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QUESTION’AIR
FICHE n°
Les fiches du Centre d’enseignement militaire supérieur Air
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Droit et institutions - Hors série mars 2012
Géopolitique du sport
Le sport constitue un révélateur des hiérarchies et des tensions en même temps qu’un accélérateur de la
mondialisation. Il rapproche les populations et met en relation les continents. Cependant, il se trouve
confronté au règne de l’argent, aux difficultés liées à la corruption et au dopage qui ternissent son
image depuis une dizaine d’années. En dépit d’une histoire mouvementée, le sport et surtout les Jeux
olympiques conservent une puissance d’attraction incomparable dans l’imaginaire collectif, preuve que
la magie du sport demeure et contribue à l’élaboration d’un « village planétaire ».
I. S’identifier par le sport
1. Le sport, exaltation du corps
Au XIXe siècle, accompagnant l’éveil des nations et des nationalités, le sport, au même titre que
la langue ou l’alimentation, contribue à forger l’identité des peuples. Cet intérêt inédit cherche autant
à façonner les corps, idéalisés, qu’à forger des sentiments d’appartenance par la pratique de sports
collectifs. Les pays d’Europe centrale et orientale, de manière précoce, ont intégré la pratique de la
gymnastique dans les écoles et les centres de formation de la jeunesse. À la faveur d’un discours viril,
il s’agit également de bâtir un « homme nouveau » capable de se transcender et d’enrayer un supposé
déclin de la « race » des pays concernés. À cet égard, Marinetti, inspirateur du futurisme qui influença
le fascisme mussolinien, suggérait de développer le culte de la vitesse (sport automobile compris). Il
alla jusqu’à préconiser la suppression des pâtes, considérées comme des sucres lents, du régime alimentaire des Italiens. Dans de nombreux pays, le sport apparaît comme la métaphore d’une guerre pacifiée
et ritualisée où les adversaires d’un jour se substituent à l’ennemi de toujours mais où les règles de la
compétition ludique s’apparentent à celles de la confrontation armée.
2. Le sport, exaltation d’une communauté
La « nationalisation » du sport est donc un outil d’édification du discours national sur lequel les
individus projettent leurs espoirs de victoire. Sa pratique permet de souder les joueurs et de maintenir la
cohésion du groupe, notamment lorsqu’il est impliqué dans une guerre. Ainsi, lors de la première guerre
mondiale, les Anglais pratiquaient entre les tranchées, en France, le football, vu comme un transfert des
valeurs de l’arrière vers le front : le fair-play, entre autres, y est rappelé avec force. Le sport peut s’identifier
à une nation comme c’est le cas avec le base-ball né aux États-Unis à l’époque coloniale avant de devenir
dès la fin du XIXe siècle un sport de masse moderne, comme a pu l’être le basket-ball qui apparaît en 1891
dans le Massachusetts. L’Amérique y lit les valeurs de l’effort, de la solidarité et du dépassement de soi.
Les arts martiaux jouent le même rôle au Japon. Refusant toute influence anglo-saxonne, l’Italie fasciste
substitue au terme football celui de calcio afin d’enraciner une pratique culturelle pourtant exogène. Dans
un autre registre, la victoire de la France lors de la Coupe du monde en 1998 a été l’occasion de discours sur
la France multicolore. Dès le XIXe siècle, les règles se codifient à l’échelle internationale pour la plupart des
sports : rugby, tennis, football, athlétisme, etc. De nombreux sports prennent naissance en Angleterre avant
de s’exporter dans l’Empire britannique et de toucher le reste du monde par touches progressives au gré de
matchs de démonstration. Dans un contexte d’universalisation du sport, Pierre de Coubertin (1863-1937)
relance les Jeux olympiques modernes en 1896. Les compétitions internationales se multiplient et imposent
désormais un calendrier qui scande les temps sociaux de la planète tout entière.
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3. Le sport, signe de tensions au sein d’une communauté
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Moment d’unanimité au sein de la communauté
nationale, la compétition sportive en révèle aussi parfois
les lignes de fracture. Lors des JO de Mexico, en 1968, les
athlètes noirs américains, Smith et Carlos, ont oublié, le
temps d’un podium, leur appartenance nationale, pour
exprimer leur adhésion aux thèses des Black Panthers en
brandissant le poing levé et ganté. Dans les années 1980,
la rivalité Karpov-Kasparov dépassait le simple affrontement d’échecs pour embrasser des enjeux plus complexes
liés aux tensions entre le pouvoir central moscovite et les
déchirements des provinces d’Asie centrale, notamment de
l’Azerbaïdjan dont Kasparov était originaire. Le Comité
central ne ménagea pas sa peine pour l’empêcher de triompher. La cohésion nationale peut être également éprouvée
à l’occasion de rencontres sportives d’importance : on
songe à la Marseillaise sifflée en France lors du match
France-Algérie de 2001 ou encore la prestation de l’équipe
de France de football en Afrique du Sud en 2010.
II. Lire les crises à travers le sport
1. Les années 1930
Les vainqueurs de la Grande Guerre déterminent les exclus des premiers Jeux olympiques de
l’après-guerre en refusant aux vaincus le droit d’y participer. À Anvers, en 1920, comme à Paris, en
1924, les Allemands en sont exclus. Ulcéré, Pierre de Coubertin préfère alors quitter le Comité olympique. En 1932, on doit intercaler la délégation britannique, lors du défilé des nations, entre celle de la
France et celle de l’Allemagne pour éviter les incidents de 1928 !
Les rassemblements sportifs, surtout par leur médiatisation, se transforment en tribunes politique et idéologique de premier plan. Le sport entre dans l’ère des masses : stades immenses, presse
internationalisée, essor de la radio et de la publicité. Ainsi Coca-Cola installe des vendeurs à Amsterdam en 1928 parmi le public. En 1936, 200 000 téléspectateurs suivent les épreuves quand plus de
deux milliards le feront à Pékin en 2008. Le sport sert en Allemagne, comme en Italie, à mobiliser les
foules et à tenter de démontrer la supériorité de leur régime sur les démocraties libérales. Les Jeux de
Berlin furent l’occasion d’une instrumentalisation d’une intensité inédite. Accordés en 1931 par le
Comité olympique, ils posèrent problème aux démocraties après la prise de pouvoir de Hitler en 1933.
La France hésita à y participer mais finalement considéra que le Comité organisait ces compétitions
et non le régime nazi. Quoi qu’il en soit, Hitler se gargarisa d’avoir dominé ces jeux par le nombre de
médailles remportées par les Allemands. Les moyens déployés étaient considérables : des brochures en
14 langues, un stade de 100 000 places, un village olympique moderne, le tout filmé, sur l’initiative de
Goebbels, par la cinéaste nazie Leni Riefenstahl : Olympia fut projeté en 1938. L’organisation de la
Coupe du monde de football dans l’Italie fasciste répondait aussi aux mêmes impératifs de démonstration de la supériorité du régime sur les démocraties libérales occidentales.
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geste fort après son adhésion au Comité olympique en 1951 et volonté d’apaisement après des années
de tensions envers les Américains. La méfiance de Staline à l’encontre de Tito a trouvé des accents particuliers lors du match de football âprement disputé entre la Yougoslavie et l’URSS. Peu de temps après
la répression de Budapest, en 1956, le match de waterpolo opposant les Hongrois aux Soviétiques, à
Melbourne, portait une saveur tout aussi particulière. Les compétitions sportives reflètent les aléas de la
guerre froide. Ainsi, en 1972, la finale d’échecs entre Boris Spassky et Bobby Fisher traduit un passage
de témoin dans l’histoire de ce sport où, pour la première fois depuis 1945, un Américain triomphe des
Soviétiques. Le retentissement dépasse le cadre du sport et Spassky manque de peu d’être envoyé en
Sibérie.
Le sport peut devenir le théâtre d’affrontements plus dramatiques encore. En 1968, à Mexico, la
répression du mouvement étudiant mexicain fait plus de 300 morts en marge des Jeux. En 1972, à Munich, un commando palestinien prend en otage l’équipe de lutte israélienne. Neuf d’entre eux périssent
au cours de l’assaut policier. L’attitude menaçante de la Corée du Nord oblige les organisateurs des
Jeux de Séoul en 1988 à redoubler de vigilance. Le boycott devient un outil de pression récurrent lors
des phases finales des compétitions sportives : les pays africains ne viennent pas à Montréal en 1976
tandis que les États-Unis et d’autres nations refusent d’aller à Moscou en 1980. En 1984, c’est au tour
des démocraties populaires de soutenir l’URSS dans son boycott des Jeux olympiques de Los Angeles
mais, signe des temps, la Roumanie et seize autres pays « alliés » de l’URSS rompent cette unité en acceptant d’y concourir.
3. Depuis la fin de la guerre froide
Les gestes de paix se multiplient dans le sport depuis la fin de la guerre froide. Certes la violence n’a pas
disparu des stades depuis le drame du Heysel en 1983. Les
compétitions sportives voient naître de nouvelles formes
d’affrontements entre supporters. À cet égard, le football
ne détient plus le monopole de la violence. Mais des gestes
symboliques peuvent aussi marquer les confrontations internationales. Ainsi en 1992, l’Afrique du Sud, à peine sortie de l’apartheid, réintègre les Jeux à Barcelone en 1992.
Plus près de nous, le film Invictus de Clint Eastwood raconte la volonté de Nelson Mandela d’offrir l’image d’une
nation unie lors de la coupe de monde de rugby de 1994
à travers l’équipe nationale. Depuis 2000, les deux Corées
défilant sous la même bannière lors des dernières compétitions olympiques ont offert l’image d’un sport capable de
transcender les frontières. La compétition, même symbolique, demeure. En 1998, le match de football voyant s’affronter l’Iran et les États-Unis lors de la Coupe du monde
a pris une saveur particulière, notamment chez les Iraniens
après leur victoire 2-1. Israël concourt toujours dans les
poules de qualification européennes afin d’éviter toute tension avec les pays arabes environnants. Et
lors des derniers Jeux de Pékin, la question tibétaine a soulevé la question, une nouvelle fois, d’un boycott généralisé au nom du respect des droits de l’homme.
III. Le sport, enjeux politiques et financiers
2. La guerre froide
Lors des jeux de Londres, symbole de la résistance au nazisme, en 1948, les vaincus de la guerre
sont de nouveau exclus. La guerre froide se lit déjà à travers le sport. Les Soviétiques affichent leur suprématie dans les jeux d’échecs au point d’en faire un argument de la supériorité du modèle socialiste
sur le libéralisme. En 1952, à Helsinki, l’URSS participe, pour la première fois, aux Jeux olympiques,
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1. La compétition à outrance
La médiatisation du sport a introduit des enjeux financiers et économiques sans précédent. La
compétition pour les médailles et les titres poussent certains sportifs, voire certaines nations, à user de
produits illicites pour faciliter la victoire. Depuis le premier cas avéré de dopage en 1904 lors des Jeux de
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Saint-Louis lors duquel le marathonien Hicks avait pris du sulfate de strychnine et surtout des gorgées
de cognac, la filière du dopage s’est considérablement enrichie. Elle jette un doute sur des athlètes, des
nations (la RDA en son temps, la Chine et l’Espagne, plus récemment, font l’objet de vives suspicions) et
des compétitions (Tour de France de vélo, tournois de tennis). Le tournant économique des années 1960
a accéléré l’intrusion de l’argent : les droits de retransmission, notamment ceux des Jeux de Tokyo (1964)
et surtout ceux de Los Angeles (1984), atteignent des sommets pour dépasser, en 2008, les deux milliards
de dollars pour Pékin. Cette somme serait dépassée pour ceux de Londres prévus à l’été 2012. L’argent
roi est un facteur dirimant dans le choix des villes accueillant une compétition. En 1996, la puissance
financière de la compagnie Coca-Cola a fait pencher le comité vers Atlanta, ville de son siège, pour l’organisation des Jeux du centenaire au détriment d’Athènes. L’offre médiatique a changé l’offre sportive.
La nécessité des sponsors, le marché des transferts, les contrats publicitaires et télévisés des sportifs de
haut niveau, sans parler de leur rémunération, bouleversent les règles au détriment du sport amateur.
Pour attirer un public toujours plus nombreux, les médias introduisent des séquences plus courtes mais
plus vivantes dans les retransmissions des compétitions : battre un record devient un gage indispensable
du succès de l’Audimat, au prix de la santé des sportifs.
2. Le sport, nouveau marqueur des hiérarchies planétaires
Jusqu’aux années 1960, les organisations et diffusions sportives étaient encore concentrées dans
l’hémisphère nord, notamment en Europe et en Amérique du Nord. La relation entre les foyers de créations et les lieux de pratiques demeure forte. Cependant, depuis une dizaine d’années, les continents
« oubliés » sont à l’honneur : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud. L’équilibre n’est pourtant pas
rétabli : si la Chine l’obtient, Londres gagne l’organisation de ceux de 2012. En football, en revanche, «
les Sud rattrapent les Nord ». Après le Japon et la Corée, puis l’Afrique du Sud et le Brésil, la Coupe du
monde ira à Dubaï, reflet de la puissance nouvelle des pays du pétrole. Le Qatar finance, par ailleurs,
de nombreuses compétions internationales, des chaînes de sport et même des clubs dont celui de Paris.
Le choix de la Chine en 2008 et de la Russie pour les prochains Jeux d’hiver témoigne de leur puissance.
Pour autant, ces reclassements ne doivent pas faire illusion : les sièges des organisations restent au nord,
les sportifs au sud ! La Suisse accueille une dizaine d’organisations internationales, et l’Angleterre, six.
3. Le sport, source de cohésion ou de tensions ?
En France, plusieurs affaires ont assombri l’image du sport rassembleur. Les propos du sélectionneur français Laurent Blanc sur l’appartenance ethnique des joueurs de football avaient suscité une
vive émotion en 2011. La question des lieux de sport réservés pour des raisons confessionnelles à une
catégorie de la population a soulevé un débat sur les liens entre laïcité et pratiques sportives. Si le sport
ne rassemble plus, quel sens donner aux valeurs de l’effort, de la solidarité et du dépassement de soi ?
Faudrait-il, comme certains le suggèrent, supprimer les hymnes ou les défilés derrière les drapeaux ?
Rien n’est moins sûr.
Pour aller plus loin :
AUGUSTIN Jean-Pierre, Géographie du sport, Armand Colin, 2007.
PIVATO Stéphane, Les Enjeux du sport, Gallimard, 1994.
ISSN 1963-2150
Rédaction en chef et direction de la publication : Centre d’enseignement militaire supérieur Air (CEMS Air)
Édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) - École militaire - 1 place Joffre - 75700 PARIS SP 07
Division production technique - tél. : 01 44 42 80 64 - MTBA : 821 753 80 64 - e-mail : [email protected]
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