L`humanisme, qu`est-ce à dire

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L`humanisme, qu`est-ce à dire
Confucius parlait peu du « sens de l’humain » parce que c’est là une notion immense que, même si l’on
en parle tous les jours, comme le fait Confucius, on ne fait toujours que commencer d’en parler.
François Julien
In Chine, la dissidence de François Julien, Seuil, Paris, 2011, p.193.
L’humanisme, qu’est-ce à dire ?
Pour commencer d’en parler, en sachant que nous ne finirons pas, nous partirons de la 5ème compétence
du socle des connaissances que les élèves doivent acquérir en primaire et dans les collèges. Que ditelle ?
Voici :
« La culture humaniste : La culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la
sensibilité et permet d’acquérir des repères :
•
•
•
en histoire (événements fondateurs)
en géographie (paysages et territoires, populations, etc.)
en littérature et en arts (les grandes œuvres)
Une approche sensible des œuvres initie l'élève à l'histoire des arts. Il est engagé dans des pratiques
artistiques personnelles. »
Il est bien entendu qu’il s’agit d’un texte qui donne de grandes orientations. Cependant, ces orientations
soulèvent biens des perplexités.
En effet ; il existe plusieurs cultures se réclamant de l’humanisme. Celui-ci a-t-on coutume de dire est
d’abord né dans l’entourage et grâce à Cicéron, homme d’état et philosophe romain du premier siècle
avant notre ère, ensuite il y a l’humanisme de la “Renaissance”, le plus connu et auquel on se réfère
volontiers. La « déclaration des droits de l’homme et du citoyen » permet à de nombreux auteurs de
parler d’un « humanisme des modernes ». Et à l’heure actuelle, il est frappant de constater que le mot
est utilisé pour souligner l’aspect positif d’un homme et d’une vie. Cela a été le cas lors du décès de
Stéphane Hessel.
Ensuite, le texte parle de formation du jugement. Mais que faut-il entendre par là ? S’agit-il des
jugements esthétiques, politiques, moraux, etc. Nous pouvons nous interroger de la même façon à
propos du « goût » et de la « sensibilité ». Or la nature des jugements est fort complexe. Il suffit de
penser au jugement esthétique si admirablement analysé par Kant dans la Critique du Jugement, au
jugement politique si complexement pensé par Hannah Arendt, etc.
Mais il y a « pire » si j’ose dire. La culture humaniste permettrait d’acquérir des repères. On pourrait
penser qu’il s’agit de repères qui portent sur « l’humanité des humains », en quoi consiste-t-elle, etc. ?
En réalité, il s’agit de repères temporels et spatiaux auxquels s’ajoute la littérature et les arts. On a un
attelage curieux, l’histoire, la géographie, la littérature et l’histoire de l’art et la pratique d’un art. Il est
difficile de décider ce qui est un repère historique. A titre d’exemple la distinction entre Moyen-Âge et
Renaissance n’a plus qu’un usage utilitaire et ne correspond en rien à la réalité historique. La
géographie est une discipline en pleine réorganisation. De plus on est en droit de s’interroger sur la
nature de repères en littérature et en arts, même si on parle de grandes œuvres. Et remarquons que les
humanistes avaient un rapport complexe à l’histoire qu’ils avaient surtout à constituer et à la géographie,
elle aussi en pleine formation. Aujourd’hui, nos deux disciplines appartiennent de plein droit à la culture.
On voit bien, qu’il s’agit d’un collage du ministère. Après avoir insisté sur les langues (première et
deuxième compétence) les sciences et les techniques (troisième et quatrième compétence), il fallait bien
« caser » quelque part l’histoire et la géographie
De plus, des caractéristiques qui sont habituellement parties intégrantes de l’humanisme sont mises
dans d’autres compétences, ainsi du civisme, de la responsabilité, de la liberté et de l’autonomie
(compétences six et sept) et même de l’apprentissage d’une ou plusieurs autres langues (compétence
1
2). La maîtrise d’autres langues a toujours été considérée comme essentielle par les humanistes. Le
texte du ministère est, première hypothèse l’amorce d’une nouvelle phase de l’humanisme, puisque
manifestement, il ne se réfère à aucunes des formes historiques de l’humanisme mais au contraire en
propose implicitement une nouvelle ou alors deuxième hypothèse, un bricolage didactique et
institutionnel pour enrober des matières traditionnelles (français, maths, etc.) dans un habit mal taillé
mais dont il a, peut-être, été pensé qu’il aurait plus de prestance. Chacun choisira l’hypothèse qui lui
semble la meilleure. Dernière remarque, le mot « culture » dans « culture humaniste » oublie ou plutôt
cache le fait que l’humanisme n’est pas compréhensible en dehors de la « philosophie » humaniste. La
philosophie est la grande absente ; certes, cela se comprend, elle ne s’enseigne pour l’essentiel qu’à
partir de la classe terminale, c’est, sans doute, la raison de l’absence du mot et de la chose et de la
présence du mot culture.
Comment dans ces conditions jeter quelques lumières sur la question de « l’humanité des humains » ?
Comment cela peut-il faire sens pour nous-mêmes et pour nos élèves. Le mérite de ces difficultés est
qu’elles nous obligent à les lever par nous-mêmes, si nous le pouvons, du moins de les éclairer, en
essayer au bout de course, parvenir à des points essentiels.
I. Survol de quelques moments historiques de l’humanisme.
A) Rome.
Cicéron est un avocat et un homme politique romain qui a lutté contre la corruption et les « coups
d’état » qui menaçaient la République romaine. Sa lutte a été finalement un échec puisque Jules César
a fini par accéder au pouvoir. L’humanitas des romains articulait trois grandes significations qui ont été
insuffisante pour éviter la chute de la république. Dans la morale, l’humanitas était la recherche de la
« mesure propre à l’homme ». L’homme de l’humanitas se réalisait dans la culture et les rapports
sociaux devaient être dominés par la bienveillance1, c’est-à-dire la politesse et la civilité2. Il s’oppose en
ce sens aux barbares aux vulgaires. Tous ces points étaient pensés comme indépendants de tout droit
et règle des législations humaines. Ils expriment la vraie loi, la droite raison, conforme à la nature, et qui
est donné immédiatement en chaque homme. Cette vraie loi et cette droite raison sont en deçà des
législations particulières de Rome ou d’Athènes, et elles ne dépendent pas des différentes écoles de
philosophie. Elles sont des « universels en acte ». Elle est le sens de ce que nous pouvons nommer la
« dignité de l’humanité des humains ». Cicéron a étudié les courants principaux de la philosophie
grecque, l’épicurisme, l’académie (l’école de Platon) et le stoïcisme. Il est pleinement romain en tant que
transmetteur de l’héritage reçu. Il a eu un rôle central dans l’acclimatation des concepts grecs dans la
langue latine. Tout humanisme, en effet, est une reprise et une transmission de l’héritage culturel du
passé. Les humanistes sont des passeurs. A ce titre ils assurent la continuité de la culture humaine. A
ce titre tout enseignant, qu’il le sache ou pas, en tant que passeur relève de l’humanitas, il est par
profession un humaniste.
B) L’Italie et L’Europe.
Cela est encore plus vrai avec les humanistes de la Renaissance qui pensent leur travail
comme un retour à l’antiquité, ils ont, pensent-ils à découvrir et faire connaître les grandes œuvres de
l’Antiquité. Le grand Etienne Gilson définissait l’humanisme de la Renaissance ainsi : « L’humanisme,
c’est à la fois, le culte de l’antiquité grecque et romaine, le sentiment de la valeur et de la beauté de la
forme prise en elle-même, c’est enfin le sentiment correspondant de la valeur, de la dignité de la nature
1
Il faut noter que cette idée de « bienveillance » se trouve dans le texte « Refondons l’école de la République » (p. 26,27).
Erwin Panofsky, L’œuvre d’art et ses significations, Gallimard, Paris, 1969, p. 29-30. « Le terme d’humanitas avait eu au
cours des siècles deux acceptions très distinctes : la première naissait d’une opposition entre l’homme et ce qui est en deça de
l’homme ; la seconde, entre l’homme et ce qui est au-delà de l’homme. Dans le premier cas, humanitas désignait une valeur,
dans le second une limitation. Le concept d’humanitas, en tant que valeur, avait été formulé dans l’entourage de Scipion le
Jeune, dont le porte-parole tardif, mais fort explicite, fut Cicéron. Il désignait cette qualité qui distingue l’homme, non
seulement des animaux, mais aussi, mais surtout, de quiconque appartient à l’espèce homo sans pouvoir prétendre au nom
d’homo humanis ; qui le distingue du barbare, ou du vulgaire, dépourvu de pietas et de paideia – étranger en somme aux
valeurs morales et à cet autre mélange de savoir et d’urbanité que nous ne saurions guère circonscrire qu’au moyen du terme, si
discrétité, de « culture ». (suite note 8).
2
2
et de l’homme comme tels.3 » Le culte de l’Antiquité grecque et romaine n’est pas le seul fait des
humanistes et leur but n’est pas seulement de la transmission. Il s’agit pour les humanistes comme le
souligne Etienne Klein dans sa préface à l’œuvre de Jacob Buckhardt4 de puiser dans l’antiquité un
modèle parfait du but à atteindre qui « consiste dans la réalisation d’un maximum de beauté et
d’harmonie soit par la grandeur morale, soit par la jouissance esthétique, soit par la perfection du jeu
politique.5 » Gilson le dit aussi lorsqu’il explique que l’humanisme est « le sentiment de la valeur et de la
beauté de la forme prise en elle-même ». Cette beauté de la forme prise en elle-même signifie
l’existence d’une belle forme immanente. Elle ne reçoit plus sa beauté d’une transcendance, d’une
participation à un au-delà. Elle existe en elle-même et par elle-même. D’où la recherche de la perfection
dans des œuvres d’art, d’où le fait que la vie d’une personne va être conçue également comme une
œuvre d’art, etc. La beauté de la nature va alors être comprise comme étant celle d’une œuvre d’art, et
l’homme lui-même pensé comme œuvre d’art en tant que libre, d’où l’affirmation de la dignité de celui-ci.
Raymond Sibudia6, écrit la Scientia de homine (Science de l’homme) (1436). « La thèse centrale de
Sibiuda tient dans l’affirmation de l’indépendance et de la primauté de ce qu’il nomme la « science de
l’homme en tant qu’homme », à l’égard de toute autre science et de tout autre art, comme à l’égard des
écritures et des docteurs, ainsi que sur le fait que cette science permet de résoudre toute question qui
se pose à l’homme, et qu’elle peut être dite aisément accessible et commune à tous7. » Pour lui
l’humanité de l’homme consiste dans sa liberté, agir pour l’homme implique que l’on ne puisse régler les
actions de l’homme qu’en usant de la raison, et non par contrainte8. De la liberté de l’homme découle sa
dignité9.
[Que vaut cette affirmation de la liberté et de la dignité des hommes ? Il est très clair qu’elle vaut aussi
pour nos élèves. Seulement ici, il faut faire attention, l’affirmation de la liberté, telle qu’elle est donnée
par les humanistes, fait de celle-ci une essence, une donnée anthropologique de l’homme.
Immédiatement apparaît l’interrogation de l’existence de l’esclavage, de l’exploitation de l’homme par
l’homme, etc. bref de la non liberté réelle des hommes. La seule façon de lever cette contradiction est de
soutenir que la liberté humaine n’est pas une donnée mais une conquête : le résultat d’un travail, d’une
lutte. Nos élèves deviendront libres s’ils conquièrent cette liberté ce qui passe par le travail que nous
faisons avec eux, dans le jeu des dialogues et des l’interactivités raisonnés.] L’homme devient centre de
lui-même. Le développement de la perspective met au centre du tableau l’œil du spectateur. Le tableau
est tout entier conçu pour l’homme en tant qu’individu percevant10. Et l’histoire de l’art est souvent prise
3
Etienne Gilson, Humanisme et Renaissance, Vrin, Paris, 1986, p. 11.
Jacob Burckhardt, Civilisation de la Renaissance en Italie, Le livre de Poche, Paris, 1958.
5
Etienne Klein, Préface à Jacob Burckhardt, Civilisation de la Renaissance en Italie, Le livre de Poche, Paris, 1958, p. XVI.
6
Raymond Sibiuda est un prêtre régulier, enseignant à l’université de Toulouse dans le premiers tiers du 15ème s. Il est à la fois,
théologien, médecin, et licencié en droit canon.
7
Emmanuel Faye, Philosophie et perfection de l’homme, de la Renaissance à Descartes, Vrin, Paris, 1998, p. 47.
8
Eugenio Garin, Moyen Age et Renaissance, Gallimard, Paris, 1969, p. 241 : « Le mérite de l’humanisme, on ne le répétera
jamais assez, est d’avoir inauguré une méthode libérée de tout préjugé et de toute autorité, instaurant ainsi une habitude
mentale de resituer dans le moment et dans le milieu historique qui les virent naître les textes consacrés par la vénération la
plus antique, y compris les livres sacrés de toutes les religions. Il a su juger par lui-même, selon les critères de la raison, l’esprit
libre de toute prévention – telle est l’éloge qu’Erasme fait de Valla et qu’on peut appliquer également à Politien. »
9
Erwin Panofsky, L’œuvre d’art et ses significations, Gallimard, Paris, 1969, p. 30. : « Ainsi l’idée que la Renaissance se fit
de l’humanitas prit d’emblée un double visage. L’intérêt tout nouveau que l’on portait à l’homme se fondait à la fois sur un
« rappel à la vie » de l’antithèse classique entre humanitas et barbaritas ou féritas, et sur une « survie » de l’antithèse
médiévale entre humanitas et divinitas. Quand Marsile Ficin définit l’homme comme « âme rationnelle participant à l’intellect
de Dieu mais opérant dans un corps », il le définit comme le seul être tout ensemble doué d’autonomie et voué à la finitude. (..)
C’est de cette conception ambivalente de l’humanitas que l’humanisme est né. Il ne s’agit pas tant d’un mouvement que d’une
attitude ; on la peut définir comme la foi en la dignité de l’homme, que fondent tout ensemble l’importance attribuée aux
valeurs humaines (rationalité, liberté) et l’acceptation des humaines limitations (faillibilité, fragilité). De ce double postulat
résulte le sens de la responsabilité et de la tolérance. »
10
Daniel Arasse, L’homme en perspective, Bibliothèque Hazan, Paris, 2008, p. 204. : « La perspective se fonde sur les
conditions « humaines » de la vision pour construire une image supposée vraie du monde ; à l’inverse donc des système de
représentation antérieure, fondés sur une hiérarchie « morale » des dimensions, l’espace pictural de la Renaissance affirme
implicitement la capacité de l’esprit humain à comprendre et à connaître la « nature des choses ». Ils constituent, selon la belle
formule de Panofsky, une « objectivation de la subjectivité » ; il faut ajouter, toujours selon lui, que cette perspective
mathématique et cohérente, constituerait la «forme symbolique» d’une « vision déthéologisée » du monde : elle figure en
effet l’infini « en acte » dans la matière créée – puisque les lignes de fuite parallèles se rejoignent à l’infini – alors que la
pensée religieuse médiévale continuait de concevoir cet « infini en acte » uniquement dans l’omnipotence divine. »
4
3
comme support pour illustrer la « naissance de l’individu »11. Il s’agit de marquer le dégagement de
l’individu hors des liens sociaux et sa naissance en tant que reposant sur lui-même. Il s’agit d’une
promotion de la valeur individuelle et non plus de la valeur associée à un rang dans la société. [On
pourrait dire parodiant le Sartre de « L’existentialisme est une humanisme » que l’« Individualisme est un
humanisme ». Pour nous, enseignants, cela signifie que chaque élève vaut par lui-même et non pas en
tant que « fils ou fille de.. ». Le respect que nous lui devons, nous lui donnons parce qu’il est notre égal
en tant que nous sommes des individus comme lui, qu’il soit Rom, d’origine étrangère, fils de Sdf, ou
sans papier, etc. notre désir d’enseigner lui est également acquis.]
Pour soutenir, cette montée en puissance de l’individu et de l’humanisme, considérons le dessin si
célèbre de Léonard de Vinci12 illustrant un passage de l’œuvre de Vitruve, le grand architecte romain13,
inscrit l’homme dans un cercle et un carré14. Il faut savoir que dans le Timée Platon réduit tous les corps
de la nature à quatre éléments géométriques. La terre est représentée par un cube, soit par des carrés.
Pour Léonard de Vinci qui connaît ce passage du Timée, le carré est
le symbole de la terre. Et si l’on se souvient que le cercle est depuis
les grecs et jusqu’à Kepler le lieu du Monde, la signification est visible
pour tous : l’homme se tient sur la terre et occupe l’espace entier du
monde, il est le nouvel Atlante qui le supporte dans toutes ses
dimensions15. Si l’on compare avec le dessin de la couverture du livre
d’Ernst Cassirer, on découvre les deux pentes de la période.
L’homme est inclus dans une série de cercles qui sont regroupés en
deux zones, le macrocosme et le microcosme. Cette division vient des
grecs et plus spécialement d’Aristote dont la cosmogonie comprenait
deux zones, le monde du ciel et le monde sublunaire. Ce qui n’est pas
aristotélicien ce sont les signes du zodiaque qui indiquent la
détermination de l’homme par l’influence des planètes, croyances qui
vient des mésopotamiens. De plus, il y a un angelot qui tire la roue du
11
A titre d’exemple, cf : Bernard Foccroule, Robert Legros, Tzvetan Todorov, La naissance de l’individu dans l’art, Grasset,
Paris, 2005.
12
Bien qu’en toute rigueur historique Léonard de Vinci n’est pas été un « humaniste » au sens strict. Seulement, il appartient à
la même époque et il est très inspiré par ce courant de pensées.
13
Ier s. av. J.C. auteur du livre « De l’architecture », - 25 avant JC.
14
Les proportions de l'homme ne concernent qu'un passage relativement court (781 mots latins) dans le chapitre 1 du livre III,
essentiellement les paragraphes 2 et 3 dont nous citons les principales lignes concernées, extraites du texte établi et traduit par
Pierre Gros (Paris, les belles lettres, 2003) : §. 2 « La nature a en effet ordonné le corps humain selon les normes suivantes : le
visage, depuis le menton jusqu'au sommet du front et à la racine des cheveux vaut le dixième de sa hauteur, de même que la
main ouverte, depuis l'articulation du poignet jusqu'à l'extrémité du majeur : la tête, depuis le menton jusqu'au sommet du
crâne, vaut un huitième ; du sommet de la poitrine mesuré à la base du cou jusqu'à la racine des cheveux on compte un sixième
; du milieu de la poitrine au sommet du crâne, un quart. Quant au visage, le tiers de sa hauteur se mesure de la base du menton
à la base du nez ; le nez, de la base des narines jusqu'au milieu de la ligne des sourcils, en vaut autant ; de cette limite jusqu'à la
racine des cheveux on définit le front qui constitue ainsi le troisième tiers. Le pied correspond à un sixième de la hauteur du
corps, l'avant-bras à un quart, ainsi que la poitrine. Les autres membres ont également des proportions spécifiques, qui les
rendent commensurables entre eux.... » §.3 « …Le centre du corps humain est en outre par nature le nombril ; de fait, si l'on
couche un homme sur le dos, mains et jambes écartées, et qu'on pointe un compas sur son nombril, on touchera
tangentiellement, en décrivant un cercle, l'extrémité des doigts de ses deux mains et de ses orteils. Mais ce n'est pas tout : de
même que la figure de la circonférence se réalise dans le corps, de même on y découvrira le schéma du carré. Si en effet
mesure est prise d'un homme depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête et qu'on reporte cette mesure sur la ligne
définie par ses mains tendues, la largeur se trouvera être égale à la hauteur, comme sur les aires carrées à l'équerre. »
La célébrité du dessin de Léonard de Vinci est liée à la qualité extrême du dessin par l'un des plus grands peintres de la
renaissance ; à l'exactitude du rendu des proportions suivant fidèlement le texte de Vitruve dans la continuité d'une longue
tradition gréco-romaine ; à l'inventivité d'un des plus puissants génies de la visualisation créatrice de tous les temps ; à un
véritable esprit scientifique puisque Léonard de Vinci est connu pour avoir pratiqué lui-même plusieurs dizaines de dissections
du corps humain, et de nombreuses coupes. La synthèse des deux figures sur le même corps central en ne dédoublant que les
membres scapulaires (supérieurs) et pelviens (inférieurs) dont le gauche est de profil pour apprécier la longueur du pied et
donner de l'assise à la base, sont les derniers traits de génie qui font de cette image une véritable icône.
15
« Dans le commentaire du Timée de Platon – dialogue dont Léonard recopiera textuellement toute la théorie géométrique des
éléments qu’on peut lire dans le manuscrit F de l’Institut de France – Marsile Ficin discute longuement « comment la physique
existe en dehors des mathématiques et peut être prouvée par elles. » Eugénio Garin, Moyen Âge et Renaissance, Gallimard,
Paris, 1969, p. 253. »
4
destin. Nous sommes à l’opposé du dessin de Galilée. La Renaissance est le passage d’une
cosmographie à une autre, du déterminisme à l’affirmation de la liberté, la promotion de l’homme est
maximale.
Cette promotion va paradoxalement aboutir à l’œuvre de Copernic. Le système de Ptolémée,
apparemment centré sur l’homme ne le satisfait pas en tant que l’univers de celui-ci n’est pas parfait.
Pour trouver la perfection de l’univers, explique-t-il, il faut que le spectateur du mouvement des planètes
occupe la position du soleil et alors il voit parfaitement la beauté du système solaire. En apparence,
l’homme et la Terre ne sont plus le centre du Monde, en réalité, la Raison humaine investit l’univers
entier. L’affirmation de la dignité de l’homme, en tant qu’existant par lui-même et en lui-même, emporte
une nouvelle vision de l’homme et de Dieu et redistribue les cartes au sein même de la théologie. Se
met en place une opposition qui va devenir classique entre transcendance et immanence. Cependant,
durant toute cette période l’opposition n’est pas celle entre athéisme et christianisme. La totalité de la
société se réclame du christianisme, les grands humanistes sont toujours de culture chrétienne. On a
affaire à l’irruption et le développement de l’humanisme à l’intérieur du christianisme. Ainsi chez Sibiuda,
il a deux sens du mot dignité, celui qui découle de sa liberté, et en tant qu’il est aussi théologien, la
dignité de l’homme découle du fait qu’il est créé par Dieu. D’ailleurs, certains prélats ou papes se
revendiqueront de l’humanisme. Durant cette période immanence et transcendance ne s’opposent pas.
L’immanence grandit à l’ombre de la transcendance. Mais cette situation ne peut pas durer comme le
laisse pressentir le dessin de Léonard de Vinci. Et d’abord dans le domaine politique. J’ai cité Etienne
Klein qui nous disait que les humanistes voulaient puiser dans l’antiquité un modèle parfait du but à
atteindre qui « consiste dans la réalisation d’un maximum de beauté et d’harmonie soit par la grandeur
morale, soit par la jouissance esthétique, soit par la perfection du jeu politique ». Qu’en est-il du jeu
politique et de l’humanisme ?
C) Les Temps Modernes.
1 - Remarques introductives.
Du point de vue de l’activité politique comme réalisation de « la perfection de jeu politique », le penseur
est Machiavel (1469-1527). Incontestablement la perfection du jeu politique renvoie chez lui à la qualité
de la “Virtù” qui chez lui est la capacité de la volonté de dominer la Fortuna, les hasards des contextes
qui risquent de ruiner les meilleurs plans politiques. Elle est la vaillance et le courage de dominer
l’adversité. [Nous aurions intérêt dans ce monde de vie « facile », de consommation, de simplement
nous souvenir et d’apprendre à nos élèves le rôle central de la volonté, du vouloir dans l’acquisition des
capacités et du savoir.] La volonté est le moteur qui conduit à l’acquisition de la liberté. Cela est vrai
pour Machiavel et pour tous les modernes. Mais la Virtù de l’homme politique tient surtout à sa capacité
d’être en accord avec le “peuple” car chez Machiavel, le peuple est le véritable maître du jeu politique,
seulement celui-ci l’ignore ! Avec l’avènement du peuple nous basculons dans l’univers moderne.
Cette promotion du peuple en tant que fondement de la vie sociale est bien connue. Ici les œuvres du
Thomas Hobbes et de J.J Rousseau sont emblématiques de cette irruption des peuples qui est à
l’origine des révolutions anglaises, américaines et françaises. C’est là le fond historique qui aboutit à « la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789. Cette déclaration est la base de l’humanisme
moderne. On notera qu’elle différencie nettement l’homme et le citoyen, là où Aristote définissait
l’homme comme « animal politique ». Elle est « la signification sociale imaginaire » centrale de notre
démocratie et de notre organisation de la vie sociale et politique. L’homme devient l’individu. La
déclaration des droits de l’homme assure sa promotion, on l’a vu s’affirmer tout au long du Moyen Âge et
de la Renaissance. La citoyenneté devient son attribut principal. L’humanisme devient par là politique, et
la question de la démocratie devient le centre de l’activité politique. Les révolutionnaires anglais,
américains et français ont affirmé l’universalité des droits ce qui est un pas immense bien que dans la
réalité cette universalité n’était pas appliquée et ne l’est toujours pas.
Il faut nous arrêter sur ces bouleversements majeurs.
5
Le peuple en tant que constitué d’individus est projeté dans la politique, celle-ci ne peut plus être
seulement le fait des papes, des empereurs, des rois, des princes, de l’aristocratie, ou des bourgeois. [Il
en résulte que tout élève est un citoyen en devenir, il en résulte la nécessité absolue de l’éducation
civique et politique, il en résulte la nécessaire prise de responsabilité des élèves, il en résulte la
valorisation de l’action politique en tant que tel. Le citoyen n’est plus un sujet, il devient un acteur.
L’élève doit devenir acteur de sa formation culturelle et politique. Un des modèles de cette réalité est
constitué par« les conseils municipaux de jeunes ». Les coopératives scolaires sont un modèle, certes
très positifs, mais en réalité elles évitent le politique ou plutôt ne s’y hissent pas. Il existe aussi les CVL
(conseil de vie lycéenne). L’enseignement civique et social demeure qu’on le veuille ou non un
enseignement à la marge alors que du point de vue démocratique, il devrait être central. La coupure
entre l’école et l’extérieur de l’école est ici maximale. Mais elle ne fait que ratifier la coupure entre le
corps électoral et les élus, conséquence de la domination de la représentation comme fondement du
système démocratique actuel.]
L’individu est devenu la référence pour ainsi dire « absolue ». C’est lui qui choisit et agit. Et
même s’il se réfère à Dieu, c’est lui qui choisit de s’y référer, du point de vue démocratique il n’existe pas
d’« appel » de quoi que ce soit extérieur à l’individu. Se pose alors la question de savoir comment en
tant qu’individu, je puis me repérer et agir à partir de mes seules ressources. C’est tout le problème de
ce que l’on nomme l’autonomie. Dans son opuscule « Qu’est-ce que les Lumières ? », Kant explique : «
Les lumières se définissent comme la sortie de l’homme de l’état de minorité, où il se maintient par sa
propre incapacité. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un
autre.16 » Ne pas être dirigé par un autre, être adulte, sont la même chose pour Kant. La démocratie
demande des citoyens adultes et non pas des êtres subordonnés à un tuteur, quel qu’il soit. [Cela pose
un problème immense aux éducateurs. Nous devons apprendre à nos élèves à ne pas avoir besoin de
nous17. Il faut qu’ils apprennent à marcher seul ! Et pour cela il faut accepter qu’ils puissent chuter, faire
des erreurs, se reprendre, etc. La pédagogie par l’erreur est donc essentielle !]
Mais attention, il ne s’agit pas de rendre nos élèves indépendants car l’autonomie ne signifie pas
l’indépendance, comme on le croit trop souvent. Il s’agit là d’un contresens pervers sur la nature de
l’autonomie. L’autonomie signifie que nous choisissons de façon personnelle le nomos, c’est-à-dire la loi
que nous nous donnons à nous-même pour agir. Se donner sa propre loi n’est pas pour Kant un acte
d’indépendance parce que la loi que nous nous donnons n’a de sens que si elle vaut pour tous, que si
elle engendre un monde vivable pour tous. Dit autrement, l’individu n’est pas enclos en lui-même, n’est
pas replié sur lui, mais en tant que possédant la raison18, il est ouvert à l’autre, il tient compte de
l’existence de l’autre. En effet, les trois maximes kantiennes de la pensée sont les suivantes : il faut,
premièrement « penser par soi-même », deuxièmement : « penser en se mettant à la place de tout
autre » et troisièmement il faut « toujours penser en accord avec soi-même ». Il en va de même dans le
domaine de la morale. En effet, d’après lui, les impératifs moraux que tous les hommes appliquent
s’énoncent : « agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse valoir comme principe
d’une loi universelle19 » et « agis toujours de telle sorte que tu traites autrui et ta propre personne
toujours comme une fin et jamais seulement comme un moyen.20» S’il en est ainsi alors « l’autonomie
est le principe de la dignité de la nature humaine,21 » en tant que nous sommes l’origine de la loi, nous
sommes l’origine des valeurs et nous valons (dignité) parce que nous sommes l’origine et le fondement
des valeurs. Toutes les autres sources de « valeurs » nous maintiennent dans l’« hétéronomie.». De
16
Kant, Réponse à la question : qu’est-ce que les lumières ? Gallimard, coll. Pléiade TII, Paris, 1985, p. 209, ss.
Kant, Réponse à la question : qu’est-ce que les lumières ? Gallimard, coll. Pléiade TII, Paris, 1985, p. 210. “Après avoir
rendu tout d’abord stupide leur bétail domestique (ceux qui sont encore mineur !), et soigneusement pris garde que ces
paisibles créatures ne puissent oser faire le moindre pas hors du parc où ils (les tuteurs !) les ont enfermés, ils leurs montrent
ensuite le danger qu’il y aurait à essayer de marcher seul. Or le danger n’est sans doute pas si grand que cela, étant donné que
quelques chutes finiraient bien par leur apprendre à marcher. ».
18
Pour les grecs, la Raison, le logos, n’existe qu’en tant que la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même. Cela signifie
que la pensée isolée n’est tout simplement pas de la pensée, comme nous le verrons avec Sophocle.
19
Kant, Critique de la Raison Pure, Gallimard, Pléiade T.II, Paris, 1985, p. 645.
20
Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, Gallimard, Pléiade T.II, Paris, 1985, p. 295.
21
Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, Gallimard, Pléiade T.II, Paris, 1985, p. 303.
17
6
plus, la moralité implique la libre expression de la pensée car dans ce domaine on ne saurait avoir
raison seul contre tous. Nous sommes bien dans la démocratie22.
[Nous savons maintenant pourquoi nos élèves sont si importants à nos yeux car ils sont, eux-mêmes
source de valeur où le deviendront.] La minorité pour les hommes n’est pas seulement qu’ils ne se
fatiguent pas à user de leur propre entendement mais qu’en usant de celui-ci, ils ne sont pas capable
d’universaliser. Une objection apparaît immédiatement, il ne s’agit que du domaine de la morale et non
pas du domaine politique ! Cette objection ne tient pas pour Kant. L’universalité de l’humanité n’est pas
seulement une affirmation morale, elle est l’affirmation de l’universalité des droits de l’homme et du
citoyen, elle est politique de part en part. La liberté et l’égalité sont affirmées comme valant
universellement. Kant est la pointe du mouvement humaniste et il rejoint les préoccupations de la
démocratie grecque (cf. note 22).
2- Objections à l’humanisme par l’antihumanisme contemporain.
Il y a des formes diverses d’antihumanisme. La raison essentielle de ces antihumanistes tient en ce que
l’humanisme n’a pu empêcher les monstruosités du XXe s. ou des siècles précédents. L’humanisme a
failli, il serait donc nécessaire de s’en dispenser, de le dépasser, de l’annuler. Les monstruosités du XXe
s. posent évidemment à tout humanisme un problème majeur mais les critiques attribuant les horreurs
du XXe s. à celui-ci, sont non seulement un peu courtes, il s’est constitué en opposition à la barbarie
mais surtout carrément fausses, dans la recherche des “causes” de ces monstruosités, on ne trouve
jamais l’humanisme ! Cependant ces objections existent. Quelles sont-elles23 ?
Curieusement, celui qui ouvre le bal de la critique de l’humanisme est Henri de Lubac, bien entendu
dans son cas, il est difficile de parler d’« antihumanisme » mais c’est pourtant la même logique que celle
des « antihumanismes » revendiqués. Dans son ouvrage paru en 1944, Le drame de l’humanisme
athée, il écrit : « Humanisme positiviste, humanisme marxiste, humanisme nietzschéen : beaucoup plus
qu’un athéisme proprement dit, la négation qui est à la base de chacun d’eux est un antithéisme, et plus
précisément un antichristianisme. Si opposés qu’ils soient entre eux, leurs implications, souterraines ou
manifestes, sont nombreuses, et de même qu’ils ont un fondement commun dans leur rejet de Dieu, ils
trouvent aussi des aboutissements analogues, dont le principal est l’écrasement de la personne
humaine.24 » Bien entendu, H. de Lubac se réclame du christianisme, c’est en son nom qu’il juge ce qu’il
nomme l’humanismes athée25.
La stratégie de Louis Althusser est en apparence différente. Son antihumanisme est théorique. Marx a
créé une nouvelle science, l’histoire. C’est à elle que revient le traitement théorique de la question de
l’homme. L’humanisme est ainsi disqualifié dans ses prétentions théoriques. Par contre il a son utilité en
tant qu’idéologie. Cette posture permet à Althusser de critiquer l’humanisme en tant qu’idéalisme qui se
22
Kant rejoint ainsi les positions de la démocratie grecque si admirablement mises en scène dans l’Antigone de Sophocle. Vers
707-709 : « Car celui qui croit qu’il est le seul à pouvoir juger, ou bien celui qui croit avoir une âme ou un discours que
personne d’autre n’a – ceux-là, si on les ouvre, on voit qu’ils sont vides. » Commentaire de Castoriadis in Figures du
pensable, Seuil, Paris, 1999, p. 27: « Créon a tort, même s’il a raison, parce qu’il s’en tient au monos phronein ; il ne se trouve
pas dans l’ison phronein, il ne veut ni ne peut entendre le discours et les raisons de l’autre, des autres. Il est dans l’hubris, il
n’arrive pas à « tisser ensemble ». On le voit la démocratie, quelle soit athénienne ou moderne implique les mêmes
positionnements. Elle est une construction commune de ce que nous avons en commun, à savoir le nomos.
23
Erwin Panofsky, L’œuvre d’art et ses significations, Gallimard, Paris, 1969, p. 30-31. suite de la note 9 : « De ce double
postulat résulte le sens de la responsabilité et de la tolérance.
Ce n’est pas merveille si cette attitude a été attaquée de deux camps opposés, qu’une commune aversion aux notions de
responsabilité et de tolérance fit récemment aligner sur un front commun. Dans l’un des camps sont retranchés tous ceux qui
nient les valeurs humaines : les déterministes, qu’ils croient en une prédestination divine, physique ou sociale ; les partisans
d’un ordre autoritaire ; et les « insectolâtres » qui rendent un culte exclusif à la ruche, que cette ruche se nomme groupe, classe,
nation ou race. Dans le camp opposé s’assemblent ceux qui nient les limitations humaines au profit de quelque libertinage
intellectuel ou anarchie politique, comme sont les esthètes, les vitalistes, les intuitionnistes, les adulateurs de l’âme héroïque.
Selon les déterministes, l’humaniste est soit une âme perdue, soit un idéologue ; selon l’autoritarisme, il est soit un hérétique,
soit un révolutionnaire (ou contre-révolutionnaire) ; selon l’« insectolâtrie », c’est un individualiste, donc un parasite. Et aux
yeux du libertaire, ce n’est qu’un bourgeois timoré. »
24
Henri de Lubac, Le drame de l’athéisme athée, UGE, Paris, 1963, p. 6.
25
Henri de Lubac analyse les positions de Feuerbach, de Marx et de Nietzsche. Feuerbach est un authentique humaniste. Le
cas de Marx est plus complexe. Quant à Nietzsche, il est impossible de le considérer comme un humaniste.
7
contenterait de grand discours en termes d’homme en général, et de revendiquer idéologiquement un
« humanisme-réel » qui vise les hommes en tant qu’organisés en sociétés et en classes sociales. Il y a
une identité de structure entre l’approche d’Henri de Lubac et celle de Louis Althusser. Tous les deux
critiques l’humanisme historique au nom d’une entité supérieure, Dieu pour l’un, la science marxiste pour
l’autre. Par où il apparaît que les deux discours sont dans l’hétéronomie au sens kantien, à savoir que le
lieu théorique de jugement sur l’humanisme est extérieur à l’homme lui-même.
Mais la critique la plus célèbre de l’humanisme est celle de Heidegger. Sa Lettre sur l’humanisme est en
réalité une lettre contre l’humanisme. Elle est une réponse et une critique des positions avancées par
Sartre dans sa conférence « L’existentialisme est un humanisme ». Un passage résume bien son
propos : « La pensée qui s’exprime dans Être et Temps26 est contre l’humanisme. Mais cette opposition
ne signifie pas qu’une telle pensée s’oriente à l’opposé de l’humain, plaide pour l’inhumain, défende la
barbarie et rabaisse la dignité de l’homme. Si l’on pense contre l’humanisme, c’est parce que
l’humanisme ne situe pas assez haut l’humanitas de l’homme.27 » Où situe-t-il alors l’humanitas de
l’homme ? Dans sa relation avec ce que Heidegger nomme l’Être et qui détermine le destin de l’homme.
Dans le cas de Heidegger, l’humanisme est désavoué en tant qu’il n’instaure pas une relation à l’Être.
L’Être remplace “Dieu” ou la “science” mais il occupe une position d’hétéronomie. La disqualification de
l’humanisme est toujours une stratégie pour faire de la place à un au-delà de l’homme tout se passe
comme s’il était impossible à l’homme de rester en place, de se penser en se maintenant dans la
question grecque : « connais-toi toi-même » ! En ce sens, ces penseurs sont des éternels adolescents,
ils veulent toujours aller voir au-delà des limites. Ils sont dans ce que les grecs nomment l’hubris, la
démesure. [La recherche de nos limites qui est, comme vous le savez, une caractéristique des
adolescents, est aussi une caractéristique centrale des êtres humains. En termes freudiens : la pulsion
de vie déborde infiniment la pulsion de mort.] L’homme de Léonard de Vinci se tient dans les limites d’un
cercle mais où se tenir lorsqu’il nous appartient de déterminer pour nous-mêmes nos limites, de nous
donner notre propre loi et qu’il n’y a plus de cercle où s’inscrire ?
Après ces différentes formes d’antihumanisme (je ne les ai pas toutes examinées !), on a assisté à un
retour en force de l’humanisme. Les promoteurs de ce retour furent, entre autres, Luc Ferry et Alain
Renaut28. Pour aller vite, leur travail a consisté à un retour à Kant, ils donnent une explication
renouvelée des positions de celui-ci, mais je ne vais pas m’engager dans cette voie. Je tenais juste à
indiquer que les positions antihumanistes sont venues complexifiées le débat sur la nature des êtres
humains.
II. Considérations inactuelles, sur une refondation de l’école et derechef de
l’humain.
A) Une recherche de sens.
Dans le texte « Refondons l’école de la République », sauf erreur de ma part, le mot « humanisme »
n’est pas utilisé une seule fois. Bien entendu, cela ne signifie pas que son esprit soit absent. En effet, les
auteurs du texte disent clairement que refonder n’est pas partir d’une tabula rasa », il s’agit pour eux de
« réexaminer pour donner du sens en se ressourçant sur des valeurs 29». Ce retour aux sources est une
réaffirmation des valeurs républicaines. Or les valeurs républicaines sont, en France, la trilogie, « liberté,
égalité, fraternité ». Les auteurs de ce rapport doivent bien connaître les Pères fondateurs de la
République américaine car comme eux, ils opposent république et démocratie. Je cite : « L’école laïque
a reçu des mains de ses fondateurs la mission de consolider la République, en transmettant ses valeurs
et en formant des citoyens. » et ils ajoutent pour être sûr d’être bien compris « Elle n’est pas, comme
l’ont rappelé les membres de l’atelier sur la citoyenneté, à proprement parler un espace politique, et
encore moins une démocratie, du fait des rapports d’éducation dissymétriques, qui la caractérisent.30 »
26
Être et temps est la thèse d’Heidegger. Cette œuvre le rendit immédiatement célèbre parmi les philosophes.
Martin Heidegger, Lettre sur l’humanisme, in Questions III et IV, Tel, Paris, 1976, p. 87.
28
Luc Ferry et Alain Renaut, La pensée 68, Essai sur l’antihumanisme contemporain, Gallimard, Paris, 1985.
29
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.3.
30
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.24-25.
27
8
Cet atelier évacue la citoyenneté au prétexte, non contestable, que les relations pédagogiques sont
dissymétriques. Mais les membres de cet atelier restent pris dans l’opposition entre l’Homme et le
Citoyen de la Déclaration de l’homme et du citoyen. Les élèves sont des hommes en devenir et pas
encore des citoyens, ils ne sont pas des acteurs politiques. Mais qu’est-ce qu’un « acteur politique » ? Si
ce sont les citoyens qui votent une fois de temps en temps que sont les « hommes politiques » des
« sur-citoyens ? ». Mais n’est-ce pas une façon de dire que le citoyen lambda est un « sous-homme
politique » ? Nos élèves sont de toute façon des citoyens en devenir comme le dit le rapport. L’école est,
en effet, « un espace pré-civique », façon élégante de dire que ce n’est pas un espace civique ! Mais les
membres de l’atelier sont bien embêtés. Ils savent que le pré-civique, la pré-citoyenneté, ce n’est pas
encore l’activité politique, que celle-ci implique justement une « activité » et pas seulement un savoir, futil dispensé par l’intermédiaire « de cours et de manuels » comme ils s’en vantent pour marquer la
différence avec d’autres pays31. Pour cette raison, ils affirment que « la mise en situation des élèves doit
être accrue (..) en développant des projets citoyens, collaboratifs, leur permettant aussi de s’ouvrir à la
vie politique et associative 32». Arrivé à ce moment de la lecture, on se dit « mais alors l’école
deviendrait-elle un espace politique et peut-être démocratique contrairement à ce qu’ils affirment plus
haut ? ». Ils ne peuvent pas s’en tenir à cette position. En effet, voyons la phrase dans son intégralité :
« la mise en situation des élèves doit être accrue (..) en développant des projets citoyens, collaboratifs,
leur permettant aussi de s’ouvrir à la vie politique et associative extérieure aux
établissements. (Souligné par moi)33». Soyez des citoyens mais en dehors de l’école, soyez des
citoyens mais en dehors de l’entreprise, soyez des citoyens mais en dehors de la sphère politique !
L’humaniste de la Renaissance qui veut que l’action politique soit une œuvre d’art est bien loin. La
méditation sur l’humanisme indique les contradictions d’une éducation à la citoyenneté. Ces
contradictions sont inhérentes au modèle républicain. Elles découlent des différences entre électeurs et
élus, entre peuple et élite politique. L’école n’est pas coupée de la société, elle reproduit exactement son
fonctionnement et elle apprend, à son corps défendant, tant on sent que les membres de l’atelier sur la
citoyenneté sont mal à l’aise, aux élèves que la politique ce n’est pas pour eux, c’est extérieur à leur
métier d’élève.
Dans ces conditions de dissymétrie pédagogique et institutionnelle que vaut alors la volonté exprimée
par les rédacteurs d’instituer des relations horizontales ? « Pour que ces valeurs, ces normes
communes, soient appropriées par tous, la construction du collectif ne peut être exclusivement fondée
sur l’imposition par le haut de normes standardisées. De nouvelles formes de solidarité horizontale
interpersonnelle fondées sur l’échange, l’entraide, la coopération, le respect de l’autre doivent être
mobilisées pour construire le lien social, éviter les frictions, et amener chacun à se ranger aux
références qui fondent le bien commun. (..) C’est par ce type de méthodes, bien davantage que par des
cours magistraux, que l’Ecole peut, par exemple, lutter contre les stéréotypes racistes, sexistes ou
homophobes et apprendre aux élèves à refuser tous les types de discrimination.34 » On ne peut qu’être
d’accord avec ces objectifs mais l’on voit la difficulté institutionnelle de concilier des relations verticales
et donc dissymétriques avec des relations horizontales. Cette difficulté n’est d’ailleurs pas surmontée par
les rédacteurs du texte, ils affirment : « Dans l’enceinte de l’école, cela doit se traduire par la
multiplication des dispositifs permettant de créer des relations interpersonnelles horizontales entre tous
les acteurs.35» Et entre parenthèse ils proposent quelques dispositifs que voici : « travail de groupe sur
projet chez les élèves, tutorat entre élèves, échange d’expérience entre enseignants, développement de
collaboration entre l’éducation nationale et ses partenaires extérieurs, collectivités territoriales, parents,
etc. 36» Ce qui est amusant, c’est que les relations interpersonnelles se font niveau par niveau, les
élèves entre eux, comme s’ils nous avaient attendus pour en avoir, enseignants entre eux, etc. Il n’y a
pas de dispositifs cités pour qu’il y ait des relations interpersonnelles entre les élèves et les enseignants,
etc. On mesure alors la difficulté de l’exercice de conciliation de vertical et de l’horizontal ! Cette difficulté
est celle qui anime l’humanisme, il s’agit de la tension entre hétéronomie et autonomie. Le vertical, c’est
l’hétéronomie, l’horizontal, c’est l’autonomie. L’humanisme est le pari de l’autonomie.
31
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p. 26-27 : « Cette dimension est
évidemment prise en compte dans les programmes d’instruction civique, matière qui dispose en France – ce n’est pas le cas
partout – d’horaires dédiés et de manuels ».
32
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.24-25.
33
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.24-25.
34
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.27-28.
35
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.27-28.
36
Rapport Refondons l’Ecole de la République, Ministère de l’Education nationale, p.27-28.
9
B) Et l’humain ?
Pour terminer, ce survol, je voudrais reprendre la question de la « nature » (s’il y en a une !) de l’humain.
Qu’est-ce que l’on peut en dire aujourd’hui à la lumière de cette longue histoire et en tenant compte des
apports récents dans ce domaine ?
Sur un survol de l’histoire de l’Europe à la lumière de la tension entre autonomie et hétéronomie.
Je sais que je vais être schématique mais pour revaloriser ce que je vais dire je le nommerai une
« épure ».
Postulats : a) Il est possible de comprendre l’histoire humaine, au moins européenne, comme une
relation complexe entre l’hétéronomie et l’autonomie. L’une et l’autre de ces modalités induisant des
psychologies différentes chez les êtres humains. Il est toujours loisible de passer pour un individu, ou
pour une société, d’une modalité à l’autre, mais il n’est pas dit que cela soit facile, ces changements sont
en général violents.
b) La culture autonome est par excellence celle produite par la démocratie grecque, avec la
création de l’histoire, des sciences, de la philosophie et donc de la démocratie.
c) La culture hétéronome est par excellence le monothéisme abrahamique. Je désigne par là
les trois religions abrahamiques, la religion juive, chrétienne et musulmane.
Mise en œuvre : Notre culture est caractérisée par la fusion de ces deux cultures, la culture grecque et
chrétienne. C’est l’œuvre des pères de l’Eglise (Saint Jérôme, Saint Augustin, etc.). Cela aboutit à la
culture « romaine et chrétienne ». Cette fusion est instable et elle a donné lieu entre le IIIe s. et le XVIIe
s. à bien des équilibres différents et à des modifications continues. Mais il y a un moment remarquable,
c’est le XIVe s. où il y a un accord entre philosophie, sciences et théologie. Cette période est dominée
par le thomisme et l’averroïsme, c’est-à-dire par Aristote, bien que l’on y trouve aussi d’autres
configurations. C’est une période tragique, sur le plan humain, avec les grandes pestes qui parcourent
l’Europe, mais c’est une période de bonheur intellectuel à cause de cette harmonie entre foi, philosophie
et science.
La montée de la pensée autonome va aboutir à l’éclatement de cette harmonie. Le développement des
sciences, (les œuvres de Copernic, Galilée, etc.) va faire éclater cet équilibre. Depuis nous assistons à
la séparation et à un écart grandissant entre religion, philosophie et sciences. Il en va de même sur le
plan sociétal et politique. Du pouvoir d’origine divine à la démocratie, les chemins ne se rencontrent
plus, l’humanisme a été le moment de cette séparation. Sur le plan sociétal, le divorce continue, à
preuve la récente loi sur le mariage pour tous. L’écart entre autonomie et hétéronomie s’accroît et
l’humanisme est du côté de l’autonomie. La bizarrerie de cette situation est que les acteurs de
l’autonomie ont été très souvent des chrétiens. Copernic, Galilée, Kant, sont chrétiens. Darwin, Marx,
etc. sont de culture chrétienne. On peut sans peine multiplier les exemples.
2. / De la « nature » de l’humain à la lumière de ce parcours.
La meilleure approche de ce qu’est un sujet humain à la lumière de l’histoire et des sciences
dites humaines, nous la trouvons dans l’œuvre de Cornélius Castoriadis37. L’exposé le plus clair se
trouve dans la conférence L’état du sujet aujourd’hui38 qu’il donna à Paris le 15 mai 1986. Bien
schématiquement, il explique que le sujet humain est un sujet stratifié, ce que l’on sait depuis Platon et
Aristote. Il est d’abord un être vivant et en tant que tel, il est déterminé par les lois qui organisent le
vivant. Il est aussi un être psychique, à ce double titre, il est un être sexué. Sa sexualité est entièrement
originale par rapport à celle du monde animal. Elle subit une distorsion par rapport à la sexualité animale
il est alors impossible d’aligner la sexualité humaine et ses conséquences psychiques sur celle du
37
Cet auteur a fondé, avec Claude Lefort, la revue “Socialisme ou Barbarie”. On a vu que l’opposé de la barbarie, c’est
l’humanisme. Même s’il ne se réfère pas l’humanisme mais au socialisme et à la démocratie directe, c’est bien l’humanité de
l’homme qui a été son centre d’intérêt principal, voire exclusif.
38
Cornélius Castoriadis, l’état du sujet aujourd’hui in Le monde morcelé, Seuil, Paris, 1990, p. 189 à 225.
10
monde animal. La sexualité humaine est défonctionnalisée quant au substrat biologique. Sa finalité n’est
plus la stricte reproduction mais la recherche et l’obtention du plaisir. Il faut immédiatement ajouter que
chez les humains, il y a « domination du plaisir représentatif sur le plaisir d’organe39 ». Le plaisir
représentatif est le résultat de ce que Freud avait nommé « sublimation ». Il résulte de tous ces traits
que l’imagination chez les humains devient autonome. Elle n’est plus asservie à des fonctions
biologiques de reproduction, de nutrition et de sauvegarde. L’homme est dominé par son imagination.
L’art, la culture, les sciences, etc. n’existent qu’en tant que les hommes les ont imaginées. Elle est donc
le support de la pensée. Les affects humains, les désirs humains ne sont pas non plus asservis à des
fonctions à finalité biologique stricte. Ainsi, l’homme est un être défonctionnalisé biologiquement.
Castoriadis le dit ainsi « L’homme n’est pas un d’abord et pour commencer, un zoon logon echon, un
vivant possédant le logos, mais un vivant dont le logos a été morcelé, les morceaux étant mis au service
de maîtres opposés.40 » L’homme est donc un être raisonnable seulement en tant qu’il a commencé par
être fou41. La possibilité de devenir raisonnable tient tout entière au fait que la société nous impose de
devenir un animal social par l’acquisition de la langue et des règles sociales. Il en résulte que les êtres
humains sont massivement hétéronomes et « légèrement » autonomes. Nous sommes donc des êtres
stratifiés : strate vivante, strate psychique, strate de la socialisation. Cette stratification complexe rend à
la fois les êtres humains instables mais également susceptible de changement et d’évolution. Au dessus
de ces strates, il y a celle de la conscience en tant que réflexivité et de la volonté en tant que capacité à
créer et à agir les bases de l’autonomie. Les humanistes ont été parmi d’autres des formidables acteurs
de la création de l’autonomie. Et c’est leur parcours qui nous permet de parler d’autonomie.
Ainsi l’être humain se crée en tant qu’autonome ou/et en tant qu’hétéronome. Cette création se fait
toujours à partir de ce qu’il est. Sa dignité tient en tout cas à la conquête de la liberté.
Cette complexité de l’être humain nous apprend que nous sommes toujours séparés de ce que nous
pouvons, ainsi que nous l’avons vu en parlant de la citoyenneté qui est donnée comme séparée de
l’homme et que nous avons vu également en parlant de la formation à la citoyenneté. Etre séparé de ce
que l’on peut est ce qui se nomme dans la tradition philosophique « être aliéné ». [Mais à l’inverse cela
veut dire que l’être humain, et par conséquent nos élèves, ne sont jamais au bout de leurs possibilités,
car il y a toujours la possibilité d’ouvrir les portes fermées, d’ouvrir sur un projet, sur des projets.
L’ouverture psychique des êtres humains, leur curiosité, leur projection dans le futur, souligne combien
nous avons pour tâche de déplacer nos limites, combien nos élèves ont comme travail à « se »
construire, combien ce « soi », n’est pas donné, combien nous avons avec eux, à devenir nos
possibilités. Mais qu’est-ce que dépasser ses limites sans tomber dans l’hubris ? C’est tout l’enjeu de
l’activité rationnelle, politique et morale de l’humanité, enjeu que nous ne pouvons qu’affronter
ensemble.]
CONCLUSION
Aussi, il ne m’appartient pas de conclure. Comme le laissait entendre Confucius, commenté par
François Julien : le « sens de l’humain » est une notion immense et même si nous en parlons tous les
jours, nous ne ferions que commencer d’en parler. Je n’ai fait que m’inscrire dans ce long
commencement qu’est l’interrogation ouverte par le « connais-toi toi-même » des grecs, il appartient à
chacun de la poursuivre. La réponse au sens de l’humain est de notre ressort, nous sommes tous
capables d’y contribuer, ainsi la conclusion s’il peut même y en avoir une vous appartient, nous
appartient.
39
Cornélius Castoriadis, l’état du sujet aujourd’hui in Le monde morcelé, Seuil, Paris, 1990, p. 202.
Cornélius Castoriadis, l’état du sujet aujourd’hui in Le monde morcelé, Seuil, Paris, 1990, p.204.
41
Cornélius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Seuil, Paris, 1975, p 404. « L’homme n’est pas un être
raisonnable (.). Il n’est pas non plus un animal malade. L’homme est un animal fou (qui commence par être fou) et qui, aussi
pour cela, devient ou peut devenir raisonnable. Le sperme de la raison est aussi contenu dans la folie intégrale de l’autisme
premier. »
40
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