Cas fidélisation I Collin Lachaud et D Crie 2012 Stratégie
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Cas fidélisation I Collin Lachaud et D Crie 2012 Stratégie
Quand les stratégies de fidélisation peuvent devenir sources d'insatisfaction… Isabelle Collin-Lachaud (IMMD - Université Lille 2) et Dominique Crié (IAE - Université Lille 1) in Stratégie clients (2012), coord. par P. Volle - Pearson Afin de se distinguer de leurs concurrents, les entreprises, notamment celles de la grande distribution, rivalisent de promesses dans le cadre des programmes relationnels et plus particulièrement ceux dédiés à leurs meilleurs clients. Si les bénéfices monétaires proposés "hard benefits" - sont assez similaires (taux de remise équivalents sur les produits de marques propres ou sur le ticket global), les entreprises tentent de se différencier sur le plan des "soft benefits" (hédoniques et symboliques - Mimouni et Volle, 2003) avec des services à forte valeur perçue, le plus souvent réservés aux "happy few". Ainsi, les détenteurs de la carte Gold de Sephora ou ceux de la carte M Prestige de Marionnaud se voient offrir un coaching beauté. Sur le même principe, Décathlon propose un accompagnement personnalisé pour progresser dans telle ou telle activité sportive. La Fnac organise, quant à elle, un SAV personnalisé et des avant-premières exclusives aux porteurs de la carte One. Leroy Merlin attribue à ses meilleurs clients un vendeur dédié - appelé "relationneur" - pour leur faciliter leurs achats et améliorer la relation client. Ces "relationneurs" peuvent même se déplacer au domicile de leurs clients pour faire un diagnostic (énergétique, décoration…) de leur habitat. Ce ne sont que des exemples parmi bien d'autres : rien ne semble trop beau pour séduire, "bichonner" et surtout fidéliser les meilleurs clients. Or une entreprise qui investit lourdement dans la fidélisation de ses meilleurs clients peut paradoxalement accroître leur insatisfaction. Ne serait-il pas parfois préférable de ne rien faire en termes de fidélisation plutôt que de vouloir trop en faire ? De la recherche de la satisfaction (et de la fidélité) des meilleurs clients….à l'insatisfaction de ces derniers Plusieurs risques sont inhérents à ces pratiques de fidélisation personnalisées et discriminantes, puisque réservées à un nombre limité de clients – les V.I.P - au profil particulier. Le problème de la formation des attentes Au centre du marketing se trouve historiquement la satisfaction des besoins du client. Celle-ci résulte d’une comparaison entre la performance perçue par le client et un référent, un standard de comparaison. Ce dernier est souvent constitué des attentes depuis l'article fondateur d'Oliver (1980). Les attentes ont différentes sources incluant notamment l’expérience passée du client, celle des autres consommateurs (témoignages de clients membres du programme et objets des traitements privilégiés, par exemple), les communications interpersonnelles et commerciales de l'entreprise (règlements des programmes de fidélité, campagnes de communication sur les programmes relationnels Premium et leurs avantages, qualité de la relation avec le personnel en contact, etc.). Les clients comparent alors la performance de l’avantage obtenu grâce au programme de fidélité à leurs attentes initiales. Si cette comparaison est négative, le client n’est pas satisfait. Cette insatisfaction peut avoir plusieurs origines : 1/ un service dont la performance est médiocre – caisses dédiées aux meilleurs clients en nombre trop réduit donc l’attente y est plus longue ou indisponibilité de certains avantages, par exemple - ; 2/ des attentes trop élevées, voire irréalistes. En effet, manquant d’informations sur les avantages auxquels ils peuvent prétendre, les clients ont du mal à former des attentes précises et imaginent leur idéal : idéal que, par essence, les entreprises ont des difficultés à atteindre (Collin-Lachaud et al., 2005 ; Ngobo, 1997). Diffuser largement et expliciter oralement des règlements succincts et clairs peut permettre de limiter l’insatisfaction des clients vis-à-vis des programmes relationnels en général et des attentions spéciales réservées aux meilleurs clients, en particulier. Au-delà de ce processus cognitif de comparaison entre la performance et les attentes, la satisfaction émane également des émotions éprouvées par les clients dans le cadre des services offerts par le programme de fidélité dont ils sont membres – soirées en avant-première pour les meilleurs clients, rencontre avec leur vendeur dédié, etc. -. Cette part affective de la satisfaction trouve un écho particulier dans les services en général du fait de leur nature expérientielle, et plus particulièrement dans les services VIP réservés aux meilleurs clients en raison de leur caractère personnalisé, interpersonnel et symbolique. Le poids des émotions négatives La surenchère dans les promesses non suivie d’effet concret lors de la prestation de service – « moment of truth » engendre des émotions négatives, telles que la déception et le regret - « on s’attend à une promesse qu’on nous a faite or ce n’est pas le cas du tout et l’on a une énorme déception. » (verbatim d’un client) -. Différentes recherches (dont Mano et Oliver,1993), montrent que le rôle de l'affect est important voire supérieur à celui de la non-confirmation des attentes pour expliquer la satisfaction. En outre, les émotions négatives ont un poids plus fort sur la satisfaction que les émotions positives, cette relation asymétrique incite à mettre en garde les entreprises contre le risque de décevoir les clients. Aussi, vaut-il mieux s’abstenir de lancer une initiative de fidélisation, notamment si elle est dédiée aux précieux meilleurs clients, si l’entreprise n’est pas certaine d’avoir tout mis en œuvre pour que ce soit une réussite et cela dans l’ensemble de son réseau. En outre, les meilleurs clients, souvent plus impliqués et attachés que les autres à l’entreprise, seront encore plus déçus que celle-ci ne soit pas à la hauteur de leurs attentes. Satisfaire les clients par des traitements préférentiels, de type VIP, s’avère une tâche ardue tant sur un plan cognitif qu’affectif, mais les entreprises sont en partie responsables de la difficulté de cette mission. Quand enchanter devient difficile Pour se différencier et fidéliser leurs clients, les entreprises rivalisent de promesses. Elles ne veulent plus satisfaire leurs clients, mais les enchanter. Or, en promettant toujours plus à des clients qui parfois n’en demandaient pas tant, les entreprises sont responsables de l’élévation des attentes de ces derniers et de leur non-satisfaction. Le concept d’enchantement incluant une dimension de surprise (Oliver, 1997) : enchanter revient cher car il faut se renouveler continuellement. En effet, un « élément plus » devient rapidement un « élément basique » pour les clients (Llosa, 1997) : l’exceptionnel se banalise. Ceci pose la question du retour sur investissement des attentions spéciales mais également celle des répercussions sur le management des ressources humaines. En effet, le personnel en contact est sous pression permanente pour faire plus et mieux ;; or à l’impossible nul n’est tenu. Une suite d’insatisfactions des clients concernant les avantages promis par l’entreprise dans son programme de fidélité va conduire à une perte de confiance des clients vis-à-vis de l’entreprise et à un désengagement de sa part qui peut se traduire par une rupture de la relation. Comment éviter ces effets indésirables et optimiser les investissements réalisés pour fidéliser les meilleurs clients ? La première chose est de ne pas promettre ce que l'on ne peut pas tenir et de faire ce qui a été promis : cela a l’air simple mais ne l’est pas tant que cela. Il existe souvent un décalage entre la communication institutionnelle relative aux avantages du programme relationnel et le vécu du client. Ensuite, l’entreprise doit être très transparente sur ses engagements : ce que le programme relationnel comporte comme avantages, les conditions ainsi que le délai d’obtention des avantages, sans oublier les conditions de « déclassement » si le meilleur client ne l’est plus à l’avenir. Ceci permet de prévenir l’insatisfaction des clients et l’inéquité perçue. En outre, mieux informés les clients peuvent former des attentes réalistes sur la prestation à attendre et n’idéalisent pas cette dernière. Au-delà de la dimension du « faire savoir », l’essentiel reste le « savoir-faire » des équipes et la mise en musique des promesses de la manière la plus homogène possible dans l'ensemble de l'entreprise (difficulté inhérente au marketing des services, car hétérogénéité de la prestation) : l’empowerment du personnel constitue une condition indispensable de la réussite d’une politique relationnelle personnalisée. Ceci suppose un investissement important en termes de ressources humaines : du recrutement à sa formation jusqu’à sa gestion dans le temps. Avant de se différencier sur des «éléments plus » tels qu’un programme relationnel généreux pour les meilleurs clients, la prestation de base du service doit être assurée au risque de décevoir encore plus lourdement le client et de le perdre. Enfin, ce qui importe n’est pas la performance que l’entreprise et son personnel pensent délivrer mais celle qui est perçue par les clients : les programmes relationnels ne font pas exception à cette règle. Sources : d'après Isabelle Collin-Lachaud et Dominique Crié Références Collin-Lachaud I., Plichon V. et Sueur I. (2005), L’utilisation de différents standards de nonconfirmation dans la formation de la satisfaction: une approche comparée, Actes des Xèmes Journées de Recherche en Marketing de Bourgogne, Université de Bourgogne, 9-10 novembre. Llosa S. (1997), L'analyse de la contribution des éléments du service à la satisfaction : un modèle tétraclasse, Décisions Marketing, 10, janvier-avril, 81-88 Mano H. et Oliver R.L. (1993), Assessing the Dimensionality and Structure of the Consumption Experience : Evaluation, Feeling, and Satisfaction, Journal of Consumer Research, 20, December, 451-466 Mimouni A. et Volle P. (2003), Bénéfices perçus de la fidélisation et qualité relationnelle : une application exploratoire au secteur du transport aérien , Actes du 19ème Congrès international de l’Association Française de Marketing, Tunis, 532-549 Ngobo P-V (1997), The standard issue: an accessibility-diagnosticity perspective, Journal of Consumer Satisfaction, Dissatisfaction and Complaining Behavior, 10, 61-79. Oliver R.L. (1997), Satisfaction: A Behavioral Perspective on the Consumer, New-York, Mc Graw Hill, 432 p. Oliver R.L. (1980), A Cognitive Model of the Antecedents and Consequences of the Satisfaction Decisions, Journal of Marketing Research, 17, novembre, 460-469.