans les mois qui viennent. Par ailleurs, ce
qui parait être une avancée de Casablanca est loin d’être le cas pour les autres villes. Aussi, ce que nous
sommes en train d’observer au Maroc ces dernières années, c’est la mobilisation d’associations locales qui
s’inspirent du cas casablancais pour développer des actions dans leurs terrains respectifs, avec un succès
très inégal.
Enfin, toutes les mesures de protections définies par les lois ne peuvent être opérationnelles sans
l’amélioration de la recherche historique, qui reste embryonnaire concernant la modernité. L’élargissement
de la protection de biens patrimoniaux ou d’ensembles historique récents ou moderne passe
nécessairement par une meilleure connaissance de cette période.
Casablanca, Septembre 2013
Une première version de ce texte a été publiée sous le titre : « “Maroc, attirail et résultats: le grand décalage” in : « Reconnaitre et
protéger l’architecture récente en méditerranée », sous la direction de Romeo Carabelli et Alexandre Abry, Paris, Maisonneuve et
Larose, 2005.