Sur la piste de l`arabe marocain dans quelques sources écrites

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Sur la piste de l`arabe marocain dans quelques sources écrites
Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources
écrites anciennes (du XIIe au XVIe siècle )
Ángeles VICENTE*
1. Introduction
Essayer de faire une étude diachronique de l’arabe marocain est une tâche
assez difficile, surtout si on a l’intention de nous remonter jusqu’aux époques
les plus reculées. D’après Jérôme Lentin1, les sources disponibles pour le
domaine maghrébin sont aussi nombreuses que pour le Machreq. Le problème est que ces sources n’ont pas été étudiées d’une façon approfondie, du
moins, de la même façon que les matériaux dont on dispose pour le domaine
oriental du monde arabe2.
Dans cette étude, je vais recenser quelques traces de l’arabe marocain
trouvées dans diverses sources écrites anciennes, pour y vérifier quel type
d’information linguistique nous est fourni avec l’étude de ces sources. Pour
ce faire, j’ai consulté des documents de divers types et de différentes époques
qui traitent de plusieurs sujets : une chronique historique, un ouvrage de Laḥn
al-ʕāmma, un ouvrage hagiographique, un poème épique, un ouvrage de
jurisprudence et des lettres de chancellerie.
De plus, il faut souligner que les textes écrits à l’époque médiévale et
moderne et entièrement rédigés en arabe marocain n’existent pas. En fait, les
*
1
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Universidad de Zaragoza. Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet de recherche
Sociolingüística del Occidente islámico (Península Ibérica y Norte de África), MICINN,
FFI2008-04648-C02-02.
Cf. Lentin 2008 : 305.
Par exemple, dans les actes du congrès de Louvain, il n’y a que trois travaux sur les vingtsix publiés qui font référence à l’arabe maghrébin: l’un sur l’arabe tunisien, un deuxième sur
l’arabe ḥassāniyya, et un troisième qui fait référence à quelques sources maghrébines de
l’Algérie, de la Libye, de la Tunisie et du Maroc. Cf. Lentin / Grand’Henry 2008.
textes consultés sont écrits dans la variété connue comme l’arabe moyen,
aujourd’hui très bien définie. Il s’agit donc, comme pour le domaine de
l’arabe oriental, de sources indirectes où l’information dialectale est normalement très rare et ne reflète pas presque jamais un vrai registre dialectal.
En outre, par rapport à l’arabe marocain, on se rencontre avec un
problème supplémentaire lié au fait que les textes les plus anciens qui ont été
conservés jusqu’à nos jours, et utiles pour ce type de recherche, ne datent que
du XIIe siècle, c’est-à-dire, qu’on ne connait pas de documents concernant les
quatre siècles antérieurs, depuis l’arabisation de la région septentrionale du
Maroc contemporain au VIIIe siècle et jusqu’au XIIe siècle.
Bien évidemment, il ne fallait rien attendre des premières années qui ont
suivi la conquête ; mais en comparaison avec la situation de l’arabe andalou,
on est très clairement désavantagé, car le premier texte écrit dans la variété
arabe parlé a Alandalús et conservé jusqu’aujourd’hui date de l’an 9133 ;
c’est-à-dire, à peu près deux siècles avant les premiers textes conservés qui
témoignent de l’usage de l’arabe marocain à l’écrit.
Ainsi, du fait du nombre abondant de sources sur l’andalou conservées,
éditées et étudiées, il est devenu la variété de l’arabe médiéval la plus connue,
alors qu’on ne connaît presque rien à propos du marocain médiéval.
Cependant, et considérant que l’arabe andalou et l’arabe marocain du type
sédentaire ou préhilalien ont la même origine4, c’est-à-dire les variétés arabes
parlées et apportées par les conquérants jusqu’en Occident islamique, il faudra tenir compte sur l’existence de quelques caractéristiques communes5. De
cette façon, il est très difficile de distinguer dans les sources écrites, et surtout
dans les plus anciennes, les traits andalous des traits marocains.
Ainsi, les grandes similitudes qui existent entre les textes où on trouve
quelques traces de l’arabe vernaculaire occidental, quelle que soit leur provenance andalouse ou marocaine, nous mène a nous interroger sur la possibilité de l’existence d’un primitif domaine maghrébin commun, comme se le
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De cette façon, on dispose de plusieurs témoins de la fixation textuelle de l’arabe andalou
depuis le Xe siècle et jusqu’au moment de l’expulsion des Morisques au XVIIe siècle. Ainsi,
le premier usage conservé de l’andalou dans un document écrit est un vers de l’an 913 dans
lequel ʕAbd ar-Raḥmān III est insulté ; un vers prononcé par un partisan de ʕUmar ibn
Ḥafṣūn, un insurgé contre le pouvoir du calife. On peut lire le vers dit dans la chronique
médiéval al-Muqtabis V du connu historien Ibn Ḥayyān. Le voici dans son intégralité : laban
úmmu fi fúmmu (metre mustaṭīl), “Le lait de sa mère est sur sa bouche ”, et son adversaire
répond, aussi en arabe andalou : ras ban ḥafṣún fi ḥúkmu (metre mustaṭīl) “la tête de Ibn
Ḥafṣūn est son choix ”. Pour le vers et sa traduction, cf. Corriente 1998 : 79.
Ainsi, Colin a affirmé qu’avant l’arrivée des Banū Hilāl au Maroc, l’arabe marocain parlé
seulement dans les villes du Nord et dans les tribus de leur hinterlands, était très proche de
l’arabe andalou, cf. Colin 1931 : 7.
Pour cette question voir Corriente 1992 : 35, et Ferrando 1998.
De los manuscritos medievales a internet
demandait déjà Colin en disant : “jusqu’à quel point l’arabe marocain
médiéval était différent de l’arabe hispanique (sic) ?”6.
Les traits communs aux textes écrits dans les deux côtes du détroit de
Gibraltar sont nombreux, on citera les suivants comme exemple:
Les fautes d’orthographe par rapport aux conventions d’écriture de l’arabe
classique, par exemple :
- le changement du alif maqṣūra par un alif de prolongation ‫ ارا‬au lieu de
‫“ أرى‬je vois”.
- la substitution du hamza par yāʔ :‫ اﻟﺒﻴﺮ‬au lieu de‫“ اﻟﺒﺌﺮ‬puits”.
Ensuite, par rapport à la phonétique :
- l’apparition des occlusifs correspondants au lieu des phonèmes
interdentaux classiques, comme ‫ أﺧﺪ‬au lieu de ‫“ أﺧﺬ‬il a pris”.
- l’apparition d’emphatiques au lieu de certains phonèmes nonemphatiques comme on voit dans l’exemple suivant ‫ ﻓﺼﺎر‬au lieu de‫“ ﻓﺴ ﺎر‬il
est parti”.
Pour la morphosyntaxe, par exemple :
- un usage incorrect du duel, comme ‫ ﺑﻤﺎﺋﺘﻴﻦ دﻳﻨﺎر‬au lieu de‫“ ﺑﻤﺎﺋﺘﻲ دﻳﻨﺎر‬avec
deux cents dinars”.
- l’accord des noms inanimés au pluriel avec un autre pluriel au lieu de
l’accorder au féminin singulier, par exemple, ‫ أﻳّﺎم ﻣﺘﻮاﻟﻴﺎت‬au lieu de ‫أﻳّﺎم ﻣﺘﻮاﻟﻴﺔ‬
“des jours successifs”.
- faire accorder un verbe placé au début de la phrase au pluriel avec son
sujet pluriel, par exemple, ‫“ ﻓﻘﺎﻟﻮا ﻟﻪ اﻟﻮزراء‬et les ministres lui ont dit”, au lieu
du singulier ‫ﻓﻘﺎل‬, et aussi avec un sujet au duel.
Au cours des siècles, chacune de ces variétés de l’arabe a évoluée d’une
façon différente pour diverses raisons de type linguistique, mais il est connu
que les contacts entre les sociétés andalouse et marocaine ont été constants
tout au long du Moyen Âge. De cette façon, on a constaté depuis longtemps
la présence dans quelques variétés marocaines septentrionales de plusieurs
caractéristiques linguistiques avec une origine andalouse7. Cette empreinte
linguistique est très difficile à dater, mais les données dont on dispose nous
ont fait affirmer qu’elle a commencé à une date précoce et a continué après
l’arrivée des morisques au XVIIe siècle8.
Ainsi, la direction de ces influences a été presque toujours du nord au sud,
c'est-à-dire d’Alandalús au Maroc, sauf quelques exceptions. Ces exceptions
6
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8
Cf. Colin 1930 : 105.
Voir Colin 1926 : 17.
Cf. Vicente 2010a, 2010b et 2011.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
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ont eu lieu surtout pendant les époques du pouvoir almoravide et almohade.
Du fait de cette circonstance, on trouve dans l’arabe andalou de la ville de
Grenade les verbes marocains šāf “il a vu” et žāb “il a apporté”9, et aussi le
deuxième élément de la négation dont l’existence dans l’arabe andalou était
rare10. F. Corriente a justifié ces traits comme une influence du marocain sur
quelques idiolectes de la Grenade andalouse11.
Par rapport à l’influence de l’andalou sur le marocain, on peut affirmer à
priori que la région nord-ouest du pays est la plus concernée par ce
phénomène (surtout la région de Jbala), mais à cause de mouvements de
population l’empreinte linguistique est arrivée jusqu’aux régions plus éloignées comme la vallée du Dra ou le Tafilalt où la variété judéo-arabe parlé
pour les juifs de la région avait conservé quelques traits anciens qui ont été
expliqués comme d’origine andalouse par S. Lévy12.
L’objectif de ce travail n’est pas pourtant d’analyser ces caractéristiques
communes ou ces influences, sujet auquel on a déjà consacré quelques
travaux déjà cités ci-dessous. Il s’agit donc d’examiner quelques ouvrages
écrits en arabe moyen pour identifier quel type d’information nous avons sur
l’arabe marocain ancien. On va citer donc, en suivant un ordre chronologique
(du XIIe au XVIe siècle), les sources choisies et consultées.
2. Ouvrages arabes consultés
2.1. Ouvrage d’al-Bayḏaq ‫اﻟﺒﻴﺬق‬
Le premier texte qu’on va analyser est une source historique écrite par
Abū Bakr Ibn ʕAlī aṣ-Ṣanhāǧī, connu sous le nom de ‫( اﻟﺒﻴﺬق‬al-Bayḏaq) et du
XIIe siècle. Ce texte a été intitulé par l’un de ses éditeurs comme ‫أﺧﺒﺎر اﻟﻤﻬﺪي‬
‫( إﺑﻦ ﺗﻮﻣﺮت وﺑﺪاﻳﺔ دوﻟﺔ اﻟﻤﻮﺣّﺪﻳﻦ‬ʔAxbār al-mahdī Ibn Tūmart wa bidāyat dawlat almuwaḥḥidīn) car le manuscrit conservé n’avait aucun titre13. Il ne s’agit pas
d’une énumération de faits classiques de l’historiographie arabe mais d’un
récit de vie, une espèce de mémoires. L’auteur a joué un rôle dans les événements dont il parle, comme l’un des compagnons du mahdī Ibn Tūmart et
du calife ʕAbd al-Muʔmin. Al-Bayḏaq avait le berbère comme langue maternelle, et c’est pour cette raison qu’on trouve aussi la présence des berbérismes dans ses mémoires.
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Voir Corriente 1998 : 53-57.
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Voir Corriente 1977 : 142-145.
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Voir Corriente 1992 : 121.
Cf. Lévy 1998 : 13.
Il a été édité par E. Lévi-Provençal en 1928 et par ʕAbd al-Wahhāb ibn Manṣūr en 1971.
De los manuscritos medievales a internet
G.S. Colin a fait une étude des faits dialectaux relevés dans ce texte dont
plusieurs pourraient faire partie d’un domaine maghrébin commun14. Tel est
le cas, par exemple, de l’utilisation très fréquente des schèmes verbaux à
l’inaccompli typiques des dialectes occidentaux comportant le préfixe n- pour
la première personne du singulier, et le préfixe n- plus le suffixe -u pour la
première personne du pluriel. Cette caractéristique est très facile à identifier,
par exemple : ‫“ ﻧﻮﻗﻒ‬je me lève”, au singulier, ‫“ ﻧﻘﻮﻟﻮا‬nous disons”, ‫ﻧﺴﻴﺮوا‬
“nous allons”, au pluriel15.
On trouve que la provenance des quelques traits linguistiques ne peut pas
être vérifiée, et à cause de cela Colin se demande encore si les formes analysées sont nées au Maroc sous une influence andalouse, si elles sont nées en
Alandalús et empruntées par le marocain ou si elles constituent une évolution
marocaine indépendante.
Voici quelques exemples:
- Quelques lettres emphatiques pourraient refléter une prononciation
dialectale, car elles coïncident avec la prononciation du marocain actuel. Cela
est par exemple le cas de ‫ ﺻﻮر‬au lieu de‫“ ﺳﻮر‬rempart” qu’en marocain est
ṣōṛ, et ‫ ﺻﻄﻞ‬au lieu de ‫“ ﺳﻄﻞ‬seau”, en marocain ṣṭaḷ 16.
- L’usage de quelques pluriels dialectaux comme ‫ وﻳﺪان‬wīdān “fleuves”
(on trouve aussi la forme réduite ‫ واد‬pour le singulier)17, ‫ ﺟﻮار‬žawār
“servantes, concubines”18 et ‫ ﻓﻴﺴﺎن‬fīsān “pioches”19, qui existent aujourd’hui
en marocain.
- L’emploi de quelques mots avec le genre de l’arabe vernaculaire au lieu
de celui de l’arabe classique. Par exemple, žāmaʕ comme un féminin:
‫“ هﺪم ﻓﻴﻬﺎ ﺟﺎﻣﻊ ﻋﻠﻲ ﺑﻦ ﻳﻮﺳﻒ وﻟﻢ ﻳﻬﺪﻣﻮهﺎ آﻠّﻬﺎ ﺑﻞ هﺪﻣﻮا ﺑﻌﻀﻬﺎ‬ils ont démoli la
mosquée de ʕAlī Ibn Yūsuf, et ils ne l’ont pas démoli entièrement mais
seulement en partie”20.
On peut également trouver cette caractéristique aujourd’hui dans l’arabe
marocain, surtout au nord du pays. Ainsi ǝž-žāmaʕ ǝl-ḥamra “la mosquée
rouge” ou ǝž-žāmaʕ ǝl-bēḍa “la mosquée blanche”21. D’après Colin22, cette
caractéristique est due au substrat berbère, car les mots berbères tamezgida et
timesgida sont aussi des arabismes féminisés, et dérivés du mot masǧid qui
est masculin en arabe. Une caractéristique tout à fait plausible car le substrat
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Voir Colin 1930. Nos exemples proviennent tous de cette étude.
Voir ceux-ci et d’autres exemples dans Colin 1930 : 116.
Colin 1930 : 109. Pour le marocain actuel, Prémare DAF, 6 : 228 et 6 : 95.
Colin 1930 : 109. Pour le marocain actuel, Prémare DAF, 12 : 129.
Colin 1930 : 109. Dans le marocain actuel a changé son sens, Prémare DAF, 2 : 260.
Colin 1930 : 114. Pour le marocain actuel, Prémare DAF, 10 : 4
Colin 1930 : 112.
Prémare DAF, 2 : 228.
Colin 1930 : 113.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
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amazigue sur les parlers arabes du nord du Maroc a été plusieurs fois
démontré 23.
- De la même façon, on trouve le mot ‫ ﻣﻮﺿﻊ‬au féminin, par exemple:
‫“ ﻟﻤﻮﺿﻊ ﻳﻘﺎل ﻟﻬﺎ ﺁزﻟّﻴﻢ‬l’endroit est appelé Azallīm”24. On a trouvé mōḍaʕ
aussi au féminin au nord du Maroc, par exemple: f-mōḍaʕ oxra “ailleurs,
dans un autre endroit”25. Aujourd’hui, il n’est pas fréquent en féminin, mais
compte tenu que l’exemple donné reflète la forme conservatrice du mot
(mōḍaʕ au lieu de moṭaʕ, la prononciation habituelle au nord du Maroc au
moment actuel), il est possible qu’il reflète aussi une concordance du genre
d’un marocain plus ancien26.
- L’utilisation du pronom relatif avec la valeur d’une conjonction qui
signifie “pour le fait que”, par exemple:
‫ﻻ اﻟﺬي اﻋﻄﺎك اﻟﺨﻠﻴﻔﺔ ﺧﺎدﻣﺔ‬
ّ ‫“ ﻣﺎ ﺣﻤّﻘﻚ ا‬tu es devenu fou, parce que le calife t’a
donné une servante (en mariage)”27.
C’est la même valeur que lli en marocain contemporain dans l’exemple:
fraḥ ǝlli woṣṣal ʕla xayr “il se réjouit d’être arrivé dans de bonnes
conditions”28.
- On trouve le pluriel des noms de métiers avec un suffixe -in pour
indiquer le nom du quartier où se trouve une corporation, par exemple:
‫“ ﻗﺘﻞ اﻟﻌﺒﻴﺪ ﺑﺎﻟﺼﺒّﺎﻏﻴﻦ اﻟﻘﺪﻳﻢ‬les esclaves furent tués dans le vieux quartier des
teinturiers”. En marocain actuel : ṣ-ṣǝbbāġīn “le quartier des teinturiers”29.
- L’utilisation du nom ‫ زوج‬avec les sens de “deux”, par exemple ‫زوج آﺘﺐ‬
“un pair de messages”30, qui a formé en marocain le numéral žūž, après une
assimilation phonétique.
- L’apparition des conjonctions ou des particules très dialectales comme
‫“ ﺑﺎش‬pour que”, par exemple: ‫“ اﻋﻄﺎهﻢ اﻟﻔﻴﺴﺎن ﺑﺎش ﻳﺤﻔﺮوا‬il leur a donné les
pioches pour qu’ils creusent”. La même conjonction est très fréquente en
marocain : žīt bāš nšūfək “je suis venu pour te voir”31. Ou la particule de
génitif ‫“ ﻣﺘﺎع‬de”, par exemple: ‫“ اﻟﺸﺎﻗﻮر ﻣﺘﺎع اﻟﺨﺒﺎء‬la hache de la tente”32.
Aujourd’hui, on trouve encore mtāʕ dans quelques régions du Maroc mais
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Voir, par exemple, Aguadé / Vicente 1997.
Colin 1930 : 112.
Colin Dictionnaire, 2 : 2061.
La prononciation de /ḍ/ comme occlusive sonore au nord du Maroc (à Jbala) a été considérée
comme une trace de l’arabe andalou, car les variétés citadines de la région font prononcer ce
phonème comme sourd, cf. Vicente 2010b : 151.
Colin 1930 : 116.
Prémare DAF, 1 : 75.
Colin 1930: 114. Pour le marocain actuel, Prémare DAF, 8 : 20.
Colin 1930 : 119.
Colin 1930 : 117. Pour le marocain actuel, Prémare DAF, 1 : 110.
Colin 1930 : 117.
De los manuscritos medievales a internet
elle est en voie de disparition devant dyāl, la particule de génitif généralisée
partout.
Ainsi, comme Colin lui-même l’affirme, on voit que les caractéristiques
vraiment marocaines existantes dans les textes ne sont pas très nombreuses,
de telle façon qu’elles ne seront pas suffisantes pour qu’on puisse se faire une
idée de l’état de l’arabe marocain à l’époque almohade33.
2.2. Ouvrage de Laḥn al-ʕāmma de Ibn Hišām al-Laxmī
Le deuxième texte consulté a été l’ouvrage du genre littéraire connu
comme Laḥn al-ʕāmma de Ibn Hišām al-Laxmī, qui date de la seconde moitié
du XIIe siècle et s’intitule ‫( اﻟﻤﺪﺧﻞ إﻟﻰ ﺗﻘﻮﻳﻢ اﻟﻠﺴﺎن وﺗﻌﻠﻴﻢ اﻟﺒﻴﺎن‬al-Madxal ilà taqwīm
al-lisān wa taʕlīm al-bayān)34.
Il s’agit de l’un des principaux ouvrages composés dans l’Occident
arabophone sur les fautes de langue surtout des gens du peuple (al-ʕāmma). Il
apporte des corrections et des précisions sur deux ouvrages de Laḥn alʕāmma précédents, et la plupart des observations d’Ibn Hišām concernent en
fait des traits dialectaux de l’arabe andalou35.
Malgré sa nisba d’as-sabtī, l’auteur est né à Séville, mais il a passé
plusieurs années dans la ville de Ceuta où il a écrit la plupart de ses ouvrages.
Ceuta à l’époque était une ville qui faisait partie d’Alandalús et de ce fait,
elle a eu une grande influence dans l’arabisation de la région septentrionale
du Maroc, comme cela a déjà été démontré36.
Mais on peut également souligner une influence à l’inverse, car la
présence de quelques mots dans l’ouvrage d’Ibn Hišām qui n’existent pas
dans les autres sources andalouses, peuvent nous faire penser à une possible
influence de l’arabe parlé dans les alentours de la ville sur l’arabe de Ceuta.
Ces mots sont les suivants37 :
- zǝrbiyya :
Voilà l’explication d’Ibn Hišām38 : ‫ﻄﻨْﻔِﺴﺔ واﻟﺠﻤﻊ زَراﺑﻲ‬
ِ ‫ ﺑﻜﺴﺮ اوّﻟﻪ ﻟﻠ‬- ‫زرﺑﻴّﺔ‬
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Comme disait Colin, “elles permettent néanmoins d’y constater l’existence de nombreux
points de contact avec l’arabe hispanique (sic) ”, cf. Colin 1930 : 105.
Cet ouvrage a été édité et étudié par J. Pérez Lazaro 1990.
Cela est l’avis de Colin, cf. Colin 1931 : 6.
Concernant ce sujet, voir Vicente 2007 : 65 et ss. La présence de quelques-unes de ces
caractéristiques d’origine andalouse au nord du Maroc existe encore à l’époque actuelle dans
les variétés les plus conservatrices de la région ; sur ce sujet voir Vicente 2010a, 2010b et
2011.
Les exemples ici cités ont été identifiés par G.S. Colin dans l’extrait de l’ouvrage d’Ibn
Hišām al-Laxmī fait par Ibn Xātima d’Almería dans la première moitié du XIVe siècle. Cf
Colin 1931.
Colin 1931 : 14.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
109
La plupart des sources andalouses ne semblent pas connaître ce mot, il
n’existe que dans ce texte d’Ibn Hišām et dans un texte tardif de la Grenade
nazaride où l’influence marocaine est bien probable39.
C’est un mot très habituel en marocain : zǝrbiyya “tapis de haute laine, à
points noués”, avec un pluriel similaire à celui signalé par d’Ibn Hišām,
zrābi 40.
- msīd : d’après Ibn Hišām, il s’agissait d’une autre façon de dire la
mosquée. Ainsi, nous avons41 :
‫ﻣﺴﺠﺪ – وﻳﻘﺎل ﻟﻪ ﻣﺴﻴﺪ أﻳﻀﺎ ﺣﻜﺎﻩ ﻏﻴﺮ واﺣﺪ واﻷول أﻓﺼﺢ‬42
On trouve ce mot dans le dictionnaire de l’arabe andalou de F. Corriente,
où il a signalé qu’il l’a trouvé dans le texte d’Ibn Hišām ; il semble donc
qu’il n’existe pas dans les autres sources andalouses43. En marocain
contemporaine, lǝ-msīd est l’école coranique44.
- mǝšmāš 45:
‫َﻣِﺴ َﻤِﺶ – ﻳﻘﺎل ﺑﻜﺴﺮ اﻟﻴﻤﻴﻦ وهﻮ أﻓﺼﺢ وﺑﻔﺘﺤﻬﻤﺎ وهﻮ أﺿﻌﻒ‬
Apparemment inconnu en andalou. En marocain, on dit mǝšmāš pour les
abricots46, qui sont nommés barqūq en arabe andalou et en arabe classique.
- mәtrәd 47:
‫ﻣَﺜﺮَد – ﻟﻔﻆ ﻣﻮﻟّﺪ ﻳﻘﺎل ﺑﻜﺴﺮ اﻟﺮاء وﻓﺘﺤﻬﺎ وﻣﻴﻤﻪ ﻣﻔﺘﻮﺣﺔ وﻗﺪ ﺛﺮد ﻳﺜﺮِد وﻳﺜﺮُد ﻓﻌﻠﻰ اﻟﻜﺴﺮ ﻳﻘﺎل‬
‫ﺑﺎﻟﻜﺴﺮ وﻋﻠﻰ اﻟﻀ ّﻢ ﻳﻘﺎل ﺑﺎﻟﻔﺘﺢ‬
Nom de récipient inconnu dans les autres sources andalouses, trouvé
seulement dans le texte d’Ibn Hišām48. En marocain c’est mǝtrǝd “plat de
terre cuite en forme de grande coupe large et peu profonde”49.
- nuġnuġa 50:
‫ُﻧﻐْﻨﻐﺔ – ﺑﻀ ّﻢ اﻟﻨﻮﻧَﻴﻦ ﻟﻠﻠﺤﻤﺔ اﻟﻤﺘﺪﻟّﻴﺔ ﻋﻠﻰ أﻋﻠﻰ اﻟﺤﻠﻖ‬
La luette d’après Ibn Hišām, il s’agit du jabot ou du goitre dans d’autres
sources andalouses51, mais il est fréquent dans les textes de médecine avec le
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Cf. Seco 1955. Cité par Corriente 1997 : 227.
Prémare DAF, 5 : 295.
Colin 1931 : 17.
Voir l’explication de Colin pour l’évolution phonétique de ce mot, Colin 1931 : 17, n. 4.
Corriente 1997 : 269.
Prémare DAF, 11 : 195.
Colin 1931 : 17.
Prémare DAF, 11 : 210.
Colin 1931 : 19.
Corriente 1997 : 83.
Prémare DAF, 2 : 43.
Colin 1931 :21.
Colin 1931 : 21, n.7. Aussi, Corriente 1997 : 534.
De los manuscritos medievales a internet
sens de luette52. Aujourd’hui en marocain on trouve le verbe nǝġnǝġ “parler
du nez”, et un nǝġnōġi est quelqu’un qui parle du nez53.
- hēḍōra 54:
‫هﻴﺪورة – ﻟﻔﻈﺔ أﻋﺠﻤﻴّﺔ واﻟﻌﺮب ﺗﺴﻤّﻴﻬﺎ اﻟﻤِﺴﻼخ‬
En marocain, c’est hēḍōra dont le sens est “peau du mouton lavée et
tannée avec sa laine, servant de tapis”. En andalou, il existe le mot haydúra
avec le même sens55.
- šāšiyya 56:
‫ﺷﺎﺷﻴﺔ – ﻟﻔﻈﺔ أﻋﺠﻤﻴّﺔ وهﻲ ﻋﻨﺪ اﻟﻌﺮب اﻟﻘﻠﻨﺴﻮة‬
Il s’agit d’un mot qui, d’après Colin, a une origine étrangère et existait
aussi en andalou57. Aujourd’hui, en marocain, šāšiyya c’est un chapeau
typique des femmes de la région de Jbala58.
2.3. al-Maqṣad d’al-Bādisī
Le troisième document consulté est un ouvrage hagiographique composé
au début du XIVe siècle par ʕAbd al-Ḥaqq al-Bādisī et intitulé ‫اﻟﻤﻘﺼﺪ اﻟﺸﺮﻳﻒ‬
‫( واﻟﻤﻨﺰع اﻟﻠﻄﻴﺐ ﻓﻲ اﻟﺘﻌﺮﻳﻒ ﺑﺼﻠﺤﺎء اﻟﺮﻳﻒ‬al-Maqṣad aš-šarīf w-al-manzaʕ al-laṭīf fī
t-taʕrīb b-ṣulaḥāʔ ar-rīf). Il contient des renseignements abondants et détaillés
sur la vie religieuse ancienne du Maroc et plus particulièrement sur le développement du culte des saints ainsi que sur l’apparition des confréries religieuses. Le texte a été édité deux fois en 1982 et 1993, et traduit par Colin en
192659.
Toute la documentation de l’auteur du Maqṣad est d’origine orale, l’auteur
ne prend la parole que pour préciser ou rectifier un détail ou donner son opinion personnelle, un fait très important pour le registre de langue employé.
Néanmoins, l’édition corrigée du manuscrit ne permet pas de relever les
traits de la phonétique ni de la morphologie. Il n’y a que l’exemple de la prononciation occlusive glottale sourde [ʔ] au lieu de l’occlusive, vélaire, sourde
/q/, caractéristique des dialectes citadins du Maroc, un trait qui est
aujourd’hui en voie de disparition60. L’avis de Colin est que celui qui dictait
le texte au copiste suivait cette prononciation courante chez les citadins du
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Notification personnelle du Prof. F. Corriente.
Prémare DAF, 11 : 408.
Colin 1931 : 31.
Prémare DAF, 12 : 118. Pour l’andalou, cf. Corriente 1993 : 84, n. 16.
Colin 1931 : 30.
Cf. Colin 1931 : 30, n.3, et Corriente 1997 : 271.
Prémare DAF, 7 : 224.
Ces éditions ont été faites par le même auteur Saʕīd Aḥmad ʕArāb. Pour la traduction
française, cf. Colin 1926, tous nos exemples proviennent de cette traduction annotée.
Sur cette prononciation glottale sourde du /q/, voir Moscoso 2003 : 48, n.108.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
111
Nord du Maroc, et le scribe n’a pas su la corriger et la remplacer par la forme
classique. Par exemple : ‫ اﻻﺳﻄﻞ‬pour ‫“ اﻟﻘﺴﻄﻞ‬tuyau” et ‫ ﻃﺮأ‬pour ‫ﻃﺮق‬
“chemins”.
De cette façon, ce texte est utile seulement du point de vu du lexique.
Ainsi, on va citer quelques exemples:
- ‫ زاوﻳﺔ‬zāwiya, on le trouve avec le sens “ermitage où habite un saint avec
ses disciples et ses serviteurs religieux” en coïncidant avec le mot marocain
actuel zāwya 61, mais aussi comme synonyme du mot classique ‫ راﺑﻄﺔ‬rābiṭa.
De plus, ce mot a le sens de “recoin, endroit retiré, réservé dans une chambre
particulière pour se livrer à la méditation”, plus en accord avec son sens en
arabe classique.
- il y a des expressions de création dialectale, comme ‫اﻟﻌﺪ ّو اﻟﺒﺤﺮي‬, en
marocain: el-ʕaduww ǝl-baḥrī “corsaire” ou ‫ﺳﻠﻌﺔ اﻟﺒﺤﺮ‬, en marocain: slaʕt ǝlbḥar “marchandises importées par mer”62.
- ‫ آﺴﻰ‬pour nommer un vêtement d’homme, ksa existe encore aujourd’hui
au nord du Maroc pour désigner un ḥaik léger d’homme63.
- ‫“ ﺳﺮّاف‬sorte de grand coutelas”, à Jbala aujourd’hui sǝrrāf signifie
“sabre de bois”64.
- ‫وﺳﻂ اﻟﺪار‬, en classique c’est “le milieu de la maison”, mais il a ici le sens
du marocain: wǝṣṭ ǝḍ-ḍār c’est “la cour intérieure des maisons marocaines”65.
- ‫“ واﻟﻲ‬saint” et comme synonyme de šayx. En marocain wāli a, entre
autres sens, celui de saint66.
On trouve en plus, des mots berbères, par exemple: aḏerḍur “sourd”,
ṯīrnoṭ “un type d’arbuste”, qui existe encore dans la région du Rif, et d
termes d’origine latine comme kanbūs “voile de tête pour une femme”.
2.4. Malʕabāt al-Kafīf az-Zarhūnī
Continuons avec l’époque marinide où on trouve le long poème épique
intitulé ‫( ﻣﻠﻌﺒﺔ اﻟﻜﻔﻴﻒ اﻟﺰرهﻮﻧﻲ‬Malʕabāt al-Kafīf az-Zarhūnī), édité par Mohamed
Bencherifa67 et étudié par ce même auteur d’un point de vue linguistique68.
Cet auteur affirme que la langue ici trouvée coïncide plutôt avec la langue
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Prémare DAF, 5 : 424.
Prémare DAF, 6 : 160.
Prémare DAF, 10 : 584.
Prémare DAF, 6 : 80.
Prémare DAF, 12 : 199.
Prémare DAF, 12 : 276.
Édition publiée à Rabat en 1987.
Voir Bencherifa 1994. Tous nos exemples proviennent de ce travail.
De los manuscritos medievales a internet
des cejeles andalous, mais il insiste aussi sur les coïncidences existantes entre
l’arabe andalou et l’arabe marocain au Moyen Âge69.
D’après Bencherifa, son auteur pourrait être de la région de Jbala, au nord
du Maroc70, une affirmation basée sur quelques caractéristiques linguistiques
du texte. De cette façon, il a remarqué l’existence dans le texte des quelques
traits intéressants présents aussi dans les dialectes jeblis marocains contemporains71. Il s’agit de la chute du phonème /h/ dans les pronoms
personnels suffixes, ainsi : ‫ ﻣﻨّﺎ‬au lieu de ‫“ ﻣﻨﻬﺎ‬d’elle”, ou ‫ ﺷﺮﻗﺎ‬au lieu de ‫ﺷﺮﻗﻬﺎ‬
“son Orient”. Et en pluriel : ْ‫ ﺑﻴ َﻨﻢ‬au lieu de ‫ﺑﻴﻨﻬﻢ‬, ou ْ‫ﻋِﻨ َﺪم‬au lieu de ‫“ ﻋﻨﺪهﻢ‬chez
eux”.
Aussi, on relève l’usage du verbe ‫ اﻟﻘﻰ‬au lieu de ‫ ﻋﻤﻞ‬avec le sens de “faire” 72.
Sinon, par rapport au lexique, il y a quelques mots appartenant au néoarabe, dont certains existaient déjà en andalou. Voici quelques exemples :
‫“ ﺷﺎﺷﻴﺔ‬chapeau”. Le mot a été cité aussi par Ibn Hišām comme on l’a vu.
En marocain, i y a le terme šāšiyya 73.
‫ﻗﻴﻄﻮن‬: il existait aussi en andalou pour “tente”74, et comme Bencherifa
affirme, il s’agit d’un mot très connu au Maroc: qaiṭūn 75.
‫اﻟﺰآﺮون‬: “verrou”. On ne l’a pas trouvé en andalou. D’après Corriente, il
s’agit d’un mot grec76. En marocain, il a le même sens et il est prononcé
zǝkrūm 77.
‫ﺷﺎﺑﻞ‬: c’est le nom d’un poisson, connu aujourd’hui au Maroc comme
šābǝl. C’est un emprunt au mot espagnol “sábalo”78.
‫ﺑﺤﻞ‬: utilisé pour la comparaison. Il s’agit de l’adverbe “comme”,
prononcé bḥāl en marocain79.
‫ذوك‬: “ceux”. En marocain, dūk est l’adjectif démonstratif pluriel habituel,
par exemple dūk əl-ūlād “ceux garçons”.
Dans les deux derniers cas, on peut remarquer l’emploi de mots clairement dialectaux mais qui ne reflètent pas la prononciation du marocain
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Bencherifa 1994 : 13 et 16.
Bencherifa 1994 : 16.
Pour ces caractéristiques dans les variétés actuelles du nord du Maroc, voir Vicente 2000 :
138.
Bencherifa 1994 : 17.
Bencherifa 1994 : 13.
Corriente 1997 : 451.
Bencherifa 1994 : 13. Pour le marocain, Prémare DAF, 10 : 753.
Notification personnelle.
Bencherifa 1994 : 14. Pour le marocain, Prémare DAF, 5 : 349. D’après ce dernier, le mot a
une origine berbère provenant du azəkrum.
Bencherifa 1994 : 13. Pour le marocain, cf. Prémare DAF, 7 : 24, qui nous renseigne sur son
attestation déjà au XIIe siècle par le géographe al-Idrīsī de Ceuta.
Bencherifa 1994 : 15. Pour le marocain, Prémare DAF, 1 : 141.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
113
actuel. Il peut s’agir ici d’une pseudo-correction ou d’une évolution dans la
prononciation du marocain dès l’époque de cet ouvrage jusqu’à nos jours.
2.5. al-Miʕyār d’al-Wanšarīsī
L’ouvrage suivant est de Abū al-ʕAbbās al-Wanšarīsī, connu avec le titre
de ‫( اﻟﻤﻌﻴﺎر‬al-Miʕyār). Il s’agit d’une des sources les plus importantes sur de
nombreuses questions juridico-religieuses islamiques car il contient une
collection de fatwas malékites. L’auteur, du XVe siècle, est né en Algérie,
mais il a longtemps vécu au Maroc où il est mort à Fès en 1508. Malgré le
sujet abordé80, c’est un texte qui montre quelques dialectalismes81. Ils concernent surtout le domaine du lexique dont le sens à évolué de l’arabe ancien
au néoarabe.
A. al-Wadġīrī a déjà fait une étude sur les dialectalismes d’origine
andalouse et marocaine présents dans cet ouvrage. On va en voir quelques
exemples:
‫ ُدوﱠار‬: avec le même sens que le mot a en arabe andalou et en marocain,
cela veut dire un petit village bédouin (groupe de tentes disposées
circulairement)82. Il faut souligner la prononciation marocaine, ḍōwwār, au
lieu de l’andalouse dawwār 83.
‫ ﻣﺪرﺳﺔ‬: ce mot a le sens d’établissement d’enseignement, comme en arabe
ancien, mais l’auteur l’utilise aussi avec le sens d’établissement où les
étudiants en sciences islamiques peuvent habiter, une évolution du neoarabe.
En marocain, ils sont prononcés d’une façon différente pour les distinguer :
mǝdrāsa, le premier, et mǝdǝrsa, le deuxième84.
‫ ﺑﺎآﻮر‬: en arabe ancien, il s’agit de la pluie de la première heure du matin,
mais al-Wanšarīsī l’utilise avec le sens du néoarabe : “figues précoces et de
grande taille”, qui existe en andalou et en marocain85.
‫ ﺑﻄﻨﻴﱠﺔ‬: “abdominal” en arabe ancien. Dans le Miʕyār, c’est une ceinture
normalement en cuir, et dans un sens qu’on trouve aussi en arabe andalou.
Cependant, en marocain actuel, bǝṭniyya, il a le sens de “ventrée”86.
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114
Normalement pour des sujets comme la religion et le droit, la variété de l’arabe utilisée est
toujours l’arabe classique ; mais dans le texte d’al-Wanšarīsī, cet auteur a utilisé des mots et
expressions qui n’appartiennent pas à cette variété mais aux dialectes andalou ou marocain
de son époque, comme al-Wadġīrī a déjà démontré, cf. al-Wadġīrī 1994 : 42.
Tous nos exemples proviennent de cet article, cf. al-Wadġīrī 1994.
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 44.
83
Voir pour le marocain Prémare DAF, 4 : 380, et pour l’andalou Corriente 1997 : 187.
84
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 44. Pour le marocaine, Prémare, DAF 4 : 257.
85
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 44. Pour le marocain, Prémare DAF, 1 : 286, pour l’andalou, Corriente
1997 : 60.
De los manuscritos medievales a internet
‫ ﻣﺨﺰن‬: “magasin aux vivres” en arabe ancien. Mais dans cet ouvrage il est
utilisé avec le sens marocain ainsi que l’explique al-Wadġīrī87 : il s’agissait
du trésor de l’état dans un premier temps, de l’état même dans une deuxième
étape, et ce terme renvoie aux hommes de l’état dans un troisième temps, le
même qu’à l’époque actuelle88.
‫ ﻣﺮﻣﱠﺔ‬: “réparation” en arabe ancien, mais dans le texte d’al-Wanšarīsī cela
veut dire “métier à tisser”, comme le mot marocain mrǝmma 89.
‫ زاوﻳﺔ‬: on l’a déjà vu pour le Maqṣad (voir supra). Al-Wanšarīsī l’a utilisé
aussi avec le sens d’endroit pour la prière et siège d’une confrérie religieuse,
le même que celui du mot marocain zāwya 90, alors qu’en arabe ancien il n’a
que le premier sens d’endroit pour la prière.
On trouve aussi d’autres mots qui sont des emprunts. Par exemple, du
marocain à l’espagnol, à travers l’andalou, comme ‫ اﻟﺴﺒﺎط‬de l’espagnol
“zapato”, en marocain ṣǝbbāṭ “paire de chaussures”91 ; ou du marocain à
l’amazigue : ‫ﻣﺰوار‬, dans cette langue amzwar “chef de clan”, en marocain
c’est mǝzwār et cela veut dire “un notable religieux des familles des Chorfa
chargé de la protection des intérêts du clan”92.
3. Du XVIe siècle aux premiers travaux de dialectologie
marocaine
Au cours des siècles, on remarque que le nombre de documents contenant
certains traits des langues vernaculaires a augmenté de façon progressive.
Ainsi, les documents utiles pour la connaissance de l’évolution diachronique
de l’arabe marocain deviennent plus nombreux à partir du XVIe siècle,
comme par exemple les poésies du Meždūb, auquel on a attribué un nombre
indéterminé de quatrains plusieurs fois édités (les mǝždūbiyyāt), et aussi les
corpus de mǝlḥūn, bien qu’ils ne soient pas très profitables pour les études de
dialectologie car ils ne reflètent pas un registre tout à fait dialectal.
Mais ce sont surtout les chroniques historiques, qui deviennent plus abondantes à partir de l’époque saʕadienne et dans lesquelles on va trouver une
86
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 44. Pour l’andalou, Corriente 1997 : 56, et pour le marocain, Prémare
DAF, 1 : 256.
87
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 44.
88
Cf. Prémare DAF, 4 : 73, en andalou c’est la cour royale, Corriente 1997 : 156.
89
Cf. Prémare DAF, 5 : 214, aussi en andalou, Corriente 1997 : 218.
90
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 44. Pour le marocain Prémare DAF, 5 : 424, pour l’andalou, Corriente
1997 : 238.
91
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 46, pour le marocain Prémare DAF, 6 : 19.
92
Cf. al-Wadġīrī 1994 : 47, pour le marocain Prémare DAF, 11 : 190.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
115
plus grande quantité de sources en arabe moyen avec une plus grande
présence de dialectalismes. Ainsi, Lévi-Provençal a affirmé en parlant des
historiens des dynasties des Chorfa (les Saʕadiens et les ʕAlaouites) que :
“la langue du Coran n’est pas la seule employée, les lettrés du pays
utilisent la langue courante que l’on parle autour d’eux, leur véritable
langue maternelle”93.
Et il ajoute ensuite :
“la langue des chroniqueurs a forcement évolué avec le temps. Elle
présente aussi des réminiscences d’expressions dialectales”94.
A partir des chroniques des Saʕdiens on trouvera l’influence de l’empire
ottoman, avec l’importation d’un nombre assez considérable de mots
d’origine turque dans la langue officielle. Les chroniques ʕalaouites contiennent aussi plusieurs vocables étrangers et des dialectalismes. Les premiers
nous renseignent sur la façon dont le Maroc s’est modernisé surtout à partir
du XVIIe siècle, et les deuxièmes sur l’état de l’arabe marocain à cette
époque-là.
Aussi on dispose du témoignage des lettres rédigées par les kuttāb de la
chancellerie royale et envoyées vers les royaumes voisins aussi en arabe
moyen. C’est le cas par exemple des nombreuses lettres reçues par le roi
d’Espagne Philippe II du sultan saʕdien Aḥmad al-Manṣūr avec l’objectif de
résoudre quelques problèmes diplomatiques. Datées des années 1590-1640,
on peut y trouver les traits caractéristiques de l’arabe moyen, les pseudocorrections typiques, mais aussi le dialectalismes provoqués par l’influence de
la langue vernaculaire des scribes, le marocain, sur l’arabe écrit95. Les
caractéristiques du marocain repérables dans ces lettres ont été déjà étudiées96. On y voit que malgré les coïncidences avec d’autres textes écrits en
arabe moyen, il a aussi plusieurs caractéristiques vraiment marocaines, qui
peuvent nous renseigner sur l’état du marocain de l’époque. Voyons par
exemple les mots suivants : bġīt “je veux”, ġīs “boue”, brāwāt “lettres”,
wīdān “fleuves”97. Mais maintenant la nouveauté est l’existence de plusieurs
traits dans tous les domaines de la langue, la phonétique, la morphosyntaxe et
le lexique.
En résumé, il semble que les rapports entretenus avec les représentants
des puissances européennes ont obligé à faire usage d’un style de prose
93
94
95
96
97
116
Lévi-Provençal 1922 : 76.
Lévi-Provençal 1922 : 81.
Elles ont été éditées par García-Arenal / Rodríguez Mediano / El Hour 2002.
Voir Vicente 2002-2003 et Vicente 2001-2003.
Cf. Vicente 2002-2003 : 329.
De los manuscritos medievales a internet
concis et surtout adapté aux nouveaux besoins. A ce sujet, Lévi-Provençal
précisait l’existence au Maroc de cette époque-là d’une façon d’écrire spéciale aux secrétaires de cour, qu’on a appelé style et langue du Makhzen.
Cela veut dire qu’ils le faisaient volontairement mais sans que cela soit la
preuve d’une mauvaise connaissance de la grammaire classique, et en étant
bien l’une des caractéristiques de cette variété connue comme arabe moyen.
Le dernier fait exposé ne concerne pas seulement les textes provenant
d’un contexte officiel car on a aussi les manuscrits coutumiers des siècles
XVIe, XVIIe et XVIIIe trouvés apparemment dans quelques zaouiyas
marocaines98. Ils sont presque inconnus, la plupart non édités, et ils sont très
probablement plus intéressants d’un point de vue dialectologique.
C’est dans ce contexte de relâchement relatif qu’ont paru les deux
premiers ouvrages considérés, et malgré leurs défauts considérables, les premières tentatives de faire de la dialectologie marocaine. A partir d’elles, nous
pouvons déduire quelques traits de l’arabe marocain parlé à la fin du XVIIIe
et au XIXe siècle, et dans les deux cas, les auteurs étaient des étrangers. Il
s’agit de l’ouvrage intitulé Relation de la captivité du Sr Moüette dans les
royaumes de Fez et de Maroc, publié en 1783. A la fin, il y a en annexe le
Dictionnaire arabesque (p. 330-362). Il s’agit d’un glossaire français-darija en
graphie latine avec une transcription très rudimentaire99.
Un peu plus tard, au début du XIXe siècle, apparaîtra la première
description de l’arabe marocain, sur le parler de Tanger, par Francisci de
Dombay, avec le titre Grammatica linguae mauro-arabicae justa vernaculi
idiomatis usum: accesit vocabularium latino-mauro-arabicum, avec tous les
exemples en graphie arabe, sa transcription et la traduction latine.
4. Conclusion
Comme on a vu, on dispose de quelques matériaux pour étudier
l’évolution diachronique de l’arabe marocain même s’ils sont insuffisants
pour faire des descriptions plus ou moins complètes. Cette situation est due à
l’action des éditeurs de ces ouvrages qui à plusieurs reprises ont considéré
nécessaire de corriger quelques “erreurs” commises à cause des petites
distractions des scribes. Ainsi, les éditions des textes ont été malheureusement modifiées à maintes reprises et dépourvues de tout ce qui déformait la langue arabe classique, et en faisant cela, elles sont devenues inutiles
pour l’étude diachronique des langues vernaculaires.
98
99
Très semblables aux textes que Pablo Sánchez décrit dans son étude publiée dans ce volume.
D’après Colin, il s’agit d’un “document assez médiocre mais qui demeure la seule source un
peu abondante où nous puissions puiser des renseignements sur l’arabe parlé à cette
époque”, cf. Colin 1930 : 104.
Á. Vicente, Sur la piste de l’arabe marocain dans quelques sources écrites anciennes
117
Si on veut récupérer cette information, on a une tâche énorme de réédition
de ces textes en respectant la langue telle qu’elle apparaît dans les manuscrits.
Maintenant, et face au matériel dont on dispose, on peut aussi souligner
quelques aspects importants : d’abord la relation indiscutable entre le marocain et l’arabe andalou, au moins jusqu’à la disparition du dernier au XVIIe
siècle ; ensuite la survivance de certains traits anciens dans les variétés
marocaines septentrionales d’où on peut confirmer son conservatisme
plusieurs fois déjà admis ; aussi le lien de la plupart des données avec le
lexique car ce domaine de la langue est le plus perméable aux influences externes, comme les emprunts des langues voisines, et où l’évolution de l’arabe
ancien au néoarabe est moins évident a priori, et pour conclure, le manque
évident de données sur l’arabe marocain ancien qui rend impossible une étude
diachronique profonde de cette variété vernaculaire de l’arabe.
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