BAT-Voleurs - Julien Bonhomme

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LA LIBRAIRIE DU XXI e SIÈCLE
Collection
dirigée par Maurice Olender
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Julien Bonhomme
Les Voleurs de sexe
Anthropologie d’une rumeur africaine
Éditions du Seuil
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isbn
978-2-02-100169-3
© éditions du Seuil, octobre 2009
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
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«Toi, quand on te dit, tu ne veux pas croire pour
toi. Tu dis seulement que c’est Radio-trottoir, Radiotrottoir. Mais tu ne sais pas que ce que Radio-trottoir
parle, c’est la vérité même. Les crapauds ne coassent
que quand il pleut, dé.»
Henri Lopès, Le Pleurer-Rire (1982),
Paris, Présence africaine, 2003, p. 42
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tc à changer
Alerte aux voleurs de sexe!
«Un certain Ogoula aurait été roué de coups vers le centre
social pour avoir fait disparaître le sexe de trois personnes
qu’il venait de saluer. L’infortuné, très mal en point, a été
admis en réanimation à l’hôpital régional où il lutte actuellement contre la mort. Ogoula n’aurait rendu qu’un seul
organe, pas les deux autres. […] Dimanche soir, nouvelle
escalade: un autre voleur présumé est arrêté, alors qu’on
le soupçonne fortement d’avoir fait disparaître trois sexes,
dont celui d’un garçonnet de 9 ans. Si le petit a retrouvé son
organe quelque temps après suite aux incantations de son
“bourreau”, tel n’aurait pas été le cas pour les deux autres.
Nzamba D., Gabonais de 36 ans, le supposé voleur, a ainsi
été copieusement battu et laissé nu comme un ver par une
foule en furie. Il n’a eu la vie sauve que grâce à l’arrivée des
forces de sécurité. Au même moment, au quartier Sud, on
apprenait qu’un sujet camerounais aurait accompli le même
forfait sur une… fille et un homme, avant de disparaître dans
la nature. Ce même dimanche soir, vers 23 h 30, nous avons
trouvé au commissariat central un garçon d’environ 18 ans
couché par terre, se plaignant qu’on lui ait volé aussi son
sexe. “Après le coup, j’ai tenté de me masturber sans obtenir
la moindre érection”, a-t-il confié. Chaque jour qui passe
apporte ainsi son lot de rumeurs et de révélations. La psychose a donc atteint un seuil tel que les riverains n’acceptent
plus de serrer la main à n’importe quel individu. Ceux qui
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osent s’empressent ensuite de toucher leur bas-ventre pour
s’assurer que tout est en place.»
C’est en lisant cet article, paru dans l’édition du mardi
27 mars 2001 de L’Union, le principal quotidien gabonais,
que j’ai pour la première fois entendu parler des «voleurs
de sexe». Impossible de rater la nouvelle: la une du journal
titrait en grosses lettres «Les “voleurs de sexe” plongent PortGentil dans la psychose» et tout le monde ne parlait déjà que
de cela, dans les taxis collectifs, les cafétérias, les quartiers.
C’était sans conteste le kongosa du moment1. La rumeur se
propageait, la ville était fébrile. À Port-Gentil, deuxième ville
du pays, des voleurs de sexe auraient été à l’œuvre depuis
quelques jours. En moins d’une semaine, les lynchages de
présumés coupables firent un mort et plusieurs blessés. Mais
la rumeur, la panique et les violences cessèrent assez rapidement et, bientôt, de nouveaux sujets de discussion accaparèrent les esprits. Sur le moment, je reléguai cette histoire
parmi les faits divers exotiques, tout occupé à enquêter sur
des sujets qui me paraissaient autrement sérieux. Plusieurs
années passèrent avant que je ne prenne conscience que cette
même rumeur de vol de sexe avait en réalité balayé la majeure
partie de l’Afrique subsaharienne à plusieurs reprises depuis
le début des années 1990. L’anecdote insolite cachait ainsi
un fait social d’extension spatio-temporelle bien plus vaste.
Ce livre s’attache donc à retracer cette affaire de sorcellerie
de grande ampleur. Les vols de sexe sont en effet unanimement considérés comme de la «sorcellerie», dans la mesure
où ils impliquent une action magique (le pénis disparaît
comme par enchantement) portant injustement atteinte à
l’intégrité des individus: «La question qui demeure est la
suivante: y a-t-il effectivement disparition de sexe? Selon les
témoignages recueillis dans la foule, cela est le cas. Comment
1. «Faire le kongosa», c’est échanger des potins: au premier chef les ragots
sur autrui, mais aussi d’une manière plus générale les rumeurs du moment. Ce
terme d’origine camerounaise est également en usage au Gabon.
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cela est-il possible? En employant des procédés mystiques
selon beaucoup. C’est donc des accusations de sorcellerie qui
courent1.»
Tout semble commencer au Nigeria dans la première moitié
des années 1970. En 1975, un psychiatre nigérian est sollicité
à titre d’expert pour une mystérieuse affaire de vol de sexe:
à Kaduna, au centre du pays, deux Haoussa sont arrêtés par
la police pour avoir provoqué une scène en pleine rue, l’un
accusant l’autre de lui avoir volé ses organes génitaux2. Il s’agit
là du premier cas bien documenté de vol de sexe. Quelques
auteurs mentionnent cependant des épisodes antérieurs à
1975 et hors du Nigeria. Un journaliste avance même que
la rumeur était déjà présente au Nigeria dès les années 1930,
mais ne cite aucune source3. Un missionnaire se souvient
quant à lui que la rumeur faisait rage à Fort-Lamy (l’ancien
nom de la capitale tchadienne Ndjamena) au début des années
19704. Enfin, un historien mentionne brièvement dans une
note de bas de page un épisode de vol de sexe dont il aurait
été témoin à Cape Coast au Ghana dès 19735. La plupart des
témoignages s’accordent pourtant pour faire provenir les vols
de sexe du Nigeria. Il est donc vraisemblable qu’ils étaient en
réalité déjà présents dans le pays avant 1973. L’hypothèse est
d’ailleurs indirectement confirmée par J.L. Ferrer Soria qui
précise que ce sont les Haoussa venant du Nigeria voisin qui
sont suspectés de voler les sexes au Tchad: «Les Lamyfortains paniquaient face au redoutable pouvoir des Haoussa,
1. A. Kaïgama, «Disparition de sexe: mythe ou réalité?», Camerinfo,
février 2009.
2. S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria»,
Transcultural Psychiatric Research Review, 2, 1988, p. 310-314.
3. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», Cahiers d’études africaines, 189/190, 2008, p. 185-208, ici p. 196.
4. J.L. Ferrer Soria, Ma part d’Afrique, Paris, Karthala, 1999, p. 13.
5. R. Gocking, «The tribunal system in Ghana’s Fourth Republic: an
experiment in judicial reintegration», African Affairs, 99, 2000, p. 47-71, ici
p. 59.
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ethnie du nord du Nigeria. On les accusait de subtiliser en un
tournemain les organes génitaux des hommes et les seins des
femmes. Une peur irrationnelle se répandit durant quelques
semaines dans tous les quartiers de la capitale du Tchad. Dans
la rue, les gens évitaient le moindre contact physique avec une
autre personne: un frôlement du pied, un accoudement, un
effleurage corporel quelconque avec un passant devenaient
mortels pour les attributs sexuels.» Un avocat nigérian se souvient d’ailleurs, enfant, avoir entendu parler des voleurs de
sexe au début des années 19701. S’il est toujours malaisé de
retracer l’origine d’une rumeur, le recoupement des sources
permet cependant d’avancer que les vols de sexe ont dû commencer au tout début des années 1970 au nord du Nigeria en
pays haoussa, puis ont rapidement touché les régions voisines.
Entre 1975 et 1978, la rumeur enflamme ainsi à plusieurs
reprises Lagos et l’État d’Imo au sud du Nigeria. Les incidents
se multiplient. Plusieurs voleurs présumés sont lynchés à mort.
La rumeur est également présente à Yaoundé, au Cameroun,
dès le mois de janvier 1975.
Jusqu’à la fin des années 1980, les vols de sexe semblent
toutefois rester cantonnés au Nigeria et aux zones frontalières, notamment au Cameroun (voir carte 1, p. 167). Ce
n’est qu’au cours de la décennie suivante que la rumeur se
répand très largement en Afrique de l’Ouest et en Afrique
centrale. Elle se propage par vagues successives à partir de son
foyer nigérian, pays se situant justement à la charnière entre
les deux sous-régions du continent. On peut ainsi repérer
de nets pics d’intensité en 1996-1997, puis à nouveau en
2001-2002. Lors de ces brusques flambées, la propagation
des vols de sexe peut souvent être suivie de mois en mois, de
pays en pays, voire de ville en ville. En 1996, la rumeur est
au Nigeria, et en octobre-novembre de la même année au
1. Tadaferua Ujorha, «Alarming rise of violence-related “genital theft”»,
Weekly Trust, 11 juillet 2009.
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Cameroun. Elle se répand alors vers l’ouest pour atteindre le
Togo en décembre 1996, le Ghana en janvier 1997, la Côte
d’Ivoire en mars, le Burkina Faso et le Mali en avril-mai,
le Sénégal en juillet et finalement la Mauritanie en août­septembre (voir carte 2, p. 168). Et lorsqu’elle frappe à nouveau le Nigeria en avril 2001, elle gagne ensuite le Bénin
en novembre-­décembre, le Ghana en janvier 2002, la Côte
d’Ivoire en mars et la Gambie dès le mois d’avril (voir
carte 3, p. 169). Les vols de sexe se ­répètent ainsi de manière
périodique, à quelques mois ou années d’inter­valle dans un
même pays. Depuis 2005, la rumeur reste active dans de
nombreux pays, comme si ses cycles de réapparition s’accéléraient. Les dernières occurrences relevées en 2008 et 2009
concernent le Nigeria (janvier 2008, juin-juillet 2009),
le Cameroun, notamment dans le nord du pays (février,
juillet et novembre 2008, janvier, février et juin 2009), la
République démocratique du Congo (Kinshasa, mars-avril
2008), le Congo (Brazzaville, mai-juin 2008) et surtout le
Sénégal qui est marqué depuis trois ans par des épisodes
intenses et répétés de vols de sexe aussi bien dans la région
de Dakar qu’en Casamance (avril-juillet 2007, novembredécembre 2007, février-juin 2008, octobre-novembre 2008,
février et juin 2009). Au total, ont pu être répertoriés plus
d’une cinquantaine d’épisodes significatifs (par épisode, on
entend ici une série répétée de vols de sexe et de lynchages
dans un même pays au cours d’une même année). La région
concernée forme un bloc compact allant du Congo-Kinshasa
au Soudan et à la Mauritanie. Entre 18 et 20 pays ont ainsi
été touchés (voir carte 4, p. 170): Nigeria, Cameroun, Bénin,
Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Soudan, Tchad, Niger, Mali,
Burkina Faso, Sénégal, Gambie, Mauritanie, Gabon, CongoBrazzaville, Congo-Kinshasa, Zimbabwe, et sans doute également la Guinée et le Liberia. La recension des cas de vols de
sexe n’est néanmoins pas chose facile, et demeure vraisemblablement lacunaire. Au sein de la zone compacte que dessine
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l’aire d’extension géographique des vols de sexe, subsistent en
effet quelques trous: Guinée-Bissau, Sierra Leone, Guinée
Équatoriale, Centrafrique. Mais cette absence de preuve ne
saurait constituer à elle seule une preuve de l’absence. Ainsi,
il ne serait pas surprenant que les vols de sexe aient en réalité
également touché ces quatre pays, et même d’autres États
plus à l’est ou au sud du continent africain.
Ces difficultés de recension tiennent au fait que la rumeur est
un phénomène volatil qui se prête mal à l’observation. Désordre
soudain dont on ne sait trop quoi dire, elle relève de ces «libres
courants de la vie sociale» dont Émile Durkheim avait déjà
noté qu’ils résistaient davantage à l’analyse objective que les
faits sociaux plus structurés1. La diffusion exacte d’une rumeur
s’avère en effet fort difficile à retracer. Et le chercheur arrive
souvent trop tard pour être un témoin direct. L’ethnologue est
plus à l’aise avec les événements localisés qu’il a pu observer luimême sur le terrain. C’est pourquoi l’anthropologie s’est traditionnellement intéressée aux ragots plutôt qu’aux rumeurs. Les
ragots, potins ou commérages constituent en effet une entrée
privilégiée pour étudier la sociologie des petits groupes d’inter­
connaissance2. Leur circulation au sein du groupe permet de
réaffirmer les valeurs communes en stigmatisant les comportements déviants. Le ragot constitue en outre un moyen stratégique pour promouvoir les intérêts des différentes factions
ou gérer les réputations et sert donc à exprimer les enjeux de
pouvoir. Ce cadre explicatif a souvent servi de modèle aux travaux sur la sorcellerie en Afrique ou ailleurs. Les histoires de
sorcellerie, ce sont en effet avant tout des ragots qui circulent
au sein de la famille ou du village, accusant à demi-mots tel ou
1. É. Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique (1895), Paris, PUF,
2002, p. 14.
2. M. Gluckman, «Gossip and scandal», Current Anthropology, 4-3, 1963,
p. 307-316; R. Paine, «What is gossip about? An alternative hypothesis»,
Man, 2-2, 1967, p. 278-285; N. Elias, J.L. Scotson, Logiques de l’exclusion,
Paris, Fayard, 1997; K.J. Brison, Just Talk. Gossip, Meetings, and Power in a
Papua New Guinea Village, Berkeley, University of California Press, 1992.
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tel individu de se livrer à des méfaits occultes1. Le sorcier représente alors le transgresseur par excellence des valeurs collectives.
Et les ragots à son sujet permettent d’exprimer de manière
transposée les tensions et les conflits au sein de la communauté locale. Par opposition aux ragots, les rumeurs circulent à
une échelle bien plus vaste, souvent transnationale et non plus
locale. Elles représentent en cela des «formes déterritorialisées
du ragot», pour reprendre la belle expression d’Isaac Joseph2.
Leurs enjeux apparaissent alors beaucoup moins clairement
et les micro-analyses des conflits interpersonnels ne sont plus
possibles. L’étude des rumeurs pose par conséquent des défis
particuliers à l’anthropologie. En ce sens, ce livre sur les vols
de sexe se veut également une contribution plus générale à une
anthropologie des rumeurs, et notamment des rumeurs de sorcellerie. L’Afrique contemporaine est en effet traversée par de
telles rumeurs. Entre autres exemples, on peut citer les histoires
de zombies travaillant au service de sorciers fabuleusement
enrichis ou encore les histoires de serpents avalant des jeunes
gens ou s’accouplant avec eux pour ensuite vomir de l’argent3.
Ces récits flottants d’origine anonyme se retrouvent dans de
nombreux pays et, déclinés selon des circonstances toujours
locales, fournissent la matière à diverses histoires de sorcellerie, un peu comme les «légendes urbaines» en Amérique du
Nord et en Europe4. La question à laquelle ce livre cherche à
répondre est donc la suivante: comment rendre compte de la
1. W. Bleek, «Witchcraft, gossip, and death. A social drama», Man, 11-4,
1976, p. 526-541; C. Bougerol, Une ethnographie des conflits aux Antilles.
Jalousie, commérages, sorcellerie, Paris, PUF, 1997.
2. I. Joseph, Le Passant considérable. Essai sur la dispersion de l’espace public,
Paris, Librairie des Méridiens, 1984, p. 39.
3. L. Zame Avezo’o, «La néo-oralité au Gabon. Analyse de la figure du
serpent dans les légendes urbaines», in U. Baumgardt, F. Ugochukwu (dir.),
Approches littéraires de l’oralité africaine, Paris, Karthala, 2005, p. 229-251.
4. V. Campion-Vincent, J.-B. Renard, Légendes urbaines. Rumeurs
d’aujourd’hui, Paris, Payot, 1992; id., De source sûre. Nouvelles rumeurs
d’aujourd’hui, Paris, Payot, 2002; J.-B. Renard, Rumeurs et Légendes contemporaines, Paris, PUF, 1999.
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sorcellerie lorsqu’elle cesse d’être un ragot local pour devenir
une rumeur transnationale1?
Quel ensemble de données peut-on exploiter pour embrasser
un objet d’étude aussi vaste que les rumeurs de vol de sexe?
Concernant le Gabon, j’ai pu collecter des données ethnographiques de première main en menant des entretiens avec
des témoins ou des personnes impliquées dans des incidents
depuis 2001. Pour les autres pays, on peut s’appuyer sur
quelques publications scientifiques2. Mais les sources les plus
1. Cette question est abordée par les anthropologues Pamela Stewart et
Andrew Strathern (Witchcraft, Sorcery, Rumors, and Gossip, Cambridge,
Cambridge University Press, 2004), ainsi que par l’historienne Luise White
(Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa, Berkeley,
University of California Press, 2000).
2. En sciences sociales: B. Sackey, «The vanishing sexual organ phenome­
non in the context of Ghanaian religious beliefs», African Anthropology, 4-2,
1997, p. 110-125; M. Jackson, «Penis snatchers», in Minima Ethnographica.
Intersubjectivity and the Anthropological Project, Chicago, University of
Chicago Press, 1998, p. 49-54; M. Enguéléguélé, «La rumeur de la “disparition des sexes” au Cameroun. Contribution à l’étude des modes d’expres�sion politique alternatifs dans les conjonctures fluides», in E. Darras (dir.),
La Politique ailleurs, Paris, PUF, 1998, p. 355-370; J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur sorcière», art. cit. En sciences de
la communication et des médias: I. Ledit, «La rumeur des rétrécisseurs de
sexe: entre communication traditionnelle et communication moderne dans
l’Afrique contemporaine», Les Cahiers du journalisme, 9, 2001, p. 218-234;
D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique de
l’Ouest», Hommes et Libertés, 117, 2002; «Panic in Khartoum: foreigners
shake hands, make penises disappear», The Middle East Media Research
Institute, special dispatch series n° 593, 2003. En psychiatrie et psycholo�gie sociale: S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria»,
art. cit., 2, 1988, p. 310-314; id., «Magical penis loss in Nigeria: report
of a recent epidemic of a koro-like syndrome», Transcultural Psychiatric
Research Review, 29, 1992, p. 91-108; J.F. Agbu, «From “koro” to GSM
“killer calls” scare in Nigeria. A psychological view», CODESRIA Bulletin,
3/4, 2004, p. 16-19; C. Mather, «Accusations of genital theft: a case from
northern Ghana», Culture, Medicine and Psychiatry, 29-1, 2005, p. 33-52;
V.A. Dzokoto, G. Adams, «Juju, koro, or mass psychogenic illness? A review
of genital-shrinking epidemics in West Africa from 1997-2001», Culture,
Medicine, and Psychiatry, 29-1, 2005, p. 53-78; G. Adams, V.A. Dzokoto,
«Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural psychological analysis»,
Culture and Psychology, 13-1, 2007, p. 83-104.
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nombreuses sont constituées d’articles de presse: ont ainsi
été rassemblés pour ce travail plus de cent cinquante articles
de quotidiens et dépêches d’agences sur les vols de sexe (voir
la liste en bibliographie, p. 171). Il s’agit de la presse africaine, mais aussi parfois européenne ou américaine, en version papier comme en version électronique. S’appuyer autant
sur la presse pose le problème évident du biais des médias.
Il nous faut impérativement prendre en compte le rôle actif
de la presse concernant la recension et la qualification des
événements, mais aussi la propagation de la rumeur. Le filtre
médiatique à travers lequel nous apparaissent principalement
les vols de sexe opère en effet une surexposition des cas les plus
dramatiques (ceux entraînant violences et décès) et une sousestimation du nombre total de cas. La rumeur excède donc
nécessairement ce que les traces écrites de la presse peuvent
en recueillir. Ainsi, certains des cas sur lesquels j’ai pu directement enquêter au Gabon n’ont jamais été rapportés par les
journaux, n’ayant donné lieu qu’à des altercations bénignes.
On peut donc faire l’hypothèse que la majorité des cas de vol
de sexe reste invisible, ne se soldant pas – fort heureusement
– par une mort d’homme ou des blessures graves. Les médias
constituent tout de même un indicateur précieux pour repérer
la présence diffuse de la rumeur dans un pays à un moment
donné, mais aussi pour évaluer l’ampleur, la durée et l’intensité de l’épisode. Les lynchages et émeutes qui peuvent
survenir dans le sillage des vols de sexe obligent la plupart
du temps les autorités à intervenir publiquement par la voie
des médias afin d’essayer de rétablir l’ordre. Les médias sont
de toute façon friands de faits divers à sensation mêlant sexe,
violence et sorcellerie. Les affaires de sorcellerie sont ainsi
couramment évoquées dans la presse populaire africaine1. Les
1. M.L. Bastian, «“Bloodhounds who have no friends”: witchcraft and
locality in the Nigerian popular press», in J. Comaroff, J.L. Comaroff (dir.),
Modernity and its Malcontents: Ritual and Power in Postcolonial Africa, Chicago,
University of Chicago Press, 1993, p. 129-166; H. Englund, «Witchcraft and
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journaux occidentaux sont prompts à relater des événements
qui ne confirment que trop facilement le cliché d’une Afrique
crédule et engluée dans des superstitions exotiques. À rebours
de ces facilités journalistiques, cet ouvrage aimerait néanmoins convaincre que la rumeur des vols de sexe est bien plus
qu’un sujet risible et mérite d’être prise au sérieux. Il s’agit de
convertir une rumeur qui frappe d’abord l’esprit par son côté
insolite en un fait social digne d’intérêt. On court pourtant
le risque, dès qu’on parle de la sorcellerie en Afrique, de se
laisser séduire par un sensationnalisme qui vise davantage à
ensorceler le lecteur qu’à éclairer les faits. Nombre d’auteurs
ont bien montré comment l’importance accordée aux thèmes
de la sorcellerie et de la magie dans la littérature africaniste a
contribué à donner du continent une image d’altérité exotique1. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à l’occasion d’une
table ronde consacrée aux rapports entre «Sorcellerie, État et
société dans l’Afrique contemporaine» lors du congrès annuel
de l’African Studies Association en 1997, l’un des participants,
l’historien et sociologue camerounais Achille Mbembe, a proposé un moratoire sur les recherches concernant la sorcellerie
ou la magie, mentionnant tout particulièrement le vol de sexe2.
S’interdire de parler de sujets qui, après tout, font aussi partie
du quotidien africain représenterait pourtant à mon sens un
renoncement scientifique fâcheux. L’enjeu du présent ouvrage
consiste donc à s’intéresser à l’affaire des vols de sexe non pour
«exotiser» encore un peu plus l’Afrique, mais au contraire
pour la «désexotiser». En mettant en lumière les préoccupations tout à fait ordinaires sur lesquelles se fonde la rumeur,
the limits of mass mediation in Malawi», Journal of the Royal Anthropological
Institute, 13-2, 2007, p. 295-311.
1. P. Pels, «The magic of Africa: reflections on a Western commonplace»,
African Studies Review, 41-3, 1998, p. 193-209.
2. L’affaire est rapportée par G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking
panic in Ghana: a cultural psychological analysis», art. cit., p. 84; D. Ciekawy,
P. Geschiere (dir.), «Containing witchcraft: conflicting scenarios in postcolonial Africa», African Studies Review, 41-3, 1998, p. 1-14, ici p. 2.
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il s’agit en effet de montrer la banalité de la sorcellerie, aussi
incroyable puisse-t-elle pourtant paraître au premier abord.
Si l’on est conscient du biais des médias, les archives de presse
associées aux autres données ethnographiques offrent des descriptions suffisamment circonstanciées des événements pour
permettre une caractérisation fiable du phénomène. L’analyse
peut ainsi exploiter plus d’une centaine de cas individuels
de vols de sexe raisonnablement détaillés. Les reportages des
journalistes s’attachent à recueillir tant le point de vue des victimes présumées de vol de sexe que celui des accusés victimes
de la vindicte populaire: nous avons donc accès aux deux
versants de l’affaire. Un traitement statistique élémentaire
des données permet alors de faire ressortir les caractéristiques
essentielles du phénomène: l’identité des victimes et des présumés coupables, les circonstances des vols de sexe, etc. Cela
permet de tester les hypothèses explicatives et – ce n’est pas là
un mince avantage – de démentir par les faits les surinterprétations symboliques souvent avancées de manière incontrôlée
par les exégètes de la rumeur. En dégageant les constantes et
en pointant les exceptions, l’objectivation statistique s’avère
ainsi être un outil particulièrement efficace pour traiter un
phénomène comme la rumeur qui se présente en séries. L’analyse des données est d’autant plus aisée que les vols de sexe
obéissent à un déroulement remarquablement similaire quel
que soit le pays touché. Le scénario frappe en effet par sa stabilité, contredisant le lieu commun sur la variabilité intrinsèque
des rumeurs dont le contenu se modifierait sans cesse au fur et
à mesure de leur diffusion. De ce point de vue, le vol de sexe
constitue en quelque sorte une rumeur «solidifiée», au même
titre que ces légendes urbaines qui circulent abondamment en
Amérique du Nord et en Europe1.
1. Je suis toutefois réticent à employer la terminologie des légendes
­ rbaines, dans la mesure où les folkloristes ont tendance à tirer ces récits vers le
u
«mythe». Or, pour un anthropologue, le mythe se caractérise par un contexte
d’énonciation très normé (récitation ritualisée et généralement prise en charge
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les voleurs de sexe
Tout commence par un contact entre deux inconnus dans
un lieu public, le plus souvent un frôlement fortuit ou une
banale poignée de main. Celui qui est touché ressent alors
comme un choc électrique au niveau du bas-ventre. Ce
choc s’accompagne d’une impression de disparition ou bien
simplement de rétrécissement des organes génitaux (dans
environ deux tiers des cas pour la première contre un tiers
des cas pour le second). Il y a en réalité de nombreux glissements ou hésitations entre les deux versions du phénomène,
y compris dans les témoignages des victimes. On parle ainsi
généralement de «voleurs de sexe», mais aussi parfois de
«rétrécisseurs de sexe» (notamment au Sénégal et au Mali)
– et parallèlement de «penis snatchers» ou de «penis shrinkers» dans les pays anglophones1. La victime alerte alors les
passants alentour et accuse l’autre personne d’avoir fait disparaître ses organes génitaux. Une foule se forme très vite et
s’en prend violemment au présumé coupable. Elle le bat pour
le faire avouer et lui faire restituer le sexe volé – le traitement
de la victime et la punition du coupable coïncidant. À moins
d’une intervention de la police (généralement impuissante),
le malheureux est lynché, parfois à mort. La victime est bastonnée, lapidée, voire brûlée vive. Pendant quelques jours ou
quelques semaines, le scénario se répète: accusations, violences et parfois morts. Vite relayée par les médias, la panique
enfle et s’installe. Cela peut quelquefois dégénérer en émeutes
et en pillages, encore plus meurtriers que les lynchages. Parmi
les épisodes les plus violents rapportés par la presse, on relève
ainsi qu’au cours de l’année 2001, les vols de sexe ont fait au
par un spécialiste) qui contraste du tout au tout avec celui de la rumeur. Sur les
rapports et les différences entre rumeur et légende, cf. P.B. Mullen, «Modern
legend and rumor theory», Journal of the Folklore Institute, 9-2/3, 1972,
p. 95-109.
1. On parle également – mais beaucoup plus rarement – de «tueurs de
sexe», expression qui indique plutôt l’action de rendre impuissant que la disparition pure et simple du membre viril. On trouve aussi les locutions «réducteurs de sexe», «coupeurs de sexe» et même «disparaisseurs de sexe».
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moins une vingtaine de morts au Nigeria. À l’été 1997, ils ont
fait huit victimes et une quarantaine de blessés à Dakar, ainsi
qu’une dizaine d’autres blessés graves à Ziguinchor et SaintLouis du Sénégal. Une douzaine de personnes ont été tuées au
Ghana en janvier 1997, et le même nombre en janvier 2002.
Au Bénin, en novembre-décembre 2001, les incidents ont
fait six victimes en quelques jours. Néanmoins, les violences
et la panique retombent souvent assez rapidement, notamment du fait de l’intervention des autorités. Mais la rumeur
se déplace alors à un pays voisin pour revenir ­quelques années
plus tard.
Comment rendre compte de tels événements qui se
­répètent localement sur la moitié d’un continent et semblent
suivre partout le même scénario? Tout d’abord, il est nécessaire d’adopter une caractérisation positive du phénomène,
et, par conséquent, de se déprendre de la conception péjorative qui surdétermine le regard savant sur les rumeurs et
les foules au moins depuis Gustave Le Bon et sa Psychologie
des foules 1. La rumeur comme maladie contagieuse du corps
social, la régression mentale de la foule hystérique et superstitieuse, la violence collective spasmodique et irrationnelle sont
des modes d’interprétation bien trop simplistes pour rendre
compte de phénomènes sociaux autrement complexes. La
foule excitée par la rumeur traduit autre chose qu’un retour
de la barbarie primitive. Nés des préjugés de classe des élites
européennes du xixe siècle hantées par les foules révolutionnaires et l’émergence du mouvement ouvrier, ces lieux
communs se retrouvent pourtant dans nombre des travaux
ultérieurs sur les rumeurs2. Ainsi, lorsque la psychologie
sociale américaine se penche sur les rumeurs, au tournant de
1. G. Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 1895.
2. Sur l’histoire de la psychologie des foules, cf. S. Barrows, Miroirs défo mants. Réflexions sur la foule en France à la fin du xix e siècle, Paris, Aubier,
1990; C. McPhail, The Myth of the Madding Crowd, New York, De Gruyter,
1998.
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la Seconde Guerre mondiale, c’est encore pour les réduire à
un effet de la crédulité: elles sont forcément fausses et irrationnelles1. Ces études ont tendance à identifier sans autre
précaution rumeur, information non officielle et information
fausse. Le fait qu’une information soit officielle ne signifie
pas pour autant qu’elle soit vraie – l’exemple de la propagande en témoigne. Inversement, une rumeur peut fort bien
être avérée. En définitive, qu’elle soit vraie ou fausse, une
rumeur se diffuse de toute façon de la même manière: dans
la mesure où elle a été transmise par quelqu’un de confiance,
on y prête habituellement crédit sans chercher trop scrupuleusement à la vérifier soi-même. La fausseté n’est donc pas
un aspect consubstantiel de la rumeur. Ce n’est pourtant pas
un hasard si les premières études scientifiques défendent une
conception négative de la rumeur: entreprises sous l’impulsion du gouvernement américain, elles relèvent directement
de l’effort de guerre. Les «fausses nouvelles» risquent en effet
d’affaiblir le moral des civils en temps de guerre. Les autorités
cherchent donc à contrôler l’information. Une affiche américaine datant de la Seconde Guerre mondiale montre ainsi
l’Oncle Sam mettant en garde l’index sur les lèvres: «Think
before you talk!» Dans ce contexte, les chercheurs initient
alors des «cliniques des rumeurs» (rumor clinics) afin de
guérir le corps social. Et dans l’Amérique des années 1960
déstabilisée par les violences interraciales, ces «centres de
contrôle des rumeurs» (rumor control centers) font toujours
partie des instruments officiels de maintien de l’ordre. Pour
toute cette tradition de recherche, si une fausse rumeur peut
se répandre si facilement et si rapidement dans l’opinion, c’est
parce qu’elle est une affection qui contamine dangereusement
les esprits. La rumeur ne serait rien d’autre qu’une pathologie
de la communication. Mais ce vocabulaire pathologique se
1. R.H. Knapp, «A psychology of rumor», The Public Opinion Quarterly,
8-1, 1944, p. 22-37; G.W. Allport, L. Postman, The Psychology of Rumor, New
York, Henry Holt, 1947.
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retrouve encore abondamment dans des travaux plus contemporains sur les rumeurs. L’étude classique d’Edgar Morin sur
une rumeur antisémite d’enlèvements de jeunes filles dans
des commerces de prêt-à-porter ayant frappé Orléans à la fin
des années 1960 représente un bon exemple de cette tendance: épidémie, incubation, contagion, gangrène, métastase, anticorps, infection sont en effet les maîtres mots de
cette «sociologie clinique» de la rumeur1. Exemple caricatural de conversion du paradigme pathologique en classification pseudo-savante, une sociologue va même jusqu’à classer
les rumeurs comme schizoïdes, paranoïdes, phobiques, perverses ou hystériques2. Crédulité irrationnelle engendrant des
troubles à l’ordre public, la rumeur est ainsi perçue comme
une maladie contagieuse de l’opinion que la raison saine des
chercheurs devrait avant tout chercher à démystifier. Cette
posture surplombante, et à vrai dire passablement méprisante, surdétermine une large part des études «scientifiques»
sur la rumeur: la dénonciation morale se substitue alors à la
description objective.
Si l’on veut pouvoir prendre au sérieux les rumeurs, il faut
pourtant se défaire une fois pour toutes de ces prénotions péjoratives et s’écarter du paradigme pathologique, cette véritable
crampe mentale3. Il faut accepter de suspendre nos jugements
de vérité et de valeur, afin d’envisager la rumeur autrement
que sous cet angle négatif. La rumeur n’est pas une pathologie sociale, mais témoigne d’un fonctionnement parfaitement normal de la communication humaine: aucun facteur
morbide ne saurait par conséquent expliquer son apparition
et sa diffusion. Concernant le cas qui nous intéresse ici, il faut
donc partir du principe que la rumeur des vols de sexe est un
«fait social normal» défini par certaines régularités positives.
1. E. Morin, La Rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1969.
2. F. Reumaux, Toute la ville en parle. Esquisse d’une théorie des rumeurs,
Paris, L’Harmattan, 1994, p. 16-26.
3. P. Aldrin, Sociologie politique des rumeurs, Paris, PUF, 2005, p. 8.
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Les représentations liées à la sorcellerie, auxquelles les histoires
de vol de sexe ressemblent beaucoup, sont d’ailleurs omniprésentes sur le continent africain et ­doivent par conséquent
être tenues pour «normales». Et même le lynchage, qui sert
souvent de représailles contre les présumés voleurs de sexe,
constitue un registre populaire d’action collective largement
répandu en Afrique subsaharienne. Le vol de sexe repose en
définitive sur des modes de communication et ­d’action tout
à fait normaux – ce qui, bien entendu, ­n’enlève rien à leur
caractère moralement condamnable.
Et pourtant, le paradigme psychopathologique a fourni
une grille de lecture toute prête à l’analyse des vols de sexe en
Afrique. Dans la littérature psychiatrique et psychologique
notamment, la rumeur des vols de sexe est en effet élevée au
rang de trouble psychopathologique1. La croyance dans les
vols de sexe est souvent rapprochée du koro, un autre «syndrome lié à la culture» (culture-bound syndrome) répandu
en Asie et répertorié en annexe du DSM-IV (Diagnostic and
Statistical Manual of Mental Disorders), le manuel de référence des troubles psychiatriques2. Ce «syndrome de rétraction génitale» désigne une sensation de rétraction du pénis
dans l’abdomen associée à une intense angoisse de mort. Il a
donné lieu à une abondante littérature en psychiatrie transculturelle3. Le terme koro est d’origine malaise et signifierait
1. S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria», art. cit.;
id., «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent epidemic of a koro-like
syndrome», art. cit.; J.F. Agbu, «From “koro” to GSM “killer calls” scare in
Nigeria. A psychological view», art. cit.; V.A. Dzokoto, G. Adams, «Juju,
koro, or mass psychogenic illness? A review of genital-shrinking epidemics in
West Africa from 1997-2001», art. cit.
2. Un «syndrome lié à la culture» est un trouble ne possédant aucune
cause organique identifiée, ne se manifestant qu’au sein d’une société (ou d’un
ensemble de sociétés voisines) et semblant par conséquent directement conditionné par les représentations culturelles. Une liste des principaux syndromes
liés à la culture est publiée dans l’appendice 1 du DSM-IV.
3. P.M. Yap, «Suk-yeong, or koro – a culture-bound depersonalization sy drome», The Bulletin of the Hong-Kong Chinese Medical Association, 16-1,
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étymologiquement «rétrécir» ou «tortue» (l’animal servant
justement à désigner le pénis en argot). Érigé en syndrome
psychiatrique, le koro rassemble une nébuleuse de troubles
que l’on retrouve très largement en Asie du Sud, sous différentes variantes. Connu depuis très longtemps en Chine
méridionale sous le nom de shook-yang (chinois cantonais)
ou suo-yang (mandarin), ce syndrome est censé être la conséquence d’une déperdition du yang, le principe masculin, suite
à des pratiques sexuelles anormales (masturbation, fréquentation de prostituées) ou à une dispute conjugale. Sur l’île
de Hainan, à l’extrême sud du pays, le shook-yang est plutôt
associé à un esprit féminin à l’apparence de renard. En effet,
les fantômes des morts sont réputés ne pas avoir de pénis,
ce qui les empêche de se réincarner. C’est l’esprit féminin
qui se charge de leur en fournir un en volant le pénis des
vivants. Des jeunes femmes sont parfois accusées d’être au
service de l’esprit-renard et sont alors battues à mort par les
villageois. La crainte de cet esprit-renard occasionne épisodiquement des vagues de panique parmi les insulaires. L’une
d’entre elles aurait par exemple été déclenchée par le mauvais
augure d’un devin local en 1984. En Asie du Sud-Est, le koro
donne lieu à de véritables épidémies collectives qui sévissent
de manière périodique en Thaïlande, en Indonésie ou encore
à Singapour. Souvent liées à des peurs d’empoisonnement
de la nourriture, ces paniques de masse peuvent affecter
1964, p. 31-47; W. Jilek, L. Jilek-Aall, «A koro epidemic in Thailand»,
Transcultural Psychiatry, 14, 1977, p. 57-59; W.S. Tseng et alii, «A socio­
cultural study of koro epidemics in Guangdong, China», American Journal of
Psychiatry, 145, 1988, p. 1538-1543; R.H. Prince, «Koro and the fox spirit
on Hainan island (China)», Transcultural Psychiatry, 29, 1992, p. 119-132;
R.E. Bartholomew, «The social psychology of “epidemic” koro», International
Journal of Social Psychiatry, 40-1, 1994, p. 46-60; id., «The medicalisation of
exotic deviance: a sociological perspective on epidemic koro», Transcultural
Psychiatry, 35-1, 1998, p. 5-38; A.N. Chowdhury, «The definition and classification of koro», Culture, Medicine and Psychiatry, 20-1, 1996, p. 41-65;
C. Buckle et alii, «A conceptual history of koro», Transcultural Psychiatry, 44,
2007, p. 27-43.
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brusquement des centaines, voire des milliers d’individus.
Lors de ces paniques, de nombreux hommes s’accrochent le
pénis avec des pinces, des ficelles, des poids et même des
épingles pour l’empêcher à tout prix de se rétracter, bien que
ces mesures de protection occasionnent des blessures sérieuses
et provoquent des hospitalisations massives. Ainsi en 1967,
Singapour sombre dans la panique suite à la diffusion d’une
rumeur annonçant que la viande de porc a été contaminée
par la fièvre porcine ou par un vaccin à base d’hormones
femelles. Ce sont alors des Chinois qui sont majoritairement affectés, dans un contexte de fortes tensions entre ces
derniers et les Malais. En 1976, des incidents surviennent
à la frontière nord-est de la Thaïlande, suite à des rumeurs
­d’empoisonnement d’aliments ou de tabac de contrebande
par des réfugiés vietnamiens. L’Inde n’est pas non plus épargnée: en 1982, Calcutta, le Bengale occidental et l’Assam
s’enflamment à leur tour, dans un climat de tensions entre
Indiens et réfugiés bangladeshi.
Koro et syndrome du vol de sexe seraient ainsi des ­troubles
pathologiques de l’image du corps (body dysmorphic disorder)
ou encore des crises de panique associées à une angoisse
de castration. Le fait que, contrairement aux cas isolés
­d’angoisse pathologique de castration chez des patients psychotiques occidentaux, koro et vol de sexe donnent lieu à des
«épidémies» collectives conduit en outre les auteurs à les
qualifier d’hystérie collective, de mass delusion ou encore de
mass psychogenic illness, c’est-à-dire à réactiver la vieille idée
d’une folie collective contagieuse. Il est pourtant notable
que koro et vol de sexe ne sauraient désigner un trouble
psychopathologique unique, les différences l’emportant sur
les ressemblances: rétraction du sexe en Asie versus disparition en Afrique; angoisse de mort très présente en Asie
mais peu en Afrique; empoisonnement en Asie versus vol
par un tiers en Afrique; mesures ­physiques de protection en
Asie versus vengeance violente contre le présumé coupable
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en Afrique. Mais surtout, si comme le reconnaît parfois la
psychiatrie transculturelle, koro et vol de sexe surviennent
chez des patients «normaux» et prennent leur source dans
des représentations culturellement partagées (différentes
en Asie et en Afrique), pourquoi parler encore de psycho­
pathologie? Il est ainsi patent que les épisodes de panique
en Asie du Sud-Est mobilisent des représentations collectives élaborées concernant l’alimentation, l’identité sexuelle
et les rapports intercommunautaires. La psychiatrie voudrait
isoler un trouble pathologique, mais se retrouve avec des faits
sociaux et des modalités de transmission collective dont elle
est bien impuissante à rendre compte1. Cet ouvrage se veut
ainsi une démonstration, à partir de l’étude d’un phénomène
singulier, de l’utilité irremplaçable des sciences humaines et
sociales – tout particulièrement de l’anthropologie sociale et
culturelle – pour rendre intelligibles des faits qui, tel une
rumeur extravagante ou un lynchage sauvage, semblent
pourtant au premier abord devoir échapper à toute objectivation rationnelle.
Le paradigme de l’«épidémiologie des représentations»
élaboré par Dan Sperber peut servir de cadre de départ pour
analyser la diffusion des vols de sexe, tout en évitant l’écueil
de l’approche pathologique du phénomène2. Certes, ce paradigme s’inspire encore directement du vocabulaire médical.
L’épidémiologie dépasse toutefois l’étude des seules pathologies infectieuses: on peut en effet faire une épidémiologie du
diabète (qui n’est pas infectieux) ou même de la calvitie (qui
n’est pas pathologique). Débarrassée de toute connotation
pathologique, l’épidémiologie lato sensu consiste à décrire
1. Dans leur second article consacré aux vols de sexe, les psychologues
Glenn Adams et Vivian Dzokoto («Genital-shrinking panic in Ghana: a
cultural psychological analysis», art. cit.) s’engagent toutefois sur la bonne
voie en interprétant le phénomène en termes non pas de trouble pathologique
mais de «construction culturelle de la réalité».
2. D. Sperber, La Contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris,
Odile Jacob, 1996.
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les dynamiques de distribution spatio-temporelle d’un phénomène au sein d’une population et à identifier les facteurs
causaux qui permettent d’expliquer cette distribution. En
appliquant ce paradigme aux faits socioculturels, Dan Sperber
propose d’étudier comment et pourquoi certaines représentations se diffusent et se stabilisent au sein d’un groupe. Parmi
l’ensemble des représentations qui passent par la tête des individus, seule une petite fraction est transmise à autrui, en étant
transformée par l’émetteur en «représentations ­publiques»
(paroles, textes, images, etc.), puis réinterprétée par le destinataire. Et seule une sous-fraction d’entre elles est communiquée de façon répétée et se répand largement au sein du
groupe: ce sont les représentations proprement «culturelles».
Il n’y a donc aucune différence de nature entre représentation individuelle et représentation collective, représentation
mentale et représentation culturelle, mais simplement une
différence de distribution au sein du groupe dont il s’agit
de rendre compte en mettant au jour les facteurs variés qui
peuvent l’expliquer.
Or, ce paradigme épidémiologique s’applique particulièrement bien à la rumeur, qui se distingue justement par une
dynamique spécifique de propagation: une diffusion intense
et rapide, notamment par le bouche-à-oreille, puis une disparition tout aussi soudaine. L’étude d’une rumeur singulière
nous fournit ainsi l’occasion de mettre à l’épreuve le modèle
de l’épidémiologie culturelle qui, dans l’exposé qu’en fait Dan
Sperber, a l’inconvénient de rester programmatique. Dan
Sperber présente en effet sa théorie de manière abstraite, en
se contentant de références allusives à des objets empiriques.
Cette absence d’étude de cas détaillée le pousse à une certaine
simplification du modèle. Il identifie deux grands types de facteurs explicatifs pour rendre compte du succès culturel d’une
représentation: des «facteurs psychologiques» et des «facteurs écologiques». Or, il s’intéresse essentiellement aux premiers au détriment des seconds, ensemble flou qu’il se soucie
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en fait peu de définir. Certes, en fixant des contraintes sur la
mémorisation ou la catégorisation, les capacités universelles
de l’esprit humain agissent comme un filtre sur les représentations susceptibles de se répandre. Néanmoins, ces capacités
cognitives ne permettent d’expliquer que certaines propriétés
très générales des représentations et de leur distribution, mais
restent largement insuffisantes pour rendre compte de la propagation d’une représentation singulière au sein d’un groupe
donné. Dan Sperber reconnaît toutefois que sa théorie n’est
pas orientée vers l’analyse ethnographique, mais se situe à
un niveau supérieur de généralité. Cette orientation s’inscrit
de manière cohérente dans ­l’opposition qu’il réaffirme avec
une grande constance depuis les années 1970 entre ethnologie
(interprétative) et anthropologie (explicative). Cette partition
est pourtant largement intenable, tant du point de vue intellectuel qu’institutionnel. Une théorie anthropologique ne
peut en effet valoir que si elle permet de rendre compte de
manière fine de matériaux ­ethnographiques précis.
Faire une épidémiologie détaillée du vol de sexe, c’est
donc essayer de mettre au jour les facteurs variés qui peuvent
expliquer le succès de cette rumeur singulière sur une si vaste
échelle. Il faut pour cela s’interdire les facilités rhétoriques de
l’explication ad hoc qui érige le phénomène à expliquer en
cause explicative: c’est parce qu’elle serait intrinsèquement
«contagieuse» que la rumeur se répandrait telle une épidémie virale. Mais pourquoi précisément la rumeur des vols
de sexe est-elle si «bonne à penser» et «bonne à raconter»?
Pourquoi capte-t-elle autant l’attention? D’où tire-t-elle
sa saillance cognitive si remarquable? Qu’est-ce qui en fait
une histoire si accrocheuse? En partant de l’hypothèse que
les épisodes de vol de sexe sont conditionnés par un environnement très spécifique, nous cherchons à dégager les
conditions de possibilité qui permettent l’émergence et la
stabilisation de la rumeur. Nous nous intéressons à la genèse
d’une «croyance apparemment irrationnelle», genèse dont
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nous verrons qu’elle suppose en réalité des mécanismes parfaitement ordinaires1.
Contre une version trop exclusivement mentaliste de
l’épidémiologie culturelle, il faut toutefois souligner que la
rumeur ne saurait être réduite à une simple représentation
désincarnée et décontextualisée: elle n’est pas une pure idée2.
Une rumeur, c’est un énoncé en contexte qui implique des
événements, des gestes et des affects. Cette conception de
la rumeur peut d’ailleurs s’appuyer sur des acceptions historiquement attestées du terme. Renvoyant vraisemblablement à une racine sanskrite signifiant «il crie», la rumeur,
c’est en effet la clameur, le bruit sourd et menaçant d’une
foule qui manifeste son mécontentement ou une intention
de violence. Dans un édit du Parlement de Paris datant de
1274, la rumeur désigne le «haro!» que tout citoyen doit
pousser s’il assiste à un crime, de manière à attirer l’attention
de la maréchaussée3. La rumeur est ainsi un acte de parole
qui doit toujours être envisagé à la fois comme un énoncé et
comme une action. Une épidémiologie culturelle ne saurait
donc se limiter à une étude de la transmission de représentations conçues comme des items discrets, mais doit réussir
à articuler représentation, action et émotion. Le phénomène
des vols de sexe suppose en effet des croyances, mais aussi
des paniques, des violences et des foules. En ce sens, il s’agit
d’un processus social qui se transforme au fur et à mesure de
1. D. Sperber, «Les croyances apparemment irrationnelles», in Le Savoir
des anthropologues, Paris, Hermann, 1982, p. 49-85.
2. Les approches «mentalistes» supposent que la culture consiste en un
ensemble de représentations stockées dans la tête des individus. Si les ­chaînes
causales de la culture associent représentations mentales et productions
­publiques, il n’y a pourtant aucune raison de privilégier les premières sur
les secondes (ni l’inverse d’ailleurs). Cf. V. Descombes, «L’identification des
idées», Revue philosophique de Louvain, 96-1, 1998, p. 86-118; G. Lenclud,
«La culture s’attrape-t-elle?», Communications, 66-1, 1998, p. 165-183 (et la
réponse de Dan Sperber, p. 185-192).
3. F. Reumaux, «Rumor et opinio», Cahiers internationaux de sociologie,
86, 1989, p. 123-139.
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son déploiement: les rumeurs transmises de bouche à oreille
donnent lieu à des éditoriaux de presse, s’incarnent dans des
expériences vécues et conduisent parfois à des gestes irréparables. Nous nous attacherons donc à faire entendre les différentes voix qui font la polyphonie de la rumeur, en suivant la
chaîne des transformations et des interprétations par laquelle
elle est amenée à passer. Les vols de sexe ne renvoient pas
à un énoncé unique invariablement répété, mais désignent
une «affaire» complexe: un ensemble circonstancié d’événements, d’actes, ­d’affects et d’énoncés reliés les uns aux autres
par des chaînes de consécution causale. Nous ne maintenons
l’usage du terme «rumeur» que comme un expédient commode, faute d’avoir trouvé un vocable plus approprié et en
notant bien qu’il ne désigne de toute façon pas une réalité
bien définie1.
L’une des questions les plus déconcertantes que pose une
épidémiologie des vols de sexe est celle de la conjoncture
spatio-temporelle de leurs occurrences. Les vols de sexe surviennent en effet de manière épisodique plutôt que continue.
Les histoires de vol de sexe se répandent de manière rapide
et localisée et procèdent ainsi très nettement par épidémies,
par opposition à d’autres formes plus endémiques de sorcellerie. Même au Nigeria, qui constitue le foyer le plus actif de
la rumeur depuis le début des années 1970, les vols de sexe
­donnent lieu à de brusques flambées qui retombent assez rapidement. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que,
malgré ses défauts, nous avons choisi de conserver le terme
«rumeur» pour qualifier le vol de sexe, plutôt par exemple
que celui de «croyance» qui suppose davantage une présence
persistante de la représentation au sein du groupe. Le vol de
sexe correspond ainsi parfaitement à ce que les folkloristes
anglo-saxons appellent «diving rumor», à savoir une rumeur
1. Pour une critique du pseudo-concept de rumeur, cf. P. Froissart, La
Rumeur: histoire et fantasmes, Paris, Belin, 2002.
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récurrente qui apparaît, disparaît puis réapparaît. Pourquoi
alors à tel moment plutôt qu’à tel autre? Pourquoi là et pas
ailleurs? Il semble bien qu’une fois présente dans un pays, la
rumeur des vols de sexe a tendance à se propager de proche en
proche dans les pays voisins. Mais pourquoi est-elle apparue
en premier lieu? Pourquoi naît-elle dans les années 1970?
Et pourquoi ne se diffuse-t-elle largement sur le continent
africain que dans les années 1990? La question des frontières
géographiques de la rumeur est également problématique
– l’absence d’un phénomène étant peut-être plus difficile
encore à expliquer que sa présence. L’Afrique subsaharienne
est concernée, mais pas l’Afrique du Nord. On pourrait y
voir des raisons macro-culturelles: l’omniprésence de la sorcellerie en Afrique noire (mais aussi, comme on va le voir,
sa focalisation sur la sexualité) fait de cette région la niche
écologique de la rumeur, ce qui expliquerait la facilité avec
laquelle elle s’y répand. Si l’anthropologie se méfie – à juste
titre – des généralisations à l’échelle d’un continent et préfère habituellement s’en tenir aux particularismes des cultures
locales, le fait que le vol de sexe embrasse, selon un schéma
stable, la moitié du continent africain justifie cependant que
nous en passions par certaines généralisations, sur la «sorcellerie africaine» par exemple. Mais pourquoi alors seules
l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sont-elles touchées
à l’exclusion de l’Afrique australe et orientale? On constate
certes la présence d’un épisode de vol de sexe au Zimbabwe,
pays pourtant à l’écart de l’aire d’extension principale1. Cette
exception géographique diffère toutefois du scénario habituel
des vols de sexe: il s’agit de la vengeance d’une prostituée
contre un client indélicat parti sans payer. Ce cas relève donc
plutôt du lien récurrent entre prostitution et sorcellerie plutôt
que du vol de sexe stricto sensu. Il est d’ailleurs révélateur que
1. H. Hyena, «Are witches stealing Zimbabwe penises?», Salon.com,
30 novembre 1999.
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l’incident semble isolé et ne donne pas lieu à une panique collective comme tous les autres cas – plus «épidémiques» – de
vol de sexe. Mais il est étrange que les vols de sexe atteignent
les deux Congo, sans s’étendre plus au sud et à l’est dans
d’autres pays de la zone bantoue, en Angola ou en Zambie,
par exemple, d’autant plus que les pays d’Afrique touchés ne
forment pas une aire culturelle homogène. Les explications
culturalistes classiques sont ici prises en défaut: il est difficile,
voire impossible, d’imputer l’existence de la rumeur à la présence d’un trait culturel particulier. La confession religieuse
ne constitue pas par exemple un trait discriminant, puisque
le vol de sexe concerne aussi bien musulmans, chrétiens et
«animistes». Les limites de la rumeur ne semblent pas non
plus dépendre du découpage historique des grands ensembles
coloniaux, dans la mesure où aussi bien l’Afrique anglophone
que francophone sont touchées. En dehors d’une simple
lacune dans les données, aucune raison évidente ne saurait
finalement expliquer pourquoi tous les États d’Afrique subsaharienne ne sont pas concernés. Il n’est d’ailleurs pas exclu
que l’aire d’extension de la rumeur s’agrandisse encore avec
le temps. L’exemple des deux Congo en témoigne: situés aux
marges méridionales de cette aire, ces deux pays sont moins
fréquemment et plus tardivement touchés que le cœur de la
zone. Kinshasa, la capitale de la République démocratique
du Congo, n’aurait ainsi véritablement été touchée que très
récemment, en mars-avril 2008, après que la rumeur eut
de nouveau frappé le Nigeria en janvier et le Cameroun en
février. Les mois suivants (mai-juin 2008), la rumeur traverse
le fleuve Congo pour atteindre Brazzaville, la République du
Congo n’ayant semble-t-il été marquée jusque-là que par un
bref épisode de vols de sexe en 1999.
Je dois donc bien reconnaître que je ne saurais apporter
de réponse définitive à ces questions difficiles concernant les
limites géographiques de la rumeur. Serait-ce parce que la
présence temporaire des vols de sexe dans un pays tiendrait
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en réalité à des circonstances chaque fois singulières – voire
contingentes – et que la véritable explication resterait donc
hors de portée d’une analyse d’ensemble? Je ne le crois pas.
Certes, des circonstances locales facilitent sans aucun doute
l’apparition ou la réapparition de la rumeur à tel endroit et à
tel moment. Toutefois, la diffusion transnationale de proche
en proche ainsi que la stabilité générale du scénario prouvent qu’on ne peut réduire les vols de sexe au seul contexte
local, mais qu’il faut rendre compte du phénomène dans toute
sa généralité – d’où l’insuffisance des quelques travaux existants qui se focalisent généralement sur un seul épisode. Mais
on ne saurait pour autant se situer exclusivement à l’échelle
macro de la diffusion d’un pays à un autre: la perspective en
surplomb révèle que la distribution spatio-temporelle de la
rumeur à l’échelle du continent n’est pas aléatoire, mais elle ne
permet pas d’en saisir les processus opératoires. C’est en effet
la répétition des mêmes conditions au niveau local qui produit
partout les mêmes effets: cela nous oblige donc à descendre
jusqu’aux détails des circonstances et des situations dans lesquelles surviennent les vols de sexe. L’analyse doit donc opérer
un constant jeu d’échelles afin d’articuler perspectives macro
et micro, vue d’ensemble et de détail. Si l’anthropologie ne
peut plus – depuis longtemps déjà – se contenter de faire des
monographies centrées sur de petites communautés idéalement closes sur elles-mêmes, elle ne doit pas à l’inverse se dissoudre dans des grands récits généralisants en faisant ­l’impasse
sur la description ethnographique des situations locales. L’un
des principaux problèmes qui se posent aujourd’hui à la discipline se résume ainsi à une question de jeu d’échelles. Peutêtre plus encore que tout autre fait social, la rumeur nous
met alors au défi de «faire de l’ethnographie sur une échelle
instable, ni purement locale, ni clairement globale1». Il nous
1. J. Comaroff, J.L. Comaroff, «Occult economies and the violence of
abstraction: notes from the South African postcolony», American Ethnologist,
26-2, 1999, p. 279-303, ici p. 282.
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faut ainsi mettre au jour un schéma récurrent au niveau local
qui permette d’expliquer certaines propriétés du phénomène
au niveau global. Comme on le voit, faire une anthropologie
de la rumeur permet en même temps d’interroger les modèles
d’intelligibilité et d’explication que la discipline mobilise pour
penser les faits socioculturels. L’hypothèse directrice que je suivrai est la suivante: le phénomène des vols de sexe ne devient
véritablement intelligible que si l’on fait ressortir les modalités de la situation interactionnelle singulière sur laquelle il
repose et qui expliquent la récurrence temporelle et la diffusion géographique à l’échelle transnationale. Je propose ainsi
de replacer les vols de sexe dans le cadre d’une micro-analyse
des interactions. Cette approche s’écarte des interprétations
symboliques et fonctionnalistes généralement appliquées aux
rumeurs. L’approche folkloriste des «légendes urbaines» envisage en effet la rumeur comme un énoncé flottant susceptible
d’une interprétation trop souvent faite du point de vue de
Sirius. Érigée en mythe relevant de l’inconscient collectif, la
rumeur fait alors l’objet d’une psychanalyse collective hasardeuse reposant sur des interprétations fonctionnalistes simplistes (la rumeur comme symptôme d’une angoisse devant
la modernité). Pour éviter ces surinterprétations réductrices,
mieux vaut donc s’en tenir à une description minutieuse de ce
que les gens font et disent. En se focalisant sur des situations
concrètes d’interaction et d’énonciation, ce livre propose un
essai d’anthropologie pragmatique d’une rumeur.
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tc à changer
Sexe, crise et sorcellerie
Pourquoi la rumeur se polarise-t-elle sur les organes génitaux?
Pourquoi est-ce le sexe qui disparaît? Il semble tout d’abord
évident que la virilité est un sujet particulièrement sensible:
nul besoin de verser dans la psychanalyse pour reconnaître
que l’angoisse de castration qu’évoque la rumeur contribue à
faire du vol de sexe une histoire immédiatement saisissante.
Il est d’ailleurs révélateur que l’imaginaire du vol de pénis se
retrouve également – quoique sous d’autres modalités – dans
la sorcellerie européenne à l’époque médiévale1. Les organes
sexuels sont en outre un «symbole naturel» particulièrement
riche en Afrique subsaharienne, notamment dans le domaine
de la sorcellerie2. Cette dernière constitue avant tout une
menace pour la reproduction du groupe et se focalise traditionnellement sur la sexualité, la virilité masculine aussi bien
que la fécondité féminine. Le sexe représente dans ce contexte
le symbole métonymique du potentiel vital, celui de l’individu
ou plus largement du groupe. On comprend alors pourquoi
le vol de sexe est régulièrement associé au rapt ou au meurtre
d’enfants: à travers la jeunesse ou les organes génitaux, c’est la
postérité même du groupe qui est menacée. Comme le note un
1. W. Stephens, «Witches who steal penises. Impotence and illusion in
Malleus Maleficarum», Journal of Medieval and Early Modern Studies, 28-3,
1998, p. 495-529.
2. M. Douglas, Natural Symbols: Explorations in Cosmology, New York,
Pantheon Books, 1970.
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les voleurs de sexe
journal togolais: «Il est un constat que depuis quelques années
à l’approche des fêtes de fin d’année naissent des histoires mystérieuses donnant lieu à la justice populaire. L’année dernière,
c’était l’histoire de la disparition de sexes et de seins. […]
Cette année, c’est le chapitre des tueurs d’enfants qui défraie
la chronique1.» Les victimes des vols de sexe sont d’ailleurs
la plupart du temps des jeunes hommes (entre 15 et 30 ans),
parfois même des enfants (dès 9 ans dans un cas), mais jamais
des vieillards. Les présumés voleurs sont quant à eux le plus
souvent d’âge supérieur ou sensiblement égal à celui de leurs
victimes. Ainsi, c’est la jeunesse masculine qui se sent collectivement menacée par le vol de sexe. Ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si c’est justement lors du défilé de la Fête de la jeunesse à
Kribi, au Cameroun, en février 2009, que deux jeunes garçons
se voient dépossédés de leur pénis2. Les élèves de l’établissement où sont scolarisées les victimes décident alors de faire le
siège de la gendarmerie où les suspects sont en garde à vue,
pour «réclamer le sexe de leurs camarades».
Le vol de sexe ressemble à d’autres genres de sorcellerie
attestés sur le continent africain, avec lesquels il partage cette
focalisation sur les organes sexuels. Il est par exemple rapproché des «crimes rituels», également appelés sorcellerie
des «pièces détachées» en Afrique centrale3. Des meurtres
sont perpétrés puis les organes génitaux, mais aussi les seins,
1. «Meurtrière rumeur sur Lomé», Le Regard, 28 novembre 2006.
2. T. Viga, «Kribi: disparition de sexes en cascade», Mutations, 18 février
2009.
3. Utilisée dans toute l’Afrique francophone, l’expression «crime rituel»
est empruntée à l’imaginaire de l’antisémitisme européen. Les accusations de
crimes rituels contre les juifs sont un topos de l’Europe chrétienne depuis le
xiie siècle (affaire Guillaume de Norwich en 1144 en Angleterre). La légende
veut que les juifs assassinent des enfants chrétiens pour utiliser leur sang à des
fins curatives ou encore pour confectionner les pains azymes lors de la fête de
Pessah (Pâque juive). Cf. A. Dundes (dir.), The Blood Libel Legend: A Casebook
in Anti-Semitic Folklore, Madison, University of Wisconsin Press, 1992. Il est
probable que la transposition de l’expression à la sorcellerie africaine soit le fait
de missionnaires européens.
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la langue ou les lèvres des victimes (qui sont souvent des
enfants) sont prélevés afin de fabriquer des fétiches destinés
à enrichir leur propriétaire ou à remporter des élections1.
Ces fétiches permettraient la conversion directe du potentiel
vital en richesse matérielle ou en pouvoir politique. Ce dernier mobile explique pourquoi les crimes rituels sont réputés
survenir avant tout en période électorale, période pendant
laquelle les mères surveillent de manière inquiète leurs
enfants. Désabusés, de nombreux Gabonais constatent que
ces crimes ont pris des proportions encore plus inquiétantes
depuis que le multipartisme, instauré en 1990 dans le pays,
a exacerbé la concurrence politique2. Certes, ces histoires de
crimes rituels appartiennent souvent à l’imaginaire fantasmatique des légendes urbaines: ainsi ces rumeurs récurrentes au
Gabon qui racontent que le coffre d’une voiture dotée d’une
plaque d’immatriculation officielle a été trouvé rempli de clitoris, que lors du déchargement du train en gare d’OwendoLibreville, une glacière destinée à une personnalité politique
en vue s’est renversée et a révélé un plein contenu de sexes
masculins, qu’une luxueuse voiture noire aux vitres fumées
rôde aux abords des lycées et embarque des jeunes filles que
l’on retrouve mortes quelque temps après, ou encore qu’un
1. Sur les «crimes rituels» en Afrique, cf. par exemple J. Evans, «On brûle
bien les sorcières: les meurtres muti et leur répression», Politique africaine, 48,
1992, p. 47-57; L. White, «The traffic in heads. Bodies, borders and the artic�ulation of regional histories», Journal of Southern African Studies, 23-2, 1997,
p. 325-338; B. Weiss, «Electric vampires: Haya rumours of the commodified
body», in A. Strathern, M. Lambek (dir.), Bodies and Persons: Comparative
Perspectives from Africa and Melanesia, Cambridge, Cambridge University
Press, 1998, p. 172-194; J. Comaroff, J.L. Comaroff, «Occult economies
and the violence of abstraction: notes from the South African postcolony»,
art. cit.; C. Burke, «They cut Segametsi into parts: ritual murder, youth,
and the politics of knowledge in Botswana», Anthropological Quarterly, 73-4,
2000, p. 204-214; A. Masquelier, «Of headhunters and cannibals: migrancy,
labor and consumption in the Mawri imagination», Cultural Anthropology,
15-1, 2000, p. 84-126.
2. B. Minko Mve, Manifeste contre les crimes rituels au Gabon, Paris,
L’Harmattan, 2008.
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les voleurs de sexe
certain hôpital financé par un notable de la place est en réalité
un mouroir où viennent impunément s’approvisionner les
sorciers.
Les crimes rituels ne sont toutefois pas toujours de ­simples
fantasmes imaginaires. Exemple de sinistre mémoire au Gabon,
l’affaire Mba Ntem repose vraisemblablement sur des faits
réels qui ont donné lieu à une enquête policière et un procès
retentissant. Son principal protagoniste, Mba Ntem, était un
nganga (guérisseur) appartenant à une obscure communauté
initiatique fondée par un Équato-Guinéen et appelée Mvoé
Ening, terme qui – macabre ironie! – signifie «La vie tranquille» en fang. En 1988 à Owendo près de Libreville, Mba
Ntem aurait assassiné plusieurs personnes, puis prélevé leurs
«parties essentielles» pour les manger avec ses acolytes, tout
en réservant les organes génitaux qui, selon les dires mêmes
du meurtrier, sont «envoyés aussitôt à notre “pape” Essono
Mba Filomeno alias Assili Nssang Mvoe qui vit en Guinée
Équatoriale», sans doute pour confectionner des fétiches1.
Une fois arrêté, Mba Ntem fait des aveux circonstanciés et
des pièces à conviction sont même produites. Mais c’est la
publication de photos de cadavres mutilés dans Le Livre blanc
des droits humains au Gabon qui atteste irrévocablement la
sinistre réalité de ces crimes, même s’il est difficile de juger de
leur caractère «rituel» ou non2. Au Gabon, le fait est en tout
cas jugé suffisamment sérieux pour que des marches de protestation populaire soient organisées et qu’une «association
de lutte contre les crimes rituels» voie le jour. À Libreville, en
2005 et en 2007, deux conférences sous l’égide de l’Unesco se
sont même tenues sur les «crimes rituels en Afrique».
Comme l’a bien montré l’historienne Florence Bernault
dans le cas du Gabon et du Congo, si une telle utilisation
1. Cité in A. Mary, Le Défi du syncrétisme. Le travail symbolique de la religion
d’eboga (Gabon), Paris, EHESS, 1999, p. 264.
2. Le Livre blanc des droits humains au Gabon, Libreville, Publications de la
République gabonaise, 2004, p. 59-70.
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sorcellaire du corps et de ses fragments possède indubitablement des racines précoloniales, cette fétichisation des corps
s’est trouvée renforcée à l’époque coloniale1. L’interdiction et
la criminalisation du prélèvement des ossements, traditionnellement utilisés pour constituer les reliquaires d’ancêtres,
associées à l’obligation d’inhumation dans des cimetières
publics, a en effet paradoxalement encouragé l’utilisation
clandestine de cadavres hors des limites du lignage. Les décès
dans les hôpitaux, les autopsies médico-légales ou encore la
conservation des cadavres à la morgue ont en outre dépossédé
les populations locales du contrôle traditionnel des pratiques
funéraires pourtant essentielles à la reproduction sociale. Ces
bouleversements coloniaux dans la gestion de la mort ont
ainsi suscité de nouvelles inquiétudes concernant la captation du corps du défunt par des inconnus, inquiétudes qui
s’­expriment dans de macabres histoires de crimes rituels, de
pièces détachées ou de vols d’organes2.
Dans ce contexte, le vol de sexe apparaît comme une forme
de sorcellerie somme toute assez familière en Afrique subsaharienne – ce qui explique sa localisation exclusive sur cette
partie du continent. Vols de sexe et crimes rituels ne sont
toutefois pas de simples équivalents. En effet, les motivations des voleurs de sexe sont rarement identifiées à celles des
meurtres rituels. Il est évident pour tout le monde que ces
derniers servent à confectionner des fétiches de richesse ou de
pouvoir. En revanche, de l’avis général, le voleur de sexe ne
semble pas faire un usage magique du sexe volé: personne ne
soutient par exemple que le voleur déposséderait la victime de
sa puissance sexuelle pour accroître la sienne. Comme le fait
1. F. Bernault, «Body, power and sacrifice in Equatorial Africa», Journal of
African History, 47-2, 2006, p. 207-239.
2. Mais, inversement, les colons s’inquiétèrent eux aussi du traitement
post-mortem de leur dépouille: d’où les rumeurs angoissées de cannibalisme,
mais aussi de profanations de tombes européennes et d’utilisation des restes
humains dans des fétiches (ce fut d’ailleurs l’une des raisons de la séparation
des cimetières des Européens et des Africains).
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spontanément remarquer un homme que l’on accuse d’avoir
volé le pénis d’un individu: «J’en ai déjà un, que voulez-vous
que je fasse du sien1?» Dans un cas, au Ghana, on suggère
que les pénis volés serviraient également à fabriquer des money
juju, des fétiches qui «vomissent» de l’argent – interprétation
clairement calquée sur le modèle des crimes rituels. Dans un
seul autre cas, au Cameroun, un témoignage avance de même
que «des individus à la solde de très grands pratiquants basés
au Nigeria écument les contrées pour arracher mystiquement
le sexe des gens après leur avoir serré la main ou tout simplement frôlé. “On dit que dès que votre sexe disparaît, il paraît
qu’il émet de l’argent chez le grand maître chaque fois qu’il
urine là-bas”2». Mais de manière surprenante, les tenants et
les aboutissants des disparitions d’organes génitaux suscitent
la plupart du temps des interrogations perplexes, alors qu’il
serait pourtant facile de reprendre les interprétations sorcellaires déjà existantes. Crime rituel et vol de sexe sont ainsi
envisagés par les acteurs eux-mêmes comme des formes de
sorcellerie distinctes: le crime rituel implique une émasculation concrète à l’aide d’un outil tranchant, le vol de sexe une
disparition magique des organes génitaux; le premier suppose
la mort de la victime, mais pas le second; l’un a un mobile
bien identifié, mais pas l’autre. L’extension géographique des
crimes rituels en Afrique dépasse en outre largement celle des
vols de sexe, puisque la plupart des pays d’Afrique australe et
orientale sont également concernés. Il n’en reste pas moins
qu’à travers les vols de sexe, c’est bien la vitalité des individus
qui est menacée et, par-delà, celle de la communauté tout
entière. Ce passage constant de l’individuel au collectif, que
l’on retrouvera dans les éditoriaux de presse, explique l’inten­
sité de la mobilisation collective autour des vols de sexe et
1. «Nigeria: un client de moto-taxi accusé de vol de… pénis», AFP (Lagos),
31 janvier 2008.
2. J. Kaldaoussa, «Trois voleurs de sexe tués dans le Mayo-Tsanaga», Le
Messager, 11 juin 2009.
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la solidarité si violente et immédiate de la foule qui réagit
comme si elle se sentait elle-même émasculée.
Mais ce n’est pas seulement le potentiel vital qui est atteint
à travers le vol de sexe, c’est également la virilité en tant que
support de l’identité masculine. Contrairement aux crimes
rituels qui frappent aussi bien les femmes que les hommes,
les victimes de vols de sexe sont en effet majoritairement des
hommes (92 % des 180 cas où le sexe de la victime est précisé). Certes, on dénombre tout de même quelques victimes
féminines (14 cas répertoriés). Ainsi, en juin 2006 à Parakou
au Bénin, une jeune fille devant passer son baccalauréat ce
mois-là accuse deux vieilles commerçantes yoruba de lui avoir
volé son sexe sur le marché après qu’elle les eut saluées. Son
sexe lui est finalement restitué, mais «tout vieux». Dans la
même ville à la même période, une femme accuse un instituteur de lui avoir volé son sexe après l’avoir abordée pour
lui demander un renseignement1. Les témoignages donnent
cependant assez peu de détails sur ces étranges disparitions
de sexes féminins. Les seins semblent autant touchés que
les organes génitaux: on parle de seins qui disparaissent ou
­rentrent dans la poitrine de la victime, sur le modèle du vol ou
du rétrécissement du pénis. En raison de sa proéminence, la
poitrine féminine représente un meilleur équivalent du pénis
que le vagin, les lèvres ou même le clitoris. Il est pourtant également fait allusion à un cas de vol du clitoris, mais aussi à un
vagin «scellé» et à un autre «refermé» par le sorcier, ces deux
derniers incidents s’écartant quelque peu du scénario typique
du «vol d’organe». Lorsque la sorcellerie vise les femmes, elle
affecte généralement leur capacité reproductrice – la fécondité étant une dimension essentielle de l’identité féminine en
Afrique subsaharienne. Le sorcier qui «bouffe» les enfants
dans le ventre de leur mère est certainement l’une des images
1. V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», Le Matin (Cotonou), 16 juin 2006.
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les plus marquantes de ce type de sorcellerie que l’on retrouve
très largement en Afrique. Dans les quelques cas de vols de
sexes féminins, on ne peut savoir si ce qui est visé est la fécondité (la capacité à enfanter), ou plutôt la sexualité (la capacité
à avoir des rapports sexuels) ou les caractères sexuels distinctifs du corps féminin.
Dans les cas de vols de sexe masculin, beaucoup plus nombreux mais aussi souvent plus détaillés, il est en revanche certain que c’est moins l’appareil reproducteur que le membre
viril qui est visé à travers le pénis. Les victimes évoquent
tantôt la disparition ou le rétrécissement de leur pénis, tantôt
leur incapacité soudaine à avoir une érection. Cette image du
sorcier qui rend les hommes impuissants en «tuant» leur sexe
est d’ailleurs largement répandue en Afrique. L’impuissance
sexuelle autant que l’émasculation est ici en jeu. La stérilité
n’est en revanche jamais évoquée (celle-ci étant habituellement pensée comme exclusivement féminine). Le vol de sexe
menace donc d’abord et avant tout la virilité au fondement
de l’identité masculine. De nombreux auteurs ont souligné le
lien dans l’Afrique contemporaine entre masculinité, virilité
et vigueur sexuelle, et les inquiétudes que cela suscite inévitablement1. Comme le note Achille Mbembe, «la postcolonie
est un monde de virilité angoissée2». En témoigne d’ailleurs
l’immense succès de ces innombrables ­aphrodisiaques et autres
médications censées guérir l’impuissance qui sont vendus
partout en Afrique sur les marchés ou par des commerçants
ambulants. Joseph Tonda parle quant à lui des «corps-sexe»
pour évoquer cette sexualisation inquiète des corps en Afrique
centrale, que l’on retrouve aussi bien dans les techniques de
1. T.K. Biaya, «Les paradoxes de la masculinité africaine. Une histoire de
violences, d’immigration et de crises», Canadian Folklore Canadien, 19-1,
1997, p. 89-112; id., «Les plaisirs de la ville: masculinité, sexualité et féminité à Dakar (1997-2000)», African Studies Review, 44-2, 2001, p. 71-85.
2. A. Mbembe, «Provisional notes on the postcolony», Africa, 62-1, 1992,
p. 3-37, ici p. 9.
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séduction des jeunes urbains que dans les magies amoureuses
ou les histoires de sorcellerie sexuelle1. Et pour l’écrivain
zaïrois Vincent Lombume Kalimasi, «le membre viril est
toujours en érection et pourtant nous sommes tous des eunuques2». Dans son film Quartier Mozart (1992), le réalisateur camerounais Jean-Pierre Bekolo évoque justement cette
obsession de la virilité sur fond de disparition des sexes. Dans
un quartier populaire de Yaoundé, une fillette trop curieuse
est transformée en jeune homme par une sorcière. Montype
– c’est son nouveau nom – doit alors prouver sa masculinité
aux autres hommes du quartier. Afin de s’affirmer comme
un «chaud gars», il lui faut notamment parvenir à «gérer»
Samedi (c’est-à-dire avoir des rapports sexuels avec elle), une
jeune fille qui repoussait jusque-là les avances des hommes.
Mais Montype vit sa nouvelle identité de manière angoissée
et ment sur ses exploits sexuels, tandis qu’un voleur de pénis
sévit justement dans le quartier et que les commères du voisinage passent leur temps à se moquer des prétentions viriles
des hommes.
Le vol de sexe doit en définitive être replacé dans le champ
des rapports entre les sexes. La rumeur évoque non pas tellement une crise générale de la masculinité, mais plutôt une
certaine forme de précarité: le risque de ne plus pouvoir
s’affirmer comme des hommes face aux femmes en exhibant
un membre viril capable d’érection. Le témoignage de cet
homme qui prétend que l’on vient de lui voler son pénis
est éloquent: «La victime, larmes aux yeux, ne cessait de
clamer: “Que va dire ma femme!”3» Les commentaires des
journalistes – qui sont pour la plupart des hommes – vont
1. J. Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale
(Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, chapitre 5.
2. Cité in F. De Boeck, M.-F. Plissart, Kinshasa. Récits de la ville invisible,
Bruxelles, La Renaissance du livre, 2005, p. 250.
3. «Un homme perd son organe génital au marché central de Kinshasa»,
La Tempête des Tropiques, 28 mars 2008.
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souvent dans le même sens. Un journaliste congolais affirme
ainsi: «L’homme se retrouve du coup comme un tigre en
papier pour avoir ainsi perdu l’instrument de sa “supériorité” devant la femme1.» L’un de ses compatriotes renchérit:
«Les femmes, friandes d’affection et de caresses masculines,
se sentaient indirectement concernées, menacées dans leurs
rapports avec les hommes, et complètement désemparées à
l’idée de cohabiter désormais avec des hommes dépourvus
de leur instrument de puissance masculine, le sceptre de leur
autorité maritale et conjugale, donc des monstres2.» Sur un
ton plus sexiste encore, un journaliste soudanais écrit quant à
lui: «Nos femmes occupent maintenant des positions dominantes dans les services publics et l’Université. Les Soudanais
devraient fonder une Association pour la défense des droits
de l’homme soudanais. Tout ce qui reste de notre masculinité
est notre virilité, et maintenant quelqu’un cherche à nous la
dérober3.»
Ce lien entre vol de sexe et menace sur la virilité en amène
certains à faire de la rumeur l’expression directe d’une crise
de la domination masculine. L’autonomie grandissante des
femmes africaines remettrait en cause le pouvoir masculin
et engendrerait une angoisse de castration qui se traduirait
directement dans les rumeurs paniques de vol de sexe: «Avec
la démocratisation de la société, on assiste à la naissance d’une
parole des femmes autonome. Dès qu’une femme parle,
­l’angoisse de l’homme naît. Il craint pour son sexe4.» On sait
en effet que l’aisance financière et la mobilité des femmes commerçantes leur confèrent souvent une autonomie qui remet
1. M. Manduakila, «Sexes emportés ou atrophiés, parlons-en!», Forum des
As, 23 avril 2008.
2. «Vague de rumeurs d’émasculation à Kinshasa: l’inspecteur provincial
de la police Oleko rassure: “fausse alerte!”», Le Phare, 22 avril 2008.
3. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises di appear», art. cit.
4. Y. Jaffré cité in J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une
rumeur sorcière», art. cit., p. 204.
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en cause le modèle patriarcal et est parfois vécue comme une
menace directe par leur mari. Le meilleur exemple de ces commerçantes émancipées est celui des Nana Benz ou Mama Benz
du golfe du Bénin, surnommées ainsi parce qu’elles ­peuvent
se payer le luxe de rouler dans de grosses voitures Mercedes
Benz. Un proverbe yoruba affirmant qu’«au marché, la
femme menace son mari avec un coutelas» évoque d’ailleurs
très clairement l’angoisse de castration liée à ce lieu contrôlé
par des femmes matériellement affranchies des hommes1. Les
sorcières yoruba sont même réputées pouvoir «emprunter» le
pénis d’un homme afin d’avoir des rapports sexuels avec son
épouse ou une autre femme qui deviendra alors stérile. Elles
restituent ensuite le pénis volé à son propriétaire qui risque
toutefois de rester impuissant2. Malgré cela, il ne semble pas
que l’émergence de la rumeur des vols de sexe soit directement
liée à la menace que ferait peser l’émancipation des femmes
sur la domination masculine. Cette rumeur particulière n’est
pas l’expression d’une hypothétique «guerre des sexes» mettant en scène de redoutables femmes castratrices. Les épouses
paraissent au contraire elles-mêmes très affectées par la disparition du sexe de leur mari: «C’est ainsi qu’une d’elles pleurait
à chaudes larmes, renchérissant les cris de détresse de son mari
qui implorait son prétendu voleur de sexe de lui rendre son
organe devant une foule de badauds mi-ahuris mi-amusés3.»
Mais c’est surtout la structure des accusations qui contredit
cette interprétation de la rumeur. Si les victimes sont essentiellement masculines, les voleurs présumés sont eux aussi beaucoup plus souvent des hommes que des femmes (92 % des
136 cas où le sexe du voleur est précisé). La répartition sexuelle
1. A. Apter, «Atinga revisited: Yoruba witchcraft and the cocoa eco omy, 1950-1951», in J. Comaroff, J.L. Comaroff (dir.), Modernity and its
Malcontents, op. cit., p. 111-128, ici p. 118.
2. R.H. Prince, «The Yoruba image of the witch», Journal of Mental Science,
107-449, 1961, p. 795-805, ici p. 798.
3. B. Ngbanzo, «Favorisés par la radio-trottoir de Kinshasa: les voleurs de
sexe ratissent large», L’Avenir, 22 avril 2008.
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des accusations est donc bien définie1: 90 % du total des accusations sont le fait d’un homme envers un autre homme, pour
seulement 6 % envers une femme. Et concernant les quelques
cas d’accusations féminines, on compte 5 accusations d’un
homme par une femme, et une seule d’une femme par une
autre femme. Les hommes s’accusent donc entre eux dans
94 % des cas. Or, si la crise de la domination masculine était
la bonne explication, les accusations des hommes devraient
être bien davantage dirigées contre des femmes. Dans le même
registre, certains mettent en relation l’émergence des vols de
sexe et la crise de la sexualité due à l’épidémie de sida. Une
pièce de théâtre du Tchadien Nocky Djedanoum intitulée
Le Sextirpateur reprend par exemple la rumeur des vols de
sexe pour en faire une parabole de la maladie: «Et si le voleur
de sexe n’était autre que le virus du sida?» On sait pourtant qu’en Afrique subsaharienne, l’épidémie de sida repose
encore plus majoritairement qu’ailleurs sur des contaminations hétérosexuelles. Si cette explication de la rumeur était
adéquate, on devrait là encore observer davantage d’accusations de femmes par des hommes. On ne peut pas, en définitive, soutenir que les vols de sexe traduiraient directement
l’angoisse des hommes face à l’émancipation féminine ou à la
menace du sida (sauf à supposer que les accusations opèrent
un déplacement inconscient – mais c’est là une hypothèse gratuite car invérifiable). Tout au plus ces faits peuvent-ils jouer,
en toile de fond, le rôle de facteurs renforçants. Pour éviter
toute surinterprétation hâtive, précisons également que si le
vol de sexe est très majoritairement une affaire entre hommes,
personne ne fait jamais allusion – ni explicitement, ni même
implicitement – à l’homosexualité masculine.
1. Ces données statistiques sont confirmées par celles de V.A. Dzokoto
et G. Adams («Juju, koro, or mass psychogenic illness? A review of genitalshrinking epidemics in West Africa from 1997-2001», art. cit.) à partir du
corpus sur les vols de sexe survenus au Ghana en janvier 1997: 86 % des
victimes et 92 % des présumés voleurs sont des hommes.
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sexe, crise et sorcellerie
Un autre élément contribue à expliquer la focalisation de
la rumeur sur les organes génitaux masculins. En Afrique,
puissance sexuelle et réussite sociale sont intimement associées. Les «grands types» – et notamment les personnalités
politiques – sont censés se distinguer par une sexualité exubérante1. La menace de l’échec se traduit inversement par une
angoisse d’impuissance. Comme l’écrit l’historien sénégalais
Mamadou Diouf, qui fait justement allusion à la rumeur des
vols de sexe, «le pénis semble ainsi être le support (au sens
aussi bien littéral que figuré) des rêves de réussite économique
et sociale et des cauchemars d’échec2». Les périodes de crise
socio-économique rendent, selon lui, ces angoisses d’impuissance plus sensibles encore. L’Afrique – sa jeunesse notamment – vit en effet la crise comme une atteinte à la virilité. La
crise socio-économique constitue cependant un simple facteur
aggravant de la rumeur, mais ne saurait être érigée en cause
explicative du phénomène. L’explication socio-­psychologique
de la rumeur comme réaction à une situation de crise est
en effet beaucoup trop lâche pour être vraiment pertinente.
Selon cette interprétation, la rumeur des vols de sexe exprimerait de manière transposée les angoisses collectives liées à
la crise, un épisode de somatisation aiguë en quelque sorte.
Les émeutes et les lynchages qu’elle provoque constitueraient
alors un exutoire violent pour les populations. Un psychologue sénégalais déclare ainsi à la presse que «cette psychose
sanglante s’explique par l’existence d’une “angoisse de castration” inhérente à chaque individu, et par la perte du pouvoir
économique en Afrique3». Un journaliste de Jeune Afrique
voit quant à lui dans la rumeur une réaction compensatoire
1. C. Toulabor, «Jeu de mots, jeu de vilains. Lexique de la dérision politique
au Togo», Politique africaine 3, 1981, p. 55-71, ici p. 59-64; A. Mbembe,
«Provisional notes on the postcolony», art. cit., p. 6-9.
2. M. Diouf, «Engaging postcolonial cultures: African youth and public
space», African Studies Review, 46-2, 2003, p. 1-12, ici p. 10.
3. «Rétrécisseurs de sexe. Psychose meurtrière au Sénégal», Sud-Ouest,
2 août 1997.
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les voleurs de sexe
aux bouleversements causés par les politiques d’ajustements
structurels imposés par le FMI dans les années 19901. Rien
ne prouve cependant que la rumeur apparaisse préférentiellement en temps de crise, que celle-ci soit économique, politique ou, plus largement, sociale. Certes, la rumeur coïncide
parfois avec des tensions politiques ou une récession économique (par exemple au Nigeria en 1990); mais c’est loin d’être
toujours le cas. La corrélation entre rumeur et crise sociale est
donc trop vague pour avoir une réelle valeur causale.
1. F. Soudan, «La rumeur qui tue», Jeune Afrique, 19-25 mars 1997,
p. 12-13.
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tc à changer
Des inconnus dans la ville
Les explications de la rumeur par la crise étant insatisfaisantes, il nous reste encore à produire une caractérisation
positive du phénomène. Pour ce faire, tâchons d’en dégager
les principaux traits stables en croisant l’analyse qualitative et
l’analyse quantitative des faits. Dans 98 % des cas, le vol de
sexe est un phénomène urbain. Seules deux exceptions sont
répertoriées. Et encore s’agit-il à chaque fois d’un gros village
dans une région densément peuplée, l’un au nord du Ghana
et l’autre en Gambie1. Il ne semble pas que cette localisation
spécifique soit due à un simple biais lié à l’origine des sources
(la presse rendant davantage compte des événements urbains
pour des raisons de logistique et de lectorat). Lors des événements de 1990 au Nigeria, la rumeur touche d’abord Lagos
puis saute à Ibadan et aux autres villes du pays en épargnant
les zones rurales2. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard
si le foyer des vols de sexe est le Nigeria, le pays le plus peuplé,
le plus anciennement urbanisé et qui concentre le plus grand
nombre de villes en Afrique noire3. Dans les années 1990,
vingt des quarante plus grandes villes en Afrique subsaha1. Pour le Ghana, cf. C. Mather, «Accusations of genital theft: a case from
northern Ghana», art. cit. Pour la Gambie, cf. A. Jobe, «Villagers kill man for
“penis snatching”», The Daily Observer (Banjul), 17 novembre 2003.
2. S.T.C. Ilechukwu, «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent
epidemic of a koro-like syndrome», art. cit., p. 96.
3. A. Mabogunje, Urbanization in Nigeria, New York, Africana Publishing,
1968.
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les voleurs de sexe
rienne sont situées au Nigeria. Et Lagos est la plus grande
mégalopole d’Afrique subsaharienne, l’agglomération comptant plus de dix millions d’habitants. La surpopulation y
pose de graves problèmes, de sécurité notamment, ce qui
vaut à Lagos la triste réputation de ville la plus dangereuse
du continent, voire du monde1. Cela ne doit toutefois pas
nous amener à faire de la rumeur et de ses violences un simple
symptôme de l’anomie urbaine: reprendre le lieu commun
faisant de la ville la responsable de tous les maux modernes
constituerait en effet une explication bien trop simpliste des
vols de sexe. L’urbanisation en Afrique subsaharienne décolle
après la Seconde Guerre mondiale, mais n’explose véritablement que dans les années 1960, c’est-à-dire peu avant l’apparition des vols de sexe au tout début des années 19702. Cette
accélération du processus d’urbanisation a sans aucun doute
favorisé l’émergence de la rumeur. Il n’en reste pas moins que
l’Afrique héberge depuis déjà longtemps des centres urbains
d’importance: les cités yoruba et haoussa, sur le territoire de
l’actuel Nigeria, remontent par exemple aux xiiie-xive siècles.
Et dès les débuts de la colonisation européenne, le continent
a été marqué par le développement de grandes villes brassant d’importantes populations de travailleurs migrants de
diverses origines.
Si la ville constitue bien la niche écologique de la rumeur,
cette seule circonstance ne suffit donc pas à l’expliquer. À
examiner de plus près la localisation des vols de sexe, on
constate qu’il s’agit toujours de lieux publics, ou du moins
1. E.G. Osaghae et alii, Urban Violence in Africa: Pilot Studies, Ibadan,
IFRA, 1994.
2. Le taux d’urbanisation en Afrique subsaharienne est passé de 2,5 %
en 1920 à 55 % en 2003. Sur l’urbanisation en Afrique, cf. M. Peil, Cities
and Suburbs: Urban Life in West Africa, New York, Africana Publishing,
1981; C. Coquery-Vidrovitch, Processus d’urbanisation en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1988; P. Vennetier, Les Villes d’Afrique tropicale, Paris, Masson,
1991; P. Hugon, R. Pourtier (dir.), Villes d’Afrique, Afrique contemporaine,
Aubervilliers, La Documentation française, 1993.
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des inconnus dans la ville
de lieux ouverts ou de passage (par opposition à l’espace
domestique). Les vols se déroulent la plupart du temps en
pleine rue (50 % des cas où le lieu de l’incident est précisé)
et surviennent en outre souvent dans des espaces densément
peuplés où règne la promiscuité. La mosquée au moment
de la grande prière est par exemple le théâtre d’un épisode
de vols de sexe au Sénégal en 20081. Un Camerounais s’est
fait quant à lui voler son pénis au beau milieu d’un rassemblement politique à Bafoussam en 20042. Mais ce sont les
marchés, centres névralgiques surpeuplés des villes africaines,
ainsi que les taxis collectifs où s’entassent habituellement les
passagers, qui sont les lieux les plus régulièrement cités (les
premiers sont mentionnés dans 21 % des cas, les seconds
dans 13 %). Ainsi, les premiers cas de vols de sexe qui surviennent à Lagos en 1975 sont situés dans deux marchés de
quartiers densément peuplés et habités par des populations
récemment arrivées en ville suite à l’exode rural3. En Afrique,
les marchés sont d’ailleurs connus pour être des lieux dangereux où règne la sorcellerie, féminine notamment4. Cela
explique d’ailleurs pourquoi les quelques femmes accusées de vol de sexe sont le plus souvent des commerçantes.
Mais les circonstances temporelles des vols de sexe sont tout
aussi frappantes que leur localisation: ces vols ont toujours
lieu en plein jour et jamais la nuit. Aussi étrange que cela
paraisse, le vol de sexe est donc une sorcellerie exclusivement
diurne. L’identité des protagonistes impliqués est également
1. A. Hanne, «Grande mosquée de Boune. Des fidèles échangent des coups
de poing pour une affaire de sexe», L’Observateur, 23 janvier 2008.
2. B. Nzupiah Nwafo, «Meeting et sorcellerie: son sexe disparaît au me ting», Le Messager, 29 septembre 2004.
3. S.T.C. Ilechukwu, «Koro and koro-like syndromes in Nigeria», art. cit.,
p. 311.
4. A. Masquelier, «Narratives of power, images of wealth: the ritual eco omy of Bori in the market», in J. Comaroff, J.L. Comaroff (dir.), Modernity
and its Malcontents, op. cit., p. 3-33; M.L. Bastian, «Fires, tricksters and
poisoned medicines: popular cultures of rumor in Onitsha, Nigeria and its
­markets», Etnofoor, 11-2, 1998, p. 111-132.
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les voleurs de sexe
tout à fait caractéristique: il s’agit presque toujours d’individus qui ne se connaissaient pas préalablement (96 % des
cas où l’identité est précisée). Comme le clame un Congolais
désemparé qui ne comprend pas pourquoi le voleur de sexe
l’a choisi pour victime: «Mon bourreau n’a pas d’antécédents
avec moi1!» Et dans les deux uniques occurrences de vol de
sexe en milieu villageois, où l’interconnaissance est pourtant
plus fréquente, le présumé voleur est encore un étranger de
passage. L’ensemble du corpus ne compte en fait que quatre
exceptions où le voleur et sa victime se connaissaient préalablement: dans un cas, il s’agit d’un «cousin» de la victime,
dans un autre de l’«ami nigérian» d’un Camerounais, et dans
les deux derniers d’une «connaissance» sans autre précision.
En revanche, le statut social n’est pas ici un critère pertinent,
comme cela est pourtant souvent le cas dans les affaires de
sorcellerie qui stigmatisent les marginaux et les plus faibles
(ces derniers sont souvent accusés publiquement et punis,
alors que les puissants sont simplement soupçonnés sans
être accusés de manière frontale). Comme le notent en effet
Glenn Adams et Vivian Dzokoto à propos du Ghana, parmi
les accusés de vol de sexe, on compte aussi bien un cireur de
chaussures qu’une femme d’affaires2.
Pour résumer, les vols de sexe supposent une interaction
entre inconnus dans un espace public urbain. En ce sens,
ils sont intimement liés à la sociabilité urbaine, sociabilité spécifique qu’un siècle d’ethnographie urbaine depuis
Georg Simmel et l’école de Chicago a permis de préciser3. Comme le notait Louis Wirth dès 1938 dans «Le
phénomène urbain comme mode de vie», l’anonymat et
1. «Un homme perd son organe génital au marché central de Kinshasa»,
art. cit.
2. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural
psychological analysis», art. cit., p. 87.
3. Pour un ouvrage de synthèse en anthropologie urbaine, cf. U. Hannerz,
Exploring the City. Inquiries Toward an Urban Anthropology, New York,
Columbia University Press, 1980.
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des inconnus dans la ville
l’impersonnalité sont deux caractéristiques essentielles de la
vie dans les grandes villes1. Par opposition à l’interconnaissance villageoise, la vie citadine implique en effet une extension immense des possibilités de rencontre entre inconnus.
Certes, les réseaux d’interconnaissance existent encore en
ville, dans les relations de voisinage par exemple. Mais les
interactions anonymes et impersonnelles dans les lieux de
passage de l’espace public n’en demeurent pas moins le
répertoire interactionnel le plus spécifiquement urbain. Le
citadin, c’est avant tout le passant qui circule dans la rue
au milieu d’une foule ­d’inconnus. Ce mode de relation à
autrui est souvent décrit de manière purement négative, y
compris dans la littérature sociologique: le citadin serait un
déraciné qui n’entretiendrait plus que des relations superficielles et froides avec ses semblables. Ce lieu commun sur
l’atomisation urbaine procède généralement d’une représentation idéalisée de la solidarité au sein des communautés
rurales2. La sociabilité urbaine n’est pourtant pas déficiente
et anomique, mais bien un mode de régulation propre des
relations avec autrui. Comme l’avait déjà bien noté Georg
Simmel, la vie urbaine requiert une certaine indifférence à
autrui, «sans laquelle nous ne pourrions tout bonnement
pas mener ce genre de vie» car nous serions exposés à trop
de rencontres3. La réserve représente en ce sens la «forme
élémentaire de socialisation» propre à la grande ville,
comme le manifeste exemplairement le trafic urbain.
1. Article repris in Y. Grafmeyer, I. Joseph (dir.), L’École de Chicago: nai sance de l’écologie urbaine, Paris, Éditions du Champ urbain, 1979, p. 251277.
2. Jugement de valeur inverse, on trouve des auteurs pour défendre la liberté
conférée par l’anonymat urbain par opposition au contrôle oppressant au sein
des petites communautés d’interconnaissance (cf. C. Pétonnet, «L’anonymat
ou la pellicule protectrice», in La Ville inquiète, Paris, Gallimard, 1987, p. 247261). Un proverbe allemand l’affirme d’ailleurs: «Stadluft macht frei.»
3. G. Simmel, «Les grandes villes et la vie de l’esprit» (1903), in Philosophie
de la modernité, Paris, Payot, 1989, p. 233-252, ici p. 242.
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les voleurs de sexe
Les «relations de trafic» (traffic relationships) constituent
en effet un type spécifique d’engagement reposant sur une
interaction minimale qui tend à la simple coprésence: des
individus se trouvent en un même lieu sans pour autant faire
cas les uns des autres. Cette interaction non convergente
– ou «unfocused interaction» pour reprendre un concept
clé de l’ethnographie urbaine d’Erving Goffman – consiste
en une reconnaissance minimale d’autrui en l’absence de
tout centre d’intérêt partagé1. Des stratégies d’évitement
et d’inhibition des interactions permettent ainsi de traiter
les inconnus comme des «non-personnes», comme s’ils
étaient absents alors même qu’ils sont présents2. Ces codes
de conduite incorporés sous forme de routines motrices
largement inconscientes assurent le «réglage de la distance
sociale» entre inconnus, suivant des normes qui varient fortement selon les cultures et, au sein de chaque société, selon
les situations (lieux, personnes en présence, etc.). Cet aspect
de la vie urbaine a été particulièrement étudié par la proxémique d’Edward T. Hall3. En cas de promiscuité non souhaitée, des stratégies de neutralisation de la présence d’autrui
seront alors mises en place afin de pouvoir garder ses distances même en situation de contact physique (par exemple
dans les transports en commun aux heures de pointe dans
les grandes métropoles): ne pas croiser le regard, se placer
dos à dos plutôt que face à face, etc. Les relations de trafic
impliquent ainsi de gérer les collisions et autres formes de
menace à l’intégrité personnelle, d’empiètement de territoire
ou d’intrusion dans la sphère intime. En définitive, le trafic
urbain expose en permanence les individus aux aléas, aux
incertitudes et aux dangers liés aux rencontres – volontaires
ou involontaires – entre inconnus.
1. E. Goffman, Behavior in Public Places. Notes on the Social Organization
of Gatherings, New York, Free Press, 1963, 2e partie.
2. Ibid., p. 83 sq.
3. E.T. Hall, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1971.
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des inconnus dans la ville
Il s’agit justement de cela dans le cas des vols de sexe. Le vol
de sexe illustre de manière dramatique le danger ­d’interactions
anonymes d’autant plus incertaines qu’on ignore les intentions d’autrui et qu’on ne sait quelle confiance lui accorder.
Il pointe la dangerosité potentielle d’un certain type de situation propre à l’espace public urbain: un contact avec un
inconnu qui tournerait à la mauvaise rencontre. Et puisque
la sorcellerie est toujours une affaire d’interaction qui tourne
mal, on peut dire que le vol de sexe n’est rien d’autre que la
sorcellerie du trafic urbain. Cette hypothèse est confirmée par
les circonstances précises des rencontres qui sont interprétées
en termes de vol de sexe par les protagonistes eux-mêmes.
Toutes nécessitent un contact entre les deux inconnus: «les
rétrécisseurs ne peuvent pas opérer à distance1». Ce contact
est le plus souvent physique, mais peut parfois être simplement visuel ou verbal2. Il suppose toujours un face-à-face
ou du moins une forte proximité. Dans plusieurs cas, le vol
du sexe survient lors du contact manuel avec un inconnu
demandant une cigarette ou du feu à sa victime. Plus souvent encore, la disparition du pénis est causée par un contact
physique accidentel dans une foule ou un transport collectif
(circonstance mentionnée dans 36 % des cas). En avril 2001
à Libreville, un jeune homme de 16 ans est frôlé par un
Nigérian et ressent une décharge électrique au bassin, puis
croit entendre l’homme lui dire: «Tu as eu?» Il sent aussitôt
son pénis rétrécir et donne l’alerte. Les passants ­tabassent
le présumé coupable qui finit par avouer3. En Afrique de
l’Ouest, les présumés voleurs de sexe sont d’ailleurs bien souvent des Haoussa: traditionnellement vêtus d’un boubou
1. D. Cadasse, «Psychose gabonaise du zizi rikiki. Les voleurs de sexes»,
Afrik.com, 29 mars 2001.
2. Fait notable, dans la sorcellerie rurale française, l’ensorcellement ­implique
également un contact direct ou indirect: poignée de main, regard ou adresse
verbale. Cf. J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977,
p. 192-204.
3. «Pour moi quoi… Makaya», L’Union, 13 avril 2001, p. 1.
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les voleurs de sexe
long et ample, ils effleurent sur leur passage des quidams qui
les accusent ensuite d’avoir fait disparaître leur sexe. Ce frôlement inattendu est en effet interprété comme une agression.
Ce qui n’était que simple coprésence entre deux passants
est soudainement perçu par la victime comme une interaction volontaire: s’il me touche, c’est qu’il me veut quelque
chose, et même qu’il me veut du mal. Des études ont en
effet montré que le contact tactile d’un inconnu est souvent
ressenti comme une menace pour l’intégrité personnelle1. Et
la menace semble même accentuée lorsque c’est un homme
qui touche un autre homme – ce qui pourrait éventuellement
contribuer à expliquer la surreprésentation des accusations
de vol de sexe entre hommes. Les nombreuses disparitions de
sexe qui surviennent dans les transports collectifs s’inscrivent
dans le même cadre interactionnel: c’est alors la promiscuité
forcée avec des inconnus qui occasionne le malaise à l’origine
des incidents. Un épisode de vol de sexe à Kinshasa en marsavril 2008 se focalise sur une autre situation de promiscuité
importune: la victime est en train de se soulager discrètement
dans la rue lorsqu’elle se fait voler son sexe par un inconnu
qui vient subitement uriner juste à côté d’elle2. Cette peur
du contact est si prégnante que les forces de l’ordre hésitent
parfois à appréhender les présumés voleurs de sexe: il arrive
en effet que les policiers perdent eux aussi leur sexe lors de
l’interpellation3.
En sus du contact physique, le regard est régulièrement mentionné parmi les circonstances des vols de sexe. Dans un cas,
un regard insistant est même la modalité exclusive de l’inter­
action: le 14 juin 2006 à Parakou au Bénin, un jeune homme
1. M.L. Knapp, J.A. Hall, Nonverbal Communication in Human Interaction,
Fort Worth, Harcourt Brace Publishers, 1992, p. 297-331.
2. «Un homme perd son organe génital au marché central de Kinshasa»,
art. cit.
3. D. Ngandu Mupompa, «Une histoire rocambolesque: des sexes disparus
par simple toucher au marché central», Le Potentiel, 17 avril 2008.
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des inconnus dans la ville
dévisage une jeune fille en passant dans la rue; cette dernière
crie aussitôt que l’inconnu vient de lui voler son sexe; l’homme
est immédiatement tabassé par la population de tout un quartier et décède quelques heures plus tard à l’hôpital1. Les études
sur la communication non verbale ont montré que le contact
visuel sert habituellement à ouvrir les canaux de communication et qu’il joue un rôle décisif dans le commencement d’une
interaction: avant toute autre forme de communication, un
contact visuel est recherché2. L’échange de regards exprime
l’intention mutuelle de s’engager dans une interaction plus
poussée. Cependant, un regard trop appuyé, notamment de
la part d’un inconnu, provoquera à l’inverse le malaise ou
l’irritation car il sera perçu comme un signe d’agression ou de
domination. C’est évidemment ce dont il s’agit dans l’exemple
précédent: la tentative du jeune homme pour accrocher le
regard de la jeune fille a été perçue comme un signe d’hostilité
et une agression occulte. En sus du regard, l’adresse verbale est
également mentionnée comme la modalité exclusive du vol de
sexe dans 11 % des cas. La circonstance la plus fréquente est
celle d’un inconnu qui demande un renseignement ou l’heure
à un quidam dans la rue. En septembre 2004, un fonctionnaire nigérian en déplacement dans la région de Kano est ainsi
lynché à mort par une foule en colère qui l’accuse d’avoir volé
le sexe d’un homme à qui il avait demandé son chemin3. Cette
modalité du vol de sexe est à rapprocher d’une autre rumeur
qui circulait au Ghana dans les années 1960: des inconnus
feraient disparaître par enchantement les montres-bracelets en
demandant l’heure aux passants4. Le lien entre l’objet volé et
1.V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», art. cit.
2. R.V. Exline, «Visual interaction: the glances of power and preference»,
in S. Weitz (dir.), Nonverbal Communication, New York, Oxford University
Press, 1974, p. 65-93.
3. «That politician stole my penis», AFP, 30 septembre 2004.
4. B. Sackey, «The vanishing sexual organ phenomenon in the context of
Ghanaian religious beliefs», art. cit., p. 116.
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les voleurs de sexe
l’interaction est ici plus direct que dans le cas des vols de sexe.
Le larcin s’avère toutefois plus bénin. C’est sans doute ce qui
explique le moindre succès de cette rumeur: le succès culturel
d’une rumeur est à la mesure des émotions qu’elle déclenche.
Parfois, la rencontre avec l’inconnu implique une discussion
plus poussée. En mars 2006, à Bobo-Dioulasso au Burkina
Faso, un jeune homme accuse ainsi de vol de sexe un pasteur
qui venait de l’aborder dans la rue pour lui prêcher l’Évangile1.
Dans les mêmes circonstances, en avril 2001 au Nigeria, huit
prosélytes évangélistes faisant du porte-à-porte à Ilesa sont
brûlés vifs2. Le vol de sexe survient en outre souvent à l’occasion d’une transaction commerciale, dans un commerce ou
sur un marché, ou bien dans un taxi lors du paiement de la
course. L’échange verbal se double alors généralement d’un
contact physique lorsque l’argent change de main. «C’est au
moment qu’il négociait avec moi le prix d’un article que j’ai
cessé de sentir mes parties intimes. J’ai alors averti mes voisins
qui ont menacé de le lyncher. Sous les menaces, il a libéré
mes parties intimes», raconte ainsi un commerçant nigérien
supposé victime d’un vol de sexe à Niamey en mars 20073. La
poignée de main qui conclut habituellement les négociations
commerciales est mentionnée plusieurs fois comme l’incident
déclencheur.
Le scénario majoritaire des vols de sexe implique en effet
des salutations (dans 44 % des cas), et plus précisément une
poignée de main (dans 38 % des cas): un individu s’aperçoit
que ses organes génitaux ont disparu après avoir été salué
par un parfait inconnu. Le 25 novembre 2004, à Bamako au
Mali, un journaliste est ainsi victime d’un vol de sexe après
1. «Un pasteur échappe à la vindicte populaire», L’Observateur Paalga
(Burkina Faso), 30 mars 2006.
2. M. Dan-Ali, «“Missing” penis sparks mob lynching», BBC News,
12 avril 2001.
3. «Des “voleurs de sexe” provoquent la psychose à Niamey», Panapress,
22 mars 2007.
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des inconnus dans la ville
avoir salué un étranger qui l’a abordé pour lui demander s’il
connaissait un certain Seydou Traoré mais n’a pas décliné sa
propre identité1. «C’est un monsieur que je ne connaissais pas
qui a rétréci mon sexe, après m’avoir serré la main, qu’il m’a
tendue poliment en me demandant l’heure», raconte pour
sa part un Gabonais victime d’un vol de sexe à Port-Gentil
en octobre 20052. En février 2009 à Kribi, au Cameroun,
le même scénario se répète: «Je passais, j’ai vu ce monsieur
qui me tendait la main pour me saluer. Je ne le connaissais
pas mais en tant que Camerounais je lui ai aussi tendu la
main3.» Ce sont de telles histoires de salutations tragiques
qui ont le plus vivement marqué les imaginations: le vol de
sexe demeure ainsi gravé dans la mémoire populaire comme
la sorcellerie des poignées de main entre inconnus. Ce n’est
d’ailleurs pas un hasard quand on connaît l’importance des
salutations en Afrique4. En Afrique de l’Ouest notamment,
les salutations s’étendent souvent en longueur et incluent
aussi bien la répétition de formules stéréotypées à fonction
phatique que l’échange d’informations plus substantielles à
propos des interlocuteurs et de leur entourage. Les salutations constituent un «rite d’accès»: elles opèrent en effet une
ritualisation de l’ouverture des canaux de communication
1. I. Sidibé, «Un journaliste victime de rétrécissement de sexe», Le Soir de
Bamako, 26 novembre 2004.
2. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», AFP, 17 octobre
2005.
3. S. Kamen, «Un homme accusé de vol de sexe à Kribi», Le Messager,
12 février 2009.
4. E. Goody, «“Greeting”, “begging”, and the presentation of respect»,
in J.S. La Fontaine (dir.), The Interpretation of Ritual, Londres, Tavistock
Publications, 1972, p. 39-71; J. Irvine, «Strategies of status manipulation
in the Wolof greeting», in R. Bauman, J. Sherzer (dir.), Explorations in the
Ethnography of Speaking, Cambridge, Cambridge University Press, 1974,
p. 167-191; J. Morton, «“Sakanab”: greetings and information among the
northern Beja», Africa, 58-4, 1988, p. 423-436; O.G. Nwoye, «An ethnographic analysis of Igbo greetings», African Languages and Cultures, 6-1,
1993, p. 37-48; F. Akindele, «A sociolinguistic analysis of Yoruba greetings»,
African Languages and Cultures, 3-1, 1990, p. 1-14.
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les voleurs de sexe
et du commencement de l’interaction1. Elles permettent
l’expres­sion de l’attention mutuelle ainsi que l’identification
réciproque des interlocuteurs: identification personnelle
fondée sur des informations biographiques lorsque cela est
possible, mais aussi identification catégorielle en fonction de
paramètres sociaux tels que le statut, le sexe ou l’âge2. En
Afrique, cette reconnaissance mutuelle passe souvent par une
nomination explicite: pour se saluer au Gabon mais aussi
chez les Wolof du Sénégal, on énonce ainsi son nom puis
celui de son interlocuteur, avant que ce dernier ne fasse de
même. Les salutations mettent également en jeu tout un système d’attitudes correspondant aux différents rôles sociaux.
Les salutations symétriques expriment l’égalité et la solidarité
entre les protagonistes, alors que les salutations asymétriques
manifestent l’inégalité et la déférence. Des contrastes inter­
actionnels permettent de marquer cette opposition. Chez
les Mossi du Burkina Faso par exemple, les salutations entre
égaux impliquent un échange de regards et une poignée de
main, alors que les salutations asymétriques supposent l’évitement du regard et une courbette, voire un accroupissement,
de la part de la personne de statut inférieur3.
Les salutations permettent ainsi de stabiliser et de rendre
plus prévisibles les relations interpersonnelles au sein d’un
groupe: saluer «régularise de façon rituelle les risques et les
1. E. Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, tome 2, Les Relations
en public, Paris, Minuit, 1973, p. 82-100; R. Firth, «Verbal and bodily rituals
of greeting and parting», in J.S. La Fontaine (dir.), The Interpretation of Ritual,
op. cit., p. 1-38; B. Conein, «Pourquoi doit-on dire bonjour? (Goffman relu
par Harvey Sacks)», in I. Joseph et alii, Le Parler frais d’Erving Goffman,
Paris, Minuit, 1989, p. 196-208; D. Schiffrin, «Handwork as ceremony:
the case of the handshake», Semiotica, 12-13, 1974, p. 189-202; P.M. Hall,
D.A. Spencer Hall, «The handshake as interaction», Semiotica, 314, 1983,
p. 249-264.
2. D. Schiffrin, «Opening encounters», American Sociological Review, 42-5,
1977, p. 679-691.
3. P. Collett, «Mossi salutations», Semiotica, 314, 1983, p. 191-248.
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des inconnus dans la ville
aléas que présente la parole en face-à-face1». De ce fait, les
salutations entre inconnus sont plus incertaines. Ibrahim
Youssouf, Allen Grimshaw et Charles Bird ont par exemple
montré que, chez les Touaregs, les salutations au milieu du
désert sont particulièrement sensibles car les rencontres entre
inconnus dans un milieu hostile sont toujours potentiellement dangereuses2. Les voyageurs, qui peuvent habituellement s’apercevoir à très longue distance, doivent prendre
soin de manifester clairement leurs intentions ­pacifiques
avant de pouvoir effectivement entrer en contact. Dans les
campements, les salutations sont à l’inverse beaucoup plus
routinières et détendues car le voyageur sait généralement
à qui il a affaire. D’une manière plus générale, les salutations entre inconnus peuvent se révéler d’autant plus problématiques que saluer autrui constitue une demande
relativement contraignante, dans la mesure où un refus
explicite a un coût important: ignorer une main tendue
constitue en effet une grave offense. Saluer menace ainsi la
«face» de l’interlocuteur puisque cela le pousse à rendre le
salut qu’il le désire ou non3. Comme l’écrit fort justement
Erving Goffman, «qui salue doit espérer qu’un contact est
bien désiré4». Ou encore: «Des gens qui se connaissent
ont besoin d’une raison pour ne pas se saluer, alors que des
inconnus ont besoin d’une raison pour le faire5.» Accoster
et saluer un étranger est une entreprise socialement délicate
car on risque toujours ­d’imposer une interaction non souhaitée. Or, c’est exactement de cela dont il s’agit dans le cas
des vols de sexe: des salutations qui tournent mal. Le salut
1. E. Goffman, Façons de parler, Paris, Minuit, 1987, p. 25.
2. I.A. Youssouf, A.D. Grimshaw, C.S. Bird, «Greetings in the desert»,
American Ethnologist, 3-4, 1976, p. 797-824.
3. P. Brown, S. Levinson, «Universals in language usage: politeness ph nomena», in E.N. Goody (dir.), Questions and Politeness. Strategies in Social
Interaction, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 56-289.
4. E. Goffman, Façons de parler, op. cit., p. 23.
5. E. Goffman, Behavior in Public Places, op. cit., p. 124.
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les voleurs de sexe
dont l’inconnu prend l’initiative est perçu par l’interlocuteur
comme une interaction forcée et donc menaçante dans un
contexte de relations de trafic qui n’exigerait minimalement
qu’une simple coprésence sans interaction réelle. La poignée
de main accroît encore la menace car elle ajoute un contact
physique à l’adresse verbale, gestuelle et visuelle. Elle force
en outre la réciprocité, dans la mesure où se faire serrer la
main, c’est déjà rendre la salutation. Alors que la fermeté et
la chaleur de la poigne, de même que la franchise du contact
visuel, expriment normalement la solidarité entre égaux, la
signification habituelle du geste est ici interprétée à l’inverse
comme une agression. Cette poignée de main s’apparente à
un cadeau empoisonné, modalité typique de l’agression sorcière: au Gabon notamment, les sorciers sont en effet réputés
atteindre leur victime par des mauvais sorts cachés dans un
billet de banque ou des boissons empoisonnées. La sorcellerie
repose ainsi sur des interactions paradoxales dont l’interprétation contextuelle contredit la signification commune. Au
lieu de célébrer l’égalité des deux protagonistes, la salutation
prend alors soudainement une tournure asymétrique: l’un
se trouve dépossédé par l’autre de ce qu’il a de plus précieux.
Notons que dans la sorcellerie rurale française, la poignée de
main joue également un rôle décisif, notamment les salutations entre personnes qui ne se saluent habituellement pas:
la victime interprète alors ce geste inaccoutumé comme une
tentative d’ensorcellement. Certes, le contexte est différent
puisqu’il s’agit de relations de voisinage en milieu villageois.
Il n’en reste pas moins que l’inférence de la victime repose
sur le même type d’évaluation de la situation d’interaction
que dans le cas du vol de sexe. Comme le remarque à juste
titre Jeanne Favret-Saada, la poignée de main est en définitive un «geste de reconnaissance tellement ordinaire qu’on
omet généralement de songer à ce qu’il engage1».
1. J. Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, op. cit., p. 197.
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des inconnus dans la ville
L’approche interactionniste a finalement permis une caractérisation positive des vols de sexe: ces derniers reposent sur
une situation d’interaction bien définie et tout à fait spécifique. C’est là ce qu’on pourrait appeler leur «saillance
inter­actionnelle», schéma caractéristique au niveau local qui
permet d’expliquer certaines propriétés générales du phénomène. Ce qui est en jeu, la matière même des vols de sexe,
ce sont précisément les modalités interactionnelles de la rencontre avec le supposé voleur: contact physique, échange de
regards, salutation ou poignée de main qui se révèlent d’autant
plus sensibles que les protagonistes sont des étrangers l’un
pour l’autre. Si l’interprétation sorcellaire de la situation peut
nous paraître étrange, on voit qu’elle se fonde néanmoins sur
des préoccupations tout à fait banales concernant les différents registres de la communication verbale et non verbale.
Le vol de sexe repose ainsi sur une dysphorie interactionnelle
provoquée par la rencontre avec un inconnu. Une «interaction dysphorique» est une sorte de «fausse note» interactionnelle qui suscite un embarras, une gêne1. Elle survient par
exemple quand un individu ne manifeste pas l’engagement
interactionnel qu’on attend de lui: personne trop chaleureuse dans une situation formelle, ou à l’inverse étrangement
froide avec un familier. Erving Goffman note que certaines
catégories de personnes provoquent fréquemment de telles
interactions dysphoriques, ce qu’il appelle des «personnes
défectueuses» (faulty persons): parmi elles, les jeunes enfants,
les personnes ayant un handicap, mais aussi les étrangers qui
sont justement les protagonistes principaux des vols de sexe.
Ces derniers procèdent en définitive d’un «malaise dans
l’interaction» lié à la manière dont un inconnu en aborde
un autre. Ce n’est pas sans raison que l’individu à l’initiative de l’interaction soit celui que l’on accuse d’être le voleur.
1. E. Goffman, «La communication en défaut», Actes de la recherche en
sciences sociales, 100, 1993, p. 66-73.
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les voleurs de sexe
L’incertitude dysphorique qui plane sur les rencontres avec
un inconnu pousse en effet l’autre personne à interpréter le
comportement à rebours de son sens habituel: un frôlement
accidentel devient un acte intentionnel; un regard devient
une agression au lieu d’une proposition d’engagement inter­
actionnel; une poignée de main devient un geste hostile au
lieu d’une expression de solidarité. Par rapport au simple frôlement ou à l’échange de regards, la salutation du voleur de
sexe représente alors la situation la plus contradictoire car elle
associe solidarité et agression. Un journaliste nigérien note
ainsi que les voleurs de sexe «vous tendent la main en guise
“d’amitié”1» – les guillemets du dernier terme illustrant bien
l’inversion paradoxale de la signification du geste. Un journaliste gabonais déplore quant à lui: «Bonjour, signe d’amitié
et de fraternité entre les hommes, est à présent source de malheurs2.» C’est sans doute pour cette raison que les vols de sexe
se cristallisent sur ce type d’interaction davantage encore que
sur les autres. L’engagement interactionnel de l’inconnu est
mésinterprété comme une effraction violente de l’intimité.
Ce fait contribue d’ailleurs peut-être à expliquer la focalisation sur le sexe plutôt que sur toute autre partie du corps: les
«parties intimes» sont normalement hors de la sphère des
interactions publiques. Comble de l’intrusion dans la sphère
intime, le voleur atteint justement ce qui devrait rester hors
de sa portée. Il s’agit en définitive d’une rencontre avec un
inconnu au cours de laquelle on ne risque pas de perdre la
face, mais le sexe.
1. «Sexe et commérages. Les truands reviennent!», L’Enquêteur, n° 284,
26 mars 2007.
2. Assoumbou-Mombey, «Psychose généralisée», L’Union, 18 juin 1997.
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tc à changer
Frissons et lynchages
Dans les récits des victimes, la rencontre dysphorique avec
l’inconnu provoque une sorte de décharge électrique qui
s’accompagne ensuite de la sensation de disparition ou de
rétrécissement du sexe. Cette expérience du choc est suffisamment marquante pour qu’on s’y arrête et qu’on essaie de
l’expliquer. Un enfant victime d’un voleur de sexe affirme
ainsi avoir ressenti «une grande fraîcheur au niveau du basventre. Mon sexe s’est [ensuite] mis à se rétrécir1». Une autre
victime «a senti comme un courant le traverser» au moment
où le voleur la touchait2. Une autre encore déclare: «Je suis
passé à côté d’un monsieur qui m’a frôlé au passage. C’est à ce
moment que j’ai senti une énergie inhabituelle me traverser
le corps. Au niveau du bassin, je ne ressentais plus la présence de mon sexe3.» Un homme se retrouve même frappé
de stupeur: «C’est juste après l’avoir salué qu’il a senti des
frissons dans tout son corps et est resté cloué sur place, inerte.
Il a fallu qu’une connaissance lui demande ce qu’il avait pour
qu’il reprenne conscience4.» Une dernière victime raconte
enfin: «J’avais l’impression que je venais d’être électrocuté.
1. «Accusé d’avoir “volé” le sexe d’un enfant, un Gabonais échappe au
lynchage», AFP, 13 octobre 2005.
2. A. Adéola, «Insolite dans le septentrion: un 2e cas de vol de sexe à
Parakou en 48 heures», Le Matinal (Cotonou), 12 juin 2006.
3. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit.
4. «Battue après avoir été accusée d’être un voleur de sexe. La victime porte
plainte contre ses bourreaux», L’Observateur, 29 février 2008.
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les voleurs de sexe
Ma force physique me lâchait, comme si je venais de déposer
un lourd fardeau1.» L’analogie avec l’électrocution n’est pas
fortuite: phénomène invisible mais dont on peut éprouver
les effets sensibles, l’électricité est fort naturellement associée
au registre de l’occulte. Il est d’ailleurs notable que lors de ses
débuts, à la fin du xviiie siècle et tout au long du xixe siècle en
Europe et en Amérique du Nord, l’électricité était régulièrement associée à l’invisible et figurait en bonne place dans les
spéculations paranormales. Mais dans le cas du vol de sexe,
cette sensation vive et soudaine de décharge électrique possède une réalité prosaïque: elle n’est rien d’autre que l’effet de
la surprise et de la peur. Du point de vue cognitif, la peur est
une réaction émotionnelle involontaire à une menace réelle ou
imaginée2. Stimulant le système nerveux orthosympathique,
la peur provoque une série de réactions physiologiques automatiques: une augmentation de la pression sanguine et de la
tension musculaire, une accélération des rythmes cardiaque
et respiratoire, ainsi qu’une soudaine décharge d’adrénaline
qui fait se contracter les muscles horripilateurs. Décharge
d’adrénaline et piloérection correspondent à l’expérience du
frisson et de la «chair de poule». Il est alors clair que le choc
électrique décrit par les victimes de vol de sexe est un tel
frisson de peur. Réaction normale due à l’activation soudaine
des glandes sudoripares, la «sueur froide» est d’ailleurs également mentionnée: une victime raconte avoir senti comme
un «seau d’eau glacée» soudainement déversé sur sa tête3. En
outre, les victimes déclarent souvent ressentir une grande faiblesse suite à leur rencontre avec un voleur de sexe – faiblesse
qui est interprétée comme un indice de la perte de leur viri1. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, Cameroon
Tribune, 25 novembre 1996.
2. J. LeDoux, The Emotional Brain: The Mysterious Underpinnings of
Emotional Life, New York, Simon & Schuster, 1996.
3. «Woman escapes lynching over alleged man’s penis theft», Daily Trust
(Abuja), 6 août 2002.
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frissons et lynchages
lité. Un chauffeur de taxi-moto déclare ainsi: «[le passager à
l’arrière de la moto] a serré fort ses jambes contre moi et tout
de suite je me suis senti mal et faible1». Il est en effet tout à
fait courant qu’après une peur très vive, le corps réagisse par
une perte soudaine de tonus musculaire et une chute de tension qui peut aller jusqu’au malaise vagal. Ce n’est sans doute
pas un hasard si, en 1997 au Mali, on annonce qu’il existe
un remède simple pour retrouver son sexe (fait rare puisque
le traitement n’est mentionné nulle part ailleurs): il suffirait
de s’asseoir quelques instants et de boire un litre d’eau2. Le
conseil ne manque pas de bon sens: c’est en effet la meilleure
façon de dissiper le trouble et de retrouver ses forces après
une frayeur.
Le contact dysphorique avec un étranger provoque une
frayeur, réaction somme toute assez ordinaire. Mais pourquoi
ce choc électrique est-il ensuite associé à une sensation de
disparition ou de rétrécissement du sexe? Il y a, là encore, un
lien causal physiologiquement fondé entre la peur, le frisson
et la sensation au niveau du sexe. La taille du sexe masculin au
repos varie selon les circonstances: le froid, l’activité physique,
mais aussi le stress, sont des facteurs habituels de rétraction du
pénis. La vasoconstriction provoquée par la peur entraîne une
réduction du volume pénien qui est à l’origine de l’impres­
sion de rétrécissement dont les victimes parlent. D’autre part,
le frisson provoqué par la décharge d’adrénaline court le long
de la colonne vertébrale pour atteindre le bas-ventre: il provoque alors des picotements en raison de l’horripilation des
poils autour du scrotum, mais aussi une contraction musculaire de ce dernier qui entraîne une légère remontée des
testicules vers l’abdomen. De là viennent les sensations de
picotement et de rétraction du pénis décrites par les victimes.
Un réflexe d’esquive en cas de contact pourrait également
1. «Nigeria: un client de moto-taxi accusé de vol de… pénis», art. cit.
2. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», art. cit., p. 197.
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les voleurs de sexe
entrer en jeu: l’effleurement de la face interne de la cuisse
entraîne en effet automatiquement la remontée des testicules
par contraction du muscle crémaster (c’est ce qu’on appelle le
réflexe crémastérien). L’implication d’un tel réflexe de flexion
est d’autant plus plausible que c’est précisément un contact
physique avec un inconnu – frôlement accidentel au milieu
d’une foule par exemple – qui est le plus souvent à l’origine
du vol de sexe1. Les récits de victimes corroborent le rôle
déterminant joué par ces mécanismes physiologiques spécifiques: «Le scénario […] est toujours le même: un homme,
après avoir été frôlé ou avoir serré la main d’un inconnu,
déclare avoir été parcouru par un frisson suivi de picotements,
avant de sentir son organe s’enfoncer profondément dans le
corps2.» Dans une situation d’intense trouble émotionnel,
des sensations normales dues à la réaction de peur (faiblesse
passagère, picotements, légère rétraction du sexe) sont alors
interprétées comme une impuissance sexuelle, un rétrécissement voire même une disparition du membre viril.
Le vol de sexe ne repose donc pas uniquement sur l’ouïdire, mais implique des témoignages factuels rapportés par les
protagonistes de l’affaire. Cette transformation de la rumeur
en un événement vécu à la première personne est ce que les
folkloristes travaillant sur les légendes urbaines appellent une
1. L’expérience du contact avec la foule a souvent été décrite sur le mode
du choc électrique. Comme par Charles Baudelaire, témoin et penseur de
la modernité urbaine: «Baudelaire parle de l’homme qui s’immerge dans la
foule comme dans un immense réservoir d’électricité» (W. Benjamin, «Sur
quelques thèmes baudelairiens» (1939), in Charles Baudelaire. Un poète
lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1982, p. 147-208, ici p. 179).
Contrairement au vol de sexe, ce frisson est davantage de l’excitation que
de la peur. Il n’en reste pas moins vrai que le grouillement du trafic urbain
­semble particulièrement propice aux réactions «électriques». Georg Simmel
ne notait-il pas d’ailleurs que la grande ville provoquait une «intensification
de la vie nerveuse» («Les grandes villes et la vie de l’esprit», art. cit., p. 234).
Le vol de sexe relève ainsi d’une histoire culturelle de la sensibilité urbaine.
2. «Les rétrécisseurs de sexe», AFP, 4 août 1997.
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ostension de la rumeur1. Disqualifier purement et simplement l’expérience des victimes en les accusant de simulation
serait alors une erreur empêchant la pleine compréhension
des faits. Les sensations décrites par les victimes ne sont pas
des élucubrations arbitraires. Que le vol de sexe ne soit évidemment pas «vrai» ne signifie nullement qu’il ne soit pas
pour autant «réel», dans la mesure où il donne lieu à des
expériences saillantes du point de vue émotionnel. Le vol
de sexe ne saurait donc être réduit à une pure fiction, uniquement redevable d’une interprétation symbolique (d’où
l’inadéquation partielle du terme «rumeur» pour le qualifier). Il s’incarne au contraire dans des expériences vécues qui
possèdent un fondement somatique bien réel. La sorcellerie
relève autant de la sensibilité que du langage: elle possède par
conséquent une réalité tout à fait tangible2. L’interprétation
«magique» de type sorcellaire est ainsi étayée par des expériences aussi banales qu’universelles (frisson, picotements,
malaise, etc.) – ce qui permet de relativiser l’exotisme du
phénomène. Mais elle opère tout de même un saut, dans la
mesure où elle n’est pas une conséquence nécessaire de la réaction de frayeur, même si elle s’y enracine. Envisagée comme
une expérience émotionnelle complexe et non comme une
simple série de réactions physiologiques, la peur opère en réalité une véritable interprétation de la situation, en faisant voir
la rencontre sous un jour particulier. Le frisson au niveau du
bas-ventre se voit attribuer une cause intentionnelle par le
recours à un agent extérieur: l’inconnu devient un voleur de
sexe. On passe ainsi du rétrécissement ou de la disparition au
vol du pénis. Ce saut interprétatif qui pourrait nous paraître
1. L. Degh, A. Vazsonyi, «Does the word “dog” bite? Ostensive action: a
means of legend telling», Journal of Folklore Research, 20, 1983, p. 5-34.
2. Le détour par les émotions et les sensations permet ainsi de montrer la
réalité de la sorcellerie, sans avoir à tenir une position constructiviste radicale
affirmant que la culture ou le langage «créent» purement et simplement la
réalité.
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les voleurs de sexe
insolite est en réalité tout à fait habituel sur un continent où
la sorcellerie fait partie de l’univers quotidien: ainsi on aura
tendance à déceler dans les moindres événements une intentionnalité prédatrice cachée. L’interprétation de la rencontre
en termes de vol de sexe n’est donc évidemment envisageable
que dans la mesure où préexistent déjà des représentations
concernant la possibilité même d’une action sorcière. Mais
elle est d’autant plus aisée à faire que le frisson, de même que
d’autres réactions somatiques comme l’accélération cardiaque,
possèdent souvent une valeur prémonitoire en Afrique,
notamment dans les systèmes divinatoires1. L’interprétation
sorcellaire peut en outre s’appuyer sur une incertitude tout à
fait banale concernant la perception de la cause d’une émotion: expérience émotionnelle et réactions physiologiques
sont inextricablement mêlées sans que l’on puisse déterminer
quelle est la cause de l’autre2. Le témoignage de cette victime d’un vol de sexe illustre bien cette reconstruction d’une
chaîne singulière de causes et d’effets: «J’ai senti des frissons
me traverser le corps. J’ai eu peur et quand je me suis rappelé
du phénomène de vol de sexe, il était trop tard, le mien avait
déjà perdu sa forme normale3.» Au lieu de percevoir la peur
comme la cause du frisson et de la rétraction normale du
pénis, cet homme interprète le frisson comme étant la cause
première des autres événements. Il est alors amené à chercher
une autre cause au frisson, projetant à l’extérieur de lui-même
la raison de la sensation qu’il éprouve dans (ou à la surface de)
son corps: il ne peut s’agir que de l’inconnu qui l’a abordé.
1. E.E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé (1937),
Paris, Gallimard, 1972, p. 219; J. Bonhomme, Le Miroir et le Crâne. Parcours
initiatique du Bwete Misoko (Gabon), Paris, CNRS-MSH, 2006, p. 81-82.
2. Ce problème de la causalité des émotions fait l’objet d’une controverse
scientifique depuis le début du xxe siècle: William James soutenait que la
perception des réactions viscérales cause l’expérience subjective (je sens mon
cœur battre la chamade, donc j’ai peur) alors que Walter Cannon défendait la
thèse inverse (j’ai peur, donc mon cœur bat la chamade).
3. C. Louetsi, «Alerte aux voleurs de sexe!», L’Union, 26 octobre 2005.
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Celui-ci est donc un sorcier qui vient de lui voler son sexe.
L’expérience du frisson et de la peur est ainsi la pierre de
touche du phénomène des vols de sexe: la commotion en est
la preuve vécue1. Le vol de sexe s’appuie en définitive sur une
boucle causale complexe entre mécanismes physiologiques,
expérience émotionnelle et inférences cognitives en réaction
à une situation d’interaction bien précise.
Un autre élément décisif doit être pris en compte pour expliquer la réaction des individus: le rôle catalyseur de la rumeur.
Au fur et à mesure que la rumeur annonçant la présence de
voleurs de sexe se répand en ville, s’installent un climat d’angoisse et un sentiment d’insécurité qui multiplient les réactions de peur – panique collective que les médias qualifient
généralement de «psychose». L’angoisse n’est en effet rien
d’autre qu’une anticipation de la peur. Elle pousse à une vigilance accrue et abaisse ainsi considérablement le seuil d’alarme
des individus. Elle crée une sorte d’état d’urgence propice à
la peur. D’une certaine façon, la rumeur rend inéluctables les
événements qu’elle annonce: elle est une prophétie autoréalisante. Ainsi, l’une des soi-disant victimes regrette le drame
ayant conduit à la mort du voleur de sexe présumé et reconnaît qu’elle avait «peur de ce que racontent les gens en ville
sur la disparition des sexes2». Une autre personne confesse
de même: «J’étais sous le choc des rumeurs3.» La circulation
de la rumeur crée de la sorte les conditions de son propre
accomplissement: elle déclenche des réactions de frayeur qui
sont interprétées en termes de vol de sexe; cette confirmation
de la rumeur relance alors sa diffusion. Une fois la rumeur
1. Le susto, crise de frayeur répandue en Amérique latine, constitue un autre
bon exemple d’élaboration culturelle qui procède par attribution d’une cause
magique à la peur. Cf. A.J. Rubel, Susto, a Folk Illness, Berkeley, University of
California Press, 1984.
2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou
brûlées vives», Le Matinal (Cotonou), novembre 2001.
3. V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», art. cit.
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i­nstallée, sa propagation peut finalement s’entretenir toute
seule (ce qui laisse tout de même ouverte la question de la
raison de son apparition en premier lieu).
Après avoir abordé l’expérience de la «victime» du vol de
sexe, reste à expliquer la réaction violente de la foule. L’alerte
publique donnée par la victime, reprise par les passants alentour, se répercute en une clameur qui enfle rapidement et
provoque le rassemblement d’une foule agressive. Celle-ci
rattrape le présumé voleur et le lynche sans autre forme de
procès. Dans les vols de sexe, les phénomènes de propagation
épidémique interviennent ainsi sur deux modes distincts et
à deux échelles spatio-temporelles différentes: d’une part au
niveau de la propagation de la rumeur au sein d’une ville ou
d’un pays, puis d’un pays à l’autre; d’autre part au niveau
plus circonscrit de la propagation de la clameur dans la foule
et de la contagion mimétique de la violence suite à une
accusation. L’explication de cette seconde dimension exige
cependant de la prudence: la foule est une forme d’action
collective qui résiste à l’observation et, par suite, à l’analyse1.
Il est en effet particulièrement difficile de faire une description fine des comportements des foules, en particulier pour
celles qui, comme dans le cas des vols de sexe, s’agrègent et
se désagrègent très brusquement, et se manifestent par un
déchaînement de violences. Condamné à la myopie, on
ne peut que s’en tenir à des analyses simplificatrices. Cela
explique la tendance générale à faire de la foule un agent collectif auquel on attribue une intentionnalité univoque. Alors
que ce n’est pas la foule qui lynche le voleur de sexe, mais
bien des individus singuliers qui portent les coups. Cette difficulté à descendre jusqu’aux comportements individuels se
retrouve d’ailleurs lors des enquêtes de police et des procès:
les personnes ayant participé au lynchage collectif d’un voleur
1. J.-P. Dupuy, La Panique, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1991,
p. 13-40.
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de sexe échappent souvent aux poursuites et aux condamnations, tant policiers et magistrats ont du mal à établir la
responsabilité individuelle des uns et des autres. L’illusion
d’unanimité participe également d’une description myope
du phénomène. Si nombre de passants alertés par la victime
du présumé voleur de sexe se joignent promptement au lynchage, d’autres inconnus passent leur chemin, désapprouvent
ou tentent même de s’interposer. On peut d’ailleurs supposer
que, dans certains cas (qui échappent aux sources citées dans
la mesure où ils ne laissent pas de trace), l’alerte donnée par la
victime ne trouve pas de véritable écho parmi les passants. La
violence pousse néanmoins à la conformité mimétique, dans
la mesure où les contradicteurs risquent de passer pour des
complices du voleur de sexe et de se faire lyncher à leur tour.
Un Burkinabé, témoin du lynchage d’un voleur de sexe au
Mali en juillet 1997, raconte ainsi sa mésaventure: «“J’ai seulement dit aux lyncheurs qu’avant de vouloir tuer quelqu’un,
ils feraient mieux de déshabiller la victime pour authentifier
ses dires.” Aussitôt quelqu’un se met à hurler: “C’est son
complice!” La meute se précipite sur lui. Heureusement, la
police, alertée par le voisinage, est intervenue, embarquant
tout le monde1.» On sait de toute façon que l’adoption d’un
comportement par un nombre critique de personnes suffit
souvent à précipiter son adoption massive par effet de seuil2.
Concernant les vols de sexe, l’agrégation soudaine de la foule
est en tout cas particulièrement frappante, alors même qu’il
n’y a aucun véritable meneur. Si la victime qui donne l’alerte
est bien à l’origine de la mobilisation, elle semble néanmoins
disparaître rapidement dans la foule violente. Au moment du
lynchage, la victime devient ainsi un personnage secondaire,
presque indistinct. Et ce n’est d’ailleurs souvent pas elle qui
1. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», art. cit., p. 193.
2. M. Granovetter, «Threshold models of collective behavior», American
Journal of Sociology, 83-6, 1978, p. 1420-1443.
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porte les coups. Encore sous le choc, abattue d’avoir perdu
son sexe, elle a plutôt tendance à rester prostrée sans participer directement aux violences. Elle suscite donc le rassemblement, mais ne le dirige pas.
Aussi odieux soit-il, on ne saurait toutefois résumer le lynchage par la foule du présumé voleur de sexe à une éruption
de violence sauvage échappant à toute forme d’objectivation.
Le lynchage constitue un registre populaire d’action collective relativement ordinaire en Afrique et obéit à des normes
stables et partagées. Comme l’ont bien montré les historiens
à propos de l’Europe moderne, loin d’être de simples spasmes
irrationnels, les violences collectives s’inscrivent en réalité
souvent dans des traditions morales, politiques ou religieuses
et représentent de ce fait de véritables «rites de violence1».
En Afrique subsaharienne, les lynchages suivent les procédés
de la justice populaire couramment appliquée aux voleurs,
aux criminels, aux chauffards, mais aussi aux sorciers. Cette
justice expéditive représente une réponse alternative des
populations à la police et à la justice officielle, souvent accusées d’inaction (et de corruption) face à la criminalité quotidienne. La chasse aux sorciers et le lynchage des suspects
constituent en ce sens une réaction collective à un sentiment
largement partagé d’insécu­rité dû à l’intolérable déchaînement de la sorcellerie. Il n’y a pas jusqu’aux supplices infligés
par la foule aux malheureux accusés qui ne respectent des
schémas d’action stables et ne s’inscrivent par conséquent
dans de véritables traditions de violence. Récurrent lors des
vols de sexe, le «supplice du collier» (necklacing) consiste
par exemple à placer un pneu de voiture autour du torse
de la victime puis à l’asperger d’essence avant de la brûler
1. E.P. Thompson, «The moral economy of the English crowd in the
Eighteenth Century», Past and Present, 50, 1971, p. 76-136; N.Z. Davis,
«Rites of violence: religious riots in 16th Century France», Past and Present,
59, 1973, p. 51-91; C. Tilly, From Mobilization to Revolution, New York,
McGraw-Hill, 1978.
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vive. Née dans les townships de l’Afrique du Sud des années
1980, cette méthode d’exécution sommaire était employée
contre les criminels et les collaborateurs supposés du régime
d’apartheid, mais aussi contre les sorciers1. Elle a ensuite été
reprise dans de nombreux autres pays d’Afrique, donnant
parfois naissance à un humour particulièrement macabre.
Depuis les manifestations contre le président Moussa Traoré
en 1991, les Maliens ­appliquent ainsi «l’article 320 du code
de procédure accélérée de la rue»: ce nombre correspond
à l’époque au prix en francs CFA du litre d’essence et de la
boîte d’allumettes nécessaires pour brûler vifs les délinquants
ou présumés tels.
L’alerte entraîne ainsi la focalisation des passants autour
d’un but commun: les représailles contre le voleur de sexe.
Il pourrait cependant paraître étrange que personne ne se
préoccupe de vérifier d’abord la réalité de la disparition du
sexe de la victime. Mais le fait que cette dernière passe au
second plan après avoir donné l’alerte contribue à expliquer
pourquoi les passants se soucient peu de son état. En outre,
dans la mesure où les normes de la décence imposent que les
organes génitaux restent habituellement soustraits à la perception d’autrui, la vérification s’avérerait plutôt délicate, à
plus forte raison dans un lieu public. C’est pourquoi le vol du
sexe peut tout de même paraître plus crédible que le vol d’une
partie visible du corps qui serait immédiatement contredite
par l’évidence, la main par exemple (alors même que cette
dernière serait plus directement liée aux salutations). Dans les
cas fréquents de lynchage de chauffards ou de cambrioleurs,
la foule ne se préoccupe d’ailleurs généralement pas non plus
de vérifier la réalité des faits avant de passer à l’acte. Lors des
vols de sexe, la foule se focalise donc immédiatement sur le
1. I.A. Niehaus, «Witch-hunting and political legitimacy: continuity and
change in Green Valley, Lebowa, 1930-91», Africa, 63-4, 1993, p. 498-530;
C. Crais, «Of men, magic, and the law: popular justice and the political ima­
gination in South Africa», Journal of Social History, 32-1, 1998, p. 49-72.
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coupable plutôt que sur la victime. En réalité, punition du
coupable et traitement de la victime sont censés coïncider,
comme si le déchaînement furieux de la foule était lui-même
salvateur: «C’est en frappant sur [les voleurs] que la victime
retrouve en quelques minutes sa virilité et la dimension normale de son sexe. Ce qui confirme qu’ils sont coupables»,
souligne le frère d’une victime1. La frayeur de la victime, de
même que l’angoisse des quidams alarmés par la rumeur, se
retournent en effet en une brutale décharge libératoire. Le
lynchage constitue ainsi une sorte de réappropriation de la
puissance d’agir, tant pour la victime que pour la foule: il
permet la conversion d’un affect passif (l’angoisse impuissante) en un affect actif (la décharge agressive contre le présumé voleur)2. L’effervescence collective repose donc sur un
mélange détonant de peur et d’agressivité. Il est notable que
personne ne se soucie d’expliquer plus précisément ce lien
entre la bastonnade et la réapparition du sexe, comme si le fait
allait de soi. Mais ce raccourci évident pour tout le monde ne
fait en réalité que répéter de manière symétrique un premier
raccourci: celui qui liait la rencontre avec le voleur présumé
et la disparition du pénis. Le vol de sexe repose en définitive
sur des élaborations minimales quant aux mécanismes causaux à l’œuvre. Ces raccourcis sont en outre au principe d’une
singulière inversion dans l’établissement de la preuve, puisque
c’est la punition violente du coupable présumé qui permet de
confirmer in fine sa culpabilité. Secourue par la foule qui
s’occupe du malheureux voleur de sexe, la victime retrouve
en effet un peu d’aplomb: une fois la frayeur passée, ses sensations normales reviennent, ce qu’elle peut alors interpréter
comme la réapparition de ses organes génitaux consécutive à
1. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit.
2. Pour un exemple similaire de conversion émotionnelle dans un rituel
de contre-sorcellerie, cf. J. Bonhomme, «Des pleurs ou des coups. Affects et
relations dans l’initiation au Bwete Misoko (Gabon)», Systèmes de pensée en
Afrique noire, 18, 2008, p. 133-163.
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la bastonnade. Les représailles mettent ainsi en jeu le même
type de reconstruction à l’envers de la chaîne de causalité que
lors de l’interprétation par la victime de sa frayeur comme
indice du vol de son sexe – preuve que c’est bien la dynamique émotionnelle qui forme la pierre de touche du phénomène, depuis le vol supposé jusqu’au lynchage bien réel.
Souvent, les brutalités contre le supposé coupable
­parviennent à lui arracher une confession, confirmant aux
assaillants la réalité du vol de sexe et les justifiant dans leurs
actes. En avril 2002, à Ebo Town en Gambie, un vieillard
aveugle finit par avouer avoir volé le sexe d’un homme qui
l’aidait à traverser la rue, et restitue l’organe au moyen d’un
petit rituel1. Une telle confession de la part des «sorciers»
pourrait sembler étonnante: pourquoi un individu, forcément accusé à tort, irait-il confesser une culpabilité invraisemblable? Les confessions de sorciers ne sont pourtant pas
rares en Afrique: les aveux très circonstanciés des «enfants‑­
sorciers» en République démocratique du Congo en constituent un bon exemple2. Ces confessions peuvent assez
facilement s’expli­quer par l’intense pression, psychologique
ou physique, exercée par l’entourage sur l’accusé. De manière
plus ambiguë, l’aveu permet parfois également au sorcier de
se mettre en avant, en s’attribuant de mystérieux pouvoirs
occultes: le sorcier est un homme puissant et donc craint.
Cette stratégie de mise en scène de soi, qui pourrait se révéler
dangereuse, peut néanmoins être payante dans les sociétés
où il n’existe pas ou peu de sanctions publiques contre les
sorciers. Il faut encore préciser que la confession constitue
souvent un préalable indispensable à un rituel de purification et d’absolution, cérémonie typique des mouvements de
lutte contre la sorcellerie qui apparaissent sporadiquement
1. F. Kamara, «Blindman escapes mob justice for alleged penis snatching»,
The Daily Observer (Banjul), 30 avril 2002.
2. F. De Boeck, «Le “deuxième monde” et les “enfants-sorciers” en RDC»,
Politique africaine, 80, 2000, p. 32-57.
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sur le continent africain, au moins depuis l’époque coloniale.
Dans le cas du vol de sexe, il ne semble pourtant pas que la
confession du présumé voleur suffise à éviter son lynchage
par la foule, car on ne se situe pas dans un contexte de gestion
ritualisée de la sorcellerie. Seule la restitution du sexe par le
présumé voleur (ou en tout cas l’affirmation qu’il est prêt à le
restituer) paraît pouvoir calmer la foule en colère – déclaration qui constitue déjà en soi un aveu de culpabilité.
Autre fait déterminant, l’alerte provoque une convergence
massive de passants qui se trouvaient jusque-là en simple
situation de coprésence et suivaient des trajectoires divergentes: «Le chauffeur de taxi, le vendeur de journaux ambulant, le commerçant qui pousse la chansonnette, le salarié
intelligent et perspicace, tous ramassent des barres de fer, des
briques, des gourdins et des barres à mine, et ­bastonnent des
innocents, leur fendent le crâne et les brûlent tout vifs1.» Une
communauté affective émerge ainsi soudainement là où il
n’y avait que des inconnus disparates et sans lien préexistant.
L’identification avec la victime est le principe de ce rassemblement: scandalisés par le vol de sexe, les passants sont d’autant
plus prompts à se rassembler en une foule hostile contre le présumé voleur qu’ils se sentent également vulnérables (le voleur
semble en effet choisir ses victimes au hasard, puisqu’elles
lui sont toujours étrangères). C’est ce qui explique la solidarité de la foule autour du sexe volé. Cette solidarité anonyme
possède en outre un effet désinhibiteur qui rend possible le
lynchage: on peut être d’autant plus facilement violent qu’on
est anonyme parmi d’autres anonymes. Il est en revanche
plus difficile de l’être sous le regard de ses proches. Un cas
similaire de violence collective analysé par l’historien Alain
Corbin confirme cet argument2. Peu après la défaite de 1870,
lors d’une foire dans le Périgord, un jeune noble suspecté
1. Cité in B. Sackey, «The vanishing sexual organ phenomenon in the
context of Ghanaian religious beliefs», art. cit., p. 114.
2. A. Corbin, Le Village des «cannibales», Paris, Aubier, 1990.
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d’être un Prussien de l’intérieur qui aurait en outre osé crier
«Vive la République!» est atrocement tué par la foule avant
d’être rôti comme un cochon. Or, ces atrocités ont justement
été rendues possibles par le contexte spécifique de la foire:
par opposition à l’interconnaissance de la communauté villageoise, cette dernière suppose en effet un anonymat relatif
qui permet le déchaînement d’une violence inaccoutumée.
La solidarité des lyncheurs d’un voleur de sexe, comme celle
des meurtriers de la foire, est cependant brève et sans suite.
Les individus qui composent la foule ne partagent aucun
intérêt commun au-delà des représailles contre le voleur de
sexe: une fois le présumé coupable lynché, la mobilisation
collective retombe et la foule se disperse bien vite. Ce type de
lien social transitoire correspond particulièrement bien aux
espaces publics urbains: par opposition à la solidarité organique qui structure les petits groupes ­d’interconnaissance, la
vie sociale y est régie par une alternance entre l’atomisation
d’une multitude anonyme et disparate et la formation épisodique de communautés que l’on pourrait qualifier d’éphémères ou d’instantanées. La foule se défait donc généralement
aussi vite qu’elle s’était formée et chacun retourne à ses occupations, jusqu’au prochain incident.
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tc à changer
La sorcellerie dans tous ses états
Le vol de sexe représente une variété de sorcellerie fort singulière. La sorcellerie en Afrique subsaharienne se décline en
effet toujours au pluriel, dans la mesure où il y a de nombreuses variations régionales, mais aussi différentes formes de
sorcellerie au sein d’un même ensemble culturel. On ne saurait
donc dégager un archétype simple et unique de la «sorcellerie
africaine». Et cela d’autant plus que l’emploi même du terme
«sorcellerie» (ou de son double équivalent anglais «witchcraft» et «sorcery») est problématique1. Le terme désigne un
concept anthropologique qui, même limité au seul domaine
de l’africanisme, traduit de multiples notions locales qui ne se
superposent pas nécessairement. Cette traduction dépend en
outre du contexte colonial dans lequel elle a été opérée: elle
doit autant à l’imaginaire occidental de l’Afrique, et notamment à l’imaginaire missionnaire, qu’à la réalité des sociétés
locales. Mais cette transposition coloniale a ensuite fait l’objet
d’une réappropriation par les populations locales, qui utilisent aujourd’hui tout autant les vocables «sorcellerie» ou
«witchcraft» que leurs équivalents dans les langues vernaculaires. Tout cela fait de la «sorcellerie» une notion mixte,
lestée de différentes strates de sens, et donc particulièrement
délicate à manipuler.
1. P. Pels, «The magic of Africa: reflections on a Western commonplace»,
art. cit., p. 193-209.
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Il n’en reste pas moins que les anthropologues ont pu relever
en Afrique subsaharienne la présence obsédante d’une forme
typique de sorcellerie que l’on nommera ici, faute de mieux,
«sorcellerie familiale1». Il ne faut évidemment voir dans cette
sorcellerie familiale qu’un idéal-type permettant de rendre
compte de manière synthétique d’un ensemble de représentations largement présentes sur le continent africain et partageant entre elles un certain air de famille. Les simplifications
inhérentes à toute construction idéal-typique sont ici acceptables, dans la mesure où notre ambition n’est pas d’étudier
la sorcellerie familiale pour elle-même, mais simplement de
faire ressortir un certain nombre de différences significatives
entre le vol de sexe et des phénomènes habituellement pensés
en termes de «sorcellerie», tant par les intéressés eux-mêmes
que par les anthropologues.
La comparaison entre le vol de sexe et la sorcellerie familiale
offre un contraste saisissant (voir tableau infra, p. 89). Comme
son nom l’indique, la sorcellerie familiale opère à l’intérieur
de la sphère de parenté. Ce lien intime entre sorcellerie et
parenté se retrouve dans de très nombreux groupes ­ethniques
et constitue sans doute l’un des traits les plus ­typiques de
la sorcellerie en Afrique subsaharienne, par contraste avec
la Mélanésie, l’Amazonie ou l’Europe. Deux proverbes des
Mitsogo du Gabon avertissent par exemple que «celui qui
te tue n’est pas loin de toi» ou encore que «la première bête
que la panthère dévore, c’est la civette, sa parente». Un proverbe des Douala du Cameroun déclare de même que «celui
qui t’ensorcelle est toujours l’un des tiens2». Un proverbe
1. Voir par exemple J. Middleton, E.H. Winter (dir.), Witchcraft and Sorcery
in East Africa, Londres, Routledge & Paul, 1963; M.G. Marwick, Sorcery
in its Social Setting: A Study of the Northern Rhodesia Ceŵa, Manchester,
Manchester University Press, 1965; M. Douglas, «Witch beliefs in Central
Africa», Africa, 37-1, 1967, p. 72-80; P. Bonnafé, Nzo Lipfu, le lignage de la
mort, Paris, Société d’ethnologie, 1978; S. Lallemand, La Mangeuse d’âmes.
Sorcellerie et famille en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1988.
2. E. de Rosny, Les Yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays
douala (Cameroun), Paris, Plon, 1981, p. 159.
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la sorcellerie dans tous ses états
des Lovedu d’Afrique du Sud affirme enfin: «Tu manges
avec lui, mais c’est en fait lui qui te mange1.» Un sorcier ne
peut attaquer un lignage étranger au sien à moins d’avoir un
complice dans la place. Dans de nombreuses sociétés matrilinéaires du continent africain, le sorcier par excellence c’est
alors l’oncle maternel, détenteur de l’autorité lignagère. C’est
par exemple le cas au Gabon parmi les populations situées
au sud de l’Ogooué qui sont majoritairement matrilinéaires.
En revanche, chez les Fang, population patrilinéaire habitant
au nord du pays, le sorcier sera plutôt à chercher du côté du
patrilignage d’Ego. Le nœud entre sorcellerie et parenté se
décline ainsi en un vaste éventail de situations différentes2.
Il ne faudrait donc pas réduire cette diversité pour donner
une image uniforme de la sorcellerie africaine. Selon les
cas, le sorcier et sa victime peuvent être co-épouses, mari et
femme, oncle et neveu, frère et sœur, aîné et cadet ou même
corésidants.
Très présente en milieu rural, cette sorcellerie familiale
constitue la sorcellerie villageoise par excellence. Ce lien entre
sorcellerie et parenté persiste pourtant encore largement
en milieu urbain: «Même dans les contextes modernes,
la sorcellerie semble presque toujours naître de l’intimité
familiale3.» Dans une grande métropole comme Douala,
les devins-guérisseurs nganga ne manquent jamais d’impliquer la famille dans les affaires de sorcellerie4. De même, à
Libreville, la divination du nganga consiste avant tout à préciser au patient si le sorcier responsable de son infortune doit
être cherché «du côté des pères» (parents paternels) ou «du
1. P. Mayer, «Witches» (1954), in M. Marwick (dir.), Witchcraft and
Sorcery: Selected Readings, Harmondsworth, Penguin Books, 1970, p. 45-64,
ici p. 61.
2. A. Adler, Roi sorcier, mère sorcière. Parenté, politique et sorcellerie en Afrique
noire, Paris, Éditions du Félin, 2006, p. 33-63.
3. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique. La viande des autres, Paris,
Karthala, 1995, p. 18.
4. E. de Rosny, Les Yeux de ma chèvre, op. cit.
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les voleurs de sexe
côté des mères» (parents maternels). D’une manière générale en Afrique, le sorcier a ainsi tendance à être un insider
plutôt qu’un outsider: l’attaque provient de l’intérieur même
du groupe local1. Selon la belle formule de Philip Mayer,
«le sorcier est l’ennemi de l’intérieur» car «les sorciers s’en
prennent à leurs propres voisins et parents; ils ne s’attaquent
pas aux étrangers et aux personnes qui viennent de loin2».
Comparant la sorcellerie chez les Mkako du Cameroun et
chez les Bimin Kuskumin de Papouasie-Nouvelle-Guinée,
Elisabeth Copet-Rougier parvient à la même conclusion:
chez les premiers, le sorcier est un familier qui opère de l’inté­
rieur du groupe, alors que chez les seconds (comme souvent
en Mélanésie et en Asie du Sud-Est), c’est au contraire un
étranger extérieur au groupe3. En Afrique, la sorcellerie villageoise implique donc des parents, mais aussi parfois des
voisins ou des covillageois, qui se connaissent tous et se fréquentent. Les suspicions ou les accusations de sorcellerie
émergent sur fond de jalousies, rivalités et tensions interpersonnelles pré-existantes. Même lorsqu’il ne s’agit pas
d’une relation de parenté, la relation sorcellaire suppose une
interconnaissance: à défaut d’être une sorcellerie familiale, il
s’agit toujours au moins d’une sorcellerie familière. À propos
des Ibibio du Nigeria, Daniel Offiong note ainsi que sur
un échantillon de 52 accusations de sorcellerie recensées
entre 1978 et 1981, «il n’y a absolument aucun cas d’accusations entre étrangers, c’est-à-dire entre personnes ne s’étant
jamais rencontrées auparavant et n’étant pas déjà en conflit.
1. M. Douglas, «Introduction: thirty years after witchcraft, oracles and
magic», in M. Douglas (dir.), Witchcraft Confessions and Accusations, Londres,
Tavistock Publications, 1970, p. xiii-xxxviii, ici p. xxvii.
2. «The witch is the hidden enemy within the gate.» P. Mayer, «Witches»,
art. cit., p. 61 et p. 47.
3. E. Copet-Rougier, «L’altro, l’altro dell’altro e l’altro da sé. Rappresentazioni
della stregoneria, del cannibalismo e dell’incesto», in M. Bettini (dir.), Lo
straniero, ovvero l’identità culturale a confronto, Rome-Bari, Laterza, 1992,
p. 155-174.
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la sorcellerie dans tous ses états
Ce sont toujours des personnes en relation étroite qui sont
impliquées1».
Le vol de sexe se démarque de manière frappante de ce
schéma habituel de la sorcellerie familiale. D’une part, il
représente un phénomène exclusivement urbain. D’autre part
et surtout, il opère toujours hors de la sphère de parenté. Il
ne présuppose en outre aucun lien interpersonnel préexistant
entre le voleur et sa victime, mais implique au contraire invariablement des inconnus et, comme nous le verrons, souvent
même des étrangers. La sorcellerie familiale s’inscrit nécessairement dans une longue durée: accumulation des tensions
et du ressentiment, interprétation rétrospective d’infortunes
passées, répétition des attaques sorcellaires, consultation de
devins-guérisseurs pour se «blinder» et contre-attaquer.
Le vol de sexe suppose à l’inverse une durée beaucoup plus
courte: propagation fulgurante de la rumeur, brièveté de
la rencontre entre le voleur de sexe et sa victime, sanction
immédiate de la justice expéditive. La sorcellerie familiale
touche d’abord et avant tout l’espace domestique, puisqu’elle
est liée à la parenté et à la résidence: le sorcier enfouit des
mauvais sorts sous la porte du logis, empoisonne la nourriture du foyer et agresse les gens jusque dans leur lit. Les Maka
du Cameroun parlent ainsi de la «sorcellerie de la maison»,
djambe le njaw2. En revanche, le vol de sexe survient toujours
dans un espace public, notamment dans la rue: il suppose
l’anonymat des passants immergés dans le trafic urbain.
Autre différence significative, la sorcellerie familiale est essentiellement nocturne. Dans les langues bantu d’Afrique centrale, l’étymologie de plusieurs termes appartenant au champ
sémantique de la sorcellerie renvoie à la nuit et à l’obscurité.
Les sorciers ont d’ailleurs souvent la réputation de pouvoir se
transformer en panthère ou en hibou, prédateurs nocturnes
1. D.A. Offiong, «Social relations and witch beliefs among the Ibibio of
Nigeria», Journal of Anthropological Research, 39-1, 1983, p. 81-95, ici p. 90.
2. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit., p. 62.
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les voleurs de sexe
par excellence. Si le sorcier est un homme nocturne, c’est parce
que la nuit – temps du sommeil et lieu de l’obscurité – lui
permet d’agir dérobé au regard d’autrui et ainsi de ne pas être
reconnu par ses proches. La sorcellerie exige la dissimulation.
Le sorcier est coutumier des actions occultes et des agressions
à distance, généralement qualifiées de «mystiques» car elles
échappent au face-à-face1. Au Gabon, le sorcier attaque ses victimes à coups de «fusil nocturne» ou de «mine mystique». La
nuit venue, il sort de son corps et s’envole secrètement jusqu’au
chevet de ses proies, parfois à bord d’un «avion mystique» à
l’aide duquel il peut parcourir d’immenses distances presque
instantanément (et dont le carburant est composé du sang de
ses victimes). On raconte en outre que les sorciers s’acharnent
à faire échouer les projets d’électrification de leur village, de
peur de voir exposer en pleine lumière leurs manigances nocturnes. Le sorcier reste donc toujours invisible. C’est pourquoi
les affaires de sorcellerie sont avant tout des suspicions autour
d’actes et d’acteurs fondamentalement incertains.
À l’inverse, les vols de sexe se passent toujours en plein jour,
au vu et au su de tous. Ils impliquent en outre un contact
direct, une interaction bien réelle entre le voleur et sa victime,
le plus souvent un face-à-face. Fait inédit, dans le cas du vol de
sexe, le sorcier n’est donc plus une figure absente: il est bien
là, en face de sa victime. Cela n’est pas sans conséquence sur
l’accusation et ses suites. La sorcellerie familiale constitue une
transgression de la norme de la solidarité familiale: elle représente l’envers obscur de la parenté2. Le jour, les parents doivent
s’efforcer de sauver en public les apparences de la solidarité
lignagère, en évitant le conflit dans les interactions de face-àface. Mais la nuit venue, cédant aux jalousies, aux haines et aux
rancœurs, ils s’entre-dévorent. La sorcellerie manifeste ainsi
la violence dissimulée au sein de la parenté. Cette violence
1. J. Bonhomme, «Voir par-derrière. Sorcellerie, initiation et perception au
Gabon», Social Anthropology, 13-3, 2005, p. 259-273.
2. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit., p. 59.
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«mystique» représente toutefois une alternative à la violence
physique directe, une expression de la violence par d’autres
moyens. C’est pourquoi il est fréquent qu’il n’y ait pas de sanction directe contre le sorcier, ni même de véritable accusation
publique: la victime se contentera d’aller consulter un devinguérisseur afin de se «blinder» et de retourner l’agression
occulte contre son agresseur (ce qu’on appelle au Gabon un
«retour à l’envoyeur»). La violence mystique appelle donc en
représailles une autre violence mystique, mais rarement une
violence frontale. Par contraste, les vols de sexe supposent une
confrontation directe entre les deux protagonistes. L’accusation
est alors frontale et a lieu en public. Cela entraîne immédiatement une violence tout aussi directe et frontale, en l’occurrence le lynchage du présumé voleur de sexe par la foule.
Sphère sociale
Lieu
Espace
Temporalité
Relation
Acteurs
Situation
Identification1
Durée
Type d’interaction
Moyens d’action
Accusation
Représailles
Vecteur de diffusion
Échelle
Réseau2
Sorcellerie familiale
Vol de sexe
Familiale
Rural et urbain
Domestique
Nocturne
Parenté
Parents
Interconnaissance
Biographique
Longue
Dissimulation
Action à distance
Insinuations
Rares, indirectes
Ragot
Locale
Fermé sur lui-même
Extra-familiale
Urbain
Public
Diurne
Relations de trafic
Inconnus
Anonymat
Catégorielle
Courte
Face-à-face
Contact physique
Accusation frontale
Lynchage
Rumeur
Transnationale
Ouvert
1. Sur ce point, cf. infra p. 111-112.
2. Sur ces trois derniers points, cf. infra p. 125-126.
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les voleurs de sexe
En définitive, la sorcellerie familiale est la sorcellerie de
l’interconnaissance entre parents, alors que le vol de sexe
est la sorcellerie de l’anonymat urbain. Il est important de
noter que, dans les deux cas, elle est toujours fondée, non sur
d’extravagantes croyances exotiques, mais sur des préoccupations ordinaires. Menace reposant sur les expériences les plus
banales (parler, manger, saluer, toucher, dévisager, dormir), la
sorcellerie renvoie à la part occulte de la socialité. Les histoires
de sorcellerie constituent en effet une sorte de discours moral
qui révèle en négatif les normes interactionnelles qu’une
relation pacifique se doit de respecter. La menace sorcellaire
surgit donc généralement lorsqu’un individu se trouve dans
une situation de vulnérabilité ou d’insécurité interactionnelle1. Les représentations sorcellaires évoquent de manière
dramatique des situations d’interactions ordinaires minées
par une dangereuse asymétrie. La sorcellerie familiale est liée
à une dissimulation au sein d’une situation d’interconnaissance. Elle souligne que l’on peut toujours pâtir des agissements sournois de ses proches, car on ne sera jamais certain
de ce qu’ils font la nuit ou dans notre dos: la relation diurne
de réciprocité peut alors basculer dans une relation nocturne
de prédation. Elle illustre ainsi l’impossibilité d’une transparence absolue dans les rapports interpersonnels, y compris,
et peut-être même surtout, dans les situations de familiarité
maximale comme la parenté. Le vol de sexe est quant à lui
lié à un face-à-face en situation d’anonymat. L’insécurité
1. Depuis E.E. Evans-Pritchard, il est courant de penser la sorcellerie en
termes d’incertitude ou d’insécurité. Afin de rendre compte de l’obsession de
l’occulte dans l’Afrique contemporaine, Adam Ashforth propose le concept
d’«insécurité spirituelle» (spiritual insecurity): cf. A. Ashforth, Witchcraft,
Violence, and Democracy in South Africa, Chicago, The University of Chicago
Press, 2005. L’épithète «spirituel» a cependant l’inconvénient d’être particulièrement flou. Le concept d’insécurité interactionnelle me semble plus précis.
Il a en outre l’avantage de focaliser l’attention sur les situations d’interaction
plutôt que sur les seules représentations. Il conduit ainsi à une approche pragmatique plutôt que symbolique de la sorcellerie.
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la sorcellerie dans tous ses états
interactionnelle provient alors de l’incertitude qui pèse sur
ce type de rencontre: ignorant les intentions de l’inconnu,
on ne sait comment interpréter un geste anodin (tel un frôlement) ou un geste de solidarité (telles des salutations). Tout
contact avec lui peut se révéler potentiellement dangereux,
surtout s’il est à sa seule initiative, comme cela est toujours
le cas. Cela peut donc facilement tourner à la mauvaise rencontre: mieux vaut rester sur ses gardes.
L’accélération de l’exode rural dans la seconde moitié du
xxe siècle a considérablement multiplié les occasions de telles
rencontres anonymes – même si, bien entendu, cela fait des
siècles que les Africains ont l’occasion de croiser des inconnus,
que cela soit dans les cours royales, sur les marchés le long
des réseaux de commerce ou à l’occasion de déplacements
migratoires. En élargissant le champ de la sociabilité, l’exode
rural a du même coup élargi celui de la sorcellerie. Comme
le note Filip De Boeck à propos de Kinshasa, «puisque les
sources d’une possible sorcellerie sont souvent déconnectées
des relations familiales, le danger peut maintenant surgir de
n’importe où. On se fait ensorceler dans des endroits publics
tels que marchés et magasins et à travers des relations avec
des gens étrangers, anonymes1». On peut d’ailleurs avancer
une hypothèse concernant l’émergence de ces nouvelles
formes de sorcellerie: ces dernières apparaîtraient par mutation de formes préexistantes de sorcellerie constamment
«recalibrées» pour être adaptées à un nouvel environnement socioculturel. Chaque transposition induit alors une
série de déplacements (concernant les modalités de l’agression, les protagonistes, etc.). Ce modèle de la «mutation»
peut être étayé par certains faits. En novembre 2005, une
jeune Camerounaise cause la stupeur dans un bus de Douala
lorsqu’elle se met soudainement à crier qu’elle est victime d’un
1. F. De Boeck, M.-F. Plissart, Kinshasa. Récits de la ville invisible, op. cit.,
p. 203.
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«viol mystique»: «J’étais assise lorsque j’ai ressenti des fourmillements dans mon sexe. Mais aussi des sensations fortes
d’un acte sexuel. C’est alors que je me suis mise à crier, exactement comme si on était en train de me b… Tout le monde
s’est retourné pour me regarder, c’est alors que j’ai pointé du
doigt l’accusé qui rangeait sa verge dans son pantalon1.» La
jeune femme est tremblante de peur et l’accusé est finalement
conduit au commissariat où il est placé en garde à vue, malgré
l’absence de preuve tangible. Il ne s’agit pas d’un cas isolé:
les chauffeurs de bus de Douala dénoncent la récurrence des
viols mystiques dans leur véhicule. Ce viol mystique n’est pas
sans ressemblance avec le vol de sexe, dont il constitue en
quelque sorte une variante féminine. Certes, le viol mystique
implique des personnes de sexe différent, contrairement à la
majorité des vols de sexe. Mais les deux formes de sorcellerie
se recoupent sur de nombreux points: focalisation sur les
organes génitaux, accusation d’un inconnu, contexte du trafic
urbain et des transports collectifs, ancrage sur une expérience
somatique et émotionnelle liée à la peur (c’est la sensation
étrange éprouvée par la jeune fille associée à la perception du
geste suspect de l’inconnu qui déclenche l’imputation sorcellaire). Or, le viol mystique semble bien être le résultat d’une
transposition d’une forme préexistante de sorcellerie hors du
cercle familial. Il est en effet rapproché, par les intéressés euxmêmes, des histoires d’incubes – parfois appelés «maris de la
nuit» – qui tourmentent les femmes à la faveur de cauchemars érotiques (rêves de viol notamment) et qui sont souvent
liés à des suspicions de sorcellerie à l’intérieur de la famille.
Étant donné la proximité entre viol mystique et vol de sexe,
on peut alors conjecturer que le second procède également
d’une extension du domaine de la sorcellerie au-delà du cercle
familial par mutation de formes préexistantes. L’apparition
1. D. Bela, «Insolite: viol mystique dans un bus à Douala», Mutations,
12 juillet 2005; H. Bangré, «Cameroun: “Il m’a couchée dans la sorcellerie!”», Afrik.com, 13 juillet 2005.
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la sorcellerie dans tous ses états
du vol de sexe au début des années 1970 au Nigeria pourrait
ainsi résulter de la transformation d’une forme de sorcellerie
traditionnellement focalisée sur le sexe qui aurait été adaptée
à l’environnement du trafic urbain, dans un contexte où les
rencontres entre inconnus deviennent particulièrement sen­
sibles, peut-être du fait des tensions interethniques engendrées par la guerre du Biafra (1967-1970).
Par rapport à la sorcellerie familiale, le vol de sexe représente
donc une sorcellerie «nouveau style», une forme de sorcellerie caractéristique de la modernité urbaine1. Il est loin d’être
unique en cela: le vol de sexe n’est en effet ni la seule ni surtout
la première de ces formes inédites de sorcellerie qui échappent
au cercle familial. Depuis le début des années 1990, tout un
courant anthropologique a renouvelé les études africanistes
en insistant sur l’irréductible modernité de la sorcellerie africaine2. Partant du principe que la modernité s’accompagne
d’un «désenchantement du monde», les ethnologues ont
pendant longtemps pensé que les religions autochtones et
la sorcellerie représentaient les survivances culturelles d’une
Afrique villageoise traditionnelle inéluctablement vouée à disparaître. Cette croyance les poussait à consigner dans l’urgence
ces coutumes dans leurs monographies savantes. L’histoire
les a pourtant contredits. Aux quatre coins de l’Afrique, les
observateurs continuent de relever l’entêtante persistance de
la sorcellerie. Cette permanence s’accompagne en outre de la
1. F. De Boeck, M.-F. Plissart, Kinshasa. Récits de la ville invisible, op. cit.
p. 203.
2. J. Comaroff, J.L. Comaroff, Modernity and its Malcontents: Ritual and
Power in Postcolonial Africa, op. cit.; id., «Occult economies and the violence
of abstraction: notes from the South African postcolony, art. cit.; D. Ciekawy,
P. Geschiere (dir.), «Containing witchcraft», art. cit.; P. Geschiere, Sorcellerie
et Politique en Afrique, op. cit.; F. Bernault, J. Tonda (dir.), «Pouvoirs sorciers», Politique africaine 79, 2000; H.L. Moore, T. Sanders (dir.), Magical
Interpretations, Material Realities. Modernity, Witchcraft and the Occult in
Postcolonial Africa, Londres, Routledge, 2001; B. Meyer, P. Pels (dir.), Magic
and Modernity. Interfaces of Revelation and Concealment, Stanford, Stanford
University Press, 2003.
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les voleurs de sexe
prolifération de formes inédites de sorcellerie et de nouveaux
rituels ­thérapeutico-religieux dans les grands centres urbains,
davantage encore que dans un monde rural pourtant supposé
plus attaché à ses traditions. Les citadins africains évoquent
d’ailleurs eux-mêmes une inquiétante recrudescence de la sorcellerie, opinion révélatrice même si elle s’avère en réalité fort
difficile à quantifier, comme l’avait déjà noté Mary Douglas1.
Pour de nombreux chercheurs africanistes, c’est bien la preuve
que la sorcellerie africaine contemporaine ne relève pas d’une
analyse exclusive en termes de tradition, mais doit plutôt être
replacée dans l’histoire d’une modernité coloniale et post­
coloniale constituée par des flux socioculturels de plus en plus
globalisés. Non seulement elle s’épanouit dans des contextes
modernes, mais elle concerne en réalité fondamentalement la
modernité elle-même: les discours sur la sorcellerie constitueraient en effet une sorte de «métacommentaire à propos du
projet profondément ambivalent de la modernité» tel qu’il
est vécu et pensé par les Africains2. «Modernité de la sorcellerie» et «sorcellerie de la modernité» sont ainsi rapidement
devenues des tropes dominants dans les études africanistes
contemporaines.
L’économie et la politique – deux secteurs de la vie sociale
profondément bouleversés par les changements liés à l’histoire coloniale et postcoloniale – constituent les deux thèmes
majeurs sur lesquels les études se sont focalisées pour illustrer
cette thèse de la modernité sorcellaire en Afrique. La sorcellerie se trouve ainsi intimement associée à l’exercice du pouvoir politique dans le cadre de l’État moderne3. Harry West
1. M. Douglas, «Introduction: thirty years after Witchcraft, Oracles and
Magic», art. cit., p. xx.
2. T. Sanders, «Reconsidering witchcraft: postcolonial Africa and an lytic (un)certainties», American Anthropologist, 105-2, 2003, p. 338-352, ici
p. 339.
3. M. Rowlands, J.-P. Warnier, «Sorcery, power, and the modern State
in Cameroon», Man, 23-1, 1988, p. 118-132; P. Geschiere, Sorcellerie et
Politique en Afrique, op. cit.; D. Ciekawy, «Witchcraft in statecraft: five tech-
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la sorcellerie dans tous ses états
montre par exemple comment le langage de la sorcellerie a
constitué au Mozambique un idiome privilégié pour appréhender le pouvoir et les profondes transformations qu’il a
subies depuis le début du xxe siècle, de la colonisation portugaise à la nouvelle gouvernance démocratique en passant par
la guérilla marxiste1. Mais la sorcellerie est également liée à
l’économie moderne. Son langage sert à penser – et souvent
critiquer – les nouvelles formes d’accumulation de richesses.
La rumeur des zombies en représente un bon exemple: des
sorciers sont suspectés de transformer leurs victimes en zombies afin de les faire travailler à leur profit. Certains lieux sont
même réputés abriter des camps de travail invisibles où sont
exploitées des cohortes de zombies serviles. Probablement
apparue au cours du premier tiers du xxe siècle, cette rumeur
a provoqué de véritables paniques au Cameroun et dans plusieurs autres régions d’Afrique2. Reposant sur une conversion
magique de la force de travail humaine en biens matériels, cette forme inédite de sorcellerie constitue un mode
­d’explication des nouvelles stratégies d’enrichissement (mais
aussi une évocation de la traite négrière ou encore du travail
forcé dans les plantations à l’époque coloniale): le sorcier est
en effet censé «vendre» sa victime qui dépérit puis meurt,
tandis que lui s’enrichit sans raison apparente. Les Douala du
Cameroun affirment d’ailleurs que cette nouvelle forme de
sorcellerie, appelée ekong, s’est répandue à la faveur du salariat
et de ­l’afflux d’argent qu’il a entraîné3. La modernité économique et politique s’accompagne ainsi en Afrique d’une
inquiétante extension du domaine de l’occulte.
nologies of power in colonial and postcolonial coastal Kenya», African Studies
Review, 41-3, 1998, p. 119-141.
1. H.G. West, Kupilikula. Governance and the Invisible Realm in Mozambique,
Chicago, University of Chicago Press, 2005.
2. P. Geschiere, Sorcellerie et Politique en Afrique, op. cit., p. 173-217;
J. Comaroff, J.L. Comaroff, «Alien-nation: zombies, immigrants, and millennial capitalism», The South Atlantic Quarterly, 101-4, 2002, p. 779-805.
3. E. de Rosny, Les Yeux de ma chèvre, op. cit., p. 97-111.
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Manipulateur occulte des ficelles de l’État ou entrepreneur
enrichi par des zombies, le sorcier incarnerait par conséquent
la figure d’une modernité menaçante. Comme le soulignent
Jean et John L. Comaroff, la sorcellerie serait ainsi particulièrement apte à exprimer un «malaise dans la modernité1». Le
diagnostic est très certainement juste. Il ne doit toutefois pas
faire oublier qu’elle peut également concerner les «choses de
la tradition», y compris dans des contextes contemporains2.
Sorcellerie «traditionnelle» et sorcellerie «moderne» sont
des idéaux-types auxquels il ne faut pas donner une signification directement chronologique. En effet, ces deux termes
­désignent moins des périodes qui se succéderaient (même
avec des transitions) que des niveaux d’échelle qui s’articulent
de manière contemporaine. Ainsi, en ville peuvent coexister
une sorcellerie familiale «traditionnelle» et des rumeurs de
sorcellerie plus «modernes» comme celles des zombies ou
du vol de sexe. Ces deux formes de sorcellerie peuvent même
parfois s’imbriquer l’une dans l’autre, comme lorsqu’un
sorcier est suspecté de transformer ses propres parents en
zombies. On peut en outre regretter que les analyses sur la
modernité sorcellaire reposent parfois sur une articulation
un peu trop lâche entre le local (les phénomènes étudiés) et
le global (qui sert de cadre explicatif )3. De là le niveau de
généralité très abstrait de leur diagnostic: les représentations
sorcellaires contemporaines exprimeraient l’attitude ambivalente des habitants du continent africain face à la mondialisation, la modernité, l’individualisme ou encore le capitalisme
néo-libéral. Insister sur la nécessité de replacer la sorcellerie
dans le contexte d’une modernité globalisée ne doit pas pour
1. J. Comaroff, J.L. Comaroff, Modernity and its Malcontents, op. cit.,
p. xxix.
2. T. Sanders, «Reconsidering witchcraft: postcolonial Africa and analytic
(un)certainties», art. cit.
3. S.F. Moore, «Reflections on the Comaroff lecture», American Ethnologist,
26-2, 1999, p. 304-306.
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autant servir de prétexte pour convertir l’anthropologie à une
macro-sociologie abstraite au détriment de la méthode ethnographique et de son art du détail1. Face à cette analyse
sociologique, l’approche interactionniste offre une échelle
sans doute plus adéquate pour caractériser finement les phénomènes et leurs causalités. Nous avons ainsi cherché dans
les détails de la situation locale ce qui était précisément en
jeu dans la rumeur. Il en ressort que le vol de sexe exprime
moins un malaise dans la modernité qu’un malaise dans
­l’interaction, et même dans un type très précis d’interaction
urbaine: les relations de trafic. Ce dont il est question ici,
c’est moins d’une angoisse diffuse devant la modernité que,
très concrètement, du champ possible des interactions dans
lesquelles chacun peut être pris. Comme l’a bien souligné
Luise White, les rumeurs de sorcellerie offrent en définitive
de «nouveaux imaginaires pour de nouvelles relations 2».
1. H. Englund, J. Leach, «Ethnography and the meta-narratives of mode nity», Current Anthropology, 41-2, 2000, p. 225-248.
2. L. White, Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa,
op. cit., p. 22.
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tc à changer
Danger ne pas saluer
Le vol de sexe repose sur la rencontre d’un individu avec
un inconnu dans un espace public urbain. Cette rencontre
provoque une réaction de peur qui elle-même entraîne une
réaction agressive des passants alentour – l’intense diffusion
préalable de la rumeur servant de catalyseur qui précipite les
événements. Ce sont les poignées de main entre inconnus qui
font l’objet des inquiétudes les plus vives, au point de susciter
de nouvelles conduites d’évitement systématique des salutations. La rumeur des vols de sexe a donc des conséquences
sociales bien réelles: elle infléchit, au moins temporairement,
les normes qui règlent les rapports interpersonnels. Tous les
commentaires des victimes, des personnes interrogées par la
presse et des journalistes insistent clairement sur ce point.
Pour se protéger du vol de sexe, certains s’en remettent aux
amulettes portatives couramment utilisées contre les sorciers:
«“Maintenant, chacun prend ses précautions…”, précise ce
fonctionnaire tout en avouant porter désormais sur lui quelques “fétiches” et autres “gris-gris” pour se protéger de ces
individus aux pouvoirs surnaturels1.» Au Cameroun et au
Nigeria, en 2009, on raconte par exemple qu’avoir sur soi
du charbon, un piment ou une épingle protégerait du vol
1. «La capitale pétrolière du Gabon dans la psychose des “voleurs de sexe”»,
AFP (Libreville), 27 mars 2001.
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les voleurs de sexe
de sexe1. Mais, face à la menace inédite des voleurs de sexe,
les fétiches constituent une méthode de protection bien trop
incertaine. Mieux vaut alors tout simplement éviter les salutations. Au Gabon, un journaliste recommande ainsi: «D’ici là,
que conseiller aux habitants de Port-Gentil? Sinon de garder
les mains dans les poches, et d’éviter toutes poignées de main
intempestives. Leurs amis ne sont peut-être pas ceux qu’ils
croient2.» «Depuis que j’ai appris cette histoire-là, je rappelle
tous les jours à mon mari et mes fils de ne plus saluer les gens
n’importe comment», confirme une femme3. L’inquiétude
est si vive que «les Port-Gentillais veillent en marchant à ne
plus frôler des inconnus. Quant aux poignées de main, elles
sont désormais bannies, excepté entre proches parents ou
vieux amis4.» Au Mali, les journaux avertissent de même:
«Donc population de la capitale, attention! Ne serrez pas la
main de quelqu’un que vous ne connaissez pas au risque de
vous exposer à des désagréments comme vient de connaître
notre confrère5.» C’est le même scénario au Niger: «Cette
situation fait aujourd’hui qu’on ne se serre plus la main à
Agadez6.» Ou alors «de nombreuses personnes pour se saluer
se contentent de lever les mains» afin d’éviter tout contact
direct7. L’angoisse est si vive qu’elle remet en cause jusqu’aux
préceptes religieux: la rumeur des vols de sexe «a fini par
envahir même les mosquées où les fidèles hésitent à se serrer
la main après la prière, comme recommandé par la sunna
1. M. Patsoko, «Disparition des sexes dans le grand Nord», Journal
du Cameroun.com, 24 février 2009; Tadaferua Ujorha, «Alarming rise of
­violence-related “genital theft”», Weekly Trust, 11 juillet 2009.
2. «Psychose gabonaise du zizi rikiki. Les voleurs de sexes», art. cit.
3. «Des avis très mitigés!», propos recueillis par A. Ondoubas, L’Union,
18 juin 1997.
4. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit.
5. I. Sidibé, «Un journaliste victime de rétrécissement de sexe», art. cit.
6. A. Bianou, «Des “voleurs de sexes” sèment la panique à Agadez», AïrInfo, n° 14-15, avril-mai 2004.
7. «Niger: de folles rumeurs lancent les habitants de Niamey à l’assaut de
supposés “voleurs de sexe”», APA (Niamey), 23 mars 2007.
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danger ne pas saluer
du prophète Mohamed1». La tension est ici maximale entre
la communion entre fidèles qu’expriment habituellement les
poignées de mains et la salutation traîtresse des voleurs de
sexe. En Gambie, «en raison de cette affaire, il a été annoncé
en septembre 2002 que les populations, notamment les jeunes
hommes, devaient dorénavant être très vigilants à l’égard des
personnes auxquelles ils serrent la main. Par sécurité, beaucoup de jeunes hommes se promènent désormais dans les rues
avec leurs mains dans les poches2». Au Nigeria, un observateur note même que «dans les rues de Lagos, on peut voir
les hommes agrippant leur sexe, parfois ouvertement parfois
discrètement à travers leurs poches de pantalons. Les femmes
soutiennent leurs seins, parfois ouvertement parfois discrètement en croisant leurs bras sur leur poitrine. On raconte que
l’inattention et une faible volonté facilitent le vol du pénis ou
des seins. La vigilance et l’agression préventive [anticipatory
aggression] sont réputées être la meilleure prophylaxie3». Au
Soudan enfin, un journaliste avertit lui aussi: «Je considère
comme étant mon devoir d’informer toutes les personnes
venant au Soudan de s’abstenir de serrer la main à un homme
à la peau noire. Et comme au Soudan tout le monde est noir,
mieux vaut éviter de serrer la main d’un inconnu4.» Dans la
presse soudanaise, deux caricatures évoquent le sujet. Dans la
première, un homme serre la main d’un autre à l’aide d’une
prothèse en disant: «Mieux vaut prévenir que guérir.» Dans
la seconde, un manchot s’exclame: «Dieu merci! Je ne serre
la main de personne et personne ne me la serre.»
La morale que les intéressés tirent eux-mêmes de cette
affaire de vols de sexe concerne les normes de la sociabilité
1. Ibid.
2. M. Legally-Cole, «Gambia: reports of “penis snatching” on the increase»,
Expo Times, 13 septembre 2002.
3. S.T.C. Ilechukwu, «Magical penis loss in Nigeria: report of a recent
epidemic of a koro-like syndrome», art. cit., p. 96.
4. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises
disappear», art. cit.
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ordinaire. En effet, tous les commentaires mettent en avant la
distinction entre inconnus et familiers, entre sphère publique
et sphère intime. Ne saluez pas les étrangers dans la rue! Ne
vous comportez pas avec les inconnus comme vous le feriez
avec des connaissances! Au Soudan, alors que la plupart des
cas de vol de sexe impliquent une poignée de main, une
occurrence singulière se démarque du scénario majoritaire:
sur un marché, un inconnu aborde un quidam et lui donne
un peigne en lui demandant de se brosser les cheveux avec;
c’est lorsque l’homme obtempère que son pénis disparaît. Le
vol de sexe repose ici sur l’imposition d’un contact physique
avec un objet intime appartenant à un étranger. Le journaliste qui rapporte l’affaire a d’ailleurs ce commentaire révélateur: «Quel idiot! Comment peut-on se brosser la tête avec
le peigne d’un inconnu, alors que même des parents évitent
normalement d’utiliser le même peigne1!» Comme dans les
cas plus typiques, on retrouve donc la même superposition
dangereuse entre l’intime et l’étranger.
Il est intéressant d’opérer ici un rapprochement avec une
autre rumeur qui a circulé à plusieurs reprises depuis les années
1980, notamment au Cameroun, au Gabon et au Congo.
Une femme, toujours une inconnue, se présente chez des
gens pour leur demander un verre d’eau (mais parfois aussi
pour aller aux toilettes). Ceux qui lui offrent à boire décèdent
mystérieusement peu de temps après. La rumeur touche une
première fois le Cameroun en 1984: il se dit que la sorcière
pourrait être une Mami Wata (génie aquatique féminin souvent associé à l’image de la sirène et que l’on retrouve très
largement en Afrique). L’année suivante, la rumeur atteint
le Gabon, puis Brazzaville, où l’on raconte d’ailleurs que la
femme serait d’origine gabonaise. Outre refuser de donner
à boire à l’inconnue, la seule parade efficace consisterait à
verser de la cendre devant le seuil de sa maison ou bien à y
1. Ibid.
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accrocher des rameaux de palmier (ornements traditionnels
des mariages et des funérailles, les palmes auraient aussi le
pouvoir d’éloigner les mauvais esprits). La panique collective
est si forte qu’en quelques jours on voit des rameaux faire leur
apparition dans tous les quartiers. La même rumeur frappe à
nouveau plusieurs villes du Cameroun une vingtaine ­d’années
plus tard, en octobre 2007. On raconte cette fois-ci que la
sorcière serait une vieille femme qui porterait la plupart du
temps un bébé sur son dos1. À Ebolowa, on précise même
qu’elle s’appelle «Maman Martha». Plusieurs femmes correspondant à la description de la «mamie tueuse» manquent
d’être lynchées dans des quartiers où elles sont de passage. Le
même mois, la mystérieuse femme est également de retour
au Gabon: elle viendrait de Lambaréné et se dirigerait vers
Libreville. On raconte alors qu’il faut lui servir de l’eau salée
pour éviter la mort. La rumeur est relayée par les médias et
sème la panique. Mais heureusement, l’inconnue épargne la
capitale et, pour une raison mystérieuse, arrête son périple
meurtrier à Ntoum, à une trentaine de kilomètres à peine
de Libreville. Évoquant l’épisode congolais de 1985, Joseph
Tonda interprète la rumeur en lien avec l’épidémie de sida: la
femme venue d’ailleurs représenterait le virus mortel transmis
en échange de l’eau qui serait un équivalent symbolique du
sperme2. Il me semble pourtant hasardeux d’attribuer un sens
symbolique caché à la rumeur. Mieux vaut s’en tenir aux significations premières des événements afin de dégager les enjeux
de la rumeur. Offrir de l’eau à un étranger constitue l’une
des règles élémentaires de l’hospitalité en Afrique centrale.
C’est même habituellement le premier geste que l’on fait à
1. P. Ngo Ngouem, «Panique: l’arbre de la paix, antidote de la vieille
femme», Mutations, 2 octobre 2007; «La folle rumeur de la mamie tueuse»,
Cameroun Tribune, 3 octobre 2007; «La sorcière de Douala: un serpent de
mer», Le Messager, 5 octobre 2007; «Ebolowa: une femme fantôme sème la
panique», La Nouvelle Expression, 17 octobre 2007.
2. J. Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale
(Congo, Gabon), op. cit., p. 193-194.
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l’arrivée d’un visiteur. La rumeur évoque ainsi une inconnue
qui pénètre dans l’espace domestique pour trahir l’hospitalité de ses hôtes de circonstance: en échange de l’eau, elle
donne la mort. La seule solution pour se protéger est donc
de lui refuser cette hospitalité minimale: ne pas lui offrir à
boire, ou bien lui servir une eau salée imbuvable. La morale
de cette rumeur qui met en scène l’hospitalité trahie est donc
sensiblement la même que celle du vol de sexe (même si la
rencontre a lieu au seuil de l’espace domestique et non dans
l’espace public): il convient de se méfier des inconnus qui
viennent vous solliciter.
Incitant à rester sur ses gardes, ces deux rumeurs contribuent ainsi à infléchir les normes communes de la sociabilité ordinaire. Tous les commentaires au sujet du vol de sexe
recommandent en effet l’évitement systématique des étrangers. Ils vont même jusqu’à préconiser, outre la vigilance, une
certaine forme d’agressivité préventive à l’égard des inconnus.
Ces recommandations évoquent, de manière frappante, les
normes de conduite qui régissent le trafic urbain dans les
métropoles occidentales. Georg Simmel évoque ainsi la
«légère aversion» qui, de manière latente, pousse le citadin
à tenir autrui à distance1. Cette réserve interactionnelle est
toutefois un trait de comportement bien plus euro-américain
qu’africain. Cette urbanité ou civilité qui définit étymologiquement l’esprit citadin est née dans les cours royales européennes, avant d’être approfondie dans la société bourgeoise
des grandes villes2. Passant par une autodiscipline des affects,
ce «processus de civilisation» impose une distance policée à
autrui. En Europe comme en Amérique du Nord, les convenances veulent en effet que les contacts entre étrangers restent
aussi limités que possible. L’attitude par défaut pour gérer la
1. G. Simmel, «Les grandes villes et la vie de l’esprit» (1903), art. cit.,
p. 242.
2. N. Elias, La Civilisation des mœurs (1939), Paris, Calmann-Lévy, 1973,
p. 77-120.
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coprésence dans l’espace public est faite d’inattention civile et
d’indifférence polie. Accoster un inconnu dans la rue ne se fait
pas: cela constitue une infraction, même minimale, aux règles
de la réserve entre inconnus et nécessite donc habituellement
ce rituel de réparation presque anodin que sont les excuses
préliminaires (sur le mode «Excusez-moi de vous déranger,
mais pourriez-vous…»). De même, saluer sans raison les passants paraîtrait incongru. Aux États-Unis plus encore qu’en
Europe, tout contact visuel un peu soutenu sera même perçu
comme malpoli voire agressif. Mais ces normes de civilité ne
sauraient être trop rapidement généralisées. C’est même l’une
des critiques couramment adressées à la sociologie d’Erving
Goffman: l’interactionnisme symbolique aurait tendance à
tenir pour universel le comportement des classes moyennes
urbaines blanches d’Amérique du Nord. Si l’urbanisation est
assurément un phénomène universel qui engendre un mode
spécifique de sociabilité, celui-ci se décline toutefois différemment selon les cultures et les époques: on n’est pas citadin de
la même façon à Berlin, Chicago, Lagos ou Dakar. Ainsi, la
réserve entre inconnus n’est pas une norme aussi intangible
dans les villes africaines que dans les métropoles occidentales. Il ne s’agit pas de réactiver ici les clichés d’une Afrique
chaleureuse mais indisciplinée face à un Occident froid mais
civilisé. Je ne cherche pas non plus à ressusciter l’opposition
trop générale entre cultures du contact et cultures de l’évitement1: au sein d’une même culture, la distance à autrui
varie en réalité considérablement en fonction de nombreux
paramètres sociaux (lieux, personnes en présence, sexe, âge,
statut, etc.). Je n’insinue pas, enfin, que les nouveaux citadins africains seraient des «étrangers à la ville» qui n’auraient
pas encore intériorisé l’ethos urbain et continueraient de
se comporter comme des villageois2. Comme le faisait très
1. E.T. Hall, La Dimension cachée, Paris, op. cit., chapitres 11-12.
2. L. Plotnicov, Strangers to the City. Urban Man in Jos, Nigeria, Pittsburg,
University of Pittsburg Press, 1967.
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justement remarquer Max Gluckman, «un citadin africain
est un citadin1». L’émergence de la rumeur des vols de sexe
ne représente donc pas le symptôme d’une transition instable
entre un mode de vie villageois (supposément fondé sur le
contact) et un mode de vie urbain (supposément fondé sur
la distance). Il n’en reste pas moins que les normes africaines
de la sociabilité urbaine imposent moins la distance entre
étrangers que les normes euro-américaines. Il est ainsi plus
facile – et plus commun – d’accoster un inconnu à Libreville
ou à Bamako que dans le métro parisien ou les rues de New
York2. Cela s’accompagne d’un refus actif de l’anonymat que
l’anthropologue congolais Augustin-Marie Milandou a bien
mis en lumière dans les quartiers populaires de Brazzaville:
«Dans un autobus, ou un taxi, on ne peut pas accomplir un
long trajet sans qu’à un moment ou à un autre on ne vous
parle. […] Comme le villageois, l’homme de la ville éprouve
un grand malaise à rester indifférent à la présence de l’autre,
fût-il un inconnu; il doit lui parler. Il est un maître dans l’art
de se faire des amis et des relations. […] Et quand il a malgré
tout affaire à un inconnu, le Brazzavillois des milieux populaires a une technique très efficace: la parenté affirmée et instaurée instantanément3.» De la même manière, au Gabon,
deux inconnus qui se croisent pour la première fois cherchent
habituellement à se trouver des liens de parenté – même fictifs – afin de recréer de l’interconnaissance. Le grand-père
de l’un s’avérera par exemple être du même clan que son
1. M. Gluckman, «Tribalism in modern British Central Africa», Cahiers
d’études africaines, 1-1, 1960, p. 55-70, ici p. 57.
2. Dans une séquence du documenteur Borat (2006), le comique prov cateur Sacha Baron-Cohen se fait passer pour un étranger peu au fait des
coutumes locales qui cherche à saluer des inconnus dans le métro et les rues
de New York. Les passants désarçonnés réagissent très vivement: affolés, ils
fuient, hurlent «Ne me touchez pas!» ou deviennent immédiatement agressifs. Cela illustre particulièrement bien l’extrême sensibilité nord-américaine
aux contacts physiques entre inconnus.
3. A.-M. Milandou, «“Type connu! Qui ne le connaît pas?” Anonymat et
culture à Brazzaville», L’Homme, 141, 1997, p. 119-130, ici p. 124-125.
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interlocuteur, ce qui fait de lui son grand-père classificatoire.
Les ­correspondances claniques interethniques démultiplient
encore les possibilités de cette «parenté opportuniste» qui
permet virtuellement à un individu de n’être nulle part un
étranger. À l’époque précoloniale, ce système de correspondances claniques servait d’ailleurs déjà aux commerçants
itinérants pour trouver des familles d’accueil lors de leurs
déplacements dans des villages éloignés1. L’interconnaissance
est non seulement valorisée, mais elle est également suscitée
à travers un engouement pour les rencontres. En outre, les
contacts physiques entre étrangers dans l’espace public ne
font pas l’objet d’un évitement systématique. Enfin et surtout, il est tout à fait courant de saluer et même de serrer la
main d’un parfait inconnu2. À l’inverse, la distance, la froideur et l’anonymat sont perçus de manière péjorative par
les Africains comme un comportement typique des Blancs.
Rosalind Shaw note par exemple que chez les Temne de Sierra
Leone, le «terme utilisé pour désigner le mode de vie européen
ou occidental (ma-potho) renvoie en fait à tout un ensemble
de comportements jugés antisociaux: vivre en solitaire, saluer
de façon trop précipitée, ne pas engager la conversation, ne
pas rendre visite à autrui3». En somme, on s’aborde, on se
salue, on se touche et on se parle assez facilement dans les
métropoles africaines.
La rumeur des vols de sexe n’en apparaît que plus frappante: elle encourage le maintien d’une distance entre
étrangers qui ne va pas véritablement de soi. Elle incite ainsi
les citadins africains à se comporter comme des passants
1. G. Dupré, «Le commerce entre sociétés lignagères: les Nzabi dans la
traite à la fin du xixe siècle (Gabon-Congo)», Cahiers d’études africaines,
12-4, 1972, p. 616-658, ici p. 629.
2. O.G. Nwoye, «An ethnographic analysis of Igbo greetings», art. cit.,
p. 47.
3. R. Shaw, «The production of witchcraft / witchcraft as production:
memory, modernity, and the slave trade in Sierra Leone», American Ethnologist,
24-4, 1997, p. 856-876, ici p. 860-861.
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anonymes au milieu d’autres passants anonymes. Il faut tout
à coup cesser de saluer les inconnus, comme si c’était là une
mauvaise habitude qui ne convenait pas à la vie urbaine. Sur
le même registre, la rumeur de la femme sollicitant un verre
d’eau incite également à remettre en question les règles de
l’hospitalité envers les étrangers. Ces deux rumeurs résistent
par conséquent à une explication fonctionnaliste, telle celle
que l’anthropologie britannique des années 1950 et 1960
a amplement appliquée à la sorcellerie africaine1. Selon le
paradigme fonctionnaliste, la sorcellerie encouragerait le
conformisme des individus (qui cherchent à éviter d’être la
cible d’accusations) et réaffirmerait ainsi les valeurs morales
du groupe2. Apologues édifiants, les histoires de sorcellerie
stigmatisent en effet les comportements déviants. Le sorcier solitaire et égoïste transgresse les normes de la solidarité
lignagère et son idéologie égalitariste; le sorcier incestueux et
homosexuel, les normes de la sexualité; le sorcier cannibale,
les normes de la commensalité. La réprobation unanime
de la sorcellerie conduit par conséquent à un renforcement
fonctionnel des valeurs collectives. Les affaires de vol de sexe
ou de mamie tueuse ne se satisfont cependant pas d’une telle
explication, puisqu’elles amènent au contraire les intéressés
à remettre en question leurs propres normes de conduite.
Instaurant un sentiment d’insécurité inédit, elles interrogent de manière inquiète les normes habituelles de la sociabilité ordinaire. Max Gluckman souligne que les situations
de «crise morale», dans lesquelles des règles et des valeurs
sociales différentes poussent les individus à des actions
opposées, offrent un terreau favorable aux accusations de
1. Pour une critique de l’explication fonctionnaliste, cf. M. Augé, Théorie
des pouvoirs et idéologie: étude de cas en Côte d’Ivoire, Paris, Hermann, 1975,
chapitre iv. L’auteur souligne la diversité contradictoire des fonctions sociales
communément attribuées à la sorcellerie.
2. M. Gluckman, «The logic in witchcraft», in Custom and Conflict in
Africa, Oxford, Blackwell, 1955, p. 81-108.
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sorcellerie1. Le vol de sexe semble bien lié à une telle situation
de crise morale. Il faut cependant se garder de céder au finalisme spécieux qui sous-tend le raisonnement fonctionnaliste:
la crise morale apparaît davantage comme une conséquence
de la rumeur que comme sa cause première. Le témoignage
émouvant de ce citadin togolais le montre bien: écartelé entre
sa résolution de s’abstenir de saluer par crainte des voleurs de
sexe et l’exigence de satisfaire aux obligations de salutation
par crainte d’être désobligeant, l’homme est confus et ne sait
plus guère comment se comporter dans la rue2. Ces rumeurs
aboutissent en définitive à une mise à l’épreuve des normes
du groupe: elles constituent un test sur les valeurs3. Soumise
aux aléas et aux dangers inhérents aux rencontres avec des
inconnus, la sociabilité urbaine se révèle traversée par une
tension vive entre le contact et l’évitement. La recommandation d’évitement des étrangers ne résiste cependant pas
à la préférence pour le contact, son coût social étant trop
élevé pour se maintenir longtemps (devoir en permanence se
méfier de tout le monde est vite intenable). C’est pourquoi
les salutations reprennent dès que la panique retombe.
De ce point de vue, les Free Hugs représentent l’écho inversé
des vols de sexe. Le principe de ces «accolades gratuites»
consiste à se placer dans un espace public et à proposer aux
passants une étreinte amicale. Ce geste de bienveillance gratuite est censé fournir un remède à l’individualisme froid et
égoïste des grandes villes. Afin de neutraliser la peur d’être
accosté par un étranger, les bénévoles brandissent tout de
1. M. Gluckman, «Moral crises: magical and secular solutions», in
M. Gluckman (dir.), The Allocation of Responsibility, Manchester, Manchester
University Press, 1972, p. 1-50, ici p. 2.
2. Koussou Kodjo, «Disparition de sexes au Togo, mise en scène ou ré lité?», Radio Lomé, 2005.
3. Sur le scandale public comme test sur les valeurs, cf. E. de Dampierre,
«Thèmes pour l’étude du scandale», Annales, 9-3, 1954, p. 328-336 ; D. de
Blic, C. Lemieux, «Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique», Politix, 18-71, 2005, p. 9-38.
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même un panneau affichant en grosses lettres leurs intentions.
Lancée pour la première fois dans un centre commercial à
Sydney en 2004, cette initiative s’est ensuite très largement
répandue dans les grandes métropoles nord-américaines et
européennes, mais aussi asiatiques, notamment par le biais
de vidéos diffusées sur internet. L’idée a été depuis reprise
par la publicité, notamment dans un film contre la stigmatisation des séropositifs. Mais quel lien peut-il y avoir entre
ces Free Hugs et les vols de sexe? Ce rapprochement entre des
faits sociaux relevant d’aires culturelles fort différentes est en
réalité moins incongru qu’il n’y paraît au premier abord. Le
succès culturel des Free Hugs et des vols de sexe tient ainsi
au fait qu’ils remettent tous les deux en question – l’un sur
le mode de la provocation ludique, l’autre sur le mode de la
rumeur panique – les normes de la sociabilité ordinaire en se
polarisant sur la tension entre contact et évitement dans le
trafic urbain. Les Free Hugs mettent la norme occidentale de
la réserve à l’épreuve du contact, alors que le vol de sexe met la
norme africaine du contact à l’épreuve de la réserve. Comme
le notait déjà Robert Ezra Park en 1929, la ville constitue en
définitive un véritable «laboratoire» de nouvelles relations
sociales1. Lieu de mise à l’épreuve, d’invention et de réinvention des formes de sociabilité, l’expérience citadine interroge
le processus même de production de la vie sociale2. Et cela
n’est pas moins vrai en Afrique qu’ailleurs: dès les années
1950, Georges Balandier annonce en effet que «la fabrique
de la nouvelle Afrique, c’est la ville, pour le meilleur et pour
le pire3». La rumeur des vols de sexe nous introduit ainsi au
cœur même de cette fabrique urbaine du social.
1. Cité in Y. Grafmeyer, I. Joseph (dir.), L’École de Chicago: naissance de
l’écologie urbaine, op. cit., p. 163.
2. P. Decoudras, A. Lenoble-Bart, «La rue: le décor et l’envers», Politique
africaine, 63, 1996, p. 3-12.
3. G. Balandier, Sociologie actuelle des Brazzavilles noires (1955), Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985, p. vii.
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tc à changer
L’étranger
Un point important à propos des vols de sexe n’a pas encore
été abordé: la xénophobie. En effet, si les présumés voleurs de
sexe sont toujours des inconnus, ce sont en outre souvent des
étrangers. Il faut donc nous pencher sur le lien entre ces deux
catégories de personnes. Les «inconnus» ­désignent ­l’ensemble
des gens qui ne font pas partie du cercle des connaissances
d’un individu. Les «étrangers» désignent quant à eux ceux
qui n’appartiennent pas à son groupe de référence. Cette catégorie sociale ne désigne pas uniquement celui qui vient d’une
autre nation (l’immigré), mais varie selon le contexte: on peut
être étranger à la région, au pays, à l’ethnie, à la religion, etc.1.
Cette seconde catégorie n’est ainsi que partiellement incluse
dans la première, puisque certains étrangers ne sont pas des
inconnus, et vice-versa. Il n’en reste pas moins que la figure
abstraite de l’inconnu a facilement tendance à se fixer sur
une catégorie spécifique d’étrangers. La vie urbaine a en effet
démultiplié le nombre des inconnus que l’on peut être amené
à croiser. Il serait néanmoins parfaitement intenable de rester
sans cesse dans une situation de pur anonymat impliquant
une incertitude totale quant à l’identité d’autrui. L’identification personnelle fondée sur des informations biographiques
1. W.A. Shack, E.P. Skinner (dir.), Strangers in African Societies, Berkeley,
University of California Press, 1979; C. Coquery-Vidrovitch et alii (dir.),
Être étranger et migrant en Afrique au xx e siècle. Enjeux identitaires et modes
d’insertion, Paris, L’Harmattan, 2003.
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est pourtant impossible entre inconnus. Il est en revanche
possible de s’appuyer sur certains indices perceptifs (accoutrement, apparence physique, langue, etc.) afin de classer
l’inconnu selon certaines catégories sociales comme l’ethnie,
la nationalité ou le statut. Ce type d’identification, souvent
effectuée de façon automatique et inconsciente, est ce qu’on
appelle un raisonnement catégoriel1. Il permet d’orienter le
comportement à l’égard des inconnus en fonction de certains
stéréotypes sociaux. En ville, il est devenu par nécessité le
principal mode d’identification d’autrui: «La ville a créé un
nouveau type d’homme: le cosmopolite. Contrairement à ses
ancêtres, ce dernier est capable d’entrer en contact avec autrui
selon des modes inédits que la ville a rendus non seulement
possibles mais aussi nécessaires. Le cosmopolite n’a pas perdu
la capacité de connaître les autres personnellement. Il a seulement gagné la capacité de les connaître d’un point de vue
catégoriel2.» En Afrique, le «tribalisme» s’appuie sur ce mode
d’identification catégoriel. L’ethnicité n’a en effet pas perdu
sa pertinence dans les grandes villes africaines. Le brassage
interethnique incite au contraire à spontanément percevoir
et traiter les inconnus en fonction de leur identité ethnique
supposée3. L’inférence se fonde sur une série d’indices stéréotypés: la langue bien sûr, mais aussi l’accoutrement distinctif,
d’éventuelles scarifications faciales ou encore des nuances dans
la couleur de peau. C’est ce qui explique la tendance massive des affaires de vol de sexe à se focaliser sur les étrangers:
la façon la plus facile pour identifier a minima un inconnu
consiste à le catégoriser comme «étranger» en fonction d’une
1. C.N. Macrae, G.V. Bodenhausen, «Social cognition: thinking categor cally about others», Annual Review of Psychology, 51, 2000 p. 93-120.
2. L.H. Lofland, A World of Strangers: Order and Action in Urban Public
Spaces, New York, Basic Books, 1973, p. 177.
3. A. Cohen, Custom and Politics in Urban Africa. A Study of Hausa Migrants
in Yoruba Towns, Londres, Routledge, 1969, p. 1-6; J.C. Mitchell, Cities,
Society and Social Perception. A Central African Perspective, Oxford, Clarendon
Press, 1987, chapitre 6.
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l ’ étranger
identité ethnique ou nationale imputée. L’étranger est le prototype même de l’inconnu.
L’identité des présumés voleurs de sexe confirme cette
interprétation. Au Nigeria, ce sont souvent des Haoussa,
population du nord du pays, qui sont accusés. Or, leur
identification repose avant tout sur un raisonnement catégoriel en fonction de certains stéréotypes ethniques. Elle
est fondée notamment sur l’habillement traditionnel: c’est
en effet par leur longue robe flottante qui frôle les passants
que l’on repère les Haoussa voleurs de sexe1. Cette focalisation préférentielle des accusations sur les Haoussa se
retrouve hors du Nigeria: il en est ainsi au Tchad, au Mali,
au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Dans ces deux derniers pays,
des Peuls qui «peuvent ressembler à des Haoussa» et des
«Sahéliens porteurs de boubous» sont également la cible
des lynchages – ce qui prouve bien le rôle déterminant des
stéréotypes perceptifs2. Cette cristallisation sur les Haoussa
n’est pas totalement anodine: outre le Nigeria et le Niger,
ces derniers sont en effet fortement implantés dans de nombreux pays d’Afrique (notamment le Cameroun, le Tchad,
la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Soudan) où ils travaillent
généralement comme commerçants semi-itinérants et habitent parfois dans des quartiers séparés appelés zongo 3. Il
est d’ailleurs possible que la présence d’importantes diasporas haoussa dans toute l’Afrique occidentale et centrale
explique en partie la diffusion de la rumeur précisément
dans cette région du continent. Les Haoussa y ­incarnent
en effet depuis longtemps déjà la figure la plus familière
et la plus typique de l’étranger. Comme le notait d’ailleurs
1. P. Stoller, «Sensuous ethnography, African persuasions, and social know­
ledge», Qualitative Inquiry, 10-6, 2004, p. 817-835, ici p. 818.
2. «Les rétrécisseurs de sexe», art. cit.; I. Essis, «Côte d’Ivoire: le citron et
la sourate», Jeune Afrique, 19-25 mars 1997, p. 15.
3. A. Cohen, Custom and Politics in Urban Africa, op. cit., p. 8-28; E. Skinner,
«Strangers in West African societies», Africa, 33-4, 1963, p. 307-320.
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Georg Simmel dans ses Digressions sur l’étranger, «l’étranger
fait partout son apparition comme commerçant, et le commerçant comme étranger1». Cette qualité de commerçants
étrangers peut facilement contribuer à précipiter la haine et
le ressentiment sur les Haoussa: tensions et inégalités écono­
miques se greffent alors sur la rumeur et la renforcent. Il est
d’ailleurs notable que la focalisation de la rumeur sur des
communautés de commerçants se retrouve dans des épisodes
de vol de sexe qui n’impliquent pas les Haoussa (au Bénin
par exemple). Autre élément significatif qui pourrait contribuer à expliquer la stigmatisation des Haoussa, ces derniers
sont également réputés être des spécialistes pour concocter
des aphrodisiaques et autres médications contre l’impuissance. Ils sont donc spontanément associés aux problèmes
de troubles sexuels. En sortant du Nigeria, les rumeurs de
vol de sexe s’étendent bien souvent des Haoussa en particulier aux Nigérians en général, comme si la rumeur véhiculait
la mémoire de son foyer d’origine. Il en va ainsi au Ghana,
au Togo, au Bénin, au Niger et au Cameroun. Les vols de
sexe qui surviennent au Togo en décembre 2005 obligent
même l’ambassadeur du Nigeria à organiser une conférence
de presse afin de démentir les rumeurs selon lesquelles des
Nigérians feraient disparaître les sexes des Togolais2. Il faut
dire que les Nigérians ont souvent mauvaise réputation dans
les pays voisins où ils sont régulièrement associés à toutes
sortes d’histoires d’escroquerie, de délinquance et de sorcellerie et font parfois l’objet de mesures d’expulsion massive3. Au Cameroun, la focalisation des accusations et des
lynchages sur les ressortissants du Nigeria s’appuie en outre
1. G. Simmel, «Digressions sur l’étranger» (1908), in Y. Grafmeyer,
I. Joseph (dir.), L’École de Chicago: naissance de l’écologie urbaine, op. cit.,
p. 53-59, ici p. 54.
2. «L’ambassadeur du Nigeria au Togo s’est entretenu avec la presse», Radio
Lomé, 9 décembre 2005.
3. A. Masquelier, «Of headhunters and cannibals: migrancy, labor and
consumption in the Mawri imagination», art. cit., p. 84-126.
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sur des contentieux frontaliers entre les deux pays. Selon
un auteur, l’angoisse de castration véhiculée par la rumeur
reposerait ainsi sur une équivalence entre puissance nationale et puissance sexuelle, les rapports géopolitiques se traduisant directement au niveau des corps1. L’hypothèse est
séduisante, même si nous avons vu que la focalisation sur
les Nigérians relevait également d’un schéma plus général:
les circonstances locales renforcent ainsi la stigmatisation des
Nigérians, mais ne l’expliquent pas à elles seules.
Lorsque la rumeur quitte l’Afrique de l’Ouest pour passer
en Afrique centrale, les accusations de vol de sexe ont tendance à se focaliser plus largement sur les Ouest-Africains.
Au Gabon, les commentaires sont éloquents: «Certainement
un coup qui nous vient de l’Afrique de l’Ouest»; «Je crois
que c’est une magie des expatriés qui viennent d’arriver
dans notre pays»; «Il faut en finir avec ces étrangers qui
­viennent faire le désordre chez nous»2. Massivement présents dans le pays, les ressortissants d’Afrique de l’Ouest font
en effet l’objet d’une assignation d’identité catégorielle: les
Gabonais parlent avec un certain dédain des «Ouest-Af ’»
comme s’il s’agissait d’un groupe homogène3. Au fur et à
mesure que la rumeur s’éloigne du Nigeria, l’identification
catégorielle s’étend ainsi progressivement des sous-groupes
aux groupes qui les subsument. On passe des Haoussa aux
Nigérians, puis des Nigérians aux Ouest-Africains. Sur ce
point, l’exemple du Soudan est particulièrement intéressant
car il constitue un cas limite qui permet de comprendre la
logique de la stigmatisation xénophobe, mais également les
mécanismes de transformation de la rumeur. Les accusations
1. M. Jackson, Minima Ethnographica. Intersubjectivity and the Anthropo­
logical Project, op. cit., p. 49-54.
2. Nse-Nzue, «Les autorités compétentes doivent s’impliquer», L’Union,
18 juin 1997.
3. C.J. Gray, «Cultivating citizenship through xenophobia in Gabon
(1960-1995)», Africa Today, 45-3/4, 1998, p. 389-409.
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de vol de sexe à Karthoum en septembre 2003 se focalisent
comme au Gabon sur des ressortissants d’Afrique de l’Ouest,
mais aussi plus largement sur les «Noirs». Ce n’est alors pas
un hasard si la vague de vols de sexe (visiblement la seule
et unique dans ce pays) survient précisément pendant les
pourparlers de paix entre le gouvernement de Karthoum et
John Garang, le chef historique des SPLA, principal groupe
rebelle du Sud-Soudan. En effet, cette guerre civile qui dure
depuis le début des années 1980 repose, entre autres, sur
une opposition entre les «Noirs» chrétiens et animistes
du Sud et les «Arabes» musulmans du Nord. Mais l’année
2003 marque également le début du conflit au Darfour: en
avril, les rebelles darfouri attaquent El-Fasher, la principale
ville de la région, et y infligent une cuisante défaite à l’armée
soudanaise. En septembre, lorsque la rumeur des vols de
sexe frappe Karthoum, les massacres de grande ampleur ont
commencé au Darfour. La guerre au Darfour est un conflit
entre centre et périphérie exacerbé par des tensions entre
agri­culteurs sédentaires et éleveurs semi-nomades en raison
de la désertification de la région. Mais le conflit mobilise
lui aussi une opposition entre Noirs et Arabes: le gouvernement de Karthoum instrumentalise en effet le racisme antiNoir pour mobiliser des milices de chameliers «arabes» (les
Janjawids) contre les populations «noires» de la région. Si
la rumeur des vols de sexe qui touche Karthoum en septembre 2003 possède en définitive une composante antiNoir faisant directement écho à ­l’actualité nationale, elle
déplace également l’antagonisme en une opposition xénophobe entre Soudanais et ressortissants d’Afrique de l’Ouest.
Mais il y a plus: lorsqu’un journaliste soudanais expatrié en
Arabie saoudite relate ensuite l’affaire dans la presse arabe,
le principal voleur de sexe, bizarrement appelé l’«ami de
Satan», devient un «agent de l’impérialisme sioniste qui
a été envoyé au Soudan pour empêcher la population de
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croître et multiplier1». Limite orientale de l’aire d’extension
de la rumeur des vols de sexe, le Soudan se situe au carrefour entre l’Afrique noire, l’Afrique arabe et la péninsule
arabique. Le pays constitue ainsi une frontière entre deux
régimes de rumeur différents: lorsque la rumeur africaine
des vols de sexe passe dans le monde arabe, elle se transforme
subitement et incorpore le thème du complot sioniste, lieu
commun des rumeurs antisémites omniprésentes dans toute
la région. Ces transformations résultent donc moins de la
distorsion naturelle du message au fur et à mesure de sa
diffusion (sur le modèle entropique du «téléphone arabe»
étudié par la psychologie du témoignage) que de l’existence
de régimes de rumeur culturellement différenciés qui fonctionnent comme des pôles d’attraction autour desquels se
reconfigure le message. Les stéréotypes sociaux sur lesquels
repose l’identification des présumés voleurs de sexe, mais
aussi les schémas narratifs de la rumeur, obéissent ainsi à
des lois de transformation – fait qui contribue sans doute à
expliquer l’aire de diffusion de la rumeur et ses limites2.
La rumeur ne se focalise donc pas sur n’importe quelle catégorie d’étrangers. Les Européens, les Libanais ou les Chinois
ne semblent, par exemple, jamais suspectés d’être des voleurs
de sexe, alors qu’ils sont bien présents sur tout le continent
africain3. Les «Blancs» ne sont pourtant pas toujours hors
sorcellerie. Sur toute la côte de l’Afrique, la traite négrière
1. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises
disappear», art. cit.
2. À la frontière nord-ouest de l’aire d’extension des vols de sexe, la
Mauritanie, pivot entre l’Afrique noire et l’Afrique du Nord, constituerait un autre cas limite intéressant pour étudier la rumeur: les accusations
se ­polarisent-elles autour des rapports entre Maures et Noirs? Les données
sont malheureusement trop lacunaires sur l’épisode de vol de sexe en aoûtseptembre 1997 pour pouvoir conclure: les accusés sont le plus souvent des
Sénégalais, mais l’identité des victimes des voleurs de sexe reste floue.
3. Sur les rumeurs à propos des Chinois en Afrique, cf. N. Sylvanus,
«Commerçantes togolaises et diables chinois. Une approche par la rumeur»,
Politique africaine, 113, 2009, p. 55-70.
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transatlantique et son souvenir ont donné lieu à de nombreuses rumeurs de sorcellerie qui se cristallisent autour de
la figure du négrier cannibale1. Jusqu’à la fin du xixe siècle,
parmi les populations de l’hinterland du Gabon, circulent de
terrifiantes histoires d’esprits blancs qui achètent des esclaves
pour les manger: ces rumeurs sont soigneusement entretenues
par les populations côtières qui cherchent ainsi à protéger leur
monopole commercial avec les Européens2. Un peu plus tard,
à l’époque coloniale, le colon blanc apparaît encore en sorcier dévoreur de la vitalité africaine: une rumeur récurrente
évoque ainsi des vampires blancs se repaissant du sang des
Africains3. En Tanzanie, par exemple, «des rumeurs racontent
de manière très vivante comment une victime est assommée
puis pendue par les pieds afin de laisser son sang s’écouler de
sa veine jugulaire (qui a été tranchée) jusque dans un seau. Le
fluide est ensuite transporté par un camion de pompier dans
un hôpital en ville, où il est transformé en gélules rouges. Ces
pilules sont consommées, à doses régulières, par les Européens
qui en ont besoin pour survivre en Afrique4». Cette rumeur
du vampire blanc est probablement née sur la côte swahili
dans la dernière décennie du xixe siècle, puis s’est répandue
dans les années 1920 dans toute l’Afrique orientale et centrale.
1. R. Shaw, «The production of witchcraft / witchcraft as production:
memory, modernity, and the slave trade in Sierra Leone», art. cit.; E.A. Isichei,
Voices of the Poor in Africa, Rochester, University of Rochester Press, 2002,
chapitres 2-5.
2. J. Bonhomme, «Les tribulations de l’esprit blanc (et de ses ­marchandises).
Voyages et aventures de Paul du Chaillu en Afrique équatoriale», Cahiers
d’études africaines, 183, 2006, p. 493-512, ici p. 501-502.
3. M.C. Musambachime, «The impact of rumor: the case of the Banyama
(vampire men) scare in Northern Rhodesia, 1930-1964», International Journal
of African Historical Studies, 21-2, 1988, p. 201-215; P. Pels, «Mumiani: the
white vampires. A neo-diffusionist analysis of rumor», Etnofoor, 5-1/2, 1992,
p. 165-187; L. White, Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial
Africa, op. cit.
4. W. Arens, The Man-Eating Myth. Anthropology and Anthropophagy,
Oxford, Oxford University Press, 1979, p. 12.
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On la retrouve jusqu’à Madagascar, où circule également une
rumeur affirmant que les Européens et les Malgaches occidentalisés volent le foie, le cœur et le sang des jeunes gens1. Ces
rumeurs africaines ne sont pas sans ressemblance avec les histoires de pishtacos ou de sacaojos très répandues dans les Andes
depuis la colonisation espagnole2. Habituellement associés aux
Blancs ou aux mestizos, ces terrifiants personnages sont réputés
tuer les Indiens pour prélever leur graisse ou leurs yeux. La
graisse servira à lubrifier d’étranges machines, à fabriquer de
puissants médicaments ou bien à faire voler les avions. Dans
nombre de pays du Sud, on raconte également des histoires
de vols ­d’organes3: les organes volés serviraient à alimenter
le marché des greffes à destination de riches pays du Nord
(Europe, Amérique du Nord, Israël)4. Toutes ces rumeurs se
pola­risent en définitive sur une figure inquiétante de l’autre:
ces figures de sorciers, de cannibales, de vampires ou de voleurs
­d’organes permettent d’exprimer – sur un mode certes fantasmatique – des situations d’inégalité politique, économique ou
technologique nées dans le contexte colonial. Le vol de sexe
met alors en jeu une tout autre forme d’altérité sociale qui
n’a pas directement à voir avec le Blanc et la colonisation:
une altérité en un certain sens plus proche et plus familière
et plutôt liée au brassage des populations dans les centres
urbains. Le vol de sexe confirme ainsi le constat établi par les
1. L. Freeman, «Voleurs de foies, voleurs de cœurs», Terrain, 43, 2004,
p. 85-106.
2. O. Oliver-Smith, «The pishtaco: institutionalized fear in highland Peru»,
The Journal of American Folklore, 82-326, 1969, p. 363-368; A. MoliniéFioravanti (dir.), Dossier spécial «El pishtaco», Bulletin de l’IFEA, 20-1,
1991; N. Wachtel, Dieux et Vampires. Retour à Chipaya, Paris, Seuil, 1992.
3. N. Scheper-Hughes, «Theft of life. The globalization of organ stealing
rumours», Anthropology Today, 12-3, 1996, p. 3-11; id., «The global traffic in
human organs», Current Anthropology, 41-2, 2000, p. 191-224; V. CampionVincent, La Légende des vols d’organes, Paris, Les Belles Lettres, 1997.
4. La rumeur inverse existe d’ailleurs dans les pays du Nord, où les victimes
de vols de reins ou d’yeux sont des touristes occidentaux en voyage dans un
pays du Sud.
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Africains eux-mêmes selon lequel la sorcellerie serait une puissance prodigieuse mais utilisée à mauvais escient dans un but
de destruction. Contrairement à la «magie des Blancs» jugée
non pas plus efficace mais plus constructive, la sorcellerie africaine serait par conséquent directement responsable de l’échec
du développement du continent. Dans un curieux article, un
journaliste gabonais détourne d’ailleurs l’histoire des vols de
sexe en élargissant son cadre afin de penser les rapports entre
l’Afrique et l’Occi­dent1. Jouant sur l’équivalence entre puissance sexuelle et puissance politique, il inverse la malédiction
sorcellaire pour en faire le moyen d’une miraculeuse renaissance africaine. Son article raconte un rêve aux accents prophétiques: «Les sorciers africains s’étaient retrouvés autour d’une
table. L’un d’eux déclarait d’une voix grave et triste: “Chers
frères, il nous faut agir vite pour sortir de nos ­malheurs pénitentiels: la pauvreté, la maladie, les conflits armés, le drame
des réfugiés sont notre lot quotidien. Les investisseurs nous
ont lâchés pour se tourner vers l’Asie et l’Amérique latine.
Prenons à son propre piège l’Occident qui s’empare de nos
matières premières et nous les revend à prix d’or.” La déclaration fut approuvée: les sorciers for­mèrent des milliers de
jeunes aux sciences secrètes et les envoyèrent en Amérique et
en Europe serrer les mains des hommes blancs qui se retrouvèrent bientôt privés de leurs organes mâles. À Washington,
Paris, Londres, Bonn et Rome, les journaux publièrent avec
fracas des articles qui exprimaient la panique dans les grandes
puissances: “Un mal étrange, face auquel la médecine est
impuissante, menace le monde…” Les hommes d’État africains envoyèrent des messages ­d’espoir à leurs homologues
blancs: “Venez, nous pouvons soigner vos organes déficients.”
Et je vis une procession de millions d’Occidentaux, décidés
à retrouver l’instrument de leur fierté masculine, se presser
devant les “hôpitaux” ouverts pour la circonstance. Les hôtels
1. W. Ndong Ondo, «Touche pas à mon sexe!», L’Union, 20 juin 1997.
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firent le plein, les caisses de nos pays se remplirent, le secteur
touristique se développa, nos émissaires à l’ONU obtinrent
l’annulation de la dette et l’on fit la fête de l’unité retrouvée.»
Cette étonnante reprise de l’histoire des vols de sexe dans le
cadre élargi des rapports entre l’Afrique et l’Occident montre
bien que la sorcellerie constitue un idiome très productif pour
penser les relations sociales, et cela à une échelle qui dépasse
très largement la seule sphère de la parenté1.
La composante xénophobe est l’un des aspects les plus marquants de la rumeur des vols de sexe: c’est d’ailleurs pour cette
raison qu’elle est régulièrement mentionnée dans les articles
de presse. La xénophobie contribue en effet à installer les événements dans une durée plus longue et engendre une mobilisation collective plus forte. La foule acquiert une plus grande
consistance: au lieu de se disperser tout de suite après le lynchage d’un malheureux accusé, elle reste soudée et se trouve
de nouvelles cibles parmi les communautés stigmatisées par
la rumeur. Les lynchages dégénèrent alors parfois en émeutes
et en pillages beaucoup plus violents et meurtriers. Le cas du
Bénin est édifiant. En novembre 2001, la rumeur annonçant la
présence de voleurs de sexe envahit Cotonou. Les accusations
et les violences se focalisent alors sur les Ibo, une ethnie du
sud-est du Nigeria massivement présente au Bénin suite à la
guerre du Biafra et dont les ressortissants, remarquables par leur
teint clair, tiennent habituellement des commerces dans plusieurs marchés de la capitale2. Supposément mêlés à de ­sombres
affaires de vol, de grand banditisme et de trafic ­d’enfants, les
Ibo ont déjà fort mauvaise réputation depuis plusieurs années.
Les tensions couvent. Le vendredi 23 novembre 2001, un
homme est accusé par un chauffeur de taxi de lui avoir volé
1. H. Englund, «Witchcraft and the limits of mass mediation in Malawi»,
art. cit., p. 295-311.
2. Au Togo, pays voisin du Bénin, ce sont également les Ibo nigérians qui
sont la cible privilégiée des accusations. Cf. K. Kodjo, «Disparition de sexes
au Togo, mise en scène ou réalité?», art. cit.
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son sexe alors qu’il s’était adressé à lui pour demander sa route.
On le suspecte en outre d’être un Ibo (alors qu’il est en réalité
congolais). Le malheureux est immédiatement lynché. Brûlé,
mutilé et embroché, son cadavre est ensuite traîné en public
par la foule qui crie: «Ce sont les Ibos, tous des voleurs1!» Le
lendemain, une scène similaire se répète: un apprenti menuisier est accusé d’avoir fait disparaître le sexe d’un électronicien à qui il venait de serrer la main2. Malgré les coups de
marteau sur la tête, les jets de pierres et l’aspersion d’essence,
le malheureux parvient à se réfugier au domicile de ses cousins. Une foule en furie assiège alors la maison. Le présumé
voleur de sexe est également accusé d’être ibo (alors qu’il est
en réalité béninois). Une parente essaie en vain de s’interposer:
«Vous faites erreur! Ce n’est pas un Ibo, c’est mon enfant, c’est
un Béninois comme vous et il n’a volé le sexe de personne.»
Cela n’empêche pas des centaines de personnes de saccager la
maison et de molester ses habitants. La supérette voisine et un
cybercafé sont également pillés. Les parents du suspect arrivent
toutefois miraculeusement à calmer les assaillants en implorant
leur pardon. La foule reste cependant mobilisée et se déplace
alors vers la place de l’Étoile-Rouge pour y agresser et piller
tous les commerçants ibo qui y travaillent. Pendant tout le
week-end, la chasse aux Ibo continue. Le marché de Missèbo
où travaillent nombre de Nigérians est pillé et détruit. En trois
jours, émeutes, lynchages et pillages font six morts, plusieurs
blessés et des dégâts matériels importants.
Dans de tels cas extrêmes, la rumeur se cristallise ainsi en une
opposition entre groupes et pas seulement entre individus. Les
voleurs de sexe ne sont plus des inconnus disparates, ce sont
«eux», tandis que les victimes des vols et les lyncheurs s’identifient à un «nous». Cette dynamique collective antagoniste
1. Cité in D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en
Afrique de l’Ouest», art. cit.
2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou
brûlées vives», art. cit.
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accroît alors considérablement l’ampleur des violences. Elle peut
en outre se nourrir des tensions interethniques ou xénophobes
préexistantes et du fait que les violences intercommunautaires
sont un registre d’action collective récurrent en Afrique: comme
au Nigeria entre les gens du Nord (musulmans) et ceux du Sud
(davantage chrétiens)1. Dans ce contexte délétère, la rumeur
joue alors un rôle catalyseur essentiel: on accuse les futures victimes d’être des agresseurs avant de les malmener; on attribue
à l’autre des atrocités que l’on commet ensuite soi-même. Les
places de la victime et de l’agresseur ­s’inversent ou deviennent
floues, car l’attaque est perçue comme de la légitime défense.
Ce rôle performatif des rumeurs d’agression dans la circulation
de la haine se retrouve d’ailleurs de manière constante lors des
pogroms antisémites en Europe, des émeutes interraciales aux
États-Unis ou encore des violences intercommunautaires en
Asie du Sud2. Ainsi, dans les États-Unis des années 1960, une
rumeur de castration d’un garçon blanc par un adolescent noir
circulait abondamment dans la communauté blanche, tandis
que la rumeur inverse circulait parmi les Noirs-Américains3.
De même, en 1984 à Delhi, après l’assassinat d’Indira Gandhi,
les violences des Hindous contre les Sikhs ont été directement
précédées par des rumeurs d’émasculations supposées perpétrées par ces derniers4. Et il est certain que la forte charge émotionnelle suscitée par l’image de l’émasculation ravive encore
la haine et les violences.
Cependant, les vols de sexe ne se réduisent pas à la seule
xénophobie, même si c’est là leur aspect le plus notable. Bien
1. D.L. Horowitz, The Deadly Ethnic Riot, Berkeley, University of California
Press, 2001.
2. T.A. Knopf, Rumors, Race and Riots, New Brunswick, Transaction Books,
1975; S.J. Tambiah, Leveling Crowds: Ethnonationalist Conflicts and Collective
Violence in South Asia, Berkeley, University of California Press, 1996.
3. M. Rosenthal, «Where rumor raged», in P.H. Rossi (dir.), Ghetto Revolts,
New Brunswick, Transaction Books, 1973, p. 209-233.
4. V. Das, «Official narratives, rumour, and the social production of hate»,
Social Identities, 4-1, 1998, p. 109-130.
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souvent, la foule des lyncheurs se dresse contre un individu
quelconque, sans qu’il y ait identification d’un «eux» bien
défini. Bien souvent également, les victimes des lynchages
sont des compatriotes et non des étrangers. Au Nigeria, tout
semble d’ailleurs commencer au début des années 1970 par
des accusations entre Haoussa au nord du pays. Lors des événements qui secouent le Ghana en 1997, Glenn Adams et
Vivian Dzokoto notent que «même si des éditorialistes en mal
de sensation ont suggéré que les voleurs de sexe étaient nigérians, notre analyse montre que la majorité des accusés sont
en réalité des Ghanéens1». Au Gabon en 1997, un journaliste
relève de même: «Parmi les accusés, 75 % de Gabonais. Parmi
les victimes, 25 % d’étrangers2.» Quatre ans plus tard, lorsque
la rumeur des vols de sexe touche à nouveau le pays, toutes
les personnes molestées sont des Gabonais, à l’exception d’un
Libérien lynché à mort. Du point de vue statistique, la xénophobie ne semble donc pas être la motivation première des
violences contre les voleurs de sexe. C’est pourquoi les nombreux articles qui se focalisent exclusivement sur la xénophobie
et sa dénonciation opèrent une simplification de l’affaire. En
définitive, la rumeur des vols de sexe concerne avant tout des
inconnus, mais a tendance à se focaliser sur des étrangers. Elle
articule ainsi deux traits qui définissent le phénomène urbain:
la figure de l’inconnu est étroitement associée à l’anonymat
urbain, tandis que celle de l’étranger renvoie à la diversité de
peuplement et au brassage interethnique propres aux grandes
villes africaines issues de la colonisation3.
1. V.A. Dzokoto, G. Adams, «Juju, koro, or mass psychogenic illness?
­ review of genital-shrinking epidemics in West Africa from 1997-2001»,
A
art. cit., p. 68.
2. J.-D. Fotso-Eyi, «Libreville sous l’emprise de la peur», L’Union, 18 juin
1997.
3. Agglomération d’un nombre important d’individus dans un espace
relativement restreint, la ville implique par définition l’anonymat mais pas
toujours l’hétérogénéité ethnique: les cités yoruba étaient par exemple assez
homogènes du point de vue ethnique.
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tc à changer
La rumeur à la une
En comparant la sorcellerie familiale et le vol de sexe, nous
avons souligné qu’ils étaient liés à deux formes distinctes de
socialité: d’un côté, les petits groupes d’interconnaissance
tels la famille, la maisonnée ou le village; de l’autre, la vaste
multitude anonyme du trafic urbain. Or, cette distinction se
traduit également par un saut d’échelle concernant le mode
de diffusion des histoires de sorcellerie: le ragot intime d’un
côté, la rumeur publique de l’autre. La sorcellerie familiale
repose sur des ragots qui circulent au sein de la parentèle ou
du voisinage. Le ragot est en effet un procédé de communication typique des petits groupes d’interconnaissance. Il
repose sur des liens forts et transitifs: une personne raconte
à une autre une histoire concernant une tierce personne de
leur connaissance. Les ragots de sorcellerie ne peuvent donc
circuler qu’à petite échelle, au sein d’un réseau social bouclé
sur lui-même. Au-delà de ce cercle, ils perdraient en effet tout
leur intérêt et leur pertinence. Contrairement au ragot, la
rumeur n’évoque pas des affaires personnelles, mais une nouvelle d’ordre plus général1. Alors que le ragot parle toujours
des proches, la rumeur évoque souvent des étrangers, des catégories de personnes ou des situations anonymes. Par conséquent, la rumeur ne présuppose nullement l’interconnaissance
1. O. Klapp, Currents of Unrest. An Introduction to Collective Behavior, New
York, Holt, Rinehart & Winston, 1972, p. 221; G. Fine, R. Rosnow, Rumor
and Gossip. The Social Psychology of Hearsay, New York, Elsevier, 1976.
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les voleurs de sexe
des interlocuteurs: on peut fort bien se raconter des rumeurs
entre inconnus à propos d’autres inconnus. Elle repose ainsi
sur des «liens faibles» dont l’analyse des réseaux sociaux a
montré qu’ils permettaient une diffusion beaucoup plus
large des messages que les liens forts1. C’est parce qu’elle est
une information qui intéresse virtuellement tout le monde
– même si elle est non officielle, non vérifiée ou douteuse –
que la rumeur est si rapidement et largement diffusée par le
bouche-à-oreille. Elle peut alors circuler à une vaste échelle
au sein d’un réseau social ouvert. Or, la sorcellerie «nouveau
style» est une sorcellerie des rumeurs plutôt que des ragots.
Les histoires de vol de sexe, par exemple, ne parlent pas d’un
individu précis, mais évoquent plutôt la figure générique de
l’inconnu, ce passant anonyme que l’on croise quotidiennement. Elles intéressent donc tout le monde. C’est pourquoi
elles peuvent se propager à une échelle transnationale, échappant au cloisonnement local de la sorcellerie familiale.
La circulation intense de la rumeur entraîne un climat
de panique et de méfiance qui constitue un terrain propice
à l’éclatement des incidents. En à peine quelques jours, la
rumeur enflamme tous les esprits. L’alerte se propage très
rapidement par la «radio-trottoir», ce mode informel de
circulation et de commentaire des nouvelles qui concurrence l’information officielle dans les villes africaines2. Elle
est d’autant plus diffusée qu’il y aurait un danger à ne pas
la connaître – peu importe qu’elle se révèle finalement vraie
ou fausse. Elle a ainsi une fonction préventive. Comme le
note bien un commentateur, «avec de telles histoires, on
n’est jamais assez prudent3». Propager une rumeur négative
1. M. Granovetter, «The strength of weak ties», American Journal of
Sociology, 78-6, 1973, p. 1360-1380.
2. S. Ellis, «Tuning in to pavement radio», African Affairs, 88-352, 1989,
p. 321-330; C. Nlandu-Tsasa, La Rumeur au Zaïre de Mobutu. Radio-trottoir
à Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 1997.
3. Mor Ndiaye, «Ziguinchor: 13 pénis volés en une journée!», Walf Gran
Place, 21 novembre 2007.
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la rumeur à la une
ne suppose donc pas nécessairement la crédulité des interlocuteurs. C’est au contraire la chose la plus raisonnable à faire
pour avertir ses proches d’un danger potentiel, mais aussi
pour tester la crédibilité de la nouvelle: cela permet en effet
de savoir ce qu’en pensent les autres membres du groupe et
donc de moduler sa propre attitude en fonction de leurs réactions. Ainsi, peu après les attentats du 11 septembre 2001,
en Amérique du Nord et en Europe, une rumeur a largement
circulé. Elle racontait qu’une personne (souvent l’ami d’un
ami du locuteur) avait été prévenue d’éviter tel lieu public à
telle date par un homme de type «arabe» à qui elle venait de
restituer son portefeuille égaré dans la rue. Même s’ils n’y prêtaient que peu de crédit, beaucoup ont préféré quand même
relater la rumeur à leur entourage, autant pour tester sa crédibilité que pour avertir leurs proches de ne pas se rendre dans
ledit lieu à la date indiquée, «juste au cas où». Or, il en va de
la rumeur du vol de sexe comme de cette légende urbaine de
menace d’attentat terroriste: l’enjeu est suffisamment important pour qu’il vaille mieux être trop prudent que pas assez.
La propagation de la rumeur se fait par le bouche-à-oreille.
Mais elle emprunte également les moyens de communication les plus modernes: à Karthoum, en septembre 2003, la
rumeur des vols de sexe a été très rapidement et efficacement
diffusée par SMS au moyen de téléphones portables. Sur le
continent africain très largement sous-équipé en lignes téléphoniques fixes, l’explosion de la téléphonie mobile dans les
années 1990 a en effet ouvert de nouveaux canaux à la circulation de l’information. Certaines catégories de personnes
ont en outre souvent servi de relais actif à la rumeur, contribuant à alerter le plus de monde possible. Au Bénin, ce sont
les zémidjan, les conducteurs de taxi-moto qui suppléent aux
lacunes des transports publics, et prennent parfois plusieurs
clients à la fois (le terme signifie «emmène-moi vite» en
langue fon). La déclaration officielle d’un ministre destinée à
calmer les populations précise ainsi que «sous des prétextes
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mal fondés, de rapts d’enfants, vols ou disparitions de sexe,
des groupuscules d’individus mal intentionnés, notamment
des conducteurs de taxi-moto communément appelés “zémidjan”, incitent les populations à la violence1». Le ministre
n’a pas tort: le 24 décembre 2001 à Cotonou, par exemple,
un zémidjan traîne derrière sa moto une présumée voleuse de
sexe qui vient d’être lynchée et brûlée, attisant ainsi encore
plus les violences2. Les chauffeurs de taxi sont eux-mêmes
régulièrement impliqués dans des affaires de vols de sexe. Ils
sont plus souvent victimes ou lyncheurs qu’accusés, et les vols
ont fréquemment lieu dans leur véhicule. Au Nigeria, c’est
même toute une branche locale de l’Union des transports
motocyclistes qui menace d’intenter une action en justice
contre un homme s’il ne restitue pas au chauffeur de taximoto le pénis qu’il lui a prétendument volé3. Il faut dire que
les zémidjan sont par habitude méfiants et prompts à réagir
à la moindre alarme: particulièrement vulnérables sur leur
moto, ils sont en effet fréquemment victimes d’agressions.
Circulant et faisant circuler les gens, en contact avec une multitude d’inconnus, les chauffeurs de taxi sont finalement les
mieux placés pour répandre la rumeur. Ce sont les équivalents
modernes de ces colporteurs et commerçants ambulants qui
ont activement propagé les rumeurs de complot de famine
ou la grande peur de 1789 dans les campagnes françaises ou
encore, en milieu urbain à la même époque, des domestiques
qui circulent sans cesse entre maisons et commerces4. Dans
1. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou
brûlées vives», art. cit.
2. «Un “zémidjan” arrêté au Bénin pour avoir maltraité une femme», AFP,
12 janvier 2002.
3. «Nigeria: un client de moto-taxi accusé de vol de… pénis», art. cit.
4. L.S. Kaplan, Le Complot de famine: histoire d’une rumeur au xviii e siècle,
Paris, Armand Colin, 1982; G. Lefebvre, La Grande Peur (suivie des Foules
révolutionnaires) (1932), Paris, Armand Colin, 1988; A. Farge, J. Revel,
Logiques de la foule: l’affaire des enlèvements d’enfants, Paris, 1750, Paris,
Hachette, 1988; F. Ploux, De bouche à oreille. Naissance et propagation des
rumeurs dans la France du xix e siècle, Paris, Aubier, 2003.
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la rumeur à la une
le cas des vols de sexe, il y a ainsi un singulier redoublement
entre le médium et le message de la rumeur: des inconnus
propagent une rumeur alertant du danger d’une interaction
avec des inconnus.
Cette centralité des conducteurs de taxi-moto béninois dans
la diffusion de la rumeur s’explique également par le rapport
particulier qu’ils entretiennent avec l’information: les zémidjan constituent en effet des maillons essentiels dans la chaîne
de conversion de l’information officielle des médias (presse
écrite ou émissions radiophoniques) en nouvelles informelles
de la radio-trottoir. À Cotonou et dans les autres grandes
villes du Bénin, les revues de presse en langues nationales
(en fon notamment) diffusées à la radio connaissent une très
large audience. La plus fameuse d’entre elles est sans doute
la revue de presse de Dah Houawé, également surnommé
le «roi Houawé», diffusée tous les jours à 10 heures sur la
station de radio CAPP FM. Dah Houawé y commente la
presse écrite avec un ton acerbe et moqueur et aime tout particulièrement reprendre les faits divers du moment. Souvent
critiquée par la presse professionnelle pour son manque de
sérieux, cette revue de presse est pourtant extraordinairement
populaire, notamment auprès des zémidjan qui, à Cotonou,
font systématiquement une pause tous les jours à 10 heures
aux nombreux «points d’écoute» (les kiosques par exemple)
pour écouter l’émission et commenter avec verve et virulence
les nouvelles du jour1. De la presse écrite à l’oralité radiophonique et l’oralité populaire, il existe ainsi de multiples relais
entre les médias et la radio-trottoir2. Et les zémidjan occupent une place stratégique dans cette chaîne polyphonique de
1. Sur les zémidjan et la revue de presse de Dah Houawé, cf. le repo tage radiophonique de V. Cagnolari, «À Cotonou, la capitale économique
du Bénin», «On est où là?», émission du 30 juillet 2007, Radio France
Internationale.
2. Autre exemple de passage entre écriture et oralité, en Afrique, les jou naux sont parfois lus publiquement afin de permettre aux illettrés de se tenir
informés des dernières nouvelles.
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les voleurs de sexe
circulation et d’interprétation de l’information, notamment
des faits divers et des rumeurs.
La rumeur des vols de sexe ne passe en effet pas uniquement
par le bouche-à-oreille. Elle est aussi intensément médiatisée.
Dans leur analyse quantitative des vols de sexe survenus au
Ghana en 1997, Glenn Adams et Vivian Dzokoto notent
par exemple que si les gens ont majoritairement entendu
parler de l’affaire par le bouche-à-oreille, un certain nombre
de personnes citent les médias comme leur première source
d’information1. Ces derniers jouent ainsi un rôle décisif dans
la diffusion de la rumeur à une plus large échelle, nationale
et même transnationale. Le succès culturel d’une représentation – aussi accrocheuse soit-elle – reste donc en bonne
partie tributaire de ses supports matériels de diffusion. Il est
par exemple probable que des stations de radio aussi populaires que Radio France Internationale et Africa n° 1 aient
constitué un vecteur important pour la diffusion de la rumeur
dans toute l’Afrique francophone (même s’il est plus difficile
d’en trouver la trace que dans les archives de la presse écrite).
D’autant plus que les affaires de sorcellerie sont régulièrement
évoquées à la radio: «Triangle» et «L’Aventure mystérieuse»,
les deux émissions que l’animateur vedette franco-gabonais
Patrick Nguema Ndong consacre aux histoires occultes sur
Africa n° 1, sont par exemple internationalement célèbres.
Entouré de spécialistes du «mysticisme africain» (marabouts,
nganga ou pasteurs), Patrick Nguema Ndong raconte et commente d’innombrables histoires de sorcellerie et répond directement aux questions des auditeurs.
La rumeur des vols de sexe a également été abondamment
relayée dans les journaux, dans la presse de faits divers bien évidemment, mais également dans la presse dite «sérieuse». Ce
n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard s’il y a concomitance
1. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural
psychological analysis», art. cit., p. 88.
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la rumeur à la une
entre la propagation internationale de la rumeur au début des
années 1990 et la liberté de la presse en Afrique qui entraîne
une explosion rapide du nombre de journaux. Certes, la
rumeur des vols de sexe ne saurait être réduite à une pure
construction médiatique: journaux, radios et télévisions ne
prennent le relais de la rumeur qu’une fois les premiers «cas»
de vols de sexe déjà survenus dans le pays. Mais, si ce ne
sont pas les médias qui créent de toutes pièces l’événement,
ils contribuent néanmoins à lui donner de l’importance. Le
relais médiatique de la rumeur multiplie en effet considérablement son public en lui donnant une nouvelle forme
de visibilité1. La presse libre constitue donc un formidable
amplificateur de la rumeur. Jusqu’à la fin des années 1980,
la plupart des médias africains sont sous tutelle politique et
doivent se contenter de couvrir les événements officiels. Au
début des années 1990, à la faveur de la démocratisation et
du multipartisme, la liberté de la presse permet l’émergence
de médias indépendants dans nombre d’États africains. Les
journaux satiriques ou la presse de faits divers occupent alors
une place importante au sein de cette nouvelle presse libre.
Or, cette presse populaire s’inspire directement de la rumeur
publique et de la radio-trottoir. Thierry Perret note ainsi, à
propos du Sénégal, «l’apparition à la fin de la décennie 1990
d’une presse de faits divers qui exploite avec prédilection tous
les excès du genre, rumeurs, ragots, grosse ficelle et sexe à la
“une”2». Cette porosité entre presse écrite et rumeur orale
correspond à une stratégie commerciale de recherche du
sensationnalisme, mais provient également de la faible professionnalisation et du manque de moyens des journalistes
africains: peu ou pas formés, ayant accès à ­l’information par
des réseaux informels, ils sont en effet amenés à reprendre la
1. J.B. Thompson, «La nouvelle visibilité», Réseaux, 23-129/130, 2005,
p. 59-86.
2. T. Perret, Le Temps des journalistes: l’invention de la presse en Afrique fra cophone, Paris, Karthala, 2005, p. 102.
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les voleurs de sexe
rumeur publique comme une source pertinente. À travers
l’usage récurrent de formules telles que «la rue dit que…»
ou «le bruit court que…», les articles de presse s’emparent
des rumeurs de la radio-trottoir, le journaliste prenant de la
distance par rapport aux propos afin de ne pas les assumer
pleinement à la première personne, sans pour autant juger
de leur véracité ou de leur fausseté. Cette presse populaire se
caractérise ainsi par un recours omniprésent au style oral, au
langage imagé, à l’excès, à l’ironie et à la dérision1. Mais la
presse dite sérieuse reprend également la rumeur publique à
l’occasion. Dans L’Union, premier quotidien gabonais, l’éditorial est confié à Makaya, nom de plume d’un journaliste
censé incarner le Gabonais moyen qui, dans un style marqué
par l’oralité populaire, se fait l’écho de la radio-­trottoir,
tout en la discutant avec des arguments de bon sens2. En
juin 1997 et à nouveau en avril 2001, Makaya consacre ainsi
son éditorial aux voleurs de sexe. Cette ambiguïté du champ
journalistique africain vis-à-vis de la rumeur se retrouve bien
dans la presse populaire congolaise. La rumeur y est perçue
de manière critique comme une «maladie de ­l’information»,
une «épidémie silencieuse» parfois comparée au moustique
vecteur de paludisme. Mais, dans le contexte de la démocratisation, ce «Falciparum porte-parole de la rue» se veut
également une expression directe du peuple, la «voix des
sans-voix au Congo», selon le sous-titre de l’un des journaux. Les titres mêmes des journaux congolais jouent ainsi
avec humour sur ce recyclage journalistique de la rumeur: La
Rumeur, Les Chiens écrasés ou encore La Rue meurt. L’éditorial
du premier numéro de La Rumeur constitue d’ailleurs une
1. M.-S. Frère, Presse et Démocratie en Afrique francophone, Paris, Karthala,
2000, p. 255-303.
2. S. Ellis, «Tuning in to pavement radio», art. cit., p. 328-329. Makaya
fait toutefois attention à ne jamais critiquer le président Bongo (mort en juin
2009) lui-même, mais à toujours incriminer son entourage pour tous les travers de la politique et de la société gabonaises.
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véritable mise en scène de la voix de la rumeur à la première
personne, qui aurait tout à fait pu convenir à l’histoire du vol
de sexe: «Moustiques têtus, nous venons siffler à vos oreilles
ces mots d’intrigue qui vous donnent la chair de poule, vous
irritent et vous enragent1.» Comme on le voit, il y a en définitive en Afrique tout un jeu d’allers-retours constants entre
la presse écrite et la radio-trottoir qui laisse un large champ à
l’expression polyphonique de la rumeur.
Quelle est alors précisément l’attitude de la presse africaine
vis-à-vis du vol de sexe? Elle n’est en réalité ni simple ni univoque. Comme souvent lorsqu’il s’agit de rendre compte
d’histoires de sorcellerie, la presse populaire adopte «ce
style inimitable qui allie étroitement l’ironie et l’effroi, la foi
du charbonnier et le doute cartésien2». Nombre d’articles
­témoignent d’une forte ambivalence quant à la réalité des vols
de sexe. Selon les journaux ou les journalistes, l’attitude de la
presse oscille ainsi – de manière souvent indécise – entre la
propagation et le démenti, entre l’exacerbation des tensions et
les tentatives d’apaisement. Les journaux ­commencent généralement par relater les événements, en se focalisant tantôt
sur les vols de sexe, tantôt déjà sur le lynchage des soi-disant coupables. Mais certains journaux vont plus loin et attisent délibérément le feu en contribuant à la panique et aux
violences. Ainsi dans son édition du 30 novembre 1996, le
Cameroon Tribune annonce: «La science confirme. La chasse
aux Nigérians voleurs de sexe est ouverte3.» De même, dès le
23 novembre 2001, la veille des émeutes contre les Ibo présumés voleurs de sexe, le quotidien béninois Le Matin titre
1. Cité in N. Martin-Granel, «Rumeur sur Brazzaville: de la rue à l’écr ture», Canadian Journal of African Studies, 33-2/3, 1999, p. 362-409, ici
p. 375.
2. C. Henry, E. Kadya Tall, «La sorcellerie envers et contre tous», Cahiers
d’études africaines, 189/190, 2008, p. 11-34, ici p. 23.
3. Cité in M. Enguéléguélé, «La rumeur de la “disparition des sexes” au
Cameroun. Contribution à l’étude des modes d’expression politique alternatifs dans les conjonctures fluides», art. cit.
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les voleurs de sexe
à la une en grosses lettres rouges: «Les voleurs de sexe sont
de retour!» Le même jour, l’éditorial du journal Fraternité
– bien mal nommé – alimente dangereusement les tensions
xénophobes: «Ils se croient où ces Ibos qui pullulent dans
le pays depuis un moment? Ils trans­forment de jour en
jour le Bénin en une terre d’expérimentation de leurs perfidies… Non, trop, c’en est trop. Puisque cette situation est la
résultante du laxisme de nos autorités compétentes (elles se
montrent plutôt incompétentes!), alors les citoyens vont se
faire justice eux-mêmes en créant un parti nationaliste: un
Front national. Il faut discipliner ces Ibos et mettre de l’ordre
dans ce pays!1» En donnant publiquement l’alarme, ces
médias contribuent à transformer le vol de sexe en «panique
morale2». Les incidents isolés prennent alors une nouvelle
signification: l’affaire devient un outrage aux valeurs, une
menace dangereuse pour toute la société3. Les médias font
ainsi de la rumeur un scandale. Le scandale repose en effet
sur la dénonciation d’un coupable, parfois érigé en persécuteur collectif 4: ainsi les Ibo sont-ils accusés en tant que
groupe ethnique. La victime est elle aussi élevée au rang de
personne collective: c’est la communauté nationale dans son
ensemble qui est menacée par les voleurs de sexe. Les médias
1. Cité in D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en
Afrique de l’Ouest», art. cit.
2. Sur la notion de panique morale, cf. E. Goode, N. Ben-Yehuda, Moral
Panics. The Social Construction of Deviance, Oxford, Blackwell, 1994.
3. La «rumeur du chien» est un autre bon exemple de rumeur africaine à
thématique sexuelle ayant provoqué une panique morale. En avril 1992 en
Guinée, une rumeur circule sur un Blanc qui ferait venir à son domicile des
jeunes Guinéennes pour les photographier en train d’avoir des rapports sexuels
avec son chien. La rumeur choque tant les esprits que la maison de l’Européen
est détruite par une foule en furie. Les jours suivants, des jeunes femmes en
minijupe sont agressées. Les violences font un mort et une dizaine de blessés.
Cf. P. Froissart, «La rumeur du chien. Une approche communicationnelle»,
in F. Reumaux (dir.), Les Oies du Capitole ou les Raisons de la rumeur, Paris,
CNRS, 1999, p. 105-120.
4. L. Boltanski, Y. Darré, M.-A. Schiltz, «La dénonciation», Actes de la
recherche en sciences sociales, 51, 1984, p. 3-40.
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la rumeur à la une
font émerger un «nous» à travers des stratégies d’identification directe des journalistes au peuple. Ce recours constant
au «nous» est typique d’une presse africaine où, souvent,
«l’opinion l’emporte sur l’information1». Ce passage au collectif crée de la «communauté imaginée» à travers un style
rhétorique qui permet de coordonner les affects. La presse
d’opinion contribue de la sorte à activer la mobilisation collective autour d’un danger imminent. Les articles qui dénoncent les voleurs de sexe et rapportent les lynchages en détail
représentent en effet de véritables propositions d’action:
ils sont «riches en action collective virtuelle2». La dénonciation des voleurs de sexe constitue en somme un acte de
parole qui agit telle une violence à distance, préfigurant la
violence bien réelle des lynchages. Comme le note MarieSoleil Frère, «les médias libres peuvent aussi tuer3». On se
souvient par exemple du sinistre rôle de la Radio-télévision
libre de Mille Collines dans le génocide rwandais en 1994.
La station de radio répandit jusqu’à l’écœurement une propagande haineuse contre les Tutsi et les Hutu modérés, incitant
et contribuant directement au génocide avec des slogans tels
que «Tuez tous les cancrelats!». Dans le cas des vols de sexe
également – quoique à un moindre niveau –, certains médias
ont pris une part active dans la propagation et l’amplification
de la haine et de la violence.
Nombre de journalistes ont néanmoins accompli leur travail de manière bien plus professionnelle, analysant et vérifiant les faits avant de les relater, n’hésitant pas à démentir les
fausses nouvelles. Lors des événements béninois de 2001, un
communiqué – certes tardif – de l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias dénonce l’éditorial haineux du quotidien Fraternité, mais félicite aussi les nombreux
1. M.-S. Frère, Presse et Démocratie en Afrique francophone, op. cit., p. 267.
2. E. de Dampierre, «Thèmes pour l’étude du scandale», art. cit., p. 338.
3. M.-S. Frère, «Médias en mutation: de l’émancipation aux nouvelles
contraintes», Politique africaine, 97, 2005, p. 5-17, ici p. 11.
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les voleurs de sexe
organes de presse qui ont publié des articles pour dénoncer
les lynchages et démentir la rumeur1. Les démentis par la
voie des médias se révèlent néanmoins des exercices périlleux,
dans la mesure où ils contribuent à diffuser la rumeur à un
public encore plus large. Plusieurs expériences en psychologie
ont d’ailleurs montré que le fait de répéter une rumeur (y
compris en la niant) a tendance à la confirmer chez les personnes déjà plutôt convaincues. La rumeur influence ainsi un
individu non parce qu’il y croit mais simplement par le seul
fait qu’il y pense2.
Le travail critique des médias se fait habituellement de
manière progressive. Le témoignage de ce journaliste d’un
quotidien malien illustre bien l’évolution du traitement
médiatique des vols de sexe: «C’est vrai, c’est une erreur, au
début nous n’avons pas enquêté. […] Nous étions pressés,
nous avions un scoop, notre photographe était par hasard
lui aussi sur les lieux et notre agence a revendu les photos à
tous les journaux. […] Mais, une fois l’agitation passée, nous
avons fait une mise au point3.» Ainsi, au fil des éditions, les
articles se focalisent de moins en moins sur les voleurs de sexe
et de plus en plus sur les lynchages. Les récits au conditionnel
font leur apparition – l’usage d’un conditionnel de prudence
étant justement l’une des caractéristiques professionnelles du
discours journalistique. Les voleurs de sexe ne sont plus évoqués qu’avec circonspection, généralement entre guillemets.
Les cris d’alarme des victimes deviennent de fausses accusations. Les médias construisent progressivement une autre
image des événements. L’évolution des titres du quotidien
gabonais L’Union lors des affaires de vol de sexe de 1997 est
1. D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique
de l’Ouest», art. cit.
2. J.-N. Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Paris, Seuil,
1995, p. 283-288.
3. Cité in J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur
sorcière», art. cit., p. 197.
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la rumeur à la une
révélatrice. Dans son édition du 14-15 juin, le journal titre
«La psychose de la disparition du sexe gagne Libreville». Dès
le 18 juin, les guillemets et les mises en garde apparaissent:
«Affaires des organes génitaux “rétrécis”. Un cirque dangereux qu’il convient d’arrêter.» Le 11 juillet, le démenti est
formel: «Phénomène de rétrécissement de sexe. Gare aux
fausses accusations!» Glenn Adams et Vivian Dzokoto
observent la même évolution dans le traitement médiatique
des vols de sexe au Ghana: certains journaux sont cependant
plus prompts à dénoncer les fausses accusations (ainsi le Daily
Graphic), alors que d’autres maintiennent plus longtemps la
version incriminant les voleurs de sexe (comme le Ghanaian
Times)1. Il semble donc qu’il y ait deux temporalités et deux
relais distincts des événements: la foule et l’opinion2. D’une
part, la foule qui propage dans l’urgence la rumeur et se livre
aux violences. D’autre part, l’opinion qui suppose un «public
informé» par la presse et les médias. Ce public informé
– comptant peut-être en son sein des personnes qui se sont
livrées peu avant à des violences contre les présumés voleurs
de sexe – est ainsi invité à réfléchir de manière critique sur les
événements afin de les considérer sous un jour nouveau. Le
phénomène des vols de sexe ne suggère donc nullement que
l’Afrique en serait restée à un hypothétique «âge des foules»,
mais atteste au contraire que le continent vit à l’âge du public
et du journal3.
1. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural
psychological analysis», art. cit., p. 94. Pour le témoignage d’une journaliste sur
le traitement médiatique des vols de sexe au Ghana, cf. J. Hasty, «Performing
power, composing culture: the state press in Ghana», Ethnography, 7, 2006,
p. 69-98, ici p. 73.
2. G. Tarde, L’Opinion et la Foule (1901), Paris, PUF, 1989.
3. S. Moscovici, L’Âge des foules. Un traité historique de psychologie des masses,
Bruxelles, Complexes, 1981.
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tc à changer
Les sexes sont bien en place
La rumeur passe par une série d’«épreuves» auxquelles les
médias participent ou dont ils se font l’écho: témoignages,
vérifications et expertises qui permettent d’éprouver la tangibilité des vols de sexe1. Alors qu’au moment des incidents
et des violences, nul ne se soucie de vérifier la réalité de la
disparition des sexes, sa vérification devient ensuite un enjeu
majeur où la médecine, mais aussi la police et les médias,
se trouvent impliqués. Les victimes de vol de sexe sont soumises à des examens médicaux, parfois sur place, parfois à
l’hôpital. Tous attestent que «les sexes sont bien en place»,
selon l’expres­sion récurrente. Face à l’évidence, la plupart
des patients avancent alors que leur sexe vient seulement
de réapparaître, entre autres grâce au tabassage du présumé
coupable. Certains affirment plutôt que ce sont des prières
qui ont permis de le faire revenir. D’autres assurent que leur
pénis n’avait pas réellement disparu, mais simplement rétréci.
Comme cette victime camerounaise qui se défend: «Je ne
dis pas que je n’ai plus de sexe, je dis bien que mon pénis
n’a plus ses proportions habituelles et normales2.» Certains
sou­tiennent même que leurs organes génitaux sont certes
en place, mais qu’ils ne fonctionnent plus ou que ce sont
1. Sur le concept d’épreuve en sociologie pragmatique, cf. F. Chateauraynaud,
D. Torny, Les Sombres Précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du
risque, Paris, EHESS, 1999, p. 40-45.
2. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, art. cit.
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des membres fantômes ne leur appartenant pas. Beaucoup
­plaident l’impuissance ou la faiblesse sexuelle. Les troubles de
l’érection sont en effet plus difficiles à infirmer et ­fournissent
donc une version plus acceptable des événements. On pourrait ne voir dans les glissements des déclarations des soi-disant
victimes qu’une stratégie de défense mise en œuvre par des
simulateurs. Il semble plutôt que ces confusions et ces inconséquences témoignent, de manière souvent sincère, du trouble
sensoriel et émotionnel des victimes qui ne ­comprennent pas
elles-mêmes ce qui leur arrive exactement.
Face aux multiples dénégations des victimes, l’exhibition
de l’évidence est soigneusement mise en scène. Au Sénégal,
c’est le commissaire en chef de la police dakaroise qui déclare
officiellement dans les médias: «Tous les sexes que j’ai vus
sont à leur place et ils sont tout à fait normaux1.» Au Bénin,
l’examen d’une soi-disant victime révèle «un sexe qui au
repos n’avait rien à envier à un membre en érection2». Lors
des événements de 2001 au Gabon, «des femmes [sont] invitées pour l’occasion à “tester” la virilité [des victimes] – avec
succès – en les “tripotant”3». Et en 2005, les enquêteurs font
à nouveau appel aux «mains expertes d’une jeune fille4».
Les victimes étaient déjà soumises au même test en 1997 au
Ghana5. Au Bénin enfin, une chaîne de télévision exhibe en
gros plan les sexes des soi-disant victimes6. Tout cela pourrait paraître risible. Il ne faut cependant pas se méprendre:
le caractère grotesque de ces mises en scène constitue une
1. «Les rétrécisseurs de sexe», art. cit.
2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou
brûlées vives», art. cit.
3. «La capitale pétrolière du Gabon dans la psychose des “voleurs de sexe”»,
art. cit.
4. «Accusé d’avoir “volé” le sexe d’un enfant, un Gabonais échappe au
lynchage», art cit.
5. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural
psychological analysis», art. cit., p. 89.
6. D. Duplat, «Rumeur et xénophobie: un mélange meurtrier en Afrique
de l’Ouest», art. cit.
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les sexes sont bien en place
s­ tratégie particulièrement efficace pour discréditer les victimes et la rumeur.
La psychologie et la psychiatrie sont également mobilisées
dans cette entreprise de disqualification: l’expérience des
victimes est interprétée en termes psychopathologiques et
devient une psychose, de l’hystérie ou bien un phénomène de
suggestion. La superstition et le faible niveau d’éducation sont
en outre mentionnés à titre de facteurs aggravants. Un officiel
déclare ainsi à la presse sénégalaise que «les victimes sont des
gens qui ont des problèmes psychologiques ou même sexuels.
[…] Cette affaire touche des gens qui n’ont pas un bon équilibre mental1». Un «éminent psychiatre» confie quant à lui
dans la presse soudanaise que «le phénomène est similaire aux
cas de grossesse psychologique chez les femmes2». Parfois,
les médias font également appel à l’expertise des «tradithérapeutes», ces guérisseurs qui sont très nombreux à officier dans
les villes africaines. Ils sont réputés grands connaisseurs des
phénomènes sorcellaires, leur avis possède donc une valeur
déterminante. Or, celui-ci est plus contrasté que ce que l’on
pourrait attendre. Bonne illustration du curieux mélange de
biomédecine et d’ésotérisme dans le discours des tradipraticiens urbains, un nganga gabonais déclare ainsi: «C’est
mystique et magique, ça ne se démontre que sur un plan hautement spirituel. […] Le sexe ne disparaît pas; en réalité, il
perd tout simplement sa forme initiale et sa virilité. Les sensations qui traversent le corps peuvent être considérées comme
la descente de l’énergie vers la zone de l’organe génital, pour
un éventuel rétrécissement. La conséquence, si rien n’est fait
dans l’immédiat, la victime peut souffrir d’une impuissance
sexuelle secondaire3.» Un guérisseur camerounais assure
quant à lui que la disparition du sexe est impossible. Son
1. «Les rétrécisseurs de sexe», art. cit.
2. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises
­disappear», art. cit.
3. «Nouvelle alerte aux “voleurs de sexe” à Port-Gentil», art. cit.
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explication alambiquée s’avère pourtant fort ambiguë. À la
question: «Est-il possible qu’un être humain fasse disparaître
des organes génitaux?», le tradipraticien répond ainsi: «Non.
Cependant, j’estime que certaines personnes qui possèdent
des pouvoirs de sorcellerie peuvent accomplir une telle chose.
Mais, nous les guérisseurs traditionnels, nous savons qu’elles
ne s’en prendraient pas à des innocents. Elles ne peuvent pas
réussir si elles n’ont pas un mobile. Excepté dans ce cas, je
pense que cette histoire de la disparition des sexes est une
supercherie. […] Il y a bien certaines plantes dont j’ai entendu
parler qui peuvent provoquer l’impuissance, le rétrécissement
du pénis ou une hernie des testicules. Mais je ne m’intéresse
pas à ces plantes, ni à aucune autre chose qui pourrait causer
la disparition complète du sexe1.» Et lorsque le journaliste lui
fait remarquer que certaines victimes de vol de sexe ont pourtant témoigné personnellement, il rétorque: «J’estime que
ce sont des histoires à dormir debout qui ­servent à des représailles. Les gens devraient y réfléchir à deux fois pour découvrir d’où vient le problème. Vous avez peut-être un ennemi
ou bien quelqu’un essaie de vous voler votre argent. […] La
vérité est qu’aucune disparition n’a jamais été diagnostiquée à
l’hôpital ou mise en évidence. Je lance un défi: que celui dont
le pénis a disparu vienne se faire soigner gratuitement chez
moi.» Il conclut enfin: «Les gens doivent garder leur calme.
Je me souviens d’un charlatan qui avait voulu me faire chanter
en avertissant les gens de ne plus me serrer la main sous peine
d’avoir le visage entièrement paralysé. Il ne s’agissait que d’un
règlement de comptes.» Le guérisseur ne discrédite donc pas
entièrement la rumeur des vols de sexe, mais cherche surtout à
éviter que des accusations ne se portent sur lui. Sa circonspection témoigne de la proximité ambivalente entre sorcellerie et
contre-sorcellerie: les devins-guérisseurs sont en effet réguliè1. G. Fombe, «“Disappearance of organs is fake”. Interview with tradipra titioner Baaboh Forkinang», Cameroon Tribune, 25 novembre 1996.
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les sexes sont bien en place
rement accusés d’être eux-mêmes des sorciers, puisque seule
la possession des mêmes armes occultes qu’eux leur permet
de les combattre. Comme l’affirme d’ailleurs sans ambages
un proverbe des Bapunu du Gabon, «le sorcier et le nganga
sont des amis». Les devins-guérisseurs doivent donc rester
prudents lorsqu’ils accréditent les histoires de sorcellerie, car
ils risquent eux-mêmes de se retrouver pris dans le cercle des
accusations.
Ces diverses épreuves de vérification conduisent à une
requalification des vols de sexe. Sous la plume des journalistes, ces derniers deviennent une «rumeur», le terme
devant ici être entendu au sens péjoratif de fausse information à laquelle succombe la crédulité populaire. Le champ
journalistique représente en effet le lieu où se joue le partage
entre la simple rumeur et l’information vérifiée. Le vol de
sexe est également souvent qualifié d’«arnaque» ou d’«escroquerie»: les soi-disant victimes accuseraient à tort des innocents de leur avoir volé leur sexe. Comme le notait en effet
déjà Georges Balandier, «certains conflits, qui ne paraissent
relever que des thérapeutiques traditionnelles, puisqu’il s’agit
de sorcellerie et de magie, sont en train de se rationaliser et
d’apparaître en tant que simple délit ou escroquerie1». Les
motivations supposées des fausses victimes varient cependant
considérablement selon les opinions des uns ou des autres.
Pour certains, les accusateurs seraient des pickpockets profitant des attroupements pour détrousser le faux coupable
et les badauds. Un homme accusé de vol de sexe s’insurge
ainsi: «Ce n’est qu’un moyen de monter un coup de vol ou
d’agression quand vous avez beaucoup d’argent ou de beaux
bijoux2.» Pour d’autres, ce seraient plutôt des maîtres chanteurs proposant de retirer leur plainte contre une importante
somme d’argent, ou bien des pillards profitant des violences
1. G. Balandier, Sociologie actuelle des Brazzavilles noires, op. cit., p. 190.
2. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, art. cit.
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pour dévaliser les commerces, ou encore des racistes excitant la population à lyncher des étrangers. Plusieurs commentateurs suggèrent quant à eux qu’il s’agirait en fait de
règlements de comptes entre personnes ennemies, la fausse
accusation fournissant un prétexte commode au tabassage.
Un journaliste gabonais avertit ainsi: «Beaucoup de petits
jaloux exploiteront la situation pour régler les comptes à leurs
rivaux1.» Le fait que les accusations visent presque toujours
des inconnus infirment pourtant totalement cette hypothèse.
Il y en a même qui prétendent que la diffusion de la rumeur
serait le fait de dangereux agitateurs cherchant à déstabiliser
le pays. Au Bénin, on évoque ainsi un véritable complot politique: «Certains avancent des raisons politiques qui méritent
qu’on s’y attarde. […] Le Bénin doit faire face aujourd’hui
à ses “ennemis” qui, visiblement, ne désarment pas. […] Le
seul objectif de toutes ces actions, c’est de créer une psychose
pour rendre le pays dans une totale insécurité, voire à la limite
ingouvernable. […] Que des hommes politiques tapis dans
l’ombre espèrent récupérer la situation pour crier haro sur le
gouvernement et en tirer profit, nous osons ne pas y croire2.»
Ces diverses hypothèses peuvent sembler rassurantes car elles
permettent de démystifier la rumeur. Il n’est donc pas étonnant que la presse occidentale reprenne souvent cette version
des faits qui permet de passer la sorcellerie sous silence. Ces
tentatives de rationalisation du vol de sexe discréditent en
effet la rumeur en inversant les rôles de la victime et du coupable: la victime du vol de sexe se révèle coupable, tandis
que l’accusé devient une victime innocente. Ces rationalisations s’avèrent néanmoins sans véritable fondement. Nous
avons vu que l’expérience des victimes de vol de sexe possède
un fondement émotionnel et somatique tout à fait réel: on
peut donc gager que leur expérience est authentique et leur
1. «Pour moi quoi… Makaya», art. cit., p. 1.
2. «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou
brûlées vives», art. cit.
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les sexes sont bien en place
témoignage sincère. C’est en outre toujours le voleur de sexe
qui est à l’initiative de la rencontre avec sa victime et non
l’inverse, ce qui limite fortement la possibilité pour cette dernière de planifier une escroquerie. Les incidents ne semblent
ainsi que fort rarement instrumentalisés par des individus ou
des groupes. Nulle manigance, nul complot organisé ne se
cachent derrière les vols de sexe. Mais il est révélateur que
la démystification qui vise à saper l’interprétation sorcellaire
suppose encore de penser la rumeur en termes de conspiration intentionnelle, comme si les événements devaient nécessairement avoir été orchestrés. Sorcellerie ou escroquerie, le
vol de sexe ne sort pas du cercle paranoïaque de la raison
intentionnelle. Acteurs et commentateurs ont ainsi le plus
grand mal à accepter que le vol de sexe puisse survenir en
l’absence de toute motivation cachée.
Les démentis publiés dans la presse font partie de la réaction officielle des autorités. Ces dernières utilisent en effet les
médias, notamment les médias d’État, pour tenter de faire
cesser la rumeur. Ministres, préfets et chefs de la police se
voient contraints dans l’urgence de faire des déclarations dans
la presse, à la radio, à la télévision. Dans cette affaire, les autorités sont toutefois moins préoccupées par la fausseté de la
rumeur que par les troubles à l’ordre public qu’elle engendre.
Leur version des événements décrit par conséquent le vol
de sexe en termes d’activité criminelle plutôt que de trouble
psychopathologique. En effet, la justice expéditive pose un
grave problème car elle conteste le monopole de l’État sur
la violence légitime. L’intervention des pouvoirs publics suit
partout le même schéma: démenti de la rumeur, appels au
calme, et surtout consignes à la police et la justice d’arrêter et
poursuivre les fauteurs de trouble. Alors qu’au début des événements, les supposés voleurs de sexe étaient parfois arrêtés
par les forces de l’ordre, maintenant ce sont les accusateurs
et les lyncheurs qui sont poursuivis pour fausses accusations,
troubles à l’ordre public, coups et blessures volontaires,
homicides. En juillet 2007 au Sénégal, deux hommes sont
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par exemple condamnés à deux mois de prison ferme et
­doivent payer 163 000 francs CFA de dommages et intérêts
au Ghanéen qu’ils avaient à tort accusé d’avoir volé leur sexe1.
Certes, la foule s’oppose plus d’une fois à l’arrestation des
lyncheurs qu’elle acclame comme des justiciers. Les événements entraînent parfois des heurts violents entre la police
et la population, voire des émeutes. En mars 1997, la police
d’Abidjan est obligée d’utiliser des gaz lacrymogènes pour
disperser une foule hostile qui s’apprête à lyncher un présumé
voleur de sexe2. En juin 2006 au Bénin, la ville de Parakou
doit être «fortement militarisée sur ordre du préfet» afin de
mettre un terme aux violences3. Le mois suivant, la brigade
de gendarmerie de la ville de Toucountouna est entièrement
démolie par un groupe de jeunes gens en furie voulant lyncher un présumé voleur de sexe en garde à vue4. Après que le
malheureux a été lapidé, l’émeute tourne à la bataille rangée
entre les gendarmes et une foule armée entre autres d’arcs
et de flèches. Malgré les renforts de deux brigades de gendarmerie et d’un bataillon militaire, les violences se poursuivent encore toute la nuit, alors que les assaillants se sont
repliés sur les hauteurs d’une montagne. Ces affrontements
ne durent cependant pas très longtemps. Largement médiatisés afin d’avoir un meilleur effet dissuasif, les arrestations,
les procès et les condamnations des accusateurs et des lyncheurs ­finissent généralement par conduire à l’extinction des
violences mais aussi, semble-t-il, de la rumeur5.
1. H. Bangré, «Sénégal: sus aux rétrécisseurs de sexe!», Afrik.com, 5 juillet
2007.
2. «Mind your penis!», Magnus Magazine, 13 mars 1997.
3. V. Olowo, «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 ble sés graves et 17 personnes arrêtées», art. cit.
4. H. Yotto, «Phénomène de vol de sexe: un mort, deux blessés graves et la
brigade saccagée à Toucountouna», Le Matinal (Cotonou), 19 juillet 2006.
5. Sur la finalité essentiellement dissuasive des procès des fauteurs de ­trouble
par la justice ghanéenne, cf. R. Gocking, «The tribunal system in Ghana’s
Fourth Republic: an experiment in judicial reintegration», art. cit., p. 59-60.
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Tout au long des événements liés au vol de sexe, l’opposition entre victime et agresseur se révèle donc très instable
et sujette à de multiples inversions. En 1996 à Douala, trois
hommes sont accusés de vol de sexe par un apprenti dans
un magasin, alors qu’ils venaient récupérer un magnétoscope
laissé en réparation1. Molestés par la foule, ils sont sauvés
in extremis par l’intervention de la police. Pourtant, témoigne
l’un d’entre eux, «conduits au commissariat, on nous a battus
et gardés pendant trois jours. Il a fallu négocier très fort pour
être libérés». Une fois sortis, les trois individus retournent
toutefois à la police pour porter plainte contre leur accusateur. Dans les affaires de vol de sexe, les autorités demandent
en effet souvent aux forces de l’ordre de placer en garde à
vue aussi bien les présumés voleurs que les soi-disant victimes et les lyncheurs. Arrêter les voleurs de sexe est en effet
la meilleure façon de les protéger contre la vindicte populaire. Mais cela entraîne la plus grande confusion dans les
commissariats. Lors des incidents de 2003, «les Soudanais,
indécis dans leur gestion de l’affaire, ont arrêté 40 personnes
ayant porté plainte pour vol de sexe, de même que 50 autres
personnes suspectées de sorcellerie et d’escroquerie. De nombreux Ouest-Africains ont été conduits au commissariat afin
d’être questionnés, alors que la foule tentait de les assaillir2».
Décontenancé, un policier de haut rang déclare alors: «Nous
avons rencontré les suspects et avons découvert qu’ils étaient
en réalité les victimes.» Dans les tribunaux, la situation est
parfois tout aussi embrouillée. En Afrique, il n’est pas inhabituel que les affaires de sorcellerie soient portées devant la
justice. Pendant la période coloniale, les juges refusaient la
plupart du temps de prendre en compte les accusations de
sorcellerie et c’étaient alors plutôt les accusateurs et les devinsguérisseurs qui se retrouvaient condamnés pour diffamation.
1. «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah, art. cit.
2. Cité in «Panic in Khartoum: foreigners shake hands, make penises di appear», art. cit.
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les voleurs de sexe
Mais depuis quelques décennies, il arrive que des tribunaux
poursuivent et condamnent des individus pour des «faits»
de sorcellerie, les devins-guérisseurs étant mobilisés comme
témoins dans l’établissement de la preuve1. C’est ainsi que
des voleurs de sexe ont été déférés devant les tribunaux. En
juin 2007 à Guédiawaye, au Sénégal, deux rétrécisseurs de
sexe se retrouvent «dans le collimateur de la justice2». L’avocat
de la défense fait pourtant remarquer au procureur que ses
clients ont été battus et torturés par le plaignant, dont il n’a
en outre jamais été prouvé que le sexe avait rétréci. On ignore
cependant le verdict du tribunal. Quelques mois plus tard
dans le même pays, un Bissau-Guinéen accusé d’avoir volé
au moins deux pénis et «qui risquait six mois ferme requis
par le parquet, avait été déclaré coupable de charlatanisme et
trouble à l’ordre public avant d’être condamné à une peine de
trois mois ferme» par le tribunal de Ziguinchor. En revanche,
son «complice» présumé, un Sénégalais «qui n’avait serré
aucune main, a été relaxé purement et simplement3». La
confusion qui s’insinue jusque dans les tribunaux est bien
marquée par cet étrange paradoxe qui consiste à condamner
un voleur de sexe pour «charlatanisme». Comme le relève en
effet un avocat sénégalais interrogé par le journaliste, «si les
faits sont vrais, je ne vois pas pourquoi on l’a condamné pour
charlatanisme parce que ce prévenu est un vrai marabout et
non un charlatan». Mais il est vrai que le terme «charlatan»
peut prêter à confusion: en Afrique, il désigne souvent, non
pas un imposteur, mais au contraire un «vrai» guérisseur.
Dans la rue, la confusion règne tout autant. Le cas du Ghana
illustre de manière édifiante ces retournements entre agresseur
1. C. Fisiy, P. Geschiere, «Judges and witches, or how is the State to deal
with witchcraft? Examples from Southeast Cameroon», Cahiers d’études africaines, 118, 1990, p. 135-156.
2. L. Sidibé, «Guédiawaye: deux “rétrécisseurs de sexe” dans le collimateur
de la justice», L’Office (Sénégal), juillet 207.
3. «Recrudescence d’un phénomène. Le “rétrécissement de sexe”, mythe ou
dure réalité?», Le Soleil, 8 décembre 2007.
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et victime1. En 1997, sept voleurs de sexe sont lynchés à la
mi-janvier. Le 22 janvier, une fausse victime est condamnée à
un an de travaux forcés. On compte alors onze morts et onze
personnes poursuivies pour fausses allégations. De nouveau
le 24 janvier, une personne en accuse une autre d’avoir fait
disparaître son sexe. Cette fois-ci la foule examine le membre
viril de la victime: il est bien en place. La victime est alors
lynchée à la place du faux coupable. Dans la confusion des
événements, victimes et coupables sont ainsi bien difficiles à
discerner les uns des autres.
La requalification des vols de sexe en escroquerie n’est
pas non plus exempte d’ambivalence car l’escroc n’est pas
toujours celui que l’on croit. Tantôt on explique qu’il ne
s’agit que de fausses accusations destinées à faire payer les
accusés innocents. Tantôt on suggère au contraire que le
vol de sexe est bien réel, mais qu’il ne servirait qu’à fournir
un prétexte pour obtenir une rançon substantielle contre
la restitution du sexe: cette interprétation de la rumeur se
retrouve au moins au Gabon, en Gambie, au Sénégal, au
Soudan et au Niger. On évoque même parfois une «bande
organisée», voire un «syndicat mystique». Le réseau serait
organisé en deux groupes: l’un chargé de faire disparaître
les sexes, l’autre proposant ensuite de les restituer contre
paiement en se présentant comme des guérisseurs. Ainsi à
Niamey, «des inconnus, assez bien habillés, membres d’un
réseau bien organisé, vous abordent dans la rue sourire aux
lèvres et vous tendent la main en guise “d’amitié”. Sans
méfiance aucune, vous jouez à leur jeu. Et sitôt qu’ils vous
ont quitté, vous ne sentez plus vos attributs. Des hommes
ont été victimes depuis quelques jours de ces malveillances.
La proie est ciblée, généralement une personne capable de
1. «Esprits mal placés», Libération, 18 janvier 1997; J. Hatzfeld, «Ghana:
pénis et lynchages», Libération, 21 janvier 1997; «Ghana: pénis et travaux forcés», Libération, 22 janvier 1997; J. Hatzfeld, «Ghana: pénis et
­mensonges», Libération, 24 janvier 1997.
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“banquer” quelques billets de CFA pour retrouver son bien.
Quand la foule afflue, suite aux jérémiades du “dindon”,
un complice du malfaisant se présente toujours et propose
ses bons offices. Il joue au marabout, envoyé du Seigneur,
pour contrer le mauvais sort. Et comme la victime (ou ses
parents) n’a pas le choix, le tour est joué! ­Le sexe réapparaît.
Ils se retrouveront plus tard dans une maison obscure d’un
quartier de la place pour partager le butin1». Au Gabon,
un accusé avoue d’ailleurs sous la pression pouvoir restituer le sexe volé contre 4 millions de francs CFA (environ
6 000 euros). Au Soudan, pays plus pauvre, la rançon ne
dépasserait pas 2 500 euros, somme pourtant déjà considérable. Cette version du coup monté par un voleur de sexe
et son complice faux guérisseur est d’ailleurs curieusement
reprise par un journaliste français qui réduit le vol de sexe à
une «simple affaire d’escroquerie2». Il s’agit en effet selon lui
d’une «escroquerie montée par de faux colporteurs de médicaments mais vrais charlatans ambulants». Sa stratégie de
rationalisation repose cependant sur deux invraisemblances
flagrantes. Selon lui, l’escroc touche à dessein sa victime qui
sent alors son sexe «qui aussitôt se recroqueville, pire qui
disparaît au plus profond du corps». Or, l’auteur, qui ne
croit évidemment pas lui-même à la réalité du vol de sexe,
­n’explique toutefois pas comment l’escroc aurait le pouvoir
de provoquer à volonté un tel effet sur ses victimes. Il est en
outre absurde de penser que des individus aient cherché à se
faire passer pour un voleur de sexe et son ­complice au risque
d’être immédiatement lynchés par la foule.
À travers sa mise à l’épreuve, la rumeur du vol de sexe se
trouve ainsi exposée à la controverse. De nombreuses versions des faits – souvent embrouillées et ambiguës – circulent
et sont mises en concurrence, sans qu’aucune ne parvienne
1. «Sexe et commérages. Les truands reviennent!», art. cit.
2. J.-J. Mandel, «Les rétrécisseurs de sexe. Chronique d’une rumeur so cière», art. cit., p. 188-189.
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les sexes sont bien en place
vraiment à s’imposer de manière définitive. Au moment où
les incidents cessent sous l’action dissuasive des autorités, la
controverse n’est pas close, ouvrant la voie à sa réouverture
ultérieure lors de la réapparition de la rumeur quelques mois
ou quelques années plus tard.
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tc à changer
Y croire ou pas
Qu’on la tienne pour une rumeur, de la magie, un complot
ou une escroquerie, l’affaire des vols de sexe trouble les esprits
et brouille les frontières entre les victimes et les agresseurs.
Cette instabilité des relations constitue un trait récurrent de
la sorcellerie en Afrique, que le sorcier prenne le masque d’un
innocent pour le faire accuser à sa place, ou qu’une accusation de sorcellerie entraîne une contre-accusation. Tout cela
contribue à installer un climat de suspicion généralisée car
on ne sait plus qui sont les victimes et qui sont les agresseurs.
Comme le remarque très justement un journaliste gabonais,
«tout le monde devient suspect aux yeux de tout le monde1».
La rumeur des vols de sexe engendre une perte de confiance
dans la réalité quotidienne: on en vient à douter des intentions d’autrui jusque dans les interactions les plus ordinaires2.
Selon un paradigme classique en sciences sociales, la rumeur
serait le produit de situations ambiguës, ce qui expliquerait
que la majorité d’entre elles soient des rumeurs de crise3.
Le processus de diffusion et de réélaboration de la rumeur
1. Assoumbou-Mombey, «Psychose généralisée», art. cit.
2. Le climat d’angoisse engendré par la «menace terroriste» a les mêmes
effets: dans les transports en commun, on en vient facilement à suspecter
son voisin, surtout s’il arbore un «teint basané» et porte un «colis suspect»,
confirmant ainsi les stéréotypes en vigueur. Mais le vol de sexe est plus inquiétant encore, dans la mesure où la suspicion ne se focalise pas nécessairement
sur une identité stéréotypée.
3. G.W. Allport, L. Postman, The Psychology of Rumor, op. cit.
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les voleurs de sexe
représenterait alors une négociation collective visant à réduire
cette ambiguïté. S’appuyant sur les travaux de Leon Festinger
sur la dissonance cognitive, le sociologue Tamotsu Shibutani
fait ainsi de la rumeur une sorte de «résolution collective de
problèmes» (collective problem-solving)1. L’exemple des vols
de sexe prouve cependant que la rumeur peut au contraire
secréter elle-même l’ambiguïté et la dissonance cognitive,
lorsqu’elle incite à la suspicion généralisée.
Ce climat de confusion quelque peu paranoïaque nous
amène à examiner de plus près le type de croyance que la
rumeur suppose. Les gens croient-ils aux voleurs de sexe?
Ou plutôt comment y croient-ils? Selon un cliché répandu,
la rumeur susciterait l’adhésion la plus crédule, un aveuglement tel qu’il pousserait à croire l’incroyable. Nous avons vu
qu’il n’en est rien: la diffusion de la rumeur n’empêche pas
­l’interrogation critique sur son statut. Imputer la rumeur à la
crédulité populaire, comme le font souvent les stratégies de
démystification rationaliste, ne fait que reconduire le grand
partage méprisant entre «eux» et «nous», entre la croyance
et le savoir: c’est en effet toujours l’autre qui croit. Comme
le note Gérard Lenclud, «la croyance est un jugement dogmatique sur le psychisme d’autrui2». Le cas des vols de sexe
montre au contraire que la question de la croyance ne saurait se résumer à une alternative tranchée entre la crédulité
et l’incrédulité: ses modalités sont autrement complexes et
subtiles. L’attitude à l’égard de la rumeur témoigne ainsi de la
porosité de la frontière entre croyance et incroyance. Ce que
1. L. Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford, Stanford
University Press, 1957; T. Shibutani, Improvised News: A Sociological Study of
Rumor, New York, Bobbs-Merrill Co, 1966.
2. G. Lenclud, «Vues de l’esprit, art de l’autre. L’ethnologie et les ­croyances
en pays de savoir», Terrain, 14, 1990, p. 5-19, ici p. 5. Pour un examen
critique du concept de croyance en anthropologie, cf. R. Needham, Belief,
Language and Experience, Oxford, Blackwell, 1972; J. Pouillon, «Remarques
sur le verbe “croire”», in M. Izard, P. Smith (dir.), La Fonction symbolique,
Paris, Gallimard, 1979, p. 43-51.
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y croire ou pas
révèlent en effet les discours des personnes concernées, c’est un
mélange, parfois confus, de scepticisme et de conviction. Au
Ghana, à partir d’un échantillon de personnes avec lesquelles
ils ont eu des entretiens, Glenn Adams et Vivian Dzokoto
relèvent ainsi que 45 % d’entre elles croient aux vols de sexe
et 23 % n’y croient pas, tandis que 32 % restent sceptiques
– cette répartition étant d’ailleurs indépendante du niveau
d’études1.
Les titres des micros-trottoirs réalisés par la presse gabonaise
lors des épisodes de vols de sexe de 1997 et de 2001 ­confirment
l’éclatement des opinions: «Des avis très mitigés!», «Vol
présumé de sexes. Entre incrédulité et inquiétude»2. Les avis
des personnes interrogées illustrent en effet toute la gamme
possible allant de la crédulité à l’incrédulité. Certains sont
entièrement convaincus de la réalité des vols. Ainsi cette
ménagère qui assure: «Le phénomène des voleurs d’organes
sexuels est réel. Je ne veux pas faire le saint Thomas. J’ai déjà
pris mes précautions et tant pis pour celui qui osera!» La
menace voilée est révélatrice: la femme suggère à demi-mots
qu’elle est capable de retourner par des moyens magiques la
sorcellerie contre un éventuel agresseur. Ce type de protection
est ce que les Gabonais appellent habituellement un «retour
à l’envoyeur». Insinuant que les voleurs de sexe risquent de
perdre leur propre pénis à essayer de s’attaquer à elle, la femme
contribue ainsi à brouiller encore un peu plus les pistes. Mais
c’est là une conséquence typique du cercle ambigu formé par
la sorcellerie et la contre-sorcellerie: on ne peut combattre la
sorcellerie que si l’on possède les mêmes armes qu’elle. Pour
beaucoup, la croyance dans la réalité des vols de sexe repose
1. G. Adams, V.A. Dzokoto, «Genital-shrinking panic in Ghana: a cultural
psychological analysis», art. cit., p. 88.
2. «Des avis très mitigés!», propos recueillis par A. Ondoubas, art. cit.;
«Vol présumé de sexes. Entre incrédulité et inquiétude», propos recueillis
par R.M. d’Oguewa, L’Union, 3 avril 2001, p. 7. Voir aussi le micro-trottoir
réalisé par la radio togolaise: «Disparition de sexes au Togo, mise en scène ou
réalité?», art. cit.
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les voleurs de sexe
sur la seule crédibilité du ouï-dire: croire à la rumeur, c’est
«voir avec les oreilles» comme on dit parfois en Afrique. Mais
d’autres personnes interviewées invoquent le témoignage oculaire comme source de leur conviction. Ainsi ce père de famille
qui déclare: «J’y crois parce que j’ai assisté à une scène au
quartier Miniprix.» Cette affirmation est intéressante car elle
révèle que, pour beaucoup, c’est en réalité le lynchage qui
prouve le vol de sexe. Cela confirme également que le vol de
sexe ne se réduit pas à des rumeurs dont la force de conviction repose uniquement sur la crédibilité du ouï-dire, mais
implique aussi des événements dont on peut attester personnellement. Certains encore sont convaincus mais malgré eux,
comme cette victime qui explique: «C’est en empruntant un
taxi que ce que je prenais pour une simple rumeur est devenu
réalité à mes dépens. Un autre client est descendu au même
endroit que moi. À peine m’a-t-il frôlé que j’ai senti une certaine décharge électrique. Du coup, j’ai soupçonné ce dernier,
puisqu’il avait un regard coupable. J’ai donc alerté l’entourage
qui a sommé l’indésirable d’expliquer son geste. Vu la pression
exercée par le groupe, il a avoué son forfait et m’a demandé
de lui accorder quelque temps de concentration, afin qu’il
me rende mon sexe à sa dimension habituelle. Ce qui fut fait,
mais une fois à la police, personne n’a voulu me croire. C’est
dommage.» La rumeur est en tout cas suffisamment menaçante pour qu’il soit imprudent de ne pas y croire au moins
un peu. Pourtant, certains restent parfaitement incrédules.
Ainsi cette secrétaire qui assure: «Jusqu’à présent je n’ai rien
vu. […] En fait je n’y crois pas personnellement.» Ou encore
cette femme sarcastique qui se gausse: «Même les impuissants vont prétendre qu’on leur a piqué le sexe.» Cet humour
caustique prouve bien la distance critique que les individus
sont capables d’avoir vis-à-vis de la rumeur.
Le plus grand nombre reste indécis, ne sachant trop quoi
en penser – position ambivalente dont nous avons vu qu’elle
s’exprimait également dans de nombreux articles de journaux
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y croire ou pas
consacrés à ce sujet. La perplexité semble l’attitude la mieux
partagée. Un sapeur-pompier témoigne par exemple: «Je
crois que c’est un phénomène inquiétant. Tantôt on est tenté
de croire, tantôt on se demande comment cela peut se faire.
Personnellement je n’ai pas encore un avis définitif sur ce problème. Quand je suis les médias, on dit qu’il y a des témoignages. Cependant, on ne nous a jamais montré quelqu’un
sans sexe. […] Dans tous les cas, je crois que la magie est
derrière cette affaire.» Un cadre renchérit: «C’est une affaire
qui surprend tout le monde. Au départ, on parlait de rumeur,
aujourd’hui, on se rend compte qu’il s’agit d’un fait réel. La
question que je me pose est celle de savoir pourquoi il y a de
tels agissements. Nul ne sait. Si bien qu’aujourd’hui, il n’est
pas rare de voir les gens avoir toujours la main sur leur sexe,
surtout à bord d’un taxi, puisqu’on ne sait plus qui est qui.»
La conclusion de ce témoignage illustre fort bien la suspicion et la confusion généralisées que la rumeur provoque.
D’autres, incapables de donner un sens aux événements,
s’inter­rogent. Ainsi cette commerçante: «La question que je
me pose, c’est celle de savoir qui est derrière tout cela. Est-ce
que cela est lié à la politique, puisque les élections c’est pour
bientôt? Personne ne sait. […] Il faut être victime ou témoin
de l’événement pour y croire.» Au Gabon, les périodes électorales représentent en effet des moments particulièrement
sensibles pendant lesquels les sorciers au service des candidats sont réputés se livrer à toutes sortes d’exactions. La commerçante suggère ainsi à demi-mots qu’il pourrait y avoir un
lien entre les vols de sexe et les crimes rituels. Beaucoup de
témoignages sont en réalité ambigus et peuvent donner lieu
à une double interprétation. Comme celui de cette mère de
famille: «Pour moi, ce sont des pratiques sataniques qu’il
faut donc réprimander. Les gens de mauvaise intention profitent de la naïveté des Gabonais pour les manipuler psychologiquement quand ils en ont envie.» On ne sait en effet
qui est, selon elle, le naïf dans cette affaire. Mais ce garagiste
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ouest-africain est sans doute le plus désemparé d’entre tous:
«Je suis inquiet chaque fois que j’emprunte un taxi, ou qu’un
groupe de gens m’approchent, ou encore qu’un homme me
fixe des yeux. Je suis alors obligé d’attraper mon sexe de peur
de le perdre. Il faut donc que les autorités locales prennent les
choses en main [sic!], surtout qu’il y a déjà eu mort d’homme.
Et aujourd’hui, ce sont les étrangers qui sont pointés du
doigt. C’est pourquoi ça m’effraie.» Le lapsus est éloquent:
impuissant, l’homme s’en remet aux autorités pour qu’elles
pro­tègent sa virilité. Mais ces propos angoissés témoignent
surtout de l’ambiguïté qui règne dans les affaires de vol de
sexe. Le malheureux garagiste redoute à la fois d’être la victime d’un voleur de sexe et accusé d’en être un (en tant que
ressortissant de l’Afrique de l’Ouest immigré au Gabon). Ne
sachant que penser, il s’imagine dans toutes les positions possibles de la victime. Cela montre bien le climat d’insécurité
généralisée qu’instaure la rumeur.
L’attitude des quidams à l’égard des voleurs de sexe fait
ainsi la part belle au doute et au scepticisme. C’est là en réalité un trait constitutif de la rumeur. Comme l’affirme en
effet fort justement l’éditorial du premier numéro du journal
populaire congolais La Rumeur: «Prêtez-moi l’oreille, pas
votre confiance. […] La Rumeur est toute faite pour vous:
l’homme a bien plus besoin de doute que de certitude1.»
Cette ambivalence quant au crédit à accorder à cette rumeur
se retrouve d’ailleurs dans la plupart des histoires de sorcellerie: ces dernières reposent toujours sur des suspicions incertaines à propos d’acteurs invisibles ou d’agissements occultes.
Forme inédite de sorcellerie que l’on suppose en outre souvent venir d’ailleurs, le vol de sexe trouble alors encore davantage les esprits. Comme le remarque cette nganga gabonaise:
«ce sont les Ouest-Africains qui viennent nous embrouiller
1. Cité in N. Martin-Granel, «Rumeur sur Brazzaville: de la rue à l’écr ture», art. cit., p. 375.
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y croire ou pas
avec leurs méthodes insolites1». C’est moins l’accusation des
ressortissants d’Afrique de l’Ouest que la confusion de cette
femme normalement experte en contre-sorcellerie qui me
paraît remarquable ici. Il en va des voleurs de sexe comme
des fantômes pour Mme du Deffand qui se serait exclamée
à leur propos: «Je n’y crois pas, mais j’en ai peur2.» Une
attitude non pas d’incrédulité, mais plutôt incertaine à leur
égard, n’empêche pas, bien au contraire, une série de réactions, d’affects, d’actes et de discours. La confusion se révèle
par conséquent le relais le plus efficace de la rumeur: son
ambiguïté facilite paradoxalement sa propagation. À propos
des histoires d’objets volants non identifiés qui enflamment
fiévreusement la France et les États-Unis après la Seconde
Guerre mondiale, Pierre Lagrange souligne que c’est justement le doute et l’incertitude qui déclenchent les enquêtes
passionnées des «ufologues», et contribuent ainsi à répandre
et relancer la croyance aux ovnis3. En définitive, qu’il s’agisse
d’histoires de voleurs de sexe, de sorciers, de fantômes, de
dragons ou de soucoupes volantes, l’attitude épistémique des
acteurs à l’égard de ces croyances apparemment irrationnelles
s’exprime le plus souvent sur le mode ambigu du «je sais
bien, mais quand même4». Et c’est justement cette petite
hésitation qui assure le succès culturel de ces histoires.
1. J. Ondo Nguema, «Un faux problème, apparemment», L’Union, 18 juin
1997.
2. J. Bazin, «Les fantômes de Mme du Deffand: exercices sur la croyance»,
Critique, 529/530, 1991, p. 492-511.
3. P. Lagrange, «Enquêtes sur les soucoupes volantes. La construction d’un
fait aux États-Unis (1947), et en France (1951-1954)», Terrain, 14, 1990,
p. 92-112.
4. O. Mannoni, «Je sais bien mais quand même», in Clefs pour l’imaginaire
ou l’Autre Scène, Paris, Seuil, 1969, p. 9-33.
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Conclusion
Le vol de sexe est moins une anecdote prêtant à rire qu’une
affaire exemplaire permettant de comprendre l’Afrique
contemporaine, les formes de sociabilité et les modes de
communication qui y ont cours. Aussi incroyable puisset‑elle paraître au premier abord, la rumeur constitue un fait
social «normal» qu’il s’agit de décrire, et non une aberration de l’opinion qu’il faudrait dénoncer. Nous avons écarté
les interprétations simplistes en termes de pathologie ou de
crédulité, et essayé de déterminer ce qui en fait une histoire
particulièrement bonne à penser et à raconter, ce qui peut
expliquer sa diffusion géographique sur une si vaste échelle
et sa récurrence sur plusieurs décennies. Nous avons cherché
à bâtir une épidémiologie culturelle du vol de sexe en suivant une double ligne descriptive et analytique: il s’est agi de
détailler la dynamique de diffusion spatio-temporelle du vol
de sexe et de mettre au jour le faisceau de facteurs (déclenchants, renforçants ou facilitants) qui peuvent l’expliquer. En
jouant sur des sauts d’échelle, nous avons eu le souci d’articuler vue d’ensemble et vue de détail afin de rendre compte
tant de la propagation internationale de la rumeur que des
circonstances précises des accusations au niveau local. En
étant attentifs aux détails des situations, des interactions et
des énonciations, nous nous sommes efforcés de dégager de
l’intérieur les enjeux autour desquels se focalisent les vols de
sexe, afin d’éviter toute surinterprétation.
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Nous avons souligné l’importance d’un ensemble de représentations stabilisées qui préexistent à la rumeur et facilitent
ainsi son émergence. Les histoires de vols de sexe partagent en
effet un air de famille avec toute une collection de représentations sorcellaires largement présentes sur le continent africain
et qui se focalisent justement sur une atteinte à la sexualité ou
sur le vol d’organes. Sans verser dans l’interprétation psychanalytique des angoisses de castration ou d’impuissance, il est
également évident que la virilité est un sujet particulièrement
sensible: cela contribue à faire du vol de sexe une histoire
saisissante d’un point de vue émotionnel et donc immédiatement accrocheuse. Le vol de sexe dépend également d’un
environnement spécifique qui constitue en quelque sorte sa
niche écologique: l’environnement urbain. Il apparaît en
cela comme un genre inédit de sorcellerie, très différent de
la sorcellerie familière. À travers une évocation inquiète des
rues et des marchés, des poignées de main entre inconnus
et des collisions avec des étrangers, le vol de sexe révèle un
malaise concernant la vie citadine et ses modes de sociabilité, parcourus par une tension entre le contact et l’évitement.
Ainsi, ce n’est pas l’anomie urbaine qui est au principe du
vol de sexe, mais bien une forme d’insécurité inhérente à un
type spécifique d’interactions urbaines: les rencontres entre
inconnus. La prééminence en ville d’un mode d’identification
catégoriel d’autrui explique en outre pourquoi les accusations
de vol de sexe se cristallisent si facilement sur des étrangers.
De fréquentes tensions sociales préexistantes facilitent encore
cette focalisation sur tel ou tel groupe allochtone.
Au sein de cette niche écologique, la rumeur annonçant la
présence de voleurs de sexe se diffuse intensément, rapidement et très largement, notamment par le bouche-à-oreille.
La fonction d’alerte propre à toutes les rumeurs négatives
suffit à expliquer un tel mode de propagation. La nouvelle
apparaît en effet de la plus haute importance et revêt un caractère d’urgence impérieuse. Il y aurait alors un danger à ne pas
la faire connaître autour de soi, qu’elle se révèle finalement
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conclusion
vraie ou fausse: mieux vaut être trop prudent que pas assez.
Relayer la nouvelle constitue en outre un bon moyen pour
tester sa crédibilité: cela permet de savoir ce qu’en pensent ses
pairs et donc de moduler sa propre attitude épistémique en
fonction de leurs réactions. Colporter la rumeur ne présuppose donc nullement que les propagateurs soient entièrement
convaincus de son bien-fondé. L’épistémie ambiguë qui caractérise la rumeur des voleurs de sexe représente au contraire le
relais le plus efficace de sa transmission. À partir d’un certain
seuil, la propagation de la rumeur s’entretient de toute façon
elle-même par un processus autocatalytique. La circulation
de la rumeur installe un climat d’angoisse qui suractive les
réactions de peur et accentue en outre la saillance cognitive
du schéma d’interprétation des rencontres entre inconnus
en termes de vols de sexe. Toutes les conditions sont réunies
pour que la moindre sollicitation interactionnelle de la part
d’un inconnu puisse déclencher une réaction de frayeur dont
les symptômes (frisson, malaise, picotements, réduction du
volume pénien, contraction du scrotum) sont immédiatement
interprétés comme les indices d’un vol de sexe. L’alarme de la
victime précipite alors la mobilisation puis la réaction violente
de la foule, selon un schéma d’action stabilisé préexistant à la
rumeur: le lynchage constitue en effet un registre populaire
d’action collective largement répandu en Afrique subsaharienne. Ces événements renforcent encore la saillance de la
rumeur et relancent tout naturellement sa diffusion. Le vol
de sexe ne repose donc pas uniquement sur des récits, mais
implique également des événements bien réels, des affects et
des actions. Sans cet ancrage interactionnel et émotionnel, la
rumeur n’aurait jamais pu avoir un tel succès culturel.
L’apparition initiale de la rumeur de vols de sexe au tout début
des années 1970 au Nigeria résiste en partie à l’explication.
Pourquoi précisément à cet endroit-là et ce moment-là? Tout
au plus peut-on conjecturer que son émergence résulterait de
la transposition d’une forme préexistante de sorcellerie (déjà
focalisée sur le sexe) qui aurait été adaptée à l’environnement
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du trafic urbain, dans un contexte où les rencontres entre
inconnus deviennent particulièrement sensibles, possiblement du fait des tensions interethniques provoquées par la
guerre du Biafra. Il est en revanche plus aisé de rendre compte
de sa propagation transnationale et de sa réapparition périodique sur quatre décennies. Dès lors qu’elle est apparue en un
lieu, la rumeur des voleurs de sexe a tendance à se propager
de proche en proche aux villes et aux pays voisins. Contrairement aux ragots personnels, la rumeur publique concerne virtuellement tout le monde et garde donc la même pertinence
(puisqu’on est partout amené à rencontrer des inconnus). On
peut alors penser que la présence de diasporas d’un pays dans
les États voisins constitue un relais qui favorise le passage des
frontières de la rumeur. Mais c’est également la reprise de la
nouvelle dans les médias qui amplifie considérablement sa
propagation à la fois en extension (elle multiplie son public)
et en intensité (elle contribue à faire de la rumeur un scandale public). C’est d’ailleurs sans doute l’une des raisons pour
lesquelles l’internationalisation de la rumeur dans les années
1990 coïncide avec l’émergence d’une presse libre en Afrique
qui entraîne une explosion rapide du nombre de journaux.
Mais cette intense médiatisation contribue en même temps
à son extinction. Les médias participent en effet à la mise à
l’épreuve de la rumeur à travers les enquêtes des journalistes,
mais aussi en se faisant l’écho des expertises médicales et des
déclarations officielles. Ils participent ainsi activement à propager des versions concurrentes de l’affaire des vols de sexe qui
visent à discréditer la rumeur. Dans le même temps, juges et
policiers s’efforcent de décourager sa diffusion en réprimant
ses propagateurs. Cette série d’actions destinées à contrecarrer
la rumeur mène finalement à son extinction, du moins provisoire. Ces interventions sont toutefois trop circonstancielles
pour miner durablement la pertinence de la rumeur et faire
obstacle à sa réapparition ultérieure. Les voleurs de sexe n’ont
donc certainement pas fini de semer la panique…
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Cartes
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166
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cartes
Carte 1
Le vol de sexe au Nigeria depuis 1975
TCHAD
NIGER
Kano
Maiduguri
2004
Kaduna
BÉNIN
1975
Abuja
NIGERIA
2002
2008
2001
1990 2001
2009
Ibadan
Lagos
1975-1977
1990
1996
CAMEROUN
2006
1978
Port Harcourt
1975-1976
1982-1983
1992
1996
2006
2008-2009
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les voleurs de sexe
Carte 2
Étapes de propagation de la rumeur (1996-1997)
Mauritanie
août-sept. 1997
Sénégal
juillet 1997
Mali
avril-mai 1997
Burkina Faso
avril-mai 1997
Côte d’Ivoire Togo
mars 1997 déc. 1996 Nigeria
1996
Ghana
janvier 1997
Cameroun
oct.-nov. 1996
Gabon
juin 1997
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cartes
Carte 3
Étapes de propagation de la rumeur (2001-2002)
Gambie
avril-sept. 2002
Côte d’Ivoire
mars 2002
Bénin
nov. 2001
Nigeria
Ghana
avril 2001
jan. 2002
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les voleurs de sexe
Carte 4
La rumeur des vols de sexe en Afrique (1975-2009)
Mauritanie
Sénégal
1997
Gambie 2003
1997
Mali
1993?
1997
2001
2004
2002-2003 2005
2007-2009
Guinée
2000?
Burkina Faso
1997-1998
2006-2007
Niger
2004
2007
Tchad
1995
Soudan
2003
Liberia?
Nigeria
Côte d’Ivoire Bénin
2001
1997 Ghana 2006 1975-1978
Cameroun
1990
2002
2007
1997
2002
2007
1975-1976
1996
2001-2002 1982-1983
1992
1996-1997
1996
2008-2009 2006, 2008-2009
2002
2005-2006
Gabon
Congo
1997
2001
1999?
RDC
2005
2008
2008
Togo 2004
2006
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Bibliographie
Articles de presse
Bénin
– «À Cotonou, psychose aux “voleurs de sexe”: 5 personnes lynchées ou brûlées vives», Le Matinal (Cotonou), novembre 2001.
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2001.
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2001.
– «Cinq “voleurs de sexe” brûlés vifs», J.-L. Aplogan, RFI
(Cotonou), 8 décembre 2001.
– «Au Bénin, les “voleurs de sexe”», T. Kouamouo, Le Monde,
22 décembre 2001.
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– «Vol de sexe à Parakou. Dessous féminins et politiques», Aliou
Kodjovi, Babilown (blog béninois), 11 juin 2006.
– «Insolite dans le septentrion: un 2e cas de vol de sexe à Parakou
en 48 heures», Adékounlé Adéola, Le Matinal (Cotonou), 12 juin
2006.
– «Violence dans le Septentrion: 2 présumés voleurs de sexe tués
à Parakou», Adékounlé Adéola, Le Matinal (Cotonou), 15 juin
2006.
– «Réapparition du phénomène de vol de sexe au Bénin: signe du
malaise social envers les étrangers», Askanda Bachabi, Le Matinal
(Cotonou), 15 juin 2006.
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les voleurs de sexe
– «Disparition mystérieuse de sexe à Parakou: déjà 2 morts et
5 blessés graves», Philippe Hode, La Nationale, 15 juin 2006.
– «Affaire de vol mystérieux de sexe à Parakou: 2 morts, 5 blessés
graves et 17 personnes arrêtées», Venceslas Olowo, Le Matin
(Cotonou), 16 juin 2006.
– «Phénomène de vol de sexe: un mort, deux blessés graves et la
brigade saccagée à Toucountouna», Hervé Yotto, Le Matinal
(Cotonou), 19 juillet 2006.
– «Phénomène de vol de sexe: cinq ans après!», Paula Agbemavo,
Babilown (blog béninois), 28 novembre 2006.
Burkina Faso
– «Disparition de sexes à Ouagadougou: des victimes témoignent»,
L. Some, Le Journal du soir , 16 mai 1997.
– «Police municipale: 7 éléments au frais», L’Observateur Paalga,
28 mars 2006.
– «Un pasteur échappe à la vindicte populaire», L’Observateur
Paalga, 30 mars 2006.
– «La phobie des disparitions de sexes», Faso Presse, 29 janvier
2007.
Cameroun
– «Mobs have hanged three men accused of using evil powers to
cause male genitals to disappear», Associated Press, août 1996.
– «À Douala. Entre hallucination et règlements de comptes»,
R.D. Lebogo Ndongo, Cameroon Tribune, 25 novembre 1996.
– «“Disappearance of organs is fake”. Interview with tradipractitioner baaboh forkinang», G. Fombe, Cameroon Tribune,
25 novembre 1996.
– «Témoignages», propos recueillis par Joseph Tsala Adah,
Cameroon Tribune, 25 novembre 1996.
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1er décembre 2000.
– «Meeting et sorcellerie: son sexe disparaît au meeting», Blaise
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– «Un individu accusé de vol de pénis molesté par la foule à
Douala», Evelyn Nana, Camer.be, 13 février 2008.
– «Les voleurs de sexe ont frappé à Kousséri», Kaï Walaï, 3 juillet
2008.
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bibliographie
– «Strange phenomenon in the far north: handshake equals disappearance of penis», Ebenezar Akanga, Pamela Bidjocka, Cameroon
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Zame Avezo’o, L., «La néo-oralité au Gabon. Analyse de la
figure du serpent dans les légendes urbaines», in U. Baumgardt,
F. Ugochukwu (dir.), Approches littéraires de l’oralité africaine,
Paris, Karthala, 2005, p. 229-251.
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Remerciements
Pour leurs commentaires avisés sur les premières versions – écrites
et orales – de ce travail, je tiens à remercier tout particulièrement
Olivier Allard, Laurent Berger, François Berthomé, Luc Boltanski,
Grégory Delaplace, Pierre Déléage, Philippe Descola, Carlos
Fausto, Laurent Gabail, Arnaud Halloy, Bill Hanks, Michael
Houseman, Patrick Mouguiama-Daouda, Carlo Severi, AnneChristine Taylor, Joseph Tonda, Emmanuel de Vienne. Je remercie
également Vivian Dzokoto, Charles Mather et Misty Bastian de
m’avoir fait parvenir leurs articles respectifs. Je remercie enfin
Maurice Olender pour la confiance qu’il m’a accordée.
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Table
Alerte aux voleurs de sexe! .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Sexe, crise et sorcellerie.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Des inconnus dans la ville.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Frissons et lynchages.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
La sorcellerie dans tous ses états.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Danger ne pas saluer.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
L’étranger. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
La rumeur à la une. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Les sexes sont bien en place. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Y croire ou pas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Conclusion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Cartes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
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La Librairie
du xxie siècle
Sylviane Agacinski, Le Passeur de temps. Modernité et nostalgie.
Sylviane Agacinski, Métaphysique des sexes. Masculin/féminin
aux sources du christianisme.
Sylviane Agacinski, Drame des sexes. Ibsen, Strindberg, Bergman.
Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque.
Henri Atlan, Tout, non, peut-être. Éducation et vérité.
Henri Atlan, Les Étincelles de hasard I. Connaissance spermatique.
Henri Atlan, Les Étincelles de hasard II. Athéisme de l’Écriture.
Henri Atlan, L’Utérus artificiel.
Henri Atlan, L’Organisation biologique et la Théorie de
l’information.
Marc Augé, Domaines et Châteaux.
Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la
surmodernité.
Marc Augé, La Guerre des rêves. Exercices d’ethno-fiction.
Marc Augé, Casablanca.
Marc Augé, Le Métro revisité.
Marc Augé, Quelqu’un cherche à vous retrouver.
Jean-Christophe Bailly, Le Propre du langage. Voyages au pays des
noms communs.
Jean-Christophe Bailly, Le Champ mimétique.
Marcel Bénabou, Jacob, Ménahem et Mimoun. Une épopée
f­amiliale.
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R. Howard Bloch, Le Plagiaire de Dieu. La fabuleuse industrie
de l’abbé Migne.
Remo Bodei, La Sensation de déjà vu.
Ginevra Bompiani, Le Portrait de Sarah Malcolm.
Julien Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une
rumeur africaine.
Yves Bonnefoy, Lieux et Destins de l’image. Un cours de poétique
au Collège de France (1981-1993).
Yves Bonnefoy, L’Imaginaire métaphysique.
Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud.
Philippe Borgeaud, La Mère des Dieux. De Cybèle à la Vierge
Marie.
Philippe Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions.
Jorge Luis Borges, Cours de littérature anglaise.
Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques.
Italo Calvino, La Machine littérature.
Paul Celan et Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance.
Paul Celan, Le Méridien & autres proses.
Paul Celan, Renverse du souffle.
Paul Celan et Ilana Shmueli, Correspondance.
Paul Celan, Partie de neige.
Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage. Ibn Arabî, le Livre
et la Loi.
Antoine Compagnon, Chat en poche. Montaigne et l’allégorie.
Hubert Damisch, Un souvenir d’enfance par Piero della
Francesca.
Hubert Damisch, CINÉ FIL.
Luc Dardenne, Au dos de nos images, suivi de Le Fils et L’Enfant,
par Jean-Pierre et Luc Dardenne.
Michel Deguy, À ce qui n’en finit pas.
Daniele Del Giudice, Quand l’ombre se détache du sol.
Daniele Del Giudice, L’Oreille absolue.
Daniele Del Giudice, Dans le musée de Reims.
Mireille Delmas-Marty, Pour un droit commun.
Marcel Detienne, Comparer l’incomparable.
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Marcel Detienne, Comment être autochtone. Du pur Athénien au
Français raciné.
Milad Doueihi, Histoire perverse du cœur humain.
Milad Doueihi, Le Paradis terrestre. Mythes et philosophies.
Milad Doueihi, La Grande Conversion numérique.
Milad Doueihi, Solitude de l’incomparable. Augustin et Spinoza.
Jean-Pierre Dozon, La Cause des prophètes. Politique et religion
en Afrique contemporaine, suivi de La Leçon des prophètes par
Marc Augé.
Pascal Dusapin, Une musique en train de se faire.
Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie.
Rachel Ertel, Dans la langue de personne. Poésie yiddish de
l’anéantissement.
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Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au
xviii e siècle.
Arlette Farge, Le Cours ordinaire des choses dans la cité au
xviii e siècle.
Arlette Farge, Des lieux pour l’histoire.
Arlette Farge, La Nuit blanche.
Alain Fleischer, L’Accent, une langue fantôme.
Alain Fleischer, Le Carnet d’adresses.
Lydia Flem, L’Homme Freud.
Lydia Flem, Casanova ou l’Exercice du bonheur.
Lydia Flem, La Voix des amants.
Lydia Flem, Comment j’ai vidé la maison de mes parents.
Lydia Flem, Panique.
Lydia Flem, Lettres d’amour en héritage.
Lydia Flem, Comment je me suis séparée de ma fille et de mon
quasi-fils.
Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite.
Nadine Fresco, La Mort des juifs.
Françoise Frontisi-Ducroux, Ouvrages de dames. Ariane, Hélène,
Pénélope…
Marcel Gauchet, L’Inconscient cérébral.
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Jack Goody, La Culture des fleurs.
Jack Goody, L’Orient en Occident.
Anthony Grafton, Les Origines tragiques de l’érudition. Une histoire de la note en bas de page.
Jean-Claude Grumberg, Mon père. Inventaire, suivi d’Une leçon
de savoir-vivre.
François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences
du temps.
Daniel Heller-Roazen, Écholalies. Essai sur l’oubli des langues.
Jean Kellens, La Quatrième Naissance de Zarathushtra. Zoroastre
dans l’imaginaire occidental.
Jacques Le Brun, Le Pur Amour de Platon à Lacan.
Jean Levi, Les Fonctionnaires divins. Politique, despotisme et mystique en Chine ancienne.
Jean Levi, La Chine romanesque. Fictions d’Orient et d’Occident.
Nicole Loraux, Les Mères en deuil.
Nicole Loraux, Né de la Terre. Mythe et politique à Athènes.
Nicole Loraux, La Tragédie d’Athènes. La politique entre l’ombre
et l’utopie.
Patrice Loraux, Le Tempo de la pensée.
Charles Malamoud, Le Jumeau solaire.
Charles Malamoud, La Danse des pierres. Études sur la scène
sacrificielle dans l’Inde ancienne.
François Maspero, Des saisons au bord de la mer.
Marie Moscovici, L’Ombre de l’objet. Sur l’inactualité de la
psychanalyse.
Michel Pastoureau, L’Étoffe du diable. Une histoire des rayures et
des tissus rayés.
Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge
occidental.
Michel Pastoureau, L’Ours. Histoire d’un roi déchu.
Georges Perec, L’infra-ordinaire.
Georges Perec, Vœux.
Georges Perec, Je suis né.
Georges Perec, Cantatrix sopranica L. et autres écrits scientifiques.
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Georges Perec, L. G. Une aventure des années soixante.
Georges Perec, Le Voyage d’hiver.
Georges Perec, Un cabinet d’amateur.
Georges Perec, Beaux présents, belles absentes.
Georges Perec, Penser/Classer.
Michelle Perrot, Histoire de chambres.
J.-B. Pontalis, La Force d’attraction.
Jean Pouillon, Le Cru et le Su.
Jérôme Prieur, Roman noir.
Jacques Rancière, Courts Voyages au pays du peuple.
Jacques Rancière, Les Noms de l’histoire. Essai de poétique du
savoir.
Jacques Rancière, La Fable cinématographique.
Jacques Rancière, Chroniques des temps consensuels.
Jean-Michel Rey, Paul Valéry. L’aventure d’une œuvre.
Jacqueline Risset, Puissances du sommeil.
Denis Roche, Dans la maison du Sphinx. Essais sur la matière
littéraire.
Olivier Rolin, Suite à l’hôtel Crystal.
Olivier Rolin & Cie, Rooms.
Charles Rosen, Aux confins du sens. Propos sur la musique.
Israel Rosenfield, « La Mégalomanie » de Freud.
Jean-Frédéric Schaub, Oroonoko, prince et esclave. Roman colonial de l’incertitude.
Francis Schmidt, La Pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân.
Jean-Claude Schmitt, La Conversion d’Hermann le Juif. Auto­
biographie, histoire et fiction.
Michel Schneider, La Tombée du jour. Schumann.
Michel Schneider, Baudelaire. Les années profondes.
David Shulman, Velcheru Narayana Rao et Sanjay Subrahma­
nyam, Textures du temps. Écrire l’histoire en Inde.
David Shulman, Ta’ayush. Journal d’un combat pour la paix.
Israël Palestine, 2002-2005.
Jean Starobinski, Action et Réaction. Vie et aventures d’un
couple.
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Jean Starobinski, Les Enchanteresses.
Anne-Lise Stern, Le Savoir-déporté. Camps, histoire, psychanalyse.
Antonio Tabucchi, Les Trois Derniers Jours de Fernando Pessoa.
Un délire.
Antonio Tabucchi, La Nostalgie, l’Automobile et l’Infini. Lectures
de Pessoa.
Antonio Tabucchi, Autobiographies d’autrui. Poétiques a posteriori.
Emmanuel Terray, La Politique dans la caverne.
Emmanuel Terray, Une passion allemande. Luther, Kant, Schiller,
Hölderlin, Kleist.
Camille de Toledo, Le Hêtre et le Bouleau. Essai sur la tristesse
européenne, suivi de L’Utopie linguistique ou la Pédagogie du
vertige.
Jean-Pierre Vernant, Mythe et Religion en Grèce ancienne.
Jean-Pierre Vernant, Entre mythe et politique.
Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les dieux, les hommes. Récits grecs
des origines.
Jean-Pierre Vernant, La Traversée des frontières. Entre mythe et
politique II.
Nathan Wachtel, Dieux et Vampires. Retour à Chipaya.
Nathan Wachtel, La Foi du souvenir. Labyrinthes marranes.
Nathan Wachtel, La Logique des bûchers.
Catherine Weinberger-Thomas, Cendres d’immor­talité. La cré­
mation des veuves en Inde.
Natalie Zemon Davis, Juive, catholique, protestante. Trois femmes
en marge au xvii e siècle.
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Le Seuil s’engage
pour la protection de l’environnement
Ce livre a été imprimé chez un imprimeur labellisé Imprim’Vert,
marque créée en partenariat avec l’Agence de l’Eau, l’ADEME (Agence
de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) et l’UNIC (Union
Nationale de l’Imprimerie et de la Communication).
La marque Imprim’Vert apporte trois garanties essentielles :
s LASUPPRESSIONTOTALEDELUTILISATIONDEPRODUITSTOXIQUES
s LASÏCURISATIONDESSTOCKAGESDEPRODUITSETDEDÏCHETSDANGEREUX
s LACOLLECTEETLETRAITEMENTDESPRODUITSDANGEREUX
réalisation : cursives à paris
impression : normandie roto impression s.a.s. à lonrai
dépôt légal : octobre 2009. n° 100169 (09-0000)
imprimé en france
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