BAT-Voleurs - Julien Bonhomme
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BAT-Voleurs - Julien Bonhomme
BAT-Voleurs sexe.indd 1 11/09/09 9:28:25 BAT-Voleurs sexe.indd 2 11/09/09 9:28:26 LA LIBRAIRIE DU XXI e SIÈCLE Collection dirigée par Maurice Olender BAT-Voleurs sexe.indd 3 11/09/09 9:28:26 BAT-Voleurs sexe.indd 4 11/09/09 9:28:26 Julien Bonhomme Les Voleurs de sexe Anthropologie d’une rumeur africaine Éditions du Seuil BAT-Voleurs sexe.indd 5 11/09/09 9:28:27 isbn 978-2-02-100169-3 © éditions du Seuil, octobre 2009 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.editionsduseuil.fr BAT-Voleurs sexe.indd 6 11/09/09 9:28:27 «Toi, quand on te dit, tu ne veux pas croire pour toi. Tu dis seulement que c’est Radio-trottoir, Radiotrottoir. Mais tu ne sais pas que ce que Radio-trottoir parle, c’est la vérité même. Les crapauds ne coassent que quand il pleut, dé.» Henri Lopès, Le Pleurer-Rire (1982), Paris, Présence africaine, 2003, p. 42 7 BAT-Voleurs sexe.indd 7 11/09/09 9:28:27 8 BAT-Voleurs sexe.indd 8 11/09/09 9:28:27 tc à changer Alerte aux voleurs de sexe! «Un certain Ogoula aurait été roué de coups vers le centre social pour avoir fait disparaître le sexe de trois personnes qu’il venait de saluer. L’infortuné, très mal en point, a été admis en réanimation à l’hôpital régional où il lutte actuellement contre la mort. Ogoula n’aurait rendu qu’un seul organe, pas les deux autres. […] Dimanche soir, nouvelle escalade: un autre voleur présumé est arrêté, alors qu’on le soupçonne fortement d’avoir fait disparaître trois sexes, dont celui d’un garçonnet de 9 ans. Si le petit a retrouvé son organe quelque temps après suite aux incantations de son “bourreau”, tel n’aurait pas été le cas pour les deux autres. Nzamba D., Gabonais de 36 ans, le supposé voleur, a ainsi été copieusement battu et laissé nu comme un ver par une foule en furie. Il n’a eu la vie sauve que grâce à l’arrivée des forces de sécurité. Au même moment, au quartier Sud, on apprenait qu’un sujet camerounais aurait accompli le même forfait sur une… fille et un homme, avant de disparaître dans la nature. Ce même dimanche soir, vers 23 h 30, nous avons trouvé au commissariat central un garçon d’environ 18 ans couché par terre, se plaignant qu’on lui ait volé aussi son sexe. “Après le coup, j’ai tenté de me masturber sans obtenir la moindre érection”, a-t-il confié. Chaque jour qui passe apporte ainsi son lot de rumeurs et de révélations. La psychose a donc atteint un seuil tel que les riverains n’acceptent plus de serrer la main à n’importe quel individu. Ceux qui 9 BAT-Voleurs sexe.indd 9 11/09/09 9:28:27 les voleurs de sexe osent s’empressent ensuite de toucher leur bas-ventre pour s’assurer que tout est en place.» C’est en lisant cet article, paru dans l’édition du mardi 27 mars 2001 de L’Union, le principal quotidien gabonais, que j’ai pour la première fois entendu parler des «voleurs de sexe». Impossible de rater la nouvelle: la une du journal titrait en grosses lettres «Les “voleurs de sexe” plongent PortGentil dans la psychose» et tout le monde ne parlait déjà que de cela, dans les taxis collectifs, les cafétérias, les quartiers. C’était sans conteste le kongosa du moment1. La rumeur se propageait, la ville était fébrile. À Port-Gentil, deuxième ville du pays, des voleurs de sexe auraient été à l’œuvre depuis quelques jours. En moins d’une semaine, les lynchages de présumés coupables firent un mort et plusieurs blessés. Mais la rumeur, la panique et les violences cessèrent assez rapidement et, bientôt, de nouveaux sujets de discussion accaparèrent les esprits. Sur le moment, je reléguai cette histoire parmi les faits divers exotiques, tout occupé à enquêter sur des sujets qui me paraissaient autrement sérieux. Plusieurs années passèrent avant que je ne prenne conscience que cette même rumeur de vol de sexe avait en réalité balayé la majeure partie de l’Afrique subsaharienne à plusieurs reprises depuis le début des années 1990. L’anecdote insolite cachait ainsi un fait social d’extension spatio-temporelle bien plus vaste. Ce livre s’attache donc à retracer cette affaire de sorcellerie de grande ampleur. Les vols de sexe sont en effet unanimement considérés comme de la «sorcellerie», dans la mesure où ils impliquent une action magique (le pénis disparaît comme par enchantement) portant injustement atteinte à l’intégrité des individus: «La question qui demeure est la suivante: y a-t-il effectivement disparition de sexe? Selon les témoignages recueillis dans la foule, cela est le cas. Comment 1. «Faire le kongosa», c’est échanger des potins: au premier chef les ragots sur autrui, mais aussi d’une manière plus générale les rumeurs du moment. Ce terme d’origine camerounaise est également en usage au Gabon. 10 BAT-Voleurs sexe.indd 10 11/09/09 9:28:27 alerte aux voleurs de sexe ! cela est-il possible? En employant des procédés mystiques selon beaucoup. C’est donc des accusations de sorcellerie qui courent1.» Tout semble commencer au Nigeria dans la première moitié des années 1970. En 1975, un psychiatre nigérian est sollicité à titre d’expert pour une mystérieuse affaire de vol de sexe: à Kaduna, au centre du pays, deux Haoussa sont arrêtés par la police pour avoir provoqué une scène en pleine rue, l’un accusant l’autre de lui avoir volé ses organes génitaux2. Il s’agit là du premier cas bien documenté de vol de sexe. Quelques auteurs mentionnent cependant des épisodes antérieurs à 1975 et hors du Nigeria. Un journaliste avance même que la rumeur était déjà présente au Nigeria dès les années 1930, mais ne cite aucune source3. Un missionnaire se souvient quant à lui que la rumeur faisait rage à Fort-Lamy (l’ancien nom de la capitale tchadienne Ndjamena) au début des années 19704. Enfin, un historien mentionne brièvement dans une note de bas de page un épisode de vol de sexe dont il aurait été témoin à Cape Coast au Ghana dès 19735. La plupart des témoignages s’accordent pourtant pour faire provenir les vols de sexe du Nigeria. Il est donc vraisemblable qu’ils étaient en réalité déjà présents dans le pays avant 1973. L’hypothèse est d’ailleurs indirectement confirmée par J.L. Ferrer Soria qui précise que ce sont les Haoussa venant du Nigeria voisin qui sont suspectés de voler les sexes au Tchad: «Les Lamyfortains paniquaient face au redoutable pouvoir des Haoussa, 1. A. Kaïgama, «Disparition de sexe: mythe ou réalité?», Camerinfo, février 2009. 2. S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria», Transcultural Psychiatric Research Review, 2, 1988, p. 310-314. 3. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», Cahiers d’études africaines, 189/190, 2008, p. 185-208, ici p. 196. 4. J.L. Ferrer Soria, Ma part d’Afrique, Paris, Karthala, 1999, p. 13. 5. R. Gocking, «The tribunal system in Ghana’s Fourth Republic: an experiment in judicial reintegration», African Affairs, 99, 2000, p. 47-71, ici p. 59. 11 BAT-Voleurs sexe.indd 11 11/09/09 9:28:27 les voleurs de sexe ethnie du nord du Nigeria. On les accusait de subtiliser en un tournemain les organes génitaux des hommes et les seins des femmes. Une peur irrationnelle se répandit durant quelques semaines dans tous les quartiers de la capitale du Tchad. Dans la rue, les gens évitaient le moindre contact physique avec une autre personne: un frôlement du pied, un accoudement, un effleurage corporel quelconque avec un passant devenaient mortels pour les attributs sexuels.» Un avocat nigérian se souvient d’ailleurs, enfant, avoir entendu parler des voleurs de sexe au début des années 19701. S’il est toujours malaisé de retracer l’origine d’une rumeur, le recoupement des sources permet cependant d’avancer que les vols de sexe ont dû commencer au tout début des années 1970 au nord du Nigeria en pays haoussa, puis ont rapidement touché les régions voisines. Entre 1975 et 1978, la rumeur enflamme ainsi à plusieurs reprises Lagos et l’État d’Imo au sud du Nigeria. Les incidents se multiplient. Plusieurs voleurs présumés sont lynchés à mort. La rumeur est également présente à Yaoundé, au Cameroun, dès le mois de janvier 1975. Jusqu’à la fin des années 1980, les vols de sexe semblent toutefois rester cantonnés au Nigeria et aux zones frontalières, notamment au Cameroun (voir carte 1, p. 167). Ce n’est qu’au cours de la décennie suivante que la rumeur se répand très largement en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Elle se propage par vagues successives à partir de son foyer nigérian, pays se situant justement à la charnière entre les deux sous-régions du continent. On peut ainsi repérer de nets pics d’intensité en 1996-1997, puis à nouveau en 2001-2002. Lors de ces brusques flambées, la propagation des vols de sexe peut souvent être suivie de mois en mois, de pays en pays, voire de ville en ville. En 1996, la rumeur est au Nigeria, et en octobre-novembre de la même année au 1. Tadaferua Ujorha, «Alarming rise of violence-related “genital theft”», Weekly Trust, 11 juillet 2009. 12 BAT-Voleurs sexe.indd 12 11/09/09 9:28:28 alerte aux voleurs de sexe ! Cameroun. Elle se répand alors vers l’ouest pour atteindre le Togo en décembre 1996, le Ghana en janvier 1997, la Côte d’Ivoire en mars, le Burkina Faso et le Mali en avril-mai, le Sénégal en juillet et finalement la Mauritanie en aoûtseptembre (voir carte 2, p. 168). Et lorsqu’elle frappe à nouveau le Nigeria en avril 2001, elle gagne ensuite le Bénin en novembre-décembre, le Ghana en janvier 2002, la Côte d’Ivoire en mars et la Gambie dès le mois d’avril (voir carte 3, p. 169). Les vols de sexe se répètent ainsi de manière périodique, à quelques mois ou années d’intervalle dans un même pays. Depuis 2005, la rumeur reste active dans de nombreux pays, comme si ses cycles de réapparition s’accéléraient. Les dernières occurrences relevées en 2008 et 2009 concernent le Nigeria (janvier 2008, juin-juillet 2009), le Cameroun, notamment dans le nord du pays (février, juillet et novembre 2008, janvier, février et juin 2009), la République démocratique du Congo (Kinshasa, mars-avril 2008), le Congo (Brazzaville, mai-juin 2008) et surtout le Sénégal qui est marqué depuis trois ans par des épisodes intenses et répétés de vols de sexe aussi bien dans la région de Dakar qu’en Casamance (avril-juillet 2007, novembredécembre 2007, février-juin 2008, octobre-novembre 2008, février et juin 2009). Au total, ont pu être répertoriés plus d’une cinquantaine d’épisodes significatifs (par épisode, on entend ici une série répétée de vols de sexe et de lynchages dans un même pays au cours d’une même année). La région concernée forme un bloc compact allant du Congo-Kinshasa au Soudan et à la Mauritanie. Entre 18 et 20 pays ont ainsi été touchés (voir carte 4, p. 170): Nigeria, Cameroun, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Soudan, Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Sénégal, Gambie, Mauritanie, Gabon, CongoBrazzaville, Congo-Kinshasa, Zimbabwe, et sans doute également la Guinée et le Liberia. La recension des cas de vols de sexe n’est néanmoins pas chose facile, et demeure vraisemblablement lacunaire. Au sein de la zone compacte que dessine 13 BAT-Voleurs sexe.indd 13 11/09/09 9:28:28 les voleurs de sexe l’aire d’extension géographique des vols de sexe, subsistent en effet quelques trous: Guinée-Bissau, Sierra Leone, Guinée Équatoriale, Centrafrique. Mais cette absence de preuve ne saurait constituer à elle seule une preuve de l’absence. Ainsi, il ne serait pas surprenant que les vols de sexe aient en réalité également touché ces quatre pays, et même d’autres États plus à l’est ou au sud du continent africain. Ces difficultés de recension tiennent au fait que la rumeur est un phénomène volatil qui se prête mal à l’observation. Désordre soudain dont on ne sait trop quoi dire, elle relève de ces «libres courants de la vie sociale» dont Émile Durkheim avait déjà noté qu’ils résistaient davantage à l’analyse objective que les faits sociaux plus structurés1. La diffusion exacte d’une rumeur s’avère en effet fort difficile à retracer. Et le chercheur arrive souvent trop tard pour être un témoin direct. L’ethnologue est plus à l’aise avec les événements localisés qu’il a pu observer luimême sur le terrain. C’est pourquoi l’anthropologie s’est traditionnellement intéressée aux ragots plutôt qu’aux rumeurs. Les ragots, potins ou commérages constituent en effet une entrée privilégiée pour étudier la sociologie des petits groupes d’inter connaissance2. Leur circulation au sein du groupe permet de réaffirmer les valeurs communes en stigmatisant les comportements déviants. Le ragot constitue en outre un moyen stratégique pour promouvoir les intérêts des différentes factions ou gérer les réputations et sert donc à exprimer les enjeux de pouvoir. Ce cadre explicatif a souvent servi de modèle aux travaux sur la sorcellerie en Afrique ou ailleurs. Les histoires de sorcellerie, ce sont en effet avant tout des ragots qui circulent au sein de la famille ou du village, accusant à demi-mots tel ou 1. É. Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique (1895), Paris, PUF, 2002, p. 14. 2. M. Gluckman, «Gossip and scandal», Current Anthropology, 4-3, 1963, p. 307-316; R. Paine, «What is gossip about? An alternative hypothesis», Man, 2-2, 1967, p. 278-285; N. Elias, J.L. Scotson, Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, 1997; K.J. Brison, Just Talk. Gossip, Meetings, and Power in a Papua New Guinea Village, Berkeley, University of California Press, 1992. 14 BAT-Voleurs sexe.indd 14 11/09/09 9:28:28 alerte aux voleurs de sexe ! tel individu de se livrer à des méfaits occultes1. Le sorcier représente alors le transgresseur par excellence des valeurs collectives. Et les ragots à son sujet permettent d’exprimer de manière transposée les tensions et les conflits au sein de la communauté locale. Par opposition aux ragots, les rumeurs circulent à une échelle bien plus vaste, souvent transnationale et non plus locale. Elles représentent en cela des «formes déterritorialisées du ragot», pour reprendre la belle expression d’Isaac Joseph2. Leurs enjeux apparaissent alors beaucoup moins clairement et les micro-analyses des conflits interpersonnels ne sont plus possibles. L’étude des rumeurs pose par conséquent des défis particuliers à l’anthropologie. En ce sens, ce livre sur les vols de sexe se veut également une contribution plus générale à une anthropologie des rumeurs, et notamment des rumeurs de sorcellerie. L’Afrique contemporaine est en effet traversée par de telles rumeurs. Entre autres exemples, on peut citer les histoires de zombies travaillant au service de sorciers fabuleusement enrichis ou encore les histoires de serpents avalant des jeunes gens ou s’accouplant avec eux pour ensuite vomir de l’argent3. Ces récits flottants d’origine anonyme se retrouvent dans de nombreux pays et, déclinés selon des circonstances toujours locales, fournissent la matière à diverses histoires de sorcellerie, un peu comme les «légendes urbaines» en Amérique du Nord et en Europe4. La question à laquelle ce livre cherche à répondre est donc la suivante: comment rendre compte de la 1. W. Bleek, «Witchcraft, gossip, and death. A social drama», Man, 11-4, 1976, p. 526-541; C. Bougerol, Une ethnographie des conflits aux Antilles. Jalousie, commérages, sorcellerie, Paris, PUF, 1997. 2. I. Joseph, Le Passant considérable. Essai sur la dispersion de l’espace public, Paris, Librairie des Méridiens, 1984, p. 39. 3. L. Zame Avezo’o, «La néo-oralité au Gabon. Analyse de la figure du serpent dans les légendes urbaines», in U. Baumgardt, F. Ugochukwu (dir.), Approches littéraires de l’oralité africaine, Paris, Karthala, 2005, p. 229-251. 4. V. Campion-Vincent, J.-B. Renard, Légendes urbaines. Rumeurs d’aujourd’hui, Paris, Payot, 1992; id., De source sûre. Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui, Paris, Payot, 2002; J.-B. Renard, Rumeurs et Légendes contemporaines, Paris, PUF, 1999. 15 BAT-Voleurs sexe.indd 15 11/09/09 9:28:28 les voleurs de sexe sorcellerie lorsqu’elle cesse d’être un ragot local pour devenir une rumeur transnationale1? Quel ensemble de données peut-on exploiter pour embrasser un objet d’étude aussi vaste que les rumeurs de vol de sexe? Concernant le Gabon, j’ai pu collecter des données ethnographiques de première main en menant des entretiens avec des témoins ou des personnes impliquées dans des incidents depuis 2001. Pour les autres pays, on peut s’appuyer sur quelques publications scientifiques2. Mais les sources les plus 1. Cette question est abordée par les anthropologues Pamela Stewart et Andrew Strathern (Witchcraft, Sorcery, Rumors, and Gossip, Cambridge, Cambridge University Press, 2004), ainsi que par l’historienne Luise White (Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa, Berkeley, University of California Press, 2000). 2. En sciences sociales: B. Sackey, «The vanishing sexual organ phenome non in the context of Ghanaian religious beliefs», African Anthropology, 4-2, 1997, p. 110-125; M. Jackson, «Penis snatchers», in Minima Ethnographica. Intersubjectivity and the Anthropological Project, Chicago, University of Chicago Press, 1998, p. 49-54; M. Enguéléguélé, «La rumeur de la “disparition des sexes” au Cameroun. Contribution à l’étude des modes d’expres�sion politique alternatifs dans les conjonctures fluides», in E. Darras (dir.), La Politique ailleurs, Paris, PUF, 1998, p. 355-370; J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur sorcière», art. cit. En sciences de la communication et des médias: I. Ledit, «La rumeur des rétrécisseurs de sexe: entre communication traditionnelle et communication moderne dans l’Afrique contemporaine», Les Cahiers du journalisme, 9, 2001, p. 218-234; D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique de l’Ouest», Hommes et Libertés, 117, 2002; «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises disappear», The Middle East Media Research Institute, special dispatch series n° 593, 2003. En psychiatrie et psycholo�gie sociale: S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria», art. cit., 2, 1988, p. 310-314; id., «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent epidemic of a koro-like syndrome», Transcultural Psychiatric Research Review, 29, 1992, p. 91-108; J.F. Agbu, «From “koro” to GSM “killer calls” scare in Nigeria. A psychological view», CODESRIA Bulletin, 3/4, 2004, p. 16-19; C. Mather, «Accusations of genital theft: a case from northern Ghana», Culture, Medicine and Psychiatry, 29-1, 2005, p. 33-52; V.A. Dzokoto, G. Adams, «Juju, koro, or mass psychogenic illness? A review of genital-shrinking epidemics in West Africa from 1997-2001», Culture, Medicine, and Psychiatry, 29-1, 2005, p. 53-78; G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», Culture and Psychology, 13-1, 2007, p. 83-104. 16 BAT-Voleurs sexe.indd 16 11/09/09 9:28:29 alerte aux voleurs de sexe ! nombreuses sont constituées d’articles de presse: ont ainsi été rassemblés pour ce travail plus de cent cinquante articles de quotidiens et dépêches d’agences sur les vols de sexe (voir la liste en bibliographie, p. 171). Il s’agit de la presse africaine, mais aussi parfois européenne ou américaine, en version papier comme en version électronique. S’appuyer autant sur la presse pose le problème évident du biais des médias. Il nous faut impérativement prendre en compte le rôle actif de la presse concernant la recension et la qualification des événements, mais aussi la propagation de la rumeur. Le filtre médiatique à travers lequel nous apparaissent principalement les vols de sexe opère en effet une surexposition des cas les plus dramatiques (ceux entraînant violences et décès) et une sousestimation du nombre total de cas. La rumeur excède donc nécessairement ce que les traces écrites de la presse peuvent en recueillir. Ainsi, certains des cas sur lesquels j’ai pu directement enquêter au Gabon n’ont jamais été rapportés par les journaux, n’ayant donné lieu qu’à des altercations bénignes. On peut donc faire l’hypothèse que la majorité des cas de vol de sexe reste invisible, ne se soldant pas – fort heureusement – par une mort d’homme ou des blessures graves. Les médias constituent tout de même un indicateur précieux pour repérer la présence diffuse de la rumeur dans un pays à un moment donné, mais aussi pour évaluer l’ampleur, la durée et l’intensité de l’épisode. Les lynchages et émeutes qui peuvent survenir dans le sillage des vols de sexe obligent la plupart du temps les autorités à intervenir publiquement par la voie des médias afin d’essayer de rétablir l’ordre. Les médias sont de toute façon friands de faits divers à sensation mêlant sexe, violence et sorcellerie. Les affaires de sorcellerie sont ainsi couramment évoquées dans la presse populaire africaine1. Les 1. M.L. Bastian, «“Bloodhounds who have no friends”: witchcraft and locality in the Nigerian popular press», in J. Comaroff, J.L. Comaroff (dir.), Modernity and its Malcontents: Ritual and Power in Postcolonial Africa, Chicago, University of Chicago Press, 1993, p. 129-166; H. Englund, «Witchcraft and 17 BAT-Voleurs sexe.indd 17 11/09/09 9:28:29 les voleurs de sexe journaux occidentaux sont prompts à relater des événements qui ne confirment que trop facilement le cliché d’une Afrique crédule et engluée dans des superstitions exotiques. À rebours de ces facilités journalistiques, cet ouvrage aimerait néanmoins convaincre que la rumeur des vols de sexe est bien plus qu’un sujet risible et mérite d’être prise au sérieux. Il s’agit de convertir une rumeur qui frappe d’abord l’esprit par son côté insolite en un fait social digne d’intérêt. On court pourtant le risque, dès qu’on parle de la sorcellerie en Afrique, de se laisser séduire par un sensationnalisme qui vise davantage à ensorceler le lecteur qu’à éclairer les faits. Nombre d’auteurs ont bien montré comment l’importance accordée aux thèmes de la sorcellerie et de la magie dans la littérature africaniste a contribué à donner du continent une image d’altérité exotique1. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à l’occasion d’une table ronde consacrée aux rapports entre «Sorcellerie, État et société dans l’Afrique contemporaine» lors du congrès annuel de l’African Studies Association en 1997, l’un des participants, l’historien et sociologue camerounais Achille Mbembe, a proposé un moratoire sur les recherches concernant la sorcellerie ou la magie, mentionnant tout particulièrement le vol de sexe2. S’interdire de parler de sujets qui, après tout, font aussi partie du quotidien africain représenterait pourtant à mon sens un renoncement scientifique fâcheux. L’enjeu du présent ouvrage consiste donc à s’intéresser à l’affaire des vols de sexe non pour «exotiser» encore un peu plus l’Afrique, mais au contraire pour la «désexotiser». En mettant en lumière les préoccupations tout à fait ordinaires sur lesquelles se fonde la rumeur, the limits of mass mediation in Malawi», Journal of the Royal Anthropological Institute, 13-2, 2007, p. 295-311. 1. P. Pels, «The magic of Africa: reflections on a Western commonplace», African Studies Review, 41-3, 1998, p. 193-209. 2. L’affaire est rapportée par G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 84; D. Ciekawy, P. Geschiere (dir.), «Containing witchcraft: conflicting scenarios in postcolonial Africa», African Studies Review, 41-3, 1998, p. 1-14, ici p. 2. 18 BAT-Voleurs sexe.indd 18 11/09/09 9:28:29 alerte aux voleurs de sexe ! il s’agit en effet de montrer la banalité de la sorcellerie, aussi incroyable puisse-t-elle pourtant paraître au premier abord. Si l’on est conscient du biais des médias, les archives de presse associées aux autres données ethnographiques offrent des descriptions suffisamment circonstanciées des événements pour permettre une caractérisation fiable du phénomène. L’analyse peut ainsi exploiter plus d’une centaine de cas individuels de vols de sexe raisonnablement détaillés. Les reportages des journalistes s’attachent à recueillir tant le point de vue des victimes présumées de vol de sexe que celui des accusés victimes de la vindicte populaire: nous avons donc accès aux deux versants de l’affaire. Un traitement statistique élémentaire des données permet alors de faire ressortir les caractéristiques essentielles du phénomène: l’identité des victimes et des présumés coupables, les circonstances des vols de sexe, etc. Cela permet de tester les hypothèses explicatives et – ce n’est pas là un mince avantage – de démentir par les faits les surinterprétations symboliques souvent avancées de manière incontrôlée par les exégètes de la rumeur. En dégageant les constantes et en pointant les exceptions, l’objectivation statistique s’avère ainsi être un outil particulièrement efficace pour traiter un phénomène comme la rumeur qui se présente en séries. L’analyse des données est d’autant plus aisée que les vols de sexe obéissent à un déroulement remarquablement similaire quel que soit le pays touché. Le scénario frappe en effet par sa stabilité, contredisant le lieu commun sur la variabilité intrinsèque des rumeurs dont le contenu se modifierait sans cesse au fur et à mesure de leur diffusion. De ce point de vue, le vol de sexe constitue en quelque sorte une rumeur «solidifiée», au même titre que ces légendes urbaines qui circulent abondamment en Amérique du Nord et en Europe1. 1. Je suis toutefois réticent à employer la terminologie des légendes rbaines, dans la mesure où les folkloristes ont tendance à tirer ces récits vers le u «mythe». Or, pour un anthropologue, le mythe se caractérise par un contexte d’énonciation très normé (récitation ritualisée et généralement prise en charge 19 BAT-Voleurs sexe.indd 19 11/09/09 9:28:30 les voleurs de sexe Tout commence par un contact entre deux inconnus dans un lieu public, le plus souvent un frôlement fortuit ou une banale poignée de main. Celui qui est touché ressent alors comme un choc électrique au niveau du bas-ventre. Ce choc s’accompagne d’une impression de disparition ou bien simplement de rétrécissement des organes génitaux (dans environ deux tiers des cas pour la première contre un tiers des cas pour le second). Il y a en réalité de nombreux glissements ou hésitations entre les deux versions du phénomène, y compris dans les témoignages des victimes. On parle ainsi généralement de «voleurs de sexe», mais aussi parfois de «rétrécisseurs de sexe» (notamment au Sénégal et au Mali) – et parallèlement de «penis snatchers» ou de «penis shrinkers» dans les pays anglophones1. La victime alerte alors les passants alentour et accuse l’autre personne d’avoir fait disparaître ses organes génitaux. Une foule se forme très vite et s’en prend violemment au présumé coupable. Elle le bat pour le faire avouer et lui faire restituer le sexe volé – le traitement de la victime et la punition du coupable coïncidant. À moins d’une intervention de la police (généralement impuissante), le malheureux est lynché, parfois à mort. La victime est bastonnée, lapidée, voire brûlée vive. Pendant quelques jours ou quelques semaines, le scénario se répète: accusations, violences et parfois morts. Vite relayée par les médias, la panique enfle et s’installe. Cela peut quelquefois dégénérer en émeutes et en pillages, encore plus meurtriers que les lynchages. Parmi les épisodes les plus violents rapportés par la presse, on relève ainsi qu’au cours de l’année 2001, les vols de sexe ont fait au par un spécialiste) qui contraste du tout au tout avec celui de la rumeur. Sur les rapports et les différences entre rumeur et légende, cf. P.B. Mullen, «Modern legend and rumor theory», Journal of the Folklore Institute, 9-2/3, 1972, p. 95-109. 1. On parle également – mais beaucoup plus rarement – de «tueurs de sexe», expression qui indique plutôt l’action de rendre impuissant que la disparition pure et simple du membre viril. On trouve aussi les locutions «réducteurs de sexe», «coupeurs de sexe» et même «disparaisseurs de sexe». 20 BAT-Voleurs sexe.indd 20 11/09/09 9:28:30 alerte aux voleurs de sexe ! moins une vingtaine de morts au Nigeria. À l’été 1997, ils ont fait huit victimes et une quarantaine de blessés à Dakar, ainsi qu’une dizaine d’autres blessés graves à Ziguinchor et SaintLouis du Sénégal. Une douzaine de personnes ont été tuées au Ghana en janvier 1997, et le même nombre en janvier 2002. Au Bénin, en novembre-décembre 2001, les incidents ont fait six victimes en quelques jours. Néanmoins, les violences et la panique retombent souvent assez rapidement, notamment du fait de l’intervention des autorités. Mais la rumeur se déplace alors à un pays voisin pour revenir quelques années plus tard. Comment rendre compte de tels événements qui se répètent localement sur la moitié d’un continent et semblent suivre partout le même scénario? Tout d’abord, il est nécessaire d’adopter une caractérisation positive du phénomène, et, par conséquent, de se déprendre de la conception péjorative qui surdétermine le regard savant sur les rumeurs et les foules au moins depuis Gustave Le Bon et sa Psychologie des foules 1. La rumeur comme maladie contagieuse du corps social, la régression mentale de la foule hystérique et superstitieuse, la violence collective spasmodique et irrationnelle sont des modes d’interprétation bien trop simplistes pour rendre compte de phénomènes sociaux autrement complexes. La foule excitée par la rumeur traduit autre chose qu’un retour de la barbarie primitive. Nés des préjugés de classe des élites européennes du xixe siècle hantées par les foules révolutionnaires et l’émergence du mouvement ouvrier, ces lieux communs se retrouvent pourtant dans nombre des travaux ultérieurs sur les rumeurs2. Ainsi, lorsque la psychologie sociale américaine se penche sur les rumeurs, au tournant de 1. G. Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 1895. 2. Sur l’histoire de la psychologie des foules, cf. S. Barrows, Miroirs défo mants. Réflexions sur la foule en France à la fin du xix e siècle, Paris, Aubier, 1990; C. McPhail, The Myth of the Madding Crowd, New York, De Gruyter, 1998. 21 BAT-Voleurs sexe.indd 21 11/09/09 9:28:30 les voleurs de sexe la Seconde Guerre mondiale, c’est encore pour les réduire à un effet de la crédulité: elles sont forcément fausses et irrationnelles1. Ces études ont tendance à identifier sans autre précaution rumeur, information non officielle et information fausse. Le fait qu’une information soit officielle ne signifie pas pour autant qu’elle soit vraie – l’exemple de la propagande en témoigne. Inversement, une rumeur peut fort bien être avérée. En définitive, qu’elle soit vraie ou fausse, une rumeur se diffuse de toute façon de la même manière: dans la mesure où elle a été transmise par quelqu’un de confiance, on y prête habituellement crédit sans chercher trop scrupuleusement à la vérifier soi-même. La fausseté n’est donc pas un aspect consubstantiel de la rumeur. Ce n’est pourtant pas un hasard si les premières études scientifiques défendent une conception négative de la rumeur: entreprises sous l’impulsion du gouvernement américain, elles relèvent directement de l’effort de guerre. Les «fausses nouvelles» risquent en effet d’affaiblir le moral des civils en temps de guerre. Les autorités cherchent donc à contrôler l’information. Une affiche américaine datant de la Seconde Guerre mondiale montre ainsi l’Oncle Sam mettant en garde l’index sur les lèvres: «Think before you talk!» Dans ce contexte, les chercheurs initient alors des «cliniques des rumeurs» (rumor clinics) afin de guérir le corps social. Et dans l’Amérique des années 1960 déstabilisée par les violences interraciales, ces «centres de contrôle des rumeurs» (rumor control centers) font toujours partie des instruments officiels de maintien de l’ordre. Pour toute cette tradition de recherche, si une fausse rumeur peut se répandre si facilement et si rapidement dans l’opinion, c’est parce qu’elle est une affection qui contamine dangereusement les esprits. La rumeur ne serait rien d’autre qu’une pathologie de la communication. Mais ce vocabulaire pathologique se 1. R.H. Knapp, «A psychology of rumor», The Public Opinion Quarterly, 8-1, 1944, p. 22-37; G.W. Allport, L. Postman, The Psychology of Rumor, New York, Henry Holt, 1947. 22 BAT-Voleurs sexe.indd 22 11/09/09 9:28:31 alerte aux voleurs de sexe ! retrouve encore abondamment dans des travaux plus contemporains sur les rumeurs. L’étude classique d’Edgar Morin sur une rumeur antisémite d’enlèvements de jeunes filles dans des commerces de prêt-à-porter ayant frappé Orléans à la fin des années 1960 représente un bon exemple de cette tendance: épidémie, incubation, contagion, gangrène, métastase, anticorps, infection sont en effet les maîtres mots de cette «sociologie clinique» de la rumeur1. Exemple caricatural de conversion du paradigme pathologique en classification pseudo-savante, une sociologue va même jusqu’à classer les rumeurs comme schizoïdes, paranoïdes, phobiques, perverses ou hystériques2. Crédulité irrationnelle engendrant des troubles à l’ordre public, la rumeur est ainsi perçue comme une maladie contagieuse de l’opinion que la raison saine des chercheurs devrait avant tout chercher à démystifier. Cette posture surplombante, et à vrai dire passablement méprisante, surdétermine une large part des études «scientifiques» sur la rumeur: la dénonciation morale se substitue alors à la description objective. Si l’on veut pouvoir prendre au sérieux les rumeurs, il faut pourtant se défaire une fois pour toutes de ces prénotions péjoratives et s’écarter du paradigme pathologique, cette véritable crampe mentale3. Il faut accepter de suspendre nos jugements de vérité et de valeur, afin d’envisager la rumeur autrement que sous cet angle négatif. La rumeur n’est pas une pathologie sociale, mais témoigne d’un fonctionnement parfaitement normal de la communication humaine: aucun facteur morbide ne saurait par conséquent expliquer son apparition et sa diffusion. Concernant le cas qui nous intéresse ici, il faut donc partir du principe que la rumeur des vols de sexe est un «fait social normal» défini par certaines régularités positives. 1. E. Morin, La Rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1969. 2. F. Reumaux, Toute la ville en parle. Esquisse d’une théorie des rumeurs, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 16-26. 3. P. Aldrin, Sociologie politique des rumeurs, Paris, PUF, 2005, p. 8. 23 BAT-Voleurs sexe.indd 23 11/09/09 9:28:31 les voleurs de sexe Les représentations liées à la sorcellerie, auxquelles les histoires de vol de sexe ressemblent beaucoup, sont d’ailleurs omniprésentes sur le continent africain et doivent par conséquent être tenues pour «normales». Et même le lynchage, qui sert souvent de représailles contre les présumés voleurs de sexe, constitue un registre populaire d’action collective largement répandu en Afrique subsaharienne. Le vol de sexe repose en définitive sur des modes de communication et d’action tout à fait normaux – ce qui, bien entendu, n’enlève rien à leur caractère moralement condamnable. Et pourtant, le paradigme psychopathologique a fourni une grille de lecture toute prête à l’analyse des vols de sexe en Afrique. Dans la littérature psychiatrique et psychologique notamment, la rumeur des vols de sexe est en effet élevée au rang de trouble psychopathologique1. La croyance dans les vols de sexe est souvent rapprochée du koro, un autre «syndrome lié à la culture» (culture-bound syndrome) répandu en Asie et répertorié en annexe du DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), le manuel de référence des troubles psychiatriques2. Ce «syndrome de rétraction génitale» désigne une sensation de rétraction du pénis dans l’abdomen associée à une intense angoisse de mort. Il a donné lieu à une abondante littérature en psychiatrie transculturelle3. Le terme koro est d’origine malaise et signifierait 1. S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria», art. cit.; id., «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent epidemic of a koro-like syndrome», art. cit.; J.F. Agbu, «From “koro” to GSM “killer calls” scare in Nigeria. A psychological view», art. cit.; V.A. Dzokoto, G. Adams, «Juju, koro, or mass psychogenic illness? A review of genital-shrinking epidemics in West Africa from 1997-2001», art. cit. 2. Un «syndrome lié à la culture» est un trouble ne possédant aucune cause organique identifiée, ne se manifestant qu’au sein d’une société (ou d’un ensemble de sociétés voisines) et semblant par conséquent directement conditionné par les représentations culturelles. Une liste des principaux syndromes liés à la culture est publiée dans l’appendice 1 du DSM-IV. 3. P.M. Yap, «Suk-yeong, or koro – a culture-bound depersonalization sy drome», The Bulletin of the Hong-Kong Chinese Medical Association, 16-1, 24 BAT-Voleurs sexe.indd 24 11/09/09 9:28:31 alerte aux voleurs de sexe ! étymologiquement «rétrécir» ou «tortue» (l’animal servant justement à désigner le pénis en argot). Érigé en syndrome psychiatrique, le koro rassemble une nébuleuse de troubles que l’on retrouve très largement en Asie du Sud, sous différentes variantes. Connu depuis très longtemps en Chine méridionale sous le nom de shook-yang (chinois cantonais) ou suo-yang (mandarin), ce syndrome est censé être la conséquence d’une déperdition du yang, le principe masculin, suite à des pratiques sexuelles anormales (masturbation, fréquentation de prostituées) ou à une dispute conjugale. Sur l’île de Hainan, à l’extrême sud du pays, le shook-yang est plutôt associé à un esprit féminin à l’apparence de renard. En effet, les fantômes des morts sont réputés ne pas avoir de pénis, ce qui les empêche de se réincarner. C’est l’esprit féminin qui se charge de leur en fournir un en volant le pénis des vivants. Des jeunes femmes sont parfois accusées d’être au service de l’esprit-renard et sont alors battues à mort par les villageois. La crainte de cet esprit-renard occasionne épisodiquement des vagues de panique parmi les insulaires. L’une d’entre elles aurait par exemple été déclenchée par le mauvais augure d’un devin local en 1984. En Asie du Sud-Est, le koro donne lieu à de véritables épidémies collectives qui sévissent de manière périodique en Thaïlande, en Indonésie ou encore à Singapour. Souvent liées à des peurs d’empoisonnement de la nourriture, ces paniques de masse peuvent affecter 1964, p. 31-47; W. Jilek, L. Jilek-Aall, «A koro epidemic in Thailand», Transcultural Psychiatry, 14, 1977, p. 57-59; W.S. Tseng et alii, «A socio cultural study of koro epidemics in Guangdong, China», American Journal of Psychiatry, 145, 1988, p. 1538-1543; R.H. Prince, «Koro and the fox spirit on Hainan island (China)», Transcultural Psychiatry, 29, 1992, p. 119-132; R.E. Bartholomew, «The social psychology of “epidemic” koro», International Journal of Social Psychiatry, 40-1, 1994, p. 46-60; id., «The medicalisation of exotic deviance: a sociological perspective on epidemic koro», Transcultural Psychiatry, 35-1, 1998, p. 5-38; A.N. Chowdhury, «The definition and classification of koro», Culture, Medicine and Psychiatry, 20-1, 1996, p. 41-65; C. Buckle et alii, «A conceptual history of koro», Transcultural Psychiatry, 44, 2007, p. 27-43. 25 BAT-Voleurs sexe.indd 25 11/09/09 9:28:31 les voleurs de sexe brusquement des centaines, voire des milliers d’individus. Lors de ces paniques, de nombreux hommes s’accrochent le pénis avec des pinces, des ficelles, des poids et même des épingles pour l’empêcher à tout prix de se rétracter, bien que ces mesures de protection occasionnent des blessures sérieuses et provoquent des hospitalisations massives. Ainsi en 1967, Singapour sombre dans la panique suite à la diffusion d’une rumeur annonçant que la viande de porc a été contaminée par la fièvre porcine ou par un vaccin à base d’hormones femelles. Ce sont alors des Chinois qui sont majoritairement affectés, dans un contexte de fortes tensions entre ces derniers et les Malais. En 1976, des incidents surviennent à la frontière nord-est de la Thaïlande, suite à des rumeurs d’empoisonnement d’aliments ou de tabac de contrebande par des réfugiés vietnamiens. L’Inde n’est pas non plus épargnée: en 1982, Calcutta, le Bengale occidental et l’Assam s’enflamment à leur tour, dans un climat de tensions entre Indiens et réfugiés bangladeshi. Koro et syndrome du vol de sexe seraient ainsi des troubles pathologiques de l’image du corps (body dysmorphic disorder) ou encore des crises de panique associées à une angoisse de castration. Le fait que, contrairement aux cas isolés d’angoisse pathologique de castration chez des patients psychotiques occidentaux, koro et vol de sexe donnent lieu à des «épidémies» collectives conduit en outre les auteurs à les qualifier d’hystérie collective, de mass delusion ou encore de mass psychogenic illness, c’est-à-dire à réactiver la vieille idée d’une folie collective contagieuse. Il est pourtant notable que koro et vol de sexe ne sauraient désigner un trouble psychopathologique unique, les différences l’emportant sur les ressemblances: rétraction du sexe en Asie versus disparition en Afrique; angoisse de mort très présente en Asie mais peu en Afrique; empoisonnement en Asie versus vol par un tiers en Afrique; mesures physiques de protection en Asie versus vengeance violente contre le présumé coupable 26 BAT-Voleurs sexe.indd 26 11/09/09 9:28:32 alerte aux voleurs de sexe ! en Afrique. Mais surtout, si comme le reconnaît parfois la psychiatrie transculturelle, koro et vol de sexe surviennent chez des patients «normaux» et prennent leur source dans des représentations culturellement partagées (différentes en Asie et en Afrique), pourquoi parler encore de psycho pathologie? Il est ainsi patent que les épisodes de panique en Asie du Sud-Est mobilisent des représentations collectives élaborées concernant l’alimentation, l’identité sexuelle et les rapports intercommunautaires. La psychiatrie voudrait isoler un trouble pathologique, mais se retrouve avec des faits sociaux et des modalités de transmission collective dont elle est bien impuissante à rendre compte1. Cet ouvrage se veut ainsi une démonstration, à partir de l’étude d’un phénomène singulier, de l’utilité irremplaçable des sciences humaines et sociales – tout particulièrement de l’anthropologie sociale et culturelle – pour rendre intelligibles des faits qui, tel une rumeur extravagante ou un lynchage sauvage, semblent pourtant au premier abord devoir échapper à toute objectivation rationnelle. Le paradigme de l’«épidémiologie des représentations» élaboré par Dan Sperber peut servir de cadre de départ pour analyser la diffusion des vols de sexe, tout en évitant l’écueil de l’approche pathologique du phénomène2. Certes, ce paradigme s’inspire encore directement du vocabulaire médical. L’épidémiologie dépasse toutefois l’étude des seules pathologies infectieuses: on peut en effet faire une épidémiologie du diabète (qui n’est pas infectieux) ou même de la calvitie (qui n’est pas pathologique). Débarrassée de toute connotation pathologique, l’épidémiologie lato sensu consiste à décrire 1. Dans leur second article consacré aux vols de sexe, les psychologues Glenn Adams et Vivian Dzokoto («Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit.) s’engagent toutefois sur la bonne voie en interprétant le phénomène en termes non pas de trouble pathologique mais de «construction culturelle de la réalité». 2. D. Sperber, La Contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile Jacob, 1996. 27 BAT-Voleurs sexe.indd 27 11/09/09 9:28:32 les voleurs de sexe les dynamiques de distribution spatio-temporelle d’un phénomène au sein d’une population et à identifier les facteurs causaux qui permettent d’expliquer cette distribution. En appliquant ce paradigme aux faits socioculturels, Dan Sperber propose d’étudier comment et pourquoi certaines représentations se diffusent et se stabilisent au sein d’un groupe. Parmi l’ensemble des représentations qui passent par la tête des individus, seule une petite fraction est transmise à autrui, en étant transformée par l’émetteur en «représentations publiques» (paroles, textes, images, etc.), puis réinterprétée par le destinataire. Et seule une sous-fraction d’entre elles est communiquée de façon répétée et se répand largement au sein du groupe: ce sont les représentations proprement «culturelles». Il n’y a donc aucune différence de nature entre représentation individuelle et représentation collective, représentation mentale et représentation culturelle, mais simplement une différence de distribution au sein du groupe dont il s’agit de rendre compte en mettant au jour les facteurs variés qui peuvent l’expliquer. Or, ce paradigme épidémiologique s’applique particulièrement bien à la rumeur, qui se distingue justement par une dynamique spécifique de propagation: une diffusion intense et rapide, notamment par le bouche-à-oreille, puis une disparition tout aussi soudaine. L’étude d’une rumeur singulière nous fournit ainsi l’occasion de mettre à l’épreuve le modèle de l’épidémiologie culturelle qui, dans l’exposé qu’en fait Dan Sperber, a l’inconvénient de rester programmatique. Dan Sperber présente en effet sa théorie de manière abstraite, en se contentant de références allusives à des objets empiriques. Cette absence d’étude de cas détaillée le pousse à une certaine simplification du modèle. Il identifie deux grands types de facteurs explicatifs pour rendre compte du succès culturel d’une représentation: des «facteurs psychologiques» et des «facteurs écologiques». Or, il s’intéresse essentiellement aux premiers au détriment des seconds, ensemble flou qu’il se soucie 28 BAT-Voleurs sexe.indd 28 11/09/09 9:28:32 alerte aux voleurs de sexe ! en fait peu de définir. Certes, en fixant des contraintes sur la mémorisation ou la catégorisation, les capacités universelles de l’esprit humain agissent comme un filtre sur les représentations susceptibles de se répandre. Néanmoins, ces capacités cognitives ne permettent d’expliquer que certaines propriétés très générales des représentations et de leur distribution, mais restent largement insuffisantes pour rendre compte de la propagation d’une représentation singulière au sein d’un groupe donné. Dan Sperber reconnaît toutefois que sa théorie n’est pas orientée vers l’analyse ethnographique, mais se situe à un niveau supérieur de généralité. Cette orientation s’inscrit de manière cohérente dans l’opposition qu’il réaffirme avec une grande constance depuis les années 1970 entre ethnologie (interprétative) et anthropologie (explicative). Cette partition est pourtant largement intenable, tant du point de vue intellectuel qu’institutionnel. Une théorie anthropologique ne peut en effet valoir que si elle permet de rendre compte de manière fine de matériaux ethnographiques précis. Faire une épidémiologie détaillée du vol de sexe, c’est donc essayer de mettre au jour les facteurs variés qui peuvent expliquer le succès de cette rumeur singulière sur une si vaste échelle. Il faut pour cela s’interdire les facilités rhétoriques de l’explication ad hoc qui érige le phénomène à expliquer en cause explicative: c’est parce qu’elle serait intrinsèquement «contagieuse» que la rumeur se répandrait telle une épidémie virale. Mais pourquoi précisément la rumeur des vols de sexe est-elle si «bonne à penser» et «bonne à raconter»? Pourquoi capte-t-elle autant l’attention? D’où tire-t-elle sa saillance cognitive si remarquable? Qu’est-ce qui en fait une histoire si accrocheuse? En partant de l’hypothèse que les épisodes de vol de sexe sont conditionnés par un environnement très spécifique, nous cherchons à dégager les conditions de possibilité qui permettent l’émergence et la stabilisation de la rumeur. Nous nous intéressons à la genèse d’une «croyance apparemment irrationnelle», genèse dont 29 BAT-Voleurs sexe.indd 29 11/09/09 9:28:32 les voleurs de sexe nous verrons qu’elle suppose en réalité des mécanismes parfaitement ordinaires1. Contre une version trop exclusivement mentaliste de l’épidémiologie culturelle, il faut toutefois souligner que la rumeur ne saurait être réduite à une simple représentation désincarnée et décontextualisée: elle n’est pas une pure idée2. Une rumeur, c’est un énoncé en contexte qui implique des événements, des gestes et des affects. Cette conception de la rumeur peut d’ailleurs s’appuyer sur des acceptions historiquement attestées du terme. Renvoyant vraisemblablement à une racine sanskrite signifiant «il crie», la rumeur, c’est en effet la clameur, le bruit sourd et menaçant d’une foule qui manifeste son mécontentement ou une intention de violence. Dans un édit du Parlement de Paris datant de 1274, la rumeur désigne le «haro!» que tout citoyen doit pousser s’il assiste à un crime, de manière à attirer l’attention de la maréchaussée3. La rumeur est ainsi un acte de parole qui doit toujours être envisagé à la fois comme un énoncé et comme une action. Une épidémiologie culturelle ne saurait donc se limiter à une étude de la transmission de représentations conçues comme des items discrets, mais doit réussir à articuler représentation, action et émotion. Le phénomène des vols de sexe suppose en effet des croyances, mais aussi des paniques, des violences et des foules. En ce sens, il s’agit d’un processus social qui se transforme au fur et à mesure de 1. D. Sperber, «Les croyances apparemment irrationnelles», in Le Savoir des anthropologues, Paris, Hermann, 1982, p. 49-85. 2. Les approches «mentalistes» supposent que la culture consiste en un ensemble de représentations stockées dans la tête des individus. Si les chaînes causales de la culture associent représentations mentales et productions publiques, il n’y a pourtant aucune raison de privilégier les premières sur les secondes (ni l’inverse d’ailleurs). Cf. V. Descombes, «L’identification des idées», Revue philosophique de Louvain, 96-1, 1998, p. 86-118; G. Lenclud, «La culture s’attrape-t-elle?», Communications, 66-1, 1998, p. 165-183 (et la réponse de Dan Sperber, p. 185-192). 3. F. Reumaux, «Rumor et opinio», Cahiers internationaux de sociologie, 86, 1989, p. 123-139. 30 BAT-Voleurs sexe.indd 30 11/09/09 9:28:33 alerte aux voleurs de sexe ! son déploiement: les rumeurs transmises de bouche à oreille donnent lieu à des éditoriaux de presse, s’incarnent dans des expériences vécues et conduisent parfois à des gestes irréparables. Nous nous attacherons donc à faire entendre les différentes voix qui font la polyphonie de la rumeur, en suivant la chaîne des transformations et des interprétations par laquelle elle est amenée à passer. Les vols de sexe ne renvoient pas à un énoncé unique invariablement répété, mais désignent une «affaire» complexe: un ensemble circonstancié d’événements, d’actes, d’affects et d’énoncés reliés les uns aux autres par des chaînes de consécution causale. Nous ne maintenons l’usage du terme «rumeur» que comme un expédient commode, faute d’avoir trouvé un vocable plus approprié et en notant bien qu’il ne désigne de toute façon pas une réalité bien définie1. L’une des questions les plus déconcertantes que pose une épidémiologie des vols de sexe est celle de la conjoncture spatio-temporelle de leurs occurrences. Les vols de sexe surviennent en effet de manière épisodique plutôt que continue. Les histoires de vol de sexe se répandent de manière rapide et localisée et procèdent ainsi très nettement par épidémies, par opposition à d’autres formes plus endémiques de sorcellerie. Même au Nigeria, qui constitue le foyer le plus actif de la rumeur depuis le début des années 1970, les vols de sexe donnent lieu à de brusques flambées qui retombent assez rapidement. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que, malgré ses défauts, nous avons choisi de conserver le terme «rumeur» pour qualifier le vol de sexe, plutôt par exemple que celui de «croyance» qui suppose davantage une présence persistante de la représentation au sein du groupe. Le vol de sexe correspond ainsi parfaitement à ce que les folkloristes anglo-saxons appellent «diving rumor», à savoir une rumeur 1. Pour une critique du pseudo-concept de rumeur, cf. P. Froissart, La Rumeur: histoire et fantasmes, Paris, Belin, 2002. 31 BAT-Voleurs sexe.indd 31 11/09/09 9:28:33 les voleurs de sexe récurrente qui apparaît, disparaît puis réapparaît. Pourquoi alors à tel moment plutôt qu’à tel autre? Pourquoi là et pas ailleurs? Il semble bien qu’une fois présente dans un pays, la rumeur des vols de sexe a tendance à se propager de proche en proche dans les pays voisins. Mais pourquoi est-elle apparue en premier lieu? Pourquoi naît-elle dans les années 1970? Et pourquoi ne se diffuse-t-elle largement sur le continent africain que dans les années 1990? La question des frontières géographiques de la rumeur est également problématique – l’absence d’un phénomène étant peut-être plus difficile encore à expliquer que sa présence. L’Afrique subsaharienne est concernée, mais pas l’Afrique du Nord. On pourrait y voir des raisons macro-culturelles: l’omniprésence de la sorcellerie en Afrique noire (mais aussi, comme on va le voir, sa focalisation sur la sexualité) fait de cette région la niche écologique de la rumeur, ce qui expliquerait la facilité avec laquelle elle s’y répand. Si l’anthropologie se méfie – à juste titre – des généralisations à l’échelle d’un continent et préfère habituellement s’en tenir aux particularismes des cultures locales, le fait que le vol de sexe embrasse, selon un schéma stable, la moitié du continent africain justifie cependant que nous en passions par certaines généralisations, sur la «sorcellerie africaine» par exemple. Mais pourquoi alors seules l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sont-elles touchées à l’exclusion de l’Afrique australe et orientale? On constate certes la présence d’un épisode de vol de sexe au Zimbabwe, pays pourtant à l’écart de l’aire d’extension principale1. Cette exception géographique diffère toutefois du scénario habituel des vols de sexe: il s’agit de la vengeance d’une prostituée contre un client indélicat parti sans payer. Ce cas relève donc plutôt du lien récurrent entre prostitution et sorcellerie plutôt que du vol de sexe stricto sensu. Il est d’ailleurs révélateur que 1. H. Hyena, «Are witches stealing Zimbabwe penises?», Salon.com, 30 novembre 1999. 32 BAT-Voleurs sexe.indd 32 11/09/09 9:28:33 alerte aux voleurs de sexe ! l’incident semble isolé et ne donne pas lieu à une panique collective comme tous les autres cas – plus «épidémiques» – de vol de sexe. Mais il est étrange que les vols de sexe atteignent les deux Congo, sans s’étendre plus au sud et à l’est dans d’autres pays de la zone bantoue, en Angola ou en Zambie, par exemple, d’autant plus que les pays d’Afrique touchés ne forment pas une aire culturelle homogène. Les explications culturalistes classiques sont ici prises en défaut: il est difficile, voire impossible, d’imputer l’existence de la rumeur à la présence d’un trait culturel particulier. La confession religieuse ne constitue pas par exemple un trait discriminant, puisque le vol de sexe concerne aussi bien musulmans, chrétiens et «animistes». Les limites de la rumeur ne semblent pas non plus dépendre du découpage historique des grands ensembles coloniaux, dans la mesure où aussi bien l’Afrique anglophone que francophone sont touchées. En dehors d’une simple lacune dans les données, aucune raison évidente ne saurait finalement expliquer pourquoi tous les États d’Afrique subsaharienne ne sont pas concernés. Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’aire d’extension de la rumeur s’agrandisse encore avec le temps. L’exemple des deux Congo en témoigne: situés aux marges méridionales de cette aire, ces deux pays sont moins fréquemment et plus tardivement touchés que le cœur de la zone. Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, n’aurait ainsi véritablement été touchée que très récemment, en mars-avril 2008, après que la rumeur eut de nouveau frappé le Nigeria en janvier et le Cameroun en février. Les mois suivants (mai-juin 2008), la rumeur traverse le fleuve Congo pour atteindre Brazzaville, la République du Congo n’ayant semble-t-il été marquée jusque-là que par un bref épisode de vols de sexe en 1999. Je dois donc bien reconnaître que je ne saurais apporter de réponse définitive à ces questions difficiles concernant les limites géographiques de la rumeur. Serait-ce parce que la présence temporaire des vols de sexe dans un pays tiendrait 33 BAT-Voleurs sexe.indd 33 11/09/09 9:28:33 les voleurs de sexe en réalité à des circonstances chaque fois singulières – voire contingentes – et que la véritable explication resterait donc hors de portée d’une analyse d’ensemble? Je ne le crois pas. Certes, des circonstances locales facilitent sans aucun doute l’apparition ou la réapparition de la rumeur à tel endroit et à tel moment. Toutefois, la diffusion transnationale de proche en proche ainsi que la stabilité générale du scénario prouvent qu’on ne peut réduire les vols de sexe au seul contexte local, mais qu’il faut rendre compte du phénomène dans toute sa généralité – d’où l’insuffisance des quelques travaux existants qui se focalisent généralement sur un seul épisode. Mais on ne saurait pour autant se situer exclusivement à l’échelle macro de la diffusion d’un pays à un autre: la perspective en surplomb révèle que la distribution spatio-temporelle de la rumeur à l’échelle du continent n’est pas aléatoire, mais elle ne permet pas d’en saisir les processus opératoires. C’est en effet la répétition des mêmes conditions au niveau local qui produit partout les mêmes effets: cela nous oblige donc à descendre jusqu’aux détails des circonstances et des situations dans lesquelles surviennent les vols de sexe. L’analyse doit donc opérer un constant jeu d’échelles afin d’articuler perspectives macro et micro, vue d’ensemble et de détail. Si l’anthropologie ne peut plus – depuis longtemps déjà – se contenter de faire des monographies centrées sur de petites communautés idéalement closes sur elles-mêmes, elle ne doit pas à l’inverse se dissoudre dans des grands récits généralisants en faisant l’impasse sur la description ethnographique des situations locales. L’un des principaux problèmes qui se posent aujourd’hui à la discipline se résume ainsi à une question de jeu d’échelles. Peutêtre plus encore que tout autre fait social, la rumeur nous met alors au défi de «faire de l’ethnographie sur une échelle instable, ni purement locale, ni clairement globale1». Il nous 1. J. Comaroff, J.L. Comaroff, «Occult economies and the violence of abstraction: notes from the South African postcolony», American Ethnologist, 26-2, 1999, p. 279-303, ici p. 282. 34 BAT-Voleurs sexe.indd 34 11/09/09 9:28:33 alerte aux voleurs de sexe ! faut ainsi mettre au jour un schéma récurrent au niveau local qui permette d’expliquer certaines propriétés du phénomène au niveau global. Comme on le voit, faire une anthropologie de la rumeur permet en même temps d’interroger les modèles d’intelligibilité et d’explication que la discipline mobilise pour penser les faits socioculturels. L’hypothèse directrice que je suivrai est la suivante: le phénomène des vols de sexe ne devient véritablement intelligible que si l’on fait ressortir les modalités de la situation interactionnelle singulière sur laquelle il repose et qui expliquent la récurrence temporelle et la diffusion géographique à l’échelle transnationale. Je propose ainsi de replacer les vols de sexe dans le cadre d’une micro-analyse des interactions. Cette approche s’écarte des interprétations symboliques et fonctionnalistes généralement appliquées aux rumeurs. L’approche folkloriste des «légendes urbaines» envisage en effet la rumeur comme un énoncé flottant susceptible d’une interprétation trop souvent faite du point de vue de Sirius. Érigée en mythe relevant de l’inconscient collectif, la rumeur fait alors l’objet d’une psychanalyse collective hasardeuse reposant sur des interprétations fonctionnalistes simplistes (la rumeur comme symptôme d’une angoisse devant la modernité). Pour éviter ces surinterprétations réductrices, mieux vaut donc s’en tenir à une description minutieuse de ce que les gens font et disent. En se focalisant sur des situations concrètes d’interaction et d’énonciation, ce livre propose un essai d’anthropologie pragmatique d’une rumeur. 35 BAT-Voleurs sexe.indd 35 11/09/09 9:28:34 36 BAT-Voleurs sexe.indd 36 11/09/09 9:28:34 tc à changer Sexe, crise et sorcellerie Pourquoi la rumeur se polarise-t-elle sur les organes génitaux? Pourquoi est-ce le sexe qui disparaît? Il semble tout d’abord évident que la virilité est un sujet particulièrement sensible: nul besoin de verser dans la psychanalyse pour reconnaître que l’angoisse de castration qu’évoque la rumeur contribue à faire du vol de sexe une histoire immédiatement saisissante. Il est d’ailleurs révélateur que l’imaginaire du vol de pénis se retrouve également – quoique sous d’autres modalités – dans la sorcellerie européenne à l’époque médiévale1. Les organes sexuels sont en outre un «symbole naturel» particulièrement riche en Afrique subsaharienne, notamment dans le domaine de la sorcellerie2. Cette dernière constitue avant tout une menace pour la reproduction du groupe et se focalise traditionnellement sur la sexualité, la virilité masculine aussi bien que la fécondité féminine. Le sexe représente dans ce contexte le symbole métonymique du potentiel vital, celui de l’individu ou plus largement du groupe. On comprend alors pourquoi le vol de sexe est régulièrement associé au rapt ou au meurtre d’enfants: à travers la jeunesse ou les organes génitaux, c’est la postérité même du groupe qui est menacée. Comme le note un 1. W. Stephens, «Witches who steal penises. Impotence and illusion in Malleus Maleficarum», Journal of Medieval and Early Modern Studies, 28-3, 1998, p. 495-529. 2. M. Douglas, Natural Symbols: Explorations in Cosmology, New York, Pantheon Books, 1970. 37 BAT-Voleurs sexe.indd 37 11/09/09 9:28:34 les voleurs de sexe journal togolais: «Il est un constat que depuis quelques années à l’approche des fêtes de fin d’année naissent des histoires mystérieuses donnant lieu à la justice populaire. L’année dernière, c’était l’histoire de la disparition de sexes et de seins. […] Cette année, c’est le chapitre des tueurs d’enfants qui défraie la chronique1.» Les victimes des vols de sexe sont d’ailleurs la plupart du temps des jeunes hommes (entre 15 et 30 ans), parfois même des enfants (dès 9 ans dans un cas), mais jamais des vieillards. Les présumés voleurs sont quant à eux le plus souvent d’âge supérieur ou sensiblement égal à celui de leurs victimes. Ainsi, c’est la jeunesse masculine qui se sent collectivement menacée par le vol de sexe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est justement lors du défilé de la Fête de la jeunesse à Kribi, au Cameroun, en février 2009, que deux jeunes garçons se voient dépossédés de leur pénis2. Les élèves de l’établissement où sont scolarisées les victimes décident alors de faire le siège de la gendarmerie où les suspects sont en garde à vue, pour «réclamer le sexe de leurs camarades». Le vol de sexe ressemble à d’autres genres de sorcellerie attestés sur le continent africain, avec lesquels il partage cette focalisation sur les organes sexuels. Il est par exemple rapproché des «crimes rituels», également appelés sorcellerie des «pièces détachées» en Afrique centrale3. Des meurtres sont perpétrés puis les organes génitaux, mais aussi les seins, 1. «Meurtrière rumeur sur Lomé», Le Regard, 28 novembre 2006. 2. T. Viga, «Kribi: disparition de sexes en cascade», Mutations, 18 février 2009. 3. Utilisée dans toute l’Afrique francophone, l’expression «crime rituel» est empruntée à l’imaginaire de l’antisémitisme européen. Les accusations de crimes rituels contre les juifs sont un topos de l’Europe chrétienne depuis le xiie siècle (affaire Guillaume de Norwich en 1144 en Angleterre). La légende veut que les juifs assassinent des enfants chrétiens pour utiliser leur sang à des fins curatives ou encore pour confectionner les pains azymes lors de la fête de Pessah (Pâque juive). Cf. A. Dundes (dir.), The Blood Libel Legend: A Casebook in Anti-Semitic Folklore, Madison, University of Wisconsin Press, 1992. Il est probable que la transposition de l’expression à la sorcellerie africaine soit le fait de missionnaires européens. 38 BAT-Voleurs sexe.indd 38 11/09/09 9:28:34 sexe, crise et sorcellerie la langue ou les lèvres des victimes (qui sont souvent des enfants) sont prélevés afin de fabriquer des fétiches destinés à enrichir leur propriétaire ou à remporter des élections1. Ces fétiches permettraient la conversion directe du potentiel vital en richesse matérielle ou en pouvoir politique. Ce dernier mobile explique pourquoi les crimes rituels sont réputés survenir avant tout en période électorale, période pendant laquelle les mères surveillent de manière inquiète leurs enfants. Désabusés, de nombreux Gabonais constatent que ces crimes ont pris des proportions encore plus inquiétantes depuis que le multipartisme, instauré en 1990 dans le pays, a exacerbé la concurrence politique2. Certes, ces histoires de crimes rituels appartiennent souvent à l’imaginaire fantasmatique des légendes urbaines: ainsi ces rumeurs récurrentes au Gabon qui racontent que le coffre d’une voiture dotée d’une plaque d’immatriculation officielle a été trouvé rempli de clitoris, que lors du déchargement du train en gare d’OwendoLibreville, une glacière destinée à une personnalité politique en vue s’est renversée et a révélé un plein contenu de sexes masculins, qu’une luxueuse voiture noire aux vitres fumées rôde aux abords des lycées et embarque des jeunes filles que l’on retrouve mortes quelque temps après, ou encore qu’un 1. Sur les «crimes rituels» en Afrique, cf. par exemple J. Evans, «On brûle bien les sorcières: les meurtres muti et leur répression», Politique africaine, 48, 1992, p. 47-57; L. White, «The traffic in heads. Bodies, borders and the artic�ulation of regional histories», Journal of Southern African Studies, 23-2, 1997, p. 325-338; B. Weiss, «Electric vampires: Haya rumours of the commodified body», in A. Strathern, M. Lambek (dir.), Bodies and Persons: Comparative Perspectives from Africa and Melanesia, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 172-194; J. Comaroff, J.L. Comaroff, «Occult economies and the violence of abstraction: notes from the South African postcolony», art. cit.; C. Burke, «They cut Segametsi into parts: ritual murder, youth, and the politics of knowledge in Botswana», Anthropological Quarterly, 73-4, 2000, p. 204-214; A. Masquelier, «Of headhunters and cannibals: migrancy, labor and consumption in the Mawri imagination», Cultural Anthropology, 15-1, 2000, p. 84-126. 2. B. Minko Mve, Manifeste contre les crimes rituels au Gabon, Paris, L’Harmattan, 2008. 39 BAT-Voleurs sexe.indd 39 11/09/09 9:28:34 les voleurs de sexe certain hôpital financé par un notable de la place est en réalité un mouroir où viennent impunément s’approvisionner les sorciers. Les crimes rituels ne sont toutefois pas toujours de simples fantasmes imaginaires. Exemple de sinistre mémoire au Gabon, l’affaire Mba Ntem repose vraisemblablement sur des faits réels qui ont donné lieu à une enquête policière et un procès retentissant. Son principal protagoniste, Mba Ntem, était un nganga (guérisseur) appartenant à une obscure communauté initiatique fondée par un Équato-Guinéen et appelée Mvoé Ening, terme qui – macabre ironie! – signifie «La vie tranquille» en fang. En 1988 à Owendo près de Libreville, Mba Ntem aurait assassiné plusieurs personnes, puis prélevé leurs «parties essentielles» pour les manger avec ses acolytes, tout en réservant les organes génitaux qui, selon les dires mêmes du meurtrier, sont «envoyés aussitôt à notre “pape” Essono Mba Filomeno alias Assili Nssang Mvoe qui vit en Guinée Équatoriale», sans doute pour confectionner des fétiches1. Une fois arrêté, Mba Ntem fait des aveux circonstanciés et des pièces à conviction sont même produites. Mais c’est la publication de photos de cadavres mutilés dans Le Livre blanc des droits humains au Gabon qui atteste irrévocablement la sinistre réalité de ces crimes, même s’il est difficile de juger de leur caractère «rituel» ou non2. Au Gabon, le fait est en tout cas jugé suffisamment sérieux pour que des marches de protestation populaire soient organisées et qu’une «association de lutte contre les crimes rituels» voie le jour. À Libreville, en 2005 et en 2007, deux conférences sous l’égide de l’Unesco se sont même tenues sur les «crimes rituels en Afrique». Comme l’a bien montré l’historienne Florence Bernault dans le cas du Gabon et du Congo, si une telle utilisation 1. Cité in A. Mary, Le Défi du syncrétisme. Le travail symbolique de la religion d’eboga (Gabon), Paris, EHESS, 1999, p. 264. 2. Le Livre blanc des droits humains au Gabon, Libreville, Publications de la République gabonaise, 2004, p. 59-70. 40 BAT-Voleurs sexe.indd 40 11/09/09 9:28:35 sexe, crise et sorcellerie sorcellaire du corps et de ses fragments possède indubitablement des racines précoloniales, cette fétichisation des corps s’est trouvée renforcée à l’époque coloniale1. L’interdiction et la criminalisation du prélèvement des ossements, traditionnellement utilisés pour constituer les reliquaires d’ancêtres, associées à l’obligation d’inhumation dans des cimetières publics, a en effet paradoxalement encouragé l’utilisation clandestine de cadavres hors des limites du lignage. Les décès dans les hôpitaux, les autopsies médico-légales ou encore la conservation des cadavres à la morgue ont en outre dépossédé les populations locales du contrôle traditionnel des pratiques funéraires pourtant essentielles à la reproduction sociale. Ces bouleversements coloniaux dans la gestion de la mort ont ainsi suscité de nouvelles inquiétudes concernant la captation du corps du défunt par des inconnus, inquiétudes qui s’expriment dans de macabres histoires de crimes rituels, de pièces détachées ou de vols d’organes2. Dans ce contexte, le vol de sexe apparaît comme une forme de sorcellerie somme toute assez familière en Afrique subsaharienne – ce qui explique sa localisation exclusive sur cette partie du continent. Vols de sexe et crimes rituels ne sont toutefois pas de simples équivalents. En effet, les motivations des voleurs de sexe sont rarement identifiées à celles des meurtres rituels. Il est évident pour tout le monde que ces derniers servent à confectionner des fétiches de richesse ou de pouvoir. En revanche, de l’avis général, le voleur de sexe ne semble pas faire un usage magique du sexe volé: personne ne soutient par exemple que le voleur déposséderait la victime de sa puissance sexuelle pour accroître la sienne. Comme le fait 1. F. Bernault, «Body, power and sacrifice in Equatorial Africa», Journal of African History, 47-2, 2006, p. 207-239. 2. Mais, inversement, les colons s’inquiétèrent eux aussi du traitement post-mortem de leur dépouille: d’où les rumeurs angoissées de cannibalisme, mais aussi de profanations de tombes européennes et d’utilisation des restes humains dans des fétiches (ce fut d’ailleurs l’une des raisons de la séparation des cimetières des Européens et des Africains). 41 BAT-Voleurs sexe.indd 41 11/09/09 9:28:35 les voleurs de sexe spontanément remarquer un homme que l’on accuse d’avoir volé le pénis d’un individu: «J’en ai déjà un, que voulez-vous que je fasse du sien1?» Dans un cas, au Ghana, on suggère que les pénis volés serviraient également à fabriquer des money juju, des fétiches qui «vomissent» de l’argent – interprétation clairement calquée sur le modèle des crimes rituels. Dans un seul autre cas, au Cameroun, un témoignage avance de même que «des individus à la solde de très grands pratiquants basés au Nigeria écument les contrées pour arracher mystiquement le sexe des gens après leur avoir serré la main ou tout simplement frôlé. “On dit que dès que votre sexe disparaît, il paraît qu’il émet de l’argent chez le grand maître chaque fois qu’il urine là-bas”2». Mais de manière surprenante, les tenants et les aboutissants des disparitions d’organes génitaux suscitent la plupart du temps des interrogations perplexes, alors qu’il serait pourtant facile de reprendre les interprétations sorcellaires déjà existantes. Crime rituel et vol de sexe sont ainsi envisagés par les acteurs eux-mêmes comme des formes de sorcellerie distinctes: le crime rituel implique une émasculation concrète à l’aide d’un outil tranchant, le vol de sexe une disparition magique des organes génitaux; le premier suppose la mort de la victime, mais pas le second; l’un a un mobile bien identifié, mais pas l’autre. L’extension géographique des crimes rituels en Afrique dépasse en outre largement celle des vols de sexe, puisque la plupart des pays d’Afrique australe et orientale sont également concernés. Il n’en reste pas moins qu’à travers les vols de sexe, c’est bien la vitalité des individus qui est menacée et, par-delà, celle de la communauté tout entière. Ce passage constant de l’individuel au collectif, que l’on retrouvera dans les éditoriaux de presse, explique l’inten sité de la mobilisation collective autour des vols de sexe et 1. «Nigeria: un client de moto-taxi accusé de vol de… pénis», AFP (Lagos), 31 janvier 2008. 2. J. Kaldaoussa, «Trois voleurs de sexe tués dans le Mayo-Tsanaga», Le Messager, 11 juin 2009. 42 BAT-Voleurs sexe.indd 42 11/09/09 9:28:35 sexe, crise et sorcellerie la solidarité si violente et immédiate de la foule qui réagit comme si elle se sentait elle-même émasculée. Mais ce n’est pas seulement le potentiel vital qui est atteint à travers le vol de sexe, c’est également la virilité en tant que support de l’identité masculine. Contrairement aux crimes rituels qui frappent aussi bien les femmes que les hommes, les victimes de vols de sexe sont en effet majoritairement des hommes (92 % des 180 cas où le sexe de la victime est précisé). Certes, on dénombre tout de même quelques victimes féminines (14 cas répertoriés). Ainsi, en juin 2006 à Parakou au Bénin, une jeune fille devant passer son baccalauréat ce mois-là accuse deux vieilles commerçantes yoruba de lui avoir volé son sexe sur le marché après qu’elle les eut saluées. Son sexe lui est finalement restitué, mais «tout vieux». Dans la même ville à la même période, une femme accuse un instituteur de lui avoir volé son sexe après l’avoir abordée pour lui demander un renseignement1. Les témoignages donnent cependant assez peu de détails sur ces étranges disparitions de sexes féminins. Les seins semblent autant touchés que les organes génitaux: on parle de seins qui disparaissent ou rentrent dans la poitrine de la victime, sur le modèle du vol ou du rétrécissement du pénis. En raison de sa proéminence, la poitrine féminine représente un meilleur équivalent du pénis que le vagin, les lèvres ou même le clitoris. Il est pourtant également fait allusion à un cas de vol du clitoris, mais aussi à un vagin «scellé» et à un autre «refermé» par le sorcier, ces deux derniers incidents s’écartant quelque peu du scénario typique du «vol d’organe». Lorsque la sorcellerie vise les femmes, elle affecte généralement leur capacité reproductrice – la fécondité étant une dimension essentielle de l’identité féminine en Afrique subsaharienne. Le sorcier qui «bouffe» les enfants dans le ventre de leur mère est certainement l’une des images 1. V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», Le Matin (Cotonou), 16 juin 2006. 43 BAT-Voleurs sexe.indd 43 11/09/09 9:28:35 les voleurs de sexe les plus marquantes de ce type de sorcellerie que l’on retrouve très largement en Afrique. Dans les quelques cas de vols de sexes féminins, on ne peut savoir si ce qui est visé est la fécondité (la capacité à enfanter), ou plutôt la sexualité (la capacité à avoir des rapports sexuels) ou les caractères sexuels distinctifs du corps féminin. Dans les cas de vols de sexe masculin, beaucoup plus nombreux mais aussi souvent plus détaillés, il est en revanche certain que c’est moins l’appareil reproducteur que le membre viril qui est visé à travers le pénis. Les victimes évoquent tantôt la disparition ou le rétrécissement de leur pénis, tantôt leur incapacité soudaine à avoir une érection. Cette image du sorcier qui rend les hommes impuissants en «tuant» leur sexe est d’ailleurs largement répandue en Afrique. L’impuissance sexuelle autant que l’émasculation est ici en jeu. La stérilité n’est en revanche jamais évoquée (celle-ci étant habituellement pensée comme exclusivement féminine). Le vol de sexe menace donc d’abord et avant tout la virilité au fondement de l’identité masculine. De nombreux auteurs ont souligné le lien dans l’Afrique contemporaine entre masculinité, virilité et vigueur sexuelle, et les inquiétudes que cela suscite inévitablement1. Comme le note Achille Mbembe, «la postcolonie est un monde de virilité angoissée2». En témoigne d’ailleurs l’immense succès de ces innombrables aphrodisiaques et autres médications censées guérir l’impuissance qui sont vendus partout en Afrique sur les marchés ou par des commerçants ambulants. Joseph Tonda parle quant à lui des «corps-sexe» pour évoquer cette sexualisation inquiète des corps en Afrique centrale, que l’on retrouve aussi bien dans les techniques de 1. T.K. Biaya, «Les paradoxes de la masculinité africaine. Une histoire de violences, d’immigration et de crises», Canadian Folklore Canadien, 19-1, 1997, p. 89-112; id., «Les plaisirs de la ville: masculinité, sexualité et féminité à Dakar (1997-2000)», African Studies Review, 44-2, 2001, p. 71-85. 2. A. Mbembe, «Provisional notes on the postcolony», Africa, 62-1, 1992, p. 3-37, ici p. 9. 44 BAT-Voleurs sexe.indd 44 11/09/09 9:28:35 sexe, crise et sorcellerie séduction des jeunes urbains que dans les magies amoureuses ou les histoires de sorcellerie sexuelle1. Et pour l’écrivain zaïrois Vincent Lombume Kalimasi, «le membre viril est toujours en érection et pourtant nous sommes tous des eunuques2». Dans son film Quartier Mozart (1992), le réalisateur camerounais Jean-Pierre Bekolo évoque justement cette obsession de la virilité sur fond de disparition des sexes. Dans un quartier populaire de Yaoundé, une fillette trop curieuse est transformée en jeune homme par une sorcière. Montype – c’est son nouveau nom – doit alors prouver sa masculinité aux autres hommes du quartier. Afin de s’affirmer comme un «chaud gars», il lui faut notamment parvenir à «gérer» Samedi (c’est-à-dire avoir des rapports sexuels avec elle), une jeune fille qui repoussait jusque-là les avances des hommes. Mais Montype vit sa nouvelle identité de manière angoissée et ment sur ses exploits sexuels, tandis qu’un voleur de pénis sévit justement dans le quartier et que les commères du voisinage passent leur temps à se moquer des prétentions viriles des hommes. Le vol de sexe doit en définitive être replacé dans le champ des rapports entre les sexes. La rumeur évoque non pas tellement une crise générale de la masculinité, mais plutôt une certaine forme de précarité: le risque de ne plus pouvoir s’affirmer comme des hommes face aux femmes en exhibant un membre viril capable d’érection. Le témoignage de cet homme qui prétend que l’on vient de lui voler son pénis est éloquent: «La victime, larmes aux yeux, ne cessait de clamer: “Que va dire ma femme!”3» Les commentaires des journalistes – qui sont pour la plupart des hommes – vont 1. J. Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, chapitre 5. 2. Cité in F. De Boeck, M.-F. Plissart, Kinshasa. Récits de la ville invisible, Bruxelles, La Renaissance du livre, 2005, p. 250. 3. «Un homme perd son organe génital au marché central de Kinshasa», La Tempête des Tropiques, 28 mars 2008. 45 BAT-Voleurs sexe.indd 45 11/09/09 9:28:36 les voleurs de sexe souvent dans le même sens. Un journaliste congolais affirme ainsi: «L’homme se retrouve du coup comme un tigre en papier pour avoir ainsi perdu l’instrument de sa “supériorité” devant la femme1.» L’un de ses compatriotes renchérit: «Les femmes, friandes d’affection et de caresses masculines, se sentaient indirectement concernées, menacées dans leurs rapports avec les hommes, et complètement désemparées à l’idée de cohabiter désormais avec des hommes dépourvus de leur instrument de puissance masculine, le sceptre de leur autorité maritale et conjugale, donc des monstres2.» Sur un ton plus sexiste encore, un journaliste soudanais écrit quant à lui: «Nos femmes occupent maintenant des positions dominantes dans les services publics et l’Université. Les Soudanais devraient fonder une Association pour la défense des droits de l’homme soudanais. Tout ce qui reste de notre masculinité est notre virilité, et maintenant quelqu’un cherche à nous la dérober3.» Ce lien entre vol de sexe et menace sur la virilité en amène certains à faire de la rumeur l’expression directe d’une crise de la domination masculine. L’autonomie grandissante des femmes africaines remettrait en cause le pouvoir masculin et engendrerait une angoisse de castration qui se traduirait directement dans les rumeurs paniques de vol de sexe: «Avec la démocratisation de la société, on assiste à la naissance d’une parole des femmes autonome. Dès qu’une femme parle, l’angoisse de l’homme naît. Il craint pour son sexe4.» On sait en effet que l’aisance financière et la mobilité des femmes commerçantes leur confèrent souvent une autonomie qui remet 1. M. Manduakila, «Sexes emportés ou atrophiés, parlons-en!», Forum des As, 23 avril 2008. 2. «Vague de rumeurs d’émasculation à Kinshasa: l’inspecteur provincial de la police Oleko rassure: “fausse alerte!”», Le Phare, 22 avril 2008. 3. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises di appear», art. cit. 4. Y. Jaffré cité in J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur sorcière», art. cit., p. 204. 46 BAT-Voleurs sexe.indd 46 11/09/09 9:28:36 sexe, crise et sorcellerie en cause le modèle patriarcal et est parfois vécue comme une menace directe par leur mari. Le meilleur exemple de ces commerçantes émancipées est celui des Nana Benz ou Mama Benz du golfe du Bénin, surnommées ainsi parce qu’elles peuvent se payer le luxe de rouler dans de grosses voitures Mercedes Benz. Un proverbe yoruba affirmant qu’«au marché, la femme menace son mari avec un coutelas» évoque d’ailleurs très clairement l’angoisse de castration liée à ce lieu contrôlé par des femmes matériellement affranchies des hommes1. Les sorcières yoruba sont même réputées pouvoir «emprunter» le pénis d’un homme afin d’avoir des rapports sexuels avec son épouse ou une autre femme qui deviendra alors stérile. Elles restituent ensuite le pénis volé à son propriétaire qui risque toutefois de rester impuissant2. Malgré cela, il ne semble pas que l’émergence de la rumeur des vols de sexe soit directement liée à la menace que ferait peser l’émancipation des femmes sur la domination masculine. Cette rumeur particulière n’est pas l’expression d’une hypothétique «guerre des sexes» mettant en scène de redoutables femmes castratrices. Les épouses paraissent au contraire elles-mêmes très affectées par la disparition du sexe de leur mari: «C’est ainsi qu’une d’elles pleurait à chaudes larmes, renchérissant les cris de détresse de son mari qui implorait son prétendu voleur de sexe de lui rendre son organe devant une foule de badauds mi-ahuris mi-amusés3.» Mais c’est surtout la structure des accusations qui contredit cette interprétation de la rumeur. Si les victimes sont essentiellement masculines, les voleurs présumés sont eux aussi beaucoup plus souvent des hommes que des femmes (92 % des 136 cas où le sexe du voleur est précisé). La répartition sexuelle 1. A. Apter, «Atinga revisited: Yoruba witchcraft and the cocoa eco omy, 1950-1951», in J. Comaroff, J.L. Comaroff (dir.), Modernity and its Malcontents, op. cit., p. 111-128, ici p. 118. 2. R.H. Prince, «The Yoruba image of the witch», Journal of Mental Science, 107-449, 1961, p. 795-805, ici p. 798. 3. B. Ngbanzo, «Favorisés par la radio-trottoir de Kinshasa: les voleurs de sexe ratissent large», L’Avenir, 22 avril 2008. 47 BAT-Voleurs sexe.indd 47 11/09/09 9:28:36 les voleurs de sexe des accusations est donc bien définie1: 90 % du total des accusations sont le fait d’un homme envers un autre homme, pour seulement 6 % envers une femme. Et concernant les quelques cas d’accusations féminines, on compte 5 accusations d’un homme par une femme, et une seule d’une femme par une autre femme. Les hommes s’accusent donc entre eux dans 94 % des cas. Or, si la crise de la domination masculine était la bonne explication, les accusations des hommes devraient être bien davantage dirigées contre des femmes. Dans le même registre, certains mettent en relation l’émergence des vols de sexe et la crise de la sexualité due à l’épidémie de sida. Une pièce de théâtre du Tchadien Nocky Djedanoum intitulée Le Sextirpateur reprend par exemple la rumeur des vols de sexe pour en faire une parabole de la maladie: «Et si le voleur de sexe n’était autre que le virus du sida?» On sait pourtant qu’en Afrique subsaharienne, l’épidémie de sida repose encore plus majoritairement qu’ailleurs sur des contaminations hétérosexuelles. Si cette explication de la rumeur était adéquate, on devrait là encore observer davantage d’accusations de femmes par des hommes. On ne peut pas, en définitive, soutenir que les vols de sexe traduiraient directement l’angoisse des hommes face à l’émancipation féminine ou à la menace du sida (sauf à supposer que les accusations opèrent un déplacement inconscient – mais c’est là une hypothèse gratuite car invérifiable). Tout au plus ces faits peuvent-ils jouer, en toile de fond, le rôle de facteurs renforçants. Pour éviter toute surinterprétation hâtive, précisons également que si le vol de sexe est très majoritairement une affaire entre hommes, personne ne fait jamais allusion – ni explicitement, ni même implicitement – à l’homosexualité masculine. 1. Ces données statistiques sont confirmées par celles de V.A. Dzokoto et G. Adams («Juju, koro, or mass psychogenic illness? A review of genitalshrinking epidemics in West Africa from 1997-2001», art. cit.) à partir du corpus sur les vols de sexe survenus au Ghana en janvier 1997: 86 % des victimes et 92 % des présumés voleurs sont des hommes. 48 BAT-Voleurs sexe.indd 48 11/09/09 9:28:36 sexe, crise et sorcellerie Un autre élément contribue à expliquer la focalisation de la rumeur sur les organes génitaux masculins. En Afrique, puissance sexuelle et réussite sociale sont intimement associées. Les «grands types» – et notamment les personnalités politiques – sont censés se distinguer par une sexualité exubérante1. La menace de l’échec se traduit inversement par une angoisse d’impuissance. Comme l’écrit l’historien sénégalais Mamadou Diouf, qui fait justement allusion à la rumeur des vols de sexe, «le pénis semble ainsi être le support (au sens aussi bien littéral que figuré) des rêves de réussite économique et sociale et des cauchemars d’échec2». Les périodes de crise socio-économique rendent, selon lui, ces angoisses d’impuissance plus sensibles encore. L’Afrique – sa jeunesse notamment – vit en effet la crise comme une atteinte à la virilité. La crise socio-économique constitue cependant un simple facteur aggravant de la rumeur, mais ne saurait être érigée en cause explicative du phénomène. L’explication socio-psychologique de la rumeur comme réaction à une situation de crise est en effet beaucoup trop lâche pour être vraiment pertinente. Selon cette interprétation, la rumeur des vols de sexe exprimerait de manière transposée les angoisses collectives liées à la crise, un épisode de somatisation aiguë en quelque sorte. Les émeutes et les lynchages qu’elle provoque constitueraient alors un exutoire violent pour les populations. Un psychologue sénégalais déclare ainsi à la presse que «cette psychose sanglante s’explique par l’existence d’une “angoisse de castration” inhérente à chaque individu, et par la perte du pouvoir économique en Afrique3». Un journaliste de Jeune Afrique voit quant à lui dans la rumeur une réaction compensatoire 1. C. Toulabor, «Jeu de mots, jeu de vilains. Lexique de la dérision politique au Togo», Politique africaine 3, 1981, p. 55-71, ici p. 59-64; A. Mbembe, «Provisional notes on the postcolony», art. cit., p. 6-9. 2. M. Diouf, «Engaging postcolonial cultures: African youth and public space», African Studies Review, 46-2, 2003, p. 1-12, ici p. 10. 3. «Rétrécisseurs de sexe. Psychose meurtrière au Sénégal», Sud-Ouest, 2 août 1997. 49 BAT-Voleurs sexe.indd 49 11/09/09 9:28:37 les voleurs de sexe aux bouleversements causés par les politiques d’ajustements structurels imposés par le FMI dans les années 19901. Rien ne prouve cependant que la rumeur apparaisse préférentiellement en temps de crise, que celle-ci soit économique, politique ou, plus largement, sociale. Certes, la rumeur coïncide parfois avec des tensions politiques ou une récession économique (par exemple au Nigeria en 1990); mais c’est loin d’être toujours le cas. La corrélation entre rumeur et crise sociale est donc trop vague pour avoir une réelle valeur causale. 1. F. Soudan, «La rumeur qui tue», Jeune Afrique, 19-25 mars 1997, p. 12-13. 50 BAT-Voleurs sexe.indd 50 11/09/09 9:28:37 tc à changer Des inconnus dans la ville Les explications de la rumeur par la crise étant insatisfaisantes, il nous reste encore à produire une caractérisation positive du phénomène. Pour ce faire, tâchons d’en dégager les principaux traits stables en croisant l’analyse qualitative et l’analyse quantitative des faits. Dans 98 % des cas, le vol de sexe est un phénomène urbain. Seules deux exceptions sont répertoriées. Et encore s’agit-il à chaque fois d’un gros village dans une région densément peuplée, l’un au nord du Ghana et l’autre en Gambie1. Il ne semble pas que cette localisation spécifique soit due à un simple biais lié à l’origine des sources (la presse rendant davantage compte des événements urbains pour des raisons de logistique et de lectorat). Lors des événements de 1990 au Nigeria, la rumeur touche d’abord Lagos puis saute à Ibadan et aux autres villes du pays en épargnant les zones rurales2. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si le foyer des vols de sexe est le Nigeria, le pays le plus peuplé, le plus anciennement urbanisé et qui concentre le plus grand nombre de villes en Afrique noire3. Dans les années 1990, vingt des quarante plus grandes villes en Afrique subsaha1. Pour le Ghana, cf. C. Mather, «Accusations of genital theft: a case from northern Ghana», art. cit. Pour la Gambie, cf. A. Jobe, «Villagers kill man for “penis snatching”», The Daily Observer (Banjul), 17 novembre 2003. 2. S.T.C. Ilechukwu, «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent epidemic of a koro-like syndrome», art. cit., p. 96. 3. A. Mabogunje, Urbanization in Nigeria, New York, Africana Publishing, 1968. 51 BAT-Voleurs sexe.indd 51 11/09/09 9:28:37 les voleurs de sexe rienne sont situées au Nigeria. Et Lagos est la plus grande mégalopole d’Afrique subsaharienne, l’agglomération comptant plus de dix millions d’habitants. La surpopulation y pose de graves problèmes, de sécurité notamment, ce qui vaut à Lagos la triste réputation de ville la plus dangereuse du continent, voire du monde1. Cela ne doit toutefois pas nous amener à faire de la rumeur et de ses violences un simple symptôme de l’anomie urbaine: reprendre le lieu commun faisant de la ville la responsable de tous les maux modernes constituerait en effet une explication bien trop simpliste des vols de sexe. L’urbanisation en Afrique subsaharienne décolle après la Seconde Guerre mondiale, mais n’explose véritablement que dans les années 1960, c’est-à-dire peu avant l’apparition des vols de sexe au tout début des années 19702. Cette accélération du processus d’urbanisation a sans aucun doute favorisé l’émergence de la rumeur. Il n’en reste pas moins que l’Afrique héberge depuis déjà longtemps des centres urbains d’importance: les cités yoruba et haoussa, sur le territoire de l’actuel Nigeria, remontent par exemple aux xiiie-xive siècles. Et dès les débuts de la colonisation européenne, le continent a été marqué par le développement de grandes villes brassant d’importantes populations de travailleurs migrants de diverses origines. Si la ville constitue bien la niche écologique de la rumeur, cette seule circonstance ne suffit donc pas à l’expliquer. À examiner de plus près la localisation des vols de sexe, on constate qu’il s’agit toujours de lieux publics, ou du moins 1. E.G. Osaghae et alii, Urban Violence in Africa: Pilot Studies, Ibadan, IFRA, 1994. 2. Le taux d’urbanisation en Afrique subsaharienne est passé de 2,5 % en 1920 à 55 % en 2003. Sur l’urbanisation en Afrique, cf. M. Peil, Cities and Suburbs: Urban Life in West Africa, New York, Africana Publishing, 1981; C. Coquery-Vidrovitch, Processus d’urbanisation en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1988; P. Vennetier, Les Villes d’Afrique tropicale, Paris, Masson, 1991; P. Hugon, R. Pourtier (dir.), Villes d’Afrique, Afrique contemporaine, Aubervilliers, La Documentation française, 1993. 52 BAT-Voleurs sexe.indd 52 11/09/09 9:28:37 des inconnus dans la ville de lieux ouverts ou de passage (par opposition à l’espace domestique). Les vols se déroulent la plupart du temps en pleine rue (50 % des cas où le lieu de l’incident est précisé) et surviennent en outre souvent dans des espaces densément peuplés où règne la promiscuité. La mosquée au moment de la grande prière est par exemple le théâtre d’un épisode de vols de sexe au Sénégal en 20081. Un Camerounais s’est fait quant à lui voler son pénis au beau milieu d’un rassemblement politique à Bafoussam en 20042. Mais ce sont les marchés, centres névralgiques surpeuplés des villes africaines, ainsi que les taxis collectifs où s’entassent habituellement les passagers, qui sont les lieux les plus régulièrement cités (les premiers sont mentionnés dans 21 % des cas, les seconds dans 13 %). Ainsi, les premiers cas de vols de sexe qui surviennent à Lagos en 1975 sont situés dans deux marchés de quartiers densément peuplés et habités par des populations récemment arrivées en ville suite à l’exode rural3. En Afrique, les marchés sont d’ailleurs connus pour être des lieux dangereux où règne la sorcellerie, féminine notamment4. Cela explique d’ailleurs pourquoi les quelques femmes accusées de vol de sexe sont le plus souvent des commerçantes. Mais les circonstances temporelles des vols de sexe sont tout aussi frappantes que leur localisation: ces vols ont toujours lieu en plein jour et jamais la nuit. Aussi étrange que cela paraisse, le vol de sexe est donc une sorcellerie exclusivement diurne. L’identité des protagonistes impliqués est également 1. A. Hanne, «Grande mosquée de Boune. Des fidèles échangent des coups de poing pour une affaire de sexe», L’Observateur, 23 janvier 2008. 2. B. Nzupiah Nwafo, «Meeting et sorcellerie: son sexe disparaît au me ting», Le Messager, 29 septembre 2004. 3. S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria», art. cit., p. 311. 4. A. Masquelier, «Narratives of power, images of wealth: the ritual eco omy of Bori in the market», in J. Comaroff, J.L. Comaroff (dir.), Modernity and its Malcontents, op. cit., p. 3-33; M.L. Bastian, «Fires, tricksters and poisoned medicines: popular cultures of rumor in Onitsha, Nigeria and its markets», Etnofoor, 11-2, 1998, p. 111-132. 53 BAT-Voleurs sexe.indd 53 11/09/09 9:28:37 les voleurs de sexe tout à fait caractéristique: il s’agit presque toujours d’individus qui ne se connaissaient pas préalablement (96 % des cas où l’identité est précisée). Comme le clame un Congolais désemparé qui ne comprend pas pourquoi le voleur de sexe l’a choisi pour victime: «Mon bourreau n’a pas d’antécédents avec moi1!» Et dans les deux uniques occurrences de vol de sexe en milieu villageois, où l’interconnaissance est pourtant plus fréquente, le présumé voleur est encore un étranger de passage. L’ensemble du corpus ne compte en fait que quatre exceptions où le voleur et sa victime se connaissaient préalablement: dans un cas, il s’agit d’un «cousin» de la victime, dans un autre de l’«ami nigérian» d’un Camerounais, et dans les deux derniers d’une «connaissance» sans autre précision. En revanche, le statut social n’est pas ici un critère pertinent, comme cela est pourtant souvent le cas dans les affaires de sorcellerie qui stigmatisent les marginaux et les plus faibles (ces derniers sont souvent accusés publiquement et punis, alors que les puissants sont simplement soupçonnés sans être accusés de manière frontale). Comme le notent en effet Glenn Adams et Vivian Dzokoto à propos du Ghana, parmi les accusés de vol de sexe, on compte aussi bien un cireur de chaussures qu’une femme d’affaires2. Pour résumer, les vols de sexe supposent une interaction entre inconnus dans un espace public urbain. En ce sens, ils sont intimement liés à la sociabilité urbaine, sociabilité spécifique qu’un siècle d’ethnographie urbaine depuis Georg Simmel et l’école de Chicago a permis de préciser3. Comme le notait Louis Wirth dès 1938 dans «Le phénomène urbain comme mode de vie», l’anonymat et 1. «Un homme perd son organe génital au marché central de Kinshasa», art. cit. 2. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 87. 3. Pour un ouvrage de synthèse en anthropologie urbaine, cf. U. Hannerz, Exploring the City. Inquiries Toward an Urban Anthropology, New York, Columbia University Press, 1980. 54 BAT-Voleurs sexe.indd 54 11/09/09 9:28:38 des inconnus dans la ville l’impersonnalité sont deux caractéristiques essentielles de la vie dans les grandes villes1. Par opposition à l’interconnaissance villageoise, la vie citadine implique en effet une extension immense des possibilités de rencontre entre inconnus. Certes, les réseaux d’interconnaissance existent encore en ville, dans les relations de voisinage par exemple. Mais les interactions anonymes et impersonnelles dans les lieux de passage de l’espace public n’en demeurent pas moins le répertoire interactionnel le plus spécifiquement urbain. Le citadin, c’est avant tout le passant qui circule dans la rue au milieu d’une foule d’inconnus. Ce mode de relation à autrui est souvent décrit de manière purement négative, y compris dans la littérature sociologique: le citadin serait un déraciné qui n’entretiendrait plus que des relations superficielles et froides avec ses semblables. Ce lieu commun sur l’atomisation urbaine procède généralement d’une représentation idéalisée de la solidarité au sein des communautés rurales2. La sociabilité urbaine n’est pourtant pas déficiente et anomique, mais bien un mode de régulation propre des relations avec autrui. Comme l’avait déjà bien noté Georg Simmel, la vie urbaine requiert une certaine indifférence à autrui, «sans laquelle nous ne pourrions tout bonnement pas mener ce genre de vie» car nous serions exposés à trop de rencontres3. La réserve représente en ce sens la «forme élémentaire de socialisation» propre à la grande ville, comme le manifeste exemplairement le trafic urbain. 1. Article repris in Y. Grafmeyer, I. Joseph (dir.), L’École de Chicago: nai sance de l’écologie urbaine, Paris, Éditions du Champ urbain, 1979, p. 251277. 2. Jugement de valeur inverse, on trouve des auteurs pour défendre la liberté conférée par l’anonymat urbain par opposition au contrôle oppressant au sein des petites communautés d’interconnaissance (cf. C. Pétonnet, «L’anonymat ou la pellicule protectrice», in La Ville inquiète, Paris, Gallimard, 1987, p. 247261). Un proverbe allemand l’affirme d’ailleurs: «Stadluft macht frei.» 3. G. Simmel, «Les grandes villes et la vie de l’esprit» (1903), in Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989, p. 233-252, ici p. 242. 55 BAT-Voleurs sexe.indd 55 11/09/09 9:28:38 les voleurs de sexe Les «relations de trafic» (traffic relationships) constituent en effet un type spécifique d’engagement reposant sur une interaction minimale qui tend à la simple coprésence: des individus se trouvent en un même lieu sans pour autant faire cas les uns des autres. Cette interaction non convergente – ou «unfocused interaction» pour reprendre un concept clé de l’ethnographie urbaine d’Erving Goffman – consiste en une reconnaissance minimale d’autrui en l’absence de tout centre d’intérêt partagé1. Des stratégies d’évitement et d’inhibition des interactions permettent ainsi de traiter les inconnus comme des «non-personnes», comme s’ils étaient absents alors même qu’ils sont présents2. Ces codes de conduite incorporés sous forme de routines motrices largement inconscientes assurent le «réglage de la distance sociale» entre inconnus, suivant des normes qui varient fortement selon les cultures et, au sein de chaque société, selon les situations (lieux, personnes en présence, etc.). Cet aspect de la vie urbaine a été particulièrement étudié par la proxémique d’Edward T. Hall3. En cas de promiscuité non souhaitée, des stratégies de neutralisation de la présence d’autrui seront alors mises en place afin de pouvoir garder ses distances même en situation de contact physique (par exemple dans les transports en commun aux heures de pointe dans les grandes métropoles): ne pas croiser le regard, se placer dos à dos plutôt que face à face, etc. Les relations de trafic impliquent ainsi de gérer les collisions et autres formes de menace à l’intégrité personnelle, d’empiètement de territoire ou d’intrusion dans la sphère intime. En définitive, le trafic urbain expose en permanence les individus aux aléas, aux incertitudes et aux dangers liés aux rencontres – volontaires ou involontaires – entre inconnus. 1. E. Goffman, Behavior in Public Places. Notes on the Social Organization of Gatherings, New York, Free Press, 1963, 2e partie. 2. Ibid., p. 83 sq. 3. E.T. Hall, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1971. 56 BAT-Voleurs sexe.indd 56 11/09/09 9:28:38 des inconnus dans la ville Il s’agit justement de cela dans le cas des vols de sexe. Le vol de sexe illustre de manière dramatique le danger d’interactions anonymes d’autant plus incertaines qu’on ignore les intentions d’autrui et qu’on ne sait quelle confiance lui accorder. Il pointe la dangerosité potentielle d’un certain type de situation propre à l’espace public urbain: un contact avec un inconnu qui tournerait à la mauvaise rencontre. Et puisque la sorcellerie est toujours une affaire d’interaction qui tourne mal, on peut dire que le vol de sexe n’est rien d’autre que la sorcellerie du trafic urbain. Cette hypothèse est confirmée par les circonstances précises des rencontres qui sont interprétées en termes de vol de sexe par les protagonistes eux-mêmes. Toutes nécessitent un contact entre les deux inconnus: «les rétrécisseurs ne peuvent pas opérer à distance1». Ce contact est le plus souvent physique, mais peut parfois être simplement visuel ou verbal2. Il suppose toujours un face-à-face ou du moins une forte proximité. Dans plusieurs cas, le vol du sexe survient lors du contact manuel avec un inconnu demandant une cigarette ou du feu à sa victime. Plus souvent encore, la disparition du pénis est causée par un contact physique accidentel dans une foule ou un transport collectif (circonstance mentionnée dans 36 % des cas). En avril 2001 à Libreville, un jeune homme de 16 ans est frôlé par un Nigérian et ressent une décharge électrique au bassin, puis croit entendre l’homme lui dire: «Tu as eu?» Il sent aussitôt son pénis rétrécir et donne l’alerte. Les passants tabassent le présumé coupable qui finit par avouer3. En Afrique de l’Ouest, les présumés voleurs de sexe sont d’ailleurs bien souvent des Haoussa: traditionnellement vêtus d’un boubou 1. D. Cadasse, «Psychose gabonaise du zizi rikiki. Les voleurs de sexes», Afrik.com, 29 mars 2001. 2. Fait notable, dans la sorcellerie rurale française, l’ensorcellement implique également un contact direct ou indirect: poignée de main, regard ou adresse verbale. Cf. J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977, p. 192-204. 3. «Pour moi quoi… Makaya», L’Union, 13 avril 2001, p. 1. 57 BAT-Voleurs sexe.indd 57 11/09/09 9:28:38 les voleurs de sexe long et ample, ils effleurent sur leur passage des quidams qui les accusent ensuite d’avoir fait disparaître leur sexe. Ce frôlement inattendu est en effet interprété comme une agression. Ce qui n’était que simple coprésence entre deux passants est soudainement perçu par la victime comme une interaction volontaire: s’il me touche, c’est qu’il me veut quelque chose, et même qu’il me veut du mal. Des études ont en effet montré que le contact tactile d’un inconnu est souvent ressenti comme une menace pour l’intégrité personnelle1. Et la menace semble même accentuée lorsque c’est un homme qui touche un autre homme – ce qui pourrait éventuellement contribuer à expliquer la surreprésentation des accusations de vol de sexe entre hommes. Les nombreuses disparitions de sexe qui surviennent dans les transports collectifs s’inscrivent dans le même cadre interactionnel: c’est alors la promiscuité forcée avec des inconnus qui occasionne le malaise à l’origine des incidents. Un épisode de vol de sexe à Kinshasa en marsavril 2008 se focalise sur une autre situation de promiscuité importune: la victime est en train de se soulager discrètement dans la rue lorsqu’elle se fait voler son sexe par un inconnu qui vient subitement uriner juste à côté d’elle2. Cette peur du contact est si prégnante que les forces de l’ordre hésitent parfois à appréhender les présumés voleurs de sexe: il arrive en effet que les policiers perdent eux aussi leur sexe lors de l’interpellation3. En sus du contact physique, le regard est régulièrement mentionné parmi les circonstances des vols de sexe. Dans un cas, un regard insistant est même la modalité exclusive de l’inter action: le 14 juin 2006 à Parakou au Bénin, un jeune homme 1. M.L. Knapp, J.A. Hall, Nonverbal Communication in Human Interaction, Fort Worth, Harcourt Brace Publishers, 1992, p. 297-331. 2. «Un homme perd son organe génital au marché central de Kinshasa», art. cit. 3. D. Ngandu Mupompa, «Une histoire rocambolesque: des sexes disparus par simple toucher au marché central», Le Potentiel, 17 avril 2008. 58 BAT-Voleurs sexe.indd 58 11/09/09 9:28:39 des inconnus dans la ville dévisage une jeune fille en passant dans la rue; cette dernière crie aussitôt que l’inconnu vient de lui voler son sexe; l’homme est immédiatement tabassé par la population de tout un quartier et décède quelques heures plus tard à l’hôpital1. Les études sur la communication non verbale ont montré que le contact visuel sert habituellement à ouvrir les canaux de communication et qu’il joue un rôle décisif dans le commencement d’une interaction: avant toute autre forme de communication, un contact visuel est recherché2. L’échange de regards exprime l’intention mutuelle de s’engager dans une interaction plus poussée. Cependant, un regard trop appuyé, notamment de la part d’un inconnu, provoquera à l’inverse le malaise ou l’irritation car il sera perçu comme un signe d’agression ou de domination. C’est évidemment ce dont il s’agit dans l’exemple précédent: la tentative du jeune homme pour accrocher le regard de la jeune fille a été perçue comme un signe d’hostilité et une agression occulte. En sus du regard, l’adresse verbale est également mentionnée comme la modalité exclusive du vol de sexe dans 11 % des cas. La circonstance la plus fréquente est celle d’un inconnu qui demande un renseignement ou l’heure à un quidam dans la rue. En septembre 2004, un fonctionnaire nigérian en déplacement dans la région de Kano est ainsi lynché à mort par une foule en colère qui l’accuse d’avoir volé le sexe d’un homme à qui il avait demandé son chemin3. Cette modalité du vol de sexe est à rapprocher d’une autre rumeur qui circulait au Ghana dans les années 1960: des inconnus feraient disparaître par enchantement les montres-bracelets en demandant l’heure aux passants4. Le lien entre l’objet volé et 1.V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», art. cit. 2. R.V. Exline, «Visual interaction: the glances of power and preference», in S. Weitz (dir.), Nonverbal Communication, New York, Oxford University Press, 1974, p. 65-93. 3. «That politician stole my penis», AFP, 30 septembre 2004. 4. B. Sackey, «The vanishing sexual organ phenomenon in the context of Ghanaian religious beliefs», art. cit., p. 116. 59 BAT-Voleurs sexe.indd 59 11/09/09 9:28:39 les voleurs de sexe l’interaction est ici plus direct que dans le cas des vols de sexe. Le larcin s’avère toutefois plus bénin. C’est sans doute ce qui explique le moindre succès de cette rumeur: le succès culturel d’une rumeur est à la mesure des émotions qu’elle déclenche. Parfois, la rencontre avec l’inconnu implique une discussion plus poussée. En mars 2006, à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, un jeune homme accuse ainsi de vol de sexe un pasteur qui venait de l’aborder dans la rue pour lui prêcher l’Évangile1. Dans les mêmes circonstances, en avril 2001 au Nigeria, huit prosélytes évangélistes faisant du porte-à-porte à Ilesa sont brûlés vifs2. Le vol de sexe survient en outre souvent à l’occasion d’une transaction commerciale, dans un commerce ou sur un marché, ou bien dans un taxi lors du paiement de la course. L’échange verbal se double alors généralement d’un contact physique lorsque l’argent change de main. «C’est au moment qu’il négociait avec moi le prix d’un article que j’ai cessé de sentir mes parties intimes. J’ai alors averti mes voisins qui ont menacé de le lyncher. Sous les menaces, il a libéré mes parties intimes», raconte ainsi un commerçant nigérien supposé victime d’un vol de sexe à Niamey en mars 20073. La poignée de main qui conclut habituellement les négociations commerciales est mentionnée plusieurs fois comme l’incident déclencheur. Le scénario majoritaire des vols de sexe implique en effet des salutations (dans 44 % des cas), et plus précisément une poignée de main (dans 38 % des cas): un individu s’aperçoit que ses organes génitaux ont disparu après avoir été salué par un parfait inconnu. Le 25 novembre 2004, à Bamako au Mali, un journaliste est ainsi victime d’un vol de sexe après 1. «Un pasteur échappe à la vindicte populaire», L’Observateur Paalga (Burkina Faso), 30 mars 2006. 2. M. Dan-Ali, «“Missing” penis sparks mob lynching», BBC News, 12 avril 2001. 3. «Des “voleurs de sexe” provoquent la psychose à Niamey», Panapress, 22 mars 2007. 60 BAT-Voleurs sexe.indd 60 11/09/09 9:28:39 des inconnus dans la ville avoir salué un étranger qui l’a abordé pour lui demander s’il connaissait un certain Seydou Traoré mais n’a pas décliné sa propre identité1. «C’est un monsieur que je ne connaissais pas qui a rétréci mon sexe, après m’avoir serré la main, qu’il m’a tendue poliment en me demandant l’heure», raconte pour sa part un Gabonais victime d’un vol de sexe à Port-Gentil en octobre 20052. En février 2009 à Kribi, au Cameroun, le même scénario se répète: «Je passais, j’ai vu ce monsieur qui me tendait la main pour me saluer. Je ne le connaissais pas mais en tant que Camerounais je lui ai aussi tendu la main3.» Ce sont de telles histoires de salutations tragiques qui ont le plus vivement marqué les imaginations: le vol de sexe demeure ainsi gravé dans la mémoire populaire comme la sorcellerie des poignées de main entre inconnus. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard quand on connaît l’importance des salutations en Afrique4. En Afrique de l’Ouest notamment, les salutations s’étendent souvent en longueur et incluent aussi bien la répétition de formules stéréotypées à fonction phatique que l’échange d’informations plus substantielles à propos des interlocuteurs et de leur entourage. Les salutations constituent un «rite d’accès»: elles opèrent en effet une ritualisation de l’ouverture des canaux de communication 1. I. Sidibé, «Un journaliste victime de rétrécissement de sexe», Le Soir de Bamako, 26 novembre 2004. 2. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», AFP, 17 octobre 2005. 3. S. Kamen, «Un homme accusé de vol de sexe à Kribi», Le Messager, 12 février 2009. 4. E. Goody, «“Greeting”, “begging”, and the presentation of respect», in J.S. La Fontaine (dir.), The Interpretation of Ritual, Londres, Tavistock Publications, 1972, p. 39-71; J. Irvine, «Strategies of status manipulation in the Wolof greeting», in R. Bauman, J. Sherzer (dir.), Explorations in the Ethnography of Speaking, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 167-191; J. Morton, «“Sakanab”: greetings and information among the northern Beja», Africa, 58-4, 1988, p. 423-436; O.G. Nwoye, «An ethnographic analysis of Igbo greetings», African Languages and Cultures, 6-1, 1993, p. 37-48; F. Akindele, «A sociolinguistic analysis of Yoruba greetings», African Languages and Cultures, 3-1, 1990, p. 1-14. 61 BAT-Voleurs sexe.indd 61 11/09/09 9:28:39 les voleurs de sexe et du commencement de l’interaction1. Elles permettent l’expression de l’attention mutuelle ainsi que l’identification réciproque des interlocuteurs: identification personnelle fondée sur des informations biographiques lorsque cela est possible, mais aussi identification catégorielle en fonction de paramètres sociaux tels que le statut, le sexe ou l’âge2. En Afrique, cette reconnaissance mutuelle passe souvent par une nomination explicite: pour se saluer au Gabon mais aussi chez les Wolof du Sénégal, on énonce ainsi son nom puis celui de son interlocuteur, avant que ce dernier ne fasse de même. Les salutations mettent également en jeu tout un système d’attitudes correspondant aux différents rôles sociaux. Les salutations symétriques expriment l’égalité et la solidarité entre les protagonistes, alors que les salutations asymétriques manifestent l’inégalité et la déférence. Des contrastes inter actionnels permettent de marquer cette opposition. Chez les Mossi du Burkina Faso par exemple, les salutations entre égaux impliquent un échange de regards et une poignée de main, alors que les salutations asymétriques supposent l’évitement du regard et une courbette, voire un accroupissement, de la part de la personne de statut inférieur3. Les salutations permettent ainsi de stabiliser et de rendre plus prévisibles les relations interpersonnelles au sein d’un groupe: saluer «régularise de façon rituelle les risques et les 1. E. Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, tome 2, Les Relations en public, Paris, Minuit, 1973, p. 82-100; R. Firth, «Verbal and bodily rituals of greeting and parting», in J.S. La Fontaine (dir.), The Interpretation of Ritual, op. cit., p. 1-38; B. Conein, «Pourquoi doit-on dire bonjour? (Goffman relu par Harvey Sacks)», in I. Joseph et alii, Le Parler frais d’Erving Goffman, Paris, Minuit, 1989, p. 196-208; D. Schiffrin, «Handwork as ceremony: the case of the handshake», Semiotica, 12-13, 1974, p. 189-202; P.M. Hall, D.A. Spencer Hall, «The handshake as interaction», Semiotica, 314, 1983, p. 249-264. 2. D. Schiffrin, «Opening encounters», American Sociological Review, 42-5, 1977, p. 679-691. 3. P. Collett, «Mossi salutations», Semiotica, 314, 1983, p. 191-248. 62 BAT-Voleurs sexe.indd 62 11/09/09 9:28:40 des inconnus dans la ville aléas que présente la parole en face-à-face1». De ce fait, les salutations entre inconnus sont plus incertaines. Ibrahim Youssouf, Allen Grimshaw et Charles Bird ont par exemple montré que, chez les Touaregs, les salutations au milieu du désert sont particulièrement sensibles car les rencontres entre inconnus dans un milieu hostile sont toujours potentiellement dangereuses2. Les voyageurs, qui peuvent habituellement s’apercevoir à très longue distance, doivent prendre soin de manifester clairement leurs intentions pacifiques avant de pouvoir effectivement entrer en contact. Dans les campements, les salutations sont à l’inverse beaucoup plus routinières et détendues car le voyageur sait généralement à qui il a affaire. D’une manière plus générale, les salutations entre inconnus peuvent se révéler d’autant plus problématiques que saluer autrui constitue une demande relativement contraignante, dans la mesure où un refus explicite a un coût important: ignorer une main tendue constitue en effet une grave offense. Saluer menace ainsi la «face» de l’interlocuteur puisque cela le pousse à rendre le salut qu’il le désire ou non3. Comme l’écrit fort justement Erving Goffman, «qui salue doit espérer qu’un contact est bien désiré4». Ou encore: «Des gens qui se connaissent ont besoin d’une raison pour ne pas se saluer, alors que des inconnus ont besoin d’une raison pour le faire5.» Accoster et saluer un étranger est une entreprise socialement délicate car on risque toujours d’imposer une interaction non souhaitée. Or, c’est exactement de cela dont il s’agit dans le cas des vols de sexe: des salutations qui tournent mal. Le salut 1. E. Goffman, Façons de parler, Paris, Minuit, 1987, p. 25. 2. I.A. Youssouf, A.D. Grimshaw, C.S. Bird, «Greetings in the desert», American Ethnologist, 3-4, 1976, p. 797-824. 3. P. Brown, S. Levinson, «Universals in language usage: politeness ph nomena», in E.N. Goody (dir.), Questions and Politeness. Strategies in Social Interaction, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 56-289. 4. E. Goffman, Façons de parler, op. cit., p. 23. 5. E. Goffman, Behavior in Public Places, op. cit., p. 124. 63 BAT-Voleurs sexe.indd 63 11/09/09 9:28:40 les voleurs de sexe dont l’inconnu prend l’initiative est perçu par l’interlocuteur comme une interaction forcée et donc menaçante dans un contexte de relations de trafic qui n’exigerait minimalement qu’une simple coprésence sans interaction réelle. La poignée de main accroît encore la menace car elle ajoute un contact physique à l’adresse verbale, gestuelle et visuelle. Elle force en outre la réciprocité, dans la mesure où se faire serrer la main, c’est déjà rendre la salutation. Alors que la fermeté et la chaleur de la poigne, de même que la franchise du contact visuel, expriment normalement la solidarité entre égaux, la signification habituelle du geste est ici interprétée à l’inverse comme une agression. Cette poignée de main s’apparente à un cadeau empoisonné, modalité typique de l’agression sorcière: au Gabon notamment, les sorciers sont en effet réputés atteindre leur victime par des mauvais sorts cachés dans un billet de banque ou des boissons empoisonnées. La sorcellerie repose ainsi sur des interactions paradoxales dont l’interprétation contextuelle contredit la signification commune. Au lieu de célébrer l’égalité des deux protagonistes, la salutation prend alors soudainement une tournure asymétrique: l’un se trouve dépossédé par l’autre de ce qu’il a de plus précieux. Notons que dans la sorcellerie rurale française, la poignée de main joue également un rôle décisif, notamment les salutations entre personnes qui ne se saluent habituellement pas: la victime interprète alors ce geste inaccoutumé comme une tentative d’ensorcellement. Certes, le contexte est différent puisqu’il s’agit de relations de voisinage en milieu villageois. Il n’en reste pas moins que l’inférence de la victime repose sur le même type d’évaluation de la situation d’interaction que dans le cas du vol de sexe. Comme le remarque à juste titre Jeanne Favret-Saada, la poignée de main est en définitive un «geste de reconnaissance tellement ordinaire qu’on omet généralement de songer à ce qu’il engage1». 1. J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, op. cit., p. 197. 64 BAT-Voleurs sexe.indd 64 11/09/09 9:28:40 des inconnus dans la ville L’approche interactionniste a finalement permis une caractérisation positive des vols de sexe: ces derniers reposent sur une situation d’interaction bien définie et tout à fait spécifique. C’est là ce qu’on pourrait appeler leur «saillance interactionnelle», schéma caractéristique au niveau local qui permet d’expliquer certaines propriétés générales du phénomène. Ce qui est en jeu, la matière même des vols de sexe, ce sont précisément les modalités interactionnelles de la rencontre avec le supposé voleur: contact physique, échange de regards, salutation ou poignée de main qui se révèlent d’autant plus sensibles que les protagonistes sont des étrangers l’un pour l’autre. Si l’interprétation sorcellaire de la situation peut nous paraître étrange, on voit qu’elle se fonde néanmoins sur des préoccupations tout à fait banales concernant les différents registres de la communication verbale et non verbale. Le vol de sexe repose ainsi sur une dysphorie interactionnelle provoquée par la rencontre avec un inconnu. Une «interaction dysphorique» est une sorte de «fausse note» interactionnelle qui suscite un embarras, une gêne1. Elle survient par exemple quand un individu ne manifeste pas l’engagement interactionnel qu’on attend de lui: personne trop chaleureuse dans une situation formelle, ou à l’inverse étrangement froide avec un familier. Erving Goffman note que certaines catégories de personnes provoquent fréquemment de telles interactions dysphoriques, ce qu’il appelle des «personnes défectueuses» (faulty persons): parmi elles, les jeunes enfants, les personnes ayant un handicap, mais aussi les étrangers qui sont justement les protagonistes principaux des vols de sexe. Ces derniers procèdent en définitive d’un «malaise dans l’interaction» lié à la manière dont un inconnu en aborde un autre. Ce n’est pas sans raison que l’individu à l’initiative de l’interaction soit celui que l’on accuse d’être le voleur. 1. E. Goffman, «La communication en défaut», Actes de la recherche en sciences sociales, 100, 1993, p. 66-73. 65 BAT-Voleurs sexe.indd 65 11/09/09 9:28:40 les voleurs de sexe L’incertitude dysphorique qui plane sur les rencontres avec un inconnu pousse en effet l’autre personne à interpréter le comportement à rebours de son sens habituel: un frôlement accidentel devient un acte intentionnel; un regard devient une agression au lieu d’une proposition d’engagement inter actionnel; une poignée de main devient un geste hostile au lieu d’une expression de solidarité. Par rapport au simple frôlement ou à l’échange de regards, la salutation du voleur de sexe représente alors la situation la plus contradictoire car elle associe solidarité et agression. Un journaliste nigérien note ainsi que les voleurs de sexe «vous tendent la main en guise “d’amitié”1» – les guillemets du dernier terme illustrant bien l’inversion paradoxale de la signification du geste. Un journaliste gabonais déplore quant à lui: «Bonjour, signe d’amitié et de fraternité entre les hommes, est à présent source de malheurs2.» C’est sans doute pour cette raison que les vols de sexe se cristallisent sur ce type d’interaction davantage encore que sur les autres. L’engagement interactionnel de l’inconnu est mésinterprété comme une effraction violente de l’intimité. Ce fait contribue d’ailleurs peut-être à expliquer la focalisation sur le sexe plutôt que sur toute autre partie du corps: les «parties intimes» sont normalement hors de la sphère des interactions publiques. Comble de l’intrusion dans la sphère intime, le voleur atteint justement ce qui devrait rester hors de sa portée. Il s’agit en définitive d’une rencontre avec un inconnu au cours de laquelle on ne risque pas de perdre la face, mais le sexe. 1. «Sexe et commérages. Les truands reviennent!», L’Enquêteur, n° 284, 26 mars 2007. 2. Assoumbou-Mombey, «Psychose généralisée», L’Union, 18 juin 1997. 66 BAT-Voleurs sexe.indd 66 11/09/09 9:28:40 tc à changer Frissons et lynchages Dans les récits des victimes, la rencontre dysphorique avec l’inconnu provoque une sorte de décharge électrique qui s’accompagne ensuite de la sensation de disparition ou de rétrécissement du sexe. Cette expérience du choc est suffisamment marquante pour qu’on s’y arrête et qu’on essaie de l’expliquer. Un enfant victime d’un voleur de sexe affirme ainsi avoir ressenti «une grande fraîcheur au niveau du basventre. Mon sexe s’est [ensuite] mis à se rétrécir1». Une autre victime «a senti comme un courant le traverser» au moment où le voleur la touchait2. Une autre encore déclare: «Je suis passé à côté d’un monsieur qui m’a frôlé au passage. C’est à ce moment que j’ai senti une énergie inhabituelle me traverser le corps. Au niveau du bassin, je ne ressentais plus la présence de mon sexe3.» Un homme se retrouve même frappé de stupeur: «C’est juste après l’avoir salué qu’il a senti des frissons dans tout son corps et est resté cloué sur place, inerte. Il a fallu qu’une connaissance lui demande ce qu’il avait pour qu’il reprenne conscience4.» Une dernière victime raconte enfin: «J’avais l’impression que je venais d’être électrocuté. 1. «Accusé d’avoir “volé” le sexe d’un enfant, un Gabonais échappe au lynchage», AFP, 13 octobre 2005. 2. A. Adéola, «Insolite dans le septentrion: un 2e cas de vol de sexe à Parakou en 48 heures», Le Matinal (Cotonou), 12 juin 2006. 3. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit. 4. «Battue après avoir été accusée d’être un voleur de sexe. La victime porte plainte contre ses bourreaux», L’Observateur, 29 février 2008. 67 BAT-Voleurs sexe.indd 67 11/09/09 9:28:41 les voleurs de sexe Ma force physique me lâchait, comme si je venais de déposer un lourd fardeau1.» L’analogie avec l’électrocution n’est pas fortuite: phénomène invisible mais dont on peut éprouver les effets sensibles, l’électricité est fort naturellement associée au registre de l’occulte. Il est d’ailleurs notable que lors de ses débuts, à la fin du xviiie siècle et tout au long du xixe siècle en Europe et en Amérique du Nord, l’électricité était régulièrement associée à l’invisible et figurait en bonne place dans les spéculations paranormales. Mais dans le cas du vol de sexe, cette sensation vive et soudaine de décharge électrique possède une réalité prosaïque: elle n’est rien d’autre que l’effet de la surprise et de la peur. Du point de vue cognitif, la peur est une réaction émotionnelle involontaire à une menace réelle ou imaginée2. Stimulant le système nerveux orthosympathique, la peur provoque une série de réactions physiologiques automatiques: une augmentation de la pression sanguine et de la tension musculaire, une accélération des rythmes cardiaque et respiratoire, ainsi qu’une soudaine décharge d’adrénaline qui fait se contracter les muscles horripilateurs. Décharge d’adrénaline et piloérection correspondent à l’expérience du frisson et de la «chair de poule». Il est alors clair que le choc électrique décrit par les victimes de vol de sexe est un tel frisson de peur. Réaction normale due à l’activation soudaine des glandes sudoripares, la «sueur froide» est d’ailleurs également mentionnée: une victime raconte avoir senti comme un «seau d’eau glacée» soudainement déversé sur sa tête3. En outre, les victimes déclarent souvent ressentir une grande faiblesse suite à leur rencontre avec un voleur de sexe – faiblesse qui est interprétée comme un indice de la perte de leur viri1. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, Cameroon Tribune, 25 novembre 1996. 2. J. LeDoux, The Emotional Brain: The Mysterious Underpinnings of Emotional Life, New York, Simon & Schuster, 1996. 3. «Woman escapes lynching over alleged man’s penis theft», Daily Trust (Abuja), 6 août 2002. 68 BAT-Voleurs sexe.indd 68 11/09/09 9:28:41 frissons et lynchages lité. Un chauffeur de taxi-moto déclare ainsi: «[le passager à l’arrière de la moto] a serré fort ses jambes contre moi et tout de suite je me suis senti mal et faible1». Il est en effet tout à fait courant qu’après une peur très vive, le corps réagisse par une perte soudaine de tonus musculaire et une chute de tension qui peut aller jusqu’au malaise vagal. Ce n’est sans doute pas un hasard si, en 1997 au Mali, on annonce qu’il existe un remède simple pour retrouver son sexe (fait rare puisque le traitement n’est mentionné nulle part ailleurs): il suffirait de s’asseoir quelques instants et de boire un litre d’eau2. Le conseil ne manque pas de bon sens: c’est en effet la meilleure façon de dissiper le trouble et de retrouver ses forces après une frayeur. Le contact dysphorique avec un étranger provoque une frayeur, réaction somme toute assez ordinaire. Mais pourquoi ce choc électrique est-il ensuite associé à une sensation de disparition ou de rétrécissement du sexe? Il y a, là encore, un lien causal physiologiquement fondé entre la peur, le frisson et la sensation au niveau du sexe. La taille du sexe masculin au repos varie selon les circonstances: le froid, l’activité physique, mais aussi le stress, sont des facteurs habituels de rétraction du pénis. La vasoconstriction provoquée par la peur entraîne une réduction du volume pénien qui est à l’origine de l’impres sion de rétrécissement dont les victimes parlent. D’autre part, le frisson provoqué par la décharge d’adrénaline court le long de la colonne vertébrale pour atteindre le bas-ventre: il provoque alors des picotements en raison de l’horripilation des poils autour du scrotum, mais aussi une contraction musculaire de ce dernier qui entraîne une légère remontée des testicules vers l’abdomen. De là viennent les sensations de picotement et de rétraction du pénis décrites par les victimes. Un réflexe d’esquive en cas de contact pourrait également 1. «Nigeria: un client de moto-taxi accusé de vol de… pénis», art. cit. 2. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», art. cit., p. 197. 69 BAT-Voleurs sexe.indd 69 11/09/09 9:28:41 les voleurs de sexe entrer en jeu: l’effleurement de la face interne de la cuisse entraîne en effet automatiquement la remontée des testicules par contraction du muscle crémaster (c’est ce qu’on appelle le réflexe crémastérien). L’implication d’un tel réflexe de flexion est d’autant plus plausible que c’est précisément un contact physique avec un inconnu – frôlement accidentel au milieu d’une foule par exemple – qui est le plus souvent à l’origine du vol de sexe1. Les récits de victimes corroborent le rôle déterminant joué par ces mécanismes physiologiques spécifiques: «Le scénario […] est toujours le même: un homme, après avoir été frôlé ou avoir serré la main d’un inconnu, déclare avoir été parcouru par un frisson suivi de picotements, avant de sentir son organe s’enfoncer profondément dans le corps2.» Dans une situation d’intense trouble émotionnel, des sensations normales dues à la réaction de peur (faiblesse passagère, picotements, légère rétraction du sexe) sont alors interprétées comme une impuissance sexuelle, un rétrécissement voire même une disparition du membre viril. Le vol de sexe ne repose donc pas uniquement sur l’ouïdire, mais implique des témoignages factuels rapportés par les protagonistes de l’affaire. Cette transformation de la rumeur en un événement vécu à la première personne est ce que les folkloristes travaillant sur les légendes urbaines appellent une 1. L’expérience du contact avec la foule a souvent été décrite sur le mode du choc électrique. Comme par Charles Baudelaire, témoin et penseur de la modernité urbaine: «Baudelaire parle de l’homme qui s’immerge dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité» (W. Benjamin, «Sur quelques thèmes baudelairiens» (1939), in Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1982, p. 147-208, ici p. 179). Contrairement au vol de sexe, ce frisson est davantage de l’excitation que de la peur. Il n’en reste pas moins vrai que le grouillement du trafic urbain semble particulièrement propice aux réactions «électriques». Georg Simmel ne notait-il pas d’ailleurs que la grande ville provoquait une «intensification de la vie nerveuse» («Les grandes villes et la vie de l’esprit», art. cit., p. 234). Le vol de sexe relève ainsi d’une histoire culturelle de la sensibilité urbaine. 2. «Les rétrécisseurs de sexe», AFP, 4 août 1997. 70 BAT-Voleurs sexe.indd 70 11/09/09 9:28:41 frissons et lynchages ostension de la rumeur1. Disqualifier purement et simplement l’expérience des victimes en les accusant de simulation serait alors une erreur empêchant la pleine compréhension des faits. Les sensations décrites par les victimes ne sont pas des élucubrations arbitraires. Que le vol de sexe ne soit évidemment pas «vrai» ne signifie nullement qu’il ne soit pas pour autant «réel», dans la mesure où il donne lieu à des expériences saillantes du point de vue émotionnel. Le vol de sexe ne saurait donc être réduit à une pure fiction, uniquement redevable d’une interprétation symbolique (d’où l’inadéquation partielle du terme «rumeur» pour le qualifier). Il s’incarne au contraire dans des expériences vécues qui possèdent un fondement somatique bien réel. La sorcellerie relève autant de la sensibilité que du langage: elle possède par conséquent une réalité tout à fait tangible2. L’interprétation «magique» de type sorcellaire est ainsi étayée par des expériences aussi banales qu’universelles (frisson, picotements, malaise, etc.) – ce qui permet de relativiser l’exotisme du phénomène. Mais elle opère tout de même un saut, dans la mesure où elle n’est pas une conséquence nécessaire de la réaction de frayeur, même si elle s’y enracine. Envisagée comme une expérience émotionnelle complexe et non comme une simple série de réactions physiologiques, la peur opère en réalité une véritable interprétation de la situation, en faisant voir la rencontre sous un jour particulier. Le frisson au niveau du bas-ventre se voit attribuer une cause intentionnelle par le recours à un agent extérieur: l’inconnu devient un voleur de sexe. On passe ainsi du rétrécissement ou de la disparition au vol du pénis. Ce saut interprétatif qui pourrait nous paraître 1. L. Degh, A. Vazsonyi, «Does the word “dog” bite? Ostensive action: a means of legend telling», Journal of Folklore Research, 20, 1983, p. 5-34. 2. Le détour par les émotions et les sensations permet ainsi de montrer la réalité de la sorcellerie, sans avoir à tenir une position constructiviste radicale affirmant que la culture ou le langage «créent» purement et simplement la réalité. 71 BAT-Voleurs sexe.indd 71 11/09/09 9:28:42 les voleurs de sexe insolite est en réalité tout à fait habituel sur un continent où la sorcellerie fait partie de l’univers quotidien: ainsi on aura tendance à déceler dans les moindres événements une intentionnalité prédatrice cachée. L’interprétation de la rencontre en termes de vol de sexe n’est donc évidemment envisageable que dans la mesure où préexistent déjà des représentations concernant la possibilité même d’une action sorcière. Mais elle est d’autant plus aisée à faire que le frisson, de même que d’autres réactions somatiques comme l’accélération cardiaque, possèdent souvent une valeur prémonitoire en Afrique, notamment dans les systèmes divinatoires1. L’interprétation sorcellaire peut en outre s’appuyer sur une incertitude tout à fait banale concernant la perception de la cause d’une émotion: expérience émotionnelle et réactions physiologiques sont inextricablement mêlées sans que l’on puisse déterminer quelle est la cause de l’autre2. Le témoignage de cette victime d’un vol de sexe illustre bien cette reconstruction d’une chaîne singulière de causes et d’effets: «J’ai senti des frissons me traverser le corps. J’ai eu peur et quand je me suis rappelé du phénomène de vol de sexe, il était trop tard, le mien avait déjà perdu sa forme normale3.» Au lieu de percevoir la peur comme la cause du frisson et de la rétraction normale du pénis, cet homme interprète le frisson comme étant la cause première des autres événements. Il est alors amené à chercher une autre cause au frisson, projetant à l’extérieur de lui-même la raison de la sensation qu’il éprouve dans (ou à la surface de) son corps: il ne peut s’agir que de l’inconnu qui l’a abordé. 1. E.E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé (1937), Paris, Gallimard, 1972, p. 219; J. Bonhomme, Le Miroir et le Crâne. Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon), Paris, CNRS-MSH, 2006, p. 81-82. 2. Ce problème de la causalité des émotions fait l’objet d’une controverse scientifique depuis le début du xxe siècle: William James soutenait que la perception des réactions viscérales cause l’expérience subjective (je sens mon cœur battre la chamade, donc j’ai peur) alors que Walter Cannon défendait la thèse inverse (j’ai peur, donc mon cœur bat la chamade). 3. C. Louetsi, «Alerte aux voleurs de sexe!», L’Union, 26 octobre 2005. 72 BAT-Voleurs sexe.indd 72 11/09/09 9:28:42 frissons et lynchages Celui-ci est donc un sorcier qui vient de lui voler son sexe. L’expérience du frisson et de la peur est ainsi la pierre de touche du phénomène des vols de sexe: la commotion en est la preuve vécue1. Le vol de sexe s’appuie en définitive sur une boucle causale complexe entre mécanismes physiologiques, expérience émotionnelle et inférences cognitives en réaction à une situation d’interaction bien précise. Un autre élément décisif doit être pris en compte pour expliquer la réaction des individus: le rôle catalyseur de la rumeur. Au fur et à mesure que la rumeur annonçant la présence de voleurs de sexe se répand en ville, s’installent un climat d’angoisse et un sentiment d’insécurité qui multiplient les réactions de peur – panique collective que les médias qualifient généralement de «psychose». L’angoisse n’est en effet rien d’autre qu’une anticipation de la peur. Elle pousse à une vigilance accrue et abaisse ainsi considérablement le seuil d’alarme des individus. Elle crée une sorte d’état d’urgence propice à la peur. D’une certaine façon, la rumeur rend inéluctables les événements qu’elle annonce: elle est une prophétie autoréalisante. Ainsi, l’une des soi-disant victimes regrette le drame ayant conduit à la mort du voleur de sexe présumé et reconnaît qu’elle avait «peur de ce que racontent les gens en ville sur la disparition des sexes2». Une autre personne confesse de même: «J’étais sous le choc des rumeurs3.» La circulation de la rumeur crée de la sorte les conditions de son propre accomplissement: elle déclenche des réactions de frayeur qui sont interprétées en termes de vol de sexe; cette confirmation de la rumeur relance alors sa diffusion. Une fois la rumeur 1. Le susto, crise de frayeur répandue en Amérique latine, constitue un autre bon exemple d’élaboration culturelle qui procède par attribution d’une cause magique à la peur. Cf. A.J. Rubel, Susto, a Folk Illness, Berkeley, University of California Press, 1984. 2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», Le Matinal (Cotonou), novembre 2001. 3. V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», art. cit. 73 BAT-Voleurs sexe.indd 73 11/09/09 9:28:42 les voleurs de sexe installée, sa propagation peut finalement s’entretenir toute seule (ce qui laisse tout de même ouverte la question de la raison de son apparition en premier lieu). Après avoir abordé l’expérience de la «victime» du vol de sexe, reste à expliquer la réaction violente de la foule. L’alerte publique donnée par la victime, reprise par les passants alentour, se répercute en une clameur qui enfle rapidement et provoque le rassemblement d’une foule agressive. Celle-ci rattrape le présumé voleur et le lynche sans autre forme de procès. Dans les vols de sexe, les phénomènes de propagation épidémique interviennent ainsi sur deux modes distincts et à deux échelles spatio-temporelles différentes: d’une part au niveau de la propagation de la rumeur au sein d’une ville ou d’un pays, puis d’un pays à l’autre; d’autre part au niveau plus circonscrit de la propagation de la clameur dans la foule et de la contagion mimétique de la violence suite à une accusation. L’explication de cette seconde dimension exige cependant de la prudence: la foule est une forme d’action collective qui résiste à l’observation et, par suite, à l’analyse1. Il est en effet particulièrement difficile de faire une description fine des comportements des foules, en particulier pour celles qui, comme dans le cas des vols de sexe, s’agrègent et se désagrègent très brusquement, et se manifestent par un déchaînement de violences. Condamné à la myopie, on ne peut que s’en tenir à des analyses simplificatrices. Cela explique la tendance générale à faire de la foule un agent collectif auquel on attribue une intentionnalité univoque. Alors que ce n’est pas la foule qui lynche le voleur de sexe, mais bien des individus singuliers qui portent les coups. Cette difficulté à descendre jusqu’aux comportements individuels se retrouve d’ailleurs lors des enquêtes de police et des procès: les personnes ayant participé au lynchage collectif d’un voleur 1. J.-P. Dupuy, La Panique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1991, p. 13-40. 74 BAT-Voleurs sexe.indd 74 11/09/09 9:28:42 frissons et lynchages de sexe échappent souvent aux poursuites et aux condamnations, tant policiers et magistrats ont du mal à établir la responsabilité individuelle des uns et des autres. L’illusion d’unanimité participe également d’une description myope du phénomène. Si nombre de passants alertés par la victime du présumé voleur de sexe se joignent promptement au lynchage, d’autres inconnus passent leur chemin, désapprouvent ou tentent même de s’interposer. On peut d’ailleurs supposer que, dans certains cas (qui échappent aux sources citées dans la mesure où ils ne laissent pas de trace), l’alerte donnée par la victime ne trouve pas de véritable écho parmi les passants. La violence pousse néanmoins à la conformité mimétique, dans la mesure où les contradicteurs risquent de passer pour des complices du voleur de sexe et de se faire lyncher à leur tour. Un Burkinabé, témoin du lynchage d’un voleur de sexe au Mali en juillet 1997, raconte ainsi sa mésaventure: «“J’ai seulement dit aux lyncheurs qu’avant de vouloir tuer quelqu’un, ils feraient mieux de déshabiller la victime pour authentifier ses dires.” Aussitôt quelqu’un se met à hurler: “C’est son complice!” La meute se précipite sur lui. Heureusement, la police, alertée par le voisinage, est intervenue, embarquant tout le monde1.» On sait de toute façon que l’adoption d’un comportement par un nombre critique de personnes suffit souvent à précipiter son adoption massive par effet de seuil2. Concernant les vols de sexe, l’agrégation soudaine de la foule est en tout cas particulièrement frappante, alors même qu’il n’y a aucun véritable meneur. Si la victime qui donne l’alerte est bien à l’origine de la mobilisation, elle semble néanmoins disparaître rapidement dans la foule violente. Au moment du lynchage, la victime devient ainsi un personnage secondaire, presque indistinct. Et ce n’est d’ailleurs souvent pas elle qui 1. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», art. cit., p. 193. 2. M. Granovetter, «Threshold models of collective behavior», American Journal of Sociology, 83-6, 1978, p. 1420-1443. 75 BAT-Voleurs sexe.indd 75 11/09/09 9:28:43 les voleurs de sexe porte les coups. Encore sous le choc, abattue d’avoir perdu son sexe, elle a plutôt tendance à rester prostrée sans participer directement aux violences. Elle suscite donc le rassemblement, mais ne le dirige pas. Aussi odieux soit-il, on ne saurait toutefois résumer le lynchage par la foule du présumé voleur de sexe à une éruption de violence sauvage échappant à toute forme d’objectivation. Le lynchage constitue un registre populaire d’action collective relativement ordinaire en Afrique et obéit à des normes stables et partagées. Comme l’ont bien montré les historiens à propos de l’Europe moderne, loin d’être de simples spasmes irrationnels, les violences collectives s’inscrivent en réalité souvent dans des traditions morales, politiques ou religieuses et représentent de ce fait de véritables «rites de violence1». En Afrique subsaharienne, les lynchages suivent les procédés de la justice populaire couramment appliquée aux voleurs, aux criminels, aux chauffards, mais aussi aux sorciers. Cette justice expéditive représente une réponse alternative des populations à la police et à la justice officielle, souvent accusées d’inaction (et de corruption) face à la criminalité quotidienne. La chasse aux sorciers et le lynchage des suspects constituent en ce sens une réaction collective à un sentiment largement partagé d’insécurité dû à l’intolérable déchaînement de la sorcellerie. Il n’y a pas jusqu’aux supplices infligés par la foule aux malheureux accusés qui ne respectent des schémas d’action stables et ne s’inscrivent par conséquent dans de véritables traditions de violence. Récurrent lors des vols de sexe, le «supplice du collier» (necklacing) consiste par exemple à placer un pneu de voiture autour du torse de la victime puis à l’asperger d’essence avant de la brûler 1. E.P. Thompson, «The moral economy of the English crowd in the Eighteenth Century», Past and Present, 50, 1971, p. 76-136; N.Z. Davis, «Rites of violence: religious riots in 16th Century France», Past and Present, 59, 1973, p. 51-91; C. Tilly, From Mobilization to Revolution, New York, McGraw-Hill, 1978. 76 BAT-Voleurs sexe.indd 76 11/09/09 9:28:43 frissons et lynchages vive. Née dans les townships de l’Afrique du Sud des années 1980, cette méthode d’exécution sommaire était employée contre les criminels et les collaborateurs supposés du régime d’apartheid, mais aussi contre les sorciers1. Elle a ensuite été reprise dans de nombreux autres pays d’Afrique, donnant parfois naissance à un humour particulièrement macabre. Depuis les manifestations contre le président Moussa Traoré en 1991, les Maliens appliquent ainsi «l’article 320 du code de procédure accélérée de la rue»: ce nombre correspond à l’époque au prix en francs CFA du litre d’essence et de la boîte d’allumettes nécessaires pour brûler vifs les délinquants ou présumés tels. L’alerte entraîne ainsi la focalisation des passants autour d’un but commun: les représailles contre le voleur de sexe. Il pourrait cependant paraître étrange que personne ne se préoccupe de vérifier d’abord la réalité de la disparition du sexe de la victime. Mais le fait que cette dernière passe au second plan après avoir donné l’alerte contribue à expliquer pourquoi les passants se soucient peu de son état. En outre, dans la mesure où les normes de la décence imposent que les organes génitaux restent habituellement soustraits à la perception d’autrui, la vérification s’avérerait plutôt délicate, à plus forte raison dans un lieu public. C’est pourquoi le vol du sexe peut tout de même paraître plus crédible que le vol d’une partie visible du corps qui serait immédiatement contredite par l’évidence, la main par exemple (alors même que cette dernière serait plus directement liée aux salutations). Dans les cas fréquents de lynchage de chauffards ou de cambrioleurs, la foule ne se préoccupe d’ailleurs généralement pas non plus de vérifier la réalité des faits avant de passer à l’acte. Lors des vols de sexe, la foule se focalise donc immédiatement sur le 1. I.A. Niehaus, «Witch-hunting and political legitimacy: continuity and change in Green Valley, Lebowa, 1930-91», Africa, 63-4, 1993, p. 498-530; C. Crais, «Of men, magic, and the law: popular justice and the political ima gination in South Africa», Journal of Social History, 32-1, 1998, p. 49-72. 77 BAT-Voleurs sexe.indd 77 11/09/09 9:28:43 les voleurs de sexe coupable plutôt que sur la victime. En réalité, punition du coupable et traitement de la victime sont censés coïncider, comme si le déchaînement furieux de la foule était lui-même salvateur: «C’est en frappant sur [les voleurs] que la victime retrouve en quelques minutes sa virilité et la dimension normale de son sexe. Ce qui confirme qu’ils sont coupables», souligne le frère d’une victime1. La frayeur de la victime, de même que l’angoisse des quidams alarmés par la rumeur, se retournent en effet en une brutale décharge libératoire. Le lynchage constitue ainsi une sorte de réappropriation de la puissance d’agir, tant pour la victime que pour la foule: il permet la conversion d’un affect passif (l’angoisse impuissante) en un affect actif (la décharge agressive contre le présumé voleur)2. L’effervescence collective repose donc sur un mélange détonant de peur et d’agressivité. Il est notable que personne ne se soucie d’expliquer plus précisément ce lien entre la bastonnade et la réapparition du sexe, comme si le fait allait de soi. Mais ce raccourci évident pour tout le monde ne fait en réalité que répéter de manière symétrique un premier raccourci: celui qui liait la rencontre avec le voleur présumé et la disparition du pénis. Le vol de sexe repose en définitive sur des élaborations minimales quant aux mécanismes causaux à l’œuvre. Ces raccourcis sont en outre au principe d’une singulière inversion dans l’établissement de la preuve, puisque c’est la punition violente du coupable présumé qui permet de confirmer in fine sa culpabilité. Secourue par la foule qui s’occupe du malheureux voleur de sexe, la victime retrouve en effet un peu d’aplomb: une fois la frayeur passée, ses sensations normales reviennent, ce qu’elle peut alors interpréter comme la réapparition de ses organes génitaux consécutive à 1. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit. 2. Pour un exemple similaire de conversion émotionnelle dans un rituel de contre-sorcellerie, cf. J. Bonhomme, «Des pleurs ou des coups. Affects et relations dans l’initiation au Bwete Misoko (Gabon)», Systèmes de pensée en Afrique noire, 18, 2008, p. 133-163. 78 BAT-Voleurs sexe.indd 78 11/09/09 9:28:43 frissons et lynchages la bastonnade. Les représailles mettent ainsi en jeu le même type de reconstruction à l’envers de la chaîne de causalité que lors de l’interprétation par la victime de sa frayeur comme indice du vol de son sexe – preuve que c’est bien la dynamique émotionnelle qui forme la pierre de touche du phénomène, depuis le vol supposé jusqu’au lynchage bien réel. Souvent, les brutalités contre le supposé coupable parviennent à lui arracher une confession, confirmant aux assaillants la réalité du vol de sexe et les justifiant dans leurs actes. En avril 2002, à Ebo Town en Gambie, un vieillard aveugle finit par avouer avoir volé le sexe d’un homme qui l’aidait à traverser la rue, et restitue l’organe au moyen d’un petit rituel1. Une telle confession de la part des «sorciers» pourrait sembler étonnante: pourquoi un individu, forcément accusé à tort, irait-il confesser une culpabilité invraisemblable? Les confessions de sorciers ne sont pourtant pas rares en Afrique: les aveux très circonstanciés des «enfants‑ sorciers» en République démocratique du Congo en constituent un bon exemple2. Ces confessions peuvent assez facilement s’expliquer par l’intense pression, psychologique ou physique, exercée par l’entourage sur l’accusé. De manière plus ambiguë, l’aveu permet parfois également au sorcier de se mettre en avant, en s’attribuant de mystérieux pouvoirs occultes: le sorcier est un homme puissant et donc craint. Cette stratégie de mise en scène de soi, qui pourrait se révéler dangereuse, peut néanmoins être payante dans les sociétés où il n’existe pas ou peu de sanctions publiques contre les sorciers. Il faut encore préciser que la confession constitue souvent un préalable indispensable à un rituel de purification et d’absolution, cérémonie typique des mouvements de lutte contre la sorcellerie qui apparaissent sporadiquement 1. F. Kamara, «Blindman escapes mob justice for alleged penis snatching», The Daily Observer (Banjul), 30 avril 2002. 2. F. De Boeck, «Le “deuxième monde” et les “enfants-sorciers” en RDC», Politique africaine, 80, 2000, p. 32-57. 79 BAT-Voleurs sexe.indd 79 11/09/09 9:28:43 les voleurs de sexe sur le continent africain, au moins depuis l’époque coloniale. Dans le cas du vol de sexe, il ne semble pourtant pas que la confession du présumé voleur suffise à éviter son lynchage par la foule, car on ne se situe pas dans un contexte de gestion ritualisée de la sorcellerie. Seule la restitution du sexe par le présumé voleur (ou en tout cas l’affirmation qu’il est prêt à le restituer) paraît pouvoir calmer la foule en colère – déclaration qui constitue déjà en soi un aveu de culpabilité. Autre fait déterminant, l’alerte provoque une convergence massive de passants qui se trouvaient jusque-là en simple situation de coprésence et suivaient des trajectoires divergentes: «Le chauffeur de taxi, le vendeur de journaux ambulant, le commerçant qui pousse la chansonnette, le salarié intelligent et perspicace, tous ramassent des barres de fer, des briques, des gourdins et des barres à mine, et bastonnent des innocents, leur fendent le crâne et les brûlent tout vifs1.» Une communauté affective émerge ainsi soudainement là où il n’y avait que des inconnus disparates et sans lien préexistant. L’identification avec la victime est le principe de ce rassemblement: scandalisés par le vol de sexe, les passants sont d’autant plus prompts à se rassembler en une foule hostile contre le présumé voleur qu’ils se sentent également vulnérables (le voleur semble en effet choisir ses victimes au hasard, puisqu’elles lui sont toujours étrangères). C’est ce qui explique la solidarité de la foule autour du sexe volé. Cette solidarité anonyme possède en outre un effet désinhibiteur qui rend possible le lynchage: on peut être d’autant plus facilement violent qu’on est anonyme parmi d’autres anonymes. Il est en revanche plus difficile de l’être sous le regard de ses proches. Un cas similaire de violence collective analysé par l’historien Alain Corbin confirme cet argument2. Peu après la défaite de 1870, lors d’une foire dans le Périgord, un jeune noble suspecté 1. Cité in B. Sackey, «The vanishing sexual organ phenomenon in the context of Ghanaian religious beliefs», art. cit., p. 114. 2. A. Corbin, Le Village des «cannibales», Paris, Aubier, 1990. 80 BAT-Voleurs sexe.indd 80 11/09/09 9:28:44 frissons et lynchages d’être un Prussien de l’intérieur qui aurait en outre osé crier «Vive la République!» est atrocement tué par la foule avant d’être rôti comme un cochon. Or, ces atrocités ont justement été rendues possibles par le contexte spécifique de la foire: par opposition à l’interconnaissance de la communauté villageoise, cette dernière suppose en effet un anonymat relatif qui permet le déchaînement d’une violence inaccoutumée. La solidarité des lyncheurs d’un voleur de sexe, comme celle des meurtriers de la foire, est cependant brève et sans suite. Les individus qui composent la foule ne partagent aucun intérêt commun au-delà des représailles contre le voleur de sexe: une fois le présumé coupable lynché, la mobilisation collective retombe et la foule se disperse bien vite. Ce type de lien social transitoire correspond particulièrement bien aux espaces publics urbains: par opposition à la solidarité organique qui structure les petits groupes d’interconnaissance, la vie sociale y est régie par une alternance entre l’atomisation d’une multitude anonyme et disparate et la formation épisodique de communautés que l’on pourrait qualifier d’éphémères ou d’instantanées. La foule se défait donc généralement aussi vite qu’elle s’était formée et chacun retourne à ses occupations, jusqu’au prochain incident. 81 BAT-Voleurs sexe.indd 81 11/09/09 9:28:44 82 BAT-Voleurs sexe.indd 82 11/09/09 9:28:44 tc à changer La sorcellerie dans tous ses états Le vol de sexe représente une variété de sorcellerie fort singulière. La sorcellerie en Afrique subsaharienne se décline en effet toujours au pluriel, dans la mesure où il y a de nombreuses variations régionales, mais aussi différentes formes de sorcellerie au sein d’un même ensemble culturel. On ne saurait donc dégager un archétype simple et unique de la «sorcellerie africaine». Et cela d’autant plus que l’emploi même du terme «sorcellerie» (ou de son double équivalent anglais «witchcraft» et «sorcery») est problématique1. Le terme désigne un concept anthropologique qui, même limité au seul domaine de l’africanisme, traduit de multiples notions locales qui ne se superposent pas nécessairement. Cette traduction dépend en outre du contexte colonial dans lequel elle a été opérée: elle doit autant à l’imaginaire occidental de l’Afrique, et notamment à l’imaginaire missionnaire, qu’à la réalité des sociétés locales. Mais cette transposition coloniale a ensuite fait l’objet d’une réappropriation par les populations locales, qui utilisent aujourd’hui tout autant les vocables «sorcellerie» ou «witchcraft» que leurs équivalents dans les langues vernaculaires. Tout cela fait de la «sorcellerie» une notion mixte, lestée de différentes strates de sens, et donc particulièrement délicate à manipuler. 1. P. Pels, «The magic of Africa: reflections on a Western commonplace», art. cit., p. 193-209. 83 BAT-Voleurs sexe.indd 83 11/09/09 9:28:44 les voleurs de sexe Il n’en reste pas moins que les anthropologues ont pu relever en Afrique subsaharienne la présence obsédante d’une forme typique de sorcellerie que l’on nommera ici, faute de mieux, «sorcellerie familiale1». Il ne faut évidemment voir dans cette sorcellerie familiale qu’un idéal-type permettant de rendre compte de manière synthétique d’un ensemble de représentations largement présentes sur le continent africain et partageant entre elles un certain air de famille. Les simplifications inhérentes à toute construction idéal-typique sont ici acceptables, dans la mesure où notre ambition n’est pas d’étudier la sorcellerie familiale pour elle-même, mais simplement de faire ressortir un certain nombre de différences significatives entre le vol de sexe et des phénomènes habituellement pensés en termes de «sorcellerie», tant par les intéressés eux-mêmes que par les anthropologues. La comparaison entre le vol de sexe et la sorcellerie familiale offre un contraste saisissant (voir tableau infra, p. 89). Comme son nom l’indique, la sorcellerie familiale opère à l’intérieur de la sphère de parenté. Ce lien intime entre sorcellerie et parenté se retrouve dans de très nombreux groupes ethniques et constitue sans doute l’un des traits les plus typiques de la sorcellerie en Afrique subsaharienne, par contraste avec la Mélanésie, l’Amazonie ou l’Europe. Deux proverbes des Mitsogo du Gabon avertissent par exemple que «celui qui te tue n’est pas loin de toi» ou encore que «la première bête que la panthère dévore, c’est la civette, sa parente». Un proverbe des Douala du Cameroun déclare de même que «celui qui t’ensorcelle est toujours l’un des tiens2». Un proverbe 1. Voir par exemple J. Middleton, E.H. Winter (dir.), Witchcraft and Sorcery in East Africa, Londres, Routledge & Paul, 1963; M.G. Marwick, Sorcery in its Social Setting: A Study of the Northern Rhodesia Ceŵa, Manchester, Manchester University Press, 1965; M. Douglas, «Witch beliefs in Central Africa», Africa, 37-1, 1967, p. 72-80; P. Bonnafé, Nzo Lipfu, le lignage de la mort, Paris, Société d’ethnologie, 1978; S. Lallemand, La Mangeuse d’âmes. Sorcellerie et famille en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1988. 2. E. de Rosny, Les Yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays douala (Cameroun), Paris, Plon, 1981, p. 159. 84 BAT-Voleurs sexe.indd 84 11/09/09 9:28:44 la sorcellerie dans tous ses états des Lovedu d’Afrique du Sud affirme enfin: «Tu manges avec lui, mais c’est en fait lui qui te mange1.» Un sorcier ne peut attaquer un lignage étranger au sien à moins d’avoir un complice dans la place. Dans de nombreuses sociétés matrilinéaires du continent africain, le sorcier par excellence c’est alors l’oncle maternel, détenteur de l’autorité lignagère. C’est par exemple le cas au Gabon parmi les populations situées au sud de l’Ogooué qui sont majoritairement matrilinéaires. En revanche, chez les Fang, population patrilinéaire habitant au nord du pays, le sorcier sera plutôt à chercher du côté du patrilignage d’Ego. Le nœud entre sorcellerie et parenté se décline ainsi en un vaste éventail de situations différentes2. Il ne faudrait donc pas réduire cette diversité pour donner une image uniforme de la sorcellerie africaine. Selon les cas, le sorcier et sa victime peuvent être co-épouses, mari et femme, oncle et neveu, frère et sœur, aîné et cadet ou même corésidants. Très présente en milieu rural, cette sorcellerie familiale constitue la sorcellerie villageoise par excellence. Ce lien entre sorcellerie et parenté persiste pourtant encore largement en milieu urbain: «Même dans les contextes modernes, la sorcellerie semble presque toujours naître de l’intimité familiale3.» Dans une grande métropole comme Douala, les devins-guérisseurs nganga ne manquent jamais d’impliquer la famille dans les affaires de sorcellerie4. De même, à Libreville, la divination du nganga consiste avant tout à préciser au patient si le sorcier responsable de son infortune doit être cherché «du côté des pères» (parents paternels) ou «du 1. P. Mayer, «Witches» (1954), in M. Marwick (dir.), Witchcraft and Sorcery: Selected Readings, Harmondsworth, Penguin Books, 1970, p. 45-64, ici p. 61. 2. A. Adler, Roi sorcier, mère sorcière. Parenté, politique et sorcellerie en Afrique noire, Paris, Éditions du Félin, 2006, p. 33-63. 3. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 1995, p. 18. 4. E. de Rosny, Les Yeux de ma chèvre, op. cit. 85 BAT-Voleurs sexe.indd 85 11/09/09 9:28:44 les voleurs de sexe côté des mères» (parents maternels). D’une manière générale en Afrique, le sorcier a ainsi tendance à être un insider plutôt qu’un outsider: l’attaque provient de l’intérieur même du groupe local1. Selon la belle formule de Philip Mayer, «le sorcier est l’ennemi de l’intérieur» car «les sorciers s’en prennent à leurs propres voisins et parents; ils ne s’attaquent pas aux étrangers et aux personnes qui viennent de loin2». Comparant la sorcellerie chez les Mkako du Cameroun et chez les Bimin Kuskumin de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Elisabeth Copet-Rougier parvient à la même conclusion: chez les premiers, le sorcier est un familier qui opère de l’inté rieur du groupe, alors que chez les seconds (comme souvent en Mélanésie et en Asie du Sud-Est), c’est au contraire un étranger extérieur au groupe3. En Afrique, la sorcellerie villageoise implique donc des parents, mais aussi parfois des voisins ou des covillageois, qui se connaissent tous et se fréquentent. Les suspicions ou les accusations de sorcellerie émergent sur fond de jalousies, rivalités et tensions interpersonnelles pré-existantes. Même lorsqu’il ne s’agit pas d’une relation de parenté, la relation sorcellaire suppose une interconnaissance: à défaut d’être une sorcellerie familiale, il s’agit toujours au moins d’une sorcellerie familière. À propos des Ibibio du Nigeria, Daniel Offiong note ainsi que sur un échantillon de 52 accusations de sorcellerie recensées entre 1978 et 1981, «il n’y a absolument aucun cas d’accusations entre étrangers, c’est-à-dire entre personnes ne s’étant jamais rencontrées auparavant et n’étant pas déjà en conflit. 1. M. Douglas, «Introduction: thirty years after witchcraft, oracles and magic», in M. Douglas (dir.), Witchcraft Confessions and Accusations, Londres, Tavistock Publications, 1970, p. xiii-xxxviii, ici p. xxvii. 2. «The witch is the hidden enemy within the gate.» P. Mayer, «Witches», art. cit., p. 61 et p. 47. 3. E. Copet-Rougier, «L’altro, l’altro dell’altro e l’altro da sé. Rappresentazioni della stregoneria, del cannibalismo e dell’incesto», in M. Bettini (dir.), Lo straniero, ovvero l’identità culturale a confronto, Rome-Bari, Laterza, 1992, p. 155-174. 86 BAT-Voleurs sexe.indd 86 11/09/09 9:28:45 la sorcellerie dans tous ses états Ce sont toujours des personnes en relation étroite qui sont impliquées1». Le vol de sexe se démarque de manière frappante de ce schéma habituel de la sorcellerie familiale. D’une part, il représente un phénomène exclusivement urbain. D’autre part et surtout, il opère toujours hors de la sphère de parenté. Il ne présuppose en outre aucun lien interpersonnel préexistant entre le voleur et sa victime, mais implique au contraire invariablement des inconnus et, comme nous le verrons, souvent même des étrangers. La sorcellerie familiale s’inscrit nécessairement dans une longue durée: accumulation des tensions et du ressentiment, interprétation rétrospective d’infortunes passées, répétition des attaques sorcellaires, consultation de devins-guérisseurs pour se «blinder» et contre-attaquer. Le vol de sexe suppose à l’inverse une durée beaucoup plus courte: propagation fulgurante de la rumeur, brièveté de la rencontre entre le voleur de sexe et sa victime, sanction immédiate de la justice expéditive. La sorcellerie familiale touche d’abord et avant tout l’espace domestique, puisqu’elle est liée à la parenté et à la résidence: le sorcier enfouit des mauvais sorts sous la porte du logis, empoisonne la nourriture du foyer et agresse les gens jusque dans leur lit. Les Maka du Cameroun parlent ainsi de la «sorcellerie de la maison», djambe le njaw2. En revanche, le vol de sexe survient toujours dans un espace public, notamment dans la rue: il suppose l’anonymat des passants immergés dans le trafic urbain. Autre différence significative, la sorcellerie familiale est essentiellement nocturne. Dans les langues bantu d’Afrique centrale, l’étymologie de plusieurs termes appartenant au champ sémantique de la sorcellerie renvoie à la nuit et à l’obscurité. Les sorciers ont d’ailleurs souvent la réputation de pouvoir se transformer en panthère ou en hibou, prédateurs nocturnes 1. D.A. Offiong, «Social relations and witch beliefs among the Ibibio of Nigeria», Journal of Anthropological Research, 39-1, 1983, p. 81-95, ici p. 90. 2. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit., p. 62. 87 BAT-Voleurs sexe.indd 87 11/09/09 9:28:45 les voleurs de sexe par excellence. Si le sorcier est un homme nocturne, c’est parce que la nuit – temps du sommeil et lieu de l’obscurité – lui permet d’agir dérobé au regard d’autrui et ainsi de ne pas être reconnu par ses proches. La sorcellerie exige la dissimulation. Le sorcier est coutumier des actions occultes et des agressions à distance, généralement qualifiées de «mystiques» car elles échappent au face-à-face1. Au Gabon, le sorcier attaque ses victimes à coups de «fusil nocturne» ou de «mine mystique». La nuit venue, il sort de son corps et s’envole secrètement jusqu’au chevet de ses proies, parfois à bord d’un «avion mystique» à l’aide duquel il peut parcourir d’immenses distances presque instantanément (et dont le carburant est composé du sang de ses victimes). On raconte en outre que les sorciers s’acharnent à faire échouer les projets d’électrification de leur village, de peur de voir exposer en pleine lumière leurs manigances nocturnes. Le sorcier reste donc toujours invisible. C’est pourquoi les affaires de sorcellerie sont avant tout des suspicions autour d’actes et d’acteurs fondamentalement incertains. À l’inverse, les vols de sexe se passent toujours en plein jour, au vu et au su de tous. Ils impliquent en outre un contact direct, une interaction bien réelle entre le voleur et sa victime, le plus souvent un face-à-face. Fait inédit, dans le cas du vol de sexe, le sorcier n’est donc plus une figure absente: il est bien là, en face de sa victime. Cela n’est pas sans conséquence sur l’accusation et ses suites. La sorcellerie familiale constitue une transgression de la norme de la solidarité familiale: elle représente l’envers obscur de la parenté2. Le jour, les parents doivent s’efforcer de sauver en public les apparences de la solidarité lignagère, en évitant le conflit dans les interactions de face-àface. Mais la nuit venue, cédant aux jalousies, aux haines et aux rancœurs, ils s’entre-dévorent. La sorcellerie manifeste ainsi la violence dissimulée au sein de la parenté. Cette violence 1. J. Bonhomme, «Voir par-derrière. Sorcellerie, initiation et perception au Gabon», Social Anthropology, 13-3, 2005, p. 259-273. 2. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit., p. 59. 88 BAT-Voleurs sexe.indd 88 11/09/09 9:28:45 la sorcellerie dans tous ses états «mystique» représente toutefois une alternative à la violence physique directe, une expression de la violence par d’autres moyens. C’est pourquoi il est fréquent qu’il n’y ait pas de sanction directe contre le sorcier, ni même de véritable accusation publique: la victime se contentera d’aller consulter un devinguérisseur afin de se «blinder» et de retourner l’agression occulte contre son agresseur (ce qu’on appelle au Gabon un «retour à l’envoyeur»). La violence mystique appelle donc en représailles une autre violence mystique, mais rarement une violence frontale. Par contraste, les vols de sexe supposent une confrontation directe entre les deux protagonistes. L’accusation est alors frontale et a lieu en public. Cela entraîne immédiatement une violence tout aussi directe et frontale, en l’occurrence le lynchage du présumé voleur de sexe par la foule. Sphère sociale Lieu Espace Temporalité Relation Acteurs Situation Identification1 Durée Type d’interaction Moyens d’action Accusation Représailles Vecteur de diffusion Échelle Réseau2 Sorcellerie familiale Vol de sexe Familiale Rural et urbain Domestique Nocturne Parenté Parents Interconnaissance Biographique Longue Dissimulation Action à distance Insinuations Rares, indirectes Ragot Locale Fermé sur lui-même Extra-familiale Urbain Public Diurne Relations de trafic Inconnus Anonymat Catégorielle Courte Face-à-face Contact physique Accusation frontale Lynchage Rumeur Transnationale Ouvert 1. Sur ce point, cf. infra p. 111-112. 2. Sur ces trois derniers points, cf. infra p. 125-126. 89 BAT-Voleurs sexe.indd 89 11/09/09 9:28:46 les voleurs de sexe En définitive, la sorcellerie familiale est la sorcellerie de l’interconnaissance entre parents, alors que le vol de sexe est la sorcellerie de l’anonymat urbain. Il est important de noter que, dans les deux cas, elle est toujours fondée, non sur d’extravagantes croyances exotiques, mais sur des préoccupations ordinaires. Menace reposant sur les expériences les plus banales (parler, manger, saluer, toucher, dévisager, dormir), la sorcellerie renvoie à la part occulte de la socialité. Les histoires de sorcellerie constituent en effet une sorte de discours moral qui révèle en négatif les normes interactionnelles qu’une relation pacifique se doit de respecter. La menace sorcellaire surgit donc généralement lorsqu’un individu se trouve dans une situation de vulnérabilité ou d’insécurité interactionnelle1. Les représentations sorcellaires évoquent de manière dramatique des situations d’interactions ordinaires minées par une dangereuse asymétrie. La sorcellerie familiale est liée à une dissimulation au sein d’une situation d’interconnaissance. Elle souligne que l’on peut toujours pâtir des agissements sournois de ses proches, car on ne sera jamais certain de ce qu’ils font la nuit ou dans notre dos: la relation diurne de réciprocité peut alors basculer dans une relation nocturne de prédation. Elle illustre ainsi l’impossibilité d’une transparence absolue dans les rapports interpersonnels, y compris, et peut-être même surtout, dans les situations de familiarité maximale comme la parenté. Le vol de sexe est quant à lui lié à un face-à-face en situation d’anonymat. L’insécurité 1. Depuis E.E. Evans-Pritchard, il est courant de penser la sorcellerie en termes d’incertitude ou d’insécurité. Afin de rendre compte de l’obsession de l’occulte dans l’Afrique contemporaine, Adam Ashforth propose le concept d’«insécurité spirituelle» (spiritual insecurity): cf. A. Ashforth, Witchcraft, Violence, and Democracy in South Africa, Chicago, The University of Chicago Press, 2005. L’épithète «spirituel» a cependant l’inconvénient d’être particulièrement flou. Le concept d’insécurité interactionnelle me semble plus précis. Il a en outre l’avantage de focaliser l’attention sur les situations d’interaction plutôt que sur les seules représentations. Il conduit ainsi à une approche pragmatique plutôt que symbolique de la sorcellerie. 90 BAT-Voleurs sexe.indd 90 11/09/09 9:28:46 la sorcellerie dans tous ses états interactionnelle provient alors de l’incertitude qui pèse sur ce type de rencontre: ignorant les intentions de l’inconnu, on ne sait comment interpréter un geste anodin (tel un frôlement) ou un geste de solidarité (telles des salutations). Tout contact avec lui peut se révéler potentiellement dangereux, surtout s’il est à sa seule initiative, comme cela est toujours le cas. Cela peut donc facilement tourner à la mauvaise rencontre: mieux vaut rester sur ses gardes. L’accélération de l’exode rural dans la seconde moitié du xxe siècle a considérablement multiplié les occasions de telles rencontres anonymes – même si, bien entendu, cela fait des siècles que les Africains ont l’occasion de croiser des inconnus, que cela soit dans les cours royales, sur les marchés le long des réseaux de commerce ou à l’occasion de déplacements migratoires. En élargissant le champ de la sociabilité, l’exode rural a du même coup élargi celui de la sorcellerie. Comme le note Filip De Boeck à propos de Kinshasa, «puisque les sources d’une possible sorcellerie sont souvent déconnectées des relations familiales, le danger peut maintenant surgir de n’importe où. On se fait ensorceler dans des endroits publics tels que marchés et magasins et à travers des relations avec des gens étrangers, anonymes1». On peut d’ailleurs avancer une hypothèse concernant l’émergence de ces nouvelles formes de sorcellerie: ces dernières apparaîtraient par mutation de formes préexistantes de sorcellerie constamment «recalibrées» pour être adaptées à un nouvel environnement socioculturel. Chaque transposition induit alors une série de déplacements (concernant les modalités de l’agression, les protagonistes, etc.). Ce modèle de la «mutation» peut être étayé par certains faits. En novembre 2005, une jeune Camerounaise cause la stupeur dans un bus de Douala lorsqu’elle se met soudainement à crier qu’elle est victime d’un 1. F. De Boeck, M.-F. Plissart, Kinshasa. Récits de la ville invisible, op. cit., p. 203. 91 BAT-Voleurs sexe.indd 91 11/09/09 9:28:46 les voleurs de sexe «viol mystique»: «J’étais assise lorsque j’ai ressenti des fourmillements dans mon sexe. Mais aussi des sensations fortes d’un acte sexuel. C’est alors que je me suis mise à crier, exactement comme si on était en train de me b… Tout le monde s’est retourné pour me regarder, c’est alors que j’ai pointé du doigt l’accusé qui rangeait sa verge dans son pantalon1.» La jeune femme est tremblante de peur et l’accusé est finalement conduit au commissariat où il est placé en garde à vue, malgré l’absence de preuve tangible. Il ne s’agit pas d’un cas isolé: les chauffeurs de bus de Douala dénoncent la récurrence des viols mystiques dans leur véhicule. Ce viol mystique n’est pas sans ressemblance avec le vol de sexe, dont il constitue en quelque sorte une variante féminine. Certes, le viol mystique implique des personnes de sexe différent, contrairement à la majorité des vols de sexe. Mais les deux formes de sorcellerie se recoupent sur de nombreux points: focalisation sur les organes génitaux, accusation d’un inconnu, contexte du trafic urbain et des transports collectifs, ancrage sur une expérience somatique et émotionnelle liée à la peur (c’est la sensation étrange éprouvée par la jeune fille associée à la perception du geste suspect de l’inconnu qui déclenche l’imputation sorcellaire). Or, le viol mystique semble bien être le résultat d’une transposition d’une forme préexistante de sorcellerie hors du cercle familial. Il est en effet rapproché, par les intéressés euxmêmes, des histoires d’incubes – parfois appelés «maris de la nuit» – qui tourmentent les femmes à la faveur de cauchemars érotiques (rêves de viol notamment) et qui sont souvent liés à des suspicions de sorcellerie à l’intérieur de la famille. Étant donné la proximité entre viol mystique et vol de sexe, on peut alors conjecturer que le second procède également d’une extension du domaine de la sorcellerie au-delà du cercle familial par mutation de formes préexistantes. L’apparition 1. D. Bela, «Insolite: viol mystique dans un bus à Douala», Mutations, 12 juillet 2005; H. Bangré, «Cameroun: “Il m’a couchée dans la sorcellerie!”», Afrik.com, 13 juillet 2005. 92 BAT-Voleurs sexe.indd 92 11/09/09 9:28:46 la sorcellerie dans tous ses états du vol de sexe au début des années 1970 au Nigeria pourrait ainsi résulter de la transformation d’une forme de sorcellerie traditionnellement focalisée sur le sexe qui aurait été adaptée à l’environnement du trafic urbain, dans un contexte où les rencontres entre inconnus deviennent particulièrement sen sibles, peut-être du fait des tensions interethniques engendrées par la guerre du Biafra (1967-1970). Par rapport à la sorcellerie familiale, le vol de sexe représente donc une sorcellerie «nouveau style», une forme de sorcellerie caractéristique de la modernité urbaine1. Il est loin d’être unique en cela: le vol de sexe n’est en effet ni la seule ni surtout la première de ces formes inédites de sorcellerie qui échappent au cercle familial. Depuis le début des années 1990, tout un courant anthropologique a renouvelé les études africanistes en insistant sur l’irréductible modernité de la sorcellerie africaine2. Partant du principe que la modernité s’accompagne d’un «désenchantement du monde», les ethnologues ont pendant longtemps pensé que les religions autochtones et la sorcellerie représentaient les survivances culturelles d’une Afrique villageoise traditionnelle inéluctablement vouée à disparaître. Cette croyance les poussait à consigner dans l’urgence ces coutumes dans leurs monographies savantes. L’histoire les a pourtant contredits. Aux quatre coins de l’Afrique, les observateurs continuent de relever l’entêtante persistance de la sorcellerie. Cette permanence s’accompagne en outre de la 1. F. De Boeck, M.-F. Plissart, Kinshasa. Récits de la ville invisible, op. cit. p. 203. 2. J. Comaroff, J.L. Comaroff, Modernity and its Malcontents: Ritual and Power in Postcolonial Africa, op. cit.; id., «Occult economies and the violence of abstraction: notes from the South African postcolony, art. cit.; D. Ciekawy, P. Geschiere (dir.), «Containing witchcraft», art. cit.; P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit.; F. Bernault, J. Tonda (dir.), «Pouvoirs sorciers», Politique africaine 79, 2000; H.L. Moore, T. Sanders (dir.), Magical Interpretations, Material Realities. Modernity, Witchcraft and the Occult in Postcolonial Africa, Londres, Routledge, 2001; B. Meyer, P. Pels (dir.), Magic and Modernity. Interfaces of Revelation and Concealment, Stanford, Stanford University Press, 2003. 93 BAT-Voleurs sexe.indd 93 11/09/09 9:28:46 les voleurs de sexe prolifération de formes inédites de sorcellerie et de nouveaux rituels thérapeutico-religieux dans les grands centres urbains, davantage encore que dans un monde rural pourtant supposé plus attaché à ses traditions. Les citadins africains évoquent d’ailleurs eux-mêmes une inquiétante recrudescence de la sorcellerie, opinion révélatrice même si elle s’avère en réalité fort difficile à quantifier, comme l’avait déjà noté Mary Douglas1. Pour de nombreux chercheurs africanistes, c’est bien la preuve que la sorcellerie africaine contemporaine ne relève pas d’une analyse exclusive en termes de tradition, mais doit plutôt être replacée dans l’histoire d’une modernité coloniale et post coloniale constituée par des flux socioculturels de plus en plus globalisés. Non seulement elle s’épanouit dans des contextes modernes, mais elle concerne en réalité fondamentalement la modernité elle-même: les discours sur la sorcellerie constitueraient en effet une sorte de «métacommentaire à propos du projet profondément ambivalent de la modernité» tel qu’il est vécu et pensé par les Africains2. «Modernité de la sorcellerie» et «sorcellerie de la modernité» sont ainsi rapidement devenues des tropes dominants dans les études africanistes contemporaines. L’économie et la politique – deux secteurs de la vie sociale profondément bouleversés par les changements liés à l’histoire coloniale et postcoloniale – constituent les deux thèmes majeurs sur lesquels les études se sont focalisées pour illustrer cette thèse de la modernité sorcellaire en Afrique. La sorcellerie se trouve ainsi intimement associée à l’exercice du pouvoir politique dans le cadre de l’État moderne3. Harry West 1. M. Douglas, «Introduction: thirty years after Witchcraft, Oracles and Magic», art. cit., p. xx. 2. T. Sanders, «Reconsidering witchcraft: postcolonial Africa and an lytic (un)certainties», American Anthropologist, 105-2, 2003, p. 338-352, ici p. 339. 3. M. Rowlands, J.-P. Warnier, «Sorcery, power, and the modern State in Cameroon», Man, 23-1, 1988, p. 118-132; P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit.; D. Ciekawy, «Witchcraft in statecraft: five tech- 94 BAT-Voleurs sexe.indd 94 11/09/09 9:28:47 la sorcellerie dans tous ses états montre par exemple comment le langage de la sorcellerie a constitué au Mozambique un idiome privilégié pour appréhender le pouvoir et les profondes transformations qu’il a subies depuis le début du xxe siècle, de la colonisation portugaise à la nouvelle gouvernance démocratique en passant par la guérilla marxiste1. Mais la sorcellerie est également liée à l’économie moderne. Son langage sert à penser – et souvent critiquer – les nouvelles formes d’accumulation de richesses. La rumeur des zombies en représente un bon exemple: des sorciers sont suspectés de transformer leurs victimes en zombies afin de les faire travailler à leur profit. Certains lieux sont même réputés abriter des camps de travail invisibles où sont exploitées des cohortes de zombies serviles. Probablement apparue au cours du premier tiers du xxe siècle, cette rumeur a provoqué de véritables paniques au Cameroun et dans plusieurs autres régions d’Afrique2. Reposant sur une conversion magique de la force de travail humaine en biens matériels, cette forme inédite de sorcellerie constitue un mode d’explication des nouvelles stratégies d’enrichissement (mais aussi une évocation de la traite négrière ou encore du travail forcé dans les plantations à l’époque coloniale): le sorcier est en effet censé «vendre» sa victime qui dépérit puis meurt, tandis que lui s’enrichit sans raison apparente. Les Douala du Cameroun affirment d’ailleurs que cette nouvelle forme de sorcellerie, appelée ekong, s’est répandue à la faveur du salariat et de l’afflux d’argent qu’il a entraîné3. La modernité économique et politique s’accompagne ainsi en Afrique d’une inquiétante extension du domaine de l’occulte. nologies of power in colonial and postcolonial coastal Kenya», African Studies Review, 41-3, 1998, p. 119-141. 1. H.G. West, Kupilikula. Governance and the Invisible Realm in Mozambique, Chicago, University of Chicago Press, 2005. 2. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit., p. 173-217; J. Comaroff, J.L. Comaroff, «Alien-nation: zombies, immigrants, and millennial capitalism», The South Atlantic Quarterly, 101-4, 2002, p. 779-805. 3. E. de Rosny, Les Yeux de ma chèvre, op. cit., p. 97-111. 95 BAT-Voleurs sexe.indd 95 11/09/09 9:28:47 les voleurs de sexe Manipulateur occulte des ficelles de l’État ou entrepreneur enrichi par des zombies, le sorcier incarnerait par conséquent la figure d’une modernité menaçante. Comme le soulignent Jean et John L. Comaroff, la sorcellerie serait ainsi particulièrement apte à exprimer un «malaise dans la modernité1». Le diagnostic est très certainement juste. Il ne doit toutefois pas faire oublier qu’elle peut également concerner les «choses de la tradition», y compris dans des contextes contemporains2. Sorcellerie «traditionnelle» et sorcellerie «moderne» sont des idéaux-types auxquels il ne faut pas donner une signification directement chronologique. En effet, ces deux termes désignent moins des périodes qui se succéderaient (même avec des transitions) que des niveaux d’échelle qui s’articulent de manière contemporaine. Ainsi, en ville peuvent coexister une sorcellerie familiale «traditionnelle» et des rumeurs de sorcellerie plus «modernes» comme celles des zombies ou du vol de sexe. Ces deux formes de sorcellerie peuvent même parfois s’imbriquer l’une dans l’autre, comme lorsqu’un sorcier est suspecté de transformer ses propres parents en zombies. On peut en outre regretter que les analyses sur la modernité sorcellaire reposent parfois sur une articulation un peu trop lâche entre le local (les phénomènes étudiés) et le global (qui sert de cadre explicatif )3. De là le niveau de généralité très abstrait de leur diagnostic: les représentations sorcellaires contemporaines exprimeraient l’attitude ambivalente des habitants du continent africain face à la mondialisation, la modernité, l’individualisme ou encore le capitalisme néo-libéral. Insister sur la nécessité de replacer la sorcellerie dans le contexte d’une modernité globalisée ne doit pas pour 1. J. Comaroff, J.L. Comaroff, Modernity and its Malcontents, op. cit., p. xxix. 2. T. Sanders, «Reconsidering witchcraft: postcolonial Africa and analytic (un)certainties», art. cit. 3. S.F. Moore, «Reflections on the Comaroff lecture», American Ethnologist, 26-2, 1999, p. 304-306. 96 BAT-Voleurs sexe.indd 96 11/09/09 9:28:47 la sorcellerie dans tous ses états autant servir de prétexte pour convertir l’anthropologie à une macro-sociologie abstraite au détriment de la méthode ethnographique et de son art du détail1. Face à cette analyse sociologique, l’approche interactionniste offre une échelle sans doute plus adéquate pour caractériser finement les phénomènes et leurs causalités. Nous avons ainsi cherché dans les détails de la situation locale ce qui était précisément en jeu dans la rumeur. Il en ressort que le vol de sexe exprime moins un malaise dans la modernité qu’un malaise dans l’interaction, et même dans un type très précis d’interaction urbaine: les relations de trafic. Ce dont il est question ici, c’est moins d’une angoisse diffuse devant la modernité que, très concrètement, du champ possible des interactions dans lesquelles chacun peut être pris. Comme l’a bien souligné Luise White, les rumeurs de sorcellerie offrent en définitive de «nouveaux imaginaires pour de nouvelles relations 2». 1. H. Englund, J. Leach, «Ethnography and the meta-narratives of mode nity», Current Anthropology, 41-2, 2000, p. 225-248. 2. L. White, Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa, op. cit., p. 22. 97 BAT-Voleurs sexe.indd 97 11/09/09 9:28:47 98 BAT-Voleurs sexe.indd 98 11/09/09 9:28:48 tc à changer Danger ne pas saluer Le vol de sexe repose sur la rencontre d’un individu avec un inconnu dans un espace public urbain. Cette rencontre provoque une réaction de peur qui elle-même entraîne une réaction agressive des passants alentour – l’intense diffusion préalable de la rumeur servant de catalyseur qui précipite les événements. Ce sont les poignées de main entre inconnus qui font l’objet des inquiétudes les plus vives, au point de susciter de nouvelles conduites d’évitement systématique des salutations. La rumeur des vols de sexe a donc des conséquences sociales bien réelles: elle infléchit, au moins temporairement, les normes qui règlent les rapports interpersonnels. Tous les commentaires des victimes, des personnes interrogées par la presse et des journalistes insistent clairement sur ce point. Pour se protéger du vol de sexe, certains s’en remettent aux amulettes portatives couramment utilisées contre les sorciers: «“Maintenant, chacun prend ses précautions…”, précise ce fonctionnaire tout en avouant porter désormais sur lui quelques “fétiches” et autres “gris-gris” pour se protéger de ces individus aux pouvoirs surnaturels1.» Au Cameroun et au Nigeria, en 2009, on raconte par exemple qu’avoir sur soi du charbon, un piment ou une épingle protégerait du vol 1. «La capitale pétrolière du Gabon dans la psychose des “voleurs de sexe”», AFP (Libreville), 27 mars 2001. 99 BAT-Voleurs sexe.indd 99 11/09/09 9:28:48 les voleurs de sexe de sexe1. Mais, face à la menace inédite des voleurs de sexe, les fétiches constituent une méthode de protection bien trop incertaine. Mieux vaut alors tout simplement éviter les salutations. Au Gabon, un journaliste recommande ainsi: «D’ici là, que conseiller aux habitants de Port-Gentil? Sinon de garder les mains dans les poches, et d’éviter toutes poignées de main intempestives. Leurs amis ne sont peut-être pas ceux qu’ils croient2.» «Depuis que j’ai appris cette histoire-là, je rappelle tous les jours à mon mari et mes fils de ne plus saluer les gens n’importe comment», confirme une femme3. L’inquiétude est si vive que «les Port-Gentillais veillent en marchant à ne plus frôler des inconnus. Quant aux poignées de main, elles sont désormais bannies, excepté entre proches parents ou vieux amis4.» Au Mali, les journaux avertissent de même: «Donc population de la capitale, attention! Ne serrez pas la main de quelqu’un que vous ne connaissez pas au risque de vous exposer à des désagréments comme vient de connaître notre confrère5.» C’est le même scénario au Niger: «Cette situation fait aujourd’hui qu’on ne se serre plus la main à Agadez6.» Ou alors «de nombreuses personnes pour se saluer se contentent de lever les mains» afin d’éviter tout contact direct7. L’angoisse est si vive qu’elle remet en cause jusqu’aux préceptes religieux: la rumeur des vols de sexe «a fini par envahir même les mosquées où les fidèles hésitent à se serrer la main après la prière, comme recommandé par la sunna 1. M. Patsoko, «Disparition des sexes dans le grand Nord», Journal du Cameroun.com, 24 février 2009; Tadaferua Ujorha, «Alarming rise of violence-related “genital theft”», Weekly Trust, 11 juillet 2009. 2. «Psychose gabonaise du zizi rikiki. Les voleurs de sexes», art. cit. 3. «Des avis très mitigés!», propos recueillis par A. Ondoubas, L’Union, 18 juin 1997. 4. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit. 5. I. Sidibé, «Un journaliste victime de rétrécissement de sexe», art. cit. 6. A. Bianou, «Des “voleurs de sexes” sèment la panique à Agadez», AïrInfo, n° 14-15, avril-mai 2004. 7. «Niger: de folles rumeurs lancent les habitants de Niamey à l’assaut de supposés “voleurs de sexe”», APA (Niamey), 23 mars 2007. 100 BAT-Voleurs sexe.indd 100 11/09/09 9:28:48 danger ne pas saluer du prophète Mohamed1». La tension est ici maximale entre la communion entre fidèles qu’expriment habituellement les poignées de mains et la salutation traîtresse des voleurs de sexe. En Gambie, «en raison de cette affaire, il a été annoncé en septembre 2002 que les populations, notamment les jeunes hommes, devaient dorénavant être très vigilants à l’égard des personnes auxquelles ils serrent la main. Par sécurité, beaucoup de jeunes hommes se promènent désormais dans les rues avec leurs mains dans les poches2». Au Nigeria, un observateur note même que «dans les rues de Lagos, on peut voir les hommes agrippant leur sexe, parfois ouvertement parfois discrètement à travers leurs poches de pantalons. Les femmes soutiennent leurs seins, parfois ouvertement parfois discrètement en croisant leurs bras sur leur poitrine. On raconte que l’inattention et une faible volonté facilitent le vol du pénis ou des seins. La vigilance et l’agression préventive [anticipatory aggression] sont réputées être la meilleure prophylaxie3». Au Soudan enfin, un journaliste avertit lui aussi: «Je considère comme étant mon devoir d’informer toutes les personnes venant au Soudan de s’abstenir de serrer la main à un homme à la peau noire. Et comme au Soudan tout le monde est noir, mieux vaut éviter de serrer la main d’un inconnu4.» Dans la presse soudanaise, deux caricatures évoquent le sujet. Dans la première, un homme serre la main d’un autre à l’aide d’une prothèse en disant: «Mieux vaut prévenir que guérir.» Dans la seconde, un manchot s’exclame: «Dieu merci! Je ne serre la main de personne et personne ne me la serre.» La morale que les intéressés tirent eux-mêmes de cette affaire de vols de sexe concerne les normes de la sociabilité 1. Ibid. 2. M. Legally-Cole, «Gambia: reports of “penis snatching” on the increase», Expo Times, 13 septembre 2002. 3. S.T.C. Ilechukwu, «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent epidemic of a koro-like syndrome», art. cit., p. 96. 4. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises disappear», art. cit. 101 BAT-Voleurs sexe.indd 101 11/09/09 9:28:48 les voleurs de sexe ordinaire. En effet, tous les commentaires mettent en avant la distinction entre inconnus et familiers, entre sphère publique et sphère intime. Ne saluez pas les étrangers dans la rue! Ne vous comportez pas avec les inconnus comme vous le feriez avec des connaissances! Au Soudan, alors que la plupart des cas de vol de sexe impliquent une poignée de main, une occurrence singulière se démarque du scénario majoritaire: sur un marché, un inconnu aborde un quidam et lui donne un peigne en lui demandant de se brosser les cheveux avec; c’est lorsque l’homme obtempère que son pénis disparaît. Le vol de sexe repose ici sur l’imposition d’un contact physique avec un objet intime appartenant à un étranger. Le journaliste qui rapporte l’affaire a d’ailleurs ce commentaire révélateur: «Quel idiot! Comment peut-on se brosser la tête avec le peigne d’un inconnu, alors que même des parents évitent normalement d’utiliser le même peigne1!» Comme dans les cas plus typiques, on retrouve donc la même superposition dangereuse entre l’intime et l’étranger. Il est intéressant d’opérer ici un rapprochement avec une autre rumeur qui a circulé à plusieurs reprises depuis les années 1980, notamment au Cameroun, au Gabon et au Congo. Une femme, toujours une inconnue, se présente chez des gens pour leur demander un verre d’eau (mais parfois aussi pour aller aux toilettes). Ceux qui lui offrent à boire décèdent mystérieusement peu de temps après. La rumeur touche une première fois le Cameroun en 1984: il se dit que la sorcière pourrait être une Mami Wata (génie aquatique féminin souvent associé à l’image de la sirène et que l’on retrouve très largement en Afrique). L’année suivante, la rumeur atteint le Gabon, puis Brazzaville, où l’on raconte d’ailleurs que la femme serait d’origine gabonaise. Outre refuser de donner à boire à l’inconnue, la seule parade efficace consisterait à verser de la cendre devant le seuil de sa maison ou bien à y 1. Ibid. 102 BAT-Voleurs sexe.indd 102 11/09/09 9:28:48 danger ne pas saluer accrocher des rameaux de palmier (ornements traditionnels des mariages et des funérailles, les palmes auraient aussi le pouvoir d’éloigner les mauvais esprits). La panique collective est si forte qu’en quelques jours on voit des rameaux faire leur apparition dans tous les quartiers. La même rumeur frappe à nouveau plusieurs villes du Cameroun une vingtaine d’années plus tard, en octobre 2007. On raconte cette fois-ci que la sorcière serait une vieille femme qui porterait la plupart du temps un bébé sur son dos1. À Ebolowa, on précise même qu’elle s’appelle «Maman Martha». Plusieurs femmes correspondant à la description de la «mamie tueuse» manquent d’être lynchées dans des quartiers où elles sont de passage. Le même mois, la mystérieuse femme est également de retour au Gabon: elle viendrait de Lambaréné et se dirigerait vers Libreville. On raconte alors qu’il faut lui servir de l’eau salée pour éviter la mort. La rumeur est relayée par les médias et sème la panique. Mais heureusement, l’inconnue épargne la capitale et, pour une raison mystérieuse, arrête son périple meurtrier à Ntoum, à une trentaine de kilomètres à peine de Libreville. Évoquant l’épisode congolais de 1985, Joseph Tonda interprète la rumeur en lien avec l’épidémie de sida: la femme venue d’ailleurs représenterait le virus mortel transmis en échange de l’eau qui serait un équivalent symbolique du sperme2. Il me semble pourtant hasardeux d’attribuer un sens symbolique caché à la rumeur. Mieux vaut s’en tenir aux significations premières des événements afin de dégager les enjeux de la rumeur. Offrir de l’eau à un étranger constitue l’une des règles élémentaires de l’hospitalité en Afrique centrale. C’est même habituellement le premier geste que l’on fait à 1. P. Ngo Ngouem, «Panique: l’arbre de la paix, antidote de la vieille femme», Mutations, 2 octobre 2007; «La folle rumeur de la mamie tueuse», Cameroun Tribune, 3 octobre 2007; «La sorcière de Douala: un serpent de mer», Le Messager, 5 octobre 2007; «Ebolowa: une femme fantôme sème la panique», La Nouvelle Expression, 17 octobre 2007. 2. J. Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), op. cit., p. 193-194. 103 BAT-Voleurs sexe.indd 103 11/09/09 9:28:49 les voleurs de sexe l’arrivée d’un visiteur. La rumeur évoque ainsi une inconnue qui pénètre dans l’espace domestique pour trahir l’hospitalité de ses hôtes de circonstance: en échange de l’eau, elle donne la mort. La seule solution pour se protéger est donc de lui refuser cette hospitalité minimale: ne pas lui offrir à boire, ou bien lui servir une eau salée imbuvable. La morale de cette rumeur qui met en scène l’hospitalité trahie est donc sensiblement la même que celle du vol de sexe (même si la rencontre a lieu au seuil de l’espace domestique et non dans l’espace public): il convient de se méfier des inconnus qui viennent vous solliciter. Incitant à rester sur ses gardes, ces deux rumeurs contribuent ainsi à infléchir les normes communes de la sociabilité ordinaire. Tous les commentaires au sujet du vol de sexe recommandent en effet l’évitement systématique des étrangers. Ils vont même jusqu’à préconiser, outre la vigilance, une certaine forme d’agressivité préventive à l’égard des inconnus. Ces recommandations évoquent, de manière frappante, les normes de conduite qui régissent le trafic urbain dans les métropoles occidentales. Georg Simmel évoque ainsi la «légère aversion» qui, de manière latente, pousse le citadin à tenir autrui à distance1. Cette réserve interactionnelle est toutefois un trait de comportement bien plus euro-américain qu’africain. Cette urbanité ou civilité qui définit étymologiquement l’esprit citadin est née dans les cours royales européennes, avant d’être approfondie dans la société bourgeoise des grandes villes2. Passant par une autodiscipline des affects, ce «processus de civilisation» impose une distance policée à autrui. En Europe comme en Amérique du Nord, les convenances veulent en effet que les contacts entre étrangers restent aussi limités que possible. L’attitude par défaut pour gérer la 1. G. Simmel, «Les grandes villes et la vie de l’esprit» (1903), art. cit., p. 242. 2. N. Elias, La Civilisation des mœurs (1939), Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 77-120. 104 BAT-Voleurs sexe.indd 104 11/09/09 9:28:49 danger ne pas saluer coprésence dans l’espace public est faite d’inattention civile et d’indifférence polie. Accoster un inconnu dans la rue ne se fait pas: cela constitue une infraction, même minimale, aux règles de la réserve entre inconnus et nécessite donc habituellement ce rituel de réparation presque anodin que sont les excuses préliminaires (sur le mode «Excusez-moi de vous déranger, mais pourriez-vous…»). De même, saluer sans raison les passants paraîtrait incongru. Aux États-Unis plus encore qu’en Europe, tout contact visuel un peu soutenu sera même perçu comme malpoli voire agressif. Mais ces normes de civilité ne sauraient être trop rapidement généralisées. C’est même l’une des critiques couramment adressées à la sociologie d’Erving Goffman: l’interactionnisme symbolique aurait tendance à tenir pour universel le comportement des classes moyennes urbaines blanches d’Amérique du Nord. Si l’urbanisation est assurément un phénomène universel qui engendre un mode spécifique de sociabilité, celui-ci se décline toutefois différemment selon les cultures et les époques: on n’est pas citadin de la même façon à Berlin, Chicago, Lagos ou Dakar. Ainsi, la réserve entre inconnus n’est pas une norme aussi intangible dans les villes africaines que dans les métropoles occidentales. Il ne s’agit pas de réactiver ici les clichés d’une Afrique chaleureuse mais indisciplinée face à un Occident froid mais civilisé. Je ne cherche pas non plus à ressusciter l’opposition trop générale entre cultures du contact et cultures de l’évitement1: au sein d’une même culture, la distance à autrui varie en réalité considérablement en fonction de nombreux paramètres sociaux (lieux, personnes en présence, sexe, âge, statut, etc.). Je n’insinue pas, enfin, que les nouveaux citadins africains seraient des «étrangers à la ville» qui n’auraient pas encore intériorisé l’ethos urbain et continueraient de se comporter comme des villageois2. Comme le faisait très 1. E.T. Hall, La Dimension cachée, Paris, op. cit., chapitres 11-12. 2. L. Plotnicov, Strangers to the City. Urban Man in Jos, Nigeria, Pittsburg, University of Pittsburg Press, 1967. 105 BAT-Voleurs sexe.indd 105 11/09/09 9:28:49 les voleurs de sexe justement remarquer Max Gluckman, «un citadin africain est un citadin1». L’émergence de la rumeur des vols de sexe ne représente donc pas le symptôme d’une transition instable entre un mode de vie villageois (supposément fondé sur le contact) et un mode de vie urbain (supposément fondé sur la distance). Il n’en reste pas moins que les normes africaines de la sociabilité urbaine imposent moins la distance entre étrangers que les normes euro-américaines. Il est ainsi plus facile – et plus commun – d’accoster un inconnu à Libreville ou à Bamako que dans le métro parisien ou les rues de New York2. Cela s’accompagne d’un refus actif de l’anonymat que l’anthropologue congolais Augustin-Marie Milandou a bien mis en lumière dans les quartiers populaires de Brazzaville: «Dans un autobus, ou un taxi, on ne peut pas accomplir un long trajet sans qu’à un moment ou à un autre on ne vous parle. […] Comme le villageois, l’homme de la ville éprouve un grand malaise à rester indifférent à la présence de l’autre, fût-il un inconnu; il doit lui parler. Il est un maître dans l’art de se faire des amis et des relations. […] Et quand il a malgré tout affaire à un inconnu, le Brazzavillois des milieux populaires a une technique très efficace: la parenté affirmée et instaurée instantanément3.» De la même manière, au Gabon, deux inconnus qui se croisent pour la première fois cherchent habituellement à se trouver des liens de parenté – même fictifs – afin de recréer de l’interconnaissance. Le grand-père de l’un s’avérera par exemple être du même clan que son 1. M. Gluckman, «Tribalism in modern British Central Africa», Cahiers d’études africaines, 1-1, 1960, p. 55-70, ici p. 57. 2. Dans une séquence du documenteur Borat (2006), le comique prov cateur Sacha Baron-Cohen se fait passer pour un étranger peu au fait des coutumes locales qui cherche à saluer des inconnus dans le métro et les rues de New York. Les passants désarçonnés réagissent très vivement: affolés, ils fuient, hurlent «Ne me touchez pas!» ou deviennent immédiatement agressifs. Cela illustre particulièrement bien l’extrême sensibilité nord-américaine aux contacts physiques entre inconnus. 3. A.-M. Milandou, «“Type connu! Qui ne le connaît pas?” Anonymat et culture à Brazzaville», L’Homme, 141, 1997, p. 119-130, ici p. 124-125. 106 BAT-Voleurs sexe.indd 106 11/09/09 9:28:49 danger ne pas saluer interlocuteur, ce qui fait de lui son grand-père classificatoire. Les correspondances claniques interethniques démultiplient encore les possibilités de cette «parenté opportuniste» qui permet virtuellement à un individu de n’être nulle part un étranger. À l’époque précoloniale, ce système de correspondances claniques servait d’ailleurs déjà aux commerçants itinérants pour trouver des familles d’accueil lors de leurs déplacements dans des villages éloignés1. L’interconnaissance est non seulement valorisée, mais elle est également suscitée à travers un engouement pour les rencontres. En outre, les contacts physiques entre étrangers dans l’espace public ne font pas l’objet d’un évitement systématique. Enfin et surtout, il est tout à fait courant de saluer et même de serrer la main d’un parfait inconnu2. À l’inverse, la distance, la froideur et l’anonymat sont perçus de manière péjorative par les Africains comme un comportement typique des Blancs. Rosalind Shaw note par exemple que chez les Temne de Sierra Leone, le «terme utilisé pour désigner le mode de vie européen ou occidental (ma-potho) renvoie en fait à tout un ensemble de comportements jugés antisociaux: vivre en solitaire, saluer de façon trop précipitée, ne pas engager la conversation, ne pas rendre visite à autrui3». En somme, on s’aborde, on se salue, on se touche et on se parle assez facilement dans les métropoles africaines. La rumeur des vols de sexe n’en apparaît que plus frappante: elle encourage le maintien d’une distance entre étrangers qui ne va pas véritablement de soi. Elle incite ainsi les citadins africains à se comporter comme des passants 1. G. Dupré, «Le commerce entre sociétés lignagères: les Nzabi dans la traite à la fin du xixe siècle (Gabon-Congo)», Cahiers d’études africaines, 12-4, 1972, p. 616-658, ici p. 629. 2. O.G. Nwoye, «An ethnographic analysis of Igbo greetings», art. cit., p. 47. 3. R. Shaw, «The production of witchcraft / witchcraft as production: memory, modernity, and the slave trade in Sierra Leone», American Ethnologist, 24-4, 1997, p. 856-876, ici p. 860-861. 107 BAT-Voleurs sexe.indd 107 11/09/09 9:28:50 les voleurs de sexe anonymes au milieu d’autres passants anonymes. Il faut tout à coup cesser de saluer les inconnus, comme si c’était là une mauvaise habitude qui ne convenait pas à la vie urbaine. Sur le même registre, la rumeur de la femme sollicitant un verre d’eau incite également à remettre en question les règles de l’hospitalité envers les étrangers. Ces deux rumeurs résistent par conséquent à une explication fonctionnaliste, telle celle que l’anthropologie britannique des années 1950 et 1960 a amplement appliquée à la sorcellerie africaine1. Selon le paradigme fonctionnaliste, la sorcellerie encouragerait le conformisme des individus (qui cherchent à éviter d’être la cible d’accusations) et réaffirmerait ainsi les valeurs morales du groupe2. Apologues édifiants, les histoires de sorcellerie stigmatisent en effet les comportements déviants. Le sorcier solitaire et égoïste transgresse les normes de la solidarité lignagère et son idéologie égalitariste; le sorcier incestueux et homosexuel, les normes de la sexualité; le sorcier cannibale, les normes de la commensalité. La réprobation unanime de la sorcellerie conduit par conséquent à un renforcement fonctionnel des valeurs collectives. Les affaires de vol de sexe ou de mamie tueuse ne se satisfont cependant pas d’une telle explication, puisqu’elles amènent au contraire les intéressés à remettre en question leurs propres normes de conduite. Instaurant un sentiment d’insécurité inédit, elles interrogent de manière inquiète les normes habituelles de la sociabilité ordinaire. Max Gluckman souligne que les situations de «crise morale», dans lesquelles des règles et des valeurs sociales différentes poussent les individus à des actions opposées, offrent un terreau favorable aux accusations de 1. Pour une critique de l’explication fonctionnaliste, cf. M. Augé, Théorie des pouvoirs et idéologie: étude de cas en Côte d’Ivoire, Paris, Hermann, 1975, chapitre iv. L’auteur souligne la diversité contradictoire des fonctions sociales communément attribuées à la sorcellerie. 2. M. Gluckman, «The logic in witchcraft», in Custom and Conflict in Africa, Oxford, Blackwell, 1955, p. 81-108. 108 BAT-Voleurs sexe.indd 108 11/09/09 9:28:50 danger ne pas saluer sorcellerie1. Le vol de sexe semble bien lié à une telle situation de crise morale. Il faut cependant se garder de céder au finalisme spécieux qui sous-tend le raisonnement fonctionnaliste: la crise morale apparaît davantage comme une conséquence de la rumeur que comme sa cause première. Le témoignage émouvant de ce citadin togolais le montre bien: écartelé entre sa résolution de s’abstenir de saluer par crainte des voleurs de sexe et l’exigence de satisfaire aux obligations de salutation par crainte d’être désobligeant, l’homme est confus et ne sait plus guère comment se comporter dans la rue2. Ces rumeurs aboutissent en définitive à une mise à l’épreuve des normes du groupe: elles constituent un test sur les valeurs3. Soumise aux aléas et aux dangers inhérents aux rencontres avec des inconnus, la sociabilité urbaine se révèle traversée par une tension vive entre le contact et l’évitement. La recommandation d’évitement des étrangers ne résiste cependant pas à la préférence pour le contact, son coût social étant trop élevé pour se maintenir longtemps (devoir en permanence se méfier de tout le monde est vite intenable). C’est pourquoi les salutations reprennent dès que la panique retombe. De ce point de vue, les Free Hugs représentent l’écho inversé des vols de sexe. Le principe de ces «accolades gratuites» consiste à se placer dans un espace public et à proposer aux passants une étreinte amicale. Ce geste de bienveillance gratuite est censé fournir un remède à l’individualisme froid et égoïste des grandes villes. Afin de neutraliser la peur d’être accosté par un étranger, les bénévoles brandissent tout de 1. M. Gluckman, «Moral crises: magical and secular solutions», in M. Gluckman (dir.), The Allocation of Responsibility, Manchester, Manchester University Press, 1972, p. 1-50, ici p. 2. 2. Koussou Kodjo, «Disparition de sexes au Togo, mise en scène ou ré lité?», Radio Lomé, 2005. 3. Sur le scandale public comme test sur les valeurs, cf. E. de Dampierre, «Thèmes pour l’étude du scandale», Annales, 9-3, 1954, p. 328-336 ; D. de Blic, C. Lemieux, «Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique», Politix, 18-71, 2005, p. 9-38. 109 BAT-Voleurs sexe.indd 109 11/09/09 9:28:50 les voleurs de sexe même un panneau affichant en grosses lettres leurs intentions. Lancée pour la première fois dans un centre commercial à Sydney en 2004, cette initiative s’est ensuite très largement répandue dans les grandes métropoles nord-américaines et européennes, mais aussi asiatiques, notamment par le biais de vidéos diffusées sur internet. L’idée a été depuis reprise par la publicité, notamment dans un film contre la stigmatisation des séropositifs. Mais quel lien peut-il y avoir entre ces Free Hugs et les vols de sexe? Ce rapprochement entre des faits sociaux relevant d’aires culturelles fort différentes est en réalité moins incongru qu’il n’y paraît au premier abord. Le succès culturel des Free Hugs et des vols de sexe tient ainsi au fait qu’ils remettent tous les deux en question – l’un sur le mode de la provocation ludique, l’autre sur le mode de la rumeur panique – les normes de la sociabilité ordinaire en se polarisant sur la tension entre contact et évitement dans le trafic urbain. Les Free Hugs mettent la norme occidentale de la réserve à l’épreuve du contact, alors que le vol de sexe met la norme africaine du contact à l’épreuve de la réserve. Comme le notait déjà Robert Ezra Park en 1929, la ville constitue en définitive un véritable «laboratoire» de nouvelles relations sociales1. Lieu de mise à l’épreuve, d’invention et de réinvention des formes de sociabilité, l’expérience citadine interroge le processus même de production de la vie sociale2. Et cela n’est pas moins vrai en Afrique qu’ailleurs: dès les années 1950, Georges Balandier annonce en effet que «la fabrique de la nouvelle Afrique, c’est la ville, pour le meilleur et pour le pire3». La rumeur des vols de sexe nous introduit ainsi au cœur même de cette fabrique urbaine du social. 1. Cité in Y. Grafmeyer, I. Joseph (dir.), L’École de Chicago: naissance de l’écologie urbaine, op. cit., p. 163. 2. P. Decoudras, A. Lenoble-Bart, «La rue: le décor et l’envers», Politique africaine, 63, 1996, p. 3-12. 3. G. Balandier, Sociologie actuelle des Brazzavilles noires (1955), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985, p. vii. 110 BAT-Voleurs sexe.indd 110 11/09/09 9:28:50 tc à changer L’étranger Un point important à propos des vols de sexe n’a pas encore été abordé: la xénophobie. En effet, si les présumés voleurs de sexe sont toujours des inconnus, ce sont en outre souvent des étrangers. Il faut donc nous pencher sur le lien entre ces deux catégories de personnes. Les «inconnus» désignent l’ensemble des gens qui ne font pas partie du cercle des connaissances d’un individu. Les «étrangers» désignent quant à eux ceux qui n’appartiennent pas à son groupe de référence. Cette catégorie sociale ne désigne pas uniquement celui qui vient d’une autre nation (l’immigré), mais varie selon le contexte: on peut être étranger à la région, au pays, à l’ethnie, à la religion, etc.1. Cette seconde catégorie n’est ainsi que partiellement incluse dans la première, puisque certains étrangers ne sont pas des inconnus, et vice-versa. Il n’en reste pas moins que la figure abstraite de l’inconnu a facilement tendance à se fixer sur une catégorie spécifique d’étrangers. La vie urbaine a en effet démultiplié le nombre des inconnus que l’on peut être amené à croiser. Il serait néanmoins parfaitement intenable de rester sans cesse dans une situation de pur anonymat impliquant une incertitude totale quant à l’identité d’autrui. L’identification personnelle fondée sur des informations biographiques 1. W.A. Shack, E.P. Skinner (dir.), Strangers in African Societies, Berkeley, University of California Press, 1979; C. Coquery-Vidrovitch et alii (dir.), Être étranger et migrant en Afrique au xx e siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, Paris, L’Harmattan, 2003. 111 BAT-Voleurs sexe.indd 111 11/09/09 9:28:51 les voleurs de sexe est pourtant impossible entre inconnus. Il est en revanche possible de s’appuyer sur certains indices perceptifs (accoutrement, apparence physique, langue, etc.) afin de classer l’inconnu selon certaines catégories sociales comme l’ethnie, la nationalité ou le statut. Ce type d’identification, souvent effectuée de façon automatique et inconsciente, est ce qu’on appelle un raisonnement catégoriel1. Il permet d’orienter le comportement à l’égard des inconnus en fonction de certains stéréotypes sociaux. En ville, il est devenu par nécessité le principal mode d’identification d’autrui: «La ville a créé un nouveau type d’homme: le cosmopolite. Contrairement à ses ancêtres, ce dernier est capable d’entrer en contact avec autrui selon des modes inédits que la ville a rendus non seulement possibles mais aussi nécessaires. Le cosmopolite n’a pas perdu la capacité de connaître les autres personnellement. Il a seulement gagné la capacité de les connaître d’un point de vue catégoriel2.» En Afrique, le «tribalisme» s’appuie sur ce mode d’identification catégoriel. L’ethnicité n’a en effet pas perdu sa pertinence dans les grandes villes africaines. Le brassage interethnique incite au contraire à spontanément percevoir et traiter les inconnus en fonction de leur identité ethnique supposée3. L’inférence se fonde sur une série d’indices stéréotypés: la langue bien sûr, mais aussi l’accoutrement distinctif, d’éventuelles scarifications faciales ou encore des nuances dans la couleur de peau. C’est ce qui explique la tendance massive des affaires de vol de sexe à se focaliser sur les étrangers: la façon la plus facile pour identifier a minima un inconnu consiste à le catégoriser comme «étranger» en fonction d’une 1. C.N. Macrae, G.V. Bodenhausen, «Social cognition: thinking categor cally about others», Annual Review of Psychology, 51, 2000 p. 93-120. 2. L.H. Lofland, A World of Strangers: Order and Action in Urban Public Spaces, New York, Basic Books, 1973, p. 177. 3. A. Cohen, Custom and Politics in Urban Africa. A Study of Hausa Migrants in Yoruba Towns, Londres, Routledge, 1969, p. 1-6; J.C. Mitchell, Cities, Society and Social Perception. A Central African Perspective, Oxford, Clarendon Press, 1987, chapitre 6. 112 BAT-Voleurs sexe.indd 112 11/09/09 9:28:51 l ’ étranger identité ethnique ou nationale imputée. L’étranger est le prototype même de l’inconnu. L’identité des présumés voleurs de sexe confirme cette interprétation. Au Nigeria, ce sont souvent des Haoussa, population du nord du pays, qui sont accusés. Or, leur identification repose avant tout sur un raisonnement catégoriel en fonction de certains stéréotypes ethniques. Elle est fondée notamment sur l’habillement traditionnel: c’est en effet par leur longue robe flottante qui frôle les passants que l’on repère les Haoussa voleurs de sexe1. Cette focalisation préférentielle des accusations sur les Haoussa se retrouve hors du Nigeria: il en est ainsi au Tchad, au Mali, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Dans ces deux derniers pays, des Peuls qui «peuvent ressembler à des Haoussa» et des «Sahéliens porteurs de boubous» sont également la cible des lynchages – ce qui prouve bien le rôle déterminant des stéréotypes perceptifs2. Cette cristallisation sur les Haoussa n’est pas totalement anodine: outre le Nigeria et le Niger, ces derniers sont en effet fortement implantés dans de nombreux pays d’Afrique (notamment le Cameroun, le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Soudan) où ils travaillent généralement comme commerçants semi-itinérants et habitent parfois dans des quartiers séparés appelés zongo 3. Il est d’ailleurs possible que la présence d’importantes diasporas haoussa dans toute l’Afrique occidentale et centrale explique en partie la diffusion de la rumeur précisément dans cette région du continent. Les Haoussa y incarnent en effet depuis longtemps déjà la figure la plus familière et la plus typique de l’étranger. Comme le notait d’ailleurs 1. P. Stoller, «Sensuous ethnography, African persuasions, and social know ledge», Qualitative Inquiry, 10-6, 2004, p. 817-835, ici p. 818. 2. «Les rétrécisseurs de sexe», art. cit.; I. Essis, «Côte d’Ivoire: le citron et la sourate», Jeune Afrique, 19-25 mars 1997, p. 15. 3. A. Cohen, Custom and Politics in Urban Africa, op. cit., p. 8-28; E. Skinner, «Strangers in West African societies», Africa, 33-4, 1963, p. 307-320. 113 BAT-Voleurs sexe.indd 113 11/09/09 9:28:51 les voleurs de sexe Georg Simmel dans ses Digressions sur l’étranger, «l’étranger fait partout son apparition comme commerçant, et le commerçant comme étranger1». Cette qualité de commerçants étrangers peut facilement contribuer à précipiter la haine et le ressentiment sur les Haoussa: tensions et inégalités écono miques se greffent alors sur la rumeur et la renforcent. Il est d’ailleurs notable que la focalisation de la rumeur sur des communautés de commerçants se retrouve dans des épisodes de vol de sexe qui n’impliquent pas les Haoussa (au Bénin par exemple). Autre élément significatif qui pourrait contribuer à expliquer la stigmatisation des Haoussa, ces derniers sont également réputés être des spécialistes pour concocter des aphrodisiaques et autres médications contre l’impuissance. Ils sont donc spontanément associés aux problèmes de troubles sexuels. En sortant du Nigeria, les rumeurs de vol de sexe s’étendent bien souvent des Haoussa en particulier aux Nigérians en général, comme si la rumeur véhiculait la mémoire de son foyer d’origine. Il en va ainsi au Ghana, au Togo, au Bénin, au Niger et au Cameroun. Les vols de sexe qui surviennent au Togo en décembre 2005 obligent même l’ambassadeur du Nigeria à organiser une conférence de presse afin de démentir les rumeurs selon lesquelles des Nigérians feraient disparaître les sexes des Togolais2. Il faut dire que les Nigérians ont souvent mauvaise réputation dans les pays voisins où ils sont régulièrement associés à toutes sortes d’histoires d’escroquerie, de délinquance et de sorcellerie et font parfois l’objet de mesures d’expulsion massive3. Au Cameroun, la focalisation des accusations et des lynchages sur les ressortissants du Nigeria s’appuie en outre 1. G. Simmel, «Digressions sur l’étranger» (1908), in Y. Grafmeyer, I. Joseph (dir.), L’École de Chicago: naissance de l’écologie urbaine, op. cit., p. 53-59, ici p. 54. 2. «L’ambassadeur du Nigeria au Togo s’est entretenu avec la presse», Radio Lomé, 9 décembre 2005. 3. A. Masquelier, «Of headhunters and cannibals: migrancy, labor and consumption in the Mawri imagination», art. cit., p. 84-126. 114 BAT-Voleurs sexe.indd 114 11/09/09 9:28:51 l ’ étranger sur des contentieux frontaliers entre les deux pays. Selon un auteur, l’angoisse de castration véhiculée par la rumeur reposerait ainsi sur une équivalence entre puissance nationale et puissance sexuelle, les rapports géopolitiques se traduisant directement au niveau des corps1. L’hypothèse est séduisante, même si nous avons vu que la focalisation sur les Nigérians relevait également d’un schéma plus général: les circonstances locales renforcent ainsi la stigmatisation des Nigérians, mais ne l’expliquent pas à elles seules. Lorsque la rumeur quitte l’Afrique de l’Ouest pour passer en Afrique centrale, les accusations de vol de sexe ont tendance à se focaliser plus largement sur les Ouest-Africains. Au Gabon, les commentaires sont éloquents: «Certainement un coup qui nous vient de l’Afrique de l’Ouest»; «Je crois que c’est une magie des expatriés qui viennent d’arriver dans notre pays»; «Il faut en finir avec ces étrangers qui viennent faire le désordre chez nous»2. Massivement présents dans le pays, les ressortissants d’Afrique de l’Ouest font en effet l’objet d’une assignation d’identité catégorielle: les Gabonais parlent avec un certain dédain des «Ouest-Af ’» comme s’il s’agissait d’un groupe homogène3. Au fur et à mesure que la rumeur s’éloigne du Nigeria, l’identification catégorielle s’étend ainsi progressivement des sous-groupes aux groupes qui les subsument. On passe des Haoussa aux Nigérians, puis des Nigérians aux Ouest-Africains. Sur ce point, l’exemple du Soudan est particulièrement intéressant car il constitue un cas limite qui permet de comprendre la logique de la stigmatisation xénophobe, mais également les mécanismes de transformation de la rumeur. Les accusations 1. M. Jackson, Minima Ethnographica. Intersubjectivity and the Anthropo logical Project, op. cit., p. 49-54. 2. Nse-Nzue, «Les autorités compétentes doivent s’impliquer», L’Union, 18 juin 1997. 3. C.J. Gray, «Cultivating citizenship through xenophobia in Gabon (1960-1995)», Africa Today, 45-3/4, 1998, p. 389-409. 115 BAT-Voleurs sexe.indd 115 11/09/09 9:28:52 les voleurs de sexe de vol de sexe à Karthoum en septembre 2003 se focalisent comme au Gabon sur des ressortissants d’Afrique de l’Ouest, mais aussi plus largement sur les «Noirs». Ce n’est alors pas un hasard si la vague de vols de sexe (visiblement la seule et unique dans ce pays) survient précisément pendant les pourparlers de paix entre le gouvernement de Karthoum et John Garang, le chef historique des SPLA, principal groupe rebelle du Sud-Soudan. En effet, cette guerre civile qui dure depuis le début des années 1980 repose, entre autres, sur une opposition entre les «Noirs» chrétiens et animistes du Sud et les «Arabes» musulmans du Nord. Mais l’année 2003 marque également le début du conflit au Darfour: en avril, les rebelles darfouri attaquent El-Fasher, la principale ville de la région, et y infligent une cuisante défaite à l’armée soudanaise. En septembre, lorsque la rumeur des vols de sexe frappe Karthoum, les massacres de grande ampleur ont commencé au Darfour. La guerre au Darfour est un conflit entre centre et périphérie exacerbé par des tensions entre agriculteurs sédentaires et éleveurs semi-nomades en raison de la désertification de la région. Mais le conflit mobilise lui aussi une opposition entre Noirs et Arabes: le gouvernement de Karthoum instrumentalise en effet le racisme antiNoir pour mobiliser des milices de chameliers «arabes» (les Janjawids) contre les populations «noires» de la région. Si la rumeur des vols de sexe qui touche Karthoum en septembre 2003 possède en définitive une composante antiNoir faisant directement écho à l’actualité nationale, elle déplace également l’antagonisme en une opposition xénophobe entre Soudanais et ressortissants d’Afrique de l’Ouest. Mais il y a plus: lorsqu’un journaliste soudanais expatrié en Arabie saoudite relate ensuite l’affaire dans la presse arabe, le principal voleur de sexe, bizarrement appelé l’«ami de Satan», devient un «agent de l’impérialisme sioniste qui a été envoyé au Soudan pour empêcher la population de 116 BAT-Voleurs sexe.indd 116 11/09/09 9:28:52 l ’ étranger croître et multiplier1». Limite orientale de l’aire d’extension de la rumeur des vols de sexe, le Soudan se situe au carrefour entre l’Afrique noire, l’Afrique arabe et la péninsule arabique. Le pays constitue ainsi une frontière entre deux régimes de rumeur différents: lorsque la rumeur africaine des vols de sexe passe dans le monde arabe, elle se transforme subitement et incorpore le thème du complot sioniste, lieu commun des rumeurs antisémites omniprésentes dans toute la région. Ces transformations résultent donc moins de la distorsion naturelle du message au fur et à mesure de sa diffusion (sur le modèle entropique du «téléphone arabe» étudié par la psychologie du témoignage) que de l’existence de régimes de rumeur culturellement différenciés qui fonctionnent comme des pôles d’attraction autour desquels se reconfigure le message. Les stéréotypes sociaux sur lesquels repose l’identification des présumés voleurs de sexe, mais aussi les schémas narratifs de la rumeur, obéissent ainsi à des lois de transformation – fait qui contribue sans doute à expliquer l’aire de diffusion de la rumeur et ses limites2. La rumeur ne se focalise donc pas sur n’importe quelle catégorie d’étrangers. Les Européens, les Libanais ou les Chinois ne semblent, par exemple, jamais suspectés d’être des voleurs de sexe, alors qu’ils sont bien présents sur tout le continent africain3. Les «Blancs» ne sont pourtant pas toujours hors sorcellerie. Sur toute la côte de l’Afrique, la traite négrière 1. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises disappear», art. cit. 2. À la frontière nord-ouest de l’aire d’extension des vols de sexe, la Mauritanie, pivot entre l’Afrique noire et l’Afrique du Nord, constituerait un autre cas limite intéressant pour étudier la rumeur: les accusations se polarisent-elles autour des rapports entre Maures et Noirs? Les données sont malheureusement trop lacunaires sur l’épisode de vol de sexe en aoûtseptembre 1997 pour pouvoir conclure: les accusés sont le plus souvent des Sénégalais, mais l’identité des victimes des voleurs de sexe reste floue. 3. Sur les rumeurs à propos des Chinois en Afrique, cf. N. Sylvanus, «Commerçantes togolaises et diables chinois. Une approche par la rumeur», Politique africaine, 113, 2009, p. 55-70. 117 BAT-Voleurs sexe.indd 117 11/09/09 9:28:52 les voleurs de sexe transatlantique et son souvenir ont donné lieu à de nombreuses rumeurs de sorcellerie qui se cristallisent autour de la figure du négrier cannibale1. Jusqu’à la fin du xixe siècle, parmi les populations de l’hinterland du Gabon, circulent de terrifiantes histoires d’esprits blancs qui achètent des esclaves pour les manger: ces rumeurs sont soigneusement entretenues par les populations côtières qui cherchent ainsi à protéger leur monopole commercial avec les Européens2. Un peu plus tard, à l’époque coloniale, le colon blanc apparaît encore en sorcier dévoreur de la vitalité africaine: une rumeur récurrente évoque ainsi des vampires blancs se repaissant du sang des Africains3. En Tanzanie, par exemple, «des rumeurs racontent de manière très vivante comment une victime est assommée puis pendue par les pieds afin de laisser son sang s’écouler de sa veine jugulaire (qui a été tranchée) jusque dans un seau. Le fluide est ensuite transporté par un camion de pompier dans un hôpital en ville, où il est transformé en gélules rouges. Ces pilules sont consommées, à doses régulières, par les Européens qui en ont besoin pour survivre en Afrique4». Cette rumeur du vampire blanc est probablement née sur la côte swahili dans la dernière décennie du xixe siècle, puis s’est répandue dans les années 1920 dans toute l’Afrique orientale et centrale. 1. R. Shaw, «The production of witchcraft / witchcraft as production: memory, modernity, and the slave trade in Sierra Leone», art. cit.; E.A. Isichei, Voices of the Poor in Africa, Rochester, University of Rochester Press, 2002, chapitres 2-5. 2. J. Bonhomme, «Les tribulations de l’esprit blanc (et de ses marchandises). Voyages et aventures de Paul du Chaillu en Afrique équatoriale», Cahiers d’études africaines, 183, 2006, p. 493-512, ici p. 501-502. 3. M.C. Musambachime, «The impact of rumor: the case of the Banyama (vampire men) scare in Northern Rhodesia, 1930-1964», International Journal of African Historical Studies, 21-2, 1988, p. 201-215; P. Pels, «Mumiani: the white vampires. A neo-diffusionist analysis of rumor», Etnofoor, 5-1/2, 1992, p. 165-187; L. White, Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa, op. cit. 4. W. Arens, The Man-Eating Myth. Anthropology and Anthropophagy, Oxford, Oxford University Press, 1979, p. 12. 118 BAT-Voleurs sexe.indd 118 11/09/09 9:28:52 l ’ étranger On la retrouve jusqu’à Madagascar, où circule également une rumeur affirmant que les Européens et les Malgaches occidentalisés volent le foie, le cœur et le sang des jeunes gens1. Ces rumeurs africaines ne sont pas sans ressemblance avec les histoires de pishtacos ou de sacaojos très répandues dans les Andes depuis la colonisation espagnole2. Habituellement associés aux Blancs ou aux mestizos, ces terrifiants personnages sont réputés tuer les Indiens pour prélever leur graisse ou leurs yeux. La graisse servira à lubrifier d’étranges machines, à fabriquer de puissants médicaments ou bien à faire voler les avions. Dans nombre de pays du Sud, on raconte également des histoires de vols d’organes3: les organes volés serviraient à alimenter le marché des greffes à destination de riches pays du Nord (Europe, Amérique du Nord, Israël)4. Toutes ces rumeurs se polarisent en définitive sur une figure inquiétante de l’autre: ces figures de sorciers, de cannibales, de vampires ou de voleurs d’organes permettent d’exprimer – sur un mode certes fantasmatique – des situations d’inégalité politique, économique ou technologique nées dans le contexte colonial. Le vol de sexe met alors en jeu une tout autre forme d’altérité sociale qui n’a pas directement à voir avec le Blanc et la colonisation: une altérité en un certain sens plus proche et plus familière et plutôt liée au brassage des populations dans les centres urbains. Le vol de sexe confirme ainsi le constat établi par les 1. L. Freeman, «Voleurs de foies, voleurs de cœurs», Terrain, 43, 2004, p. 85-106. 2. O. Oliver-Smith, «The pishtaco: institutionalized fear in highland Peru», The Journal of American Folklore, 82-326, 1969, p. 363-368; A. MoliniéFioravanti (dir.), Dossier spécial «El pishtaco», Bulletin de l’IFEA, 20-1, 1991; N. Wachtel, Dieux et Vampires. Retour à Chipaya, Paris, Seuil, 1992. 3. N. Scheper-Hughes, «Theft of life. The globalization of organ stealing rumours», Anthropology Today, 12-3, 1996, p. 3-11; id., «The global traffic in human organs», Current Anthropology, 41-2, 2000, p. 191-224; V. CampionVincent, La Légende des vols d’organes, Paris, Les Belles Lettres, 1997. 4. La rumeur inverse existe d’ailleurs dans les pays du Nord, où les victimes de vols de reins ou d’yeux sont des touristes occidentaux en voyage dans un pays du Sud. 119 BAT-Voleurs sexe.indd 119 11/09/09 9:28:53 les voleurs de sexe Africains eux-mêmes selon lequel la sorcellerie serait une puissance prodigieuse mais utilisée à mauvais escient dans un but de destruction. Contrairement à la «magie des Blancs» jugée non pas plus efficace mais plus constructive, la sorcellerie africaine serait par conséquent directement responsable de l’échec du développement du continent. Dans un curieux article, un journaliste gabonais détourne d’ailleurs l’histoire des vols de sexe en élargissant son cadre afin de penser les rapports entre l’Afrique et l’Occident1. Jouant sur l’équivalence entre puissance sexuelle et puissance politique, il inverse la malédiction sorcellaire pour en faire le moyen d’une miraculeuse renaissance africaine. Son article raconte un rêve aux accents prophétiques: «Les sorciers africains s’étaient retrouvés autour d’une table. L’un d’eux déclarait d’une voix grave et triste: “Chers frères, il nous faut agir vite pour sortir de nos malheurs pénitentiels: la pauvreté, la maladie, les conflits armés, le drame des réfugiés sont notre lot quotidien. Les investisseurs nous ont lâchés pour se tourner vers l’Asie et l’Amérique latine. Prenons à son propre piège l’Occident qui s’empare de nos matières premières et nous les revend à prix d’or.” La déclaration fut approuvée: les sorciers formèrent des milliers de jeunes aux sciences secrètes et les envoyèrent en Amérique et en Europe serrer les mains des hommes blancs qui se retrouvèrent bientôt privés de leurs organes mâles. À Washington, Paris, Londres, Bonn et Rome, les journaux publièrent avec fracas des articles qui exprimaient la panique dans les grandes puissances: “Un mal étrange, face auquel la médecine est impuissante, menace le monde…” Les hommes d’État africains envoyèrent des messages d’espoir à leurs homologues blancs: “Venez, nous pouvons soigner vos organes déficients.” Et je vis une procession de millions d’Occidentaux, décidés à retrouver l’instrument de leur fierté masculine, se presser devant les “hôpitaux” ouverts pour la circonstance. Les hôtels 1. W. Ndong Ondo, «Touche pas à mon sexe!», L’Union, 20 juin 1997. 120 BAT-Voleurs sexe.indd 120 11/09/09 9:28:53 l ’ étranger firent le plein, les caisses de nos pays se remplirent, le secteur touristique se développa, nos émissaires à l’ONU obtinrent l’annulation de la dette et l’on fit la fête de l’unité retrouvée.» Cette étonnante reprise de l’histoire des vols de sexe dans le cadre élargi des rapports entre l’Afrique et l’Occident montre bien que la sorcellerie constitue un idiome très productif pour penser les relations sociales, et cela à une échelle qui dépasse très largement la seule sphère de la parenté1. La composante xénophobe est l’un des aspects les plus marquants de la rumeur des vols de sexe: c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est régulièrement mentionnée dans les articles de presse. La xénophobie contribue en effet à installer les événements dans une durée plus longue et engendre une mobilisation collective plus forte. La foule acquiert une plus grande consistance: au lieu de se disperser tout de suite après le lynchage d’un malheureux accusé, elle reste soudée et se trouve de nouvelles cibles parmi les communautés stigmatisées par la rumeur. Les lynchages dégénèrent alors parfois en émeutes et en pillages beaucoup plus violents et meurtriers. Le cas du Bénin est édifiant. En novembre 2001, la rumeur annonçant la présence de voleurs de sexe envahit Cotonou. Les accusations et les violences se focalisent alors sur les Ibo, une ethnie du sud-est du Nigeria massivement présente au Bénin suite à la guerre du Biafra et dont les ressortissants, remarquables par leur teint clair, tiennent habituellement des commerces dans plusieurs marchés de la capitale2. Supposément mêlés à de sombres affaires de vol, de grand banditisme et de trafic d’enfants, les Ibo ont déjà fort mauvaise réputation depuis plusieurs années. Les tensions couvent. Le vendredi 23 novembre 2001, un homme est accusé par un chauffeur de taxi de lui avoir volé 1. H. Englund, «Witchcraft and the limits of mass mediation in Malawi», art. cit., p. 295-311. 2. Au Togo, pays voisin du Bénin, ce sont également les Ibo nigérians qui sont la cible privilégiée des accusations. Cf. K. Kodjo, «Disparition de sexes au Togo, mise en scène ou réalité?», art. cit. 121 BAT-Voleurs sexe.indd 121 11/09/09 9:28:53 les voleurs de sexe son sexe alors qu’il s’était adressé à lui pour demander sa route. On le suspecte en outre d’être un Ibo (alors qu’il est en réalité congolais). Le malheureux est immédiatement lynché. Brûlé, mutilé et embroché, son cadavre est ensuite traîné en public par la foule qui crie: «Ce sont les Ibos, tous des voleurs1!» Le lendemain, une scène similaire se répète: un apprenti menuisier est accusé d’avoir fait disparaître le sexe d’un électronicien à qui il venait de serrer la main2. Malgré les coups de marteau sur la tête, les jets de pierres et l’aspersion d’essence, le malheureux parvient à se réfugier au domicile de ses cousins. Une foule en furie assiège alors la maison. Le présumé voleur de sexe est également accusé d’être ibo (alors qu’il est en réalité béninois). Une parente essaie en vain de s’interposer: «Vous faites erreur! Ce n’est pas un Ibo, c’est mon enfant, c’est un Béninois comme vous et il n’a volé le sexe de personne.» Cela n’empêche pas des centaines de personnes de saccager la maison et de molester ses habitants. La supérette voisine et un cybercafé sont également pillés. Les parents du suspect arrivent toutefois miraculeusement à calmer les assaillants en implorant leur pardon. La foule reste cependant mobilisée et se déplace alors vers la place de l’Étoile-Rouge pour y agresser et piller tous les commerçants ibo qui y travaillent. Pendant tout le week-end, la chasse aux Ibo continue. Le marché de Missèbo où travaillent nombre de Nigérians est pillé et détruit. En trois jours, émeutes, lynchages et pillages font six morts, plusieurs blessés et des dégâts matériels importants. Dans de tels cas extrêmes, la rumeur se cristallise ainsi en une opposition entre groupes et pas seulement entre individus. Les voleurs de sexe ne sont plus des inconnus disparates, ce sont «eux», tandis que les victimes des vols et les lyncheurs s’identifient à un «nous». Cette dynamique collective antagoniste 1. Cité in D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique de l’Ouest», art. cit. 2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», art. cit. 122 BAT-Voleurs sexe.indd 122 11/09/09 9:28:54 l ’ étranger accroît alors considérablement l’ampleur des violences. Elle peut en outre se nourrir des tensions interethniques ou xénophobes préexistantes et du fait que les violences intercommunautaires sont un registre d’action collective récurrent en Afrique: comme au Nigeria entre les gens du Nord (musulmans) et ceux du Sud (davantage chrétiens)1. Dans ce contexte délétère, la rumeur joue alors un rôle catalyseur essentiel: on accuse les futures victimes d’être des agresseurs avant de les malmener; on attribue à l’autre des atrocités que l’on commet ensuite soi-même. Les places de la victime et de l’agresseur s’inversent ou deviennent floues, car l’attaque est perçue comme de la légitime défense. Ce rôle performatif des rumeurs d’agression dans la circulation de la haine se retrouve d’ailleurs de manière constante lors des pogroms antisémites en Europe, des émeutes interraciales aux États-Unis ou encore des violences intercommunautaires en Asie du Sud2. Ainsi, dans les États-Unis des années 1960, une rumeur de castration d’un garçon blanc par un adolescent noir circulait abondamment dans la communauté blanche, tandis que la rumeur inverse circulait parmi les Noirs-Américains3. De même, en 1984 à Delhi, après l’assassinat d’Indira Gandhi, les violences des Hindous contre les Sikhs ont été directement précédées par des rumeurs d’émasculations supposées perpétrées par ces derniers4. Et il est certain que la forte charge émotionnelle suscitée par l’image de l’émasculation ravive encore la haine et les violences. Cependant, les vols de sexe ne se réduisent pas à la seule xénophobie, même si c’est là leur aspect le plus notable. Bien 1. D.L. Horowitz, The Deadly Ethnic Riot, Berkeley, University of California Press, 2001. 2. T.A. Knopf, Rumors, Race and Riots, New Brunswick, Transaction Books, 1975; S.J. Tambiah, Leveling Crowds: Ethnonationalist Conflicts and Collective Violence in South Asia, Berkeley, University of California Press, 1996. 3. M. Rosenthal, «Where rumor raged», in P.H. Rossi (dir.), Ghetto Revolts, New Brunswick, Transaction Books, 1973, p. 209-233. 4. V. Das, «Official narratives, rumour, and the social production of hate», Social Identities, 4-1, 1998, p. 109-130. 123 BAT-Voleurs sexe.indd 123 11/09/09 9:28:54 les voleurs de sexe souvent, la foule des lyncheurs se dresse contre un individu quelconque, sans qu’il y ait identification d’un «eux» bien défini. Bien souvent également, les victimes des lynchages sont des compatriotes et non des étrangers. Au Nigeria, tout semble d’ailleurs commencer au début des années 1970 par des accusations entre Haoussa au nord du pays. Lors des événements qui secouent le Ghana en 1997, Glenn Adams et Vivian Dzokoto notent que «même si des éditorialistes en mal de sensation ont suggéré que les voleurs de sexe étaient nigérians, notre analyse montre que la majorité des accusés sont en réalité des Ghanéens1». Au Gabon en 1997, un journaliste relève de même: «Parmi les accusés, 75 % de Gabonais. Parmi les victimes, 25 % d’étrangers2.» Quatre ans plus tard, lorsque la rumeur des vols de sexe touche à nouveau le pays, toutes les personnes molestées sont des Gabonais, à l’exception d’un Libérien lynché à mort. Du point de vue statistique, la xénophobie ne semble donc pas être la motivation première des violences contre les voleurs de sexe. C’est pourquoi les nombreux articles qui se focalisent exclusivement sur la xénophobie et sa dénonciation opèrent une simplification de l’affaire. En définitive, la rumeur des vols de sexe concerne avant tout des inconnus, mais a tendance à se focaliser sur des étrangers. Elle articule ainsi deux traits qui définissent le phénomène urbain: la figure de l’inconnu est étroitement associée à l’anonymat urbain, tandis que celle de l’étranger renvoie à la diversité de peuplement et au brassage interethnique propres aux grandes villes africaines issues de la colonisation3. 1. V.A. Dzokoto, G. Adams, «Juju, koro, or mass psychogenic illness? review of genital-shrinking epidemics in West Africa from 1997-2001», A art. cit., p. 68. 2. J.-D. Fotso-Eyi, «Libreville sous l’emprise de la peur», L’Union, 18 juin 1997. 3. Agglomération d’un nombre important d’individus dans un espace relativement restreint, la ville implique par définition l’anonymat mais pas toujours l’hétérogénéité ethnique: les cités yoruba étaient par exemple assez homogènes du point de vue ethnique. 124 BAT-Voleurs sexe.indd 124 11/09/09 9:28:54 tc à changer La rumeur à la une En comparant la sorcellerie familiale et le vol de sexe, nous avons souligné qu’ils étaient liés à deux formes distinctes de socialité: d’un côté, les petits groupes d’interconnaissance tels la famille, la maisonnée ou le village; de l’autre, la vaste multitude anonyme du trafic urbain. Or, cette distinction se traduit également par un saut d’échelle concernant le mode de diffusion des histoires de sorcellerie: le ragot intime d’un côté, la rumeur publique de l’autre. La sorcellerie familiale repose sur des ragots qui circulent au sein de la parentèle ou du voisinage. Le ragot est en effet un procédé de communication typique des petits groupes d’interconnaissance. Il repose sur des liens forts et transitifs: une personne raconte à une autre une histoire concernant une tierce personne de leur connaissance. Les ragots de sorcellerie ne peuvent donc circuler qu’à petite échelle, au sein d’un réseau social bouclé sur lui-même. Au-delà de ce cercle, ils perdraient en effet tout leur intérêt et leur pertinence. Contrairement au ragot, la rumeur n’évoque pas des affaires personnelles, mais une nouvelle d’ordre plus général1. Alors que le ragot parle toujours des proches, la rumeur évoque souvent des étrangers, des catégories de personnes ou des situations anonymes. Par conséquent, la rumeur ne présuppose nullement l’interconnaissance 1. O. Klapp, Currents of Unrest. An Introduction to Collective Behavior, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1972, p. 221; G. Fine, R. Rosnow, Rumor and Gossip. The Social Psychology of Hearsay, New York, Elsevier, 1976. 125 BAT-Voleurs sexe.indd 125 11/09/09 9:28:54 les voleurs de sexe des interlocuteurs: on peut fort bien se raconter des rumeurs entre inconnus à propos d’autres inconnus. Elle repose ainsi sur des «liens faibles» dont l’analyse des réseaux sociaux a montré qu’ils permettaient une diffusion beaucoup plus large des messages que les liens forts1. C’est parce qu’elle est une information qui intéresse virtuellement tout le monde – même si elle est non officielle, non vérifiée ou douteuse – que la rumeur est si rapidement et largement diffusée par le bouche-à-oreille. Elle peut alors circuler à une vaste échelle au sein d’un réseau social ouvert. Or, la sorcellerie «nouveau style» est une sorcellerie des rumeurs plutôt que des ragots. Les histoires de vol de sexe, par exemple, ne parlent pas d’un individu précis, mais évoquent plutôt la figure générique de l’inconnu, ce passant anonyme que l’on croise quotidiennement. Elles intéressent donc tout le monde. C’est pourquoi elles peuvent se propager à une échelle transnationale, échappant au cloisonnement local de la sorcellerie familiale. La circulation intense de la rumeur entraîne un climat de panique et de méfiance qui constitue un terrain propice à l’éclatement des incidents. En à peine quelques jours, la rumeur enflamme tous les esprits. L’alerte se propage très rapidement par la «radio-trottoir», ce mode informel de circulation et de commentaire des nouvelles qui concurrence l’information officielle dans les villes africaines2. Elle est d’autant plus diffusée qu’il y aurait un danger à ne pas la connaître – peu importe qu’elle se révèle finalement vraie ou fausse. Elle a ainsi une fonction préventive. Comme le note bien un commentateur, «avec de telles histoires, on n’est jamais assez prudent3». Propager une rumeur négative 1. M. Granovetter, «The strength of weak ties», American Journal of Sociology, 78-6, 1973, p. 1360-1380. 2. S. Ellis, «Tuning in to pavement radio», African Affairs, 88-352, 1989, p. 321-330; C. Nlandu-Tsasa, La Rumeur au Zaïre de Mobutu. Radio-trottoir à Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 1997. 3. Mor Ndiaye, «Ziguinchor: 13 pénis volés en une journée!», Walf Gran Place, 21 novembre 2007. 126 BAT-Voleurs sexe.indd 126 11/09/09 9:28:54 la rumeur à la une ne suppose donc pas nécessairement la crédulité des interlocuteurs. C’est au contraire la chose la plus raisonnable à faire pour avertir ses proches d’un danger potentiel, mais aussi pour tester la crédibilité de la nouvelle: cela permet en effet de savoir ce qu’en pensent les autres membres du groupe et donc de moduler sa propre attitude en fonction de leurs réactions. Ainsi, peu après les attentats du 11 septembre 2001, en Amérique du Nord et en Europe, une rumeur a largement circulé. Elle racontait qu’une personne (souvent l’ami d’un ami du locuteur) avait été prévenue d’éviter tel lieu public à telle date par un homme de type «arabe» à qui elle venait de restituer son portefeuille égaré dans la rue. Même s’ils n’y prêtaient que peu de crédit, beaucoup ont préféré quand même relater la rumeur à leur entourage, autant pour tester sa crédibilité que pour avertir leurs proches de ne pas se rendre dans ledit lieu à la date indiquée, «juste au cas où». Or, il en va de la rumeur du vol de sexe comme de cette légende urbaine de menace d’attentat terroriste: l’enjeu est suffisamment important pour qu’il vaille mieux être trop prudent que pas assez. La propagation de la rumeur se fait par le bouche-à-oreille. Mais elle emprunte également les moyens de communication les plus modernes: à Karthoum, en septembre 2003, la rumeur des vols de sexe a été très rapidement et efficacement diffusée par SMS au moyen de téléphones portables. Sur le continent africain très largement sous-équipé en lignes téléphoniques fixes, l’explosion de la téléphonie mobile dans les années 1990 a en effet ouvert de nouveaux canaux à la circulation de l’information. Certaines catégories de personnes ont en outre souvent servi de relais actif à la rumeur, contribuant à alerter le plus de monde possible. Au Bénin, ce sont les zémidjan, les conducteurs de taxi-moto qui suppléent aux lacunes des transports publics, et prennent parfois plusieurs clients à la fois (le terme signifie «emmène-moi vite» en langue fon). La déclaration officielle d’un ministre destinée à calmer les populations précise ainsi que «sous des prétextes 127 BAT-Voleurs sexe.indd 127 11/09/09 9:28:55 les voleurs de sexe mal fondés, de rapts d’enfants, vols ou disparitions de sexe, des groupuscules d’individus mal intentionnés, notamment des conducteurs de taxi-moto communément appelés “zémidjan”, incitent les populations à la violence1». Le ministre n’a pas tort: le 24 décembre 2001 à Cotonou, par exemple, un zémidjan traîne derrière sa moto une présumée voleuse de sexe qui vient d’être lynchée et brûlée, attisant ainsi encore plus les violences2. Les chauffeurs de taxi sont eux-mêmes régulièrement impliqués dans des affaires de vols de sexe. Ils sont plus souvent victimes ou lyncheurs qu’accusés, et les vols ont fréquemment lieu dans leur véhicule. Au Nigeria, c’est même toute une branche locale de l’Union des transports motocyclistes qui menace d’intenter une action en justice contre un homme s’il ne restitue pas au chauffeur de taximoto le pénis qu’il lui a prétendument volé3. Il faut dire que les zémidjan sont par habitude méfiants et prompts à réagir à la moindre alarme: particulièrement vulnérables sur leur moto, ils sont en effet fréquemment victimes d’agressions. Circulant et faisant circuler les gens, en contact avec une multitude d’inconnus, les chauffeurs de taxi sont finalement les mieux placés pour répandre la rumeur. Ce sont les équivalents modernes de ces colporteurs et commerçants ambulants qui ont activement propagé les rumeurs de complot de famine ou la grande peur de 1789 dans les campagnes françaises ou encore, en milieu urbain à la même époque, des domestiques qui circulent sans cesse entre maisons et commerces4. Dans 1. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», art. cit. 2. «Un “zémidjan” arrêté au Bénin pour avoir maltraité une femme», AFP, 12 janvier 2002. 3. «Nigeria: un client de moto-taxi accusé de vol de… pénis», art. cit. 4. L.S. Kaplan, Le Complot de famine: histoire d’une rumeur au xviii e siècle, Paris, Armand Colin, 1982; G. Lefebvre, La Grande Peur (suivie des Foules révolutionnaires) (1932), Paris, Armand Colin, 1988; A. Farge, J. Revel, Logiques de la foule: l’affaire des enlèvements d’enfants, Paris, 1750, Paris, Hachette, 1988; F. Ploux, De bouche à oreille. Naissance et propagation des rumeurs dans la France du xix e siècle, Paris, Aubier, 2003. 128 BAT-Voleurs sexe.indd 128 11/09/09 9:28:55 la rumeur à la une le cas des vols de sexe, il y a ainsi un singulier redoublement entre le médium et le message de la rumeur: des inconnus propagent une rumeur alertant du danger d’une interaction avec des inconnus. Cette centralité des conducteurs de taxi-moto béninois dans la diffusion de la rumeur s’explique également par le rapport particulier qu’ils entretiennent avec l’information: les zémidjan constituent en effet des maillons essentiels dans la chaîne de conversion de l’information officielle des médias (presse écrite ou émissions radiophoniques) en nouvelles informelles de la radio-trottoir. À Cotonou et dans les autres grandes villes du Bénin, les revues de presse en langues nationales (en fon notamment) diffusées à la radio connaissent une très large audience. La plus fameuse d’entre elles est sans doute la revue de presse de Dah Houawé, également surnommé le «roi Houawé», diffusée tous les jours à 10 heures sur la station de radio CAPP FM. Dah Houawé y commente la presse écrite avec un ton acerbe et moqueur et aime tout particulièrement reprendre les faits divers du moment. Souvent critiquée par la presse professionnelle pour son manque de sérieux, cette revue de presse est pourtant extraordinairement populaire, notamment auprès des zémidjan qui, à Cotonou, font systématiquement une pause tous les jours à 10 heures aux nombreux «points d’écoute» (les kiosques par exemple) pour écouter l’émission et commenter avec verve et virulence les nouvelles du jour1. De la presse écrite à l’oralité radiophonique et l’oralité populaire, il existe ainsi de multiples relais entre les médias et la radio-trottoir2. Et les zémidjan occupent une place stratégique dans cette chaîne polyphonique de 1. Sur les zémidjan et la revue de presse de Dah Houawé, cf. le repo tage radiophonique de V. Cagnolari, «À Cotonou, la capitale économique du Bénin», «On est où là?», émission du 30 juillet 2007, Radio France Internationale. 2. Autre exemple de passage entre écriture et oralité, en Afrique, les jou naux sont parfois lus publiquement afin de permettre aux illettrés de se tenir informés des dernières nouvelles. 129 BAT-Voleurs sexe.indd 129 11/09/09 9:28:55 les voleurs de sexe circulation et d’interprétation de l’information, notamment des faits divers et des rumeurs. La rumeur des vols de sexe ne passe en effet pas uniquement par le bouche-à-oreille. Elle est aussi intensément médiatisée. Dans leur analyse quantitative des vols de sexe survenus au Ghana en 1997, Glenn Adams et Vivian Dzokoto notent par exemple que si les gens ont majoritairement entendu parler de l’affaire par le bouche-à-oreille, un certain nombre de personnes citent les médias comme leur première source d’information1. Ces derniers jouent ainsi un rôle décisif dans la diffusion de la rumeur à une plus large échelle, nationale et même transnationale. Le succès culturel d’une représentation – aussi accrocheuse soit-elle – reste donc en bonne partie tributaire de ses supports matériels de diffusion. Il est par exemple probable que des stations de radio aussi populaires que Radio France Internationale et Africa n° 1 aient constitué un vecteur important pour la diffusion de la rumeur dans toute l’Afrique francophone (même s’il est plus difficile d’en trouver la trace que dans les archives de la presse écrite). D’autant plus que les affaires de sorcellerie sont régulièrement évoquées à la radio: «Triangle» et «L’Aventure mystérieuse», les deux émissions que l’animateur vedette franco-gabonais Patrick Nguema Ndong consacre aux histoires occultes sur Africa n° 1, sont par exemple internationalement célèbres. Entouré de spécialistes du «mysticisme africain» (marabouts, nganga ou pasteurs), Patrick Nguema Ndong raconte et commente d’innombrables histoires de sorcellerie et répond directement aux questions des auditeurs. La rumeur des vols de sexe a également été abondamment relayée dans les journaux, dans la presse de faits divers bien évidemment, mais également dans la presse dite «sérieuse». Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard s’il y a concomitance 1. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 88. 130 BAT-Voleurs sexe.indd 130 11/09/09 9:28:55 la rumeur à la une entre la propagation internationale de la rumeur au début des années 1990 et la liberté de la presse en Afrique qui entraîne une explosion rapide du nombre de journaux. Certes, la rumeur des vols de sexe ne saurait être réduite à une pure construction médiatique: journaux, radios et télévisions ne prennent le relais de la rumeur qu’une fois les premiers «cas» de vols de sexe déjà survenus dans le pays. Mais, si ce ne sont pas les médias qui créent de toutes pièces l’événement, ils contribuent néanmoins à lui donner de l’importance. Le relais médiatique de la rumeur multiplie en effet considérablement son public en lui donnant une nouvelle forme de visibilité1. La presse libre constitue donc un formidable amplificateur de la rumeur. Jusqu’à la fin des années 1980, la plupart des médias africains sont sous tutelle politique et doivent se contenter de couvrir les événements officiels. Au début des années 1990, à la faveur de la démocratisation et du multipartisme, la liberté de la presse permet l’émergence de médias indépendants dans nombre d’États africains. Les journaux satiriques ou la presse de faits divers occupent alors une place importante au sein de cette nouvelle presse libre. Or, cette presse populaire s’inspire directement de la rumeur publique et de la radio-trottoir. Thierry Perret note ainsi, à propos du Sénégal, «l’apparition à la fin de la décennie 1990 d’une presse de faits divers qui exploite avec prédilection tous les excès du genre, rumeurs, ragots, grosse ficelle et sexe à la “une”2». Cette porosité entre presse écrite et rumeur orale correspond à une stratégie commerciale de recherche du sensationnalisme, mais provient également de la faible professionnalisation et du manque de moyens des journalistes africains: peu ou pas formés, ayant accès à l’information par des réseaux informels, ils sont en effet amenés à reprendre la 1. J.B. Thompson, «La nouvelle visibilité», Réseaux, 23-129/130, 2005, p. 59-86. 2. T. Perret, Le Temps des journalistes: l’invention de la presse en Afrique fra cophone, Paris, Karthala, 2005, p. 102. 131 BAT-Voleurs sexe.indd 131 11/09/09 9:28:56 les voleurs de sexe rumeur publique comme une source pertinente. À travers l’usage récurrent de formules telles que «la rue dit que…» ou «le bruit court que…», les articles de presse s’emparent des rumeurs de la radio-trottoir, le journaliste prenant de la distance par rapport aux propos afin de ne pas les assumer pleinement à la première personne, sans pour autant juger de leur véracité ou de leur fausseté. Cette presse populaire se caractérise ainsi par un recours omniprésent au style oral, au langage imagé, à l’excès, à l’ironie et à la dérision1. Mais la presse dite sérieuse reprend également la rumeur publique à l’occasion. Dans L’Union, premier quotidien gabonais, l’éditorial est confié à Makaya, nom de plume d’un journaliste censé incarner le Gabonais moyen qui, dans un style marqué par l’oralité populaire, se fait l’écho de la radio-trottoir, tout en la discutant avec des arguments de bon sens2. En juin 1997 et à nouveau en avril 2001, Makaya consacre ainsi son éditorial aux voleurs de sexe. Cette ambiguïté du champ journalistique africain vis-à-vis de la rumeur se retrouve bien dans la presse populaire congolaise. La rumeur y est perçue de manière critique comme une «maladie de l’information», une «épidémie silencieuse» parfois comparée au moustique vecteur de paludisme. Mais, dans le contexte de la démocratisation, ce «Falciparum porte-parole de la rue» se veut également une expression directe du peuple, la «voix des sans-voix au Congo», selon le sous-titre de l’un des journaux. Les titres mêmes des journaux congolais jouent ainsi avec humour sur ce recyclage journalistique de la rumeur: La Rumeur, Les Chiens écrasés ou encore La Rue meurt. L’éditorial du premier numéro de La Rumeur constitue d’ailleurs une 1. M.-S. Frère, Presse et Démocratie en Afrique francophone, Paris, Karthala, 2000, p. 255-303. 2. S. Ellis, «Tuning in to pavement radio», art. cit., p. 328-329. Makaya fait toutefois attention à ne jamais critiquer le président Bongo (mort en juin 2009) lui-même, mais à toujours incriminer son entourage pour tous les travers de la politique et de la société gabonaises. 132 BAT-Voleurs sexe.indd 132 11/09/09 9:28:56 la rumeur à la une véritable mise en scène de la voix de la rumeur à la première personne, qui aurait tout à fait pu convenir à l’histoire du vol de sexe: «Moustiques têtus, nous venons siffler à vos oreilles ces mots d’intrigue qui vous donnent la chair de poule, vous irritent et vous enragent1.» Comme on le voit, il y a en définitive en Afrique tout un jeu d’allers-retours constants entre la presse écrite et la radio-trottoir qui laisse un large champ à l’expression polyphonique de la rumeur. Quelle est alors précisément l’attitude de la presse africaine vis-à-vis du vol de sexe? Elle n’est en réalité ni simple ni univoque. Comme souvent lorsqu’il s’agit de rendre compte d’histoires de sorcellerie, la presse populaire adopte «ce style inimitable qui allie étroitement l’ironie et l’effroi, la foi du charbonnier et le doute cartésien2». Nombre d’articles témoignent d’une forte ambivalence quant à la réalité des vols de sexe. Selon les journaux ou les journalistes, l’attitude de la presse oscille ainsi – de manière souvent indécise – entre la propagation et le démenti, entre l’exacerbation des tensions et les tentatives d’apaisement. Les journaux commencent généralement par relater les événements, en se focalisant tantôt sur les vols de sexe, tantôt déjà sur le lynchage des soi-disant coupables. Mais certains journaux vont plus loin et attisent délibérément le feu en contribuant à la panique et aux violences. Ainsi dans son édition du 30 novembre 1996, le Cameroon Tribune annonce: «La science confirme. La chasse aux Nigérians voleurs de sexe est ouverte3.» De même, dès le 23 novembre 2001, la veille des émeutes contre les Ibo présumés voleurs de sexe, le quotidien béninois Le Matin titre 1. Cité in N. Martin-Granel, «Rumeur sur Brazzaville: de la rue à l’écr ture», Canadian Journal of African Studies, 33-2/3, 1999, p. 362-409, ici p. 375. 2. C. Henry, E. Kadya Tall, «La sorcellerie envers et contre tous», Cahiers d’études africaines, 189/190, 2008, p. 11-34, ici p. 23. 3. Cité in M. Enguéléguélé, «La rumeur de la “disparition des sexes” au Cameroun. Contribution à l’étude des modes d’expression politique alternatifs dans les conjonctures fluides», art. cit. 133 BAT-Voleurs sexe.indd 133 11/09/09 9:28:56 les voleurs de sexe à la une en grosses lettres rouges: «Les voleurs de sexe sont de retour!» Le même jour, l’éditorial du journal Fraternité – bien mal nommé – alimente dangereusement les tensions xénophobes: «Ils se croient où ces Ibos qui pullulent dans le pays depuis un moment? Ils transforment de jour en jour le Bénin en une terre d’expérimentation de leurs perfidies… Non, trop, c’en est trop. Puisque cette situation est la résultante du laxisme de nos autorités compétentes (elles se montrent plutôt incompétentes!), alors les citoyens vont se faire justice eux-mêmes en créant un parti nationaliste: un Front national. Il faut discipliner ces Ibos et mettre de l’ordre dans ce pays!1» En donnant publiquement l’alarme, ces médias contribuent à transformer le vol de sexe en «panique morale2». Les incidents isolés prennent alors une nouvelle signification: l’affaire devient un outrage aux valeurs, une menace dangereuse pour toute la société3. Les médias font ainsi de la rumeur un scandale. Le scandale repose en effet sur la dénonciation d’un coupable, parfois érigé en persécuteur collectif 4: ainsi les Ibo sont-ils accusés en tant que groupe ethnique. La victime est elle aussi élevée au rang de personne collective: c’est la communauté nationale dans son ensemble qui est menacée par les voleurs de sexe. Les médias 1. Cité in D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique de l’Ouest», art. cit. 2. Sur la notion de panique morale, cf. E. Goode, N. Ben-Yehuda, Moral Panics. The Social Construction of Deviance, Oxford, Blackwell, 1994. 3. La «rumeur du chien» est un autre bon exemple de rumeur africaine à thématique sexuelle ayant provoqué une panique morale. En avril 1992 en Guinée, une rumeur circule sur un Blanc qui ferait venir à son domicile des jeunes Guinéennes pour les photographier en train d’avoir des rapports sexuels avec son chien. La rumeur choque tant les esprits que la maison de l’Européen est détruite par une foule en furie. Les jours suivants, des jeunes femmes en minijupe sont agressées. Les violences font un mort et une dizaine de blessés. Cf. P. Froissart, «La rumeur du chien. Une approche communicationnelle», in F. Reumaux (dir.), Les Oies du Capitole ou les Raisons de la rumeur, Paris, CNRS, 1999, p. 105-120. 4. L. Boltanski, Y. Darré, M.-A. Schiltz, «La dénonciation», Actes de la recherche en sciences sociales, 51, 1984, p. 3-40. 134 BAT-Voleurs sexe.indd 134 11/09/09 9:28:56 la rumeur à la une font émerger un «nous» à travers des stratégies d’identification directe des journalistes au peuple. Ce recours constant au «nous» est typique d’une presse africaine où, souvent, «l’opinion l’emporte sur l’information1». Ce passage au collectif crée de la «communauté imaginée» à travers un style rhétorique qui permet de coordonner les affects. La presse d’opinion contribue de la sorte à activer la mobilisation collective autour d’un danger imminent. Les articles qui dénoncent les voleurs de sexe et rapportent les lynchages en détail représentent en effet de véritables propositions d’action: ils sont «riches en action collective virtuelle2». La dénonciation des voleurs de sexe constitue en somme un acte de parole qui agit telle une violence à distance, préfigurant la violence bien réelle des lynchages. Comme le note MarieSoleil Frère, «les médias libres peuvent aussi tuer3». On se souvient par exemple du sinistre rôle de la Radio-télévision libre de Mille Collines dans le génocide rwandais en 1994. La station de radio répandit jusqu’à l’écœurement une propagande haineuse contre les Tutsi et les Hutu modérés, incitant et contribuant directement au génocide avec des slogans tels que «Tuez tous les cancrelats!». Dans le cas des vols de sexe également – quoique à un moindre niveau –, certains médias ont pris une part active dans la propagation et l’amplification de la haine et de la violence. Nombre de journalistes ont néanmoins accompli leur travail de manière bien plus professionnelle, analysant et vérifiant les faits avant de les relater, n’hésitant pas à démentir les fausses nouvelles. Lors des événements béninois de 2001, un communiqué – certes tardif – de l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias dénonce l’éditorial haineux du quotidien Fraternité, mais félicite aussi les nombreux 1. M.-S. Frère, Presse et Démocratie en Afrique francophone, op. cit., p. 267. 2. E. de Dampierre, «Thèmes pour l’étude du scandale», art. cit., p. 338. 3. M.-S. Frère, «Médias en mutation: de l’émancipation aux nouvelles contraintes», Politique africaine, 97, 2005, p. 5-17, ici p. 11. 135 BAT-Voleurs sexe.indd 135 11/09/09 9:28:57 les voleurs de sexe organes de presse qui ont publié des articles pour dénoncer les lynchages et démentir la rumeur1. Les démentis par la voie des médias se révèlent néanmoins des exercices périlleux, dans la mesure où ils contribuent à diffuser la rumeur à un public encore plus large. Plusieurs expériences en psychologie ont d’ailleurs montré que le fait de répéter une rumeur (y compris en la niant) a tendance à la confirmer chez les personnes déjà plutôt convaincues. La rumeur influence ainsi un individu non parce qu’il y croit mais simplement par le seul fait qu’il y pense2. Le travail critique des médias se fait habituellement de manière progressive. Le témoignage de ce journaliste d’un quotidien malien illustre bien l’évolution du traitement médiatique des vols de sexe: «C’est vrai, c’est une erreur, au début nous n’avons pas enquêté. […] Nous étions pressés, nous avions un scoop, notre photographe était par hasard lui aussi sur les lieux et notre agence a revendu les photos à tous les journaux. […] Mais, une fois l’agitation passée, nous avons fait une mise au point3.» Ainsi, au fil des éditions, les articles se focalisent de moins en moins sur les voleurs de sexe et de plus en plus sur les lynchages. Les récits au conditionnel font leur apparition – l’usage d’un conditionnel de prudence étant justement l’une des caractéristiques professionnelles du discours journalistique. Les voleurs de sexe ne sont plus évoqués qu’avec circonspection, généralement entre guillemets. Les cris d’alarme des victimes deviennent de fausses accusations. Les médias construisent progressivement une autre image des événements. L’évolution des titres du quotidien gabonais L’Union lors des affaires de vol de sexe de 1997 est 1. D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique de l’Ouest», art. cit. 2. J.-N. Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Paris, Seuil, 1995, p. 283-288. 3. Cité in J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur sorcière», art. cit., p. 197. 136 BAT-Voleurs sexe.indd 136 11/09/09 9:28:57 la rumeur à la une révélatrice. Dans son édition du 14-15 juin, le journal titre «La psychose de la disparition du sexe gagne Libreville». Dès le 18 juin, les guillemets et les mises en garde apparaissent: «Affaires des organes génitaux “rétrécis”. Un cirque dangereux qu’il convient d’arrêter.» Le 11 juillet, le démenti est formel: «Phénomène de rétrécissement de sexe. Gare aux fausses accusations!» Glenn Adams et Vivian Dzokoto observent la même évolution dans le traitement médiatique des vols de sexe au Ghana: certains journaux sont cependant plus prompts à dénoncer les fausses accusations (ainsi le Daily Graphic), alors que d’autres maintiennent plus longtemps la version incriminant les voleurs de sexe (comme le Ghanaian Times)1. Il semble donc qu’il y ait deux temporalités et deux relais distincts des événements: la foule et l’opinion2. D’une part, la foule qui propage dans l’urgence la rumeur et se livre aux violences. D’autre part, l’opinion qui suppose un «public informé» par la presse et les médias. Ce public informé – comptant peut-être en son sein des personnes qui se sont livrées peu avant à des violences contre les présumés voleurs de sexe – est ainsi invité à réfléchir de manière critique sur les événements afin de les considérer sous un jour nouveau. Le phénomène des vols de sexe ne suggère donc nullement que l’Afrique en serait restée à un hypothétique «âge des foules», mais atteste au contraire que le continent vit à l’âge du public et du journal3. 1. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 94. Pour le témoignage d’une journaliste sur le traitement médiatique des vols de sexe au Ghana, cf. J. Hasty, «Performing power, composing culture: the state press in Ghana», Ethnography, 7, 2006, p. 69-98, ici p. 73. 2. G. Tarde, L’Opinion et la Foule (1901), Paris, PUF, 1989. 3. S. Moscovici, L’Âge des foules. Un traité historique de psychologie des masses, Bruxelles, Complexes, 1981. 137 BAT-Voleurs sexe.indd 137 11/09/09 9:28:57 138 BAT-Voleurs sexe.indd 138 11/09/09 9:28:57 tc à changer Les sexes sont bien en place La rumeur passe par une série d’«épreuves» auxquelles les médias participent ou dont ils se font l’écho: témoignages, vérifications et expertises qui permettent d’éprouver la tangibilité des vols de sexe1. Alors qu’au moment des incidents et des violences, nul ne se soucie de vérifier la réalité de la disparition des sexes, sa vérification devient ensuite un enjeu majeur où la médecine, mais aussi la police et les médias, se trouvent impliqués. Les victimes de vol de sexe sont soumises à des examens médicaux, parfois sur place, parfois à l’hôpital. Tous attestent que «les sexes sont bien en place», selon l’expression récurrente. Face à l’évidence, la plupart des patients avancent alors que leur sexe vient seulement de réapparaître, entre autres grâce au tabassage du présumé coupable. Certains affirment plutôt que ce sont des prières qui ont permis de le faire revenir. D’autres assurent que leur pénis n’avait pas réellement disparu, mais simplement rétréci. Comme cette victime camerounaise qui se défend: «Je ne dis pas que je n’ai plus de sexe, je dis bien que mon pénis n’a plus ses proportions habituelles et normales2.» Certains soutiennent même que leurs organes génitaux sont certes en place, mais qu’ils ne fonctionnent plus ou que ce sont 1. Sur le concept d’épreuve en sociologie pragmatique, cf. F. Chateauraynaud, D. Torny, Les Sombres Précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Paris, EHESS, 1999, p. 40-45. 2. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, art. cit. 139 BAT-Voleurs sexe.indd 139 11/09/09 9:28:57 les voleurs de sexe des membres fantômes ne leur appartenant pas. Beaucoup plaident l’impuissance ou la faiblesse sexuelle. Les troubles de l’érection sont en effet plus difficiles à infirmer et fournissent donc une version plus acceptable des événements. On pourrait ne voir dans les glissements des déclarations des soi-disant victimes qu’une stratégie de défense mise en œuvre par des simulateurs. Il semble plutôt que ces confusions et ces inconséquences témoignent, de manière souvent sincère, du trouble sensoriel et émotionnel des victimes qui ne comprennent pas elles-mêmes ce qui leur arrive exactement. Face aux multiples dénégations des victimes, l’exhibition de l’évidence est soigneusement mise en scène. Au Sénégal, c’est le commissaire en chef de la police dakaroise qui déclare officiellement dans les médias: «Tous les sexes que j’ai vus sont à leur place et ils sont tout à fait normaux1.» Au Bénin, l’examen d’une soi-disant victime révèle «un sexe qui au repos n’avait rien à envier à un membre en érection2». Lors des événements de 2001 au Gabon, «des femmes [sont] invitées pour l’occasion à “tester” la virilité [des victimes] – avec succès – en les “tripotant”3». Et en 2005, les enquêteurs font à nouveau appel aux «mains expertes d’une jeune fille4». Les victimes étaient déjà soumises au même test en 1997 au Ghana5. Au Bénin enfin, une chaîne de télévision exhibe en gros plan les sexes des soi-disant victimes6. Tout cela pourrait paraître risible. Il ne faut cependant pas se méprendre: le caractère grotesque de ces mises en scène constitue une 1. «Les rétrécisseurs de sexe», art. cit. 2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», art. cit. 3. «La capitale pétrolière du Gabon dans la psychose des “voleurs de sexe”», art. cit. 4. «Accusé d’avoir “volé” le sexe d’un enfant, un Gabonais échappe au lynchage», art cit. 5. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 89. 6. D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique de l’Ouest», art. cit. 140 BAT-Voleurs sexe.indd 140 11/09/09 9:28:58 les sexes sont bien en place s tratégie particulièrement efficace pour discréditer les victimes et la rumeur. La psychologie et la psychiatrie sont également mobilisées dans cette entreprise de disqualification: l’expérience des victimes est interprétée en termes psychopathologiques et devient une psychose, de l’hystérie ou bien un phénomène de suggestion. La superstition et le faible niveau d’éducation sont en outre mentionnés à titre de facteurs aggravants. Un officiel déclare ainsi à la presse sénégalaise que «les victimes sont des gens qui ont des problèmes psychologiques ou même sexuels. […] Cette affaire touche des gens qui n’ont pas un bon équilibre mental1». Un «éminent psychiatre» confie quant à lui dans la presse soudanaise que «le phénomène est similaire aux cas de grossesse psychologique chez les femmes2». Parfois, les médias font également appel à l’expertise des «tradithérapeutes», ces guérisseurs qui sont très nombreux à officier dans les villes africaines. Ils sont réputés grands connaisseurs des phénomènes sorcellaires, leur avis possède donc une valeur déterminante. Or, celui-ci est plus contrasté que ce que l’on pourrait attendre. Bonne illustration du curieux mélange de biomédecine et d’ésotérisme dans le discours des tradipraticiens urbains, un nganga gabonais déclare ainsi: «C’est mystique et magique, ça ne se démontre que sur un plan hautement spirituel. […] Le sexe ne disparaît pas; en réalité, il perd tout simplement sa forme initiale et sa virilité. Les sensations qui traversent le corps peuvent être considérées comme la descente de l’énergie vers la zone de l’organe génital, pour un éventuel rétrécissement. La conséquence, si rien n’est fait dans l’immédiat, la victime peut souffrir d’une impuissance sexuelle secondaire3.» Un guérisseur camerounais assure quant à lui que la disparition du sexe est impossible. Son 1. «Les rétrécisseurs de sexe», art. cit. 2. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises disappear», art. cit. 3. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit. 141 BAT-Voleurs sexe.indd 141 11/09/09 9:28:58 les voleurs de sexe explication alambiquée s’avère pourtant fort ambiguë. À la question: «Est-il possible qu’un être humain fasse disparaître des organes génitaux?», le tradipraticien répond ainsi: «Non. Cependant, j’estime que certaines personnes qui possèdent des pouvoirs de sorcellerie peuvent accomplir une telle chose. Mais, nous les guérisseurs traditionnels, nous savons qu’elles ne s’en prendraient pas à des innocents. Elles ne peuvent pas réussir si elles n’ont pas un mobile. Excepté dans ce cas, je pense que cette histoire de la disparition des sexes est une supercherie. […] Il y a bien certaines plantes dont j’ai entendu parler qui peuvent provoquer l’impuissance, le rétrécissement du pénis ou une hernie des testicules. Mais je ne m’intéresse pas à ces plantes, ni à aucune autre chose qui pourrait causer la disparition complète du sexe1.» Et lorsque le journaliste lui fait remarquer que certaines victimes de vol de sexe ont pourtant témoigné personnellement, il rétorque: «J’estime que ce sont des histoires à dormir debout qui servent à des représailles. Les gens devraient y réfléchir à deux fois pour découvrir d’où vient le problème. Vous avez peut-être un ennemi ou bien quelqu’un essaie de vous voler votre argent. […] La vérité est qu’aucune disparition n’a jamais été diagnostiquée à l’hôpital ou mise en évidence. Je lance un défi: que celui dont le pénis a disparu vienne se faire soigner gratuitement chez moi.» Il conclut enfin: «Les gens doivent garder leur calme. Je me souviens d’un charlatan qui avait voulu me faire chanter en avertissant les gens de ne plus me serrer la main sous peine d’avoir le visage entièrement paralysé. Il ne s’agissait que d’un règlement de comptes.» Le guérisseur ne discrédite donc pas entièrement la rumeur des vols de sexe, mais cherche surtout à éviter que des accusations ne se portent sur lui. Sa circonspection témoigne de la proximité ambivalente entre sorcellerie et contre-sorcellerie: les devins-guérisseurs sont en effet réguliè1. G. Fombe, «“Disappearance of organs is fake”. Interview with tradipra titioner Baaboh Forkinang», Cameroon Tribune, 25 novembre 1996. 142 BAT-Voleurs sexe.indd 142 11/09/09 9:28:58 les sexes sont bien en place rement accusés d’être eux-mêmes des sorciers, puisque seule la possession des mêmes armes occultes qu’eux leur permet de les combattre. Comme l’affirme d’ailleurs sans ambages un proverbe des Bapunu du Gabon, «le sorcier et le nganga sont des amis». Les devins-guérisseurs doivent donc rester prudents lorsqu’ils accréditent les histoires de sorcellerie, car ils risquent eux-mêmes de se retrouver pris dans le cercle des accusations. Ces diverses épreuves de vérification conduisent à une requalification des vols de sexe. Sous la plume des journalistes, ces derniers deviennent une «rumeur», le terme devant ici être entendu au sens péjoratif de fausse information à laquelle succombe la crédulité populaire. Le champ journalistique représente en effet le lieu où se joue le partage entre la simple rumeur et l’information vérifiée. Le vol de sexe est également souvent qualifié d’«arnaque» ou d’«escroquerie»: les soi-disant victimes accuseraient à tort des innocents de leur avoir volé leur sexe. Comme le notait en effet déjà Georges Balandier, «certains conflits, qui ne paraissent relever que des thérapeutiques traditionnelles, puisqu’il s’agit de sorcellerie et de magie, sont en train de se rationaliser et d’apparaître en tant que simple délit ou escroquerie1». Les motivations supposées des fausses victimes varient cependant considérablement selon les opinions des uns ou des autres. Pour certains, les accusateurs seraient des pickpockets profitant des attroupements pour détrousser le faux coupable et les badauds. Un homme accusé de vol de sexe s’insurge ainsi: «Ce n’est qu’un moyen de monter un coup de vol ou d’agression quand vous avez beaucoup d’argent ou de beaux bijoux2.» Pour d’autres, ce seraient plutôt des maîtres chanteurs proposant de retirer leur plainte contre une importante somme d’argent, ou bien des pillards profitant des violences 1. G. Balandier, Sociologie actuelle des Brazzavilles noires, op. cit., p. 190. 2. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, art. cit. 143 BAT-Voleurs sexe.indd 143 11/09/09 9:28:58 les voleurs de sexe pour dévaliser les commerces, ou encore des racistes excitant la population à lyncher des étrangers. Plusieurs commentateurs suggèrent quant à eux qu’il s’agirait en fait de règlements de comptes entre personnes ennemies, la fausse accusation fournissant un prétexte commode au tabassage. Un journaliste gabonais avertit ainsi: «Beaucoup de petits jaloux exploiteront la situation pour régler les comptes à leurs rivaux1.» Le fait que les accusations visent presque toujours des inconnus infirment pourtant totalement cette hypothèse. Il y en a même qui prétendent que la diffusion de la rumeur serait le fait de dangereux agitateurs cherchant à déstabiliser le pays. Au Bénin, on évoque ainsi un véritable complot politique: «Certains avancent des raisons politiques qui méritent qu’on s’y attarde. […] Le Bénin doit faire face aujourd’hui à ses “ennemis” qui, visiblement, ne désarment pas. […] Le seul objectif de toutes ces actions, c’est de créer une psychose pour rendre le pays dans une totale insécurité, voire à la limite ingouvernable. […] Que des hommes politiques tapis dans l’ombre espèrent récupérer la situation pour crier haro sur le gouvernement et en tirer profit, nous osons ne pas y croire2.» Ces diverses hypothèses peuvent sembler rassurantes car elles permettent de démystifier la rumeur. Il n’est donc pas étonnant que la presse occidentale reprenne souvent cette version des faits qui permet de passer la sorcellerie sous silence. Ces tentatives de rationalisation du vol de sexe discréditent en effet la rumeur en inversant les rôles de la victime et du coupable: la victime du vol de sexe se révèle coupable, tandis que l’accusé devient une victime innocente. Ces rationalisations s’avèrent néanmoins sans véritable fondement. Nous avons vu que l’expérience des victimes de vol de sexe possède un fondement émotionnel et somatique tout à fait réel: on peut donc gager que leur expérience est authentique et leur 1. «Pour moi quoi… Makaya», art. cit., p. 1. 2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», art. cit. 144 BAT-Voleurs sexe.indd 144 11/09/09 9:28:58 les sexes sont bien en place témoignage sincère. C’est en outre toujours le voleur de sexe qui est à l’initiative de la rencontre avec sa victime et non l’inverse, ce qui limite fortement la possibilité pour cette dernière de planifier une escroquerie. Les incidents ne semblent ainsi que fort rarement instrumentalisés par des individus ou des groupes. Nulle manigance, nul complot organisé ne se cachent derrière les vols de sexe. Mais il est révélateur que la démystification qui vise à saper l’interprétation sorcellaire suppose encore de penser la rumeur en termes de conspiration intentionnelle, comme si les événements devaient nécessairement avoir été orchestrés. Sorcellerie ou escroquerie, le vol de sexe ne sort pas du cercle paranoïaque de la raison intentionnelle. Acteurs et commentateurs ont ainsi le plus grand mal à accepter que le vol de sexe puisse survenir en l’absence de toute motivation cachée. Les démentis publiés dans la presse font partie de la réaction officielle des autorités. Ces dernières utilisent en effet les médias, notamment les médias d’État, pour tenter de faire cesser la rumeur. Ministres, préfets et chefs de la police se voient contraints dans l’urgence de faire des déclarations dans la presse, à la radio, à la télévision. Dans cette affaire, les autorités sont toutefois moins préoccupées par la fausseté de la rumeur que par les troubles à l’ordre public qu’elle engendre. Leur version des événements décrit par conséquent le vol de sexe en termes d’activité criminelle plutôt que de trouble psychopathologique. En effet, la justice expéditive pose un grave problème car elle conteste le monopole de l’État sur la violence légitime. L’intervention des pouvoirs publics suit partout le même schéma: démenti de la rumeur, appels au calme, et surtout consignes à la police et la justice d’arrêter et poursuivre les fauteurs de trouble. Alors qu’au début des événements, les supposés voleurs de sexe étaient parfois arrêtés par les forces de l’ordre, maintenant ce sont les accusateurs et les lyncheurs qui sont poursuivis pour fausses accusations, troubles à l’ordre public, coups et blessures volontaires, homicides. En juillet 2007 au Sénégal, deux hommes sont 145 BAT-Voleurs sexe.indd 145 11/09/09 9:28:59 les voleurs de sexe par exemple condamnés à deux mois de prison ferme et doivent payer 163 000 francs CFA de dommages et intérêts au Ghanéen qu’ils avaient à tort accusé d’avoir volé leur sexe1. Certes, la foule s’oppose plus d’une fois à l’arrestation des lyncheurs qu’elle acclame comme des justiciers. Les événements entraînent parfois des heurts violents entre la police et la population, voire des émeutes. En mars 1997, la police d’Abidjan est obligée d’utiliser des gaz lacrymogènes pour disperser une foule hostile qui s’apprête à lyncher un présumé voleur de sexe2. En juin 2006 au Bénin, la ville de Parakou doit être «fortement militarisée sur ordre du préfet» afin de mettre un terme aux violences3. Le mois suivant, la brigade de gendarmerie de la ville de Toucountouna est entièrement démolie par un groupe de jeunes gens en furie voulant lyncher un présumé voleur de sexe en garde à vue4. Après que le malheureux a été lapidé, l’émeute tourne à la bataille rangée entre les gendarmes et une foule armée entre autres d’arcs et de flèches. Malgré les renforts de deux brigades de gendarmerie et d’un bataillon militaire, les violences se poursuivent encore toute la nuit, alors que les assaillants se sont repliés sur les hauteurs d’une montagne. Ces affrontements ne durent cependant pas très longtemps. Largement médiatisés afin d’avoir un meilleur effet dissuasif, les arrestations, les procès et les condamnations des accusateurs et des lyncheurs finissent généralement par conduire à l’extinction des violences mais aussi, semble-t-il, de la rumeur5. 1. H. Bangré, «Sénégal: sus aux rétrécisseurs de sexe!», Afrik.com, 5 juillet 2007. 2. «Mind your penis!», Magnus Magazine, 13 mars 1997. 3. V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», art. cit. 4. H. Yotto, «Phénomène de vol de sexe: un mort, deux blessés graves et la brigade saccagée à Toucountouna», Le Matinal (Cotonou), 19 juillet 2006. 5. Sur la finalité essentiellement dissuasive des procès des fauteurs de trouble par la justice ghanéenne, cf. R. Gocking, «The tribunal system in Ghana’s Fourth Republic: an experiment in judicial reintegration», art. cit., p. 59-60. 146 BAT-Voleurs sexe.indd 146 11/09/09 9:28:59 les sexes sont bien en place Tout au long des événements liés au vol de sexe, l’opposition entre victime et agresseur se révèle donc très instable et sujette à de multiples inversions. En 1996 à Douala, trois hommes sont accusés de vol de sexe par un apprenti dans un magasin, alors qu’ils venaient récupérer un magnétoscope laissé en réparation1. Molestés par la foule, ils sont sauvés in extremis par l’intervention de la police. Pourtant, témoigne l’un d’entre eux, «conduits au commissariat, on nous a battus et gardés pendant trois jours. Il a fallu négocier très fort pour être libérés». Une fois sortis, les trois individus retournent toutefois à la police pour porter plainte contre leur accusateur. Dans les affaires de vol de sexe, les autorités demandent en effet souvent aux forces de l’ordre de placer en garde à vue aussi bien les présumés voleurs que les soi-disant victimes et les lyncheurs. Arrêter les voleurs de sexe est en effet la meilleure façon de les protéger contre la vindicte populaire. Mais cela entraîne la plus grande confusion dans les commissariats. Lors des incidents de 2003, «les Soudanais, indécis dans leur gestion de l’affaire, ont arrêté 40 personnes ayant porté plainte pour vol de sexe, de même que 50 autres personnes suspectées de sorcellerie et d’escroquerie. De nombreux Ouest-Africains ont été conduits au commissariat afin d’être questionnés, alors que la foule tentait de les assaillir2». Décontenancé, un policier de haut rang déclare alors: «Nous avons rencontré les suspects et avons découvert qu’ils étaient en réalité les victimes.» Dans les tribunaux, la situation est parfois tout aussi embrouillée. En Afrique, il n’est pas inhabituel que les affaires de sorcellerie soient portées devant la justice. Pendant la période coloniale, les juges refusaient la plupart du temps de prendre en compte les accusations de sorcellerie et c’étaient alors plutôt les accusateurs et les devinsguérisseurs qui se retrouvaient condamnés pour diffamation. 1. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, art. cit. 2. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises di appear», art. cit. 147 BAT-Voleurs sexe.indd 147 11/09/09 9:28:59 les voleurs de sexe Mais depuis quelques décennies, il arrive que des tribunaux poursuivent et condamnent des individus pour des «faits» de sorcellerie, les devins-guérisseurs étant mobilisés comme témoins dans l’établissement de la preuve1. C’est ainsi que des voleurs de sexe ont été déférés devant les tribunaux. En juin 2007 à Guédiawaye, au Sénégal, deux rétrécisseurs de sexe se retrouvent «dans le collimateur de la justice2». L’avocat de la défense fait pourtant remarquer au procureur que ses clients ont été battus et torturés par le plaignant, dont il n’a en outre jamais été prouvé que le sexe avait rétréci. On ignore cependant le verdict du tribunal. Quelques mois plus tard dans le même pays, un Bissau-Guinéen accusé d’avoir volé au moins deux pénis et «qui risquait six mois ferme requis par le parquet, avait été déclaré coupable de charlatanisme et trouble à l’ordre public avant d’être condamné à une peine de trois mois ferme» par le tribunal de Ziguinchor. En revanche, son «complice» présumé, un Sénégalais «qui n’avait serré aucune main, a été relaxé purement et simplement3». La confusion qui s’insinue jusque dans les tribunaux est bien marquée par cet étrange paradoxe qui consiste à condamner un voleur de sexe pour «charlatanisme». Comme le relève en effet un avocat sénégalais interrogé par le journaliste, «si les faits sont vrais, je ne vois pas pourquoi on l’a condamné pour charlatanisme parce que ce prévenu est un vrai marabout et non un charlatan». Mais il est vrai que le terme «charlatan» peut prêter à confusion: en Afrique, il désigne souvent, non pas un imposteur, mais au contraire un «vrai» guérisseur. Dans la rue, la confusion règne tout autant. Le cas du Ghana illustre de manière édifiante ces retournements entre agresseur 1. C. Fisiy, P. Geschiere, «Judges and witches, or how is the State to deal with witchcraft? Examples from Southeast Cameroon», Cahiers d’études africaines, 118, 1990, p. 135-156. 2. L. Sidibé, «Guédiawaye: deux “rétrécisseurs de sexe” dans le collimateur de la justice», L’Office (Sénégal), juillet 207. 3. «Recrudescence d’un phénomène. Le “rétrécissement de sexe”, mythe ou dure réalité?», Le Soleil, 8 décembre 2007. 148 BAT-Voleurs sexe.indd 148 11/09/09 9:28:59 les sexes sont bien en place et victime1. En 1997, sept voleurs de sexe sont lynchés à la mi-janvier. Le 22 janvier, une fausse victime est condamnée à un an de travaux forcés. On compte alors onze morts et onze personnes poursuivies pour fausses allégations. De nouveau le 24 janvier, une personne en accuse une autre d’avoir fait disparaître son sexe. Cette fois-ci la foule examine le membre viril de la victime: il est bien en place. La victime est alors lynchée à la place du faux coupable. Dans la confusion des événements, victimes et coupables sont ainsi bien difficiles à discerner les uns des autres. La requalification des vols de sexe en escroquerie n’est pas non plus exempte d’ambivalence car l’escroc n’est pas toujours celui que l’on croit. Tantôt on explique qu’il ne s’agit que de fausses accusations destinées à faire payer les accusés innocents. Tantôt on suggère au contraire que le vol de sexe est bien réel, mais qu’il ne servirait qu’à fournir un prétexte pour obtenir une rançon substantielle contre la restitution du sexe: cette interprétation de la rumeur se retrouve au moins au Gabon, en Gambie, au Sénégal, au Soudan et au Niger. On évoque même parfois une «bande organisée», voire un «syndicat mystique». Le réseau serait organisé en deux groupes: l’un chargé de faire disparaître les sexes, l’autre proposant ensuite de les restituer contre paiement en se présentant comme des guérisseurs. Ainsi à Niamey, «des inconnus, assez bien habillés, membres d’un réseau bien organisé, vous abordent dans la rue sourire aux lèvres et vous tendent la main en guise “d’amitié”. Sans méfiance aucune, vous jouez à leur jeu. Et sitôt qu’ils vous ont quitté, vous ne sentez plus vos attributs. Des hommes ont été victimes depuis quelques jours de ces malveillances. La proie est ciblée, généralement une personne capable de 1. «Esprits mal placés», Libération, 18 janvier 1997; J. Hatzfeld, «Ghana: pénis et lynchages», Libération, 21 janvier 1997; «Ghana: pénis et travaux forcés», Libération, 22 janvier 1997; J. Hatzfeld, «Ghana: pénis et mensonges», Libération, 24 janvier 1997. 149 BAT-Voleurs sexe.indd 149 11/09/09 9:29:00 les voleurs de sexe “banquer” quelques billets de CFA pour retrouver son bien. Quand la foule afflue, suite aux jérémiades du “dindon”, un complice du malfaisant se présente toujours et propose ses bons offices. Il joue au marabout, envoyé du Seigneur, pour contrer le mauvais sort. Et comme la victime (ou ses parents) n’a pas le choix, le tour est joué! Le sexe réapparaît. Ils se retrouveront plus tard dans une maison obscure d’un quartier de la place pour partager le butin1». Au Gabon, un accusé avoue d’ailleurs sous la pression pouvoir restituer le sexe volé contre 4 millions de francs CFA (environ 6 000 euros). Au Soudan, pays plus pauvre, la rançon ne dépasserait pas 2 500 euros, somme pourtant déjà considérable. Cette version du coup monté par un voleur de sexe et son complice faux guérisseur est d’ailleurs curieusement reprise par un journaliste français qui réduit le vol de sexe à une «simple affaire d’escroquerie2». Il s’agit en effet selon lui d’une «escroquerie montée par de faux colporteurs de médicaments mais vrais charlatans ambulants». Sa stratégie de rationalisation repose cependant sur deux invraisemblances flagrantes. Selon lui, l’escroc touche à dessein sa victime qui sent alors son sexe «qui aussitôt se recroqueville, pire qui disparaît au plus profond du corps». Or, l’auteur, qui ne croit évidemment pas lui-même à la réalité du vol de sexe, n’explique toutefois pas comment l’escroc aurait le pouvoir de provoquer à volonté un tel effet sur ses victimes. Il est en outre absurde de penser que des individus aient cherché à se faire passer pour un voleur de sexe et son complice au risque d’être immédiatement lynchés par la foule. À travers sa mise à l’épreuve, la rumeur du vol de sexe se trouve ainsi exposée à la controverse. De nombreuses versions des faits – souvent embrouillées et ambiguës – circulent et sont mises en concurrence, sans qu’aucune ne parvienne 1. «Sexe et commérages. Les truands reviennent!», art. cit. 2. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», art. cit., p. 188-189. 150 BAT-Voleurs sexe.indd 150 11/09/09 9:29:00 les sexes sont bien en place vraiment à s’imposer de manière définitive. Au moment où les incidents cessent sous l’action dissuasive des autorités, la controverse n’est pas close, ouvrant la voie à sa réouverture ultérieure lors de la réapparition de la rumeur quelques mois ou quelques années plus tard. 151 BAT-Voleurs sexe.indd 151 11/09/09 9:29:00 152 BAT-Voleurs sexe.indd 152 11/09/09 9:29:00 tc à changer Y croire ou pas Qu’on la tienne pour une rumeur, de la magie, un complot ou une escroquerie, l’affaire des vols de sexe trouble les esprits et brouille les frontières entre les victimes et les agresseurs. Cette instabilité des relations constitue un trait récurrent de la sorcellerie en Afrique, que le sorcier prenne le masque d’un innocent pour le faire accuser à sa place, ou qu’une accusation de sorcellerie entraîne une contre-accusation. Tout cela contribue à installer un climat de suspicion généralisée car on ne sait plus qui sont les victimes et qui sont les agresseurs. Comme le remarque très justement un journaliste gabonais, «tout le monde devient suspect aux yeux de tout le monde1». La rumeur des vols de sexe engendre une perte de confiance dans la réalité quotidienne: on en vient à douter des intentions d’autrui jusque dans les interactions les plus ordinaires2. Selon un paradigme classique en sciences sociales, la rumeur serait le produit de situations ambiguës, ce qui expliquerait que la majorité d’entre elles soient des rumeurs de crise3. Le processus de diffusion et de réélaboration de la rumeur 1. Assoumbou-Mombey, «Psychose généralisée», art. cit. 2. Le climat d’angoisse engendré par la «menace terroriste» a les mêmes effets: dans les transports en commun, on en vient facilement à suspecter son voisin, surtout s’il arbore un «teint basané» et porte un «colis suspect», confirmant ainsi les stéréotypes en vigueur. Mais le vol de sexe est plus inquiétant encore, dans la mesure où la suspicion ne se focalise pas nécessairement sur une identité stéréotypée. 3. G.W. Allport, L. Postman, The Psychology of Rumor, op. cit. 153 BAT-Voleurs sexe.indd 153 11/09/09 9:29:00 les voleurs de sexe représenterait alors une négociation collective visant à réduire cette ambiguïté. S’appuyant sur les travaux de Leon Festinger sur la dissonance cognitive, le sociologue Tamotsu Shibutani fait ainsi de la rumeur une sorte de «résolution collective de problèmes» (collective problem-solving)1. L’exemple des vols de sexe prouve cependant que la rumeur peut au contraire secréter elle-même l’ambiguïté et la dissonance cognitive, lorsqu’elle incite à la suspicion généralisée. Ce climat de confusion quelque peu paranoïaque nous amène à examiner de plus près le type de croyance que la rumeur suppose. Les gens croient-ils aux voleurs de sexe? Ou plutôt comment y croient-ils? Selon un cliché répandu, la rumeur susciterait l’adhésion la plus crédule, un aveuglement tel qu’il pousserait à croire l’incroyable. Nous avons vu qu’il n’en est rien: la diffusion de la rumeur n’empêche pas l’interrogation critique sur son statut. Imputer la rumeur à la crédulité populaire, comme le font souvent les stratégies de démystification rationaliste, ne fait que reconduire le grand partage méprisant entre «eux» et «nous», entre la croyance et le savoir: c’est en effet toujours l’autre qui croit. Comme le note Gérard Lenclud, «la croyance est un jugement dogmatique sur le psychisme d’autrui2». Le cas des vols de sexe montre au contraire que la question de la croyance ne saurait se résumer à une alternative tranchée entre la crédulité et l’incrédulité: ses modalités sont autrement complexes et subtiles. L’attitude à l’égard de la rumeur témoigne ainsi de la porosité de la frontière entre croyance et incroyance. Ce que 1. L. Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford, Stanford University Press, 1957; T. Shibutani, Improvised News: A Sociological Study of Rumor, New York, Bobbs-Merrill Co, 1966. 2. G. Lenclud, «Vues de l’esprit, art de l’autre. L’ethnologie et les croyances en pays de savoir», Terrain, 14, 1990, p. 5-19, ici p. 5. Pour un examen critique du concept de croyance en anthropologie, cf. R. Needham, Belief, Language and Experience, Oxford, Blackwell, 1972; J. Pouillon, «Remarques sur le verbe “croire”», in M. Izard, P. Smith (dir.), La Fonction symbolique, Paris, Gallimard, 1979, p. 43-51. 154 BAT-Voleurs sexe.indd 154 11/09/09 9:29:00 y croire ou pas révèlent en effet les discours des personnes concernées, c’est un mélange, parfois confus, de scepticisme et de conviction. Au Ghana, à partir d’un échantillon de personnes avec lesquelles ils ont eu des entretiens, Glenn Adams et Vivian Dzokoto relèvent ainsi que 45 % d’entre elles croient aux vols de sexe et 23 % n’y croient pas, tandis que 32 % restent sceptiques – cette répartition étant d’ailleurs indépendante du niveau d’études1. Les titres des micros-trottoirs réalisés par la presse gabonaise lors des épisodes de vols de sexe de 1997 et de 2001 confirment l’éclatement des opinions: «Des avis très mitigés!», «Vol présumé de sexes. Entre incrédulité et inquiétude»2. Les avis des personnes interrogées illustrent en effet toute la gamme possible allant de la crédulité à l’incrédulité. Certains sont entièrement convaincus de la réalité des vols. Ainsi cette ménagère qui assure: «Le phénomène des voleurs d’organes sexuels est réel. Je ne veux pas faire le saint Thomas. J’ai déjà pris mes précautions et tant pis pour celui qui osera!» La menace voilée est révélatrice: la femme suggère à demi-mots qu’elle est capable de retourner par des moyens magiques la sorcellerie contre un éventuel agresseur. Ce type de protection est ce que les Gabonais appellent habituellement un «retour à l’envoyeur». Insinuant que les voleurs de sexe risquent de perdre leur propre pénis à essayer de s’attaquer à elle, la femme contribue ainsi à brouiller encore un peu plus les pistes. Mais c’est là une conséquence typique du cercle ambigu formé par la sorcellerie et la contre-sorcellerie: on ne peut combattre la sorcellerie que si l’on possède les mêmes armes qu’elle. Pour beaucoup, la croyance dans la réalité des vols de sexe repose 1. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 88. 2. «Des avis très mitigés!», propos recueillis par A. Ondoubas, art. cit.; «Vol présumé de sexes. Entre incrédulité et inquiétude», propos recueillis par R.M. d’Oguewa, L’Union, 3 avril 2001, p. 7. Voir aussi le micro-trottoir réalisé par la radio togolaise: «Disparition de sexes au Togo, mise en scène ou réalité?», art. cit. 155 BAT-Voleurs sexe.indd 155 11/09/09 9:29:01 les voleurs de sexe sur la seule crédibilité du ouï-dire: croire à la rumeur, c’est «voir avec les oreilles» comme on dit parfois en Afrique. Mais d’autres personnes interviewées invoquent le témoignage oculaire comme source de leur conviction. Ainsi ce père de famille qui déclare: «J’y crois parce que j’ai assisté à une scène au quartier Miniprix.» Cette affirmation est intéressante car elle révèle que, pour beaucoup, c’est en réalité le lynchage qui prouve le vol de sexe. Cela confirme également que le vol de sexe ne se réduit pas à des rumeurs dont la force de conviction repose uniquement sur la crédibilité du ouï-dire, mais implique aussi des événements dont on peut attester personnellement. Certains encore sont convaincus mais malgré eux, comme cette victime qui explique: «C’est en empruntant un taxi que ce que je prenais pour une simple rumeur est devenu réalité à mes dépens. Un autre client est descendu au même endroit que moi. À peine m’a-t-il frôlé que j’ai senti une certaine décharge électrique. Du coup, j’ai soupçonné ce dernier, puisqu’il avait un regard coupable. J’ai donc alerté l’entourage qui a sommé l’indésirable d’expliquer son geste. Vu la pression exercée par le groupe, il a avoué son forfait et m’a demandé de lui accorder quelque temps de concentration, afin qu’il me rende mon sexe à sa dimension habituelle. Ce qui fut fait, mais une fois à la police, personne n’a voulu me croire. C’est dommage.» La rumeur est en tout cas suffisamment menaçante pour qu’il soit imprudent de ne pas y croire au moins un peu. Pourtant, certains restent parfaitement incrédules. Ainsi cette secrétaire qui assure: «Jusqu’à présent je n’ai rien vu. […] En fait je n’y crois pas personnellement.» Ou encore cette femme sarcastique qui se gausse: «Même les impuissants vont prétendre qu’on leur a piqué le sexe.» Cet humour caustique prouve bien la distance critique que les individus sont capables d’avoir vis-à-vis de la rumeur. Le plus grand nombre reste indécis, ne sachant trop quoi en penser – position ambivalente dont nous avons vu qu’elle s’exprimait également dans de nombreux articles de journaux 156 BAT-Voleurs sexe.indd 156 11/09/09 9:29:01 y croire ou pas consacrés à ce sujet. La perplexité semble l’attitude la mieux partagée. Un sapeur-pompier témoigne par exemple: «Je crois que c’est un phénomène inquiétant. Tantôt on est tenté de croire, tantôt on se demande comment cela peut se faire. Personnellement je n’ai pas encore un avis définitif sur ce problème. Quand je suis les médias, on dit qu’il y a des témoignages. Cependant, on ne nous a jamais montré quelqu’un sans sexe. […] Dans tous les cas, je crois que la magie est derrière cette affaire.» Un cadre renchérit: «C’est une affaire qui surprend tout le monde. Au départ, on parlait de rumeur, aujourd’hui, on se rend compte qu’il s’agit d’un fait réel. La question que je me pose est celle de savoir pourquoi il y a de tels agissements. Nul ne sait. Si bien qu’aujourd’hui, il n’est pas rare de voir les gens avoir toujours la main sur leur sexe, surtout à bord d’un taxi, puisqu’on ne sait plus qui est qui.» La conclusion de ce témoignage illustre fort bien la suspicion et la confusion généralisées que la rumeur provoque. D’autres, incapables de donner un sens aux événements, s’interrogent. Ainsi cette commerçante: «La question que je me pose, c’est celle de savoir qui est derrière tout cela. Est-ce que cela est lié à la politique, puisque les élections c’est pour bientôt? Personne ne sait. […] Il faut être victime ou témoin de l’événement pour y croire.» Au Gabon, les périodes électorales représentent en effet des moments particulièrement sensibles pendant lesquels les sorciers au service des candidats sont réputés se livrer à toutes sortes d’exactions. La commerçante suggère ainsi à demi-mots qu’il pourrait y avoir un lien entre les vols de sexe et les crimes rituels. Beaucoup de témoignages sont en réalité ambigus et peuvent donner lieu à une double interprétation. Comme celui de cette mère de famille: «Pour moi, ce sont des pratiques sataniques qu’il faut donc réprimander. Les gens de mauvaise intention profitent de la naïveté des Gabonais pour les manipuler psychologiquement quand ils en ont envie.» On ne sait en effet qui est, selon elle, le naïf dans cette affaire. Mais ce garagiste 157 BAT-Voleurs sexe.indd 157 11/09/09 9:29:01 les voleurs de sexe ouest-africain est sans doute le plus désemparé d’entre tous: «Je suis inquiet chaque fois que j’emprunte un taxi, ou qu’un groupe de gens m’approchent, ou encore qu’un homme me fixe des yeux. Je suis alors obligé d’attraper mon sexe de peur de le perdre. Il faut donc que les autorités locales prennent les choses en main [sic!], surtout qu’il y a déjà eu mort d’homme. Et aujourd’hui, ce sont les étrangers qui sont pointés du doigt. C’est pourquoi ça m’effraie.» Le lapsus est éloquent: impuissant, l’homme s’en remet aux autorités pour qu’elles protègent sa virilité. Mais ces propos angoissés témoignent surtout de l’ambiguïté qui règne dans les affaires de vol de sexe. Le malheureux garagiste redoute à la fois d’être la victime d’un voleur de sexe et accusé d’en être un (en tant que ressortissant de l’Afrique de l’Ouest immigré au Gabon). Ne sachant que penser, il s’imagine dans toutes les positions possibles de la victime. Cela montre bien le climat d’insécurité généralisée qu’instaure la rumeur. L’attitude des quidams à l’égard des voleurs de sexe fait ainsi la part belle au doute et au scepticisme. C’est là en réalité un trait constitutif de la rumeur. Comme l’affirme en effet fort justement l’éditorial du premier numéro du journal populaire congolais La Rumeur: «Prêtez-moi l’oreille, pas votre confiance. […] La Rumeur est toute faite pour vous: l’homme a bien plus besoin de doute que de certitude1.» Cette ambivalence quant au crédit à accorder à cette rumeur se retrouve d’ailleurs dans la plupart des histoires de sorcellerie: ces dernières reposent toujours sur des suspicions incertaines à propos d’acteurs invisibles ou d’agissements occultes. Forme inédite de sorcellerie que l’on suppose en outre souvent venir d’ailleurs, le vol de sexe trouble alors encore davantage les esprits. Comme le remarque cette nganga gabonaise: «ce sont les Ouest-Africains qui viennent nous embrouiller 1. Cité in N. Martin-Granel, «Rumeur sur Brazzaville: de la rue à l’écr ture», art. cit., p. 375. 158 BAT-Voleurs sexe.indd 158 11/09/09 9:29:01 y croire ou pas avec leurs méthodes insolites1». C’est moins l’accusation des ressortissants d’Afrique de l’Ouest que la confusion de cette femme normalement experte en contre-sorcellerie qui me paraît remarquable ici. Il en va des voleurs de sexe comme des fantômes pour Mme du Deffand qui se serait exclamée à leur propos: «Je n’y crois pas, mais j’en ai peur2.» Une attitude non pas d’incrédulité, mais plutôt incertaine à leur égard, n’empêche pas, bien au contraire, une série de réactions, d’affects, d’actes et de discours. La confusion se révèle par conséquent le relais le plus efficace de la rumeur: son ambiguïté facilite paradoxalement sa propagation. À propos des histoires d’objets volants non identifiés qui enflamment fiévreusement la France et les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, Pierre Lagrange souligne que c’est justement le doute et l’incertitude qui déclenchent les enquêtes passionnées des «ufologues», et contribuent ainsi à répandre et relancer la croyance aux ovnis3. En définitive, qu’il s’agisse d’histoires de voleurs de sexe, de sorciers, de fantômes, de dragons ou de soucoupes volantes, l’attitude épistémique des acteurs à l’égard de ces croyances apparemment irrationnelles s’exprime le plus souvent sur le mode ambigu du «je sais bien, mais quand même4». Et c’est justement cette petite hésitation qui assure le succès culturel de ces histoires. 1. J. Ondo Nguema, «Un faux problème, apparemment», L’Union, 18 juin 1997. 2. J. Bazin, «Les fantômes de Mme du Deffand: exercices sur la croyance», Critique, 529/530, 1991, p. 492-511. 3. P. Lagrange, «Enquêtes sur les soucoupes volantes. La construction d’un fait aux États-Unis (1947), et en France (1951-1954)», Terrain, 14, 1990, p. 92-112. 4. O. Mannoni, «Je sais bien mais quand même», in Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre Scène, Paris, Seuil, 1969, p. 9-33. 159 BAT-Voleurs sexe.indd 159 11/09/09 9:29:01 160 BAT-Voleurs sexe.indd 160 11/09/09 9:29:02 tc à changer Conclusion Le vol de sexe est moins une anecdote prêtant à rire qu’une affaire exemplaire permettant de comprendre l’Afrique contemporaine, les formes de sociabilité et les modes de communication qui y ont cours. Aussi incroyable puisset‑elle paraître au premier abord, la rumeur constitue un fait social «normal» qu’il s’agit de décrire, et non une aberration de l’opinion qu’il faudrait dénoncer. Nous avons écarté les interprétations simplistes en termes de pathologie ou de crédulité, et essayé de déterminer ce qui en fait une histoire particulièrement bonne à penser et à raconter, ce qui peut expliquer sa diffusion géographique sur une si vaste échelle et sa récurrence sur plusieurs décennies. Nous avons cherché à bâtir une épidémiologie culturelle du vol de sexe en suivant une double ligne descriptive et analytique: il s’est agi de détailler la dynamique de diffusion spatio-temporelle du vol de sexe et de mettre au jour le faisceau de facteurs (déclenchants, renforçants ou facilitants) qui peuvent l’expliquer. En jouant sur des sauts d’échelle, nous avons eu le souci d’articuler vue d’ensemble et vue de détail afin de rendre compte tant de la propagation internationale de la rumeur que des circonstances précises des accusations au niveau local. En étant attentifs aux détails des situations, des interactions et des énonciations, nous nous sommes efforcés de dégager de l’intérieur les enjeux autour desquels se focalisent les vols de sexe, afin d’éviter toute surinterprétation. 161 BAT-Voleurs sexe.indd 161 11/09/09 9:29:02 les voleurs de sexe Nous avons souligné l’importance d’un ensemble de représentations stabilisées qui préexistent à la rumeur et facilitent ainsi son émergence. Les histoires de vols de sexe partagent en effet un air de famille avec toute une collection de représentations sorcellaires largement présentes sur le continent africain et qui se focalisent justement sur une atteinte à la sexualité ou sur le vol d’organes. Sans verser dans l’interprétation psychanalytique des angoisses de castration ou d’impuissance, il est également évident que la virilité est un sujet particulièrement sensible: cela contribue à faire du vol de sexe une histoire saisissante d’un point de vue émotionnel et donc immédiatement accrocheuse. Le vol de sexe dépend également d’un environnement spécifique qui constitue en quelque sorte sa niche écologique: l’environnement urbain. Il apparaît en cela comme un genre inédit de sorcellerie, très différent de la sorcellerie familière. À travers une évocation inquiète des rues et des marchés, des poignées de main entre inconnus et des collisions avec des étrangers, le vol de sexe révèle un malaise concernant la vie citadine et ses modes de sociabilité, parcourus par une tension entre le contact et l’évitement. Ainsi, ce n’est pas l’anomie urbaine qui est au principe du vol de sexe, mais bien une forme d’insécurité inhérente à un type spécifique d’interactions urbaines: les rencontres entre inconnus. La prééminence en ville d’un mode d’identification catégoriel d’autrui explique en outre pourquoi les accusations de vol de sexe se cristallisent si facilement sur des étrangers. De fréquentes tensions sociales préexistantes facilitent encore cette focalisation sur tel ou tel groupe allochtone. Au sein de cette niche écologique, la rumeur annonçant la présence de voleurs de sexe se diffuse intensément, rapidement et très largement, notamment par le bouche-à-oreille. La fonction d’alerte propre à toutes les rumeurs négatives suffit à expliquer un tel mode de propagation. La nouvelle apparaît en effet de la plus haute importance et revêt un caractère d’urgence impérieuse. Il y aurait alors un danger à ne pas la faire connaître autour de soi, qu’elle se révèle finalement 162 BAT-Voleurs sexe.indd 162 11/09/09 9:29:02 conclusion vraie ou fausse: mieux vaut être trop prudent que pas assez. Relayer la nouvelle constitue en outre un bon moyen pour tester sa crédibilité: cela permet de savoir ce qu’en pensent ses pairs et donc de moduler sa propre attitude épistémique en fonction de leurs réactions. Colporter la rumeur ne présuppose donc nullement que les propagateurs soient entièrement convaincus de son bien-fondé. L’épistémie ambiguë qui caractérise la rumeur des voleurs de sexe représente au contraire le relais le plus efficace de sa transmission. À partir d’un certain seuil, la propagation de la rumeur s’entretient de toute façon elle-même par un processus autocatalytique. La circulation de la rumeur installe un climat d’angoisse qui suractive les réactions de peur et accentue en outre la saillance cognitive du schéma d’interprétation des rencontres entre inconnus en termes de vols de sexe. Toutes les conditions sont réunies pour que la moindre sollicitation interactionnelle de la part d’un inconnu puisse déclencher une réaction de frayeur dont les symptômes (frisson, malaise, picotements, réduction du volume pénien, contraction du scrotum) sont immédiatement interprétés comme les indices d’un vol de sexe. L’alarme de la victime précipite alors la mobilisation puis la réaction violente de la foule, selon un schéma d’action stabilisé préexistant à la rumeur: le lynchage constitue en effet un registre populaire d’action collective largement répandu en Afrique subsaharienne. Ces événements renforcent encore la saillance de la rumeur et relancent tout naturellement sa diffusion. Le vol de sexe ne repose donc pas uniquement sur des récits, mais implique également des événements bien réels, des affects et des actions. Sans cet ancrage interactionnel et émotionnel, la rumeur n’aurait jamais pu avoir un tel succès culturel. L’apparition initiale de la rumeur de vols de sexe au tout début des années 1970 au Nigeria résiste en partie à l’explication. Pourquoi précisément à cet endroit-là et ce moment-là? Tout au plus peut-on conjecturer que son émergence résulterait de la transposition d’une forme préexistante de sorcellerie (déjà focalisée sur le sexe) qui aurait été adaptée à l’environnement 163 BAT-Voleurs sexe.indd 163 11/09/09 9:29:02 les voleurs de sexe du trafic urbain, dans un contexte où les rencontres entre inconnus deviennent particulièrement sensibles, possiblement du fait des tensions interethniques provoquées par la guerre du Biafra. Il est en revanche plus aisé de rendre compte de sa propagation transnationale et de sa réapparition périodique sur quatre décennies. Dès lors qu’elle est apparue en un lieu, la rumeur des voleurs de sexe a tendance à se propager de proche en proche aux villes et aux pays voisins. Contrairement aux ragots personnels, la rumeur publique concerne virtuellement tout le monde et garde donc la même pertinence (puisqu’on est partout amené à rencontrer des inconnus). On peut alors penser que la présence de diasporas d’un pays dans les États voisins constitue un relais qui favorise le passage des frontières de la rumeur. Mais c’est également la reprise de la nouvelle dans les médias qui amplifie considérablement sa propagation à la fois en extension (elle multiplie son public) et en intensité (elle contribue à faire de la rumeur un scandale public). C’est d’ailleurs sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’internationalisation de la rumeur dans les années 1990 coïncide avec l’émergence d’une presse libre en Afrique qui entraîne une explosion rapide du nombre de journaux. Mais cette intense médiatisation contribue en même temps à son extinction. Les médias participent en effet à la mise à l’épreuve de la rumeur à travers les enquêtes des journalistes, mais aussi en se faisant l’écho des expertises médicales et des déclarations officielles. Ils participent ainsi activement à propager des versions concurrentes de l’affaire des vols de sexe qui visent à discréditer la rumeur. Dans le même temps, juges et policiers s’efforcent de décourager sa diffusion en réprimant ses propagateurs. Cette série d’actions destinées à contrecarrer la rumeur mène finalement à son extinction, du moins provisoire. Ces interventions sont toutefois trop circonstancielles pour miner durablement la pertinence de la rumeur et faire obstacle à sa réapparition ultérieure. Les voleurs de sexe n’ont donc certainement pas fini de semer la panique… 164 BAT-Voleurs sexe.indd 164 11/09/09 9:29:02 Cartes 165 BAT-Voleurs sexe.indd 165 11/09/09 9:29:02 166 BAT-Voleurs sexe.indd 166 11/09/09 9:29:02 cartes Carte 1 Le vol de sexe au Nigeria depuis 1975 TCHAD NIGER Kano Maiduguri 2004 Kaduna BÉNIN 1975 Abuja NIGERIA 2002 2008 2001 1990 2001 2009 Ibadan Lagos 1975-1977 1990 1996 CAMEROUN 2006 1978 Port Harcourt 1975-1976 1982-1983 1992 1996 2006 2008-2009 167 BAT-Voleurs sexe.indd 167 11/09/09 9:29:06 les voleurs de sexe Carte 2 Étapes de propagation de la rumeur (1996-1997) Mauritanie août-sept. 1997 Sénégal juillet 1997 Mali avril-mai 1997 Burkina Faso avril-mai 1997 Côte d’Ivoire Togo mars 1997 déc. 1996 Nigeria 1996 Ghana janvier 1997 Cameroun oct.-nov. 1996 Gabon juin 1997 168 BAT-Voleurs sexe.indd 168 11/09/09 9:29:07 cartes Carte 3 Étapes de propagation de la rumeur (2001-2002) Gambie avril-sept. 2002 Côte d’Ivoire mars 2002 Bénin nov. 2001 Nigeria Ghana avril 2001 jan. 2002 169 BAT-Voleurs sexe.indd 169 11/09/09 9:29:08 les voleurs de sexe Carte 4 La rumeur des vols de sexe en Afrique (1975-2009) Mauritanie Sénégal 1997 Gambie 2003 1997 Mali 1993? 1997 2001 2004 2002-2003 2005 2007-2009 Guinée 2000? Burkina Faso 1997-1998 2006-2007 Niger 2004 2007 Tchad 1995 Soudan 2003 Liberia? Nigeria Côte d’Ivoire Bénin 2001 1997 Ghana 2006 1975-1978 Cameroun 1990 2002 2007 1997 2002 2007 1975-1976 1996 2001-2002 1982-1983 1992 1996-1997 1996 2008-2009 2006, 2008-2009 2002 2005-2006 Gabon Congo 1997 2001 1999? RDC 2005 2008 2008 Togo 2004 2006 170 BAT-Voleurs sexe.indd 170 11/09/09 9:29:09 tc à changer Bibliographie Articles de presse Bénin – «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», Le Matinal (Cotonou), novembre 2001. – «Benin alert over “penis theft” panic», BBC News, 27 novembre 2001. – «À Cotonou, les sexes sont en place», Dogori.com, 3 décembre 2001. – «Cinq “voleurs de sexe” brûlés vifs», J.-L. Aplogan, RFI (Cotonou), 8 décembre 2001. – «Au Bénin, les “voleurs de sexe”», T. Kouamouo, Le Monde, 22 décembre 2001. – «Un “zémidjan” arrêté au Bénin pour avoir maltraité une femme», AFP, 12 janvier 2002. – «Vol de sexe à Parakou. 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Je remercie enfin Maurice Olender pour la confiance qu’il m’a accordée. 195 BAT-Voleurs sexe.indd 195 11/09/09 9:29:17 196 BAT-Voleurs sexe.indd 196 11/09/09 9:29:17 Table Alerte aux voleurs de sexe! .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Sexe, crise et sorcellerie.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Des inconnus dans la ville.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Frissons et lynchages.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 La sorcellerie dans tous ses états.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Danger ne pas saluer.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 L’étranger. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 La rumeur à la une. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Les sexes sont bien en place. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Y croire ou pas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 Conclusion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 Cartes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 197 BAT-Voleurs sexe.indd 197 11/09/09 9:29:17 198 BAT-Voleurs sexe.indd 198 11/09/09 9:29:18 La Librairie du xxie siècle Sylviane Agacinski, Le Passeur de temps. Modernité et nostalgie. Sylviane Agacinski, Métaphysique des sexes. Masculin/féminin aux sources du christianisme. Sylviane Agacinski, Drame des sexes. Ibsen, Strindberg, Bergman. Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque. Henri Atlan, Tout, non, peut-être. Éducation et vérité. Henri Atlan, Les Étincelles de hasard I. Connaissance spermatique. Henri Atlan, Les Étincelles de hasard II. Athéisme de l’Écriture. Henri Atlan, L’Utérus artificiel. Henri Atlan, L’Organisation biologique et la Théorie de l’information. Marc Augé, Domaines et Châteaux. Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Marc Augé, La Guerre des rêves. Exercices d’ethno-fiction. Marc Augé, Casablanca. Marc Augé, Le Métro revisité. Marc Augé, Quelqu’un cherche à vous retrouver. Jean-Christophe Bailly, Le Propre du langage. Voyages au pays des noms communs. Jean-Christophe Bailly, Le Champ mimétique. Marcel Bénabou, Jacob, Ménahem et Mimoun. Une épopée familiale. 199 BAT-Voleurs sexe.indd 199 11/09/09 9:29:18 R. Howard Bloch, Le Plagiaire de Dieu. La fabuleuse industrie de l’abbé Migne. Remo Bodei, La Sensation de déjà vu. Ginevra Bompiani, Le Portrait de Sarah Malcolm. Julien Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine. Yves Bonnefoy, Lieux et Destins de l’image. Un cours de poétique au Collège de France (1981-1993). Yves Bonnefoy, L’Imaginaire métaphysique. Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud. Philippe Borgeaud, La Mère des Dieux. De Cybèle à la Vierge Marie. Philippe Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions. Jorge Luis Borges, Cours de littérature anglaise. Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques. Italo Calvino, La Machine littérature. Paul Celan et Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance. Paul Celan, Le Méridien & autres proses. Paul Celan, Renverse du souffle. Paul Celan et Ilana Shmueli, Correspondance. Paul Celan, Partie de neige. Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage. 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