Au Pays du Cheval de Fer
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Au Pays du Cheval de Fer
Testé pour vous Au pays du chev al de fer Québec Galoper sur la glace vive, avancer en silence dans les forêts d’érables, avoir de la neige jusqu’au poitrail, l’écouter craquer sous les sabots et observer la nature que le froid ne fige pas. Chaussez vos Sorel et suivez nos traces au Québec à l’auberge Andromède pour une chevauchée neigeuse au Canada. Québec Texte et photos : Éric Malherbe P ourquoi l’auberge s’appelle-t-elle Andromède ? Avec un sourire délicieusement québécois, un regard qui pétille de malice, nos hôtes Gilles et Gina nous expliquent que la région est connue par les astronomes pour avoir l’un des ciels les plus clairs de cette région du globe. En toute logique, ils ont baptisé leur logis du nom de cette constellation (la seule observable à l’œil nu depuis l’hémisphère nord). Nous sommes au Canada, à 1 h 30 de route au sud de la ville de Québec, dans la région de la Beauce, près du 44 février 2014 • cheval pratique • n° 287 Parc naturel du lac Mégantic. Cinquante kilomètres plus au sud, c’est l’État du Maine, qui marque la frontière avec les USA. Les montagnes Appalaches, qui naissent ici pour descendre le long de la côte est des États-Unis sur 3 500 kilomètres, offrent les reliefs doux des cartes postales nord-américaines que l’on découvre maquillées de feuilles d’érables rouges, jaunes et or lors de l’extraordinaire période de l’été indien. Trois mois plus tard, nous sommes ici, plongés au cœur de l’hiver canadien. « Mon pays, c’est l’hiver » chantait Gilles Vigneault pour la première fois en 1965. C’est resté ! Tout est blanc, tout est glace, tout est cristal, l’air pénètre dans les poumons avec la force d’un chasse-neige dès que l’on met le nez dehors, la lumière est éclatante de pureté, cet hiver-là nous réveille. C’est en combinaison « grand froid » que l’on rejoint Gina aux écuries. Un barn nord américain qui sent bon le foin et la paille fraîche, avec des boxes en gros bois. À peine ai-je ôté mon bonnet et mes gants que déjà je harnache Mika, un superbe hongre canadien à la crinière souple et épaisse. Il est si beau qu’il pourrait jouer dans une pub pour un shampooing… Mika, mais aussi Montana, Johnny dit Jaunit, Tornade et les autres, Gina possède une belle cavalerie de chevaux canadiens. Un animal de caractère surnommé « le petit cheval de fer » parce qu’il est costaud, résistant, acharné au travail, polyvalent. Ses signes distinctifs ? Une tête courte au profil rectiligne, des oreilles fines et une encolure longue et musclée. Il est également doté d’un garrot légèrement saillant, d’une croupe musclée, et de membres solides. Ainsi équipé, il peut affronter la rigueur de l’hiver québécois où la température flirte régulièrement avec les - 30 °C. « À part quand il y a tempête ou que les températures sont exceptionnellement basses, mes chevaux sont dehors » explique Gina, tout sourire. Et à voir les copains de Mika et Montana restés au pré se rouler dans la neige fraîche tombée la nuit précédente, on se dit que ces chevaux-là sont loin d’être malheureux. « Ma vie, ce sont mes chevaux, continue Gina. Été comme hiver, je ne peux m’empêcher de me lever aux aurores pour aller travailler à l’écurie, et soigner tout ce petit monde. » Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les chevaux de la ferme Andromède sont aussi sereins, indépendants quand ils sont montés en extérieur, rassurants pour les cavaliers de passage. Bonnet, gants, gros manteau, bottes fourrées et étanches, surpantalon de ski bien épais, nous voilà parés pour une journée de randonnée comme on les aime sur les belles selles western de l’écurie Andromède. Et ce n’est pas parce qu’il fait froid qu’il faut oublier de prendre à n° 287 • cheval pratique • février 2014 45 Testé pour vous Québec boire. Une gourde thermos dans les sacoches et c’est parti. Le chemin qui s’enfonce dans les bois en contrebas de la ferme, le long de la rivière qui bouillonne, est verglacé. Les chevaux y évoluent avec l’assurance de mouflons sur un versant abrupt. Ils sont ferrés avec des crampons, eux-mêmes renforcés avec une pointe en carbure de tungstène pour un grip total sur la glace. On testera un peu plus tard quelques séances mémorables de galop. La sensation est surprenante, extraordinaire, grisante, impérissable. Quelle que soit l’allure, sur la neige, le verglas, sur le dur ou dans la profonde, les chevaux canadiens s’amusent des difficultés du terrain. La poudreuse semble avoir le même effet sur eux que sur une troupe de bambins qui se précipitent pour faire une bataille de boules de neige dès les premiers flocons venus. Ils se jouent du froid et, lorsqu’ils partent au galop, ne restez pas derrière, ça éclabousse ! Dans le silence blanc Tout est blanc, tout est glace, tout est cristal, l’air pénètre dans les poumons avec la force d’un chasse-neige dès que l’on met le nez dehors, la lumière est éclatante de pureté Période de redoux de quelques jours après Noël, la neige disparaît et il fait presque chaud sous nos manteaux. La cabane à sucre Ce n’est pas un hasard si la feuille d’érable orne le drapeau du Canada. Cet arbre offre son or blond à travers tout le pays pour en faire, entre autres, ce sirop si connu aujourd’hui. Les acériculteurs récoltent l’eau d’érable à la fin de l’hiver. Cette « eau », c’est la première sève qui remonte des racines de l’arbre au moment du dégel. Au Québec, on appelle cette période le « temps des sucres ». Cette sève contient 2 à 3 % de sucre. La sève ainsi récoltée va être traitée dans une sorte d’alambic dans la fameuse « cabane à sucre ». Tout le travail consiste à faire évaporer la bonne quantité d’eau pour obtenir le meilleur sirop possible (35 à 40 litres d’eau d’érable sont nécessaires pour fabriquer un litre de sirop d’érable). Il est important d’atteindre le juste niveau d’évaporation car, si le sirop est trop dense, il cristallisera. Au contraire, s’il est trop liquide, il risque de fermenter. Le sirop d’érable est ensuite classé par teinte : d’extra clair à foncé. Plus le sirop est clair, meilleure est la classe, mais moins le goût est prononcé. Ensuite, il n’y a plus qu’à se régaler. On retiendra, parmi les spécialités locales, la tire d’érable, constituée de sirop chauffé que l’on va déposer chaud sur la neige et que l’on enroule autour d’un bâtonnet de bois. Une friandise pour gourmand. N’hésitez pas à tester également le beurre d’érable, qui s’utilise comme une pâte à tartiner et ne contient aucune matière grasse, ou encore le sucre mou ou le sucre dur. Gilles, de la ferme Andromède, saura vous guider vers les excellents produits des érablières locales que vous traverserez à cheval. 46 février 2014 • cheval pratique • n° 287 Renards polaires ou futurs chiens de traîneau, tous les animaux sont acclimatés aux rigueurs du froid et de la neige au Québec. Le puma est l’un des plus gros et les plus dangereux mammifères d’Amérique du Nord. On en trouve encore à l’état sauvage dans les forêts québécoises. Pour l’heure, on évolue tranquillement à couvert. Il manque quelque chose : le bruit des sabots. On avance en silence, dans un calme à peine troublé par les chuchotements du froid, les craquements cotonneux sous les pieds de nos compagnons, les bruits de la forêt qui se tord sous les morsures de l’hiver, et l’on scrute. L’air est piquant, les yeux sont mouillés, le nez emmitouflé. Gina, en tête sur son beau Jaunit, est suivie à la trace par sa chienne jack russel Gypsy qui saute des heures durant sans fatiguer dans les empreintes que laissent les chevaux dans la neige profonde. On est ici en famille. Avec son accent québécois et ses expressions fleuries, Gina nous conte les anecdotes de ces lieux. Il n’y a pas si longtemps, Gilles, son mari, a vu un ours par ici. Je me demande bien pourquoi on enfonce soudain nos yeux au plus profond de la forêt, les ours hibernent l’hiver. Il y a donc peu de risques d’en apercevoir. En revanche, les lynx n’hibernent pas, eux, ni les loups… Un peu plus loin, on trotte sur le tracé d’une ancienne voie ferrée. Les rails installés au début du siècle dernier ont disparu, mais le chemin entretenu est resté impeccable et longe la belle rivière Chaudière. Et à chaque sortie de sous-bois, le soleil nous accompagne, ce soleil éclatant et froid des hivers de l’hémisphère nord. Le midi, on s’arrête près d’une cabane. Jamais la même. On évolue pendant une semaine en trèfle autour de la ferme Andromède dans des paysages changeants. Gilles amène éventuellement du foin aux chevaux avec sa motoneige le midi, et met en route le poêle à bois de la cabane avant l’arrivée des cavaliers. Un service quatre étoiles grand luxe au milieu des érablières, en pleine nature. On couvre les chevaux qui ont transpiré malgré les basses températures afin qu’ils ne prennent pas froid et on vient goûter à la chaleur de ces « cabanes au Canada ». Gilles s’occupe de l’intendance. D’un naturel discret et calme, il est un authentique amoureux de la nature et des produits de son potager. Offrez-lui un couteau aiguisé, donnez-lui un fruit ou un légume, et il vous rendra une sculpture à déguster. C’est un n° 287 • cheval pratique • février 2014 47 Testé pour vous Québec artiste intarissable sur les bienfaits de la nourriture qu’il propose à la carte de son auberge. Cavaliers ou non, les clients se pressent ici pour goûter la table de Gilles. Rentrés de notre journée de cavale, les chevaux soignés aux écuries, les bottes sèchent dans l’entrée. On a troqué nos lourds vêtements pour une tenue de bain. On se glisse dans le jacuzzi fumant et l’on se laisse bercer par les remous de l’eau bouillonnante. Je suis dans un chaudron, mes yeux se ferment, mes muscles s’assoupissent. Une sensation délicieuse avant de passer à table et de se régaler d’un médaillon de wapiti ou d’un émincé de bison maison, pour finir sur un délicat fondant au chocolat à la crème d’érable. Derrière les vitres des chambres douillettes, le froid paralyse la nuit. Calés sous les lourds édredons, on contemple l’hiver bien au chaud en attendant les premiers rayons du lendemain qui vont caresser les prés enneigés sur lesquels se détachent les chevaux. Une nouvelle journée de randonnée s’annonce, le long d’une rivière, sous les branches des érablières, à moins que Gilles ne décide d’atteler son traîneau pour vous conduire au « saloon » du coin où l’on danse, parfaitement synchronisé, de la country jusqu’à plus soif. L’hiver possède tous les attraits au Québec et l’hospitalité de la ferme Andromède n’en est pas l’un des moindres. Alternative à la promenade à cheval, la balade en traîneau emmené par un authentique trappeur et ses chiens. Au cœur de la forêt, la neige et le pas des chevaux qui craquent doucement. Tout est silence, on se ressource. Contacts page 128 Carnet pratique Quelle que soit l’allure, sur la neige, le verglas, sur le dur ou dans la profonde, les chevaux canadiens s’amusent des difficultés du terrain Départs entre décembre et avril, les samedis ou dimanches. Tarifs à partir de 1 950 € par personne, avec vols inclus au départ de Paris. Renseignement et réservations : cf. contacts page 128 • Santé Aucune disposition particulière n’est à prévoir même si l’on recommande d’être à jour avec ses vaccins antitétanique et antihépatique. • Argent La monnaie est le dollar canadien et vaut environ 1,438 €. Il est d’usage de donner un tip (pourboire) après une prestation (serveurs, hôtels, etc.), compris entre 15 % et 18 % du montant de la prestation. • Climat De décembre à fin février en particulier, le climat peut être extrême et atteindre les -40 °C avec de superbes journées ensoleillées ; prévoir des vêtements identiques à un séjour au ski (attention aux coutures de certains pantalons de ski qui s’adaptent mal à la position en selle), vêtements grand froid ainsi que des chaufferettes et bottes type Sorel (Norton et Mountain Horse ont également des bottes hiver bien chaudes). Le redoux arrive en général sur mars/avril et correspond également à la réouverture des cabanes à sucre (cf. encadré p 46). • Langue Québec est dans la partie francophone, le français est donc la langue usitée, même si des rudiments d’anglais sont toujours pratiqués. Et pour les Français de souche, le Québec offre un langage fleuri d’expressions dont on ne se lasse pas. • Visa, conditions d’entrée sur le territoire canadien Les citoyens français n’ont pas besoin de visa pour visiter le Canada (séjour inférieur à 3 mois). Le passeport à lecture optique et/ou biométrique n’est pas obligatoire pour entrer. Les anciens passeports sont valables jusqu’à leur date d’expiration. En tant que touriste (visiteur), vous devez avoir un billet aller/retour. La validité de votre passeport doit dépasser d’au moins un jour la durée du séjour prévu au Canada. De plus amples informations sont disponibles sur http://www.cic.gc.ca/francais/visiter/touriste.asp Il faut vraiment que la tempête souffle et que les températures soient très basses pour que les chevaux canadiens de Gina ne sortent pas. 48 février 2014 • cheval pratique • n° 287 n° 287 • cheval pratique • février 2014 49