cefedem bretagne pays de loire septembre 2005 de l`utilisation de la

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cefedem bretagne pays de loire septembre 2005 de l`utilisation de la
CEFEDEM
BRETAGNE PAYS DE LOIRE
SEPTEMBRE 2005
DE L’UTILISATION DE LA MEMOIRE DANS LES
PROCESSUS D’APPRENTISSAGE DE LA MUSIQUE
THIERRY LE GALLO
01/09/2005
SOMMAIRE
INTRODUCTION………………………………………………………………………….p.3
1. Etat des lieux, mémoire et tradition…………………………………….....p.7
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L'apprentissage………………………………………….……….p.7
La chanson comme moyen mnémotechnique:…………..………p.8
Pas unique à la Bretagne :"la musique des violoneux"……...…..p.9
La prise de contact avec l'instrument comme préalable..………p.11
Le souvenir, le rappel ………………………………….………p.12
L'invention, la variation: ……………………………………….p.13
la mémoire "collective": ………………………………………..p.14
aussi à l’étranger :l’exemple de la seisiun……………………...p.15
Les possibilités perceptives ……………………………………p.16
2. Comment apprend-t-on aujourd’hui ?…………………………………...p.18
• L’apprentissage de la musique "traditionnelle" aujourd’hui.…. p.18
• Utilisation de la mémoire chez les élèves lecteurs et non-
lecteurs………………………………………………………….p.18
• Une question de génération ? ……....…………………………..p.19
• Besoin de mémoire?……..………..…………………………….p21
• La mémoire est-elle moins sollicitée, moins entraînée
aujourd’hui………………...……………………………….……p22
3. La mémoire, un outil d’apprentissage à affûter.……………………….p.25
• un outil supplémentaire pour apprendre et comprendre……….p.25
• Existe-t-il une méthode fiable de mémorisation ?……………...p.27
• Les solutions trouvées aux problèmes ………………………………p.28
• Les critiques prévisibles ………………………………………………p.30
Conclusion………………………………………………………...………………………p. 31
Bibliographie………………………………………………………………………………p.33
Annexes…………………………………………………………………………………….p.34
2
INTRODUCTION
Le choix de ce sujet est lié à de nombreuses questions personnelles au sujet de la
mémoire, notamment dans la pratique musicale, notamment en musique
traditionnelle. Lors du jeu avec un musicien traditionnel, l'étonnement est
souvent présent devant l'étendue du répertoire de celui-ci, devant son savoir.
Entendre une chanson inconnue chantée par un proche de sa famille qui puise
dans sa mémoire et la mémoire collective pour réjouir la compagnie, une fois la
surprise (et le bonheur) passée pose aussi la question de cette mémoire.
La capacité de mémorisation d'amis musiciens (certains partis trop tôt) m'a
montré qu'il était possible de développer ce talent. En effet, il semble que
derrière la forêt de la transmission et de l’enseignement, se cache l’arbre de la
mémoire du sujet enseigné, de l’élève.
Quel serait le problème?
En musique traditionnelle (et en musique en général), le musicien doit se
souvenir rapidement d'un grand nombre d'airs et, afin de les adapter
parfaitement à leurs fonctions (danse, veillée, repas), de les interpréter, les
connaître par cœur, jouer (idéalement) sans partitions, sans tablatures.
Cela nécessite un entraînement de la mémoire et une capacité à retrouver les airs
souhaités (par le musicien lui-même ou le public) voire un certain talent! Il s'agit
pour un musicien régulièrement demandé, reconnu (même localement), d'avoir
en mémoire au minimum une centaine d'airs. L'exercice le plus périlleux étant
parfois de jouer « à la demande » du public (ce qui arrive pour la danse, par
exemple).
3
Il se pourrait que ce soit une des conditions de la réussite d'un enseignement de
musique traditionnelle, ceci nécessitant un investissement important et
émotionnel.
Ayant ouvert une boite de Pandore, j’ai du (difficilement) préciser le champ de
ma recherche, me limitant volontairement à un survol du sujet de la mémoire
appliqué au domaine de l’enseignement de la musique traditionnelle.
Je proposerais dans une première partie des exemples où la mémoire est
sollicitée dans la tradition (soit pour acquérir, soit pour transmettre).
Dans une deuxième partie, je tenterais de mettre en évidence les phénomènes en
jeu en les mettant en rapport avec différentes approches pédagogiques et
scientifiques, sans aller jusqu'à l'exposé scientifique sur les différents travaux sur
le fonctionnement de la mémoire qui serait assez long et déplacé. Mon travail en
amont et ma recherche documentaire se sont néanmoins référés à ceux-ci
(Freinet, de la Garanderie).
Enfin dans une troisième partie, j'envisagerais les pistes de travail possible et les
applications de mes "découvertes" à l'enseignement de la musique
"traditionnelle" dans un contexte d'aujourd'hui.
Bien sur un grand nombre de musiciens vous diront qu'ils utilisent la partition ou
la tablature à seule fin d'aide-mémoire. Et rapidement, la plupart du temps, j’ai
constaté la dépendance et de fait, la sous-utilisation de la mémoire en même
temps qu'une efficacité certaine (ces musiciens sont en effet toujours surs de
retrouver l’air prévu). Le musicien (à juste titre parfois) écrit ses variations (nées
de ses recherches ou de ses improvisations) pour s’en souvenir et les rejouer à
l'identique, en lisant. La liberté de variation et d’improvisation dont dispose le
musicien « routinier » a disparu.
Si la précision, la technicité, la sûreté du jeu y gagne, la qualité de
l'interprétation (le fameux "feeling" et autres "tripes" dans l'argot de musicien)
4
s'en ressent tout naturellement. Enfin dans une pratique populaire et amateur de
ces musiques, il est bon de savoir composer spontanément avec les envies de ses
partenaires. La suite d'airs habituels ne sera pas jouée dans le même ordre, il
pourra y être intercalé une autre mélodie.
Autant de situations où la mémoire du musicien est sollicitée et doit-être
entraînée à ces exercices.
De plus, il est du plus mauvais effet dans le milieu des musiques traditionnelles
de sortir le pupitre et les cahiers au moment de jouer, preuves dans l'esprit du
public (ou des collègues) que vous ne connaissez pas ce que vous allez jouer.
Les artifices et l'ingéniosité sont alors sans limite pour la recherche d'une
solution. Qui connaît les minuscules portées (réellement écrites en pattes de
mouche!) du minuscule cahier d'un ami cornemuseux, redoutable animateur de
parquet de danses, les feuilles sur les retours de scène (haut-parleur situé en face
du musicien), au sol, collées au dos de la caisse de guitare, du clavier de la
vielle, dans la boite de l'instrument, les écouteurs du MD (dans la poche de
chemise) en oreillette, etc. Certains nous disent même visualiser l'image
(mémorisée) de la partition voyant celle-ci se dérouler sous leurs yeux (en haut
et à gauche !) au fur et à mesure de leur interprétation. (mémoire visuelle et
PNL).1
De même pour un chanteur de sortir son cahier de chansons pendant le repas ou
le concert. Un "vrai" chanteur doit pouvoir aller jusqu'à la fin de sa chanson sans
se tromper et sans oubli, en tout cas en donnant l'illusion d'avoir maîtrisé ses
éléments de bout en bout. Tour de force salué par l'ensemble de l'assemblée
quand il s'agit d'une mélodie aux très nombreux couplets.
Nous sommes bien loin des prompteurs (écran sur lequel défile le texte) du
monde des variétés ou du journal télévisé.
1
La lettre du musicien, novembre 2005
5
Notre utilisation de la mémoire est-elle si différente de celle des anciens
représentants d'une société rurale paysanne que nous évoque Mendras 1 quand il
nous parle de la transmission du savoir cultiver dans la société traditionnelle,
exemple de comment se souvient le paysan (et de l'importance du souvenir dans
le savoir): on ne sait que ce dont on se souvient, ce qui a été transmis par le père
puisqu'on ne peut retrouver ce savoir autrement (livre, enseignant, maître):
opposition scolastique/ tradition
MENDRAS , Henri, La fin des paysans, Actes sud, 1984, réédition Babel/Actes
Sud, 1992, p 75-77
1
6
Etat des lieux, mémoire et tradition
L'apprentissage:
"- Une imprégnation se faisait obligatoirement dès l'enfance, y compris dans
le sujet le plus passif, par la répétition de certaines chansons qu'on entendait
à peu près partout et qui étaient le plus souvent chantées en alternance.
C'était le cas en particulier des chansons à décompter et des monorimes.
Plus le texte est bref, plus il est découpé en strophes brèves ou du fait de
l'alternance et plus facilement la mémoire le retient. La musique s'inscrivait
sans effort dans la mémoire ainsi que des formules poétiques, des phrases
qui, tout naturellement, revenaient à la surface quand on était sollicité pour
"répondre" une chanson avec d’autres chanteurs.
- Cette imprégnation ne suffisait pas cependant pour mémoriser de façon
cohérente une chanson à texte si le désir d'apprendre ne poussait pas
l'auditeur à l’attention. On verra plus loin que les jeunes de 1965 ne
connaissaient pour la plupart que la première strophe de quelques chansons,
faute de motivation.
Dans le cas d'une chanson fréquemment chantée en alternance, la
mémorisation ne posait aucun problème tant que l'oralité fut prédominante;
il suffisait d’être tout à fait attentif, de participer, puis de repasser la chanson
dans sa tête pendant les moments de solitude, travail ou insomnies. S'il
s'agissait d'une chanson entendue dans les mêmes conditions mais de la
bouche de chanteurs qu’on ne réentendrait pas de si tôt, on jouait
généralement d'astuces pour la leur faire reprendre autant de fois que
nécessaire : flatteries et prolongation de la rencontre étaient de bonne
guerre. Entendait-on au passage, par exemple au retour quotidien de l'école,
un chanteur dont le répertoire plaisait, on refaisait le détour chaque soir,
s’attardant autant que nécessaire, quitte à être grondé à l'arrivée à la maison.
Quand un informateur affirme : « Il m'avait dit, "Je vais t'en chanter une qui
est difficile, tu ne pourras pas la répéter celle-là! "Eh ben ! il l'avait chantée
7
qu'une fois et je l'avais chantée complètement aussitôt !", c'est rarement tout
à fait exact mais certains paysans, surtout quand ils étaient avides
d'apprendre, étaient doués d'une grande puissance de concentration et
mémorisaient de façon tout à fait étonnante pour notre époque.
Ensuite, on se remémorait, on "serinait" la nouvelle acquisition, au besoin
on notait les mots clés retenus et si, malgré tout, le résultat n'était pas tout à
fait satisfaisant encore, il restait deux possibilités : soit guetter ou provoquer
une nouvelle occasion d'entendre la chanson, soit arranger au mieux ce
qu’on avait retenu. Ceci se produisait parfois très consciemment et plusieurs
informateurs se sont flattés de l’avoir pratiqué, d'autres ont essayé de le
dissimuler. Mais, le plus souvent, cet "arrangement"- qui parfois dérangeait
plus qu'il n'arrangea, - se faisait sans intention explicite ; les confusions,
mélanges, déformations diverses, tant de la mélodie que du texte littéraire,
étaient multiples. Il suffit de comparer deux interprétations d'une même
chanson pour en être convaincu.
Le répertoire traditionnel local le plus répandu, le plus populaire, était
transmis par l'ensemble des voisins et parents et surtout par ceux avec qui
l’on travaillait le plus souvent en équipe d'entraide, y compris les "petits
chanteurs", expression fréquemment entendue et quelque peu péjorative
dans la bouche de ceux qui s'étonnaient que soient enregistrés certains
chanteurs peu réputés."1
La chanson comme moyen mnémotechnique:
"Techniques et styles de jeu dépendent pour une bonne partie du répertoire luimême. Les airs à la marche servent à accompagner le chant. De même, les airs
de rondes (ronds du Penthièvre, draous, tours, passe-pieds, gavottes) sont
toujours des chants à danser. En revanche, certains airs de contredanses
1
L. RADIOYES, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de Saint Congard et
ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions, 1995
8
présentent des éléments musicaux propres à la musique instrumentale (ambitus
élargi, phrases longues, rythmique complexe, ornementation subtile, etc.).
Pourtant, que ce soit dans les quadrilles, les dérobées ou dans les danses par
couple, on reconnaît une coupe nettement vocale et il est très fréquent que le
violoneux chante en jouant, ou du moins utilise l'incipit littéraire comme
procédé mnémotechnique"1
"Comme c'est le cas pour la plus grande partie du répertoire des ménétriers que
nous avons rencontré en Bretagne, la dénomination des airs d'avant-deux passe
par le texte littéraire qu'ils supportent. L'emprise du vocal sur l'instrumental est
telle que les musiciens routiniers sont contraints d'utiliser les notes d'avant-deux
comme moyen mnémotechnique. C'est pourquoi ils baptisent spontanément un
air par le thème littéraire de la chansonnette à laquelle il est le plus souvent lié.
Ainsi parle-t-on de "l'avant-deux des boudins" à Carquefou (44), de "l'avantdeux des rideaux" à Cuguen..."2
Avant deux de Pléboulle
« Marie, avance tes cotillons
Vis à vis d’mes braies à braguette(eu)
Marie, avance tes cotillons
Vis à vis d’mes braies à boutons »
chantée par Jacqueline Blanchard, Quintin, décembre 1999
Pas unique à la Bretagne :
La référence aux airs chantés se retrouve dans d'autres traditions de violon
ailleurs en France:
"LA MUSIQUE DES VIOLONEUX": « Du rigodon chanté au rigodon
1
Y. Defrance, L'archipel des musiques bretonnes, Actes sud, p 116
2
Y.Defrance, musiques traditionnelles de Bretagne 2-Etude du répertoire à
danser, Skol Vreizh, mars 1998- N°39
9
joué" :
"La musique de violon n'est pas isolée mais constitue plutôt l'un des volets
d'un triptyque dont le premier serait le chant et le troisième la danse.
En effet, environ 80% du répertoire joué au violon est ou a été chanté, à
un moment ou à un autre. En témoignent les faibles ambitus des mélodies,
adaptés à la voix, ainsi que la présence très fréquente de paroles pour les
rigodons, mais aussi les polkas, les scottishes, les marches, les aubades...
Cette relation très forte entre le répertoire de musique jouée au violon et le
répertoire chanté est donc, entre autres indices, confirmée par l'abondance
des refrains à danser.
Elle se vérifie au-delà du répertoire traditionnel, puisqu'en majorité, les
valses, javas, paso dobles, mazurkas... sont à l'origine des chansons
apprises par l'intermédiaire de petits formats de partitions, vendus sur les
marchés de La Mure et de Gap, ou entendus à la TSF.
Il s'agit ici d'un principe répandu dans les répertoires populaires, le chant
pouvant constituer, avec l'aide des paroles, un support mémoriel pour
l'apprentissage des mélodies. Ainsi, se confirme la circulation des
répertoires, le même rigodon joué et chanté dans le Champsaur se
retrouvant sous une forme voisine ( paroles et musiques) en Trieves, sur le
plateau du Coiron, jusqu'à la limite des Cévennes ardéchoises : le
prototype du genre est le rigodon construit sur une structure généralement
mesurée à 6/4, et comportant l'incipit « Las fillas de » suivi par le nom du
village : lo Mas Chagny, de vers Meyet, de Saint Bonnet...
Dans un même ordre d'idée, l'échange a pu se faire à l'inverse. Les
chanteurs de rigodons avaient l'habitude, après avoir épuisé les quelques
paroles à leur disposition, d'utiliser des onomatopées. Si certaines sont
anodines, du type la la la, d'autres, utilisées d'ailleurs par certains
violoneux lors de l'identification chantée des mélodies, sont plus
sophistiquées et peuvent avoir un certain rapport avec le jeu de violon et
10
notamment l'accentuation à l'archet sur laquelle nous reviendrons plus
loin.
Il est ainsi troublant de retrouver l'utilisation des même syllabes a li la li la
ou a ni na ni na, organisées parfois à l'identique dans la mise en valeur de
la levée, du temps fort et du temps faible, pour scander le rigodon à la
voix, chez un violoneux du Champsaur, une chanteuse du Trièves ou un
chanteur du Coiron.
Faut-il y voir une alternative rythmique ou le chanteur tenterait d'imiter le
violon?
Pour que notre propos soit complet, il convient de préciser, surtout pour le
rigodon, que ces refrains à danser sont toujours en occitan, et il est clair
que l'accentuation à l'archet, le phrasé du violoneux est en rapport direct
avec les accents de la langue qu'il utilisait.
Pour s'en convaincre il suffit d'écouter à la suite les versions chantées et
les versions jouées, ou encore mieux, de superposer quelques partitions
des interprétations où seront notées les accents rythmiques. Ces
comparaisons nous permettent d'entrevoir les liens entre les versions
chantées et les versions instrumentales, qui dans certains cas sont
nettement plus sophistiquées".1
La prise de contact avec l'instrument comme préalable:
"Que ce soit à la bombarde, au violon, à la vielle , à la clarinette, à l'accordéon,
nous n'avons jamais rencontré de musicien capable de se mettre en train dès la
première note. La prise de contact avec l'émetteur sonore, objet intermédiaire,
s'avère dans tous les cas indispensable. Pour se délier les doigts, pour s'accorder,
pour retrouver l'air qu'il souhaite interpréter, mais aussi pour préparer l'auditoire,
Patrick Mazellier, Violoneux traditionnels en Dauphiné in Violon populaire, le
caméléon merveilleux, Modal Famdt 2003 p 25
1
11
le musicien a besoin de jouer un court moment avant d'attaquer pour de bon. »1
Le souvenir, le rappel
Il est difficile de se rappeler un air "oublié" y compris et surtout quand il s'agit
d'une mélodie appréciée.
Yves Defrance nous évoque la difficulté du rappel et sa douleur parfois :
"Par ailleurs le manque de référence écrite, ne serait-ce qu'à titre de pensebête, oblige chaque ménétrier à puiser dans sa mémoire les airs qui y sont
stockés. Assez fréquemment, nos informateurs nous donnèrent le
spectacle d'une véritable souffrance à sonder leurs souvenirs. De leur
propre aveu, cet exercice leur était très pénible."2.
Souvent lors de veillées, il y a ceux qui se souviennent des airs ou des chansons
(chante nous celle-ci!), qui servent de déclencheurs aux interprètes, aux
"meneurs" comme les nomment L. Radioyes (ceux qui chantent "bien").
Généralement, lors de premières collectes, il est fréquent d'entendre des airs
connus, déjà entendus par ailleurs. C'est le plus souvent après le passage du
collecteur que le "collecté" dont la mémoire a été sollicitée, excitée, va se
rappeler de mélodies moins fréquentes, moins courantes. Une fois encore, si l'air
n'est pas noté (écriture des paroles), enregistré (k7, répondeur selon Jorj Belz),
celui-ci pourra être de nouveau oublié puis retrouvé.
"En effet, la mémoire peut-être excellente, elle n'enregistre qu'à l'appel d'un
DEFRANCE,Yves, Musiques traditionnelles de Bretagne, Skol Vreizh,
Morlaix, vol. 2, 1998 p75
2
DEFRANCE,Yves, Musiques traditionnelles de Bretagne, Skol Vreizh,
Morlaix, vol. 2, 1998 p76
1
12
regard curieux et intéressé; on ne voit et n'entend bien que ce qu'on goûte" 1 ,
Jean-Michel Guilcher évoque les garçons d'un village allant ensemble écouter
un ton pour s'en rappeler et s'en resservir:
"Les anciens chanteurs traditionnels disent volontiers l'attention
passionnée qu'ils portaient à leurs concurrents d'autres localités dans les
mariages, foires et pardons où se mêlaient des danseurs venus de plusieurs
terroirs.
Plus d'un, pour s'approprier un «ton» qui l'avait séduit, demandait l'aide de
son co-équipier (« Écoute bien, et tâche de te rappeler»). Parfois tous les
jeunes gens d'un même village s'y appliquaient ensemble. Au retour,
chacun fouillait sa mémoire, disait ce qu'il avait retenu. Les souvenirs ne
coïncidaient pas toujours. Ou encore la mémoire ne livrait que des
fragments. Il fallait bien s'en accommoder, choisir, compléter au besoin,
soit en inventant, soit avec des réminiscences d'autres airs.
Nous avons rencontré des informateurs parfaitement conscients de toutes
ces opérations. «Quelquefois, disait l'un d'eux, l'air véritable revenait à
l'esprit quelques jours après. On était bien content de le retrouver. Mais
celui qu'on avait arrangé continuait de servir aussi. »2
L'invention, la variation:
Dans un même ordre d'idée (la variation ou l'invention grâce à la mémorisation)
mais ouvrant le champ d'une autre recherche possible, Jean-Michel Guilcher
évoque une chanteuse (sûrement Catherine Guern) qui lui chante plusieurs fois
la même chanson (son) mais à chaque fois sur un air (ton) différent. Comme
J.M. Guilcher le lui fait remarquer, la chanteuse soutiendra lui avoir chanté la
même chose à chaque fois.
"A mesure que l'intérêt passe de l'air aux paroles, le rythme et la ligne
mélodique perdent en liberté. Le premier des exemples ci-après donne une
idée de l'évolution du « ton » en cours d'exécution. Il rapproche le tout
premier couplet (sans paroles) d'une chanson, le premier couplet où
apparaissent des paroles, enfin la ligne commune aux derniers, où dessin
L. RADIOYES, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de
Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions,
1995 p86
2
Guilcher Jean-Michel La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne
Mouton 1976 p 271-272
1
13
et rythme sont stabilisés.
La même chanteuse, reprenant ce même air (avec d'autres paroles) au
cours de la même journée, soit seule soit avec une «déchanteuse», y
préludait de façons si différentes qu'on croirait à des mélodies entièrement
distinctes si la similitude n'apparaissait ultérieurement dans l'air enfin fixé,
et surtout si l'informatrice n'affirmait catégoriquement qu'il s'agit d'un seul
et même « ton ».1
la mémoire "collective":
La pratique du chant en groupe se fait aussi grâce à l'aide des autres. Le temps
de la "réponse" est consacré à la préparation du couplet suivant par le chanteur.
Si un défaut de mémoire se fait jour, il y a souvent un des participants prêt à
prendre le relais. L'échec de la réalisation complète du chant serait vécue comme
négative par tous les participants.
Il y a un bel exemple dans le film « Job Kerlagat » de Philippe Durand
(productions FR3) que Roland Becker nous a présenté: ce chanteur a un "trou"
de mémoire dans une chanson à table : il essaie de rechanter le couplet précédent
pensant retrouver la suite et... ça ne revient pas. Un moment de tension est alors
perceptible autour de la table. Alors on entend sa voisine marmonner "la suite"
lui permettant de retrouver le fil et d'enchaîner.
J'ai rencontré cette situation auprès d'une chanteuse d'Yvignac (22) : cette
femme chantait souvent dans les réunions familiales un répertoire connu de
l'auditoire. Il lui arrivait (à son âge avancé) de perdre le fil de sa chanson. Alors
il y avait toujours quelqu'un pour lui lancer la phrase oubliée, un mot parfois qui
suffisait à la relancer.
Guilcher Jean-Michel La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne
Mouton 1976 p 247-248
1
14
L’exemple de la seisiun :
Comment enchaîne-t-on un reel sur un autre en session de musique
traditionnelle irlandaise?, comment apprend-on cette musique ?:
Le musicien de session (seisiun) sait (au préalable) qu'il va devoir jouer sans
partition un grand nombre d'airs (de l'ordre de la centaine pour une session
"standard"). Il sait d'autre part qu'il devra enchaîner plusieurs mélodies dans des
suites (de trois ou quatre mélodies voire plus). Enfin, il sait aussi qu'il devra
composer avec les autres musiciens présents, ceux-ci ne jouant pas
obligatoirement le répertoire habituellement joué par lui-même.
Des listes de suite de reels "habituels" circulent mais il peut toujours arriver
qu'un musicien (inspiré) décide d'intégrer un air différent dans une suite ou d'en
ajouter un nouveau ou de bouleverser l'ordonnancement d'une suite. La règle du
jeu de la session étant de pouvoir enchaîner avec ce musicien dans une sorte de
joute, le musicien de session est obligé (avec plaisir) d'intégrer un très grand
nombre d'airs, c’est un exercice de volonté.
Bien sur, la pratique régulière, hebdomadaire, la répétition permet d'acquérir des
réflexes (le musicien a déjà joué cet air ou cet enchaînement la semaine
précédente et celle d'avant, tel air lui en rappelle un autre, etc...). La structure
des airs est souvent la même (AABB). Les mêmes tonalités reviennent
fréquemment. Enfin, et c'est une hypothèse (et un peu d’humour !), les sessions
ont généralement lieu en soirée (fin vers 1h du matin) et le musicien va donc
dormir après avoir pratiqué intensément son art, un grand nombre d'airs dans la
tête. Or, le sommeil (s'il est de qualité) joue un rôle très important dans la
mémorisation. On peut supposer que cette condition va influer sur les souvenirs
du musicien.
15
Les possibilités perceptives :
Mémoire du toucher :
Exemple du chansonnier aveugle et illettré de Plouguiel, Iann ar Gwenn (17741849):
"Là, assis au coin du feu, en compagnie de Marie Petibon, sa femme, il
pratiquait son art et cousait des vers bretons l'un à l'autre. Le couplet terminé, il
taillait dans un morceau de bois une coche à la manière des boulangers; lui seul
pouvait "relire" ce qu'il sculptait à la pointe de son couteau" cochant des lattes
de bois (sorte de Braille rustique) pour se rappeler ses chansons"1
Mémoire auditive :
L'exemple de Victor Mouazé (1910/1992), dernier violoneux du pays de Dol est
édifiant. "Victor se souvient de la noce et du sonnou: "j'ai regardé marcher ses
doigts, un moment il a posé son violon pour bourrer sa pipe, alors moi, à côté de
lui, j'ai fait sonner les quatre cordes, pour entendre la distance qu'il y avait entre
chacune, et j'ai su accorder mon violon"2
Mémoire visuelle et gestuelle:
Mon père (né en 1932) m'emmène voir un ancien voisin (de sa ferme). Celui-ci
nous montre un tour à bois qu'il a réalisé avec une boite de vitesse de Peugeot
403, merveille de bricolage paysan. Encore plus étonnant, il nous présente ses
réalisations tournées d'excellente facture dans mon souvenir. Enfin, il nous
explique comment il a réalisé des appliques murales pour sa fille. De passage à
Paris pour visiter celle-ci, sa fille lui dit son intention de posséder un modèle
d'applique en vente au BHV (grand magasin parisien). Notre compère nous
Daniel Giraudon Chansons populaires de Basse-Bretagne sur feuilles volantes
Skol Vreizh Morlaix 1985 n°2/3.
2
LEMOU Pierrick, Sonneurs de violon en Bretagne, Anthologie des Chants et
musiques deBretagne/Volume 5, Le Chasse-Marée/Ar Men, SCM 031
1
16
explique alors, geste à l'appui, comment il est allé relever les cotes en magasin (à
Paris) avec pour unique outil ses mains (il nous fait le geste en écartant pouce et
index). Puis, comment de retour en Bretagne, il a reproduit les modèles désirés
de mémoire. Nous n'avons pas pu voir les modèles originaux mais il était bien
persuadé d'avoir copié les mêmes objets et ses copies étaient très convaincantes.
Dans ces exemples caricaturaux, il est frappant de constater les possibilités sousestimées (encore aujourd'hui) de la mémoire.
17
Comment apprend-t-on aujourd’hui ?
Comment apprend-t-on la musique "traditionnelle"? aujourd’hui :
Cette partie aurait aussi pu s’intituler : comment j’ai appris à jouer et comment
j’ai appris à retransmettre auprès de musiciens traditionnels et de collecteurs.
La méthode généralement utilisée pour la transmission d'un air est
sommairement la suivante : le professeur expose le thème. Ensuite le professeur
joue une fois les deux premières mesures de la partie A à un tempo plus lent.
Celles-ci sont répétées par les élèves, le professeur rejoue et corrige jusqu'à
l'obtention d'un résultat convenable. Puis on passe aux deux mesures suivantes
qui sont apprises selon la même méthode. Enfin on jouera ces quatre mesures en
entier qui constitue la partie A et qui est le plus souvent doublée. On travaille
ensuite la partie B de la même façon et on assemble le tout. Ensuite, on
procèdera à l'enregistrement du professeur par l'élève et à la distribution
éventuelle du support écrit (partitions, tablatures).
Utilisation de la mémoire chez les élèves lecteurs et non lecteurs.
L’élève lecteur aime le confort de la partition avant l’apprentissage mais bien
souvent est incapable ensuite de s’en séparer allant jusqu’à noter (quand il le
peut) les ornementations et autres liaisons. Plus curieux, est le fait de ne pas
pouvoir jouer ensuite cet air simple « de mémoire », cette addiction à la
partition. Ces élèves ont bien souvent un parcours scolaire sans embûches voire
brillant, savent mémoriser un texte ou un théorème et pourtant ils butent sur ce
problème. Aussi, j’essaie (avec plus ou moins de succès) de les initier à
l’apprentissage d’oreille (repiquage de mélodie) en évitant de distribuer la
partition au préalable de l’enseignement d’un nouveau thème. Ces élèves se
dispensent souvent du travail préalable au cours, pouvant rejouer (relire)
facilement sans effort de mémoire.
A contrario, les élèves non-lecteurs (ou très récalcitrants à la lecture dus à des
expériences douloureuses par le passé) apprécient cet enseignement oral ( et
18
comment faire autrement…). La répétition ne les dérange pas, l’expérimentation
par l’erreur ne les déstabilise pas, et l’apprentissage est souvent plus rapide et
plus fructueux (plus laborieux aussi...). L'attention doit alors être très importante
et la difficulté est aussi présente (souffrance). La mémorisation n’est pourtant
pas si évidente et souvent le besoin d’un support autre que partitions se
manifeste (doigté supplémentaire, tablatures, enregistrement). Ce support ne
servant bien souvent qu’à « retrouver » la mélodie enseignée. Ces élèves ont par
contre plus besoin de travailler, de jouer, de répéter ( la mémorisation est-elle à
ce prix ?).
Un autre cas d’école : les élèves en accordéon diatonique sont très nombreux
dans les écoles de musique traditionnelle. Ils apprennent avec des tablatures
spécifiques. Certains élèves ont un bon niveau, aiment la musique qu’ils jouent,
font danser et pourtant là encore, impossible de fermer le classeur ou de
retrouver un air de tête. Dans le même temps, des élèves singent la lecture alors
qu’ils jouent « visiblement » d’oreille (donc de mémoire ?).
Une question de génération ?:
Nous vivons aujourd'hui à une époque où notre mémoire est moins sollicitée que
les générations précédentes : la scolarisation massive a généralisé
l'alphabétisation, la lecture introduisant une émancipation non contestable
auprès des populations rurales mais induisant aussi un recours moindre à la
mémoire. Le savoir n'est plus seulement dans les têtes et les paroles mais peut se
trouver dans les différentes formes que peut prendre l'écrit aujourd'hui.
On peut retrouver facilement (quand on y est formé et habitué) un document
écrit, nos souvenirs musicaux oubliés, en se référant au livre de cours, au
dictionnaire, à l'encyclopédie, à l'enregistrement, au CD, à l'internet. Tous ces
outils et l'apprentissage du solfège ont libéré nos élèves de l'obligation de
19
mémoriser.
Le constat fait par L. Radioyes est malheureusement confirmé par cette
Circulaire du 19 octobre 1960
« - la difficulté que nos écoliers actuels éprouvent à fixer leur attention sur un
sujet déterminé ou même simplement à accomplir l'effort de mémoire nécessaire
pour retenir les leçons qui leur sont enseignées ;
- probablement aussi la tendance générale de notre époque à examiner toutes
choses rapidement et superficiellement sans avoir le temps ou sans éprouver le
besoin de creuser ou de réfléchir. »1
Les musiciens collectés ont souvent entendu les airs restitués dans leur jeunesse
( cf Radioyes). Leur mémoire des airs s'est construite sur la répétition.
Dans cette société rurale où l'écrit était souvent absent ou rare (pas ou peu de
livre, absence de signalisation routière), l'individu devait rechercher
l'information, la trouver, et la conserver en mémoire. Je connais des exemples de
représentants de cette société qui encore aujourd'hui restent insensibles à la carte
routière et aux informations qu'elle contient, préférant (et de loin) recevoir cette
information d'un proche oralement, information qui sera parfaitement
mémorisée et réutilisable à volonté et même retransmise. De la même façon, ils
préfèreront entendre la lecture du journal (bien que sachant lire) et bien sur, sont
adeptes des informations télévisées ou radiodiffusées. Ces personnes souvent
qualifiées de faux-lecteurs préfèrent utiliser leur mémoire (visuelle, auditive)
1
M. Lebettre , Le Directeur des enseignements élémentaires et
complémentaires, Enseignements élémentaires et complémentaires, Circulaire
du 19 octobre 1960,(B.O.. n° 29 du 27 octobre 1960),aux Recteurs (pour
information) ; aux Inspecteurs d'Académie (pour exécution).
20
Besoin de mémoire?:
Nous n’avons pas moins besoin de mémoire mais nous déléguons cette fonction
à nos machines. Aujourd'hui elles font ce travail pour nous : mini K7 (déjà
caduc), mini disc (pour se rappeler ce qu’on a joué, chanté), dictaphone,
clé/lecteur usb mp3, agenda électronique (pour les rendez-vous), disque dur de
l'ordinateur(pour retrouver un écrit, une production), téléphone portable
(répertoire, agenda), GPS (pour les parcours), minuterie (pour les arrosages, la
machine à laver, le chauffage), etc. Nous confions notre mémoire aux puces
électroniques. Mais dans une situation où la présence de machines est délicate
ou incongrue (ou en panne !), l'individu se retrouve à devoir solliciter sa
mémoire et souvent se rend compte de sa dépendance (par exemple :
impossibilité de retrouver un numéro de téléphone mis en mémoire du portable
mais jamais appris).Il est surprenant de voir le développement actuel (et le
succès) de ces appareils à mémoire, de plus en plus importante et puissante,
transportable, dans le même temps où nous constatons une baisse de la capacité
à mémoriser de nos contemporains.
la mémoire est-elle moins sollicitée, moins entraînée aujourd’hui ?:
Qu’est ce qu’apprendre par cœur ?, la répétition dans l’exercice de
mémorisation.
La querelle a fait rage dans les milieux enseignants (et plus largement dans la
population) sur la remise en cause de l'apprentissage "par cœur " de leçons à
réciter qui est de moins en moins fréquent.
21
"Le par cœur est non seulement inutile mais dangereux. Les repères que
l'enfant [qui apprend par cœur] se donne sont pour la plupart étrangers à la
signification du texte. Le plus grave est que cette forme d'apprentissage
déshabitue l'enfant de la réflexion personnelle.... l'invite à croire qu'il est
sans objet d'exercer son jugement et de faire preuve d'esprit critique. Il est
plus simple d'apprendre que de comprendre et raisonner. Une telle
attitude, faite de démission et de paresse intellectuelle, n'est guère de
nature à préparer l'enfant à affronter les problèmes que lui posera sa vie
d'adulte... Sur un plan plus général, habituer l'enfant à apprendre par cœur
c'est, quoi qu'on en dise, le rendre perméable à toutes les suggestions,
politiques ou autres... c'est en somme le vouer à la passivité intellectuelle
et civique, en l'incitant à faire siens tous les conformismes du moment. Le
savoir acquis par cœur est de qualité inférieure... et demeure le plus
souvent verbal et superficiel... il se présente à l'esprit de manière
compacte et monolithique. Il paraît sage de cantonner le 'par cœur' dans
d'étroites limites".1
A cette lecture, on peut sentir les résistances du milieu enseignant à l’utilisation
du « par cœur »
Pourtant aujourd'hui, beaucoup concèdent des valeurs certaines à cet
enseignement s'il est effectué avec l'objectif de réutiliser ce savoir. L'objectif
n'étant pas de remplir la tête de l'élève de connaissances inutiles voire abstraites
mais bien de former une mémoire "opérationnelle", comparative.
« On pense aujourd'hui que l'apprentissage par cœur lui-même n'est pas
une simple répétition mais un cocktail de groupements (petites phrases,
images, catégories) propre à chaque sujet et qui suppose une forme
d'organisation subjective. Aujourd'hui la mémoire est considérée comme
un système de traitement de l'information capable d'opérations multiples
(encodage, stockage, reconnaissance, rappel) et comme l'une des
composantes de base des activités mentales plus complexes. »2
Malheureusement, ce débat a provoqué des résistances inédites et une réaction
1
[Pierre Giolitto, in Education Nationale, n° 57 du 19 février 1970, p. 25.]
A.Bouchez , cité sur le site de s.huet :
http://s.huet.free.fr/paideia/paidogonos/parcoeur.htm, document en annexe.
2
22
de dégoût au moindre signe d'apprentissage "par cœur ". Or, on sait qu'il ne
suffit pas de bêtement répéter un texte ou une mélodie pour l'apprendre mais
bien d'en répéter des bouts en cherchant les relations dans le texte ou la mélodie,
en comprenant ce que l'on doit dire ou jouer et de pouvoir "recréer" la suite
d'éléments demandés. Ceci étant dit, il est réel qu'il y a alors un travail de
mémoire demandé et qu'il faut s'y atteler. L'entraînement peut faire gagner
beaucoup de temps. C'est difficile de mémoriser quand on y est pas habitué, c'est
un geste à travailler. La répétition favorise la mémorisation: c'est l'entraînement.
L’attention nécessaire à l’apprentissage, à la mise en mémoire fait-elle défaut ?:
Cette nécessité (je pense à mes élèves lecteurs, ou aux élèves d'accordéon
diatonique) n'en est plus une quand on sait qu'on peut facilement (quoique…)
retrouver ce qui est demandé dans le classeur ou le cahier. Poussé à l'extrême (et
on y est vite), l'élève n'a plus besoin de mémoriser, il a juste besoin de lire; de
lire vite et bien (ce qui n'est pas si simple) mais de lire. Dire qu’il ânonne est un
truisme. Si l'objectif de l'enseignement est de former des exécutants "moyens",
nous pouvons nous contenter de cette réussite. Dans le même temps, confronté à
ces élèves, il est difficile de justifier un travail de mémorisation (qu'on ne leur a
jamais demandé par ailleurs). Pour certains, ils sont très mal à l'aise dans cet
exercice, le percevant comme une curiosité, une nouvelle lubie de l'enseignant
ou même une surcharge inutile.
Et pourtant :
L'imprégnation aide la mémorisation1: le texte de Louisette Radioyes est édifiant
car il recoupe d'autres informations pédagogiques: l'imprégnation, la répétition,
le chant en alternance (à répondre), la jeunesse du sujet, la brièveté du texte, des
strophes facilite la mémorisation. Cependant, le désir d'apprendre, la volonté de
RADIOYES Louisette, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le
répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS
Editions, 1995 p 61
1
23
se souvenir, la motivation sont aussi nécessaires. Sur ces points l'exemple cité
par J.M. Guilcher des garçons ramenant l'air, comparant leurs souvenirs,
reformulant l'objet désiré est particulièrement intéressant 1.
Les musiciens utilisent fréquemment des airs chantés, les paroles les aidant à
retrouver la mélodie. Il s'agit ici d'un principe répandu dans les répertoires
populaires, le chant pouvant constituer, avec l'aide des paroles, un support
mémoriel pour l'apprentissage des mélodies.
La sollicitation de la mémoire de travail:
« C'est un système de mémoire transitoire impliquant simultanément les
opérations de stockage et les opérations de traitement : garder présentes à
l'esprit les informations nécessaires pour raisonner, comprendre une
phrase ou la construire, calculer de tête. Cette mémoire est de courte
durée. L'information est simplement maintenue quelques secondes pour
permettre la manipulation des données nécessaires à la réalisation de la
tâche en cours. Finalement, la mémoire de travail est une mémoire
tampon, permettant de maintenir l'information disponible à court terme
pour les tâches d'attention, de calcul, de raisonnement et d'apprentissage.
Les constatations faites sur des sujets sains ont montré l'importance de la
répétition dans le maintien de l'information en mémoire. »
GUILCHER, Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne,
Mouton, Paris, 1976 (1ere édition, 1963)
1
24
La mémoire, un outil d’apprentissage à affûter
un outil supplémentaire pour apprendre et comprendre :
Ce qui semble ressortir de toutes ces observations, c'est qu'effectivement la
mémoire peut jouer un rôle dans l'enseignement et en particulier dans
l'enseignement musical, sujet qui nous concerne ici. Si je rapproche ces
constatations des méthodes pédagogiques usuelles, je vois au moins une grande
différence: l'utilisation du chant dans l'apprentissage des airs, faire chanter à
l'apprenant l'air qu'il apprend.
Il ne s'agit pas, bien sur, d'en faire un chanteur mais de lui donner des moyens
supplémentaires de mémorisation, voire d'analyse et par là-même des moyens
nouveaux et une liberté certaine d'interprétation. Donc, quand il existe des
paroles accompagnant l'air, un chant, il ne faudrait pas hésiter à l'enseigner.
On voit là qu'il faut, naturellement, que l'enseignant se soit plié à ce petit (?) jeu,
qu'il ait lui-même appris ces paroles ou les ait recherchées.
Malgré tout en l'absence de paroles, la tradition nous propose encore des
solutions qui peuvent être l'invention par le musicien (professeur, élèves ou les
deux) de formulettes mnémotechniques destinées à stimuler sa mémoire et à
rappeler l'air recherché.
De même quand l'air n'a pas de parole, il ne faudrait pas non plus hésiter à le
chantonner: la la la, la lan, lère. Et on pourrait peut-être même développer ou
réutiliser (le musicien traditionnel est un grand récupérateur) un langage
spécifique (à l'instar des percussionnistes indiens (ta kine tinaketa) ou des
joueurs de tambours du XVI° siècle (ran tan plan) qui en font des phrases qui les
aident à mémoriser des séquences rythmiques ou des joueurs de flûte (tu tu,
turelure) qui utilisent ces sons destinés à faciliter l'articulation et la
mémorisation) avec pour le violon des sons différents suivants les coups
d'archet: la li la li la.
25
Là encore l'étude des musiques traditionnelles (ou le passé des musiques
savantes) nous présente de multiples exemples et pistes de travail:
Le "lilting" ou "diddeling" pour la musique irlandaise ("lilt" intraduisible en
français, qui désigne la façon très particulière qu'ont les irlandais, les écossais et
les canadiens, de chanter les airs de danse sans autres paroles que des: dum
diddle diddle dum),
Le tam di delam ou turluter ou la turlutte pour tout le répertoire québécois
(Acadie), canadien dont les origines seraient assez communes au monde anglosaxon ( surprise rencontrée: traité d'enseignement de la flûte par Johan Joachim
Quantz du XVIII°siècle avec ses diddl di que ne désavoueraient pas un Martenot
et ses "saute-noire"1)
Lors de notre formation en ethnomusicologie, Andy Arléo nous a évoqué le
caractère d’universalité des chansons enfantines. Il nous est possible d’utiliser
des airs connus de tous à des fins pédagogiques.
Le canntaireachd: Patrick Molard lors de son intervention au Cefedem nous a
présenté ce singulier langage d'enseignement de la cornemuse écossaise, très
évocateur des sons et ornementations utilisés qui est tout à la fois un outil de
mémoire et d’enseignement .
Jorg Bothua2, lors de sa venue nous a dit :"la langue a ciselé la musique"
arguant, avec l’humour qui est le sien, qu’il faudrait (c’est un défenseur de la
langue bretonne) apprendre le breton à nos élèves pour pouvoir chanter dans le
texte les airs qu’ils apprennent. C’est ainsi qu’il appris des centaines d’airs à
raison de deux à trois airs tous les dimanches pendant 10 ans. Alors comment
oublier nos tralalaleno si adaptés à nos musiques bretonnes et en poussant plus
loin apprendre une chanson sur l'air (ur son war un ton). Comme il apparaît
évident d’entendre chanter Verdi en italien, Mozart en Allemand ou Gounod en
français.
1
2
annexe 2
champion de Bretagne 2004 et2005 en couple biniou braz
26
"C'est l'air qui fait la chanson", dit le proverbe français. En Bretagne, la
poésie du texte prime sur sa conduite mélodique et les chanteurs ont
coutume de dire : an hini a goll ar zon a goll an ton ("qui perd ses mots
perd son air"). Les moyens pour retrouver une mélodie, eun ton da
zansal(un air à danser) s'appuient essentielle-ment sur l'incipit littéraire.
Fait significatif de la puissance de la poésie, la musique instrumentale,
héritière de son modèle vocal, continue de se référer aux premières
paroles d'une chanson pour classer son propre répertoire. Les mélodies
peuvent s'adapter à des textes différents, mais de coupe poétique
identique. Il est pourtant des strophes si parfaitement appropriées à
certains timbres qu'elles sont automatiquement associées. Elles se
transmettent alors de génération en génération, rencontrent un grand
succès et finissent par connaître une diffusion géographique élargie. »1
Tout ceci n'interdisant pas la pratique de l'écrit comme repère pour l'élève mais
cherchant à le dégager d'une dépendance trop souvent constatée, lui permettant
de se consacrer à l'écoute de son jeu, du jeu des autres, à son interprétation.
Existe-t-il une méthode fiable de mémorisation ?
Selon Antoine de la Garanderie2, deux principes pourraient être retenus.
•
Apprendre en se mettant dans une situation de projet, c'est-à-dire en
plaçant dans un avenir esquissé mentalement, ce qu'on veut conserver
•
Procéder par réitération visuelle ou auditive pour permettre de fixer dans
l'avenir ce qu'on veut conserver
« Le répertoire prodigieux des artistes
DEFRANCE,Yves, L'archipel des musiques bretonnes, Cité de la
musique/Actes Sud,2000
2
De la Garanderie Antoine, Pédagogie des moyens d’apprendre, les enseignants
face aux profils pédagogiques, Editions du Centurion 1982
1
27
Nous n'avons pas encore parlé du témoignage que sont susceptibles
d'apporter ceux qui apprennent. D'où vient le prodigieux répertoire des
comédiens et des grands solistes ? C'est que, justement, ils sont déjà sur
scène ou sur le plateau au temps des apprentissages de rôles et de
partitions. Ils se représentent eux-mêmes en train de jouer. Interrogez-les.
Vous constaterez, par leurs réponses, que tel est bien le climat d'avenir qui
imprègne leur esprit et que tel est bien le lieu d'avenir où ils placent
présentement leurs acquisitions du moment. C'est pourquoi celles-ci leur
demeurent présentes.
Ne vous est-il jamais arrivé de vous représenter avec force et précision
une intervention que vous devez faire et d'en jouer à l'avance le
déroulement pour mieux vous y préparer? N'avez-vous pas remarqué
l'aisance qui en résulte et la bonne évocation du projet? »1
Les solutions trouvées aux problèmes:
Peut-on appuyer un apprentissage, un enseignement sur un travail de
mémorisation ? pourquoi ? Des idées pour apprendre et mémoriser :
Pour :
Il faut travailler sur l’imprégnation même partielle, de préférence dès l'enfance,
même si nous l’avons vu, on apprend à tout âge (avec diverses facilités). Le fait
d’utiliser des formes de chansons répétitives à l’ambitus restreint, au texte bref,
découpé en strophes brèves, chantées en alternance peut faciliter l’apprentissage.
Face à la motivation, les choix sont un peu plus délicats:
"Pour qu'une chanson soit désirée par un individu, puis par la collectivité, "il y
faut tout d'abord une certaine sympathie" et cette sympathie se définit par
rapport au répertoire détenu précédemment. En effet, comme le dit M.L.Ténèze2, "l'acquisition nouvelle n'arrive pas dans du vide, mais dans un
cerveau déjà meublé dont le contenu peut influencer la réception" et, par avance
De la Garanderie Antoine, Pédagogie des moyens d’apprendre, les enseignants
face aux profils pédagogiques, Editions du Centurion, Paris, 1982
2
Marie-Louise Ténèze, directeur du département de Littérature orale, Musée des
Arts et Traditions Populaires, Paris, le 12.03.1969
1
28
le choix.".1
Si l'élève n' a pas le désir d'apprendre une chanson, un air issu de la tradition, il
peut-être intéressant de questionner l'élève sur quelle mélodie désire-t-il savoir
et de définir avec lui son projet. Il sera toujours temps de rapprocher ensuite ce
désir du parcours nécessaire à sa réalisation ou à son approche, de saisir des
opportunités.
Il faut retenir l'attention de l'élève (ce qui est un préalable à tout enseignement),
qu'il soit acteur de ses acquisitions. Il s'agit de préciser dès le départ que la
mémorisation est demandée, qu'elle sera sollicitée. Il faut aider la concentration
par un climat d'écoute.
Les valeurs affectives attribuées au matériel à mémoriser sont aussi très
importantes. Il faut donc susciter l'intérêt (culture musicale, culture bretonne,
valeurs affectives).
La non-distribution de partition et/ou tablature au préalable (effort de
mémorisation) devrait être compensée par une distribution d'enregistrements :
"On peut remarquer également l'intérêt de fournir ses sources avant
l'intervention. De cette manière la sensibilisation et une mémorisation
peuvent commencer préalablement à l'activité de transmission. La
structuration s'effectue ainsi en amont et permet parfois de découvrir, de
la part des "apprenants", des approches ou des modes d'écoute
enrichissants"2
L’action (qui peut être vécue assez violemment) de ne pas distribuer de support
écrit ou enregistré (support audio) met l’élève dans une situation-problème. Il
doit alors se remémorer, "seriner" la nouvelle acquisition, repasser la chanson
dans sa tête pendant les moments de solitude, travail ou insomnies, au besoin
noter les mots clés retenus et pour finir arranger au mieux ce qu’il a retenu
jusqu’à la prochaine rencontre. Dans le cadre d’une école de musique, la
prochaine rencontre étant fixée et connue, on peut tenter facilement cette
expérience pédagogique.
Enfin, par la prise de contact avec l’instrument, il est possible de développer une
mémoire tactile, visuelle, physique.
RADIOYES Louisette, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le
répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS
Editions, 1995
2
Jean-Patrick Hélard, Ces musiques qui se volent, Violon populaire le caméléon
merveilleux, Modal 2003, p 147
1
29
Les critiques prévisibles :
Il ne s’agit pas ici d’évacuer les critiques récurrentes à ces propositions : je sais
qu’il est possible de n’y voir qu’apprentissage par imitation ou transmission de
connaissances, qu’une simple assimilation.
L’absence d’analyse et de décomposition formelle évite et écarte la construction
d’un vocabulaire musical riche.
Ensuite cet exercice peut être très pénible et source de souffrance s’il est mal
mené (au delà d’un travail sur la mémorisation de petites formules, une dizaine
de notes). Enfin le manque de référence écrite peut mettre en danger, faire
prendre un risque lors d’une prestation. L’absence de pense-bête supprime un
garde-fou.
Heureusement cette pratique de mémorisation n’empêche pas (et c’est de plus en
plus souvent le cas pour nos élèves) une formation musicale en complément.
Lors même pendant le cours, la mélodie peut être décomposée et analysée. Et
surtout les formes utilisées sont souvent similaires évitant de décomposer à
chaque nouvel apprentissage.
30
CONCLUSION
Conclusion : bilan et prolongements possibles
Nous touchons au terme de notre réflexion. Ce travail sur la mémoire m’a amené
à m'interroger sur mon enseignement présent et à venir. Sans être en
contradiction avec mes observations et mes analyses, mes propositions ne
doivent pas rester un catalogue de bonnes intentions. De nombreuses questions
devront trouver des réponses dans ma pratique.
J'ai été agréablement surpris par le cheminement de ma réflexion. Partant d'un
sujet qui me tenait à cœur que j’envisageais de traiter en partie de façon plus
abstraite (fonctionnement technique, médical de la mémoire), j'ai été amené à
replonger dans les pratiques de transmission utilisant la mémoire et à me
questionner sur celles-ci, sur leur actualisation, sur leur validité.
J'ai du réfléchir sur ma pratique, mon propre apprentissage, l’importance de la
mémoire dans mon apprentissage, mon intérêt pour ces musiques, pour la
musique en général, mon rôle de transmetteur, de passeur de mémoire,.
En cours d'écriture, il m'est apparu de plus en plus important de recentrer mon
sujet sur ce mode de
transmission privilégié et l'origine de cette musique
traditionnelle qui est le chant et j'ai donc effectué des rapprochements
(heureux...) entre différentes traditions musicales étudiées pendant ces trois
années passées au CEFEDEM ou par le passé. C’est un chemin détourné que je
n’avais pas prévu, qui s’est imposé au fur et à mesure de ma recherche et qui
induit des modifications dans mon appréhension de cette musique, de la musique
et dans les manières multiples de l’enseigner. Je vais tâcher de davantage asseoir
mon enseignement sur ce mode de transmission. Des expériences pédagogiques
déjà réalisées m’ont permis de poser quelques jalons prometteurs, il me reste à
construire une structure plus solide, à convaincre de l’importance de la
vocalisation, à affirmer cette réflexion pédagogique.
J'ai aussi croisé différentes attitudes de pédagogues ou de chercheurs sur la
mémoire et son utilisation ou son utilité, qui pouvaient abonder ou infirmer mon
31
travail.
J'ai découvert un débat que j'ignorais sur la tradition et la scolastique qui, bien
que débordant largement mon sujet, me ramenait à ma préoccupation initiale. Je
ne connaissais pas ces réflexions et ces prises de position sur l’enseignement qui
loin de m’éloigner de ma question ont contribué à ma recherche.
J’ai découvert et lu avec intérêt le rapport de l’Inspection Générale de
l’Education Nationale (en annexe de ce mémoire) sur la sous-utilisation de la
mémoire dans l’enseignement qui confirmait mon hypothèse de départ, me
confortant dans ma recherche. Ce rapport, si je l’avais connu plus tôt (au début
de l’élaboration du mémoire) aurait même pu servir de point de départ à ma
réflexion dans une approche plus institutionnelle. Les points de contact avec les
exemples relevés dans la chanson et la musique traditionnelle sont nombreux et
appuient mon raisonnement. J’aurais pu élargir cette recherche à d’autres
esthétiques musicales tentant de prouver la généralisation du phénomène. Je
laisse à d’autres candidats ce champ d’investigation bien que je ne manquerais
pas d’interroger mes collègues (présents et à venir) sur leurs façons de faire.
Tout ce travail a éclairci ma vision des choses et m’a ouvert de nouvelles pistes
de travail qu’il ne me reste plus qu’à développer à l’avenir. Je ne peux que
formuler le vœu que d’autres creusent ce chemin en ma compagnie.
32
BIBLIOGRAPHIE
DEFRANCE,Yves, L'archipel des musiques bretonnes, Cité de la
musique/Actes Sud,2000
-Musiques traditionnelles de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix,vol. 1,1996;vol. 2,
1998
GUILCHER, Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne,
Mouton, Paris, 1976 (1ere édition, 1963)
MENDRAS , Henri, La fin des paysans, Actes sud, 1984, réédition Babel/Actes
Sud, 1992
MOLLOY Matt , Shadows on stone, Virgin records, 1996, plage 4
LEMOU Pierrick, Sonneurs de violon en Bretagne, Anthologie des Chants et
musiques deBretagne/Volume 5, Le Chasse-Marée/Ar Men, SCM 031
WRIGHT John, Le fiddle irlandais par Ted Furey, Le Chant du Monde, 1974,
LDX 74487
GIRAUDON,Daniel, Chansons populaires de Basse-Bretagne sur feuilles
volantes, Skol Vreizh, Morlaix, n° 2/3,Décembre 1985
RADIOYES Louisette, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire
de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions,
1995
Ouvrage collectif coordonné par Jean-François VROD,Violon populaire, le
caméléon merveilleux, Editions Modal, Parthenay, 2003
De la Garanderie Antoine, Pédagogie des moyens d’apprendre, les enseignants
face aux profils pédagogiques, Editions du Centurion, Paris, 1982
Chouard Claude-Henri, L’oreille musicienne, Gallimard, Paris, 2001, p160-167
33
Annexes
Annexe 1
LE RÔLE DE LA MÉMOIRE DES ÉLÈVES DANS LES PRATIQUES
PÉDAGOGIQUES
Le silence fait à l'école sur le rôle de la mémoire des élèves n'est pas dû au hasard. Quelle formation de
l'esprit attendre, en effet, d'un enseignant qui ferait fond sur la mémoire plutôt que sur l'exercice du
jugement ? Quelle incitation à construire sa connaissance, si le savoir arrive tout prêt de l'extérieur et est
seulement mémorisé " par cœur " ? L'appel à la mémoire des élèves est traditionnellement lié à une image
autoritaire de l'école, où la leçon faite par le maître est apprise par l'élève. Le premier exposerait
dogmatiquement un savoir achevé, le second recevrait passivement l'enseignement magistral et serait invité
à le restituer fidèlement. La fidélité n'est-elle pas, en effet, la qualité essentielle de la mémoire ?
L'abus des exercices de mémoire est dénoncé dès les premiers jours de l'école laïque et, plus récemment,
l'essor des activités d'éveil a pu détourner de la consolidation des connaissances acquises au profit de la
construction des concepts qui permettront de comprendre le monde et de se situer (espace, temps, loi
physique ...).
Cependant, les programmes et instructions de 1985 affirment que " la mémoire est moderne ; active et
créatrice, elle est le meilleur outil de l'action future ". Elle n'est plus opposée à l'activité de l'esprit ; elle est
présentée comme sa condition. Et les programmes de 1995 pour l'école élémentaire en font une "
compétence méthodologique " transversale, qui s'applique différemment selon les champs disciplinaires.
Cette évolution des textes vers le rejet de l'opposition entre le recours à la mémoire et l'activité de l'esprit n'a
pas été suffisamment remarquée jusqu'ici. Qu'en est-il dans les représentations des maîtres et des élèves ?
Dans les pratiques pédagogiques ?
Le rôle de la mémoire des élèves a été étudié par l'inspection générale à tous les niveaux des études :
apprentissage des leçons, types d'exercices proposés, modalités d'évaluation, mobilisation de la mémoire
pour l'éducation des élèves à l'autonomie et à la création, ont été tour à tour examinés. Dans l'enseignement
préélémentaire et élémentaire, dix-sept circonscriptions d'inspection et soixante-seize maîtres exerçant leurs
fonctions dans des conditions variées (zone d'éducation prioritaire, zone rurale, banlieue, centre-ville) ont
apporté leur contribution à cette étude, en ouvrant leurs classes à une observation attentive, suivie
d'entretiens. Soixante seize autres maîtres réunis à l'occasion de stages ou de conférences pédagogiques ont
également accepté de répondre à un questionnaire portant sur ce sujet.
Des conceptions contrastées
De très nombreux maîtres et les élèves sont dans le plus grand embarras pour expliquer la conception qu'ils
se font de la mémoire et, par là, le rôle qu'ils lui reconnaissent. L'enquête a visiblement surpris un grand
nombre d'enseignantes et d'enseignants et tout autant intéressé. Elle a ouvert des perspectives.
Le mot "mémoire" est assez systématiquement associé au "par cœur", avec une connotation nettement
péjorative. Le terme est alors opposé à celui de "compréhension". Ainsi certains déclarent : "II faut dissocier
l'intelligence de la mémoire", "je ne pense pas que la mémoire soit liée à l'intelligence". Pour ces maîtres,
l'acte de mémoriser ne semble pas un acte d'apprentissage lié à l'enseignement reçu (structuration des
connaissances, moyens utilisés, récapitulations ...). L'éducation de la mémoire paraît se réduire à un travail
de répétition à la maison, parfois en études dirigées, et à la restitution "à l'identique" à l'école. Le mystère de
la "boîte enregistreuse" qui stocke plus ou moins bien (par l'effet supposé de facteurs génétiques) n'est pas
très éloigné.
Pour d'autres maîtres, "l'intelligence va avec la mémoire qui est une faculté intégrative", "l'accumulation de
connaissances aide l'intelligence". Un maître de zone prioritaire constate : "Les enfants qui utilisent le mieux
la mémoire ont un discours bien organisé et de bonnes compétences méthodologiques". L'idée ici est que la
mémoire des procédures ou des méthodes de construction du savoir n'est pas séparée de celle des
connaissances authentiques {qui ne sont jamais des informations désordonnées). La vraie mémoire est
structurée. "La motivation, la compréhension, la logique aident à mémoriser" remarque un maître.
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Il a été très souvent difficile de s'entretenir de la mémoire avec l'ensemble des maîtres d'une école, faute
d'accord sur le sens du mot. Les "anciens" accordent une grande place à la mémorisation, conçue comme un
stockage d'informations. La récitation par cœur est privilégiée ; les cahiers comportent des résumés dictés
par le maître. L'élève est limité dans ses initiatives. On constate que ce cadrage convient à beaucoup d'élèves
en difficulté. "On a insisté sur la recherche, dit un maître. Tout est fonction du type d'enfant auquel on
s'adresse. Celui qui a plus de moyens a moins besoin de mémoriser".
D'autres maîtres, d'âge moyen, ont appris et retenu que rien ne sert de mémoriser (synonyme, pour eux, de
répéter machinalement), l'essentiel, pour eux est de comprendre. D'où l'idée qu'il suffit de comprendre pour
retenir, idée fort répandue aussi chez les collégiens et lycéens formés à cette pédagogie. On néglige alors le
fait que l'oubli est "chose naturelle" et qu'il ne suffit pas de comprendre, il faut encore apprendre.
Les plus jeunes maîtres, généralement étrangers aux querelles pédagogiques de leurs aînés, savent qu'avoir
compris ne suffit pas. Il faut faire apprendre en contrôlant quotidiennement, oralement et par écrit.
On comprend dès lors la diversité des pratiques pédagogiques et leurs fluctuations. Tel maître de la
deuxième année du cycle 2 ne donne rien à apprendre par cœur et demande seulement à ses élèves de
comprendre. Telle autre institutrice avoue être revenue, en histoire et géographie, quand les notions sont
maîtrisées, à des résumés à apprendre, après avoir longtemps demandé une simple lecture des documents
étudiés en classe.
Tout aussi significative est la diversité des représentations des élèves concernant la mémoire. L'image du
stockage des connaissances, mais aussi le rappel possible des souvenirs, sont présents dès la maternelle :
"Ma tête est pleine de choses que je connais" et "je me souviens quand je sais le dire". Chacun sait la
capacité à apprendre par cœur, à s'approprier la gestuelle et l'intonation qu'ont les enfants d'école maternelle.
Ils imitent souvent, répètent ou font répéter pour créer des automatismes et ils y prennent plaisir.
A l'école élémentaire, les élèves associent volontiers la mémoire à la réflexion, à la pensée. "C'est pour
penser, se souvenir", "Le mot évoque pour moi l'intelligence et réfléchir", "C'est réfléchir dans sa tête". Il
semble que la mémoire soit une activité, une forme de travail intellectuel. Ainsi est-elle liée au sentiment
d'un devoir. C'est "se rappeler des choses qu'on a à apprendre", "ça veut dire se souvenir des choses qu'on ne
doit pas oublier", disent des élèves de CM2.
L'importance et le rôle de la mémoire sont donc, d'instinct sans doute, assez bien perçus par les élèves, de
même que les moyens mis en œuvre qui, eux, sont généralement mécaniques. "Pour apprendre, on apprend",
"on apprend plusieurs fois, on lit plusieurs fois, on répète devant les parents". Un mécanisme mis au service
de l'intelligence et de la réflexion, telle est pour l'essentiel la conception de la mémoire qui pourrait être
dégagée des propos des élèves.
La conduite de la classe
D'une manière générale, la mémorisation des acquis n'est plus l'objectif explicite, mais l'utilisation des
connaissances antérieures pour construire de nouveaux apprentissages est bien la démarche permanente. A
l'école maternelle, la nouvelle séquence ne commence pas toujours par le rappel des acquis de la veille, la
maîtresse ne réemploie pas systématiquement les mots et tournures rencontrés précédemment, mais le rituel
du matin est un moment mobilisateur de souvenirs.
A l'école élémentaire, le contrôle des leçons n'est plus systématique et solennel. Il est rare qu'il concerne un
grand nombre d'élèves. Quelquefois l'interrogation est intégrée à la séance du jour par le biais d'exercices
dont la première question est un rappel. Il y a un véritable "tuilage" entre rappel et nouvelle leçon. Souplesse
et continuité des apprentissages l'emportent sur le souci de contrôle et de consolidation des acquis.
La fécondité d'une mémoire vivante se trouve ainsi valorisée. Mais il arrive aussi que de nombreux maîtres
considèrent que ce qui a été vu, fait ou compris une fois est définitivement acquis et disponible. Le pouvoir
de l'oubli est sous-estimé.
L'organisation des connaissances joue un rôle capital dans la mémorisation. Or, il existe une tendance qui
vise à introduire les notions nouvelles par le biais d'exercices qui placent les élèves en situation de
recherche. L'objectif déclaré est la fixation des nouveaux apports. Mais le moment de synthèse et la
reformulation claire par le maître sont trop souvent négligés.
L'attention d'une classe ne saurait être indéfiniment soutenue. Or certaines séquences durent une heure et
plus. On note l'absence de pauses permettant de faire le point, de récapituler. Le temps de la mémorisation
en acte est renvoyé après la classe, à la maison. Un élève du cours moyen affirme : "On apprend à la maison
et on récite à l'école" ! L'école ne serait donc pas le lieu privilégié où l'on apprend.
L'organisation des connaissances est étroitement liée au support utilisé. On sait l'omniprésence des
photocopies qui ont envahi les cahiers. Les élèves, après un attentif et long découpage, collent avec soin,
répondent rapidement aux questions posées par "oui" ou par "non", comptent enfin les bonnes réponses.
Ont-ils réfléchi au contenu ? Un jeune inspecteur remarque : "Les fiches d'exercices systématiques... et
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même les fiches de découverte.. remplacent le plus souvent toute forme de leçon. C'est le papier qui fait la
classe".
Les cahiers, assez nombreux, sont surtout des supports d'exercices (ou de collages). On y trouve peu de
résumés structurants rédigés par les élèves eux-mêmes, ils ne constituent plus la mémoire des leçons du
jour. Les cahiers n'ont plus de mémoire et pourtant ils sont de plus en plus nombreux.
Le plus souvent, le manuel, qui était traditionnellement le principal outil de la mémoire après la leçon du
maître, n'est plus qu'un recueil de documents. Il n'est plus unique, n'est plus le support d'un apprentissage
continu, mais plutôt la source de photocopies ou le livre consulté occasionnellement dans le coinbibliothèque. Il n'offre plus à la mémoire des élèves une synthèse toute prête, mais des matériaux à travailler
pour "construire" eux-mêmes leurs connaissances. Cette construction, presque analogue à une fabrication
technique nouvelle, devrait renforcer la mémorisation en garantissant la compréhension (je comprends ce
que j'ai moi-même fabriqué) à condition qu'elle soit réussie, achevée, explicite. Il arrive souvent que les
élèves, confrontés à des tâches difficiles (analyser une documentation, repérer l'essentiel, rapprocher des
informations éparses) se contentent d'à peu près. La mémoire n'a plus alors d'objet précis.
Les outils individuels de la mémoire font donc souvent défaut, ce qui est peu favorable à l'efficacité du
travail autonome. Restent les outils collectifs. L'affichage mural, souvent abondant et esthétiquement réussi,
semble perçu globalement par les élèves comme une décoration. Ces "écrits-mémoire" sont peu utilisés. Le
dictionnaire, qui devrait enrichir la mémoire, peut au contraire décourager ou conduire à une surabondance
de significations possibles. C'est alors pour l'élève une avalanche de mots sans signification précise. Le
tableau, très souvent utilisé, reste l'outil fondamental qui associe mémoire visuelle et mémoire auditive. Un
tableau bien écrit et bien organisé est une aide puissante à la mémorisation. Il demeure, à tous les niveaux,
un outil irremplaçable. L'ardoise individuelle, bien utilisée, est aussi un "bon outil".
En fait, ce qu'on mémorise c'est sa propre activité mentale. La mémoire n'est pas un magnétophone mais une
activité. Elle traite l'information reçue pour la retenir. C'est pourquoi les documents qu'on a soi-même
élaborés valent mieux que les fiches toutes prêtes du commerce. L'engagement personnel dans une activité
est source de motivation et, pour retenir, il faut être intéressé. Les études dirigées peuvent donc être un
moment privilégié pour travailler sur la manière dont on apprend. Pour être authentique, le travail de
groupe, fréquent dans les classes, devrait être précédé d'un moment de travail personnel. Les aide-mémoire
individuels devraient être conseillés.
Le travail des élèves
Jadis, apprendre c'était apprendre par cœur, et le mot conserve ce sens pour la plupart des élèves. Mais les
leçons à réciter sont plus rares et l'appropriation des connaissances prend des formes multiples, mieux
reconnues aujourd'hui qu'hier. Apprendre n'a pas le même sens d'une matière à l'autre. Les élèves sont
généralement fiers de montrer ce qu'ils savent et de réciter ce qu'ils ont appris par cœur. Certains cependant
disent ne pas pouvoir (ou ne pas savoir) apprendre par cœur. En fait, l'apprentissage par cœur n'est pas la
seule forme de mémorisation. Dès l'école maternelle, la reconnaissance de mots qui associe image (photo,
graphismes), son et sens, l'évocation de comptines et de chansons, de souvenirs récents, relèvent de la
mémoire. A l'école élémentaire, le rappel des souvenirs prend aussi des formes variées : restitution d'une
histoire racontée dans les moments de langage (mémoire des mots et du sens), lecture puis réponse à un
questionnaire (mémoire du sens), reconstitution d'un texte, autodictée d'un texte étudié la veille ....
La lutte contre l'habitude de réciter sans comprendre et la diversification des pratiques pédagogiques ont
entraîné un net recul de la récitation par cœur. Il n'est pas sûr qu'on apprécie toujours correctement l'intérêt
multiple de cet exercice, quand il est bien conduit : mémoire des mots et du sens, éveil de la sensibilité,
imprégnation culturelle, accès au patrimoine, constitution de repères...
Bien des exercices proposés en classe donnent lieu à une évaluation indirecte de la mémoire des élèves. Il en
est ainsi quand il n'y a ni rappel, ni reconnaissance d'un savoir précis étudié précédemment. C'est le cas de
l'évaluation du vocabulaire ou des procédures (ordre chronologique, ordre logique) acquis par les élèves on
ne sait où ni quand, par le moyen d'exercices à trous (mots à compléter ou à rectifier), de reconstitution de
textes (lecture-puzzle). La fréquence de ces exercices, aujourd'hui, correspond à leur importance réelle,
puisqu'ils permettent d'exercer (et d'évaluer) la mémoire permanente, implicite, la plus précieuse, celle du
sens (maîtrise du vocabulaire, des structures logiques), qui fournit ses outils au travail intellectuel. Cette
mémoire sémantique a été mise en valeur depuis les années 1960 : elle constitue les cadres dans lesquels
viennent s'organiser les connaissances particulières. Nous apprenons d'autant plus facilement que cette
mémoire-bibliothèque est déjà mieux documentée. Il convient donc de l'enrichir et de bien la constituer par
un apprentissage raisonné et explicite. Mais souvent l'évaluation se substitue ici à l'apprentissage.
L'apprentissage de la lecture est l'exercice fondamental de l'école élémentaire. La pratique de la lecture
silencieuse, "avec les yeux", est largement répandue. Or, selon certains chercheurs, la vocalisation serait
essentielle en matière de mémorisation car la lecture normale s'accompagnerait d'une vocalisation, à voix
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basse chez l'enfant, intériorisée chez l'adulte. La suppression de la vocalisation provoquerait, en
conséquence, "une baisse de mémoire". Cependant, seule la mémoire du sens des mots, de la phrase lue, du
récit... permet de comprendre. Quand, de plus, la saisie du sens du texte lu est la condition d'une opération
plus complexe (résolution de problème, comparaison ou exploitation de documents ...) on mesure la perte de
moyens et l'embarras que peut dissimuler la suppression de la subvocalisation. Beaucoup d'élèves
s'habituent au travail approximatif, inachevé ou simulé, et n'accèdent pas à la joie de comprendre vraiment.
L'utilisation de la BCD est souvent associée au plaisir de lire (bandes dessinées, contes...) de manière peutêtre moins scolaire, ou à l'engagement dans un travail autonome de recherche. Par la motivation qu'elle
suscite, elle est donc favorable à la mémorisation. Cependant les outils individuels de la mémoire font
souvent défaut (aide-mémoire personnels) et, pour certains maîtres, la BCD doit désormais décharger la
mémoire des informations aisément disponibles. Encore faut-il distinguer l'essentiel, qui est toujours à
retenir, de l'accessoire, qu'il suffira de retrouver. Il convient d'apprendre à structurer sa mémoire. La
fréquentation inconsidérée des fichiers ou des rayons d'une bibliothèque, comme l'abondance des
informations, pourrait laisser croire que tout se vaut : l'ordre alphabétique se substitue à tout autre. De plus,
l'exploitation des documents est souvent conçue par le maître et perçue par les élèves comme un
apprentissage exclusivement méthodologique : seule compte la procédure mise en œuvre, son résultat retient
peu l'attention. Des automatismes sont mis en place, mais la fixation de nouvelles connaissances est moins
sûre.
L'utilisation de questionnaires à choix multiples (QCM) est relativement fréquente en raison de sa
commodité et de sa rigueur ; elle comporte de plus un aspect ludique qui semble favoriser l'apprentissage.
En fait, l'évaluation tient lieu ici d'apprentissage. Le QCM ne propose aucune procédure de découverte
(analyse, analogie...) mais permet seulement la reconnaissance d'une information stockée en mémoire à
l'aide de l'indice le plus efficace de tous, l'information cherchée elle-même (présentée au milieu d'autres).
Cette procédure de reconnaissance est plus favorable aux élèves en difficulté que le rappel libre, sans
indices, sur feuille blanche. Elle permet une exploration plus large des acquisitions de la mémoire : les
connaissances qu'on croit perdues se révèlent présentes. Mais en ôtant l'élément reconnu de son contexte,
elle néglige l'organisation de la mémoire et dispense de l'effort réfléchi de remémoration. Son utilisation
fréquente ne serait pas sans inconvénients pour la structuration de la mémoire des élèves.
Plus généralement, tout appel à la réflexion mobilise connaissances et compétences stockées en mémoire
dans une composition nouvelle (résolution de problème, production d'écrits) qui est une création.
Autonomie et créativité se nourrissent de culture, de connaissances bien ancrées, c'est-à-dire de mémoire. Le
réinvestissement des acquis dans des contextes nouveaux permet le passage des souvenirs aux
connaissances, de données concrètes liées à telle ou telle expérience aux concepts universels. Ce
mouvement ne rejette pas la mémoire au profit de l'intelligence ; il la consolide (passage de la mémoire dite
épisodique à court terme à la mémoire sémantique à long terme).
CONCLUSION
L'enquête a montré que les capacités des élèves à comprendre et à apprendre sont souvent sous-estimées.
Les élèves sont en quête de méthodes de travail et de repères. Ils sont victimes du préjugé selon lequel il
suffit d'avoir compris une fois pour retenir. De plus, on oppose à tort mémoire et compréhension, alors que
l'une est la condition de l'autre, la compréhension exigeant la mémoire de nombreuses informations et des
procédures logiques. C'est pourquoi apprendre et comprendre, loin de s'exclure, se renforcent mutuellement.
La construction des connaissances suppose des moments de sédimentation puis de réactivation pour aller à
l'essentiel.
A l'âge de l'audiovisuel et de la redécouverte du corps, on ne saurait méconnaître le rôle fondamental de la
mémoire visuelle et auditive, de la mémoire du geste et du corps qui contribuent à asseoir les connaissances
par la mise en place d'automatismes (comptine des nombres entiers, tables de multiplication, moyens
mnémotechniques, ...). Ces automatismes libèrent l'esprit pour des opérations plus complexes, accroissent
son pouvoir. Ici prend place l'apprentissage par cœur de poèmes, par exemple, dont la restitution doit être
fidèle tout comme le ton de la " récitation " doit être juste si la compréhension en est assurée.
La mémoire de la langue, mémoire des mots et du sens, n'est pas suffisamment développée, travaillée,
enrichie, comme si la langue était donnée une fois pour toutes. On a pu montrer expérimentalement le rôle
de la mémoire des concepts (mémoire sémantique) dans la réussite scolaire, c'est-à-dire de la richesse du
vocabulaire. Grande est la responsabilité du cycle 3 sur ce point.
Enfin le discrédit jeté sur la mémoire, conçue longtemps comme la restitution aveugle du passé ou une
forme d'habitude verbale, ne résiste plus aux progrès des sciences cognitives depuis le développement de
l'informatique et le rôle qu'y jouent les "mémoires" de la machine.
On pense aujourd'hui que l'apprentissage par cœur lui-même n'est pas une simple répétition mais un cocktail
de groupements (petites phrases, images, catégories) propre à chaque sujet et qui suppose une forme
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d'organisation subjective. Aujourd'hui la mémoire est considérée comme un système de traitement de
l'information capable d'opérations multiples (encodage, stockage, reconnaissance, rappel) et comme l'une
des composantes de base des activités mentales plus complexes.
Le rôle du maître n'est-il pas d'aider à comprendre et à retenir, d'aider à retrouver puis à choisir, et à créer,
pour que se construise et se structure, chaque jour un peu plus, l'adulte responsable de demain ?
[Ce compte-rendu d'une enquête récemment effectuée par l'Inspection générale est publié ici avec l'aimable autorisation de son
auteur, Monsieur l'Inspecteur général de l'Education nationale A. Bouchez, Doyen du groupe de l'enseignement primaire]
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Annexe 2
Document recueilli sur l’excellent site Mnemo de nos amis
québécois :http://www.mnemo.qc.ca/html/bulletin.html
Planté Gilles :Qu’est ce que la turlutte ?
Un flûtiste et théoricien allemand de grand renom, Johann Joachim Quantz, qui
vivait au XVIIIe siècle, a écrit un important traité sur l’art de jouer de la flûte. Or il
remplace systématiquement les « turelurelu » des traités italiens et français par des «
did’ll did‘ll » qui donnent le même effet. Cela tiendrait à ce que les Allemands éprouvent
quelques difficultés à prononcer les TURU du bout de la langue familiers aux peuples
latins.
Extrait de la méthode de flûte de J.-J. Quantz, préconisant l’emploi de didll’didll’di pour les passages rapides. Versuch
einer anweisung die flute traversiere zu spielen, J.-J. Quantz, Breslau, 1789
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