Le bitcoin Une monnaie sans banques, ni banque - cemi

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Le bitcoin Une monnaie sans banques, ni banque - cemi
Le bitcoin
Une monnaie sans banques, ni banque centrale.
Assen SLIM et Maël ROLLAND
présentation CEMI-EHESS 22-05-2015
« There is no reason, in principle, why final settlements could not be
carried out by the private sector without the need for clearing through the
central bank. The practical implementation of such a system would require
much greater computing power than is at present available. But there is no
conceptual obstacle to the idea that two individuals engaged in a
transaction could settle by a transfer of wealth from one electronic account
to another in real time. Pre-agreed algorithms would determine which
financial assets were sold by the purchaser of the good or service according
to the value of the transaction. And the supplier of that good or service
would know that incoming funds would be allocated to the appropriate
combination of assets as prescribed by another pre-agreed algorithm.
Eligible assets would be any financial assets for which there were marketclearing prices in real time. The same system could match demands and
supplies of financial assets, determine prices, and make settlements. »
Challenges for Monetary Policy: New and Old.
Discours donné par Mervyn King,
Gouverneur adjoint de la Banque d'Angleterre.
27 Août 1999
1. Introduction
Penser idéellement l’avènement d'un système de paiement et de règlement décentralisé, sans banques, ni banque
centrale (BC), où la confiance se trouverait garantie hors sceaux de tiers crédibles1 est possible et même
intellectuellement distrayant. Voir annoncée sa réalisation effective est déconcertant. Mais asséner, comme le fait
King (1999), qu'il n'y a priori, aucun problème de principe à l'efficacité d'un système de règlements interindividuel
privé reste une hypothèse forte qu'il faudra démontrer. Si la théorie économique semble ne pas avoir été en mesure
jusqu'ici d'affirmer ou d'infirmer de telles propositions, peut-être est-ce encore une fois du côté de la pratique
qu’émergeront de nouveaux éléments de réponse.
Le bitcoin, une monnaie virtuelle de nouvelle génération promet de rendre effectif un tel système. Inscrite dans
des filiations théoriques et philosophiques plus larges et anciennes, à la confluence de visions monétaires et
philosophiques situées (Free banking, Cypherpunks ou Crypto-anarchisme), cette réalisation pionnière propose de
les dépasser. Son architecture par biens des cotés est novatrice et pourrait impliquer des décentrements monétaires
importants. Toutefois, pour révolutionnaire qu’il soit, ce nouveau dispositif de confiance appelle à la prudence et
doit être nuancé en raison des « imperfections » que donne à voir la pratique actuelle (problèmes liés à la sphère de
réalisation effective : acteurs, usages, transactions, volatilité).
L'histoire monétaire et financière n'est pas avare d'innovations et elles en constituent les variables d'évolutions
clefs. Elles marquent les changements à l’œuvre, tant dans les représentations que dans les conditions
institutionnelles qui portent l'espace monétaire unifié. Générant frictions et discrépances entre les sphères
institutionnelles hétérogènes constituant l'espace monétaire, elles peuvent en remettre en cause la stabilité et l'unicité
1
N'étant adossé ni à aucune marchandise ni à un passif émis par une personnalité tiers (physique ou morale).
1
(Kindelberger, 2004)2. Ces innovations relèvent et entraînent des adaptations institutionnelles et particulièrement
politiques. Aussi, de par ce statut particulier qu'elles ont dans la théorie comme la pratique, elles se font éléments
spécifiques d'une compréhension plus générale de ce que recouvre l'argent3. Le bitcoin, comme la monnaie de crédit
en son temps, ne correspond pas parfaitement aux représentations usuelles (juridiques et académiques) et comme
elle, il est l'occasion d'un débat renouvelé sur la monnaie, son statut, son rôle comme celui des autorités souveraines.
Les décentrements que pourrait opérer ce système monétaire virtuel, affranchit à des degrés divers des circuits
hiérarchisés traditionnels et de leurs contraintes (réglementations et supervisions), posent question. Cette
autonomisation, comme le pseudo anonymat des utilisateurs conduit l'attention à se porter sur les risques émergents :
ceux liés directement aux utilisateurs (payeurs et payés) et ceux relatifs aux institutions politiques et monétaires et
à leurs capacités réelles d’action (fraude fiscale, financement d'activité illégale, indépendance et efficacité des
politiques monétaires).
Saisir la portée pratique et théorique du bitcoin, telle est la problématique générale de cet article. Une première
partie s’attache à présenter les aspects techniques de cette nouvelle monnaie tout en rappelant ses fondations
intellectuelles. Une deuxième partie met en lumière ses apories pratiques et dessine les contours de ce qui lui manque
« encore » pour faire argent. Enfin, un troisième temps de la réflexion propose une mise en perspective théorique
du bitcoin perçu comme le résultat d’une grappe d’innovation (Schumpeter) marquant une étape supplémentaire
dans l’évolution historique du continuum monétaire (Simmel).
2. Le bitcoin : révolution pratique et fondations théoriques.
L’idée d’une monnaie libérée de tout contrôle, particulièrement politique, n’a pas attendu le bitcoin pour voir le
jour. Il se trouve même que ses préconisations pratiques reposent sur des considérations théoriques anciennes, et
même dominantes en économie.
2.1.
Des fondations théoriques à la confluence de corpus
économiques et politiques anciens...
Historiquement, les débats monétaires ont offert une place de choix aux questions relatives au statut de la
monnaie et ses effets. La question d'une monnaie neutre « en soi » est centrale et elle interroge toujours l'opportunité
de règles contraignantes intangibles permettant de la protéger des interférences politiques qui essayeraient de l'en
détourner4. L’émergence et le développement des monnaies de crédits (à support papier) détachées de leurs liaisons
2 Kindelberger fait des innovations
monétaires et financières l’une des clefs de sa théorisation des crises. Par les assouplissements monétaires
qu’elles permettent (effet levier, desserrement des contraintes financières et monétaires, décloisonnement, nouveaux acteurs), elles constituent l’un des facteurs principaux de l'apparition des bulles. Ces innovations concourent à la fois à la phase d'euphorie et à l'intensité des
conséquences de leurs éclatement : contagion des phases de panique, dissémination des risques, interdépendance, etc. (Kindelberger, 2004)
3 C'est précisément la démarche que suit Simmel dans sa « Philosophie de l'argent (2009). Partant des bouleversements monétaires de son
temps, et en particulier l'émergence de la monnaie de crédit et des monnaies papier, il construit un continuum monétaire unique dont la
même essence est la confiance mais dont les ressorts connaissent, historiquement, des décentrements importants. Il prend ainsi le contrepied
des interprétations qui opposent la nature des monnaies de crédit à celle des monnaies marchandises (et particulièrement celles adossées aux
métaux précieux). Pour lui, aucune de ces formes n'est précieuse « en elle-même » et leurs valeurs respectives sont toujours tirées de la
relation, à double sens, de l'individu à la totalité sociale considérée.
4 Comme le rappelle Tutin (2009), déjà en 1360, Nicolas Oresme se demandait si le fait de diminuer le numéraire des monnaies était légitime
et si ce pouvoir pouvait être raisonnablement confié au prince. Cette vision préfigure la théorie quantitative de la monnaie dont les interprétations contradictoires structures les écoles économiques. Pour les uns, seule la stabilité de l'unité de compte se doit d'être assurée, tandis
que pour les autres, il s'agit aussi d'assurer la viabilité du système de paiement en le garantissant contre le risque d'insolvabilité et d'illiquidité.
Ces lignes de fracture son récurrentes dans l’histoire de la pensée monétaire : déjà présentes dans les débats préclassiques, on les retrouve
dans les controverses entre Banking School et Currencies School, entre keynésiens et monétaristes (Kindelberger, 2004; Tutin, 2009). Aujourd'hui,
le Nouveau Consensus Monétaire (NMC) marque la victoire des tenants d’une vision quantitativiste de la monnaie (Galbraith 2008).
2
aux métaux précieux, avait déjà été l'occasion de rouvrir vigoureusement le débat de la « bonne gestion » de la
monnaie par les banques et les BC. Pour les tenants de la neutralité, la liaison au métal ne devait en aucun cas être
remise en cause car elle érigeait des contraintes exogènes à la politique monétaire et particulièrement à la création
monétaire.
La thèse du Free Banking constitue à cet égard l’un des développements les plus radicaux en faveur de la
protection de la monnaie contre les gouvernements et les BC. Ces derniers, toujours prompts à céder aux diverses
pressions, sont jugés responsables de l’inflation et du sous-emploi des facteurs de production du fait même du
monopole qu’ils détiennent sur l’émission et la régulation monétaire (Hayek, 1976). L'État disposerait d'un droit
illégitime dans le monnayage (quantité de monnaie émise et taux d'usage), qu'il faudrait annihiler par la mise en
concurrence de toutes les monnaies dans un espace mondial concurrentiel. Dans ce free banking mondial, tout
émetteur serait contraint au maintien d'une stabilité « parfaite » de son étalon5, sous peine de voir son usage se
réduire. Un tel système, reposant sur l'hypothèse d'une absence totale de rigidités et donc sur une modification en
profondeur de l’architecture monétaire et financière internationale, permettrait de se passer de l’intervention des
gouvernements et de leur capacité de nuisance monétaire tout en favorisant l’émergence d'un prix universel (ibid.).
Dans une telle épistémologie, qui réduit l'échange marchand aux seules relations interindividuelles contractuelles
hors toute épaisseur sociale, la monnaie n'est pas différentes des autres marchandises et sa demande, comme celle
de n’importe quel autre bien, doit être recherchée dans l'utilité individuelle qu'elle procure (facilité des paiements,
baisse des coûts de transaction, etc.). Ceci explique alors l'impensé, par les tenants de la neutralité de la monnaie,
du passage de l'individu au(x) collectif(s)6 – pourtant la seule clef ouvrant la serrure de compréhension de l'argent
–et que les corpus concurrents viennent à mettre en avant.7
2.2.
… et techniques et philosophiques contemporains.
De tels corpus épistémologiques semblent converger vers d'autres qui pourtant ont émergé dans des groupes et
des espaces sociaux différents. Les avancées technologiques dans le domaine de l'information et de la
communication ont obligé les ingénieurs à trouver des solutions aux problèmes de sécurité et d'identification qu'elles
impliquaient logiquement. Dans de tels domaines, les questions de protection des données transmises et de la vie
privée des utilisateurs ont pris une place centrale et ont été à l’origine de solutions techniques (architectures en
réseaux décentralisés ou hybrides, cryptographie). Celles-ci, accompagnées d'une augmentation concomitante de la
puissance de calcul, des capacités de stockage et de la bande passante sur Internet, semblent rendre pratiquement
réalisable ce qui n'était jusqu'alors que théoriquement pensable. De cette communauté ont émergé des réflexions
philosophiques et politiques concernant la place de telles avancées dans la société et leurs risques potentiels. Un
5
Cette stabilité « parfaite », non précisément définie, est la condition même de l'attractivité de la devise et le gage de sa bonne gouvernance.
À l'inverse de la loi de Gresham, les bons émetteurs chasseront les mauvais (sans préciser les bonnes recettes de fabrication). « The reputation
of financial righteousness would become a jealously guarded asset of all issuers of money, since they would know that even the slightest
deviation from the path of honesty would reduce the demand for their product. ». Hayek souligne d'ailleurs (avec une nostalgie explicite)
l'impact positif qu'avait l'étalon-or sur la stabilité de l'unité de compte, puisque les contraintes de production s'imposaient au gouvernement
(Hayek, 1976).
6 Voir Aglietta et Orléan (1998) ou Simmel (2009). Ce dernier fait de la dialectique individu-totalité sociale le cœur des phénomènes monétaires comme celui de leur compréhension. L’auteur s'intéresse en premier lieu aux formes des relations interindividuelles (base de sa sociologie) qui ne sont toujours que sociales : partant de la psychologie du sujet il développe une vision holistique reposant dans l'individu.
7 Les modèles à génération imbriquée, bien qu’imparfaits, en sont une bonne illustration. Ces derniers tentent de prendre en compte, sur
des bases individualistes, la notion de transmission intergénérationnelle. Toutefois, ces modèles ne parviennent pas à apporter une réponse
complètement satisfaisante puisque l'acceptation de la monnaie d'une génération à l'autre renvoie à des équilibres multiples dont certains se
situent hors de la sphère monétaire. Il reste donc à trouver une explication convaincante à l'élection et à l'acceptation d’une monnaie (ou à
sa destitution et à son refus). De fait, ces difficultés semblent dessiner, en négatif, les déterminations extra-économiques et supra-individuelles qui pourraient prendre part à l'explication des phénomènes monétaires. Voir Orléan (2002).
3
petit nombre d'intervenants8 a participé à la structuration de pensées politiques particulières se regroupant sous les
appellations de Cypherpunk9 ou de crypto-anarchistes10. Ces deux familles partagent la centralité accordée tant à la
question de l'anonymat (qui n'est pas secret11), qu'à celles d'une architecture décentralisée porteuse d'incitations
structurelles permettant la coopération interindividuelle, hors identification intuitu personæ12. Se déclarant euxmêmes « libertarian », ils affichent une défiance contre toute institution centrale qui, de fait, possède une
souveraineté exorbitante. Les cadres technologiques qui émergent de ce mouvement constituent les vecteurs qui
rendront obsolète toute entité à prétention orwellienne13. L’État, dont la capacité d’action est considérablement
réduite dans ce monde technologique émergent, est particulièrement visé par ces libertarians autoproclamés14.
Aussi, il s'avère que malgré la polysémie de ce mot en anglais c'est plus par « libertariens » qu'ils se doivent (bien
qu'il subsiste des nuances) d'être qualifiés en français15.
Tirant les leçons de la fermeture de Napster (1999-2001), première plateforme centralisée d’échange de fichiers
de pair-à-pair (Peer-to-Peer ou P2P)16, ces groupes sont à l’origine des premières tentatives de monnaies
électroniques décentralisées. Si des succédanés de monnaies privées avaient émergé dès les années 195017 et que
des premières versions électroniques étaient apparues à la fin des années 199018, toutes reposaient encore sur une
architecture centralisée qui seule permettait d'assurer les paiements et les règlements. Cette centralité constituait à
la fois la condition nécessaire permettant la coordination des parties prenantes et le tendon d’Achille de ces
expériences : le centre concentre tous les pouvoirs et l’atteindre et/ou le contraindre à fermer revient à mettre à mal
le réseau dans sa totalité, comme l’a démontré la fermeture de Napster. Malgré des problèmes techniques non résolus
à l’époque, Wai Day (1998), fasciné par le projet de la crypto-anarchie de T. May, présente, dans une brève note, sa
b-money : une monnaie qui serait échangée de pair-à-pair, dans un système décentralisé, fondé sur un réseau non
traçable du fait de l’utilisation de clés cryptographiques. Ce protocole P2P permet de fait la construction de réseaux
à structure rhizomique non centralisée. Dans le même esprit, un autre projet appelé Bitgold est proposé en 2005 par
Nick Szabo. B-money et Bitgold ouvre la voie au Bitcoin.
8
Les principaux fondateurs sont : David Chaum ; John Gilmore ; Timothy C. May et Eric Hughes ; liste non exhaustive. Voir
http://en.wikipedia.org/wiki/Cypherpunk (consultation du 15/05/2015).
9 Théorisé dès le début des années 1990 par certaines figures tutélaires de la communauté, cette appellation fait son entrée dans l'Oxford
dictionaries en 2006 pour désigner une « personne qui utilise le cryptage lorsqu’elle accède à un réseau informatique dans le but d’assurer la
confidentialité et se protéger, en particulier des autorités gouvernementales. Origine datant des années 1990 : sur le modèle des cyberpunks ».
Cette définition résume bien la position des théoriciens de ce mouvement. Voir A Cypherpunk's Manifesto (Eric Hughes, 1993).
10 Mouvement porté par les nouvelles technologies qui prétend redéfinir les fondements de la gouvernance (étatique, économique et sociale)
sur la base d’une nouvelle approche de la confiance et de l’identité (May, 1992).
11 Cet anonymat est rendu possible par la cryptographie. Il est seul à même de protéger la vie privée des individus face aux grands groupes
et aux gouvernements. Il rend possible l'identification et l’accès aux informations mais aux seules personnes explicitement autorisées à y
avoir accès (Hughes, 1993).
12 « Deux personnes peuvent échanger des messages, faire des affaires, et négocier des contrats électroniques entre eux sans jamais connaître
leurs vrais noms ni leurs identités juridiques. » (May, 1992).
13 Titre de la note de Chaum (1985) : “Security without identification card computer to make Big Brother obsolete”.
14 Dans un monde crypto-anarchiste, « le gouvernement n’est pas temporairement détruit, mais devient inutile et interdit de manière permanente. C’est une communauté dans laquelle la menace de la violence est inexistante car la violence n’existe pas, et la violence n’existe pas
parce que ses participants ne peuvent pas être identifiés par leurs vrais noms ou leurs adresses. » (Dai, 1998).
15 Leur confiance non questionnée dans les rapports interindividuels et surtout dans le mode coordination par le marché est effectivement
assez éloignée de la vision libertaire. Dans The Crypto Anarchist Manifesto (1992), Timothy C. May fait explicitement référence à Marx tout en
annonçant une révolution technique qui permettrait de tout échanger (même de la drogue et des meurtres) sur des marchés parfaits et
totalement liquides.
16 En juin 1999, Schawn Fanning, un étudiant américain de 18 ans lance sur son site download.com le premier fichier d’échange de fichiers
intitulé Napster. Suite à une plainte déposée par l’association américaine des artistes (la RIAA), Napster a été contraint à la fermeture en juillet
2001. Il comptait alors 60 millions d’utilisateurs dans le monde.
17 Exemple donné du Diner Club mis en place dès les années 1950 (voir European Central Bank, 2015).
18 Pensons au système de paiement Paypal ou à Monéo par exemple.
4
2.3. Le bitcoin comme tentative de synthèse et de
dépassement.
a) Des représentations séminales...
C'est en 2008 qu'est publié, sous pseudonyme, dans le Cryptography mailing list19, le papier séminal « Bitcoin :
A Peer-to-Peer Electronic Cash System ». On retrouve le même type de canal de publicité (liste de diffusion) mais
contrairement aux propositions suscitées, le texte lui n'est pas une simple note. Après avoir brièvement présenté les
problèmes que posent les monnaies existantes, il décrit précisément l’architecture technique sur laquelle reposera
son nouveau système monétaire. Dans les sources données en bibliographie (au nombre de 8), il est intéressant de
noter qu'il fait référence à la b-money de Wai Day (1998) et qu'aucune des sept autres sources n'est spécifiquement
économique, politique ou sociologique. Toutes sont techniques et traitent, de serveur horodaté (pour trois d’entreelles), de chaîne de bit (bit string), de fonction de hachage (hash20), de cryptographie et de probabilité.
L'« auteur », Satochi Nakamoto21 dit avoir travaillé sur la question dès 200722 et ce, en réponse à la crise
financière et bancaire mondiale. Il prétend résoudre les problèmes posés tant par les monnaies électroniques
("double spending problem"23) que par les monnaies nationales et internationales. Toutes ces monnaies, par la
médiation « certifiée » des paiements et règlements qu'elles nécessitent, impliquent l'existence d'institutions tierces
à statut particulier, capables de s’ériger en médiateur des conflits (assurer la réversibilité des transactions, gérer
l’incertitude) au prix de coûts de transaction élevés. Le bitcoin, au contraire, est conçu dès l’origine comme une
monnaie sans intermédiaires bancaires ou financiers, offrant à ses utilisateurs une voie d'autonomie nouvelle
(Nakamoto, 2008). Les intermédiaires sont remplacés par une architecture collaborative (protocole distribué P2P)
et sécurisée (tenue d'un registre de compte unique et transparent, identification par une clef publique, vérification et
traitement des paiements par résolution de calculs informatiques) censée être résiliente tout en assurant les fonctions
monétaires et une création monétaire déliée du crédit.
Nakamoto exprime explicitement le souhait de fonder un système monétaire « sans confiance », hors de portée
du pouvoir des banques centrales et des banques de second rang, dans le but de gagner « une bataille importante
dans la course aux armements et d’accéder à un nouvel espace de liberté pour plusieurs années »24. Cette
revendication se retrouve même dans la base de données des transactions du réseau bitcoin, dont l’entrée originelle
19
Publié initialement sur le site internet metzdown.com, le texte est à présent diffusé sur le site bitcoin.org : https://bitcoin.org/bitcoin.pdf
(consultation du 15/05/2015).
20 Correspond à une fonction cryptographique qui est appliquée aux données brutes entrantes en les encryptant sous la forme d'une empreinte numérique partielle mais suffisante pour retrouver la donnée initiale.
21 Pseudonyme utilisé par son ou ses créateur(s) lors de la publication et sur les forums. Le mystère reste entier quant à l'identité véritable
du ou des concepteurs….Malgré des tentatives incessantes pour percer son identité, nul ne sait à ce jour qui se cache réellement derrière
Satochi Nakamoto.
22 Voir https://en.bitcoin.it/wiki/Satoshi_Nakamoto (consultation du 15/05/2015).
23 L'unité monétaire étant numérique, elle pose le problème épineux de sa possible duplication frauduleuse en vue de réaliser plusieurs
paiements. Il correspondrait au dilemme des généraux Byzantins qui, pour réussir à coordonner leurs attaques, doivent développer des
stratégies de protection de leur chaîne de commandement contre la corruption et la falsification (par des généraux renégats) des messages
transmis. Ici, le Bitcoin doit suivre un algorithme afin de protéger son réseau de la corruption (volontaire ou accidentelle) des informations
transmises.
24 « A major battle in the arms race and gain a new territory of freedom for several years ». L’auteur rappelle la facilité avec laquelle les
réseaux centralisés comme Napster ont pu être fermés et insiste sur l’importance de mettre en place des réseaux « purs » de Peer-to-Peer, c’està-dire décentralisés ou hybrides (comme Gnutella ou Tor).
5
contient le message suivant : « The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks »25. Même
si le texte fondateur de Nakamoto n’est pas directement relié à la sphère économique (des affaires et/ou académique),
certaines des réflexions qu’il y développe traduisent un intérêt et des connaissances des systèmes bancaires et
financiers contemporains. Après être resté actif sur les forums jusqu’en 2010, l’auteur a opté pour le silence afin
que sa notoriété et les recherches sur son identité ne détournent pas l'attention de ce qui pour lui est le plus important :
le bitcoin et ses potentialités. Il donne les codes d’accès au projet26 à Gavin Andresen, actuel scientifique en chef de
la fondation Bitcoin, membres du noyau des premiers développeurs du bitcoin.
Sous l'appellation générique de bitcoin, il faut distinguer deux choses fondamentalement différentes : d’une part,
la pensée sous-jacente et ses extensions technologiques - le protocole et le logiciel lui-même – que nous nommerons
bitcoin (petit b), et d’autre part, de la devise émergente elle-même, le Bitcoin (grand B, BTC ci-après), dans ses
dimensions de moyen de paiement, d'unité de compte et de réserve de valeur.
b) ...à ses conditions matérielles
Le point de départ de Nakamoto (2008) est de considérer que la confiance, qui est au cœur des monnaies
traditionnelles, est rendue nécessaire par le problème du double paiement27. Le tiers crédible parvient à résoudre ce
problème par le clearing qu'il effectue dans le registre qu'il tient. Cette médiation rend possible la réversibilité des
transactions, le tiers régulant les conflits potentiels, ce qui ne se fait pas sans coûts. Aussi, rendre l'historique des
transactions transparent et accessible à tous permet, d’après Nakamoto, de vérifier la transaction et de valider le
règlement : ici tout paiement devient irréversible. Dans cette logique une unité de Bitcoin correspond à une chaîne
de signature numérique (un Block) – i.e. une empreinte de la transaction - qui ajoute, cumulativement, la clef
publique28 du nouveau propriétaire à la fin de la pièce, qui devient de plus en plus longue. Ce système monétaire
repose sur une procédure double, d'annonce publique d'un historique des transactions et d'accord communautaire
sur la légitimité de celui qui sera retenu par tous. C'est ce processus qui assure une création monétaire connue de
tous (quantité et rythme de croissance)29.
La première procédure (annonce publique d’un historique des transactions) est construite autour d'un serveur
d'horodatage, permettant de réaliser des empreintes d'informations et de les publier. La deuxième procédure (accord
communautaire), passe par la mise en place de preuves de travail (« proof of work », PoW) reposant sur un
algorithme de Hash de type SHA 25630. Chaque nouvel horodatage, une fois validé par résolution du hash du
nouveau block, se superpose à l'ancien et prouve la validité des informations cumulées contenues. Il s’agit là du
25
« Le Chancelier est sur le point de lancer une deuxième levée de fonds pour sauver les banques », titre en une du Times du 3 janvier 2009.
https://en.bitcoin.it/wiki/Genesis_block (consultation du 15/05/2015).
26 Code d’accès à « bitcoin source forge » (site de mise à disposition des codes sources puisque le code est en open source nous y reviendrons) et à
l'« alert key » qui peut permettre d'envoyer des messages d'urgence à tous les clients Bitcoin (voir https://en.bitcoin.it/wiki/Alerts).
27 Ce qui se joue au cœur de l'échange est réduit à l'information sur la solvabilité réelle des coéchangistes. Le problème épistémologique ici
est qu'une information n'est pas connaissance – cela laisse de côté les questions cognitives et celles concernant les représentations à l’œuvre
dans le traitement situé de toutes informations - mais dans les corpus suscités cette distinction est absente.
28 L'adressage se fonde sur une cryptographie asymétrique avec des clefs publiques et une clef privée (qui se doit d'être protégée et cachée),
voir http://www.miximum.fr/tout-savoir-sur-les-adresses-bitcoin.html (consultation du 15/05/2015)
29 Au début et ce afin d'inciter les individus à la construction du réseau naissant, la création monétaire qui n'est autre que la prime (droit de
seigneuriage) versée au participant était fixée à 50 BTC. Arrivé à 210 000 BTC en circulation, la rémunération des mineurs et donc l'émission
nouvelle de bitcoin est divisée par 2, soit 25 bitcoins/10min. Suivant cette logique elle continuera à diminuer par pallier jusqu'à l'année 2140
où l'émission monétaire atteindra sa limite fixée à 21 millions de BTC. Ensuite, c'est la captation de frais de transaction qui rémunérera les
mineurs afin qu'ils continu à soutenir le réseau et sa viabilité.
30 Le type d'algorithme choisi peut varier suivant les crypto-monnaies (SHA-256, Scrypt ou X11). C'est lui qui détermine la difficulté de
résolution de puzzle informatique que devront affronter les machines des mineurs. C'est de lui que dépend également le rythme de traitement
et d'enregistrement des nouvelles transactions dans le Blockchain, et donc la consommation énergétique qui sera nécessaire à la résolution
des nouveaux Block. Enfin, c’est l’algorithme qui détermine l'émission des nouvelles unités ainsi que leur distribution (European Central
Bank, 2015).
6
cœur du système qui lie, d'un même acte énergivore, transactions, règlements et émission monétaire. Pour le bitcoin,
cette étape est appelée minage (« mining ») et se réalise environ toutes les dix minutes31. Le minage est effectué par
des utilisateurs volontaires, les « mineurs », qui dotés d'un logiciel et d’équipements particuliers établissent le
registre et son actualisation (clearing distribué). Les coûts que ces derniers supportent sont contrebalancés par la
prime potentielle qu'ils se voient octroyer en cas de résolution d’un nouveau Block et sa validation (elle est
proportionnée à la puissance, exprimée en hash/s, mise à disposition). C'est un processus en six étapes qu'a élaboré
Nakamoto (2008) : via les portefeuilles, les nouvelles transactions sont diffusées à tous les nœuds ; ceux-ci les
introduisent dans leur block ; ils se mettent à travailler à la résolution du hash (PoW) pour ce block ; lorsque l'un
d’entre eux le résout, il le diffuse à tous ; les autres nœuds n'acceptent ce block que si toutes les transactions qui y
sont inscrites sont valides ; chacun exprime sa confiance dans le nouveau block et l’enregistre pour s’en servir de
point de départ dans la résolution du block suivant de la chaîne. C'est toujours la chaîne cumulée de blocks la plus
longue, incarnant la décision majoritaire, qui est reconnue par tous. Chacun travaille alors à l’extension de cette
dernière. Les mineurs32 font travailler leurs machines afin de maintenir collectivement, par la résolution
cryptographique coûteuses en ressources, la chaîne des paiements générés par blocks cumulatifs : le "Blockchain"33.
C'est ce processus complexe qui permettrait, selon l’expression de Nakamoto, l’émergence d’une monnaie "sans
confiance" stable et résistante aux tentatives de fraude, par enregistrement "difficile", décentralisée et collective34.
Les simples utilisateurs de bitcoin, s’ils désirent effectuer des transactions, se doivent de télécharger un logiciel (le
« portefeuille ») qui leur permettra d'obtenir une clef privée (confidentielle) et des clefs publiques (qui seront
transmises à chaque coéchangiste lors des transactions).
Après avoir présenté les postulats techniques et la genèse de cette nouvelle monnaie, il nous faut nous
questionner plus pratiquement sa capacité réelle à être considérée et utilisée comme de l'argent. C'est que nous
traiterons dans la partie suivante.
3. Une monnaie qui n'en n'est pas une ? Les problèmes de définition a priori et les risques
potentiels.
Une monnaie n’est pas réductible au seul médium (matériel ou non) qui la porte mais correspond bien plus à un
état conditionné par un environnement – conditions institutionnelles au sens large allant des plus formelles aux plus
informelles (routine et représentation). Il nous faut alors considérer le bitcoin du point de vue de sa sphère réelle
d'usage afin de cerner si ses prétentions théoriques (devenir le Bitcoin) se traduisent bien dans les faits par
l’émergence d’un système monétaire effectif.
3.1.
La sphère monétaire effective du Bitcoin.
a) De son déploiement par étapes depuis 2009 à sa sphère effective actuelle
31
Ainsi, toute les dix minutes à lieu : 1- une vérification des transactions effectuées les dix dernières minutes et leurs inscription dans « le
grand registre », par superposition du nouveau block sur l'ancien. Et 2/ l'émission du nombre de bitcoins prévus, distribués aux mineurs tirés
au sort parmi ceux ayant participé à la résolution du Block (1/).
32Plus exactement, le réseau ne tient pas seulement au mineur mais aussi à des participants ayant décidés d'héberger un nœud complet et
valide du registre afin de le relayé. Ceux-ci, ne participant pas directement à la résolution des hash, ne touchent ni prime ni frais de transaction,
nous y reviendrons.
33 Le Bockchain est le registre de toutes les transactions, il est directement consultable sur https://blockchain.info/fr (consultation du
15/05/2015).
34 La sécurité et l'intégrité du registre dépend de la part de CPU contrôlée par les nœuds honnêtes. Si un pool de mineur dispose de plus de
51 % de la CPU disponible, la possibilité de falsification existe mais est dissuadée par les incitations existantes (prime très importante au
vue de la CPU disponible) comme par la difficulté que cette falsification engendre.
7
La publication du premier logiciel et l'émission des premiers 50 bitcoins par Nakamoto lui-même35 a été réalisée
le 3 janvier 2009. À partir de cette émission originelle, toutes les dix minutes sont émis les nouveaux bitcoin (selon
l'échéancier prévu36) et distribués aux premiers contributeurs du réseau naissant. Les éléments essentiels à noter ici
sont l'importance du rythme de croissance du réseau et sa structuration. Le rythme de croissance du réseau, d’abord,
se doit d’être harmonieux et cohérent afin de ne pas remettre en cause la sécurité du réseau (i.e. qu'aucun mineur ne
dispose d’une puissance de calcul relativement trop forte par rapport à celle des autres afin de ne pas dépasser la
limite des 51% rendant possible la falsification). La structure institutionnelle portant le réseau, ensuite, ne peut
relever de la seule bonne volonté des acteurs. C'est Nakamoto lui-même qui souligne ce problème peu de temps
avant sa disparition des forums par un post d'une tonalité qui ne lui était pas accoutumée. Il y répondait à des
demandes pressantes d'internautes qui souhaitaient que WikiLeaks accepte le paiement en bitcoin pour sa
souscription et faisant, étende le réseau de circulation37. Durant sa première année de fonctionnement, le bitcoin est
resté strictement confidentiel.
La première cotation du Bitcoin se fait en avril 2010 et ce n'est qu'en février 2011 qu'il atteint la parité avec le
dollar38. Jusqu’en mars 2013, le BTC s’échange en dessous des 20 dollars. A partir de cette date, le Bitcoin connaît
ses premières fluctuations de forte amplitude. Avec la crise chypriote, il acquiert temporairement le statut de valeur
refuge et voit son cours bondir à 230 dollars pour finalement retomber à 100 dollars de mai à octobre 201339. Le
cours dévisse de nouveau le 2 octobre suite à la fermeture par le FBI du site SilkRoad40. En décembre 2013, le cours
remonte fortement pour atteindre les 1000 dollars en fin d’année, aidé en cela par la forte médiatisation de l’audition
des promoteurs du Bitcoin par la Commission des affaires et de la sécurité intérieure du Sénat américain41. Depuis
2014, le taux de change du Bitcoin connaît une évolution erratique orientée à la baisse42. Durant ces deux dernières
années, l’institutionnalisation du Bitcoin se développe et s’étoffe. Le statut open source des codes originaux permet
à de nouveaux intervenants de développer de nouveaux services de logiciel (software) tandis que des avancées
considérables sont enregistrées du côté du matériel (hardware). Cela bouleverse l’architecture institutionnelle du
Bitcoin. Le minage, cœur de la décentralisation et de la « démocratie », s’industrialise du fait de l’acquisition par
de nombreux mineurs d’équipements beaucoup plus puissants qu’auparavant. Là ou de simples ordinateurs de
bureau suffisaient à miner du bitcoin, il faut désormais des équipements spécifiquement dédiés au minage de cryptomonnaies permettant d’optimiser la quantité de calculs par énergie consommée. Le minage se professionnalise et
l’on assiste progressivement à la disparition des « petits » mineurs amateurs et indépendants. Les ASIC (Application
35
Ce premier block, par convention, à un statut particulier : les premières unités générées de bitcoin, qui ont pour fonction de lancer le
processus, appartiennent à Satochi lui-même (Nakamoto, 2008).
36 Voir note 29.
37 Dans sa note, Nakamoto explique que si cette attente est louable, elle ne pourrait pour l'heure être réalisée sans conduire le jeune et fragile
bitcoin à son échec : « le projet a besoin de croître progressivement » (Nakamoto, 2008). Le 1er juin 2011, WikiLeaks accepte finalement ce
mode de souscription ce qui se traduit par une multiplication par 8 du cours du Bitcoin en dollars : 1 BTC = 9,57 USD en décembre 2011,
contre 1,14 USD en mai 2011(Banque de France, 2013).
38 Le BTC est salué dans Slashdot (http://news.slashdot.org/story/11/02/10/189246/online-only-currency-bitcoin-reaches-dollar-parity), (Banque de
France, 2013).
39 Suite à des problèmes rencontrés (latence de plus d’une heure) le 9 mai par la plateforme d'échange MtGox, la Banque de France (2013)
émet l’hypothèse d'une attaque par déni de service (DDoS), ce que la plateforme réfute totalement, préférant parler d’une latence due à un
excès de connexion et donc d’un succès certain; voir http://www.bitcoin.fr/post/La-bulle-vient-d-%C3%A9clater (consultation du
15/05/2015). Reste une dépendance importante aux paramètres techniques qu’il est nécessaire de souligner.
40 Voir http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/10/02/drogues-le-proprietaire-du-site-silk-road-arrete_3488797_651865.html# (consultation du 15/05/2015).
41 Voir http://www.usine-digitale.fr/article/l-operation-seduction-de-bitcoin-pour-devenir-une-monnaie-reconnue.N219242 (consultation
du 15/05/2015).
42 Au 15 mai 2015, 1 BTC = 237,18 USD. Voir http://fr.coinmill.com/BTC_USD.html#BTC=1 (consultation du 15/05/2015).
8
Specific Intefrated Circuit), dernière innovation en date, permettent une augmentation importante43 de la puissance
de hash (voir photo en annexe). Ces évolutions, érigent des barrières à l'entrée pour les nouveaux mineurs de par la
puissance totale déjà disponible et son inégale répartition44. Le réseau s'est adapté via la constitution de pools45
permettant aux mineurs de mutualiser leur puissance de CPU afin d'augmenter leurs chances de résoudre des blocks
de plus en plus difficiles et face à des capacités de minage elles-mêmes de plus en plus grande46.
Enfin, de nombreux acteurs développent de services additionnels permettant d’accroître la liquidité, la
profondeur, comme la connaissance des marchés libellés en unité de compte BTC. Que ce soit l'émergence de
portefeuilles plus accessible aux novices (mais plus risqués puisqu'ils réintègrent de l'intermédiation)47, des
plateformes d'échange en devises (centralisée ou OTC)48 et la mise en place de nouveaux indicateurs de marché
plus précis49. Le développement de ceux-ci permettent de rendre plus attractive la sphère de circulation monétaire
tant pour les acheteurs que pour les payeurs. Ceux-ci ont accès à des matériels et logiciels spécifiques leurs
permettant de recevoir les paiements et même de convertir ceux-ci directement dans la devise choisie à un taux de
change en temps réels50.
Quelles sont les conséquences de ces évolutions sur le fonctionnement originel du bitcoin ? Le registre des
transactions est toujours accessible en ligne est donne un grand nombre d'informations sur le réseau. À l'heure
actuelle51, la masse monétaire en BTC atteint 14 160 975 unités pour une capitalisation en dollars de 3 339 157 905
USD. Le nombre de transaction moyenne ne cesse d'augmenter (environs 104 255/ jours) depuis son lancement
pour un volume de BTC échangés par jour qui lui n'augmente que très faiblement (200 500 BTC/jour, soit 47 278 014
USD/jour). Cependant, la question du nombre d'utilisateurs reste problématique car si le registre est bien public et
transparent, on n’y trouve uniquement les clés publiques pour les transactions. En outre, une personne peut avoir
plusieurs portefeuilles dont chacun permet d'utiliser plusieurs clés publiques par clé privée unique. Il est alors
difficile de cerner réellement ce que cache une adresse. Reste que l'anonymat n'étant pas total, des techniques
apparaissent pour remonter aux auteurs des transactions52 et le scandale MtGox, plateforme définitivement fermée
en février 201453, a fourni un certain nombre de fuites permettant d'obtenir des informations sur l’identité des
détenteurs et la répartition des BTC. Si les dernières estimations tablent sur une augmentation du nombre des
43
Le Monarch, haut de gamme de l'entreprise Butterfly, pionnière dans le développement de composant pour le minage de monnaie cryptographique, atteint une puissance de calcul de 700 Gigahash/s pour 350 watts. Pour une comparaison des composants et de leur puissance
voir https://en.bitcoin.it/wiki/Mining_hardware_comparison (consultation du 15/05/2015).
44 http://www.bitcoin.fr/post/Les-confessions-d-un-mineur-de-bitcoin (consultation du 15/05/2015).
Ces pools, d’abord centralisés (ce qui entraînait le risque des 51 %), ont, pour certains, adopté un protocole de P2P décentralisé.
45
46 La taille des piscines est un enjeu important et renseigne sur le caractère hautement concurrentiel du minage actuel. Pour une comparaison
des Pools (nationalité, taux de hash, frais et taxe) voir https://en.bitcoin.it/wiki/Comparison_of_mining_pools (consultation du
15/05/2015).
47 Disponible aujourd'hui pour PC, téléphone mobile voir directement sur internet. Chacun d'entre eux possède des caractéristiques différentes avec en général les avantages des uns correspondant aux inconvénients corrigés des autres. Les hotwallets, par exemple, directement
connectés, sont faciles d'utilisation mais font courir le risque de piratage de son portefeuille voir de la plateforme qui le gère. De leur côté,
les coldwallets, non directement connectés, sont moins risqués mais aussi moins pratiques. Pour découvrir les différentes possibilités, voir
https://bitcoin.org/fr/choisir-votre-porte-monnaie (consultation du 15/05/2015).
48 Elles sont toutes recensées dans http://howtobuybitcoins.info/ (consultation du 15/05/2015).
49 Certaines chutes brutales du cours ne se réalisent en fait que sur certains marchés mais en l'absence d'information cambiaire unique, de
telles fluctuations situées peuvent entraîner des perturbations sur les autres marchés. Cela permet de souligner l'importance de l'objectivité
du prix et de sa construction épistémologique par couches objectives successives. Nous sommes ici en présence d’un marché en voie
d'institutionnalisation.
50 Voir https://www.coinbase.com/clients et https://bitpay.com/ qui sont aujourd'hui les leaders de ce type de «passerelle de change ».
51 Le 15/05/2015, source https://blockchain.info/fr/charts (consultation du 15/05/2015).
52 Certaines techniques, par utilisation de clusters heuristiques sont développées afin d'identifier les personnes qui utilisent les différentes
adresses, voir (Meiklejohn et al. 2013).
53 Elle connaissait de difficultés récurrentes depuis 2013. D'après Wired, sa part de marché est passée de 70 % des transactions gérées en
avril 2013, à 14 % deux mois après. Cette plateforme à définitivement été emportée dans un scandale, voir http://www.numerama.com/magazine/28568-le-bitcoin-evite-le-krach-malgre-la-fermeture-de-mtgox.html (consultation du 15/05/2015).
9
utilisateurs de Bitcoin (5 millions prévus en 2019)54, ils ne seraient aujourd’hui pas plus de 2 millions à l’utiliser55.
De plus, l'augmentation du nombre de transactions constatées serait à relativiser car il correspondrait plus à
l’augmentation de l'intensité des transactions pour les utilisateurs établis qu'une adoption massive de cette cryptomonnaie par de nouveaux utilisateurs56. Quant à sa sphère réelle d'achat, là encore il est difficile d'évaluer le nombre
total de vendeurs, leur localisation, tout comme les biens et services mis en vente. Partant des informations fournies
par les plus grands organismes de gestion de portefeuille et de services de paiement (Coinbase et bitpay), le nombre
(non exhaustif) de vendeurs faisant appel à leurs services serait de près de 89 000, dont certaines grandes entreprises
(Microsoft, Dell, Bloomberg, Google, Paypal, etc.)57. Des sites de vente sur internet comme shopify (sorte d’e-bay
du bitcoin) se targue d'avoir 160 000 vendeurs. En France, ils seraient près de 300.58 L'acceptation des paiements
en BTC serait en réalité bien plus présent sur la toile et pour des services que pour des marchandises localisées dans
des magasins physiques. En définitive, le Bitcoin ne semble pas encore avoir atteint sa masse critique lui permettant
d’être reconnu et adopté massivement par de nouveaux utilisateurs (European Central Bank, 2015).
Au rythme décroissant de l'émission monétaire, la quasi-totalité des Bitcoins seront émis d'ici à 2030 et comme
nous l'avons vu, l'augmentation de la taille des blocks et des coûts de leur traitement59, comme le phénomène de
concentration de mineurs interroge. La question de la répartition effective de la masse monétaire en BTC comme
celle de sa faible utilisation dans le monde réel se doivent d'être posées.
b) Les limites de ce système monétaire
La décentralisation annoncée à l’origine ne semble pas donner tous ses potentiels : émergence de tiers à capacité
d'influence sur le marché, problèmes liés à certains intermédiaires privés (malversations sur MtGox, piratage sur
Bitstamp60), pool frôlant les 51 %, inégale répartition des bitcoins, nœuds entiers non rémunérés et donc en déclin
alors qu’ils sont essentiels à la résilience du système61… Les problèmes freinant son développement sont nombreux.
Le Bitcoin semble suivre les heurts et malheurs des institutions qui le portent (MtGox, Silkroad, Bitstamp62, etc.). Il
ressort paradoxalement que c’est précisément le manque de confiance et l’apparition d’intermédiaires influents qui
en freine le développement. Comme pour les monnaies classiques, la confiance en le Bitcoin dépend directement
de la crédibilité et en dernier instant de la viabilité des intervenants qui y ont pris place et ce malgré un protocole
54
Voir http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/bitcoin-5-millions-d-utilisateurs-en-2019-mais-un-usage-limite-461468.html
(consultation du 15/05/2015).
55
Voir http://www.cryptos.net/nombre-dutilisateurs-my-wallet-atteint-19-million-dutilisateurs-nouvelle-appli-ios-bientot-disponible/
(consultation du 15/05/2015).
56
Voir http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/bitcoin-5-millions-d-utilisateurs-en-2019-mais-un-usage-limite-461468.html
(consultation du 15/05/2015).
57 Voir https://bitpay.com/ et https://www.coinbase.com/clients (consultation du 15/05/2015).
58 Voir http://www.bitcoin.fr/post/2010/12/30/Que-faire-avec-mes-bitcoins#main (consultation du 15/05/2015).
59 Ce problème risque de freiner le développement du Bitcoin. En effet, les transactions de gros montants risquent de prendre le dessus sur
les petites transactions. Le Bitcoin est ici loin de pouvoir concurrencer les transactions par carte bancaire. Voir http://www.bitcoin.fr/post/taille-des-blocs (consultation du 15/05/2015).
60 Cette plateforme d'échange, qui est devenue l'une des plus importance à la suite de la fermeture de MtGox en janvier 2014, a perdu près
de 19 000 Bitcoins (soit environ 4,6 millions d'euros) lors d'une attaque informatique visant son hot wallet (jouant le rôle de fonds de roulement) dont les clefs sont accessibles via le réseau. Voir http://www.nextinpact.com/news/91645-victime-piratage-plateforme-bitstampperd-19-000-bitcoins.htm (consultation du 15/05/2015).
61 Ces nœuds ne servent pas au minage mais sont des relais du registre de l'ensemble des transactions, certain utilisateurs souhaitant participer
au réseau peuvent héberger un nœud du réseau complet, valide et accessible du blockchain. Il faut le télécharger, près de trois jours en continus
aujourd'hui, et suivant il participera de la fluidité et de la sécurité des validations. Voir http://www.bitcoin.fr/post/Le-noeud-duprobl%C3%A8me et http://www.coindesk.com/bitcoin-nodes-need/ (consultation du 15/05/2015).
Bitsamp (numéro 3 mondial du change de BTC) a été attaqué le 4 janvier 2015 par des pirates qui ont réussi à lui subtiliser
près de 19 000 BTC. Le cours du BTC s'effondre le jour-même. Voir http://www.begeek.fr/bitcoin-attaque-contre-bitstampnumero-3-mondial-du-marche-157271 (consultation du 15/05/2015).
62
10
qui ne prévoyait pas leur existence.
La question de la quantité de monnaie ne peut être dissociée d’une réflexion sur sa répartition63, et celle-ci dans
le cas du BTC est loin de correspondre à une distribution gaussienne. D'après les fuites issues de l’effondrement de
MtGox et l’accès libre aux données du Blockchain, il a été possible d'estimer la répartition de la masse monétaire
entre les différents portefeuilles. L'analyse des transactions inscrites depuis la première émission du block originel
a permis de constater que la très grande majorité des premières unités émises n'avait jamais été utilisée en
paiement64. Cela fait de Nakamoto et des premiers mineurs, des dépositaires importants en Bitcoin dont certains
seraient devenus millionnaires65. Trois adresses disposent à elle seules de 440,781.859 bitcoins correspondant à
3,15% de la totalité des BTC en circulation. Les cents portefeuilles les plus achalandés accaparent eux 20,24% du
total. De l’autre côté, 96,57% des adresses disposent de moins de 0.001 BTC; 99,57% des adresses disposent de
moins de 1 BTC et représentent 1,12% de la masse monétaire totale66.
En tant que monnaie à vocation internationale, le Bitcoin peine à s’imposer dans les règlements des échanges
internationaux. Peu d’entreprises l’utilisent pour leurs paiements et, les quelques grandes entreprises qui l’acceptent,
ne l’utilisent que de manière très dérivée : elles passent en général par Coinbase ou Bitpay afin de convertir
directement les Bitcoins en dollars (ou en d’autres devises). Le Bitcoins n’est jamais utilisé per se67.
Enfin, le bitcoin ne règne pas en maître puisque depuis sa création, pas moins de 500 monnaies virtuelles ont vu
le jour (European Central Bank, 2015). Beaucoup d’entre elles sont apparues dans le but de corriger telle ou telle
limite du Bitcoin (optimisation de l’énergie, accélération de la durée de validation, algorithme plus performant) sans
qu’aucune ne parviennent réellement à s’imposer. Ces nouvelles monnaies ont contribuées à rendre le Bitcoin moins
visibles aux yeux des utilisateurs potentiels.
Les monnaies traditionnelles tirent de la confiance qui leur est accordée des fonctions bien connues : moyen de
paiement, unité de compte, réserve de la valeur. Or du fait des limites qui viennent d’être évoquées ci-dessus, le
Bitcoin apparaît bien inférieur aux monnaies traditionnelles. Sa fonction de paiement est réduite à son strict
minimum n'étant l'équivalent général que de peu de biens et service. Sa sphère circulatoire est réduite tout comme
sa plage de paiement (protocole de plus en plus inadapté aux transactions de petits montants68). Dans sa fonction de
réserve de valeur, le Bitcoin s’est montré bien trop volatil depuis sa création pour prétendre durablement au statut
d’actif de patrimoine, et encore moins à celui de monnaie de réserves internationales. De fait, aucun placement sur
les marchés financiers n’est libellé en Bitcoin, ni aucune banque centrale n’a constitué de réserves de change en
Bitcoin. Sa fonction d’unité de compte pose également question car l’augmentation de la masse monétaire n’est pas
déterminée par les variations de la demande de monnaie. En conséquence, les prix des quelques marchandises
libellés en BTC ne font que s’adapter aux nouveaux cours des changes, preuve que la valeur de ces marchandises
est exprimée en monnaie nationale convertie en Bitcoin et non en Bitcoin directement. On retrouve ici l'absence de
63Une
augmentation proportionnelle de l'argent disponible dans toutes les mains ne provoquerait non une inflation mais une évaluation de
même niveau de tous les prix ce qui ne changerait en rien la pouvoir d'achat de ces mêmes mains. Simmel (2009).
64
Voir
http://motherboard.vice.com/blog/bitcoin-mints-its-first-billionaire-satoshi-nakamoto;
https://bitslog.wordpress.com/2013/04/17/the-well-deserved-fortune-of-satoshi-nakamoto/(consultation du 15/05/2015).
65
Voir
http://motherboard.vice.com/blog/bitcoin-mints-its-first-billionaire-satoshi-nakamoto;
https://bitslog.wordpress.com/2013/04/17/the-well-deserved-fortune-of-satoshi-nakamoto/(consultation du 15/05/2015).
66 Les estimations peuvent varier en raison de la difficulté de regrouper les différentes adresses utilisées par une même personne. Des
données très disparates sont proposées sur les trois sites suivants : http://bitcoinrichlist.com/charts/bitcoin-distribution-by-address?atblock=350000; http://bitcoinrichlist.com/top100 ; http://blog.p2pfoundation.net/who-owns-all-the-bitcoins-an-infographic-ofwealth-distribution/2015/01/24 (consultation du 15/05/2015).
67 Voir http://time.com/money/3658361/dell-microsoft-expedia-bitcoin/, (consultation du 15/05/2015).
68 Voir http://www.bitcoin.fr/post/taille-des-blocs (consultation du 15/05/2015).
11
sphère circulatoire complète qui permettrait à une production de n’être exprimés qu’en référence à cette unité de
compte pour elle-même.
L'architecture du bitcoin a pour vocation de provoquer des décentrements d'envergure dans ce qu’est une
monnaie. Toutefois, son architecture particulière ne répond à aucun des critères qui sont généralement retenus tant
au niveau économique que juridique pour définir la monnaie.
3.2. Non coïncidence du Bitcoin aux définitions usuelles
économiques et juridiques
Le Bitcoin est imparfait dans sa réalisation pratique. Sa sphère d'usage encore restreinte et sa structuration autour
de nouveaux intervenants potentiellement déstabilisants, impliquent qu'il ne porte que maladroitement les trois
fonctions monétaires.
D'un point de vue économique et comme le souligne la Banque Centrale Européenne (2015), c'est pourtant ces
fonctions portées idéellement qui servent aujourd'hui de critères distinctifs ce qui relève de la monnaie et ce qui ne
l’est pas. Dans le cas du Bitcoin, il est apparu que la sphère effective d'achat, et particulièrement son acceptation
par le grand public, est encore trop fortement restreinte. C'est en ceci, qu'il ne peut prétendre à être un parfait
équivalent général au sens où sa sphère du général est trop restreinte en comparaison des autres sphères monétaires
traditionnelles. Des problèmes similaires touchent également ses autres fonctions (de réserve et d’étalon)
Mais le considérer uniquement sous cette vision idéelle et le comparer ou l'exprimer toujours en une autre devise
n'est pas la meilleur manière de l'aborder comme monnaie, quoi que cela puisse relever du fait qu'il ne l'est pas
encore. Simmel (2009) nous montre qu'il serait faux de croire que là où l'argent s'échange contre de l'argent (le prêt
ou le change), il acquiert la relativité des choses particulières tout en conservant la pureté de son concept puisque
« la relativité, [l'argent] est voué à l'être et non l'avoir »69. C'est de sa sphère de pertinence seule, espace d'expression
de la valeur des choses en lui, qu'il peut se prévaloir d'être argent. Mais il n'est encore que trop peu l'expression de
la relativité des choses, elles qui, trop peu nombreuses, n’acquièrent qu'une objectivité encore faible. Si idéellement
rien ne semble contrevenir à son statut monétaire, reste qu'une épaisseur pratique lui manque. Celle-ci ne peut venir
que d’une acceptation du Bitcoin par le grand public et sa diffusion à grande échelle. Reste que le Bitcoin possède
une sphère de pertinence propre et qu'il offre déjà les prestations monétaires de paiement et de règlement, qui
peuvent d'ailleurs impliquer des interfaces avec la sphère économique. Cela le distingue radicalement des monnaies
électroniques de première génération qui restaient dépendante de l'unité de compte nationale, et ne correspondaient
qu'à une extension du système de paiement déjà existant (Aglietta et Scialom, 2002). Comme le soulignent ces
auteurs, les innovations dans le domaine des paiements importent peu. Ce qui compte, c’est de déterminer quelles
monnaies, par leurs qualités propres, sont susceptibles d’apporter une rupture qualitative importante. Le Bitcoin,
avec son unité de compte, son système de règlement propre, sa bi-directionalité des flux, se distingue des simples
monnaies électroniques pré-chargées (Bounie, 2001) et apparaît comme un candidat sérieux à la rupture qualitative
attendue (Aglietta et Scialom, 2002).
Du point de vue juridique, là encore, le Bitcoin ne rentre pas dans les définitions retenues par la majorité des
69
Voir chapitre 1, section III.4, §23.
12
États. En effet, l'espace monétaire est aujourd'hui un espace juridictionnel souverain, construit par une histoire
longue et structuré hiérarchiquement et territorialement. Le cadre légal des monnaies et des paiements donne une
cohérence institutionnelle à la pluralité des formes de monnaies nationales (fiduciaire, scripturale, électronique).
3.3.
Les risques potentiels / régulation, réglementations et
supervisions
Les définitions réglementaires de la monnaie sont assez explicites. En Europe, la monnaie ayant cours légal
correspond à la base monétaire fiduciaire (pièces et billets70) émise par l’émetteur souverain et ses représentants (la
banque centrale et le réseau des banques centrales nationales)71. La monnaie scripturale (monnaie bancaire) et la
monnaie électronique, qui n'ont pas cours légal, sont acceptée par choix. À elles toutes, elles constituent l'euro72.
La monnaie électronique est définie par l’article L315-1 du Code monétaire et financier transposant l’article 2.2
de la directive 2009/110/CE. Il s’agit d’une monnaie stockée sous forme électronique, y compris magnétique,
représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement
et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique.
Or aucune de ces définitions réglementaires ne s’applique au Bitcoin. Ce dernier n’offre aucune contrepartie
sous forme de dépôt. Les monnaies ayant cours légal relèvent de l'émetteur souverain, les monnaies scripturales et
électroniques relèvent respectivement d'entités bancaire et non bancaires formellement reconnues. Dans le cas du
Bitcoin, il n’y a aucun cadre légal. La banque centrale (2015) de son point de vue décrit le bitcoin et plus
généralement les crypto-monnaies comme des Virtual currency schemes (VCS). Ils se définissent comme « des
représentations de valeur, non émises par une banque centrale, une institutions bancaire ou un institut d'émission de
monnaie électronique, et qui, dans certaines circonstances, peuvent être utilisées comme des alternatives à la
monnaie ». Les rares États à s’être emparés de cette question se divisent en deux catégories : ceux qui reconnaissent
l’existence des VCS et cherche à les réglementer (Allemagne, France, Lettonie, Lituanie) et ceux qui ont décidé de
les interdire (Europan Central Bank, 2015). En Allemagne, par exemple, le statut de monnaie privée a été reconnu
au Bitcoin ce qui permet de soumettre les transactions libellées en BTC à l’impôt.
Une première vague de débats contradictoires a été suscitée dans années 2000 avec l'émergence des monnaies
électroniques de première génération durant les années 1990. De fait la monnaie électronique n'est pas une
innovation récente, puisqu'il y a bien longtemps que les impulsions électriques sont le support de monnaies
scripturales. Mais derrière la grande pluralité des systèmes de transfert électronique, il est nécessaire de distinguer
ceux qui, de par leur architecture propre, parviennent à modifier en profondeur la structure hiérarchisée et la logique
des paiements préexistante. Il se dessine entre les monnaies électroniques (1ère génération) et les monnaies virtuelles,
type Bitcoin (2ème génération) des différences qualitatives importantes (Aglietta et Scialom, 2002; Bounie, 2001;
Sitruk, 2008).
a) Des distinctions nécessaires au sein de la pluralité des monnaies électroniques existantes
70
Les montants maximum sont fixés pour un paiement, à cinquante pièces et pour les billets jusqu’à 1000 euros, voir (ECB, 2015).
En France, l’article R642-3 du code pénal prévoit une sanction en cas de refus d’accepter des pièces et billets libellés en monnaie légale.
72 Les pièces et billets, la monnaie scripturale et la monnaie électronique sont des « fonds » comme définit par l'article 4.15 de la directive
2007/64/EC. Voir (ECB, 2015)
71
13
En fonction de leurs architectures, les monnaies électroniques n’ont pas toutes le même impact sur les systèmes
monétaires préexistants à leurs créations. Aussi, Bounie (2001), qui souhaite créer une typologie des systèmes de
paiement électronique, prend comme point de départ la distinction de Shackle (1971) entre système de paiement et
système de règlement. Il en ressort trois types de systèmes de paiement électronique : ceux du premier type
s’articulent autour d’un compte bancaire, ceux du deuxième type s’ancrent autour d’un compte non bancaire tandis
que ceux du troisième type correspondent à de la monnaie électronique pure. Seuls les systèmes relevant du
troisième type sont susceptibles de provoquer des changements importants dans l’organisation du système monétaire
préexistant.
Aglietta et Scialom (2002) ajoutent que c’est le circuit de règlement mobilisé qui est déterminant pour juger de
l’aptitude d’une monnaie à s’autonomiser du système monétaire dont elle est issue. Dans le cas des monnaies de 1ère
génération, le paiement opère dans un circuit fermé contrôlé par les banques qui restent un passage obligé, là où
pour les monnaies de seconde génération (type Bitcoin), le circuit est ouvert (bi-directionnalité) et s'extrait des
contrôles. Les monnaies de 1ère génération restent libellées en unité de compte nationale et utilisent donc pour les
règlements le stock de monnaie traditionnelle, alors que les secondes, elles, s'en détournent par le développement
de système de compensation ad hoc (Cohen, 2002). Avec ces dernières, les banques ne sont plus maîtresses des
règles de sécurité des paiements et deviennent dépendantes de nouveaux intervenants (nouveaux acteurs, codes,
réseaux) qui ne sont pas assujettis aux mêmes contraintes réglementaires et prudentielles qu’elles. De leur côté, les
autorités centrales, n’étant pas en mesure de contrôler ces nouvelles monnaies, subissent une perte de leur pouvoir.
Si les émetteurs de monnaie électronique ont été reconnus légalement en Europe (Instituts d'émission non
bancaires) et gardent une dimension strictement nationale (Sitruk, 2008), ce n’est pas le cas du Bitcoin. Monnaie
bi-directionelle, structurée autour d'un réseau de règlements parfaitement autonome des systèmes hiérarchisés
nationaux auxquels il peut se connecter, dont la plage de paiements porte sur les gros montants (à la différence des
monnaies électroniques de 1ère génération adaptées au règlement des petits montants), le Bitcoin n’apparaît pas si
facile à encadrer légalement.
Pourtant, si elle devait se pérenniser et se généraliser, cette nouvelle monnaie ne serait pas sans conséquences
sur les banques (perte de compétitivité, perte de contrôle sur la chaine de valeur, perte de clientèle) et sur les autorités
monétaires (incapacité à contrôler la masse de monnaie en circulation, inadaptation des instruments de la politique
monétaire).
Aussi, si toutes les innovations peuvent avoir un impact sur les banques (perte de compétitivité, de rentabilité
des connaissances techniques sur les moyens de paiement et donc de contrôle sur la chaîne de la valeur ajoutée) et
les autorités monétaires, il est clair que le Bitcoin, monnaie virtuelle de nouvelle génération peut entraîner des
changements importants.
b) Risques et incidence bancaires
Les risques pour la politique monétaire dépendent des représentations que l'on a sur la monnaie, et sur les canaux
de transmission utilisés par la Banque Centrale pour influer sur les prix et la production. Malgré des débats toujours
ouverts sur ses canaux (Friedman, 1999), il reste que cette capacité d'influence détenue par les autorités monétaires
dépend de leur aptitude à agir sur les taux d'intérêt.
Pour certains (Cohen, 2002; Friedman, 1999; King, 1999), les monnaies de nouvelle génération, par
l'autonomisation d'une partie de la base monétaire qu'elles engendrent, risquent de remettre en cause la capacité
14
effective des autorités centrales à infléchir l'économie réelle via la fourniture de monnaie centrale dont elles
détiennent le monopole et qui sont demandées afin de respecter les réserves obligatoire ou d'assurer des règlements
inter-bancaire. L’arrivée des monnaies électroniques de 2ème génération contribuent à la montée de trois nouveaux
risques nouveaux pour les autorités monétaires centrales : l'érosion de la demande de monnaie bancaire, la
prolifération de crédit non bancaire et l'émergence de chambres de clearing privées. C’est finalement le cœur même
de la politique monétaire qui s’en trouve affecté puisqu'il ne subsisterait que son pouvoir d'annonce73. Vouloir
réglementer ces nouveaux systèmes de paiement est une course perdue d’avance pour les autorités publiques
(Cohen, 2002 ; Friedman, 1999). Cela amène King (1999) à voir dans l’avènement des systèmes de paiements et de
règlements interindividuels permis par les avancées technologiques la fermeture de la parenthèse monétaire, ouverte
au XXe siècle, de monnaies contrôlées par les Banques centrales.
Cependant, Woodford (2000) conteste la vision de King et considère que les monnaies nationales reposant sur
un système bancaire hiérarchisé ne sont pas près de disparaître. Il insiste sur leurs prérogatives d'open market dans
la bonne tenue des politiques monétaires. Aussi, il est à noter que le gouvernement américain après la fermeture de
Silkroad est devenu l'un des porteurs les plus importants en BTC, ce qui lui fournit une forte capacité d'influence
sur les marchés74. Finalement, l’auteur donne sa définition de la monnaie : une unité de compte « symbolique »,
toujours matérialisée et exprimée au passif d’une banque centrale.
En définitive, tout dépendra de la capacité d’attraction des nouvelles monnaies privées sur les utilisateurs
potentiels. Dans le cas du Bitcoin, cette capacité est encore trop faible pour envisager les conséquences annoncées
par King. Si le Bitcoin, par certains de ses aspects, semble bien différent de ses homologues scripturaux et
fiduciaires, il n'en reste pas moins que dans une perspective plus large, il permet d'éclairer un peu plus les
phénomènes économiques et monétaires.
4.
Mise en perspective théorique et implications du bitcoin dans la compréhension de l'argent
Du fait de sa forte technicité, le bitcoin apparaît apparait d’emblée comme une innovation radicale. De ce fait,
une mise en perspective schumpetérienne semble aller de soi. Toutefois, même si elle est pertinente pour
appréhender l’émergence du bitcoin (avec un « b ») ainsi que certaines de ses conséquences techniques prévisibles,
l’approche schumpetérienne n’apporte pas d’éléments de compréhension adaptés pour penser la dimension
monétaire du Bitcoin (avec un « B »). L’approche simmelienne comble cette limite car elle permet d’interpréter le
Bitcoin comme une nouvelle idéalité monétaire
4.1.
Le bitcoin : une innovation schumpetérienne ?
Le bitcoin se présente comme un concentré d’innovations qui justifient la référence à Schumpeter. On y trouve
un protocole, un logiciel, des clés cryptographiques, un réseau décentralisé, une double procédure, l’usage
d’équipements informatiques spécifiques, des pools de mineurs… Ces innovations découlent elles-mêmes d’un
mouvement plus général qui s’est progressivement constitué en grappe à partir de la fin des années 1990 et jusqu’à
73
Pour Friedman (1999), c'est l'indépendance des politiques monétaires qui est touchée : les autorités centrales continueront d'avoir un
pouvoir sur la base monétaire, mais celle-ci sera rendue de moins en moins indispensable.
74 Voir http://www.fbi.gov/sanfrancisco/press-releases/2015/former-federal-agents-charged-with-bitcoin-money-laundering-and-wirefraud et http://www.forbes.com/sites/andygreenberg/2013/10/25/fbi-says-its-seized-20-million-in-bitcoins-from-ross-ulbricht-allegedowner-of-silk-road/
15
nos jours. Cette grappe porte d’une part sur l’évolution du matériel technique (hardware) et d’autre part sur
l’évolution des logiciels (software). Du côté des innovations techniques, trois d’entre elles se conjuguent pour rendre
l’avènement du bitcoin possible : la puissance de calcul des processeurs (CPU), la capacité de stockage numérique
sur les disques durs, la vitesse de la bande passante. Ces innovations techniques découlent elles-mêmes de la
distribution d’électricité à grande échelle. Du côté des innovations sur les logiciels de P2P, les progrès ont consisté :
à passer d’une structure centralisée (Napster) à des structures décentralisées (Gnutella) ou hybrides (edonkey,
KaZaA), à fragmenter les fichiers échangés entre les pairs afin de rendre le multisourcing possible, à accélérer le
transfert de fichiers, à sécuriser l’ensemble des réseaux contre les spams, virus, spywares75 et autres intrusions, à
partager la puissance de calcul des ordinateurs faisant partie du réseau, à créer des liaisons cryptées entre les pairs,
à réduire les erreurs…
Dans une perspective schumpetérienne, ce sont bien toutes ces innovations conjointes qui concourent à des
degrés divers à l’introduction du bitcoin en 2009. Si cette lecture est pertinente, le bitcoin et la grappe dont il est
issu devraient se traduire par un phénomène dit de « destruction créatrice » (Schumpeter, 1947). Ce phénomène
s’observe déjà très largement dans l’industrie de la musique où l’on constate que les éditeurs traditionnels76 des
œuvres musicales sont déstabilisés par l’avènement des logiciels P2P et l’échange gratuit de fichiers sous droits
d’auteurs que ces derniers permettent. Avec le bitcoin, ce phénomène n’est pas encore visible. On peut toutefois
anticiper qu’en cas de généralisation de son usage, les banques de second rang risquent se trouver dans une situation
similaire à celle des éditeurs d’œuvres musicales. En effet, le lien de pair-à-pair revient à de la désintermédiation
bancaire, c’est-à-dire que la banque n’apparaîtrait plus comme un acteur pertinent pour effectuer des paiements,
pour emprunter, pour faire des virements, etc. Sans que cela ait un lien direct avec le bitcoin, les banques s’alarment
déjà de l’usage grandissant du Peer-to-peer lending, c’est-à-dire des prêts directement consentis entre particuliers77.
Toutefois, l’approche shumpetérienne, pour intéressante qu’elle soit n’est d’aucun secours pour l’analyse
monétaire du bitcoin, ou comment passer du bitcoin au Bitcoin ? A ce titre, une mise en perspective simmelienne
paraît plus éclairante.
4.2.
Le bitcoin repensé dans une perspective simmelienne
Dans une perspective simmelienne, le bitcoin semble correspondre à une nouvelle limite atteinte vers l'idéalité
monétaire. Il est une nouvelle étape dans la dématérialisation de la monnaie et marque une nouvelle avancée dans
l'objectivation quantitative de la modernité.
Dans « Philosophie de l'argent » (Simmel, 2009), dessine les contours d'une tragédie de la culture – tension
ontologique d'un sujet écartelé entre la liberté et l'aliénation et ce, dans son être même de par le processus
d'objectivation – passant par une rationalisation à prédominance quantitative, dont l'argent est le sommet conceptuel.
Distance intra et extra individuelle, la modernité monétaire tend vers l'impossible idéalité de l'argent. Elle est tension
croissante entre un individu et une société qui s'autonomise et se font davantage « front ». A son époque, Simmel
contemple les effets larges et rapides d'une économie monétaire et financière moderne et ce faisant, il souligne les
basculements qualitatifs d'envergure que cachent les évolutions monétaires. Il est observateur et analyste du passage
75
Les Spywares sont des logiciels espions s’installant sur les ordinateurs à l’insu de leurs utilisateurs et récoltant des données qui sont
automatiquement envoyées aux personnes qui pourront les exploiter.
76 Universal Music Group, Sony Music Entertainment, Warner Music Group.
77 Cinq grandes plateformes existent aujourd’hui : Lending Club, Prosper et SoFi toutes trois basées à San Fransisco et Zopa et RateSetter à
Londres (The Economist, May 9th, 2015, pp. 5-7).
16
historique des monnaies-métalliques aux monnaies-papier, portant et portées par la monétarisation croissante de
l'économie, comme par sa financiarisation. Il insert cette transition dans une représentation d'un continuum
monétaire infini, évolutif bien que non univoque, allant du « troc »78 à l'échange monétaire idéel, dont l'élément
central, la confiance, connaît des décentrements importants. Ce « crédit » ontologique et les dispositifs monétaires
variables qui le garantissent, se font pivot heuristique et herméneutique dans le traitement simmelien de l'argent.
Chez lui, l'échange (-sacrifice), figure sociologique sui generis79 au cœur de la valeur économique, comme de son
expression en une contrepartie monétaire80, est absolument conditionné par l'existence de la catégorie psychique de
l'équivalence. Aussi, la relation d'échange monétaire est fondamentalement tripartite81, induisant des médiatisations
qualitatives. La rupture en cours, comme celles à venir que Simmel pressent82, voit la substitution d'une confiance
majoritairement portée par la valeur-substance (garantie par l'immédiateté de la jouissance substantielle) à une
confiance reposant majoritairement sur une valeur-fonction (jouissance médiate par des institutions sociales et
politiques représentant la totalité sociale). Le mouvement, se substituant à la fixité substantielle, demande de
nouvelles garanties.
Aussi, le bitcoin, semble correspondre ici à un nouveau basculement qualitatif d'ampleur, tant pour ce qui est du
dispositif assurant la confiance, que pour le rapport des individus à la totalité du social médiatisé par la technique.
L'identification par clef publique, hors personnalité, est une nouvelle distance permise entre l'être et l'avoir 83, mais
là où la libération semble s’accroître, dialectiquement elle peut offrir de nouvelles formes d’aliénation. Toute la
population n'a pas spécialiste en informatique et en protection des réseaux. La confiance, elle, n'est pas absente
comme le veut son Nakamoto. Elle est simplement redéfinie en termes technicistes et se fonde non plus sur les
personnes mais sur les réseaux, dont le rôle d''intermédiation joué par de nouveaux acteurs réintègre une dimension
de confiance intuitu personæ. Aussi, cela démontre une erreur épistémologique importante : celle de croire qu'une
monnaie correspond au seul médium qui la porte, là où, au contraire, elle n'est ceci que par institutionnalisation,
reposant sur une pluralité d'institutions et d'acteurs. L'évolution historique du continuum monétaire n'a eu de cesse
d'affirmer l'importance des émetteurs dans la bonne tenue du système monétaire et financier. Particulièrement, il a
vu s'ériger des autorités centrales comme garantes de la viabilité tant du système de paiement que d'une émission
respectueuse de la "stabilité" de l'unité de compte. Chez Simmel, cette autorité n'est que le pendant dialectique de
l'autonomie individuelle qui n'est logiquement permise que par les institutions incarnant la société. A partir du XIXe
siècle, l'histoire monétaire a donné aux États, représentants de la totalité sociale considérée, un devoir de régulation
monétaire dans une économie de crédit - et de double actif qu'elle induit. Celui-ci s'est incarné dans l'émergence des
banques centrales et dans la territorialisation de la monnaie (cours légal, contrôle des capitaux, contrôle bancaires,
etc.) 84.
À l'heure actuelle un mouvement inverse semble émerger remettant en cause cette structuration pyramidale,
contestant aux autorités publiques leur légitimité d'intervention. Les nouveaux crédos de la politique monétaire que
78Entendu
ici non en un sens anthropologique mais philosophique, il est le premier à reconnaître que tout échange relève de dispositifs
sociaux institués. Il en est de même pour le continuum qui n'a aucune prétention à être chronologique.
79 Voir chapitre 1, section II.
80 Voir chapitre 1, section II et chapitre 2, section I.
81 Voir chapitre 2, section III.2, § 11.
82 « Dans sa signification idéelle de mesure et d’expression de la valeur de la marchandise, il n'a absolument pas changé, tandis que comme
marchandise intermédiaire, comme moyen de conservation et de transport de valeur, il a, en partie, changé de caractère, et il est en partie,
sur le point d'en changer encore davantage : de la forme immédiateté et substantialité [...], il passe à la forme idéelle [agissant] purement et
simplement en tant qu'idée, liée à un quelconque symbole de remplacement ». Chapitre 2, section I.6 §13, p. 151.
83 Voir Chapitre 4
84 La fonction du prêteur en dernier ressort, expression pratique du maintien de la stabilité des chaînes de paiements, n’est réellement
théorisée et popularisée par Bagehot qu’en 1873 (Cohen, 2001, 2002 ; Kindelberger, 2004).
17
sont l'indépendance et la crédibilité (i.e. transparence) semblaient déjà amorcer un tel retournement. Chez Simmel
(2009), la focalisation des politiques monétaires sur le maintien de l'unité de compte tient à la tentative d'hypostasier
une représentation nécessaire a priori à l'argent mais qui remet en cause du même coup une autre fonction essentielle
de la monnaie : celle d'assurer la circulation et l'échange. Et le bitcoin s'en fait figure de proue, quand sa construction
s'inscrit dans un tel cadre : rythme de l'émission monétaire définie une fois pour toutes, transparence des
transactions85, etc. Rompant le lien entre crédit et émission monétaire et rendant les transactions irréversibles, il
remplace le maintien de la chaîne de paiement par une sécurité du réseau informatique et peut alors se prévaloir
d'une conservation de la stabilité de l'étalon importante.
Mais pour autant il ne semble pas pour l'heure bénéficier de la confiance de la majorité des individus, ce qui est
pourtant le cœur de l'argent. Ce qui lui manque est justement ce que son créateur, Satoshi Nakamoto, pensait pouvait
retirer à l'argent !
5. Conclusion
Le bitcoin est une prouesse technique issue d’une grappe d’innovation bien identifiée. Il bouleverse l’ordre
établi, fait émerger de nouveaux acteurs et conduit à réinterroger en profondeur la notion même de monnaie. Et
précisément, le bitcoin peine à faire monnaie du fait des apories de son protocole originel : inadaptabilité de l'offre
à la demande, sphère de circulation encore peu développée, problème de concentration et donc de pouvoir de
marché. (MtGox, Silkroad...), inégale répartition de la masse de Bitcoin (la plus grande part étant détenue par son
(ses) créateur (s)). D'ailleurs, de tels problèmes sont peut-être plus simplement liés à ses présupposés
épistémologiques concernant l'argent, son lien aux individus et à la totalité sociale auxquelles une monnaie fait
toujours référence.
Toutefois, comme toute création humaine, le bitcoin est amendable et perfectible. Rien n’interdit que soit
surmontés ses problèmes de jeunesse et qu’il devienne la monnaie internationale effective qu’il prétend devenir, à
savoir : le Bitcoin ! C'est alors une épaisseur historique et sociale, par les usages que nous en ferons, qui lui conférera
ou non ce qui lui manque aujourd’hui pour être réellement de l'argent.
85
Ils sont inscrit dans un algorithme ce qui prive de la possibilité de faire tourner la planche à billet (déconnexion de l'émission monétaire
de la dynamique du crédit)
18
6. Bibliographie
Aglietta, Michel, et André Orléan (dir.), (1998), La monnaie souveraine. Ed. Odile Jacob.
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19
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History, Nov., pp. 149-159.
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Quadrige/PUF. Paris: PUF.
Sitruk, Hervé, (2008), « Monnaie électronique, monnaie fiduciaire et monnaie scripturale. Quelles
substitutions ? Quelles stratégies ? » Revue d’économie financière, n°91, pp. 37-51.
Tutin, Christian, (2009), Une histoire des théories monétaires par les textes. Flammarion. Paris:
Champs classiques.
20
7. Annexes
7.1.
Appareil à miner du bitcoin
Photo : Assen Slim & Maël Rolland
7.2.
Machine à bitcoin de première génération
Photo : Assen Slim & Maël Rolland
21
7.3.
Machine à bitcoin de deuxième génération
Photo : Assen Slim & Maël Rolland
7.4.
Carte d’identité obligatoire
Photo : Assen Slim & Maël Rolland
22
7.5.
Cours du Bitcoin en euro (2012-2015)
Source : http://www.bitcoin.fr/pages/Cours-sur-bitcoin.de (consultation du 15/05/2015)
23
Contenu
1.Introduction ..................................................................................................................................... 1
2.Le bitcoin : révolution pratique et fondations théoriques. .......................................................... 2
2.1.Des fondations théoriques à la confluence de corpus économiques et politiques anciens... ..... 2
2.2.… et techniques et philosophiques contemporains. ................................................................... 3
2.3.Le bitcoin comme tentative de synthèse et de dépassement. ..................................................... 5
a)Des représentations séminales... ............................................................................................... 5
b)...à ses conditions matérielles ................................................................................................... 6
3.Une monnaie qui n'en n'est pas une ? Les problèmes de définition a priori et les risques
potentiels. ............................................................................................................................................ 7
3.1.La sphère monétaire effective du Bitcoin. ................................................................................. 7
a)De son déploiement par étapes depuis 2009 à sa sphère effective actuelle .............................. 7
b)Les limites de ce système monétaire ...................................................................................... 10
3.2.Non coïncidence du Bitcoin aux définitions usuelles économiques et juridiques ................... 12
3.3.Les risques potentiels / régulation, réglementations et supervisions ....................................... 13
a)Des distinctions nécessaires au sein de la pluralité des monnaies électroniques existantes ... 13
b)Risques et incidence bancaires ............................................................................................... 14
4.Mise en perspective théorique et implications du bitcoin dans la compréhension de l'argent
... 15
4.1.Le bitcoin : une innovation schumpetérienne ? ....................................................................... 15
4.2.Le bitcoin repensé dans une perspective simmelienne ............................................................ 16
5.Conclusion ..................................................................................................................................... 18
6.Bibliographie ................................................................................................................................. 19
7.Annexes .......................................................................................................................................... 21
7.1.Appareil à miner du bitcoin ..................................................................................................... 21
7.2.Machine à bitcoin de première génération ............................................................................... 21
7.3.Machine à bitcoin de deuxième génération.............................................................................. 22
7.4.Carte d’identité obligatoire ...................................................................................................... 22
7.5.Cours du Bitcoin en euro (2012-2015) .................................................................................... 23
24