Téléchargez l`Histoire de l`Ecole supérieure de
Transcription
Téléchargez l`Histoire de l`Ecole supérieure de
90 ans ESJ une histoire racontée par Loïc Hervouet ESJ une histoire racontée en six reprises 1/6 [1929 - 1945] S’agissant d’écrire une histoire, on suivra un plan chronologique, et en hommage décalé au premier étudiant chinois de l’ESJ, Piao Tchang Kong, arrivé là en 1929 par bateau et par on ne sait lequel des hasards, suivi de deux compatriotes en 1930, on titrera les quatre prochains chapitres au moyen d’évocations maoïstes habilement détournées : 1. Au commencement était le (petit) père 2. La longue marche (1946-1959) 3. La démocratie nouvelle (1960-1968) 4. La révolution culturelle (1968-1990) 5. La révolution des cent fleurs (1991-2004) 6. Le grand bond en avant (2004-2014) Repères 1924 Fondée par Paul Verschave (18781947), l’ESJ Lille ouvre ses portes le premier mardi de novembre, au sein des Facultés catholiques de Lille. Les directeurs Paul Verschave (1924-1947) Robert Hennart (1948-1976) Hervé Bourges (1976-1980) André Mouche (1980-1990) Patrick Pépin (1991-1999) Loïc Hervouet (1999-2005) Daniel Deloit (2005-2011) Marc Capelle (2011-2012) Pierre Savary (depuis janvier 2013) Au commencement était le (petit) père O n va parler d’un père fondateur. N’en déplaise à Libération, qui n’a su enlever la faute de ses archives, Paul Verschave n’était pas curé, même si on l’appelait “ le petit père ”, et même si l’ESJ est née au sein des Facultés catholiques. Erreur tragi-comique. “ Le vraisemblable n’est pas le véridique ”, aurait dit Elisabeth Martichoux (Europe 1 – 58e). Paul Verschave ne mesurait en effet qu’un mètre cinquante cinq, mais il était bien marié et père de famille, on le verra dans l’histoire. Paul Verschave, donc (1878-1947), naît à Warhem, en Flandre maritime. Études au collège catholique de Bergues (ville-fétiche de “ Bienvenue chez les Ch’tis ”), puis en faculté de droit de la Catho, où il deviendra professeur (en toge) de droit public et administratif. La guerre le rattrape à 35 ans, et l’envoie en campagne comme sergent d’infanterie, bientôt fait prisonnier et emprisonné plus de trois ans dans un camp de Saxe. Est-ce un signe du destin ? Il se fait chroniqueur amateur dans un “journal de campagne août-octobre 2014 ” racontant sa guerre. En tout cas c’est à lui que pense la Catho de Lille lorsqu’elle l’emporte sur celle d’Angers pour abriter, selon le vœu des cardinaux et archevêques de France adopté en février 1923, « une école de journalistes qui utiliserait les cours déjà existants et y ajouterait quelques cours spéciaux. » Voici donc Paul Verschave en charge de cette section (“École” en 1928, “École supérieure” en 1934) de la Faculté de droit et de la Faculté des lettres réunies, où l’on enseignera principalement le droit bien sûr, l’histoire (diplomatique surtout) et la géographie (humaine principalement). Tout de même un peu de pratique : “Exercices de rédaction sur des sujets d’ordre politique, moral, religieux, littéraire”. Et aussi, déjà : “Analyse de contenu de journaux, examen critique de quotidiens.” Cinq impétrants cobayes forment la première promotion, en ce premier mardi de novembre 1924. Assez vite, ils se réduiront à trois, si l’on en croit le dernier survivant pisté par Maurice Deleforge en 1994, lors de l’édition de son ouvrage de référence sur 70 ans d’ESJ, René Pélatan. À présent décédé “Le” livre sur l’ESJ Avertissement Il est paru au quatrie trimestre de l’année 1994 à l’occasion du soixante-dixie anniversaire de l’École. Il a été écrit par un des rares Anciens d’honneur, Maurice Deleforge, qu’une bonne trentaine de promotions a toujours surnommé Momo. Sous le titre L’ESJ racontée par des témoins de sa vie, Momo, le prof de français si exigeant, a réuni et accomodé documents et souvenirs. Il signait là son huitie ouvrage. Pour qui veut connaître la vie et l’histoire de l’École jusqu’en 1994, le livre de Momo est incontournable… quasi centenaire et à l’orée du siècle à venir (1999), René Pélatan est une vedette du journalisme. Directeur, dès sa sortie de l’école, du Journal de la Marne, le vice-doyen des quotidiens français, il sera appelé à la direction de La Dépêche de Tunis dès 1932, jusqu’à sa retraite en 1963. C’est lui qu’on choisira comme président de la première association des anciens fondée en 1932 avec cinquante membres et un bulletin au titre ravageur : Entre nous. L’entre-nous de l’ESJ se passe en ces temps-là dans trois pièces au premier étage de la Catho, 60 bd Vauban (plaque-souvenir à l’entrée, et au début de l’escalier). C’est là que vivront 42 promotions, jusqu’à ce que l’École traverse la rue, au 67, en 1966. L’ESJ démarre lentement : quinze étudiants au total dans les trois première promotions, six dans la quatrième, record de onze dans la dixième, mais déjà “ Écrire, c’est choisir ”, enseigne-t-on à l’école de journalisme. Ayant accepté d’écrire, je vais être obligé de choisir. Mes plus gros péchés seront donc commis par omission. Excuses anticipées à tous ceux et celles que j’aurais aimé ou dû citer. Respect à Maurice, irremplaçable historiographe de l’ESJ. Loïc Hervouet une vocation internationale affirmée : les Chinois, on l’a dit, mais aussi une Polonaise, un Hongrois, une Roumaine, et même un Belge, non des moindres, Robert Hennart (9e), futur gendre du fondateur et futur directeur. La “sélection” sur concours (jusque là, la sélection ne concerne que l’octroi d’une bourse – si on paie, on peut s’inscrire) interviendra en 1937. L’ambiance est studieuse, mais familiale, et “le petit père” est en effet un père pour tous, loue des chambres bon marché chez lui à des étudiants sans fortune, organise un voyage au Vatican, reçoit volontiers à domicile. Son aventure prendra fin le 18 décembre 1947, lorsqu’opéré d’un polype à l’intestin, il décédera pendant l’intervention, ramené à son domicile par deux étudiants locataires et enterré le 23 décembre à Warhem, naturellement. Entretemps, l’école aura traversé la période d’occupation. Comment ? Les témoignages manquent, les doutes existent sur le degré de compromission éventuel, admis et/ou nécessaire pour continuer d’exister. Les promotions sont squelettiques en tout cas, et le double jeu semble attesté par les états de service d’un Jules Clauwaert, dont on reparlera ô combien, mineur de fond et fier de l’être, en même temps que d’être étudiant et résistant, à l’instar d’un René Florio (auteur du premier livre de l’ESJ sur l’écriture journalistique), militant des “Jeunes Chrétiens Combattants”. On s’en voudrait de ne pas citer, comme étudiants de ces vingt premières années, le critique de cinéma et billettiste historique Pol Hardy, mais aussi Joseph Fontaine (12e), patron des informations générales d’Ouest-France et premier président de l’association de gestion de l’ESJ, qui a donné son nom à la Bourse alimentée par les anciens pour aider aujourd’hui encore les plus modestes à fréquenter l’établissement. Ne pas oublier Zoé Schenk (13e), future Mme Hennart, ni Frantz König, qui deviendra cardinal-archevêque de Vienne (Autriche) et même papabile versus Jean-Paul II. Trois noms encore, au gré du racontant : • Jean Lecerf (14e), engagé au Figaro dès 1945 et pionnier, avec Jean Boissonnat et Pierre Drouin, du journalisme européen. Très engagé aussi à Reims pour honorer les “ faiseurs de paix ” • Michel Logié (14e), pilier de La Voix du Nord, de l’ESJ, et de l’enseignement de la sociopsychologie du journalisme (en gros, comment faire sa valise avant de partir en reportage) • Pierre Canquelain (17e), militant syndical infatigable, défenseur du statut des sténographes de presse au SNJ ESJ une histoire racontée en six reprises 2/6 [1946- 1959] 1. Au commencement était le (petit) père 2. La longue marche (1946-1959) 3. La démocratie nouvelle (1960-1968) 4. La révolution culturelle (1968-1990) 5. La révolution des cent fleurs (1991-2004) 6. Le grand bond en avant (2004-2014) Repères 194O Paul Verschave rouvre l’École en novembre 1941 Jules Clauwaert intégre l’École dont il deviendra, plus tard Président. 1947 Paul Verschave laisse son fauteuil de directeur à Robert Hennart qui l’occupera pendant vingt-huit ans jusqu’en1976. 1956 L’ESJ Lille est agréée par la profession en vertu de la Convention collective des journalistes, qui limite à un an le stage professionnel de ses diplômés. Les élèves de l’ESJ en janvier 1968, dans l’escalier de l’ancien bâtiment, situé 67 boulevard Vauban à Lille. (Premier numéro du journal ESJ de janvier 1968) La longue marche N ous voici sortis de la guerre, avec seize étudiants en 1944, vingt-deux en 1945, vingt-trois en 1946. Ce rythme de croisière atteindra la trentaine en fin des années 1950, au moment du divorce par consentement financièrement obligé entre l’Université catholique et l’ESJ. Mais d’abord, il a fallu trouver le successeur de Paul Verschave. Le “petit père” avait son candidat, pressenti sur son lit d’hôpital dont il n’allait pas se relever : c’était Michel Logié, un ancien bien sûr, et tout récent, mais plus âgé que ses condisciples. Michel Logié, déjà cité, professionnel de la profession à La Voix du Nord, avait été le suppléant provisoire et méritoire d’un professeur de droit constitutionnel brutalement décédé en 1945. Depuis il avait pris en charge un enseignement plus pratique de secrétariat de rédaction. Mais Michel est déjà père de famille, et La Voix paie mieux que l’ESJ : son choix est fait, et c’est lui qui dissipera généreusement les réticences à confier la tâche à son “meilleur ennemi”, Robert Hennart. Tout en restant un “pilier” légitime de l’institution, où leurs différends ne cesseront de converger Car Robert Hennart, ancien de l’ESJ lui aussi, a épousé cinq ans plus tôt Jeanne-Marie, fille du fondateur, et on craint les accusations de népotisme à l’encontre de “Monsieur Gendre”. Doté d’une faible expérience journalistique à La Croix du Nord, Robert ne manque cependant pas de qualités, l’opiniâtreté notamment, ni de licences : droit et lettres. Le recteur de la Catho se résignera donc à le laisser faire fonction, sans procéder immédiatement à sa nomination officielle (retardée aussi parce qu’il était Belge ? – il lui faudra un jour renoncer provisoirement à cette nationalité dans des règlements non encore européens, qui lui interdiraient de diriger un établissement d’enseignement supérieur français). Quoi qu’il en soit, Robert Hennart prend les rênes et ne les lâchera plus. Dès l’année 1948, il tranche la question de la vocation de l’ESJ : former des catholiques ou former des journalistes ? Pourquoi pas des journalistes catholiques en effet, mais aussi et surtout, former des professionnels compétents. Viendront donc suivre les cours de l’ESJ, à côté des catholiques convaincus, des “chrétiens en recherche”, des agnostiques déclarés, même des communistes militants et, horresco referens, des homosexuels ! Renouvellement du corps professoral, avec des professionnels, comme Logié ou Jean Leroy, avec aussi des intellectuels à la fois “professeurs de contenu” et “professeurs de vie”, dont les disciplines étonneraient les étudiants d’aujourd’hui : Wenceslas Godlewski, Lituanien rescapé des camps, qui enseignera à la fois le polonais, la philosophie d’Emmanuel Mounier, et … l’esthétique ; Dom Gaillard, l’immense moine bénédictin défricheur de géo- Entrée de l’Ecole Supérieure de Journalisme, dans les anciens bâtiments du boulevard Vauban. (Premier numéro du journal ESJ de janvier 1968) Robert Hennart (9e) lors du quatre-vingtième anniversaire de l’École. graphie humaine ; le juge Allaer (droit pénal et criminologie) ; le doyen Delattre (anthropologie) ; le doyen Thery (philosophie du droit) ; l’abbé Hubert Claude (histoire des partis politiques), Marthe Lagouge (sociologie), Jean-Marie Sédès (méthodologie des sciences sociales) ou André Boca (économie politique). Je passe sur le droit du travail ou la psychologie sociale… Les locaux s’agrandissent en 1955, grâce au départ de l’École de commerce pour le n° 67 du boulevard Vauban (retenez le numéro). L’école entame sa longue marche de structuration et de professionnalisation : • elle est reconnue officiellement (avec le CFJ de Paris) dans la convention collective du 30 avril 1956 : ses étudiants bénéficient d’une priorité d’embauche et d’une réduction de la durée de stage • en novembre 1957, elle accueille un nouvel acteur qui marquera son histoire à double titre (au moins), par son activité auprès de quarante promotions et plus, et par son ouvrage de référence déjà cité : Maurice Deleforge. Dans son ESJ racontée, Maurice exprime le souhait de « ne quitter l’École que les pieds en avant et le plus tard possible ». Le destin et la législation réunis ne le permettront pas : il appartiendra au signataire, à un moment où l’École était en délicatesse avec l’Urssaf, de mettre fin à un cumul emploi-retraite à l’époque totalement illégal. b Tout va plutôt bien donc pour l’ESJ, à maturité professionnelle, lorsqu’éclatent les orages de l’été 1959. C’est une lettre du recteur de l’Université Mgr Delacroix qui tonne le plus fort : « Il va falloir à présent que l’ESJ assure les dépenses et l’équilibre de son budget par ses moyens propres. » C’est vrai que la Catho connaît des difficultés financières, c’est vrai que l’école est une des formations les plus coûteuses avec ses nombreuses séances de travaux pratiques et ses cours magistraux généreux (on y fait plus que 35 heures !). Mais on ne peut s’empêcher de penser que le délai de trois mois accordé (en plein été) est une sanction déguisée contre cette fille aînée qui se comporte, comme le journalisme en a fonction, en rebelle parfois assumée. C’est en 1953 qu’un étudiant de l’ESJ a publié dans le journal Catho un article revendiquant son agnosticisme ombrageux et son refus d’un endoctrinement religieux qui serait le contraire du libre arbitre journalistique… C’est en 1955 qu’un étudiant nommé Hervé Bourges avait osé imaginer inviter Pierre Mendès-France à l’ESJ… Même si son condisciple “meilleur ennemi” Michel Bassi affiche déjà une autre orientation politique plus conforme, qui le mènera au Figaro et au service de la communication de Valéry Giscard d’Estaing. Monique Bouchez, même promotion, sera adjointe au maire de Lille pendant de nombreuses années. Dans ces années figurent des personna- Dans ces années figurent des personnalités fortes comme Rémy Le Goff futur grand reporter et représentant du personnel contestataire à Ouest-France, ou encore René Bonjean, futur patron de La Montagne, Michel Poinot, futur patron du Courrier de l’Ouest ; Albert du Roy [ci-dessus], Jean Belot, JeanClaude Cassenac ou Emile Favard, futurs cadres dirigeants des rédactions de France 2… lités fortes comme Rémy Le Goff futur grand reporter et représentant du personnel contestataire à Ouest-France, ou encore René Bonjean, futur patron de La Montagne, Michel Poinot, futur patron du Courrier de l’Ouest ; Albert du Roy, Jean Belot, Jean-Claude Cassenac ou Emile Favard, futurs cadres dirigeants des rédactions de France 2, Télérama, Le Télégramme de Brest ou L’Expansion. Qui oublierait Pierre Bonte (27e), débutant à Europe 1, puis figure multimédia du patrimoine journalistique ? Une pensée pour Jacques Leroy (23e), dit “le mort”, puisqu’il se présenta ainsi à l’École à parution d’un annuaire qui l’avait envoyé ad patres. Bien vivant et mobile, de retour de Chine ou de Madagascar, il sera là au 90e, à près de 90 ans. Il écrit un livre… b Quoi qu’il en soit des motivations, la sanction est là : l’École n’a plus d’argent. Suspense insoutenable : va-t-elle tenir ? ESJ une histoire racontée en six reprises 3/6 [1960-1968] 1. Au commencement était le (petit) père 2. La longue marche (1946-1959) 3. La démocratie nouvelle (1960-1968) 4. La révolution culturelle (1968-1990) 5. La révolution des cent fleurs (1991-2004) 6. Le grand bond en avant (2004-2014) Repères 1960 L’ESJ devient un établissement privé pris en charge par ses anciens élèves qui créent (loi 1901) l’Association de l’École supérieure de journalisme de Lille habilitée à percevoir la taxe d’apprentissage au titre de la formation des cadres moyens et supérieurs. 1969 L’ESJ Lille est reconnue par l’État en vertu du décret du 24 avril. La démocratie nouvelle A insi donc voici l’ESJ, dès la rentrée 1959, sans le sou, une situation pour tout dire assez récurrente et roborative, puisqu’elle dépense tout pour la pédagogie. Joseph Fontaine, déjà cité, préside depuis cinq ans l’association des Anciens. Jean Tirloy, vice-président, Jules Clauwaert, déjà cité aussi, et Philippe Gaillard (29e), en sont les piliers. Les piliers vont tenir. Et créer, le 12 décembre 1959, l’association de gestion de l’ESJ, qui va signer en novembre 1960 une convention nouvelle avec la Catho (dont le recteur a été remplacé dès octobre 1959 par un nouvel évêque mieux disposé à l’égard de l’École, mais toujours sans le sou), effectuer les démarches de création d’une “nouvelle ESJ” reconnue par l’enseignement supérieur technique d’État (c’est là que Robert Hennart devra sacrifier sa nationalité belge pour diriger un établissement français), et surtout obtenir le droit de percevoir la taxe d’apprentissage auprès des entreprises. Paris tenus. L’édifice nouveau est consolidé le 25 novembre 1961 avec un conseil d’administration nouvelle formule ouvert à des représentants de l’Université mais surtout de la presse. Clause majeure et totalement novatrice : les anciens de l’ESJ détiennent la majorité statutairement au sein de cette association de gestion que préside Joseph Fontaine et que vice-préside Jules Clauwaert. Les anciens deviennent propriétaires de leur école. Et cela se passe sept ans avant 1968, avant l’affaire LIP ou la militance autogestionnaire ! Mais il faut de l’argent et l’autre vice-président Bernard Défossez (27e) n’hésitera pas à parodier l’humoriste Francis Blanche : « Pour que l’école dure, amis, donnez ! ». On donnera. Et l’école peut à présent recruter un gestionnaire à tout faire secrétaire général, en la personne du résistant gaulliste Emile Delahousse à la pipe légendaire. Le trio d’enfer Hennart – Delahousse - Deleforge est constitué. Il accueillera les promotions d’enfer réunies autour de la 40e, à qui Maurice Deleforge, déjà cité, attribuera la paternité d’un “âge d’or” comparable au siècle de Périclès ! Diable, même pour un ancien de la dite promo, le qualificatif est dur à porter. A dire vrai, c’est peu dire, mais c’est avec la complicité précoce des 38e et 39e, celle des 41e et 42e, toutes côtoyées, que cette 40e rugissante dotera l’ESJ d’un hymne, d’une tradition, d’une chorale, et d’un héros. Elle abritera des artistes inégalés, de futurs cadres de l’ESJ en pagaille. Rien de moins. Développons. b Pierre Arnaut (37e) sera l’inventeur de la première agence de presse spécialisée dans l’écologie. Vassilis Alexakis (38e) inaugurera par surprise dans Ouest-France des photos pleine page de nénuphars « pour représenter le calme de l’été », avant qu’on le renvoie en poésie et en littérature, pour notre bonheur. Un habitué des prix littéraires. Robert Solé (41e) lui, fera journaliste, ô combien, sévère carrière au Monde, terminée sur une fonction de médiateur, mais constellée aussi, ô combien, de best sellers littéraires. Didier Levallet (40e), jouera de la contrebasse avec Philippe Vasseur au saxo (qui lui, accompagnera le président américain Bill Clinton au même instrument), mais accompagnera surtout Jacques Bertin (41e), grand prix de l’Académie Charles Cros, toujours chanteur et poète, avant de fonder l’Orchestre national de jazz (Didier, pas Jacques !). Jacques, lui, sera l’animateur du journal étudiant Le Petit Théo. Des artistes, mais aussi des cadres futurs de la profession. André Farine, Jean-Louis Prévost, Noël-Jean Bergeroux se préparent ces années-là à diriger un jour Nord-Eclair, La Voix du Nord, ou Le Monde. Jean-François Bironneau, futur prof de radio, précède à Europe 1 Dominique Pennequin, lauréat de la Bourse Francis Lauga en 1965. Le trio Hervouet - Langlois - Soulé, l’année suivante, devancera dans cette même épreuve un certain Pierre Lescure, du Cfj. De futurs cadres de l’École s’y aguerrissent aussi sans le savoir : Denis Huguenin (39e), bientôt patron de la formation permanente ; Dominique Mobailly (41e), qui sera responsable presse écrite après une carrière à La Vie ; André Mouche (44e), directeur à la suite d’Hervé Bourges et sa compagne Joëlle Jacques, pédagogue patentée. Didier Eugène (43e), pilier international d’Ouest-France, sera un jour président des Anciens, (re)créateur de Réseau-ESJ et administrateur vigilant de l’association de gestion. Nous reparlerons bien sûr de Philippe Vasseur (40e). Dominique Mobailly (41e), qui sera responsable presse écrite à l’ESJ après une carrière à La Vie Les élèves dans la «Canarothèque». (Fascicule du quarantième anniversaire de l’ESJ). A gauche: Loïc Hervouet Trois prochaines signatures de l’audiovisuel triomphant complètent le tableau des notoriétés annoncées : Alain Denvers (43e), directeur de l’information à France Télévision Bernard Benyamin (47e), créateur d’Envoyé spécial et Philippe Rochot (43e), prix Albert Londres, dont l’exposition de photos illumine le 90e anniversaire. Notoriété chaque jour renouvelée aussi pour l’éditorialiste inamovible de la Presse de la Manche, Jean Levallois, ou le rédacteur en chef de La Croix Dominique Gerbaud, qui présidera la presse présidentielle, et aussi Reporters sans frontières. Un mot pour souligner l’accélération internationale : dans la seule 40e promotion figurent onze Africains, dont le très médiatique Ivoirien Laurent Dona-Fologo, précoce ministre de l’Information et personnalité politique de tout premier plan, ou le très amical Simplice Zinsou, reconverti avec succès dans la gestion de ports et aéroports, mais qui honore périodiquement d’un chèque rondelet chaque rappel de cotisation. Auront-ils gardé souvenir d’un ambassadeur de France nommé André Janier (44e), qui ferma non sans héroïsme notre ambassade en Irak et mena une brillante carrière diplomatique ? b Du bien beau monde donc et certes, mais on n’a encore qu’évoqué la 40e, et on a promis un hymne, une chorale, un héros, une tradition. Venons-y. • l’hymne : c’est L’Aubépine (et non pas Les Corons, du trop jeune Bachelet), ou plus exactement L’Aubépine-pine-pine. Le choix fut un compromis historique entre les Cathos bretons ou supposés tels (énumérons Chailleux, Langlois, Kauffmann), et les marxistes ou supposés tels (énumérons Martinet, Lebaube), réconciliés autour de cette chanson mi-grivoise mi-poétique, qui narre les malheurs d’une jeune fille engrossée par le beau Gégène, néanmoins un beau salaud. • la chorale : c’est La Chorale mondaine, formation spécialiste de L’Aubépine bien sûr, mais aussi, sous la houlette de Pierre Marin, avec Pierre Faure et même Philippe Laidebeur, une formation interprète passionnée de Tino Rossi, dont les prestations sont rythmées par les bruits de chiottes du hallebardier, le grand et long Pierre Murie, sortant régulièrement du rang pour vider sa vessie citerneuse. • le héros : c’est Jules Michelot bien sûr, pour qui une plaque fut inaugurée en présence de la presse locale le 18 décembre 1964, dans l’impasse menant aux WC, précisément. Et pourtant, ce grand journaliste aurait tant mérité la lumière ! Faisons-la, la lumière, sur ses origines : ce reporter brillantissime, philosophe impénitent et transcendant à la fois, connu pour la profondeur insondable de ses lieux communs, est né pour aider à résoudre les probles éthiques les plus graves de notre métier : « Qu’aurait dit, qu’aurait fait Jules Michelot ? » La vérité oblige à dire que Jules Michelot a bien existé, à Nantes, au lycée que fréquentaient Hervouet, Chailleux, Langlois, qui ont importé à Lille sa maxime favorite grommelée à tout bout de champ : « Tous des cons … comme dirait Micheneau ! » Le téléphone arabe a fait le reste en modifiant nom et prénom. Le Gilles Micheneau réel est aujourd’hui en retraite – et Bernard Langlois vient d’en retrouver trace, via Internet. Il est capable de l’inviter au 90e ! * • la tradition : c’est le bal à Jules, dont le premier aura lieu en 1965, et qui ne doit rien à Jules Clauwaert, ni même à Julos (Beaucarne) qui honora la première édition de ses chansons. Une tradition qui doit tout au Jules déjà cité, et qui fait valser, polker, javater, musetter avec des accents ouvriéristes revendiqués. b Folklore donc, folklore joyeux, mais en une occasion mémorable, folklore douteux. A l’occasion d’un bizutage, naturellement, si mal maîtrisé. C’est le bizutage de la 41e, et voici qu’un trio de trois étudiants du sud-ouest s’autoproclame exécuteur des festivités. On oubliera leurs noms, comme celui de la victime : une étudiante aux longs cheveux blonds qui seront mis en pièce par des ciseaux violeurs. Circonstance moitié nauséabonde de l’affaire : la jeune fille était en sympathie avec un étudiant beaucoup plus âgé, mais surtout de peau noire. Composante raciste dans le geste ? Pas de certitude, mais le devoir du chroniqueur de faire part de l’existence du doute. La direction de l’École en tout cas, ne prend pas cela à la légère : le coupable est En haut, de gauche à droite : M. Langlois, M. Hervouet, M. Chailleux, M. Marin. A Londres, en 1964. (Fascicule du quarantième anniversaire de l’ESJ) exclu définitivement et rejoint par un de ses compères dans l’exil, le troisie se faisant tout petit pendant son exclusion temporaire. Une exclusion de huit jours frappera aussi le président de Corpo Dominique Pennequin et les membres de son bureau « pas coupables, mais responsables », comme une belle et juste formule le dira ultérieurement. La réconciliation interviendra sur la tombe de Marie-Jeanne Hennart, décédée au début de novembre 1964. La vie pédagogique reprendra ses droits avec une Corpo très active, très impliquée dans les voyages à Londres, ou à Berlin (les “communistes” trop curieux passeront une nuit en taule à Berlin-Est !), où le racontant trop ému renversera la bouteille de vin blanc sur le bourgmestre Willy Brandt. b A la rentrée 1966, l’École traverse le boulevard et s’installe au 67, laissé par l’École de commerce. On inaugure le 12 janvier 1967 cet hôtel particulier tout en marbre et dorures. Une école embourgeoisée ? Nul ne sait encore que s’annonce l’explosion de 1968. L’ESJ va-t-elle tenir ? Suspense insoutenable, encore. *Ce Langlois est capable de tout. Vedette de la télé avec Philippe Labro et présentateur du 20h, il ose hésiter à voix haute pour l’ouverture du journal du soir entre la mort d’une « princesse d’opérette » (Grace de Monaco) et la mort de Gemayel, dirigeant libanais dont la disparition accélérera la décomposition du pays. Que croyez-vous qu’il arriva ? C’est Langlois qu’on vira ! Grâce à quoi il fonda Politis, un peu plus tard. ESJ une histoire racontée en six reprises 4/6 [1968 - 1990] 1. Au commencement était le (petit) père 2. La longue marche (1946-1959) 3. La démocratie nouvelle (1960-1968) 4. La révolution culturelle (1968-1990) 5. La révolution des cent fleurs (1991-2004) 6. Le grand bond en avant (2004-2014) La révolution culturelle 1970 Repères Septembre de contestation. 1973 La scolarité passe de trois à deux ans. Il faut posséder un Deug pour se présenter au concours. 1979 Chaque étudiant doit posséder une machine à écrire portative. 1981 Pendant vingt ans, l’ESJ a été logée boulevard Vauban, avant d’emménager cette année-là au 50 rue Gauthier-de-Châtillon. 1983 • Le diplôme de l’ESJ Lille est reconnu par l’État, qui l’autorise à délivrer un diplôme revêtu du visa officiel en vertu de l’arrêté du 18 février 1983. • L’arrivée du Scrib à l’École (premier ordinateur portable pour journaliste). L e 3 mai 1968, les forces de l’ordre envahissent la Sorbonne. Le 6 mai, les 169 étudiants des trois promotions de l’ESJ décrètent la grève générale, par solidarité. Elle durera trois jours, mais pas de reprise immédiate des cours : il faut d’abord réformer la pédagogie ! Des commissions siègent « sans désemparer » (sauf quand on monte en deudeuche manifester à Paris) jusqu’au 17 mai, mêlant étudiants, professeurs, anciens et administrateurs très impliqués. L’objectif retenu et partagé est d’alléger les trente matières théoriques enseignées au profit des enseignements professionnels. « Il est impossible d’apprendre tout et en profondeur », martèle Didier Eugène, déjà en responsabilité : « Nous voulons écrire, et plus souvent. » La grève va différer les examens de fin d’année, annuler le voyage prévu au Danemark, inventer les oraux collectifs (passés trois par trois « pour éviter l’arbitraire ») et tout de même donner une peau d’âne à ceux qui en ont le désir. Puis tout se calme apparemment : “mai 68”, à l’ESJ, ce sera “avril 70”. b Entretemps se sont produits, peu ou prou issus de ce forceps de 1968, deux événements d’importance au printemps 1969 : • la reconnaissance officielle et complète de l’ESJ par l’Etat. Le dossier (qui va permettre entre autres de bénéficier de bourses sans s’inscrire ailleurs…) aura été suivi et promu par les étudiants eux-mêmes, qui sous la houlette de Jean Levallois (42e), financeront les heures supplémentaires de la secrétaire attelée à cette tâche. Publication attestée au J.O. du 24 avril 1969. • la création du CPJ (Centre de perfectionnement des journalistes), première institution de formation permanente de la profession, enfant à 50/50 de l’ESJ et du Cfj (qui l’annexera plus tard unilatéralement en créant le Cfpj). b Et revoilà, comme annoncé, une révolution soixante-huitarde à l’ESJ, avec deux ans de décalage. Elle sera musclée ! Un “Comité d’action et d’agitation”, maoïste et léniniste, refuse le contrôle des connaissances traditionnel, veut par contre contrôler la pédagogie et pérenniser les oraux à trois, le droit d’appel contre une mauvaise note, toujours « pour éviter l’arbitraire ». Diantre ! Est-ce le goulag pédagogique boulevard Vauban ? Plus vraisemblablement, deux éléments principaux entrent en jeu : la revendication d’outils de travaux pratiques professionnels (il n’y a pas encore de vrai studio radio !), et la lassitude envers un encadrement vieillissant, un Delahousse qui a passé l’âge de la retraite, un Hennart trop historien et jugé trop éloigné de la profession, un Logié dont les cours de théorie de l’information sont jugés obsolètes. La crise éclate quand 17 étudiants font la grève d’un examen d’histoire (la matière du directeur !) Le dit directeur les vire. Commence une occupation des locaux. Puis une litanie de tentatives de médiations : les anciens, les professeurs, les syndicats, le Cfj, l’école de Louvain, rien n’y fait. C’est le blocage, et la police intervient pour évacuer les locaux. L’ESJ restera fermée du 16 février au 14 avril, les vacances de Pâques ayant été mises à profit pour négocier un compromis et sauver la pérennité. Jules Clauwaert, es qualité de président, prend ses responsabilités et annonce l’arrivée de deux jeunes cadres à peine trentenaires « pour seconder le directeur et préparer la relève », Michel Didry et Denis Huguenin. La relève attendra six ans, car même si Robert Hennart a annoncé sa démission, les moyens financiers (les siens et ceux de l’École) ne permettent pas d’aller plus vite. Les travaux pratiques seront tout de même renforcés, et des professeurs nouveaux feront leur apparition, brièvement le géographe Michel Delebarre, et pour un long bail le juriste Christian-Marie Wallon-Leducq ou le psychosociologue spécialiste de la rumeur, Jules Gritti. Avant la relève directoriale, il se passera des choses tout de même : l’année 1974, marquée pour le 50e anniversaire par une leçon mémorable de Jean Marin, premier président de l’AFP, le sera aussi par la réforme du cycle d’études avec le recrutement à bac+2 et la réduction de la formation de trois à deux ans : les candidats à ce nouveau régime sont 80, et 15 sont élus, pour cohabiter avec ceux de la 50e « qui finissent leurs trois années ». Parmi ceux-là, Ulysse Gosset (TF1 Moscou, puis New-York), Richard Lavigne (président de la Commission de la Carte) ou Jean-René Lore (rédacteur en chef de Nord-Eclair). Ont aussi vécu (plus ou moins bien) les soubresauts de cette période Fabrice Baledent, Pascal Delannoy, Alain Zambeaux, Jean-Michel Bretonnier, Michel Delberghe, Jean-Pierre Pernaut, Yves Sécher ou Georges Potriquet, qu’on retrouvera. b Le temps est venu de trouver le successeur de Robert Hennart. C’est Jules Clauwaert qui est à la manœuvre, qui récuse Augustin Laleine (13e), « trop âgé », et qui démarche l’auteur de ces lignes, avec insistance, plusieurs mois durant. Celui-ci, chef de rédaction d’Ouest-France à Caen, secrétaire général national du SNJ, et représentant du personnel au CA du quotidien, n’a pas 30 ans, et se dérobe comme « pas assez âgé », puis cède à l’appel un vendredi soir de 1975. C’est le lendemain samedi qu’arrive du diable vauvert, c’està-dire de Yaoundé et Dakar, où il a créé les écoles de référence du continent, l’hypothèse d’Hervé Bourges. Le signataire déjà cité retire aussitôt sa candidature, et n’apprendra que bien longtemps après comment Jules a tout de même, pour la bonne forme démocratique, soumis les deux noms au vote du bureau. C’est (heureusement) et normalement Hervé qui l’emporte. Rédacteur en chef de Témoignage chrétien quasiment à sa sortie de l’École, appelé du contingent en Algérie, membre du cabinet d’Edmond Michelet et à ce titre “geôlier” puis ami, puis conseiller du président Ben Bella, il est parti dans son Afrique bien-aimée (qui le lui rend bien) fonder l’école de Yaoundé, qu’il dirige depuis huit ans, puis celle de Dakar. A près de 40 ans, il est mûr pour un retour en France, a entretenu un beau carnet d’adresses et ne manque ni d’esprit de décision, ni d’assurance. En quoi il a raison de croire en son avenir. b En 1981, André Mouche (44e), succède à Hervé Bourges à la direction de l’École. Il tiendra le coup presque dix ans. D’une intelligence acérée, et d’une énergie farouche, le directeur à plus que temps plein va construire l’ESJ moderne dans les nouveaux locaux de la rue Gauthie-de-Châtillon. Rentrée 1976 : Hervé entre en fonction. [Le secrétaire général Emile Delahousse étant parti en même temps que Robert Hennart, c’est Marie-Hélène Boulangué, spécialiste de la taxe au Cfpj, qui endosse le rôle à cette même rentrée]. Il ôte le dernier crucifix de laiton subsistant sur un mur de l’École, repart un mois ou deux solder des engagements africains, puis revient accrocher un masque bamoun traditionnel (Camerounais) dans son bureau. Et se met au boulot. Travaux d’Hercule, dit-on. En tout cas, son quinquennat de directeur, avant ses mandats de président, marquera, « ouvrira toutes grandes les portes et fenêtres de l’École », selon l’expression de Maurice, déjà cité. Il les ouvrira à des invités de tous bords (Roland Leroy de L’Humanité, ou Michel Debré), à des invités prestigieux (Dom Helder Camara, Sean Mc Bride, Senghor…), à des “soirées électorales” mémorables, en temps réel et déjà interactives (ouvertes au grand public). Il associera aux voyages en Tchécoslovaquie, au Portugal ou ailleurs, la production de magazines qui sont plus que des exercices. Il fera naître la revue de recherche Trimedia, ancêtre des Cahiers du journalisme d’aujourd’hui. Côté sélection, le nouveau directeur substitue au questionnaire mécanisé de Q.I. un entretien de motivation. Côté pédagogie, il renouvelle le carrefour d’actualité, désormais à la charge des étudiants ; invente le “dossier de la semaine” ; réorganise les enseignements autour de trois piliers : monde contemporain, sciences de l’information, techniques du journalisme ; supprime le mémoire de fin d’études. On s’ouvre au journalisme d’agence avec Oleg Medard, rédacteur en chef à l’Afp, on renforce la radio avec le chef du service politique de Rtl Robert Boulay, on découvre la télévision avec le jeune Jean-Pierre Pernaut (48e), mais aussi Michel Denisot, ou très brièvement, Bruno Masure. Le quinquennat s’achève le 1er janvier 1981, lorsqu’Hervé devient le directeur de la communication du patron emblématique de l’Unesco, Moktar M’Bow. Afrique, quand tu nous tiens… Au mitan du mandat, Jules Clauwaert, surmené et Ancien de l’École, ancien Président, Président d’honneur. Tout au long de sa longue vie professionnelle Jules Clauwaert a été d’une fidélité sans faille à l’École qui lui avait enseigné son métier. engagé sur tant de fronts, a cédé la présidence à Philippe Vasseur, en 1978, au moment où Hervé annonçait le futur déménagement vers l’ancien Institut de Physique, vers les locaux actuels de l’ESJ. b dats (déjà plus de trois cents), André établit le concours en deux temps (écrit juillet, oral septembre). Il est aussi celui qui introduit les outils modernes dans l’enseignement, dont le fameux Scrib, premier outil de rédaction numérique, ou le Minitel (vous savez, l’engin avant Internet…). On s’installe rue Gauthier-de-Châtil- Il est l’initiateur, en 1984, de la fameuse lon en septembre 1981, alors que le CA “plaquette de sortie” où les étudiants se dont Hervé vient de reprendre la prési- présentent urbi et orbi à la profession. dence a choisi le responsable des formab tions presse écrite, André Mouche (44e), pour succéder. Celui-ci tiendra le coup Ces années-là, on a fêté le 60e annipresque dix ans : l’expression est choi- versaire, reçu les invités au musée des sie. D’une intelligence acérée, et d’une Beaux-Arts, servi le banquet dans le resénergie farouche, le directeur à plus que taurant de la piscine olympique, entendu temps plein va construire l’ESJ moderne le (faux) départ de Momo. Potiron (44e) dans les nouveaux locaux dont seront et Faure (40e) feront bien leur office avec inexorablement expulsés le Centre de talent, mais on rappellera Cincinnatus, Formation du Personnel Communal, comme il se nomme alors, pour un derpuis Sciences Po Lille, pour des raisons nier septennat. Ces années-là, on baptise d’espace vital. Certes il n’y a plus que la 61e promotion Jean-Paul Kauffmann deux années, mais les promotions de 50 (40e), pour solidarité bienvenue avec les étudiants ou plus s’étalent maintenant journalistes pris en otage. Ces annéesdans des salles équipées de matériels là tombe le mur de Berlin. La promo de souvent acquis avec l’aide sans défaut de Soizic Bouju (64e), future directrice des la ville de Lille ou des collectivités locales études, y est depuis la veille. Et envahira et régionales, jamais aux abonnés absents les médias français de ses témoignages quand il s’agit de l’ESJ. avérés, dont aucun ne fera état de la préAu demeurant, entre 1982 et 1990, sence de Nicolas Sarkozy. l’École abritera aussi, sous la houlette b du regretté Yao Ahadé, un programme spécifique pour étudiants africains, “In- Dans cette période aussi agitée que féformation et développement”, qui lui conde, entreront à l’ESJ de futurs cadres vaudra un très très mauvais procès de la de la profession : Jean-Luc Evin, Pascal part d’un ancien étudiant reconverti en Josephe, Philippe Lefait, Michel Floquet, littérature (« A Lille, on séparait les étu- Vincent Hugeux, Jean-Michel Lobry, Aldiants Noirs des autres étudiants ») procès fred Dan Moussa, Marc Tronchot, Benoît perfidement relayé sans plus d’examen Duquesne, Dominique Derda, Jean Karim par un donneur de leçons et redresseur Fall, Patrice Romedenne, Thomas Hugues, de torts patenté, ancien du Cfj et mau- Eric Marquis, on en oublie évidemment. Et vais coucheur au point de refuser le droit aussi un nombre impressionnant de futurs de réponse sur le site “pure player” qu’il cadres de l’ESJ : Frédéric Baillot (55e), le anime encore aujourd’hui. “papa lapin” des PHR ; Marc Capelle (55e), b à la manœuvre internationale, puis à la direction générale ; Thierry Watine (57e) à la Foin de ces mauvaises polémiques. La direction des études avant de (re)filer Quétroisie reconnaissance par l’État (autori- bécois ; Frédérique Brillot (58e), cheville sant le diplôme à s’orner d’un visa officiel ouvrière du 80e anniversaire avec Didier de la République) est obtenue par André Eugène ; Guy Maron (58e) lui aussi à la diMouche le 18 février 1983 : elle dit que le rection des études ; Marc Ventouillac (58e), diplôme de l’ESJ “vaut” bac +4, et qu’on aujourd’hui président des anciens, chef de peut s’inscrire directement en DEA si on file du 90e et qui a réussi à me faire écrire l’a obtenu. Devant l’affluence des candi- ces lignes ; Eric Maitrot (59e), directeur des Johanne Sutton (64e) victime de guerre en Afghanistan, courageuse et respectée envoyée spéciale de RFI. études sportif et littéraire ; Eric Jouan (60e), administrateur attentif tout comme Antoine Guelaud (65e) ; Ab el Krim Saïfi (55e), Hélène Fanchini et Pascal Gros, Stéphanie Maurice et Laurent Passicousset, Martin Igier et Thierry Cerinato, Marianne Mas, tous formateurs et animateurs de formation. Sans omettre l’actuel directeur, Pierre Savary de la 65e, excusez du peu. b Le racontant s’autorisera quatre citations aussi diverses que particulières : • Didier Vasseur (54e), plus connu sous le nom de Tronchet, avec qui il partagera l’amour de la Bd et de l’île aux Nattes, paradis exotique au bord des côtes malgaches • Bernard Podvin (55e), qui fut son conseiller personnel à la direction, participant assidu et pertinent au Comité pédagogique, aujourd’hui Monseigneur, en charge difficile de la communication des évêques de France • Thierry Dugeon (62e), le chouchou inavoué de Patricia Dormal, assistante du directeur, qu’on chercha (« Mais où est donc Thierry Dugeon ? ») aux Usa, dès sa nomination comme anchorman à Canal+ • Johanne Sutton (64e), pour un motif évidemment plus grave et rude, victime de guerre en Afghanistan, courageuse et respectée envoyée spéciale de RFI b Revenons à notre histoire. Le 4 juillet 1990, un communiqué sibyllin du président de l’ESJ met fin aux fonctions d’André Mouche et désigne François Lionet et Maurice Deleforge comme intérimaires. Pas de plus amples explications. La vérité alors impossible à formuler est plus simple à dire aujourd’hui : André, au bout du rouleau, a “pété les plombs”, en Roumanie, puis à Moscou. Il a fallu l’exfiltrer avec précautions. La mesure de mise à l’écart, déjà envisagée puis différée, est cette fois irréversible. Elle n’entache pas le bilan positif des années Mouche, qui auront parachevé la révolution culturelle engagée par son prédécesseur. b C’est tout de même une nouvelle crise. Suspense insoutenable : l’Ëcole va-t-elle rebondir ? ESJ une histoire racontée en six reprises 5/6 [1991 - 2004] 1. Au commencement était le (petit) père 2. La longue marche (1946-1959) 3. La démocratie nouvelle (1960-1968) 4. La révolution culturelle (1968-1990) 5. La révolution des cent fleurs (1991-2004) 6. Le grand bond en avant (2004-2014) La révolution des cent fleurs Repères 1991: L’ESJ crée ses structures de formation continue ESJ-Médias (pour la profession), et ESJ-Entreprise (hors presse). 1992 : L’ESJ Lille crée la formation Journaliste Cadre Dirigeant des Médias. 1993 : Lancement de la filière Journaliste & Scientifique. 1994 : Création du Centre de Recherche sur les métiers de la presse 1995 : Création d’une filière Presse hebdomadaire régionale. 1998 : Création d’une école de journalisme à Sarajevo pour l’Institut Media Plan 1999 Lancement de la filière « Journalisme et agriculture ». Création du Centre de perfectionnement au journalisme à Hanoï (Vietnam). 2000 Internationalisation de la formation avec des échanges d’étudiants avec l’Université Laval (Québec). E SJ Lille cherche son cinquième directeur. L’annonce n’est pas dans les journaux, mais le bureau se met en chasse. La bonne pioche viendra de l’extérieur. C’est Jean-Marie Dupont, ancien cadre dirigeant du Monde, devenu directeur de France 3 Aquitaine, si longtemps président du Clemi, ami et administrateur de l’école, qui ouvrira la piste nommée Patrick Pépin. Créateur d’un hebdomadaire régional, Pays, à sa sortie de Sciences Po Bordeaux, devenu patron de Radio France Pays basque au temps des explosions, Patrick a pris en charge le studio-atelier de Radio France Melun, où il est en quelque sorte responsable de la formation des 1 200 salariés des radios locales de Radio France. Il y a moindre, comme référence pour « faire le job » à Lille. D’autant qu’il vient de créer en 1989 l’Institut francoibérique de la communication. Dans les locaux de la Sofirad qu’il préside, et qui sont aujourd’hui ceux de la Fondation Varenne, Hervé Bourges accepte de faire un vote indicatif, juste pour voir, sitôt l’audition de Patrick Pépin par le bureau élargi. Unanimité immédiate, avant même le débat. Le CA ratifie le choix, à Lille, le 13 novembre 1990. b Patrick s’imprégnera sans mal, avec l’amicale complicité de Maurice, de l’esprit de l’École et fera vite oublier qu’il est le premier directeur non issu de ses rangs. Arrive Olga Irastorza, « pour la com », pour « bien faire et faire savoir ». Le premier mot du nouveau directeur est « développement ». Et cela va se voir, et se savoir. Cent fleurs vont s’épanouir sous la présidence d’Hervé Bourges puis, lorsque celui-ci prend la tête du CSA, sous la présidence du signataire, à partir de 1991. • Formation permanente (1992) : voici la formation JCDM (Journaliste Cadre Dirigeant des Médias), en partenariat avec l’ESC, qui va cartonner. Avec “droits et devoirs du journaliste”, elle servira d’étendard efficace à la reconquête du terrain de la formation permanente par trop abandonné au Cfj après l’éclatement du Cpj. Philippe Martin (50e), puis Thierry Guidet (Cfj), feront le succès de la filiale de formation continue ESJ-Médias • Spécialisation scientifique (1993) : voici “Journaliste et scientifique”, une coproduction ESJ-Ustl Lille 1, patronnée par Pierre-Gilles de Gennes himself et conduite avec Bernard Maîte pour former au journalisme des titulaires d’une maîtrise scientifique. Frédéric Baillot puis Eric Glover assureront la pérennité de cette filière, dupliquée ultérieurement par Loïc Hervouet à Blida (Algérie). • Recherche (1994) : voici le Centre de Recherches de l’ESJ, créé sous le patronage de Pierre Bourdieu, et chargé entre autres de la relance de publication des Cahiers du journalisme, co-édités avec l’Université Laval (Québec). Le travail d’un Jérôme Delavenne en documentation est une référence dans l’école et à l’extérieur. • International (1994) : voici le “Réseau Théophraste”, qui regroupe la fine fleur des établissements enseignant le journalisme en français. C’est un réseau institutionnel de l’Agence Universitaire de la Francophonie, que présidera l’ESJ aussi longtemps que nécessaire. Il est toujours vivant aujourd’hui, présidé par Pascal Guénée (Ipj) et fêtera ses vingt ans à Dakar en novembre, lors du Sommet de la Francophonie. Dans le même mouvement, l’ESJ aide à la renaissance de l’école de Bucarest, crée sa propre filiale à Varsovie, fait naître l’école de Suva (Vanuatu)… • Spécialisation encore (1995) : la filière PHR (Presse Hebdomadaire régionale) en un an est lancée avec l’appui du président de ce secteur de la presse écrite, Jean-Pierre Vittu de Kerraoul. Recrutement sur concours dès le bac (en réalité souvent bac+2). Contestations et remous pour crainte de « filière au rabais ». L’ESJ persiste et signe, car le raisonnement est simple : dans cette forme de presse, la formation devra être ainsi ou ne sera pas. L’ESJ choisit que cela sera. Ses étudiants feront le reste pour justifier le projet, qui est aujourd’hui la rampe de lancement la plus accessible à l’ascenseur social. Qui est aujourd’hui une licence professionnelle reconnue avec l’appui de Lille 1. • Filière internationale (1996) : avec Londres, Laval, et Louvain, Lille constitue « la bande des 4 L » et propose un parcours à l’étranger dans les différents établissements. Cela ne tiendra que quatre ans et quarante étudiants, principalement pour cause de forfait britannique. b On comprend dès lors qu’en 1997 Sciences Po ait été prié de gagner la rue de Trévise pour assurer son propre développement et laisser la jouissance entière du bâtiment à l’ESJ. Le développement va toujours son train, qui n’est pas de petite vitesse. Une école franco-bosniaque de journalisme est créée à Sarajevo avec l’Institut Mediaplan et son charismatique fondateur Zoran Udovicic. Des formations de directeurs L’École a ouvert une “troisième voie” d’accès au concours pour les retardataires. Jean-Paul Rousset, 35 ans, vendeur à la Fnac, prend sa chance en 2003. Ce sera un triomphe. Journaliste économique à Libération, il meurt prématurément, à 41 ans, en 2009. Patrick Pépin s’imprégnera sans mal, avec l’amicale complicité de Maurice Deleforge, de l’esprit de l’École et fera vite oublier qu’il est le premier directeur non issu de ses rangs. Une parmi quatre-vingt-dix dans la cour pavée de l’École : la 78e. de quotidiens chinois sont menées à Pékin, à Shangaï, par le racontant. b Entr’acte. b On le voit : éclatant mandat du directeur. Initiatives, présences locales, nationales, internationales. Brillantissime affirmation d’un leadership qui devient incontesté. Mais calamiteuse situation financière, générée et masquée par le dévouement inouï d’un comptable trop dévoué, qui, seul dans son bureau, « trouve les moyens financiers » du développement, même quand il n’y en a pas, au prix d’artifices comptables et bancaires à la fois efficaces et répréhensibles, avec la complicité active ou passive d’un cabinet de commissaires aux comptes qui certifie chaque année la compta – sans doute même sans l’avoir regardée. Pas de malversation aucune – je crois pouvoir dire qu’on n’en a jamais soupçonné le début du commencement d’une ombre en 90 ans dans l’institution - mais des arrangements coupables avec la législation, les précomptes sociaux et les crédits “Dailly”. Lorsque président et directeur réunis, une fin de mois d’août à la lueur des vacances et d’une maladie du comptable, découvriront la rude réalité, le cabinet comptable sera sévèrement éjecté, le comptable partira de lui-même et un ami Centralien tout aussi dévoué mais plus rigoureux dans les méthodes, viendra donner un coup de main pour amorcer la remise sur les rails. Le président pénalement responsable s’autodésignera avec l’accord du CA à la direction et présidence cumulée lors du départ du directeur, puis dès que la menace pénale s’éloignera, demandera – pour des raisons symboliques d’affirmation de continuité et en raison de son aura personnelle – au président du Csa d’alors de revenir sur ses pas et de reprendre une présidence déjà connue. Réticences autour de lui, insolent et infondé papier du Monde voyant conflit d’intérêt imaginaire entre les fonctions au Csa et celles à l’ESJ (entièrement bénévoles, faut-il le préciser ?). Hervé Bourges s’enquiert : — En as-tu besoin, vraiment ? — Oui, vraiment. — Alors, d’accord. b On avait passé les échéances entre Patrick Pépin et Loïc Hervouet sous la gouverne du directeur général adjoint recruté deux ans plus tôt, en provenance de Libération, le flamboyant Didier Tourancheau. Sa flamboyance ne plut pas à tous, elle énerva même en interne, disons-le, mais l’auteur de ces lignes sait ce qu’on lui doit, sait qu’au plus fort de la crise il mit sa propre maison familiale en caution pour l’École, sans rien en dire, et qu’il usa de sa grande capacité de conviction et de persuasion entêtée pour contenir les assauts de l’Urssaf et des impôts réunis jusqu’à la conclusion d’accords d’échelonnements et de régularisations acceptables. Il eut d’autant plus de mérite à le faire que le nouveau DG lui avait dit en entrant : « Financièrement, l’un de nous deux est de trop. Et ce n’est pas moi.» Merci donc à ce compagnon fantasque mais si fidèle des heures, des jours, et des nuits difficiles. b On passera sur les rudes échéances de gestion qu’il faut surmonter. Démarches après démarches, des concours variés et décisifs, convaincus par le rayonnement de l’ESJ, aideront à passer les caps : la mairie de Lille, la maison des Professions dans le Nord (et un membre de la famille Mulliez, discrètement), la FNAC, à Paris, la Fondation Varenne et le groupe Centre France en Auvergne, etc. Patrick Pépin s’est encore investi dans la “collecte” de titres associatifs, pour assurer des fonds propres à une institution qui n’en avait jamais eu, jusqu’à son départ, utile et nécessaire reprise de respiration, aux côtés de Jean-Marie Cavada, à RFO puis à Radio France. Un nouveau commissaire aux comptes aussi amical que rigoureux, le regretté Patrick Gobert, accompagnera le redressement financier. La situation juridique de l’ESJ est clarifiée avec de nouveaux statuts de l’association de gestion de l’École, qui détient aussi des participations dans ses filiales ESJ-Médias et ESJ-Entreprise, où elle accueille ses partenaires financiers. Le développement reste à l’ordre du jour. En 1998 naît la filière “Journaliste agricole”, avec l’ISA, qui sera un jour fusionnée avec la filière JS. En 1999 naît le Centre de formation des journalistes de Hanoi, dont une ancienne, Huyen Dao, prendra les rênes en l’an 2000. Avec Paul Fels, en 2000, c’est à Madagascar qu’est lancé un vaste projet d’appui aux médias, où l’ESJ prendra toute sa part. Et on ne s’arrête pas là : • Ouverture de locaux à Paris, rue d’Hauteville, pour les besoins de la formation permanente • Création de l’antenne de Montpellier, avec Jean Kouchner, aujourd’hui secré- taire général de l’Union de la Presse Francophone (que présida Hervé Bourges) • Ouverture du master franco-chinois à Shangai. • Engagement de la réfection des locaux et en particulier du grand et bel amphi. b Parmi les étudiants de cette période, on fera beaucoup d’impasses en ne citant qu’Aymeric Caron (69e), Loïc de la Mornais (72e), Frédéric Vion ou le prix Albert Londres Luc Bronner (73e), ainsi qu’Anne-Claire Coudray (74e). Chez les scientifiques on trouvera de futurs cadres de l’ESJ encore : Agathe Remoué ou Sylvie Larrière. A cette époque on ouvrira une “troisième voie” d’accès au concours pour les retardataires. Jean-Paul Rousset, 35 ans, vendeur à la Fnac, prend sa chance en 2003. Ce sera un triomphe. Journaliste économique à Libération, il meurt prématurément, à 41 ans, en 2009. b Peu soucieux de payer autant que les précédents directeurs un investissement qui ne peut ici être minimal, persuadé que les dettes sont apurées, les fonds propres restaurés, les équilibres rétablis, le directeur annonce au CA avec plus d’un an d’avance la perspective de son départ. Un temps envisagée, ce qui avait conduit à sa nomination comme DGA et au recrutement de Didier Cagny comme patron d’ESJ-Médias, la désignation de Thierry Guidet comme directeur général est abandonnée au profit de Daniel Deloit. La région nantaise y aura gagné une revue d’une qualité extrême, Place publique, qui a depuis essaimé à Rennes, donné exemple à Bordeaux… ESJ une histoire racontée en six reprises 6/6 [2004 - 2014] 1. Au commencement était le (petit) père 2. La longue marche (1946-1959) 3. La démocratie nouvelle (1960-1968) 4. La révolution culturelle (1968-1990) 5. La révolution des cent fleurs (1991-2004) 6. Le grand bond en avant (2004-2014) Quatre-vingtième anniversaire de l’École à la mairie de Lille en présence d’Abdou Diouf. En haut : Hervé Bourges (30e) reçoit, au nom de l’ESJ, la médaille d’or de la ville de Lille. La première attribuée à une association. « Nous sommes fiers de notre École » dira Martine Aubry. Avant que tombe une douce pluie d’éloges. En bas : Un ancien président pour professeur… C’est en effet Abdou Diouf, ancien président du Sénégal, qui a prononcé la leçon inaugurale de rentrée de l’ESJ à la 80e promotion. Ici, il répond aux questions de Anne Barrier (79e, future JRI). Le grand bond en avant Repères 2007 Création d’une télépréparation pour les candidats étrangers, élargie ensuite à tous les concours. 2009 Lancement d’une Prépa égalité des chances [voir page suivante]. • Modification des statuts de l’école. Le CA s’enrichit de la présence de représentants de l’enseignement supérieur, des collectivités locales, des entreprises régionales. 2011 Accord de partenariat entre Sciences Po Lille et l’ESJ, les étudiants bénéficient d’une double diplomation des deux établissements. 2014 • Modification des statuts de l’école. Les étudiants entrent au CA. • Lancement d’un parcours post bac unique en France en partenariat avec les universités lilloises permettant aux étudiants de s’initier aux métiers de la presse et de se préparer aux concours des écoles de journalisme [voir page 12]. •Ouverture à l’apprentissage de la seconde année d’enseignement du diplôme de Master. L e 80e anniversaire est un grand cru. C’est Abdou Diouf, par amitié pour Hervé, qui préside la séance solennelle à la mairie, élégamment orchestrée par Elisabeth Tchoungui (69e). On a gelé pour le dîner de gala à Roubaix, où Pierre Mauroy est fait ancien d’honneur. Un annuaire papier (le dernier), recense les presque 3 000 anciens de 78 promotions dans 78 pays. Y entrent aussi pour la première fois les cohortes de jeunes formés en alternance, dès 1991, à Montpellier principalement, en radio et TV surtout. Leur nombre ne cessera de croître. Car le grand bond en avant de cette période sera aussi quantitatif : à quelques encablures du 90e anniversaire, en septembre 2014, les 172 places du Grand amphi laissent peu de sièges vacants aux 165 admis (sur 870 candidats) de la première Académie ESJ. On y reviendra. b Dans l’instant, revenons à la succession de direction qui voit l’entrée en lice de Daniel Deloit, détaché de Radio France, et un profond remaniement des cadres, rendu nécessaire à l’international notamment, par le débauchage intégral de l’équipe de l’ESJ par les nouveaux propriétaires du Cfpj. Une succession s’engagera également à la présidence, avec le retour en 2008 de Philippe Vasseur -qui s’était dévoué une première fois pour suppléer Jules Clauwaert- et qui se dévouera là pour prendre le relais d’Hervé Bourges, avec l’engagement, la ténacité, et le parler franc qu’on lui connaît. Il en aura besoin, de ténacité. Car l’école connaît une rechute financière sans doute due à des doublons de poste imprévus, à un procès social inédit dans son histoire, à une raréfaction des marchés internationaux, à une baisse de la taxe d’apprentissage (qui va devenir chronique pour tous les établissements)... Il faut agir, et fort. Philippe agira. En fixant un cap : l’adossement, sinon l’intégration au secteur public d’enseignement supérieur, dès que possible (la structure associative a atteint ses limites, et les mouvements en cours pour l’unification des universités lilloises sont propices). En négociant avec la Région une aide massive et définitive pour assurer l’avenir qui seul permettra d’apurer le passé. En conduisant les réformes internes utiles et nécessaires, à commencer par le changement des statuts qui élargissent l’éventail des soutiens de l’École. b En 2009, le plan d’action acte la prise de participation majoritaire de VarenneCentre France dans ESJ-pro, la filiale qui réunit à présent ESJ-Médias et ESJ-entreprise sous la direction de Daniel Deloit. Un “pacte d’actionnaires” et des conventions de coopération encadreront les activités de l’École et de sa filiale, pour gérer une complémentarité intelligente et indispensable. C’est toujours le cas aujourd’hui. Alors que Georges Potriquet (49e), ancien trésorier, déjà cité, a pris au début de 2011 à la présidence de l’École la succession de Philippe Vasseur (élu à la Chambre régionale de commerce), c’est Marc Capelle, nommé directeur en juin, qui conduit en interne la suite du mouvement et du plan de rétablissement de l’ESJ. La rudesse obligée du plan l’amènera même à programmer son propre départ et celui du directeur financier. En janvier 2013, le “ticket” Savary-Renard est nommé à la direction de l’ESJ. Le directeur général Pierre Savary (65e) a succédé à Eric Maitrot (59e) à la direction des études en septembre 2007 ; son adjoint Yves Renard a relancé avec bonheur les activités internationales de l’établissement : ils connaissent tous deux les difficultés, mais aussi les atouts de l’ESJ, de l’intérieur. Ils la conduisent aujourd’hui dans un paysage beaucoup plus serein avec compétence, engagement, mais aussi simplicité et conviction. Ils la conduisent sous la houlette d’un nouveau président. « Mission de transition accomplie », Georges Potriquet annonce fin 2012 qu’il ne se représentera pas au mois de mars suivant. Nouveau bond en avant psychologique : le conseil choisit, pour la première fois, un président qui n’est pas un ancien. Louis Dreyfus est, malgré tout, un voisin assez proche : il préside déjà le CA de Sciences Po Lille. C’est surtout un homme de presse habile et énergique : président du directoire du Monde depuis 2010, ancien directeur général des Inrocks, de Libération, du Nouvel Observateur. Il est assisté de Cyril Petit comme secrétaire et d’Agathe Remoué comme trésorière. Il entre aussitôt en complicité avec l’association des Anciens où Didier Eugène, longtemps au four et au moulin, a laissé place au très sportif Marc Ventouillac, déjà cité. Son équipe (Tangi Salaün, Emmanuelle Geuns, Armelle Roussel, Sylvie Pivot, Cyril Petit), munie d’une “feuille de route” ambitieuse, renouvelle avec bonheur les générations au contact de l’École, gère le site www.reseauESJ. com, crée une page Facebook plus vivante que jamais, prépare avec fougue le 90e. Nous y sommes. b 2008. De retour à la présidence de l’ESJ, Philippe Vasseur – qui s’était dévoué une première fois pour suppléer Jules Clauwaert – se dévoue pour prendre le relais d’Hervé Bourges, avec l’engagement, la ténacité, et le parler franc qu’on lui connaît. Il empêchera l’École de connaître la faillite. Fin 2012, le conseil d’administration choisit, pour la première fois, un président qui n’est pas un ancien. Louis Dreyfus est, malgré tout, un voisin assez proche : il préside déjà le CA de Sciences Po Lille. C’est surtout un homme de presse habile et énergique. On recense des Anciens dans près de quatre-vingt dix pays. Normal, l’ESJ a de tout temps ouvert ses portes aux étudiants étrangers. Chaque année, ils sont au minimum douze à réussir le concours qui leur est réservé. Pendant tout ce temps, les affaires (pédagogiques) ont continué et prospéré : • juillet 2008 : mise en place avec le Bondy Blog, de la “prépa égalité des chances”, qui accompagne des jeunes sélectionnés sur critères scolaires et sociaux dans la préparation des concours d’entrée dans les écoles de journalisme reconnues. L’ESJ Lille prend en charge l’intégralité des frais de formation dont sont exonérés les étudiants de cette classe. Chaque année 150 à 200 candidats, 40 à l’oral, et 20 définitivement retenus. C’est une grande réussite marquée par des taux records de succès aux concours présentés (jusqu’à 80%). • juin 2009 : concours commun avec les autres écoles de journalisme abandonné au profit d’un concours commun avec Sciences Po Lille, ouvrant la voie à une double diplomation pour les étudiants : diplôme de l’École et master de Sciences Po réunis ! Une seule journée de concours écrit, à Lille, et 750 participants dès la première année. • octobre 2009 : télépréparation aux concours des écoles de journalisme, avec enseignement à distance sur une plateforme de formation, 60 inscrits la première année et 220 actuellement. En 2014, 60 reçus dans les différentes écoles reconnues. • septembre 2011 : remise en perspective des objectifs et méthodes pédagogiques du master historique, habilité par l’État comme master 2 depuis 2006, avec la succession, à la direction des études, entre Pierre Savary et Corinne Vanmerris. • octobre 2011 : mise en place sur internet de la filière Master en management des médias, qui conduit à un diplôme de niveau master 2. Ce partenariat avec CFI, l’IAE, l’AUF, la CEE, le MAE, ou- vert à des titulaires de master 1, offre à des étudiants du monde entier, sur une plate-forme numérique, une vingtaine de places à chaque promotion. La quatrie promotion a fait sa rentrée en octobre 2014. On aura formé plus de cent étudiants de 21 pays … • juillet 2013 : lancement du diplôme d’université en alternance pour les journalistes des radios maliennes. Quatorze étudiants sont concernés, formation toujours en cours. b Pendant ce temps, les étudiants et anciens trustent les prix professionnels. Impossible de tout citer. Choisissons, après Sophie Bouillon (82e), l’une des plus jeunes Prix Albert Londres, en 2009, ce que Réseau-ESJ a relevé sur sa page Facebook depuis la naissance d’icelle le 4 mai 2013 : • mai 2013 : Clément Parrot, Corentin Dautreppe et Maxime Vaudano (87e), reçoivent le prix d’innovation en journalisme Sciences Po – Google, pour leur site de factchecking “Lui président” • novembre 2013 : Marion Quillard (85e), prix enquête des Assises du journalisme • novembre 2013 : Mathieu Houadec (16e PHR), lauréat Prix Varenne • novembre 2013 : Nicolas Richaud (87e), Alice Rougerie (86e), Marie Lagedamon et Aurelia Moussly (83e), lauréats du Club de la presse Nord-Pas de Calais - club de la presse accueilli dans les locaux de l’ESJ depuis avril 2014 • décembre 2013 : Vincent Hugeux (56e) et Ulysse Gosset (50e), lauréats de l’APE • décembre 2013 : Nicolas Delesalle (72e), lauréat du prix des lecteurs du livre numérique 2013 avec Un parfum d’herbe coupée. • mars 2014 : Stéphane Siohan (76e), lau- réat prix Chaffanjon multimédia • avril 2014 : Eric Chevillard (60e), prix Alexandre Vialatte • avril 2014 : François Geffrier (88e), lauréat de la Bourse Lauga b On avait promis d’y revenir, on y revient : septembre 2014 marque la première rentrée de l’Académie ESJ Lille . Ce parcours post-bac, unique en France, permet à 165 étudiants de Lille 1, Lille 2 et Lille 3, originaires de 25 parcours universitaires (qui ont adapté leurs emplois du temps), de suivre une formation d’initiation aux métiers de la presse et de préparation aux concours des écoles de dix heures par semaine. Pour un étudiant, suivre ce parcours permet de valider un tiers des crédits nécessaires à l’obtention de son année de licence, et de se préparer au mieux aux sélections des écoles. En septembre 2016 s’ouvrira la deuxième année ; en septembre 2017 la troisième, ainsi qu’une licence professionnelle de journalisme de sport. Octobre : la 90e fait son entrée rue Gauthier-de-Chatillon : sur 650 candidats, 143 (dont 30 de Sciences Po Lille) ont été retenus à l’oral. Et 60 intègrent le master, dont seize de Sciences Po (8 Lille, 4 Rennes …), six de la prépa “Égalité des chances”. Troisième nouveauté de la rentrée 2014 : l’apprentissage, pour le diplôme de master, entre en œuvre. Dix étudiants de la 89e promotion obtiennent ce statut pour leur deuxième année. b S’il fallait au moment où on va conclure, dédier ces mots et ces phrases d’hom- Sophie Bouillon (82e), l’une des plus jeunes Prix Albert Londres, en 2009. La dernière d’une longue lignée d’Anciens lauréats de cette prestigieuse distinction. mage à l’ESJ, parce qu’il sait d’où il vient et à qui il le doit, le narrateur ne penserait pas d’entrée de jeu aux présidents, aux directeurs, aux formateurs qui ont occupé le devant de la scène. Il penserait, sachant qu’il en oublie, aux machinistes qui ont permis le spectacle : côté intendance, les Albert ou Alexandre, les Christophe ou les Mourad, Cathy; côté accueil les Renée ou les Silvana ; côté technique, les Moha ou les Philippe ; côté bib-doc, les Thérèse, Charles, Richard, ou Jérôme ; côté col blanc, les Caroline, Catherine, Sandrine, Claire, Christelle, ou Nassira; côté gestion les Guillaume, Jean-Louis, Bernard, Stéphane, Béatrice ou Magali. C’est aussi grâce à eux que, publié pour la première fois en juin 2013, le classement Figaro étudiant – Streetschool a placé l’ESJ en tête du classement des écoles de journalisme françaises. N’a pas peu pesé dans ce classement la performance de l’École qui continue à proposer en sortie à chacun de ses étudiants un cdd de 2 à 6 mois en fin de scolarité. Et un cdi aux diplômés de Phr. b Fragile et indestructible, cette jeune et vieille dame de quatre-vingt-dix ans (pourquoi ne pas s’autoriser un cliché final ?) riche même de ses défauts et de ses faiblesses, traverse toutes les péripéties parce que faite d’amitiés, de désirs, de créativité, et de passions, elle offre toujours une raison de l’aimer. Plus de suspense insoutenable : elle sera là dans dix ans bien sûr, pour le centenaire. Seul suspense : y serons-nous ? C’est ce que je souhaite à tous. Loïc HERVOUET