une histoire de l`Office franco-québécois pour la jeunesse
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une histoire de l`Office franco-québécois pour la jeunesse
Un pont pour la jeunesse Une histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse Un pont pour la jeunesse Une histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse Recherche et entretiens Frédéric Bastien Rédaction : Frédéric Bastien sous la direction éditoriale de l’Office franco-québécois pour la jeunesse Un pont pour la jeunesse Une histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse Une publication de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) En collaboration avec Groupe Beauchemin, éditeur ltée Office franco-québécois pour la jeunesse Rédaction : Frédéric Bastien sous la direction éditoriale de l’OFQJ Chargé de projet : Michel Leduc assisté de Sophie Boissonneault et de Chantale Morin Recherche iconographique : Chantale Morin et Michel Lagacé Groupe Beauchemin, éditeur ltée Supervision éditoriale : Corinne Audinet-Dumont Production : Michel-Carl Perron Révision linguistique : Marie-Josée Guy Correction d’épreuves : Viviane Deraspe Couverture, conception graphique et réalisation : Communication visuelle Bizier & Bouchard Impression : Solisco © 2003 Office franco-québécois pour la jeunesse Section du Québec : 11, boul. René-Lévesque Est, bureau 100 Montréal (Québec) H2X 3Z6 Adresse URL : www.ofqj.gouv.qc.ca Courrier électronique : [email protected] Sans frais au Québec : 1 800 465-4255 Télécopieur : (514) 873-0067 © 2003 Section de France : 11, Passage de l’Aqueduc 93 200 Saint-Denis France Adresse URL : www.ofqj.org Téléphone : 01-49-33-28-50 Télécopieur : 01-49-33-28-88 Groupe Beauchemin, éditeur ltée 3281,avenue Jean-Béraud Laval (Québec) H7T 2L2 Téléphone : (514) 334-5912 Sans frais : 1-800 361-4504 Télécopieur : (450) 688-6269 www.beaucheminediteur.com Dans ce document, nous avons utilisé le masculin pour désigner aussi bien les femmes que les hommes, sans discrimination et aux seules fins d’alléger la lecture. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction, sous quelque forme que ce soit, en partie ou en totalité, sont réservés pour tous les pays. Entre autres, la reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, tant électronique que mécanique, en particulier par photocopie, par numérisation et par microfilm, est interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Dépôt légal : 1er trimestre 2003 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada ISBN 2-7616-1578-6 Imprimé au Canada 12345 07 06 05 04 03 Le photocopillage entraîne une baisse des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer par des professionnels est menacée. À PROPOS DE L’AUTEUR Né à Montréal au Québec, Frédéric Bastien a obtenu un doctorat en relations internationales de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève. Parallèlement à ses études, il a occupé le poste de coordonnateur des nouvelles pour l’Eurovision tout en étant journaliste pour Radio-Canada depuis l’Europe. Il enseigne actuellement au département de Relations internationales de l’Université du Québec à Montréal. Il collabore également à diverses publications, dont La Presse, Études internationales, Relations internationales et Vélo-Mag. Spécialiste en relations internationales avec un intérêt marqué pour la coopération franco-québécoise, Frédéric Bastien est également l’auteur de l’ouvrage Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle paru aux Éditions du Boréal en 1999. 6 « Un organisme comme l’Office franco-québécois pour la jeunesse est condamné par le mouvement qu’il a créé, par les succès qu’il a enregistrés, par les espoirs qu’il a fait naître, à toujours avancer, à toujours progresser, à toujours inventer. » JOSEPH COMITI, MINISTRE DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS, 3 JUIN 1973 L’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) a contribué utilement, au cours de ses trente-cinq années d’histoire, à faire vivre ce qui constitue sans doute le cœur de la communauté francophone. Il est bon que des jeunes gens, profitant du fait qu’ils aient en partage la langue, soient incités à sortir de chez eux afin de découvrir sur un autre continent une approche nécessairement différente de la vie moderne. Ce genre d’expérience permet d’acquérir une distance critique sur soi-même qui ne peut que favoriser le progrès professionnel et humain. L’Office, et c’est une excellente chose, ne s’en est pas tenu à l’entretien des liens d’ordre culturel : grâce à son dynamisme, la palette des échanges s’est étendue aux activités économiques, aux parcours d’insertion sociale, ou encore à la coopération universitaire. En élargissant ainsi son champ d’intervention, il est parvenu à toucher un public pour lequel l’idée même de mobilité n’allait pas forcément de soi. Ce rôle d’accompagnement et d’expérimentation dans le domaine des échanges de jeunes méritait d’être mis en relief, ce que fait heureusement l’ouvrage Un pont pour la jeunesse. Que tous ceux qui concourent au succès de l’OFQJ trouvent ici l’expression de ma reconnaissance. Luc FERRY Ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche Il aura fallu l’Office franco-québécois pour la jeunesse afin de rebâtir les ponts entre deux nations, aux liens naturels trop longtemps endigués. C’est la Révolution tranquille, doublée de la volonté politique gaullienne, qui ont fait mûrir les fruits de l’amitié, des complicités, des destins entrecroisés. Dont l’un des plus riches est sans contredit l’OFQJ. Aujourd’hui, nous célébrons avec fierté ses 35 ans ! De tels succès sont le résultat d’une vision claire, concrétisée par un travail acharné. Plusieurs des propositions contenues dans les accords Johnson-Peyrefitte, le texte fondateur de la coopération entre la France et le Québec, ont été concrétisées. Nommément, l’OFQJ. Trentre-cinq ans plus tard, la richesse de notre relation, sa profondeur, se voient dans les domaines des plus divers. Des dizaines de visites ministérielles, soixante ententes bilatérales, la commission permanente de coopération, des centaines d’entreprises dont les investissements créent de part et d’autre des milliers d’emplois, des relations interparlementaires soutenues, cent trente jumelages de villes. Et bien sûr, l’OFQJ et ses cent mille participants. L’impact d’une expérience sur un jeune via l’OFQJ est, dans l’immense majorité des cas, positif. Mais au-delà de la myriade de cas particuliers, cette institution a un impact sur la société dans son ensemble. L’OFQJ, en définitive, est plus que la somme de ses parties. Car les rapports interpersonnels, de par leurs effets multiplicateurs, surtout lorsqu’ils sont forgés à un âge si fécond, demeurent le ciment même des relations qui unissent les nations. Cette dimension est vitale. Si nous, Québécois et Français, ne pouvons rien à la dérive des continents – qui nous éloigne imperceptiblement mais inexorablement l’un de l’autre – nous pouvons, par contre, par des politiques avisées, empêcher nos sociétés de suivre la même tangente. L’OFQJ, c’est l’une de ces politiques. C’est l’avenir de la relation franco-québécoise. Louise BEAUDOIN Ministre d’État aux Relations internationales et Responsable de la Francophonie 10 SOMMAIRE Introduction : Naître avec l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Chapitre I : Une course à obstacles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Chapitre II : Inventer un outil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Chapitre III : Dans la tourmente linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Chapitre IV : Vivre du nouveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Chapitre V : S’adapter pour progresser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Chapitre VI : L’heure des grandes manœuvres . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Chapitre VII : L’ère des grands projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Chapitre VIII : Ajustements et nouveaux horizons . . . . . . . . . . . . . . . 67 Chapitre IX : Relance et élargissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Secrétaires généraux et Ministres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Crédits iconographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 11 C'est au cours du voyage historique du président de Gaulle au Québec en 1967, sous les clameurs de la foule qui se presse tout au long du chemin du Roy, que naît l'idée de créer l'Office franco-québécois pour la jeunesse. Le général, qui soumet l'idée au premier ministre Daniel Johnson, souhaite ainsi « rebâtir les ponts entre le Québec et la France » en favorisant le rapprochement des jeunes. 12 INTRODUCTION : Naître avec L’histoire de l’Office franco-québécois pour la jeunesse est indissociable du contexte enfiévré des années 1960 qui portait la France et le Québec vers le changement et la redécouverte. Ces circonstances historiques ont eu un tel impact sur les relations francoquébécoises (et sur l’OFQJ) qu’elles méritent d’être rappelées. l’histoire [...] vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires… qui, un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider la France. CHARLES DE GAULLE Le 22 juin 1960, le Parti libéral prenait le pouvoir au Québec, conduit par des slogans restés fameux : « Maître chez-nous » et « Maintenant ou jamais ». Le nouveau premier ministre, Jean Lesage, ne demande pas mieux que de coopérer avec la France pour réussir les réformes proposées dans son programme électoral. Ce qui l’amène, dès 1961, à ouvrir à Paris une « maison du Québec », qui deviendra ensuite la délégation générale du Québec. Trois ans plus tard, les premiers accords de coopération franco-québécoise sont signés. La convergence des volontés entre les deux sociétés ne fait que commencer car, comme le note le général de Gaulle devant Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation nationale : « Les Français du Canada sont en danger pour leur identité, nous devons leur venir en aide. » Et le ministre Louis Joxe ajoute à propos de son patron : « Sa grande pensée est Signature du protocole fondant l’OFQJ le 9 février 1968. De la France, le ministre de la de réveiller le fait français dans Jeunesse et des Sports, François Misoffe (1968-1969) assis aux côtés de Jean-Marie Morin, le monde pour faire équilibre ministre québécois de la Jeunesse, des Loisirs et des Sports (1968-1970). aux Anglo-Saxons 1. » 1 Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, éditions Fayard, 2000, tome III, p. 304, 317. 13 C’est dans cette perspective que s’amorcent les préparatifs du voyage du général de Gaulle au Québec, en 1967, dans le cadre de l’Exposition universelle de Montréal. Si le général accepte finalement d’aller dans « cette foire 2 », ce n’est qu’après que son « ami Johnson, devenu premier ministre en 1966 3 », lui ait fait part de l’attente des Québécois. Les propos de Daniel Johnson convainquent de Gaulle qui, en stratège attentif aux circonstances, décide finalement de se rendre au Québec pour aider le Canada français à s’émanciper. « On va m’entendre là-bas », lance-t-il au député Xavier Deniau, venu le saluer alors qu’il s’embarque sur le Colbert pour traverser l’Atlantique 4. Ce voyage en bateau ne sera pas sans conséquence dans l’histoire de l’OFQJ. De Gaulle arrive à Québec le 23 juillet 1967 et il rejoint Montréal le 24 juillet. Dès le moment où il met le pied à l’Anse-aux-Foulons, le vent de l’histoire commence à souffler sur la vallée du SaintLaurent. Dans peu de temps, c’est à l’échelle mondiale qu’on va parler de ce coin d’Amérique. De Gaulle à Johnson : « Pourquoi ne pas faire un office pour la jeunesse ? » Parmi ceux chargés de l’accueil du général se trouve un personnage appelé à jouer un rôle important dans les annales de l’OFQJ. D’allure svelte, la chevelure frisant aux quatre vents, la mèche en bataille, l’air vaguement technocrate, son apparence ne manque pas d’attirer l’attention. Son nom : Jean-Paul L’Allier. Âgé de 27 ans, il est directeur de la Coopération au ministère des Affaires culturelles. Un haut fonctionnaire, comme il y en avait plusieurs à l’époque. Un homme qui ignore encore qu’il est sur le point de devenir le premier secrétaire général de l’OFQJ, pour ensuite en devenir le ministre responsable. Jean-Paul L’Allier considère la venue de de Gaulle comme « la mère de toutes les visites 5 ». En ce 24 juillet, tandis que le jeune L’Allier vaque à tous les détails du voyage, s’assurant pour la millième fois que rien n’est laissé au hasard, le président de la France et le premier ministre du Québec entament leur expédition le long du chemin du Roy. De Donacona à Trois-Rivières en passant par Sainte-Anne-de-la-Pérade et Cap-de-la-Madeleine, de Louiseville à Montréal en traversant Berthier et Repentigny, les deux hommes discutent de la France et du Québec. C’est alors que le général sonde son « ami Johnson ». « Il en a parlé à Daniel Johnson au cours du voyage », raconte Jean-Paul L’Allier. Il lui a dit : « La France et l’Allemagne ont fait l’Office franco-allemand pour la jeunesse afin de rebâtir les ponts entre eux. Nous devrions faire la même chose 6. » « L’ami » québécois se montre réceptif, mais la question de la création de l’Office va être momentanément éclipsée. Car le souffle de l’histoire se fait sentir au fur et à mesure que la voiture du général approche de Montréal. La pluie diluvienne du matin a cessé depuis Capde-la-Madeleine. Tandis que les premiers gratte-ciel de la métropole se découpent au loin, 2 3 4 5 14 6 L’expression est du général. L’expression est du général. Entretien avec Xavier Deniau, 18/03/98. Témoignage de Jean-Paul L’Allier tiré du documentaire de Luc Cyr et Carl Leblanc, « Le voyage du général de Gaulle au Québec», Prospec, 1997. Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. un soleil radieux pointe désormais à l’horizon. Quand le cortège arrive enfin devant l’hôtel de ville, le tonnerre d’acclamations est tel qu’on n’entend même pas la fanfare qui joue pourtant à tue-tête en l’honneur du visiteur. Le général a juste le temps de saluer la foule et de s’engouffrer dans l’entrée avant que le cordon de sécurité se rompe sous la pression de la foule. À l’intérieur, la clameur populaire continue à monter aux oreilles du premier des Français : « Un discours ! Un discours ! Un discours ! ». Et voici le général, les bras en V, sur cette balustrade en forme de corniche, flanquée de ces imitations de colonnes corinthiennes, saluant le peuple en délire qui n’attend plus que les paroles providentielles de l’homme d’État déferlent sur lui. Après avoir « secrètement » confessé à la foule que sa tournée québécoise lui a fait penser à l’atmosphère de la Libération, le voilà qui entonne, dans un crescendo surprenant, l’agencement fatidique des mots désormais célèbres : « Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec… libre ! Vive le Canada français et vive la France ! ». Outre les sept syllabes du « Vive le Québec libre ! », d’autres passages du discours attirent l’attention, notamment celui où de Gaulle salue le symbole de réussite moderne qu’est devenue Montréal, non sans ajouter à quel point la modernité québécoise va dans le sens des intérêts de la France : « […] Le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l’étonnement de tous et qui, un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider la France 7. » Le général ne tarde pas à démontrer qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air, surtout lorsqu’il s’adresse à la jeunesse. Une conversation à ce sujet avec Johnson est encore fraîche à sa mémoire lorsqu’il atterrit à Orly, le 27 juillet 1967. L’idée est dans l’air Puisqu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, le général de Gaulle ne perd pas de temps. À sa descente d’avion où l’attend tout son Conseil des ministres, il déclare à Alain Peyrefitte qu’il veut le voir le lendemain à son bureau. De Gaulle compte l’envoyer au Québec pour signer de nouveaux accords de coopération. Et il lui confie peu de temps après une lettre personnelle adressée à Daniel Johnson 8. Ensuite, c’est au tour de François Missoffe, ministre de la Jeunesse et des Sports, d’être convoqué à l’Élysée. Fort des instructions du général, Missoffe rassemble une petite équipe comprenant Jean-Claude Quyollet, l’un de ses collaborateurs. Il se trouve que Quyollet fait également partie du conseil d’administration de l’Office franco-allemand pour la jeunesse et qu’il a déjà une bonne connaissance de ce genre d’organisme. 7 8 Charles de Gaulle, Discours aux peuples du monde (sur disque compact), Paris, Institut Charles de Gaulle, 1994. Entretien avec Alain Peyrefitte, 27/10/98. 15 L’idée de faire quelque chose pour la jeunesse est dans l’air. Au printemps 1967, le haut fonctionnaire québécois, André Patry, se souvient d’en avoir formellement parlé avec des diplomates français en vue du voyage en France de Daniel Johnson 9. Il est donc tout à fait plausible que cette volonté soit très tôt présente à l’esprit du général. Il confie son idée à Alain Peyrefitte la journée même de son retour. Selon toute vraisemblance, l’idée a dû mûrir au cours du voyage. Il demeure naturel que de Gaulle ait pensé à l’Office franco-allemand pour la jeunesse, référence toute normale pour lui. De toute évidence, dans le tourbillon des événements de 1967, le projet devait être resté à un stade embryonnaire. Les instructions données à Missoffe étaient sûrement d’ordre général. L’idée de remettre à de Gaulle un projet détaillé qui transposait au Québec ce qui avait été fait en Allemagne émane sans aucun doute de Missoffe et son équipe. Fort de l’aval présidentiel, Missoffe et Quyollet se mettent rapidement en route. Ils débarquent à Montréal à la fin du mois de septembre où ils sont accueillis par Jean-Marie Morin, adjoint parlementaire du premier ministre, à qui celui-ci vient de confier le mandat de prendre en charge les destinées de l’Office. Le temps de la redécouverte vient de commencer. Cette redécouverte s’applique d’abord au climat, les visiteurs. C’est l’automne et Jean-Marie Morin a la présence d’esprit d’emmener ses convives dans son coin de pays : le Bas-Saint-Laurent. Aussi loin que peut porter le regard vers l’horizon, les vastes forêts québécoises ont revêtu leurs plus belles couleurs : rouge, jaune, vert et orange, embellies de teintes écarlates et éclatantes. Jamais Missoffe et Quyollet n’ont vu pareille beauté ! Ils en ont le souffle coupé. détail qui ne manque pas de frapper [...] la création d’un office bigouvernemental était une première, et tout cela se faisait dans le désaccord d’Ottawa. Donc ce n’était pas banal. JEAN-CLAUDE QUYOLLET Une lettre personnelle pour Daniel Johnson Entre Français et Québécois, les choses vont bon train. Le travail plus sérieux commence à Québec grâce à une rencontre entre François Missoffe et Daniel Johnson. C’est à ce moment que le ministre remet au premier ministre une lettre manuscrite de la part du général. JeanClaude Quyollet relate la suite : « Cette lettre proposait à Johnson la création d’un office franco-québécois pour la jeunesse… il a lu la lettre devant nous et il nous a dit qu’il trouvait l’idée très bonne, qu’il était enthousiaste, tout en faisant remarquer que le Québec manquait d’expérience dans le domaine des relations bilatérales. » 9 16 Entretien avec André Patry, 12/07/01. François Missoffe lui a répondu : « ne vous inquiétez pas, nous avons des organismes bilatéraux et d’ailleurs nous en avons un avec l’Allemagne qui marche très bien et monsieur Quyollet en est membre. Donc nous savons comment il faut faire. » « Là-dessus j’ai senti que Daniel Johnson a été quelque peu rassuré puisque au départ il ne savait pas trop ce que ça allait être. Il faut dire que pour le Québec, la création d’un office bigouvernemental était une première, et tout cela se faisait dans le désaccord d’Ottawa. Donc ce n’était pas banal 10. » À la suite de cette rencontre, les discussions concrètes sont entamées. Jean-Claude Quyollet en est chargé pour le gouvernement français. Du côté québécois, le choix de Daniel Johnson se porte assez rapidement sur Jean-Paul L’Allier, qui s’apprête alors à retourner à son poste d’enseignant à l’Université d’Ottawa, qu’il a délaissé depuis deux ans. L’intéressé relate la scène : « J’avais connu Johnson l’année de l’Expo, en 1967. Pour chaque visiteur qu’il recevait, je lui faisais un briefing. Et puis j’ai commencé à lui écrire des discours pour des réceptions, des toasts, etc. Après cet épisode, il m’a fait venir à son bureau pour me demander de mettre sur pied cet Office franco-québécois pour la jeunesse qui était sur le point de naître. Il m’a dit : Je veux que ça soit vous, je vais vous donner les moyens. Vous avez carte blanche, débrouillezvous 11 ! ». Tout le long des mois d’octobre, de novembre et de décembre, les négociations se poursuivent entre Paris et Québec. L’Allier et Quyollet multiplient les allers et retours entre les deux capitales. Ces démarches ne resteront pas vaines. Le 8 février 1968, le protocole donnant officiellement naissance à l’Office francoquébécois pour la jeunesse est signé à Paris par François Missoffe et Jean-Marie Morin. À partir de maintenant, il s’agit de transformer ces intentions en gestes concrets. Tant en France qu’au Québec, on veut que les premiers échanges débutent dès l’été 1968. Un pari des plus risqués s’il en est. C'est le début d'un temps nouveau... Les premiers échanges débutent dès l’été 1968 par des voyages de groupes. On se connaît, on se reconnaît, on compare, on apprend. La découverte est grande, belle, irrésistible. 10 11 Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. 17 « Où sont les Indiens ? » demandent les cohortes de jeunes Français qui débarquent au Québec en 1968. La coopération, c'est aussi de désamorcer les clichés, les mythes et les préjugés. 18 CHAPITRE 1 : Une course à obstacles Afin d’accélérer le processus, Jean-Claude Quyollet a été momentanément détaché du ministère de la Jeunesse et des Sports pour travailler directement auprès de l’Élysée. Un autre signe de l’importance qu’accorde de Gaulle à la question québécoise. Cet appui politique n’est pas du tout superflu. Le projet de l’OFQJ est à peine lancé qu’il se heurte à l’âpreté initiale du ministère français des Affaires étrangères. « Ah ! il a fallu convaincre », lance Jean-Claude Quyollet en soupirant. « On a imposé l’idée au Quai d’Orsay malgré leur hostilité. Heureusement que nous pouvions compter sur une poignée de gens convaincus comme Pierre Moineau, directeur de la Coopération culturelle, technique et scientifique, ou encore Pierre de Menthon, consul général de France à Québec. » Pour ce qui est de ce dernier, il faut dire que de Gaulle le nomme à ce poste à la suite de son voyage. Cependant, il lui donne des instructions très claires. À titre de consul général, il devra entretenir des relations avec le gouvernement du Québec, sans passer par le gouvernement fédéral ou par l’ambassade de France à Ottawa, tout en faisant rapport à Paris. Afin d’être certain que le message soit reçu cinq sur cinq, de Gaulle convoque de Menthon à l’Élysée pour lui expliquer personnellement sa mission. Les premiers artisans de l’Office pourront donc s’appuyer sur un allié de taille en la personne de De Menthon. Ce qui ne veut pas dire que les fonctionnaires du Quai ont réellement compris l’importance que revêt désormais la politique québécoise. En 1969, une fois de Gaulle parti, les anciennes habitudes reviennent vite au galop. « On était un peu inquiet à ce moment-là, rappelle Jean-Claude Quyollet. Mais sous la présidence de Georges Pompidou, j’ai pu compter sur Michel Jobert, secrétaire général de l’Élysée, et aussi sur deux conseillers du président, Jean-Bernard Raimond et Michel Bruguières 12. » Un office pour la jeunesse… paralysé par la jeunesse Les rebuffades administratives ne sont pas les seuls obstacles que doit surmonter le jeune organisme au cours de ses premières années d’existence. D’entrée de jeu, les événements se précipitent. L’encre du protocole de février 1968 n’est pas encore sèche que les étudiants de la faculté de Nanterre entament une grève dont les conséquences vont bouleverser la France. Alors que les premiers stages de l’Office sont prévus pour le mois de juin, la révolte estudiantine se répand sur la France comme un raz-de-marée, déferlant sur le 12 Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. 19 Quartier latin, emportant l’Odéon, dressant des barricades, ébranlant le général… paralysant complètement les communications. Les cris de fronde de cette jeunesse capricieuse sont tels qu’ils retentissent jusqu’aux nouveaux locaux Mais qui sont-ils ces jeunes de l’Office franco-québécois pour la jeunesse, tout à côté e Français et Québécois qui se du parc Monceau dans le XVII arrondissement. Sur le lancent à la redécouverte d’une bureau du secrétaire général, les projets de stages s’empilointaine parenté dont on avait lent les uns sur les autres, sans qu’il puisse y donner suite perdu la trace ? de quelque façon que ce soit. Or, nous sommes à un mois des premiers échanges. Jean-Claude Quyollet s’arrache les cheveux. Et, comme si la situation n’était pas assez difficile, Postes Canada déclenche une grève quelques semaines plus tard. « On a vraiment eu des problèmes ! », raconte Quyollet. « Pendant un mois, un mois et demi, il n’y avait plus de communication avec le Québec. Les messages, les lettres, les télex et même le téléphone ont été brièvement paralysés. C’était un véritable trou noir et tout cela au moment même où l’on s’apprêtait à lancer les premiers échanges 13. » En de telles circonstances, les premiers artisans de l’OFQJ sont-ils gagnés par le découragement ? Pas du tout, s’il faut en croire Alain Beaugier, ancien directeur des Programmes et des échanges à la section française : « En dehors du regret qu’on avait de ne pas pouvoir faire venir nos premiers stagiaires, on savait qu’on n’avait aucune prise sur les événements. Mais nous n’étions pas abattus puisqu’on était une équipe jeune. Nous gardions le moral vaille que vaille. Et comme il y avait des journées où l’on ne pouvait pas travailler, on allait voir ce qui se passait, le jour à la Sorbonne, le soir à l’Odéon. Au fond, c’était une époque vraiment captivante 14 […] ». Les stagiaires ont disparu Finalement, et contre toute attente, l’Office réussit à faire démarrer ses stages au début de juin. Non sans quelques ratés supplémentaires… dont la toute première arrivée de stagiaires français au Québec. « On était partis en parade, tout fiers, afin d’aller accueillir nos premiers stagiaires », raconte en riant Jean-Paul L’Allier. « On arrive à Dorval, pas de stagiaires 15 ! » Tout le monde est interloqué. Les Québécois se mettent à la recherche des Français en se renseignant à toutes les compagnies aériennes de l’aéroport. Tout le monde revient bredouille. Et comme les grèves se poursuivent en France, impossible de communiquer avec Paris. « Comme ils n’arrivaient pas, poursuit Jean-Paul L’Allier, on est allés au collège Brébeuf où ils devaient loger. On avait organisé une petite réception avec du vin et des pâtés. On 13 14 15 20 Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. Entretien avec Alain Beaugier, 02/02/01. Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. s’est dit qu’on n’allait pas gaspiller tout ça ! Alors on a mangé et on a bu. La soirée était assez avancée lorsque quelqu’un a lancé : “Et s’ils étaient arrivés par New York 16 ?”. » Mais bien sûr ! Faute d’avoir pu les diriger sur Montréal, la section française avait dû les envoyer vers la métropole américaine. Jean-Paul L’Allier et sa bande font alors un rapide calcul. Depuis leur arrivée à New York, considérant la durée du trajet en autobus entre les deux villes, ils étaient probablement déjà arrivés à Montréal. Les bureaux de l’OFQJ étaient situés dans la tour d’Hydro-Québec. En deux temps, trois mouvements, tout le monde saute dans sa voiture pour foncer à toute vitesse vers le centre-ville. Résultat : « On a trouvé nos trente stagiaires qui nous attendaient la mine fatiguée, mais contents qu’on les ait retrouvés 17. » Où sont les « Indiens » ? Si les premiers contingents de stagiaires arrivent sains et saufs, les questions qu’ils posent ne manquent pas de faire sourciller les Québécois. « Quand les Français débarquaient, se souvient François Duffar, l’un des premiers employés de l’Office, ils nous posaient toujours cette question : Où sont les « Indiens » ? Les clichés et les obstacles ne sont donc pas venus à bout de la volonté des premiers artisans de l’Office. Le 4 juin, les premiers échanges commençaient et il y eut au cours de l’été plus de deux mille échanges de jeunes professionnels et d’étudiants 18 […]. » Franco-québécois ou franco-canadien ? S’il n’en tenait qu’au gouvernement fédéral, ce succès serait rapidement remis en cause. Le remue-ménage provoqué par la création de l’OFQJ ne passe pas inaperçu à Ottawa. Les fédéraux s’inquiètent de la tournure des événements et commencent à craindre, plus que jamais, que le Québec ne devienne le partenaire privilégié de la France. Cela, malgré le fait qu’Ottawa n’ait jamais jugé opportun, dans le passé, de développer ses relations avec Paris. Qu’à cela ne tienne ! Les manœuvres d’obstruction débutent avant même que le protocole de février 1968 soit signé. C’est Bernard Dorin, le conseiller diplomatique d’Alain Peyrefitte qui, le premier, tire la sonnette d’alarme. Ministre de l’Éducation nationale, Peyrefitte est mêlé de très près à la coopération avec le Québec. Dans un document frappé de la mention « secret » qu’il rédige pour son ministre, le diplomate Dorin écrit notamment ce qui suit concernant l’Office franco-québécois pour la jeunesse : « Le haut comité pour l’expansion et la défense de la langue française, avec l’accord du premier ministre et finalement du ministre des Affaires étrangères, émet un vœu pour la création d’un office francophone pour la jeunesse. Un dossier complet est alors constitué. 16 17 18 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. Ibid. Journal des débats de l’Assemblée législative du Québec, troisième session, 28e législature, vendredi 1er novembre 1968, vol. 7, no 81, p. 3772. 21 Le ministre fédéral canadien Jean Marchand, qui a eu vent du projet et désire couper l’herbe sous le pied des Québécois (qui n’ont pas encore de ministère de la Jeunesse), propose la création d’un office franco-canadien pour la jeunesse. Le Quai d’Orsay saisi des deux projets et devant la difficulté de leur harmonisation en profite pour enterrer l’un et l’autre… Il ne faut pas se dissimuler qu’après la proposition Marchand, la création d’un office franco-québécois (au lieu de franco-canadien) va constituer pour Ottawa un motif supplémentaire de désagrément 19 […] » Désagrément, le mot n’est pas exagéré. Aux yeux des libéraux fédéraux, qui gouvernent alors à Ottawa, tout ce qui relève de la coopération franco-québécoise est suspect. Le fait de n’avoir pu empêcher la naissance de l’Office ne met pas un frein aux ardeurs outaouaises. Comme l’explique Jean Claude Quyollet : « Ottawa a tenté par tous les moyens de nous mettre des bâtons dans les roues 20. » De fait, en novembre 1968, le secrétariat d’État du gouvernement fédéral, étudie la possibilité de construire des centres d’accueil internationaux […] qui seraient destinés en premier lieu aux jeunes 21. D’où le titre du projet : « Opération jeunesse ». Au même moment, l’Assemblée nationale discute de la loi qui va créer officiellement l’OFQJ. La manœuvre fédérale ne passe pas inaperçue au sein de la députation québécoise. Les réprobations fusent des deux côtés de l’Assemblée. Le député libéral, Gilles Houde, critique de l’opposition en matière de jeunesse, propose même que le gouvernement québécois construise lui-même des centres d’accueil afin de prendre Ottawa de vitesse 22. Finalement, il n’y aura pas de centre d’accueil du tout. Ils reviennent ! Contre vents et marées, les stagiaires ont donc traversé l’Atlantique, dans les deux sens. Mais qui sont-ils ces jeunes Français et Québécois qui se lancent à la redécouverte d’une lointaine parenté dont on avait perdu la trace ? Ce sont, par exemple, les membres de la chorale universitaire de Montpellier, qui débarquent au Québec en plein été pour donner un concert le 14 juillet 23. Le symbole est particulièrement fort, et le ministre Jean-Marie Morin a tenu à être présent pour les saluer. Ému, c’est avec lyrisme que Morin cite le poète québécois Octave Crémazie qui, dans un poème composé pour saluer l’arrivée de la Capricieuse, avait imaginé un vieux soldat escaladant chaque jour les remparts de Québec dans l’espoir de voir surgir à l’horizon une voile française. En mourant, ce vieux soldat avait fait à son fils la prédiction suivante : « De ce grand jour, tes yeux verront l’aurore, ils reviendront et je n’y serai pas 24 ! ». 19 20 21 22 22 23 24 « Projet de coopération franco-québécoise en matière d’éducation nationale », document écrit par Bernard Dorin pour Alain Peyrefitte, non daté, archives de Frédéric Bastien. Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. Le Soleil, 05/11/68. La Presse, 02/11/68. L’Action, 15/07/68. L’Action, 17/07/68. Non, ils n’étaient pas revenus. Et pour que l’homme de lettres puisse reposer en paix, il avait été inhumé au Havre, en guise de consolation. Stagiaires dans un camp d’échanges étudiants entre la France et le Québec, en 1968. La formule initiale préconisait des visites thématiques dans différents secteurs dont les sports nautiques. Au moment où JeanMarie Morin rappelle avec émotion cet épisode, la situation a changé du tout au tout. Après cette longue attente, dans le sillage de l’abandon de 1760, à la suite de deux siècles d’indifférence, la France est de retour. Les Québécois redécouvrent la France Cependant l’inverse est également vrai. De jeunes Québécois foulent le sol de la France pour la première fois. Comme Suzie Harvey, une travailleuse sociale de Jonquière qui, en 1970, met le cap sur l’Hexagone pour faire un stage en animation sociale. De Paris à Grenoble, cette Québécoise est frappée par ce qu’elle découvre. « Au niveau de l’animation culturelle, on avait été impressionné par ce qu’on avait vu, dit-elle, particulièrement par ce qui se faisait dans les banlieues 25. » Mais au-delà des découvertes professionnelles, l’époque s’avère particulièrement intéressante. Les baby-boomers arrivent à l’âge adulte, découvrent le monde… bardés de mille et une illusions, selon Suzie Harvey : « On avait décidé qu’on allait changer le monde. D’ailleurs, on n’arrêtait pas de parler du voyage de de Gaulle. Je criais « Vive le Québec libre ! » en prenant l’intonation du général. Et puis, on était tapageurs, on contestait tout, tellement qu’à un moment donné on nous avait dit de nous assagir sinon on rentrait au Québec illico. Mais depuis, ce stage n’a jamais cessé d’influencer ma vie personnelle et professionnelle. J’ai vécu en France avec mon mari pendant un an, j’ai même maintenant une bellefille qui est Française. 25 Entretien avec Suzie Harvey, 16/02/01. 23 Même chose au travail. Je suis aujourd’hui directrice du Concours québécois en entrepreneurship et on a des partenaires français qui sont venus voir ce qu’on fait ici et qui lancent un concours semblable en France 26. » Les comparaisons et l’incomparable Telle une sculpture qui prend forme entre les mains d'un artiste, la coopération se façonne peu à peu ; chacun y apporte son regard, ses perceptions, son impulsion. Il faut dire aussi que ces Québécois qui redécouvrent la France font des trouvailles surprenantes. Qui aurait cru qu’ils ramèneraient dans leurs bagages un sport aussi québécois que le ski de fond ? Le témoignage d’Yvon Gagnon, professeur de ski de fond au Cégep de Shawinigan rappelle les faits : « En 1970, je terminais un baccalauréat en éducation physique avec une spécialisation en physiologie de l’exercice. J’avais perçu dans le ski de fond, outre le loisir, la possibilité de performances physiologiques extraordinaires […] je pressentais les grandes promesses de cette activité au Québec. Dès mon embauche, le Cégep de Shawinigan adoptait un projet de mise sur pied de cours de ski de fond […]. C’est grâce à l’Office franco-québécois pour la jeunesse que j’ai pu acquérir en 1971 la formation technique et pédagogique dispensée par l’École nationale de ski de fond de Prémanon en France. Les enseignants de cet établissement de haut niveau nous ont donné une formation intensive et complète, adaptée pour une application rapide au Québec 27. » C’est ainsi que les deux sociétés refont connaissance. Français et Québécois, forts de leurs préjugés et la tête pleine d’a priori, questionnent leur façon d’appréhender les événements. C’est le cas des ingénieurs de l’École des ingénieurs de la préfecture de Paris, qui débarquent à Montréal en 1970 et qui repartent avec une analyse complètement différente de celle qu’ils envisageaient : « Au départ, nous étions décidés à faire des comparaisons, comme s’il était possible de comparer la Seine et le Saint-Laurent ; la place de la Concorde et la Place-Bonaventure […] l’idée même d’avoir envisagé le problème sous cet angle nous semble maintenant dérisoire 26 27 24 Entretien avec Suzie Harvey, 16/02/01. Témoignage d’Yvon Gagnon dans Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988, p. 13. […] cette erreur d’optique nous amène à poser la question : Comment se fait-il que ce ne soit pas comparable 28 ? » Pas comparable. Voilà ce qu’en retiennent plusieurs stagiaires français. Certains d’entre eux ne manquent pas d’être étonnés par la modernité et le dynamisme de la société québécoise. Le jeune Michel Vinck, à la suite de son séjour, note dans son rapport de stage que la technologie québécoise contribue parfois à « donner des leçons de modestie aux Français 29 ». Même quand il s’agit de sujets aussi délicats que la nourriture, les préjugés de la jeunesse hexagonale sont mis à rude épreuve. Comme en témoigne Jocelyne Tournier, diététicienne faisant partie d’un stage en alimentation : « De par ma profession, nous avons beaucoup parlé de nourriture. Une chose est appréciable, les horaires des repas et des collations. Quant à la qualité, trop de sauces d’un goût bizarre, trop de mets très sucrés, mais des viandes d’excellente qualité et un petitdéjeuner bien agréable que l’on voudrait bien voir se répandre en France 30. » Nourriture, sport, loisirs, les thèmes des premiers stages sont variés. Ils touchent également beaucoup au domaine social. C’est ainsi que dès l’été 1968, une cinquantaine de jeunes de la CEQ (Centrale des Enseignants du Québec), accompagnés d’une vingtaine d’animateurs sociaux, se rendent en France pour faire un stage dans le milieu syndical 31. Une rencontre avec Michel Chartrand Ce type d’échanges occupe une place importante dans les activités de l’Office. Les Français qui visitent la Belle Province sont frappés par l’activisme des Québécois. C’est le cas de Martine et Alain Chevillard, un jeune couple de la Franche-Comté, qui se rend au Québec en 1972 dans le cadre d’un stage organisé par la Fédération française des œuvres laïques. Comme le rappelle Martine : « Dès le départ, le Québec libre était dans nos têtes. On allait visiter une société qui cherchait à s’émanciper 32. » « Nous avons rencontré beaucoup de syndicalistes, poursuit Alain, et on nous a fait voir des organismes qui faisaient des stages pour la réinsertion des chômeurs. Quelque chose qu’on ne connaissait pas en France. C’était vraiment bien organisé 33. » Pourtant le couple n’est pas au bout de ses surprises. Après quelques jours, nos deux amis ont droit à une rencontre avec le très coloré Michel Chartrand… libéré de prison à la suite du front commun de 1972. « Quelle personnalité ! se souvient Alain. Il nous avait tellement impressionnés par son discours, nous expliquant que le Québec était une société aliénée, qu’il ne pouvait compter que sur ses propres forces pour s’en sortir. Il nous racontait tout ça avec conviction, alors qu’il sortait à peine de prison. Ça nous avait sidérés 34. » 28 29 30 31 32 33 34 Archives de la cinquième réunion du C.A. de l’OFQJ, Jonquière, juin 1971, 2e cahier présenté aux membres du conseil, p. 46. Ibid., p. 16. Ibid., p. 27. Montréal Matin, 03/08/68. Entretien avec Martine et Alain Chevillard, 07/10/00. Ibid. Ibid. 25 L’action corrige l’action Est-il étonnant que ces Français soient aussi satisfaits de leur stage quand on regarde l’équipe qu’avait rassemblée autour de lui Jean-Paul L’Allier ? Des gens comme Louise Fréchette, qui est aujourd’hui la deuxième personne d’importance des Nations Unies à New York. Sans parler des Jean-Guy Saint-Martin, Diane Wilhelmy et François Duffar, qui sont respectivement devenus ambassadeur du Canada au Maroc, déléguée générale du Québec à New York et vice-président de Cossette marketing. Sans oublier l’ancien ministre JeanFrançois Bertrand et l’ancien premier ministre Pierre-Marc Johnson. « Ça bougeait très vite, mentionne François Duffar. Moi, je suis arrivé en mars 1968. L’Office n’était même pas créé officiellement. On ne savait pas où on allait et quelques semaines plus tard, on recevait nos premiers stagiaires ! On n’avait même pas d’argent, car le gouvernement ne pouvait nous donner des crédits parce que la loi créant l’OFQJ n’était pas encore votée. Alors, avec Jean-Paul, on était allés voir des banques pour emprunter de l’argent… heureusement qu’on avait une lettre du premier ministre 35. » « Notre équipe était fantastique, évoque Jean-Paul L’Allier, L’action corrige l’action était notre devise et on l’avait écrite sur un de nos documents de travail. Et en plus, il faut bien voir qu’on a monté tout ça très rapidement. Sans qu’il y ait eu une pléiade d’études préalables pour en vérifier la faisabilité. Quand je vois que ça continue plus de trente ans plus tard, j’en suis très fier ! Pour moi, c’est vraiment l’un des plus beaux souvenirs de ma vie professionnelle 36. » Une fierté qui se comprend. Sauf que préparer en vitesse des rencontres avec des activistes tel Michel Chartrand n’a rien pour rassurer les sceptiques, surtout à Ottawa. Il faut dire que depuis le voyage de de Gaulle, et à la suite des nombreux voyages au Québec du haut fonctionnaire Philippe Rossillon, le gouvernement fédéral voit des espions partout. Rossillon, qui est alors à la tête du Haut-Commissariat pour l’expansion et la défense de la langue française, se fait même traiter d’agent plus ou moins secret par le premier ministre canadien Pierre Trudeau. La méfiance envers la France est donc de mise. Le ministre Joseph Comiti ne va pas tarder à l’apprendre. Stagiaires ou agitateurs ? L’affaire se produit lors du premier conseil d’administration de l’Office, les 9 et 10 novembre 1968. Jean-Marie Morin et Joseph Comiti donnent une conférence de presse à l’issue des travaux. D’abord, les deux ministres prennent bien soin de préciser que le nouvel organisme n’a aucune visée politique. Une phrase qui ne met pas fin au scepticisme de certains journalistes. Les deux hommes ont à peine fini de parler que le bal des questions pièges commence : 35 36 26 Entretien avec François Duffar, 02/04/01. Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. « Êtes-vous au courant, lance un premier journaliste, que des coopérants français auraient participé à de l’agitation au Québec ? – Si tel est le cas, répond Comiti, ils reprendront le premier avion 37. » Et le ministre français d’expliquer que peu de temps auparavant, de jeunes Allemands de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) s’étaient fait prendre à chahuter l’homme politique Gaston Deferre dans la région de Marseille. Ils ont été renvoyés en Allemagne immédiatement. Bel exposé. Mais dans le sillage du « Vive le Québec libre », le Français n’allait pas s’en tirer à si bon compte. « Faut-il conclure de votre réponse, rétorque un second journaliste, qu’il n’y aura pas de jeunes gaullistes qui viendront au Québec 38 ? – Comme il y a 65 % des Français qui sont gaullistes, il devrait y avoir la même proportion chez les jeunes. Nous ne pouvons pas empêcher des jeunes de partager leur idéal, et ce, de part et d’autre. Il s’agit simplement qu’ils ne deviennent pas des agitateurs. » Ce début de polémique n’ira pas plus loin. En revanche, il fait réaliser une fois de plus aux artisans de l’Office à quel point le nouvel organisme peut devenir un sujet controversé. Le Québec étant associé en France de façon aussi forte à la mémoire du général de Gaulle, c’est au sein de la section française que cette question se pose le plus. Alors Jean-Claude Quyollet va prendre les moyens qu’il faut pour résoudre le problème. « Dégaulliser » les relations franco-québécoises « Dès le départ, on a voulu que l’Office soit apolitique, même si c’était clair que c’était de Gaulle qui en avait été l’inspirateur. On n’a pas voulu être accusé d’avoir un parti pris politique, et c’est ce que le général souhaitait lui-même. Alors, il fallait faire en sorte que toutes les familles politiques françaises puissent aller au Québec. Pour que ce ne soient pas que les jeunes gaullistes. » On a invité la Confédération générale du travail (proche des communistes), et d’autres groupes de gauche. Quand on envoyait des groupes de jeunes syndicalistes, c’était clair qu’ils étaient plutôt à gauche. Et quand c’était des jeunes patrons, c’est sûr qu’ils étaient plutôt à droite […]. En plus, j’avais fait nommer des gens de droite et de gauche dans mon conseil d’administration. Comme Jean-Marie Domenach, un éminent intellectuel, directeur de la revue Esprit, qui en plus était un disciple d’Emmanuel Mounier, ce philosophe qui avait eu beaucoup d’influence au Québec. Donc, ça équilibrait les choses 39. » 37 38 39 Le Devoir, 09/11/68. Le Devoir, 09/11/68. Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. 27 Pour vraiment « dégaulliser » les relations franco-québécoises, dont l’OFQJ est l’un des fers de lance, encore faut-il convaincre la presse et l’opinion publique de la justesse des vues de de Gaulle. Une tâche qui s’annonce titanesque car le 24 juillet 1967, la journée du fameux discours au balcon, à la notable exception du quotidien communiste L’Humanité, il faut bien comprendre que presque tout ce que la France compte de journalistes et d’éditorialistes conspuent littéralement le général. Et pendant que le général fulmine contre « ces plumitifs qui sont des larbins 40 », sur le terrain les partisans du Québec tentent d’endiguer le déferlement d’indignation et d’incompréhension qui balaie la France. Dans cette perspective, quoi de mieux pour l’OFQJ que d’emmener de jeunes journalistes français au Québec pour qu’ils puissent se forger eux-mêmes une opinion ? C’est l’idée qui traverse très tôt l’esprit de JeanClaude Quyollet : « L’un des premiers voyages que j’avais organisé était un stage pour des journalistes. L’Office avait emmené au Québec des journalistes de droite et de gauche, tout en leur préparant un programme exceptionnel. Ils avaient rencontré André Patry, qui enseignait le droit international à l’Université de Montréal, et aussi Gérard Bergeron, qui venait de sortir son livre Le Canada français après deux siècles d’impatience. L’opération avait très bien marché. Très tôt le quotidien Le Monde nous avait appuyés. On avait également eu des papiers favorables, incluant Le Nouvel observateur, un hebdomadaire de gauche, qui commençait à dire que non ! le général ne s’était pas trompé 41. » Crise diplomatique, querelle politique, controverses dans la presse, on pourrait croire que l’OFQJ est né sur un fond de litiges insurmontables qui nous auraient fait passer à côté de beaucoup de choses, notamment cette histoire d’amour entre la France et le Québec, de relater Jean-Claude Quyollet. « Ce qui a été assez sympathique, c’est qu’au bout de deux ou trois ans, on a eu nos premiers mariages. De jeunes Françaises se mariaient avec des Québécois et des Québécoises prenaient des Français comme époux… et j’ai la faiblesse de penser que cela a joué un rôle, dans la connaissance mutuelle en tout cas 42. » « Un voyage peut vraiment changer le cours d’une vie » Des mariages ? Marie-Paule Courroy Desaulniers, une Française qui vit désormais au Québec, en témoigne. « Un voyage peut vraiment changer le cours d’une vie 43 », explique-t-elle. « En 1968 […] avec quatre autres moniteurs français, je venais découvrir les colonies de vacances du Québec. Pendant huit semaines, j’ai été intégrée à l’équipe d’animation du camp Minogami. En fait, j’ai eu beaucoup de chance ! J’y ai découvert une approche pédagogique qui a été une révélation pour moi : une franchise toute simple entre enfants et animateurs, des relations directes sans aucune agressivité. Pas de claques ! Pas de coups de pied au cul ! 40 41 42 28 43 Jacques Foccart, Le journal de l’Élysée, « Tous les soirs avec de Gaulle », Paris, Éditions Fayard/Jeune Afrique, 1997, tome 1, p. 684-685. Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. Ibid. Témoignage de Marie-Paule Desaulniers dans Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988, p. 7. « Je faisais partie des tout premiers stagiaires. Le stage que j’ai effectué m’a donné la passion du Québec et m’a permis de connaître l’homme qui allait devenir mon mari 44. » Rencontres, mariages, redécouvertes, autant d’éléments qui rendent compte de cet emballement qui a caractérisé les premières années d’échanges du nouvel organisme. Mais tout cela ne s’est pas fait tout seul. Il a fallu encadrer les stagiaires, former les accompagnateurs et inventer une pédagogie. Une tâche à laquelle les premiers artisans de l’Office vont s’attaquer avec enthousiasme et passion, mettant toute leur énergie dans ces nouveaux objectifs. Les échanges de l’OFQJ permettent aux jeunes issus des deux communautés de créer des liens et de confronter leurs pratiques. 44 Ibid. 29 Au départ, l'objectif est de deux mille stagiaires de part et d'autre de l'Atlantique. Il fallait aussi que l'expérience ait pour chacun et chacune un maximum de répercussions dans leur future activité professionnelle. 30 CHAPITRE II : Inventer un outil Débordé par la demande Même si connaître le Québec, c’est aussi se mesurer à son climat, il faut vite passer aux différents points à l’ordre du jour du Conseil d’administration. L’Office franco-québécois pour la jeunesse complète sa deuxième année d’existence, et si les résultats sont relativement encourageants, il existe de très nombreux ajustements à faire. Nous recherchions des jeunes leaders dans toutes les professions. Des jeunes dirigeants de syndicats, de fédérations agricoles ou d’associations patronales. Des gens qui, par leur fonction, seraient en mesure de faire des conférences, de parler à la presse, d’écrire des articles dans leur revue professionnelle, etc. 45 Jean-Claude Quyollet ouvre les discussions, expliquant qu’en 1969, chacune des sections a réussi à faire JEAN-CLAUDE QUYOLLET voyager mille huit cents stagiaires, alors que l’objectif était 46 de deux mille de chaque côté . Inutile de dire qu’en ces toutes premières années, l’organisme franco-québécois est méconnu en France comme au Québec. Les deux secrétaires généraux doivent surseoir au plus vite à ce problème. Ce sera d’abord le rôle de Jean-Claude Quyollet, jeune sous-préfet, à qui l’on a confié l’immense tâche de recruter environ deux mille stagiaires par année. Relevant ses manches, crachant dans ses mains, saisissant son bâton de pèlerin, notre homme s’attaque à cette tâche avec autorité. D’est en ouest, du nord au sud, des montagnes en descendant vers les plaines, de la côte en allant vers l’intérieur, il sillonne inlassablement la France. De préfectures en mairies, de chefs-lieux en départements, d’associations en écoles d’ingénieurs, de syndicats en chambres de commerce, de conférences en déjeuners de travail, son message demeure chaque fois le même : « Il faut que vous connaissiez le Québec ; il s’y passe des choses très intéressantes pour de jeunes Français 47. » Les interventions de l’Office auprès des milieux professionnels et associatifs ne tardent pas à susciter une énorme demande. « Si au début on a été assez souples dans les critères de sélection, très rapidement on a été complètement débordés par la demande 48 », se souvient Jean-Claude Quyollet. Un commentaire qui s’applique parfaitement aux deux sections, tellement qu’il faut bientôt faire des choix. Contrairement à l’Office franco-allemand pour la jeunesse, il était clair dès le départ que l’OFQJ, pour des raisons évidentes de géographie, ne pourrait pas miser sur des échanges de masse. Il fallait donc faire en sorte que pour chaque stagiaire, l’expérience de l’Office ait un maximum de répercussions. 45 46 47 48 Ibid. Ibid., p. 7. Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. Ibid. 31 Jeunes leaders ou jeunes travailleurs ? D’où l’idée de joindre de jeunes multiplicateurs. « Il ne fallait pas que ce soit du tourisme », rappelle JeanClaude Quyollet. « Nous recherchions des jeunes leaders dans toutes les professions. Des jeunes dirigeants de syndicats, de fédérations agricoles ou d’associations patronales. Des gens qui, par leur fonction, seraient en mesure de faire des conférences, de parler à la presse, d’écrire des articles dans leur revue professionnelle, etc. 49 » Les deux premiers secrétaires généraux au Québec : Jean-Paul L’Allier (1968-1970) (également ministre responsable de l’Office de 1970 à 1976) et Jean-Guy Saint-Martin (1970-1975). Procédant ainsi, l’organisme franco-québécois est en mesure de compenser le nombre par la qualité. Sauf que cette approche ne fait pas l’unanimité. Du côté québécois, la sélection s’effectue grâce aux annonces dans les journaux. Elle s’adresse, dès le départ, à un public plus large. Et ce, d’autant plus qu’au Québec, étant donné la population plus réduite, on a vite fait le tour du bassin des jeunes multiplicateurs. La section québécoise de l’Office essaie, en conséquence, de céder une place importante aux jeunes travailleurs. Une démarche qui la différenciait un peu de la section française, comme le rappelle Alain Beaugier, exdirecteur des programmes à la section française : « L’idée d’aller vers les jeunes travailleurs, c’était effectivement plus fort du côté québécois, un peu moins du côté français. Pour notre part, on cherchait plus des leaders potentiels. Pas dans un sens élitiste, mais des jeunes ayant des responsabilités sociales, économiques, politiques, et qui allaient ensuite faire connaître le Québec dans leur milieu. Il y avait là une certaine contradiction en quelque sorte 50. » À partir des élections du 25 avril 1970, cette conception sera fortement défendue par le nouveau ministre québécois responsable de l’OFQJ, nul autre que Jean-Paul L’Allier : « Quand nous avons été élus en avril 70, j’ai demandé à monsieur Bourassa de me laisser le dossier de l’Office franco-québécois pour la jeunesse et il avait accepté. Le problème, c’était qu’il y avait des fonctionnaires au ministère des Affaires intergouvernementales et surtout au ministère de l’Éducation qui voulaient que l’Office dépende d’eux. Et si l’OFQJ avait dépendu du ministère de l’Éducation, il aurait été pris d’assaut par les étudiants […] et on ne voulait pas que ça soit ouvert seulement aux étudiants […]. Les étudiants avaient de multiples occasions de faire des stages. Mais ce n’était pas le cas des jeunes travailleurs, pour qui un stage avec l’Office représentait le grand stage de leur vie. On avait donc adopté la règle du 70/30. Il y aurait 30 % de stages pour les étudiants et 70 % pour les travailleurs 51. » Travailleurs ou leaders, ce débat revient souvent dans les instances de l’Office francoquébécois pour la jeunesse, presque autant que la question de l’âge. Une polémique qui naît 49 50 51 32 Ibid. Entretien avec Alain Beaugier, 02/02/01. Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. en novembre 1968, c’est-à-dire dès la première séance du conseil d’administration 52. À l’époque, l’âge est fixé entre 16 et 30 ans, avec une priorité pour les 18-25 ans. Le problème est que plusieurs organisations de jeunes, du type chambre de commerce, recrutent des membres jusqu’à 35 ans. Cette situation empêche l’Office de joindre davantage les jeunes professionnels, une dynamique que la section française déplore tout particulièrement 53. En 1973, il est alors proposé que pour certains stages, une clientèle âgée entre 30 et 35 ans soit acceptée. Idée qui sera chaudement débattue et adoptée par sept voix contre six 54. Jeunes musiciens français en visite au Québec dans les premières années. Plus ou moins 30 ans ? Jeunes travailleurs ou jeunes leaders ? Tout au cours de l’histoire de l’Office, ces deux questions continueront de soulever des débats. Mais quel que soit leur âge, impliqués ou pas dans leur milieu, avant de faire traverser l’Atlantique à des milliers de jeunes Québécois et de jeunes Français, il importe plus que tout de les préparer. Et de s’y préparer soi-même. La réunion-programme La préparation n’est pas évidente quand tout est à faire et à inventer. De fait, dès 1969, les stagiaires français et québécois expriment leur insatisfaction généralisée face aux séances de formation qu’ils reçoivent 55. Le problème est important et les deux secrétaires généraux doivent réagir rapidement. Encore faut-il pour cela savoir ce que les stagiaires souhaitent faire lors de leur séjour en France et au Québec. Et y a-t-il quelqu’un de mieux placé que les stagiaires eux-mêmes pour répondre à cette question ? C’est le raisonnement que font Jean-Paul L’Allier et Jean-Claude Quyollet. D’où l’idée d’organiser une réunion-programme, afin de consulter et de préparer les échanges avec chaque groupe de stagiaires, une activité qui débute en 1970 et qui se généralise par la suite 56. Il faut dire qu’à l’époque, les stages se font en groupes d’environ une trentaine de participants. Dans cette optique, la pratique que les dirigeants de l’Office mettent en place est simple. Elle consiste à rassembler tout un groupe de stagiaires quelques semaines avant leur départ afin de leur demander ce qu’ils cherchent en France ou au Québec. Et de là, essayer de leur bâtir un programme en fonction de leurs champs d’intérêt. 52 53 54 55 56 Compte rendu de la première réunion du conseil d’administration, Québec, 7 et 8 novembre 1968, p. 7-8, archives de l’OFQJ. C’est le commentaire que fait Jean-Claude Quyollet en juin 1973, à Rimouski, lors de la 9e session du C.A. Compte rendu de la 10e session du conseil d’administration, Bordeaux, décembre 1973, p. 19-20, archives de l’OFQJ. Compte rendu de la troisième séance du conseil d’administration de l’OFQJ, Lac-Delage, octobre 1969, p. 33-37, archives de l’OFQJ. Compte rendu de la quatrième session du conseil d’administration de l’OFQJ, Marseille, octobre 1970, p. 46, archives de l’OFQJ. 33 Pour que cela fonctionne, encore faut-il que chacune des deux sections de l’Office ait des antennes dans l’autre société. Lorsque, par exemple, un groupe de bouchers québécois fait un stage en France, l’Office doit connaître les intervenants appropriés dans l’industrie de l’alimentation. Pour ensuite faire des téléphones, prendre des rendez-vous, organiser des réunions… tout en gardant à l’esprit les attentes que les Québécois ont exprimées lors de la réunion-programme. Tel sera le rôle des chargés de mission, personnages clés des premières années de l’organisme. Chargé de projets à la section française de l’OFQJ depuis 1972, Daniel Camp explique cette méthode particulière : « On recevait des projets de la section de Montréal, par exemple le syndicalisme agricole […] tout cela nous était transmis à Paris, et à partir de là on choisissait un chargé de mission, si possible un spécialiste du même domaine. Après avoir été briefé par les agents de l’Office, il partait au Québec, rencontrait le groupe et faisait le point avec eux tout en leur expliquant la situation en France dans le domaine qui les intéressait. À la suite des échanges avec le groupe, le chargé de mission rédigeait un procès-verbal de la réunion-programme et faisait rapport à la section française. Le tout servait de base à la préparation du programme 57. » La session culturelle La réunion-programme permet donc de répondre aux attentes souvent très pointues des différents groupes de stagiaires. Ce qui ne veut pas dire que ceux-ci connaissent pour autant la France ou le Québec de manière plus générale. Il importe donc de leur faire découvrir l’autre société. D’où l’idée d’organiser une session culturelle pour préparer les stagiaires à ce qu’ils vont découvrir. Du côté français, elle consiste en une visite de Paris assurée par les maîtres de conférence du ministère de la Culture. Puis les participants peuvent, au choix, assister à des conférences sur des thèmes culturels, économiques, politiques ou administratifs, que ce soit à l’Organisation de la radio-télévision française, au Sénat ou au Centre du commerce international 58. « Ce qu’il faut comprendre, rappelle Jean-Claude Quyollet, c’est que la plupart de ces jeunes garçons et de ces jeunes filles n’avaient jamais mis les pieds en France ou ailleurs en Europe, et inversement pour les Français qui allaient au Québec. Donc, on mettait sur pied des sessions d’information qui duraient une semaine, avec de l’audiovisuel, etc. Et lorsqu’ils partaient en stage une semaine après, ils avaient un minimum de connaissances sur la France 59 ». Les Français qui débarquent au Québec ne sont pas en reste. Leur session culturelle dure trois jours et elle commence avec une découverte de Montréal, souvent organisée sous forme de rallye 60. Des ateliers sont également mis sur pied afin d’illustrer la vie québécoise. Puis les stagiaires doivent eux-mêmes élaborer une partie de leur session culturelle avec les ressources mises à leur disposition. 57 58 59 60 34 Entretien avec Daniel Camp, 28/09/00. Ibid., p. 51. Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. Rapport au C.A., 3 et 4 juin 1971, Jonquière, 1er cahier, p. 78, archives de l’OFQJ. CHAPITRE III : Dans la tourmente linguistique Tandis que l’Office s’organise, se développe et se taille une place de choix au sein de la coopération franco-québécoise, la Le fait français en Amérique du Nord est une vie politique québécoise suit son cours. donnée de la vie internationale. Pour nous c’est Depuis 1970, le Québec est dirigé par le Parti une donnée profonde, c’est une donnée essentielle. libéral de Robert Bourassa qui a chassé du Le constater n’a de valeur que pour autant que pouvoir le gouvernement de l’Union nous savons en déduire les conséquences… nationale de Jean-Jacques Bertrand. Parmi c’est ce que le général de Gaulle nous a appris et les raisons qui amènent la défaite de l’équipe c’est ce que nous devons poursuivre. unioniste, la question linguistique figure au premier plan. Les Québécois veulent vivre JACQUES CHIRAC À ROBERT BOURASSA dans une société francophone et le nouveau gouvernement libéral compte bien faire du français la langue du marché du travail. Ce qui n’était absolument pas le cas à l’époque. Le dossier est prioritaire et le premier ministre du Québec l’explique lui-même au président de la République française, dans une lettre qu’il lui envoie le 7 décembre 1970 : « Cet objectif, qui constitue l’une des grandes priorités de notre action, doit être atteint. Seul État francophone d’Amérique du Nord, héritier et dépositaire d’une culture intimement liée à celle du peuple français, le Québec doit vivre en français s’il veut garder les traits profondément originaux de sa culture. À cet égard, notre intention est de puiser abondamment au patrimoine linguistique et culturel de la France. Ce patrimoine est indispensable à la vitalité de notre culture. La France, nous en avons l’assurance, ne nous ménagera pas sa collaboration 61 [...]. » Devant ce vaste projet, touchant le cœur de l’identité québécoise, essentiel à la francophonie mondiale, lié au statut de la langue française dans le monde, comment Georges Pompidou, l’héritier du général, pourrait-il rester indifférent ? Sa conviction est profonde, sa réponse ne fait aucun doute : « En participant aux efforts du Québec pour vivre et travailler en français, et pour affirmer les traits originaux de sa culture et de sa personnalité, ce dont bénéficiera l’Amérique du Nord tout entière, la France est consciente de faire son devoir. 61 Lettre de Robert Bourassa à Georges Pompidou, datée du 07/12/70. AN-5 AG 2/115. 35 Mais en permettant à sa jeunesse, à ses techniciens, à ses ingénieurs, à ses chercheurs, de prendre part à votre expérience et à vos succès, vous apportez quant à vous à la France votre goût du progrès, votre esprit d’entreprise, contribuant ainsi à son avenir 62. » Être à l’avant-garde C’est dans une perspective dynamique que s’orientent désormais les relations francoquébécoises. « Ça faisait partie de notre mission d’être un peu à l’avant-garde de ce qui se faisait dans nos sociétés respectives. L’Office devait être un agent de changement. De façon apolitique, on faisait cause commune avec tout ce qui bougeait. D’où les stages en syndicalisme, d’où notre implication dans le domaine du français langue du travail 63 », rappelle Jean-Paul L’Allier. En matière de langue française, le Québec s’agite dans tous les sens, et ce n’est pas Jean-Paul L’Allier qui va s’opposer à ce que l’Office se lance tête baissée dans la mêlée. Cette audacieuse entreprise prend forme, en grande partie, grâce aux initiatives de Gaston Cholette, président de l’Office de la langue française, et membre du conseil d’administration de l’OFQJ. Nommé à la tête de l’Office de la langue française au début des années 1970, Gaston Cholette va, le premier, suggérer à l’OFQJ de faire des stages liés au thème du français langue du travail. Dès juin 1971, lors de la Ve séance du C.A. à Jonquière, les deux secrétaires généraux demandent aux membres du conseil d’administration l’autorisation de diriger formellement l’Office dans cette voie. Ce qui sera accepté aussitôt, non sans quelques balises : c’està-dire de ne pas dédoubler l’action engagée par les autres instances de la coopération franco-québécoise 64. La 10e session du C.A. en 1972. Sur la photo : Jean-Guy Saint-Martin (secrétaire général au Québec, 1970-1975), Jean-Paul L’Allier (ministre responsable au Québec, 1970-1976), Joseph Comiti (ministre responsable en France, 19691972) ainsi que Jean-Claude Quyollet (secrétaire général en France, 1968-1974). 62 63 64 36 Le ton est donné, mais les autorités politiques québécoises ne tardent pas à mesurer le rôle que peut jouer l’Office dans cette vaste entreprise de la francisation Lettre de Georges Pompidou à Robert Bourassa, datée du 08/12/70. AN-5 AG-2/115. Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01. Compte rendu de la 4e session du conseil d’administration, Jonquière, 3 et 4 juin 1971, p. 26-27, archives de l’OFQJ. du Québec, surtout à Montréal. Quand, en juin 1972, le conseil d’administration se réunit dans cette ville, le ministre Jean-Paul L’Allier fait tout de suite le lien : Ça faisait partie de notre mission d’être un peu à l’avant-garde de ce qui se faisait dans nos sociétés respectives. L’Office devait être un agent de changement. « Plus que partout ailleurs au Québec, les accords franco-québécois prennent à Montréal leur sens profond et essentiel. C’est en effet à Montréal que le fait français doit s’épanouir si le Québec veut continuer à apporter sa collaboration à la commuJEAN-PAUL L’ALLIER nauté francophone et internationale. C’est aussi à Montréal que la France peut jouer son rôle le plus déterminant et le plus éclatant, et pourra aider le Québec à affirmer sa culture sur ce continent. La présence de l’OFQJ dans le Vieux-Montréal, avec ses milliers de stagiaires n’est pas sans créer un courant culturel important dans cette partie de la ville 65. » Mais concernant la présence de la France au Québec, il ne s’agit que d’une étape dans ce qui est en train de devenir une lutte épique. Car après « deux siècles de patience 66 », le Canada français est toujours aux prises avec la domination de l’anglais dans l’affichage commercial, obligé de vivre dans un marché du travail anglophone, voire britannique, forcé de supporter un racisme si discriminatoire que certains intellectuels comparent le Québec à une colonie peuplée par les « Nègres blancs d’Amérique 67 », autant d’éléments qui nourrissent le ressentiment que les Québécois francophones éprouvent devant les « Anglais ». Dans cette société bouillonnante des années 1970, où la moitié des gens n’ont pas 30 ans, une rumeur persistante gronde, un slogan est brandi à tout vent, une phrase est sur toutes les lèvres, une idée balaie toutes les consciences, un sentiment embrase tous les cœurs : le Québec français. Pendant que le gouvernement québécois mène la bataille linguistique sur le plan interne, conscient de l’aide que peut lui apporter le gouvernement français, Robert Bourassa met le cap sur l’Hexagone en décembre 1974. « Si me je rends à Paris, déclare-t-il à la veille de son départ, quelques mois après l’adoption de cette loi qui fait du Québec un État officiellement français [...], c’est pour demander au gouvernement français de l’aide dans l’application de cette loi 68. » Un invité de marque au Conseil des ministres De fait, la France ne ménage pas ses efforts pour recevoir le chef du gouvernement québécois. Comme le rappelle Valéry Giscard d’Estaing, le président de la République de l’époque : « Comment marquer notre attachement et notre attention au Québec sans tomber dans les banalités du protocole ? [...] J’eus l’idée d’inviter nos partenaires à participer à notre séance habituelle du Conseil des ministres [...] J’ai fait établir l’ordre du jour habituel et ajouter, 65 66 67 68 Discours de Jean-Paul L’Allier à l’ouverture du C.A. Compte rendu de la 5e session du conseil d’administration, Montréal, mai 1972, p. 9. L’expression est de l’universitaire Gérard Bergeron. C’est le cas de l’essayiste Pierre Vallières qui, en 1970, publie un livre qui fait scandale intitulé Nègres blancs d’Amérique. Entrevue de Robert Bourassa avec Pierre-Louis Mallen, France-Québec, décembre 1974, no 13, p. 9-10, archives de l’auteur. 37 dans une seconde partie, la discussion avec les ministres québécois des questions sur les rapports entre le Québec et la France [...]. Il s’agissait d’une « première », et pourtant, ce qui m’a le plus frappé dans cette réunion, c’était son caractère parfaitement naturel. J’ai senti nos partenaires québécois détendus et à l’aise 69. » Tant aux yeux de Giscard d’Estaing que de Bourassa, il va donc de soi que l’OFQJ doit être aux premières loges de la francisation du Québec. La « première » dont parle Valéry Giscard d’Estaing a donc bien fonctionné. Mais que s’est-il passé derrière les portes closes du Conseil des ministres ? Robert Bourassa présente un document de travail d’une vingtaine de pages, pour ensuite dresser un bilan (positif) de la coopération franco-québécoise, tout en proposant une série de mesures nouvelles dont les plus concrètes visent à renforcer le français comme langue de travail 70. Les discussions s’engagent sur cette base et conduisent à l’adoption de ce que l’on désignera comme une « charte de coopération ». Tant aux yeux de Giscard d’Estaing que de Bourassa, il va donc de soi que l’OFQJ doit être aux premières loges de la francisation du Québec, multipliant les ressources, augmentant le nombre de stagiaires, haussant le financement des échanges en matière de francisation du travail. Les deux ministres de tutelle ne tardent pas à battre le fer pendant qu’il est chaud. Moins d’une semaine après la visite de Bourassa, le conseil d’administration de l’Office se réunit à Paris. Le nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, Pierre Mazeaud, ne manque d’ailleurs pas de souligner l’importance de cet événement, tandis que Jean-Paul L’Allier rappelle pour sa part à quel point l’OFQJ doit tenir compte des priorités gouvernementales des deux pays 71. Concrètement toutefois, comment s’articule l’action de l’Office ? En créant des stages portant sur le français langue du travail. Certes, mais seront-ils suivis d’effets ? D’après Gaston Cholette, celui qui, au sein du conseil d’administration, fait inlassablement valoir les possibilités d’une telle approche : « Le but poursuivi est la sensibilisation des principales catégories d’agents économiques québécois à l’utilisation du français comme langue du travail dans les entreprises. Il s’agit de faire voir à ces agents des entreprises françaises dans le secteur qui les intéresse 72 […]. » Sensibiliser, faire tomber les préjugés, sont autant d’objectifs qui se réalisent plus facilement lorsqu’on est jeune. Tel est l’argument central que Gaston Cholette emploie au sein de l’OFQJ et qui finit par recueillir l’adhésion générale. « Le fait de voir du travail se faire en français a un impact psychologique important 73 », lance-t-il au cours d’une réunion. Un argument qui reçoit aussitôt l’appui de Jean-Paul L’Allier, et dont Jean-Claude Quyollet confirme la validité, en faisant remarquer que l’effet de sensibilisation est effectivement « très visible sur les stagiaires québécois 74 ». 69 70 71 72 38 73 74 Valéry Giscard d’Estaing, « Je me souviens du Québec d’antan », Québec Match, numéro spécial, 1989, p. 36-37, archives de l’auteur. Le Devoir, 05/12/74. Compte rendu de la 12e réunion du conseil d’administration, Paris, 12 décembre 1974, p. 1, archives de l’OFQJ. Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en matière linguistique, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997, p. 29-30, 35. Compte rendu de la 7e réunion du C.A., Montréal, mai 1972, p. 33-47, archives de l’OFQJ. Ibid. Plusieurs opérations de l’OFQJ se font dans cette perspective de francisation, permettant notamment d’envoyer en France des employés de General Electric, Laurentides industries et de la raffinerie de ville d’Anjou dans l’est de Montréal. Tant et si bien qu’à la fin de l’année 1974, la section québécoise décide d’augmenter la mise. Dans un geste exceptionnel, et qui ne se reproduira plus par la suite, Jean-Paul L’Allier annonce que son gouvernement versera unilatéralement 150 000 dollars de plus au budget de l’Office pour l’année 1975, et ce, afin de permettre à deux cents jeunes Québécois de plus de faire des stages en matière de langage technique et de coopération industrielle. Le conseil d’administration donne aussitôt son aval à ce programme spécial 75. Premières turbulences En revanche, le dynamisme de l’organisme dans le domaine linguistique ne veut pas dire que tout est parfait dans le meilleur des mondes. Surtout pas en ce qui a trait à l’actualité internationale. Un sujet qui a tôt fait de rattraper l’OFQJ. En effet, le 6 octobre 1973, les blindés égyptiens et syriens se ruent vers Israël, prenant l’État juif par surprise, connaissant de remarquables succès initiaux, inquiétant les Occidentaux, menaçant l’équilibre mondial. Jusqu’à ce que Tsahal (l’armée israélienne) se ressaisisse et fasse plier l’Égypte et la Syrie sous le poids d’une énergique contre-offensive. D’où le déclenchement de représailles par les pays arabes de l’OPEP (l’Organisation des pays producteurs de pétrole). Le premier choc pétrolier vient de commencer. Les Occidentaux connaissent une spectaculaire augmentation du prix du carburant, ce qui touche, au premier rang, le transport aérien. En décembre 1974, le secrétaire général de la section française, Francis Jacquemont, est le premier à tirer la sonnette d’alarme. Il se plaint amèrement des coûts d’hébergement, surtout ceux du transport aérien qui augmentent de façon vertigineuse, alors que la subvention gouvernementale reste bloquée au même niveau 76. Un vif débat s’engage sur le seuil de crédibilité de l’Office, à savoir le nombre minimal de stagiaires à échanger pour que l’organisme demeure crédible. Depuis quelques années déjà, il a été fixé à mille cinq cents stagiaires par section. Or, il est clair que ce niveau ne sera pas atteint en 1975. De fait, en 1975, il n’y aura que mille cent stagiaires échangés de part et d’autre. Ce ne sera guère mieux pour 1976. En francs constants, la subvention ne cesse de diminuer. Qu’ils soient Français ou Québécois, les membres du conseil d’administration ne sont pas très satisfaits du travail de Pierre Mazeaud qui s’explique longuement devant eux : « Je voulais vous dire que j’ai très bien ressenti […] le souci partagé par l’ensemble des membres du conseil d’administration en ce qui concerne bien sûr les dotations budgétaires des deux gouvernements […] alors il m’appartient de dire à nos amis québécois que le gouvernement français fera le maximum […] je ferai naturellement le maximum, je serai en 75 76 Compte rendu de la 12e réunion du conseil d’administration, Paris, 12 décembre 1974, p. 10, archives de l’OFQJ. Compte rendu de la 12e réunion du conseil d’administration, Paris, 12 décembre 1974, p. 3, archives de l’OFQJ. 39 quelque sorte votre interprète à l’occasion des discussions budgétaires, mais quels qu’en soient les résultats […] ce qui compte, ce sont les liens qui unissent nos deux pays, liens que vous me permettrez de traduire dans le sens de l’affectivité […] nous avons des difficultés internes […] mais cela ne change en rien l’intérêt profond que porte le gouvernement français pour l’Office franco-québécois 77 […] » Sauf que cette élégante séance de patinage artistique ne semble pas convaincre beaucoup les membres du conseil d’administration. Ils ne sont pas les seuls à être sceptiques, puisqu’à la même époque, le quotidien Le Monde titre que « le budget de la Jeunesse et des Sports reflète l’immobilisme gouvernemental 78 ». Et pour couronner cette situation, la section québécoise de l’Office entame une grève pour signer une première convention collective. Un arrêt de travail qui sera suivi de deux autres. Événement singulier privant des centaines de jeunes Français d’un stage au Québec. « Les Français n’avaient pas compris ça », rappelle André Tétrault, secrétaire général de la section québécoise au moment de l’une des grèves. « À un moment donné, les employés avaient même convaincu des stagiaires français de venir occuper nos locaux. Je leur avais dit bienvenue chez nous, si ça vous intéresse de rester quinze jours entre quatre murs, sinon revenez visiter le Québec l’année prochaine. Le lendemain ils étaient tous partis 79. » Mais cette vision des choses n’est pas nécessairement partagée par le personnel de l’Office, comme en témoigne Maurice Segall, alors directeur adjoint à la direction des Échanges à la section française. « Comme dans toutes les grèves, il y avait des conséquences négatives, mais en même temps on se sentait très solidaires de la section québécoise. Car il y avait beaucoup de frustrations […] nous vivions dans une espèce de flou juridique et au départ, nous n’avions pas de syndicat ni de comité d’entreprise. Donc on n’avait pas droit au chômage ni à la retraite, ni à la sécurité sociale, etc., donc les grèves nous paraissaient justifiées 80. » 77 78 79 40 80 Compte rendu de la 13e session du C.A. de l’OFQJ, Pointe-au-Pic, 9 et 10 juin 1975, p. 22-24, archives de l’OFQJ. Le Monde, 27/09/75. Entretien avec André Tétrault, 24/01/01. Entretien avec Maurice Segall, 07/02/01. CHAPITRE IV : Vivre du nouveau « J’ai jamais pensé que je pourrais être aussi fier d’être Québécois, que ce soir. » Devant une foule de partisans en délire, c’est avec ces paroles que René Lévesque accueille sa victoire électorale du 15 novembre 1976. Pour la première fois de l’histoire, les indépendantistes vont gouverner le Québec. Ce que vous attendez de la France, c’est sa compréhension, son soutien et son appui, vous pouvez compter qu’ils ne vous manqueront pas le long de la route que vous déciderez de suivre. VALÉRY GISCARD D’ESTAING À RENÉ LÉVESQUE L’événement trouve rapidement un formidable écho en France. Le 16 novembre 1976, les nouvelles de la victoire du Parti québécois se répand comme une traînée de poudre dans les médias français. « Victoire des Nègres blancs 81 » titre à la une le quotidien Le Monde, tandis que le journaliste Roger Gicquel commence le bulletin d’informations télévisées en exprimant sa satisfaction. À l’écran, les images d’euphorie et d’allégresse du centre PaulSauvé défilent devant des millions de Français 82. D’où qu’ils viennent, les commentaires sont enthousiastes et positifs 83. Une vitalité qui ne tarde pas à se répercuter sur les relations franco-québécoises. Comme le notera plus tard le consul général Marcel Beaux, en poste à Québec de 1976 à 1979 : « [...] les trois années qu’il m’a été donné de vivre à Québec ont coïncidé avec un temps fort dans les relations franco-québécoises, souffrant la comparaison, toute proportion gardée, avec l’expansion de la coopération qui avait suivi le voyage du général de Gaulle en 1967 84. » Une fois de plus, l’Office franco-québécois plonge dans le cœur de l’actualité francoquébécoise. Claude Charron, son nouveau ministre de tutelle au Québec, reçoit à cet égard des instructions on ne peut plus claires : « Dès le départ, dans le contexte général, nos relations avec la France devenaient primordiales. Tout ce qui s’appelait contact avec la France devait être contrôlé à la fois par le ministre sectoriel mais aussi par Claude Morin, le ministre des Affaires intergouvernementales. Rien ne devait être laissé au hasard. Alors, quand on m’a confié la gestion de l’Office franco-québécois pour la jeunesse, j’ai compris tout de suite qu’il s’agissait d’une responsabilité très importante 85. » 81 82 83 84 85 Le Monde, 17 novembre 1976. Nicolas Dimic, Les relations franco-canadiennes sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dirigé par Alfred Grosser, I.E.P. Paris, 1985, p. 31, archives de l’auteur. Donald Baker, « Quebec on French minds », Queen’s Quarterly, vol. 85, no 2, été 1978, p. 250. Ministère des Affaires étrangères de la France. Rapport de fin de mission de Marcel Beaux, 26 octobre 1979, p. 1, archives de l’auteur. Entretien avec Claude Charron, 26/01/01. 41 Le ton est donné dès le départ. Et il se trouve que l’Office doit se réunir à Québec en février 1977, c’est-à-dire dans les suites immédiates de la victoire péquiste. Comme il s’agit de l’un des premiers contacts entre la France et le nouveau gouvernement québécois, l’affaire est d’emblée promise à un bel avenir. Ministre de l’OFQJ… et messager du président de la République Il faut dire que Paris ne tarde pas à prendre acte de l’évolution de la situation au Québec. Le 18 janvier 1977, Maurice Ligot, secrétaire d’État à la fonction publique, part en mission au Québec afin de présider la réunion du conseil d’administration. Il remplace Jean-Pierre Soissons qui, menacé dans sa ville d’Auxerre, doit rester en France pour faire campagne en vue des élections municipales. Auteur d’une thèse sur le Canada français écrite en 1950, Ligot est sans conteste l’homme politique français qui, de la conquête jusqu’à la conscription, connaît le mieux l’histoire du Québec. Or, développement inattendu, juste avant son départ, Ligot est convoqué à l’Élysée par le président Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci, pressé par les éléments les plus gaullistes de sa coalition gouvernementale depuis l’arrivée du Parti québécois, commence à manifester un très grand intérêt pour le Québec. Il charge donc le ministre responsable de l’Office d’une mission supplémentaire, comme le raconte le principal intéressé. « J’ai reçu du président la mission de remettre à René Lévesque un message oral qui consistait en ceci : la France se félicite de l’élection du Parti québécois de même que des projets qu’il envisage ; elle fait confiance à René Lévesque ; elle soutient sa politique 86. » Fort de ces instructions et de cet appui en haut lieu, Ligot met le cap sur la belle mais froide province en janvier 1977. Trois mille stagiaires Lorsqu’il s’adresse aux membres du conseil d’administration, c’est donc en connaissance de cause que Maurice Ligot peut leur dire, à l’instar de Gilles Vigneault, « mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver », avant d’ajouter sur une note plus sérieuse, que les relations francoquébécoises sont importantes et que « le président de la République française entend y veiller personnellement 87 ». De son côté, le Québec est représenté par deux ministres, Claude Morin et Claude Charron. Le premier, le plus ancien, est venu appuyer son jeune collègue. Le chef de la diplomatie québécoise martèle un message des plus clairs : l’Office doit plus que jamais avoir valeur de symbole concret dans le cadre des relations directes, privilégiées et fraternelles qu’entretiennent la France et le Québec 88. 86 87 88 42 Entretien avec Maurice Ligot, 27/10/98, archives de l’auteur. Compte rendu de la 15e session du C.A., Québec, 19 et 20 janvier 1977, p. 5, 52, archives de l’OFQJ. Ibid, p. 1. Pour ce faire, les deux ministres québécois ont un plan très simple. Il consiste à ramener le nombre de stagiaires à trois mille par année, soit le seuil critique de mille cinq cents par section. Maurice Ligot saisit la balle au bond et reprend immédiatement à son compte cette idée. Jamais depuis 1968 la conjoncture n’a été aussi favorable aux dirigeants de l’Office. Et contrairement à la période du début des années 1970, les réalisations de l’organisme sont désormais prises au sérieux par le Quai d’Orsay. Comme le note Marcel Beaux, consul général de France à Québec, en poste de 1976 à 1979 : « La coopération franco-québécoise est sans équivalent dans la mesure où elle est la seule qui lie, avec cette quantité de moyens, la France à un autre pays hautement développé et d’économie libérale. Le montant global des sommes consacrées annuellement à cette œuvre par les deux parties situe le Québec au quatrième rang des pays bénéficiaires de notre coopération après les trois pays du Maghreb […]. Grâce à l’OFQJ, un programme annuel intéressant trois mille jeunes s’est poursuivi […] il est important cependant de veiller à ce que le volume global des actions entreprises ne diminue pas 89. » En fait d’importance de la coopération, l’année 1977 illustre bien le dynamisme dont parle Marcel Beaux. Les visites ministérielles se multiplient de part et d’autre de l’Atlantique. Dynamisme qui culmine du 2 au 4 novembre, lors de la visite à Paris de René Lévesque, comme le rappelle Claude Charron : « Mon plus beau souvenir de l’Office, c’est que ça m’a valu d’accompagner monsieur Lévesque à Paris en novembre 1977. Tous les ministres voulaient aller à Paris. Bernard Landry faisait des pieds et des mains pour trouver des dossiers économiques pour traverser en France. Et finalement le premier ministre avait tranché. Voyant que tout le monde trouvait une raison pour être du voyage, il a décidé que seul Claude Morin l’accompagnerait. Mais on lui a expliqué que l’Office francoquébécois pour la jeunesse tenait son conseil d’administration en même temps que le voyage et c’était moi le ministre responsable. Alors il m’a dit, venez discrètement 90 ! » Mais au moment où, prenant le monde pour témoin, la France s’apprête à recevoir le premier ministre indépendantiste du Québec, est-ce bien le moment d’être discret ? Quand toute la France politique, de Chirac à Giscard d’Estaing à l’exception notable de François Mitterrand, rivalise d’adresse, d’honneurs et d’audace pour saluer le chef des Québécois libres, les circonstances ne favorisent nullement la discrétion. Et puisque le ministre responsable de l’Office franco-québécois pour la jeunesse accompagne René Lévesque pour un voyage historique, comment pourrait-on faire jouer au responsable de l’Office la carte de l’attitude discrète et de l’effacement ? Ce serait sous-estimer grandement l’importance du Québec pour la France et le rôle de l’OFQJ dans cette affaire. 89 90 Ministère des Affaires étrangères de la France. Rapport de fin de mission de Marcel Beaux, 26 octobre 1979, p. 13-14, archives de l’auteur. Entretien avec Claude Charron, 26/01/01, archives de l’auteur. 43 Dans cette course au déploiement protocolaire sans précédent, l’Office ne sera pas en reste, comme le raconte Claude Charron : « Les Français n’ont pas voulu que ce soit discret. Avec monsieur Dijoud, j’ai donc été invité au déjeuner à l’Élysée offert par Giscard pour René Lévesque. Alors j’arrive, un huissier annonce « le ministre de la Jeunesse et des Loisirs ». Sur ce je rentre, avec la tête frisée que j’avais à l’époque. Giscard me voit et s’exclame tout de go « mais qu’il est jeune ! » Et là, le visage de René Lévesque s’est illuminé de voir la surprise du président. Comme si l’on montrait à la France à quel point le Québec est une société jeune. Et quand je suis passé à côté de monsieur Lévesque, il m’a fait un clin d’œil, fier comme s’il avait été mon père, content d’avoir marqué un point 91 ! ». Sortir l’OFQJ de la « clandestinité » Mais, outre les réceptions et le protocole, le conseil d’administration de l’Office s’est mis au boulot. Le clou de cette séance de travail est sans l’ombre d’un doute la participation aux délibérations des premiers ministres de France et du Québec. Événement dont Claude Charron se souvient comme si c’était hier : « René Lévesque et Raymond Barre étaient venus la deuxième journée […] ils étaient arrivés en retard d’ailleurs. C’était l’apothéose de notre réunion. Ils sont venus nous dire de continuer et surtout nous signaler que les deux gouvernements allaient nous soutenir financièrement 92 ». Les deux premiers ministres ne tardent pas à passer de la parole aux actes. Le financement de l’Office est augmenté de 35 %. Par ailleurs, on n’a jamais parlé autant du Québec en France depuis 1967. Belle occasion pour l’organisme de se faire connaître davantage dans l’Hexagone. C’est ce que plusieurs pensent, dont le ministre Dijoud, qui s’étonne à haute voix qu’en France « l’OFQJ est confidentiel », ajoutant qu’« il serait nécessaire de le sortir d’une certaine clandestinité 93 ». Ce commentaire vise la section française et, au premier chef, son secrétaire général Francis Jacquemont. En réalité, le débat existe depuis quelques années déjà. Tant au conseil d’administration que parmi le personnel, plusieurs trouvent que la section française ne fait pas connaître son rôle dans l’Hexagone. Ce à quoi Francis Jacquemont s’oppose avec véhémence. La remarque lui est faite une première fois lors d’une réunion du conseil d’administration en août 1974 94. Mais rien ne bouge, et la question est à nouveau soulevée l’année suivante. La réponse de Francis Jacquemont laisse plusieurs songeurs : « Nous sommes débordés de demandes de stages, alors si nous faisons parler de nous dans les grands médias nationaux, la situation sera pire encore 95. » Henri Réthoré, nouveau consul général de France à Québec, écrit dans son rapport de fin de mission que « nous (les Français) devons impérativement poursuivre, en l’accentuant, 91 92 93 44 94 95 Entretien avec Claude Charron, 26/01/01. Entretien avec Claude Charron, 26/01/01. Compte rendu de la 16e session du C.A., 3 et 4 novembre 1977, p. 25, archives de l’OFQJ. Compte rendu de la 11e réunion du CA, Québec, août 1974, p. 27, archives de l’OFQJ. Compte rendu de la 13e session du CA, Pointe-au-Pic, Juin 1975, p.15, archives de l’OFQJ. l’action menée pour redresser notre image au Québec […] le rôle de l’OFQJ est essentiel et ses crédits doivent impérativement être maintenus, sinon développés 96 ». Néanmoins, Francis Jacquemont n’y croit toujours pas. Sauf que depuis l’élection du Parti québécois en 1976, ses patrons sont décidés à aller de l’avant. « Il est regrettable, affirme Dijoud, en novembre 1977, que dans le cadre de la relance de l’amitié entre le Québec et la France, nous ne fassions pas mieux connaître l’action de l’Office et la portée du message dont il est chargé 97. » Pour diplomates qu’elles soient, ces instructions n’en sont pas moins fermes. Et Jacquemont doit s’y conformer. L’OFQJ-France met donc le cap sur l’information. En 1978, dans la foulée de la visite en France de René Lévesque, des journalistes de TF1, du Figaro et de L’Est Républicain se rendent au Québec. Cette offensive porte ses fruits. En tout et pour tout, cent quatre-vingt-six articles de presse traitant du Québec et des activités de l’OFQJ sont publiés dans les journaux. Et comme si ce n’était pas assez, Alain Beaugier organise et anime des tournées d’information en province. Sans compter la publication en douze mille exemplaires d’une brochure pour le dixième anniversaire de l’organisme, et qui sera distribuée dans les milieux politique et associatif 98. Un effort qui s’est avéré rentable. Comme le rappelle Louis-Bernard Robitaille, correspondant du journal La Presse à Paris, « après 1976, on a vraiment beaucoup parlé du Québec dans les médias français. Tout le monde y est allé 99. » Un succès auquel l’OFQJ aura contribué. Un accent sur l’économie Tout le long de la période 1976-1980, l’accent des relations franco-québécoises est mis sur les relations économiques. Raison pour laquelle, par exemple, René Lévesque choisit à l’époque Jean Deschamps comme délégué général du Québec à Paris, celui-ci ayant été directeur des HEC à Montréal. C’est également le leitmotiv de la visite du premier ministre Raymond Barre au Québec, en 1979. Toujours dans la mouvance du politique, l’Office va donc multiplier les stages de travailleurs spécialisés, d’agriculteurs et les échanges à caractère technique. Des stages, entre autres, dans le domaine du meuble artisanal sont organisés. À l’instar d’un groupe qui, sous la supervision de l’ébéniste François Boisvert, part en France le 13 mai 1980 pour se familiariser avec les méthodes traditionnelles et contemporaines de fabrication artisanale de meubles 100. Citons également l’exemple de cet autre groupe d’étudiants qui, sous la direction de Vital Chabot, met le cap sur l’Hexagone pour observer les techniques de fabrication de maisons solaires. Ou encore ces travailleurs de l’usine GM de Boisbriand qui, sous la direction du conseiller syndical Bertrand Bégin, traversent l’Atlantique pour comparer les conditions de vie des travailleurs de l’automobile 101. La perspective économique est encore renforcée en décembre 1980, lors du second voyage de René Lévesque à Paris. Les deux premiers ministres signent alors une entente Ministère des Affaires étrangères, Rapport de fin de mission de Henri Réthoré, décembre 1983, p. 29, archives de l’auteur. Compte rendu de la 16e session du C.A., 3 et 4 novembre 1977, p. 22, archives de l’OFQJ. 98 Compte rendu de la 19e session du C.A., Auxerre, janvier 1979, p. 56-59, archives de l’OFQJ. 99 Entretien avec Louis-Bernard Robitaille, 17/03/98, archives de l’auteur. 100 Rapport des secrétaires généraux au C.A., 2e cahier, bilan des échanges, 22e session du C.A., novembre 1980, p. 7-10. 101 Ibid. 96 97 45 permettant à cent jeunes de chaque communauté d’obtenir un visa pour aller travailler de l’autre côté de l’Atlantique et confient ce mandat à l’OFQJ. Des stages faits sur mesure… par le stagiaire lui-même La 19e session du C.A. en 1979 : Claude Charron (ministre responsable au Québec, 1976-1982) et Jean-Pierre Soisson (son homologue français, 1978-1981). Tandis que l’Office étend ses activités dans le domaine économique, lentement mais sûrement, les Français continuent à redécouvrir le Québec. Les liens tendent également à s’approfondir, à l’image d’une idée qui fait peu à peu son chemin dans les cercles décisionnels de l’Office franco-québécois pour la jeunesse et qui consiste à mettre en place des stages individuels. À l’époque, les échanges de l’organisme se font en groupe pour une durée de deux à trois semaines. Cette formule « en groupe » est excellente quand il s’agit de découvrir l’autre pays. Mais elle connaît aussi de sérieuses limites quand il s’agit d’approfondir un thème particulier ou d’acquérir une véritable expérience professionnelle. Dès les tout premiers échanges, nombreux sont les jeunes qui le notent dans leur rapport de fin de stage. C’est le cas de Guy Fayolle, stagiaire en urbanisme et architecture, qui note que « trois semaines de visites à bâtons rompus et d’exposés n’apportent pas de connaissances précises et étendues 102 […] ». Ce à quoi JeanLouis Chenaud ajoute : « la comparaison est intéressante mais trois semaines paraissent un laps de temps trop court pour faire une véritable étude 103 ». Le problème semble important et l’OFQJ décide d’étudier davantage la question dans son évaluation des stages. Cela lui permettra de découvrir que 36 % des stagiaires pensent qu’ « il faudrait trouver un autre moyen qu’une brève rencontre pour que ces échanges portent fruit sur le plan professionnel 104 ». L’idée fait donc son chemin même. Elle est évoquée lors du conseil d’administration de novembre 1977. Ces stages devront viser la réalisation d’un projet précis avec des retombées. Tout cela est bien beau, mais l’idée n’est pas encore assez mûre. Ce n’est donc finalement qu’en 1979 que l’affaire prend son véritable envol, sous la houlette de Dominique 102 Bilan des échanges : les stagiaires français au Québec en 1970, p. 53, archives de l’OFQJ. 103 Ibid., p. 54. 104 Rapport au conseil d’administration de l’OFQJ, Rimouski, 15 et 16 juin 1973, 46 p. 152, archives de l’OFQJ. Bussereau et d’André Tétrault, les deux nouveaux secrétaires généraux de l’Office. Du côté québécois, Tétrault se fait l’ardent promoteur de cette idée, comme il l’explique lui-même : « À mon arrivée, la formule était restée la même depuis le début avec des petites variantes, c’était des stages de groupes avec des voyages axés sur la découverte de l’autre communauté […] un jour une dame m’appelle de la bibliothèque de l’école vétérinaire de Saint-Hyacinthe, pour aller faire un stage en France. Je lui explique qu’il fallait qu’elle forme un groupe de gens dans son domaine puisqu’à l’OFQJ on ne faisait pas de stages individuels. Ce sur quoi elle me répond : Je suis la seule au Québec en bibliothéconomie spécialisée en médecine vétérinaire. Et là, j’ai eu un flash ! […] Et ce, d’autant plus que peu de temps après on a eu le même problème avec un groupe de quelques individus qui voulaient aller étudier la culture des pommiers nains en France. Il était impossible de rassembler vingt ou trente personnes sur un thème aussi spécialisé 105. » Devant une telle situation, il devient impératif de s’adapter. Ce qui est fait lors de la réunion du conseil d’administration qui a lieu en novembre 1979. L’opération commence donc en 1980, année au cours de laquelle cent trente projets de stages individuels ou de petits groupes sont expérimentés. La formule réussit au-delà des attentes, comme l’expliquent Dominique Bussereau et André Tétrault : « Le milieu a très bien répondu 106 ». Le pari a donc été gagné. Et pour des raisons totalement extérieures à l’Office francoquébécois pour la jeunesse, cette forme d’échange va très rapidement devenir la plus importante de l’organisme. 105 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01. 106 Compte rendu de la 21e session du C.A., Québec, p. 11. 47 « Des deux côtés, on se connaissait mieux. On était prêt à donner une autre impulsion », affirme Anne Cublier (secrétaire générale de la section française (1982-1988), qu'on aperçoit à doite avec son homologue québécois André Tétrault et la ministre Edwige Avice à gauche (Saint-Malo, 1984). 48 CHAPITRE V : S’adapter pour progresser « Il faut envisager une période difficile qui pourrait modifier sensiblement le visage de l’OFQJ […] la période des années 1980 ne sera facile pour personne 107. » L’avertissement était tombé de la bouche de Claude Charron, en novembre 1979, au terme de la 19e session du conseil d’administration. Le ministre des Loisirs et des Sports ne croyait pas si bien dire. Face à la tourmente économique On a toujours réussi à trouver des solutions qui pouvaient permettre à la fois de maintenir les objectifs et les caractéristiques de l’organisme et à continuer à pouvoir le considérer comme un exemple, non seulement dans le cadre de la coopération France-Québec… mais également auprès d’autres pays. Le second choc pétrolier et la crise économique qui s’ensuit frappent l’OFQJ de plein fouet. Une PIERRE BERNIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL conjoncture correspondant en France à l’arrivée au DE L’OFQJ AU QUÉBEC 1975-1978 pouvoir des socialistes, dont la politique économique ne sera pas d’une aide particulière pour l’organisme franco-québécois. Surtout lorsque les socialistes mettent en place une politique de contrôle des changes qui limite la libre conversion du franc en monnaie étrangère. Selon Dominique Bussereau et André Tétrault lorsqu’ils s’adressent à l’époque aux membres du conseil d’administration : « La hausse des tarifs aériens fait très mal à l’Office. Les frais fixes de l’OFQJ représentent désormais la moitié des frais d’activité et nous avons dû réduire la durée des stages 108. » Un nouveau fer de lance : les stages individuels et en petits groupes L’Office va, dans un premier temps, opter pour une réduction des prestations données aux stagiaires et d’une réduction de deux à trois semaines pour le tiers des stages effectués. Mais quand Air France augmente ses tarifs aériens de 20 % par année, pour ne pas parler d’Air Canada et de son 40 % d’augmentation, ce sont là des mesures nettement insuffisantes pour enrayer la crise financière que vit l’Office franco-québécois. De toute évidence, un vigoureux coup de barre est nécessaire pour redresser la situation. Mais il y a plus. Treize années après le coup de tonnerre du balcon, cinq ans après la victoire du Parti québécois, le temps des retrouvailles est révolu. La France et le Québec se sont ouverts l’un à l’autre. Comme le note Dominique Bussereau et André Tétrault, « la mission première de l’OFQJ n’est plus de faire découvrir ce qui est aujourd’hui mieux connu, mais 107 Compte rendu de la 19e session du C.A., Québec, novembre 1979, p. 28, 36, archives de l’OFQJ. 108 Compte rendu de la 19e session du C.A., Québec, novembre 1979, p. 28, archives de l’OFQJ. p. 11. 49 de dépasser l’étape de sensibilisation pour promouvoir l’approfondissement des relations franco-québécoises 109 ». Quant à l’ampleur de l’inflation qui pousse vers le haut le prix du transport tout en diminuant les subventions gouvernementales, les deux secrétaires généraux ne peuvent que constater son effet dévastateur. Et puisqu’il faut prendre le taureau par les cornes, une piste précise de solution est mise de l’avant : « L’évaluation positive faite des stages individuels et de petits groupes renforce les secrétaires généraux dans leur conviction qu’il s’agit d’une formule de séjour extrêmement prometteuse qu’il convient de développer sur une grande échelle […] ces stages répondent donc à un double objectif : allégement et approfondissement 110. » « Des deux côtés on se connaissait mieux », rappelle Anne Cublier, qui devient secrétaire générale de la section française à la suite de Dominique Bussereau. « Des deux côtés, on était prêt à donner une autre impulsion 111. » C’est donc sous la contrainte conjuguée de la conjoncture financière et du besoin de faire autre chose que l’OFQJ effectue donc l’un des plus importants virages de son histoire. Délaissant de plus en plus les voyages de grands groupes pour miser sur le stage individuel ou de petit groupe. Un séjour centré non plus sur la découverte mais sur les besoins précis de chaque stagiaire, pour la production d’un spectacle ou d’une exposition, pour l’apprentissage d’un métier, ou pour faire une étude sur un domaine précis. Un échange ne nécessitant pas une logistique lourde et coûteuse, que l’Office ne peut plus se payer à grande échelle. Mais que font-ils exactement ces stagiaires nouvelle mouture que l’OFQJ lance sur les deux rives de l’Atlantique ? Ce sont, par exemple, des stagiaires québécois travaillant à l’Association pour l’avancement de la littérature jeunesse qui ont organisé une série d’expositions sur les livres destinés à la jeunesse dans une soixantaine de classes françaises. Séjour complété par celui de leurs vis-à-vis français du Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse, qui sont allés au Québec pour étudier l’utilisation des livres de loisirs dans les écoles québécoises. Une expérience si réussie qu’elle a amené les deux organismes à poursuivre leur coopération 112. Les nouveaux stages de l’Office permettent d’organiser, entre autres, un réseau d’information sur les voyages et les loisirs pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale. Sans parler d’un éducateur québécois œuvrant auprès des handicapés, qui organise en France une exposition de leurs travaux artistiques. Et que dire de ces étudiants de l’Institut universitaire des technologies de Villeurbanne, qui font au Québec des études de marché pour les entreprises de leur région. Le tout ayant été remis à la Chambre de commerce et d’industrie et au Centre français du commerce extérieur 113. 109 Rapport au C.A., « Propositions financières », 22e session du C.A., Paris, novembre 1981, p. 2, archives de l’OFQJ. 110 Ibid., p. 18, 22. 111 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01. 112 Rapport au C.A., 2e cahier, « Propositions d’activités pour 1981 », Québec, 7 et 8 décembre 1980, p. 22, archives 50 de l’OFQJ. 113 Ibid., p. 21. Changer la vie Pendant que les premiers stagiaires (seuls ou en petits groupes) sont à l’œuvre des deux côtés de l’Atlantique, le souffle de l’histoire rattrape une nouvelle fois l’OFQJ. Le 10 mai 1981, après une très longue traversée du désert, malgré les échecs, les affronts et les revers, en dépit des trahisons et des outrages, François Mitterrand gagne à l’arraché les élections présidentielles. Ainsi, depuis le soutien communiste au gouLe premier ministre René Lévesque à Paris en 1980. Lors de cette visite, vernement du front populaire en une entente concernant la mobilité des jeunes travailleurs entre le Québec 1936 et depuis la Libération en et la France est signée. L’administration du programme est confiée à 1945, c’est la première fois l’OFQJ. Il est accompagné des secrétaires généraux, André Tétrault (Québec, 1978-1985) et Dominique Bussereau (France, 1979-1982). qu’une coalition formée de socialistes et de communistes va gouverner la France. On chante « l’Internationale » sur la place de la Bastille. Un symbole dont la puissance n’a d’égal que l’ambition du programme socialiste. Rassemblée sous le thème « changer la vie », la gauche française propose rien de moins que cent dix propositions, dont la cent dixième promet d’intensifier la coopération avec le Québec. Les espoirs sont à la hauteur des attentes suscitées et le nouveau gouvernement ne perd pas de temps. Dès qu’elle s’installe aux commandes de l’État, la coalition donne l’impulsion nécessaire à sa politique. Vitalité qui ne tarde pas à affecter l’évolution de l’OFQJ. Comme en témoigne le rapport des secrétaires généraux au conseil d’administration en novembre 1981 : « L’évolution de la société française, en particulier depuis le printemps, a conduit la section française à s’interroger à nouveau sur les orientations fondamentales de l’OFQJ afin de vérifier si elles répondent correctement aux besoins des différents milieux intéressés 114. » Ce rapport révèle ensuite que la section française s’est livrée à une vaste opération de consultations en préparant un important document de travail envoyé à différents organismes, dans l’ordre : les centrales syndicales, les associations s’occupant des loisirs de jeunes travailleurs, les associations de jeunesse, d’éducation populaire et de sport, les associations de « progrès », les groupes de formation et de recherche, et les organisations professionnelles. Cette énumération indique déjà les couleurs dont la France entend désormais parer l’OFQJ. Les secteurs les moins favorisés de la société sont à l’honneur. La coopération 114 Rapport au C.A., « Propositions financières », 22e session du C.A., Paris, novembre 1981, p. 15, archives de l’OFQJ. 51 économique n’est plus l’objectif numéro un de l’organisme. En avril 1982, la ministre Edwige [...] l’Office favorise depuis le début une Avice annonce d’ailleurs clairement ses couleurs clientèle qui peut « démultiplier » les effets lors d’une réunion du conseil d’administration à de ses stages. Jonquière. Événement qui suit de peu le passage du premier ministre Pierre Mauroy dans cette région. « L’OFQJ, dit-elle, doit faire un effort particulier vis-à-vis des jeunes travailleurs […] il doit lutter contre les inégalités […] équilibrer ses échanges entre les secteurs économique, culturel et social […] et faire en sorte d’être accessible aux moins favorisés 115 ». Nouvelles priorités Suivant les instructions de la ministre, l’Office met donc en place de nouvelles priorités qui consistent notamment à réduire la moyenne d’âge des participants. Celle-ci atteint alors presque 30 ans 116. Une situation qui est, en quelque sorte, le résultat de la recherche de jeunes leaders. Pour pallier le modeste volume d’échange de jeunes, l’Office favorise depuis le début une clientèle qui peut « démultiplier » les effets de ses stages. Un objectif qui, jumelé au souci de développer l’aspect économique, a pour effet de faire augmenter la moyenne d’âge, puisque les stages à caractère économique s’adressent généralement à une clientèle plus établie professionnellement, donc plus âgée. En juin 1983, un coup de barre est donné : à compter de cette date, l’objectif de recherche de jeunes leaders est officiellement abandonné au profit des clientèles défavorisées. Pour être sûr d’atteindre cet objectif, le conseil d’administration décide d’accorder un tarif réduit destiné à 20 % des stagiaires, qui seront choisis dans les milieux économiquement moins nantis 117. Mais les changements d’orientations ne se limitent pas à cela, car la gauche française entend faire de l’OFQJ un instrument de sa politique. Ce qui passe par un certain réaménagement dans les programmes de l’organisme : « Depuis les débuts de l’OFQJ, la préoccupation de faire de l’Office un instrument de complémentarité de la coopération franco-québécoise avec les autres organismes dotés d’un même mandat est demeurée constante, sans qu’elle se traduise efficacement au niveau des actions concrètes […] étant ce qu’il est, l’Office doit tenir compte de la volonté gouvernementale dans l’élaboration de sa programmation et la définition de ses moyens d’action […] d’autant plus que les gouvernements veulent mener une politique d’ensemble et qu’il y a d’autres organismes qui s’occupent de coopération 118. » Cet énoncé se traduit par la mise sur pied d’un volet dit « action prioritaire ». Et qui, pour la section française, se fait à l’époque sous le thème de l’insertion sociale et professionnelle. Ce qui amène les Français à organiser des échanges sur des thèmes nouveaux. Par 115 Compte rendu de la 23e session du C.A., Jonquière, avril 1982, p. 1, archives de l’OFQJ. 116 Ibid., p. 8. 117 Compte rendu de la 23e session du C.A., Jonquière, avril 1982, p. 10, archives de l’OFQJ. 118 Ibid. 52 exemple, un stage de jeunes chômeurs dédié à l’organisation et aux initiatives des mouvements de chômeurs. Ou encore un stage en informatique au Cégep Ahuntsic, conçu par le Centre académique de formation continue de Versailles, œuvrant auprès des jeunes sans emploi et qui bénéficie aux vingt-quatre jeunes programmeurs français âgés de 18 à 21 ans. Et que dire de ce grand colloque franco-québécois, préparé à Poitiers, à l’automne 1984, consacré aux jeunes acteurs du développement local. Qu’ils soient jeunes créateurs d’entreprises, élus locaux, représentants des milieux bancaires ou associatifs, ils sont venus nombreux (deux cent cinquante personnes en tout) pour prendre connaissance de ce qui se fait au Québec en la matière 119. « L’Office a pris une série d’initiatives qui consistait à travailler sur le fond des dossiers, raconte Anne Cublier, en concertation étroite avec les acteurs de terrain, sur des sujets extrêmement sensibles, puisqu’en France c’était très vivant le travail d’insertion sociale. L’Office pouvait réagir rapidement et mettre sur pied de tels événements contrairement à d’autres organismes de coopération. Le colloque de Poitiers était donc très important dans cette perspective, les Français avaient l’impression d’apprendre énormément de l’expérience québécoise. Il y avait notamment Gilles Baril (futur ministre) qui avait volé la vedette en parlant de ses propres expériences 120 ». Ce virage à caractère social est bien accueilli par le Parti québécois qui, pour se rapprocher de la gauche française, ne cesse de rappeler son programme socialdémocrate. Les orientations de l’OFQJ prennent donc naturellement la tournure voulue par le gouvernement français. 119 Rapport au C.A., 4e cahier, 27e session du conseil d’administration, Joliette, octobre 1984, p. 9, archives de l’OFQJ. 120 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01. 53 Parallèlement à l'agitation politique qui secoue Paris et Québec, la coopération suit son cours. L'OFQJ reprend une idée du général de Gaulle et organise le projet le plus ambitieux de son histoire. 54 CHAPITRE VI : L’heure des grandes manœuvres Créé sous l’impulsion de De Gaulle, l’OFQJ a donc été conservé par la gauche et adapté avec succès aux priorités de cette dernière. De fait, en ce début des années 1980, ce n’est pas l’Office qui pose problème sur le front des relations franco-québécoises. Un petit détour s’impose ici pour remettre les choses dans une plus vaste perspective. Le Québec demeure malgré tout notre principal point d’appui en Amérique du Nord. HUBERT VÉDRINE À FRANÇOIS MITTERRAND François Mitterrand et le sommet des pays francophones François Mitterrand est à l’époque décidé à tenir le premier sommet des pays francophones. Il se heurte alors de plein fouet au problème canado-québécois. Or, le Québec possède déjà sa propre représentation au sein de l’Agence de coopération culturelle et technique (aujourd’hui, Agence intergouvernementale de la francophonie) et il entend donc obtenir un statut équivalent au sein du futur sommet des pays francophones. Une prétention qui heurte de plein fouet le gouvernement fédéral de Pierre Trudeau, qui s’oppose corps et âme à toute forme de représentation pour le Québec. Entre Paris, Québec et Ottawa, l’heure des grandes manœuvres est arrivée. Pressé de réaliser ce sommet, le président socialiste devient l’arbitre involontaire du duel Lévesque - Trudeau. Or, il s’avère que François Mitterrand n’en finit plus de se méfier de cette histoire de Québec, qu’il associe à de Gaulle, à Michel Rocard et à René Lévesque. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça commence mal. Mais il y a plus. Outre le fait que le nouveau président ne s’intéresse pas au Québec en général et à René Lévesque en particulier, il compte dans son proche entourage des personnes tout aussi insensibles que lui à la question. C’est le cas de Régis Debray, son conseiller culturel, qui conçoit la francophonie comme une œuvre tournée vers le tiers-monde et que les querelles Canada-Québec ne doivent pas empêcher d’aller de l’avant 121. Toutefois c’est à cet homme que Mitterrand confie l’organisation du premier sommet des pays francophones. Régis Debray élabore rapidement un sommet francophone où le Québec n’a aucun rôle important à jouer. Alors ministre des Affaires intergouvernementales, et de plus responsable de l’OFQJ, Jacques-Yvan Morin est le premier informé des intentions de Régis Debray à l’automne de 1982. Sa réponse est sans appel : inacceptable. Mais l’argument n’ébranle nulle- 121 Claude Morin, L’art de l’impossible, Montréal, Boréal, 1987, p. 441. 55 ment le tandem Mitterrand-Debray. À la fin du mois de mai 1983, Trudeau et Mitterrand font le point sur la question lors du Sommet du G7 qui a lieu à Williamsburg aux États-Unis. En quelques minutes, le dossier est réglé. Les deux hommes s’entendent sur un projet de sommet francophone qui laisse le Québec en plan. Décision que l’ambassade du Canada à Paris a tôt fait de rendre publique 122. Prévisions franco-québécoises : nuages mitterrandiens à l’horizon Il n’y a aucun moyen d’y échapper, Mitterrand demeure la source du problème. À titre de premier ministre, René Lévesque est le seul à pouvoir agir. Une rencontre à Paris entre les deux hommes est prévue pour le 29 juin. Pour les Québécois, il est capital de convaincre François Mitterrand de ne pas faire le sommet francophone sans le Québec. Tout ce que le gouvernement québécois compte de diplomates a été rassemblé pour préparer l’événement 123. Afin de convaincre le président, plusieurs arguments sont suggérés à René Lévesque par ses conseillers. Le plus à même de convaincre le président est celuici : comme Mitterrand pratique fondamentalement la realpolitik, il faut lui faire valoir que le poids du Québec en matière de francophonie est important. Coopération universitaire, littérature, culture, éducation, télévision, économie, recherche scientifique, jumelage de villes, etc., Lévesque sait mieux que personne qu’il aura besoin d’utiliser tous les exemples possibles pour démontrer à Mitterrand que, dans tout ce qui touche la francité, le Québec est pour la France un partenaire beaucoup plus solide que le Canada et que faire la francophonie avec Ottawa sans le Québec serait lâcher la proie pour l’ombre. À quelques jours de cette rencontre présidentielle qui s’annonce décisive, le premier ministre en est à ces réflexions, lorsque le 20 juin 1983, un projet spécial de l’OFQJ aboutit sur son bureau. Nom de code : Cap sur l’avenir. Une idée du général… pour convaincre Mitterrand Il faut dire que parallèlement à toute l’agitation politique qui secoue Paris et Québec, la coopération franco-québécoise suit son cours. En 1984, pour célébrer le 450e anniversaire de la découverte du Canada par Jacques Cartier, l’OFQJ caresse le projet le plus ambitieux de son histoire : faire traverser l’Atlantique à six cents jeunes Français et Québécois, de Québec à Saint-Malo, dans le sens inverse du célèbre navigateur malouin. Qui a été le premier à envisager un tel projet ? Nul autre que de Gaulle lui-même. Le 18 avril 1969, le ministre Joseph Comiti avait joué le messager lors de la deuxième réunion du conseil d’administration, à Québec. « Le général aurait souhaité, dit-il, qu’avec un groupe, probablement un groupe de prestige, l’Office organise un voyage en bateau et que la session culturelle ait lieu sur ce bateau 124 ». 122 Cité par Claude Morin, op. cit., p. 443. 123 Archives du MRI. 124 Compte rendu du CA, 2e session, Québec, 17 et 18 avril 1969, p. 20, archives de l’OFQJ. 56 À ces paroles, Jean-Claude Quyollet promettait d’examiner la question. Sauf que l’idée n’avait pas eu de suite. Tout le monde a oublié qu’elle avait été lancée par de Gaulle, jusqu’à ce qu’elle revienne au centre des discussions près de quinze ans plus tard, grâce notamment à Claude Quenault. Celui-ci est à l’époque directeur de la Maison des jeunes et de la culture de la ville de Conflans Sainte-Honorine, fief du premier ministre Michel Rocard. À l’instar de son patron, Quenault est un grand ami du Québec, et Comment convaincre François Mitterrand de faire une place au Québec il connaît bien Anne Cublier, la au sommet des pays francophones ? René Lévesque, à la recherche d'un secrétaire générale de l’Office. projet qui frappe l'imagination, part en France avec l'ébauche d'une grande traversée de l'Atlantique orchestrée par l'OFQJ. « J’avais pensé à la course de F. Mitterrand et R. Lévesque (Paris 1983). voiliers Québec–Saint-Malo, ditil. Et je m’étais dit que ça serait une bonne idée de faire voyager des stagiaires de l’Office sur un bateau […] et j’en avais parlé à Anne Cublier 125. » Quenault rédige donc une première ébauche du projet. Ce projet est évoqué par les premiers ministres René Lévesque et Pierre Mauroy lors de la visite de ce dernier au Québec en avril 1982 126. Mais ce n’est que l’année suivante que l’idée va véritablement suivre son chemin. Un projet en bonne et due forme est formellement présenté à une réunion du conseil d’administration de l’Office qui a lieu au Lac-Beauport les 19 et 20 juin 1983. En cette journée du 20 juin, l’heure est maintenant venue de décider si le projet de traversée ira de l’avant ou non. Car est-il vraiment possible de faire voyager six cents jeunes pendant deux semaines sur un paquebot de luxe entre le Québec et la France ? Au fur et à mesure que se déroulent les débats, les sourcils se froncent, les regards interrogateurs se multiplient, le doute jaillit de toutes parts. Presque tout le monde a la même réaction : c’est le scepticisme général. « Je n’étais pas très chaud à l’idée, se souvient André Tétrault. Je trouvais qu’il y avait de trop nombreux risques de dérapages 127. » « Il y avait des problèmes sociaux importants à l’époque, ajoute de son côté Madeleine Bourgeois, directrice des programmes de la section québécoise. Alors faire voyager six cents jeunes sur un paquebot de luxe, c’était risqué au niveau de l’image 128. » « J’avais vraiment beaucoup de doutes, conclut Anne Cublier, notamment au niveau financier 129. » 125 Entretien avec Claude Quenault, 14/02/01. 126 Lors du C.A. du Lac-Beauport, la ministre Avice rappelle devant tout le monde que Lévesque et Mauroy ont évoqué le projet de traversée en bateau lors de leurs entretiens de 1982. Compte rendu de la 25e session du C.A., Lac-Beauport, 19 et 20 juin 1983, p. 114, archives de l’OFQJ. 127 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01. 128 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01. 129 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01. 57 Autour de la table du conseil d’administration, les discussions sont effectivement vives. Outre l’image peu flatteuse que projetteront les médias du projet, le principal obstacle est d’ordre financier. L’OFQJ est prêt à allouer le montant de ce que coûte normalement l’envoi au Québec et en France de six cents stagiaires, mais le reste doit être aux frais des deux gouvernements. Comment manœuvrer en pareilles circonstances ? Les deux ministres décident d’en référer à leur patron, les deux premiers ministres, qui doivent se rencontrer huit jours plus tard à Paris. Il est convenu que madame Avice leur présentera formellement le projet à ce moment-là 130. Prendre des risques. Au point où René Lévesque en est, il n’a rien à perdre. Il lui faut convaincre Mitterrand de faire une place au Québec au sommet francophone. Un projet qui frappe l’imagination, comme une traversée de l’Atlantique en bateau avec six cents participants, est exactement le genre d’exemple dont il a besoin pour parvenir à ses fins. Le premier ministre québécois part donc en France avec le projet sous le bras. En la personne de Pierre Mauroy il trouve un allié inattendu. Le premier ministre français est très satisfait de son voyage au Québec en avril 1982. En revanche, il est très déçu des relations franco-canadiennes qui, selon lui, n’aboutissent à rien. Mais il n’y a pas que le premier ministre français qui réalise la profondeur et la vitalité de la coopération franco-québécoise. C’est aussi le cas d’Hubert Védrine, futur ministre des Affaires étrangères, et à l’époque conseiller diplomatique de François Mitterrand. La possibilité que son patron fasse le sommet des pays francophones sans le Québec le préoccupe grandement. Plus que tout, Védrine est sensible au poids du partenaire québécois dans le contexte de la coopération. La veille de la rencontre entre Mitterrand et Lévesque, il s’en ouvre au président dans une note : « Le Québec demeure malgré tout notre principal point d’appui en Amérique du Nord, évidemment sur le plan culturel mais aussi sur le plan économique. Cette province continue ainsi de représenter 50 % de toutes nos exportations au Canada. Les ouvertures faites par monsieur Trudeau ne se sont pas jusqu’à présent concrétisées en ce qui concerne le reste de la Fédération [...]. Ces promesses risquent de rester sans suite du fait de la mainmise des États-Unis sur le Canada, du protectionnisme canadien et de l’impact limité de la volonté politique d’Ottawa, si elle existe vraiment 131 [...]. » Si le conseiller du président ne fait pas mention explicitement de l’OFQJ dans ses propos, il est clair que l’organisme fait partie d’un ensemble de réalisations concrètes qui font du Québec le « principal point d’appui » français en Amérique du Nord, réalisations face auxquelles Ottawa ne fait pas le poids. Après de multiples tergiversations, ces arguments finissent par recueillir l’adhésion de François Mitterrand. Le 29 juin 1983, il reçoit René Lévesque avec une étonnante chaleur et l’assure que la France ne laissera pas tomber le Québec. 130 Programmation de 1984. Rapport au C.A., 26e session du C.A., La Rochelle, janvier 1984, p. 16-17, archives de l’OFQJ. 131 Note de Hubert Védrine au président de la République, datée du 28/06/83 (AN-5 AG 4/11 469). 58 CHAPITRE VII : L’ère des grands projets L’OFQJ a reçu le feu vert à son projet de traversée de l’Atlantique. Il faut maintenant livrer la marchandise. Ce qui n’est pas une mince affaire. Et tout le monde s’en rend compte le 9 janvier 1984, lors d’un conseil d’administration tenu à La Rochelle. « Rien ne doit être laissé au hasard » Une dynamique incroyable qui, dès le départ, a fait voguer le bateau […] le Mermoz aura été un laboratoire riche en expériences individuelles variées. MARTHA GAGNON, JOURNALISTE DE LA PRESSE À BORD DU MERMOZ L’un des principaux points à l’ordre du jour du conseil d’administration consiste à définir le programme de la traversée, plusieurs idées ayant été mises de l’avant à cet égard. Les artisans de l’Office ont beaucoup travaillé sur la question, comme l’explique André Tétrault aux membres du conseil d’administration : « Dans les deux sections, un premier travail de recherche a été accompli pour identifier les thèmes de programmation devant être réalisés à bord du Mermoz. Une série de consultations a été entreprise au Québec et en France […] il a été convenu que le thème majeur du projet devait être l’avenir, ce qui concordait parfaitement avec le genre de clientèle que nous avons, à savoir la jeunesse […]. Les activités organisées sur le bateau seront liées à des thèmes et à la vie culturelle et artistique. Les thèmes retenus sont les suivants : le travail, la société, la culture, le mieux-être, la mer et l’histoire 132. » L’arrivée au Québec Forts de ces instructions, les artisans de l’Office vont travailler d’arrache-pied pour préparer un programme et sélectionner les candidats. Après avoir mis les bouchées doubles pendant quatre mois, Le 28 mai 1984, six cents jeunes mettent le « Cap sur l'avenir » et la communication à bord du Mermoz. 132 Compte rendu de la 26e session du C.A., La Rochelle, 9 janvier 1984, p. 30, archives de l’OFQJ. 59 l’heure du grand départ arrive. Nous sommes à Québec, le 28 mai 1984. Le ciel est gris, il y a du vent. Mais ce climat « tristounet » n’a pas suffi à dissiper la bonne humeur des six cents passagers du Mermoz. Sur le quai, tout le gratin de l’OFQJ est présent, le ministre Guy Chevrette en tête, qui y va d’un discours de circonstance 133. Un orchestre joue de la musique. Des stagiaires dansent au son des mélodies. Et puis, enfin c’est l’embarquement. Il y a de la cohue et de la fébrilité au moment de monter à bord. Des partenaires de choix La vie à bord s’organise. Pratiquement toutes les facettes de l’existence sur le bateau font l’objet d’une formation quelconque. Il faut dire que les artisans de l’OFQJ n’ont pas lésiné sur la recherche de partenaires. Du côté québécois, on compte d’abord le journal La Presse, qui fête en 1984 son centième anniversaire, et qui décide donc de s’associer au projet en organisant un concours qui permettra la sélection d’une dizaine de stagiaires. Il s’agit pour ces derniers d’organiser une exposition intitulée « Les temps forts d’un siècle », illustrant les grands moments de l’histoire du Québec, à l’aide des unes des journaux de l’époque. L’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec est également du voyage. Quinze de ses étudiants effectuent un stage… dans les cuisines du Mermoz. Leur tâche est toute particulière : ils doivent préparer de somptueuses agapes aux saveurs québécoises, un festin qui sera baptisé « Menu de l’histoire » : terrine de saumon au ragoût de grenouilles ; gratiné à la bière et au gingembre et soufflé à la crème d’érable couronné d’une fleur de lys 134. La gastronomie est donc au rendezvous. Toutefois la traversée de l’Atlantique s’effectue avant tout sur le thème de la mer. La navigation est à l’honneur grâce à l’Institut maritime de Rimouski avec son contingent d’une quinzaine de stagiaires. Postés à la radio, aux machines ou aux instruments de navigation, ceux-ci auront la délicate mission de participer aux manœuvres du Mermoz. À bord du bateau, les jeunes discutent de nombreuses questions relatives à la jeunesse, l’avenir et le milieu maritime. 133 Le Devoir, 29/05/84. 134 La Presse, 01/06/84. 60 Pour compléter le thème des activités maritimes, on a sollicité la participation du Département d’océanographie de l’Université de Rimouski. Flanqués des étudiants de l’Institut de Dinard en France, les jeunes océanographes ont pour mission d’organiser des conférences sur les secrets des fonds marins et de la vie aquatique. Les Français n’ont pas lésiné non plus sur le déploiement des activités. Plusieurs ministères ont été mis à contribution, plus particulièrement celui de la Culture, de l’Éducation nationale de même que les missions locales pour l’emploi. En revanche, c’est surtout par ses artistes que l’Hexagone se fait connaître. Il y a notamment le dessinateur Fred, le père du célèbre Philémon, qui a accepté d’animer un atelier de dessin. Sans oublier l’auteurcompositeur-interprète Charlélie Couture, dont la carrière bat son plein. Cinéma, radio, journal Il ne manque plus que la principale vedette de cette traversée, la jeunesse. L’OFQJ a trouvé une façon originale de sélectionner les candidats, comme le rappelle Madeleine Bourgeois : « Un des aspects intéressants de « Cap sur l’avenir » a été le recrutement des projets et des candidats. On a d’abord procédé par appel de projets et sélection en tenant compte de la représentation de toutes les régions du Québec. Les projets retenus étaient inscrits dans la grille de programmation et animés par les participants. On a aussi recruté auprès de certains établissements d’enseignement (ITHQ, Institut maritime…). De même plusieurs communautés autochtones étaient représentées. Pour recruter des animateurs, on s’est tourné vers le programme d’animation de l’Université de Montréal, en plus d’enrôler l’équipe des animateurs de l’OFQJ. Un de ces animateurs détenait un doctorat en psychologie et avait comme mandat d’intervenir auprès des gens en difficulté. Mais ses services ont été peu sollicités, la vie à bord s’est régulée d’ellemême 135. » Que ce soit sur le thème du travail, de la société, de la culture ou de la mer, le programme s’annonce copieux. Il y aura, au cours de la traversée, 3960 inscriptions aux différentes activités 136, des activités porteuses d’avenir comme l’informatique (nous sommes en 1984 !). Dans le gymnase intérieur du bateau, on a installé plusieurs ordinateurs, qui fonctionnent six heures par jour tout le long de la traversée. On y reçoit quotidiennement une trentaine de personnes. Les jeunes découvrent ainsi la micro-informatique, le dessin par ordinateur, etc., et profitent aussi de l’atelier audiovisuel qui leur propose une réflexion sur le cinéma et la télévision. Français et Québécois peuvent aussi se découvrir dans la réalisation d’œuvres vidéo puisqu’un atelier d’initiation à la vidéo légère a été mis sur pied. Les participants visionnent plusieurs cassettes à leur disposition. Ils se familiarisent avec le matériel de diffusion tout en relevant le grand défi de réaliser un film vidéo marathon et un document de fiction 137. Aussi, pour les adeptes du septième art, avec un regard critique ou celui d’un simple spectateur, l’Office a préparé un horaire de cinéma répertoire rassemblant les meilleurs réalisateurs de la France et du Québec, avec entre autres Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jean- 135 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01. 136 Rapport au C.A., 3e cahier, « Bilan cap sur l’avenir 1984 », Joliette, octobre 1984, p. 10, archives de l’OFQJ. 137 Futurs actuels, journal de bord, p. 3. 61 Claude Labrecque, Denys Arcand et Pierre Falardeau. À l’affiche : Sauve qui peut la vie (1980), Les 400 coups (1958), L’affaire Coffin (1979) ; Le confort et l’indifférence (1981) ; Elvis Gratton (1981) 138. Si l’image est à l’honneur, le son ne demeure pas en reste. Les organisateurs de l’OFQJ ont mis en place une station radiophonique : « Vous écoutez Radio-Véronique, la radio du Mermoz. ». Cent soixante-dix-huit heures d’émission… en douze jours ! Les jeunes interviewent les personnalités à bord (les artistes, le capitaine, les responsables de l’Office, etc.), ils font des topos lors des escales avec de nouvelles entrevues, interrogent des passagers, tout en proposant un choix de musiques variées. Que dire, par ailleurs, de cette trentaine de jeunes qui décide spontanément de publier un journal, Le mille sabords, qui alimente un fort courant de contestations chez certains stagiaires 139. Le feu roulant de la critique de nos jeunes amis n’épargne personne. Et comme le note la journaliste Nathalie Pétrowski, « le journal finit par se saborder de lui-même… sous le poids de sa propre critique 140 ». Tout ce programme laisse encore le temps aux stagiaires de s’amuser. Surtout lorsque le capitaine met le cap sur les Açores. Précédemment utilisée pour un atelier d’aquarelle, la piscine a été vidée de ses peintres pour être remplie d’eau. Tandis que plusieurs profitent du beau temps pour faire trempette et se « dorer la couenne au soleil ». À l’approche du vieux continent, une frénésie de fraternisation s’empare du bateau. Tout le monde parle à tout le monde comme si tous étaient de vieux amis 141. On s’échange des adresses, des promesses de se revoir, on s’invite à qui mieux mieux. Les soirées sont arrosées et on fait la fête jusqu’aux petites heures du matin. Porté par le mouvement Le 8 juin 1984, au petit matin, le Mermoz arrive finalement dans la rade de Saint-Malo. Les vénérables murs de pierres de la cité des corsaires sont en vue. Jacques Cartier est revenu à Saint-Malo. Un accueil de tous les participants se fait en cascade dans cette nouvelle Maison du Québec, sise sur les remparts de la ville, et que René Lévesque vient à peine d’inaugurer en présence des autorités françaises. Mais plus sérieusement, tous les voyageurs se demandent quelles conclusions ils peuvent tirer d’une telle aventure. Ils ont travaillé, étudié, créé, contesté, festoyé, fait et défait le monde à plusieurs reprises. Et tout ça pour quoi ? Pour se confronter. Et par le fait même pour se découvrir. Les voyages forment la jeunesse, dit le vieil adage. Celui du Mermoz aura été particulièrement réussi à cet égard, comme le rappellent les principaux intéressés : « La traversée, raconte Huguette Corbeil, est un pas de plus qui va du rêve à la réalité, des attentes à l’action. Coexister avec six cents « Mermousses » franco-québécois et baigner 138 Ciné fiches cap sur l’avenir, archives de l’OFQJ. 139 Futurs actuels, journal de bord, p. 3 140 Le Devoir, 05/01/84. 141 Le Devoir, 09/06/84. 62 dans cette énergie pendant douze jours en pleine mer fut pour moi comme la potion magique de Panoramix. Elle renforce et donne envie de bouger, d’agir 142. » Agir, à l’image de Florence Guillemet, qui affirme « qu’après six ans dans le même lieu de travail, je suis désormais persuadée que je peux aller plus loin… j’ai trouvé un élan nouveau ». Que dire du témoignage de ces groupes de chômeurs qui se trouvaient à bord. Comme le rapLéguée au gouvernement du Québec par la Ville de Saint-Malo, la porte Christian Tytgat, de l’AssoMaison du Québec à Saint-Malo fut inaugurée le 4 avril 1984. Depuis ciation formation-étude-rencontre : 1990, l’animation culturelle de la saison estivale est assurée par l’OFQJ. « Nos six stagiaires sont revenus bouleversés, enchantés, déphasés et changés. Je peux affirmer que ce voyage leur a fait gagner des mois, voire des années, dans leur cheminement difficile pour se faire et trouver une place dans notre société. » De toute évidence, les deux gouvernements sont très satisfaits de l’opération du Mermoz. L’idée de faire un grand projet qui soit au cœur de l’actualité a très bien fonctionné. Selon toute vraisemblance, les félicitations que Guy Chevrette adresse aux artisans de l’Office sont partagées par René Lévesque. Devant un tel succès, celui-ci pense sûrement qu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. C’est en tout cas ce que la suite des événements permet de penser. L’Année internationale de la jeunesse Guy Chevrette et le nouveau ministre français, Alain Calmat, décident à nouveau de mobiliser l’OFQJ derrière un grand projet. Ce sera pour 1985, l’Année internationale de la jeunesse. Comme le révèle le cahier de programmation de l’organisme, « l’Année internationale de la jeunesse est une occasion pour l’Office de faire valoir la vitalité actuelle, passée et à venir de sa mission 143 ». Autour de la table du conseil d’administration, un certain nombre de projets sont discutés. La démarche consiste à organiser plusieurs concours destinés à la jeunesse. Espace et énergie seront les sujets d’un concours de culture scientifique qui amènera les participants à réfléchir et à imaginer les impacts des sciences sur les devenirs des sociétés française et québécoise. Le concours « Ariane-Baie-James » s’articulera en deux volets, l’un intitulé « Jeunes, énergie 142 Six mois après le voyage, deux tables rondes furent organisées. À Montréal, le 19 novembre et à Paris, le 21. Les témoignages cités sont tirés de ces deux rencontres, archives de l’OFQJ. 143 Rapport au C.A., cahier de programmation 1985, 27e session du C.A., Joliette, 19 et 20 octobre 1984, p. 4, archives de l’OFQJ. 63 et environnement », l’autre « Jeunes et espace ». Le prix est un stage d’observation de deux semaines au complexe hydroélectrique de la Baie-James pour le premier et au Centre de recherches spatiales de Kourou, en Guyane, pour le second. Le tout servira de prétexte pour permettre à deux groupes de quarante jeunes de se familiariser avec les professions scientifiques 144. L’OFQJ ne manque pas d’idées et, entre autres projets, envisage également d’organiser un grand concours de création radiophonique, dont les meilleurs lauréats participeraient au concours de la radio FM de La Rochelle 145, ainsi qu’un projet de murales extérieures géantes réalisées à partir d’œuvres créées par des jeunes, un concours d’aventure et une coproduction : Les Vêpres de la Vierge du compositeur québécois Gilles Tremblay. Année internationale de la jeunesse (1985) : l’OFQJ lance, en partenariat avec le Festival FM de La Rochelle, le concours radio « 85 FQ ». De gauche à droite, les organisateurs : Robert Sorel, Patrick Beaudin et Madeleine Bourgeois de l’Office en compagnie de Richard Lelièvre et Serge Plaisance, animateurs à CKOI-FM. Ariane - Baie-James Dans le cadre des volets « Jeunes et espace » et « Jeunes, énergie et environnement » les stages sont organisés en deux parties. Première destination : Paris ou Montréal. Seconde destination : la Guyane (Kourou) ou le Grand-Nord (Baie-James). Dans un cas comme dans l’autre, un programme chargé attend les lauréats du concours. Pour les amateurs de l’espace, les deux premiers jours du stage se composent de visites en métropole à l’Aérospatiale, au Musée de l’air et de l’espace, à la cité des sciences et des techniques la Villette, et surtout aux Mureaux, dans les Yvelines, où une partie de la fusée Ariane est fabriquée 146. De son côté, le groupe qui visite la Baie-James arrive à Montréal le 4 août, et part pour le Grand-Nord trois jours plus tard. Accueillis par Hydro-Québec, Français et Québécois marchent aussitôt sur les traces de Gilbert Bécaud, tantôt visitant les barrages LG2 et LG3, tantôt le fameux escalier des géants, où le chanteur français a donné un spectacle mémorable. Mais ce n’est là qu’un début. Les Français (la majorité du groupe) prennent rapidement conscience de ce que l’écrivain Chateaubriand appelait « la vastitude de l’Amérique ». 144 Rapport au C.A., cahier de programmation 1985, 27e session du C.A., Joliette, 19 et 20 octobre 1984, p. 2, archives de l’OFQJ. 145 Ibid. 146 Programme du séjour des lauréats du concours « Jeunes et espace » : France 64 métropolitaine et Guyanne, Q/F 977-85, p. 6-7, archives de l’OFQJ. Ils prennent l’avion pour découvrir Charlevoix puis la Côte-Nord où ils ont le loisir de contempler les cinq voûtes gigantesques de Manic-5, un symbole à la dimension du Québec : immense et qui a inspiré tant de poètes. Un spectacle qui ne manque pas d’impressionner les visiteurs français… comme les Québécois d’ailleurs. 85 FQ, la voix de la jeunesse Si en cette année 1985 la science demeure au rendez-vous, une fois de plus la culture n’est pas oubliée. Le concours « Les jeunes et la radio » voit le jour. Son objectif consiste à donner la parole aux jeunes en les aidant à créer, à réaliser et à diffuser des émissions de radio. Le Festival FM de La Rochelle bat son plein et plusieurs ont le loisir de syntoniser 85 FQ, la « nouvelle chaîne » où travaillent les lauréats du concours de l’OFQJ. En réalité il ne s’agit pas d’une chaîne, mais de plusieurs émissions produites par les stagiaires de l’OFQJ et qui sont diffusées sur différentes chaînes. « On avait fait cette activité dans les suites du Congrès mondial des radios communautaires, qui s’était tenu à Montréal en 1983, de dire Maurice Segall. J’avais convaincu Anne Cublier que l’Office devait y participer. D’où l’idée de faire un concours radiophonique lors de l’Année internationale de la jeunesse. Du côté français, je me souviens que le lauréat avait été Serge Poézevara. Je l’ai revu depuis et il m’a dit que ce stage avait changé sa vie… il est aujourd’hui l’un des grands patrons de Radio-France 147 ». L’Année internationale de la jeunesse est également l’occasion de mettre sur pied une coproduction de l’œuvre inédite de Gilles Tremblay : Les Vêpres de la Vierge. La pièce est présentée à l’abbaye de Sylvanès dans le cadre de son festival de musique sacrée. Le projet réunit un chef d’orchestre et des musiciens québécois, avec la participation d’un chœur français, tandis qu’un peintre québécois expose ses œuvres sur les lieux du festival. L’année suivante, ce seront les Français qui présenteront une pièce lors du Festival international de Lanaudière et à celui du domaine Forget dans Charlevoix. Un projet intitulé « Bourses Jeunesse-Aventure-Québec » est également mis en place par la section française. Destinées à soutenir les initiatives de la jeunesse dans le domaine de l’aventure, une cinquantaine de bourses vont permettre à de jeunes Français de réaliser un projet d’aventure au Québec. Présentation des Vêpres de la Vierge de Gilles Tremblay à l’abbaye de Sylvanès à l’occasion du Festival de musique sacrée. (France, 1986). 147 Entretien avec Maurice Segall, 07/02/01. 65 La notion d’aventure est entendue au sens large du terme. Pour l’Office, l’aventure, c’est l’esprit même de la jeunesse qui s’exprime à travers le voyage. C’est tout ce qui favorise l’énergie et la débrouillardise, de l’exploit sportif à la simple découverte d’une autre culture. Jeunes révolutionnaires L’Année internationale de la jeunesse est à peine terminée que la France songe déjà à préparer en grand le bicentenaire de la Révolution française, en 1989. L’Office est mis à contribution et organise un grand concours québécois pour les étudiants de niveau collégial. Ils doivent écrire un essai sur le thème « Qu’est-ce que ça signifie pour vous la Révolution française ? ». Quarante d’entre eux sont sélectionnés, vingt en sciences humaines et vingt en sciences pures. Ensemble, ils mettent le cap sur Paris où ils arrivent le 5 juillet 1989. De nombreuses activités sont organisées, des débats, des visites de musées et de sites historiques 148, comme le raconte l’historien Gilles Villemure, qui accompagne alors le groupe : « On a fait un grand rallye dans Paris, sous la forme d’une chasse au trésor. On était parti du jardin des Plantes et il y avait des enveloppes et des indices disséminés un peu partout. Les jeunes étaient divisés en équipes, chacune représentait une des tendances de la Révolution française […]. Fait intéressant, à chaque étape, il y avait des épreuves à faire. Une de ces épreuves avait lieu devant le Palais-Royal, les jeunes devaient improviser un discours comme Camille Desmoulins l’avait fait durant la Révolution française. Les passants s’arrêtaient et se groupaient pour assister à ces discours improvisés. Les gens étaient très intéressés et c’était très pédagogique 149. » Deux jeunes plantent « l’arbre de la liberté » sur l’île Notre-Dame à Montréal en 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’homme. En arrière plan, de part et d’autre de l’orateur, à gauche, André Maltais (secrétaire général, 1989-1991) et à droite, Madeleine Bourgeois (directrice des programmes, 1979-). Au niveau politique, les Québécois ont également droit à un programme digne de mention. Le lundi 11 juillet ils sont reçus à l’Assemblée nationale. Et le lendemain ils ont rendez-vous à l’Élysée, où ils prennent part à un grand spectacle organisé par les Francofolies. 148 Bicentenaire de la Révolution française, groupes Q 7022-Sciences humaines, arts et lettres, Q 7023-Sciences pures et de la santé. Programme du séjour, archives de l’OFQJ. 149 Entretien avec Gilles Villemure, 19/02/01. 66 Ajustements et nouveaux horizons CHAPITRE VIII : L’Office a vogué sur l’Atlantique, participé à l’Année internationale de la jeunesse, réalisé sa première coproduction franco-québécoise, fait la révolution et lancé ses lauréats à l’assaut des ondes françaises et québécoises. Une fois de plus, le voici rattrapé par l’actualité politique francoquébécoise. En période de crise économique et budgétaire, on questionne tout […] ce n’est pas tout le monde qui percevait l’importance des relations francoquébécoises. C’est pour ça qu’on a pris le virage des stages qualifiants en milieu de travail. GINETTE PELLERIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE À la fin de l’année 1985, les libéraux de L’OFQJ, SECTION DU QUÉBEC DE 1991 À 1995 Robert Bourassa ont repris le pouvoir à Québec. L’année suivante, une cohabitation s’instaure en France lors des élections législatives. François Mitterrand doit faire appel à Jacques Chirac pour diriger son gouvernement, car son parti est minoritaire à l’Assemblée nationale. Le courant passe à merveille entre Robert Bourassa et Jacques Chirac. Ceux-ci, que la fonction de premier ministre avait déjà réunis, réintègrent, presque en même temps, le poste qu’ils occupaient 150. Et si, lors de la visite de Jacques Chirac en septembre 1987, les deux hommes ne manquent pas de souligner l’apport de l’OFQJ dans les relations franco-québécoises, il n’empêche, malgré tout, qu’un certain nombre de différends mettent les deux sections de l’Office en porte-à-faux. Du côté québécois, le gouvernement compte sabrer dans l’appareil administratif et procède à un examen minutieux de chacun des organismes gouvernementaux. « On avait échappé de peu à une fermeture pure et simple, rappelle le secrétaire général Alexandre Stefanescu, car le gouvernement, après avoir examiné la vocation de plusieurs organismes publics, jugeait que l’OFQJ méritait d’être maintenu. Mais on a dû vivre dans un contexte de coupures. On a donc dû compenser par l’imagination 151. » Le 20e anniversaire de l’OFQJ (1988). Alexandre Stefanescu (secrétaire général au Québec, 1985-1989), Claude Charron (ministre responsable au Québec, 1976-1982) et Pierre Moretti (directeur de l’administration, 1977-1990). 150 Entretien avec l’ancien délégué général Jean-Louis Roy, 25/05/98. Archives de l’auteur. 151 Entretien avec Alexandre Stefanescu, 30/04/01. 67 Cette situation en amène plusieurs à penser qu’il faut séparer la gestion des deux sections qui ont, jusqu’à maintenant, fonctionné sur la base d’un budget commun. C’est le cas de Guy Rivard, ministre québécois responsable de l’OFQJ. « La parité, dit-il lors d’une réunion, constitue une orientation qui est fondamentale. Ce n’est pas une parité, cependant, qui Découverte de la culture inuite dans le Nord du Québec (Inukjak) par l’OFQJ en 1990. Sur est immobile 152. » « Un cerla photo : Thierry Tulasne (agent de programme, 1989-), Claude Quenault (secrétaire général en France, 1989-1993), Madeleine Bourgeois (directrice de la programmation, 1979-) et tain nombre de problèmes André Maltais (secrétaire général au Québec, 1989-1991). se posaient », ajoute André Maltais, le secrétaire général de la section québécoise. « Il fallait que les Français paient leur transport et il fallait aussi que le Québec augmente sa subvention 153. » C’est finalement quelques mois plus tard, en novembre 1990, lors d’un conseil d’administration à Magog, que l’épineuse question du transport est réglée une fois pour toutes. Le fonds commun est éliminé. Chaque section paiera ses dépenses et chacune aura une marge de manœuvre plus grande dans l’organisation de ses activités. Économie et formation professionnelle Le gouvernement libéral a fait de l’économie son fer de lance et désire orienter les relations franco-québécoises en ce sens, comme en atteste l’énoncé de politique publié en 1991 : « Le Québec tentera de conclure des alliances avec la France en matière d’économie et de développement scientifique et technologique, d’industrie de la culture, de la communication et de la langue, en s’appuyant notamment sur la participation élargie des divers intervenants québécois, sur un rapport intergouvernemental et institutionnel toujours plus étroit et sur un effort de rayonnement accru 154 ». Le mot d’ordre est donné et il ne tarde pas à se répercuter sur les activités de l’Office franco-québécois pour la jeunesse. Surtout qu’en cette période de crise, certains se demandent, au sein du gouvernement québécois, s’il est toujours pertinent de maintenir les activités de l’organisme. 152 Ibid, p. 10 153 Entretien avec André Maltais, 26/01/01. 154 Le Monde pour horizon, le Québec et l’interdépendance, ministère des Affaires internationales, Québec, 1991, p. 150. 68 « Ce n’est pas tout le monde qui percevait l’importance de l’OFQJ, raconte Ginette Pellerin. Comme secrétaire générale je me devais de défendre l’Office. Avant chaque étude de crédit, il fallait mener des batailles budgétaires. Une année on est passé à un cheveu de subir de très grosses coupures budgétaires. Jusqu’à ce que la ministre de la Culture du Québec, Liza Frulla, récupère l’Office sous sa gouverne et accepte d’injecter des fonds de son ministère. Ça nous a permis de sauver notre mise [...]. Les ex-secrétaires généraux au Québec, à l’occasion du 25e anniversaire. De gauche à droite : André Tétrault (1978-1985), Jean-Guy Saint-Martin (1970-1975), Ginette Pellerin (1991-1995), Pierre Bernier (1975-1978), Jean-Paul L’Allier (1968-1970), Alexandre Stefanescu (1985-1989) et André Maltais (1989-1991). Dans ce contexte-là, on ne pouvait plus faire le même type d’échanges […] c’est pour ça qu’on a pris le virage des stages qualifiants en milieu de travail. En misant sur la formation professionnelle, ça nous permettait de justifier nos budgets » 155. De fait, la section québécoise de l’Office multiplie à cette époque les ententes avec les établissements d’enseignement (cégeps et universités), ce qui lui permet d’offrir de plus en plus de stages de formation professionnelle. Du reste, cette orientation reflète les délibérations de l’Office lors d’un conseil d’administration tenu à Fécamp en 1992 : « Après 25 ans d’activité, l’Office a acquis une très riche expérience et apparaît comme l’élément incontournable d’une coopération franco-québécoise forte. La nécessité s’impose aujourd’hui de définir une nouvelle dynamique afin de rendre l’Office encore plus performant et de donner à notre jeunesse de nouvelles perspectives. Les échanges de jeunes doivent pleinement intégrer la dimension économique et favoriser leur orientation et leur formation professionnelle 156. » Cette nouvelle politique amène une réorganisation des différents types de stages de l’Office. Comme l’expliquent les dirigeants de l’organisme aux membres de la commission permanente, l’OFQJ « concentrera désormais son action de formation dans des secteurs porteurs d’avenir prioritaire pour les deux gouvernements : communication ; culture ; droit international ; environnement ; science et technologie, tourisme et insertion des jeunes 157. » Ce virage correspond clairement à la politique du gouvernement libéral, comme l’explique l’ancien ministre Guy Rivard. « Notre approche était moins traditionnelle. L’Office avait été plus tourné vers le culturel et nous on voulait ajouter plus d’économique et de technologique 158. » 155 Entretien avec Ginette Pellerin, 25/05/01. 156 Rapport au C.A., 39e session, Fécamp, septembre 1992, p. 1, archives de l’OFQJ. 157 Procès-verbal de la 51e session de la commission permanente, 24 novembre 1992. 158 Entretien avec Guy Rivard, 30/01/01. 69 La 38e session du C.A. en 1991 au Parlement de Québec en présence du premier ministre, Robert Bourassa, Guy Rivard (ministre responsable au Québec, 1988-1993) et Frédérique Bredin (ministre responsable en France, 1991-1993). De son côté, le gouvernement français défend l’insertion sociale des jeunes. Cette dernière catégorie a été maintenue à la demande de la France, car il lui importe que l’OFQJ ne s’intéresse pas seulement aux activités économiques. En fait, les socialistes français sont particulièrement préoccupés par la situation des jeunes dans les banlieues difficiles. En 1990, il crée un ministère à la ville chargé, notamment, d’étudier la question. Une nouvelle politique verra le jour : « La jeunesse et la ville ». On veut donner une chance aux jeunes des quartiers défavorisés de s’ouvrir à de nouveaux horizons. Mais comment faire pour mettre en œuvre cette nouvelle politique gouvernementale ? Les dirigeants français ont notamment l’idée de faire appel à l’Office franco-québécois pour la jeunesse, organisme tout indiqué pour être actif dans ce dossier. À l’occasion de la 37e séance du conseil d’administration de l’Office, réuni le 30 mai 1991, Frédérique Bredin, la ministre française de la Jeunesse et des Sports, a demandé à l’Office d’intensifier les actions déjà menées auprès des jeunes en démarche d’insertion, en consentant un effort supplémentaire dans le cadre de la politique urbaine et du développement social des quartiers. L’Office va organiser, dès l’été 1991, une opération-phare intitulée « Les jeunes et la ville ». En moins de deux mois, une dizaine de projets vont être montés en collaboration avec la Délégation interministérielle à la ville (DIV) et la Délégation interministérielle à l’insertion des jeunes (DIJ) 159. Cent jeunes issus de différentes régions de France vont s’envoler pour le Québec. Leurs projets sont principalement axés sur la prévention et l’insertion professionnelle, par la rencontre et la confrontation avec de jeunes Québécois. Rencontres sportives, productions de spectacles, théâtre, mime, danse, rap, reportages vidéo, sont les moyens qu’ils se sont donnés pour faire de leur voyage une expérience riche en découvertes et en enseignements. Avec le soutien de l’Office, ces jeunes travaillent activement à l’élaboration et à la réalisation de leur projet. Un petit coup de pouce, un gros coup de cœur. L’Office souhaite encourager, chez des jeunes en situation difficile, l’esprit d’initiative, la créativité, la curiosité et la volonté d’entreprendre par le voyage et la découverte d’une autre culture et d’autres pratiques, une vision différente de la vie, de la société et de l’avenir. 159 Entretien avec Sylvie Teveny, 29/05/01. 70 Montréal en fête En 1992, Montréal se prépare à célébrer en grande pompe son 350e anniversaire. Que ce soit en France ou au Québec, plusieurs comptent profiter de l’événement pour illustrer la vitalité des relations entre les deux communautés. L’OFQJ y participera d’abord par la mise sur pied d’un orchestre franco-québécois pour la jeunesse. Une idée qui, depuis quelques années, trottait dans la tête de certains artisans de l’Office, puisque aucune activité n’avait jamais été organisée avec le Conservatoire de musique de Montréal qui, à l’aube des années 1990, s’apprête à célébrer son 50e anniversaire. C’est sur cette toile de fond que deux professionnelles de l’Office, Monique Dairon Vallières et Madeleine Bourgeois se présentent au bureau d’Albert Grenier, directeur du Conservatoire. « C’est providentiel ! j’étais justement à la recherche d’un projet pour souligner le 50e anniversaire du Conservatoire » 160, leur lancet-il, au moment où elles expliquent leur démarche. Assez rapidement, un partenaire français est trouvé : en l’occurrence, il s’agit du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Le projet se déroule en fait en trois temps sur une période de deux ans. En 1990 d’abord, les musiciens québécois se rendent dans la région lyonnaise pour y faire une série de concerts. L’année suivante, un concours de composition est lancé, avec un gagnant de chaque côté de l’Atlantique. Deux pièces musicales qui feront partie du répertoire lorsque l’orchestre sera bel et bien formé en vue du 350e anniversaire. En juillet 1992, quarante Français débarquent au Québec pour rejoindre le même nombre de vis-à-vis québécois. Après une semaine intense de répétitions, ils sont prêts à entamer leur tournée de sept concerts, sous la direction de Mark Foster et de Raffi Armenian. Les voici bientôt à Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke et bien sûr Montréal où, le 14 juillet, ils convient les Montréalais à un grand concert à l’aréna Maurice-Richard. La performance sera saluée par la critique malgré la mauvaise acoustique de la salle 161. Toujours dans le cadre du 350e anniversaire de Montréal, l’Office décide d’organiser différentes manifestations à l’intention de la jeunesse. Un concours franco-québécois sur le thème « 350 ans de vie française en Amérique » est organisé en partenariat avec la fondation Lionel-Groulx, au En 1992, à l’occasion des Fêtes du 350e anniversaire de Montréal, l’OFQJ a développé un projet d’orchestre symphonique francoquébécois. 160 Entretien avec Monique Dairon Vallières, 10/09/01. 161 Le Devoir, 16/07/92. 71 Québec, et le ministère français de l’Éducation nationale. Il s’adresse aux élèves des collèges et lycées de France et des cégeps du Québec. Axé sur l’histoire de l’Amérique française, ce concours a suscité des actions éducatives variées qui ont permis, en faisant progresser la connaissance du Québec, une sensibilisation à la francophonie en Amérique du Nord. Des jeux, des expositions de gravures et un roman, ont été primés. Les lauréats québécois et français se sont vu offrir une expédition historique de deux semaines, en France pour les premiers, au Québec pour les seconds. Course « RABASKAS » autour de l’île de Montréal en 1992. L’Office Ces voyages ont permis à ces jeunes de convie la jeunesse à parcourir les 160 kilomètres d’eau qui ceinturent découvrir l’histoire et le patrimoine Montréal. culturel de chacun des deux pays. Et, toujours à l’occasion du 350e anniversaire de la ville, les Français ont été invités à participer au grand rallye historique et sportif organisé par l’Office autour de l’île de Montréal. En effet, outre ce concours historique, l’organisme décide de convier la jeunesse des deux pays à un important défi sportif : parcourir en rabaska les cent soixante kilomètres qui ceinturent l’île de Montréal. Naviguant sur ces grands canots d’époque, à raison de quatre Français et quatre Québécois par embarcation, il s’agit pour ces soixante-quatre jeunes de suivre l’itinéraire fluvial des premiers voyageurs de la traite des fourrures, de ces aventuriers qui, en brigade d’engagés, partaient à la découverte du continent pour faire le commerce des pelleteries 162. Fait particulier, l’activité comprend des jeunes Québécois de la région de Montréal et beaucoup de Français provenant des différents « Montréal » de France : Montréaldu-Gers, Montréal-La Cluse et Montréal de l’Aude. À la conquête du Grand-Nord Toutefois cette découverte épique du Québec en canot ne se limite pas aux rives de Montréal, car avec le passage d’André Maltais à la tête de l’organisme, l’horizon de l’OFQJ s’élargit vers le Grand-Nord. Expert dans le domaine des relations avec les Autochtones, Maltais ne tarde pas à orienter les stagiaires hors des sentiers battus. « Tout en gardant les activités traditionnelles, on voulait ouvrir de nouveaux horizons 163 », raconte Maltais. « On est allé à Inukjuak dans le Grand-Nord, pour voir un peu le type d’échanges qu’on pouvait faire avec les gens de cette région. On se disait que c’est pas parce que les 162 Dossier Rabaskas, archives de l’OFQJ. 163 Entretien avec André Maltais, 16/01/01. 72 Autochtones habitent au bout du monde qu’on ne peut pas faire d’échanges avec eux 164 », poursuit Claude Quenault, secrétaire général français. Dès lors l’Office multiplie ses activités avec les Autochtones. Au cours de l’été 1991, un projet d’échanges entre de jeunes Français et de jeunes Inuits a déjà vu le jour. Visant à sensibiliser les nations autochtones à la francophonie, il avait permis à une vingtaine de jeunes provenant de trois régions françaises (MidiPyrénées, Limousin et Champagne-Ardennes) de séjourner dans des familles d’Inukjuak et de partager leur quotidien. À leur tour, une vingtaine de jeunes Inuits avaient été accueillis dans des familles françaises de ces trois régions. Une expérience enrichissante et inoubliable, des moments intenses d’émotion pour tous les participants. L’organisme ne s’arrêtera pas en si bon chemin. D’où l’idée de participer aux activités « Ilnu 92 » en envoyant un groupe de vingt et un jeunes (issus de milieux difficiles) de la ville de Cesson chez des hôtes montagnais. Dans le cadre du 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique, « Ilnu 92 » consiste en une série d’activités qui sont organisées afin de rapprocher Blancs et Montagnais de la région du Lac-Saint-Jean, notamment en les invitant à un grand rallye en canot. L’Office en profite donc pour accrocher son wagon à la locomotive du projet. Accueillis pendant trois semaines au sein de la communauté montagnaise, les jeunes Cessonnais ont ainsi l’occasion, eux aussi, de renouer avec le mode de transport des découvreurs. D’ailleurs, le trajet fluvial qu’ils empruntent s’appelle la « route des fourrures ». Depuis la rivière Metabetchouan (près du village montagnais de Mashteuiatsh) ils se rendent à Desbiens, Chicoutimi, La Baie, Sainte-Rose-du-Nord, Cap Trinité, Anse Saint-Jean, Baie Sainte-Marguerite. L’arrivée se fait à Tadoussac, ce qui leur donne la chance d’aller observer les baleines 165. Les Montagnais, quant à eux, initient leurs visiteurs européens à des activités traditionnelles. C’est ainsi que les Français étudient la faune et la flore, découvrent l’artisanat de ce peuple, tout en participant à des spectacles et en assistant à un conseil de bande. Un phare de la culture québécoise à Saint-Malo Il n’y a pas que dans le Grand-Nord que l’OFQJ organise des manifestations avec les Autochtones. Grâce à l’organisme, des artistes amérindiens et inuits se produisent en spectacle à la Maison du Québec à Saint-Malo qui est devenue un lieu privilégié pour de jeunes artistes québécois qui en sont à leurs premières Les Inuits du nord du Québec à la Maison du Québec à Saint-Malo en août 2000. Démonstration de chants de gorge traditionnels. 164 Entretien avec Claude Quenault, 14/02/01. 165 Expédition Ilnu 92, archives de l’OFQJ. 73 armes. Il faut dire qu’à partir de la fin des années 1980, l’Office joue un rôle de premier plan en ce lieu. « En 1989, Louis Cournoyer, conseiller culturel de la délégation générale du Québec à Paris, est venu nous voir pour nous demander d’assurer une programmation d’été. La Maison du Québec, offrait un lieu de diffusion unique pour nos artistes québécois et une magnifique vitrine pour le Québec. En conjuguant les moyens qu’offrait l’OFQJ, la délégation du Québec avec la ville de Saint-Malo et l’Association Saint-Malo-Québec, une première programmation a été lancée l’été suivant 166. » Et la relève artistique et musicale se manifeste sans tarder. Depuis 1990, des dizaines de conteurs, d’artistes, de chanteurs ou de conférenciers en tout genre débarquent dans la ville de Jacques Cartier chaque année pendant la saison estivale. Ils y viennent pour raconter une histoire, pour faire un tour de chant, ou pour présenter un film. C’est le cas, par exemple, d’Anne Ardouin, l’ancienne animatrice de Radio-Véronique sur le Mermoz, devenue entretemps réalisatrice de documentaires. C’est à la Maison du Québec à Saint-Malo qu’elle présente en France son premier bébé. « En 1993, je suis retournée à Saint-Malo avec l’Office pour présenter mon premier film, Une rivière imaginaire. On était sept jeunes appuyés par la SODEC qui présentions un court métrage. Ça c’est tellement bien passé que certaines personnes que j’ai rencontrées ce soir-là ont par la suite présenté mon film dans d’autres villes. Ça a créé des liens très forts 167. » Des liens, Anne Ardouin n’est pas la seule a en avoir créé. De nombreux artistes comme Kevin Parent, Marie-Jo Thério, la Bande Magnétik, Daniel Boucher et bien d’autres l’ont expérimenté. Chaque été, une vingtaine d’activités d’animation et de spectacles sont présentés à la Maison du Québec, dans les rues ou sur des scènes de la ville, avec une palette variée offrant de la musique traditionnelle, jazz et classique, de la chanson, du théâtre, des contes, des animations autour des métiers d’art, des cultures autochtones, des expositions, etc. Une large place est laissée aussi à des projets expérimentaux d’étudiants de niveau avancé en arts d’interprétation. L’Office s’est ainsi associé au Conservatoire d’art dramatique de Montréal pour présenter à Saint-Malo une opération de théâtre de rue qui est le fruit du travail des élèves de l’atelier de création. Les rues de la ville s’animent de la présence de jeunes comédiens du Québec avec une série de capsules théâtrales. Avec une telle programmaLa saison estivale 2001 de la Maison du Québec à Saint-Malo. tion, pas étonnant que la Maison du La troupe de comédiens de rue La Bardasse est issue du Conservatoire Québec soit devenue partie prenante du d’art dramatique de Montréal. paysage culturel de Saint-Malo. 166 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01. 167 Entretien avec Anne Ardouin, 25/02/01. 74 CHAPITRE IX : Relance et élargissement Le début de l’année 1994 marque un certain dégel au niveau des relations entre Paris et Québec. Contrairement à son ancien chef Robert Bourassa, le premier ministre Daniel Johnson fils décide, lui, d’effectuer une visite officielle à Paris, quelques semaines seulement après son arrivée au pouvoir. En 1994, je suis allé à Paris dans une atmosphère de relance […] pour préparer la visite de Jacques Parizeau. BERNARD LANDRY, MINISTRE DES RELATIONS INTERNATIONALES DU QUÉBEC Mais Johnson est battu aux élections quelques mois plus tard. C’est à son successeur péquiste, Jacques Parizeau, que reviendra l’essentiel de la tâche de relancer les relations francoquébécoises. Pour cela, le nouveau premier ministre choisit Bernard Landry comme ministre responsable des Relations internationales. En ce qui a trait à la France, Landry a une idée très claire de ce qu’il veut. « En novembre 1994, je suis allé à Paris dans un climat de relance des relations franco-québécoises […] les visites croisées de premiers ministres ne se faisaient pratiquement plus […] ça s’était considérablement refroidi. J’ai donc participé à cette relance en allant à Paris préparer la visite de Jacques Parizeau. Et j’ai été accueilli à bras ouverts 168. » Attribution de mentions spéciales aux fondateurs, en 1994. Dans l’ordre : Dominique de Combles de Nayves (consul général de France), Jean-Paul L’Allier (premier secrétaire général au Québec, 1968-1970) et Jean-Marie Morin (ministre québécois cofondateur, 1968-1970). 168 Entretien avec Bernard Landry, 08/06/98. 75 Améliorer l’employabilité des jeunes Une telle attitude, on s’en doute, se répercute rapidement sur l’action de l’OFQJ. La visite de monsieur Parizeau en janvier 1995 a porté, en partie du moins, sur la relance de la coopération jeunesse. L’OFQJ était au cœur des activités envisagées selon Michel Leduc, secrétaire général québécois. Visite au Québec du premier ministre de la République française Alain Juppé accueilli par le premier ministre Lucien Bouchard, les 10 et 11 juin 1996. Celui-ci affirme que l’Office se devait de diversifier ses interventions au service de toutes les catégories de jeunes, étudiants et travailleurs, et d’être ouvert à tous les types de coopération avec la France. Pour cela, il fallait augmenter les moyens de l’Office. Des suggestions, celui qui est à l’époque conseiller spécial en a plusieurs. « On s’était beaucoup occupé des étudiants, et je pensais que l’OFQJ devait faire plus pour les jeunes travailleurs et les jeunes en recherche d’emploi […] En février 1995, l’Office se verra offrir un partenariat avec la Société québécoise de la main-d’œuvre en vue de monter un programme s’adressant aux jeunes demandeurs d’emploi 169. » Jeunes travailleurs, jeunes en difficulté, il faut comprendre qu’à l’époque la crise économique se termine à peine. Une partie de la jeunesse a été particulièrement frappée. Il s’agit donc d’intervenir de façon ciblée en faveur de ce segment de la population. Tant en France qu’au Québec, les deux gouvernements approuvent cette façon de voir. Comme en témoigne la visite d’Alain Juppé, au Québec, en juin 1996. Le premier ministre français et son vis-à-vis Lucien Bouchard profitent de cette visite pour dresser le plan de match en ce qui concerne la jeunesse : « À la lumière des expériences pilotes menées au cours de la dernière année, les deux premiers ministres se sont mis d’accord pour centrer l’action de l’OFQJ sur la formation professionnelle des jeunes, afin de lutter durement contre le chômage qui les frappe. Cette démarche permettra de souligner fortement la place d’un organisme dont la France et le Québec considèrent qu’il est l’un des instruments efficaces et adaptés de leur coopération 170 […]. » Deux mots clés doivent ici être retenus : formation et emploi. Les deux premiers ministres veulent que l’Office accentue son volet formation, mais qu’il le fasse surtout pour aider les jeunes à réintégrer le marché du travail ou à retourner aux études. 169 Propos tirés de « Trentième anniversaire de l’OFQJ », document audiovisuel, 1998, archives de l’OFQJ. 170 Extrait du relevé de décision des deux premiers ministres signé par messieurs Bouchard et Juppé, 11 juin 1996, archives du MRI. 76 Le programme « Formation et emploi » C’est dans cette perspective qu’en 1994, à la suite d’une réunion du conseil d’administration, l’Office commence à mettre en place les bases de nouveaux stages spécialisés en entreprise. L’année suivante, l’opération débouche sur un nouveau programme en bonne et due forme, « Formation et emploi », qui constitue l’un des éléments de la nouvelle politique franco-québécoise de lutte contre le chômage chez les jeunes. La nouveauté vient ici du fait que la clientèle cible est uniquement constituée de jeunes sans emploi et de jeunes décrocheurs. Le but du projet étant de développer chez eux leur employabilité à l’aide d’un stage en France ou au Québec. Particularité du projet, il se fait en partenariat avec la Société québécoise de la main d’œuvre (devenue aujourd’hui Emploi-Québec) et en France avec le concours occasionnel des régions. Faute d’un financement institutionnel, la section française a maintenu le programme en le finançant à l’aide de ses propres fonds. En contrepartie, la loi québécoise interdit à un assisté social de toucher ses prestations s’il se trouve à l’extérieur du Québec. « L’idée d’envoyer parmi ces jeunes des assistés sociaux et des chômeurs à l’étranger dans le cadre d’un programme de formation, c’était une première, raconte Michel Leduc. Il a fallu convaincre le gouvernement d’amender la loi. Ce n’était pas facile, mais heureusement la ministre Louise Harel a été très efficace pour trouver une solution 171. » Et la loi fut amendée en 1998. De nombreux projets naissent avec le programme « Formation et emploi ». Serge Duclos, président du Carrefour jeunesse emploi (CJE) de Charlesbourg-Chauveau, profite de l’occasion pour proposer ses idées lorsqu’il apprend l’existence de ce nouveau programme. Il faut dire que les CJE sont des organismes sans but lucratif, qui ont précisément pour objectif de favoriser l’intégration économique et sociale des jeunes adultes. Précisons en plus que Serge Duclos est un ancien stagiaire de l’OFQJ. « En 1994, j’étais allé en France pour étudier les entreprises en insertion sociale. Ce sont des entreprises qui embauchent des personnes qui font des démarches de La 42 session du C.A. au Québec en 1995. Sur la photo, Pierre Mesmer réinsertion en emploi. Les (membre du C.A., ancien premier ministre de la France), Jacques Barrat (secréFrançais étaient beaucoup taire général en France, 1993-1997), Christiane Lessard, responsable du protocole, Bernard Landry (ministre responsable au Québec, 1994-1995) et Michel plus en avance que nous dans Leduc (secrétaire général au Québec, 1995-). 172 ce domaine-là . » e 171 Entretien avec Michel Leduc, 23/04/01. 172 Entretien avec Serge Duclos, 27/02/01. 77 Nommé directeur du Carrefour emploi jeunesse de sa région en 1996, notre homme pose alors une question fort simple : Pourquoi ne pas faire bénéficier ces jeunes d’un stage en France dans une entreprise qui fait de la réinsertion sociale ? L’idée lui vient d’autant plus vite qu’il apprend que la section française de l’OFQJ effectue une démarche semblable dans le parc de la Jacques-Cartier Un chantier de perfectionnement en ébénisterie artisanale, effectué par le dans le cadre d’un « chantier CFP Neufchatel (Québec) en collaboration avec l’Association Chanteloube d’aménagement ». À l’époque, Développement, en 2001. de jeunes Français en réinsertion y travaillent chaque été afin d’entretenir le parc 173. L’un des responsables du programme en France avait contacté Duclos pour avoir des conseils. Après avoir accompli les démarches de préparation, le projet de Duclos est accepté. L’OFQJ fournira son expertise et son financement au projet de son ancien stagiaire. C’est ainsi qu’en juin 1997, une vingtaine de jeunes Québécois débarquent à la station balnéaire de Bombannes, près de Bordeaux sur la côte Atlantique. « Ils faisaient des travaux pour préparer la saison touristique, raconte Serge Duclos. En retour, ils étaient hébergés et nourris. Leur prestation d’Emploi-Québec servait directement à financer le stage. Cela a très bien fonctionné 174. » Du côté français, le programme présentait des caractéristiques originales dans la mesure où il s’adressait aussi aux primo demandeurs d’emploi, public ayant des difficultés d’accès à des dispositifs de formation. L’objectif était de : – réduire les périodes d’absence du marché du travail en multipliant les expériences pratiques liées au domaine de formation ; – stimuler la recherche active d’emploi et améliorer les facteurs de réussite en soutenant des expériences de stages distinctes et qualifiantes ; – encourager la mobilité géographique et professionnelle. Les premières années de fonctionnement révèlent que la majorité des candidatures spontanément recueillies relèvent de la formation supérieure, mais des efforts sont faits pour accroître davantage la participation d’un public nettement moins qualifié, en particulier par l’information auprès des missions locales, des centres de formation et des associations d’accompagnement à l’emploi. 173 Entretien avec Serge Duclos, 27/02/01. 174 Ibid. 78 Les évaluations du programme, tant internes qu’externes, démontrent toutes que le programme atteint bien ses objectifs. L’affaire fait boule de neige. Le gouvernement fédéral emboîte le pas et accepte que les chômeurs en bénéficient. Ottawa leur permet à leur tour de toucher des prestations de chômage lorsqu’ils sont à l’étranger dans le cadre d’activités d’apprentissage. La culture : une place toujours particulière Le programme « Formation et emploi » répond donc à des objectifs de diversification et de renouvellement. La volonté de rajeunissement va également se faire sentir pour l’ensemble des programmes de l’organisme. Si la formation professionnelle accapare une bonne partie des énergies de l’Office, la culture ne perd pas sa place pour autant. Le renouvellement touche aussi ce secteur, car il importe que l’Office reste accessible à tous. Ce retour des choses s’applique également à la culture. Au fil des années, les choix successifs des dirigeants de l’OFQJ ont eu comme conséquence indirecte de reléguer la culture dans l’ombre. L’arrivée, en 1997, d’un nouveau secrétaire général à la section de Paris a facilité le retour de la tendance. Jacques Fauconnier tenait à rendre à la culture la place qui lui revenait en tant qu’un des fondements de la relation franco-québécoise. En 1998, la nomination de Louise Beaudoin à la tête du ministère des Relations internationales a pour effet de renforcer cette orientation. Ancienne ministre de la Culture et ancienne déléguée générale du Québec à Paris, elle est sensible à cette question. D’autant plus qu’elle est l’une des artisanes d’un projet des plus ambitieux : le Printemps du Québec en France. « Heureux d’un printemps » Dans la foulée, alors que tout ce que le Québec compte de créateurs se prépare à se lancer à la conquête de l’Hexagone, tandis que le métro parisien roule aux couleurs du Québec, l’Office frappe un grand coup. Il s’agit pour l’occasion d’organiser un concours de création étudiante, en collaboration avec l’Association des professeurs de français du Québec. Sous le thème « Heureux d’un printemps », titre de la célèbre chanson de Paul Piché, la jeunesse québécoise est invitée à présenter en images et en mots, son En 1999, quelque 250 jeunes issus de différents horizons ont fait leur marque lors de la première saison du Québec à l’étranger. 79 Québec à elle, celui du quotidien et de ses mille et une petites choses, celui de l’ambition et du rêve, celui de l’intemporel avec ses paysages et ses saisons, celui de ceux et celles qui y vivent et qui, selon les mots fameux de René Lévesque, « […] de cette Amérique d’abord presque entièrement française, ont réussi à garder vivante cette partie qu’on appelle le Québec 175. » Les voici donc lancés ces jeunes – ils sont des milliers à se présenter au concours – avides Des élèves en art dramatique participent au Festival Molière de Versailles, de mots et d’esquisses, poussés lors du Printemps du Québec en France en 1999. par la soif de créer, désireux de faire découvrir à la France le Québec d’aujourd’hui. Ils ont écrit, peint, dessiné, photographié. Sous forme de poèmeaffiche ou de murale, ce sont ces mots, ces métaphores et ces images qui sillonnent le vieux pays afin de faire connaître aux Français le Québec et les Québécois. Et qui illustrent une nouvelle fois l’importance de la culture au sein de l’OFQJ. Le résultat surprend, le lyrisme est au rendez-vous. Comme en témoigne l’œuvre de Kateri Lemmens de l’Université de Sherbrooke : « Avez-vous vu vous l’espace écartelé, de l’Amérique romane, ses îlots de paroles et ses corps forcés, dans l’urgence de l’instant […]. » En 2001, le Québec accueille plusieurs artistes français qui « décoiffent » dans le cadre de la première saison de la France à l’étranger. Le chanteur Néry au Festival Coup de cœur francophone. Ce « Printemps » bien particulier aura permis à deux cent cinquante jeunes de faire leur marque en France dans des secteurs aussi divers que les sciences, la culture et les communications. Du théâtre de rue au robot mobile en passant par la diffusion sur les ondes radio, le volet jeunesse du « Printemps » a montré l’image d’une génération aux multiples talents. Tournée de spectacles de chanson et de musique contemporaine, écriture en direct, lectures publiques, cinéma, danse, le secteur culturel portait l’étendard de la relève artistique. 175 René Lévesque, Option Québec. 80 France au Québec - La saison En fait, l’affaire a si bien marché que les Québécois décident d’inviter les Français chez eux à l’automne 2001. Ce sera une grande première ! La France, habituée à recevoir des saisons culturelles du monde entier, n’avait pas, jusqu’alors, programmé de son propre chef, une saison française à l’étranger. Que le Québec soit le lieu de cette première expérience demeure significatif des relations privilégiées entretenues par les deux pays. L’Office a immédiatement réagi à cette perspective. La section de Paris, en relation avec l’Association française action artistique (l’AFAA), opérateur principal, la Direction des affaires internationales du ministère de la Culture et de la Communication (MCC) et la Direction de la coopération culturelle et du français du ministère des Affaires étrangères (MAE), a participé à la définition de la ligne éditoriale de ce qui allait devenir « France au Québec – la saison ». La volonté de tous les acteurs est restée immuable : donner de la France une image renouvelée, axée sur la jeunesse et la vitalité de ses représentants comme celle des publics auxquels elle désire s’adresser. Acteur convaincu de la coopération culturelle pour la relève artistique, l’Office a trouvé tout naturellement sa place dans cet événement. Valoriser les partenariats de longue date, favoriser les rencontres entre professionnels parallèlement aux événements, développer des projets en région, autant de lignes directrices qui répondent aux souhaits des institutions. Huit projets sont développés par l’OFQJ, quelque soixante-dix artistes y participent, la majorité réunit des artistes français et québécois. Des nouveaux conteurs aux performances chorégraphiques, de la musique contemporaine à la mouvance techno, du ciné-concert électronique à la présentation de vidéastes français, sans oublier les coups de cœur aux espoirs musicaux, l’OFQJ a choisi de présenter un mélange explosif de disciplines, d’époques et de tendances en émergence. Ces événements ont abordé ainsi des sujets porteurs telle l’application des nouvelles technologies dans la création musicale, et ont ouvert au public des espaces habituellement réservés à la création, pour exposer les œuvres d’artistes littéralement « inclassables ». Tourné vers l’avenir Si de tels événements sont résolument culturels, l’initiative, elle, demeure politique. À cet égard il faut dire que plusieurs personnes du gouvernement La rencontre de Lionel Jospin, premier ministre de la France, Lucien Bouchard, premier ministre du Québec et de stagiaires (1998). 81 de Lionel Jospin connaissent bien la question québécoise. C’est le cas notamment du ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, de la ministre de la Culture, Catherine Trautmann, et du premier ministre lui-même. Celui-ci ne tarde pas à reprendre à son compte la tradition des visites alternées de premiers ministres. Lors de son voyage au Québec en 1998, lui et Lucien Bouchard profitent de l’événement pour souligner le 30e anniversaire de l’Office. Et le chef du gouvernement français réitère ses convictions, tout en louant le travail de l’Office dans le domaine des technologies de l’information : France au Québec/La saison : Alain Beaugier (directeur des échanges en France, 1968-2000) et l’animateur Calixte de Nigremont lors d’une soirée spéciale OFQJ au festival Coup de cœur francophone (automne 2001). L’OFQJ coproduisait le spectacle Libérer le trésor, consacré au répertoire des chansons méconnues, interprétées par des artistes de la jeune scène. La soirée remporta un tel succès, qu’un CD du spectacle a été produit. « Ça fait longtemps que je participe à l’Office francoquébécois pour adultes (rires) et je me sens un ami du Québec. Les stages proposés par l’OFQJ le sont dans des secteurs d’avenir, extrêmement modernes, comme dans les nouvelles technologies. Nous ne sommes donc pas tournés vers le passé. Au contraire, on essaie d’affronter le monde de demain […]. La capacité pour des hommes et des femmes de culture francophone de se projeter sur de nouveaux médias et de nouveaux moyens est tout à fait essentielle 176. » « Se projeter dans l’avenir » signifie aborder de front les questions qui sont posées aux sociétés modernes. C’est le défi que tente de relever l’Office avec ses « universités d’été », ces périodes de formation de quelques semaines, ayant généralement lieu durant cette saison comme leur nom l’indique. En fait, ce concept d’université d’été qui prend le plus souvent l’allure de rencontres organisées sur des thèmes éducatif, culturel, social et scientifique va permettre à l’Office de dynamiser ses programmes de coopération en participant activement à la mise en place de telles rencontres sur des questions de l’heure telles que le patrimoine, le développement économique régional, le multimédia et la ruralité. C’est le cas en environnement par exemple. En 1990, l’Université du Québec à Chicoutimi en collaboration avec l’OFQJ et trois régions françaises (Franche-Comté, NordPas-de-Calais et Alsace), crée une université d’été internationale sur le développement durable. Des Français, des Québécois, ainsi que quelques Africains, Antillais et Maghrébins se joignent au groupe. Ils sont issus de plusieurs disciplines : environnement, biologie, droit, économie, le but de l’université d’été étant d’avoir une vision globale des problèmes. Que ce soit la gestion du littoral boulonnais, la stratégie d’élimination des déchets de la communauté urbaine de Lille, la gestion des forêts alpines ou le programme de stabilisation des berges du lac Saint- 176 Trentième anniversaire de l’OFQJ, document audiovisuel, 1998, archives de l’OFQJ. 82 Jean, ils sont confrontés aux difficultés de la cohabitation de l’humain et de la nature. La formation est très intense. « Ils travaillaient même la nuit, se souvient Pierre Gougeon, chargé de projet à l’OFQJ, car à la fin du stage, ils devaient présenter un rapport (fait en équipe) qui consistait en une étude de cas d’un problème particulier lié au développement durable 177. » En 1996, l’OFQJ participe à la mise sur pied de l’Université d’été sur le patrimoine en collaboration avec la région Poitou-Charentes, les universités de Montréal, Poitiers et La Rochelle. Travailler ensemble Pour que les jeunes de France et du Québec puissent poursuivre leurs échanges, il importe que les deux sections de l’Office travaillent main dans la main. Or, depuis que la gestion budgétaire a été séparée les choses ne sont pas si faciles, comme l’explique le secrétaire général Michel Leduc : « À partir du moment où l’on a mis fin à cette espèce de péréquation entre les deux sections, chacune avait une plus grande marge de manœuvre, surtout au niveau budgétaire. Et ça se répercute forcément sur les effectifs de stagiaires, sur le choix des projets et sur les échanges. On a réglé un problème, mais on a accentué les risques de dérive entre chaque section. Et ultimement ça pourrait mener de facto à une situation où il y aurait deux offices 178. » Heureusement, nous n’en sommes pas encore là, mais plusieurs dans les cercles francoquébécois sont préoccupés tant il apparaît important que l’Office demeure un organisme unitaire et uni. En 1997, Sylvain Simard, alors ministre des Relations internationales du Québec, confie ouvertement la question à Marie-Georges Buffet, la nouvelle ministre de la Jeunesse et des Sports. L’arrivée d’un nouveau secrétaire général à la section française, en la personne de Jacques Fauconnier, facilite la projection d’une vision commune souhaitée de part et d’autre. Mais une telle vision va mettre un certain temps à apparaître. Il faut y consacrer du temps, permettre la réflexion, insuffler la cohérence nécessaire et tenir compte de la nouvelle donne. La 45e session du C.A. au Québec en 1998. Michel Leduc (secrétaire général au Québec, 1995-) ; la ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin (coprésidente du C.A., 1998-); l’ex-ministre française de la Jeunesse et des Sports, Marie-Georges Buffet (coprésidente du C.A., 1997-2002) et Jacques Fauconnier (secrétaire général en France, 1997-). 177 Ibid. 178 Entretien avec Michel Leduc, 28/02/01. 83 C’est-à-dire rééquilibrer les effectifs en tenant compte des jeunes travailleurs, aider les jeunes en difficulté d’insertion, tenir compte des nouvelles technologies et ne pas laisser tomber les étudiants qui sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide de l’Office. De nouveaux partenaires La réflexion porte ses fruits. Les violons s’accordent, les musiciens connaissent leur partition, l’Office attaque une nouvelle pièce. En l’occurrence il s’agit d’étendre le partenariat de l’organisme. C’est ce qui est réalisé, par exemple, avec la création du Comité d’action politique franco-québécois, les jeunes militants de partis politiques y trouvant aussi leur compte. L’idée remonte à… octobre 1969. Jean-Claude Quyollet l’a lancée lors d’une réunion du C.A. au Lac-Delage. « Ce serait intéressant pour des jeunes Français de venir suivre une campagne électorale ici au Québec 179. » Une proposition qui a tout de suite plu au ministre unioniste Jean-Marie Morin, pour peu qu’on tienne compte d’un certain nombre de conditions : « Personnellement je serais bien d’accord à condition que le C.A. autorise les stagiaires à venir me prêter main-forte dans mon comté de Lévis 180. » La remarque a soulevé l’hilarité générale. Sauf que dans le climat d’agitation, et avec les suspicions qui pèsent sur l’Office dans certains milieux, les membres du C.A. ont préféré ne pas s’engager dans cette voie. En tout cas pas avec des échanges de membres de partis politiques. Le conseil d’administration a donné son accord du bout des lèvres pour que des étudiants en sciences politiques puissent faire de tels stages. Mais Jean-Claude Quyollet croit se souvenir que le projet n’est finalement pas allé de l’avant 181. Néanmoins, l’idée revient sur la table plusieurs années plus tard, au printemps de 1994, grâce à l’initiative de Jean-François Doray, un jeune militant du Bloc québécois 182. Le Comité d’action politique franco-québécois est alors formé. En 1995, il permet à de jeunes Québécois d’assister aux élections présidentielles françaises. L’action citoyenne Au nom du Comité d’action politique franco-québécois, Jean-François Doray remet un cadeau à Jacques Chirac, au printemps de 1995, à l’occasion des élections présidentielles. La recherche de nouveaux partenaires amène aussi l’Office à tisser des liens en France et au Québec avec des organismes actifs dans les milieux multiethniques français et québécois. À l’initiative de l’OFQJ, du ministère des 179 Compte rendu de la 3e session du C.A., Lac-Delage, 16 et 17 octobre 1969, p. 117-118. 180 Ibid. 181 Entretien avec Jean-Claude Quyollet, 29/01/01. 84 182 Entretien avec Julien Lampron, 11/01/01. Relations avec les citoyens et de l’immigration, d’Images interculturelles, du Conseil des relations interculturelles, de la Fondation de la tolérance, on crée en mars 2000, la Semaine d’actions contre le racisme. Depuis, celle-ci est renouvelée chaque année. Le but consiste notamment à sensibiliser les jeunes et les moins jeunes aux problèmes du racisme et de l’intolérance. L’Office s’engage à faire participer une importante délégation française aux activités de la semaine. De nombreuses activités figurent au programme. D’abord en 2000, une conférence internaLa ministre québécoise des Affaires municipales et de tionale avec la participation de Québécois, de la Métropole, Louise Harel, joint sa voix à celles de Français et de Belges, ainsi qu’un festival de créateurs français pour dire « Non au racisme ». films contre la discrimination qui est présenté (Semaine d'actions contre le racisme, 2000). à la Cinémathèque québécoise. Sont invités de jeunes réalisateurs français tels que Fabrice Genestal, réalisateur de la Squale portant sur le problème du racisme et de l’intolérance chez les jeunes d’une banlieue française. Le volet cinématographique se double d’un volet production pour des étudiants en cinéma. Puisque chacune des dix équipes françaises, québécoises et belges s’aventure caméra au poing avec le mandat de réaliser de courtes capsules cinéma à partir de thèmes d’improvisation explorant « la ville, lieu d’inclusion, lieu d’exclusion ». Les équipes ont une journée pour effectuer un repérage des lieux et une autre pour le tournage, le tout encadré par le Département de cinéma du Cégep Ahuntsic. La présentation des œuvres a finalement lieu lors d’une soirée en présence de deux cents invités. PlaNet en couleurs : la coopération à distance Les nouvelles technologies sont mises à contribution pour l’événement, et ce, d’une façon insoupçonnée. Qui aurait dit que, dans les premières années de l’Office, quelque trente ans plus tard, des activités entre le Semaine d’actions contre le racisme, activité « Des mots pour le dire », 2001. Sur la photo : un jeune rappeur dans le métro de Montréal. 85 Québec et la France seraient générées et produites ensemble à plus de six mille kilomètres de distance. C’est ce dont témoigne l’activité PlaNet en couleurs qui inaugure une nouvelle dimension à l’intérieur de la coopération : celle d’Internet. Objectif : réaliser à distance les éléments d’un site visant à sensibiliser le public contre le racisme. Qui plus est, ce site est réalisé par de jeunes décrocheurs dans le contexte d’un projet d’insertion professionnelle dont l’encadrement est assuré par un programme d’intégration pour les jeunes Québécois nommé CyberCap et le Conseil des relations interculturelles du Québec. Les équipes ont travaillé à distance et se sont retrouvées au Québec pour finaliser leurs productions et assister par la suite au dévoilement des résultats à l’hôtel de ville de Montréal en présence de nombreux dignitaires et de tous les partenaires de la Semaine d’actions contre le racisme. Se tourner vers les pays tiers L’idée d’étendre le champ des activités de l’Office n’est pas nouvelle. Elle a été discutée à de très nombreuses reprises au conseil d’administration de l’OFQJ et à la commission permanente, que ce soit en atelier, en comité restreint, autour d’un repas, au sein d’une commission, entre les ministres et les sous-ministres, entre Pierre, Jean, Jacques et tutti quanti. Autant de palabres qui n’ont jamais abouti. Le Québec craignant chaque fois de voir sa relation avec la France perdre de son caractère privilégié en se diluant dans un ensemble plus grand. Il y eut quand même de petites exceptions. En 1971, par exemple, à la demande de l’Agence de coopération culturelle et technique, l’OFQJ accepte de créer un comité ad hoc qui va s’occuper de l’accueil de Louisianais et d’Africains en stage au Québec 183. En 1990, il y a eu l’accueil de Roumains. On compte également un projet où des sculpteurs ont été échangés au cours d’un stage qui s’est fait en collaboration avec l’Office franco-allemand pour la jeunesse. De même, un protocole d’entente existe entre l’OFQJ et les services de coopération du canton du Jura en Suisse, qui permet des échanges de stagiaires dans le cadre du programme « Formation et emploi ». L’action de l’OFQJ, d’abord ouverte aux départements et territoires français d’outre-mer, s’est ensuite élargie aux pays tiers. Fouilles archéologiques en Guyane en 2001. Pour intéressants et prometteurs qu’aient été tous ces projets, ils demeurent néanmoins des épiphénomènes. À l’Office, l’idée d’une 183 Compte rendu de la 4e session du C.A., Jonquière, 3 et 4 juin 1971, p. 3, archives de l’OFQJ. 86 coopération franco-québécoise tournée vers d’autres pays est restée très longtemps un vaste champ en friche, jusqu’à l’arrivée en poste de Michel Leduc en 1995 et de Jacques Fauconnier en 1997. « Ça faisait longtemps que le Québec était réticent à cette idée, explique Jacques Fauconnier. Mais après beaucoup d’hésitations, le fruit était mûr. Il faut bien comprendre qu’après tant d’années de coopération, la France et le Québec se sont redécouverts. Comme cet objectif a été atteint, il faut maintenant positionner la coopération francoquébécoise dans la mondialisation 184. » Cette convergence des points de vue amène la France et le Québec à modifier le protocole de 1968. Il est amendé afin d’officialiser le fait que des activités puissent avoir lieu avec des pays tiers. Une expérience « édifiante » : Français, Québécois et Ivoiriens ont construit ensemble la Maison de l'Apprenti à Grand Bassam en Côte d'Ivoire, ouvrant ainsi la voie à une coopération dynamique entre plusieurs centres de formation professionnelle. Les participants ont la chance de mettre leurs acquis en pratique et d'apprendre de nouvelles techniques. (Grand Bassam, 2000) La Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays à bénéficier de cette nouvelle ouverture. En 1999, un accord est signé à Nîmes entre Marie-Georges Buffet pour la France, Louise Beaudoin pour le Québec et Simone Tchinah pour la Côte d’Ivoire. L’accord prévoit la construction d’un centre de formation et d’apprentissage pour les apprentis à Grand-Bassam, une ville située à quarante kilomètres d’Abidjan 185. Pour ce faire, des étudiants du Centre pour la formation professionnelle de Longueuil se rendent en Côte d’Ivoire donner un coup de main aux Ivoiriens. Cette démarche sera imitée par des étudiants français issus de différents centres de formation pour apprentis du bâtiment. Ce projet est intéressant à plus d’un titre. D’une part, il permet à de jeunes apprentis de participer à des actions de coopération internationale. C’est un public ciblé qui en est pour l’essentiel exclu et cette action renforce la volonté de l’Office de toucher toutes les catégories socio-économiques constituant la jeunesse. Les jeunes apprentis concernés ont vécu une expérience interculturelle tout à fait inédite et ont acquis des compétences complémentaires à leur formation initiale. Pour ce qui est des formateurs, ils ont pu s’enrichir par la diversité des approches pédagogiques propre à chaque pays et échanger sur le concept de formation en alternance, vécu très différemment en Côte d’Ivoire, au Québec et en France. Une des premières retombées pérennes de ce projet réside dans la perspective d’ouvrir à Abidjan des sections de charpenterie dans des établissements de formation et une option 184 Entretien avec Jacques Fauconnier, 29/09/00. 185 Magazine France-Québec, hiver 1999-2000. p. 59. 87 « brique de terre comprimée » dans les cursus proposés par l’école Pierre-Dupuy à Longueuil. Une entente est conclue avec les francophones hors Québec, signe que l’Office entre de plainpied dans l’espace francophone. Un autre projet est mis en place avec l’Algérie, organisé par l’Office et la Fédération internationale des journalistes. Trois jeunes journalistes algériennes sont accueillies au Québec pour suivre une formation à l’Université Laval, dans le cadre d’un programme en journalisme international. Cette formation en terre québécoise est complétée ensuite par des stages en France. Ouverture sur la francophonie Il n’y a pas qu’au niveau bilatéral que l’OFQJ se positionne vers de nouveaux horizons. Une entente est conclue avec les francophones hors Québec, signe que l’Office entre de plain-pied dans l’espace francophone. Ainsi chaque année, depuis 1995, de jeunes francophones de Sudbury, de Moncton ou de l’Alberta participent aux activités de l’Office. Celuici tisse d’ailleurs des liens du côté de l’AIF (l’Agence internationale de la francophonie). Surtout quand, en 1999, le Sommet de Moncton décide de faire de la jeunesse le thème central de ses délibérations et de créer au sein de l’Agence internationale de la francophonie un programme de mobilité jeunesse à l’échelle de la francophonie auquel va collaborer l’OFQJ. « Je pense vraiment que ce programme est porteur, déclare Jacques Fauconnier. Et je crois même qu’on pourrait étendre ce genre de coopération à des programmes jeunesse de l’ONU et de l’Union européenne. C’est comme ça qu’on arrivera à positionner l’Office dans le nouveau contexte de mondialisation 186. » L’OFQJ embrasse de nouveaux horizons avec l’émergence de projets qui réunissent des jeunes de plusieurs pays francophones autour de thématiques universelles. En 2002 à Marly-le-Roi en région parisienne, soixante-dix jeunes de différents pays ont participé à Fragments du monde, un vaste projet sur le métissage culturel. 186 Ibid. 88 Ce contexte favorise l’émergence de projets d’un type nouveau qui réunissent des jeunes de divers pays autour de thématiques universelles telles que l’économie, l’environnement, la citoyenneté et l’interculturalité. Des projets qui donnent lieu à la création de réseaux internationaux grâce à l’appropriation des nouvelles technologies de la communication. De nouveaux défis à relever, une histoire à suivre. CONCLUSION Tout le long de son existence, l’Office aura connu plusieurs périodes de développement, chacune avec ses particularités. Dans sa première mouture, la vie de l’organisme a été caractérisée par des échanges de découverte. Pour être plus exact, on parle de « redécouverte ». La France et le Québec avaient été si longtemps éloignés qu’il fallait en quelque sorte repartir à zéro. De 1968 jusqu’au début des années 1980, le dynamisme prévaut. Les stages se font en groupes de vingt à quarante jeunes et, même si l’accent est parfois mis sur la langue ou l’économie, la dimension formation demeure relativement limitée. Mais peu à peu l’Office se spécialise. Québécois et Français se connaissent mieux. Les stagiaires ont des demandes de plus en plus pointues. Ils ne veulent plus seulement savoir ce qui se fait en France ou au Québec dans leur domaine. Ils désirent réaliser des projets, acquérir des habiletés, faire des stages plus longs, se former, etc. L’OFQJ réagit en mettant de l’avant des stages individuels. Or, cette évolution ne veut pas dire pour autant que l’Office se retire complètement de la conceptualisation des activités, comme elle le faisait avec les stages de groupes. À compter de 1984, l’OFQJ organise de nombreux projets spéciaux qui correspondent souvent à des temps forts de l’actualité. L’âge d’or de cette période commence avec le voyage « Cap sur l’avenir », et se poursuit jusqu’au début des années 1990, avec la participation de l’OFQJ aux fêtes du 350e anniversaire de Montréal. Une vitalité qui s’est poursuivie avec le « Printemps du Québec en France » et avec « France au Québec – la saison », et bientôt sûrement avec de nouveaux projets. Une participation qui apporte aux différents événements une touche de jeunesse et d’originalité. À l’ère des grands projets succède celle, toute récente, de l’ouverture vers les pays tiers, des rencontres portant sur des questions citoyennes, le patrimoine, les nouvelles technologies, le développement local et l’employabilité des jeunes. Si d’une période à l’autre les types d’activités varient, l’action de l’Office évolue également selon l’intérêt que les gouvernements y portent. En France, la période de Gaulle – Pompidou correspond à un intérêt très marqué de la droite française. Pour le général et son immédiat successeur, les relations avec le Québec sont prioritaires. Cette tendance ne sera pas la même sous Giscard d’Estaing. Ayant vécu au Québec à la fin des années 1940, celui-ci conserve de la Belle Province une image mitigée. Mais quand le Parti québécois est élu en 1976, le président centriste prend la mesure de l’événement. Il décide d’enfourcher à son tour le cheval des relations franco-québécoises. Ce qui se traduit par une nette revalorisation de l’OFQJ. 89 Toutefois la plus grande surprise vient certainement de la gauche. Mitterrand n’avait jamais été un chaud partisan des relations franco-québécoises. Pourtant, l’OFQJ va connaître sous sa gouverne un élargissement de ses activités. Grâce à ses stages, l’Office devient non plus un instrument de rapprochement entre le Québec et la France mais plutôt un moyen de lutter contre l’exclusion et le chômage chez les jeunes. Un phénomène qui se poursuivra en 1997 lorsque la gauche reviendra au pouvoir. À l’instar de la France, personne au Québec n’a remis en question la pertinence de l’OFQJ. Daniel Johnson père en avait fait un instrument privilégié de sa politique d’ouverture. Robert Bourassa voulait que l’OFQJ serve de relais à sa politique linguistique. René Lévesque accordait une importance capitale aux relations avec la France. Même à son retour au pouvoir, Robert Bourassa a renoncé à sabrer dans les crédits de l’OFQJ, en dépit du fait que les relations franco-québécoises traversaient une période difficile. En 1994, la droite française avait une nouvelle fois réagi favorablement au désir du Parti québécois d’intensifier les relations franco-québécoises, notamment en incitant l’Office à s’occuper de formation professionnelle. Que ce soit en France ou au Québec, les thèmes et les clientèles prioritaires ont varié d’un gouvernement à l’autre. De la droite vers la gauche, du PQ au PLQ, on a, en fait, assisté à plusieurs mouvements de balancier. Au début des années 1970, la clientèle visée était surtout composée de jeunes travailleurs, comme le voulait le ministre Jean-Paul L’Allier. Les Français eux misaient davantage sur de jeunes leaders. Dans la seconde moitié des années 1970, la clientèle a vieilli et les relations économiques sont devenues le leitmotiv de l’Office. Jusqu’à l’arrivée de la gauche qui a mis, à son tour, l’accent sur les jeunes travailleurs. À l’évidence, d’un parti à l’autre et à l’intérieur même des partis, les orientations varient et l’Office est confronté à ces variations. On semble quelquefois revenir à ce qui s’était fait dans le passé, mais les choses demeurent plus complexes. L’accumulation de 35 ans d’expérience collective, et qui plus est interculturelle, a permis à l’Office de développer une compétence en ingénierie de projets et en accompagnement de la formation à l’international qui le place au meilleur niveau des organismes internationaux qui participent à la mobilisation des jeunes. Attaché à sa mission auprès de la jeunesse, l’Office demeure cependant au centre de l’actualité et des priorités franco-québécoises. Organisme bigouvernemental, il s’est malgré tout voulu dès le départ une incarnation d’une jeunesse aux multiples visages à l’image d’une génération désireuse de vivre une expérience à l’étranger seule ou en groupe par l’entremise d’une activité regroupée ou d’un stage en entreprise. L’Office franco-québécois pour la jeunesse devait être tout, sauf répétitif et routinier. Si cet état d’esprit a été inégalement maintenu au fil des années, l’idéal lui, est resté intact et les compétences se sont développées et élargies. Au cœur de la mission de l’OFQJ, la jeunesse continue d’inspirer ses artisans. 90 BIBLIOGRAPHIE SOURCES PRIMAIRES SOURCES SECONDAIRES Archives Monographies Archives des conseils d’administration de l’OFQJ Archives des stages de l’OFQJ Archives présidentielles : Fonds AN-5 AG 2/1021 ; AN-5 AG 4/11 469 Archives du ministère des Relations internationales du Québec • Dale Thomson, de Gaulle et le Québec, Montréal, Éditions du Trécarré. • Jean Lacouture, de Gaulle, le Souverain, Paris, Seuil, octobre 1986, tome III. Journaux et revues Mémoires et témoignages écrits • Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en matière linguistique, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997. • Valéry Giscard d’Estaing, Je me souviens du Québec d’antan, Québec Match, numéro spécial, 1989, p. 36-37. • François Flohic, Souvenirs d’outre de Gaulle, Paris, Plon, 1979. • Jacques Foccart, Le journal de l’Élysée, « Tous les soirs avec de Gaulle », Paris, Fayard/Jeune-Afrique, 1997, tome 1. • Georges-Émile Lapalme, Le paradis du pouvoir, mémoires, Ottawa, Leméac, 1973. • Pierre-Louis Mallen, Vive le Québec libre, Paris, éditions Plon, 1978. • Claude Morin, L’art de l’impossible, Montréal, Boréal, 1987. • Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, éditions Fayard, 2000, tome III. Entretiens Anne Ardouin Alain Beaugier Éric Bédard Madeleine Bourgeois Daniel Camp Claude Charron Alain et Martine Chevillard Anne Cublier Monique Dairon Vallières Serge Duclos François Duffar Jacques Fauconnier Suzie Harvey Jean-Paul L’Allier Julien Lampron Michel Leduc André Maltais Ginette Pellerin Nathalie Prud’homme Claude Quenault Jean-Claude Quyollet Guy Rivard Maurice Segall Alexandre Stefanescu André Tétrault Sylvie Teveny Thierry Tulasne Gilles Villemure 92 L’Action Le Devoir Flambeau de l’Est Le Monde Montréal Matin La Presse Revue France-Québec Le Soleil Articles de périodiques • Donald Baker, « Quebec on French minds », Queen’s Quarterly, vol. 85, no 2, été 1978. • Maurice Croisat, « Le Québec, de Gaulle et l’opinion publique française », juillet et août 1967, 21 p., in : QuebecFrance and the US : two special relationships, Center for European Studies, City University of New York, Workshop conference, 20 et 21 novembre 1986, New York. • Jean-Louis Élie, Vive le Québec libre et ses répercussions sur la presse française, mémoire dirigé par P. Guiral, I.E.P. Aix-en-Provence, 1974. • Nicolas Dimic, Les relations franco-canadiennes sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dirigé par Alfred Grosser, I.E.P. Paris, 1985. • Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988. SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX ET MINISTRES SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX MINISTRES FRANÇAIS ET QUÉBÉCOIS COPRÉSIDENTS DE L’OFQJ QUÉBÉCOIS QUÉBÉCOIS FRANÇAIS Ministre délégué à la Jeunesse, Loisirs et Sports Ministres de la Jeunesse et des Sports Jean-Marie Morin François Missoffe Joseph Comiti Paul Dijoud Pierre Mazeaud Jean-Pierre Soisson Edwige Avice Alain Calmat Jean-Paul L’Allier Jean-Guy Saint-Martin Pierre Bernier André Tétrault Alexandre Stéfanescu André Maltais Ginette Pellerin Michel Leduc 1968-1970 1970-1975 1975-1978 1978-1985 1985-1989 1989-1991 1991-1995 1995- Ministre des Communications Jean-Paul L’Allier 1970-1976 Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports FRANÇAIS Jean-Claude Quyollet Francis Jacquemont Dominique Bussereau Anne Cublier Claude Quenault Jacques Barrat Jacques Fauconnier 1968-1970 1968-1974 1975-1978 1979-1982 1982-1988 1989-1993 1993-1997 1997-2003 Claude Charron 1976-1982 Ministre des Affaires intergouvernementales Jacques-Yvan Morin 1982-1983 Ministres Loisirs, Chasse et Pêche Guy Chevrette Jacques Brassard Yvon Picotte 1983-1984 19841984-1985 Ministre des Relations internationales Gil Rémillard 1985-1986 Ministre délégué aux petites et moyennes entreprises André Vallerand 1986-1988 1968-1969 1969-1972 1972-1976 1976-1978 1978-1981 1981-1984 1984-1986 Secrétaires d’État délégués à la Jeunesse et aux Sports Christian Bergelin Roger Bambuck 1986-1988 1988-1991 Ministres de la Jeunesse et des Sports Frédérique Bredin Michèle Alliot-Marie Guy Drut Marie-Georges Buffet 1991-1993 1993-1995 1995-1997 1997-2002 Ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche Luc Ferry 2002- Ministre des Affaires internationales Paul Gobeil 1988-1989 Ministre des Affaires internationales et responable de la Francophonie Guy Rivard 1989-1994 Ministre de la Culture et des Communications et Ministre responable de la Francophonie Liza Frulla 1994- Vice-premier ministre, Ministre des Affaires internationales, de l’Immigration et des Communautés culturelles, Ministre responsable de la Francophonie Bernard Landry 1994-1996 Ministre des Relations internationales et responsable de la Francophonie Sylvain Simard Louise Beaudoin 1996-1998 1998- 93 CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES Couverture avant • Jules Rochon/Archives nationales du Québec à Québec : de Gaulle sur le chemin du Roy ; • Pierre Dilighen : La Trâlée du Joual vert. Couverture arrière (dans le sens des aiguilles d’une montre) • Mermoz : Archives OFQJ-Québec • Chantier en Côte d’Ivoire : Archives OFQJ-Québec • Pré-salés : Matthieu Clotteau et Jacques DeBlois, Archives OFQJ • Chez les Inuits : Archives OFQJ (1990) • Vêpres de la Vierge : Archives OFQJ (1986) • Sports nautiques : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de la Culture et des Communications • Jacques Chirac et Jean-François Doray : CAP FQ/Archives OFQJ (1995) • La troupe de La Bardasse à Saint-Malo : Archives OFQJ (2001) • Stage de haute couture, Louis Camperau et Yves Saint-Laurent : Archives OFQJ (1999) • On plante un arbre en commémoration de la Révolution française, Palais de la Civilisation de Montréal : Archives OFQJ (1989) • De Gaulle sur le Chemin du Roy, Jules Rochon : Archives nationales du Québec à Québec Intérieur • pp. : 13-17-29-30-32-33-48-54-59-60-64-65-66-67-68-71-72-73-74-77-78-80-81-83-84-86 : Archives OFQJ - Québec • pp. 8-9 : Photos officielles, cabinet du ministre de la Jeunesse, de l’Éucation nationale et de la Recherche (France) ; cabinet de la ministre des Relations internationales (Québec) • p. 12 : Jules Rochon/Archives nationales du Québec à Québec : De Gaulle sur le chemin du Roy • p. 18 : Patricia Lefebvre : Exposition Mémoires montagnaises (1993) • p. 23 : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de la Culture et des Communications • p. 24 : Office du film du Québec (63-2736) • p. 36 : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de la Culture et des Communications • pp. 46-51 : Archives André Tétrault • p. 57 : Photothèque La Presse • p. 63 : Jocelyn Moffat • p. 69 : Daniel Lessard/Ministère des Communications du Québec • p. 70 : Bernard Vallée/Ministère des Communications du Québec • p. 75 : Louise Leblanc • p. 76 : Bureau du protocole du gouvernement du Québec • p. 79 : Affiche de Janice Nadeau, Concours Heureux d’un Printemps (1999) • pp. 80 (bas)-82 : Jean-François Leblanc • p. 85 : Sophie D’Ayron • p. 87 : Madeleine Bourgeois/OFQJ • p. 88 : Fragments du monde 95 Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie Solisco en février 2003