cefedem bretagne pays de loire septembre 2005 de l`utilisation de la
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cefedem bretagne pays de loire septembre 2005 de l`utilisation de la
CEFEDEM BRETAGNE PAYS DE LOIRE SEPTEMBRE 2005 DE L’UTILISATION DE LA MEMOIRE DANS LES PROCESSUS D’APPRENTISSAGE DE LA MUSIQUE THIERRY LE GALLO 01/09/2005 SOMMAIRE INTRODUCTION………………………………………………………………………….p.3 1. Etat des lieux, mémoire et tradition…………………………………….....p.7 • • • • • • • • • L'apprentissage………………………………………….……….p.7 La chanson comme moyen mnémotechnique:…………..………p.8 Pas unique à la Bretagne :"la musique des violoneux"……...…..p.9 La prise de contact avec l'instrument comme préalable..………p.11 Le souvenir, le rappel ………………………………….………p.12 L'invention, la variation: ……………………………………….p.13 la mémoire "collective": ………………………………………..p.14 aussi à l’étranger :l’exemple de la seisiun……………………...p.15 Les possibilités perceptives ……………………………………p.16 2. Comment apprend-t-on aujourd’hui ?…………………………………...p.18 • L’apprentissage de la musique "traditionnelle" aujourd’hui.…. p.18 • Utilisation de la mémoire chez les élèves lecteurs et non- lecteurs………………………………………………………….p.18 • Une question de génération ? ……....…………………………..p.19 • Besoin de mémoire?……..………..…………………………….p21 • La mémoire est-elle moins sollicitée, moins entraînée aujourd’hui………………...……………………………….……p22 3. La mémoire, un outil d’apprentissage à affûter.……………………….p.25 • un outil supplémentaire pour apprendre et comprendre……….p.25 • Existe-t-il une méthode fiable de mémorisation ?……………...p.27 • Les solutions trouvées aux problèmes ………………………………p.28 • Les critiques prévisibles ………………………………………………p.30 Conclusion………………………………………………………...………………………p. 31 Bibliographie………………………………………………………………………………p.33 Annexes…………………………………………………………………………………….p.34 2 INTRODUCTION Le choix de ce sujet est lié à de nombreuses questions personnelles au sujet de la mémoire, notamment dans la pratique musicale, notamment en musique traditionnelle. Lors du jeu avec un musicien traditionnel, l'étonnement est souvent présent devant l'étendue du répertoire de celui-ci, devant son savoir. Entendre une chanson inconnue chantée par un proche de sa famille qui puise dans sa mémoire et la mémoire collective pour réjouir la compagnie, une fois la surprise (et le bonheur) passée pose aussi la question de cette mémoire. La capacité de mémorisation d'amis musiciens (certains partis trop tôt) m'a montré qu'il était possible de développer ce talent. En effet, il semble que derrière la forêt de la transmission et de l’enseignement, se cache l’arbre de la mémoire du sujet enseigné, de l’élève. Quel serait le problème? En musique traditionnelle (et en musique en général), le musicien doit se souvenir rapidement d'un grand nombre d'airs et, afin de les adapter parfaitement à leurs fonctions (danse, veillée, repas), de les interpréter, les connaître par cœur, jouer (idéalement) sans partitions, sans tablatures. Cela nécessite un entraînement de la mémoire et une capacité à retrouver les airs souhaités (par le musicien lui-même ou le public) voire un certain talent! Il s'agit pour un musicien régulièrement demandé, reconnu (même localement), d'avoir en mémoire au minimum une centaine d'airs. L'exercice le plus périlleux étant parfois de jouer « à la demande » du public (ce qui arrive pour la danse, par exemple). 3 Il se pourrait que ce soit une des conditions de la réussite d'un enseignement de musique traditionnelle, ceci nécessitant un investissement important et émotionnel. Ayant ouvert une boite de Pandore, j’ai du (difficilement) préciser le champ de ma recherche, me limitant volontairement à un survol du sujet de la mémoire appliqué au domaine de l’enseignement de la musique traditionnelle. Je proposerais dans une première partie des exemples où la mémoire est sollicitée dans la tradition (soit pour acquérir, soit pour transmettre). Dans une deuxième partie, je tenterais de mettre en évidence les phénomènes en jeu en les mettant en rapport avec différentes approches pédagogiques et scientifiques, sans aller jusqu'à l'exposé scientifique sur les différents travaux sur le fonctionnement de la mémoire qui serait assez long et déplacé. Mon travail en amont et ma recherche documentaire se sont néanmoins référés à ceux-ci (Freinet, de la Garanderie). Enfin dans une troisième partie, j'envisagerais les pistes de travail possible et les applications de mes "découvertes" à l'enseignement de la musique "traditionnelle" dans un contexte d'aujourd'hui. Bien sur un grand nombre de musiciens vous diront qu'ils utilisent la partition ou la tablature à seule fin d'aide-mémoire. Et rapidement, la plupart du temps, j’ai constaté la dépendance et de fait, la sous-utilisation de la mémoire en même temps qu'une efficacité certaine (ces musiciens sont en effet toujours surs de retrouver l’air prévu). Le musicien (à juste titre parfois) écrit ses variations (nées de ses recherches ou de ses improvisations) pour s’en souvenir et les rejouer à l'identique, en lisant. La liberté de variation et d’improvisation dont dispose le musicien « routinier » a disparu. Si la précision, la technicité, la sûreté du jeu y gagne, la qualité de l'interprétation (le fameux "feeling" et autres "tripes" dans l'argot de musicien) 4 s'en ressent tout naturellement. Enfin dans une pratique populaire et amateur de ces musiques, il est bon de savoir composer spontanément avec les envies de ses partenaires. La suite d'airs habituels ne sera pas jouée dans le même ordre, il pourra y être intercalé une autre mélodie. Autant de situations où la mémoire du musicien est sollicitée et doit-être entraînée à ces exercices. De plus, il est du plus mauvais effet dans le milieu des musiques traditionnelles de sortir le pupitre et les cahiers au moment de jouer, preuves dans l'esprit du public (ou des collègues) que vous ne connaissez pas ce que vous allez jouer. Les artifices et l'ingéniosité sont alors sans limite pour la recherche d'une solution. Qui connaît les minuscules portées (réellement écrites en pattes de mouche!) du minuscule cahier d'un ami cornemuseux, redoutable animateur de parquet de danses, les feuilles sur les retours de scène (haut-parleur situé en face du musicien), au sol, collées au dos de la caisse de guitare, du clavier de la vielle, dans la boite de l'instrument, les écouteurs du MD (dans la poche de chemise) en oreillette, etc. Certains nous disent même visualiser l'image (mémorisée) de la partition voyant celle-ci se dérouler sous leurs yeux (en haut et à gauche !) au fur et à mesure de leur interprétation. (mémoire visuelle et PNL).1 De même pour un chanteur de sortir son cahier de chansons pendant le repas ou le concert. Un "vrai" chanteur doit pouvoir aller jusqu'à la fin de sa chanson sans se tromper et sans oubli, en tout cas en donnant l'illusion d'avoir maîtrisé ses éléments de bout en bout. Tour de force salué par l'ensemble de l'assemblée quand il s'agit d'une mélodie aux très nombreux couplets. Nous sommes bien loin des prompteurs (écran sur lequel défile le texte) du monde des variétés ou du journal télévisé. 1 La lettre du musicien, novembre 2005 5 Notre utilisation de la mémoire est-elle si différente de celle des anciens représentants d'une société rurale paysanne que nous évoque Mendras 1 quand il nous parle de la transmission du savoir cultiver dans la société traditionnelle, exemple de comment se souvient le paysan (et de l'importance du souvenir dans le savoir): on ne sait que ce dont on se souvient, ce qui a été transmis par le père puisqu'on ne peut retrouver ce savoir autrement (livre, enseignant, maître): opposition scolastique/ tradition MENDRAS , Henri, La fin des paysans, Actes sud, 1984, réédition Babel/Actes Sud, 1992, p 75-77 1 6 Etat des lieux, mémoire et tradition L'apprentissage: "- Une imprégnation se faisait obligatoirement dès l'enfance, y compris dans le sujet le plus passif, par la répétition de certaines chansons qu'on entendait à peu près partout et qui étaient le plus souvent chantées en alternance. C'était le cas en particulier des chansons à décompter et des monorimes. Plus le texte est bref, plus il est découpé en strophes brèves ou du fait de l'alternance et plus facilement la mémoire le retient. La musique s'inscrivait sans effort dans la mémoire ainsi que des formules poétiques, des phrases qui, tout naturellement, revenaient à la surface quand on était sollicité pour "répondre" une chanson avec d’autres chanteurs. - Cette imprégnation ne suffisait pas cependant pour mémoriser de façon cohérente une chanson à texte si le désir d'apprendre ne poussait pas l'auditeur à l’attention. On verra plus loin que les jeunes de 1965 ne connaissaient pour la plupart que la première strophe de quelques chansons, faute de motivation. Dans le cas d'une chanson fréquemment chantée en alternance, la mémorisation ne posait aucun problème tant que l'oralité fut prédominante; il suffisait d’être tout à fait attentif, de participer, puis de repasser la chanson dans sa tête pendant les moments de solitude, travail ou insomnies. S'il s'agissait d'une chanson entendue dans les mêmes conditions mais de la bouche de chanteurs qu’on ne réentendrait pas de si tôt, on jouait généralement d'astuces pour la leur faire reprendre autant de fois que nécessaire : flatteries et prolongation de la rencontre étaient de bonne guerre. Entendait-on au passage, par exemple au retour quotidien de l'école, un chanteur dont le répertoire plaisait, on refaisait le détour chaque soir, s’attardant autant que nécessaire, quitte à être grondé à l'arrivée à la maison. Quand un informateur affirme : « Il m'avait dit, "Je vais t'en chanter une qui est difficile, tu ne pourras pas la répéter celle-là! "Eh ben ! il l'avait chantée 7 qu'une fois et je l'avais chantée complètement aussitôt !", c'est rarement tout à fait exact mais certains paysans, surtout quand ils étaient avides d'apprendre, étaient doués d'une grande puissance de concentration et mémorisaient de façon tout à fait étonnante pour notre époque. Ensuite, on se remémorait, on "serinait" la nouvelle acquisition, au besoin on notait les mots clés retenus et si, malgré tout, le résultat n'était pas tout à fait satisfaisant encore, il restait deux possibilités : soit guetter ou provoquer une nouvelle occasion d'entendre la chanson, soit arranger au mieux ce qu’on avait retenu. Ceci se produisait parfois très consciemment et plusieurs informateurs se sont flattés de l’avoir pratiqué, d'autres ont essayé de le dissimuler. Mais, le plus souvent, cet "arrangement"- qui parfois dérangeait plus qu'il n'arrangea, - se faisait sans intention explicite ; les confusions, mélanges, déformations diverses, tant de la mélodie que du texte littéraire, étaient multiples. Il suffit de comparer deux interprétations d'une même chanson pour en être convaincu. Le répertoire traditionnel local le plus répandu, le plus populaire, était transmis par l'ensemble des voisins et parents et surtout par ceux avec qui l’on travaillait le plus souvent en équipe d'entraide, y compris les "petits chanteurs", expression fréquemment entendue et quelque peu péjorative dans la bouche de ceux qui s'étonnaient que soient enregistrés certains chanteurs peu réputés."1 La chanson comme moyen mnémotechnique: "Techniques et styles de jeu dépendent pour une bonne partie du répertoire luimême. Les airs à la marche servent à accompagner le chant. De même, les airs de rondes (ronds du Penthièvre, draous, tours, passe-pieds, gavottes) sont toujours des chants à danser. En revanche, certains airs de contredanses 1 L. RADIOYES, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions, 1995 8 présentent des éléments musicaux propres à la musique instrumentale (ambitus élargi, phrases longues, rythmique complexe, ornementation subtile, etc.). Pourtant, que ce soit dans les quadrilles, les dérobées ou dans les danses par couple, on reconnaît une coupe nettement vocale et il est très fréquent que le violoneux chante en jouant, ou du moins utilise l'incipit littéraire comme procédé mnémotechnique"1 "Comme c'est le cas pour la plus grande partie du répertoire des ménétriers que nous avons rencontré en Bretagne, la dénomination des airs d'avant-deux passe par le texte littéraire qu'ils supportent. L'emprise du vocal sur l'instrumental est telle que les musiciens routiniers sont contraints d'utiliser les notes d'avant-deux comme moyen mnémotechnique. C'est pourquoi ils baptisent spontanément un air par le thème littéraire de la chansonnette à laquelle il est le plus souvent lié. Ainsi parle-t-on de "l'avant-deux des boudins" à Carquefou (44), de "l'avantdeux des rideaux" à Cuguen..."2 Avant deux de Pléboulle « Marie, avance tes cotillons Vis à vis d’mes braies à braguette(eu) Marie, avance tes cotillons Vis à vis d’mes braies à boutons » chantée par Jacqueline Blanchard, Quintin, décembre 1999 Pas unique à la Bretagne : La référence aux airs chantés se retrouve dans d'autres traditions de violon ailleurs en France: "LA MUSIQUE DES VIOLONEUX": « Du rigodon chanté au rigodon 1 Y. Defrance, L'archipel des musiques bretonnes, Actes sud, p 116 2 Y.Defrance, musiques traditionnelles de Bretagne 2-Etude du répertoire à danser, Skol Vreizh, mars 1998- N°39 9 joué" : "La musique de violon n'est pas isolée mais constitue plutôt l'un des volets d'un triptyque dont le premier serait le chant et le troisième la danse. En effet, environ 80% du répertoire joué au violon est ou a été chanté, à un moment ou à un autre. En témoignent les faibles ambitus des mélodies, adaptés à la voix, ainsi que la présence très fréquente de paroles pour les rigodons, mais aussi les polkas, les scottishes, les marches, les aubades... Cette relation très forte entre le répertoire de musique jouée au violon et le répertoire chanté est donc, entre autres indices, confirmée par l'abondance des refrains à danser. Elle se vérifie au-delà du répertoire traditionnel, puisqu'en majorité, les valses, javas, paso dobles, mazurkas... sont à l'origine des chansons apprises par l'intermédiaire de petits formats de partitions, vendus sur les marchés de La Mure et de Gap, ou entendus à la TSF. Il s'agit ici d'un principe répandu dans les répertoires populaires, le chant pouvant constituer, avec l'aide des paroles, un support mémoriel pour l'apprentissage des mélodies. Ainsi, se confirme la circulation des répertoires, le même rigodon joué et chanté dans le Champsaur se retrouvant sous une forme voisine ( paroles et musiques) en Trieves, sur le plateau du Coiron, jusqu'à la limite des Cévennes ardéchoises : le prototype du genre est le rigodon construit sur une structure généralement mesurée à 6/4, et comportant l'incipit « Las fillas de » suivi par le nom du village : lo Mas Chagny, de vers Meyet, de Saint Bonnet... Dans un même ordre d'idée, l'échange a pu se faire à l'inverse. Les chanteurs de rigodons avaient l'habitude, après avoir épuisé les quelques paroles à leur disposition, d'utiliser des onomatopées. Si certaines sont anodines, du type la la la, d'autres, utilisées d'ailleurs par certains violoneux lors de l'identification chantée des mélodies, sont plus sophistiquées et peuvent avoir un certain rapport avec le jeu de violon et 10 notamment l'accentuation à l'archet sur laquelle nous reviendrons plus loin. Il est ainsi troublant de retrouver l'utilisation des même syllabes a li la li la ou a ni na ni na, organisées parfois à l'identique dans la mise en valeur de la levée, du temps fort et du temps faible, pour scander le rigodon à la voix, chez un violoneux du Champsaur, une chanteuse du Trièves ou un chanteur du Coiron. Faut-il y voir une alternative rythmique ou le chanteur tenterait d'imiter le violon? Pour que notre propos soit complet, il convient de préciser, surtout pour le rigodon, que ces refrains à danser sont toujours en occitan, et il est clair que l'accentuation à l'archet, le phrasé du violoneux est en rapport direct avec les accents de la langue qu'il utilisait. Pour s'en convaincre il suffit d'écouter à la suite les versions chantées et les versions jouées, ou encore mieux, de superposer quelques partitions des interprétations où seront notées les accents rythmiques. Ces comparaisons nous permettent d'entrevoir les liens entre les versions chantées et les versions instrumentales, qui dans certains cas sont nettement plus sophistiquées".1 La prise de contact avec l'instrument comme préalable: "Que ce soit à la bombarde, au violon, à la vielle , à la clarinette, à l'accordéon, nous n'avons jamais rencontré de musicien capable de se mettre en train dès la première note. La prise de contact avec l'émetteur sonore, objet intermédiaire, s'avère dans tous les cas indispensable. Pour se délier les doigts, pour s'accorder, pour retrouver l'air qu'il souhaite interpréter, mais aussi pour préparer l'auditoire, Patrick Mazellier, Violoneux traditionnels en Dauphiné in Violon populaire, le caméléon merveilleux, Modal Famdt 2003 p 25 1 11 le musicien a besoin de jouer un court moment avant d'attaquer pour de bon. »1 Le souvenir, le rappel Il est difficile de se rappeler un air "oublié" y compris et surtout quand il s'agit d'une mélodie appréciée. Yves Defrance nous évoque la difficulté du rappel et sa douleur parfois : "Par ailleurs le manque de référence écrite, ne serait-ce qu'à titre de pensebête, oblige chaque ménétrier à puiser dans sa mémoire les airs qui y sont stockés. Assez fréquemment, nos informateurs nous donnèrent le spectacle d'une véritable souffrance à sonder leurs souvenirs. De leur propre aveu, cet exercice leur était très pénible."2. Souvent lors de veillées, il y a ceux qui se souviennent des airs ou des chansons (chante nous celle-ci!), qui servent de déclencheurs aux interprètes, aux "meneurs" comme les nomment L. Radioyes (ceux qui chantent "bien"). Généralement, lors de premières collectes, il est fréquent d'entendre des airs connus, déjà entendus par ailleurs. C'est le plus souvent après le passage du collecteur que le "collecté" dont la mémoire a été sollicitée, excitée, va se rappeler de mélodies moins fréquentes, moins courantes. Une fois encore, si l'air n'est pas noté (écriture des paroles), enregistré (k7, répondeur selon Jorj Belz), celui-ci pourra être de nouveau oublié puis retrouvé. "En effet, la mémoire peut-être excellente, elle n'enregistre qu'à l'appel d'un DEFRANCE,Yves, Musiques traditionnelles de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, vol. 2, 1998 p75 2 DEFRANCE,Yves, Musiques traditionnelles de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, vol. 2, 1998 p76 1 12 regard curieux et intéressé; on ne voit et n'entend bien que ce qu'on goûte" 1 , Jean-Michel Guilcher évoque les garçons d'un village allant ensemble écouter un ton pour s'en rappeler et s'en resservir: "Les anciens chanteurs traditionnels disent volontiers l'attention passionnée qu'ils portaient à leurs concurrents d'autres localités dans les mariages, foires et pardons où se mêlaient des danseurs venus de plusieurs terroirs. Plus d'un, pour s'approprier un «ton» qui l'avait séduit, demandait l'aide de son co-équipier (« Écoute bien, et tâche de te rappeler»). Parfois tous les jeunes gens d'un même village s'y appliquaient ensemble. Au retour, chacun fouillait sa mémoire, disait ce qu'il avait retenu. Les souvenirs ne coïncidaient pas toujours. Ou encore la mémoire ne livrait que des fragments. Il fallait bien s'en accommoder, choisir, compléter au besoin, soit en inventant, soit avec des réminiscences d'autres airs. Nous avons rencontré des informateurs parfaitement conscients de toutes ces opérations. «Quelquefois, disait l'un d'eux, l'air véritable revenait à l'esprit quelques jours après. On était bien content de le retrouver. Mais celui qu'on avait arrangé continuait de servir aussi. »2 L'invention, la variation: Dans un même ordre d'idée (la variation ou l'invention grâce à la mémorisation) mais ouvrant le champ d'une autre recherche possible, Jean-Michel Guilcher évoque une chanteuse (sûrement Catherine Guern) qui lui chante plusieurs fois la même chanson (son) mais à chaque fois sur un air (ton) différent. Comme J.M. Guilcher le lui fait remarquer, la chanteuse soutiendra lui avoir chanté la même chose à chaque fois. "A mesure que l'intérêt passe de l'air aux paroles, le rythme et la ligne mélodique perdent en liberté. Le premier des exemples ci-après donne une idée de l'évolution du « ton » en cours d'exécution. Il rapproche le tout premier couplet (sans paroles) d'une chanson, le premier couplet où apparaissent des paroles, enfin la ligne commune aux derniers, où dessin L. RADIOYES, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions, 1995 p86 2 Guilcher Jean-Michel La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne Mouton 1976 p 271-272 1 13 et rythme sont stabilisés. La même chanteuse, reprenant ce même air (avec d'autres paroles) au cours de la même journée, soit seule soit avec une «déchanteuse», y préludait de façons si différentes qu'on croirait à des mélodies entièrement distinctes si la similitude n'apparaissait ultérieurement dans l'air enfin fixé, et surtout si l'informatrice n'affirmait catégoriquement qu'il s'agit d'un seul et même « ton ».1 la mémoire "collective": La pratique du chant en groupe se fait aussi grâce à l'aide des autres. Le temps de la "réponse" est consacré à la préparation du couplet suivant par le chanteur. Si un défaut de mémoire se fait jour, il y a souvent un des participants prêt à prendre le relais. L'échec de la réalisation complète du chant serait vécue comme négative par tous les participants. Il y a un bel exemple dans le film « Job Kerlagat » de Philippe Durand (productions FR3) que Roland Becker nous a présenté: ce chanteur a un "trou" de mémoire dans une chanson à table : il essaie de rechanter le couplet précédent pensant retrouver la suite et... ça ne revient pas. Un moment de tension est alors perceptible autour de la table. Alors on entend sa voisine marmonner "la suite" lui permettant de retrouver le fil et d'enchaîner. J'ai rencontré cette situation auprès d'une chanteuse d'Yvignac (22) : cette femme chantait souvent dans les réunions familiales un répertoire connu de l'auditoire. Il lui arrivait (à son âge avancé) de perdre le fil de sa chanson. Alors il y avait toujours quelqu'un pour lui lancer la phrase oubliée, un mot parfois qui suffisait à la relancer. Guilcher Jean-Michel La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne Mouton 1976 p 247-248 1 14 L’exemple de la seisiun : Comment enchaîne-t-on un reel sur un autre en session de musique traditionnelle irlandaise?, comment apprend-on cette musique ?: Le musicien de session (seisiun) sait (au préalable) qu'il va devoir jouer sans partition un grand nombre d'airs (de l'ordre de la centaine pour une session "standard"). Il sait d'autre part qu'il devra enchaîner plusieurs mélodies dans des suites (de trois ou quatre mélodies voire plus). Enfin, il sait aussi qu'il devra composer avec les autres musiciens présents, ceux-ci ne jouant pas obligatoirement le répertoire habituellement joué par lui-même. Des listes de suite de reels "habituels" circulent mais il peut toujours arriver qu'un musicien (inspiré) décide d'intégrer un air différent dans une suite ou d'en ajouter un nouveau ou de bouleverser l'ordonnancement d'une suite. La règle du jeu de la session étant de pouvoir enchaîner avec ce musicien dans une sorte de joute, le musicien de session est obligé (avec plaisir) d'intégrer un très grand nombre d'airs, c’est un exercice de volonté. Bien sur, la pratique régulière, hebdomadaire, la répétition permet d'acquérir des réflexes (le musicien a déjà joué cet air ou cet enchaînement la semaine précédente et celle d'avant, tel air lui en rappelle un autre, etc...). La structure des airs est souvent la même (AABB). Les mêmes tonalités reviennent fréquemment. Enfin, et c'est une hypothèse (et un peu d’humour !), les sessions ont généralement lieu en soirée (fin vers 1h du matin) et le musicien va donc dormir après avoir pratiqué intensément son art, un grand nombre d'airs dans la tête. Or, le sommeil (s'il est de qualité) joue un rôle très important dans la mémorisation. On peut supposer que cette condition va influer sur les souvenirs du musicien. 15 Les possibilités perceptives : Mémoire du toucher : Exemple du chansonnier aveugle et illettré de Plouguiel, Iann ar Gwenn (17741849): "Là, assis au coin du feu, en compagnie de Marie Petibon, sa femme, il pratiquait son art et cousait des vers bretons l'un à l'autre. Le couplet terminé, il taillait dans un morceau de bois une coche à la manière des boulangers; lui seul pouvait "relire" ce qu'il sculptait à la pointe de son couteau" cochant des lattes de bois (sorte de Braille rustique) pour se rappeler ses chansons"1 Mémoire auditive : L'exemple de Victor Mouazé (1910/1992), dernier violoneux du pays de Dol est édifiant. "Victor se souvient de la noce et du sonnou: "j'ai regardé marcher ses doigts, un moment il a posé son violon pour bourrer sa pipe, alors moi, à côté de lui, j'ai fait sonner les quatre cordes, pour entendre la distance qu'il y avait entre chacune, et j'ai su accorder mon violon"2 Mémoire visuelle et gestuelle: Mon père (né en 1932) m'emmène voir un ancien voisin (de sa ferme). Celui-ci nous montre un tour à bois qu'il a réalisé avec une boite de vitesse de Peugeot 403, merveille de bricolage paysan. Encore plus étonnant, il nous présente ses réalisations tournées d'excellente facture dans mon souvenir. Enfin, il nous explique comment il a réalisé des appliques murales pour sa fille. De passage à Paris pour visiter celle-ci, sa fille lui dit son intention de posséder un modèle d'applique en vente au BHV (grand magasin parisien). Notre compère nous Daniel Giraudon Chansons populaires de Basse-Bretagne sur feuilles volantes Skol Vreizh Morlaix 1985 n°2/3. 2 LEMOU Pierrick, Sonneurs de violon en Bretagne, Anthologie des Chants et musiques deBretagne/Volume 5, Le Chasse-Marée/Ar Men, SCM 031 1 16 explique alors, geste à l'appui, comment il est allé relever les cotes en magasin (à Paris) avec pour unique outil ses mains (il nous fait le geste en écartant pouce et index). Puis, comment de retour en Bretagne, il a reproduit les modèles désirés de mémoire. Nous n'avons pas pu voir les modèles originaux mais il était bien persuadé d'avoir copié les mêmes objets et ses copies étaient très convaincantes. Dans ces exemples caricaturaux, il est frappant de constater les possibilités sousestimées (encore aujourd'hui) de la mémoire. 17 Comment apprend-t-on aujourd’hui ? Comment apprend-t-on la musique "traditionnelle"? aujourd’hui : Cette partie aurait aussi pu s’intituler : comment j’ai appris à jouer et comment j’ai appris à retransmettre auprès de musiciens traditionnels et de collecteurs. La méthode généralement utilisée pour la transmission d'un air est sommairement la suivante : le professeur expose le thème. Ensuite le professeur joue une fois les deux premières mesures de la partie A à un tempo plus lent. Celles-ci sont répétées par les élèves, le professeur rejoue et corrige jusqu'à l'obtention d'un résultat convenable. Puis on passe aux deux mesures suivantes qui sont apprises selon la même méthode. Enfin on jouera ces quatre mesures en entier qui constitue la partie A et qui est le plus souvent doublée. On travaille ensuite la partie B de la même façon et on assemble le tout. Ensuite, on procèdera à l'enregistrement du professeur par l'élève et à la distribution éventuelle du support écrit (partitions, tablatures). Utilisation de la mémoire chez les élèves lecteurs et non lecteurs. L’élève lecteur aime le confort de la partition avant l’apprentissage mais bien souvent est incapable ensuite de s’en séparer allant jusqu’à noter (quand il le peut) les ornementations et autres liaisons. Plus curieux, est le fait de ne pas pouvoir jouer ensuite cet air simple « de mémoire », cette addiction à la partition. Ces élèves ont bien souvent un parcours scolaire sans embûches voire brillant, savent mémoriser un texte ou un théorème et pourtant ils butent sur ce problème. Aussi, j’essaie (avec plus ou moins de succès) de les initier à l’apprentissage d’oreille (repiquage de mélodie) en évitant de distribuer la partition au préalable de l’enseignement d’un nouveau thème. Ces élèves se dispensent souvent du travail préalable au cours, pouvant rejouer (relire) facilement sans effort de mémoire. A contrario, les élèves non-lecteurs (ou très récalcitrants à la lecture dus à des expériences douloureuses par le passé) apprécient cet enseignement oral ( et 18 comment faire autrement…). La répétition ne les dérange pas, l’expérimentation par l’erreur ne les déstabilise pas, et l’apprentissage est souvent plus rapide et plus fructueux (plus laborieux aussi...). L'attention doit alors être très importante et la difficulté est aussi présente (souffrance). La mémorisation n’est pourtant pas si évidente et souvent le besoin d’un support autre que partitions se manifeste (doigté supplémentaire, tablatures, enregistrement). Ce support ne servant bien souvent qu’à « retrouver » la mélodie enseignée. Ces élèves ont par contre plus besoin de travailler, de jouer, de répéter ( la mémorisation est-elle à ce prix ?). Un autre cas d’école : les élèves en accordéon diatonique sont très nombreux dans les écoles de musique traditionnelle. Ils apprennent avec des tablatures spécifiques. Certains élèves ont un bon niveau, aiment la musique qu’ils jouent, font danser et pourtant là encore, impossible de fermer le classeur ou de retrouver un air de tête. Dans le même temps, des élèves singent la lecture alors qu’ils jouent « visiblement » d’oreille (donc de mémoire ?). Une question de génération ?: Nous vivons aujourd'hui à une époque où notre mémoire est moins sollicitée que les générations précédentes : la scolarisation massive a généralisé l'alphabétisation, la lecture introduisant une émancipation non contestable auprès des populations rurales mais induisant aussi un recours moindre à la mémoire. Le savoir n'est plus seulement dans les têtes et les paroles mais peut se trouver dans les différentes formes que peut prendre l'écrit aujourd'hui. On peut retrouver facilement (quand on y est formé et habitué) un document écrit, nos souvenirs musicaux oubliés, en se référant au livre de cours, au dictionnaire, à l'encyclopédie, à l'enregistrement, au CD, à l'internet. Tous ces outils et l'apprentissage du solfège ont libéré nos élèves de l'obligation de 19 mémoriser. Le constat fait par L. Radioyes est malheureusement confirmé par cette Circulaire du 19 octobre 1960 « - la difficulté que nos écoliers actuels éprouvent à fixer leur attention sur un sujet déterminé ou même simplement à accomplir l'effort de mémoire nécessaire pour retenir les leçons qui leur sont enseignées ; - probablement aussi la tendance générale de notre époque à examiner toutes choses rapidement et superficiellement sans avoir le temps ou sans éprouver le besoin de creuser ou de réfléchir. »1 Les musiciens collectés ont souvent entendu les airs restitués dans leur jeunesse ( cf Radioyes). Leur mémoire des airs s'est construite sur la répétition. Dans cette société rurale où l'écrit était souvent absent ou rare (pas ou peu de livre, absence de signalisation routière), l'individu devait rechercher l'information, la trouver, et la conserver en mémoire. Je connais des exemples de représentants de cette société qui encore aujourd'hui restent insensibles à la carte routière et aux informations qu'elle contient, préférant (et de loin) recevoir cette information d'un proche oralement, information qui sera parfaitement mémorisée et réutilisable à volonté et même retransmise. De la même façon, ils préfèreront entendre la lecture du journal (bien que sachant lire) et bien sur, sont adeptes des informations télévisées ou radiodiffusées. Ces personnes souvent qualifiées de faux-lecteurs préfèrent utiliser leur mémoire (visuelle, auditive) 1 M. Lebettre , Le Directeur des enseignements élémentaires et complémentaires, Enseignements élémentaires et complémentaires, Circulaire du 19 octobre 1960,(B.O.. n° 29 du 27 octobre 1960),aux Recteurs (pour information) ; aux Inspecteurs d'Académie (pour exécution). 20 Besoin de mémoire?: Nous n’avons pas moins besoin de mémoire mais nous déléguons cette fonction à nos machines. Aujourd'hui elles font ce travail pour nous : mini K7 (déjà caduc), mini disc (pour se rappeler ce qu’on a joué, chanté), dictaphone, clé/lecteur usb mp3, agenda électronique (pour les rendez-vous), disque dur de l'ordinateur(pour retrouver un écrit, une production), téléphone portable (répertoire, agenda), GPS (pour les parcours), minuterie (pour les arrosages, la machine à laver, le chauffage), etc. Nous confions notre mémoire aux puces électroniques. Mais dans une situation où la présence de machines est délicate ou incongrue (ou en panne !), l'individu se retrouve à devoir solliciter sa mémoire et souvent se rend compte de sa dépendance (par exemple : impossibilité de retrouver un numéro de téléphone mis en mémoire du portable mais jamais appris).Il est surprenant de voir le développement actuel (et le succès) de ces appareils à mémoire, de plus en plus importante et puissante, transportable, dans le même temps où nous constatons une baisse de la capacité à mémoriser de nos contemporains. la mémoire est-elle moins sollicitée, moins entraînée aujourd’hui ?: Qu’est ce qu’apprendre par cœur ?, la répétition dans l’exercice de mémorisation. La querelle a fait rage dans les milieux enseignants (et plus largement dans la population) sur la remise en cause de l'apprentissage "par cœur " de leçons à réciter qui est de moins en moins fréquent. 21 "Le par cœur est non seulement inutile mais dangereux. Les repères que l'enfant [qui apprend par cœur] se donne sont pour la plupart étrangers à la signification du texte. Le plus grave est que cette forme d'apprentissage déshabitue l'enfant de la réflexion personnelle.... l'invite à croire qu'il est sans objet d'exercer son jugement et de faire preuve d'esprit critique. Il est plus simple d'apprendre que de comprendre et raisonner. Une telle attitude, faite de démission et de paresse intellectuelle, n'est guère de nature à préparer l'enfant à affronter les problèmes que lui posera sa vie d'adulte... Sur un plan plus général, habituer l'enfant à apprendre par cœur c'est, quoi qu'on en dise, le rendre perméable à toutes les suggestions, politiques ou autres... c'est en somme le vouer à la passivité intellectuelle et civique, en l'incitant à faire siens tous les conformismes du moment. Le savoir acquis par cœur est de qualité inférieure... et demeure le plus souvent verbal et superficiel... il se présente à l'esprit de manière compacte et monolithique. Il paraît sage de cantonner le 'par cœur' dans d'étroites limites".1 A cette lecture, on peut sentir les résistances du milieu enseignant à l’utilisation du « par cœur » Pourtant aujourd'hui, beaucoup concèdent des valeurs certaines à cet enseignement s'il est effectué avec l'objectif de réutiliser ce savoir. L'objectif n'étant pas de remplir la tête de l'élève de connaissances inutiles voire abstraites mais bien de former une mémoire "opérationnelle", comparative. « On pense aujourd'hui que l'apprentissage par cœur lui-même n'est pas une simple répétition mais un cocktail de groupements (petites phrases, images, catégories) propre à chaque sujet et qui suppose une forme d'organisation subjective. Aujourd'hui la mémoire est considérée comme un système de traitement de l'information capable d'opérations multiples (encodage, stockage, reconnaissance, rappel) et comme l'une des composantes de base des activités mentales plus complexes. »2 Malheureusement, ce débat a provoqué des résistances inédites et une réaction 1 [Pierre Giolitto, in Education Nationale, n° 57 du 19 février 1970, p. 25.] A.Bouchez , cité sur le site de s.huet : http://s.huet.free.fr/paideia/paidogonos/parcoeur.htm, document en annexe. 2 22 de dégoût au moindre signe d'apprentissage "par cœur ". Or, on sait qu'il ne suffit pas de bêtement répéter un texte ou une mélodie pour l'apprendre mais bien d'en répéter des bouts en cherchant les relations dans le texte ou la mélodie, en comprenant ce que l'on doit dire ou jouer et de pouvoir "recréer" la suite d'éléments demandés. Ceci étant dit, il est réel qu'il y a alors un travail de mémoire demandé et qu'il faut s'y atteler. L'entraînement peut faire gagner beaucoup de temps. C'est difficile de mémoriser quand on y est pas habitué, c'est un geste à travailler. La répétition favorise la mémorisation: c'est l'entraînement. L’attention nécessaire à l’apprentissage, à la mise en mémoire fait-elle défaut ?: Cette nécessité (je pense à mes élèves lecteurs, ou aux élèves d'accordéon diatonique) n'en est plus une quand on sait qu'on peut facilement (quoique…) retrouver ce qui est demandé dans le classeur ou le cahier. Poussé à l'extrême (et on y est vite), l'élève n'a plus besoin de mémoriser, il a juste besoin de lire; de lire vite et bien (ce qui n'est pas si simple) mais de lire. Dire qu’il ânonne est un truisme. Si l'objectif de l'enseignement est de former des exécutants "moyens", nous pouvons nous contenter de cette réussite. Dans le même temps, confronté à ces élèves, il est difficile de justifier un travail de mémorisation (qu'on ne leur a jamais demandé par ailleurs). Pour certains, ils sont très mal à l'aise dans cet exercice, le percevant comme une curiosité, une nouvelle lubie de l'enseignant ou même une surcharge inutile. Et pourtant : L'imprégnation aide la mémorisation1: le texte de Louisette Radioyes est édifiant car il recoupe d'autres informations pédagogiques: l'imprégnation, la répétition, le chant en alternance (à répondre), la jeunesse du sujet, la brièveté du texte, des strophes facilite la mémorisation. Cependant, le désir d'apprendre, la volonté de RADIOYES Louisette, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions, 1995 p 61 1 23 se souvenir, la motivation sont aussi nécessaires. Sur ces points l'exemple cité par J.M. Guilcher des garçons ramenant l'air, comparant leurs souvenirs, reformulant l'objet désiré est particulièrement intéressant 1. Les musiciens utilisent fréquemment des airs chantés, les paroles les aidant à retrouver la mélodie. Il s'agit ici d'un principe répandu dans les répertoires populaires, le chant pouvant constituer, avec l'aide des paroles, un support mémoriel pour l'apprentissage des mélodies. La sollicitation de la mémoire de travail: « C'est un système de mémoire transitoire impliquant simultanément les opérations de stockage et les opérations de traitement : garder présentes à l'esprit les informations nécessaires pour raisonner, comprendre une phrase ou la construire, calculer de tête. Cette mémoire est de courte durée. L'information est simplement maintenue quelques secondes pour permettre la manipulation des données nécessaires à la réalisation de la tâche en cours. Finalement, la mémoire de travail est une mémoire tampon, permettant de maintenir l'information disponible à court terme pour les tâches d'attention, de calcul, de raisonnement et d'apprentissage. Les constatations faites sur des sujets sains ont montré l'importance de la répétition dans le maintien de l'information en mémoire. » GUILCHER, Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Mouton, Paris, 1976 (1ere édition, 1963) 1 24 La mémoire, un outil d’apprentissage à affûter un outil supplémentaire pour apprendre et comprendre : Ce qui semble ressortir de toutes ces observations, c'est qu'effectivement la mémoire peut jouer un rôle dans l'enseignement et en particulier dans l'enseignement musical, sujet qui nous concerne ici. Si je rapproche ces constatations des méthodes pédagogiques usuelles, je vois au moins une grande différence: l'utilisation du chant dans l'apprentissage des airs, faire chanter à l'apprenant l'air qu'il apprend. Il ne s'agit pas, bien sur, d'en faire un chanteur mais de lui donner des moyens supplémentaires de mémorisation, voire d'analyse et par là-même des moyens nouveaux et une liberté certaine d'interprétation. Donc, quand il existe des paroles accompagnant l'air, un chant, il ne faudrait pas hésiter à l'enseigner. On voit là qu'il faut, naturellement, que l'enseignant se soit plié à ce petit (?) jeu, qu'il ait lui-même appris ces paroles ou les ait recherchées. Malgré tout en l'absence de paroles, la tradition nous propose encore des solutions qui peuvent être l'invention par le musicien (professeur, élèves ou les deux) de formulettes mnémotechniques destinées à stimuler sa mémoire et à rappeler l'air recherché. De même quand l'air n'a pas de parole, il ne faudrait pas non plus hésiter à le chantonner: la la la, la lan, lère. Et on pourrait peut-être même développer ou réutiliser (le musicien traditionnel est un grand récupérateur) un langage spécifique (à l'instar des percussionnistes indiens (ta kine tinaketa) ou des joueurs de tambours du XVI° siècle (ran tan plan) qui en font des phrases qui les aident à mémoriser des séquences rythmiques ou des joueurs de flûte (tu tu, turelure) qui utilisent ces sons destinés à faciliter l'articulation et la mémorisation) avec pour le violon des sons différents suivants les coups d'archet: la li la li la. 25 Là encore l'étude des musiques traditionnelles (ou le passé des musiques savantes) nous présente de multiples exemples et pistes de travail: Le "lilting" ou "diddeling" pour la musique irlandaise ("lilt" intraduisible en français, qui désigne la façon très particulière qu'ont les irlandais, les écossais et les canadiens, de chanter les airs de danse sans autres paroles que des: dum diddle diddle dum), Le tam di delam ou turluter ou la turlutte pour tout le répertoire québécois (Acadie), canadien dont les origines seraient assez communes au monde anglosaxon ( surprise rencontrée: traité d'enseignement de la flûte par Johan Joachim Quantz du XVIII°siècle avec ses diddl di que ne désavoueraient pas un Martenot et ses "saute-noire"1) Lors de notre formation en ethnomusicologie, Andy Arléo nous a évoqué le caractère d’universalité des chansons enfantines. Il nous est possible d’utiliser des airs connus de tous à des fins pédagogiques. Le canntaireachd: Patrick Molard lors de son intervention au Cefedem nous a présenté ce singulier langage d'enseignement de la cornemuse écossaise, très évocateur des sons et ornementations utilisés qui est tout à la fois un outil de mémoire et d’enseignement . Jorg Bothua2, lors de sa venue nous a dit :"la langue a ciselé la musique" arguant, avec l’humour qui est le sien, qu’il faudrait (c’est un défenseur de la langue bretonne) apprendre le breton à nos élèves pour pouvoir chanter dans le texte les airs qu’ils apprennent. C’est ainsi qu’il appris des centaines d’airs à raison de deux à trois airs tous les dimanches pendant 10 ans. Alors comment oublier nos tralalaleno si adaptés à nos musiques bretonnes et en poussant plus loin apprendre une chanson sur l'air (ur son war un ton). Comme il apparaît évident d’entendre chanter Verdi en italien, Mozart en Allemand ou Gounod en français. 1 2 annexe 2 champion de Bretagne 2004 et2005 en couple biniou braz 26 "C'est l'air qui fait la chanson", dit le proverbe français. En Bretagne, la poésie du texte prime sur sa conduite mélodique et les chanteurs ont coutume de dire : an hini a goll ar zon a goll an ton ("qui perd ses mots perd son air"). Les moyens pour retrouver une mélodie, eun ton da zansal(un air à danser) s'appuient essentielle-ment sur l'incipit littéraire. Fait significatif de la puissance de la poésie, la musique instrumentale, héritière de son modèle vocal, continue de se référer aux premières paroles d'une chanson pour classer son propre répertoire. Les mélodies peuvent s'adapter à des textes différents, mais de coupe poétique identique. Il est pourtant des strophes si parfaitement appropriées à certains timbres qu'elles sont automatiquement associées. Elles se transmettent alors de génération en génération, rencontrent un grand succès et finissent par connaître une diffusion géographique élargie. »1 Tout ceci n'interdisant pas la pratique de l'écrit comme repère pour l'élève mais cherchant à le dégager d'une dépendance trop souvent constatée, lui permettant de se consacrer à l'écoute de son jeu, du jeu des autres, à son interprétation. Existe-t-il une méthode fiable de mémorisation ? Selon Antoine de la Garanderie2, deux principes pourraient être retenus. • Apprendre en se mettant dans une situation de projet, c'est-à-dire en plaçant dans un avenir esquissé mentalement, ce qu'on veut conserver • Procéder par réitération visuelle ou auditive pour permettre de fixer dans l'avenir ce qu'on veut conserver « Le répertoire prodigieux des artistes DEFRANCE,Yves, L'archipel des musiques bretonnes, Cité de la musique/Actes Sud,2000 2 De la Garanderie Antoine, Pédagogie des moyens d’apprendre, les enseignants face aux profils pédagogiques, Editions du Centurion 1982 1 27 Nous n'avons pas encore parlé du témoignage que sont susceptibles d'apporter ceux qui apprennent. D'où vient le prodigieux répertoire des comédiens et des grands solistes ? C'est que, justement, ils sont déjà sur scène ou sur le plateau au temps des apprentissages de rôles et de partitions. Ils se représentent eux-mêmes en train de jouer. Interrogez-les. Vous constaterez, par leurs réponses, que tel est bien le climat d'avenir qui imprègne leur esprit et que tel est bien le lieu d'avenir où ils placent présentement leurs acquisitions du moment. C'est pourquoi celles-ci leur demeurent présentes. Ne vous est-il jamais arrivé de vous représenter avec force et précision une intervention que vous devez faire et d'en jouer à l'avance le déroulement pour mieux vous y préparer? N'avez-vous pas remarqué l'aisance qui en résulte et la bonne évocation du projet? »1 Les solutions trouvées aux problèmes: Peut-on appuyer un apprentissage, un enseignement sur un travail de mémorisation ? pourquoi ? Des idées pour apprendre et mémoriser : Pour : Il faut travailler sur l’imprégnation même partielle, de préférence dès l'enfance, même si nous l’avons vu, on apprend à tout âge (avec diverses facilités). Le fait d’utiliser des formes de chansons répétitives à l’ambitus restreint, au texte bref, découpé en strophes brèves, chantées en alternance peut faciliter l’apprentissage. Face à la motivation, les choix sont un peu plus délicats: "Pour qu'une chanson soit désirée par un individu, puis par la collectivité, "il y faut tout d'abord une certaine sympathie" et cette sympathie se définit par rapport au répertoire détenu précédemment. En effet, comme le dit M.L.Ténèze2, "l'acquisition nouvelle n'arrive pas dans du vide, mais dans un cerveau déjà meublé dont le contenu peut influencer la réception" et, par avance De la Garanderie Antoine, Pédagogie des moyens d’apprendre, les enseignants face aux profils pédagogiques, Editions du Centurion, Paris, 1982 2 Marie-Louise Ténèze, directeur du département de Littérature orale, Musée des Arts et Traditions Populaires, Paris, le 12.03.1969 1 28 le choix.".1 Si l'élève n' a pas le désir d'apprendre une chanson, un air issu de la tradition, il peut-être intéressant de questionner l'élève sur quelle mélodie désire-t-il savoir et de définir avec lui son projet. Il sera toujours temps de rapprocher ensuite ce désir du parcours nécessaire à sa réalisation ou à son approche, de saisir des opportunités. Il faut retenir l'attention de l'élève (ce qui est un préalable à tout enseignement), qu'il soit acteur de ses acquisitions. Il s'agit de préciser dès le départ que la mémorisation est demandée, qu'elle sera sollicitée. Il faut aider la concentration par un climat d'écoute. Les valeurs affectives attribuées au matériel à mémoriser sont aussi très importantes. Il faut donc susciter l'intérêt (culture musicale, culture bretonne, valeurs affectives). La non-distribution de partition et/ou tablature au préalable (effort de mémorisation) devrait être compensée par une distribution d'enregistrements : "On peut remarquer également l'intérêt de fournir ses sources avant l'intervention. De cette manière la sensibilisation et une mémorisation peuvent commencer préalablement à l'activité de transmission. La structuration s'effectue ainsi en amont et permet parfois de découvrir, de la part des "apprenants", des approches ou des modes d'écoute enrichissants"2 L’action (qui peut être vécue assez violemment) de ne pas distribuer de support écrit ou enregistré (support audio) met l’élève dans une situation-problème. Il doit alors se remémorer, "seriner" la nouvelle acquisition, repasser la chanson dans sa tête pendant les moments de solitude, travail ou insomnies, au besoin noter les mots clés retenus et pour finir arranger au mieux ce qu’il a retenu jusqu’à la prochaine rencontre. Dans le cadre d’une école de musique, la prochaine rencontre étant fixée et connue, on peut tenter facilement cette expérience pédagogique. Enfin, par la prise de contact avec l’instrument, il est possible de développer une mémoire tactile, visuelle, physique. RADIOYES Louisette, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions, 1995 2 Jean-Patrick Hélard, Ces musiques qui se volent, Violon populaire le caméléon merveilleux, Modal 2003, p 147 1 29 Les critiques prévisibles : Il ne s’agit pas ici d’évacuer les critiques récurrentes à ces propositions : je sais qu’il est possible de n’y voir qu’apprentissage par imitation ou transmission de connaissances, qu’une simple assimilation. L’absence d’analyse et de décomposition formelle évite et écarte la construction d’un vocabulaire musical riche. Ensuite cet exercice peut être très pénible et source de souffrance s’il est mal mené (au delà d’un travail sur la mémorisation de petites formules, une dizaine de notes). Enfin le manque de référence écrite peut mettre en danger, faire prendre un risque lors d’une prestation. L’absence de pense-bête supprime un garde-fou. Heureusement cette pratique de mémorisation n’empêche pas (et c’est de plus en plus souvent le cas pour nos élèves) une formation musicale en complément. Lors même pendant le cours, la mélodie peut être décomposée et analysée. Et surtout les formes utilisées sont souvent similaires évitant de décomposer à chaque nouvel apprentissage. 30 CONCLUSION Conclusion : bilan et prolongements possibles Nous touchons au terme de notre réflexion. Ce travail sur la mémoire m’a amené à m'interroger sur mon enseignement présent et à venir. Sans être en contradiction avec mes observations et mes analyses, mes propositions ne doivent pas rester un catalogue de bonnes intentions. De nombreuses questions devront trouver des réponses dans ma pratique. J'ai été agréablement surpris par le cheminement de ma réflexion. Partant d'un sujet qui me tenait à cœur que j’envisageais de traiter en partie de façon plus abstraite (fonctionnement technique, médical de la mémoire), j'ai été amené à replonger dans les pratiques de transmission utilisant la mémoire et à me questionner sur celles-ci, sur leur actualisation, sur leur validité. J'ai du réfléchir sur ma pratique, mon propre apprentissage, l’importance de la mémoire dans mon apprentissage, mon intérêt pour ces musiques, pour la musique en général, mon rôle de transmetteur, de passeur de mémoire,. En cours d'écriture, il m'est apparu de plus en plus important de recentrer mon sujet sur ce mode de transmission privilégié et l'origine de cette musique traditionnelle qui est le chant et j'ai donc effectué des rapprochements (heureux...) entre différentes traditions musicales étudiées pendant ces trois années passées au CEFEDEM ou par le passé. C’est un chemin détourné que je n’avais pas prévu, qui s’est imposé au fur et à mesure de ma recherche et qui induit des modifications dans mon appréhension de cette musique, de la musique et dans les manières multiples de l’enseigner. Je vais tâcher de davantage asseoir mon enseignement sur ce mode de transmission. Des expériences pédagogiques déjà réalisées m’ont permis de poser quelques jalons prometteurs, il me reste à construire une structure plus solide, à convaincre de l’importance de la vocalisation, à affirmer cette réflexion pédagogique. J'ai aussi croisé différentes attitudes de pédagogues ou de chercheurs sur la mémoire et son utilisation ou son utilité, qui pouvaient abonder ou infirmer mon 31 travail. J'ai découvert un débat que j'ignorais sur la tradition et la scolastique qui, bien que débordant largement mon sujet, me ramenait à ma préoccupation initiale. Je ne connaissais pas ces réflexions et ces prises de position sur l’enseignement qui loin de m’éloigner de ma question ont contribué à ma recherche. J’ai découvert et lu avec intérêt le rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale (en annexe de ce mémoire) sur la sous-utilisation de la mémoire dans l’enseignement qui confirmait mon hypothèse de départ, me confortant dans ma recherche. Ce rapport, si je l’avais connu plus tôt (au début de l’élaboration du mémoire) aurait même pu servir de point de départ à ma réflexion dans une approche plus institutionnelle. Les points de contact avec les exemples relevés dans la chanson et la musique traditionnelle sont nombreux et appuient mon raisonnement. J’aurais pu élargir cette recherche à d’autres esthétiques musicales tentant de prouver la généralisation du phénomène. Je laisse à d’autres candidats ce champ d’investigation bien que je ne manquerais pas d’interroger mes collègues (présents et à venir) sur leurs façons de faire. Tout ce travail a éclairci ma vision des choses et m’a ouvert de nouvelles pistes de travail qu’il ne me reste plus qu’à développer à l’avenir. Je ne peux que formuler le vœu que d’autres creusent ce chemin en ma compagnie. 32 BIBLIOGRAPHIE DEFRANCE,Yves, L'archipel des musiques bretonnes, Cité de la musique/Actes Sud,2000 -Musiques traditionnelles de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix,vol. 1,1996;vol. 2, 1998 GUILCHER, Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Mouton, Paris, 1976 (1ere édition, 1963) MENDRAS , Henri, La fin des paysans, Actes sud, 1984, réédition Babel/Actes Sud, 1992 MOLLOY Matt , Shadows on stone, Virgin records, 1996, plage 4 LEMOU Pierrick, Sonneurs de violon en Bretagne, Anthologie des Chants et musiques deBretagne/Volume 5, Le Chasse-Marée/Ar Men, SCM 031 WRIGHT John, Le fiddle irlandais par Ted Furey, Le Chant du Monde, 1974, LDX 74487 GIRAUDON,Daniel, Chansons populaires de Basse-Bretagne sur feuilles volantes, Skol Vreizh, Morlaix, n° 2/3,Décembre 1985 RADIOYES Louisette, Traditions et chansons de Haute-Bretagne, le répertoire de Saint Congard et ses environs 1962-1970, Volume1,Edisud/CNRS Editions, 1995 Ouvrage collectif coordonné par Jean-François VROD,Violon populaire, le caméléon merveilleux, Editions Modal, Parthenay, 2003 De la Garanderie Antoine, Pédagogie des moyens d’apprendre, les enseignants face aux profils pédagogiques, Editions du Centurion, Paris, 1982 Chouard Claude-Henri, L’oreille musicienne, Gallimard, Paris, 2001, p160-167 33 Annexes Annexe 1 LE RÔLE DE LA MÉMOIRE DES ÉLÈVES DANS LES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES Le silence fait à l'école sur le rôle de la mémoire des élèves n'est pas dû au hasard. Quelle formation de l'esprit attendre, en effet, d'un enseignant qui ferait fond sur la mémoire plutôt que sur l'exercice du jugement ? Quelle incitation à construire sa connaissance, si le savoir arrive tout prêt de l'extérieur et est seulement mémorisé " par cœur " ? L'appel à la mémoire des élèves est traditionnellement lié à une image autoritaire de l'école, où la leçon faite par le maître est apprise par l'élève. Le premier exposerait dogmatiquement un savoir achevé, le second recevrait passivement l'enseignement magistral et serait invité à le restituer fidèlement. La fidélité n'est-elle pas, en effet, la qualité essentielle de la mémoire ? L'abus des exercices de mémoire est dénoncé dès les premiers jours de l'école laïque et, plus récemment, l'essor des activités d'éveil a pu détourner de la consolidation des connaissances acquises au profit de la construction des concepts qui permettront de comprendre le monde et de se situer (espace, temps, loi physique ...). Cependant, les programmes et instructions de 1985 affirment que " la mémoire est moderne ; active et créatrice, elle est le meilleur outil de l'action future ". Elle n'est plus opposée à l'activité de l'esprit ; elle est présentée comme sa condition. Et les programmes de 1995 pour l'école élémentaire en font une " compétence méthodologique " transversale, qui s'applique différemment selon les champs disciplinaires. Cette évolution des textes vers le rejet de l'opposition entre le recours à la mémoire et l'activité de l'esprit n'a pas été suffisamment remarquée jusqu'ici. Qu'en est-il dans les représentations des maîtres et des élèves ? Dans les pratiques pédagogiques ? Le rôle de la mémoire des élèves a été étudié par l'inspection générale à tous les niveaux des études : apprentissage des leçons, types d'exercices proposés, modalités d'évaluation, mobilisation de la mémoire pour l'éducation des élèves à l'autonomie et à la création, ont été tour à tour examinés. Dans l'enseignement préélémentaire et élémentaire, dix-sept circonscriptions d'inspection et soixante-seize maîtres exerçant leurs fonctions dans des conditions variées (zone d'éducation prioritaire, zone rurale, banlieue, centre-ville) ont apporté leur contribution à cette étude, en ouvrant leurs classes à une observation attentive, suivie d'entretiens. Soixante seize autres maîtres réunis à l'occasion de stages ou de conférences pédagogiques ont également accepté de répondre à un questionnaire portant sur ce sujet. Des conceptions contrastées De très nombreux maîtres et les élèves sont dans le plus grand embarras pour expliquer la conception qu'ils se font de la mémoire et, par là, le rôle qu'ils lui reconnaissent. L'enquête a visiblement surpris un grand nombre d'enseignantes et d'enseignants et tout autant intéressé. Elle a ouvert des perspectives. Le mot "mémoire" est assez systématiquement associé au "par cœur", avec une connotation nettement péjorative. Le terme est alors opposé à celui de "compréhension". Ainsi certains déclarent : "II faut dissocier l'intelligence de la mémoire", "je ne pense pas que la mémoire soit liée à l'intelligence". Pour ces maîtres, l'acte de mémoriser ne semble pas un acte d'apprentissage lié à l'enseignement reçu (structuration des connaissances, moyens utilisés, récapitulations ...). L'éducation de la mémoire paraît se réduire à un travail de répétition à la maison, parfois en études dirigées, et à la restitution "à l'identique" à l'école. Le mystère de la "boîte enregistreuse" qui stocke plus ou moins bien (par l'effet supposé de facteurs génétiques) n'est pas très éloigné. Pour d'autres maîtres, "l'intelligence va avec la mémoire qui est une faculté intégrative", "l'accumulation de connaissances aide l'intelligence". Un maître de zone prioritaire constate : "Les enfants qui utilisent le mieux la mémoire ont un discours bien organisé et de bonnes compétences méthodologiques". L'idée ici est que la mémoire des procédures ou des méthodes de construction du savoir n'est pas séparée de celle des connaissances authentiques {qui ne sont jamais des informations désordonnées). La vraie mémoire est structurée. "La motivation, la compréhension, la logique aident à mémoriser" remarque un maître. 34 Il a été très souvent difficile de s'entretenir de la mémoire avec l'ensemble des maîtres d'une école, faute d'accord sur le sens du mot. Les "anciens" accordent une grande place à la mémorisation, conçue comme un stockage d'informations. La récitation par cœur est privilégiée ; les cahiers comportent des résumés dictés par le maître. L'élève est limité dans ses initiatives. On constate que ce cadrage convient à beaucoup d'élèves en difficulté. "On a insisté sur la recherche, dit un maître. Tout est fonction du type d'enfant auquel on s'adresse. Celui qui a plus de moyens a moins besoin de mémoriser". D'autres maîtres, d'âge moyen, ont appris et retenu que rien ne sert de mémoriser (synonyme, pour eux, de répéter machinalement), l'essentiel, pour eux est de comprendre. D'où l'idée qu'il suffit de comprendre pour retenir, idée fort répandue aussi chez les collégiens et lycéens formés à cette pédagogie. On néglige alors le fait que l'oubli est "chose naturelle" et qu'il ne suffit pas de comprendre, il faut encore apprendre. Les plus jeunes maîtres, généralement étrangers aux querelles pédagogiques de leurs aînés, savent qu'avoir compris ne suffit pas. Il faut faire apprendre en contrôlant quotidiennement, oralement et par écrit. On comprend dès lors la diversité des pratiques pédagogiques et leurs fluctuations. Tel maître de la deuxième année du cycle 2 ne donne rien à apprendre par cœur et demande seulement à ses élèves de comprendre. Telle autre institutrice avoue être revenue, en histoire et géographie, quand les notions sont maîtrisées, à des résumés à apprendre, après avoir longtemps demandé une simple lecture des documents étudiés en classe. Tout aussi significative est la diversité des représentations des élèves concernant la mémoire. L'image du stockage des connaissances, mais aussi le rappel possible des souvenirs, sont présents dès la maternelle : "Ma tête est pleine de choses que je connais" et "je me souviens quand je sais le dire". Chacun sait la capacité à apprendre par cœur, à s'approprier la gestuelle et l'intonation qu'ont les enfants d'école maternelle. Ils imitent souvent, répètent ou font répéter pour créer des automatismes et ils y prennent plaisir. A l'école élémentaire, les élèves associent volontiers la mémoire à la réflexion, à la pensée. "C'est pour penser, se souvenir", "Le mot évoque pour moi l'intelligence et réfléchir", "C'est réfléchir dans sa tête". Il semble que la mémoire soit une activité, une forme de travail intellectuel. Ainsi est-elle liée au sentiment d'un devoir. C'est "se rappeler des choses qu'on a à apprendre", "ça veut dire se souvenir des choses qu'on ne doit pas oublier", disent des élèves de CM2. L'importance et le rôle de la mémoire sont donc, d'instinct sans doute, assez bien perçus par les élèves, de même que les moyens mis en œuvre qui, eux, sont généralement mécaniques. "Pour apprendre, on apprend", "on apprend plusieurs fois, on lit plusieurs fois, on répète devant les parents". Un mécanisme mis au service de l'intelligence et de la réflexion, telle est pour l'essentiel la conception de la mémoire qui pourrait être dégagée des propos des élèves. La conduite de la classe D'une manière générale, la mémorisation des acquis n'est plus l'objectif explicite, mais l'utilisation des connaissances antérieures pour construire de nouveaux apprentissages est bien la démarche permanente. A l'école maternelle, la nouvelle séquence ne commence pas toujours par le rappel des acquis de la veille, la maîtresse ne réemploie pas systématiquement les mots et tournures rencontrés précédemment, mais le rituel du matin est un moment mobilisateur de souvenirs. A l'école élémentaire, le contrôle des leçons n'est plus systématique et solennel. Il est rare qu'il concerne un grand nombre d'élèves. Quelquefois l'interrogation est intégrée à la séance du jour par le biais d'exercices dont la première question est un rappel. Il y a un véritable "tuilage" entre rappel et nouvelle leçon. Souplesse et continuité des apprentissages l'emportent sur le souci de contrôle et de consolidation des acquis. La fécondité d'une mémoire vivante se trouve ainsi valorisée. Mais il arrive aussi que de nombreux maîtres considèrent que ce qui a été vu, fait ou compris une fois est définitivement acquis et disponible. Le pouvoir de l'oubli est sous-estimé. L'organisation des connaissances joue un rôle capital dans la mémorisation. Or, il existe une tendance qui vise à introduire les notions nouvelles par le biais d'exercices qui placent les élèves en situation de recherche. L'objectif déclaré est la fixation des nouveaux apports. Mais le moment de synthèse et la reformulation claire par le maître sont trop souvent négligés. L'attention d'une classe ne saurait être indéfiniment soutenue. Or certaines séquences durent une heure et plus. On note l'absence de pauses permettant de faire le point, de récapituler. Le temps de la mémorisation en acte est renvoyé après la classe, à la maison. Un élève du cours moyen affirme : "On apprend à la maison et on récite à l'école" ! L'école ne serait donc pas le lieu privilégié où l'on apprend. L'organisation des connaissances est étroitement liée au support utilisé. On sait l'omniprésence des photocopies qui ont envahi les cahiers. Les élèves, après un attentif et long découpage, collent avec soin, répondent rapidement aux questions posées par "oui" ou par "non", comptent enfin les bonnes réponses. Ont-ils réfléchi au contenu ? Un jeune inspecteur remarque : "Les fiches d'exercices systématiques... et 35 même les fiches de découverte.. remplacent le plus souvent toute forme de leçon. C'est le papier qui fait la classe". Les cahiers, assez nombreux, sont surtout des supports d'exercices (ou de collages). On y trouve peu de résumés structurants rédigés par les élèves eux-mêmes, ils ne constituent plus la mémoire des leçons du jour. Les cahiers n'ont plus de mémoire et pourtant ils sont de plus en plus nombreux. Le plus souvent, le manuel, qui était traditionnellement le principal outil de la mémoire après la leçon du maître, n'est plus qu'un recueil de documents. Il n'est plus unique, n'est plus le support d'un apprentissage continu, mais plutôt la source de photocopies ou le livre consulté occasionnellement dans le coinbibliothèque. Il n'offre plus à la mémoire des élèves une synthèse toute prête, mais des matériaux à travailler pour "construire" eux-mêmes leurs connaissances. Cette construction, presque analogue à une fabrication technique nouvelle, devrait renforcer la mémorisation en garantissant la compréhension (je comprends ce que j'ai moi-même fabriqué) à condition qu'elle soit réussie, achevée, explicite. Il arrive souvent que les élèves, confrontés à des tâches difficiles (analyser une documentation, repérer l'essentiel, rapprocher des informations éparses) se contentent d'à peu près. La mémoire n'a plus alors d'objet précis. Les outils individuels de la mémoire font donc souvent défaut, ce qui est peu favorable à l'efficacité du travail autonome. Restent les outils collectifs. L'affichage mural, souvent abondant et esthétiquement réussi, semble perçu globalement par les élèves comme une décoration. Ces "écrits-mémoire" sont peu utilisés. Le dictionnaire, qui devrait enrichir la mémoire, peut au contraire décourager ou conduire à une surabondance de significations possibles. C'est alors pour l'élève une avalanche de mots sans signification précise. Le tableau, très souvent utilisé, reste l'outil fondamental qui associe mémoire visuelle et mémoire auditive. Un tableau bien écrit et bien organisé est une aide puissante à la mémorisation. Il demeure, à tous les niveaux, un outil irremplaçable. L'ardoise individuelle, bien utilisée, est aussi un "bon outil". En fait, ce qu'on mémorise c'est sa propre activité mentale. La mémoire n'est pas un magnétophone mais une activité. Elle traite l'information reçue pour la retenir. C'est pourquoi les documents qu'on a soi-même élaborés valent mieux que les fiches toutes prêtes du commerce. L'engagement personnel dans une activité est source de motivation et, pour retenir, il faut être intéressé. Les études dirigées peuvent donc être un moment privilégié pour travailler sur la manière dont on apprend. Pour être authentique, le travail de groupe, fréquent dans les classes, devrait être précédé d'un moment de travail personnel. Les aide-mémoire individuels devraient être conseillés. Le travail des élèves Jadis, apprendre c'était apprendre par cœur, et le mot conserve ce sens pour la plupart des élèves. Mais les leçons à réciter sont plus rares et l'appropriation des connaissances prend des formes multiples, mieux reconnues aujourd'hui qu'hier. Apprendre n'a pas le même sens d'une matière à l'autre. Les élèves sont généralement fiers de montrer ce qu'ils savent et de réciter ce qu'ils ont appris par cœur. Certains cependant disent ne pas pouvoir (ou ne pas savoir) apprendre par cœur. En fait, l'apprentissage par cœur n'est pas la seule forme de mémorisation. Dès l'école maternelle, la reconnaissance de mots qui associe image (photo, graphismes), son et sens, l'évocation de comptines et de chansons, de souvenirs récents, relèvent de la mémoire. A l'école élémentaire, le rappel des souvenirs prend aussi des formes variées : restitution d'une histoire racontée dans les moments de langage (mémoire des mots et du sens), lecture puis réponse à un questionnaire (mémoire du sens), reconstitution d'un texte, autodictée d'un texte étudié la veille .... La lutte contre l'habitude de réciter sans comprendre et la diversification des pratiques pédagogiques ont entraîné un net recul de la récitation par cœur. Il n'est pas sûr qu'on apprécie toujours correctement l'intérêt multiple de cet exercice, quand il est bien conduit : mémoire des mots et du sens, éveil de la sensibilité, imprégnation culturelle, accès au patrimoine, constitution de repères... Bien des exercices proposés en classe donnent lieu à une évaluation indirecte de la mémoire des élèves. Il en est ainsi quand il n'y a ni rappel, ni reconnaissance d'un savoir précis étudié précédemment. C'est le cas de l'évaluation du vocabulaire ou des procédures (ordre chronologique, ordre logique) acquis par les élèves on ne sait où ni quand, par le moyen d'exercices à trous (mots à compléter ou à rectifier), de reconstitution de textes (lecture-puzzle). La fréquence de ces exercices, aujourd'hui, correspond à leur importance réelle, puisqu'ils permettent d'exercer (et d'évaluer) la mémoire permanente, implicite, la plus précieuse, celle du sens (maîtrise du vocabulaire, des structures logiques), qui fournit ses outils au travail intellectuel. Cette mémoire sémantique a été mise en valeur depuis les années 1960 : elle constitue les cadres dans lesquels viennent s'organiser les connaissances particulières. Nous apprenons d'autant plus facilement que cette mémoire-bibliothèque est déjà mieux documentée. Il convient donc de l'enrichir et de bien la constituer par un apprentissage raisonné et explicite. Mais souvent l'évaluation se substitue ici à l'apprentissage. L'apprentissage de la lecture est l'exercice fondamental de l'école élémentaire. La pratique de la lecture silencieuse, "avec les yeux", est largement répandue. Or, selon certains chercheurs, la vocalisation serait essentielle en matière de mémorisation car la lecture normale s'accompagnerait d'une vocalisation, à voix 36 basse chez l'enfant, intériorisée chez l'adulte. La suppression de la vocalisation provoquerait, en conséquence, "une baisse de mémoire". Cependant, seule la mémoire du sens des mots, de la phrase lue, du récit... permet de comprendre. Quand, de plus, la saisie du sens du texte lu est la condition d'une opération plus complexe (résolution de problème, comparaison ou exploitation de documents ...) on mesure la perte de moyens et l'embarras que peut dissimuler la suppression de la subvocalisation. Beaucoup d'élèves s'habituent au travail approximatif, inachevé ou simulé, et n'accèdent pas à la joie de comprendre vraiment. L'utilisation de la BCD est souvent associée au plaisir de lire (bandes dessinées, contes...) de manière peutêtre moins scolaire, ou à l'engagement dans un travail autonome de recherche. Par la motivation qu'elle suscite, elle est donc favorable à la mémorisation. Cependant les outils individuels de la mémoire font souvent défaut (aide-mémoire personnels) et, pour certains maîtres, la BCD doit désormais décharger la mémoire des informations aisément disponibles. Encore faut-il distinguer l'essentiel, qui est toujours à retenir, de l'accessoire, qu'il suffira de retrouver. Il convient d'apprendre à structurer sa mémoire. La fréquentation inconsidérée des fichiers ou des rayons d'une bibliothèque, comme l'abondance des informations, pourrait laisser croire que tout se vaut : l'ordre alphabétique se substitue à tout autre. De plus, l'exploitation des documents est souvent conçue par le maître et perçue par les élèves comme un apprentissage exclusivement méthodologique : seule compte la procédure mise en œuvre, son résultat retient peu l'attention. Des automatismes sont mis en place, mais la fixation de nouvelles connaissances est moins sûre. L'utilisation de questionnaires à choix multiples (QCM) est relativement fréquente en raison de sa commodité et de sa rigueur ; elle comporte de plus un aspect ludique qui semble favoriser l'apprentissage. En fait, l'évaluation tient lieu ici d'apprentissage. Le QCM ne propose aucune procédure de découverte (analyse, analogie...) mais permet seulement la reconnaissance d'une information stockée en mémoire à l'aide de l'indice le plus efficace de tous, l'information cherchée elle-même (présentée au milieu d'autres). Cette procédure de reconnaissance est plus favorable aux élèves en difficulté que le rappel libre, sans indices, sur feuille blanche. Elle permet une exploration plus large des acquisitions de la mémoire : les connaissances qu'on croit perdues se révèlent présentes. Mais en ôtant l'élément reconnu de son contexte, elle néglige l'organisation de la mémoire et dispense de l'effort réfléchi de remémoration. Son utilisation fréquente ne serait pas sans inconvénients pour la structuration de la mémoire des élèves. Plus généralement, tout appel à la réflexion mobilise connaissances et compétences stockées en mémoire dans une composition nouvelle (résolution de problème, production d'écrits) qui est une création. Autonomie et créativité se nourrissent de culture, de connaissances bien ancrées, c'est-à-dire de mémoire. Le réinvestissement des acquis dans des contextes nouveaux permet le passage des souvenirs aux connaissances, de données concrètes liées à telle ou telle expérience aux concepts universels. Ce mouvement ne rejette pas la mémoire au profit de l'intelligence ; il la consolide (passage de la mémoire dite épisodique à court terme à la mémoire sémantique à long terme). CONCLUSION L'enquête a montré que les capacités des élèves à comprendre et à apprendre sont souvent sous-estimées. Les élèves sont en quête de méthodes de travail et de repères. Ils sont victimes du préjugé selon lequel il suffit d'avoir compris une fois pour retenir. De plus, on oppose à tort mémoire et compréhension, alors que l'une est la condition de l'autre, la compréhension exigeant la mémoire de nombreuses informations et des procédures logiques. C'est pourquoi apprendre et comprendre, loin de s'exclure, se renforcent mutuellement. La construction des connaissances suppose des moments de sédimentation puis de réactivation pour aller à l'essentiel. A l'âge de l'audiovisuel et de la redécouverte du corps, on ne saurait méconnaître le rôle fondamental de la mémoire visuelle et auditive, de la mémoire du geste et du corps qui contribuent à asseoir les connaissances par la mise en place d'automatismes (comptine des nombres entiers, tables de multiplication, moyens mnémotechniques, ...). Ces automatismes libèrent l'esprit pour des opérations plus complexes, accroissent son pouvoir. Ici prend place l'apprentissage par cœur de poèmes, par exemple, dont la restitution doit être fidèle tout comme le ton de la " récitation " doit être juste si la compréhension en est assurée. La mémoire de la langue, mémoire des mots et du sens, n'est pas suffisamment développée, travaillée, enrichie, comme si la langue était donnée une fois pour toutes. On a pu montrer expérimentalement le rôle de la mémoire des concepts (mémoire sémantique) dans la réussite scolaire, c'est-à-dire de la richesse du vocabulaire. Grande est la responsabilité du cycle 3 sur ce point. Enfin le discrédit jeté sur la mémoire, conçue longtemps comme la restitution aveugle du passé ou une forme d'habitude verbale, ne résiste plus aux progrès des sciences cognitives depuis le développement de l'informatique et le rôle qu'y jouent les "mémoires" de la machine. On pense aujourd'hui que l'apprentissage par cœur lui-même n'est pas une simple répétition mais un cocktail de groupements (petites phrases, images, catégories) propre à chaque sujet et qui suppose une forme 37 d'organisation subjective. Aujourd'hui la mémoire est considérée comme un système de traitement de l'information capable d'opérations multiples (encodage, stockage, reconnaissance, rappel) et comme l'une des composantes de base des activités mentales plus complexes. Le rôle du maître n'est-il pas d'aider à comprendre et à retenir, d'aider à retrouver puis à choisir, et à créer, pour que se construise et se structure, chaque jour un peu plus, l'adulte responsable de demain ? [Ce compte-rendu d'une enquête récemment effectuée par l'Inspection générale est publié ici avec l'aimable autorisation de son auteur, Monsieur l'Inspecteur général de l'Education nationale A. Bouchez, Doyen du groupe de l'enseignement primaire] 38 Annexe 2 Document recueilli sur l’excellent site Mnemo de nos amis québécois :http://www.mnemo.qc.ca/html/bulletin.html Planté Gilles :Qu’est ce que la turlutte ? Un flûtiste et théoricien allemand de grand renom, Johann Joachim Quantz, qui vivait au XVIIIe siècle, a écrit un important traité sur l’art de jouer de la flûte. Or il remplace systématiquement les « turelurelu » des traités italiens et français par des « did’ll did‘ll » qui donnent le même effet. Cela tiendrait à ce que les Allemands éprouvent quelques difficultés à prononcer les TURU du bout de la langue familiers aux peuples latins. Extrait de la méthode de flûte de J.-J. Quantz, préconisant l’emploi de didll’didll’di pour les passages rapides. Versuch einer anweisung die flute traversiere zu spielen, J.-J. Quantz, Breslau, 1789 39