Téléchargez l`Histoire de l`Ecole supérieure de

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Téléchargez l`Histoire de l`Ecole supérieure de
90 ans
ESJ
une histoire
racontée
par
Loïc Hervouet
ESJ
une histoire
racontée
en six reprises
1/6
[1929 - 1945]
S’agissant d’écrire une histoire, on suivra un
plan chronologique, et en hommage décalé
au premier étudiant chinois de l’ESJ, Piao
Tchang Kong, arrivé là en 1929 par bateau
et par on ne sait lequel des hasards, suivi de
deux compatriotes en 1930, on titrera les
quatre prochains chapitres au moyen d’évocations maoïstes habilement détournées :
1. Au commencement était le (petit) père
2. La longue marche (1946-1959)
3. La démocratie nouvelle (1960-1968)
4. La révolution culturelle (1968-1990)
5. La révolution des cent fleurs (1991-2004)
6. Le grand bond en avant (2004-2014)
Repères
1924
Fondée par Paul Verschave (18781947), l’ESJ Lille ouvre ses portes
le premier mardi de novembre, au
sein des Facultés catholiques de
Lille.
Les directeurs
Paul Verschave (1924-1947)
Robert Hennart (1948-1976)
Hervé Bourges (1976-1980)
André Mouche (1980-1990)
Patrick Pépin (1991-1999)
Loïc Hervouet (1999-2005)
Daniel Deloit (2005-2011)
Marc Capelle (2011-2012)
Pierre Savary (depuis janvier 2013)
Au commencement était le (petit) père
O
n va parler d’un père fondateur.
N’en déplaise à Libération, qui
n’a su enlever la faute de ses archives, Paul Verschave n’était pas curé,
même si on l’appelait “ le petit père ”, et
même si l’ESJ est née au sein des Facultés catholiques. Erreur tragi-comique. “
Le vraisemblable n’est pas le véridique
”, aurait dit Elisabeth Martichoux (Europe 1 – 58e). Paul Verschave ne mesurait en effet qu’un mètre cinquante
cinq, mais il était bien marié et père de
famille, on le verra dans l’histoire.
Paul Verschave, donc (1878-1947),
naît à Warhem, en Flandre maritime.
Études au collège catholique de Bergues (ville-fétiche de “ Bienvenue chez
les Ch’tis ”), puis en faculté de droit de
la Catho, où il deviendra professeur (en
toge) de droit public et administratif.
La guerre le rattrape à 35 ans, et l’envoie
en campagne comme sergent d’infanterie, bientôt fait prisonnier et emprisonné plus de trois ans dans un camp
de Saxe. Est-ce un signe du destin ? Il
se fait chroniqueur amateur dans un
“journal de campagne août-octobre
2014 ” racontant sa guerre.
En tout cas c’est à lui que pense la Catho
de Lille lorsqu’elle l’emporte sur celle
d’Angers pour abriter, selon le vœu des
cardinaux et archevêques de France
adopté en février 1923, « une école de
journalistes qui utiliserait les cours déjà
existants et y ajouterait quelques cours
spéciaux. »
Voici donc Paul Verschave en charge de
cette section (“École” en 1928, “École
supérieure” en 1934) de la Faculté de
droit et de la Faculté des lettres réunies,
où l’on enseignera principalement le
droit bien sûr, l’histoire (diplomatique
surtout) et la géographie (humaine
principalement). Tout de même un peu
de pratique : “Exercices de rédaction
sur des sujets d’ordre politique, moral, religieux, littéraire”. Et aussi, déjà :
“Analyse de contenu de journaux, examen critique de quotidiens.”
Cinq impétrants cobayes forment la
première promotion, en ce premier
mardi de novembre 1924. Assez vite,
ils se réduiront à trois, si l’on en croit
le dernier survivant pisté par Maurice
Deleforge en 1994, lors de l’édition de
son ouvrage de référence sur 70 ans
d’ESJ, René Pélatan. À présent décédé
“Le” livre sur l’ESJ
Avertissement
Il est paru au quatrie trimestre de l’année
1994 à l’occasion du soixante-dixie anniversaire de l’École. Il a été écrit par un des
rares Anciens d’honneur, Maurice Deleforge,
qu’une bonne trentaine de promotions a
toujours surnommé Momo.
Sous le titre L’ESJ racontée par des témoins de
sa vie, Momo, le prof de français si exigeant,
a réuni et accomodé documents et souvenirs. Il signait là son huitie ouvrage. Pour qui
veut connaître la vie et l’histoire de l’École
jusqu’en 1994, le livre de Momo est incontournable…
quasi centenaire et à l’orée du siècle à
venir (1999), René Pélatan est une vedette du journalisme. Directeur, dès sa
sortie de l’école, du Journal de la Marne,
le vice-doyen des quotidiens français, il
sera appelé à la direction de La Dépêche
de Tunis dès 1932, jusqu’à sa retraite en
1963. C’est lui qu’on choisira comme
président de la première association
des anciens fondée en 1932 avec cinquante membres et un bulletin au titre
ravageur : Entre nous.
L’entre-nous de l’ESJ se passe en ces
temps-là dans trois pièces au premier étage de la Catho, 60 bd Vauban
(plaque-souvenir à l’entrée, et au début
de l’escalier). C’est là que vivront 42 promotions, jusqu’à ce que l’École traverse
la rue, au 67, en 1966.
L’ESJ démarre lentement : quinze étudiants au total dans les trois première
promotions, six dans la quatrième, record de onze dans la dixième, mais déjà
“ Écrire, c’est choisir ”, enseigne-t-on
à l’école de journalisme. Ayant accepté
d’écrire, je vais être obligé de choisir. Mes plus gros péchés seront donc
commis par omission. Excuses anticipées à tous ceux et celles que j’aurais
aimé ou dû citer. Respect à Maurice,
irremplaçable historiographe de l’ESJ.
Loïc Hervouet
une vocation internationale affirmée :
les Chinois, on l’a dit, mais aussi une Polonaise, un Hongrois, une Roumaine, et
même un Belge, non des moindres, Robert Hennart (9e), futur gendre du fondateur et futur directeur. La “sélection”
sur concours (jusque là, la sélection ne
concerne que l’octroi d’une bourse – si
on paie, on peut s’inscrire) interviendra
en 1937.
L’ambiance est studieuse, mais familiale, et “le petit père” est en effet un
père pour tous, loue des chambres bon
marché chez lui à des étudiants sans
fortune, organise un voyage au Vatican,
reçoit volontiers à domicile. Son aventure prendra fin le 18 décembre 1947,
lorsqu’opéré d’un polype à l’intestin, il
décédera pendant l’intervention, ramené à son domicile par deux étudiants
locataires et enterré le 23 décembre à
Warhem, naturellement.
Entretemps, l’école aura traversé la
période d’occupation. Comment ? Les
témoignages manquent, les doutes
existent sur le degré de compromission éventuel, admis et/ou nécessaire
pour continuer d’exister. Les promotions sont squelettiques en tout cas, et
le double jeu semble attesté par les états
de service d’un Jules Clauwaert, dont on
reparlera ô combien, mineur de fond et
fier de l’être, en même temps que d’être
étudiant et résistant, à l’instar d’un René
Florio (auteur du premier livre de l’ESJ
sur l’écriture journalistique), militant
des “Jeunes Chrétiens Combattants”.
On s’en voudrait de ne pas citer, comme
étudiants de ces vingt premières années, le critique de cinéma et billettiste
historique Pol Hardy, mais aussi Joseph
Fontaine (12e), patron des informations
générales d’Ouest-France et premier
président de l’association de gestion de
l’ESJ, qui a donné son nom à la Bourse
alimentée par les anciens pour aider
aujourd’hui encore les plus modestes
à fréquenter l’établissement. Ne pas
oublier Zoé Schenk (13e), future Mme
Hennart, ni Frantz König, qui deviendra cardinal-archevêque de Vienne
(Autriche) et même papabile versus
Jean-Paul II.
Trois noms encore,
au gré du racontant :
• Jean Lecerf (14e), engagé au Figaro dès
1945 et pionnier, avec Jean Boissonnat
et Pierre Drouin, du journalisme européen. Très engagé aussi à Reims pour
honorer les “ faiseurs de paix ”
• Michel Logié (14e), pilier de La Voix
du Nord, de l’ESJ, et de l’enseignement
de la sociopsychologie du journalisme
(en gros, comment faire sa valise avant
de partir en reportage)
• Pierre Canquelain (17e), militant syndical infatigable, défenseur du statut
des sténographes de presse au SNJ
ESJ
une histoire
racontée
en six reprises
2/6
[1946- 1959]
1. Au commencement était le (petit) père
2. La longue marche (1946-1959)
3. La démocratie nouvelle (1960-1968)
4. La révolution culturelle (1968-1990)
5. La révolution des cent fleurs (1991-2004)
6. Le grand bond en avant (2004-2014)
Repères
194O
Paul Verschave rouvre l’École en
novembre
1941
Jules Clauwaert intégre l’École dont
il deviendra, plus tard Président.
1947
Paul Verschave laisse son fauteuil
de directeur à Robert Hennart qui
l’occupera pendant vingt-huit ans
jusqu’en1976.
1956
L’ESJ Lille est agréée par la profession en vertu de la Convention collective des journalistes, qui limite à
un an le stage professionnel de ses
diplômés.
Les élèves de l’ESJ en janvier 1968, dans l’escalier de l’ancien bâtiment, situé 67 boulevard Vauban à Lille. (Premier numéro
du journal ESJ de janvier 1968)
La longue
marche
N
ous voici sortis de la guerre,
avec seize étudiants en 1944,
vingt-deux en 1945, vingt-trois
en 1946. Ce rythme de croisière atteindra la trentaine en fin des années 1950,
au moment du divorce par consentement financièrement obligé entre l’Université catholique et l’ESJ.
Mais d’abord, il a fallu trouver le successeur de Paul Verschave. Le “petit
père” avait son candidat, pressenti sur
son lit d’hôpital dont il n’allait pas se
relever : c’était Michel Logié, un ancien
bien sûr, et tout récent, mais plus âgé
que ses condisciples. Michel Logié, déjà
cité, professionnel de la profession à
La Voix du Nord, avait été le suppléant
provisoire et méritoire d’un professeur
de droit constitutionnel brutalement
décédé en 1945. Depuis il avait pris en
charge un enseignement plus pratique
de secrétariat de rédaction. Mais Michel est déjà père de famille, et La Voix
paie mieux que l’ESJ : son choix est fait,
et c’est lui qui dissipera généreusement
les réticences à confier la tâche à son
“meilleur ennemi”, Robert Hennart.
Tout en restant un “pilier” légitime de
l’institution, où leurs différends ne cesseront de converger
Car Robert Hennart, ancien de l’ESJ
lui aussi, a épousé cinq ans plus tôt
Jeanne-Marie, fille du fondateur, et on
craint les accusations de népotisme à
l’encontre de “Monsieur Gendre”. Doté
d’une faible expérience journalistique
à La Croix du Nord, Robert ne manque
cependant pas de qualités, l’opiniâtreté
notamment, ni de licences : droit et
lettres. Le recteur de la Catho se résignera donc à le laisser faire fonction,
sans procéder immédiatement à sa nomination officielle (retardée aussi parce
qu’il était Belge ? – il lui faudra un jour
renoncer provisoirement à cette nationalité dans des règlements non encore
européens, qui lui interdiraient de diriger un établissement d’enseignement
supérieur français).
Quoi qu’il en soit, Robert Hennart
prend les rênes et ne les lâchera plus.
Dès l’année 1948, il tranche la question de la vocation de l’ESJ : former des
catholiques ou former des journalistes
? Pourquoi pas des journalistes catholiques en effet, mais aussi et surtout,
former des professionnels compétents.
Viendront donc suivre les cours de
l’ESJ, à côté des catholiques convaincus,
des “chrétiens en recherche”, des agnostiques déclarés, même des communistes militants et, horresco referens,
des homosexuels !
Renouvellement du corps professoral,
avec des professionnels, comme Logié
ou Jean Leroy, avec aussi des intellectuels à la fois “professeurs de contenu” et “professeurs de vie”, dont les
disciplines étonneraient les étudiants
d’aujourd’hui : Wenceslas Godlewski,
Lituanien rescapé des camps, qui enseignera à la fois le polonais, la philosophie d’Emmanuel Mounier, et …
l’esthétique ; Dom Gaillard, l’immense
moine bénédictin défricheur de géo-
Entrée de l’Ecole Supérieure de Journalisme, dans les anciens bâtiments
du boulevard Vauban. (Premier numéro du journal ESJ de janvier 1968)
Robert Hennart (9e) lors du quatre-vingtième anniversaire de l’École.
graphie humaine ; le juge Allaer (droit
pénal et criminologie) ; le doyen Delattre (anthropologie) ; le doyen Thery
(philosophie du droit) ; l’abbé Hubert
Claude (histoire des partis politiques),
Marthe Lagouge (sociologie), Jean-Marie Sédès (méthodologie des sciences
sociales) ou André Boca (économie politique). Je passe sur le droit du travail
ou la psychologie sociale…
Les locaux s’agrandissent en 1955, grâce
au départ de l’École de commerce pour
le n° 67 du boulevard Vauban (retenez
le numéro). L’école entame sa longue
marche de structuration et de professionnalisation :
• elle est reconnue officiellement (avec
le CFJ de Paris) dans la convention collective du 30 avril 1956 : ses étudiants
bénéficient d’une priorité d’embauche
et d’une réduction de la durée de stage
• en novembre 1957, elle accueille un
nouvel acteur qui marquera son histoire à double titre (au moins), par son
activité auprès de quarante promotions
et plus, et par son ouvrage de référence
déjà cité : Maurice Deleforge. Dans son
ESJ racontée, Maurice exprime le souhait de « ne quitter l’École que les pieds
en avant et le plus tard possible ». Le
destin et la législation réunis ne le permettront pas : il appartiendra au signataire, à un moment où l’École était en
délicatesse avec l’Urssaf, de mettre fin
à un cumul emploi-retraite à l’époque
totalement illégal.
b
Tout va plutôt bien donc pour l’ESJ, à
maturité professionnelle, lorsqu’éclatent
les orages de l’été 1959. C’est une lettre
du recteur de l’Université Mgr Delacroix qui tonne le plus fort : « Il va
falloir à présent que l’ESJ assure les dépenses et l’équilibre de son budget par ses
moyens propres. » C’est vrai que la Catho connaît des difficultés financières,
c’est vrai que l’école est une des formations les plus coûteuses avec ses nombreuses séances de travaux pratiques
et ses cours magistraux généreux (on y
fait plus que 35 heures !). Mais on ne
peut s’empêcher de penser que le délai
de trois mois accordé (en plein été) est
une sanction déguisée contre cette fille
aînée qui se comporte, comme le journalisme en a fonction, en rebelle parfois
assumée.
C’est en 1953 qu’un étudiant de l’ESJ a
publié dans le journal Catho un article
revendiquant son agnosticisme ombrageux et son refus d’un endoctrinement
religieux qui serait le contraire du libre
arbitre journalistique… C’est en 1955
qu’un étudiant nommé Hervé Bourges
avait osé imaginer inviter Pierre Mendès-France à l’ESJ… Même si son
condisciple “meilleur ennemi” Michel
Bassi affiche déjà une autre orientation
politique plus conforme, qui le mènera
au Figaro et au service de la communication de Valéry Giscard d’Estaing.
Monique Bouchez, même promotion,
sera adjointe au maire de Lille pendant
de nombreuses années.
Dans ces années figurent des personna-
Dans ces années figurent des personnalités fortes comme Rémy Le Goff
futur grand reporter et représentant du
personnel contestataire à Ouest-France,
ou encore René Bonjean, futur patron
de La Montagne, Michel Poinot, futur
patron du Courrier de l’Ouest ; Albert
du Roy [ci-dessus], Jean Belot, JeanClaude Cassenac ou Emile Favard, futurs cadres dirigeants des rédactions de
France 2…
lités fortes comme Rémy Le Goff futur
grand reporter et représentant du personnel contestataire à Ouest-France,
ou encore René Bonjean, futur patron
de La Montagne, Michel Poinot, futur
patron du Courrier de l’Ouest ; Albert
du Roy, Jean Belot, Jean-Claude Cassenac ou Emile Favard, futurs cadres
dirigeants des rédactions de France 2,
Télérama, Le Télégramme de Brest ou
L’Expansion. Qui oublierait Pierre Bonte (27e), débutant à Europe 1, puis figure
multimédia du patrimoine journalistique ? Une pensée pour Jacques Leroy
(23e), dit “le mort”, puisqu’il se présenta
ainsi à l’École à parution d’un annuaire
qui l’avait envoyé ad patres. Bien vivant
et mobile, de retour de Chine ou de
Madagascar, il sera là au 90e, à près de
90 ans. Il écrit un livre…
b
Quoi qu’il en soit des motivations, la
sanction est là : l’École n’a plus d’argent.
Suspense insoutenable : va-t-elle tenir ?
ESJ
une histoire
racontée
en six reprises
3/6
[1960-1968]
1. Au commencement était le (petit) père
2. La longue marche (1946-1959)
3. La démocratie nouvelle (1960-1968)
4. La révolution culturelle (1968-1990)
5. La révolution des cent fleurs (1991-2004)
6. Le grand bond en avant (2004-2014)
Repères
1960
L’ESJ devient un établissement
privé pris en charge par ses anciens élèves qui créent (loi 1901)
l’Association de l’École supérieure
de journalisme de Lille habilitée à
percevoir la taxe d’apprentissage
au titre de la formation des cadres
moyens et supérieurs.
1969
L’ESJ Lille est reconnue par l’État en
vertu du décret du 24 avril.
La
démocratie
nouvelle
A
insi donc voici l’ESJ, dès la rentrée
1959, sans le sou, une situation
pour tout dire assez récurrente et
roborative, puisqu’elle dépense tout pour
la pédagogie.
Joseph Fontaine, déjà cité, préside depuis
cinq ans l’association des Anciens. Jean
Tirloy, vice-président, Jules Clauwaert,
déjà cité aussi, et Philippe Gaillard (29e),
en sont les piliers. Les piliers vont tenir. Et
créer, le 12 décembre 1959, l’association de
gestion de l’ESJ, qui va signer en novembre
1960 une convention nouvelle avec la Catho (dont le recteur a été remplacé dès
octobre 1959 par un nouvel évêque mieux
disposé à l’égard de l’École, mais toujours
sans le sou), effectuer les démarches de
création d’une “nouvelle ESJ” reconnue
par l’enseignement supérieur technique
d’État (c’est là que Robert Hennart devra
sacrifier sa nationalité belge pour diriger
un établissement français), et surtout obtenir le droit de percevoir la taxe d’apprentissage auprès des entreprises.
Paris tenus. L’édifice nouveau est consolidé
le 25 novembre 1961 avec un conseil d’administration nouvelle formule ouvert à
des représentants de l’Université mais surtout de la presse. Clause majeure et totalement novatrice : les anciens de l’ESJ détiennent la majorité statutairement au sein
de cette association de gestion que préside
Joseph Fontaine et que vice-préside Jules
Clauwaert. Les anciens deviennent propriétaires de leur école. Et cela se passe
sept ans avant 1968, avant l’affaire LIP ou
la militance autogestionnaire !
Mais il faut de l’argent et l’autre vice-président Bernard Défossez (27e) n’hésitera pas à parodier l’humoriste Francis
Blanche : « Pour que l’école dure, amis, donnez ! ». On donnera. Et l’école peut à présent recruter un gestionnaire à tout faire
secrétaire général, en la personne du résistant gaulliste Emile Delahousse à la pipe
légendaire. Le trio d’enfer Hennart – Delahousse - Deleforge est constitué.
Il accueillera les promotions d’enfer réunies autour de la 40e, à qui Maurice Deleforge, déjà cité, attribuera la paternité d’un
“âge d’or” comparable au siècle de Périclès ! Diable, même pour un ancien de la
dite promo, le qualificatif est dur à porter.
A dire vrai, c’est peu dire, mais c’est avec
la complicité précoce des 38e et 39e, celle
des 41e et 42e, toutes côtoyées, que cette 40e
rugissante dotera l’ESJ d’un hymne, d’une
tradition, d’une chorale, et d’un héros. Elle
abritera des artistes inégalés, de futurs
cadres de l’ESJ en pagaille. Rien de moins.
Développons.
b
Pierre Arnaut (37e) sera l’inventeur de la
première agence de presse spécialisée dans
l’écologie. Vassilis Alexakis (38e) inaugurera par surprise dans Ouest-France des
photos pleine page de nénuphars « pour
représenter le calme de l’été », avant qu’on
le renvoie en poésie et en littérature, pour
notre bonheur. Un habitué des prix littéraires. Robert Solé (41e) lui, fera journaliste, ô combien, sévère carrière au Monde,
terminée sur une fonction de médiateur,
mais constellée aussi, ô combien, de best
sellers littéraires. Didier Levallet (40e),
jouera de la contrebasse avec Philippe
Vasseur au saxo (qui lui, accompagnera le
président américain Bill Clinton au même
instrument), mais accompagnera surtout
Jacques Bertin (41e), grand prix de l’Académie Charles Cros, toujours chanteur et
poète, avant de fonder l’Orchestre national
de jazz (Didier, pas Jacques !). Jacques, lui,
sera l’animateur du journal étudiant Le
Petit Théo.
Des artistes, mais aussi des cadres futurs
de la profession. André Farine, Jean-Louis
Prévost, Noël-Jean Bergeroux se préparent
ces années-là à diriger un jour Nord-Eclair,
La Voix du Nord, ou Le Monde. Jean-François Bironneau, futur prof de radio, précède à Europe 1 Dominique Pennequin,
lauréat de la Bourse Francis Lauga en 1965.
Le trio Hervouet - Langlois - Soulé, l’année suivante, devancera dans cette même
épreuve un certain Pierre Lescure, du Cfj.
De futurs cadres de l’École s’y aguerrissent
aussi sans le savoir : Denis Huguenin (39e),
bientôt patron de la formation permanente ; Dominique Mobailly (41e), qui sera
responsable presse écrite après une carrière à La Vie ; André Mouche (44e), directeur à la suite d’Hervé Bourges et sa compagne Joëlle Jacques, pédagogue patentée.
Didier Eugène (43e), pilier international
d’Ouest-France, sera un jour président des
Anciens, (re)créateur de Réseau-ESJ et
administrateur vigilant de l’association de
gestion. Nous reparlerons bien sûr de Philippe Vasseur (40e).
Dominique Mobailly (41e), qui sera responsable presse écrite à l’ESJ après une
carrière à La Vie Les élèves dans la «Canarothèque». (Fascicule du quarantième anniversaire de l’ESJ). A gauche: Loïc Hervouet
Trois prochaines signatures de l’audiovisuel triomphant complètent le tableau
des notoriétés annoncées : Alain Denvers
(43e), directeur de l’information à France
Télévision Bernard Benyamin (47e), créateur d’Envoyé spécial et Philippe Rochot
(43e), prix Albert Londres, dont l’exposition de photos illumine le 90e anniversaire. Notoriété chaque jour renouvelée
aussi pour l’éditorialiste inamovible de la
Presse de la Manche, Jean Levallois, ou le
rédacteur en chef de La Croix Dominique
Gerbaud, qui présidera la presse présidentielle, et aussi Reporters sans frontières.
Un mot pour souligner l’accélération
internationale : dans la seule 40e promotion figurent onze Africains, dont le très
médiatique Ivoirien Laurent Dona-Fologo, précoce ministre de l’Information
et personnalité politique de tout premier
plan, ou le très amical Simplice Zinsou,
reconverti avec succès dans la gestion de
ports et aéroports, mais qui honore périodiquement d’un chèque rondelet chaque
rappel de cotisation. Auront-ils gardé souvenir d’un ambassadeur de France nommé
André Janier (44e), qui ferma non sans héroïsme notre ambassade en Irak et mena
une brillante carrière diplomatique ?
b
Du bien beau monde donc et certes, mais
on n’a encore qu’évoqué la 40e, et on a promis un hymne, une chorale, un héros, une
tradition. Venons-y.
• l’hymne : c’est L’Aubépine (et non pas Les
Corons, du trop jeune Bachelet), ou plus
exactement L’Aubépine-pine-pine. Le choix
fut un compromis historique entre les
Cathos bretons ou supposés tels (énumérons Chailleux, Langlois, Kauffmann), et
les marxistes ou supposés tels (énumérons
Martinet, Lebaube), réconciliés autour de
cette chanson mi-grivoise mi-poétique,
qui narre les malheurs d’une jeune fille
engrossée par le beau Gégène, néanmoins
un beau salaud.
• la chorale : c’est La Chorale mondaine,
formation spécialiste de L’Aubépine bien
sûr, mais aussi, sous la houlette de Pierre
Marin, avec Pierre Faure et même Philippe
Laidebeur, une formation interprète passionnée de Tino Rossi, dont les prestations
sont rythmées par les bruits de chiottes du
hallebardier, le grand et long Pierre Murie,
sortant régulièrement du rang pour vider
sa vessie citerneuse.
• le héros : c’est Jules Michelot bien sûr,
pour qui une plaque fut inaugurée en présence de la presse locale le 18 décembre
1964, dans l’impasse menant aux WC, précisément. Et pourtant, ce grand journaliste
aurait tant mérité la lumière ! Faisons-la,
la lumière, sur ses origines : ce reporter
brillantissime, philosophe impénitent et
transcendant à la fois, connu pour la profondeur insondable de ses lieux communs,
est né pour aider à résoudre les probles
éthiques les plus graves de notre métier : «
Qu’aurait dit, qu’aurait fait Jules Michelot ?
» La vérité oblige à dire que Jules Michelot
a bien existé, à Nantes, au lycée que fréquentaient Hervouet, Chailleux, Langlois,
qui ont importé à Lille sa maxime favorite
grommelée à tout bout de champ : « Tous
des cons … comme dirait Micheneau ! »
Le téléphone arabe a fait le reste en modifiant nom et prénom. Le Gilles Micheneau
réel est aujourd’hui en retraite – et Bernard Langlois vient d’en retrouver trace,
via Internet. Il est capable de l’inviter au
90e ! *
• la tradition : c’est le bal à Jules, dont le
premier aura lieu en 1965, et qui ne doit
rien à Jules Clauwaert, ni même à Julos
(Beaucarne) qui honora la première édition de ses chansons. Une tradition qui
doit tout au Jules déjà cité, et qui fait valser,
polker, javater, musetter avec des accents
ouvriéristes revendiqués.
b
Folklore donc, folklore joyeux, mais en
une occasion mémorable, folklore douteux. A l’occasion d’un bizutage, naturellement, si mal maîtrisé. C’est le bizutage de
la 41e, et voici qu’un trio de trois étudiants
du sud-ouest s’autoproclame exécuteur
des festivités. On oubliera leurs noms,
comme celui de la victime : une étudiante
aux longs cheveux blonds qui seront mis
en pièce par des ciseaux violeurs. Circonstance moitié nauséabonde de l’affaire : la
jeune fille était en sympathie avec un étudiant beaucoup plus âgé, mais surtout de
peau noire. Composante raciste dans le
geste ? Pas de certitude, mais le devoir du
chroniqueur de faire part de l’existence du
doute.
La direction de l’École en tout cas, ne
prend pas cela à la légère : le coupable est
En haut, de gauche à droite : M. Langlois, M. Hervouet, M. Chailleux, M.
Marin. A Londres, en 1964. (Fascicule
du quarantième anniversaire de l’ESJ)
exclu définitivement et rejoint par un de
ses compères dans l’exil, le troisie se faisant
tout petit pendant son exclusion temporaire. Une exclusion de huit jours frappera
aussi le président de Corpo Dominique
Pennequin et les membres de son bureau «
pas coupables, mais responsables », comme
une belle et juste formule le dira ultérieurement. La réconciliation interviendra sur la
tombe de Marie-Jeanne Hennart, décédée
au début de novembre 1964.
La vie pédagogique reprendra ses droits
avec une Corpo très active, très impliquée
dans les voyages à Londres, ou à Berlin (les
“communistes” trop curieux passeront une
nuit en taule à Berlin-Est !), où le racontant trop ému renversera la bouteille de
vin blanc sur le bourgmestre Willy Brandt.
b
A la rentrée 1966, l’École traverse le boulevard et s’installe au 67, laissé par l’École
de commerce. On inaugure le 12 janvier
1967 cet hôtel particulier tout en marbre
et dorures. Une école embourgeoisée ? Nul
ne sait encore que s’annonce l’explosion de
1968. L’ESJ va-t-elle tenir ? Suspense insoutenable, encore.
*Ce Langlois est capable de tout. Vedette de la télé
avec Philippe Labro et présentateur du 20h, il ose
hésiter à voix haute pour l’ouverture du journal du
soir entre la mort d’une « princesse d’opérette »
(Grace de Monaco) et la mort de Gemayel, dirigeant libanais dont la disparition accélérera la
décomposition du pays. Que croyez-vous qu’il
arriva ? C’est Langlois qu’on vira ! Grâce à quoi il
fonda Politis, un peu plus tard.
ESJ
une histoire
racontée
en six reprises
4/6
[1968 - 1990]
1. Au commencement était le (petit) père
2. La longue marche (1946-1959)
3. La démocratie nouvelle (1960-1968)
4. La révolution culturelle (1968-1990)
5. La révolution des cent fleurs (1991-2004)
6. Le grand bond en avant (2004-2014)
La
révolution
culturelle
1970
Repères
Septembre de contestation.
1973
La scolarité passe de trois à deux
ans. Il faut posséder un Deug pour
se présenter au concours.
1979
Chaque étudiant doit posséder une
machine à écrire portative.
1981
Pendant vingt ans, l’ESJ a été logée
boulevard Vauban, avant d’emménager cette année-là au 50 rue Gauthier-de-Châtillon.
1983
• Le diplôme de l’ESJ Lille est reconnu par l’État, qui l’autorise à
délivrer un diplôme revêtu du visa
officiel en vertu de l’arrêté du 18
février 1983.
• L’arrivée du Scrib à l’École (premier ordinateur portable pour
journaliste).
L
e 3 mai 1968, les forces de l’ordre
envahissent la Sorbonne. Le 6 mai,
les 169 étudiants des trois promotions de l’ESJ décrètent la grève générale,
par solidarité. Elle durera trois jours,
mais pas de reprise immédiate des cours
: il faut d’abord réformer la pédagogie !
Des commissions siègent « sans désemparer » (sauf quand on monte en deudeuche
manifester à Paris) jusqu’au 17 mai, mêlant étudiants, professeurs, anciens et
administrateurs très impliqués. L’objectif
retenu et partagé est d’alléger les trente
matières théoriques enseignées au profit
des enseignements professionnels. « Il est
impossible d’apprendre tout et en profondeur », martèle Didier Eugène, déjà en
responsabilité : « Nous voulons écrire, et
plus souvent. »
La grève va différer les examens de fin
d’année, annuler le voyage prévu au
Danemark, inventer les oraux collectifs
(passés trois par trois « pour éviter l’arbitraire ») et tout de même donner une
peau d’âne à ceux qui en ont le désir. Puis
tout se calme apparemment : “mai 68”, à
l’ESJ, ce sera “avril 70”.
b
Entretemps se sont produits, peu ou prou
issus de ce forceps de 1968, deux événements d’importance au printemps 1969 :
• la reconnaissance officielle et complète de l’ESJ par l’Etat. Le dossier (qui
va permettre entre autres de bénéficier
de bourses sans s’inscrire ailleurs…)
aura été suivi et promu par les étudiants
eux-mêmes, qui sous la houlette de Jean
Levallois (42e), financeront les heures
supplémentaires de la secrétaire attelée
à cette tâche. Publication attestée au J.O.
du 24 avril 1969.
• la création du CPJ (Centre de perfectionnement des journalistes), première
institution de formation permanente de
la profession, enfant à 50/50 de l’ESJ et
du Cfj (qui l’annexera plus tard unilatéralement en créant le Cfpj).
b
Et revoilà, comme annoncé, une révolution soixante-huitarde à l’ESJ, avec
deux ans de décalage. Elle sera musclée ! Un “Comité d’action et d’agitation”,
maoïste et léniniste, refuse le contrôle
des connaissances traditionnel, veut par
contre contrôler la pédagogie et pérenniser les oraux à trois, le droit d’appel contre
une mauvaise note, toujours « pour éviter
l’arbitraire ». Diantre ! Est-ce le goulag
pédagogique boulevard Vauban ?
Plus vraisemblablement, deux éléments
principaux entrent en jeu : la revendication d’outils de travaux pratiques professionnels (il n’y a pas encore de vrai studio
radio !), et la lassitude envers un encadrement vieillissant, un Delahousse qui a
passé l’âge de la retraite, un Hennart trop
historien et jugé trop éloigné de la profession, un Logié dont les cours de théorie
de l’information sont jugés obsolètes.
La crise éclate quand 17 étudiants font la
grève d’un examen d’histoire (la matière
du directeur !) Le dit directeur les vire.
Commence une occupation des locaux.
Puis une litanie de tentatives de médiations : les anciens, les professeurs, les
syndicats, le Cfj, l’école de Louvain, rien
n’y fait. C’est le blocage, et la police intervient pour évacuer les locaux. L’ESJ restera fermée du 16 février au 14 avril, les
vacances de Pâques ayant été mises à profit pour négocier un compromis et sauver
la pérennité.
Jules Clauwaert, es qualité de président,
prend ses responsabilités et annonce
l’arrivée de deux jeunes cadres à peine
trentenaires « pour seconder le directeur
et préparer la relève », Michel Didry et
Denis Huguenin. La relève attendra six
ans, car même si Robert Hennart a annoncé sa démission, les moyens financiers (les siens et ceux de l’École) ne permettent pas d’aller plus vite. Les travaux
pratiques seront tout de même renforcés,
et des professeurs nouveaux feront leur
apparition, brièvement le géographe
Michel Delebarre, et pour un long bail le
juriste Christian-Marie Wallon-Leducq
ou le psychosociologue spécialiste de la
rumeur, Jules Gritti.
Avant la relève directoriale, il se passera
des choses tout de même : l’année 1974,
marquée pour le 50e anniversaire par
une leçon mémorable de Jean Marin,
premier président de l’AFP, le sera aussi
par la réforme du cycle d’études avec le
recrutement à bac+2 et la réduction de la
formation de trois à deux ans : les candidats à ce nouveau régime sont 80, et 15
sont élus, pour cohabiter avec ceux de
la 50e « qui finissent leurs trois années ».
Parmi ceux-là, Ulysse Gosset (TF1 Moscou, puis New-York), Richard Lavigne
(président de la Commission de la Carte)
ou Jean-René Lore (rédacteur en chef de
Nord-Eclair).
Ont aussi vécu (plus ou moins bien) les
soubresauts de cette période Fabrice Baledent, Pascal Delannoy, Alain Zambeaux,
Jean-Michel Bretonnier, Michel Delberghe, Jean-Pierre Pernaut, Yves Sécher ou
Georges Potriquet, qu’on retrouvera.
b
Le temps est venu de trouver le successeur
de Robert Hennart. C’est Jules Clauwaert
qui est à la manœuvre, qui récuse Augustin Laleine (13e), « trop âgé », et qui
démarche l’auteur de ces lignes, avec insistance, plusieurs mois durant. Celui-ci,
chef de rédaction d’Ouest-France à Caen,
secrétaire général national du SNJ, et représentant du personnel au CA du quotidien, n’a pas 30 ans, et se dérobe comme
« pas assez âgé », puis cède à l’appel un
vendredi soir de 1975. C’est le lendemain
samedi qu’arrive du diable vauvert, c’està-dire de Yaoundé et Dakar, où il a créé
les écoles de référence du continent, l’hypothèse d’Hervé Bourges. Le signataire
déjà cité retire aussitôt sa candidature,
et n’apprendra que bien longtemps après
comment Jules a tout de même, pour la
bonne forme démocratique, soumis les
deux noms au vote du bureau.
C’est (heureusement) et normalement
Hervé qui l’emporte. Rédacteur en chef de
Témoignage chrétien quasiment à sa sortie
de l’École, appelé du contingent en Algérie, membre du cabinet d’Edmond Michelet et à ce titre “geôlier” puis ami, puis
conseiller du président Ben Bella, il est
parti dans son Afrique bien-aimée (qui le
lui rend bien) fonder l’école de Yaoundé,
qu’il dirige depuis huit ans, puis celle de
Dakar. A près de 40 ans, il est mûr pour
un retour en France, a entretenu un beau
carnet d’adresses et ne manque ni d’esprit
de décision, ni d’assurance. En quoi il a
raison de croire en son avenir.
b
En 1981, André Mouche (44e), succède à Hervé Bourges à la direction
de l’École. Il tiendra le coup presque
dix ans. D’une intelligence acérée, et
d’une énergie farouche, le directeur
à plus que temps plein va construire
l’ESJ moderne dans les nouveaux locaux de la rue Gauthie-de-Châtillon.
Rentrée 1976 : Hervé entre en fonction.
[Le secrétaire général Emile Delahousse
étant parti en même temps que Robert
Hennart, c’est Marie-Hélène Boulangué,
spécialiste de la taxe au Cfpj, qui endosse
le rôle à cette même rentrée]. Il ôte le dernier crucifix de laiton subsistant sur un
mur de l’École, repart un mois ou deux
solder des engagements africains, puis
revient accrocher un masque bamoun
traditionnel (Camerounais) dans son
bureau. Et se met au boulot.
Travaux d’Hercule, dit-on. En tout cas,
son quinquennat de directeur, avant ses
mandats de président, marquera, « ouvrira toutes grandes les portes et fenêtres
de l’École », selon l’expression de Maurice, déjà cité. Il les ouvrira à des invités
de tous bords (Roland Leroy de L’Humanité, ou Michel Debré), à des invités prestigieux (Dom Helder Camara, Sean Mc
Bride, Senghor…), à des “soirées électorales” mémorables, en temps réel et déjà
interactives (ouvertes au grand public).
Il associera aux voyages en Tchécoslovaquie, au Portugal ou ailleurs, la production de magazines qui sont plus que
des exercices. Il fera naître la revue de
recherche Trimedia, ancêtre des Cahiers
du journalisme d’aujourd’hui.
Côté sélection, le nouveau directeur
substitue au questionnaire mécanisé de
Q.I. un entretien de motivation. Côté
pédagogie, il renouvelle le carrefour
d’actualité, désormais à la charge des
étudiants ; invente le “dossier de la semaine” ; réorganise les enseignements
autour de trois piliers : monde contemporain, sciences de l’information, techniques du journalisme ; supprime le
mémoire de fin d’études. On s’ouvre au
journalisme d’agence avec Oleg Medard,
rédacteur en chef à l’Afp, on renforce la
radio avec le chef du service politique de
Rtl Robert Boulay, on découvre la télévision avec le jeune Jean-Pierre Pernaut
(48e), mais aussi Michel Denisot, ou très
brièvement, Bruno Masure.
Le quinquennat s’achève le 1er janvier
1981, lorsqu’Hervé devient le directeur
de la communication du patron emblématique de l’Unesco, Moktar M’Bow.
Afrique, quand tu nous tiens… Au mitan
du mandat, Jules Clauwaert, surmené et
Ancien de l’École, ancien Président, Président
d’honneur. Tout au long
de sa longue vie professionnelle Jules Clauwaert
a été d’une fidélité sans
faille à l’École qui lui avait
enseigné son métier.
engagé sur tant de fronts, a cédé la présidence à Philippe Vasseur, en 1978, au
moment où Hervé annonçait le futur
déménagement vers l’ancien Institut de
Physique, vers les locaux actuels de l’ESJ.
b
dats (déjà plus de trois cents), André établit le concours en deux temps (écrit juillet, oral septembre). Il est aussi celui qui
introduit les outils modernes dans l’enseignement, dont le fameux Scrib, premier
outil de rédaction numérique, ou le Minitel (vous savez, l’engin avant Internet…).
On s’installe rue Gauthier-de-Châtil- Il est l’initiateur, en 1984, de la fameuse
lon en septembre 1981, alors que le CA “plaquette de sortie” où les étudiants se
dont Hervé vient de reprendre la prési- présentent urbi et orbi à la profession.
dence a choisi le responsable des formab
tions presse écrite, André Mouche (44e),
pour succéder. Celui-ci tiendra le coup Ces années-là, on a fêté le 60e annipresque dix ans : l’expression est choi- versaire, reçu les invités au musée des
sie. D’une intelligence acérée, et d’une Beaux-Arts, servi le banquet dans le resénergie farouche, le directeur à plus que taurant de la piscine olympique, entendu
temps plein va construire l’ESJ moderne le (faux) départ de Momo. Potiron (44e)
dans les nouveaux locaux dont seront et Faure (40e) feront bien leur office avec
inexorablement expulsés le Centre de talent, mais on rappellera Cincinnatus,
Formation du Personnel Communal, comme il se nomme alors, pour un derpuis Sciences Po Lille, pour des raisons nier septennat. Ces années-là, on baptise
d’espace vital. Certes il n’y a plus que la 61e promotion Jean-Paul Kauffmann
deux années, mais les promotions de 50 (40e), pour solidarité bienvenue avec les
étudiants ou plus s’étalent maintenant journalistes pris en otage. Ces annéesdans des salles équipées de matériels là tombe le mur de Berlin. La promo de
souvent acquis avec l’aide sans défaut de Soizic Bouju (64e), future directrice des
la ville de Lille ou des collectivités locales études, y est depuis la veille. Et envahira
et régionales, jamais aux abonnés absents les médias français de ses témoignages
quand il s’agit de l’ESJ.
avérés, dont aucun ne fera état de la préAu demeurant, entre 1982 et 1990, sence de Nicolas Sarkozy.
l’École abritera aussi, sous la houlette
b
du regretté Yao Ahadé, un programme
spécifique pour étudiants africains, “In- Dans cette période aussi agitée que féformation et développement”, qui lui conde, entreront à l’ESJ de futurs cadres
vaudra un très très mauvais procès de la de la profession : Jean-Luc Evin, Pascal
part d’un ancien étudiant reconverti en Josephe, Philippe Lefait, Michel Floquet,
littérature (« A Lille, on séparait les étu- Vincent Hugeux, Jean-Michel Lobry, Aldiants Noirs des autres étudiants ») procès fred Dan Moussa, Marc Tronchot, Benoît
perfidement relayé sans plus d’examen Duquesne, Dominique Derda, Jean Karim
par un donneur de leçons et redresseur Fall, Patrice Romedenne, Thomas Hugues,
de torts patenté, ancien du Cfj et mau- Eric Marquis, on en oublie évidemment. Et
vais coucheur au point de refuser le droit aussi un nombre impressionnant de futurs
de réponse sur le site “pure player” qu’il cadres de l’ESJ : Frédéric Baillot (55e), le
anime encore aujourd’hui.
“papa lapin” des PHR ; Marc Capelle (55e),
b
à la manœuvre internationale, puis à la direction générale ; Thierry Watine (57e) à la
Foin de ces mauvaises polémiques. La direction des études avant de (re)filer Quétroisie reconnaissance par l’État (autori- bécois ; Frédérique Brillot (58e), cheville
sant le diplôme à s’orner d’un visa officiel ouvrière du 80e anniversaire avec Didier
de la République) est obtenue par André Eugène ; Guy Maron (58e) lui aussi à la diMouche le 18 février 1983 : elle dit que le rection des études ; Marc Ventouillac (58e),
diplôme de l’ESJ “vaut” bac +4, et qu’on aujourd’hui président des anciens, chef de
peut s’inscrire directement en DEA si on file du 90e et qui a réussi à me faire écrire
l’a obtenu. Devant l’affluence des candi- ces lignes ; Eric Maitrot (59e), directeur des
Johanne Sutton (64e) victime de guerre
en Afghanistan, courageuse et respectée envoyée spéciale de RFI.
études sportif et littéraire ; Eric Jouan (60e),
administrateur attentif tout comme Antoine Guelaud (65e) ; Ab el Krim Saïfi (55e),
Hélène Fanchini et Pascal Gros, Stéphanie
Maurice et Laurent Passicousset, Martin
Igier et Thierry Cerinato, Marianne Mas,
tous formateurs et animateurs de formation. Sans omettre l’actuel directeur, Pierre
Savary de la 65e, excusez du peu.
b
Le racontant s’autorisera quatre citations aussi diverses que particulières :
• Didier Vasseur (54e), plus connu sous
le nom de Tronchet, avec qui il partagera
l’amour de la Bd et de l’île aux Nattes, paradis exotique au bord des côtes malgaches
• Bernard Podvin (55e), qui fut son conseiller personnel à la direction, participant assidu et pertinent au Comité pédagogique,
aujourd’hui Monseigneur, en charge difficile de la communication des évêques de
France
• Thierry Dugeon (62e), le chouchou inavoué de Patricia Dormal, assistante du directeur, qu’on chercha (« Mais où est donc
Thierry Dugeon ? ») aux Usa, dès sa nomination comme anchorman à Canal+
• Johanne Sutton (64e), pour un motif évidemment plus grave et rude, victime de
guerre en Afghanistan, courageuse et respectée envoyée spéciale de RFI
b
Revenons à notre histoire. Le 4 juillet
1990, un communiqué sibyllin du président de l’ESJ met fin aux fonctions
d’André Mouche et désigne François Lionet et Maurice Deleforge comme intérimaires. Pas de plus amples explications.
La vérité alors impossible à formuler est
plus simple à dire aujourd’hui : André, au
bout du rouleau, a “pété les plombs”, en
Roumanie, puis à Moscou. Il a fallu l’exfiltrer avec précautions. La mesure de mise
à l’écart, déjà envisagée puis différée, est
cette fois irréversible. Elle n’entache pas
le bilan positif des années Mouche, qui
auront parachevé la révolution culturelle
engagée par son prédécesseur.
b
C’est tout de même une nouvelle crise.
Suspense insoutenable : l’Ëcole va-t-elle
rebondir ?
ESJ
une histoire
racontée
en six reprises
5/6
[1991 - 2004]
1. Au commencement était le (petit) père
2. La longue marche (1946-1959)
3. La démocratie nouvelle (1960-1968)
4. La révolution culturelle (1968-1990)
5. La révolution des cent fleurs (1991-2004)
6. Le grand bond en avant (2004-2014)
La
révolution
des
cent fleurs
Repères
1991: L’ESJ crée ses structures
de formation continue ESJ-Médias
(pour la profession), et ESJ-Entreprise (hors presse).
1992 :
L’ESJ Lille crée la formation Journaliste Cadre Dirigeant
des Médias.
1993 :
Lancement de la filière
Journaliste & Scientifique.
1994 :
Création du Centre de
Recherche sur les métiers de la
presse
1995 :
Création d’une filière
Presse hebdomadaire régionale.
1998 :
Création d’une école
de journalisme à Sarajevo pour
l’Institut Media Plan
1999
Lancement de la filière « Journalisme et agriculture ». Création du
Centre de perfectionnement au
journalisme à Hanoï (Vietnam).
2000
Internationalisation de la formation
avec des échanges d’étudiants avec
l’Université Laval (Québec).
E
SJ Lille cherche son cinquième directeur. L’annonce n’est pas dans les
journaux, mais le bureau se met en
chasse. La bonne pioche viendra de l’extérieur. C’est Jean-Marie Dupont, ancien
cadre dirigeant du Monde, devenu directeur de France 3 Aquitaine, si longtemps
président du Clemi, ami et administrateur de l’école, qui ouvrira la piste nommée Patrick Pépin.
Créateur d’un hebdomadaire régional,
Pays, à sa sortie de Sciences Po Bordeaux, devenu patron de Radio France
Pays basque au temps des explosions, Patrick a pris en charge le studio-atelier de
Radio France Melun, où il est en quelque
sorte responsable de la formation des
1 200 salariés des radios locales de Radio
France. Il y a moindre, comme référence
pour « faire le job » à Lille. D’autant qu’il
vient de créer en 1989 l’Institut francoibérique de la communication.
Dans les locaux de la Sofirad qu’il préside,
et qui sont aujourd’hui ceux de la Fondation Varenne, Hervé Bourges accepte
de faire un vote indicatif, juste pour voir,
sitôt l’audition de Patrick Pépin par le bureau élargi. Unanimité immédiate, avant
même le débat. Le CA ratifie le choix, à
Lille, le 13 novembre 1990.
b
Patrick s’imprégnera sans mal, avec
l’amicale complicité de Maurice, de l’esprit de l’École et fera vite oublier qu’il
est le premier directeur non issu de ses
rangs. Arrive Olga Irastorza, « pour la
com », pour « bien faire et faire savoir ».
Le premier mot du nouveau directeur est
« développement ». Et cela va se voir, et se
savoir. Cent fleurs vont s’épanouir sous la
présidence d’Hervé Bourges puis, lorsque
celui-ci prend la tête du CSA, sous la présidence du signataire, à partir de 1991.
• Formation permanente (1992) : voici
la formation JCDM (Journaliste Cadre
Dirigeant des Médias), en partenariat
avec l’ESC, qui va cartonner. Avec “droits
et devoirs du journaliste”, elle servira
d’étendard efficace à la reconquête du terrain de la formation permanente par trop
abandonné au Cfj après l’éclatement du
Cpj. Philippe Martin (50e), puis Thierry
Guidet (Cfj), feront le succès de la filiale
de formation continue ESJ-Médias
• Spécialisation scientifique (1993) :
voici “Journaliste et scientifique”, une
coproduction ESJ-Ustl Lille 1, patronnée
par Pierre-Gilles de Gennes himself et
conduite avec Bernard Maîte pour former au journalisme des titulaires d’une
maîtrise scientifique. Frédéric Baillot
puis Eric Glover assureront la pérennité
de cette filière, dupliquée ultérieurement
par Loïc Hervouet à Blida (Algérie).
• Recherche (1994) : voici le Centre de
Recherches de l’ESJ, créé sous le patronage de Pierre Bourdieu, et chargé entre
autres de la relance de publication des
Cahiers du journalisme, co-édités avec
l’Université Laval (Québec). Le travail
d’un Jérôme Delavenne en documentation est une référence dans l’école et à
l’extérieur.
• International (1994) : voici le “Réseau
Théophraste”, qui regroupe la fine fleur
des établissements enseignant le journalisme en français. C’est un réseau institutionnel de l’Agence Universitaire de la
Francophonie, que présidera l’ESJ aussi
longtemps que nécessaire. Il est toujours
vivant aujourd’hui, présidé par Pascal
Guénée (Ipj) et fêtera ses vingt ans à
Dakar en novembre, lors du Sommet de
la Francophonie. Dans le même mouvement, l’ESJ aide à la renaissance de l’école
de Bucarest, crée sa propre filiale à Varsovie, fait naître l’école de Suva (Vanuatu)…
• Spécialisation encore (1995) : la filière
PHR (Presse Hebdomadaire régionale)
en un an est lancée avec l’appui du président de ce secteur de la presse écrite,
Jean-Pierre Vittu de Kerraoul. Recrutement sur concours dès le bac (en réalité
souvent bac+2). Contestations et remous
pour crainte de « filière au rabais ». L’ESJ
persiste et signe, car le raisonnement est
simple : dans cette forme de presse, la
formation devra être ainsi ou ne sera pas.
L’ESJ choisit que cela sera. Ses étudiants
feront le reste pour justifier le projet, qui
est aujourd’hui la rampe de lancement la
plus accessible à l’ascenseur social. Qui
est aujourd’hui une licence professionnelle reconnue avec l’appui de Lille 1.
• Filière internationale (1996) : avec
Londres, Laval, et Louvain, Lille constitue « la bande des 4 L » et propose un parcours à l’étranger dans les différents établissements. Cela ne tiendra que quatre
ans et quarante étudiants, principalement
pour cause de forfait britannique.
b
On comprend dès lors qu’en 1997
Sciences Po ait été prié de gagner la rue
de Trévise pour assurer son propre développement et laisser la jouissance entière
du bâtiment à l’ESJ.
Le développement va toujours son train,
qui n’est pas de petite vitesse. Une école
franco-bosniaque de journalisme est
créée à Sarajevo avec l’Institut Mediaplan
et son charismatique fondateur Zoran
Udovicic. Des formations de directeurs
L’École a ouvert une “troisième voie” d’accès au concours pour les retardataires.
Jean-Paul Rousset, 35 ans, vendeur à la
Fnac, prend sa chance en 2003. Ce sera
un triomphe. Journaliste économique à
Libération, il meurt prématurément, à 41
ans, en 2009.
Patrick Pépin s’imprégnera sans mal,
avec l’amicale complicité de Maurice
Deleforge, de l’esprit de l’École et fera
vite oublier qu’il est le premier directeur non issu de ses rangs.
Une parmi quatre-vingt-dix dans la cour pavée de l’École : la 78e.
de quotidiens chinois sont menées à Pékin, à Shangaï, par le racontant.
b
Entr’acte.
b
On le voit : éclatant mandat du directeur.
Initiatives, présences locales, nationales,
internationales. Brillantissime affirmation d’un leadership qui devient incontesté. Mais calamiteuse situation financière,
générée et masquée par le dévouement
inouï d’un comptable trop dévoué, qui,
seul dans son bureau, « trouve les moyens
financiers » du développement, même
quand il n’y en a pas, au prix d’artifices
comptables et bancaires à la fois efficaces
et répréhensibles, avec la complicité active ou passive d’un cabinet de commissaires aux comptes qui certifie chaque
année la compta – sans doute même sans
l’avoir regardée.
Pas de malversation aucune – je crois
pouvoir dire qu’on n’en a jamais soupçonné le début du commencement d’une
ombre en 90 ans dans l’institution - mais
des arrangements coupables avec la législation, les précomptes sociaux et les crédits “Dailly”.
Lorsque président et directeur réunis,
une fin de mois d’août à la lueur des vacances et d’une maladie du comptable,
découvriront la rude réalité, le cabinet
comptable sera sévèrement éjecté, le
comptable partira de lui-même et un ami
Centralien tout aussi dévoué mais plus
rigoureux dans les méthodes, viendra
donner un coup de main pour amorcer la
remise sur les rails.
Le président pénalement responsable
s’autodésignera avec l’accord du CA à
la direction et présidence cumulée lors
du départ du directeur, puis dès que la
menace pénale s’éloignera, demandera
– pour des raisons symboliques d’affirmation de continuité et en raison de son
aura personnelle – au président du Csa
d’alors de revenir sur ses pas et de reprendre une présidence déjà connue. Réticences autour de lui, insolent et infondé
papier du Monde voyant conflit d’intérêt
imaginaire entre les fonctions au Csa
et celles à l’ESJ (entièrement bénévoles,
faut-il le préciser ?). Hervé Bourges s’enquiert :
— En as-tu besoin, vraiment ?
— Oui, vraiment.
— Alors, d’accord.
b
On avait passé les échéances entre Patrick
Pépin et Loïc Hervouet sous la gouverne
du directeur général adjoint recruté deux
ans plus tôt, en provenance de Libération, le flamboyant Didier Tourancheau.
Sa flamboyance ne plut pas à tous, elle
énerva même en interne, disons-le, mais
l’auteur de ces lignes sait ce qu’on lui doit,
sait qu’au plus fort de la crise il mit sa
propre maison familiale en caution pour
l’École, sans rien en dire, et qu’il usa de sa
grande capacité de conviction et de persuasion entêtée pour contenir les assauts
de l’Urssaf et des impôts réunis jusqu’à la
conclusion d’accords d’échelonnements
et de régularisations acceptables. Il eut
d’autant plus de mérite à le faire que le
nouveau DG lui avait dit en entrant :
« Financièrement, l’un de nous deux est de
trop. Et ce n’est pas moi.» Merci donc à ce
compagnon fantasque mais si fidèle des
heures, des jours, et des nuits difficiles.
b
On passera sur les rudes échéances de
gestion qu’il faut surmonter. Démarches
après démarches, des concours variés et
décisifs, convaincus par le rayonnement
de l’ESJ, aideront à passer les caps : la
mairie de Lille, la maison des Professions
dans le Nord (et un membre de la famille
Mulliez, discrètement), la FNAC, à Paris,
la Fondation Varenne et le groupe Centre
France en Auvergne, etc. Patrick Pépin
s’est encore investi dans la “collecte” de
titres associatifs, pour assurer des fonds
propres à une institution qui n’en avait
jamais eu, jusqu’à son départ, utile et
nécessaire reprise de respiration, aux côtés de Jean-Marie Cavada, à RFO puis à
Radio France. Un nouveau commissaire
aux comptes aussi amical que rigoureux,
le regretté Patrick Gobert, accompagnera
le redressement financier.
La situation juridique de l’ESJ est clarifiée
avec de nouveaux statuts de l’association
de gestion de l’École, qui détient aussi des
participations dans ses filiales ESJ-Médias et ESJ-Entreprise, où elle accueille
ses partenaires financiers. Le développement reste à l’ordre du jour.
En 1998 naît la filière “Journaliste agricole”, avec l’ISA, qui sera un jour fusionnée avec la filière JS. En 1999 naît le
Centre de formation des journalistes de
Hanoi, dont une ancienne, Huyen Dao,
prendra les rênes en l’an 2000. Avec Paul
Fels, en 2000, c’est à Madagascar qu’est
lancé un vaste projet d’appui aux médias,
où l’ESJ prendra toute sa part. Et on ne
s’arrête pas là :
• Ouverture de locaux à Paris, rue d’Hauteville, pour les besoins de la formation
permanente
• Création de l’antenne de Montpellier,
avec Jean Kouchner, aujourd’hui secré-
taire général de l’Union de la Presse Francophone (que présida Hervé Bourges)
• Ouverture du master franco-chinois à
Shangai.
• Engagement de la réfection des locaux
et en particulier du grand et bel amphi.
b
Parmi les étudiants de cette période,
on fera beaucoup d’impasses en ne citant qu’Aymeric Caron (69e), Loïc de la
Mornais (72e), Frédéric Vion ou le prix
Albert Londres Luc Bronner (73e), ainsi
qu’Anne-Claire Coudray (74e). Chez les
scientifiques on trouvera de futurs cadres
de l’ESJ encore : Agathe Remoué ou Sylvie Larrière. A cette époque on ouvrira
une “troisième voie” d’accès au concours
pour les retardataires. Jean-Paul Rousset, 35 ans, vendeur à la Fnac, prend sa
chance en 2003. Ce sera un triomphe.
Journaliste économique à Libération, il
meurt prématurément, à 41 ans, en 2009.
b
Peu soucieux de payer autant que les précédents directeurs un investissement qui
ne peut ici être minimal, persuadé que
les dettes sont apurées, les fonds propres
restaurés, les équilibres rétablis, le directeur annonce au CA avec plus d’un an
d’avance la perspective de son départ.
Un temps envisagée, ce qui avait conduit
à sa nomination comme DGA et au
recrutement de Didier Cagny comme
patron d’ESJ-Médias, la désignation de
Thierry Guidet comme directeur général est abandonnée au profit de Daniel
Deloit. La région nantaise y aura gagné
une revue d’une qualité extrême, Place
publique, qui a depuis essaimé à Rennes,
donné exemple à Bordeaux…
ESJ
une histoire
racontée
en six reprises
6/6
[2004 - 2014]
1. Au commencement était le (petit) père
2. La longue marche (1946-1959)
3. La démocratie nouvelle (1960-1968)
4. La révolution culturelle (1968-1990)
5. La révolution des cent fleurs (1991-2004)
6. Le grand bond en avant (2004-2014)
Quatre-vingtième anniversaire de
l’École à la mairie de Lille en présence
d’Abdou Diouf.
En haut : Hervé Bourges (30e) reçoit, au
nom de l’ESJ, la médaille d’or de la ville
de Lille. La première attribuée à une association. « Nous sommes fiers de notre
École » dira Martine Aubry. Avant que
tombe une douce pluie d’éloges.
En bas : Un ancien président pour professeur… C’est en effet Abdou Diouf,
ancien président du Sénégal, qui a prononcé la leçon inaugurale de rentrée de
l’ESJ à la 80e promotion. Ici, il répond
aux questions de Anne Barrier (79e,
future JRI).
Le grand
bond
en avant
Repères
2007
Création d’une télépréparation
pour les candidats étrangers, élargie ensuite à tous les concours.
2009
Lancement d’une Prépa égalité des
chances [voir page suivante].
• Modification des statuts de l’école.
Le CA s’enrichit de la présence de
représentants de l’enseignement
supérieur, des collectivités locales,
des entreprises régionales.
2011
Accord de partenariat entre
Sciences Po Lille et l’ESJ, les étudiants bénéficient d’une double diplomation des deux établissements.
2014
• Modification des statuts de l’école.
Les étudiants entrent au CA.
• Lancement d’un parcours post
bac unique en France en partenariat avec les universités lilloises permettant aux étudiants de s’initier
aux métiers de la presse et de se
préparer aux concours des écoles
de journalisme [voir page 12].
•Ouverture à l’apprentissage de la
seconde année d’enseignement du
diplôme de Master.
L
e 80e anniversaire est un grand
cru. C’est Abdou Diouf, par
amitié pour Hervé, qui préside
la séance solennelle à la mairie,
élégamment orchestrée par Elisabeth
Tchoungui (69e). On a gelé pour le dîner
de gala à Roubaix, où Pierre Mauroy est
fait ancien d’honneur. Un annuaire papier
(le dernier), recense les presque 3 000
anciens de 78 promotions dans 78 pays.
Y entrent aussi pour la première fois les
cohortes de jeunes formés en alternance,
dès 1991, à Montpellier principalement,
en radio et TV surtout. Leur nombre ne
cessera de croître.
Car le grand bond en avant de cette période sera aussi quantitatif : à quelques
encablures du 90e anniversaire, en septembre 2014, les 172 places du Grand
amphi laissent peu de sièges vacants aux
165 admis (sur 870 candidats) de la première Académie ESJ. On y reviendra.
b
Dans l’instant, revenons à la succession
de direction qui voit l’entrée en lice de
Daniel Deloit, détaché de Radio France,
et un profond remaniement des cadres,
rendu nécessaire à l’international notamment, par le débauchage intégral de
l’équipe de l’ESJ par les nouveaux propriétaires du Cfpj. Une succession s’engagera
également à la présidence, avec le retour
en 2008 de Philippe Vasseur -qui s’était
dévoué une première fois pour suppléer
Jules Clauwaert- et qui se dévouera là
pour prendre le relais d’Hervé Bourges,
avec l’engagement, la ténacité, et le parler
franc qu’on lui connaît.
Il en aura besoin, de ténacité. Car l’école
connaît une rechute financière sans doute
due à des doublons de poste imprévus, à
un procès social inédit dans son histoire,
à une raréfaction des marchés internationaux, à une baisse de la taxe d’apprentissage (qui va devenir chronique pour
tous les établissements)... Il faut agir, et
fort. Philippe agira. En fixant un cap :
l’adossement, sinon l’intégration au secteur public d’enseignement supérieur,
dès que possible (la structure associative
a atteint ses limites, et les mouvements
en cours pour l’unification des universités lilloises sont propices). En négociant
avec la Région une aide massive et définitive pour assurer l’avenir qui seul permettra d’apurer le passé. En conduisant
les réformes internes utiles et nécessaires,
à commencer par le changement des statuts qui élargissent l’éventail des soutiens
de l’École.
b
En 2009, le plan d’action acte la prise de
participation majoritaire de VarenneCentre France dans ESJ-pro, la filiale qui
réunit à présent ESJ-Médias et ESJ-entreprise sous la direction de Daniel Deloit.
Un “pacte d’actionnaires” et des conventions de coopération encadreront les activités de l’École et de sa filiale, pour gérer
une complémentarité intelligente et indispensable. C’est toujours le cas aujourd’hui.
Alors que Georges Potriquet (49e), ancien trésorier, déjà cité, a pris au début
de 2011 à la présidence de l’École la
succession de Philippe Vasseur (élu à la
Chambre régionale de commerce), c’est
Marc Capelle, nommé directeur en juin,
qui conduit en interne la suite du mouvement et du plan de rétablissement de
l’ESJ. La rudesse obligée du plan l’amènera même à programmer son propre
départ et celui du directeur financier.
En janvier 2013, le “ticket” Savary-Renard est nommé à la direction de l’ESJ.
Le directeur général Pierre Savary (65e) a
succédé à Eric Maitrot (59e) à la direction
des études en septembre 2007 ; son adjoint Yves Renard a relancé avec bonheur
les activités internationales de l’établissement : ils connaissent tous deux les difficultés, mais aussi les atouts de l’ESJ, de
l’intérieur. Ils la conduisent aujourd’hui
dans un paysage beaucoup plus serein
avec compétence, engagement, mais aussi simplicité et conviction.
Ils la conduisent sous la houlette d’un
nouveau président. « Mission de transition accomplie », Georges Potriquet
annonce fin 2012 qu’il ne se représentera pas au mois de mars suivant. Nouveau bond en avant psychologique : le
conseil choisit, pour la première fois, un
président qui n’est pas un ancien. Louis
Dreyfus est, malgré tout, un voisin assez
proche : il préside déjà le CA de Sciences
Po Lille. C’est surtout un homme de
presse habile et énergique : président du
directoire du Monde depuis 2010, ancien
directeur général des Inrocks, de Libération, du Nouvel Observateur.
Il est assisté de Cyril Petit comme secrétaire et d’Agathe Remoué comme trésorière. Il entre aussitôt en complicité avec
l’association des Anciens où Didier Eugène, longtemps au four et au moulin, a
laissé place au très sportif Marc Ventouillac, déjà cité. Son équipe (Tangi Salaün,
Emmanuelle Geuns, Armelle Roussel,
Sylvie Pivot, Cyril Petit), munie d’une
“feuille de route” ambitieuse, renouvelle
avec bonheur les générations au contact
de l’École, gère le site www.reseauESJ.
com, crée une page Facebook plus vivante que jamais, prépare avec fougue le
90e. Nous y sommes.
b
2008. De retour à la présidence de l’ESJ, Philippe Vasseur – qui s’était dévoué une première fois pour suppléer Jules Clauwaert – se dévoue pour
prendre le relais d’Hervé Bourges, avec l’engagement, la ténacité, et le parler franc qu’on lui connaît. Il empêchera l’École de connaître la faillite.
Fin 2012, le conseil d’administration choisit, pour la
première fois, un président
qui n’est pas un ancien.
Louis Dreyfus est, malgré tout, un voisin assez
proche : il préside déjà le
CA de Sciences Po Lille.
C’est surtout un homme de
presse habile et énergique.
On recense des Anciens dans près de
quatre-vingt dix pays. Normal, l’ESJ
a de tout temps ouvert ses portes aux
étudiants étrangers. Chaque année, ils
sont au minimum douze à réussir le
concours qui leur est réservé.
Pendant tout ce temps, les affaires (pédagogiques) ont continué et prospéré :
• juillet 2008 : mise en place avec le Bondy
Blog, de la “prépa égalité des chances”, qui
accompagne des jeunes sélectionnés sur
critères scolaires et sociaux dans la préparation des concours d’entrée dans les
écoles de journalisme reconnues. L’ESJ
Lille prend en charge l’intégralité des frais
de formation dont sont exonérés les étudiants de cette classe. Chaque année 150
à 200 candidats, 40 à l’oral, et 20 définitivement retenus. C’est une grande réussite
marquée par des taux records de succès
aux concours présentés (jusqu’à 80%).
• juin 2009 : concours commun avec
les autres écoles de journalisme abandonné au profit d’un concours commun
avec Sciences Po Lille, ouvrant la voie
à une double diplomation pour les étudiants : diplôme de l’École et master de
Sciences Po réunis ! Une seule journée de
concours écrit, à Lille, et 750 participants
dès la première année.
• octobre 2009 : télépréparation aux
concours des écoles de journalisme,
avec enseignement à distance sur une
plateforme de formation, 60 inscrits la
première année et 220 actuellement. En
2014, 60 reçus dans les différentes écoles
reconnues.
• septembre 2011 : remise en perspective
des objectifs et méthodes pédagogiques
du master historique, habilité par l’État
comme master 2 depuis 2006, avec la succession, à la direction des études, entre
Pierre Savary et Corinne Vanmerris.
• octobre 2011 : mise en place sur internet de la filière Master en management
des médias, qui conduit à un diplôme
de niveau master 2. Ce partenariat avec
CFI, l’IAE, l’AUF, la CEE, le MAE, ou-
vert à des titulaires de master 1, offre à
des étudiants du monde entier, sur une
plate-forme numérique, une vingtaine
de places à chaque promotion. La quatrie
promotion a fait sa rentrée en octobre
2014. On aura formé plus de cent étudiants de 21 pays …
• juillet 2013 : lancement du diplôme
d’université en alternance pour les journalistes des radios maliennes. Quatorze
étudiants sont concernés, formation toujours en cours.
b
Pendant ce temps, les étudiants et anciens
trustent les prix professionnels. Impossible de tout citer. Choisissons, après Sophie Bouillon (82e), l’une des plus jeunes
Prix Albert Londres, en 2009, ce que
Réseau-ESJ a relevé sur sa page Facebook
depuis la naissance d’icelle le 4 mai 2013 :
• mai 2013 : Clément Parrot, Corentin
Dautreppe et Maxime Vaudano (87e),
reçoivent le prix d’innovation en journalisme Sciences Po – Google, pour leur
site de factchecking “Lui président”
• novembre 2013 : Marion Quillard (85e),
prix enquête des Assises du journalisme
• novembre 2013 : Mathieu Houadec (16e
PHR), lauréat Prix Varenne
• novembre 2013 : Nicolas Richaud (87e),
Alice Rougerie (86e), Marie Lagedamon
et Aurelia Moussly (83e), lauréats du Club
de la presse Nord-Pas de Calais - club de
la presse accueilli dans les locaux de l’ESJ
depuis avril 2014
• décembre 2013 : Vincent Hugeux (56e)
et Ulysse Gosset (50e), lauréats de l’APE
• décembre 2013 : Nicolas Delesalle (72e),
lauréat du prix des lecteurs du livre numérique 2013 avec Un parfum d’herbe coupée.
• mars 2014 : Stéphane Siohan (76e), lau-
réat prix Chaffanjon multimédia
• avril 2014 : Eric Chevillard (60e), prix
Alexandre Vialatte
• avril 2014 : François Geffrier (88e), lauréat de la Bourse Lauga
b
On avait promis d’y revenir, on y revient :
septembre 2014 marque la première rentrée de l’Académie ESJ Lille . Ce parcours
post-bac, unique en France, permet à
165 étudiants de Lille 1, Lille 2 et Lille 3,
originaires de 25 parcours universitaires
(qui ont adapté leurs emplois du temps),
de suivre une formation d’initiation aux
métiers de la presse et de préparation aux
concours des écoles de dix heures par
semaine. Pour un étudiant, suivre ce parcours permet de valider un tiers des crédits nécessaires à l’obtention de son année
de licence, et de se préparer au mieux
aux sélections des écoles. En septembre
2016 s’ouvrira la deuxième année ; en
septembre 2017 la troisième, ainsi qu’une
licence professionnelle de journalisme de
sport.
Octobre : la 90e fait son entrée rue Gauthier-de-Chatillon : sur 650 candidats,
143 (dont 30 de Sciences Po Lille) ont été
retenus à l’oral. Et 60 intègrent le master, dont seize de Sciences Po (8 Lille, 4
Rennes …), six de la prépa “Égalité des
chances”.
Troisième nouveauté de la rentrée 2014 :
l’apprentissage, pour le diplôme de master, entre en œuvre. Dix étudiants de la
89e promotion obtiennent ce statut pour
leur deuxième année.
b
S’il fallait au moment où on va conclure,
dédier ces mots et ces phrases d’hom-
Sophie Bouillon (82e), l’une des plus
jeunes Prix Albert Londres, en 2009. La
dernière d’une longue lignée d’Anciens
lauréats de cette prestigieuse distinction.
mage à l’ESJ, parce qu’il sait d’où il vient
et à qui il le doit, le narrateur ne penserait pas d’entrée de jeu aux présidents,
aux directeurs, aux formateurs qui ont
occupé le devant de la scène. Il penserait, sachant qu’il en oublie, aux machinistes qui ont permis le spectacle : côté
intendance, les Albert ou Alexandre, les
Christophe ou les Mourad, Cathy; côté
accueil les Renée ou les Silvana ; côté
technique, les Moha ou les Philippe ;
côté bib-doc, les Thérèse, Charles, Richard, ou Jérôme ; côté col blanc, les
Caroline, Catherine, Sandrine, Claire,
Christelle, ou Nassira; côté gestion les
Guillaume, Jean-Louis, Bernard, Stéphane, Béatrice ou Magali.
C’est aussi grâce à eux que, publié pour
la première fois en juin 2013, le classement Figaro étudiant – Streetschool a
placé l’ESJ en tête du classement des
écoles de journalisme françaises. N’a
pas peu pesé dans ce classement la
performance de l’École qui continue à
proposer en sortie à chacun de ses étudiants un cdd de 2 à 6 mois en fin de
scolarité. Et un cdi aux diplômés de Phr.
b
Fragile et indestructible, cette jeune et
vieille dame de quatre-vingt-dix ans
(pourquoi ne pas s’autoriser un cliché
final ?) riche même de ses défauts et de
ses faiblesses, traverse toutes les péripéties parce que faite d’amitiés, de désirs,
de créativité, et de passions, elle offre
toujours une raison de l’aimer. Plus de
suspense insoutenable : elle sera là dans
dix ans bien sûr, pour le centenaire. Seul
suspense : y serons-nous ? C’est ce que je
souhaite à tous.
Loïc HERVOUET