L`Autobiographie de Nicolas Ceauşescu
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L`Autobiographie de Nicolas Ceauşescu
– CINÉMA – DVD C I N É M A D V D L’Autobiographie de Nicolas Ceauşescu de Andrei Ujica par Charles-Michel Cintrat T ROIS HEURES DE PROJECTION d’images prises parmi celles que la télévision d’État roumaine avait assénées au peuple pendant les vingt-cinq ans de la dictature de Ceaucescu. Voilà qui est a priori décourageant. On y va sans enthousiasme mais, très vite, on est pris. C’est passionnant, fascinant, terrifiant. Le réalisateur s’est abstenu de tout commentaire. Ce que nous voyons et entendons c’est ce que voyaient et entendaient les téléspectateurs roumains. Comme le titre du film l’indique, il s’agit bien d’une sorte d’autobiographie de Nicolas Ceaucescu, puisque les images, contrôlées par le Parti et par le leader lui-même, nous décrivent d’année en année l’œuvre de Ceaucescu à la tête du pays et nous en renvoient un portrait flatteur. Nous voyons un pays florissant dans lequel un peuple vit dans l’opulence et le bonheur, acclame et fête son guide bien aimé et sa savante épouse. Nicolas Ceaucescu, entouré de ses collaborateurs attentifs et respectueux, inspecte, conseille, dirige, gouverne. Au faîte de son pouvoir, il donne des accents nationalistes au communisme roumain en prenant position contre l’ingérence soviétique dans la vie des partis et pays frères, contre l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie à Prague. Il reçoit Dubcek. Le peuple applaudit. Dans le monde libre, tout cela lui vaut des sympathies et même quelque estime. Des chefs d’États occidentaux ne dédaignent pas être reçus à Bucarest et n’hésitent pas à faire des discours élogieux en faveur de ce communiste décidément fréquentable. Ceaucescu est reçu à son tour à Washington et à Londres, accompagné de son épouse grise et sans grâce, promue docteur honoris causa par quelques universités. À Westminster, le couple ébloui paraît emprunté devant les fastes royaux. Grands eux-mêmes puisque reçus par les grands, quel chemin depuis leur obscure jeunesse militante! N° 46 81 HISTOIRE & LIBERTÉ • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 82 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Mais c’est lors de ses voyages en Chine et en Corée du Nord que Ceaucescu vit ses plus grands moments. Il est accueilli par les camarades chinois et coréens comme le leader d’un grand parti et d’un grand pays. De gigantesques parades sont organisées en son honneur. Des multitudes de jeunes, encadrés et disciplinés, l’acclament, et leurs vêtements multicolores dessinent dans les stades des scènes aux motifs éblouissants. Il s’efforce, non sans succès, de reproduire dans son pays ces extravagantes cérémonies totalitaires, images terrifiantes donnant la mesure d’un contrôle total des masses. Ces parades, dont il fut le centre hier à Pékin et à Pyong Yang et qui se déploient aujourd’hui pour lui à Bucarest, lui renvoient l’image de son pouvoir et le confortent dans la conviction de la pérennité de celui-ci. Il ne saurait en douter lorsqu’au douzième congrès du Parti, face à un unique opposant qui s’est à peine vu accorder la parole, la salle debout scande : « Ceaucescu réélu», et l’ovationne. Ces images de propagande à la gloire du régime, du leader, de sa femme en sont aujourd’hui la satire et la dénonciation. Les premières images du film montrent Ceaucescu, apparatchik parmi les apparatchiks, portant avec ses collègues le cercueil de Georghiu Dej. Comment ce personnage banal va-t-il devenir le premier du Parti et du pays? Le parrainage de Georghiu Dej n’y est pas étranger. Ayant remarqué chez lui les qualités qui conviennent (celles d’un exécutant scrupuleux et soumis) il le hissa au grade de général et le chargea d’épurer l’armée. Ceaucescu s’acquitta de cette tâche avec zèle, ce qui ne pouvait que renforcer la confiance du «patron». Ceci n’explique pourtant pas tout, car après la disparition de Dej, son poulain aurait AVRIL 2011 L’Autobiographie de Nicolas Ceauşescu Scénariste et réalisateur . . . . . . . Andrei Ujica Producteur . . . . . . . . . . . . . . . . Velvet Moraru Distributeur . . . . . . . . . . . . . . . . . Mandragora Après Vidéogrammes d’une révolution (1992), co-réalisé avec Harun Farocki, sur la chute de la dictature de Ceaucescu, et Out of the Present (1995), sur le cosmonaute Sergueï Krikaliov resté dix mois dans la station spatiale Mir alors que l’URSS était en train d’éclater, L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu est le troisième volet d'une trilogie consacrée par Ujica à la déliquescence du communisme. Au cours du procès sommaire auquel il a été soumis avec sa femme, Nicolae Ceaucescu passe en revue la période de sa vie pendant laquelle il a été au pouvoir: 19651989. L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu a été projeté lors du Festival de Cannes 2010, en Sélection officielle hors compétition. Concernant le personnage public de Ceaucescu et son régime ultra-autocratique, Andrei Ujica affirme: «En fin de compte, le dictateur n'est qu’un artiste qui a la possibilité de mettre totalement son égoïsme en pratique. Ce n’est qu’une question de niveau esthétique, qu’il s’appelle Baudelaire ou Bolintineanu, Louis XVI ou Nicolae Ceaucescu». pu devenir gênant pour d’autres aspirants au pouvoir. Mais Ceaucescu n’est pas dans la position d’un Lénine, d’un Mussolini ou d’un Hitler, qui accèdent au pouvoir en construisant un système totalitaire. Il est au sein d’un appareil déjà constitué – dont les membres ont leur place – qui joue le rôle d’un tamis ne laissant filtrer que les plus médiocres. Il est le produit d’un système de sélection qui va propulser au pouvoir un personnage dépourvu de tout charisme. Son ascension ne semble pas lui avoir donné beaucoup d’aisance. Il montre une expression hésitante, gênée, celle d’un homme qui se demande comment il est arrivé là et comment il doit se comporter. Il entre malgré tout dans la peau de son personnage de leader omnipotent et omniscient, donnant son avis sur tout, qu’il s’agisse de la qualité d’un pain, du plan d’une ville ou d’un barrage. Soutenu par le Parti, acclamé par le peuple, entouré d’un cercle de flagorneurs apparemment soumis, traité en égal par les grands de ce monde, il prend de l’assurance et semble croire à son personnage. En tout cas il ne paraît pas avoir le moindre doute sur la pérennité de son pouvoir et sur la fidélité de ses «sujets». Pourtant, une série de catastrophes – inondations, séismes – atteignent le régime qui fait face difficilement à ces bouleversements imprévus. Ceaucescu se contente d’une rapide visite sur les sites touchés. Il est, en réalité, beaucoup plus intéressé par la visite du chantier sur lequel se construit un palais pharaonique, projet qui marque le point culminant de sa folie des grandeurs. Il ne l’habitera d’ailleurs jamais. Ceaucescu fut incapable de voir que sa politique économique avait plongé le pays dans le marasme et que les récentes catastrophes aggravaient une situation devenue insupporN° 46 83 CINÉMA – DVD C I N É M A HISTOIRE & LIBERTÉ table. Il fut incapable de percevoir que l’enthousiasme des masses, manipulées par la propagande, pouvait retomber face à la réalité, et que les notables communistes, pourtant complices de sa politique, pouvaient, afin de se protéger, se retourner contre lui. Bref, Ceaucescu ne pouvait imaginer sa fin, qui advint pourtant. On se souvient de son désarroi lorsque son dernier discours fut interrompu par la foule. Il ne comprenait pas. Cette fin ne nous est pas montrée. Le film se termine par quelques images du procès du couple. Procès qui n’est pas vraiment à l’honneur des accusateurs, tous agents du régime, jusque-là plus ou moins complices de l’accusé, et qui vont jusqu’à lui demander des comptes sur le «génocide de Timisoara», dont on sait qu’il fut une mise en scène: il n’y eut ni génocide ni massacre. Devant ses accusateurs, Ceaucescu, paradoxalement, montre une certaine grandeur tragique et maintient fermement sa position : ce tribunal est illégal, il ne répondra que devant l’Assemblée. Décidément, il ne comprenait rien. City of life and death de Lu Chuan et John Rabe, le juste de Nankin de Florian Gallenberger par Charles-Michel Cintrat L E MASSACRE DE NANKIN EN 1937, dont certains contestent l’ampleur, mais qui reste une pomme de discorde entre la Chine et le Japon, a été rappelé dans deux films récents. Tous deux évoquent l’Allemand John Rabe qui, bien que membre du parti nazi, contribua à établir une zone de sécurité qui permit à un certain nombre de Chinois d’échapper à la mort. Le premier film, City of life and death, réalisé par le Chinois Lu Chuan, est remarquable par sa mise en scène et le réalisme des reconstitutions. Lu Chuan l’a voulu en noir et blanc pour le rendre plus proche des documents de l’époque et éviter les joliesses de la couleur. Ce cinéaste quelque peu marginal a eu beaucoup de difficultés à réaliser cet excellent film et 84 OCTOBRE 2011 CINÉMA C I N É M A City of life and death John Rabe, le juste de Nankin Réalisateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lu Chuan Réalisateur . . . . . . . . . . . Florian Gallenberger Long métrage chinois de 2h15 mn, distribué par Metropolitan FilmExport, avec Hideo Nakaizumi (Kadokawa), Wei Fan (M. Tang), Liu Ye (Lu Jianxiong), Yuanyuan Gao (Melle Jiang). Long métrage de 2h10 mn avec Ulrich Tukur, Daniel Brühl, Anne Consigny, Dagmar Manzel, Zhang Jingchu, Teruyuki Kagawa, Mathias Herrmann et Steve Buscemi. Distribué par Albany Films Distribution. Prix de la meilleure photographie et Golden Shell du meilleur film à San Sebastian. Prix du meilleur acteur pour Ulrich Tukur et du meilleur film aux German Films Awards. a été l’objet de critiques en Chine même, parce qu’il présentait un officier japonais qui se suicidait, écœuré par les horreurs commises. Malheureusement, ce film (que l’on peut trouver en DVD) n’est sorti que dans deux cinémas parisiens, et pendant une très courte période. Cette faible diffusion s’explique peutêtre par l’annonce de l’autre film sur le même sujet, sorti quelques mois plus tard. Réalisé par l’Allemand Florian Gallenberger, il est centré sur le personnage de John Rabe, « le juste de Nankin ». Ce film ne manque pas de qualités, malgré une distribution inégale et la volonté évidente de montrer un Allemand aux sentiments humains en dépit de son appartenance au NSDAP. Il n’a pourtant ni la force, ni la qualité esthétique du film chinois. N° 46 85 © Arch. dép. Hauts-de-Seine, Bibl. André-Desguine, cl. Gilles Vannet. HISTOIRE & LIBERTÉ Théophile Gautier, photographie de Pierre-Louis Pierson, s.d. (après 1858). «Théophile Gautier dans son cadre» À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Théophile Gautier, le Conseil général des Hauts-de-Seine présente, en hommage à l’écrivain, une exposition conçue par la Direction des Archives départementalesBibliothèque André-Desguine. Du 10 octobre 2011 au 9 janvier 2012 Lundi, mercredi, jeudi, vendredi, de 10 h à 13 h et de 14 h à 17 h Aux Écuries du domaine de Sceaux Commissaire de l’exposition : Véronique Magnol-Malhache Le Roman de la momie, Paris, A. et G. Mornay, 1929. Compositions de George Barbier gravées sur bois par Gasperini. © Arch. dép. Hauts-de-Seine, Bibl. André-Desguine, cl. Gilles Vannet. 86 OCTOBRE 2011