Note socio-économique - Laboratoire d`études socio
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Note socio-économique - Laboratoire d`études socio
d’études socio-économiques de l’UQAM Note socio-économique #6 L’analyse du fardeau fiscal des particuliers et des entreprises au Québec et au Canada Rédigée par : Frédéric Rogenmoser, candidat au doctorat en administration et chercheur au Laboratoire d’études socio-économiques de l’Université du Québec à Montréal et Martine Lauzon, candidate au doctorat en sciences sociales appliquées de l’Université du Québec en Outaouais et chercheure au Laboratoire d’études socio-économiques de l’Université du Québec à Montréal décembre 2014 1 En ces temps d’austérité et de coupes financières dans de nombreux services publics (santé, éducation, services de garde à l’enfance, etc.) pour cause de «manque de fonds» et qu’il est impératif de «serrer la ceinture», il est intéressant d’observer si ce message s’adresse à tous pareillement. Pour ce faire, nous avons regardé les impôts payés par les particuliers ainsi que ceux payés par les compagnies afin d’évaluer leur «juste part». Le but de cette note socio-économique consiste donc en la mise à jour de données fiscales concernant l’impôt des entreprises et des particuliers que nous avions répertoriées lors nos études précédentes sur le sujet. En effet, le Laboratoire d'études socio-économiques de l'UQAM a publié deux recherches principales sur l’impôt, plus précisément sur l’évolution de la contribution fiscale des particuliers et des entreprises. Les conclusions de ces recherches démontraient clairement qu’il y a un débalancement entre les impôts payés par les entreprises et ceux payés par les particuliers, de sorte que les entreprises paient de moins en moins d’impôt comparativement aux particuliers. Voici le titre de ces études en question: - Michel Bernard, Léo-Paul Lauzon, Marc Hasbani et Gabriel Ste-Marie. 2006. «L’autre déséquilibre fiscal des compagnies : le déplacement du fardeau fiscal des compagnies vers les particuliers au cours des dernières décennies»; -Léo-Paul Lauzon et Marc Hasbani. 2002. «Évolution de la contribution des particuliers et des entreprises aux recettes fiscales canadienne et québécoise pour la période 1950 à 2002». Qu’en est-il de 2014 : qui se serre vraiment la ceinture? Il importe ainsi d’actualiser les données sur l’évolution du fardeau des impôts corporatifs et des impôts des particuliers afin de répondre à cette question. En effet, l’approche néolibérale que préconise actuellement tant le gouvernement canadien que québécois prétend que la compétitivité fiscale est importante et que les entreprises se doivent d’être peu taxées pour encourager leur productivité. Des «experts» universitaires, patronaux, gouvernementaux, etc. avancent même l’idée fausse que le Québec est peu compétitif, tout en cachant la réalité fiscale du Québec qui, en effet, taxe peu les entreprises. Nous avons, pendant l’existence du Laboratoire d’études socio-économiques, publié cinq études entre 1985 et 2012 sur le taux réellement payé des entreprises et la conclusion qui s’est imposée était que le taux réellement payé des entreprises diminuait au fil des ans. Par exemple, l’étude publiée en 2012 avait établi que plus de 70% des grosses entreprises canadiennes ayant fait un 2 bénéfice positif avait un taux effectif d’impôt de moins de 25% entre 2009 et 2011.1 Néanmoins, ces études ne touchaient pas au fardeau des entreprises et des particuliers et nous croyons qu’il est important de mettre à jour les données sur le fardeau fiscal des particuliers et des sociétés afin d’analyser la situation fiscale au Québec et au Canada. 1 3 Vous pouvez consulter l'étude à cette adresse internet : http://www.lese.uqam.ca/pdf/rec_12_impot_entreprises_cnd.pdf L’évolution de la part des recettes fiscales provenant des particuliers et des entreprises Nous avions déjà constaté, au sein de notre étude datant de 2006 sur «L’autre déséquilibre », que le fardeau des particuliers sur les recettes fiscales du Gouvernement du Canada était passé de 45% à 80% entre 1963 et 2003.2 En consultant le Tableau 1 qui suit, vous pouvez constater que le fardeau des particuliers se situe à 82% en 2013 au Canada. Le fardeau des particuliers était déjà très prononcé en 2003 et, malgré tout, le gouvernement fédéral a réussi à augmenter de 2% le fardeau des particuliers, cela même si la taxe sur les produits et services a diminué de 2% au niveau fédéral durant cette même période. De plus, si on regarde seulement que l’impôt sur le revenu, le fardeau était de 61% en 1963, de 75% en 2003 et de 78% en 2013. Il y a donc une évolution réelle au Canada qui démontre que les particuliers sont de plus en plus taxés comparativement aux sociétés. Tableau 1 : Comparaison des impôts et de taxes de vente du gouvernement fédéral canadien entre 1963 et 2013 (en milliard de dollars canadiens) 1963 Impôt sur le revenu Taxe de vente des manufacturiers Total 2003 Impôt sur le revenu Taxe sur les produits et services Total 2013 Impôt sur le revenu Taxe sur les produits et services Total Montant payé au gouvernement fédéral par les particuliers 2,2 Montant payé au gouvernement fédéral par les entreprises 1,4 Part des particuliers 61% Part des compagnies 39% 2,2 1,3 2,7 0% 45% 100% 55% 88,9 29,4 75% 25% 28,3 117,2 0 29,4 100% 80% 0% 20% 130,8 36,6 78% 22% 31 161,8 0 36,6 100% 82% 0% 18% Source : Tableaux de référence financiers 2004 (Tableau 6 et 35) et Rapport financier annuel du Gouvernement du Canada 2013-2014 (Tableau 5) 2 4 Vous pouvez consulter l'étude à cette adresse internet : http://www.lese.uqam.ca/pdf/rec_06_autre_desequilibre.pdf Le Tableau 2 est aussi éloquent et illustre cette même réalité au Québec. En 1964, les particuliers prenaient 62% du fardeau fiscal au niveau provincial. Au début des années 2000, le fardeau fiscal des particuliers au niveau provincial était de 87% en 2004. En 2013, le fardeau fiscal des particuliers au gouvernement du Québec se situait aux alentours de 86%. Il est évident que le Québec est moins progressif au niveau des impôts des corporations et cela surtout par rapport au Canada dont les entreprises assument un fardeau fiscal plus élevé. En effet, les compagnies assument un fardeau fiscal de 18% au niveau fédéral contre un maigre 14% au Québec. Tableau 2 : Comparaison des impôts et taxes de vente du gouvernement québécois entre 1964 et 2013 (en milliard de dollars canadiens) 1964 Impôt sur le revenu Taxe à la consommation (TVQ) Total 2004 Impôt sur le revenu Taxe à la consommation (TVQ) Total 2009 Impôt sur le revenu Taxe à la consommation (TVQ) Total Montant payé au gouvernement du Québec par les particuliers 0,6 1 1,6 Montant payé au gouvernement du Québec par les entreprises 1 0 1 16,3 9 25,3 25 12,5 37,5 Source : Comptes publics Québec 1963-1964, 2003-2004 et 2012-2013 5 Part des Part des particuliers compagnies 38% 100% 62% 62% 0% 38% 3,9 0 3,9 81% 100% 87% 19% 0% 13% 6 0 6 81% 100% 86% 19% 0% 14% Les entreprises non imposées aux Québec Au Québec, environ la moitié des entreprises ne paient pas d’impôt, comme en témoigne le tableau 3. En effet, on voit que le pourcentage d’entreprises n’ayant pas payé d’impôt se situe à de plus de 49% entre 2000 et 2009. Le pourcentage s’approche à 54% lors de la crise de 2008 et aussi en 2002, une autre année difficile au niveau économique. En outre, les crises économiques n’expliquent pas à elles seules le nombre d’entreprises qui ne paient pas d’impôt. Soulignons aussi que l’année 2009 s’est vue être celle où moins d’entreprises ont été imposées, et ce malgré des bénéfices positifs record de 71,3 milliards de dollars. On peut constater que le bénéfice des entreprises non imposées ayant fait des bénéfices positifs a toujours été de plus de 26 milliards. C’est donc dire que malgré des milliards engendrés, ces entreprises n’ont pas payé d’impôts. Tableau 3 : L’évolution du nombre de compagnies non imposés et de leur bénéfice entre 2000 et 2009 (en milliards de dollars canadiens) Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Nombre d’entreprises n’ayant pas payé d’impôt au Québec 139 478 146 378 152 216 142 865 157 188 156 677 166 894 183 632 202 512 214 741 Nombre d’entreprises ayant payé d’impôt au Québec 131 867 132 533 129 993 144 116 141 912 161 935 169 058 170 319 172 925 175 595 Pourcentage Bénéfice net Bénéfice net d'entreprises positif des négatif des n'ayant pas entreprises entreprises payé d'impôt non imposées non imposées 51% 29,4 15,3 52% 30,5 24,5 54% 26,8 44,6 50% 31,0 17,7 53% 36,2 21,7 49% 40,6 17,3 50% 59,4 23,9 52% 55,6 18,5 54% 43,0 46,0 55% 71,3 37,9 Source : Statistiques fiscales des sociétés 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009 6 Solde net 14,1 6,0 (17,8) 13,3 14,5 23,3 35,5 37,1 (3,0) 33,4 Il serait ainsi possible, si on observe le Tableau 4 qui suit, d'instaurer un impôt minimal de 5% sur le bénéfice positif des entreprises non imposées. Le Gouvernement du Québec aurait pu engendrer des recettes supplémentaires de 21,2 milliards de dollars entre 2000 et 2009, ce qui n’est pas négligeable. Tableau 4 : Montant hypothétique d’un impôt minimal de 5% sur le bénéfice net positif des compagnies non imposées entre 2000 et 2009 Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Total 7 Bénéfice net positif des compagnies non Recette fiscale d'un imposées Impôt minimal de 5% 29,4 1,5 30,5 1,5 26,8 1,3 31,0 1,6 36,2 1,8 40,6 2,0 59,4 3,0 55,6 2,8 43,0 2,2 71,3 3,6 423,8 21,2 Le fardeau fiscal de petites, moyennes et grandes entreprises Au sein de nos études précédentes, nous nous sommes peu intéressés aux petites et moyennes entreprises et, pourtant, elles représentent un phare de l’économie québécoise. En effet, au Québec, 87,5% des emplois étaient liés aux PME en 2012. Ce taux est malgré tout un des plus bas au Canada puisque qu’il est à 88,5 % en Ontario et de plus de 89,9% dans les autres provinces.3 Au Québec, on pourrait croire qu’on a la fâcheuse tendance de se plier au désir des grandes entreprises. C’est du moins ce que montre le Tableau 5 qui suit, car il semble que les grandes entreprises ont un fardeau fiscal bien plus bas comparativement à leurs bénéfices engendrés. Les entreprises ayant les revenus de plus de 200 millions ont payé 34% des impôts alors qu’ils ont engendré 83% des bénéfices. Il semblerait que le fardeau des entreprises soit surtout payé par les PME. On peut donc conclure que même si, selon le Tableau 2, le fardeau fiscal des entreprises sur les recettes fiscales à comparer des particuliers est de 14%, le fardeau fiscal des grosses entreprises faisant plus de 200 millions de dollars en revenu brut tourne autour de 4,8 %. Toutes les autres tranches assument un plus gros fardeau en comparaison de leur pourcentage de revenus. Chose aussi étonnante, deux tranches (0 à 100 et 200 à 500) ont engendré plus de pertes que de bénéfices et, malgré tout, elles ont payé plus des impôts. Ces deux tranches ont en effet payé 6% des impôts sur les sociétés. Il y a donc une aberration flagrante au niveau du fardeau fiscal entre les PME et les grandes compagnies. Tableau 5 : Comparaison du bénéfice net des entreprises et des impôts payés par tranche de revenu Tranche de revenu brut (en milliers de dollars) 0 à 100 100 à 200 200 à 500 500 à 1000 1000 à 5000 500 à 15000 15000 à 25000 250000 à 50000 50000 à 200000 200000 et plus Toutes les tranches Bénéfice net (en milliards de dollars) -12,0 0,3 -0,5 2,4 9,7 5,3 2,4 4,3 12,3 116,6 Pourcentage du bénéfice net -9% 0% 0% 2% 7% 4% 2% 3% 9% 83% 140,8 100% Source : Statistiques fiscales des sociétés 2009 3 http://www.ic.gc.ca/eic/site/061.nsf/fra/02805.html 8 Impôt et taxe sur Pourcentage des le capital payé (en impôts payés et milliards de taxe sur le capital dollars) payé 0,19 2% 0,16 2% 0,34 4% 0,32 4% 1,09 14% 0,82 11% 0,48 6% 0,66 9% 1,07 14% 2,61 34% 7,74 100% Conclusion On pouvait lire dans Le Devoir du 18 juin 2014 que «Le Québec fait bonne figure en matière de compétitivité fiscale auprès des entreprises, rapporte KPMG». Il serait donc temps de cesser de véhiculer le mythe d’un enfer fiscal pour les entreprises. Il appart, selon nos données, que les entreprises sont loin d’être surtaxées. Notre note démontre que le Québec et le Canada taxe de moins en moins ces entreprises et que, de plus, ce sont surtout des PME qui paient la plus grande partie des impôts sur les sociétés. Tous ne se serrent pas la ceinture pareillement, de sorte que les taux d’imposition ne cessent de diminuer. Au niveau fédéral, il est passé de 41% en 1960 pour être à 15% en 2012 alors qu’au niveau provincial il est désormais à 18% alors qu’il était de 55% en 1963. Plusieurs propositions peuvent être faites, afin que les entreprises mettent également l’«épaule à la roue» de l’austérité, tant demandée aux citoyens qui voient leurs services publics amputés. Entre autres, plusieurs paliers d’imposition pour les entreprises, comme c’est le cas aux EtatsUnis, ainsi qu’un impôt minimal pour les entreprises ayant fait un bénéfice. Est-ce normal d’engendrer des profits élevés et de ne payer aucun impôt? Lors de notre étude parue en 2012 sur les impôts payés par les entreprises, les 14 entreprises de notre échantillon avaient engendré plus de 12 milliards de profits entre 2011 et 2013 et, pourtant, ils n’ont payé aucun impôt.4 En outre, il est manifeste que la structure fiscale des entreprises doit être révisée. 4 9 Vous pouvez consulter l'étude à cette adresse internet : http://www.lese.uqam.ca/pdf/rec_12_impot_entreprises_cnd.pdf