L`Enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels

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L`Enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels
L’Enfance des loisirs
Trajectoires communes et parcours individuels
de la fin de l’enfance à la grande adolescence
Un ouvrage de
Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé et Nathalie Berthomier*
Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation française,
coll. « Questions de culture », 2010
Couverture
*
Sylvie Octobre et Nathalie Berthomier sont respectivement chargée d’études et statisticienne au Département
de études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture et de la Communication,
Christine Détrez et Pierre Mercklé sont maîtres de conférences en sociologie à l’ENS de Lyon et chercheurs au
Groupe de recherche sur la socialisation (CNRS).
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Présentation de l’éditeur
Les auteurs
« Dis-moi quels sont tes loisirs, et je te dirai
qui tu es. »
Sylvie OCTOBRE, sociologue, est chargée
d'études au Département des études, de la
prospective et des statistiques (DEPS) du
Ministère de la culture et de la
communication. Ses travaux portent, au
croisement des sociologies de l'enfance et de
la culture, sur les rapports des enfants et des
jeunes avec la culture et sur les cultures
jeunes. Sur ces questions, elle a également
publié en 2010 : « La socialisation culturelle
sexuée des enfants au sein de la famille », Les
cahiers du genre, n° 49 ; Enfance et culture :
transmission, appropriation et représentation,
Paris, Ministère de la Culture et de la
Communication, La Documentation française,
coll. « Questions de culture ».
Comment le goût de la culture vient-il aux
enfants et comment celui-ci évolue-t-il au cours
de cette période charnière qui le fait passer de
l’enfance à la grande adolescence ?
Longtemps considérés comme des héritiers
reproduisant les comportements parentaux,
désormais volontiers décrits comme des
consommateurs passifs soumis à la profusion
de l’offre médiatico-publicitaire des industries
culturelles, les enfants composent avec diverses
influences pour construire leur propre rapport à
la culture.
Issu d’une enquête longitudinale qui a suivi les
mêmes enfants (près de 4 000) depuis l’âge de
11 ans (en 2002) jusqu’à 17 ans (en 2008), cet
ouvrage décrit la fréquence et la diversité des
pratiques, usages et consommations des
adolescents. Comment le fait de regarder la
télévision, écouter la radio et de la musique,
lire des livres et des magazines, jouer à des
jeux vidéo, utiliser l’ordinateur et naviguer sur
l’internet… s’inscrit-il dans les quotidiens des
jeunes générations ? Comment les loisirs
contribuent-ils à exprimer et à façonner les
âges, les genres et les appartenances sociales?
Au-delà de la mesure des pratiques et usages,
l’ouvrage propose une analyse des influences
qui concourent à la pratique d’activités
culturelles et sportives et à la construction du
rapport à la culture : la sphère familiale,
l’école, les copains et comités, les institutions
culturelles.
Émaillé de portraits d’enfants et de parents,
illustrant chacun les différents types de rapport
à la culture décrits, l’ouvrage vient rappeler que
l’épaisseur de l’humain n’est pas réductible à la
mesure statistique : au-delà des trajectoires
communes, chaque parcours individuel reste le
fruit d’un processus de construction, fait de
découvertes, de choix et de renoncements.
Christine DETREZ, sociologue, est maître
de conférences à l’ENS de Lyon et membre du
Groupe de recherche sur la socialisation
(GRS, UMR 5040 du CNRS). Ses travaux
portent sur les pratiques culturelles des enfants
et des adolescents, et sur les rapports sociaux
de sexe. Ses dernières publications sont A leur
corps défendant, en collaboration avec Anne
Simon (Seuil 2006), Les pratiques et
représentations culturelles des Grenoblois
(avec Sabine Lacerenza et Jean-Paul
Bozonnet, Editions de l'Aube, 2008). Elle
prépare actuellement un ouvrage sur la
réception des mangas chez les adolescents
(avec Olivier Vanhée, à paraître à la BPI), et
un ouvrage sur les écrivaines maghrébines (à
paraître à La Dispute). Elle a également écrit
deux romans (Rien sur ma mère, Chèvrefeuille
étoilée, 2009 ; De deux choses l'une, Chèvrefeuille étoilée, 2010).
Pierre MERCKLE, sociologue, est maître de
conférences à l’ENS de Lyon et membre du
Groupe de recherche sur la socialisation
(GRS, UMR 5040 du CNRS). Ses travaux
portent sur les pratiques culturelles des enfants
et des adolescents, la sociologie de la culture,
les méthodes quantitatives en sociologie et
l’histoire des sciences sociales. Il vient
également de publier une nouvelle édition
entièrement remaniée de Sociologie des
réseaux sociaux (Paris, La Découverte, coll.
« Repères », 2011).
Nathalie BERTHOMIER, statisticienne, est
chargée d'études au Département des études
de la prospective et des statistiques (DEPS) du
ministère de la Culture et de la
Communication.
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Synthèse de l’ouvrage
Cet ouvrage est le fruit d’une enquête longitudinale qui a suivi les même enfants de 11
ans à 17 ans (près de 4000 enfants), et a été réalisée par une équipe réunissant des
chercheurs du Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) du
ministère de la Culture et de la Communication, et d’un laboratoire du CNRS, le
Groupe de recherche sur la socialisation (GRS).
A 11 ans, le quotidien des enfants est principalement occupé par la télévision : 81% des
enfants regardent la télévision tous les jours, 37% écoutent de la musque tous les jours, 33%
lisent des livres tous les jours, 22% font du sport tous les jours, 21% jouent à des jeux vidéo
tous les jours, 14% utilisent un ordinateur tous les jours. Ils ont déjà une culture de sortie :
au même âge, 83% sont allés au cinéma depuis le début de l’année scolaire, 56% ont visité un
musée ou un monument et 44% sont allés dans une bibliothèque. L’ouvrage nous apprend que
les usages et pratiques ont évolué à 17 ans puisqu’ils sont moins nombreux à regarder la
télévision tous les jours (66%), leur vie culturelle s’est musicalisée (68% écoutent de la
musique tous les jours) tandis que le livre s’est en progressivement retiré (9% lisent tous
les jours livre). Mais surtout, l’ordinateur est devenu leur première activité quotidienne
(69% l’utilisent tous les jours, pour des consommations culturelles – téléchargement – des
pratiques communicationnelles –blog, msm, etc.- et des pratiques créatives ainsi que des
activités liées au travail scolaire –recherche documentaire notamment). Ayant gagné en
autonomie de goût et de déplacement, ils sortent également plus (90% sont allés au
cinéma depuis le début de l’année scolaire, ce qui place le cinéma en tête des sorties des
jeunes), plus d’1/3 sont allés à un concert, mais se détournent des musées et monuments
(44% y sont allés) et surtout des bibliothèques (21% y sont allés) dont la fréquentation était
liée à la famille ou à l’école.
Émaillé de portraits d’enfants et de parents, illustrant chacun les différents types de rapport à
la culture décrits, l’ouvrage vient rappeler que l’épaisseur de l’humain n’est pas réductible à la
mesure statistique : au-delà des trajectoires communes, chaque parcours individuel reste le
fruit d’un processus de construction, fait de découvertes, de choix et de renoncements.
L’ouvrage s’organise en quatre thématiques :
« Dis-moi quels sont tes loisirs, et je te dirai qui tu es » : Longtemps considérés comme des
héritiers reproduisant les comportements parentaux, ou volontiers décrits comme des
consommateurs passifs soumis à la profusion de l’offre médiatico-publicitaire des industries
culturelles, les discours sur les rapports des enfants à la culture oscillent le plus souvent entre
angélisme techniciste – ils seraient naturellement digitaux - et paniques morales. L’ouvrage
s’intéresse au sens et à la place des loisirs culturels dans la construction de soi des enfants au
fil de l’avancée en âge, afin de décrire leurs « agendas culturels ».
Ainsi, on peut distinguer occupation du temps et attachement aux pratiques : dès 11 ans,
pourrant première activité du quotidien, la télévision ne figure qu’au huitième rang des
attachement des enfants, loin derrière les pratiques artistiques. A 17 ans, pratique et
attachement coïncident, puisque l’ordinateur est l’activité préférée de _ des jeunes. Et les
pratiques artistiques engendrent toujours un fort attachement chez 2/3 des amateurs de
17 ans.
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« Dis-moi qui tu es, je te dirai ce que tu fais » : Filles et garçons occupent des espaces
culturels distincts et développent des agendas culturels variables : Barbie et goût de la
conversation versus football et jeux vidéo. Pour certaines pratiques, c’est le sexe qui fait la
différence, pour d’autres, l’origine sociale, et pour d’autres encore une combinaison des deux.
Ainsi, les jeux vidéo sont une activité de garçons à tous les âges et ce caractère masculin
de la pratique s’affirme avec l’âge : à 11 ans, 35% des garçons y jouent tous les jours contre
8% des filles –soit , à 17 ans, l’écart s’est creusé puisque 29.5% des garçons sont joueurs
quotidiens et seulement… 3% des filles. Même si les garçons sont un peu moins lecteurs que
les filles, la lecture de livres est et reste quant à elle d’abord une activité d’enfants de
cadres : 43.5%des enfants de cadres lisent tous les jours des livres à 11 ans, contre 29% des
enfants d’ouvriers (soit 1.5 fois moins), et cet écart va croissant puisqu’à 17 ans 16.5% des
enfants de cadres lisent toujours tous les jours des livres alors qu’ils ne sont plus que 5.5%
chez les enfants d’ouvriers (soit 3 fois moins). Les pratiques artistiques sont une
combinaison des deux phénomènes : les filles d’ouvriers et les garçons de cadres ont des
niveaux de pratique quotidienne semblable (de l’ordre de 7% à 11 ans et de 12% à 17 ans).
« Dis-moi ce que tu fais, je te dirai à qui tu ressembles » : Les influences pesant sur les
enfants sont nombreuses – parents, fratrie, école, institutions culturelles, copains, …. Face à
elles, les enfants font des choix métissent, recombinent ou mettent à distance afin de se
construire un goût.
Le rôle de la famille apparaît central dans la transmission d’un goût ou d’un dégoût
culturel, quand bien même des déplacements de contenus, liés aux générations et aux effets
de mode existent : ainsi les parents qui aiment écouter de la musique ont des enfants qi ont,
plus que les autres, tendance à en écouter beaucoup, quand bien même les premiers écoutent
les Beatles et les seconds Tokio Hotel. De même, les parents qui ont des pratiques artistiques
amateurs ont plus que les autres des enfants qui ont des pratiques amateurs, même s’il ne
s’agit pas des mêmes activités.
L’école joue un rôle de démocratisation culturelle en matière de fréquentation des musées,
monuments, bibliothèques etc. auprès des enfants issus de familles peu impliquées dans la
culture, mais cet effet ne résiste pas à l’avancée en âge, quand les modèles des copains
prennent le pas sur ceux de l’enfance. L’influence des copains est importante, dès le milieu
de l’adolescence, quand la logique d’affiliation au groupe concurrence celle de filiation à la
famille.
« Dis moi ce que tu fais, je te dirai ce que tu feras » : Au-delà des trajectoires communes,
chaque parcours individuel reste le fruit d’un processus de construction, fait de découvertes,
de choix ainsi que de renoncements. Ce dernier chapitre s’attache à mettre en évidence le jeu
croisé des déterminations (poids de la famille, effets de l’école, effets des copains) sur les
trajectoires de loisirs des enfants de 11 à 17 ans. Ce faisant, il restitue l’épaisseur de
l’humain en mettant en évidence les « exceptions » à ce qui aurait tôt fait d’apparaître
comme des « règles du social » : certaines filles qui cumulent tous les « avantages »
favorisant une consommation culturelle forte n’en font rien et à l’inverse, certains garçons,
cumulant au contraires les « handicaps » sont fortement investis dans la culture. Les portraits
permettent de dessiner certaines hypothèses : rencontres marquantes, recompositions
familiales complexes, tensions relationnelles…peuvent venir changer le cours du
probable pour faire advenir le réel.
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