T98-3-2772-6p - Société de Pathologie Exotique

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T98-3-2772-6p - Société de Pathologie Exotique
Manifestations dermatologiques associées au syndrome de restauration immunitaire du patient VIH+.
THÉRAPEUTIQUE
Manifestations dermatologiques associées au
syndrome de restauration immunitaire du
patient VIH+ débutant un traitement antirétroviral :
étude rétrospective en Guyane française.
F. Sarazin (1), M. Nacher (2, 3, 4), Y. Toure (1), E. Clyti (1, 2, 4), M. El Guedj (3), C. Aznar (4), T. Vaz (3),
D. Sainte-Marie (1, 2), M. Sobesky (5), B. Carme (4) & P. Couppié (1, 2, 3, 4)*
(1) Service de dermatologie, Centre hospitalier Andrée-Rosemon, Avenue des Flamboyants, 97306, Cayenne, Guyane française.
(2) Institut Guyanais de dermatologie tropicale, Centre hospitalier de Cayenne, Guyane française.
(3) C.I.S.I.H. Guyane, Centre hospitalier de Cayenne, 97300, Cayenne, Guyane française.
(4) Equipe EA 3593, Université des Antilles et de la Guyane, Campus St Denis, 97300, Cayenne, Guyane française.
(5) Département d'informatique médicale (D.I.M.), Centre hospitalier de Cayenne, Guyane française.
*Correspondance : Pierre Couppié, Service de dermatologie, Centre hospitalier Andrée-Rosemon, 97306, Cayenne, Guyane française,
Tél. : 05 94 39 53 59, Fax : 05 94 39 52 83, E-mail : [email protected]
Manuscrit n° 2772. “Médecine et santé sous les tropiques”. Reçu le 17 février 2005. Accepté le 24 mai 2005.
Summary: Dermatologic manifestations associated with Immune Reconstitution Syndrome in HIV+
patients starting HAART: a retrospective study in French Guiana.
Immune reconstitution syndrome (IRIS) is an unusual inflammatory reaction to an opportunistic
infection in an HIV-positive patient. This syndrome occurs when immunity is restored in the first
months of an effective highly active antiretroviral treatment (HAART).
First, we described all patients with a cutaneous form of IRIS. Then, between 1992 and 2004 we
conducted a retrospective cohort study comparing Herpes Zoster and Herpes Simplex infections
among untreated patients, patients treated by HAART for ≤ six months, and patients treated for >
six months.
We observed three cases of atypical leprosy and three original observations: two of these were fistulisation of lymph node histoplasmosis and tuberculosis, the third one reports the recurrence of a
treated cutaneous leishmaniasis. Multivariate analysis showed that, after controlling for age, sex and
CD4 counts, patients receiving HAART for ≤ six months were more likely to develop Herpes Zoster
or herpes simplex infections (p<0,005).
Herpes Simplex and Herpes Zoster infections are the two most frequent dermatological manifestations in our tropical setting. Although mycobacterial infections are more rarely observed than in
visceral IRIS, the increased incidence of leprosy may be quite significant when the availability of
HAART spreads to developing countries.
HIV
immune reconstitution syndrome
leprosy
herpes zoster infection
herpes simplex infection
histoplasmosis
leishmaniasis
tuberculosis
Cayenne
French Guiana
South America
Résumé :
Le syndrome de restauration immunitaire est une réaction inflammatoire inhabituelle à une infection
VIH
opportuniste qui survient chez les patients VIH+ très immunodéprimés dans les premiers mois sui- syndrome de restauration immunitaire
vant l’introduction d’une multithérapie antirétrovirale efficace. Des manifestations dermatologiques
lèpre
peuvent exister.
zona
Une première étude rétrospective descriptive est menée dans le seul service de dermatologie de
herpès
Guyane pour décrire les observations dermatologiques rares. Une deuxième étude rétrospective
histoplasmose
portant sur la cohorte des patients suivis en Guyane pour une infection due au VIH est menée pour
leishmaniose
étudier le risque de survenue d’une poussée d’herpès ou de zona.
tuberculose
Trois cas de lèpre, un cas d’histoplasmose ganglionnaire fistulisée, un cas d’abcès froids sous-cutanés
Cayenne
tuberculeux et un cas d’aggravation d’une leishmaniose cutanée sont décrits. Le risque de déveGuyanne française
lopper une poussée d’herpès ou de zona est doublé pendant les six mois qui suivent l’introduction
Amérique du sud
d’une multithérapie antirétrovirale.
Une surveillance dermatologique attentive est préconisée chez les patients VIH+ débutant une multithérapie antirétrovirale, notamment pour dépister précocement une lèpre si l’on exerce en zone
d’endémie lépreuse.
Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 3, 187-192
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F. Sarazin, M. Nacher, E. Clyti et al.
Introduction
L
’introduction depuis 1996 de traitements anti-rétroviraux puissants (HAART) contre le VIH est à l’origine
de l’émergence d’un nouveau syndrome clinique nommé syndrome de restauration immunitaire (SRI) (26) . Ce syndrome
touche préférentiellement les patients séropositifs pour le VIH
à un stade avancé de la maladie (CD4 < 200/mm3). Chez ces
patients, lorsque, sous HAART, l’immunité se restaure avec
l’élévation du taux des lymphocytes CD4+, des signes cliniques inflammatoires apparaissent, en rapport avec un agent
infectieux opportuniste ou avec une affection dysimmunitaire
(auto-immune, sarcoïdose) (28). L’agent infectieux en cause
peut avoir été l’objet d’un traitement préalable ou n’avoir
été que latent, mais est toujours préexistant à l’introduction
du traitement antirétroviral . Dans le premier cas, l’infection
opportuniste, d’abord améliorée par le traitement spécifique,
est ensuite l’objet d’états inflammatoires généraux et /ou localisés. Dans le deuxième cas, l’infection opportuniste se révèle
alors que le taux de lymphocytes CD4+ augmente (5).
Les premières observations rapportées concernent le Cytomégalovirus et les mycobactérioses (mycobactéries atypiques
et M. tuberculosis) (7), mais les cas décrits regroupent une
quinzaine d’affections cutanées (23). Les affections dermatologiques décrites sont le zona (2), l’herpès, les localisations
cutanées de la tuberculose, la maladie de Kaposi, et plus
récemment la lèpre (6, 14).
Avec une incidence de 48 nouveaux cas de sida pour
100 000 habitants par an et 1,6 % de femmes enceintes infectées par le VIH, la Guyane française située dans la zone nord
du continent sud-américain est de loin le département français
où l’épidémie due au VIH est la plus préoccupante. À partir
du suivi de la cohorte hospitalière depuis 12 ans et des données du seul service de dermatologie de la région, nous avons
étudié les cas d’infections opportunistes à tropisme cutané
survenant lors d’un syndrome de restauration immunitaire.
Patients et méthodes
Description de la prise en charge médicale du VIH
en Guyane française
Il existe trois hôpitaux en Guyane française localisés dans
les trois principales villes côtières. Les communes situées à
l’intérieur de la Guyane sont gérées sur le plan sanitaire par
le service des centres de santé. Les patients VIH+ suivis à
Cayenne, Kourou et Saint Laurent du Maroni entre le 1er janvier 1992 et fin décembre 2004 ont été recensés dans le FHDH
(base de données des hôpitaux français de l’infection par le
VIH). Dans cette cohorte, des variables intemporelles comme
le sexe, la nationalité, le mode de contamination et des variables temporelles comme l’âge, le taux de CD4, la charge virale
en VIH1, les traitements et les maladies intercurrentes sont
régulièrement saisies par des techniciennes d’études cliniques.
Ainsi, 1 406 patients avec un total de 18 535 observations ont
été inclus durant la période considérée. Par ailleurs, le service
de dermatologie du CHAR est le service référent pour la prise
en charge des infections opportunistes, au centre hospitalier
de Cayenne, et des complications dermatologiques, pour l’ensemble de la Guyane.
présence d’une immunodépression sévère avant un traitement
par HAART associée à une restauration de l’immunité sous
traitement par HAART et, enfin, la révélation ou l’aggravation
d’une affection opportuniste dans les six mois suivant le début
de l’HAART. Nous avons exclu les cas d’herpès et de zonas
survenus isolément dans cette première partie de l’étude.
Étude comparative des risques instantanés d’herpès ou de zona entre différents groupes de traitements
Type d’étude
Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective.
Variables étudiées
Nous avons distingué trois situations différentes :
- dans la première, le patient ne prenait aucune médication
antirétrovirale,
- dans la deuxième, le patient prenait un HAART comprenant au moins trois molécules différentes depuis moins de
six mois,
- dans la troisième, le patient prenait un HAART comprenant
au moins trois molécules différentes depuis plus de six mois.
Les autres variables utilisées pour l’analyse multivariée étaient
l’âge, le sexe et le dernier taux de lymphocytes CD4+ disponible avant l’apparition du SRI. Nous avons exclu les patients
prenant une monothérapie ou une bithérapie.
Analyse statistique
Les données ont été analysées avec STATA 8.0.
Un modèle de Cox en analyse multi-échec a été utilisé pour
évaluer la relation qui existait entre l’apparition d’un échec
et les autres variables considérées. L’échec correspondait à
l’apparition, dans la première analyse, d’un herpès et, dans la
seconde analyse, d’un zona. Un patient donné pouvait changer de groupe de traitement au cours du suivi.
Résultats
Observations cliniques
Nous décrivons les observations de six patients ayant présenté
un syndrome de restauration immunitaire à manifestation
cutanée.
Observation n°1 : évolution inhabituelle d’une histoplasmose
Un homme haïtien de 36 ans consultait en septembre 1997 pour fièvre, amaigrissement et de multiples adénopathies cervicales, axillaires,
Figure 1.
Observation n°1
Histoplasmose ganglionnaire, adénopathie sus-claviculaire gauche fistulisée
deux mois après la mise en route d'un HAART.
Lymph node histoplasmosis, left supraclavicular adenopathy with fistula two
months after HAART starts.
Analyse descriptive des dossiers de dermatologie
Nous avons repris les observations de tous les patients présentant une pathologie cutanée correspondant aux critères
d’un SRI définis par SHELBURNE (26). Ces critères sont la
Thérapeutique
188
Manifestations dermatologiques associées au syndrome de restauration immunitaire du patient VIH+.
sus-claviculaires gauches, sous-angulo-maxillaires et crurales. Le
diagnostic d’infection par le VIH compliquée d’une histoplasmose
ganglionnaire était posé au vu des examens complémentaires (Western-blot VIH+, isolement d’histoplasmes à la culture ganglionnaire).
Le taux des lymphocytes CD4+ était à 47/mm3 et la charge virale
à 360 800 copies/ml. Un traitement par itraconazole à la dose de
400 mg/jour était instauré, de même qu’une trithérapie comprenant
zidovudine, lamivudine et indinavir. L’évolution était favorable
dans un premier temps avec disparition de la fièvre et diminution de
volume des adénopathies. Deux mois après l’introduction de la trithérapie antirétrovirale, l’adénopathie sus-claviculaire gauche réaugmentait de volume et se fistulisait (figure 1). L’examen direct puis la
culture mettait en évidence des histoplasmes. On notait à ce moment
une augmentation du taux des lymphocytes CD4+ à 174/mm3 et une
diminution de la charge virale à 545 copies/ml. Il s’agissait du seul
cas de fistulisation ganglionnaire d’une histoplasmose parmi une série
de 149 cas d’histoplasmose disséminée VIH+ répertoriés entre 1982
et 2003 en Guyane.
Observation n°2 : zona et abcès froids tuberculeux souscutanés
typique mettait alors en évidence des mutations de résistance pour
l’ensemble des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse ;
le traitement antirétroviral était alors modifié avec introduction de
l’association lopinavir, ritonavir, saquinavir. Au 30e jour de traitement, le patient consultait pour un zona facial gauche avec atteinte
buccale. Le taux des lymphocytes CD4+ était augmenté à 337/mm3
et la charge virale était inférieure à 50 copies/ml. Nous avions conclu
à un deuxième épisode de SRI.
Observation n°4 : lèpre T en état réactionnel
Cette observation a également été décrite préalablement (6). Il s’agissait d’un patient de 40 ans, VIH+ qui présentait une lèpre T en état
réactionnel dans les suites d’une restauration de l’immunité cinq mois
après l’introduction d’un traitement de type HAART comprenant
zidovudine, lamivudine et abacavir. Le taux de lymphocytes CD4+
était alors passé de 130/mm3 à 278/mm3. La lèpre était compliquée
d’une névrite cubitale et d’une ulcération d’une des lésions cutanées.
L’évolution était favorable sous corticothérapie générale et mise en
route d’un traitement associant rifampicine, clofazimine et dapsone.
Observation n°5 : lèpre T
Une femme de 55 ans, d’origine haïtienne était hospitalisée en dermatologie en juin 1999 pour la prise en charge thérapeutique et
diagnostique d’abcès sous-cutanés (cervical antérieur et lombaire).
Cette patiente était connue VIH+ et HTLV1+ depuis février 1999
suite au diagnostic d’une co-infection tuberculose-histoplasmose
avec isolement par la culture de M. tuberculosis et de H. capsulatum
de lésions abcédées multiples hépatiques, spléniques et ganglionnaires
abdominales. Le taux des lymphocytes CD4+ était à 82/mm3 lors de
la mise en route des traitements antituberculeux, anti-histoplasmose
et d’une bithérapie antirétrovirale associant stavudine et lamivudine
en février 1999. L’évolution était progressivement favorable avec
disparition de la fièvre et reprise de poids. En mai 1999, la patiente
faisait un zona thoracique. En juin 1999, des tuméfactions cervicales
puis lombaires apparaissaient. L’échographie retrouvait deux volumineuses collections liquidiennes de 4,5x4 cm et 5x2,5 cm. La ponction
de ces abcès montrait des BAAR à la coloration de Ziehl. Les cultures
mycobactériologiques et mycologiques restaient par contre négatives.
Le traitement antituberculeux était poursuivi par isoniazide et rifampicine pendant 8 mois. En octobre 1999, les abcès avaient complètement cicatrisé et la patiente avait repris 11 kg. Le taux de lymphocytes
CD4+ avait spectaculairement augmenté, supérieur à 1 000/mm3 à
plusieurs reprises, faisant craindre une leucémie-lymphome T associée au HTLV1, non confirmé par les analyses complémentaires et
par l’évolution favorable. La charge virale était à 614 copies/ml en
octobre 1999. La patiente était toujours en vie en 2004.
Un homme de 44 ans consultait en dermatologie en octobre 2003 pour
une lésion infiltrée pigmentée unique de la cuisse gauche de 6 cm de
diamètre (figure 2) apparue six mois après le début d’une trithérapie
associant zidovudine, lamivudine, lopinavir et ritonavir.
Observation n°3 : lèpre T réactionnelle puis zona
Ce patient était connu pour une infection par le VIH depuis janvier 2002 qui s’était compliquée d’une histoplasmose disséminée en
décembre 2002. Le taux de lymphocytes CD4+ avant HAART était
de 105/mm3 et la charge virale de 159 000 copies/ml. L’examen clinique mettait en évidence une anesthésie complète de la lésion cutanée
de la cuisse. L’examen anatomopathologique de la lésion montrait de
nombreux granulomes périannexiels du derme associés à des cellules
épithélioïdes et gigantocellulaires. L’examen direct du suc dermique
coloré au Ziehl ne montrait pas de BAAR. Le taux de CD4 était
alors à 268/mm3 et la charge virale était inférieure à 50 copies/ml. Le
diagnostic de lèpre tuberculoïde était posé sur les aspects cliniques
et histopathologiques. Un traitement anti-hansénien comprenant
rifampicine et disulone était commencé.
La première partie de cette observation est décrite dans un précédent
article (6). Un homme de 54 ans, haïtien, était diagnostiqué VIH
positif en mai 2002 alors qu’il était hospitalisé pour une pneumopathie bactérienne. Le taux de lymphocytes CD4+ était de 87/mm3 et
la charge virale de 19 000 copies/ml.
Une première trithérapie comprenant zidovudine-lamivudine-abacavir était débutée. On notait au 30e jour sous HAART une charge
virale abaissée à 650 copies/ml.
Au 56e jour sous HAART, le patient consultait pour des lésions cutanées hypoesthésiques qui évoquaient le diagnostic de lèpre tuberculoïde en état réactionnel de type 1. La biopsie confirmait la lèpre qui
était classée borderline borderline. Le taux de lymphocytes CD4+
avait augmenté à 257/mm3. Un traitement comportant rifampicine,
600 mg une fois par mois, dapsone 100 mg par jour et clofazimine
100 mg par jour était alors débuté.
L’évolution de la lèpre après trois mois de traitement antilèpreux
était marquée par l’aggravation de l’état réactionnel avec l’ulcération
des lésions. Les traitements antirétroviraux et antilèpreux étaient
maintenus. L’évolution des ulcérations était favorable avec ré-épithélialisation des lésions en trois mois. Par la suite, l’évolution de
la charge virale était progressivement défavorable sous traitement
(charge virale = 48 154 copies/ml en janvier 2004). Un test géno-
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Figure 2.
Observation n°5
Lèpre tuberculoïde ; lésion hypoesthésique de la cuisse gauche six mois après
la mise en route d'un HAART.
Tuberculoid leprosy; hypoaesthesic lesion of the left thigh six months after
HAART starts.
Observation n°6 : récidive et évolution inhabituelle d’une
leishmaniose cutanée
Un homme de 32 ans, orpailleur d’origine brésilienne, était hospitalisé
en novembre 2003 pour un paludisme dû à P. falciparum. La sérologie
VIH réalisée devant une AEG persistante était alors positive. Le taux
des lymphocytes CD4+ était à 66/mm3. Il avait comme antécédent
une leishmaniose cutanée évoluant depuis sept mois dont la guérison
avait été incomplète sous une cure de traitement par pentamidine. Il
présentait à l’examen clinique une lésion ulcéro-croûteuse de l’avant-
189
F. Sarazin, M. Nacher, E. Clyti et al.
Figure 3.
Observation n°6
Leishmaniose cutanée ; aspect initial de la lésion située à la face postérieure
du bras droit (novembre 2003) juste avant un traitement par pentamidin.
Cutaneous leishmaniosis; initial aspect of the lesion situated on the back side
of the right arm (November 2003) just before a pentadimin treatment.
granulomes épithélioïdes. Le patient était alors mis sous fluconazole
par voie orale puis était perdu de vue.
Résultats de l’étude de cohorte rétrospective portant sur les poussées d’herpès et de zona
Herpès
263 poussées d’herpès pour 1 406 patients ont été diagnostiquées au cours de la période d’observation.
L’analyse multivariée (tableau I) montrait que les patients ayant
un HAART depuis moins de six mois avait un risque significativement plus élevé de faire une poussée d’herpès, comparativement aux patients non traités après ajustement sur l’âge, le
sexe et la dernière mesure du taux des lymphocytes CD4+. Il
n’y avait pas de différence significative entre les patients traités
depuis plus de six mois et les patients non traités.
Zona
Pendant la période d’observation, 156 zonas sont apparus
chez 1 406 patients. L’analyse multivariée (tableau I) montrait
que les patients ayant un HAART depuis moins de six mois
avaient presque deux fois plus de risque de présenter un zona
que les patients non traités après ajustement sur l’âge, le sexe
et la dernière mesure du taux des lymphocytes CD4+. Il n’y
avait pas de différence significative entre les patients traités
depuis plus de six mois et les patients non traités.
Figure 4.
Tableau I.
Observation n°6
Face postérieure du bras droit 3 semaines après l’introduction d’une multithérapie antirétrovirale ; apparition d’un placard érythémateux péri-ulcéreux
(février 2004).
Back side of the right arm 3 weeks after starting an antiretroviral multitherapy; eruption of a periulcerous erythematous plaque
(February 2004).
Rapport des risques instantanés (RR) d’apparition d’une poussée d’herpès ou
de zona selon le traitement antirétroviral* (analyse multivariée avec ajustement sur l’âge, le sexe et le taux des lymphocytes CD4+).
Evaluation of instantaneous risks (RR) of Herpes Simplex or Herpes Zoster
eruption according to antiretroviral treatment* (multivariate analysis with
adjustment to age, sex, and CD4+ counts rate).
Pas de HAART
Rapport des
risques instantanés
1,0
Intervalle de
confiance à 95 %
p
Herpès
HAART≤6 mois**
HAART>6 mois**
2,35**
1,16**
1,54-3,59
0,86-1,55
<0,001
0,33
Zona
HAART≤6 mois**
HAART>6 mois**
1,99**
1,07**
1,12-3,58
0,73-1,55
0,02
0,73
* Modèle de Cox
** comparaison avec les patients non traités
Discussion
L
bras droit (figure 3). Le frottis montrait de nombreuses leishmanies par champ et la culture était positive à L. lainsoni. Le patient
était alors traité par une cure de pentamidine fin novembre 2004.
Fin décembre, l’ulcération avait diminué de moitié. Une trithérapie
antirétrovirale par zidovudine, lamivudine et efavirenz était débutée
mi janvier 2004.
Vingt jours après l’introduction de la trithérapie, le patient consultait
pour l’apparition d’un placard érythémateux, infiltré autour de la
lésion ulcéreuse initiale du bras et l’apparition d’une nouvelle lésion
ulcérée en regard du coude (figure 4). L’examen anatomopathologique montrait un infiltrat lympho-plasmo-histiocytaire associé à des
Thérapeutique
es six observations présentées répondent aux critères du
SRI. La restauration de l’immunité s’accompagnait de
la révélation d’une infection latente (cas de lèpre pour les
observations 3, 4 et 5) ou de l’aggravation d’une pathologie
opportuniste préexistante (cas d’histoplasmose, de tuberculose ou de leishmaniose pour respectivement les observations
1, 2 et 6).
Une pathologie est décrite pour la première fois comme associée au SRI : il s’agissait de l’observation d’une aggravation
d’une leishmaniose cutanée. Un cas d’histoplasmose d’évolution inhabituelle a été récemment rapporté (29). Nous avions
déjà publié précédemment deux cas de lèpre survenus chez
des patients résidents en Guyane (6) ; nous décrivons ici un
troisième cas, ce qui représente une incidence en Guyane de
trois cas de lèpre pour 571 patients mis sous HAART dans
les six premiers mois de traitement, soit un taux d’incidence
semestriel de 50 pour 10 000 personnes. Ce taux paraît bien
supérieur au taux moyen de nouveaux cas de lèpre dans la
population générale en Guyane, qui est en moyenne de 0,5
pour 10 000 personnes par semestre pour ces dix dernières
années. Deux des trois cas étaient accompagnés d’un état
190
Manifestations dermatologiques associées au syndrome de restauration immunitaire du patient VIH+.
réactionnel de type 1 particulièrement intense, entraînant la
constitution d’ulcérations cutanées dans deux cas et d’une
névrite cubitale intense dans un cas.
Une autre donnée intéressante était l’association de plusieurs
infections opportunistes au cours d’un SRI. L’association pouvait être rapprochée dans le temps (observation n°2 associant à
un mois d’intervalle un zona et des abcès froids tuberculeux).
De façon plus originale, nous avons décrit avec l’observation
n°3 la succession dans le temps de deux SRI à vingt mois
d’intervalle.
Sur le plan physiopathologique, le SRI est probablement
secondaire à une restauration en deux temps de l’immunité
provoquée par l’introduction d’un HAART efficace (28). La
première phase serait représentée par une activation des lymphocytes CD4+ mémoires engendrant la réponse inflammatoire. L’augmentation de lymphocytes CD4+ naïfs se ferait
de façon plus tardive et progressive. Comme tous les patients
sous HAART ne développent pas un SRI, cette observation
soulève la possibilité de prédispositions génétiques à la survenue de ce syndrome (28).
Concernant le zona et l’herpès, l’infection par le VIH augmentant le risque de survenue d’une poussée (11), cela rend plus
compliqué l’interprétation d’un épisode en début de HAART.
Dans notre étude, nous avons mis en évidence une augmentation de ce risque dans les six premiers mois de HAART
d’environ x 2 pour le zona et d’environ x 2,3 pour l’herpès,
par comparaison avec les patients non traités en ajustant sur
le taux des lymphocytes CD4+. En revanche, les patients traités depuis plus de six mois avaient un risque non significativement différent des patients non traités. Parmi les patients
infectés par les virus de l’herpès, nombreux sont ceux qui sont
excréteurs asymptomatiques (21). Notre hypothèse est que
la proportion de formes symptomatiques serait augmentée
durant les mois suivant l’introduction d’un HAART du fait
du SRI.
Dans le cadre des mycobactérioses, l’inflammation est secondaire à la restauration d’une réponse de l’immunité retardée
à médiation cellulaire à des antigènes mycobactériens, expliquant la formation de granulomes et l’absence de BAAR.
Les états réactionnels de type 1 liés à une amélioration de
l’immunité anti-lépreuse chez des patients non infectés par
le VIH relèvent du même type de mécanisme. Il n’est donc
pas surprenant de rencontrer des lèpres réactionnelles chez
les patients infectés par le VIH qui restaurent leur immunité
sous HAART.
De façon plus générale, une revue de la littérature médicale
montre que les manifestations cutanées associées aux SRI sont
fréquentes. Les infections virales sont les plus rapportées :
zona (plus de quarante cas décrits) (2, 8, 25, 26) ; herpès génital
et/ou anal chronique (quatre cas) (10, 25) ; infection par le
Cytomegalovirus (un cas à l’origine d’une ulcération cutanée)
(22). Les infections par les mycobactéries sont représentées par
la lèpre, le plus souvent en poussée réactionnelle (sept cas dont
les trois que nous présentons dans cet article) (6, 14, 19, 10),
les infections par le complexe Mycobacterium avium (deux
cas avec lésions à type de nodules dermo-hypodermiques
et une éruption maculo-papuleuse) (1, 4, 7), la tuberculose
(un cas avec des nodules dermo-hypodermiques d’évolution
nécrotique) (15). La cryptococcose (trois cas) est responsable
d’abcès froids sous-cutanés (13, 16) ou de nodules ombiliqués.
Le sarcome de Kaposi peut apparaître ou s’aggraver (trois cas)
(26). Des érythèmes noueux associés à une sarcoïdose ont été
décrits (trois cas) (3, 12, 18). Des observations récentes font
l’hypothèse d’un SRI concernant un cas de verrues profuses (24), un cas de vitiligo sur cicatrice de lichen plan (17) et
Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 3, 187-192
quelques cas de réactions inflammatoires sur des tatouages
anciens (9, 27).
Conclusion
A
u vu des données de la littérature et de notre étude,
l’herpès et le zona représentent les deux manifestations
dermatologiques les plus fréquemment associées à un SRI,
surtout dans les six premiers mois de traitement. Les mycobactéries, causes les plus fréquentes des manifestations systémiques des SRI sont plus rarement impliquées en ce qui
concerne les localisations cutanées, à l’exception de la lèpre.
Cette étude illustre l’importance de l’examen dermatologique
dans les mois qui suivent la mise sous HAART d’un patient
infecté par le VIH, notamment pour dépister précocement une
lèpre si l’on exerce en zone d’endémie lépreuse.
Références bibliographiques
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