Chapitre 6 La Rationalité des élus

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Chapitre 6 La Rationalité des élus
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Chapitre 6 La Rationalité des élus
1. Introduction
La théorie des choix publics nie, dans un premier temps, le rôle de l’idéologie dans les choix des élus,
des hommes politiques et de leurs partis. L’homme n’est pas élu sur une représentation du bien
commun ou de l’intérêt général. Cette position évidemment contraste avec celle des sciences sociales
qui soutiennent la thèse de la recherche du bien commun ou de l’intérêt général à travers un discours
idéologique et un programme. L’homme politique, dans cette vision, que l’on peut traiter de classique
est élu sur sa représentation du bien commun. Car les différences entre l’économique et le politique
sont institutionnelles (Udehn 19951, p.105). L’homme politique n’est pas élu en disant qu’il va
maximiser son profit politique. Si les hommes politiques poursuivent l’intérêt public, ce n’est pas
seulement par altruisme mais parce que tout le monde anticipe qu’ils doivent le faire. C’est leur
vocation politique. Comme la société attend des marchands qu’il maximise leurs profits, elle attend
du politicien qu’il cherche l’intérêt général. C’est une norme, une convention qui guide les
comportements. Cela explique pourquoi il est difficile d’imaginer une théorie de la politique qui ne
traite pas du rôle de l’idéologie politique dans l’explication des choix publics.
Cette opposition entre la théorie des choix publics et la vision classique traverse tous les travaux de la
théorie économique de la politique et le dialogue qui s’est instauré entre la science économique et la
science politique. La revue Public Choice est d’ailleurs l’un des journaux qui mobilise le plus le
concept d’idéologie dans ses travaux (Melki 20112 ). La question est posée est simple. Est-ce que les
élus agissent par intérêt ou est-ce qu’ils agissent par intérêt ?
Initialement, l’école des choix publics se construit sur l’extension de l’hypothèse de la rationalité
parfaite (Chapitre 2) au comportement politique. Les électeurs et les élus agissent sur la base de leurs
intérêts propres. La politique est un lieu d’échange où chacun défend ses intérêts. Toute la difficulté,
ensuite, est de définir ce qui se cache derrière le mot intérêt. Est-ce l’intérêt au sens restreint ou au
sens large (Swedberg, 20033, 290-297). Son sens restreint cantonne l’individu à un comportement
égoïste. L’intérêt y ait défini en termes d’utilité et de préférences (Persky4, 1995). L’individu est isolé,
parfaitement informé et maximisateur. Au sens large ils maximisent leur bien être comme ils le
conçoivent. Ils peuvent être, dans ces conditions, altruistes, égoïstes, loyaux, masochistes ou
rancuniers (Becker, 19925, 1). On pourrait même envisager qu’ils suivent une idéologie et non une
autre par intérêt. Ce qui se joue alors c’est la manière dont la théorie de l’intérêt est capable de traiter
du choix de l’intérêt général, d’un choix moral. Le choix d’une idéologie est-il un choix moral ou
seulement le résultat d’un calcul politique.
Le débat est classique (Chapitre 1). Dans la conception mécaniste de l’univers de Hobbes, « l’homme
est défini par le désir, la volonté de sauver sa vie et de jouir des plaisirs ; sa conduite est commandée
par l’intérêt » (Aron, 19656, 45). La valeur ou les mérites d’un régime politique ou d’un système de
loi ne tient pas à sa valeur ou à sa vérité, mais à son efficacité. Les idées, dans cette perspective
moderne, « ne sont que des armes, des moyens de combats employés par des hommes … pour
remporter la victoire » (Aron, 1965, 50). Il s’agit d’une philosophie cynique de la politique et de
l’homme qui pose une philosophie du non-sens au lieu de poser une philosophie du sens (Aron, 1965,
1«
The main ingredient in the theory of public choice, then is the assumption of self-interest. Political man, no
less than economic man acts in his own selfish interest » (Udhen, 1996, 60, Chapter 1). Udhen, L. 1996. The
Limits of Public Choice. A sociological critique of the economic theory of politics, Routledge, London and New
York.
2
Melki, M. 2011. Ideology in economics : taking Stock, Looking Ahead , ASREC, april, 2011, Washington
3
Swedberg, R. 2003. Principles of Economic Sociology, Princeton University Press, Princeton and Oxford .
4
Persky, J. 1995. The Ethology of Homo Economicus , Journal of Economic Perspectives, 9, n°2, 22-31.
5
Becker, G. 1992. December, Nobel Lecture. The Economic Way of Looking at Life.
6 Aron,
R. 1965. Démocratie et totalitarisme, idées Gallimard, Paris.
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50). L’idéologie est un instrument au service des ambitions des acteurs politiques (instrument). A
l’opposé de cette philosophie moderne, il y a la tradition Aristotélicienne qui place la recherche du
bien et du vrai au cœur de son explication des comportements humains. L’homme cherche le vrai,
autrement dit une juste représentation de l’intérêt général, indépendamment de ses conséquences sur
son bien être privé. Le pouvoir ici est l’instrument mis au service des idéologies par les hommes du
gouvernement.
C’est, dans ce contexte, que s’engage la discussion. La première section traite des modèles de
demande. L’élu et le parti qui le soutient répondent à la demande : des groupes d’intérêt (Chapitre 5,
Olson 19717 ; Stigler 19718 ; Peltzman 1976 9 ; Grossman et Helpman 199410 ; Mueller, 2003, 2010,
Chapitre 2011), des groupes qui financent la campagne électoral de l’élu (Chappell 198112) et qui
investissent d’importantes sommes dans la politique (Barro 197313 , 14), et bien évidemment des
électeurs et plus particulièrement de l’électeur médian (Downs, 1957). C’est ce dernier modèle qui
sera plus particulièrement traité. Il expose le modèle de concurrence politique de Downs et ses
conséquences sur la dynamique des choix politiques et des politiques publiques. La seconde section
insiste sur l’effet des élections sur les choix des élus (Nordhaus 197514, 185). Ces derniers cherchent à
manipuler le choix des électeurs au moment des élections en changeant la structure des dépenses
publiques et/ou leur niveau. Une telle stratégie suppose que les élus croient que les électeurs votent en
fonction de leurs intérêts et de manière instrumentale. Leur intérêt est de maximiser leur utilité. La
troisième section introduit la dimension idéologique des choix des élus. Les élus ne cherchent pas
seulement à gagner les élections. Ils ne sont pas seulement des « office seeker ». Ils sont aussi des
« policy-seeker ». Ils veulent un mandat pour mettre en œuvre une politique. Cette politique sert
l’intérêt général ou leur intérêt mais elle ne correspond pas aux préférences politiques des électeurs. Il
apparaît alors un phénomène de SKIRKING. Les élus adoptent un programme politique pour gagner
les élections mais font tout autre chose une fois élu. On peut, aussi, faire l’hypothèse qu’ils vont
proposer un programme qui correspond à leur idéologie. Dans une conception Schumpétérienne de la
démocratie, le programme politique de l’élu modifie la distribution des préférences politiques et
légitime son action politique ex post.
2. Un modèle de demande : les élus sont contraints par la distribution des préférences des
électeurs
Dans un modèle de demande, l’offre politique est déterminée par les préférences politiques des
électeurs parce que lors des élections ils choisissent le programme qui est le plus proche de leur
position politique (Mueller et al. 2010, p.266). Les préférences des électeurs déterminent les choix de
politique publique. Ces préférences sont stables ou instables. Elles portent sur un objectif et un moyen
pour l’atteindre. Pour réduire la dette publique on peut réduire certaines dépenses ou certains types
d’impôts. Il peut alors y avoir accord sur les objectifs, mais conflits sur la désignation de celui qui va
supporter les coûts de la baisse de la dette publique. Chaque électeur dépose son bulletin en faveur du
parti et du candidat qui est le plus proche de ses préférences. Ses préférences sont déterminées par une
représentation de l’intérêt général ou simplement l’intérêt égoïste de l’individu ; théorie du vote de
7
Olson, M. 1971. The logic of collective action: Public goods and the theory of groups, Cambridge: Harvard
University Press.
8
Stigler, G. 1971. The theory of economic regulation, Bell Journal of Economics, 2, 1, 3-21.
9
Peltzman, S. 1976. Toward a more general theory of regulation, Journal of Law and Economics, 19, 2, 211 –
240.
10
Grossman, G.M. and Helpman, E. 1994. Protection for sale, American Economic Review, 84, 4, 833-850.
11
Mueller, D.C. 1982, 2003. Public Choice III, Cambridge University Press, traduction française Choix Publics,
éditeur De Boeck.
12
Chappell, H.W. 1981. Conflict of interest and congressional voting : a note, Public Choice, 37, 2, 331-335.
13
Barro, R. 1973. The Control of Politicians: An Economic Model, Public Choice, 1, 19, 19-42.
14
Downs, A. 1957. An Economic Theory of Democracy, New York: Harper and Brothers.
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portefeuille – pocket bookvoting- (Popkins et al. 197615, 805 ; Peltzman 198016 , 223). Le vote égoïste
suppose que chaque électeur évalue l’effet net de chaque programme politique sur son bien être
individuel alors que le vote sociotropique ou idéologique suppose qu’il évalue l’effet d’un programme
politique sur le bien être général. Dans ces conditions, la distribution des votes n’est pas sans
conséquence sur les politiques publiques. C’est, du moins, ce que chercher à montrer la théorie
Hotelling-Downs (Mueller 2010 et al. p.266-272). Le Tableau 1 résume les différentes situations
possibles.
Tableau 1
Distribution des votes et choix de politique publique
Symétrie/ nombre de Pic
Unimodale
Bimodale
Plurimodale
Symétrique
A - Convergence
autour des préférences
du médian
B
C
Asymétrique
D
E
F
Le cas le plus connu est le cas A. Il conduit à l’idée que la concurrence politique impose aux candidats
de proposer un programme qui correspond aux attentes de l’électeur médian. Toutes les autres
situations affaiblissent ce résultat et créent de l’instabilité politique.
2.1 Distribution uni-modale des votes et choix de politique publique
Le modèle le plus simple envisage une situation où la distribution des votes est à un seul pic et plutôt
symétrique. Dans un tel modèle, il y a deux partis majoritaires qui convergent vers le centre. La
distribution a la forme d’une loi normale. La Figure 1 représente une distribution des votes de nature
unimodale et asymétrique. Le médian se place plutôt au centre gauche.
Figure 1
Répartition Uni-modale des préférences politiques des électeurs et position des partis politiques
Part des voix
Médian
Extrême gauche
Centre
Extrême Droite Echelle idéologique
Si la distribution est une loi normale il n’y a qu’un seul pic. Cela signifie que le plus grand nombre des
électeurs se place au centre de l’échiquier politique. Les partis d’extrême gauche et d’extrême droite
ici n’ont aucune chance de gagner les élections. Seuls les partis de gauche et de droite peuvent
espérer gagner les élections. A cette fin, ils doivent proposer un programme situé vers le milieu de
l’échiquier politique. Si le parti de gauche fait des propositions plus proche du programme du médian
il gagne des voix à droite sans en perdre à gauche. Le même raisonnement s’applique au parti de
droite. Les programmes des partis sont alors mécaniquement attirés vers les positions du médian. Ce
15Popkins
et al. (1976, 805) « What have youdone for me lately ? » est la question posée par les électeurs aux
hommes politiques. Popkin, S.L. 1991. The Reasoning Voter. Communication and Persuasion in Presidential
Campagn, University of Chicago.
16Peltzman
(1980, 223), « people vote to maximize their own wealth ». Peltzman, S. 1980. The Growth of
Government, The Journal of Law and Economics, 23, 209-287.
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sont les intérêts du médian qui déterminent les programmes politiques et in fine les choix de politique
publique si les élus respectent leur promesse de campagne, mettent en œuvre leur programme.
Qui est le médian ? Au sens strict le médian est l’électeur qui se trouve au centre de la gamme des
préférences des électeurs (Black 194817) est l’électeur médian. C’est lui qui commande. Au sens
économique, l’électeur médian est celui qui a le revenu médian. Le revenu médian n’est pas le revenu
moyen qui est la moyenne de l’ensemble des revenus de la population considérée. Il est tel que la
moitié des électeurs gagne moins et l’autre moitié gagne plus. Le revenu annuel médian en France est
de 28660 euros. 50% de la population totale gagne plus, 50% gagne moins18 . Le salaire médian est en
2013 de 1 772 euros par mois19. Pour gagner les élections, il faut que le médian vote pour vous. Il faut
constituer un programme politique qui corresponde à ses préférences politiques. C’est le médian qui
peut faire d’une minorité une majorité. Pour s’en convaincre on peut prendre un exemple simple
(Tableau 2).
Trois électeurs cherchent à se mettre d’accord sur la surface qu’ils doivent consacrer à la mise à
disposition d’un jardin public autrement dit un jardin qu’ils pourraient tous utiliser pour se promener
en famille et déjeuner dans l’herbe. Ils acceptent un vote à la majorité à un seul tour et le principe du
jardin public. Ils consentent par conséquent sur l’idée même de ce choix collectif. Ils veulent faire ce
choix ensemble. Ils ne sont, cependant, pas tous d’accord sur la taille de ce jardin. L’électeur A veut
petit jardin car il n’aime ni les déjeuner dans l’herbe, ni les promenades, l’électeur B préfère un jardin
de taille moyenne alors que l’électeur C veut un grand jardin. La conséquence de ces préférences
hétérogènes est que l’électeur A a une faible disposition à payer pour la construction du jardin public.
Il est prêt à payer 50 euros. L’électeur B est prêt à payer plus cher. On va dire 100 euros. L’électeur C
est de son côté prêt à payer 200 euros. Aucun électeur n’est prêt, en revanche, à payer la part des
autres pour réaliser ses préférences. L’électeur C n’est pas prêt à payer la différence aux électeurs A et
B. L’électeur B est l’électeur médian. Il est au centre de la distribution des préférences politiques. Il a
exactement le même nombre d’électeurs qui préfèrent un jardin public plus petit que lui, que
d’électeurs qui veulent un jardin plus grand. Lors de la prise de décision l’électeur médian est celui qui
décide. Il sera quelque soit le choix proposé dans la coalition majoritaire. Car les électeurs votent
toujours pour le choix qui est le plus proche de ses préférences. Le médian préfère 50 à 200, car sa
solution idéale est 100. 50 est plus proche de 100 que 200. Quelque soit le type de choix politique qui
s’offre au corps électoral le choix du médian est donc toujours gagnant. Cela ne signifie pas que son
choix sera toujours gagnant.
Tableau 2
Taille et impôt
Votes
Résultat des élections
100 euros ou 200
euros
A vote 100; Médian (B) vote 100
et C vote 200
100 gagne & médian aussi
50 euros ou 200 euros
A vote 50 ; Médian vote 50 ; C vote 200
50 gagne & médian aussi
50 euros ou 100 euros
A vote 50 ; Médian vote 50 et C vote 100
50 gagne & médian aussi
100 euros ou 50 euros
A vote 50 ; Médian vote 100
et C vote 100
100 gagne & médian aussi
Le théorème de l’élection médian dit seulement que le choix collectif est toujours le choix qui est le
plus proche des préférences du gagnant et que le médian est toujours dans la coalition qui gagne les
élections. Si le seul objectif d’un candidat est d’être élu. Son objectif est alors de représenter le
médian. Car pour gagner les élections il faut avoir le vote du médian. Au sens strict le théorème de
17
Black, Duncan 1948. On the rational of Group Decision-making, Journal of Political Economy, 56, 1 : 23-24.
Traduction française Une analyse du processus de décisions collectives, dans Généreux, Jacques, L’économie
politique. Analyse économique des choix publics et de la vie politique, Textes essentiels, Larousse, Paris, 1996.
18
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=NATSOS04202&reg_id=0.
19
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1565
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l’électeur médian permet d’interpréter la convergence des programmes ou des discours au moment du
deuxième tour des élections. Au sens économique il permet de comprendre la nature des décisions
fiscales et budgétaires des gouvernements en période électorale et plus généralement la croissance des
dépenses publiques. Dès que le revenu médian est inférieur au revenu moyen on s’attend à ce que le
gouvernement augmente les dépenses, car les préférences du médian sont plus proches des préférences
redistributives des plus pauvres. La mention qui l’emporte est alors celle qui engage une politique de
redistribution verticale des riches vers les autres classes de la société. La figure 2 montre l’écart entre
la différence entre le revenu médian et le revenu moyen sur la période 1970 – 2014. L’écart entre les
deux ne cesse d’augmenter. Cela signifie que pour gagner les élections il faut toujours promettre plus
de redistribution des riches vers les autres classes de revenu. A partir de 2010, cependant, il existe un
resserrement entre le revenu médian et le revenu moyen. Il est vraisemblable alors que les préférences
du médian soient moins favorables à la redistribution des revenus.
Figure 2
Evolution de la différence entre le revenu médian et le revenu moyen en France entre 1970 et 2014
0
-2 000
-4 000
-6 000
-8 000
2013
2012
2010 (1)
2009
2007
2005
2003
2001
1999
1997
1990
1979
1970
!
Source : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=NATSOS04202&reg_id=0
2.2 Les conditions très restrictives du modèle Hotelling-Downs
Un tel modèle repose, cependant, sur des hypothèses relativement restrictives. Il suppose :
- que les électeurs ne votent que sur un seul enjeu,
- que le positionnement droite – gauche est la clé du succès électoral d’un candidat,
- que les électeurs ne s’abstiennent pas autrement dit qu’ils sont forcés de voter pour le candidat
le plus proche de leur préférence,
- que l’offre politique est immuable,
- que la distribution des votes est uni-modale.
Si les électeurs votent pour une personnalité et non un programme le modèle Downs-Hotelling tombe.
L’élu peut imposer ses thèmes de campagne, et emporter l’élection. Il s’agit d’un leader charismatique
qui provoque un changement profond de la définition de ce qu’est la gauche et de ce qu’est la droite.
S’il existe plusieurs enjeux, il est difficile d’imaginer qu’un programme électoral soit en parfaite
adéquation avec les préférences du médian et plus généralement de tout électeur. L’électeur peut
souhaiter plus de libéralisme dans les mœurs et moins en économie, et inversement. Il devra alors
peut-être sacrifier son libéralisme économique pour défendre son goût la doctrine libertaire.
Supposons que les élections se jouent sur trois enjeux I, II et III (Tableau 3 Mueller 2010, p.272). Si le
premier candidat prend position en faveur des trois il peut tout de même être battu par un candidat qui
est en accord avec deux enjeux et qui s’oppose à un troisième, puisque deux des trois électeurs
bénéficient toujours de la défaite d’un enjeu.
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Tableau 3
Effet de la diversité des enjeux lors d’une élection sur les programmes électoraux
Electeurs
Enjeux
A
B
C
I
4
-2
-1
II
-2
1
4
III
-1
4
-2
Les électeurs dans le modèle Hotelling-Downs ne s’abstiennent pas. Les électeurs positionnés entre la
position d’un candidat et le point le plus extrême pris par l’autre candidat sont « forcés » de voter pour
lui. C’est cette hypothèse qui permet de dire qu’il y a convergence des programmes, car un candidat a
toujours intérêt à envahir l’espace politique de son concurrent. On dit que l’électeur est aliéné. Il est
forcé de voter.
Il est possible d’imaginer une situation où le déplacement de l’offre politique crée un espace politique
pour un nouveau candidat. Si un candidat s’éloigne trop des préférences d’un électeur extrême ; si un
candidat de gauche part trop à droite, il ouvre un espace politique à un candidat qui se placerait entre
cette nouvelle gauche et l’extrême gauche. Le candidat ne cherchant ici pas nécessairement à gagner
les élections, mais imposer sa marque et plus tard à marchander son capital électoral. Les élections a
deux tours ont ici des conséquences sur la formation des programmes qui ne sont pas totalement prise
en compte par le modèle de base Hotelling-Downs. Dans le cadre d’une primaire ou d’un premier tour
de présidentielle, le candidat qui cherche à être élu cherche soit à attirer la position médiane de son
parti, dans le cadre d’une primaire, soit à attirer la position médiane de son camp (la droite). Au
second tout, il est obligé de modifier son discours afin de se rapprocher des préférences du médian de
l’ensemble du corps électoral cette fois.
L’existence d’une distribution bimodale ou plurimodale des votes modifie de plus profondément les
contraintes qui pèsent sur le candidat et son parti.
2.3 Distribution bimodale et plurimodale et choix de politique publique
La contrainte qu’impose les préférences du médian sur le programme des candidats qui souhaitent
gagner les élections est plus lâche lorsque la distribution des préférences est asymétrique et/ou
plurimodale.
Si la distribution est asymétrique et uni-modale (Cas D Tableau 2) la meilleure position pour chaque
candidat est de se rapprocher des préférences du médian si les électeurs s’aliènent, se forcent à voter
même si le candidat s’éloigne de leur préférence (Mueller et al. 2010, p.269).
Si la distribution est bimodale voir plurimodale (Cas B, C, Tableau 2) la contrainte qui pèse sur le
candidat se relâche. Dans ce cas, les partis politiques extrêmes sont majoritaires en voix, mais
incapables d’accéder au pouvoir. Car l’électeur médian reste en position de dictateur positionnel. Il
existe cependant une très grande polarisation politique, autrement dit une très grande distance entre les
préférences des électeurs d’extrême gauche et les préférences des électeurs d’extrême droite (Figure
3).
Si la distribution est bimodale les deux partis extrêmes n’auraient aucun intérêt à changer leur
programme politique. Ils perdraient en effet plus de voix en se déplaçant vers le centre qu’en restant
sur leur position, car le centre dispose de peu de voix. Une telle distribution des voix et des
préférences politiques explique l’existence d’effet de balancier. Soit l’extrême gauche gagne. Soit
l’extrême droite gagne. A chaque alternance les politiques publiques changent radicalement. Ce qui
limite la stabilité politique et nuit à l’investissement privé. Lorsque l’on passe d’une répartition
bimodale à multimodale, la capacité du gouvernement à représenter les préférences des électeurs
devient quasi nulle. Une démocratie où la répartition est plurimodale est en ce sens ingouvernable.
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L’élection prépare, ainsi, l’homogénéité ou l’hétérogénéité du corps électoral et de ses représentants.
Elle crée ou non des conditions favorables au gouvernement qui prendra le pouvoir pour un mandat.
Figure 3
Répartition bimodale des préférences politiques et position des partis
Part des voix
Médian
Extrême gauche
Centre
Extrême Droite Echelle idéologique
Selon Downs (1957), l’efficacité de la démocratie dépend donc de la distribution des préférences
politiques des électeurs.
L’existence d’une distribution à un pic est préférable à une distribution bimodale et à une distribution
plurimodale, car une distribution plurimodale impose la constitution de gouvernement de coalition,
limite considérablement les marges de manœuvre du gouvernement une fois constituée, car le
dénominateur commun du corps électoral est très faible et place l’action du gouvernement sous le
regard critique d’une très grande partie de l’électorat qui est prêt à contester la moindre décision de sa
part et de fait à le renverser par la rue, les manifestations, les grèves, etc.
La distribution des votes en France varie d’une élection à l’autre. Elle oscille entre des formes
bimodales et plurimodales.
Figure 4
Distribution bimodale des préférences politiques
lors des élections législatives de 2007 et 2012 en France
50
45,67
37,5
33,65
31,87
28,02
2007
2012
25
12,5
13,79
7,89
7,7
0
Extrême
Gauche
!
Source : www.politicdatayearbook.com
7,61
4,57
Centre
4,68
Extrême Droite
La Figure 4 dessine la distribution des votes pour les élections législatives de 2007 et 2012. Elle
regroupe les voix en cinq familles : l’extrême gauche, la gauche, le centre, la droite et l’extrême
droite 20. Elle indique que la France a une distribution plutôt bimodale depuis 2007. Si les élections de
1997 et 2002 avaient été prises. Une distribution multimodale aurait pu les préférences politiques des
20
Pour la collecte des résultats on peut utiliser le site suivant :
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français sont très hétérogènes. Il est difficile dans ces conditions de gouverner et de faire des réformes,
car il n’existe aucun consensus.
Figure 5
Distribution Unimodale des préférences politiques lors des élections législatives de 1981
38,13
40
30
22,01
20
20,87
17,5
10
0
! Extrême Gauche
Source : www.politicdatayearbook.com
0,36
Centre
Extrême Droite
2.3 Les inégalités, la demande de redistribution et les préférences du médian21
Meltzer et Richard (1981)22 utilisent la théorie de l’électeur médian pour rendre compte du jeu
d’influence que l’électeur médian entretient avec les élus. Il mobilise le modèle de l’électeur médian
(Black 1948)23 . Ils partent d’une situation où les individus d’une même nation ont des revenus
différents parce qu’ils ont des aptitudes et choisissent des quantités de travail différentes. Ces
individus peuvent aussi faire varier leur revenu par l’impôt. L’impôt est proportionnel au revenu et
donne lieu à un versement d’une somme forfaitaire pour tout le monde. Par hypothèse, tout le monde
reçoit la même somme de transfert. Le montant du transfert est égal à l’impôt payé par l’électeur qui a
le revenu moyen. La redistribution passe par l’impôt et non par les dépenses publiques. Elle est une
opportunité pour les électeurs pauvres qui ont intérêt à se coaliser pour obtenir des transferts des riches
vers les pauvres qui leur sera favorable. Pour obtenir la majorité ils doivent avoir l’accord de l’électeur
médian c’est-à-dire de l’électeur qui est au centre de la distribution des revenus. Ce sont les
préférences du médian qui dictent alors le niveau de l’impôt. L’électeur médian est celui qui a 50% des
autres électeurs au dessus de lui et 50% en dessous sur l’échelle des revenus et des capacités.
Généralement l’électeur médian est plus pauvre que l’électeur moyen c’est-à-dire celui qui a le revenu
moyen et qui paie l’impôt moyen, autrement dit celui qui a des dotations moyennes. Si l’électeur
médian a un revenu inférieur au revenu moyen il sera favorable à un taux d’imposition positif, car il
paiera moins en impôt qu’il ne recevra en transferts publics. Tous les individus qui ont un revenu
inférieur au revenu moyen bénéficient de l’impôt. Le niveau de redistribution, dans un monde où
l’électeur médian est en situation de dictateur positionnel dépend alors de l’écart de revenu entre
l’électeur médian et l’électeur moyen c’est-à-dire celui qui a le revenu moyen. Plus le revenu de
l’électeur médian est faible par rapport à celui de l’électeur moyen plus le médian est faible par
rapport à celui de l’électeur moyen, plus le niveau d’imposition et de redistribution est élevé. Il y a
redistribution vers les pauvres si l’électeur médian est plus pauvre que l’électeur moyen. Plus le
revenu de l’électeur médian est faible par rapport à celui de l’électeur moyen, plus le niveau
d’imposition et de redistribution est élevé. Le dictateur positionnel n’ira cependant jamais jusqu’à un
21
Voir Mueller et al. 2010, p.588.
22
Meltzer A. and Richards S. 1981. A rational theory of the size of government, Journal of Political Economy,
vol.89, n°5, pp.914 – 927.
23
Black D. 1948. On the Rationale of Group Decision-Making”, Journal of Political Economy, February, vol.56,
pp.23 – 34. Traduction française dans Généreux J. (1994), L’économie politique. Analyse économique des choix
publics et de la vie politique, Larrousse, Textes essentiels, Paris. (MSE B 20 GEN)
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !8
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taux d’imposition de 100% des électeurs minoritaires plus riches, car un poids fiscal excessif pourrait
réduire les incitations à augmenter son revenu et donc faire baisser le produit global et le revenu
moyen. La peur d’une baisse de l’assiette fiscal et/ou du montant du butin conduit le citoyen votant
médian à modérer sa demande de redistribution.
Meltzer et Richard (1981) expliquent ainsi la croissance de long terme du secteur public par
l’extension du droit de vote dans de nombreux pays. Ils ajoutent l’idée que la demande de
redistribution est d’autant plus forte que la répartition du revenu avant impôt est inégale. D’avantage
d’inégalité signifie davantage d’individus qui gagnent moins que le revenu moyen, et qui vont exiger
lors des élections une forte fiscalité sur les revenus supérieurs au revenu médian. Ils proposent en 1983
un test empirique sur les Etats-Unis pour la période 1937 – 197724 . Ils constatent à cette occasion que
la disparité croissante de la répartition des revenus a effectivement eu une influence positive et
significative sur l’augmentation relative des dépenses publiques. Des études suédoises et françaises
corroborent ce résultat. Aubin, Berdot, Goyeau et Lafay (1987)25 montrent que d’avantages
d’inégalités favorisent les dépenses de transfert.
La prédiction de principe et de long terme du modèle de Meltzer et Richard et des travaux qui s’en
sont inspirés est alors que la croissance des dépenses publiques ne s’arrêtera que lorsque les revenus
médian et moyens seront égaux26 . Le modèle de Meltzer et Richard repose, initialement, sur
l’hypothèse que l’électeur vote de manière égocentrique. Le modèle de Benabou et Ok (2001)27
intègre les anticipations de revenus et les perspectives de revenu futur du médian. Il montre que
lorsque la mobilité ascendante est forte pour le médian il y a une tendance à la mise en place de
politiques moins redistributives.
L’hypothèse d’un vote prospectif est utilisée pour rendre compte du fait que l’électeur ne fait pas que
calculer sur la base de son revenu actuel, mais qu’il intègre sa capacité à grimper dans l’échelle des
revenus. L’électeur médian peut alors avoir un revenu à l’électeur moyen, mais avoir le sentiment de
pouvoir s’enrichir. Il ne soutiendra pas alors une politique de redistribution. L’aversion pour les
politiques de redistribution augmente alors le revenu attendu.
Alesina et Glaeser (2006) 28 critiquent l’ensemble de ces explications. Ils estiment que l’hypothèse de
Meltzer et Richard n’est pas juste parce qu’elle ne permet pas de répondre à la question de savoir
pourquoi la redistribution aux Etats-Unis est moins favorable et moins importante qu’en Europe.
24
Meltzer A. and Richard E. 1983. Test of a Rational Theory of Size of Government , Public Choice, 17, pp.27 –
47.
25
Aubin Ch., Berdot J.P., Goyeau D. et Lafay J.D. 1988.
publiques en France, ronéo, Université de Poitiers.
Les déterminants de la croissance des dépenses
26
Perroti R. (1993), “Political Equilibrium, Income Distribution, and Growth”, review of Economic Studies, 60,
pp.755 – 776. PEROTTI (1993) applique ce modèle pour expliquer les différences de politiques publiques entre
les pays pauvres peu redistributeur et les pays riches. Dans un pays pauvre la croissance est soutenue par les
investissements des individus à hauts revenus. Dans ces pays la classe moyenne n’a pas intérêt à taxer les riches,
car cela les empêcherait d’investir et de soutenir la croissance. Inversement, dans les pays riches la croissance est
liée à l’investissement en capital humain. Elle explique alors pourquoi la classe moyenne s’allie aux individus
les plus pauvres.
Person et Tabelini (1994) utilisent aussi un modèle similaire. La redistribution passe par une taxe sur le revenu
du capital (physique ou humain) et un transfert forfaitaire. Les préférences de l’électeur médian sont déterminées
par ses dotations en capital. Cette hypothèse permet d’introduire la plus ou moins grande inégalité des revenus.
Si le médian a peu de dotation en capital physique et technique et n’est doté qu’en capital humain il va taxer le
capital physique et technique et développer des politiques fiscales défavorables au processus d’accumulation et à
la croissance. Un pays très inégalitaire et démocratique aura tendance alors à imposer une forte redistribution ; la
baisse des inégalités ayant pour effet induit de favoriser la croissance. Persson T. and Tabellini G. 1994. In
Inequality Harmful for Growth? Theory and Evidence” American Economic Review, 84, pp.600 – 621.
27
Benabou and Ok 2001. Social Mobility and the demand for redistribution: the Poum hypothesis, Quarterly
Journal of Economics, 116: 447 – 487.
28
Alesina A. et Glaeser E.L. 2006. Combattre les inégalités et la pauvreté. Les Etats-Unis face à l’Europe,
Flammarion, Paris.
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L’hypothèse de Meltzer et Richard conduirait à expliquer l’opposition entre les modèles américains et
européens par les inégalités des revenus avant impôt. Il faudrait, pour qu’elle soit validée, que les
inégalités de revenu aux Etats-Unis sont moins importantes qu’en Europe. Perotti (1996)29 montre au
contraire qu’il existe peu de rapports entre inégalité des revenus avant impôt et redistribution. Alesina
et Rodrik (1994)30 montre, de plus, que l’inégalité ne stimule pas davantage la redistribution dans les
pays démocratiques que dans les pays non démocratiques.
Les hypothèses de Downs et Black se heurtent ainsi à plusieurs problèmes
- 1) l’absence d’influence politique des pauvres qui ne réussissent pas à s’imposer comme un
groupe suffisamment structuré pour agir,
- 2) des problèmes techniques liés aux régressions en coupe transversale
- et 3) le fait que le coefficient de Gini est une mauvaise mesure des inégalités de revenus avant
impôt car un grand nombre de causes explique les inégalités.
3. L’objectif idéologique des élus et de leur parti
Dans le modèle de demande le politicien maximise sa probabilité de réélection. On dit qu’il est un
chercheur de mandat (office-seeker). Dans un modèle d’offre, l’homme politique est un chercheur de
politique publique (policy seeker) (Frey 1978 ; Strom 1990 ; Budge 1994). Dans un modèle de
demande, le programme correspond aux attentes des électeurs et de l’électeur médian dans une
distribution unimodale des votes. Dans un modèle d’offre, le programme est construit sur une
représentation de ce qu’il faut faire pour avoir une société juste et efficace (Figure, Etape 1).
Figure
DEFINILEPROGRAMME(1)
PARTI
CANDD
I AT
POURQUO?
I
-POURGAGNERLESELECTIONS(OFFICESEEKER)
-POURENŒUVREUNEPOLTIQUE(POLICYSEEKER)
NERESPECTEPAS
SESPROMESSES
(2.1)
INCERTITUDE(3.1)
CONTEXTEDEFAORABLE
ALAREALISATIONDU
PROGRAMMEDUPARTI
SHIRKING(3.2)
NECHERCHEPASA
GAGNERLES
ELECTIONSMAISVEUT
METTREENPLACESON
D
I EOLOGE
I
METENŒUVRELE
PROGRAMMEDUPARTI
(2.2)
ACCORDD
I EOLOGQ
I UE
CRAINTEDEPERDRE
- l’investiture du parti
- Lesélections
(3.3)
Dans les deux cas, le parti se fait représenter par un candidat qui une fois élu est au pouvoir. Il peut
alors respecter le programme du parti (Figure 2.1) ou s’en détourner (Figure 2.2). Il respecte le
programme du parti parce qu’il craint a) de ne plus avoir l’investiture du parti aux prochaines élections
ou b) d’être sanctionné par les électeurs.
Inversement, il ne tient pas ses promesses (3.2) parce qu’il estime soit parce qu’il n’a accepté le
programme du parti que pour être élu et que son objectif en fait est de réaliser son idéologie (raison
axiologique) (3.2.1), soit pour des raisons axiologiques ou instrumentales qu’il n’est pas raisonnable
29
Perotti R. 1996. Growth, income distribution and democracy: what the data say, Journal of Economic Growth,
1, pp.149 – 187.
30
Alesina A. and Rodrik D. 1994. Distributive politics and economic growth, Quarterly Journal of Economics,
109: 465 – 490.
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de mettre en œuvre le programme du parti dans le contexte social et économique qui est le sien durant
son mandat (3.2.2).
3.1 Pourquoi l’élu respecte ses promesses électorales ?
Pour répondre à la question pourquoi l’élu respecte ses promesses électorales on peut mobiliser, tout
d’abord, toute la littérature qui montre que l’idéologie politique du gouvernement a un effet sur les
choix de politique publique (3.1.1). Pourquoi les élus de gauche ne font pas les mêmes politiques que
les élus de droite ? Parce qu’être à gauche ne signifie pas la même chose qu’être à droite. Ce qui
motive les choix des élus ce n’est pas leur intérêt électoral mais la réalisation de leur idéologie (3.1.2).
Parce que la structure incitative impose ce type de comportement aux élus (3.1.3). Les élus craignent
soit de ne pas avoir l’investiture de leur parti s’ils ne respectent pas leur promesse (3.1.3.1) soit de
perdre les élections s’ils se représentent (3.1.3.2).
3.1.1 L’idéologie politique explique les choix de politique publique
L’idéologie des parlementaires et/ou des gouvernements qu’ils soutiennent est toujours apparue
comme une bonne variable explicative d’un nombre important de politiques publiques (Kau et Rubin
199331). L’idéologie prédit relativement bien les choix de politique économique. Elle propose une
prédiction du type ; si le gouvernement est à gauche alors il fera tel ou tel politique. L’idéologie de
gauche est par exemple favorable à la croissance de la taille de l’Etat (Borge, 199532 ; Le Maux,
Rocaboy, Goodspeed, 2011 ; Tellier 2006) et des impôts (Allers, de Haan et Sterks 2001). Les élus de
gauche s’opposent, de plus, aux politiques de dérégulation des marchés (Potrafke 201033), répondent à
la globalisation par la croissance des dépenses sociales (Potrafke 2009b34 ), ne participent pas à la
libéralisation économique de leurs pays (Bjornskov et Potrafke 201135 ). Ils sont, aussi, plus favorables
aux dépenses culturelles (Schulze et Ursprung 200036 ). On observe un effet de l’idéologie des élus sur
les choix de politique publique. L’idéologie joue un rôle dans l’adoption au parlement 1- des mesures
favorables à la dérégulation aux USA (Derthick et Quirk 198537), 2- de la fixation des tarifs douaniers
sur la période 1962-1974 (Srinivasan 199738 ), 3- de la détermination du niveau des aides aux pays en
voie de développement sur la période 1979 – 2003 (Milner et Tingley 201039 ), et 4- de l’adoption de la
31Il
y a deux questions distinctes. Q1 Does ideology have an impact on such voting? Q2 Do representatives shirk
by voting their own ideology rather than their constituents’ interest?. “For the first question, it appears that there
is a consensus that ideology does matter, although we present some confirming evidence for 1980. The second
question has been confused; some think that ideology and skirking and identical although they are logically
separate categories”. Voir Borck, R. (1996) pour qui l’effet respectif de l’idéologie et des groupes d’intérêt est
indéterminé. Borck, R. 1996. Ideology and Interest group, Public Choice, 88, 1/2, 147-160.
32
Borge, L.E. 1995. Economic and Political determinants of fee income in Norwegian Local Government,
Public Choice, 83, 3/4, 353-373.
33
Potrafke, N. 2010. Does Gouvernment ideology influence deregulation of product markets? Empirical
evidence from OECD countries, Public Choice, 143, n°1-2, April 135-155.
34
Potrafke, N. 2009. Did Gliobalization restrict partisan politics? An Empirical evaluation of social expenditures
in a panel of OECD, Public Choice, 140, ½, 105-124.
35
Bjornskov C. and Potrafke, N. 2011. Political Ideology and Economic Freedom Across Canadian Provinces,
Eastern Economic Journal, 21, march.
36
Srinivasan, K. 1997. An Empirical Analysis of the Political Economy of Tariffs, Economics & Politics, 9, 1,
55-70.
37
Derthick, M. and Quirk, P.J. 1985. The Politics of Deregulation, Washington, DC.: Brookings Institutions.
38
Schulze, G.G. and Ursprung, H.W. 2000. La Donna e Mobile – or is She? Voter preferences and public
Support for the Performing Arts, Public Choice, 102, 1/2, 129-147.
39
Milner, H.V. and Tingley, D.A. 2010. The Political Economy of U.S. Foreign Aid: American Legislators and
the Domestic Politics of Aid, Economics & Politics, 22, 2, 200-232.
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12
Corn Law en 1846 au Royaume Uni (Irwin, 198940). Pour conclure ce point on trouve aussi un effet
partisan lors de la recherche des cycles politico-économiques (Hibbs 197741). La gauche accorde plus
de valeur à la lutte contre le chômage qu’à la lutte contre l’inflation. Les gouvernements de gauche
ont, pour cette raison, des politiques budgétaires et monétaires différentes des gouvernements de droite
(Hibbs 199242 ; Alesina et Roubini, 199243).
Les choix politiques semblent donc être essentiellement des choix idéologiques. Deux explications
peuvent être données de son rôle prépondérant de l’idéologie sur les choix de politique publique : une
explication axiologique (3.1.2) et une explication par la structure incitative (3.1.3).
3.1.2 La dimension axiologique des choix des élus
Tenir ses promesses est tout d’abord fortement recommandée moralement. Celui qui a pris des
engagements doit les respecter. Le non respect de la parole donnée peut ainsi être une à l’origine d’une
défaite électorale.
Anthony Downs (1962, 25, 1991, 146ff ; Udhen 1996, 111) a soutenu que la principale limite de son
analyse initiale des choix en démocratie était d’avoir sous-estimé le rôle, d’une part, de l’intérêt
général dans la prise de décision44 et, d’autre part, des valeurs sociales dans la dynamique des choix en
démocratie (Downs 1991 146ff ; Udhen, 1996, 111). L’élu ou le candidat ne cherche pas seulement à
gagner les élections. Gagner les élections n’est pas ici une fin en soi (Wittman 1983). Si gagner les
élections ne permet pas de changer la politique alors il ne sert à rien de les gagner. Tel pourrait être la
devise d’une policy-seeker. Son attitude vis-à-vis de la politique est essentiellement idéologique. Il
souhaite agir sur le réel en mobilisant les politiques publiques comme instrument du changement
social. Le programme politique apparaît alors comme le meilleur moyen d’établir un contrat entre lui
et ses électeurs. Il ne cherche pas à être élu pour être élu. Il cherche à être élu pour mettre en œuvre
une politique ou des politiques publiques.
Comment peut-on s’assurer que l’élu ne vote pas les lois par intérêt mais par idéologie ? Les travaux
de Poole et Rosenthal (199745) montrent pour les Etats-Unis sur la période 1789 – 1985 que
l’idéologie est le principe de base des votes au congrès des Etats-Unis (roll call voting). Un vote est
idéologique lorsque les élus votent selon un continuum et que leurs positions ne changent pas d’une
élection à l’autre. Il y a idéologie si on peut anticiper la décision électorale avant même que les
candidats et/ou les problèmes à résoudre ne soient connus. Cette inertie des comportements politiques
reflète la loyauté vis-à-vis du parti des représentants et oriente les pratiques de logrolling. Les votes
sont alors structurés par des coalitions qui se maintiennent dans le temps. Le vote est déterminé par
des choix passés des parents ou des grands-parents des électeurs. Poole et Rosenthal vont même
jusqu’à affirmer, pour les Etats-Unis, que les facteurs économiques sont inopérants sur leur période
d’étude. L’idéologie et le groupe ethnique joueraient un rôle beaucoup plus important Etats-Unis sur
les périodes 1830 – 1840 et 1940 – 1960 parce que le pays fût traversé par le débat sur la question
raciale. Pour obtenir ce résultat Poole et Rosenthal construisent une variable pour évaluer l’inertie
idéologique du vote qu’ils appellent NOMINATE. Cette variable est construite sur une procédure
itérative dont le but est de maximiser la probabilité attribuée à chaque vote observé. Le programme et
40
Irwin, D.A. 1989. Political Economy and Peel’s repeal of the Corn Laws, Economics & Politics, 1, 1, 41-59.
Alesina, A. and Roubini, N. 1992. Political Cycle in OECD Economies, Review of Economic Studies, 59,
663-688.
41
Hibbs, D.A. 1977. Political Parties and Macroeconomic Policy, American Political Science Review, 71, (4),
1467 – 1487.
42
Hibbs, D.A. 1992. Partisan theoy after fifteen years, European Journal of Political Economy, 8, 361-373.
43
Alesina, A. and Roubini, N. 1992. Political Cycle in OECD Economies, Review of Economic Studies, 59,
663-688.
44
« More generally, Downs (1962, 18ff, 1975, 1991) argues that people act in the public interest, in addition to
acting in their self-interest” (Udhen, 1996, 111).
45
Poole, K.T. and Rosenthal, H. 1997. Congress: A Political-economic history of roll call voting, New York:
Oxford University Press.
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13
les données sont disponibles sur le site suivant http://voteview.gsia.cmu.edu. Cela montre que les
positions de chaque élu évoluent selon une droite linéaire. Cela permet de prévoir plus de 80% des
positions des élus. Cette variable NOMINATE est fortement corrélée aux mesures plus traditionnelles
de l’idéologie.
Kau et Rubin (200246) toujours pour les Etats-Unis montrent, aussi, que l’idéologie serait un meilleur
moyen d’expliquer les votes des représentants au Congrès que leur intérêt électoral. L’idéologie des
élus serait un bon indicateur pour expliquer la manière dont les élus votent au parlement, notamment
au congrès des Etats-Unis (Kau et Rubin 2002, p.390). Pour évaluer le rôle de l’idéologie, la méthode
de Kau et Rubin (2002) consiste à déterminer, dans un premier temps, le vote que devrait faire le
député si sa décision était purement électoraliste. Ainsi un député d’une circonscription agricole
devrait voter les concours publics à l’agriculture alors qu’un député élu dans une circonscription
urbaine devrait plutôt voter contre ce type de dépense. Le résultat est qu’il plus facile de prévoir le
vote des élus par leurs idéologies que par leurs stricts intérêts.
3.1.3 La dimension instrumentale des choix des élus
A côté de cette explication par la dimension axiologique de l’action politique se dresse l’explication
instrumentale. Si les élus respectent leur programme c’est parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.
Ils y sont contraints par la structure incitative. Un élu qui ne ferait pas son programme serait
sanctionné par les électeurs (3.1.3.1) ou par son parti qui ne lui donnerait pas l’investiture pour les
nouvelles élections (3.1.3.2).
3.1.3.1 La crainte d’une sanction électorale
Les élus peuvent mettre en œuvre leur programme uniquement parce qu’ils craignent la sanction des
électeurs. Ne pas respecter son idéologie en démocratie s’est, en effet, prendre le risque de créer de
l’incompréhension chez les électeurs et un sentiment de rejet de la politique (abstention) et du
gouvernement qui n’a pas fait ce qu’il avait dit qu’il ferait. Pour bien comprendre cet argument il faut
rappeler le rôle central que joue l’idéologie dans le processus de coordination politique en
démocratie.
En politique l’incertitude est partout. Voter pour un candidat A ne permet pas de savoir si le candidat
B n’aurait pas mieux réussi à juguler la crise. Il est possible d’évaluer la politique de A, mais il est
impossible de savoir ce qu’aurait eu comme effet l’élection de l’autre candidat. L’information
nécessaire pour prendre une bonne décision n’étant pas disponible il est rationnel d’être ignorant
(Aranson 1989-199047). Cette ignorance est radicale et authentique. Elle est authentique lorsque
l’information est disponible mais que l’électeur ne l’achète pas. Elle est radicale lorsqu’elle n’est pas
disponible. On peut alors lier ignorance et vote (Bonilla 200448, 51), ignorance rationnelle et
idéologie (Downs 1957, Chapitre 13). L’idéologie donne une règle de décision. La gauche c’est bien
la droite c’est mal. Je ne sais pas pourquoi mais je suis cette règle. Suivre cette règle est juste dans un
monde d’incertitude. L’idéologie permet aussi de gérer l’ignorance authentique, car elle réduit les
coûts de compréhension des débats politiques et des électeurs. Elle fonctionne comme un signal.
Le clivage droite–gauche devient un signal. Il joue le rôle du point focal dans la théorie des jeux. Il
est un raccourci pour comprendre les conséquences des résultats électoraux (MacDonald et
Rabinowitz 199349 , 59) sur les politiques publiques parce qu’il permet d’anticiper les décisions des
gouvernements. A chaque idéologie correspond un type de politique. La droite luttera contre
46
Kau J.B. and Rubin P.H. 2002. The Growth of Government: sources and limits, Public Choice, 113, pp.389 –
402
47
Aranson, P.H. 1989-1990. Rational Ignorance in Politics, Economics and Law, Journal des économistes et des
études humaines, vol.1, 1, hiver, 24-42
48
Bonilla, C.A. 2004. A model of political competition in the underlying space of ideology, Public Choice, 121,
1/2, 51-67.
49
MacDonald, S.E. and Rabinowitz, G. 1993. Ideology and candidate evaluation, Public Choice, 76, 59-78.
« Ideology provides a natural shortland for understanding the broad consequences of election
outcomes » (MacDonald and Rabinowitz, 1993, 59).
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l’inflation, la gauche contre le chômage. Les effets des politiques budgétaires engagées pour lutter
contre le chômage peuvent alors être anticipés. Ce qui est à la base des modèles de cycles partisans
avec anticipation rationnelle (Alesina 1988 50). L’idéologie et ses clivages simplificateurs sont, alors,
des outils pour réduire les coûts de communication politique, baisser les coûts de coalition i.e. crée les
conditions de la création des partis politiques et limiter les problèmes d’agence. La conséquence de
ces fonctions de l’idéologie est la rigidité.
Comme signal l’idéologie réduit les coûts de communication. La droite et la gauche utilisent un
vocabulaire particulier qui permet aux électeurs de savoir à moindre coût qu’elle est le programme du
candidat (Slembeck 2004, 13151). Les mots en politique sont connotés idéologiquement afin de
réduire les coûts de communication entre les candidats et les citoyens. Le discours politique repose
ainsi sur des mots idéologiquement marqueurs (nationalisme, libéralisme, socialisme, communisme,
gaullisme, etc.) qui facilitent le placement sur l’échiquier politique (Asay 200852 pour l’intégration de
l’idéologie dans le modèle spatial du vote, CEPIPOF, 199053) et jouent le rôle de la monnaie sur le
marché (Facchini 200054 ). Chaque parti s’approprie des mots. A chaque mot correspond une marque
ou un parti. A chaque marque correspond une association mentale. Le parti politique est en ce sens un
label qui sert de raccourci pour les électeurs. Si l’électeur ne sait pas qui sont les candidats, il vote
pour le parti i.e. une marque. L’électeur cherche à confirmer cette association par la parole d’experts
ou quelques informations supplémentaires. L’idéologie est donc particulièrement pertinente dans un
contexte de fragmentation et de volatilité des partis politiques, car les étiquettes fournissent des
moyens pour les électeurs de s’ajuster de manière pertinente aux évolutions des choix sociaux. La
démocratie devient alors une procédure où les discours des agents sont structurés et répartis selon leur
idéologie (Duverger 197655 , 19 ; Key, 196656).
En baissant les coûts de communication, l’idéologie structure les débats politiques. Elle explique
l’existence des partis. Les partis coalisent des individus qui ont des préférences similaires et qui
s’engagent sur des programmes politiques. Ils sont les garants de la réalisation de ce dernier une fois
les élections gagnées. L’existence des partis ainsi expliquée, les idéologies des partis deviennent des
50
Alesina, A. 1988. Macroeconomic Policy in a Two Party System as a Repeated Game, Quarterly Journal of
Economics, 102, 651-678.
51
« Ideology allows the formation of group of actors that share interest and beliefs. Without the possibility to
commit to some ideology it would be difficult for isolated political actors to bring together their resources and
find political support. This bundling and coordination of interests and views may be desirable, because is allows
the formation of platforms that are needed for finding the consensus necessary for collective action in a
democracy” (Slembeck, 2004, 131).
52 Asay,
53
G.R. 2008. How does ideology matter in the spatial model of voting ? , Public Choice, 135, 109-123.
CEVIPOF 1990. L’électeur français en question. Paris, Presses de la FNSP
54
Facchini, F. 2000. Les effets de l’absence de prix monétaire sur la coordination politique, Journal des
économistes et des études humaines, 2000, 2/3, juin/septembre, pp.345-362. Repris dans Problèmes
économiques du mercredi 23 mai 2001, n°2714.
55
Duverger, M. 1976. Les partis politiques, Paris, Armand Colin, coll. Points Politiques, n°114.
56
Key, V.O. 1966. The Responsible Electorate, Cambridge, MA : Harvard University Press.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !14
15
réponses rationnelles à la nécessité de créer des majorités aux parlements (Bawns 199957) lorsque les
gains d’une coalition idéologique sont suffisamment importants (Reich 2007 184)58.
L’idéologie limite, pour ces raisons, l’opportunisme des hommes politiques, autrement dit les
problèmes d’agence. Parce qu’elle baisse les coûts de communication et structure l’organisation des
partis politiques et leur positionnement sur l’échiquier, l’idéologie limite le problème d’agence soulevé
par la théorie du « shirking » (Dougan et Munger 198959 ). Dougan et Munger (1989) interprètent le
vote idéologique des élus comme un investissement pour créer ou maintenir de la réputation
idéologique. Ils montrent que la réputation d’idéologue d’un élu peut à la fois servir à limiter la
recherche d’information des électeurs et à contraindre l’élu à servir les intérêts de l’électeur (Dougan
et Munger 1989, 121). Sous cette hypothèse, inspirée par Downs, les gouvernements qui gagnent les
élections devraient être uniquement ceux qui respectent leur idéologie. Face à des électeurs
idéologues, les gouvernements et les candidats doivent adopter des politiques publiques et des
discours qui correspondent à l’idéologie de leur parti politique, car l’idéologie est la seule information
prise en compte par l’électeur pour évaluer les propositions des hommes politiques et de leurs partis.
Un comportement non idéologique de la part des gouvernements ou des parlementaires introduirait de
la confusion et in fine de l’abstention et/ou un vote vers des candidats dont les programmes sont moins
coûteux à identifier. Les travaux de Glazer et Grofman (1989)60 ou Wärneryd (1994)61 développent
cette proposition d’un point de vue théorique.
En faisant de l’idéologie un signal la théorie économique de l’idéologie issue de Downs réussit à
modéliser une situation d’équilibre entre la demande des électeurs et l’offre des élus. Les
gouvernements qui gagnent les élections sont uniquement ceux qui respectent leurs idéologies. Un tel
principe crée de l’inertie du côté des élus. Les gouvernements ont uniquement pour obligation de ne
pas changer leur politique et leur discours. Ils sont plus jugés sur leur fidélité à leur idéologie que sur
leur capacité à s’adapter aux circonstances économiques et politiques. Ils doivent surtout ne pas
déroger à leur discours. Un gouvernement sait qu’il n’est pas jugé sur ses résultats, mais sur la fidélité
à l’idéologie des partis qui le soutiennent. Il n’a pas à réviser sa manière de voir le monde parce qu’il
sait que les électeurs ne le comprendraient pas (Mueller, 2003, 447, 2010, 517). Les électeurs de leur
côté cessent d’être impartiaux (Mueller, 2003, 440). Ils deviennent inertes, conformistes et/ou rigides
(Hoffe and Stiglitz, 201062).
57
Bawn, K. 1999. Constructing « Us » : Ideology, coalition politics, and false consciouness, American Journal of
Political Science, 43 (April), 303-334.
58
Reich, G. 2007. Constitutional Coordination in unstable party systems: the Brazilian constitution of 1988,
Constitutional Political Economy, 18, 177-197. « Ideology is especially pertinent in a context of fragmented and
volatile political parties, in which party labels provide an unreliable fit for social choice. In such a context,
ideologies provide an unreliable fit for social choice. In such a context, ideologies provide the cognitive order,
the “first principle”, of political choice. This notion is complemented by Bawns’s (1999) argument that
ideologies reflect a rational responses to the need to create majorities in legislative bodies: when the benefits of
cooperation are large enough, and future payoffs are not heavily discounted rational actors are motivated to
build ideological coalitions“ (Reich, 2007, 184).
59
“Several recent empirical studies of legislative voting conclude that forces others than the objectively
identifiable self-interest of voters in a district influence a representative’s voting behaviour” (Dougan and
Munger, 1989, 119).
60Glazer, A.
and Grofman, B. 1989. Why representation are ideologists through voters are not, Public Choice, 61,
1, 29-39 . Glazer, A. and Grofman, B. (1989) montrent que l’idéologie permet aux candidates d’expliquer leur
position et est une source de stabilité électorale parce qu’elle structure le débat entre les élites sur les questions
politiques.
61
Wärneryd, K. 1994. Partisanship as information, Public Choice, 80, 3/4, 371-380. Wärneryd, K. (1994)
montre théoriquement que le label partisan n’est pas un signal suffisant.
62Hoffe,
K, and Stiglitz, J. 2010. Equilibrium Fiction: A cognitive Approach to Societal Rigidity, American
Economic Review, 100, (2), 141-146.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !15
16
3.1.3.2 L’investiture du parti
VOIR : Sartori, G. 1994. Comparative Constitutional Engineering. An inquiry into structures,
incentives and outcomes, MacMillan.
3.2 Pourquoi l’élu ne respecte pas ses promesses ?
Les élus peuvent aussi ne pas tenir leur promesse. Plusieurs explications peuvent être avancées. Ils ont
eu un discours démagogique auprès des électeurs que pour être élu. Une fois élus, ils cherchent
seulement à profiter de leur position pour se faire un réseau et se rapprocher des groupes d’intérêts les
plus puissants. Ils cherchent à mettre en œuvre leur réelle idéologie (3.2.1). Ils jugent que les
conditions sociales et économiques ne sont pas réunies pour mettre en place les politiques qu’ils
avaient promises (3.2.1).
3.2.1 La théorie du SHIRKING
Les élus peuvent utiliser leur position d’agence une fois élu pour mettre en œuvre leur idéologie
propre et se détourner de l’idéologie et des programmes du parti. Ils utilisent leur position dans la
relation d’agence politique pour mettre en œuvre leurs idéologies ou se constituer un réseau qui leur
sera utile une fois sortie de la politique. Ces choix signifient qu’ils ne cherchent plus la réélection. Une
fois élu ils révèlent leur réelle fonction d’objectif. Ils acceptent de prendre le risque de perdre les
élections pour ne pas trahir leurs idéologies (Figlio 200063 ) et/ou pour rendre service à des groupes qui
une fois battu aux élections leur permettront de monnayer leur carnet d’adresse. Ils adoptent d’autant
plus cette posture qu’ils sont en fin de mandat. Comme il y a d’importants glissements entre les
intérêts des élus et des électeurs, il y a d’importantes différences entre l’idéologie des électeurs et des
élus (Higgs 1987, 16)64. Ces différences peuvent s’expliquer par des conceptions concurrentes de
l’intérêt général ou par la vénalité des élus (Higgs 1987, 16). Le contrat politique qui lie l’électeur à
l’élu est donc traversé par l’opportuniste de l’agent, le politique (Dougan et Munger 198965, 123). Les
élus profitent du problème d’agence pour s’écarter de leur programme (Kau et Rubin 199366 ; Kalt et
Zupan198467, 283).
L’élu cherche à maximiser une fonction d’utilité qui dépend de la réalisation de son idéologie (effet
positif), de ses gains électoraux et du montant des fonds qu’il peut obtenir pour faire campagne,
diffuser son idéologie et gagner les élections.
3.2.2 L’incertitude
Dans une démocratie représentative les élus ne sont pas liés par un mandat impérative à leurs électeurs
(Manin 199568, p.212). C’est ce qui fait la supériorité de ce type de régime sur la démocratie directe.
Un mandat impératif supposerait en effet que les électeurs savent à l’avance ce sur quoi les
gouvernements auront à trancher. La révocabilité du contrat permet de faire face à des situations non
anticipées durant la campagne électorale. « Des promesses ou des programmes ont pu être offerts, les
représentants ont toujours conservé, en dernière instance, la liberté de les respecter ou non » (Manin
1995, p.214). Le candidat pourra défendre ses choix au moment des élections. Il expliquera pourquoi il
n’a pas tenu ses promesses. Le vote sur des promesses pourra alors à nouveau être mis en œuvre.
63
Figlio, D.N. 2000. Political shirking, opponent quality, and electoral support, Public Choice, 103, 271-284.
64
Higgs, R. 1987. Crisis and Leviathan. Critical Episodes in the growth of American Government, Oxford
University Press, New York Oxford. « Just as there is much slippage between the economic interests of
constituents and the actions of their political representatives, there is much slippage between the opinions or
ideologies of constituents and the actions of their political representatives » (Higgs, 1987, 16). “Another part of
the slippage may result from nothing more than simple venality, as governmental officials serve the highest
bidder” (Higgs, 1987, 16).
65
Dougan, W.R. and Munger, M.C. 1989. The rationality of ideology, Journal of Law and Economics, vol.32, 1,
119-142.
66
Kau, J.B. and Rubin, P.H. 1993. Ideology, voting and shirking, Public Choice, 76, 151-172.
67
Kalt, J.P. and Zupan, M.A. (1984). “Capture and Ideology in the Economic Theory of Politics”, American
Economic Review, 74, 279 – 300.
68
Manin, B. 1995. Principes du Gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy.
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17
4. Cycle politico-économique et opportunisme des élus
La théorie des cycles69 fait l’hypothèse que les gouvernements sont « office seeker ». Elle fait aussi
plusieurs hypothèses sur la manière dont les gouvernements se représentent le vote des électeurs. Elle
explique les cycles de récession et d’expansion de la production par les choix politiques des
gouvernements qui tentent de manipuler ou de convaincre l’opinion publique qu’ils sont les plus
capables. La théorie des cycles politico-économiques traite ainsi en creux de la difficile question de la
coordination de l’offre et de la demande politique, de la capacité du système électoral à sanctionner ou
les mauvais gouvernements. Elle pose la question suivante : est-ce que les électeurs sont en mesure de
sanctionner les mauvaises politiques économiques ?
La première condition pour répondre par l’affirmative à cette question est l’existence d’un vote
instrumentale et rétrospectif. Les électeurs doivent voter sur le bilan économique du gouvernement,
d’une part, et de manière socio-tropique, d’autre part. La dimension socio-tropique du vote a plutôt été
bien documentée (Chapitre 3). Il est plus difficile, en revanche, de dissocier de manière claire le
caractère rétrospectif du caractère prospectif du vote.
Si on accepte ce vote rétrospectif et instrumental il faut, ensuite, s’interroger sur la compétence des
électeurs. Les électeurs sont qualifiés de naïfs ou de sophistiqués.
-
Les électeurs naïfs peuvent se faire abuser par le gouvernement car ils ne jugent un candidat
que sur sa dernière année de mandat et sans s’interroger sur les conséquences
macroéconomiques à moyen et long terme des choix de politique économique qui ont conduit
aux bons résultats économiques du gouvernement. C’est le scénario dans lequel se place
l’article séminal de Nordhaus (197570). Nordhaus (1975) construit sa théorie sur la courbe de
Phillips de Friedman (1968) et l’hypothèse d’électeurs myopes et incapables d’apprentissage.
-
Les électeurs sophistiqués ont des anticipations rationnelles. Ils ne peuvent pas se faire abuser
par le gouvernement. C’est l’hypothèse d’Alesina (198771 ) qui reprend à cette occasion la
quatrième interprétation de la courbe de Phillips.
4.1 Troisième interprétation de la courbe de Phillips et cycle politique avec
électeur naïf
A l’origine Alban Phillips (195872) observe une relation négative entre le taux de chômage et le taux
de variation des salaires nominaux au Royaume-Uni entre 1861 et 1957 (Figure 1).
Figure 1 La courbe de Phillips initiale
Taux de Variation
Annuel des salaires
Nominaux (en %)
69
Eric Dubois 2016. Political Business Cycles 40 Years after Nordhaus. Public Choice, Springer Verlag, 2016,
166 (1-2), pp.235-259.
70
Nordhaus, W.D. 1975. The political business cycle», Review of Economic Studies, 1975, 42, 169-190.
71
Alesina, A. 1987. Macroeconomic policy in a two-party system as a repeated Game, Quarterly Journal of
Economics, 102 : 651-678.
72
Phillips A.W. (1958). The relation Between Unemployment and the Rate of Change of Money Wage Rates to
the United Kingdom, 1867-1957, Economica, 25, (4), November, pp.283-299.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !17
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Taux de Chômage
Par construction l’histoire de la théorie construite autour de la courbe Phillips va alors être très
dépendante des observations statistiques tout d’abord et des enjeux de politique économique ensuite.
Les gouvernements justifiant leurs décisions par l’existence de cette courbe sa défense a des enjeux
qui dépassent largement le débat scientifique. Elle met en cause la crédibilité d’une partie de la
profession des économistes, mais aussi l’idée que l’Etat par une politique de stabilisation opportune
pouvait agir efficacement sur les grands agrégats macroéconomiques et ainsi pallier les carences de
l’économie de marché. La relation inflation – chômage devenait ainsi une composante très importante
de l’orthodoxie keynésienne. Pour passer de la variation annuelle du taux de salaire nominal à
l’inflation il suffit d’ajouter une autre ordonnée.
C’est ce que font Samuelson et Nordhaus (200573, Chapitre 32, section B, Figure 2). Cette courbe est
appelée seconde courbe de Phillips ou courbe de Phillips keynésienne. Elle a été popularisée par des
auteurs comme Samuelson et Solow (196074) et Lipsey (196075). Elle est le fondement de cette idée
que les gouvernements peuvent exploiter l’arbitrage inflation – chômage pour réduire le chômage avec
un coût additionnel en termes d’inflation restreint (Gordon 201176, p.10). Cette seconde courbe de
Phillips a transformé une relation statistique en argument en faveur d’une politique économique active
dite de « stop and go ».
La seconde courbe de Phillips décrit une relation positive entre inflation et chômage (Figure 2).
Figure 2 : La courbe de Phillips Keynésienne
Taux d’inflation
(en %)
Taux de variation
des salaires
Taux de Chômage (en %)
L’inflation favorise la production qui supporte la création d’emplois i.e. la baisse du chômage.
L’inflation dépend de la hausse des salaires nominaux moins la croissance de la productivité. Le taux
de variation des salaires nominaux est déterminé de façon complètement indépendante du taux
d’inflation. Ceci implique que les travailleurs souffrent d’illusion monétaire complète, car ils fondent
leurs décisions d’emploi sur le niveau des salaires nominaux de façon complètement indépendante du
niveau des prix. Si l’illusion monétaire est totale l’effet d’une politique de relance est complet. Ainsi
le gouvernement peut accepter l’inflation pour se rapprocher d’une situation de plein emploi i.e. pour
73
Samuelson P.A. and Nordhaus W. (2005). Economics, 18 éd. Irvin MacGraw-Hill, New York,
traductionfrançaise Françoise Larbreet Alain Thomazo, Economica, 2005.
74
Samuelson P.A. and Solow, R. (1960). Analytical Aspects of Anti-Inflation Policy, Americain Economic
Review, 50, (2), pp.177-194.
75Lipsey
R.G. (1960). The Relation Between Unemployment and the rate of Change of Money Wage Rates in the
United Kingdom, 1862-1957: A Further Analysis, Economica, February, volume 27, pp.1-31.
76
Gordon, R.J. (2011). The History of the Phillips Curve Consensus and Bifurcation, Economica 78, 10-50, This
paper was written on the occasion of the 50th anniversary of Phillips’original article (2009).
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soutenir la croissance de la production. La courbe de Phillips venait ainsi contredire l’idée classique
qu’il fallait éviter l’inflation d’origine monétaire.
Dès les travaux de Solow-Samuelson (1960) l’existence d’une courbe de Phillips pour les Etats-Unis
est remise en cause par la simple observation des faits bruts.
La courbe de Phillips serait instable (Samuelson et Nordhaus 2005, Chapitre 12, Section B La relation
de Phillips). Même dans un pays comme les Etats-Unis elle apparaît et disparaît aux grés des années
(Ekelund et Tollison77 1991, p.444). Cela montre, aussi, que le modèle de Solow-Samuelson n’est pas
seulement ad hoc.
Les monétaristes et les nouveaux classiques proposent une troisième interprétation de la courbe de
Phillips. Cette troisième interprétation daterait de l’apparition à la fin des années soixante aux Etats Unis d’une relation positive entre inflation et chômage i.e. d’un phénomène de stagflation. Cette
nouvelle interprétation dite courbe de Phillips à NAIRU constant aurait fait consensus jusqu’en 1975,
pour ensuite être remise en cause parce que les faits à nouveau la contredisaient (Gordon 2011). A
l’origine de la courbe de Phillips à NAIRU constant il y a l’article de Milton Friedman de 196878 . Ce
dernier introduit deux notions clés : la distinction entre une courbe de Phillips de court et de long
terme et la notion de taux de chômage naturel. Cette courbe à NAIRU constant est reprise par
Samuelson &Nordhaus (2005) et soutenue par Joseph Stiglitz en 199779. Elle représente un moment
de consensus (Gordon 2011) et montre la victoire de Friedman sur les keynésiens durant les années
soixante-dix.
Selon Friedman (1968) la courbe de Phillips initiale reliant taux de variation des salaires nominaux et
chômage n’était pas correctement formulée, car elle ne tenait ni compte des anticipations ni de
l’existence d’un taux de chômage naturel. L’arbitrage inflation – chômage existait mais seulement à
court terme. A long terme les anticipations étaient rationnelles et l’illusion monétaire disparaissait
(Friedman 1968, p.11). Friedman levait ainsi partiellement l’hypothèse d’illusion monétaire totale. Les
salariés et les employeurs s’ajustaient aux salaires réels sur le long terme. La troisième courbe de
Phillips était alors entre le taux de variation des salaires réels et le taux d’inflation attendu ou anticipé.
La relation entre le taux de salaire anticipé et le taux d’inflation anticipé s’inspirait des travaux de
Phelps (196880 ). Phelps avait en effet remplacé l’indice du coût de la vie par les anticipations sur les
prix. Si les anticipations étaient naïves81 les travailleurs négociaient leurs salaires sur la base du taux
d’inflation observé à la période précédente.
C’est sur cette base que les néo-keynésiens Layard & Nickell (199182 ) ont construit la troisième
courbe de Phillips à NAIRU constant.
Ils substituent à la notion de taux de chômage naturel la notion de NAIRU afin de tenir compte de la
distinction court et long terme et de rendre compte de la croissance simultanée de l’inflation et du
chômage constatée aux Etats-Unis à la fin des années soixante.
77
Robert B. Ekelund and Jr. Robert D. Tollison (1991). Macroeconomics, Third Edition, Harper Collins.
78
Friedman, M. (1968). « The Role of Monetary Policy », American Economic Review 58 (1), 1-17.
79
« I have become convinced that the NAIRU is a useful analytical concept. It is useful as a theory to understand
the causes of inflation. It is useful as an empirical basis for predicting changes in the inflation rate. And it is
useful as a general guidelines for tal guidelines for thinking about macroeconomic policy » (Stiglitz 1997).
80Phelps,
Edmund S. (1968). Money-Wage Dynamics and Labor Market Equilibrium. Journal of
PoliticalEconomy76 (S4): 678–711
81
ANTICIPATION ADAPTATIVE. Quand le chômage est supérieur au taux naturel, l’inflation baisse et quand
il est inférieur l’inflation augmente. Dans ce modèle l’inflation est supérieure à l’inflation anticipée parce que le
chômage est inférieur à son niveau naturel et que les anticipations adaptatives font augmenter le taux anticipé
d’inflation, qui à son tour augmente l’inflation : d’où le NAIRU.
82
Layard, R. and Nickell S. (1991). « Unemployment in Britain », Economica, supplement 1986, 210, pp.
121-170.
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Cette interprétation a un effet très important sur la capacité des gouvernements à résoudre le problème
du chômage. L’existence d’un taux de chômage structurel rend, en effet, les politiques conjoncturelles
inefficaces en matière de retour au plein emploi. A long terme il est impossible de s’écarter du taux de
chômage naturel ou NAIRU (Nonaccelerating Inflation Rate of Unemployment). Le niveau du NAIRU
est déterminé par les conditions sociales et techniques. Il est le seul à être compatible avec un taux
d’inflation constant. L’économie se déplace autour de ce taux qui est constant.
La Figure 3 décrit ce jeu autour du NAIRU. Initialement l’économie se place au point A sur la courbe
de Phillips de court de la période 1) Des innovations et/ou l’ouverture à des nouveaux marchés crée un
cycle d’expansion.
- Ce boom favorise l’apparition d’une situation de pénurie de main d’œuvre qui crée une
tension à la hausse sur les salaires réels. L’expansion conduit l’économie à se placer au point
B (flèche 1 sur la Figure 3).
- L’augmentation des salaires favorise la demande et crée les conditions d’une augmentation du
niveau général des prix (inflation). Au point B l’inflation est plus forte et le chômage moins
élevé. L’inflation a, cependant, tendance à rogner sur le pouvoir d’achat des salaires
nominaux.
- Les agents commencent alors à réviser leurs anticipations d’inflation. Cela se traduit
graphiquement par un déplacement de la courbe de Phillips vers la droite (flèche 2 sur la
Figure 3) et de l’économie au point C. En C il y a plus d’inflation et un taux de chômage égal
au NAIRU.
Figure 3 : La courbe de Phillips avec taux de chômage naturel constant
Taux d’inflation
Courbe de Phillips de long terme (verticale)
2
B
C
1
Courbe de Phillips de court terme (période 3)
A
E
Courbes de Phillips de court terme (période 1 et 2)
D
Taux de Chômage Naturel (NAIRU)
Taux de Chômage
L’économie revient ainsi mécaniquement à son niveau de chômage structurel. Ces mêmes ajustements
existent lorsqu’une économie entre dans un cycle de récession. La récession crée un excès de main
d’œuvre, à des licenciements et à une augmentation du taux de chômage. Ce chômage a cependant une
nature conjoncturelle i.e. temporaire. Il provoque une baisse de la demande et in fine crée les
conditions de la déflation, de la baisse du niveau général des prix (point D sur la Figure 8). Les agents
ajustent alors leurs anticipations d’inflation à la baisse et l’économie se place au point E. L’inflation y
est moindre et le taux de chômage toujours égal au NAIRU.
C’est dans ce contexte que la théorie néo-keynésienne repense les effets des politiques économiques
sur la réalisation de l’objectif de plein emploi.
Dans la perspective monétariste les causes du chômage se trouvent dans l’encadrement de la liberté
contractuelle qui limite la flexibilité des transactions entre les employeurs et les employés.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !20
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Les Néo-keynésiens défendent, au contraire, l’idée que les vraies causes du chômage sont les
imperfections du marché i.e. ses défaillances (externalité, asymétrie d’information, concurrence
imparfaite, myopie, etc.). A côté des causes conjoncturelles ou chômage frictionnel il y a les rigidités
naturelles du marché.
Pour rétablir le plein emploi il est nécessaire de mettre en place une politique économique adapté à
chaque situation.
- Si le taux de chômage courant est inférieur au NAIRU la politique économique doit être
restrictive, car la demande de travail des entreprises est supérieur à l’offre des salariés ce qui
provoque des tensions à la hausse des salaires qui sont indépendantes de gains éventuels de
productivité et qui ne peuvent, pour cette raison, que déboucher sur une hausse des prix i.e. de
l’inflation. La banque centrale doit dans ces conditions augmenter ses taux d’intérêt et mettre
en place une politique monétaire restrictive. Les politiques d’austérité et/ou de restriction
monétaire sont conseillées lorsque l’économie se situe en B sur la Figure 8.
-
Inversement si le taux de chômage courant est supérieur au NAIRU la politique économique
doit être expansionniste et tenir compte du degré de rigidité du marché du travail. Si le marché
du travail est flexible une politique de soutien de la demande n’aura pas d’effets
inflationnistes. La Banque centrale peut baisser ses taux d’intérêt pour stimuler la croissance
et favoriser l’embauche. Si le marché du travail est rigide des politiques monétaires
expansionnistes auront des effets inflationnistes mais seront sans effet sur le niveau du taux de
chômage. L’action des gouvernements est, donc, injustifiable lorsqu’elle cherche par des
politiques conjoncturelles à résoudre un problème de nature structurelle.
Ces conclusions forment ce que certains Post-Keynésiens appellent le nouveau consensus
macroéconomique (New consensus macroeconomics) (Arestis et Sawyer 200383 ).
- Le premier principe de ce consensus est la verticalité de la courbe de Phillips à long terme
(Figure 3). La politique monétaire dans ce modèle n’a aucun moyen de réaliser le plein
emploi. La seule conséquence d’une politique d’expansion du crédit est alors de générer de
l’inflation.
- La deuxième conséquence est la mise en place d’une constitution monétaire qui rend le
banquier central indépendant du gouvernement. Les politiciens sont, en effet, toujours tentés
d’utiliser la politique monétaire pour réduire le chômage à court terme afin de gagner les
élections (Rogoff 198584). La conséquence est la stagflation i.e. plus d’inflation à long terme
et toujours autant de chômage.
- La troisième conséquence porte sur la nature du désaccord entre monétariste et néokeynésiens. Ce désaccord se déplace sur les causes du NAIRU. Les néo-keynésiens85 insistent
sur les défaillances du marché du travail, les Post-Keynésiens sur l’insuffisance de la demande
alors que les monétaristes préfèrent revenir sur l’effet de la loi sur la rigidité des salaires réels
à la baisse. La thèse de la rigidité naturelle du marché du travail se nourrit des travaux autour
83Arestis
P. and Sawyer M. (2003). The nature and role of monetary policy when money is endogenous, Levy
Economics Institute of Bard College, Mar., Working Paper Series n°374.
84Rogoff
K. (1985). The optimal degree of commitment to an intermediate monetary target, Quarterly Journal of
Economics, 100, (4), pp.1169-1189.
85
Empiriquement les variables capables d’expliquer la baisse du NAIRU aux Etats-Unis sont nombreuses : 1)
changement de la structure par âge de la population, 2) hausse des taux d’incarcération, 3) augmentation du
niveau d’éducation et de la productivité du travail, 4) meilleure adéquation entre éducation et emplois demandés,
5) plus grande efficacité des programmes l’augmentation du nombre d’immigrés qui fait pression à la baisse sur
les salaires, 8) les règles de formation des salaires et 9) les nouvelles technologies à l’origine d’une croissance de
la productivité (Fauvel et al. 2005, pp.669-678). Il est probable que toutes ces variables ont joué un rôle dans la
baisse du NAIRU aux Etats-Unis, mais s’il s’agit uniquement de faits singuliers. Ils ne peuvent rien nous
apprendre sur ce que le gouvernement américain doit faire puisque le futur ne sera pas uniquement la
reproduction du passé. Il est important ensuite de constater que la courbe de Phillips à NAIRU variable reste
verticale et les explications du déplacement du NAIRU non monétaire. Il n’y a pas alors de raisons de retourner
au plein emploi grâce à une politique monétaire expansionniste.
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22
-
des phénomènes d’hystérésis86, de l’existence de salaires d’efficience et/ou de courbe de
Phillips Behavioriste (Akerlof, Dickens et Perry 200187, pp.21-22)88. Les Post-Keynésiens de
leur côté insiste sur le lien entre insuffisance de la demande et niveau du NAIRU (Hein and
Stockhammer 201089). Ils situent l’origine d’un niveau de NAIRU dans la faiblesse de
l’investissement et de l’accumulation de capital ainsi que dans un partage salaire – profit
favorable au profit et donc défavorable à la consommation et à la demande. Tous ces débats
conduisent à faire l’hypothèse d’une courbe de Phillips à NAIRU variable.
La quatrième conséquence est empirique. Il faut réussir à calculer le NAIRU correctement ce
qui s’avère extrêmement délicat90 . Les estimations pour la France de 1970 à 2013 montrent
que le NAIRU tend se déplace vers la droite (Figure 9). Mais aussi que ce déplacement se fait
à des vitesses très différentes d’une période à l’autre. La croissance du NAIRU serait très forte
de 1970 à 1985 et se stabiliserait de 1985 à 2013 dans une fourchette comprise entre 8% et
10% entre 1985 et 2013. La courbe de Phillips à NAIRU constant doit alors laisser la place à
une courbe de Phillips à NAIRU variable.
Figure 4
Le NAIRU (1970-2012 – France)
13
9,75
NAIRU-France
Taux de Chömage (en %)
6,5
3,25
0
!
1970 1977 1984 1991 1998 2005 2012
Source :Dataset: Economic Outlook No 93 - June 2013 - OECD Annual Projections. NAIRU - Unemployment
rate with non-accelerating inflation rate
Si ces enchaînements sont justes, le gouvernement peut vouloir manipuler à court terme les résultats
macroéconomiques du pays. Il peut chercher à se placer en B grâce à une politique économique
adaptée (Nordhaus 1975). Le gouvernement exploite les gains électoraux que peut lui fournir la courbe
de Phillips de court terme et l’existence d’anticipations naïves des électeurs (Dubois 2016). Le cycle
des affaires pourrait s’expliquer en partie par le cycle électoral. A chaque élection les gouvernements
engagent des dépenses publiques et des politiques de baisse des taux d’intérêt qui favorisent
86
Voir le Mini Symposium publié dans sur cette question dans le Journal of Post KeynesianEconomics, 15, (3),
1993.
87Akerlof
G.A., Dickens W.T. and Perry (2000). Near Rational Wage and Price Setting ad the Long-run Phillips
Curve, Brookings Papers on Economic Activity, 1, pp.1-61.
88
Dans le modèle d’Akerlof et al. (2001) l’effet de l’inflation sur le chômage dépend du niveau de l’inflation. Si
les taux d’inflation sont proches de zéro les individus se moquent de répercuter ou non l’inflation sur les salaires.
La courbe de Phillips est verticale. A l’inverse lorsque l’inflation est élevée. Les anticipations d’inflation jouent
leur rôle, car les agents souhaitent anticiper afin de répercuter la hausse des prix sur les salaires. La courbe de
Phillips serait verticale uniquement lorsque les taux d’inflation sont bas. Cela signifie que la pente de la relation
inflation - chômage dépend du niveau de l’inflation. La courbe de Phillips aurait donc une forme non linéaire
(Clark, Laxton et Rose 1996). Clark, P.B., Laxton D. and Rose D. (1996). Asymetry in the US out-put-Inflation,
IMF Staff Papers, 43 (march), pp.216-251
89
Hein E. and Stockhammer, E. (2010). Macroeconomic Policy Mix, Employment and Inflation in a PostKeynesian Alternative to the New Consensus Model, Review of Political Economy, 22, (3), pp.317-354.
90
VOIR ARTICLE DE L’HORTY ETC ;
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !22
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l’expansion. Après chaque élection, cependant, il faut payer les dépenses engagées. La période
postélectorale est un moment d’austérité et in fine de baisse de l’activité économique. Les cycles
économiques auraient ainsi une cause politique. L’année des élections serait plutôt une année
d’expansion alors que les premières années du mandat seraient plutôt des années de récession. Si un
tel phénomène existe, le système électoral ne sanctionne pas les mauvaises politiques. Il récompense
seulement les gouvernements qui réussissent à avoir un haut taux de croissance en période
préélectorale.
4.2 Quatrième interprétation de la courbe de Phillips avec électeurs sophistiqués
Outre les hypothèses très fortes sur la fonction de vote des électeurs, la théorie des cycles politiques
repose sur une interprétation de la courbe de Phillips qui n’a pas intégré l’hypothèse d’anticipation
rationnelle.
Il n’est pas évident, en effet, que les agents n’anticipent pas à court terme les effets des politiques
monétaires. Dans ce cas la courbe de Phillips de court terme devient elle aussi verticale (Figure 5).
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !23
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Figure 5 La courbe de Phillips des Nouveaux Classiques
Taux d’inflation
Taux de Chômage Naturel
Taux de Chômage
Les nouveaux classiques après Lucas sont plus radicaux et ne soutiennent pas cette conclusion. Ils
soutiennent, en effet, que les acteurs anticipent tout de suite l’effet inflationniste des politiques
expansionnistes. Ils intègrent, alors, dans leur calcul économique l’effet de l’inflation avant même que
ces effets aient eu lieu. Ils demandent des augmentations de salaire dès que le Gouvernement annonce
ces politiques d’expansion du crédit et de déficit budgétaire financée par l’emprunt et les avances de la
Banque centrale. Les politiques économiques keynésiennes deviennent, alors, totalement inefficaces,
mêmes à court terme. La quatrième courbe de Phillips décrit alors une relation verticale à long et à
court terme dès que les agents ont compris les effets inflationnistes des politiques d’expansion du
crédit (Figure 5). Dans cette perspective Sargent (199991) a montré que la pente de la courbe de
Phillips dépend en fait de la manière dont les autorités politiques et monétaires se représentent cette
courbe. Il y aurait en ce sens comme un modèle auto-réalisateur.
Cette quatrième courbe de Phillips renouvelle ainsi profondément les débats sur l’efficacité des
politiques économiques et leurs conditions. Si, en effet, comme l’affirme Lucas les agents anticipent
parfaitement les effets des décisions de policy-mix les politiques monétaires et budgétaires ne sont pas
seulement inefficaces. Elles sont aussi incohérentes. Une politique économique justifiée au temps t1
modifie les comportements des agents immédiatement et devient inappropriée au temps t+1 (Kydland
et Prescott 197792). La seule solution serait de contraindre l’Etat à avoir une conduite prévisible et
irréversible. Il est pour cette raison souhaitable d’instituer une constitution fiscale ou monétaire.
Anticiper parfaitement les décisions de policy-mix c’est en fait connaître la représentation que les
hommes du gouvernement et le banquier central se font de l’économie i.e. avoir des informations sur
leur formation, leur doctrine.
Il existe, cependant, une solution évidente à ce problème d’anticipation des agents. Pour redonner son
efficacité aux politiques économiques, il suffit que les décisions du Gouvernement ne soient pas
anticipées par les agents. En agissant par surprise l’efficacité de court terme des policy-mix peut être
réhabilitée. C’est le résultat auquel abouti le nouveau consensus macroéconomique. Le Gouvernement
intègre dans ses anticipations les anticipations des agents. La décision de politique économique
devient un jeu dynamique entre le gouvernement, son autorité monétaire (banque centrale) et les
agents du secteur privé. Initialement, le gouvernement devait tricher pour prendre les agents par
surprise. Ensuite, la règle dite de la cible d’inflation s’est imposée pour devenir la nouvelle orthodoxie
en matière de politique monétaire. Elle doit concilier règle et surprise.
Bernanke et Mishkin là qualifie de « constrained discretion model » (Bernanke et Miskin 199793, p.
104). La question posée par l’efficacité de la politique monétaire devient alors la suivante :
91
Sargent T.J. (1999). The Conquest of American Inflation, Princeton University Press, Princeton.
92Kydland
Finn E. and Prescott Edward C. (1977). Rules rather than Discretion: the Inconsistency of Optimal
Plans, The Journal of Political Economy, 85, 3, June, pp.473-492.
93
Bernanke, B.S. and Mishkin, F.S. (1997). Inflation Targeting: a new framework for monetary policy? Journal
of Economic Perspective, 11, (2), pp.97-116.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !24
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« Le problème majeur d’une politique inflationniste est de savoir alors comment l’interrompre
avant que le peuple ait percé à jour les ruses des maîtres. C’est faire preuve d’une très grande
naïveté que de recommander ouvertement un système monétaire ne fonctionnant que si ses
caractéristiques essentielles sont ignorées du public » (Mises 1953 94, 419 in Don Bellante et
Garrison 1988).
Dans le modèle de surprise initiale la banque centrale ne devait pas hésiter à tricher. Le gouvernement
et/ou le banquier central décidaient de leur politique en prenant en compte la réaction des agents. Ils
avaient alors parfois intérêt à ne pas dire ce qu’ils allaient faire ou à dire qu’ils allaient faire quelque
chose et à ne pas le faire. Il pouvait ainsi surprendre les agents en mentant. Les autorités provoquaient
une inflation surprise par la fourberie. « Une promesse de réduction de l’inflation demain, si elle est
crue, réduit l’inflation aujourd’hui ». Un tel mécanisme réhabilitait l’efficacité de la politique
monétaire sur la courbe de Phillips de court terme, sans pour autant lui redonner une place dans la lutte
contre le chômage.
De la même façon, la fixation par les autorités monétaires d’une cible d’inflation entérinait
l’inefficacité des politiques monétaires en matière de lutte contre le chômage. La cible d’inflation
contraint et engage les autorités monétaires à réaliser un objectif de stabilité du niveau général des prix
à long terme, mais laisse une totale discrétion sur le choix des moyens susceptibles de réaliser cet
objectif.
Cette stratégie adoptée par de nombreux pays permettrait d’éviter la trop grande volatilité des prix et
de lisser ainsi l’évolution de la conjoncture. Elle serait ainsi un bon moyen d’éviter la déflation (baisse
du niveau général des prix) (Mishkin 200095, p.5).
Les débats autour des conséquences sur l’efficacité de la politique économique d’une courbe de
Phillips verticale ajoutent alors trois propositions au corpus du « nouveau consensus
macroéconomique ». Ce consensus s’accorde :
- sur les risques de la déflation,
- la nécessité de stabiliser le niveau général des prix
- et l’objectif que l’on doit assigner à la politique monétaire ; une cible d’inflation.
Il suscite alors de nouveaux débats notamment sur la cible que le banquier central doit se fixer. Est-ce
2%, 3% ou 4% ou plus ?
Toutes ces conséquences et faiblesses de la troisième courbe de Phillips expliquent qu’elle ait été la
plus commentée et la plus féconde. Pour les néo-keynésiens une politique efficace devenait une
politique non anticipée. Restait à savoir si cela était souhaitable et possible.
La nouvelle économie politique va naître en articulant la théorie des cycles politico-économiques à la
nouvelle synthèse (New consensus macroeconomics).
- Le premier à introduire les anticipations rationnelles fût Alesina (1987). Ce dernier lève
l’hypothèse de myopie des électeurs, introduit la théorie des anticipations rationnelles et
conditionne l’existence de cycles politico-économiques aux erreurs d’anticipation sur le
résultat des élections. C’est parce qu’il reste une part de surprise que la politique économique
peut garder une part d’efficacité et que les électeurs peuvent se faire duper.
- Persson et Tabellini (199096 ) de leur côté introduisent l’asymétrie d’information qui existe
entre le gouvernement et l’électeur sur le niveau de compétence du gouvernement. Un
gouvernement compétent réussit à baisser le chômage sans augmenter fortement l’inflation.
- Le troisième apport de la NEP est de s’interroger sur l’effet du contexte institutionnel. La
généralisation de l’indépendance du banquier central et le libre échange sont sans doute les
94
Mises L. von (1953). The Theory of Money and Credit, New Haven, Yale University Press.
95Mishkin,
1-13.
96
F.S. (2000). What should central Bank do? Federal Reserve Bank of St Louis Review, 82, (6), pp.
Persson, T. and Tabellini, G. 1990. Macroeconomie Policy, Credibility and Politics, London, Harwoord.
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deux dimensions institutionnelles les plus étudiées par la littérature contemporaines sur les
cycles politiques.
4.2.1 La contribution d’Alesina (1987) à la théorie des cycles politico-économiques
Alberto Alesina (1987) construit sa contribution à la théorie des cycles sur la théorie des anticipations
rationnelles et la quatrième courbe de Phillips et l’intuition de Hibbs (197797 ).
Hibbs (1977) estime que les hommes politiques sont contraints par leur idéologie et l’idéologie de leur
électorat. Cette idéologie est déterminée par l’origine de leur revenu. Les partis de gauche luttent
contre le chômage en priorité parce que la seule source de revenu des élus et des électeurs de gauche
est le travail. Sans travail les électeurs sont sans revenu. Les partis de droite à l’inverse luttent contre
l’inflation car les élus et les électeurs de droite vivent de leur rente mobilière et immobilière.
L’inflation rogne leur rente. C’est l’euthanasie du rentier par l’inflation. L’année d’élection n’est pas
en ce sens la variable décisive. Les cycles sont de nature idéologique. La gauche fait une politique de
croissance pour soutenir l’emploi et lutter contre le chômage, alors que la droite cherche
essentiellement à limiter l’instabilité et l’inflation pour défendre les intérêts de son électorat. Les
élections n’ont en ce sens aucun effet sur les cycles. L’idéologie du gouvernement, en revanche, a cet
effet.
Alesina (1987) utilise cette théorie idéologique des cycles pour construire sa propre explication. Le
résultat des élections est une surprise. Il n’est pas prévisible. Cette surprise est à l’origine d’une
surprise d’inflation. Elle explique pourquoi on peut sauver la troisième interprétation de la courbe de
Phillips et ne pas retenir la courbe des anticipations rationnelles. Les électeurs savent que si la gauche
vient au pouvoir l’inflation et la croissance seront plus fortes mais ils ne savent si elle va gagner. Ce
n’est qu’une fois les élections passées que le cycle idéologique débute. Si la gauche gagne les
élections elle lutte contre le chômage en priorité qui conduit à un taux d’inflation effectif supérieur au
taux d’inflation anticipé par les électeurs qui ne pouvaient le prédire puisqu’ils ne pouvaient pas savoir
qui gagneraient les élections. Les électeurs ne sachant pas anticipent une moyenne du taux d’inflation
de la gauche et de la droite. Le taux d’inflation effectif est donc supérieur au taux d’inflation anticipé.
La croissance économique est alors plus forte sous la gauche et le cycle s’engage. La victoire de la
gauche est suivie d’une période d’expansion. L’inverse est vrai si la droite gagne les élections. Une
victoire du parti de droite va conduire à une récession car le taux d’inflation de la droite est inférieur
au taux d’inflation anticipé par l’électorat.
Le Cycle d’Alesina (1987) ressemble au cycle idéologique de Hibbs (1977), mais il est plus court. En
début de mandat la gauche fait de l’inflation et de la croissance et la droite de la déflation et de la
récession. En fin de mandat les électeurs anticipent parfaitement le niveau d’inflation et il n’y a aucun
plus aucun effet des politiques économiques des gouvernements. Les électeurs ajustent leurs
anticipations, annulant l’effet de surprise et les conditions de succès des politiques économiques de
gauche comme de droite. Le Cycle d’Alesina (1987) est aussi la preuve que la politique économique
est inefficace et que les électeurs n’ont aucun moyen de s’opposer à une telle inefficacité. Elle est
inefficace parce que la gauche fait trop d’inflation et la droite pas assez.
4.2.3 La contribution de Persson et Tabellini (1990) la théorie des cycles politico-économiques
On peut alors interpréter l’apport de Persson et Tabellini (1990) à la théorie des cycles politiques
comme une réflexion sur les informations dont dispose l’électeur pour connaître la compétence de son
gouvernement. L’idée ici est que c’est le gouvernement lui-même qui a intérêt à révéler aux électeurs
sa compétence afin de se distinguer des autres candidats. Un gouvernement est compétent s’il réussit à
réduire l’inefficacité budgétaire, à faire de la croissance non inflationniste et/ou à protéger l’économie
nationale des chocs.
Dans le modèle de Persson et Tabellini (1990), un gouvernement compétent est un gouvernement qui
réussit à baisser le chômage sans augmenter fortement l’inflation. Lorsque les électeurs votent ils ne
connaissent pas les compétences des candidats. La compétence des électeurs doit, par conséquent, être
traitée comme une variable aléatoire. Ex ante, les électeurs ne connaissent pas la réelle compétence du
gouvernement. Ils n’ont que des informations sur la probabilité de leur niveau de compétence. Ex post
97
Hibbs, C. 1977. Political parties and macroeconomic policy, American Political Science Review, 71 : 1467-87.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !26
27
en revanche ils peuvent observer les résultats du gouvernement et en inférer un certain nombre de
choses sur leur compétence. Cette information induite par l’observation des résultats
macroéconomiques du gouvernement ne disent rien cependant sur la capacité des élus à s’améliorer
d’un mandat à l’autre. Le vote est ici de nature instrumentale et les gouvernements savent qu’ils seront
jugés sur leur résultat. La difficulté pour les électeurs est alors de bien distinguer les gouvernements
compétents des tricheurs. Un bon gouvernement cherche à signaler sa compétence pour être réélu en
mettant en œuvre une politique de croissance non inflationniste qu’un gouvernement incompétent
n’est pas capable de conduire. L’électeur identifie les bons et les mauvais gouvernements au niveau
d’inflation. Il anticipe une inflation qui est la moyenne entre la forte inflation du bon gouvernement et
la faible inflation du mauvais gouvernement. L’inflation effective est plus forte lorsque le
gouvernement est compétent que lorsqu’il est incompétent.
Le modèle de Persson et Tabellini (1990) prédit alors que les cycles politico-économiques n’existent
que lorsque les gouvernements sont compétents. Seuls les gouvernements compétents soutiennent la
croissance économique l’année de l’élection. Les mauvais gouvernements, ne sachant pas, soutenir
l’activité économique sans pression inflationniste excessive, préfère la récession durant l’année de
l’élection. Les électeurs peuvent ainsi discriminer entre les bons et les mauvais gouvernements. Ils
votent pour les bons gouvernements autrement dit les gouvernements qui réussissent à soutenir la
croissance économique. On retrouve ici l’idée que la démocratie est un bon système de sanction des
mauvais gouvernements.
Cycle politique, indépendance de la banque centrale et régime de change
Dans le modèle de Nordhaus (1975) la variable sur lequel agit le gouvernement est l’inflation. Dès lors
que l’autorité monétaire est distincte de l’autorité politique peut-on encore parler de cycle politique ?
La plupart des études empiriques conclut en ce sens (Dubois 2016). Des études de cas tendent
cependant à montrer que pour l’Allemagne ou les Etats-Unis l’indépendance du banquier central
n’empêche pas l’existence de cycle.
Cela est généralement expliqué par l’opposition entre le de jure et le de facto. La loi peut imposer
l’indépendance, mais les pratiques peuvent faire survivre la dépendance du pouvoir monétaire au
pouvoir politique. Le gouvernement peut toujours exercer des pressions directes ou indirectes sur le
banquier central lors de sa nomination, de la nomination des membres du comité de surveillance et
aussi au moment où il prend ses décisions.
L’autre explication développe la thèse que les cycles détectés en présence de banquiers centraux
indépendants sont le résultat des effets des politiques budgétaires des Etats nationaux qui obligent le
banquier à prendre des décisions inflationnistes. La conséquence d’une telle explication est que tout ce
qui limite les marges de manœuvre budgétaire des gouvernements comme la décentralisation ou les
constitutions imposant l’équilibre budgétaire créent des conditions très défavorables à l’existence de
cycles.
Le régime de change a sans doute des conséquences importantes sur les marges de manœuvre des
autorités politiques et monétaires. Le régime de taux de change fixe limiterait l’autonomie des
autorités monétaires et empêcherait la manipulation des taux d’inflation.
Notes de cours M1 Economie Appliquée, François Facchini 2016-2017. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Page !27
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4.3. Une critique autrichienne des bases macroéconomiques de la théorie des
cycles politiques
La construction d’une courbe de Phillips à NAIRU variable remet en cause une partie de ce consensus.
Elle souhaite rendre compte de faits inexpliqués dans le cadre d’une courbe de Phillips à NAIRU
constant (Gordon199898).
Alors que l’hypothèse du NAIRU constant explique la stagflation de la fin des années soixante aux
Etats-Unis. Celle du NAIRU variable serait un moyen de rendre compte de la situation américaine des
années quatre-vingt-dix i.e. de faibles niveaux d’inflation et de chômage.
L’hypothèse d’un NAIRU variable conduit à revenir sur le désaccord entre les monétaristes, les néokeynésiens et les Post-Keynésiens en ce qui concerne l’origine du NAIRU et de son évolution.
Dans sa version monétariste et néo-keynésienne (New Consensus Macroeconomics) le NAIRU est
exclusivement déterminé par les caractéristiques structurelles du marché du travail, i.e. les institutions
qui encadrent la renégociation des salaires et l’organisation du système social (Hein and Stockhammer
2010, p.318).
Dans ce modèle, la politique monétaire agit via les taux d’intérêt. Elle ne stabilise l’emploi et la
production qu’à court terme. Elle a seulement un effet de long terme sur le niveau d’inflation.
L’histoire de la courbe de Phillips a pu jusqu’à présent se passer de la contribution de l’école
autrichienne au débat. Il est utile à ce stade, pourtant, d’introduire son apport et de le situer dans
l’opposition qui s’est dessiné entre les Post-Keynésiens et le nouveau consensus macroéconomique.
L’école autrichienne se positionne de manière originale dans le débat, car elle partage l’idée
monétariste que le NAIRU ou taux de chômage naturel n’a rien de naturel au sens où la principale
cause de la rigidité des salaires à la baisse et l’intervention de l’Etat. Elle conteste, cependant,
l’objectif d’une cible d’inflation, car elle défend l’existence d’une croissance déflationniste. Elle se
place ensuite du côté des Post-Keynésiens lorsqu’il s’agit de décrire la manière dont la politique
monétaire agit durablement sur le NAIRU en modifiant la structure du capital. Car ce que caractérise
l’interprétation autrichienne de la courbe de Phillips c’est toute l’attention qu’elle porte à la manière
dont le marché du travail s’ajuste au marché du capital. Si la politique monétaire modifie la structure
du capital il est vraisemblable que cette évolution soit durable. Cet effet de long terme de la politique
monétaire sur la production n’a pas cependant été tout de suite compris par les premières
interprétations autrichiennes de la courbe de Phillips. Il permet, pourtant, de bien comprendre
l’existence d’une courbe de Phillips à pente positive.
4.3.1 L’interprétation Hayékienne de la courbe de Phillips à NAIRU constant
L’Ecole autrichienne initialement interprète la courbe de Phillips à NAIRU constant avec sa théorie
des cycles d’affaire (Bellante 199899 , p.373). Dans ce cadre il est soutenu qu’une politique monétaire
d’expansion du crédit (inflationniste) crée, dans un premier temps, un boom ou une phase d’expansion
de la production. Cette phase de croissance est, cependant, artificielle i.e. insoutenable. Elle est induite
par une création excessive de monnaie et se répercute in fine sur le salaire nominal. L’absence de
correspondance entre le salaire réel et le salaire nominal est alors la cause du chômage. Suivant cette
analyse Gallaway et Vedder (1987100) ont tenté de mesurer l’écart entre le salaire réel et le salaire
nominal et estimer que cela permet de bien expliquer le mouvement de l’emploi aux Etats-Unis et
notamment la grande dépression. Il existerait en ce sens un réel arbitrage à court terme entre inflation
et chômage. L’inflation serait une solution temporaire au problème du chômage. Mises annoncerait
98
Gordon R.A. (1997). The Time-varying NAIRU and its implication for Economic Policy, Journal of Economic
Perspective, 14, (4), pp.49-74.
99Bellante
Don (1998). The Phillips Curve, in Boettke, P.J. (ed.), The Elgar Companion to Austrian Economics,
Edward Elgar.
100Gallaway
L. and Vedder R.K. (1987). Wages, Prices and Employment : Von Mises and the Progressives,
Review of Austrian Economics, 1, pp.33-80.
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ainsi l’interprétation proposée par Friedman quinze ans plus tard (Friedman 1968101 ; Bellante 1998, p.
374). Il distinguait les effets de court terme des effets de long terme et soutenait l’une des thèses du
nouveau consensus macroéconomique, à savoir que la politique monétaire n’avait aucun effet à long
terme sur le chômage.
La première interprétation de la courbe de Phillips à NAIRU constant a donc une grande proximité
avec la courbe du nouveau consensus macroéconomique. Elle s’en distingue pourtant sur de nombreux
points car elle utilise le triangle d’Hayek. C’est sur la base de ce triangle que les économistes
autrichiens étudient les effets de court terme des politiques monétaires sur la croissance de la
production et l’emploi (O’Driscoll 1977102 , pp.115-118 ; Bellante et Roger W. Garrison (1988103). A
l’origine d’un cycle il y a la décision de la banque centrale de soutenir l’activité économique par une
politique d’expansion du crédit. Cette politique se traduit par une baisse artificielle des taux d’intérêt
directeur. Cette baisse est qualifiée d’artificielle, car elle n’est pas provoquée par une hausse de la
quantité des fonds prêtables i.e. de la quantité de monnaie épargnée (Garisson, 2001, p.37). Elle va
alors être à l’origine d’une croissance non soutenable. Cette croissance est non soutenable parce
qu’elle repose sur une fausse information. Les entrepreneurs interprètent, en effet, la baisse des taux
comme un signe d’une hausse de la demande de biens dans le futur et une baisse de la demande biens
présents. Ils investissent alors pour répondre à cette demande future. Cette décision soutient dans un
premier temps la production et crée une tension à la hausse sur les prix qui vient s’ajouter à l’inflation
d’origine monétaire, autrement dit à la baisse du pouvoir d’achat de la monnaie. A court terme la
politique de baisse des taux soutient donc l’activité. A moyen et long terme, en revanche, il y a trop de
biens de consommation présents, car la baisse des taux n’était pas fondée sur une augmentation de
l’épargne. Les agents n’avaient pas le projet de consommer dans le futur. Les biens produits ne
trouvent pas preneurs. Les entrepreneurs licencient et font faillites. L’économie entre en récession ;
dans la phase descendante du cycle.
A court terme la croissance non soutenable favorise l’inflation et l’embauche, mais à moyen terme elle
impose un réajustement qui débouche sur des faillites, des licenciements et du chômage. L’économie
se retrouve alors avec une plus grande quantité de monnaie ; ce qui alimente l’inflation et le même
taux de chômage. Les politiques d’expansion du crédit finissent alors mécaniquement par une
récession (Hayek, 1966)104. Plus la croissance artificielle est longuement entretenue plus la récession
qui suit est intense (Mises, 1971, pp.365-366)105 .
L’interprétation hayékienne de la courbe de Phillips conduit ainsi à soutenir le consensus obtenu
autour de la troisième courbe. Les politiques monétaires ont un effet de court terme, mais à long terme
la courbe est verticale. La longueur du détour revient mécaniquement à son niveau d’avant de la phase
d’expansion (pre-boom). La théorie autrichienne des cycles s’avèrent ainsi bien décrire l’existence
d’une courbe de Phillips à NAIRU constant.
4.3.2 L’interprétation autrichienne de la pente positive de la courbe de Phillips
Cette première interprétation ne satisfait pas, cependant, tout le monde, car elle suppose que le cycle
détruit autant de capital qu’il n’en crée et que la politique monétaire serait neutre sur les équilibres
réels et le NAIRU en particulier.
101
Friedman, M. (1968). The Role of Monetary Policy, American Economic Review, 58, (1), pp.1-17.
102O’DriscollG.P.Jr.
(1977). Economics as a Coordination Process: The Contribution of Friedrich A. Hayek,
Kansas City :Sheed Andrews &McMeel.
103Bellante
Don and Garrison R.W. (1988). Phillips Curve and Hayekian Triangles. Two Perspectives on
Monetary Dynamics, History of Political Economy, 20, (2), pp.207-234.
104
Hayek, F. (1966). Monetary Theory and the Trade Cycle. New York: Augustus M. Kelley, cite par Snowdon
B., Vane, H. and Wynarczyk, P. (1997, p.388). La pensée économique moderne, Ediscience International
traduction française de A Modern guide to Macroeconomics. An Introduction to Competing Schools of Thought,
Edward Elgar Publishing.
105
Mises, L. (1971). The Theory of Money and Credit, New York: Foundation for Economic Education.
Traduction française aux éditions de L’institut Charles Coquelin. La théorie de la monnaie et du credit.
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30
Pour que cette première courbe de Phillips soit juste, il faudrait, en effet, que la structure de production
revienne exactement à son niveau d’avant la phase d’expansion. Cela est peu plausible, d’une part,
parce qu’une partie du capital créé grâce à la politique d’expansion de crédit est spécifique et ne peut
pas se redéployer à la suite de la crise, et d’autre part, parce que le réalignement du marché du crédit
sur la nouvelle structure de production exige des taux d’intérêt réels plus élevés que ceux qui
existaient avant la phase de croissance artificielle (Ravier 2013, p.172). Il n’est pas impossible, alors,
que la politique monétaire entraine une augmentation du taux de chômage naturel i.e. un déplacement
vers la droite de cette courbe tout simplement. L’interprétation par la théorie des cycles de la courbe de
Phillips est par ailleurs trompeuse, car elle introduit dans la théorie autrichienne la relation d’Okun i.e.
une relation mécanique entre production et chômage. Cette relation est sans doute observable, mais
elle n’est pas nécessaire. Ce qu’il faut préciser en fait ce n’est pas la relation politique monétaire –
production – chômage, mais la relation politique monétaire – chômage. La politique monétaire a un
effet sur le chômage parce qu’elle a un effet sur le salaire nominal, mais aussi est surtout parce qu’elle
modifie la hiérarchie des prix relatifs des facteurs de production. Elle provoque alors des effets de
substitution. Si on ajoute à cela l’existence d’un cercle vicieux de l’intervention i.e. le fait que
l’intervention a des effets qui explique la mise en place de nouvelles mesures de politique publique on
peut expliquer pourquoi la courbe de Phillips a une pente positive et non négative.
Le principe d’une courbe de Phillips à pente positive du fait du déplacement du NAIRU serait en fait
déjà présente dans les travaux de Milton Friedman (1977, p.470106). La politique monétaire de soutien
artificiel de la croissance de la production n’a pas que des effets de court terme. Elle a aussi des effets
de long terme (Ravier2013, p.173). Elle n’est pas neutre. Elle explique en partie le déplacement vers la
droite du NAIRU.
La Figure 6 présente ce modèle (Ravier 2013). Initialement l’économie se place au point A. En A le
taux de chômage est . est supérieur au taux de plein emploi . Du point A l’économie peut se diriger
vers le plein emploi de deux manières.
Figure 6
Une courbe de Phillips néo-autrichienne à pente positive
Taux d’inflation
F
G
D
E
B
C
Ai
B*
Taux de chômage
Taux de déflation
U*
A
B
A = Frictional Unemployment
B = Real Wage Rigidity and Structural Unemployment
Dans une économie où les autorités monétaires n’ont pas les moyens de distribuer des crédits sans
épargne préalable le retour au plein emploi passe par un processus de croissance déflationniste.
Il faut à cette occasion distinguer la déflation-prix (price deflation) de la déflation monétaire
(monetary deflation). La déflation-prix peut être dû à une innovation, à une amélioration de la
106
Friedman, Milton (1977). Nobel Lecture: Inflation and Unemployment, Journal of Political Economy, 85, (3),
pp.451-472.
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productivité, à une hausse de l’offre de facteurs de production (travail, capital, terre) et favorisé ainsi
une baisse des coûts, une augmentation de l’offre et in fine soutenir la croissance. Ce sont les gains de
productivité qui initie cette baisse des prix et explique le mouvement de B à B*. Dans un régime
d’étalon-or la déflation par les prix est le seul moyen de rétablir la compétitivité prix d’un pays. Elle
est une source de croissance (Salerno 2002107). Si on prend l’histoire de la croissance du PIB par
habitant de 1841 à 1914 soit 74 années il y a autant d’année où la croissance s’accompagne d’une
déflation-prix que d’année où l’inflation est positive (Tableau 1108).
Un tel constat peut être un argument contre la fixation d’un objectif d’inflation (inflation targeting).
En voulant systématiquement stabiliser le niveau général des prix à 2% par exemple le banquier
central empêche ces fluctuations vertueuses autour de la déflation-prix. Il devient aussi évident, dans
cette perspective, que la fixation d’une cible d’inflation-prix est infondée, car cela consiste à distorde à
la hausse (inflation-prix) ou à la baisse (déflation-prix) la hiérarchie des prix relatifs, ce qui biaise
l’information prix et réduit la qualité de la coordination sur les marchés. Il faut rappeler que
l’argument ici ne repose pas sur un raisonnement à l’équilibre, mais sur la résolution par l’institution
des prix du problème social de la dispersion de la connaissance (Hayek 1945109).
Tableau 1
Déflation-prix et croissance économique en France (1841-1914)
INFLATION-PRIX
DEFLATION-PRIX
STABILITE (0%)
EXPANSION
14/74 années soit 18,9
14/74 années soit 18,9%
17/74 années soit 23%
RECESSION
13/74 années soit 17,6%
7/74 années soit 9,5%
0/74 années soit 10,8%
1/74 années soit 1,4%
0
0
STAGNATION (0%)
Sources : Figure 5 pour le taux d’inflation et pour la PIB par habitant.http://www.ggdc.net/maddison/maddisonproject/data.htm
L’objectif de la politique monétaire devrait être plutôt d’équilibrer l’offre à la demande de monnaie. La
demande d’encaisses monétaires varie avec la valeur d’échange de la monnaie c’est-à-dire le pouvoir
d’achat de l’unité monétaire (Rothbard 1962, Chapitre 11, section 2). Graphiquement cela signifie que
la demande de monnaie est une fonction décroissante du pouvoir d’achat de la monnaie i.e. la quantité
de bien qu’une unité monétaire peut acheter (Figure 7).
Figure 7
La dynamique de l’équilibre monétaire
Pouvoir d’achat
de la Monnaie
X
O
A
B
Demande de Monnaie
0
S*
S’
Quantité de Monnaie
107
Salerno, J. (2002). An Austrian Taxonomy of Deflation with Applications to the US, Quarterly Journal of
Austrian Economics 6, (4), pp.81-109.
108Rockoff
(1983) fait le même constate pour les Etats-Unis sur la période 1821 – 1931. Hugh Rockoff (1983).
Some evidence on the Real Price of Gold, Its Cost of Production, and Commodoty Prices, in A Retrospective on
the Classical Gold Standard, 1821 – 1931, ed. Michael D. Bordo and Anna Jacobson Schwartz, Chicago
University of Chicago Press.
109
Hayek, F. (1945).
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Il y a réalisation d’un équilibre monétaire (Horwitz 2000110, Chapter 3) lorsque le stock total de
monnaie s’égalise à la demande. Le point O représente cette situation et indique la valeur d’échange
de la monnaie pour une économie donnée (Figure 12). En O, 0X est la valeur d’échange ou le pouvoir
d’achat de la monnaie. Le pouvoir d’achat de la monnaie et l’équilibre monétaire sont déterminés par
la courbe de demande totale de détention de monnaie et le stock de monnaie existant (Rothbard 1962,
Chapitre 11, Section 3). L’inflation monétaire décrit alors une situation où le stock de monnaie
augmente alors que la demande de monnaie reste inchangée. Le stock de monnaie augmente. Cela est
représenté par le déplacement du point O au point A sur la Figure 7. Le stock de monnaie est devenu
excédentaire par rapport à la demande ; O<A. Le pouvoir d’achat de la monnaie a tendance, par
ailleurs, à baisser. Il faut plus de monnaie pour acheter la même quantité de bien. C’est la définition
même d’une inflation monétaire. La déflation-monétaire a l’effet inverse. Elle accroît le pouvoir
d’achat de la monnaie (Rothbard 1962, Chapitre 11, Section 4).
La question qui se pose alors est qu’elle est l’effet de ces situations d’inflation-monétaire sur la
production et l’emploi. De fait la monnaie reste toujours dans les encaisses monétaires de quelqu’un,
elle est en soi non productive (Rothbard 1962, Chapitre 11, Section 4). Cela signifie qu’aucune
relation n’existe entre production et stock de monnaie. L’augmentation du stock de monnaie ne fait
que baisser le pouvoir d’achat de la monnaie. Elle n’a aucun effet réel notamment parce que la
variation des taux d’intérêt est déterminé par les évaluations faites sur la préférence temporelle
(Rothbard 1962, Chapitre 11, Section 5, E.). Ces préférences temporelles sont indépendantes des
raisons qui conduisent un agent à détenir de la monnaie. Ce résultat contredit l’idée générale défendu
par la théorie quantitative que la masse monétaire peut être un frein à la croissance de la production si
elle ne croît pas au même rythme que cette dernière. Il prône, en effet, un ajustement par les prix
(pouvoir d’achat de la monnaie) et non par les quantités.
4.3.3 Nairu à taux variable et cycle politique
Il devient ainsi évident que l’existence de cycles politiques dépend quasi exclusivement de
l’interprétation de la courbe de Phillips qui es retenu par les hommes politiques et par les électeurs.
Pour que les cycles politiques existent, il faut supposer que les hommes politiques estiment, d’une
part, que les électeurs votent de manière rétrospective et instrumentale et d’autre part qu’ils croient à
l’interprétation friedmanienne de la courbe de Phillips. Si ce n’était pas le cas, ils ne chercheraient pas
à manipuler les résultats macro soit parce qu’ils savent qu’ils sont jugés sur leur promesse électorale et
non leur résultat macroéconomique soit parce qu’ils ne croient pas qu’ils peuvent lutter même à court
terme contre le chômage par une politique économique expansionniste et une politique monétaire de
bas taux voir de taux d’intérêt négatif.
5. CONCLUSION
110Horwitz
S. (2000). Microfoundations and Macroeconomics. An Austrian Perspective, Foundations of the
Market Economy, Routledge, London and New York.
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