une histoire de l`Office franco-québécois pour la jeunesse

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une histoire de l`Office franco-québécois pour la jeunesse
Un
pont pour la
jeunesse
Une histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse
Un
pont pour la
jeunesse
Une histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse
Recherche et entretiens
Frédéric Bastien
Rédaction :
Frédéric Bastien
sous la direction éditoriale
de l’Office franco-québécois pour la jeunesse
Un pont pour la jeunesse
Une histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse
Une publication de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ)
En collaboration avec Groupe Beauchemin, éditeur ltée
Office franco-québécois pour la jeunesse
Rédaction : Frédéric Bastien sous la direction éditoriale de l’OFQJ
Chargé de projet : Michel Leduc assisté de Sophie Boissonneault et de Chantale Morin
Recherche iconographique : Chantale Morin et Michel Lagacé
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À PROPOS DE L’AUTEUR
Né à Montréal au Québec, Frédéric Bastien a obtenu un doctorat en
relations internationales de l’Institut universitaire de hautes études
internationales de Genève. Parallèlement à ses études, il a occupé
le poste de coordonnateur des nouvelles pour l’Eurovision tout en
étant journaliste pour Radio-Canada depuis l’Europe. Il enseigne
actuellement au département de Relations internationales de
l’Université du Québec à Montréal.
Il collabore également à diverses publications, dont La Presse, Études
internationales, Relations internationales et Vélo-Mag.
Spécialiste en relations internationales avec un intérêt marqué pour
la coopération franco-québécoise, Frédéric Bastien est également
l’auteur de l’ouvrage Relations particulières, la France face au Québec
après de Gaulle paru aux Éditions du Boréal en 1999.
6
« Un organisme comme l’Office franco-québécois
pour la jeunesse est condamné par le mouvement
qu’il a créé, par les succès qu’il a enregistrés, par
les espoirs qu’il a fait naître, à toujours avancer,
à toujours progresser, à toujours inventer. »
JOSEPH COMITI,
MINISTRE DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS,
3 JUIN 1973
L’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) a contribué
utilement, au cours de ses trente-cinq années d’histoire, à faire vivre
ce qui constitue sans doute le cœur de la communauté francophone.
Il est bon que des jeunes gens, profitant du fait qu’ils aient en partage
la langue, soient incités à sortir de chez eux afin de découvrir sur un
autre continent une approche nécessairement différente de la vie
moderne. Ce genre d’expérience permet d’acquérir une distance
critique sur soi-même qui ne peut que favoriser le progrès
professionnel et humain.
L’Office, et c’est une excellente chose, ne s’en est pas tenu à l’entretien
des liens d’ordre culturel : grâce à son dynamisme, la palette des
échanges s’est étendue aux activités économiques, aux parcours d’insertion sociale,
ou encore à la coopération universitaire. En élargissant ainsi son champ d’intervention,
il est parvenu à toucher un public pour lequel l’idée même de mobilité n’allait pas
forcément de soi.
Ce rôle d’accompagnement et d’expérimentation dans le domaine des échanges de
jeunes méritait d’être mis en relief, ce que fait heureusement l’ouvrage Un pont pour
la jeunesse. Que tous ceux qui concourent au succès de l’OFQJ trouvent ici l’expression
de ma reconnaissance.
Luc FERRY
Ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche
Il aura fallu l’Office franco-québécois pour la jeunesse afin de rebâtir
les ponts entre deux nations, aux liens naturels trop longtemps
endigués. C’est la Révolution tranquille, doublée de la volonté politique
gaullienne, qui ont fait mûrir les fruits de l’amitié, des complicités, des
destins entrecroisés. Dont l’un des plus riches est sans contredit l’OFQJ.
Aujourd’hui, nous célébrons avec fierté ses 35 ans !
De tels succès sont le résultat d’une vision claire, concrétisée par un
travail acharné. Plusieurs des propositions contenues dans les accords
Johnson-Peyrefitte, le texte fondateur de la coopération entre la France
et le Québec, ont été concrétisées. Nommément, l’OFQJ.
Trentre-cinq ans plus tard, la richesse de notre relation, sa profondeur, se voient dans
les domaines des plus divers. Des dizaines de visites ministérielles, soixante ententes
bilatérales, la commission permanente de coopération, des centaines d’entreprises dont
les investissements créent de part et d’autre des milliers d’emplois, des relations
interparlementaires soutenues, cent trente jumelages de villes. Et bien sûr, l’OFQJ et
ses cent mille participants.
L’impact d’une expérience sur un jeune via l’OFQJ est, dans l’immense majorité des
cas, positif. Mais au-delà de la myriade de cas particuliers, cette institution a un impact
sur la société dans son ensemble. L’OFQJ, en définitive, est plus que la somme de ses
parties. Car les rapports interpersonnels, de par leurs effets multiplicateurs, surtout
lorsqu’ils sont forgés à un âge si fécond, demeurent le ciment même des relations qui
unissent les nations.
Cette dimension est vitale. Si nous, Québécois et Français, ne pouvons rien à la dérive
des continents – qui nous éloigne imperceptiblement mais inexorablement l’un de
l’autre – nous pouvons, par contre, par des politiques avisées, empêcher nos sociétés
de suivre la même tangente.
L’OFQJ, c’est l’une de ces politiques. C’est l’avenir de la relation franco-québécoise.
Louise BEAUDOIN
Ministre d’État aux Relations internationales et Responsable de la Francophonie
10
SOMMAIRE
Introduction :
Naître avec l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Chapitre I :
Une course à obstacles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Chapitre II :
Inventer un outil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Chapitre III :
Dans la tourmente linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Chapitre IV :
Vivre du nouveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Chapitre V :
S’adapter pour progresser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Chapitre VI :
L’heure des grandes manœuvres . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Chapitre VII :
L’ère des grands projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Chapitre VIII : Ajustements et nouveaux horizons . . . . . . . . . . . . . . . 67
Chapitre IX :
Relance et élargissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Secrétaires généraux et Ministres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Crédits iconographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
11
C'est au cours du voyage historique du président de Gaulle
au Québec en 1967, sous les clameurs de la foule qui se presse
tout au long du chemin du Roy, que naît l'idée de créer
l'Office franco-québécois pour la jeunesse.
Le général, qui soumet l'idée au premier ministre Daniel Johnson,
souhaite ainsi « rebâtir les ponts entre le Québec et la France »
en favorisant le rapprochement des jeunes.
12
INTRODUCTION :
Naître
avec
L’histoire de l’Office franco-québécois
pour la jeunesse est indissociable du contexte
enfiévré des années 1960 qui portait la France
et le Québec vers le changement et la
redécouverte. Ces circonstances historiques
ont eu un tel impact sur les relations francoquébécoises (et sur l’OFQJ) qu’elles méritent
d’être rappelées.
l’histoire
[...] vous êtes en train de vous constituer des élites,
des usines, des entreprises, des laboratoires… qui,
un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider
la France.
CHARLES DE GAULLE
Le 22 juin 1960, le Parti libéral prenait le pouvoir au Québec, conduit par des slogans
restés fameux : « Maître chez-nous » et « Maintenant ou jamais ». Le nouveau premier ministre,
Jean Lesage, ne demande pas mieux que de coopérer avec la France pour réussir les réformes
proposées dans son programme
électoral. Ce qui l’amène, dès
1961, à ouvrir à Paris une « maison du Québec », qui deviendra
ensuite la délégation générale du
Québec. Trois ans plus tard, les
premiers accords de coopération
franco-québécoise sont signés. La
convergence des volontés entre
les deux sociétés ne fait que
commencer car, comme le note
le général de Gaulle devant Alain
Peyrefitte, ministre de l’Éducation
nationale : « Les Français du
Canada sont en danger pour leur
identité, nous devons leur venir
en aide. » Et le ministre Louis
Joxe ajoute à propos de son
patron : « Sa grande pensée est
Signature du protocole fondant l’OFQJ le 9 février 1968. De la France, le ministre de la
de réveiller le fait français dans
Jeunesse et des Sports, François Misoffe (1968-1969) assis aux côtés de Jean-Marie Morin,
le monde pour faire équilibre
ministre québécois de la Jeunesse, des Loisirs et des Sports (1968-1970).
aux Anglo-Saxons 1. »
1
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, éditions Fayard, 2000,
tome III, p. 304, 317.
13
C’est dans cette perspective que s’amorcent les préparatifs du voyage du général de
Gaulle au Québec, en 1967, dans le cadre de l’Exposition universelle de Montréal. Si le général
accepte finalement d’aller dans « cette foire 2 », ce n’est qu’après que son « ami Johnson,
devenu premier ministre en 1966 3 », lui ait fait part de l’attente des Québécois.
Les propos de Daniel Johnson convainquent de Gaulle qui, en stratège attentif aux
circonstances, décide finalement de se rendre au Québec pour aider le Canada français à
s’émanciper. « On va m’entendre là-bas », lance-t-il au député Xavier Deniau, venu le saluer
alors qu’il s’embarque sur le Colbert pour traverser l’Atlantique 4.
Ce voyage en bateau ne sera pas sans conséquence dans l’histoire de l’OFQJ. De Gaulle
arrive à Québec le 23 juillet 1967 et il rejoint Montréal le 24 juillet. Dès le moment où il met
le pied à l’Anse-aux-Foulons, le vent de l’histoire commence à souffler sur la vallée du SaintLaurent. Dans peu de temps, c’est à l’échelle mondiale qu’on va parler de ce coin d’Amérique.
De Gaulle à Johnson :
« Pourquoi ne pas faire un office pour la jeunesse ? »
Parmi ceux chargés de l’accueil du général se trouve un personnage appelé à jouer un
rôle important dans les annales de l’OFQJ. D’allure svelte, la chevelure frisant aux quatre
vents, la mèche en bataille, l’air vaguement technocrate, son apparence ne manque pas
d’attirer l’attention. Son nom : Jean-Paul L’Allier. Âgé de 27 ans, il est directeur de la
Coopération au ministère des Affaires culturelles. Un haut fonctionnaire, comme il y en avait
plusieurs à l’époque. Un homme qui ignore encore qu’il est sur le point de devenir le premier
secrétaire général de l’OFQJ, pour ensuite en devenir le ministre responsable.
Jean-Paul L’Allier considère la venue de de Gaulle comme « la mère de toutes les
visites 5 ». En ce 24 juillet, tandis que le jeune L’Allier vaque à tous les détails du voyage,
s’assurant pour la millième fois que rien n’est laissé au hasard, le président de la France et
le premier ministre du Québec entament leur expédition le long du chemin du Roy. De
Donacona à Trois-Rivières en passant par Sainte-Anne-de-la-Pérade et Cap-de-la-Madeleine,
de Louiseville à Montréal en traversant Berthier et Repentigny, les deux hommes discutent
de la France et du Québec. C’est alors que le général sonde son « ami Johnson ». « Il en a
parlé à Daniel Johnson au cours du voyage », raconte Jean-Paul L’Allier. Il lui a dit : « La
France et l’Allemagne ont fait l’Office franco-allemand pour la jeunesse afin de rebâtir les
ponts entre eux. Nous devrions faire la même chose 6. »
« L’ami » québécois se montre réceptif, mais la question de la création de l’Office va être
momentanément éclipsée. Car le souffle de l’histoire se fait sentir au fur et à mesure que la
voiture du général approche de Montréal. La pluie diluvienne du matin a cessé depuis Capde-la-Madeleine. Tandis que les premiers gratte-ciel de la métropole se découpent au loin,
2
3
4
5
14
6
L’expression est du général.
L’expression est du général.
Entretien avec Xavier Deniau, 18/03/98.
Témoignage de Jean-Paul L’Allier tiré du documentaire de Luc Cyr et Carl
Leblanc, « Le voyage du général de Gaulle au Québec», Prospec, 1997.
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
un soleil radieux pointe désormais à l’horizon. Quand le cortège arrive enfin devant l’hôtel
de ville, le tonnerre d’acclamations est tel qu’on n’entend même pas la fanfare qui joue
pourtant à tue-tête en l’honneur du visiteur.
Le général a juste le temps de saluer la foule et de s’engouffrer dans l’entrée avant que
le cordon de sécurité se rompe sous la pression de la foule. À l’intérieur, la clameur populaire
continue à monter aux oreilles du premier des Français : « Un discours ! Un discours ! Un
discours ! ». Et voici le général, les bras en V, sur cette balustrade en forme de corniche,
flanquée de ces imitations de colonnes corinthiennes, saluant le peuple en délire qui n’attend
plus que les paroles providentielles de l’homme d’État déferlent sur lui.
Après avoir « secrètement » confessé à la foule que sa tournée québécoise lui a fait penser
à l’atmosphère de la Libération, le voilà qui entonne, dans un crescendo surprenant, l’agencement fatidique des mots désormais célèbres : « Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le
Québec… libre ! Vive le Canada français et vive la France ! ».
Outre les sept syllabes du « Vive le Québec libre ! », d’autres passages du discours attirent
l’attention, notamment celui où de Gaulle salue le symbole de réussite moderne qu’est
devenue Montréal, non sans ajouter à quel point la modernité québécoise va dans le sens
des intérêts de la France : « […] Le concours que la France va, tous les jours un peu plus,
prêter ici, elle sait bien que vous lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer
des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l’étonnement de tous et
qui, un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider la France 7. »
Le général ne tarde pas à démontrer qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air, surtout lorsqu’il
s’adresse à la jeunesse. Une conversation à ce sujet avec Johnson est encore fraîche à sa
mémoire lorsqu’il atterrit à Orly, le 27 juillet 1967.
L’idée est dans l’air
Puisqu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, le général de Gaulle ne perd pas de
temps. À sa descente d’avion où l’attend tout son Conseil des ministres, il déclare à Alain
Peyrefitte qu’il veut le voir le lendemain à son bureau. De Gaulle compte l’envoyer au Québec
pour signer de nouveaux accords de coopération. Et il lui confie peu de temps après une
lettre personnelle adressée à Daniel Johnson 8.
Ensuite, c’est au tour de François Missoffe, ministre de la Jeunesse et des Sports, d’être
convoqué à l’Élysée. Fort des instructions du général, Missoffe rassemble une petite équipe
comprenant Jean-Claude Quyollet, l’un de ses collaborateurs. Il se trouve que Quyollet fait
également partie du conseil d’administration de l’Office franco-allemand pour la jeunesse et
qu’il a déjà une bonne connaissance de ce genre d’organisme.
7
8
Charles de Gaulle, Discours aux peuples du monde (sur disque compact),
Paris, Institut Charles de Gaulle, 1994.
Entretien avec Alain Peyrefitte, 27/10/98.
15
L’idée de faire quelque chose pour la jeunesse est dans l’air. Au printemps 1967, le haut
fonctionnaire québécois, André Patry, se souvient d’en avoir formellement parlé avec des
diplomates français en vue du voyage en France de Daniel Johnson 9. Il est donc tout à fait
plausible que cette volonté soit très tôt présente à l’esprit du général. Il confie son idée à
Alain Peyrefitte la journée même de son retour. Selon toute vraisemblance, l’idée a dû mûrir
au cours du voyage. Il demeure naturel que de Gaulle ait pensé à l’Office franco-allemand
pour la jeunesse, référence toute normale pour lui.
De toute évidence, dans le tourbillon des événements de 1967, le projet devait être resté
à un stade embryonnaire. Les instructions données à Missoffe étaient sûrement d’ordre général.
L’idée de remettre à de Gaulle un projet détaillé qui transposait au Québec ce qui avait été
fait en Allemagne émane sans aucun doute de Missoffe et son équipe.
Fort de l’aval présidentiel, Missoffe et Quyollet se mettent rapidement en route. Ils débarquent à Montréal à la fin du mois de septembre où ils sont accueillis par Jean-Marie Morin,
adjoint parlementaire du premier ministre, à qui celui-ci vient de confier le mandat de prendre
en charge les destinées de l’Office. Le temps de la redécouverte vient de commencer.
Cette redécouverte s’applique d’abord au climat,
les visiteurs. C’est l’automne et Jean-Marie Morin
a la présence d’esprit d’emmener ses convives dans
son coin de pays : le Bas-Saint-Laurent. Aussi loin
que peut porter le regard vers l’horizon, les vastes
forêts québécoises ont revêtu leurs plus belles
couleurs : rouge, jaune, vert et orange, embellies
de teintes écarlates et éclatantes. Jamais Missoffe
et Quyollet n’ont vu pareille beauté ! Ils en ont le
souffle coupé.
détail qui ne manque pas de frapper
[...] la création d’un office bigouvernemental était une première, et tout cela
se faisait dans le désaccord d’Ottawa.
Donc ce n’était pas banal.
JEAN-CLAUDE QUYOLLET
Une lettre personnelle pour Daniel Johnson
Entre Français et Québécois, les choses vont bon train. Le travail plus sérieux commence
à Québec grâce à une rencontre entre François Missoffe et Daniel Johnson. C’est à ce moment
que le ministre remet au premier ministre une lettre manuscrite de la part du général. JeanClaude Quyollet relate la suite :
« Cette lettre proposait à Johnson la création d’un office franco-québécois pour la
jeunesse… il a lu la lettre devant nous et il nous a dit qu’il trouvait l’idée très bonne, qu’il
était enthousiaste, tout en faisant remarquer que le Québec manquait d’expérience dans le
domaine des relations bilatérales. »
9
16
Entretien avec André Patry, 12/07/01.
François Missoffe lui a répondu : « ne vous inquiétez pas, nous avons des organismes
bilatéraux et d’ailleurs nous en avons un avec l’Allemagne qui marche très bien et monsieur
Quyollet en est membre. Donc nous savons comment il faut faire. »
« Là-dessus j’ai senti que Daniel Johnson a été quelque peu rassuré puisque au départ
il ne savait pas trop ce que ça allait être. Il faut dire que pour le Québec, la création d’un
office bigouvernemental était une première, et tout cela se faisait dans le désaccord d’Ottawa.
Donc ce n’était pas banal 10. »
À la suite de cette rencontre, les discussions concrètes sont entamées. Jean-Claude
Quyollet en est chargé pour le gouvernement français. Du côté québécois, le choix de Daniel
Johnson se porte assez rapidement sur Jean-Paul L’Allier, qui s’apprête alors à retourner à
son poste d’enseignant à l’Université d’Ottawa, qu’il a délaissé depuis deux ans. L’intéressé
relate la scène :
« J’avais connu Johnson l’année de l’Expo, en 1967. Pour chaque visiteur qu’il recevait,
je lui faisais un briefing. Et puis j’ai commencé à lui écrire des discours pour des réceptions,
des toasts, etc.
Après cet épisode, il m’a fait venir à son bureau pour me demander de mettre sur pied
cet Office franco-québécois pour la jeunesse qui était sur le point de naître. Il m’a dit : Je
veux que ça soit vous, je vais vous donner les moyens. Vous avez carte blanche, débrouillezvous 11 ! ».
Tout le long des mois d’octobre, de novembre et de décembre, les négociations se
poursuivent entre Paris et Québec. L’Allier et Quyollet multiplient les allers et retours entre
les deux capitales. Ces démarches ne resteront pas vaines.
Le 8 février 1968, le protocole
donnant officiellement naissance à l’Office francoquébécois pour la jeunesse
est signé à Paris par François
Missoffe et Jean-Marie Morin.
À partir de maintenant,
il s’agit de transformer ces
intentions en gestes concrets.
Tant en France qu’au Québec,
on veut que les premiers
échanges débutent dès l’été
1968. Un pari des plus risqués
s’il en est.
C'est le début d'un temps nouveau... Les premiers échanges débutent dès l’été 1968 par des
voyages de groupes. On se connaît, on se reconnaît, on compare, on apprend. La découverte est grande, belle, irrésistible.
10
11
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
17
« Où sont les Indiens ? » demandent les cohortes
de jeunes Français qui débarquent au Québec en 1968.
La coopération, c'est aussi de désamorcer les clichés,
les mythes et les préjugés.
18
CHAPITRE 1 :
Une
course
à obstacles
Afin d’accélérer le processus, Jean-Claude Quyollet a été momentanément détaché du
ministère de la Jeunesse et des Sports pour travailler directement auprès de l’Élysée. Un autre
signe de l’importance qu’accorde de Gaulle à la question québécoise.
Cet appui politique n’est pas du tout superflu. Le projet de l’OFQJ est à peine lancé
qu’il se heurte à l’âpreté initiale du ministère français des Affaires étrangères. « Ah ! il a fallu
convaincre », lance Jean-Claude Quyollet en soupirant. « On a imposé l’idée au Quai d’Orsay
malgré leur hostilité. Heureusement que nous pouvions compter sur une poignée de gens
convaincus comme Pierre Moineau, directeur de la Coopération culturelle, technique et scientifique, ou encore Pierre de Menthon, consul général de France à Québec. »
Pour ce qui est de ce dernier, il faut dire que de Gaulle le nomme à ce poste à la suite
de son voyage. Cependant, il lui donne des instructions très claires. À titre de consul général,
il devra entretenir des relations avec le gouvernement du Québec, sans passer par le gouvernement fédéral ou par l’ambassade de France à Ottawa, tout en faisant rapport à Paris. Afin
d’être certain que le message soit reçu cinq sur cinq, de Gaulle convoque de Menthon à
l’Élysée pour lui expliquer personnellement sa mission.
Les premiers artisans de l’Office pourront donc s’appuyer sur un allié de taille en la
personne de De Menthon. Ce qui ne veut pas dire que les fonctionnaires du Quai ont réellement compris l’importance que revêt désormais la politique québécoise. En 1969, une fois
de Gaulle parti, les anciennes habitudes reviennent vite au galop. « On était un peu inquiet
à ce moment-là, rappelle Jean-Claude Quyollet. Mais sous la présidence de Georges Pompidou,
j’ai pu compter sur Michel Jobert, secrétaire général de l’Élysée, et aussi sur deux conseillers
du président, Jean-Bernard Raimond et Michel Bruguières 12. »
Un office pour la jeunesse… paralysé par la jeunesse
Les rebuffades administratives ne sont pas les seuls obstacles que doit surmonter le
jeune organisme au cours de ses premières années d’existence. D’entrée de jeu, les événements se précipitent. L’encre du protocole de février 1968 n’est pas encore sèche que les
étudiants de la faculté de Nanterre entament une grève dont les conséquences vont bouleverser la France. Alors que les premiers stages de l’Office sont prévus pour le mois de juin,
la révolte estudiantine se répand sur la France comme un raz-de-marée, déferlant sur le
12
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
19
Quartier latin, emportant l’Odéon, dressant des barricades, ébranlant le général… paralysant
complètement les communications.
Les cris de fronde de cette jeunesse capricieuse
sont tels qu’ils retentissent jusqu’aux nouveaux locaux
Mais qui sont-ils ces jeunes
de l’Office franco-québécois pour la jeunesse, tout à côté
e
Français et Québécois qui se
du parc Monceau dans le XVII arrondissement. Sur le
lancent à la redécouverte d’une
bureau du secrétaire général, les projets de stages s’empilointaine parenté dont on avait
lent les uns sur les autres, sans qu’il puisse y donner suite
perdu la trace ?
de quelque façon que ce soit. Or, nous sommes à un
mois des premiers échanges. Jean-Claude Quyollet
s’arrache les cheveux. Et, comme si la situation n’était
pas assez difficile, Postes Canada déclenche une grève quelques semaines plus tard. « On a
vraiment eu des problèmes ! », raconte Quyollet. « Pendant un mois, un mois et demi, il n’y
avait plus de communication avec le Québec. Les messages, les lettres, les télex et même le
téléphone ont été brièvement paralysés. C’était un véritable trou noir et tout cela au moment
même où l’on s’apprêtait à lancer les premiers échanges 13. »
En de telles circonstances, les premiers artisans de l’OFQJ sont-ils gagnés par le
découragement ? Pas du tout, s’il faut en croire Alain Beaugier, ancien directeur des
Programmes et des échanges à la section française :
« En dehors du regret qu’on avait de ne pas pouvoir faire venir nos premiers stagiaires,
on savait qu’on n’avait aucune prise sur les événements. Mais nous n’étions pas abattus
puisqu’on était une équipe jeune. Nous gardions le moral vaille que vaille. Et comme il y
avait des journées où l’on ne pouvait pas travailler, on allait voir ce qui se passait, le jour à
la Sorbonne, le soir à l’Odéon. Au fond, c’était une époque vraiment captivante 14 […] ».
Les stagiaires ont disparu
Finalement, et contre toute attente, l’Office réussit à faire démarrer ses stages au début
de juin. Non sans quelques ratés supplémentaires… dont la toute première arrivée de stagiaires
français au Québec.
« On était partis en parade, tout fiers, afin d’aller accueillir nos premiers stagiaires »,
raconte en riant Jean-Paul L’Allier. « On arrive à Dorval, pas de stagiaires 15 ! » Tout le monde
est interloqué. Les Québécois se mettent à la recherche des Français en se renseignant à
toutes les compagnies aériennes de l’aéroport. Tout le monde revient bredouille. Et comme
les grèves se poursuivent en France, impossible de communiquer avec Paris.
« Comme ils n’arrivaient pas, poursuit Jean-Paul L’Allier, on est allés au collège Brébeuf
où ils devaient loger. On avait organisé une petite réception avec du vin et des pâtés. On
13
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20
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
Entretien avec Alain Beaugier, 02/02/01.
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
s’est dit qu’on n’allait pas gaspiller tout ça ! Alors on a mangé et on a bu. La soirée était assez
avancée lorsque quelqu’un a lancé : “Et s’ils étaient arrivés par New York 16 ?”. »
Mais bien sûr ! Faute d’avoir pu les diriger sur Montréal, la section française avait dû
les envoyer vers la métropole américaine. Jean-Paul L’Allier et sa bande font alors un rapide
calcul. Depuis leur arrivée à New York, considérant la durée du trajet en autobus entre les
deux villes, ils étaient probablement déjà arrivés à Montréal. Les bureaux de l’OFQJ étaient
situés dans la tour d’Hydro-Québec. En deux temps, trois mouvements, tout le monde saute
dans sa voiture pour foncer à toute vitesse vers le centre-ville. Résultat : « On a trouvé nos
trente stagiaires qui nous attendaient la mine fatiguée, mais contents qu’on les ait retrouvés 17. »
Où sont les « Indiens » ?
Si les premiers contingents de stagiaires arrivent sains et saufs, les questions qu’ils posent
ne manquent pas de faire sourciller les Québécois. « Quand les Français débarquaient, se
souvient François Duffar, l’un des premiers employés de l’Office, ils nous posaient toujours
cette question : Où sont les « Indiens » ? Les clichés et les obstacles ne sont donc pas venus
à bout de la volonté des premiers artisans de l’Office. Le 4 juin, les premiers échanges
commençaient et il y eut au cours de l’été plus de deux mille échanges de jeunes professionnels et d’étudiants 18 […]. »
Franco-québécois ou franco-canadien ?
S’il n’en tenait qu’au gouvernement fédéral, ce succès serait rapidement remis en cause.
Le remue-ménage provoqué par la création de l’OFQJ ne passe pas inaperçu à Ottawa. Les
fédéraux s’inquiètent de la tournure des événements et commencent à craindre, plus que
jamais, que le Québec ne devienne le partenaire privilégié de la France. Cela, malgré le fait
qu’Ottawa n’ait jamais jugé opportun, dans le passé, de développer ses relations avec Paris.
Qu’à cela ne tienne ! Les manœuvres d’obstruction débutent avant même que le protocole de février 1968 soit signé. C’est Bernard Dorin, le conseiller diplomatique d’Alain Peyrefitte
qui, le premier, tire la sonnette d’alarme. Ministre de l’Éducation nationale, Peyrefitte est mêlé
de très près à la coopération avec le Québec. Dans un document frappé de la mention
« secret » qu’il rédige pour son ministre, le diplomate Dorin écrit notamment ce qui suit concernant l’Office franco-québécois pour la jeunesse :
« Le haut comité pour l’expansion et la défense de la langue française, avec l’accord du
premier ministre et finalement du ministre des Affaires étrangères, émet un vœu pour la
création d’un office francophone pour la jeunesse. Un dossier complet est alors constitué.
16
17
18
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
Ibid.
Journal des débats de l’Assemblée législative du Québec, troisième
session, 28e législature, vendredi 1er novembre 1968, vol. 7,
no 81, p. 3772.
21
Le ministre fédéral canadien Jean Marchand, qui a eu vent du projet et désire couper
l’herbe sous le pied des Québécois (qui n’ont pas encore de ministère de la Jeunesse), propose
la création d’un office franco-canadien pour la jeunesse.
Le Quai d’Orsay saisi des deux projets et devant la difficulté de leur harmonisation en
profite pour enterrer l’un et l’autre… Il ne faut pas se dissimuler qu’après la proposition
Marchand, la création d’un office franco-québécois (au lieu de franco-canadien) va constituer
pour Ottawa un motif supplémentaire de désagrément 19 […] »
Désagrément, le mot n’est pas exagéré. Aux yeux des libéraux fédéraux, qui gouvernent alors à Ottawa, tout ce qui relève de la coopération franco-québécoise est suspect. Le
fait de n’avoir pu empêcher la naissance de l’Office ne met pas un frein aux ardeurs
outaouaises. Comme l’explique Jean Claude Quyollet : « Ottawa a tenté par tous les moyens
de nous mettre des bâtons dans les roues 20. »
De fait, en novembre 1968, le secrétariat d’État du gouvernement fédéral, étudie la possibilité de construire des centres d’accueil internationaux […] qui seraient destinés en premier
lieu aux jeunes 21. D’où le titre du projet : « Opération jeunesse ». Au même moment,
l’Assemblée nationale discute de la loi qui va créer officiellement l’OFQJ. La manœuvre
fédérale ne passe pas inaperçue au sein de la députation québécoise. Les réprobations fusent
des deux côtés de l’Assemblée. Le député libéral, Gilles Houde, critique de l’opposition en
matière de jeunesse, propose même que le gouvernement québécois construise lui-même
des centres d’accueil afin de prendre Ottawa de vitesse 22. Finalement, il n’y aura pas de
centre d’accueil du tout.
Ils reviennent !
Contre vents et marées, les stagiaires ont donc traversé l’Atlantique, dans les deux sens.
Mais qui sont-ils ces jeunes Français et Québécois qui se lancent à la redécouverte d’une
lointaine parenté dont on avait perdu la trace ?
Ce sont, par exemple, les membres de la chorale universitaire de Montpellier, qui débarquent au Québec en plein été pour donner un concert le 14 juillet 23. Le symbole est particulièrement fort, et le ministre Jean-Marie Morin a tenu à être présent pour les saluer. Ému,
c’est avec lyrisme que Morin cite le poète québécois Octave Crémazie qui, dans un poème
composé pour saluer l’arrivée de la Capricieuse, avait imaginé un vieux soldat escaladant
chaque jour les remparts de Québec dans l’espoir de voir surgir à l’horizon une voile française.
En mourant, ce vieux soldat avait fait à son fils la prédiction suivante : « De ce grand jour,
tes yeux verront l’aurore, ils reviendront et je n’y serai pas 24 ! ».
19
20
21
22
22
23
24
« Projet de coopération franco-québécoise en matière d’éducation nationale », document
écrit par Bernard Dorin pour Alain Peyrefitte, non daté, archives de Frédéric Bastien.
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
Le Soleil, 05/11/68.
La Presse, 02/11/68.
L’Action, 15/07/68.
L’Action, 17/07/68.
Non, ils n’étaient pas
revenus. Et pour que
l’homme de lettres puisse
reposer en paix, il avait
été inhumé au Havre, en
guise de consolation.
Stagiaires dans un camp d’échanges étudiants entre la France et le Québec, en
1968. La formule initiale préconisait des visites thématiques dans différents secteurs
dont les sports nautiques.
Au moment où JeanMarie Morin rappelle avec
émotion cet épisode, la
situation a changé du tout
au tout. Après cette
longue attente, dans le
sillage de l’abandon de
1760, à la suite de deux
siècles d’indifférence, la
France est de retour.
Les Québécois redécouvrent la France
Cependant l’inverse est également vrai. De jeunes Québécois foulent le sol de la France
pour la première fois. Comme Suzie Harvey, une travailleuse sociale de Jonquière qui, en
1970, met le cap sur l’Hexagone pour faire un stage en animation sociale. De Paris à Grenoble,
cette Québécoise est frappée par ce qu’elle découvre. « Au niveau de l’animation culturelle,
on avait été impressionné par ce qu’on avait vu, dit-elle, particulièrement par ce qui se faisait
dans les banlieues 25. »
Mais au-delà des découvertes professionnelles, l’époque s’avère particulièrement intéressante. Les baby-boomers arrivent à l’âge adulte, découvrent le monde… bardés de mille et
une illusions, selon Suzie Harvey :
« On avait décidé qu’on allait changer le monde. D’ailleurs, on n’arrêtait pas de parler
du voyage de de Gaulle. Je criais « Vive le Québec libre ! » en prenant l’intonation du général.
Et puis, on était tapageurs, on contestait tout, tellement qu’à un moment donné on nous avait
dit de nous assagir sinon on rentrait au Québec illico.
Mais depuis, ce stage n’a jamais cessé d’influencer ma vie personnelle et professionnelle. J’ai vécu en France avec mon mari pendant un an, j’ai même maintenant une bellefille qui est Française.
25
Entretien avec Suzie Harvey, 16/02/01.
23
Même chose au travail. Je suis
aujourd’hui directrice du Concours
québécois en entrepreneurship et on a
des partenaires français qui sont venus
voir ce qu’on fait ici et qui lancent un
concours semblable en France 26. »
Les comparaisons
et l’incomparable
Telle une sculpture qui prend forme entre les mains d'un artiste, la
coopération se façonne peu à peu ; chacun y apporte son regard,
ses perceptions, son impulsion.
Il faut dire aussi que ces
Québécois qui redécouvrent la France
font des trouvailles surprenantes. Qui
aurait cru qu’ils ramèneraient dans
leurs bagages un sport aussi québécois
que le ski de fond ? Le témoignage
d’Yvon Gagnon, professeur de ski de
fond au Cégep de Shawinigan rappelle
les faits :
« En 1970, je terminais un baccalauréat en éducation physique avec une spécialisation
en physiologie de l’exercice. J’avais perçu dans le ski de fond, outre le loisir, la possibilité
de performances physiologiques extraordinaires […] je pressentais les grandes promesses de
cette activité au Québec. Dès mon embauche, le Cégep de Shawinigan adoptait un projet de
mise sur pied de cours de ski de fond […].
C’est grâce à l’Office franco-québécois pour la jeunesse que j’ai pu acquérir en 1971 la
formation technique et pédagogique dispensée par l’École nationale de ski de fond de
Prémanon en France. Les enseignants de cet établissement de haut niveau nous ont donné
une formation intensive et complète, adaptée pour une application rapide au Québec 27. »
C’est ainsi que les deux sociétés refont connaissance. Français et Québécois, forts de
leurs préjugés et la tête pleine d’a priori, questionnent leur façon d’appréhender les événements. C’est le cas des ingénieurs de l’École des ingénieurs de la préfecture de Paris, qui
débarquent à Montréal en 1970 et qui repartent avec une analyse complètement différente
de celle qu’ils envisageaient :
« Au départ, nous étions décidés à faire des comparaisons, comme s’il était possible de
comparer la Seine et le Saint-Laurent ; la place de la Concorde et la Place-Bonaventure […]
l’idée même d’avoir envisagé le problème sous cet angle nous semble maintenant dérisoire
26
27
24
Entretien avec Suzie Harvey, 16/02/01.
Témoignage d’Yvon Gagnon dans Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988, p. 13.
[…] cette erreur d’optique nous amène à poser la question : Comment se fait-il que ce ne
soit pas comparable 28 ? »
Pas comparable. Voilà ce qu’en retiennent plusieurs stagiaires français. Certains d’entre
eux ne manquent pas d’être étonnés par la modernité et le dynamisme de la société québécoise. Le jeune Michel Vinck, à la suite de son séjour, note dans son rapport de stage que la
technologie québécoise contribue parfois à « donner des leçons de modestie aux Français 29 ».
Même quand il s’agit de sujets aussi délicats que la nourriture, les préjugés de la jeunesse
hexagonale sont mis à rude épreuve.
Comme en témoigne Jocelyne Tournier, diététicienne faisant partie d’un stage en alimentation : « De par ma profession, nous avons beaucoup parlé de nourriture. Une chose est
appréciable, les horaires des repas et des collations. Quant à la qualité, trop de sauces d’un
goût bizarre, trop de mets très sucrés, mais des viandes d’excellente qualité et un petitdéjeuner bien agréable que l’on voudrait bien voir se répandre en France 30. »
Nourriture, sport, loisirs, les thèmes des premiers stages sont variés. Ils touchent également beaucoup au domaine social. C’est ainsi que dès l’été 1968, une cinquantaine de jeunes
de la CEQ (Centrale des Enseignants du Québec), accompagnés d’une vingtaine d’animateurs sociaux, se rendent en France pour faire un stage dans le milieu syndical 31.
Une rencontre avec Michel Chartrand
Ce type d’échanges occupe une place importante dans les activités de l’Office. Les
Français qui visitent la Belle Province sont frappés par l’activisme des Québécois. C’est le
cas de Martine et Alain Chevillard, un jeune couple de la Franche-Comté, qui se rend au
Québec en 1972 dans le cadre d’un stage organisé par la Fédération française des œuvres
laïques. Comme le rappelle Martine : « Dès le départ, le Québec libre était dans nos têtes.
On allait visiter une société qui cherchait à s’émanciper 32. »
« Nous avons rencontré beaucoup de syndicalistes, poursuit Alain, et on nous a fait voir
des organismes qui faisaient des stages pour la réinsertion des chômeurs. Quelque chose
qu’on ne connaissait pas en France. C’était vraiment bien organisé 33. »
Pourtant le couple n’est pas au bout de ses surprises. Après quelques jours, nos deux
amis ont droit à une rencontre avec le très coloré Michel Chartrand… libéré de prison à la
suite du front commun de 1972. « Quelle personnalité ! se souvient Alain. Il nous avait tellement impressionnés par son discours, nous expliquant que le Québec était une société aliénée,
qu’il ne pouvait compter que sur ses propres forces pour s’en sortir. Il nous racontait tout ça
avec conviction, alors qu’il sortait à peine de prison. Ça nous avait sidérés 34. »
28
29
30
31
32
33
34
Archives de la cinquième réunion du C.A. de l’OFQJ, Jonquière, juin 1971,
2e cahier présenté aux membres du conseil, p. 46.
Ibid., p. 16.
Ibid., p. 27.
Montréal Matin, 03/08/68.
Entretien avec Martine et Alain Chevillard, 07/10/00.
Ibid.
Ibid.
25
L’action corrige l’action
Est-il étonnant que ces Français soient aussi satisfaits de leur stage quand on regarde
l’équipe qu’avait rassemblée autour de lui Jean-Paul L’Allier ? Des gens comme Louise
Fréchette, qui est aujourd’hui la deuxième personne d’importance des Nations Unies à New
York. Sans parler des Jean-Guy Saint-Martin, Diane Wilhelmy et François Duffar, qui sont
respectivement devenus ambassadeur du Canada au Maroc, déléguée générale du Québec
à New York et vice-président de Cossette marketing. Sans oublier l’ancien ministre JeanFrançois Bertrand et l’ancien premier ministre Pierre-Marc Johnson.
« Ça bougeait très vite, mentionne François Duffar. Moi, je suis arrivé en mars 1968.
L’Office n’était même pas créé officiellement. On ne savait pas où on allait et quelques
semaines plus tard, on recevait nos premiers stagiaires ! On n’avait même pas d’argent, car
le gouvernement ne pouvait nous donner des crédits parce que la loi créant l’OFQJ n’était
pas encore votée. Alors, avec Jean-Paul, on était allés voir des banques pour emprunter de
l’argent… heureusement qu’on avait une lettre du premier ministre 35. »
« Notre équipe était fantastique, évoque Jean-Paul L’Allier, L’action corrige l’action était
notre devise et on l’avait écrite sur un de nos documents de travail. Et en plus, il faut bien
voir qu’on a monté tout ça très rapidement. Sans qu’il y ait eu une pléiade d’études préalables pour en vérifier la faisabilité. Quand je vois que ça continue plus de trente ans plus
tard, j’en suis très fier ! Pour moi, c’est vraiment l’un des plus beaux souvenirs de ma vie
professionnelle 36. »
Une fierté qui se comprend. Sauf que préparer en vitesse des rencontres avec des
activistes tel Michel Chartrand n’a rien pour rassurer les sceptiques, surtout à Ottawa.
Il faut dire que depuis le voyage de de Gaulle, et à la suite des nombreux voyages au
Québec du haut fonctionnaire Philippe Rossillon, le gouvernement fédéral voit des espions
partout. Rossillon, qui est alors à la tête du Haut-Commissariat pour l’expansion et la défense
de la langue française, se fait même traiter d’agent plus ou moins secret par le premier ministre
canadien Pierre Trudeau. La méfiance envers la France est donc de mise. Le ministre Joseph
Comiti ne va pas tarder à l’apprendre.
Stagiaires ou agitateurs ?
L’affaire se produit lors du premier conseil d’administration de l’Office, les 9 et
10 novembre 1968. Jean-Marie Morin et Joseph Comiti donnent une conférence de presse à
l’issue des travaux. D’abord, les deux ministres prennent bien soin de préciser que le nouvel
organisme n’a aucune visée politique. Une phrase qui ne met pas fin au scepticisme de
certains journalistes. Les deux hommes ont à peine fini de parler que le bal des questions
pièges commence :
35
36
26
Entretien avec François Duffar, 02/04/01.
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
« Êtes-vous au courant, lance un premier journaliste, que des coopérants français auraient
participé à de l’agitation au Québec ?
– Si tel est le cas, répond Comiti, ils reprendront le premier avion 37. »
Et le ministre français d’expliquer que peu de temps auparavant, de jeunes Allemands
de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) s’étaient fait prendre à chahuter l’homme
politique Gaston Deferre dans la région de Marseille. Ils ont été renvoyés en Allemagne
immédiatement. Bel exposé. Mais dans le sillage du « Vive le Québec libre », le Français n’allait
pas s’en tirer à si bon compte.
« Faut-il conclure de votre réponse, rétorque un second journaliste, qu’il n’y aura pas
de jeunes gaullistes qui viendront au Québec 38 ?
– Comme il y a 65 % des Français qui sont gaullistes, il devrait y avoir la même proportion chez les jeunes. Nous ne pouvons pas empêcher des jeunes de partager leur idéal, et
ce, de part et d’autre. Il s’agit simplement qu’ils ne deviennent pas des agitateurs. »
Ce début de polémique n’ira pas plus loin. En revanche, il fait réaliser une fois de plus
aux artisans de l’Office à quel point le nouvel organisme peut devenir un sujet controversé.
Le Québec étant associé en France de façon aussi forte à la mémoire du général de Gaulle,
c’est au sein de la section française que cette question se pose le plus. Alors Jean-Claude
Quyollet va prendre les moyens qu’il faut pour résoudre le problème.
« Dégaulliser » les relations franco-québécoises
« Dès le départ, on a voulu que l’Office soit apolitique, même si c’était clair que c’était
de Gaulle qui en avait été l’inspirateur. On n’a pas voulu être accusé d’avoir un parti pris
politique, et c’est ce que le général souhaitait lui-même. Alors, il fallait faire en sorte que
toutes les familles politiques françaises puissent aller au Québec. Pour que ce ne soient pas
que les jeunes gaullistes. »
On a invité la Confédération générale du travail (proche des communistes), et d’autres
groupes de gauche. Quand on envoyait des groupes de jeunes syndicalistes, c’était clair qu’ils
étaient plutôt à gauche. Et quand c’était des jeunes patrons, c’est sûr qu’ils étaient plutôt à
droite […].
En plus, j’avais fait nommer des gens de droite et de gauche dans mon conseil d’administration. Comme Jean-Marie Domenach, un éminent intellectuel, directeur de la revue Esprit,
qui en plus était un disciple d’Emmanuel Mounier, ce philosophe qui avait eu beaucoup
d’influence au Québec. Donc, ça équilibrait les choses 39. »
37
38
39
Le Devoir, 09/11/68.
Le Devoir, 09/11/68.
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
27
Pour vraiment « dégaulliser » les relations franco-québécoises, dont l’OFQJ est l’un des
fers de lance, encore faut-il convaincre la presse et l’opinion publique de la justesse des vues
de de Gaulle. Une tâche qui s’annonce titanesque car le 24 juillet 1967, la journée du fameux
discours au balcon, à la notable exception du quotidien communiste L’Humanité, il faut bien
comprendre que presque tout ce que la France compte de journalistes et d’éditorialistes
conspuent littéralement le général. Et pendant que le général fulmine contre « ces plumitifs
qui sont des larbins 40 », sur le terrain les partisans du Québec tentent d’endiguer le déferlement d’indignation et d’incompréhension qui balaie la France. Dans cette perspective, quoi
de mieux pour l’OFQJ que d’emmener de jeunes journalistes français au Québec pour qu’ils
puissent se forger eux-mêmes une opinion ? C’est l’idée qui traverse très tôt l’esprit de JeanClaude Quyollet :
« L’un des premiers voyages que j’avais organisé était un stage pour des journalistes.
L’Office avait emmené au Québec des journalistes de droite et de gauche, tout en leur
préparant un programme exceptionnel. Ils avaient rencontré André Patry, qui enseignait le
droit international à l’Université de Montréal, et aussi Gérard Bergeron, qui venait de sortir
son livre Le Canada français après deux siècles d’impatience.
L’opération avait très bien marché. Très tôt le quotidien Le Monde nous avait appuyés.
On avait également eu des papiers favorables, incluant Le Nouvel observateur, un hebdomadaire de gauche, qui commençait à dire que non ! le général ne s’était pas trompé 41. »
Crise diplomatique, querelle politique, controverses dans la presse, on pourrait croire
que l’OFQJ est né sur un fond de litiges insurmontables qui nous auraient fait passer à côté
de beaucoup de choses, notamment cette histoire d’amour entre la France et le Québec, de
relater Jean-Claude Quyollet. « Ce qui a été assez sympathique, c’est qu’au bout de deux ou
trois ans, on a eu nos premiers mariages. De jeunes Françaises se mariaient avec des
Québécois et des Québécoises prenaient des Français comme époux… et j’ai la faiblesse de
penser que cela a joué un rôle, dans la connaissance mutuelle en tout cas 42. »
« Un voyage peut vraiment changer le cours d’une vie »
Des mariages ? Marie-Paule Courroy Desaulniers, une Française qui vit désormais
au Québec, en témoigne. « Un voyage peut vraiment changer le cours d’une vie 43 »,
explique-t-elle. « En 1968 […] avec quatre autres moniteurs français, je venais découvrir les
colonies de vacances du Québec. Pendant huit semaines, j’ai été intégrée à l’équipe d’animation du camp Minogami. En fait, j’ai eu beaucoup de chance ! J’y ai découvert une approche
pédagogique qui a été une révélation pour moi : une franchise toute simple entre enfants et
animateurs, des relations directes sans aucune agressivité. Pas de claques ! Pas de coups de
pied au cul !
40
41
42
28
43
Jacques Foccart, Le journal de l’Élysée, « Tous les soirs avec de Gaulle »,
Paris, Éditions Fayard/Jeune Afrique, 1997, tome 1, p. 684-685.
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
Ibid.
Témoignage de Marie-Paule Desaulniers dans Traces et jalons, Montréal,
OFQJ, 1988, p. 7.
« Je faisais partie des tout
premiers stagiaires. Le stage que j’ai
effectué m’a donné la passion du
Québec et m’a permis de connaître
l’homme qui allait devenir mon
mari 44. »
Rencontres, mariages, redécouvertes, autant d’éléments qui
rendent compte de cet emballement qui a caractérisé les premières années d’échanges du
nouvel organisme. Mais tout cela
ne s’est pas fait tout seul. Il a fallu
encadrer les stagiaires, former les
accompagnateurs et inventer une
pédagogie. Une tâche à laquelle les
premiers artisans de l’Office vont
s’attaquer avec enthousiasme et
passion, mettant toute leur énergie
dans ces nouveaux objectifs.
Les échanges de l’OFQJ permettent aux jeunes issus des deux communautés de créer des liens et de confronter leurs pratiques.
44
Ibid.
29
Au départ, l'objectif est de deux mille stagiaires
de part et d'autre de l'Atlantique. Il fallait aussi
que l'expérience ait pour chacun et chacune un
maximum de répercussions dans leur future
activité professionnelle.
30
CHAPITRE II :
Inventer
un outil
Débordé par la demande
Même si connaître le Québec, c’est aussi se mesurer
à son climat, il faut vite passer aux différents points à
l’ordre du jour du Conseil d’administration. L’Office
franco-québécois pour la jeunesse complète sa deuxième
année d’existence, et si les résultats sont relativement
encourageants, il existe de très nombreux ajustements à
faire.
Nous recherchions des jeunes leaders
dans toutes les professions. Des jeunes
dirigeants de syndicats, de fédérations
agricoles ou d’associations patronales.
Des gens qui, par leur fonction, seraient
en mesure de faire des conférences, de
parler à la presse, d’écrire des articles
dans leur revue professionnelle, etc. 45
Jean-Claude Quyollet ouvre les discussions, expliquant qu’en 1969, chacune des sections a réussi à faire
JEAN-CLAUDE QUYOLLET
voyager mille huit cents stagiaires, alors que l’objectif était
46
de deux mille de chaque côté . Inutile de dire qu’en ces
toutes premières années, l’organisme franco-québécois est méconnu en France comme au
Québec. Les deux secrétaires généraux doivent surseoir au plus vite à ce problème.
Ce sera d’abord le rôle de Jean-Claude Quyollet, jeune sous-préfet, à qui l’on a confié
l’immense tâche de recruter environ deux mille stagiaires par année. Relevant ses manches,
crachant dans ses mains, saisissant son bâton de pèlerin, notre homme s’attaque à cette tâche
avec autorité.
D’est en ouest, du nord au sud, des montagnes en descendant vers les plaines, de la
côte en allant vers l’intérieur, il sillonne inlassablement la France. De préfectures en mairies,
de chefs-lieux en départements, d’associations en écoles d’ingénieurs, de syndicats en
chambres de commerce, de conférences en déjeuners de travail, son message demeure chaque
fois le même : « Il faut que vous connaissiez le Québec ; il s’y passe des choses très intéressantes pour de jeunes Français 47. »
Les interventions de l’Office auprès des milieux professionnels et associatifs ne tardent
pas à susciter une énorme demande. « Si au début on a été assez souples dans les critères
de sélection, très rapidement on a été complètement débordés par la demande 48 », se souvient
Jean-Claude Quyollet. Un commentaire qui s’applique parfaitement aux deux sections, tellement qu’il faut bientôt faire des choix. Contrairement à l’Office franco-allemand pour la
jeunesse, il était clair dès le départ que l’OFQJ, pour des raisons évidentes de géographie,
ne pourrait pas miser sur des échanges de masse. Il fallait donc faire en sorte que pour chaque
stagiaire, l’expérience de l’Office ait un maximum de répercussions.
45
46
47
48
Ibid.
Ibid., p. 7.
Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
Ibid.
31
Jeunes leaders ou jeunes travailleurs ?
D’où l’idée de joindre de jeunes multiplicateurs.
« Il ne fallait pas que ce soit du tourisme », rappelle JeanClaude Quyollet. « Nous recherchions des jeunes leaders
dans toutes les professions. Des jeunes dirigeants de
syndicats, de fédérations agricoles ou d’associations
patronales. Des gens qui, par leur fonction, seraient en
mesure de faire des conférences, de parler à la presse,
d’écrire des articles dans leur revue professionnelle,
etc. 49 »
Les deux premiers secrétaires généraux au
Québec : Jean-Paul L’Allier (1968-1970)
(également ministre responsable de l’Office de
1970 à 1976) et Jean-Guy Saint-Martin
(1970-1975).
Procédant ainsi, l’organisme franco-québécois est
en mesure de compenser le nombre par la qualité. Sauf
que cette approche ne fait pas l’unanimité. Du côté
québécois, la sélection s’effectue grâce aux annonces
dans les journaux. Elle s’adresse, dès le départ, à un
public plus large. Et ce, d’autant plus qu’au Québec, étant donné la population plus réduite,
on a vite fait le tour du bassin des jeunes multiplicateurs. La section québécoise de l’Office
essaie, en conséquence, de céder une place importante aux jeunes travailleurs. Une démarche
qui la différenciait un peu de la section française, comme le rappelle Alain Beaugier, exdirecteur des programmes à la section française : « L’idée d’aller vers les jeunes travailleurs,
c’était effectivement plus fort du côté québécois, un peu moins du côté français. Pour notre
part, on cherchait plus des leaders potentiels. Pas dans un sens élitiste, mais des jeunes ayant
des responsabilités sociales, économiques, politiques, et qui allaient ensuite faire connaître
le Québec dans leur milieu. Il y avait là une certaine contradiction en quelque sorte 50. »
À partir des élections du 25 avril 1970, cette conception sera fortement défendue par le
nouveau ministre québécois responsable de l’OFQJ, nul autre que Jean-Paul L’Allier : « Quand
nous avons été élus en avril 70, j’ai demandé à monsieur Bourassa de me laisser le dossier
de l’Office franco-québécois pour la jeunesse et il avait accepté. Le problème, c’était qu’il y
avait des fonctionnaires au ministère des Affaires intergouvernementales et surtout au ministère
de l’Éducation qui voulaient que l’Office dépende d’eux. Et si l’OFQJ avait dépendu du
ministère de l’Éducation, il aurait été pris d’assaut par les étudiants […] et on ne voulait pas
que ça soit ouvert seulement aux étudiants […].
Les étudiants avaient de multiples occasions de faire des stages. Mais ce n’était pas le
cas des jeunes travailleurs, pour qui un stage avec l’Office représentait le grand stage de leur
vie. On avait donc adopté la règle du 70/30. Il y aurait 30 % de stages pour les étudiants et
70 % pour les travailleurs 51. »
Travailleurs ou leaders, ce débat revient souvent dans les instances de l’Office francoquébécois pour la jeunesse, presque autant que la question de l’âge. Une polémique qui naît
49
50
51
32
Ibid.
Entretien avec Alain Beaugier, 02/02/01.
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
en novembre 1968, c’est-à-dire dès la
première séance du conseil d’administration 52. À l’époque, l’âge est fixé entre
16 et 30 ans, avec une priorité pour les
18-25 ans. Le problème est que
plusieurs organisations de jeunes, du
type chambre de commerce, recrutent
des membres jusqu’à 35 ans. Cette situation empêche l’Office de joindre davantage les jeunes professionnels, une
dynamique que la section française
déplore tout particulièrement 53. En
1973, il est alors proposé que pour
certains stages, une clientèle âgée entre
30 et 35 ans soit acceptée. Idée qui sera
chaudement débattue et adoptée par
sept voix contre six 54.
Jeunes musiciens français en visite au Québec dans les premières
années.
Plus ou moins 30 ans ? Jeunes travailleurs ou jeunes leaders ? Tout au cours de l’histoire
de l’Office, ces deux questions continueront de soulever des débats. Mais quel que soit leur
âge, impliqués ou pas dans leur milieu, avant de faire traverser l’Atlantique à des milliers de
jeunes Québécois et de jeunes Français, il importe plus que tout de les préparer. Et de s’y
préparer soi-même.
La réunion-programme
La préparation n’est pas évidente quand tout est à faire et à inventer. De fait, dès 1969,
les stagiaires français et québécois expriment leur insatisfaction généralisée face aux séances
de formation qu’ils reçoivent 55. Le problème est important et les deux secrétaires généraux
doivent réagir rapidement. Encore faut-il pour cela savoir ce que les stagiaires souhaitent
faire lors de leur séjour en France et au Québec. Et y a-t-il quelqu’un de mieux placé que les
stagiaires eux-mêmes pour répondre à cette question ?
C’est le raisonnement que font Jean-Paul L’Allier et Jean-Claude Quyollet. D’où l’idée
d’organiser une réunion-programme, afin de consulter et de préparer les échanges avec chaque
groupe de stagiaires, une activité qui débute en 1970 et qui se généralise par la suite 56.
Il faut dire qu’à l’époque, les stages se font en groupes d’environ une trentaine de
participants. Dans cette optique, la pratique que les dirigeants de l’Office mettent en place est
simple. Elle consiste à rassembler tout un groupe de stagiaires quelques semaines avant leur
départ afin de leur demander ce qu’ils cherchent en France ou au Québec. Et de là, essayer
de leur bâtir un programme en fonction de leurs champs d’intérêt.
52
53
54
55
56
Compte rendu de la première réunion du conseil d’administration, Québec, 7 et 8 novembre 1968, p. 7-8, archives de l’OFQJ.
C’est le commentaire que fait Jean-Claude Quyollet en juin 1973, à Rimouski, lors de la 9e session du C.A.
Compte rendu de la 10e session du conseil d’administration, Bordeaux, décembre 1973, p. 19-20, archives de l’OFQJ.
Compte rendu de la troisième séance du conseil d’administration de l’OFQJ, Lac-Delage, octobre 1969, p. 33-37,
archives de l’OFQJ.
Compte rendu de la quatrième session du conseil d’administration de l’OFQJ, Marseille, octobre 1970, p. 46,
archives de l’OFQJ.
33
Pour que cela fonctionne, encore faut-il que chacune des deux sections de l’Office ait
des antennes dans l’autre société. Lorsque, par exemple, un groupe de bouchers québécois
fait un stage en France, l’Office doit connaître les intervenants appropriés dans l’industrie de
l’alimentation. Pour ensuite faire des téléphones, prendre des rendez-vous, organiser des
réunions… tout en gardant à l’esprit les attentes que les Québécois ont exprimées lors de la
réunion-programme. Tel sera le rôle des chargés de mission, personnages clés des premières
années de l’organisme. Chargé de projets à la section française de l’OFQJ depuis 1972, Daniel
Camp explique cette méthode particulière :
« On recevait des projets de la section de Montréal, par exemple le syndicalisme agricole
[…] tout cela nous était transmis à Paris, et à partir de là on choisissait un chargé de mission,
si possible un spécialiste du même domaine. Après avoir été briefé par les agents de l’Office,
il partait au Québec, rencontrait le groupe et faisait le point avec eux tout en leur expliquant
la situation en France dans le domaine qui les intéressait. À la suite des échanges avec le
groupe, le chargé de mission rédigeait un procès-verbal de la réunion-programme et faisait
rapport à la section française. Le tout servait de base à la préparation du programme 57. »
La session culturelle
La réunion-programme permet donc de répondre aux attentes souvent très pointues des
différents groupes de stagiaires. Ce qui ne veut pas dire que ceux-ci connaissent pour autant
la France ou le Québec de manière plus générale. Il importe donc de leur faire découvrir
l’autre société. D’où l’idée d’organiser une session culturelle pour préparer les stagiaires à ce
qu’ils vont découvrir.
Du côté français, elle consiste en une visite de Paris assurée par les maîtres de conférence
du ministère de la Culture. Puis les participants peuvent, au choix, assister à des conférences
sur des thèmes culturels, économiques, politiques ou administratifs, que ce soit à l’Organisation
de la radio-télévision française, au Sénat ou au Centre du commerce international 58.
« Ce qu’il faut comprendre, rappelle Jean-Claude Quyollet, c’est que la plupart de ces jeunes
garçons et de ces jeunes filles n’avaient jamais mis les pieds en France ou ailleurs en Europe,
et inversement pour les Français qui allaient au Québec. Donc, on mettait sur pied des sessions
d’information qui duraient une semaine, avec de l’audiovisuel, etc. Et lorsqu’ils partaient en
stage une semaine après, ils avaient un minimum de connaissances sur la France 59 ».
Les Français qui débarquent au Québec ne sont pas en reste. Leur session culturelle
dure trois jours et elle commence avec une découverte de Montréal, souvent organisée sous
forme de rallye 60. Des ateliers sont également mis sur pied afin d’illustrer la vie québécoise.
Puis les stagiaires doivent eux-mêmes élaborer une partie de leur session culturelle avec les
ressources mises à leur disposition.
57
58
59
60
34
Entretien avec Daniel Camp, 28/09/00.
Ibid., p. 51.
Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
Rapport au C.A., 3 et 4 juin 1971, Jonquière, 1er cahier, p. 78,
archives de l’OFQJ.
CHAPITRE III :
Dans la
tourmente
linguistique
Tandis que l’Office s’organise, se
développe et se taille une place de choix au
sein de la coopération franco-québécoise, la
Le fait français en Amérique du Nord est une
vie politique québécoise suit son cours.
donnée de la vie internationale. Pour nous c’est
Depuis 1970, le Québec est dirigé par le Parti
une donnée profonde, c’est une donnée essentielle.
libéral de Robert Bourassa qui a chassé du
Le constater n’a de valeur que pour autant que
pouvoir le gouvernement de l’Union
nous savons en déduire les conséquences…
nationale de Jean-Jacques Bertrand. Parmi
c’est ce que le général de Gaulle nous a appris et
les raisons qui amènent la défaite de l’équipe
c’est ce que nous devons poursuivre.
unioniste, la question linguistique figure au
premier plan. Les Québécois veulent vivre
JACQUES CHIRAC À ROBERT BOURASSA
dans une société francophone et le nouveau
gouvernement libéral compte bien faire du
français la langue du marché du travail. Ce
qui n’était absolument pas le cas à l’époque. Le dossier est prioritaire et le premier ministre
du Québec l’explique lui-même au président de la République française, dans une lettre qu’il
lui envoie le 7 décembre 1970 :
« Cet objectif, qui constitue l’une des grandes priorités de notre action, doit être atteint.
Seul État francophone d’Amérique du Nord, héritier et dépositaire d’une culture intimement
liée à celle du peuple français, le Québec doit vivre en français s’il veut garder les traits
profondément originaux de sa culture.
À cet égard, notre intention est de puiser abondamment au patrimoine linguistique et
culturel de la France. Ce patrimoine est indispensable à la vitalité de notre culture. La France,
nous en avons l’assurance, ne nous ménagera pas sa collaboration 61 [...]. »
Devant ce vaste projet, touchant le cœur de l’identité québécoise, essentiel à la francophonie mondiale, lié au statut de la langue française dans le monde, comment Georges
Pompidou, l’héritier du général, pourrait-il rester indifférent ? Sa conviction est profonde, sa
réponse ne fait aucun doute :
« En participant aux efforts du Québec pour vivre et travailler en français, et pour affirmer
les traits originaux de sa culture et de sa personnalité, ce dont bénéficiera l’Amérique du
Nord tout entière, la France est consciente de faire son devoir.
61
Lettre de Robert Bourassa à Georges Pompidou, datée du 07/12/70. AN-5 AG 2/115.
35
Mais en permettant à sa jeunesse, à ses techniciens, à ses ingénieurs, à ses chercheurs,
de prendre part à votre expérience et à vos succès, vous apportez quant à vous à la France
votre goût du progrès, votre esprit d’entreprise, contribuant ainsi à son avenir 62. »
Être à l’avant-garde
C’est dans une perspective dynamique que s’orientent désormais les relations francoquébécoises. « Ça faisait partie de notre mission d’être un peu à l’avant-garde de ce qui se
faisait dans nos sociétés respectives. L’Office devait être un agent de changement. De façon
apolitique, on faisait cause commune avec tout ce qui bougeait. D’où les stages en syndicalisme, d’où notre implication dans le domaine du français langue du travail 63 », rappelle
Jean-Paul L’Allier.
En matière de langue française, le Québec s’agite dans tous les sens, et ce n’est pas
Jean-Paul L’Allier qui va s’opposer à ce que l’Office se lance tête baissée dans la mêlée. Cette
audacieuse entreprise prend forme, en grande partie, grâce aux initiatives de Gaston Cholette,
président de l’Office de la langue française, et membre du conseil d’administration de l’OFQJ.
Nommé à la tête de l’Office
de la langue française au début
des années 1970, Gaston Cholette
va, le premier, suggérer à l’OFQJ
de faire des stages liés au thème
du français langue du travail. Dès
juin 1971, lors de la Ve séance du
C.A. à Jonquière, les deux secrétaires généraux demandent aux
membres du conseil d’administration l’autorisation de diriger
formellement l’Office dans cette
voie. Ce qui sera accepté aussitôt,
non sans quelques balises : c’està-dire de ne pas dédoubler
l’action engagée par les autres
instances de la coopération
franco-québécoise 64.
La 10e session du C.A. en 1972. Sur la photo : Jean-Guy Saint-Martin (secrétaire général au Québec, 1970-1975), Jean-Paul L’Allier (ministre responsable
au Québec, 1970-1976), Joseph Comiti (ministre responsable en France, 19691972) ainsi que Jean-Claude Quyollet (secrétaire général en France, 1968-1974).
62
63
64
36
Le ton est donné, mais les
autorités politiques québécoises
ne tardent pas à mesurer le rôle
que peut jouer l’Office dans cette
vaste entreprise de la francisation
Lettre de Georges Pompidou à Robert Bourassa, datée du 08/12/70.
AN-5 AG-2/115.
Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
Compte rendu de la 4e session du conseil d’administration, Jonquière,
3 et 4 juin 1971, p. 26-27, archives de l’OFQJ.
du Québec, surtout à Montréal. Quand, en juin 1972,
le conseil d’administration se réunit dans cette ville,
le ministre Jean-Paul L’Allier fait tout de suite le lien :
Ça faisait partie de notre mission
d’être un peu à l’avant-garde de ce
qui se faisait dans nos sociétés
respectives. L’Office devait être un
agent de changement.
« Plus que partout ailleurs au Québec, les
accords franco-québécois prennent à Montréal leur
sens profond et essentiel. C’est en effet à Montréal
que le fait français doit s’épanouir si le Québec veut
continuer à apporter sa collaboration à la commuJEAN-PAUL L’ALLIER
nauté francophone et internationale. C’est aussi à
Montréal que la France peut jouer son rôle le plus
déterminant et le plus éclatant, et pourra aider le Québec à affirmer sa culture sur ce continent. La présence de l’OFQJ dans le Vieux-Montréal, avec ses milliers de stagiaires n’est pas
sans créer un courant culturel important dans cette partie de la ville 65. »
Mais concernant la présence de la France au Québec, il ne s’agit que d’une étape dans
ce qui est en train de devenir une lutte épique. Car après « deux siècles de patience 66 », le
Canada français est toujours aux prises avec la domination de l’anglais dans l’affichage
commercial, obligé de vivre dans un marché du travail anglophone, voire britannique, forcé
de supporter un racisme si discriminatoire que certains intellectuels comparent le Québec à
une colonie peuplée par les « Nègres blancs d’Amérique 67 », autant d’éléments qui nourrissent le ressentiment que les Québécois francophones éprouvent devant les « Anglais ». Dans
cette société bouillonnante des années 1970, où la moitié des gens n’ont pas 30 ans, une
rumeur persistante gronde, un slogan est brandi à tout vent, une phrase est sur toutes les
lèvres, une idée balaie toutes les consciences, un sentiment embrase tous les cœurs : le
Québec français.
Pendant que le gouvernement québécois mène la bataille linguistique sur le plan interne,
conscient de l’aide que peut lui apporter le gouvernement français, Robert Bourassa met le
cap sur l’Hexagone en décembre 1974. « Si me je rends à Paris, déclare-t-il à la veille de son
départ, quelques mois après l’adoption de cette loi qui fait du Québec un État officiellement
français [...], c’est pour demander au gouvernement français de l’aide dans l’application de
cette loi 68. »
Un invité de marque au Conseil des ministres
De fait, la France ne ménage pas ses efforts pour recevoir le chef du gouvernement
québécois. Comme le rappelle Valéry Giscard d’Estaing, le président de la République de
l’époque : « Comment marquer notre attachement et notre attention au Québec sans tomber
dans les banalités du protocole ? [...] J’eus l’idée d’inviter nos partenaires à participer à notre
séance habituelle du Conseil des ministres [...] J’ai fait établir l’ordre du jour habituel et ajouter,
65
66
67
68
Discours de Jean-Paul L’Allier à l’ouverture du C.A. Compte rendu de la 5e session du conseil d’administration, Montréal,
mai 1972, p. 9.
L’expression est de l’universitaire Gérard Bergeron.
C’est le cas de l’essayiste Pierre Vallières qui, en 1970, publie un livre qui fait scandale intitulé Nègres blancs d’Amérique.
Entrevue de Robert Bourassa avec Pierre-Louis Mallen, France-Québec, décembre 1974, no 13, p. 9-10,
archives de l’auteur.
37
dans une seconde partie, la discussion avec les
ministres québécois des questions sur les rapports
entre le Québec et la France [...].
Il s’agissait d’une « première », et pourtant, ce
qui m’a le plus frappé dans cette réunion, c’était
son caractère parfaitement naturel. J’ai senti nos
partenaires québécois détendus et à l’aise 69. »
Tant aux yeux de Giscard d’Estaing
que de Bourassa, il va donc de soi que
l’OFQJ doit être aux premières loges
de la francisation du Québec.
La « première » dont parle Valéry Giscard d’Estaing a donc bien fonctionné. Mais que
s’est-il passé derrière les portes closes du Conseil des ministres ? Robert Bourassa présente
un document de travail d’une vingtaine de pages, pour ensuite dresser un bilan (positif) de
la coopération franco-québécoise, tout en proposant une série de mesures nouvelles dont
les plus concrètes visent à renforcer le français comme langue de travail 70. Les discussions
s’engagent sur cette base et conduisent à l’adoption de ce que l’on désignera comme une
« charte de coopération ».
Tant aux yeux de Giscard d’Estaing que de Bourassa, il va donc de soi que l’OFQJ doit
être aux premières loges de la francisation du Québec, multipliant les ressources, augmentant le nombre de stagiaires, haussant le financement des échanges en matière de francisation du travail. Les deux ministres de tutelle ne tardent pas à battre le fer pendant qu’il est
chaud. Moins d’une semaine après la visite de Bourassa, le conseil d’administration de l’Office
se réunit à Paris. Le nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, Pierre Mazeaud, ne manque
d’ailleurs pas de souligner l’importance de cet événement, tandis que Jean-Paul L’Allier
rappelle pour sa part à quel point l’OFQJ doit tenir compte des priorités gouvernementales
des deux pays 71.
Concrètement toutefois, comment s’articule l’action de l’Office ? En créant des stages
portant sur le français langue du travail. Certes, mais seront-ils suivis d’effets ? D’après Gaston
Cholette, celui qui, au sein du conseil d’administration, fait inlassablement valoir les possibilités d’une telle approche :
« Le but poursuivi est la sensibilisation des principales catégories d’agents économiques
québécois à l’utilisation du français comme langue du travail dans les entreprises. Il s’agit de
faire voir à ces agents des entreprises françaises dans le secteur qui les intéresse 72 […]. »
Sensibiliser, faire tomber les préjugés, sont autant d’objectifs qui se réalisent plus facilement lorsqu’on est jeune. Tel est l’argument central que Gaston Cholette emploie au sein de
l’OFQJ et qui finit par recueillir l’adhésion générale. « Le fait de voir du travail se faire en
français a un impact psychologique important 73 », lance-t-il au cours d’une réunion. Un
argument qui reçoit aussitôt l’appui de Jean-Paul L’Allier, et dont Jean-Claude Quyollet
confirme la validité, en faisant remarquer que l’effet de sensibilisation est effectivement « très
visible sur les stagiaires québécois 74 ».
69
70
71
72
38
73
74
Valéry Giscard d’Estaing, « Je me souviens du Québec d’antan », Québec Match, numéro spécial, 1989, p. 36-37,
archives de l’auteur.
Le Devoir, 05/12/74.
Compte rendu de la 12e réunion du conseil d’administration, Paris, 12 décembre 1974, p. 1, archives de l’OFQJ.
Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en matière linguistique, Québec, Presses de l’Université
Laval, 1997, p. 29-30, 35.
Compte rendu de la 7e réunion du C.A., Montréal, mai 1972, p. 33-47, archives de l’OFQJ.
Ibid.
Plusieurs opérations de l’OFQJ se font dans cette perspective de francisation, permettant notamment d’envoyer en France des employés de General Electric, Laurentides industries et de la raffinerie de ville d’Anjou dans l’est de Montréal. Tant et si bien qu’à la fin de
l’année 1974, la section québécoise décide d’augmenter la mise. Dans un geste exceptionnel,
et qui ne se reproduira plus par la suite, Jean-Paul L’Allier annonce que son gouvernement
versera unilatéralement 150 000 dollars de plus au budget de l’Office pour l’année 1975, et
ce, afin de permettre à deux cents jeunes Québécois de plus de faire des stages en matière
de langage technique et de coopération industrielle. Le conseil d’administration donne aussitôt
son aval à ce programme spécial 75.
Premières turbulences
En revanche, le dynamisme de l’organisme dans le domaine linguistique ne veut pas
dire que tout est parfait dans le meilleur des mondes. Surtout pas en ce qui a trait à l’actualité internationale. Un sujet qui a tôt fait de rattraper l’OFQJ. En effet, le 6 octobre 1973, les
blindés égyptiens et syriens se ruent vers Israël, prenant l’État juif par surprise, connaissant
de remarquables succès initiaux, inquiétant les Occidentaux, menaçant l’équilibre mondial.
Jusqu’à ce que Tsahal (l’armée israélienne) se ressaisisse et fasse plier l’Égypte et la Syrie
sous le poids d’une énergique contre-offensive. D’où le déclenchement de représailles par
les pays arabes de l’OPEP (l’Organisation des pays producteurs de pétrole). Le premier choc
pétrolier vient de commencer. Les Occidentaux connaissent une spectaculaire augmentation
du prix du carburant, ce qui touche, au premier rang, le transport aérien.
En décembre 1974, le secrétaire général de la section française, Francis Jacquemont, est
le premier à tirer la sonnette d’alarme. Il se plaint amèrement des coûts d’hébergement,
surtout ceux du transport aérien qui augmentent de façon vertigineuse, alors que la subvention gouvernementale reste bloquée au même niveau 76.
Un vif débat s’engage sur le seuil de crédibilité de l’Office, à savoir le nombre minimal
de stagiaires à échanger pour que l’organisme demeure crédible. Depuis quelques années
déjà, il a été fixé à mille cinq cents stagiaires par section. Or, il est clair que ce niveau ne
sera pas atteint en 1975.
De fait, en 1975, il n’y aura que mille cent stagiaires échangés de part et d’autre. Ce ne
sera guère mieux pour 1976. En francs constants, la subvention ne cesse de diminuer. Qu’ils
soient Français ou Québécois, les membres du conseil d’administration ne sont pas très satisfaits du travail de Pierre Mazeaud qui s’explique longuement devant eux :
« Je voulais vous dire que j’ai très bien ressenti […] le souci partagé par l’ensemble des
membres du conseil d’administration en ce qui concerne bien sûr les dotations budgétaires
des deux gouvernements […] alors il m’appartient de dire à nos amis québécois que le
gouvernement français fera le maximum […] je ferai naturellement le maximum, je serai en
75
76
Compte rendu de la 12e réunion du conseil d’administration,
Paris, 12 décembre 1974, p. 10, archives de l’OFQJ.
Compte rendu de la 12e réunion du conseil d’administration,
Paris, 12 décembre 1974, p. 3, archives de l’OFQJ.
39
quelque sorte votre interprète à l’occasion des discussions budgétaires, mais quels qu’en
soient les résultats […] ce qui compte, ce sont les liens qui unissent nos deux pays, liens que
vous me permettrez de traduire dans le sens de l’affectivité […] nous avons des difficultés
internes […] mais cela ne change en rien l’intérêt profond que porte le gouvernement français
pour l’Office franco-québécois 77 […] »
Sauf que cette élégante séance de patinage artistique ne semble pas convaincre beaucoup
les membres du conseil d’administration. Ils ne sont pas les seuls à être sceptiques, puisqu’à
la même époque, le quotidien Le Monde titre que « le budget de la Jeunesse et des Sports
reflète l’immobilisme gouvernemental 78 ». Et pour couronner cette situation, la section québécoise de l’Office entame une grève pour signer une première convention collective.
Un arrêt de travail qui sera suivi de deux autres. Événement singulier privant des
centaines de jeunes Français d’un stage au Québec. « Les Français n’avaient pas compris ça »,
rappelle André Tétrault, secrétaire général de la section québécoise au moment de l’une des
grèves. « À un moment donné, les employés avaient même convaincu des stagiaires français
de venir occuper nos locaux. Je leur avais dit bienvenue chez nous, si ça vous intéresse de
rester quinze jours entre quatre murs, sinon revenez visiter le Québec l’année prochaine. Le
lendemain ils étaient tous partis 79. »
Mais cette vision des choses n’est pas nécessairement partagée par le personnel de
l’Office, comme en témoigne Maurice Segall, alors directeur adjoint à la direction des Échanges
à la section française. « Comme dans toutes les grèves, il y avait des conséquences négatives,
mais en même temps on se sentait très solidaires de la section québécoise. Car il y avait
beaucoup de frustrations […] nous vivions dans une espèce de flou juridique et au départ,
nous n’avions pas de syndicat ni de comité d’entreprise. Donc on n’avait pas droit au chômage
ni à la retraite, ni à la sécurité sociale, etc., donc les grèves nous paraissaient justifiées 80. »
77
78
79
40
80
Compte rendu de la 13e session du C.A. de l’OFQJ, Pointe-au-Pic,
9 et 10 juin 1975, p. 22-24, archives de l’OFQJ.
Le Monde, 27/09/75.
Entretien avec André Tétrault, 24/01/01.
Entretien avec Maurice Segall, 07/02/01.
CHAPITRE IV :
Vivre du
nouveau
« J’ai jamais pensé que je pourrais être
aussi fier d’être Québécois, que ce soir. »
Devant une foule de partisans en délire,
c’est avec ces paroles que René Lévesque
accueille sa victoire électorale du
15 novembre 1976. Pour la première fois de
l’histoire, les indépendantistes vont
gouverner le Québec.
Ce que vous attendez de la France, c’est
sa compréhension, son soutien et son appui,
vous pouvez compter qu’ils ne vous manqueront
pas le long de la route que vous déciderez
de suivre.
VALÉRY GISCARD D’ESTAING À RENÉ LÉVESQUE
L’événement trouve rapidement un
formidable écho en France. Le 16 novembre
1976, les nouvelles de la victoire du Parti québécois se répand comme une traînée de poudre
dans les médias français. « Victoire des Nègres blancs 81 » titre à la une le quotidien Le Monde,
tandis que le journaliste Roger Gicquel commence le bulletin d’informations télévisées en
exprimant sa satisfaction. À l’écran, les images d’euphorie et d’allégresse du centre PaulSauvé défilent devant des millions de Français 82. D’où qu’ils viennent, les commentaires sont
enthousiastes et positifs 83.
Une vitalité qui ne tarde pas à se répercuter sur les relations franco-québécoises. Comme
le notera plus tard le consul général Marcel Beaux, en poste à Québec de 1976 à 1979 : « [...]
les trois années qu’il m’a été donné de vivre à Québec ont coïncidé avec un temps fort dans
les relations franco-québécoises, souffrant la comparaison, toute proportion gardée, avec
l’expansion de la coopération qui avait suivi le voyage du général de Gaulle en 1967 84. »
Une fois de plus, l’Office franco-québécois plonge dans le cœur de l’actualité francoquébécoise. Claude Charron, son nouveau ministre de tutelle au Québec, reçoit à cet égard
des instructions on ne peut plus claires :
« Dès le départ, dans le contexte général, nos relations avec la France devenaient primordiales. Tout ce qui s’appelait contact avec la France devait être contrôlé à la fois par le ministre
sectoriel mais aussi par Claude Morin, le ministre des Affaires intergouvernementales. Rien
ne devait être laissé au hasard.
Alors, quand on m’a confié la gestion de l’Office franco-québécois pour la jeunesse, j’ai
compris tout de suite qu’il s’agissait d’une responsabilité très importante 85. »
81
82
83
84
85
Le Monde, 17 novembre 1976.
Nicolas Dimic, Les relations franco-canadiennes sous la présidence de Valéry Giscard
d’Estaing, dirigé par Alfred Grosser, I.E.P. Paris, 1985, p. 31, archives de l’auteur.
Donald Baker, « Quebec on French minds », Queen’s Quarterly, vol. 85, no 2, été 1978, p. 250.
Ministère des Affaires étrangères de la France. Rapport de fin de mission de Marcel Beaux,
26 octobre 1979, p. 1, archives de l’auteur.
Entretien avec Claude Charron, 26/01/01.
41
Le ton est donné dès le départ. Et il se trouve que l’Office doit se réunir à Québec en
février 1977, c’est-à-dire dans les suites immédiates de la victoire péquiste. Comme il s’agit
de l’un des premiers contacts entre la France et le nouveau gouvernement québécois, l’affaire
est d’emblée promise à un bel avenir.
Ministre de l’OFQJ… et messager du président de la République
Il faut dire que Paris ne tarde pas à prendre acte de l’évolution de la situation au Québec.
Le 18 janvier 1977, Maurice Ligot, secrétaire d’État à la fonction publique, part en mission au
Québec afin de présider la réunion du conseil d’administration. Il remplace Jean-Pierre
Soissons qui, menacé dans sa ville d’Auxerre, doit rester en France pour faire campagne en
vue des élections municipales. Auteur d’une thèse sur le Canada français écrite en 1950, Ligot
est sans conteste l’homme politique français qui, de la conquête jusqu’à la conscription,
connaît le mieux l’histoire du Québec.
Or, développement inattendu, juste avant son départ, Ligot est convoqué à l’Élysée par
le président Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci, pressé par les éléments les plus gaullistes de
sa coalition gouvernementale depuis l’arrivée du Parti québécois, commence à manifester
un très grand intérêt pour le Québec. Il charge donc le ministre responsable de l’Office d’une
mission supplémentaire, comme le raconte le principal intéressé. « J’ai reçu du président la
mission de remettre à René Lévesque un message oral qui consistait en ceci : la France se
félicite de l’élection du Parti québécois de même que des projets qu’il envisage ; elle fait
confiance à René Lévesque ; elle soutient sa politique 86. »
Fort de ces instructions et de cet appui en haut lieu, Ligot met le cap sur la belle mais
froide province en janvier 1977.
Trois mille stagiaires
Lorsqu’il s’adresse aux membres du conseil d’administration, c’est donc en connaissance
de cause que Maurice Ligot peut leur dire, à l’instar de Gilles Vigneault, « mon pays ce n’est
pas un pays, c’est l’hiver », avant d’ajouter sur une note plus sérieuse, que les relations francoquébécoises sont importantes et que « le président de la République française entend y veiller
personnellement 87 ».
De son côté, le Québec est représenté par deux ministres, Claude Morin et Claude
Charron. Le premier, le plus ancien, est venu appuyer son jeune collègue. Le chef de la diplomatie québécoise martèle un message des plus clairs : l’Office doit plus que jamais avoir
valeur de symbole concret dans le cadre des relations directes, privilégiées et fraternelles
qu’entretiennent la France et le Québec 88.
86
87
88
42
Entretien avec Maurice Ligot, 27/10/98, archives de l’auteur.
Compte rendu de la 15e session du C.A., Québec, 19 et 20 janvier
1977, p. 5, 52, archives de l’OFQJ.
Ibid, p. 1.
Pour ce faire, les deux ministres québécois ont un plan très simple. Il consiste à ramener
le nombre de stagiaires à trois mille par année, soit le seuil critique de mille cinq cents par
section. Maurice Ligot saisit la balle au bond et reprend immédiatement à son compte cette
idée.
Jamais depuis 1968 la conjoncture n’a été aussi favorable aux dirigeants de l’Office. Et
contrairement à la période du début des années 1970, les réalisations de l’organisme sont
désormais prises au sérieux par le Quai d’Orsay. Comme le note Marcel Beaux, consul général
de France à Québec, en poste de 1976 à 1979 :
« La coopération franco-québécoise est sans équivalent dans la mesure où elle est la
seule qui lie, avec cette quantité de moyens, la France à un autre pays hautement développé
et d’économie libérale. Le montant global des sommes consacrées annuellement à cette œuvre
par les deux parties situe le Québec au quatrième rang des pays bénéficiaires de notre
coopération après les trois pays du Maghreb […].
Grâce à l’OFQJ, un programme annuel intéressant trois mille jeunes s’est poursuivi […]
il est important cependant de veiller à ce que le volume global des actions entreprises ne
diminue pas 89. »
En fait d’importance de la coopération, l’année 1977 illustre bien le dynamisme dont
parle Marcel Beaux. Les visites ministérielles se multiplient de part et d’autre de l’Atlantique.
Dynamisme qui culmine du 2 au 4 novembre, lors de la visite à Paris de René Lévesque,
comme le rappelle Claude Charron :
« Mon plus beau souvenir de l’Office, c’est que ça m’a valu d’accompagner monsieur
Lévesque à Paris en novembre 1977.
Tous les ministres voulaient aller à Paris. Bernard Landry faisait des pieds et des mains
pour trouver des dossiers économiques pour traverser en France. Et finalement le premier
ministre avait tranché. Voyant que tout le monde trouvait une raison pour être du voyage, il
a décidé que seul Claude Morin l’accompagnerait. Mais on lui a expliqué que l’Office francoquébécois pour la jeunesse tenait son conseil d’administration en même temps que le voyage
et c’était moi le ministre responsable. Alors il m’a dit, venez discrètement 90 ! »
Mais au moment où, prenant le monde pour témoin, la France s’apprête à recevoir le
premier ministre indépendantiste du Québec, est-ce bien le moment d’être discret ? Quand
toute la France politique, de Chirac à Giscard d’Estaing à l’exception notable de François
Mitterrand, rivalise d’adresse, d’honneurs et d’audace pour saluer le chef des Québécois libres,
les circonstances ne favorisent nullement la discrétion. Et puisque le ministre responsable de
l’Office franco-québécois pour la jeunesse accompagne René Lévesque pour un voyage
historique, comment pourrait-on faire jouer au responsable de l’Office la carte de l’attitude
discrète et de l’effacement ? Ce serait sous-estimer grandement l’importance du Québec pour
la France et le rôle de l’OFQJ dans cette affaire.
89
90
Ministère des Affaires étrangères de la France.
Rapport de fin de mission de Marcel Beaux, 26 octobre 1979, p. 13-14,
archives de l’auteur.
Entretien avec Claude Charron, 26/01/01, archives de l’auteur.
43
Dans cette course au déploiement protocolaire sans précédent, l’Office ne sera pas en
reste, comme le raconte Claude Charron :
« Les Français n’ont pas voulu que ce soit discret. Avec monsieur Dijoud, j’ai donc été
invité au déjeuner à l’Élysée offert par Giscard pour René Lévesque. Alors j’arrive, un huissier
annonce « le ministre de la Jeunesse et des Loisirs ». Sur ce je rentre, avec la tête frisée que
j’avais à l’époque. Giscard me voit et s’exclame tout de go « mais qu’il est jeune ! » Et là, le
visage de René Lévesque s’est illuminé de voir la surprise du président. Comme si l’on montrait
à la France à quel point le Québec est une société jeune. Et quand je suis passé à côté de
monsieur Lévesque, il m’a fait un clin d’œil, fier comme s’il avait été mon père, content d’avoir
marqué un point 91 ! ».
Sortir l’OFQJ de la « clandestinité »
Mais, outre les réceptions et le protocole, le conseil d’administration de l’Office s’est mis
au boulot. Le clou de cette séance de travail est sans l’ombre d’un doute la participation aux
délibérations des premiers ministres de France et du Québec. Événement dont Claude Charron
se souvient comme si c’était hier : « René Lévesque et Raymond Barre étaient venus la
deuxième journée […] ils étaient arrivés en retard d’ailleurs. C’était l’apothéose de notre
réunion. Ils sont venus nous dire de continuer et surtout nous signaler que les deux gouvernements allaient nous soutenir financièrement 92 ». Les deux premiers ministres ne tardent pas
à passer de la parole aux actes. Le financement de l’Office est augmenté de 35 %.
Par ailleurs, on n’a jamais parlé autant du Québec en France depuis 1967. Belle occasion
pour l’organisme de se faire connaître davantage dans l’Hexagone. C’est ce que plusieurs
pensent, dont le ministre Dijoud, qui s’étonne à haute voix qu’en France « l’OFQJ est confidentiel », ajoutant qu’« il serait nécessaire de le sortir d’une certaine clandestinité 93 ».
Ce commentaire vise la section française et, au premier chef, son secrétaire général
Francis Jacquemont. En réalité, le débat existe depuis quelques années déjà. Tant au conseil
d’administration que parmi le personnel, plusieurs trouvent que la section française ne fait
pas connaître son rôle dans l’Hexagone. Ce à quoi Francis Jacquemont s’oppose avec
véhémence.
La remarque lui est faite une première fois lors d’une réunion du conseil d’administration
en août 1974 94. Mais rien ne bouge, et la question est à nouveau soulevée l’année suivante.
La réponse de Francis Jacquemont laisse plusieurs songeurs : « Nous sommes débordés de
demandes de stages, alors si nous faisons parler de nous dans les grands médias nationaux,
la situation sera pire encore 95. »
Henri Réthoré, nouveau consul général de France à Québec, écrit dans son rapport de
fin de mission que « nous (les Français) devons impérativement poursuivre, en l’accentuant,
91
92
93
44
94
95
Entretien avec Claude Charron, 26/01/01.
Entretien avec Claude Charron, 26/01/01.
Compte rendu de la 16e session du C.A., 3 et 4 novembre 1977, p. 25, archives
de l’OFQJ.
Compte rendu de la 11e réunion du CA, Québec, août 1974, p. 27, archives de l’OFQJ.
Compte rendu de la 13e session du CA, Pointe-au-Pic, Juin 1975, p.15, archives de l’OFQJ.
l’action menée pour redresser notre image au Québec […] le rôle de l’OFQJ est essentiel et
ses crédits doivent impérativement être maintenus, sinon développés 96 ».
Néanmoins, Francis Jacquemont n’y croit toujours pas. Sauf que depuis l’élection du
Parti québécois en 1976, ses patrons sont décidés à aller de l’avant. « Il est regrettable, affirme
Dijoud, en novembre 1977, que dans le cadre de la relance de l’amitié entre le Québec et la
France, nous ne fassions pas mieux connaître l’action de l’Office et la portée du message
dont il est chargé 97. » Pour diplomates qu’elles soient, ces instructions n’en sont pas moins
fermes. Et Jacquemont doit s’y conformer. L’OFQJ-France met donc le cap sur l’information.
En 1978, dans la foulée de la visite en France de René Lévesque, des journalistes de TF1, du
Figaro et de L’Est Républicain se rendent au Québec.
Cette offensive porte ses fruits. En tout et pour tout, cent quatre-vingt-six articles de
presse traitant du Québec et des activités de l’OFQJ sont publiés dans les journaux. Et comme
si ce n’était pas assez, Alain Beaugier organise et anime des tournées d’information en
province. Sans compter la publication en douze mille exemplaires d’une brochure pour le
dixième anniversaire de l’organisme, et qui sera distribuée dans les milieux politique et associatif 98. Un effort qui s’est avéré rentable. Comme le rappelle Louis-Bernard Robitaille, correspondant du journal La Presse à Paris, « après 1976, on a vraiment beaucoup parlé du Québec
dans les médias français. Tout le monde y est allé 99. » Un succès auquel l’OFQJ aura contribué.
Un accent sur l’économie
Tout le long de la période 1976-1980, l’accent des relations franco-québécoises est mis
sur les relations économiques. Raison pour laquelle, par exemple, René Lévesque choisit à
l’époque Jean Deschamps comme délégué général du Québec à Paris, celui-ci ayant été
directeur des HEC à Montréal. C’est également le leitmotiv de la visite du premier ministre
Raymond Barre au Québec, en 1979. Toujours dans la mouvance du politique, l’Office va
donc multiplier les stages de travailleurs spécialisés, d’agriculteurs et les échanges à caractère technique.
Des stages, entre autres, dans le domaine du meuble artisanal sont organisés. À l’instar
d’un groupe qui, sous la supervision de l’ébéniste François Boisvert, part en France le 13 mai
1980 pour se familiariser avec les méthodes traditionnelles et contemporaines de fabrication
artisanale de meubles 100. Citons également l’exemple de cet autre groupe d’étudiants qui,
sous la direction de Vital Chabot, met le cap sur l’Hexagone pour observer les techniques
de fabrication de maisons solaires. Ou encore ces travailleurs de l’usine GM de Boisbriand
qui, sous la direction du conseiller syndical Bertrand Bégin, traversent l’Atlantique pour
comparer les conditions de vie des travailleurs de l’automobile 101.
La perspective économique est encore renforcée en décembre 1980, lors du second
voyage de René Lévesque à Paris. Les deux premiers ministres signent alors une entente
Ministère des Affaires étrangères, Rapport de fin de mission de Henri Réthoré, décembre 1983, p. 29, archives de l’auteur.
Compte rendu de la 16e session du C.A., 3 et 4 novembre 1977, p. 22, archives de l’OFQJ.
98 Compte rendu de la 19e session du C.A., Auxerre, janvier 1979, p. 56-59, archives de l’OFQJ.
99 Entretien avec Louis-Bernard Robitaille, 17/03/98, archives de l’auteur.
100 Rapport des secrétaires généraux au C.A., 2e cahier, bilan des échanges, 22e session du C.A., novembre 1980, p. 7-10.
101 Ibid.
96
97
45
permettant à cent jeunes de chaque
communauté d’obtenir un visa pour aller
travailler de l’autre côté de l’Atlantique
et confient ce mandat à l’OFQJ.
Des stages faits sur mesure…
par le stagiaire lui-même
La 19e session du C.A. en 1979 : Claude Charron (ministre
responsable au Québec, 1976-1982) et Jean-Pierre Soisson (son
homologue français, 1978-1981).
Tandis que l’Office étend ses activités dans le domaine économique,
lentement mais sûrement, les Français
continuent à redécouvrir le Québec. Les
liens tendent également à s’approfondir,
à l’image d’une idée qui fait peu à peu
son chemin dans les cercles décisionnels
de l’Office franco-québécois pour la jeunesse et qui consiste à mettre en place
des stages individuels. À l’époque, les
échanges de l’organisme se font en
groupe pour une durée de deux à trois
semaines.
Cette formule « en groupe » est excellente quand il s’agit de découvrir l’autre pays. Mais
elle connaît aussi de sérieuses limites quand il s’agit d’approfondir un thème particulier ou
d’acquérir une véritable expérience professionnelle. Dès les tout premiers échanges, nombreux
sont les jeunes qui le notent dans leur rapport de fin de stage. C’est le cas de Guy Fayolle,
stagiaire en urbanisme et architecture, qui note que « trois semaines de visites à bâtons rompus
et d’exposés n’apportent pas de connaissances précises et étendues 102 […] ». Ce à quoi JeanLouis Chenaud ajoute : « la comparaison est intéressante mais trois semaines paraissent un
laps de temps trop court pour faire une véritable étude 103 ».
Le problème semble important et l’OFQJ décide d’étudier davantage la question dans
son évaluation des stages. Cela lui permettra de découvrir que 36 % des stagiaires pensent
qu’ « il faudrait trouver un autre moyen qu’une brève rencontre pour que ces échanges portent
fruit sur le plan professionnel 104 ».
L’idée fait donc son chemin même. Elle est évoquée lors du conseil d’administration de
novembre 1977. Ces stages devront viser la réalisation d’un projet précis avec des retombées.
Tout cela est bien beau, mais l’idée n’est pas encore assez mûre. Ce n’est donc finalement qu’en 1979 que l’affaire prend son véritable envol, sous la houlette de Dominique
102 Bilan des échanges : les stagiaires français au Québec en 1970, p. 53, archives
de l’OFQJ.
103 Ibid., p. 54.
104 Rapport au conseil d’administration de l’OFQJ, Rimouski, 15 et 16 juin 1973,
46
p. 152, archives de l’OFQJ.
Bussereau et d’André Tétrault, les deux nouveaux secrétaires généraux de l’Office. Du côté
québécois, Tétrault se fait l’ardent promoteur de cette idée, comme il l’explique lui-même :
« À mon arrivée, la formule était restée la même depuis le début avec des petites
variantes, c’était des stages de groupes avec des voyages axés sur la découverte de l’autre
communauté […] un jour une dame m’appelle de la bibliothèque de l’école vétérinaire de
Saint-Hyacinthe, pour aller faire un stage en France. Je lui explique qu’il fallait qu’elle forme
un groupe de gens dans son domaine puisqu’à l’OFQJ on ne faisait pas de stages individuels.
Ce sur quoi elle me répond : Je suis la seule au Québec en bibliothéconomie spécialisée en
médecine vétérinaire. Et là, j’ai eu un flash ! […] Et ce, d’autant plus que peu de temps après
on a eu le même problème avec un groupe de quelques individus qui voulaient aller étudier
la culture des pommiers nains en France. Il était impossible de rassembler vingt ou trente
personnes sur un thème aussi spécialisé 105. »
Devant une telle situation, il devient impératif de s’adapter. Ce qui est fait lors de la
réunion du conseil d’administration qui a lieu en novembre 1979. L’opération commence
donc en 1980, année au cours de laquelle cent trente projets de stages individuels ou de
petits groupes sont expérimentés. La formule réussit au-delà des attentes, comme l’expliquent
Dominique Bussereau et André Tétrault : « Le milieu a très bien répondu 106 ».
Le pari a donc été gagné. Et pour des raisons totalement extérieures à l’Office francoquébécois pour la jeunesse, cette forme d’échange va très rapidement devenir la plus importante de l’organisme.
105 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01.
106 Compte rendu de la 21e session du C.A., Québec, p. 11.
47
« Des deux côtés, on se connaissait mieux.
On était prêt à donner une autre impulsion »,
affirme Anne Cublier (secrétaire générale
de la section française (1982-1988), qu'on
aperçoit à doite avec son homologue québécois
André Tétrault et la ministre Edwige Avice
à gauche (Saint-Malo, 1984).
48
CHAPITRE V :
S’adapter pour
progresser
« Il faut envisager une période difficile qui pourrait
modifier sensiblement le visage de l’OFQJ […] la période
des années 1980 ne sera facile pour personne 107. »
L’avertissement était tombé de la bouche de Claude
Charron, en novembre 1979, au terme de la 19e session
du conseil d’administration. Le ministre des Loisirs et
des Sports ne croyait pas si bien dire.
Face à la tourmente économique
On a toujours réussi à trouver des
solutions qui pouvaient permettre
à la fois de maintenir les objectifs
et les caractéristiques de l’organisme
et à continuer à pouvoir le considérer
comme un exemple, non seulement
dans le cadre de la coopération
France-Québec… mais également
auprès d’autres pays.
Le second choc pétrolier et la crise économique
qui s’ensuit frappent l’OFQJ de plein fouet. Une
PIERRE BERNIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
conjoncture correspondant en France à l’arrivée au
DE L’OFQJ AU QUÉBEC 1975-1978
pouvoir des socialistes, dont la politique économique
ne sera pas d’une aide particulière pour l’organisme
franco-québécois. Surtout lorsque les socialistes mettent en place une politique de contrôle
des changes qui limite la libre conversion du franc en monnaie étrangère. Selon Dominique
Bussereau et André Tétrault lorsqu’ils s’adressent à l’époque aux membres du conseil d’administration : « La hausse des tarifs aériens fait très mal à l’Office. Les frais fixes de l’OFQJ
représentent désormais la moitié des frais d’activité et nous avons dû réduire la durée des
stages 108. »
Un nouveau fer de lance : les stages individuels et en petits groupes
L’Office va, dans un premier temps, opter pour une réduction des prestations données
aux stagiaires et d’une réduction de deux à trois semaines pour le tiers des stages effectués.
Mais quand Air France augmente ses tarifs aériens de 20 % par année, pour ne pas parler
d’Air Canada et de son 40 % d’augmentation, ce sont là des mesures nettement insuffisantes
pour enrayer la crise financière que vit l’Office franco-québécois. De toute évidence, un
vigoureux coup de barre est nécessaire pour redresser la situation.
Mais il y a plus. Treize années après le coup de tonnerre du balcon, cinq ans après la
victoire du Parti québécois, le temps des retrouvailles est révolu. La France et le Québec se
sont ouverts l’un à l’autre. Comme le note Dominique Bussereau et André Tétrault, « la mission
première de l’OFQJ n’est plus de faire découvrir ce qui est aujourd’hui mieux connu, mais
107 Compte rendu de la 19e session du C.A., Québec, novembre 1979, p. 28, 36, archives de l’OFQJ.
108 Compte rendu de la 19e session du C.A., Québec, novembre 1979, p. 28, archives de l’OFQJ. p. 11.
49
de dépasser l’étape de sensibilisation pour promouvoir l’approfondissement des relations
franco-québécoises 109 ».
Quant à l’ampleur de l’inflation qui pousse vers le haut le prix du transport tout en
diminuant les subventions gouvernementales, les deux secrétaires généraux ne peuvent que
constater son effet dévastateur.
Et puisqu’il faut prendre le taureau par les cornes, une piste précise de solution est mise
de l’avant : « L’évaluation positive faite des stages individuels et de petits groupes renforce
les secrétaires généraux dans leur conviction qu’il s’agit d’une formule de séjour extrêmement prometteuse qu’il convient de développer sur une grande échelle […] ces stages répondent donc à un double objectif : allégement et approfondissement 110. »
« Des deux côtés on se connaissait mieux », rappelle Anne Cublier, qui devient secrétaire générale de la section française à la suite de Dominique Bussereau. « Des deux côtés,
on était prêt à donner une autre impulsion 111. »
C’est donc sous la contrainte conjuguée de la conjoncture financière et du besoin de
faire autre chose que l’OFQJ effectue donc l’un des plus importants virages de son histoire.
Délaissant de plus en plus les voyages de grands groupes pour miser sur le stage individuel
ou de petit groupe. Un séjour centré non plus sur la découverte mais sur les besoins précis
de chaque stagiaire, pour la production d’un spectacle ou d’une exposition, pour l’apprentissage d’un métier, ou pour faire une étude sur un domaine précis. Un échange ne nécessitant pas une logistique lourde et coûteuse, que l’Office ne peut plus se payer à grande
échelle. Mais que font-ils exactement ces stagiaires nouvelle mouture que l’OFQJ lance sur
les deux rives de l’Atlantique ?
Ce sont, par exemple, des stagiaires québécois travaillant à l’Association pour l’avancement de la littérature jeunesse qui ont organisé une série d’expositions sur les livres destinés
à la jeunesse dans une soixantaine de classes françaises. Séjour complété par celui de leurs
vis-à-vis français du Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse,
qui sont allés au Québec pour étudier l’utilisation des livres de loisirs dans les écoles québécoises. Une expérience si réussie qu’elle a amené les deux organismes à poursuivre leur
coopération 112.
Les nouveaux stages de l’Office permettent d’organiser, entre autres, un réseau d’information sur les voyages et les loisirs pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale. Sans
parler d’un éducateur québécois œuvrant auprès des handicapés, qui organise en France une
exposition de leurs travaux artistiques.
Et que dire de ces étudiants de l’Institut universitaire des technologies de Villeurbanne,
qui font au Québec des études de marché pour les entreprises de leur région. Le tout ayant
été remis à la Chambre de commerce et d’industrie et au Centre français du commerce
extérieur 113.
109 Rapport au C.A., « Propositions financières », 22e session du C.A., Paris, novembre 1981, p. 2, archives de l’OFQJ.
110 Ibid., p. 18, 22.
111 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01.
112 Rapport au C.A., 2e cahier, « Propositions d’activités pour 1981 », Québec, 7 et 8 décembre 1980, p. 22, archives
50
de l’OFQJ.
113 Ibid., p. 21.
Changer la vie
Pendant que les premiers
stagiaires (seuls ou en petits
groupes) sont à l’œuvre des
deux côtés de l’Atlantique, le
souffle de l’histoire rattrape une
nouvelle fois l’OFQJ. Le 10 mai
1981, après une très longue
traversée du désert, malgré les
échecs, les affronts et les revers,
en dépit des trahisons et des
outrages, François Mitterrand
gagne à l’arraché les élections
présidentielles. Ainsi, depuis le
soutien communiste au gouLe premier ministre René Lévesque à Paris en 1980. Lors de cette visite,
vernement du front populaire en
une entente concernant la mobilité des jeunes travailleurs entre le Québec
1936 et depuis la Libération en
et la France est signée. L’administration du programme est confiée à
1945, c’est la première fois
l’OFQJ. Il est accompagné des secrétaires généraux, André Tétrault
(Québec, 1978-1985) et Dominique Bussereau (France, 1979-1982).
qu’une coalition formée de
socialistes et de communistes va
gouverner la France. On chante « l’Internationale » sur la place de la Bastille. Un symbole
dont la puissance n’a d’égal que l’ambition du programme socialiste. Rassemblée sous le
thème « changer la vie », la gauche française propose rien de moins que cent dix propositions, dont la cent dixième promet d’intensifier la coopération avec le Québec.
Les espoirs sont à la hauteur des attentes suscitées et le nouveau gouvernement ne
perd pas de temps. Dès qu’elle s’installe aux commandes de l’État, la coalition donne l’impulsion nécessaire à sa politique. Vitalité qui ne tarde pas à affecter l’évolution de l’OFQJ. Comme
en témoigne le rapport des secrétaires généraux au conseil d’administration en novembre
1981 : « L’évolution de la société française, en particulier depuis le printemps, a conduit la
section française à s’interroger à nouveau sur les orientations fondamentales de l’OFQJ afin
de vérifier si elles répondent correctement aux besoins des différents milieux intéressés 114. »
Ce rapport révèle ensuite que la section française s’est livrée à une vaste opération de
consultations en préparant un important document de travail envoyé à différents organismes,
dans l’ordre : les centrales syndicales, les associations s’occupant des loisirs de jeunes
travailleurs, les associations de jeunesse, d’éducation populaire et de sport, les associations
de « progrès », les groupes de formation et de recherche, et les organisations professionnelles.
Cette énumération indique déjà les couleurs dont la France entend désormais parer
l’OFQJ. Les secteurs les moins favorisés de la société sont à l’honneur. La coopération
114 Rapport au C.A., « Propositions financières », 22e session du C.A., Paris,
novembre 1981, p. 15, archives de l’OFQJ.
51
économique n’est plus l’objectif numéro un de
l’organisme. En avril 1982, la ministre Edwige
[...] l’Office favorise depuis le début une
Avice annonce d’ailleurs clairement ses couleurs
clientèle qui peut « démultiplier » les effets
lors d’une réunion du conseil d’administration à
de ses stages.
Jonquière. Événement qui suit de peu le passage
du premier ministre Pierre Mauroy dans cette
région. « L’OFQJ, dit-elle, doit faire un effort particulier vis-à-vis des jeunes travailleurs […] il doit lutter contre les inégalités […] équilibrer ses
échanges entre les secteurs économique, culturel et social […] et faire en sorte d’être accessible aux moins favorisés 115 ».
Nouvelles priorités
Suivant les instructions de la ministre, l’Office met donc en place de nouvelles priorités
qui consistent notamment à réduire la moyenne d’âge des participants. Celle-ci atteint alors
presque 30 ans 116. Une situation qui est, en quelque sorte, le résultat de la recherche de
jeunes leaders. Pour pallier le modeste volume d’échange de jeunes, l’Office favorise depuis
le début une clientèle qui peut « démultiplier » les effets de ses stages. Un objectif qui, jumelé
au souci de développer l’aspect économique, a pour effet de faire augmenter la moyenne
d’âge, puisque les stages à caractère économique s’adressent généralement à une clientèle
plus établie professionnellement, donc plus âgée.
En juin 1983, un coup de barre est donné : à compter de cette date, l’objectif de recherche
de jeunes leaders est officiellement abandonné au profit des clientèles défavorisées. Pour
être sûr d’atteindre cet objectif, le conseil d’administration décide d’accorder un tarif réduit
destiné à 20 % des stagiaires, qui seront choisis dans les milieux économiquement moins
nantis 117.
Mais les changements d’orientations ne se limitent pas à cela, car la gauche française
entend faire de l’OFQJ un instrument de sa politique. Ce qui passe par un certain réaménagement dans les programmes de l’organisme :
« Depuis les débuts de l’OFQJ, la préoccupation de faire de l’Office un instrument de
complémentarité de la coopération franco-québécoise avec les autres organismes dotés d’un
même mandat est demeurée constante, sans qu’elle se traduise efficacement au niveau des
actions concrètes […] étant ce qu’il est, l’Office doit tenir compte de la volonté gouvernementale dans l’élaboration de sa programmation et la définition de ses moyens d’action […]
d’autant plus que les gouvernements veulent mener une politique d’ensemble et qu’il y a
d’autres organismes qui s’occupent de coopération 118. »
Cet énoncé se traduit par la mise sur pied d’un volet dit « action prioritaire ». Et qui,
pour la section française, se fait à l’époque sous le thème de l’insertion sociale et professionnelle. Ce qui amène les Français à organiser des échanges sur des thèmes nouveaux. Par
115 Compte rendu de la 23e session du C.A., Jonquière, avril 1982, p. 1, archives de l’OFQJ.
116 Ibid., p. 8.
117 Compte rendu de la 23e session du C.A., Jonquière, avril 1982, p. 10, archives de l’OFQJ.
118 Ibid.
52
exemple, un stage de jeunes chômeurs dédié à l’organisation et aux initiatives des mouvements de chômeurs. Ou encore un stage en informatique au Cégep Ahuntsic, conçu par le
Centre académique de formation continue de Versailles, œuvrant auprès des jeunes sans
emploi et qui bénéficie aux vingt-quatre jeunes programmeurs français âgés de 18 à 21 ans.
Et que dire de ce grand colloque franco-québécois, préparé à Poitiers, à l’automne 1984,
consacré aux jeunes acteurs du développement local. Qu’ils soient jeunes créateurs d’entreprises, élus locaux, représentants des milieux bancaires ou associatifs, ils sont venus nombreux
(deux cent cinquante personnes en tout) pour prendre connaissance de ce qui se fait au
Québec en la matière 119.
« L’Office a pris une série d’initiatives qui consistait à travailler sur le fond des dossiers,
raconte Anne Cublier, en concertation étroite avec les acteurs de terrain, sur des sujets extrêmement sensibles, puisqu’en France c’était très vivant le travail d’insertion sociale. L’Office
pouvait réagir rapidement et mettre sur pied de tels événements contrairement à d’autres
organismes de coopération. Le colloque de Poitiers était donc très important dans cette
perspective, les Français avaient l’impression d’apprendre énormément de l’expérience québécoise. Il y avait notamment Gilles Baril (futur ministre) qui avait volé la vedette en parlant
de ses propres expériences 120 ».
Ce virage à caractère social est bien accueilli par le Parti québécois qui, pour se
rapprocher de la gauche française, ne cesse de rappeler son programme socialdémocrate. Les orientations de l’OFQJ prennent donc naturellement la tournure voulue par
le gouvernement français.
119 Rapport au C.A., 4e cahier, 27e session du conseil d’administration, Joliette,
octobre 1984, p. 9, archives de l’OFQJ.
120 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01.
53
Parallèlement à l'agitation politique qui secoue
Paris et Québec, la coopération suit son cours.
L'OFQJ reprend une idée du général de Gaulle et
organise le projet le plus ambitieux de son histoire.
54
CHAPITRE VI :
L’heure des grandes
manœuvres
Créé sous l’impulsion de De Gaulle, l’OFQJ a donc
été conservé par la gauche et adapté avec succès aux
priorités de cette dernière. De fait, en ce début des
années 1980, ce n’est pas l’Office qui pose problème
sur le front des relations franco-québécoises. Un petit
détour s’impose ici pour remettre les choses dans une
plus vaste perspective.
Le Québec demeure malgré tout
notre principal point d’appui en
Amérique du Nord.
HUBERT VÉDRINE À
FRANÇOIS MITTERRAND
François Mitterrand et le sommet des pays francophones
François Mitterrand est à l’époque décidé à tenir le premier sommet des pays francophones. Il se heurte alors de plein fouet au problème canado-québécois. Or, le Québec
possède déjà sa propre représentation au sein de l’Agence de coopération culturelle et
technique (aujourd’hui, Agence intergouvernementale de la francophonie) et il entend donc
obtenir un statut équivalent au sein du futur sommet des pays francophones. Une prétention qui heurte de plein fouet le gouvernement fédéral de Pierre Trudeau, qui s’oppose corps
et âme à toute forme de représentation pour le Québec. Entre Paris, Québec et Ottawa,
l’heure des grandes manœuvres est arrivée.
Pressé de réaliser ce sommet, le président socialiste devient l’arbitre involontaire du
duel Lévesque - Trudeau. Or, il s’avère que François Mitterrand n’en finit plus de se méfier
de cette histoire de Québec, qu’il associe à de Gaulle, à Michel Rocard et à René Lévesque.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça commence mal. Mais il y a plus. Outre le fait
que le nouveau président ne s’intéresse pas au Québec en général et à René Lévesque en
particulier, il compte dans son proche entourage des personnes tout aussi insensibles que
lui à la question. C’est le cas de Régis Debray, son conseiller culturel, qui conçoit la francophonie comme une œuvre tournée vers le tiers-monde et que les querelles Canada-Québec
ne doivent pas empêcher d’aller de l’avant 121. Toutefois c’est à cet homme que Mitterrand
confie l’organisation du premier sommet des pays francophones.
Régis Debray élabore rapidement un sommet francophone où le Québec n’a aucun rôle
important à jouer. Alors ministre des Affaires intergouvernementales, et de plus responsable
de l’OFQJ, Jacques-Yvan Morin est le premier informé des intentions de Régis Debray à
l’automne de 1982. Sa réponse est sans appel : inacceptable. Mais l’argument n’ébranle nulle-
121 Claude Morin, L’art de l’impossible, Montréal, Boréal, 1987, p. 441.
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ment le tandem Mitterrand-Debray. À la fin du mois de mai 1983, Trudeau et Mitterrand font
le point sur la question lors du Sommet du G7 qui a lieu à Williamsburg aux États-Unis. En
quelques minutes, le dossier est réglé. Les deux hommes s’entendent sur un projet de sommet
francophone qui laisse le Québec en plan. Décision que l’ambassade du Canada à Paris a
tôt fait de rendre publique 122.
Prévisions franco-québécoises : nuages mitterrandiens à l’horizon
Il n’y a aucun moyen d’y échapper, Mitterrand demeure la source du problème. À titre
de premier ministre, René Lévesque est le seul à pouvoir agir. Une rencontre à Paris entre
les deux hommes est prévue pour le 29 juin. Pour les Québécois, il est capital de convaincre
François Mitterrand de ne pas faire le sommet francophone sans le Québec.
Tout ce que le gouvernement québécois compte de diplomates a été rassemblé pour
préparer l’événement 123. Afin de convaincre le président, plusieurs arguments sont suggérés
à René Lévesque par ses conseillers. Le plus à même de convaincre le président est celuici : comme Mitterrand pratique fondamentalement la realpolitik, il faut lui faire valoir que le
poids du Québec en matière de francophonie est important.
Coopération universitaire, littérature, culture, éducation, télévision, économie, recherche
scientifique, jumelage de villes, etc., Lévesque sait mieux que personne qu’il aura besoin
d’utiliser tous les exemples possibles pour démontrer à Mitterrand que, dans tout ce qui
touche la francité, le Québec est pour la France un partenaire beaucoup plus solide que le
Canada et que faire la francophonie avec Ottawa sans le Québec serait lâcher la proie pour
l’ombre.
À quelques jours de cette rencontre présidentielle qui s’annonce décisive, le premier
ministre en est à ces réflexions, lorsque le 20 juin 1983, un projet spécial de l’OFQJ aboutit
sur son bureau. Nom de code : Cap sur l’avenir.
Une idée du général… pour convaincre Mitterrand
Il faut dire que parallèlement à toute l’agitation politique qui secoue Paris et Québec,
la coopération franco-québécoise suit son cours. En 1984, pour célébrer le 450e anniversaire
de la découverte du Canada par Jacques Cartier, l’OFQJ caresse le projet le plus ambitieux
de son histoire : faire traverser l’Atlantique à six cents jeunes Français et Québécois, de
Québec à Saint-Malo, dans le sens inverse du célèbre navigateur malouin.
Qui a été le premier à envisager un tel projet ? Nul autre que de Gaulle lui-même. Le
18 avril 1969, le ministre Joseph Comiti avait joué le messager lors de la deuxième réunion
du conseil d’administration, à Québec. « Le général aurait souhaité, dit-il, qu’avec un groupe,
probablement un groupe de prestige, l’Office organise un voyage en bateau et que la session
culturelle ait lieu sur ce bateau 124 ».
122 Cité par Claude Morin, op. cit., p. 443.
123 Archives du MRI.
124 Compte rendu du CA, 2e session, Québec, 17 et 18 avril 1969, p. 20,
archives de l’OFQJ.
56
À ces paroles, Jean-Claude
Quyollet promettait d’examiner la
question. Sauf que l’idée n’avait
pas eu de suite. Tout le monde a
oublié qu’elle avait été lancée par
de Gaulle, jusqu’à ce qu’elle
revienne au centre des discussions près de quinze ans plus
tard, grâce notamment à Claude
Quenault. Celui-ci est à l’époque
directeur de la Maison des jeunes
et de la culture de la ville de
Conflans Sainte-Honorine, fief du
premier ministre Michel Rocard.
À l’instar de son patron, Quenault
est un grand ami du Québec, et
Comment convaincre François Mitterrand de faire une place au Québec
il connaît bien Anne Cublier, la
au sommet des pays francophones ? René Lévesque, à la recherche d'un
secrétaire générale de l’Office.
projet qui frappe l'imagination, part en France avec l'ébauche d'une grande
traversée de l'Atlantique orchestrée par l'OFQJ.
« J’avais pensé à la course de
F. Mitterrand et R. Lévesque (Paris 1983).
voiliers Québec–Saint-Malo, ditil. Et je m’étais dit que ça serait
une bonne idée de faire voyager des stagiaires de l’Office sur un bateau […] et j’en avais
parlé à Anne Cublier 125. » Quenault rédige donc une première ébauche du projet. Ce projet
est évoqué par les premiers ministres René Lévesque et Pierre Mauroy lors de la visite de ce
dernier au Québec en avril 1982 126. Mais ce n’est que l’année suivante que l’idée va véritablement suivre son chemin. Un projet en bonne et due forme est formellement présenté
à une réunion du conseil d’administration de l’Office qui a lieu au Lac-Beauport les 19 et
20 juin 1983.
En cette journée du 20 juin, l’heure est maintenant venue de décider si le projet de
traversée ira de l’avant ou non. Car est-il vraiment possible de faire voyager six cents jeunes
pendant deux semaines sur un paquebot de luxe entre le Québec et la France ? Au fur et à
mesure que se déroulent les débats, les sourcils se froncent, les regards interrogateurs se
multiplient, le doute jaillit de toutes parts. Presque tout le monde a la même réaction : c’est
le scepticisme général. « Je n’étais pas très chaud à l’idée, se souvient André Tétrault. Je
trouvais qu’il y avait de trop nombreux risques de dérapages 127. » « Il y avait des problèmes
sociaux importants à l’époque, ajoute de son côté Madeleine Bourgeois, directrice des
programmes de la section québécoise. Alors faire voyager six cents jeunes sur un paquebot
de luxe, c’était risqué au niveau de l’image 128. » « J’avais vraiment beaucoup de doutes, conclut
Anne Cublier, notamment au niveau financier 129. »
125 Entretien avec Claude Quenault, 14/02/01.
126 Lors du C.A. du Lac-Beauport, la ministre Avice rappelle devant tout le monde que Lévesque et
Mauroy ont évoqué le projet de traversée en bateau lors de leurs entretiens de 1982. Compte rendu
de la 25e session du C.A., Lac-Beauport, 19 et 20 juin 1983, p. 114, archives de l’OFQJ.
127 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01.
128 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01.
129 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01.
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Autour de la table du conseil d’administration, les discussions sont effectivement vives.
Outre l’image peu flatteuse que projetteront les médias du projet, le principal obstacle est
d’ordre financier. L’OFQJ est prêt à allouer le montant de ce que coûte normalement l’envoi
au Québec et en France de six cents stagiaires, mais le reste doit être aux frais des deux
gouvernements. Comment manœuvrer en pareilles circonstances ? Les deux ministres décident
d’en référer à leur patron, les deux premiers ministres, qui doivent se rencontrer huit jours
plus tard à Paris. Il est convenu que madame Avice leur présentera formellement le projet à
ce moment-là 130.
Prendre des risques. Au point où René Lévesque en est, il n’a rien à perdre. Il lui faut
convaincre Mitterrand de faire une place au Québec au sommet francophone. Un projet qui
frappe l’imagination, comme une traversée de l’Atlantique en bateau avec six cents participants, est exactement le genre d’exemple dont il a besoin pour parvenir à ses fins. Le premier
ministre québécois part donc en France avec le projet sous le bras. En la personne de Pierre
Mauroy il trouve un allié inattendu. Le premier ministre français est très satisfait de son voyage
au Québec en avril 1982. En revanche, il est très déçu des relations franco-canadiennes qui,
selon lui, n’aboutissent à rien.
Mais il n’y a pas que le premier ministre français qui réalise la profondeur et la vitalité
de la coopération franco-québécoise. C’est aussi le cas d’Hubert Védrine, futur ministre des
Affaires étrangères, et à l’époque conseiller diplomatique de François Mitterrand. La possibilité que son patron fasse le sommet des pays francophones sans le Québec le préoccupe
grandement. Plus que tout, Védrine est sensible au poids du partenaire québécois dans le
contexte de la coopération. La veille de la rencontre entre Mitterrand et Lévesque, il s’en
ouvre au président dans une note :
« Le Québec demeure malgré tout notre principal point d’appui en Amérique du Nord,
évidemment sur le plan culturel mais aussi sur le plan économique. Cette province continue
ainsi de représenter 50 % de toutes nos exportations au Canada. Les ouvertures faites par
monsieur Trudeau ne se sont pas jusqu’à présent concrétisées en ce qui concerne le reste
de la Fédération [...]. Ces promesses risquent de rester sans suite du fait de la mainmise des
États-Unis sur le Canada, du protectionnisme canadien et de l’impact limité de la volonté
politique d’Ottawa, si elle existe vraiment 131 [...]. »
Si le conseiller du président ne fait pas mention explicitement de l’OFQJ dans ses propos,
il est clair que l’organisme fait partie d’un ensemble de réalisations concrètes qui font du
Québec le « principal point d’appui » français en Amérique du Nord, réalisations face
auxquelles Ottawa ne fait pas le poids.
Après de multiples tergiversations, ces arguments finissent par recueillir l’adhésion de
François Mitterrand. Le 29 juin 1983, il reçoit René Lévesque avec une étonnante chaleur et
l’assure que la France ne laissera pas tomber le Québec.
130 Programmation de 1984. Rapport au C.A., 26e session du C.A., La Rochelle, janvier 1984,
p. 16-17, archives de l’OFQJ.
131 Note de Hubert Védrine au président de la République, datée du 28/06/83 (AN-5 AG 4/11 469).
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CHAPITRE VII :
L’ère des grands
projets
L’OFQJ a reçu le feu vert à son projet de
traversée de l’Atlantique. Il faut maintenant livrer la
marchandise. Ce qui n’est pas une mince affaire. Et
tout le monde s’en rend compte le 9 janvier 1984, lors
d’un conseil d’administration tenu à La Rochelle.
« Rien ne doit être laissé au hasard »
Une dynamique incroyable qui, dès le
départ, a fait voguer le bateau […] le
Mermoz aura été un laboratoire riche
en expériences individuelles variées.
MARTHA GAGNON, JOURNALISTE DE
LA PRESSE À BORD DU MERMOZ
L’un des principaux points à l’ordre du jour du
conseil d’administration consiste à définir le
programme de la traversée, plusieurs idées ayant été mises de l’avant à cet égard. Les artisans
de l’Office ont beaucoup travaillé sur la question, comme l’explique André Tétrault aux
membres du conseil d’administration :
« Dans les deux sections, un premier travail de recherche a été accompli pour identifier les thèmes de programmation devant être réalisés à bord du Mermoz. Une série de consultations a été entreprise au Québec et en France […] il a été convenu que le thème majeur
du projet devait être l’avenir, ce qui
concordait parfaitement avec le genre de
clientèle que nous avons, à savoir la
jeunesse […]. Les activités organisées sur
le bateau seront liées à des thèmes et à
la vie culturelle et artistique. Les thèmes
retenus sont les suivants : le travail, la
société, la culture, le mieux-être, la mer
et l’histoire 132. »
L’arrivée au Québec
Forts de ces instructions, les artisans
de l’Office vont travailler d’arrache-pied
pour préparer un programme et sélectionner les candidats. Après avoir mis les
bouchées doubles pendant quatre mois,
Le 28 mai 1984, six cents jeunes mettent le « Cap sur l'avenir »
et la communication à bord du Mermoz.
132 Compte rendu de la 26e session du C.A., La Rochelle, 9 janvier 1984, p. 30,
archives de l’OFQJ.
59
l’heure du grand départ arrive. Nous sommes à Québec, le 28 mai 1984. Le ciel est gris, il y
a du vent. Mais ce climat « tristounet » n’a pas suffi à dissiper la bonne humeur des six cents
passagers du Mermoz. Sur le quai, tout le gratin de l’OFQJ est présent, le ministre Guy
Chevrette en tête, qui y va d’un discours de circonstance 133. Un orchestre joue de la musique.
Des stagiaires dansent au son des mélodies. Et puis, enfin c’est l’embarquement. Il y a de la
cohue et de la fébrilité au moment de monter à bord.
Des partenaires de choix
La vie à bord s’organise. Pratiquement toutes les facettes de l’existence sur le bateau
font l’objet d’une formation quelconque. Il faut dire que les artisans de l’OFQJ n’ont pas
lésiné sur la recherche de partenaires. Du côté québécois, on compte d’abord le journal La
Presse, qui fête en 1984 son centième anniversaire, et qui décide donc de s’associer au projet
en organisant un concours qui permettra la sélection d’une dizaine de stagiaires. Il s’agit pour
ces derniers d’organiser une exposition intitulée « Les temps forts d’un siècle », illustrant les
grands moments de l’histoire du Québec, à l’aide des unes des journaux de l’époque.
L’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec est également du voyage. Quinze de
ses étudiants effectuent un stage… dans les cuisines du Mermoz. Leur tâche est toute particulière : ils doivent préparer de somptueuses agapes aux saveurs québécoises, un festin qui
sera baptisé « Menu de l’histoire » : terrine de saumon au ragoût de grenouilles ; gratiné à la
bière et au gingembre et soufflé à la crème d’érable couronné d’une fleur de lys 134.
La gastronomie est donc au rendezvous. Toutefois la traversée de l’Atlantique
s’effectue avant tout sur le thème de la
mer. La navigation est à l’honneur grâce à
l’Institut maritime de Rimouski avec son
contingent d’une quinzaine de stagiaires.
Postés à la radio, aux machines ou aux
instruments de navigation, ceux-ci auront
la délicate mission de participer aux
manœuvres du Mermoz.
À bord du bateau, les jeunes discutent de nombreuses
questions relatives à la jeunesse, l’avenir et le milieu maritime.
133 Le Devoir, 29/05/84.
134 La Presse, 01/06/84.
60
Pour compléter le thème des activités
maritimes, on a sollicité la participation
du Département d’océanographie de l’Université de Rimouski. Flanqués des étudiants de l’Institut de Dinard en France,
les jeunes océanographes ont pour mission
d’organiser des conférences sur les secrets
des fonds marins et de la vie aquatique.
Les Français n’ont pas lésiné non plus sur le déploiement des activités. Plusieurs
ministères ont été mis à contribution, plus particulièrement celui de la Culture, de l’Éducation nationale de même que les missions locales pour l’emploi. En revanche, c’est surtout
par ses artistes que l’Hexagone se fait connaître. Il y a notamment le dessinateur Fred, le
père du célèbre Philémon, qui a accepté d’animer un atelier de dessin. Sans oublier l’auteurcompositeur-interprète Charlélie Couture, dont la carrière bat son plein.
Cinéma, radio, journal
Il ne manque plus que la principale vedette de cette traversée, la jeunesse. L’OFQJ a
trouvé une façon originale de sélectionner les candidats, comme le rappelle Madeleine
Bourgeois :
« Un des aspects intéressants de « Cap sur l’avenir » a été le recrutement des projets et
des candidats. On a d’abord procédé par appel de projets et sélection en tenant compte de
la représentation de toutes les régions du Québec. Les projets retenus étaient inscrits dans
la grille de programmation et animés par les participants. On a aussi recruté auprès de certains
établissements d’enseignement (ITHQ, Institut maritime…). De même plusieurs communautés
autochtones étaient représentées.
Pour recruter des animateurs, on s’est tourné vers le programme d’animation de
l’Université de Montréal, en plus d’enrôler l’équipe des animateurs de l’OFQJ. Un de ces
animateurs détenait un doctorat en psychologie et avait comme mandat d’intervenir auprès
des gens en difficulté. Mais ses services ont été peu sollicités, la vie à bord s’est régulée d’ellemême 135. »
Que ce soit sur le thème du travail, de la société, de la culture ou de la mer, le
programme s’annonce copieux. Il y aura, au cours de la traversée, 3960 inscriptions aux
différentes activités 136, des activités porteuses d’avenir comme l’informatique (nous sommes
en 1984 !). Dans le gymnase intérieur du bateau, on a installé plusieurs ordinateurs, qui
fonctionnent six heures par jour tout le long de la traversée. On y reçoit quotidiennement
une trentaine de personnes. Les jeunes découvrent ainsi la micro-informatique, le dessin par
ordinateur, etc., et profitent aussi de l’atelier audiovisuel qui leur propose une réflexion sur
le cinéma et la télévision.
Français et Québécois peuvent aussi se découvrir dans la réalisation d’œuvres vidéo
puisqu’un atelier d’initiation à la vidéo légère a été mis sur pied. Les participants visionnent
plusieurs cassettes à leur disposition. Ils se familiarisent avec le matériel de diffusion tout en
relevant le grand défi de réaliser un film vidéo marathon et un document de fiction 137.
Aussi, pour les adeptes du septième art, avec un regard critique ou celui d’un simple
spectateur, l’Office a préparé un horaire de cinéma répertoire rassemblant les meilleurs réalisateurs de la France et du Québec, avec entre autres Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jean-
135 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01.
136 Rapport au C.A., 3e cahier, « Bilan cap sur l’avenir 1984 », Joliette, octobre 1984,
p. 10, archives de l’OFQJ.
137 Futurs actuels, journal de bord, p. 3.
61
Claude Labrecque, Denys Arcand et Pierre Falardeau. À l’affiche : Sauve qui peut la vie (1980),
Les 400 coups (1958), L’affaire Coffin (1979) ; Le confort et l’indifférence (1981) ; Elvis Gratton
(1981) 138.
Si l’image est à l’honneur, le son ne demeure pas en reste. Les organisateurs de l’OFQJ
ont mis en place une station radiophonique : « Vous écoutez Radio-Véronique, la radio du
Mermoz. ». Cent soixante-dix-huit heures d’émission… en douze jours ! Les jeunes interviewent les personnalités à bord (les artistes, le capitaine, les responsables de l’Office, etc.),
ils font des topos lors des escales avec de nouvelles entrevues, interrogent des passagers,
tout en proposant un choix de musiques variées.
Que dire, par ailleurs, de cette trentaine de jeunes qui décide spontanément de publier
un journal, Le mille sabords, qui alimente un fort courant de contestations chez certains
stagiaires 139. Le feu roulant de la critique de nos jeunes amis n’épargne personne. Et comme
le note la journaliste Nathalie Pétrowski, « le journal finit par se saborder de lui-même… sous
le poids de sa propre critique 140 ».
Tout ce programme laisse encore le temps aux stagiaires de s’amuser. Surtout lorsque
le capitaine met le cap sur les Açores. Précédemment utilisée pour un atelier d’aquarelle, la
piscine a été vidée de ses peintres pour être remplie d’eau. Tandis que plusieurs profitent
du beau temps pour faire trempette et se « dorer la couenne au soleil ». À l’approche du vieux
continent, une frénésie de fraternisation s’empare du bateau. Tout le monde parle à tout le
monde comme si tous étaient de vieux amis 141. On s’échange des adresses, des promesses
de se revoir, on s’invite à qui mieux mieux. Les soirées sont arrosées et on fait la fête jusqu’aux
petites heures du matin.
Porté par le mouvement
Le 8 juin 1984, au petit matin, le Mermoz arrive finalement dans la rade de Saint-Malo.
Les vénérables murs de pierres de la cité des corsaires sont en vue. Jacques Cartier est revenu
à Saint-Malo. Un accueil de tous les participants se fait en cascade dans cette nouvelle Maison
du Québec, sise sur les remparts de la ville, et que René Lévesque vient à peine d’inaugurer
en présence des autorités françaises.
Mais plus sérieusement, tous les voyageurs se demandent quelles conclusions ils peuvent
tirer d’une telle aventure. Ils ont travaillé, étudié, créé, contesté, festoyé, fait et défait le monde
à plusieurs reprises. Et tout ça pour quoi ? Pour se confronter. Et par le fait même pour se
découvrir. Les voyages forment la jeunesse, dit le vieil adage. Celui du Mermoz aura été particulièrement réussi à cet égard, comme le rappellent les principaux intéressés :
« La traversée, raconte Huguette Corbeil, est un pas de plus qui va du rêve à la réalité,
des attentes à l’action. Coexister avec six cents « Mermousses » franco-québécois et baigner
138 Ciné fiches cap sur l’avenir, archives de l’OFQJ.
139 Futurs actuels, journal de bord, p. 3
140 Le Devoir, 05/01/84.
141 Le Devoir, 09/06/84.
62
dans cette énergie pendant douze
jours en pleine mer fut pour moi
comme la potion magique de
Panoramix. Elle renforce et donne
envie de bouger, d’agir 142. »
Agir, à l’image de Florence
Guillemet, qui affirme « qu’après
six ans dans le même lieu de travail,
je suis désormais persuadée que je
peux aller plus loin… j’ai trouvé un
élan nouveau ».
Que dire du témoignage de
ces groupes de chômeurs qui se
trouvaient à bord. Comme le rapLéguée au gouvernement du Québec par la Ville de Saint-Malo, la
porte Christian Tytgat, de l’AssoMaison du Québec à Saint-Malo fut inaugurée le 4 avril 1984. Depuis
ciation formation-étude-rencontre :
1990, l’animation culturelle de la saison estivale est assurée par l’OFQJ.
« Nos six stagiaires sont revenus
bouleversés, enchantés, déphasés et
changés. Je peux affirmer que ce voyage leur a fait gagner des mois, voire des années, dans
leur cheminement difficile pour se faire et trouver une place dans notre société. »
De toute évidence, les deux gouvernements sont très satisfaits de l’opération du Mermoz.
L’idée de faire un grand projet qui soit au cœur de l’actualité a très bien fonctionné. Selon
toute vraisemblance, les félicitations que Guy Chevrette adresse aux artisans de l’Office sont
partagées par René Lévesque. Devant un tel succès, celui-ci pense sûrement qu’il ne faut pas
s’arrêter en si bon chemin. C’est en tout cas ce que la suite des événements permet de penser.
L’Année internationale de la jeunesse
Guy Chevrette et le nouveau ministre français, Alain Calmat, décident à nouveau de
mobiliser l’OFQJ derrière un grand projet. Ce sera pour 1985, l’Année internationale de la
jeunesse. Comme le révèle le cahier de programmation de l’organisme, « l’Année internationale de la jeunesse est une occasion pour l’Office de faire valoir la vitalité actuelle, passée
et à venir de sa mission 143 ».
Autour de la table du conseil d’administration, un certain nombre de projets sont discutés.
La démarche consiste à organiser plusieurs concours destinés à la jeunesse. Espace et énergie
seront les sujets d’un concours de culture scientifique qui amènera les participants à réfléchir
et à imaginer les impacts des sciences sur les devenirs des sociétés française et québécoise.
Le concours « Ariane-Baie-James » s’articulera en deux volets, l’un intitulé « Jeunes, énergie
142 Six mois après le voyage, deux tables rondes furent organisées. À Montréal,
le 19 novembre et à Paris, le 21. Les témoignages cités sont tirés de ces deux
rencontres, archives de l’OFQJ.
143 Rapport au C.A., cahier de programmation 1985, 27e session du C.A., Joliette,
19 et 20 octobre 1984, p. 4, archives de l’OFQJ.
63
et environnement », l’autre
« Jeunes et espace ». Le prix est
un stage d’observation de deux
semaines au complexe hydroélectrique de la Baie-James pour
le premier et au Centre de
recherches spatiales de Kourou,
en Guyane, pour le second. Le
tout servira de prétexte pour
permettre à deux groupes de
quarante jeunes de se familiariser avec les professions
scientifiques 144.
L’OFQJ ne manque pas
d’idées et, entre autres projets,
envisage également d’organiser un grand concours de
création radiophonique, dont les
meilleurs lauréats participeraient
au concours de la radio FM de La Rochelle 145, ainsi qu’un projet de murales extérieures
géantes réalisées à partir d’œuvres créées par des jeunes, un concours d’aventure et une
coproduction : Les Vêpres de la Vierge du compositeur québécois Gilles Tremblay.
Année internationale de la jeunesse (1985) : l’OFQJ lance, en partenariat
avec le Festival FM de La Rochelle, le concours radio « 85 FQ ». De gauche
à droite, les organisateurs : Robert Sorel, Patrick Beaudin et Madeleine
Bourgeois de l’Office en compagnie de Richard Lelièvre et Serge Plaisance,
animateurs à CKOI-FM.
Ariane - Baie-James
Dans le cadre des volets « Jeunes et espace » et « Jeunes, énergie et environnement » les
stages sont organisés en deux parties. Première destination : Paris ou Montréal. Seconde destination : la Guyane (Kourou) ou le Grand-Nord (Baie-James). Dans un cas comme dans l’autre,
un programme chargé attend les lauréats du concours.
Pour les amateurs de l’espace, les deux premiers jours du stage se composent de visites
en métropole à l’Aérospatiale, au Musée de l’air et de l’espace, à la cité des sciences et des
techniques la Villette, et surtout aux Mureaux, dans les Yvelines, où une partie de la fusée
Ariane est fabriquée 146. De son côté, le groupe qui visite la Baie-James arrive à Montréal le
4 août, et part pour le Grand-Nord trois jours plus tard. Accueillis par Hydro-Québec, Français
et Québécois marchent aussitôt sur les traces de Gilbert Bécaud, tantôt visitant les barrages
LG2 et LG3, tantôt le fameux escalier des géants, où le chanteur français a donné un spectacle
mémorable.
Mais ce n’est là qu’un début. Les Français (la majorité du groupe) prennent rapidement
conscience de ce que l’écrivain Chateaubriand appelait « la vastitude de l’Amérique ».
144 Rapport au C.A., cahier de programmation 1985, 27e session du C.A., Joliette,
19 et 20 octobre 1984, p. 2, archives de l’OFQJ.
145 Ibid.
146 Programme du séjour des lauréats du concours « Jeunes et espace » : France
64
métropolitaine et Guyanne, Q/F 977-85, p. 6-7, archives de l’OFQJ.
Ils prennent l’avion pour découvrir Charlevoix puis la Côte-Nord où ils ont le loisir de
contempler les cinq voûtes gigantesques de Manic-5, un symbole à la dimension du Québec :
immense et qui a inspiré tant de poètes. Un spectacle qui ne manque pas d’impressionner
les visiteurs français… comme les Québécois d’ailleurs.
85 FQ, la voix de la jeunesse
Si en cette année 1985 la science demeure au rendez-vous, une fois de plus la culture
n’est pas oubliée. Le concours « Les jeunes et la radio » voit le jour. Son objectif consiste à
donner la parole aux jeunes en les aidant à créer, à réaliser et à diffuser des émissions de
radio. Le Festival FM de La Rochelle bat son plein et plusieurs ont le loisir de syntoniser
85 FQ, la « nouvelle chaîne » où travaillent les lauréats du concours de l’OFQJ. En réalité il
ne s’agit pas d’une chaîne, mais de plusieurs émissions produites par les stagiaires de l’OFQJ
et qui sont diffusées sur différentes chaînes.
« On avait fait cette activité dans les suites du Congrès mondial des radios communautaires, qui s’était tenu à Montréal en 1983, de dire Maurice Segall. J’avais convaincu Anne
Cublier que l’Office devait y participer. D’où l’idée de faire un concours radiophonique lors
de l’Année internationale de la jeunesse. Du côté français, je me souviens que le lauréat avait
été Serge Poézevara. Je l’ai revu depuis et il m’a dit que ce stage avait changé sa vie… il est
aujourd’hui l’un des grands patrons de Radio-France 147 ».
L’Année internationale de la jeunesse est également l’occasion de mettre sur pied une
coproduction de l’œuvre inédite de Gilles Tremblay : Les Vêpres de la Vierge. La pièce est
présentée à l’abbaye de Sylvanès dans le cadre de son festival de musique sacrée. Le projet
réunit un chef d’orchestre et des musiciens québécois, avec la participation d’un chœur
français, tandis qu’un peintre québécois expose ses œuvres sur les lieux
du festival. L’année suivante, ce seront
les Français qui présenteront une
pièce lors du Festival international de
Lanaudière et à celui du domaine
Forget dans Charlevoix.
Un projet intitulé « Bourses
Jeunesse-Aventure-Québec » est également mis en place par la section
française. Destinées à soutenir les
initiatives de la jeunesse dans le
domaine de l’aventure, une cinquantaine de bourses vont permettre à de
jeunes Français de réaliser un projet
d’aventure au Québec.
Présentation des Vêpres de la Vierge de Gilles Tremblay à l’abbaye
de Sylvanès à l’occasion du Festival de musique sacrée.
(France, 1986).
147 Entretien avec Maurice Segall, 07/02/01.
65
La notion d’aventure est entendue au sens large du terme. Pour l’Office, l’aventure, c’est
l’esprit même de la jeunesse qui s’exprime à travers le voyage. C’est tout ce qui favorise
l’énergie et la débrouillardise, de l’exploit sportif à la simple découverte d’une autre culture.
Jeunes révolutionnaires
L’Année internationale de la jeunesse est à peine terminée que la France songe déjà à
préparer en grand le bicentenaire de la Révolution française, en 1989. L’Office est mis à contribution et organise un grand concours québécois pour les étudiants de niveau collégial. Ils
doivent écrire un essai sur le thème « Qu’est-ce que ça signifie pour vous la Révolution
française ? ». Quarante d’entre eux sont sélectionnés, vingt en sciences humaines et vingt en
sciences pures. Ensemble, ils mettent le cap sur Paris où ils arrivent le 5 juillet 1989.
De nombreuses activités sont organisées, des débats, des visites de musées et de sites
historiques 148, comme le raconte l’historien Gilles Villemure, qui accompagne alors le groupe :
« On a fait un grand rallye dans Paris, sous la forme d’une chasse au trésor. On était
parti du jardin des Plantes et il y avait des enveloppes et des indices disséminés un peu
partout. Les jeunes étaient divisés en équipes, chacune représentait une des tendances de la
Révolution française […].
Fait intéressant, à chaque
étape, il y avait des épreuves à
faire. Une de ces épreuves avait lieu
devant le Palais-Royal, les jeunes
devaient improviser un discours
comme Camille Desmoulins l’avait
fait durant la Révolution française.
Les passants s’arrêtaient et se
groupaient pour assister à ces
discours improvisés. Les gens
étaient très intéressés et c’était très
pédagogique 149. »
Deux jeunes plantent « l’arbre de la liberté » sur l’île Notre-Dame à Montréal
en 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française et de la
Déclaration des droits de l’homme. En arrière plan, de part et d’autre de
l’orateur, à gauche, André Maltais (secrétaire général, 1989-1991) et à
droite, Madeleine Bourgeois (directrice des programmes, 1979-).
Au niveau politique, les
Québécois ont également droit à un
programme digne de mention. Le
lundi 11 juillet ils sont reçus à
l’Assemblée nationale. Et le lendemain ils ont rendez-vous à l’Élysée,
où ils prennent part à un grand
spectacle organisé par les Francofolies.
148 Bicentenaire de la Révolution française, groupes Q 7022-Sciences humaines,
arts et lettres, Q 7023-Sciences pures et de la santé. Programme du séjour,
archives de l’OFQJ.
149 Entretien avec Gilles Villemure, 19/02/01.
66
Ajustements et
nouveaux horizons
CHAPITRE VIII :
L’Office a vogué sur l’Atlantique, participé
à l’Année internationale de la jeunesse, réalisé sa
première coproduction franco-québécoise, fait la
révolution et lancé ses lauréats à l’assaut des
ondes françaises et québécoises. Une fois de plus,
le voici rattrapé par l’actualité politique francoquébécoise.
En période de crise économique et budgétaire, on
questionne tout […] ce n’est pas tout le monde
qui percevait l’importance des relations francoquébécoises. C’est pour ça qu’on a pris le virage
des stages qualifiants en milieu de travail.
GINETTE PELLERIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE
À la fin de l’année 1985, les libéraux de
L’OFQJ, SECTION DU QUÉBEC DE 1991 À 1995
Robert Bourassa ont repris le pouvoir à Québec.
L’année suivante, une cohabitation s’instaure en
France lors des élections législatives. François Mitterrand doit faire appel à Jacques Chirac
pour diriger son gouvernement, car son parti est minoritaire à l’Assemblée nationale.
Le courant passe à merveille entre Robert Bourassa et Jacques Chirac. Ceux-ci, que la
fonction de premier ministre avait déjà réunis, réintègrent, presque en même temps, le poste
qu’ils occupaient 150. Et si, lors de la visite de Jacques Chirac en septembre 1987, les deux
hommes ne manquent pas de souligner l’apport
de l’OFQJ dans les relations franco-québécoises,
il n’empêche, malgré tout, qu’un certain nombre
de différends mettent les deux sections de l’Office
en porte-à-faux.
Du côté québécois, le gouvernement
compte sabrer dans l’appareil administratif et
procède à un examen minutieux de chacun des
organismes gouvernementaux. « On avait échappé
de peu à une fermeture pure et simple, rappelle
le secrétaire général Alexandre Stefanescu, car le
gouvernement, après avoir examiné la vocation
de plusieurs organismes publics, jugeait que
l’OFQJ méritait d’être maintenu. Mais on a dû
vivre dans un contexte de coupures. On a donc
dû compenser par l’imagination 151. »
Le 20e anniversaire de l’OFQJ (1988). Alexandre Stefanescu
(secrétaire général au Québec, 1985-1989), Claude Charron
(ministre responsable au Québec, 1976-1982) et Pierre
Moretti (directeur de l’administration, 1977-1990).
150 Entretien avec l’ancien délégué général Jean-Louis Roy, 25/05/98. Archives
de l’auteur.
151 Entretien avec Alexandre Stefanescu, 30/04/01.
67
Cette situation en
amène plusieurs à penser
qu’il faut séparer la gestion
des deux sections qui ont,
jusqu’à maintenant, fonctionné sur la base d’un
budget commun. C’est le
cas de Guy Rivard, ministre
québécois responsable de
l’OFQJ. « La parité, dit-il
lors d’une réunion, constitue une orientation qui est
fondamentale. Ce n’est pas
une parité, cependant, qui
Découverte de la culture inuite dans le Nord du Québec (Inukjak) par l’OFQJ en 1990. Sur
est immobile 152. » « Un cerla photo : Thierry Tulasne (agent de programme, 1989-), Claude Quenault (secrétaire général
en France, 1989-1993), Madeleine Bourgeois (directrice de la programmation, 1979-) et
tain nombre de problèmes
André Maltais (secrétaire général au Québec, 1989-1991).
se posaient », ajoute André
Maltais, le secrétaire général de la section québécoise. « Il fallait que les Français paient leur transport et il fallait aussi
que le Québec augmente sa subvention 153. » C’est finalement quelques mois plus tard, en
novembre 1990, lors d’un conseil d’administration à Magog, que l’épineuse question du transport est réglée une fois pour toutes. Le fonds commun est éliminé. Chaque section paiera
ses dépenses et chacune aura une marge de manœuvre plus grande dans l’organisation de
ses activités.
Économie et formation professionnelle
Le gouvernement libéral a fait de l’économie son fer de lance et désire orienter les
relations franco-québécoises en ce sens, comme en atteste l’énoncé de politique publié en
1991 :
« Le Québec tentera de conclure des alliances avec la France en matière d’économie et
de développement scientifique et technologique, d’industrie de la culture, de la communication et de la langue, en s’appuyant notamment sur la participation élargie des divers intervenants québécois, sur un rapport intergouvernemental et institutionnel toujours plus étroit
et sur un effort de rayonnement accru 154 ».
Le mot d’ordre est donné et il ne tarde pas à se répercuter sur les activités de l’Office
franco-québécois pour la jeunesse. Surtout qu’en cette période de crise, certains se demandent, au sein du gouvernement québécois, s’il est toujours pertinent de maintenir les activités de l’organisme.
152 Ibid, p. 10
153 Entretien avec André Maltais, 26/01/01.
154 Le Monde pour horizon, le Québec et l’interdépendance, ministère des Affaires
internationales, Québec, 1991, p. 150.
68
« Ce n’est pas tout le monde
qui percevait l’importance de
l’OFQJ, raconte Ginette Pellerin.
Comme secrétaire générale je me
devais de défendre l’Office. Avant
chaque étude de crédit, il fallait
mener des batailles budgétaires.
Une année on est passé à un
cheveu de subir de très grosses
coupures budgétaires. Jusqu’à ce
que la ministre de la Culture du
Québec, Liza Frulla, récupère
l’Office sous sa gouverne et
accepte d’injecter des fonds de son
ministère. Ça nous a permis de
sauver notre mise [...].
Les ex-secrétaires généraux au Québec, à l’occasion du 25e anniversaire.
De gauche à droite : André Tétrault (1978-1985), Jean-Guy Saint-Martin
(1970-1975), Ginette Pellerin (1991-1995), Pierre Bernier (1975-1978),
Jean-Paul L’Allier (1968-1970), Alexandre Stefanescu (1985-1989) et
André Maltais (1989-1991).
Dans ce contexte-là, on ne pouvait plus faire le même type d’échanges […] c’est pour
ça qu’on a pris le virage des stages qualifiants en milieu de travail. En misant sur la formation professionnelle, ça nous permettait de justifier nos budgets » 155.
De fait, la section québécoise de l’Office multiplie à cette époque les ententes avec
les établissements d’enseignement (cégeps et universités), ce qui lui permet d’offrir de plus
en plus de stages de formation professionnelle. Du reste, cette orientation reflète les délibérations de l’Office lors d’un conseil d’administration tenu à Fécamp en 1992 :
« Après 25 ans d’activité, l’Office a acquis une très riche expérience et apparaît comme
l’élément incontournable d’une coopération franco-québécoise forte. La nécessité s’impose
aujourd’hui de définir une nouvelle dynamique afin de rendre l’Office encore plus performant et de donner à notre jeunesse de nouvelles perspectives. Les échanges de jeunes doivent
pleinement intégrer la dimension économique et favoriser leur orientation et leur formation
professionnelle 156. »
Cette nouvelle politique amène une réorganisation des différents types de stages de
l’Office. Comme l’expliquent les dirigeants de l’organisme aux membres de la commission
permanente, l’OFQJ « concentrera désormais son action de formation dans des secteurs
porteurs d’avenir prioritaire pour les deux gouvernements : communication ; culture ; droit
international ; environnement ; science et technologie, tourisme et insertion des jeunes 157. »
Ce virage correspond clairement à la politique du gouvernement libéral, comme
l’explique l’ancien ministre Guy Rivard. « Notre approche était moins traditionnelle. L’Office
avait été plus tourné vers le culturel et nous on voulait ajouter plus d’économique et de
technologique 158. »
155 Entretien avec Ginette Pellerin, 25/05/01.
156 Rapport au C.A., 39e session, Fécamp, septembre 1992, p. 1, archives de l’OFQJ.
157 Procès-verbal de la 51e session de la commission permanente, 24 novembre 1992.
158 Entretien avec Guy Rivard, 30/01/01.
69
La 38e session du C.A. en 1991 au Parlement de Québec en présence du premier
ministre, Robert Bourassa, Guy Rivard (ministre responsable au Québec, 1988-1993)
et Frédérique Bredin (ministre responsable en France, 1991-1993).
De son côté, le gouvernement français défend
l’insertion sociale des jeunes.
Cette dernière catégorie a été
maintenue à la demande de la
France, car il lui importe que
l’OFQJ ne s’intéresse pas seulement aux activités économiques. En fait, les socialistes
français sont particulièrement
préoccupés par la situation
des jeunes dans les banlieues
difficiles. En 1990, il crée un
ministère à la ville chargé,
notamment, d’étudier la question. Une nouvelle politique
verra le jour : « La jeunesse et
la ville ».
On veut donner une chance aux jeunes des quartiers défavorisés de s’ouvrir à de
nouveaux horizons. Mais comment faire pour mettre en œuvre cette nouvelle politique
gouvernementale ? Les dirigeants français ont notamment l’idée de faire appel à l’Office
franco-québécois pour la jeunesse, organisme tout indiqué pour être actif dans ce dossier.
À l’occasion de la 37e séance du conseil d’administration de l’Office, réuni le 30 mai
1991, Frédérique Bredin, la ministre française de la Jeunesse et des Sports, a demandé à
l’Office d’intensifier les actions déjà menées auprès des jeunes en démarche d’insertion, en
consentant un effort supplémentaire dans le cadre de la politique urbaine et du développement social des quartiers. L’Office va organiser, dès l’été 1991, une opération-phare intitulée
« Les jeunes et la ville ». En moins de deux mois, une dizaine de projets vont être montés en
collaboration avec la Délégation interministérielle à la ville (DIV) et la Délégation interministérielle à l’insertion des jeunes (DIJ) 159. Cent jeunes issus de différentes régions de France
vont s’envoler pour le Québec. Leurs projets sont principalement axés sur la prévention et
l’insertion professionnelle, par la rencontre et la confrontation avec de jeunes Québécois.
Rencontres sportives, productions de spectacles, théâtre, mime, danse, rap, reportages vidéo,
sont les moyens qu’ils se sont donnés pour faire de leur voyage une expérience riche en
découvertes et en enseignements. Avec le soutien de l’Office, ces jeunes travaillent activement à l’élaboration et à la réalisation de leur projet. Un petit coup de pouce, un gros coup
de cœur. L’Office souhaite encourager, chez des jeunes en situation difficile, l’esprit d’initiative, la créativité, la curiosité et la volonté d’entreprendre par le voyage et la découverte d’une
autre culture et d’autres pratiques, une vision différente de la vie, de la société et de l’avenir.
159 Entretien avec Sylvie Teveny, 29/05/01.
70
Montréal en fête
En 1992, Montréal se prépare à célébrer en grande pompe son 350e anniversaire. Que
ce soit en France ou au Québec, plusieurs comptent profiter de l’événement pour illustrer la
vitalité des relations entre les deux communautés. L’OFQJ y participera d’abord par la mise
sur pied d’un orchestre franco-québécois pour la jeunesse. Une idée qui, depuis quelques
années, trottait dans la tête de certains artisans de l’Office, puisque aucune activité n’avait
jamais été organisée avec le Conservatoire de musique de Montréal qui, à l’aube des années
1990, s’apprête à célébrer son 50e anniversaire. C’est sur cette toile de fond que deux professionnelles de l’Office, Monique Dairon Vallières et Madeleine Bourgeois se présentent au
bureau d’Albert Grenier, directeur du Conservatoire. « C’est providentiel ! j’étais justement à
la recherche d’un projet pour souligner le 50e anniversaire du Conservatoire » 160, leur lancet-il, au moment où elles expliquent leur démarche.
Assez rapidement, un partenaire français est trouvé : en l’occurrence, il s’agit du
Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Le projet se déroule en fait en trois
temps sur une période de deux ans. En 1990 d’abord, les musiciens québécois se rendent
dans la région lyonnaise pour y faire une série de concerts.
L’année suivante, un concours de composition est lancé, avec un gagnant de chaque
côté de l’Atlantique. Deux pièces musicales qui feront partie du répertoire lorsque l’orchestre
sera bel et bien formé en vue du 350e anniversaire. En juillet 1992, quarante Français débarquent au Québec pour rejoindre le même nombre de vis-à-vis québécois. Après une semaine
intense de répétitions, ils sont prêts à
entamer leur tournée de sept concerts,
sous la direction de Mark Foster et de
Raffi Armenian. Les voici bientôt à
Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke et
bien sûr Montréal où, le 14 juillet, ils
convient les Montréalais à un grand
concert à l’aréna Maurice-Richard. La
performance sera saluée par la
critique malgré la mauvaise acoustique
de la salle 161.
Toujours dans le cadre du 350e
anniversaire de Montréal, l’Office
décide d’organiser différentes manifestations à l’intention de la jeunesse. Un
concours franco-québécois sur le
thème « 350 ans de vie française en
Amérique » est organisé en partenariat
avec la fondation Lionel-Groulx, au
En 1992, à l’occasion des Fêtes du 350e anniversaire de Montréal,
l’OFQJ a développé un projet d’orchestre symphonique francoquébécois.
160 Entretien avec Monique Dairon Vallières, 10/09/01.
161 Le Devoir, 16/07/92.
71
Québec, et le ministère français de l’Éducation nationale. Il s’adresse aux élèves
des collèges et lycées de France et des
cégeps du Québec. Axé sur l’histoire de
l’Amérique française, ce concours a
suscité des actions éducatives variées qui
ont permis, en faisant progresser la
connaissance du Québec, une sensibilisation à la francophonie en Amérique
du Nord. Des jeux, des expositions de
gravures et un roman, ont été primés.
Les lauréats québécois et français se sont
vu offrir une expédition historique de
deux semaines, en France pour les
premiers, au Québec pour les seconds.
Course « RABASKAS » autour de l’île de Montréal en 1992. L’Office
Ces voyages ont permis à ces jeunes de
convie la jeunesse à parcourir les 160 kilomètres d’eau qui ceinturent
découvrir l’histoire et le patrimoine
Montréal.
culturel de chacun des deux pays. Et,
toujours à l’occasion du 350e anniversaire de la ville, les Français ont été invités à participer
au grand rallye historique et sportif organisé par l’Office autour de l’île de Montréal.
En effet, outre ce concours historique, l’organisme décide de convier la jeunesse des
deux pays à un important défi sportif : parcourir en rabaska les cent soixante kilomètres qui
ceinturent l’île de Montréal. Naviguant sur ces grands canots d’époque, à raison de quatre
Français et quatre Québécois par embarcation, il s’agit pour ces soixante-quatre jeunes de
suivre l’itinéraire fluvial des premiers voyageurs de la traite des fourrures, de ces aventuriers
qui, en brigade d’engagés, partaient à la découverte du continent pour faire le commerce
des pelleteries 162. Fait particulier, l’activité comprend des jeunes Québécois de la région de
Montréal et beaucoup de Français provenant des différents « Montréal » de France : Montréaldu-Gers, Montréal-La Cluse et Montréal de l’Aude.
À la conquête du Grand-Nord
Toutefois cette découverte épique du Québec en canot ne se limite pas aux rives de
Montréal, car avec le passage d’André Maltais à la tête de l’organisme, l’horizon de l’OFQJ
s’élargit vers le Grand-Nord. Expert dans le domaine des relations avec les Autochtones,
Maltais ne tarde pas à orienter les stagiaires hors des sentiers battus. « Tout en gardant les
activités traditionnelles, on voulait ouvrir de nouveaux horizons 163 », raconte Maltais.
« On est allé à Inukjuak dans le Grand-Nord, pour voir un peu le type d’échanges qu’on
pouvait faire avec les gens de cette région. On se disait que c’est pas parce que les
162 Dossier Rabaskas, archives de l’OFQJ.
163 Entretien avec André Maltais, 16/01/01.
72
Autochtones habitent au bout du monde qu’on ne peut pas faire d’échanges avec eux 164 »,
poursuit Claude Quenault, secrétaire général français. Dès lors l’Office multiplie ses activités
avec les Autochtones. Au cours de l’été 1991, un projet d’échanges entre de jeunes Français
et de jeunes Inuits a déjà vu le jour. Visant à sensibiliser les nations autochtones à la francophonie, il avait permis à une vingtaine de jeunes provenant de trois régions françaises (MidiPyrénées, Limousin et Champagne-Ardennes) de séjourner dans des familles d’Inukjuak et
de partager leur quotidien. À leur tour, une vingtaine de jeunes Inuits avaient été accueillis
dans des familles françaises de ces trois régions. Une expérience enrichissante et inoubliable,
des moments intenses d’émotion pour tous les participants.
L’organisme ne s’arrêtera pas en si bon chemin. D’où l’idée de participer aux activités
« Ilnu 92 » en envoyant un groupe de vingt et un jeunes (issus de milieux difficiles) de la ville
de Cesson chez des hôtes montagnais. Dans le cadre du 500e anniversaire de la découverte
de l’Amérique, « Ilnu 92 » consiste en une série d’activités qui sont organisées afin de
rapprocher Blancs et Montagnais de la région du Lac-Saint-Jean, notamment en les invitant
à un grand rallye en canot.
L’Office en profite donc pour accrocher son wagon à la locomotive du projet. Accueillis
pendant trois semaines au sein de la communauté montagnaise, les jeunes Cessonnais ont
ainsi l’occasion, eux aussi, de renouer avec le mode de transport des découvreurs. D’ailleurs,
le trajet fluvial qu’ils empruntent s’appelle la « route des fourrures ». Depuis la rivière
Metabetchouan (près du village montagnais de Mashteuiatsh) ils se rendent à Desbiens,
Chicoutimi, La Baie, Sainte-Rose-du-Nord, Cap Trinité, Anse Saint-Jean, Baie Sainte-Marguerite.
L’arrivée se fait à Tadoussac, ce qui leur donne la
chance d’aller observer les baleines 165. Les Montagnais,
quant à eux, initient leurs visiteurs européens à des
activités traditionnelles. C’est ainsi que les Français
étudient la faune et la flore, découvrent l’artisanat de
ce peuple, tout en participant à des spectacles et en
assistant à un conseil de bande.
Un phare
de la culture québécoise à Saint-Malo
Il n’y a pas que dans le Grand-Nord que l’OFQJ
organise des manifestations avec les Autochtones.
Grâce à l’organisme, des artistes amérindiens et inuits
se produisent en spectacle à la Maison du Québec à
Saint-Malo qui est devenue un lieu privilégié pour de
jeunes artistes québécois qui en sont à leurs premières
Les Inuits du nord du Québec à la Maison
du Québec à Saint-Malo en août 2000.
Démonstration de chants de gorge traditionnels.
164 Entretien avec Claude Quenault, 14/02/01.
165 Expédition Ilnu 92, archives de l’OFQJ.
73
armes. Il faut dire qu’à partir de la fin des années 1980, l’Office joue un rôle de premier plan
en ce lieu. « En 1989, Louis Cournoyer, conseiller culturel de la délégation générale du Québec
à Paris, est venu nous voir pour nous demander d’assurer une programmation d’été. La Maison
du Québec, offrait un lieu de diffusion unique pour nos artistes québécois et une magnifique vitrine pour le Québec. En conjuguant les moyens qu’offrait l’OFQJ, la délégation du
Québec avec la ville de Saint-Malo et l’Association Saint-Malo-Québec, une première programmation a été lancée l’été suivant 166. »
Et la relève artistique et musicale se manifeste sans tarder. Depuis 1990, des dizaines de
conteurs, d’artistes, de chanteurs ou de conférenciers en tout genre débarquent dans la ville
de Jacques Cartier chaque année pendant la saison estivale. Ils y viennent pour raconter une
histoire, pour faire un tour de chant, ou pour présenter un film. C’est le cas, par exemple,
d’Anne Ardouin, l’ancienne animatrice de Radio-Véronique sur le Mermoz, devenue entretemps réalisatrice de documentaires. C’est à la Maison du Québec à Saint-Malo qu’elle présente
en France son premier bébé. « En 1993, je suis retournée à Saint-Malo avec l’Office pour
présenter mon premier film, Une rivière imaginaire. On était sept jeunes appuyés par la
SODEC qui présentions un court métrage. Ça c’est tellement bien passé que certaines
personnes que j’ai rencontrées ce soir-là ont par la suite présenté mon film dans d’autres
villes. Ça a créé des liens très forts 167. »
Des liens, Anne Ardouin n’est pas la seule a en avoir créé. De nombreux artistes comme
Kevin Parent, Marie-Jo Thério, la Bande Magnétik, Daniel Boucher et bien d’autres l’ont
expérimenté. Chaque été, une vingtaine d’activités d’animation et de spectacles sont présentés
à la Maison du Québec, dans les rues ou sur des scènes de la ville, avec une palette variée
offrant de la musique traditionnelle, jazz et classique, de la chanson, du théâtre, des contes,
des animations autour des métiers d’art,
des cultures autochtones, des expositions, etc. Une large place est laissée
aussi à des projets expérimentaux d’étudiants de niveau avancé en arts d’interprétation. L’Office s’est ainsi associé au
Conservatoire d’art dramatique de
Montréal pour présenter à Saint-Malo
une opération de théâtre de rue qui est
le fruit du travail des élèves de l’atelier
de création. Les rues de la ville s’animent
de la présence de jeunes comédiens du
Québec avec une série de capsules
théâtrales. Avec une telle programmaLa saison estivale 2001 de la Maison du Québec à Saint-Malo.
tion, pas étonnant que la Maison du
La troupe de comédiens de rue La Bardasse est issue du Conservatoire
Québec soit devenue partie prenante du
d’art dramatique de Montréal.
paysage culturel de Saint-Malo.
166 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01.
167 Entretien avec Anne Ardouin, 25/02/01.
74
CHAPITRE IX :
Relance et
élargissement
Le début de l’année 1994 marque un
certain dégel au niveau des relations entre Paris
et Québec. Contrairement à son ancien chef
Robert Bourassa, le premier ministre Daniel
Johnson fils décide, lui, d’effectuer une visite
officielle à Paris, quelques semaines seulement
après son arrivée au pouvoir.
En 1994, je suis allé à Paris dans une
atmosphère de relance […] pour
préparer la visite de Jacques Parizeau.
BERNARD LANDRY, MINISTRE DES
RELATIONS INTERNATIONALES DU QUÉBEC
Mais Johnson est battu aux élections
quelques mois plus tard. C’est à son successeur
péquiste, Jacques Parizeau, que
reviendra l’essentiel de la tâche
de relancer les relations francoquébécoises. Pour cela, le
nouveau premier ministre choisit
Bernard Landry comme ministre
responsable des Relations internationales.
En ce qui a trait à la
France, Landry a une idée très
claire de ce qu’il veut. « En
novembre 1994, je suis allé à
Paris dans un climat de relance
des relations franco-québécoises
[…] les visites croisées de
premiers ministres ne se
faisaient pratiquement plus […]
ça s’était considérablement
refroidi. J’ai donc participé à
cette relance en allant à Paris
préparer la visite de Jacques
Parizeau. Et j’ai été accueilli à
bras ouverts 168. »
Attribution de mentions spéciales aux fondateurs, en 1994. Dans l’ordre :
Dominique de Combles de Nayves (consul général de France), Jean-Paul
L’Allier (premier secrétaire général au Québec, 1968-1970) et Jean-Marie
Morin (ministre québécois cofondateur, 1968-1970).
168 Entretien avec Bernard Landry, 08/06/98.
75
Améliorer l’employabilité des jeunes
Une telle attitude, on s’en doute, se répercute rapidement sur l’action de l’OFQJ. La visite
de monsieur Parizeau en janvier 1995 a porté, en
partie du moins, sur la relance de la coopération
jeunesse. L’OFQJ était au cœur des activités envisagées selon Michel Leduc, secrétaire général
québécois.
Visite au Québec du premier ministre de la République
française Alain Juppé accueilli par le premier ministre
Lucien Bouchard, les 10 et 11 juin 1996.
Celui-ci affirme que l’Office se devait de
diversifier ses interventions au service de toutes
les catégories de jeunes, étudiants et travailleurs,
et d’être ouvert à tous les types de coopération
avec la France. Pour cela, il fallait augmenter les
moyens de l’Office. Des suggestions, celui qui est
à l’époque conseiller spécial en a plusieurs. « On
s’était beaucoup occupé des étudiants, et je
pensais que l’OFQJ devait faire plus pour les
jeunes travailleurs et les jeunes en recherche
d’emploi […] En février 1995, l’Office se verra
offrir un partenariat avec la Société québécoise
de la main-d’œuvre en vue de monter un
programme s’adressant aux jeunes demandeurs
d’emploi 169. »
Jeunes travailleurs, jeunes en difficulté, il faut comprendre qu’à l’époque la crise
économique se termine à peine. Une partie de la jeunesse a été particulièrement frappée. Il
s’agit donc d’intervenir de façon ciblée en faveur de ce segment de la population. Tant en
France qu’au Québec, les deux gouvernements approuvent cette façon de voir. Comme en
témoigne la visite d’Alain Juppé, au Québec, en juin 1996. Le premier ministre français et
son vis-à-vis Lucien Bouchard profitent de cette visite pour dresser le plan de match en ce
qui concerne la jeunesse :
« À la lumière des expériences pilotes menées au cours de la dernière année, les deux
premiers ministres se sont mis d’accord pour centrer l’action de l’OFQJ sur la formation professionnelle des jeunes, afin de lutter durement contre le chômage qui les frappe. Cette démarche
permettra de souligner fortement la place d’un organisme dont la France et le Québec considèrent qu’il est l’un des instruments efficaces et adaptés de leur coopération 170 […]. »
Deux mots clés doivent ici être retenus : formation et emploi. Les deux premiers ministres
veulent que l’Office accentue son volet formation, mais qu’il le fasse surtout pour aider les
jeunes à réintégrer le marché du travail ou à retourner aux études.
169 Propos tirés de « Trentième anniversaire de l’OFQJ », document audiovisuel,
1998, archives de l’OFQJ.
170 Extrait du relevé de décision des deux premiers ministres signé par messieurs
Bouchard et Juppé, 11 juin 1996, archives du MRI.
76
Le programme « Formation et emploi »
C’est dans cette perspective qu’en 1994, à la suite d’une réunion du conseil d’administration, l’Office commence à mettre en place les bases de nouveaux stages spécialisés en
entreprise. L’année suivante, l’opération débouche sur un nouveau programme en bonne et
due forme, « Formation et emploi », qui constitue l’un des éléments de la nouvelle politique
franco-québécoise de lutte contre le chômage chez les jeunes. La nouveauté vient ici du fait
que la clientèle cible est uniquement constituée de jeunes sans emploi et de jeunes
décrocheurs. Le but du projet étant de développer chez eux leur employabilité à l’aide d’un
stage en France ou au Québec. Particularité du projet, il se fait en partenariat avec la Société
québécoise de la main d’œuvre (devenue aujourd’hui Emploi-Québec) et en France avec le
concours occasionnel des régions. Faute d’un financement institutionnel, la section française
a maintenu le programme en le finançant à l’aide de ses propres fonds.
En contrepartie, la loi québécoise interdit à un assisté social de toucher ses prestations
s’il se trouve à l’extérieur du Québec. « L’idée d’envoyer parmi ces jeunes des assistés sociaux
et des chômeurs à l’étranger dans le cadre d’un programme de formation, c’était une première,
raconte Michel Leduc. Il a fallu convaincre le gouvernement d’amender la loi. Ce n’était pas
facile, mais heureusement la ministre Louise Harel a été très efficace pour trouver une
solution 171. » Et la loi fut amendée en 1998.
De nombreux projets naissent avec le programme « Formation et emploi ». Serge Duclos,
président du Carrefour jeunesse emploi (CJE) de Charlesbourg-Chauveau, profite de l’occasion pour proposer ses idées lorsqu’il apprend l’existence de ce nouveau programme. Il faut
dire que les CJE sont des
organismes sans but lucratif,
qui ont précisément pour
objectif de favoriser l’intégration économique et sociale
des jeunes adultes. Précisons
en plus que Serge Duclos est
un ancien stagiaire de l’OFQJ.
« En 1994, j’étais allé en
France pour étudier les entreprises en insertion sociale. Ce
sont des entreprises qui
embauchent des personnes
qui font des démarches de
La 42 session du C.A. au Québec en 1995. Sur la photo, Pierre Mesmer
réinsertion en emploi. Les
(membre du C.A., ancien premier ministre de la France), Jacques Barrat (secréFrançais étaient beaucoup
taire général en France, 1993-1997), Christiane Lessard, responsable du protocole, Bernard Landry (ministre responsable au Québec, 1994-1995) et Michel
plus en avance que nous dans
Leduc (secrétaire général au Québec, 1995-).
172
ce domaine-là . »
e
171 Entretien avec Michel Leduc, 23/04/01.
172 Entretien avec Serge Duclos, 27/02/01.
77
Nommé directeur du
Carrefour emploi jeunesse de
sa région en 1996, notre
homme pose alors une
question fort simple : Pourquoi
ne pas faire bénéficier ces
jeunes d’un stage en France
dans une entreprise qui fait de
la réinsertion sociale ? L’idée lui
vient d’autant plus vite qu’il
apprend que la section
française de l’OFQJ effectue
une démarche semblable dans
le parc de la Jacques-Cartier
Un chantier de perfectionnement en ébénisterie artisanale, effectué par le
dans le cadre d’un « chantier
CFP Neufchatel (Québec) en collaboration avec l’Association Chanteloube
d’aménagement ». À l’époque,
Développement, en 2001.
de jeunes Français en réinsertion y travaillent chaque été afin d’entretenir le parc 173. L’un des responsables du programme
en France avait contacté Duclos pour avoir des conseils.
Après avoir accompli les démarches de préparation, le projet de Duclos est accepté.
L’OFQJ fournira son expertise et son financement au projet de son ancien stagiaire. C’est
ainsi qu’en juin 1997, une vingtaine de jeunes Québécois débarquent à la station balnéaire
de Bombannes, près de Bordeaux sur la côte Atlantique. « Ils faisaient des travaux pour
préparer la saison touristique, raconte Serge Duclos. En retour, ils étaient hébergés et nourris.
Leur prestation d’Emploi-Québec servait directement à financer le stage. Cela a très bien
fonctionné 174. »
Du côté français, le programme présentait des caractéristiques originales dans la mesure
où il s’adressait aussi aux primo demandeurs d’emploi, public ayant des difficultés d’accès à
des dispositifs de formation. L’objectif était de :
– réduire les périodes d’absence du marché du travail en multipliant les expériences pratiques
liées au domaine de formation ;
– stimuler la recherche active d’emploi et améliorer les facteurs de réussite en soutenant
des expériences de stages distinctes et qualifiantes ;
– encourager la mobilité géographique et professionnelle.
Les premières années de fonctionnement révèlent que la majorité des candidatures
spontanément recueillies relèvent de la formation supérieure, mais des efforts sont faits pour
accroître davantage la participation d’un public nettement moins qualifié, en particulier par
l’information auprès des missions locales, des centres de formation et des associations d’accompagnement à l’emploi.
173 Entretien avec Serge Duclos, 27/02/01.
174 Ibid.
78
Les évaluations du programme, tant internes qu’externes, démontrent toutes que le
programme atteint bien ses objectifs. L’affaire fait boule de neige. Le gouvernement fédéral
emboîte le pas et accepte que les chômeurs en bénéficient. Ottawa leur permet à leur tour
de toucher des prestations de chômage lorsqu’ils sont à l’étranger dans le cadre d’activités
d’apprentissage.
La culture : une place toujours particulière
Le programme « Formation et emploi » répond donc à des objectifs de diversification et
de renouvellement. La volonté de rajeunissement va également se faire sentir pour l’ensemble
des programmes de l’organisme.
Si la formation professionnelle accapare une bonne partie des énergies de l’Office, la
culture ne perd pas sa place pour autant. Le renouvellement touche aussi ce secteur, car il
importe que l’Office reste accessible à tous. Ce retour des choses s’applique également à la
culture. Au fil des années, les choix successifs des dirigeants de l’OFQJ ont eu comme
conséquence indirecte de reléguer la culture dans l’ombre. L’arrivée, en 1997, d’un nouveau
secrétaire général à la section de Paris a facilité le
retour de la tendance. Jacques Fauconnier tenait à
rendre à la culture la place qui lui revenait en tant
qu’un des fondements de la relation franco-québécoise.
En 1998, la nomination de Louise Beaudoin à la tête
du ministère des Relations internationales a pour effet
de renforcer cette orientation. Ancienne ministre de la
Culture et ancienne déléguée générale du Québec à
Paris, elle est sensible à cette question. D’autant plus
qu’elle est l’une des artisanes d’un projet des plus
ambitieux : le Printemps du Québec en France.
« Heureux d’un printemps »
Dans la foulée, alors que tout ce que le Québec
compte de créateurs se prépare à se lancer à la
conquête de l’Hexagone, tandis que le métro parisien
roule aux couleurs du Québec, l’Office frappe un grand
coup. Il s’agit pour l’occasion d’organiser un concours
de création étudiante, en collaboration avec
l’Association des professeurs de français du Québec.
Sous le thème « Heureux d’un printemps », titre de la
célèbre chanson de Paul Piché, la jeunesse québécoise
est invitée à présenter en images et en mots, son
En 1999, quelque 250 jeunes issus de différents
horizons ont fait leur marque lors de la première
saison du Québec à l’étranger.
79
Québec à elle, celui du quotidien
et de ses mille et une petites
choses, celui de l’ambition et du
rêve, celui de l’intemporel avec
ses paysages et ses saisons, celui
de ceux et celles qui y vivent et
qui, selon les mots fameux de
René Lévesque, « […] de cette
Amérique d’abord presque
entièrement française, ont réussi
à garder vivante cette partie
qu’on appelle le Québec 175. »
Les voici donc lancés ces
jeunes – ils sont des milliers à se
présenter au concours – avides
Des élèves en art dramatique participent au Festival Molière de Versailles,
de mots et d’esquisses, poussés
lors du Printemps du Québec en France en 1999.
par la soif de créer, désireux de
faire découvrir à la France le
Québec d’aujourd’hui. Ils ont écrit, peint, dessiné, photographié. Sous forme de poèmeaffiche ou de murale, ce sont ces mots, ces métaphores et ces images qui sillonnent le vieux
pays afin de faire connaître aux Français le Québec et les Québécois. Et qui illustrent une
nouvelle fois l’importance de la culture au sein de l’OFQJ. Le résultat surprend, le lyrisme
est au rendez-vous. Comme en témoigne l’œuvre de Kateri Lemmens de l’Université de
Sherbrooke : « Avez-vous vu vous l’espace
écartelé, de l’Amérique romane, ses îlots de
paroles et ses corps forcés, dans l’urgence de
l’instant […]. »
En 2001, le Québec accueille plusieurs artistes français
qui « décoiffent » dans le cadre de la première saison de
la France à l’étranger. Le chanteur Néry au Festival Coup
de cœur francophone.
Ce « Printemps » bien particulier aura
permis à deux cent cinquante jeunes de faire
leur marque en France dans des secteurs
aussi divers que les sciences, la culture et les
communications. Du théâtre de rue au robot
mobile en passant par la diffusion sur les
ondes radio, le volet jeunesse du « Printemps »
a montré l’image d’une génération aux multiples talents. Tournée de spectacles de chanson et de musique contemporaine, écriture
en direct, lectures publiques, cinéma, danse,
le secteur culturel portait l’étendard de la
relève artistique.
175 René Lévesque, Option Québec.
80
France au Québec - La saison
En fait, l’affaire a si bien marché que les Québécois décident d’inviter les Français chez
eux à l’automne 2001. Ce sera une grande première ! La France, habituée à recevoir des
saisons culturelles du monde entier, n’avait pas, jusqu’alors, programmé de son propre chef,
une saison française à l’étranger. Que le Québec soit le lieu de cette première expérience
demeure significatif des relations privilégiées entretenues par les deux pays. L’Office a immédiatement réagi à cette perspective. La section de Paris, en relation avec l’Association française
action artistique (l’AFAA), opérateur principal, la Direction des affaires internationales du
ministère de la Culture et de la Communication (MCC) et la Direction de la coopération
culturelle et du français du ministère des Affaires étrangères (MAE), a participé à la définition de la ligne éditoriale de ce qui allait devenir « France au Québec – la saison ». La volonté
de tous les acteurs est restée immuable : donner de la France une image renouvelée, axée
sur la jeunesse et la vitalité de ses représentants comme celle des publics auxquels elle désire
s’adresser. Acteur convaincu de la coopération culturelle pour la relève artistique, l’Office a
trouvé tout naturellement sa place dans cet événement.
Valoriser les partenariats de longue date, favoriser les rencontres entre professionnels
parallèlement aux événements, développer des projets en région, autant de lignes directrices
qui répondent aux souhaits des institutions. Huit projets sont développés par l’OFQJ, quelque
soixante-dix artistes y participent, la majorité réunit des artistes français et québécois.
Des nouveaux conteurs aux performances chorégraphiques, de la musique contemporaine à la mouvance techno, du ciné-concert électronique à la présentation de vidéastes
français, sans oublier les coups de cœur aux espoirs musicaux, l’OFQJ a choisi de présenter
un mélange explosif de disciplines,
d’époques et de tendances en émergence. Ces événements ont abordé ainsi
des sujets porteurs telle l’application des
nouvelles technologies dans la création
musicale, et ont ouvert au public des
espaces habituellement réservés à la
création, pour exposer les œuvres
d’artistes littéralement « inclassables ».
Tourné vers l’avenir
Si de tels événements sont résolument culturels, l’initiative, elle, demeure
politique. À cet égard il faut dire que
plusieurs personnes du gouvernement
La rencontre de Lionel Jospin, premier ministre de la France, Lucien
Bouchard, premier ministre du Québec et de stagiaires (1998).
81
de Lionel Jospin connaissent bien la question québécoise. C’est
le cas notamment du ministre des Affaires étrangères, Hubert
Védrine, de la ministre de la Culture, Catherine Trautmann, et
du premier ministre lui-même. Celui-ci ne tarde pas à reprendre
à son compte la tradition des visites alternées de premiers
ministres. Lors de son voyage au Québec en 1998, lui et Lucien
Bouchard profitent de l’événement pour souligner le 30e anniversaire de l’Office. Et le chef du gouvernement français réitère
ses convictions, tout en louant le travail de l’Office dans le
domaine des technologies de l’information :
France au Québec/La saison : Alain
Beaugier (directeur des échanges en
France, 1968-2000) et l’animateur
Calixte de Nigremont lors d’une
soirée spéciale OFQJ au festival
Coup de cœur francophone (automne 2001). L’OFQJ coproduisait
le spectacle Libérer le trésor,
consacré au répertoire des chansons
méconnues, interprétées par des
artistes de la jeune scène. La soirée
remporta un tel succès, qu’un CD
du spectacle a été produit.
« Ça fait longtemps que je participe à l’Office francoquébécois pour adultes (rires) et je me sens un ami du
Québec. Les stages proposés par l’OFQJ le sont dans des
secteurs d’avenir, extrêmement modernes, comme dans les
nouvelles technologies. Nous ne sommes donc pas tournés
vers le passé. Au contraire, on essaie d’affronter le monde de
demain […].
La capacité pour des hommes et des femmes de culture
francophone de se projeter sur de nouveaux médias et de
nouveaux moyens est tout à fait essentielle 176. »
« Se projeter dans l’avenir » signifie aborder de front les
questions qui sont posées aux sociétés modernes. C’est le défi
que tente de relever l’Office avec ses « universités d’été », ces
périodes de formation de quelques semaines, ayant généralement lieu durant cette saison comme leur nom l’indique. En
fait, ce concept d’université d’été qui prend le plus souvent l’allure de rencontres organisées
sur des thèmes éducatif, culturel, social et scientifique va permettre à l’Office de dynamiser
ses programmes de coopération en participant activement à la mise en place de telles rencontres sur des questions de l’heure telles que le patrimoine, le développement économique
régional, le multimédia et la ruralité.
C’est le cas en environnement par exemple. En 1990, l’Université du Québec à
Chicoutimi en collaboration avec l’OFQJ et trois régions françaises (Franche-Comté, NordPas-de-Calais et Alsace), crée une université d’été internationale sur le développement durable.
Des Français, des Québécois, ainsi que quelques Africains, Antillais et Maghrébins se joignent
au groupe. Ils sont issus de plusieurs disciplines : environnement, biologie, droit, économie,
le but de l’université d’été étant d’avoir une vision globale des problèmes. Que ce soit la
gestion du littoral boulonnais, la stratégie d’élimination des déchets de la communauté urbaine
de Lille, la gestion des forêts alpines ou le programme de stabilisation des berges du lac Saint-
176 Trentième anniversaire de l’OFQJ, document audiovisuel, 1998, archives de
l’OFQJ.
82
Jean, ils sont confrontés aux difficultés de la cohabitation de l’humain et de la nature. La
formation est très intense. « Ils travaillaient même la nuit, se souvient Pierre Gougeon, chargé
de projet à l’OFQJ, car à la fin du stage, ils devaient présenter un rapport (fait en équipe)
qui consistait en une étude de cas d’un problème particulier lié au développement durable 177. »
En 1996, l’OFQJ participe à la mise sur pied de l’Université d’été sur le patrimoine en
collaboration avec la région Poitou-Charentes, les universités de Montréal, Poitiers et La
Rochelle.
Travailler ensemble
Pour que les jeunes de France et du Québec puissent poursuivre leurs échanges, il
importe que les deux sections de l’Office travaillent main dans la main. Or, depuis que la
gestion budgétaire a été séparée les choses ne sont pas si faciles, comme l’explique le secrétaire général Michel Leduc :
« À partir du moment où l’on a mis fin à cette espèce de péréquation entre les deux
sections, chacune avait une plus grande marge de manœuvre, surtout au niveau budgétaire.
Et ça se répercute forcément sur les effectifs de stagiaires, sur le choix des projets et sur les
échanges. On a réglé un problème, mais on a accentué les risques de dérive entre chaque
section. Et ultimement ça pourrait mener de facto à une situation où il y aurait deux offices 178. »
Heureusement, nous n’en sommes pas encore là, mais plusieurs dans les cercles francoquébécois sont préoccupés tant il apparaît important que l’Office demeure un organisme
unitaire et uni. En 1997, Sylvain Simard,
alors ministre des Relations internationales du Québec, confie ouvertement
la question à Marie-Georges Buffet, la
nouvelle ministre de la Jeunesse et des
Sports.
L’arrivée d’un nouveau secrétaire
général à la section française, en la
personne de Jacques Fauconnier,
facilite la projection d’une vision
commune souhaitée de part et d’autre.
Mais une telle vision va mettre un
certain temps à apparaître. Il faut y
consacrer du temps, permettre la réflexion, insuffler la cohérence nécessaire
et tenir compte de la nouvelle donne.
La 45e session du C.A. au Québec en 1998. Michel Leduc (secrétaire général au Québec, 1995-) ; la ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin (coprésidente du C.A., 1998-);
l’ex-ministre française de la Jeunesse et des Sports, Marie-Georges
Buffet (coprésidente du C.A., 1997-2002) et Jacques Fauconnier
(secrétaire général en France, 1997-).
177 Ibid.
178 Entretien avec Michel Leduc, 28/02/01.
83
C’est-à-dire rééquilibrer les effectifs en tenant compte des jeunes travailleurs, aider les jeunes
en difficulté d’insertion, tenir compte des nouvelles technologies et ne pas laisser tomber les
étudiants qui sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide de l’Office.
De nouveaux partenaires
La réflexion porte ses fruits. Les violons s’accordent, les musiciens connaissent leur partition, l’Office attaque une nouvelle pièce. En l’occurrence il s’agit d’étendre le partenariat de
l’organisme. C’est ce qui est réalisé, par exemple, avec la création du Comité d’action politique
franco-québécois, les jeunes militants de partis politiques y trouvant aussi leur compte.
L’idée remonte à… octobre 1969. Jean-Claude Quyollet l’a lancée lors d’une réunion du
C.A. au Lac-Delage. « Ce serait intéressant pour des jeunes Français de venir suivre une
campagne électorale ici au Québec 179. » Une proposition qui a tout de suite plu au ministre
unioniste Jean-Marie Morin, pour peu qu’on tienne compte d’un certain nombre de conditions : « Personnellement je serais bien d’accord à condition que le C.A. autorise les stagiaires
à venir me prêter main-forte dans mon comté de Lévis 180. » La remarque a soulevé l’hilarité
générale. Sauf que dans le climat d’agitation, et avec les suspicions qui pèsent sur l’Office
dans certains milieux, les membres du C.A. ont préféré ne pas s’engager dans cette voie. En
tout cas pas avec des échanges de membres de partis politiques. Le conseil d’administration
a donné son accord du bout des lèvres pour que des étudiants en sciences politiques puissent
faire de tels stages. Mais Jean-Claude Quyollet croit se souvenir que le projet n’est finalement
pas allé de l’avant 181.
Néanmoins, l’idée revient sur la
table plusieurs années plus tard, au
printemps de 1994, grâce à l’initiative
de Jean-François Doray, un jeune
militant du Bloc québécois 182. Le
Comité d’action politique franco-québécois est alors formé. En 1995, il permet
à de jeunes Québécois d’assister aux
élections présidentielles françaises.
L’action citoyenne
Au nom du Comité d’action politique franco-québécois, Jean-François
Doray remet un cadeau à Jacques Chirac, au printemps de 1995, à
l’occasion des élections présidentielles.
La recherche de nouveaux partenaires amène aussi l’Office à tisser des
liens en France et au Québec avec des
organismes actifs dans les milieux
multiethniques français et québécois. À
l’initiative de l’OFQJ, du ministère des
179 Compte rendu de la 3e session du C.A., Lac-Delage, 16 et 17 octobre 1969,
p. 117-118.
180 Ibid.
181 Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01.
84
182 Entretien avec Julien Lampron, 11/01/01.
Relations avec les citoyens et de l’immigration,
d’Images interculturelles, du Conseil des
relations interculturelles, de la Fondation de la
tolérance, on crée en mars 2000, la Semaine
d’actions contre le racisme. Depuis, celle-ci est
renouvelée chaque année.
Le but consiste notamment à sensibiliser
les jeunes et les moins jeunes aux problèmes
du racisme et de l’intolérance. L’Office s’engage
à faire participer une importante délégation
française aux activités de la semaine. De
nombreuses activités figurent au programme.
D’abord en 2000, une conférence internaLa ministre québécoise des Affaires municipales et de
tionale avec la participation de Québécois, de
la Métropole, Louise Harel, joint sa voix à celles de
Français et de Belges, ainsi qu’un festival de
créateurs français pour dire « Non au racisme ».
films contre la discrimination qui est présenté
(Semaine d'actions contre le racisme, 2000).
à la Cinémathèque québécoise. Sont invités de
jeunes réalisateurs français tels que Fabrice Genestal, réalisateur de la Squale portant sur le
problème du racisme et de l’intolérance chez les jeunes d’une banlieue française.
Le volet cinématographique se double d’un volet production pour des étudiants en
cinéma. Puisque chacune des dix équipes françaises, québécoises et belges s’aventure caméra
au poing avec le mandat de réaliser de courtes capsules cinéma à partir de thèmes d’improvisation explorant « la ville, lieu d’inclusion,
lieu d’exclusion ». Les équipes ont une
journée pour effectuer un repérage des lieux
et une autre pour le tournage, le tout
encadré par le Département de cinéma du
Cégep Ahuntsic. La présentation des œuvres
a finalement lieu lors d’une soirée en
présence de deux cents invités.
PlaNet en couleurs :
la coopération à distance
Les nouvelles technologies sont mises
à contribution pour l’événement, et ce, d’une
façon insoupçonnée. Qui aurait dit que, dans
les premières années de l’Office, quelque
trente ans plus tard, des activités entre le
Semaine d’actions contre le racisme, activité « Des mots
pour le dire », 2001. Sur la photo : un jeune rappeur dans
le métro de Montréal.
85
Québec et la France seraient générées et produites ensemble à plus de six mille kilomètres
de distance. C’est ce dont témoigne l’activité PlaNet en couleurs qui inaugure une nouvelle
dimension à l’intérieur de la coopération : celle d’Internet. Objectif : réaliser à distance les
éléments d’un site visant à sensibiliser le public contre le racisme. Qui plus est, ce site est
réalisé par de jeunes décrocheurs dans le contexte d’un projet d’insertion professionnelle
dont l’encadrement est assuré par un programme d’intégration pour les jeunes Québécois
nommé CyberCap et le Conseil des relations interculturelles du Québec. Les équipes ont
travaillé à distance et se sont retrouvées au Québec pour finaliser leurs productions et assister
par la suite au dévoilement des résultats à l’hôtel de ville de Montréal en présence de
nombreux dignitaires et de tous les partenaires de la Semaine d’actions contre le racisme.
Se tourner vers les pays tiers
L’idée d’étendre le champ des activités de l’Office n’est pas nouvelle. Elle a été discutée
à de très nombreuses reprises au conseil d’administration de l’OFQJ et à la commission permanente, que ce soit en atelier, en comité restreint, autour d’un repas, au sein d’une commission, entre les ministres et les sous-ministres, entre Pierre, Jean, Jacques et tutti quanti.
Autant de palabres qui n’ont jamais abouti. Le Québec craignant chaque fois de voir sa
relation avec la France perdre de son caractère privilégié en se diluant dans un ensemble
plus grand.
Il y eut quand même de petites exceptions. En 1971, par exemple, à la demande de
l’Agence de coopération culturelle et
technique, l’OFQJ accepte de créer un comité
ad hoc qui va s’occuper de l’accueil de
Louisianais et d’Africains en stage au
Québec 183. En 1990, il y a eu l’accueil de
Roumains. On compte également un projet
où des sculpteurs ont été échangés au cours
d’un stage qui s’est fait en collaboration avec
l’Office franco-allemand pour la jeunesse. De
même, un protocole d’entente existe entre
l’OFQJ et les services de coopération du
canton du Jura en Suisse, qui permet des
échanges de stagiaires dans le cadre du
programme « Formation et emploi ».
L’action de l’OFQJ, d’abord ouverte aux départements et
territoires français d’outre-mer, s’est ensuite élargie aux
pays tiers. Fouilles archéologiques en Guyane en 2001.
Pour intéressants et prometteurs qu’aient
été tous ces projets, ils demeurent néanmoins
des épiphénomènes. À l’Office, l’idée d’une
183 Compte rendu de la 4e session du C.A., Jonquière, 3 et 4 juin 1971, p. 3,
archives de l’OFQJ.
86
coopération franco-québécoise tournée vers
d’autres pays est restée très longtemps un vaste
champ en friche, jusqu’à l’arrivée en poste de
Michel Leduc en 1995 et de Jacques Fauconnier
en 1997.
« Ça faisait longtemps que le Québec était
réticent à cette idée, explique Jacques
Fauconnier. Mais après beaucoup d’hésitations,
le fruit était mûr. Il faut bien comprendre
qu’après tant d’années de coopération, la
France et le Québec se sont redécouverts.
Comme cet objectif a été atteint, il faut
maintenant positionner la coopération francoquébécoise dans la mondialisation 184. »
Cette convergence des points de vue
amène la France et le Québec à modifier le
protocole de 1968. Il est amendé afin d’officialiser le fait que des activités puissent avoir
lieu avec des pays tiers.
Une expérience « édifiante » : Français, Québécois et
Ivoiriens ont construit ensemble la Maison de l'Apprenti
à Grand Bassam en Côte d'Ivoire, ouvrant ainsi la voie
à une coopération dynamique entre plusieurs centres de
formation professionnelle. Les participants ont la chance
de mettre leurs acquis en pratique et d'apprendre de
nouvelles techniques. (Grand Bassam, 2000)
La Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays à bénéficier de cette nouvelle ouverture. En
1999, un accord est signé à Nîmes entre Marie-Georges Buffet pour la France, Louise Beaudoin
pour le Québec et Simone Tchinah pour la Côte d’Ivoire. L’accord prévoit la construction
d’un centre de formation et d’apprentissage pour les apprentis à Grand-Bassam, une ville
située à quarante kilomètres d’Abidjan 185. Pour ce faire, des étudiants du Centre pour la
formation professionnelle de Longueuil se rendent en Côte d’Ivoire donner un coup de main
aux Ivoiriens. Cette démarche sera imitée par des étudiants français issus de différents centres
de formation pour apprentis du bâtiment.
Ce projet est intéressant à plus d’un titre. D’une part, il permet à de jeunes apprentis
de participer à des actions de coopération internationale. C’est un public ciblé qui en est
pour l’essentiel exclu et cette action renforce la volonté de l’Office de toucher toutes les
catégories socio-économiques constituant la jeunesse.
Les jeunes apprentis concernés ont vécu une expérience interculturelle tout à fait inédite
et ont acquis des compétences complémentaires à leur formation initiale. Pour ce qui est des
formateurs, ils ont pu s’enrichir par la diversité des approches pédagogiques propre à chaque
pays et échanger sur le concept de formation en alternance, vécu très différemment en Côte
d’Ivoire, au Québec et en France.
Une des premières retombées pérennes de ce projet réside dans la perspective d’ouvrir
à Abidjan des sections de charpenterie dans des établissements de formation et une option
184 Entretien avec Jacques Fauconnier, 29/09/00.
185 Magazine France-Québec, hiver 1999-2000. p. 59.
87
« brique de terre comprimée » dans les
cursus proposés par l’école Pierre-Dupuy
à Longueuil.
Une entente est conclue avec les francophones
hors Québec, signe que l’Office entre de plainpied dans l’espace francophone.
Un autre projet est mis en place avec
l’Algérie, organisé par l’Office et la
Fédération internationale des journalistes.
Trois jeunes journalistes algériennes sont accueillies au Québec pour suivre une formation
à l’Université Laval, dans le cadre d’un programme en journalisme international. Cette formation en terre québécoise est complétée ensuite par des stages en France.
Ouverture sur la francophonie
Il n’y a pas qu’au niveau bilatéral que l’OFQJ se positionne vers de nouveaux horizons.
Une entente est conclue avec les francophones hors Québec, signe que l’Office entre de
plain-pied dans l’espace francophone. Ainsi chaque année, depuis 1995, de jeunes francophones de Sudbury, de Moncton ou de l’Alberta participent aux activités de l’Office. Celuici tisse d’ailleurs des liens du côté de l’AIF (l’Agence internationale de la francophonie).
Surtout quand, en 1999, le Sommet de Moncton décide de faire de la jeunesse le thème central
de ses délibérations et de créer au sein de l’Agence internationale de la francophonie un
programme de mobilité jeunesse à l’échelle de la francophonie auquel va collaborer l’OFQJ.
« Je pense vraiment que ce programme est porteur, déclare Jacques Fauconnier. Et je
crois même qu’on pourrait étendre ce genre de coopération à des programmes jeunesse de
l’ONU et de l’Union européenne.
C’est comme ça qu’on arrivera à
positionner l’Office dans le nouveau
contexte de mondialisation 186. »
L’OFQJ embrasse de nouveaux horizons avec l’émergence de projets
qui réunissent des jeunes de plusieurs pays francophones autour de
thématiques universelles. En 2002 à Marly-le-Roi en région parisienne,
soixante-dix jeunes de différents pays ont participé à Fragments du
monde, un vaste projet sur le métissage culturel.
186 Ibid.
88
Ce contexte favorise l’émergence de projets d’un type nouveau
qui réunissent des jeunes de divers
pays autour de thématiques universelles telles que l’économie, l’environnement, la citoyenneté et l’interculturalité. Des projets qui donnent
lieu à la création de réseaux internationaux grâce à l’appropriation
des nouvelles technologies de la
communication. De nouveaux défis
à relever, une histoire à suivre.
CONCLUSION
Tout le long de son existence, l’Office aura connu plusieurs périodes de développement, chacune avec ses particularités. Dans sa première mouture, la vie de l’organisme a été
caractérisée par des échanges de découverte. Pour être plus exact, on parle de « redécouverte ». La France et le Québec avaient été si longtemps éloignés qu’il fallait en quelque sorte
repartir à zéro. De 1968 jusqu’au début des années 1980, le dynamisme prévaut. Les stages
se font en groupes de vingt à quarante jeunes et, même si l’accent est parfois mis sur la
langue ou l’économie, la dimension formation demeure relativement limitée.
Mais peu à peu l’Office se spécialise. Québécois et Français se connaissent mieux. Les
stagiaires ont des demandes de plus en plus pointues. Ils ne veulent plus seulement savoir
ce qui se fait en France ou au Québec dans leur domaine. Ils désirent réaliser des projets,
acquérir des habiletés, faire des stages plus longs, se former, etc. L’OFQJ réagit en mettant
de l’avant des stages individuels.
Or, cette évolution ne veut pas dire pour autant que l’Office se retire complètement de
la conceptualisation des activités, comme elle le faisait avec les stages de groupes. À compter
de 1984, l’OFQJ organise de nombreux projets spéciaux qui correspondent souvent à des
temps forts de l’actualité. L’âge d’or de cette période commence avec le voyage « Cap sur
l’avenir », et se poursuit jusqu’au début des années 1990, avec la participation de l’OFQJ aux
fêtes du 350e anniversaire de Montréal. Une vitalité qui s’est poursuivie avec le « Printemps
du Québec en France » et avec « France au Québec – la saison », et bientôt sûrement avec
de nouveaux projets. Une participation qui apporte aux différents événements une touche
de jeunesse et d’originalité.
À l’ère des grands projets succède celle, toute récente, de l’ouverture vers les pays tiers,
des rencontres portant sur des questions citoyennes, le patrimoine, les nouvelles technologies, le développement local et l’employabilité des jeunes.
Si d’une période à l’autre les types d’activités varient, l’action de l’Office évolue également selon l’intérêt que les gouvernements y portent. En France, la période de Gaulle –
Pompidou correspond à un intérêt très marqué de la droite française. Pour le général et son
immédiat successeur, les relations avec le Québec sont prioritaires.
Cette tendance ne sera pas la même sous Giscard d’Estaing. Ayant vécu au Québec à
la fin des années 1940, celui-ci conserve de la Belle Province une image mitigée. Mais quand
le Parti québécois est élu en 1976, le président centriste prend la mesure de l’événement. Il
décide d’enfourcher à son tour le cheval des relations franco-québécoises. Ce qui se traduit
par une nette revalorisation de l’OFQJ.
89
Toutefois la plus grande surprise vient certainement de la gauche. Mitterrand n’avait
jamais été un chaud partisan des relations franco-québécoises. Pourtant, l’OFQJ va connaître
sous sa gouverne un élargissement de ses activités. Grâce à ses stages, l’Office devient non
plus un instrument de rapprochement entre le Québec et la France mais plutôt un moyen
de lutter contre l’exclusion et le chômage chez les jeunes. Un phénomène qui se poursuivra
en 1997 lorsque la gauche reviendra au pouvoir.
À l’instar de la France, personne au Québec n’a remis en question la pertinence de
l’OFQJ. Daniel Johnson père en avait fait un instrument privilégié de sa politique d’ouverture. Robert Bourassa voulait que l’OFQJ serve de relais à sa politique linguistique. René
Lévesque accordait une importance capitale aux relations avec la France. Même à son retour
au pouvoir, Robert Bourassa a renoncé à sabrer dans les crédits de l’OFQJ, en dépit du fait
que les relations franco-québécoises traversaient une période difficile. En 1994, la droite
française avait une nouvelle fois réagi favorablement au désir du Parti québécois d’intensifier les relations franco-québécoises, notamment en incitant l’Office à s’occuper de formation professionnelle.
Que ce soit en France ou au Québec, les thèmes et les clientèles prioritaires ont varié
d’un gouvernement à l’autre. De la droite vers la gauche, du PQ au PLQ, on a, en fait, assisté
à plusieurs mouvements de balancier. Au début des années 1970, la clientèle visée était
surtout composée de jeunes travailleurs, comme le voulait le ministre Jean-Paul L’Allier. Les
Français eux misaient davantage sur de jeunes leaders. Dans la seconde moitié des années
1970, la clientèle a vieilli et les relations économiques sont devenues le leitmotiv de l’Office.
Jusqu’à l’arrivée de la gauche qui a mis, à son tour, l’accent sur les jeunes travailleurs.
À l’évidence, d’un parti à l’autre et à l’intérieur même des partis, les orientations varient
et l’Office est confronté à ces variations. On semble quelquefois revenir à ce qui s’était fait
dans le passé, mais les choses demeurent plus complexes. L’accumulation de 35 ans d’expérience collective, et qui plus est interculturelle, a permis à l’Office de développer une compétence en ingénierie de projets et en accompagnement de la formation à l’international qui le
place au meilleur niveau des organismes internationaux qui participent à la mobilisation des
jeunes.
Attaché à sa mission auprès de la jeunesse, l’Office demeure cependant au centre de
l’actualité et des priorités franco-québécoises.
Organisme bigouvernemental, il s’est malgré tout voulu dès le départ une incarnation
d’une jeunesse aux multiples visages à l’image d’une génération désireuse de vivre une expérience à l’étranger seule ou en groupe par l’entremise d’une activité regroupée ou d’un stage
en entreprise. L’Office franco-québécois pour la jeunesse devait être tout, sauf répétitif et
routinier. Si cet état d’esprit a été inégalement maintenu au fil des années, l’idéal lui, est resté
intact et les compétences se sont développées et élargies.
Au cœur de la mission de l’OFQJ, la jeunesse continue d’inspirer ses artisans.
90
BIBLIOGRAPHIE
SOURCES PRIMAIRES
SOURCES SECONDAIRES
Archives
Monographies
Archives des conseils d’administration de l’OFQJ
Archives des stages de l’OFQJ
Archives présidentielles : Fonds AN-5 AG 2/1021 ; AN-5
AG 4/11 469
Archives du ministère des Relations internationales du Québec
• Dale Thomson, de Gaulle et le Québec, Montréal,
Éditions du Trécarré.
• Jean Lacouture, de Gaulle, le Souverain, Paris, Seuil,
octobre 1986, tome III.
Journaux et revues
Mémoires et témoignages écrits
• Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en
matière linguistique, Québec, Presses de l’Université Laval,
1997.
• Valéry Giscard d’Estaing, Je me souviens du Québec d’antan,
Québec Match, numéro spécial, 1989, p. 36-37.
• François Flohic, Souvenirs d’outre de Gaulle, Paris, Plon, 1979.
• Jacques Foccart, Le journal de l’Élysée, « Tous les soirs avec
de Gaulle », Paris, Fayard/Jeune-Afrique, 1997, tome 1.
• Georges-Émile Lapalme, Le paradis du pouvoir, mémoires,
Ottawa, Leméac, 1973.
• Pierre-Louis Mallen, Vive le Québec libre, Paris, éditions Plon,
1978.
• Claude Morin, L’art de l’impossible, Montréal, Boréal, 1987.
• Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, éditions Fayard, 2000,
tome III.
Entretiens
Anne Ardouin
Alain Beaugier
Éric Bédard
Madeleine Bourgeois
Daniel Camp
Claude Charron
Alain et Martine Chevillard
Anne Cublier
Monique Dairon Vallières
Serge Duclos
François Duffar
Jacques Fauconnier
Suzie Harvey
Jean-Paul L’Allier
Julien Lampron
Michel Leduc
André Maltais
Ginette Pellerin
Nathalie Prud’homme
Claude Quenault
Jean-Claude Quyollet
Guy Rivard
Maurice Segall
Alexandre Stefanescu
André Tétrault
Sylvie Teveny
Thierry Tulasne
Gilles Villemure
92
L’Action
Le Devoir
Flambeau de l’Est
Le Monde
Montréal Matin
La Presse
Revue France-Québec
Le Soleil
Articles de périodiques
• Donald Baker, « Quebec on French minds », Queen’s
Quarterly, vol. 85, no 2, été 1978.
• Maurice Croisat, « Le Québec, de Gaulle et l’opinion
publique française », juillet et août 1967, 21 p., in : QuebecFrance and the US : two special relationships, Center for
European Studies, City University of New York, Workshop
conference, 20 et 21 novembre 1986, New York.
• Jean-Louis Élie, Vive le Québec libre et ses répercussions
sur la presse française, mémoire dirigé par P. Guiral, I.E.P.
Aix-en-Provence, 1974.
• Nicolas Dimic, Les relations franco-canadiennes sous
la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dirigé par
Alfred Grosser, I.E.P. Paris, 1985.
• Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988.
SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX ET MINISTRES
SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX
MINISTRES FRANÇAIS ET QUÉBÉCOIS COPRÉSIDENTS DE L’OFQJ
QUÉBÉCOIS
QUÉBÉCOIS
FRANÇAIS
Ministre délégué à la Jeunesse,
Loisirs et Sports
Ministres de la Jeunesse
et des Sports
Jean-Marie Morin
François Missoffe
Joseph Comiti
Paul Dijoud
Pierre Mazeaud
Jean-Pierre Soisson
Edwige Avice
Alain Calmat
Jean-Paul L’Allier
Jean-Guy Saint-Martin
Pierre Bernier
André Tétrault
Alexandre Stéfanescu
André Maltais
Ginette Pellerin
Michel Leduc
1968-1970
1970-1975
1975-1978
1978-1985
1985-1989
1989-1991
1991-1995
1995-
Ministre des Communications
Jean-Paul L’Allier
1970-1976
Haut-Commissariat à la jeunesse
et aux sports
FRANÇAIS
Jean-Claude Quyollet
Francis Jacquemont
Dominique Bussereau
Anne Cublier
Claude Quenault
Jacques Barrat
Jacques Fauconnier
1968-1970
1968-1974
1975-1978
1979-1982
1982-1988
1989-1993
1993-1997
1997-2003
Claude Charron
1976-1982
Ministre des Affaires
intergouvernementales
Jacques-Yvan Morin
1982-1983
Ministres Loisirs, Chasse et Pêche
Guy Chevrette
Jacques Brassard
Yvon Picotte
1983-1984
19841984-1985
Ministre des Relations
internationales
Gil Rémillard
1985-1986
Ministre délégué aux petites
et moyennes entreprises
André Vallerand
1986-1988
1968-1969
1969-1972
1972-1976
1976-1978
1978-1981
1981-1984
1984-1986
Secrétaires d’État délégués
à la Jeunesse et aux Sports
Christian Bergelin
Roger Bambuck
1986-1988
1988-1991
Ministres de la Jeunesse
et des Sports
Frédérique Bredin
Michèle Alliot-Marie
Guy Drut
Marie-Georges Buffet
1991-1993
1993-1995
1995-1997
1997-2002
Ministre de la Jeunesse,
de l’Éducation nationale
et de la Recherche
Luc Ferry
2002-
Ministre des Affaires internationales
Paul Gobeil
1988-1989
Ministre des Affaires internationales
et responable de la Francophonie
Guy Rivard
1989-1994
Ministre de la Culture et des
Communications et Ministre
responable de la Francophonie
Liza Frulla
1994-
Vice-premier ministre,
Ministre des Affaires internationales,
de l’Immigration
et des Communautés culturelles,
Ministre responsable
de la Francophonie
Bernard Landry
1994-1996
Ministre des Relations
internationales et responsable
de la Francophonie
Sylvain Simard
Louise Beaudoin
1996-1998
1998-
93
CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES
Couverture avant
• Jules Rochon/Archives nationales du Québec à Québec : de Gaulle sur le chemin du Roy ;
• Pierre Dilighen : La Trâlée du Joual vert.
Couverture arrière (dans le sens des aiguilles d’une montre)
• Mermoz : Archives OFQJ-Québec
• Chantier en Côte d’Ivoire : Archives OFQJ-Québec
• Pré-salés : Matthieu Clotteau et Jacques DeBlois, Archives OFQJ
• Chez les Inuits : Archives OFQJ (1990)
• Vêpres de la Vierge : Archives OFQJ (1986)
• Sports nautiques : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de la Culture
et des Communications
• Jacques Chirac et Jean-François Doray : CAP FQ/Archives OFQJ (1995)
• La troupe de La Bardasse à Saint-Malo : Archives OFQJ (2001)
• Stage de haute couture, Louis Camperau et Yves Saint-Laurent : Archives OFQJ (1999)
• On plante un arbre en commémoration de la Révolution française, Palais de la Civilisation de Montréal :
Archives OFQJ (1989)
• De Gaulle sur le Chemin du Roy, Jules Rochon : Archives nationales du Québec à Québec
Intérieur
• pp. : 13-17-29-30-32-33-48-54-59-60-64-65-66-67-68-71-72-73-74-77-78-80-81-83-84-86 : Archives OFQJ - Québec
• pp. 8-9 : Photos officielles, cabinet du ministre de la Jeunesse, de l’Éucation nationale et de la Recherche
(France) ; cabinet de la ministre des Relations internationales (Québec)
• p. 12 : Jules Rochon/Archives nationales du Québec à Québec : De Gaulle sur le chemin du Roy
• p. 18 : Patricia Lefebvre : Exposition Mémoires montagnaises (1993)
• p. 23 : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de la Culture
et des Communications
• p. 24 : Office du film du Québec (63-2736)
• p. 36 : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de la Culture
et des Communications
• pp. 46-51 : Archives André Tétrault
• p. 57 : Photothèque La Presse
• p. 63 : Jocelyn Moffat
• p. 69 : Daniel Lessard/Ministère des Communications du Québec
• p. 70 : Bernard Vallée/Ministère des Communications du Québec
• p. 75 : Louise Leblanc
• p. 76 : Bureau du protocole du gouvernement du Québec
• p. 79 : Affiche de Janice Nadeau, Concours Heureux d’un Printemps (1999)
• pp. 80 (bas)-82 : Jean-François Leblanc
• p. 85 : Sophie D’Ayron
• p. 87 : Madeleine Bourgeois/OFQJ
• p. 88 : Fragments du monde
95
Achevé d'imprimer
sur les presses de l'imprimerie Solisco
en février 2003