Lettre d`actualité juridique NTIC
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Lettre d’actualité juridique NTIC ACTUALITE JURISPRUDENTIELLE Mai 2013 Dans ce numéro : 1. Nouvelle approche jurisprudentielle de la prescription en matière de délit de presse sur internet (TGI Paris, 17ème chambre, 18 mars 2013, n°11/17915). Lien vers la décision ACTUALITE JURISPRUDENTIELLE 1. Nouvelle approche jurisprudentielle de la prescription en matière de délit de presse sur internet (TGI Paris, 17ème chambre, 18 mars 2013, n°11/17915) 2. La consultation en ligne par un internaute de contenus protégés par le droit d’auteur peut-elle engager sa responsabilité civile ? (Décision de la Cour Suprême de GrandeBretagne du 17 avril 2013 (Public Relations Consultants Association Limited c/ The Newspaper Licensing Agency Limited and others)) 3. La simple mise à jour d’un logiciel impliquant le traitement de données personnelles ne nécessite pas de déclaration spécifique à la Cnil (Cour de cassation Chambre sociale Arrêt du 23 avril 2013, M. X. / ADSEA 06) Aux termes de cette décision, le TGI de Paris est venu préciser, voire modifier, les modalités d’application du délai de prescription de 3 mois (prévu par l’article 65 de la loi du 29/07/1881) en matière d’infraction de presse sur Internet. La question plus précisément posée au TGI était la suivante : le fait, dans un article publié depuis moins de 3 mois, de faire référence, au moyen d’un lien hypertexte, à un article rédigé depuis plus de 3 mois fait-il courir, s’agissant de ce dernier article, un nouveau délai de prescription de 3 mois ? Rappel de la position de la Cour de cassation : Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le délai de l’article 65 de la loi de 1881 court à compter de la date de mise en ligne initiale, sans dérogation particulière s’agissant d’Internet. En application de ce principe, la Cour de cassation est venue préciser qu’une mise à jour d’un site Internet ne fait pas courir un nouveau délai de prescription. Il en est de même en cas d’adjonction d’une seconde adresse URL permettant de rendre un site Internet, et partant les articles qui le composent, plus facilement accessibles. Faits d’espèce : Dans l’affaire soumise au TGI de Paris et sur lequel porte le jugement du 18 mars 2013, trois articles avaient été mis en ligne successivement les 14 et 28 juillet 2011, puis le 8 septembre 2011. Les délais de prescriptions de principe pour ces trois articles étaient donc les suivants : - Article du 14 juillet 2011 => prescription le 14 octobre 2011 ; - Article du 28 juillet 2011 => prescription le 28 octobre 2011 ; - Article du 8 septembre 2011 => prescription le 8 décembre 2011. Or une action en diffamation devait être introduite le 5 décembre 2011 à l’encontre tant de l’article du 8 septembre 2011, mais également de celui du 14 juillet 2011. L’auteur des articles a donc naturellement excipé de la prescription de l’action concernant l’article mis en ligne le 14 juillet 2011. Le demandeur opposait cependant qu’en l’espèce, l’article du 8 septembre 2011 comportait un lien hypertexte renvoyant vers l’article du 14 juillet 2011 de sorte que le délai de prescription de l’action en diffamation visant cet article devait être calqué sur celui de l’article du 8 septembre 2011. Décision du TGI de Nanterre : La décision du TGI est particulièrement novatrice en ce sens qu’elle vient préciser, contrastant en cela la jurisprudence en vigueur, que la création d’un lien hypertexte doit s’analyser comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien renvoie, à l’instar de la réédition d’un livre. Et cette nouvelle mise en ligne fait par suite courir un nouveau délai de prescription. Nota : en l’espèce, le lien hypertexte renvoyait à un autre article du même site Internet (lien hypertexte interne et non externe). Par ailleurs, une partie de l’article du 14 juillet 2011 était reproduit dans celui du 8 septembre 2011. Questions : Au vu de ce jugement, particulièrement novateur, et si tant est que cette jurisprudence soit confirmée*, il est loisible de s’interroger sur les points suivants : Comment le créateur du lien hypertexte pourra-t-il rapporter la preuve de la véracité des propos qu’il n’a pas écrits mais reprit via un lien hypertexte ? La défense habituelle, en matière d’action en diffamation, réside en effet dans l’exception de vérité ; Qui pourra être poursuivi ? Le rédacteur initial des propos diffamatoires (auquel cas le délai de prescription à son encontre pourrait être indéfini) ? Le créateur du lien hypertexte ? Les deux solidairement ? En cas de lien hypertexte externe, pourra-t-on et devra-t-on assigner le directeur de publication du premier site ? Ce jugement laisse perplexe. * Le TGI de Paris semble, en tout cas, d’ores et déjà avoir confirmé sa décision du 18 mars : TGI Paris 25 mars 2013 n°13/00538 Aristophil c/ UFC 2. La consultation en ligne, par un internaute, de contenus protégés par le droit d’auteur peut-elle engager sa responsabilité civile ? (Décision de la Cour Suprême de Grande-Bretagne du 17 avril 2013 (Public Relations Consultants Association Limited c/ The Newspaper Licensing Agency Limited and others)) Lien vers la décision Rappel des faits Cette affaire concerne le service de veille d’actualités en ligne de la société MELTWATER, qui utilise un logiciel permettant de parcourir des sites web de médias et de créer un index journalier de mots apparaissant dans des articles publiés sur ces sites. A partir de cet index, MELTWATER produit pour ses clients, en fonction des mots-clés qu’ils recherchent, un « report monitoring » listant l’ensemble des résultats de leurs recherches et contenant : le titre et les premières lignes des articles, les mots clés y figurant et un lien permettant de consulter les articles dans leur intégralité sur internet. MELTWATER envoie ce livrable à ses clients par mail, mais ceux-ci peuvent aussi le consulter en ligne. La Newspaper Licensing Agency (NLA), société de gestion collective représentant plusieurs éditeurs de presse et délivrant des licences pour utiliser la presse au Royaume-Uni, a considéré que non seulement MELTWATER devait détenir une licence « NLA » pour offrir un tel service mais aussi les utilisateurs dudit service. En effet, les livrables comprendraient, selon NLA, des extraits substantiels des titres et des articles et seraient donc protégés par le droit d’auteur. Considérant qu’il y aurait ainsi eu violation des droits d’auteur de ses membres, la NLA a engagé une action à l’encontre de MELTWATER et de l’association « Public Relations Consultants Association » (PRCA), dont les membres sont des utilisateurs du service de veille de MELTWATER. Deux points n’ont pas été contestés dans ce litige : (i) le fait que MELTWATER doive souscrire une licence NLA pour fournir ce service ; (ii) le fait que ses clients doivent souscrire une licence NLA pour recevoir le livrable par mail, car il s’agit d’une copie du livrable non temporaire. La question restant en suspens était donc la suivante : les clients de MELTWATER doivent-ils détenir une licence distincte pour simplement visualiser le contenu qui leur est fourni par MELTWATER ? La décision de la Cour Suprême de Grande-Bretagne Il appartenait à la Cour Suprême de juger si des copies temporaires d’œuvres protégées par le droit d’auteur, produites pendant la navigation sur internet (aussi bien sur l’écran de l’utilisateur que dans la mémoire cache de l’ordinateur) bénéficient de l’exception pour copie temporaire de la directive 2001/29/EC. Compte tenu de la dimension internationale du recours et des potentielles implications pour les internautes dans toute l’Union Européenne, la Cour, a décidé de se tourner vers la CJUE pour une décision préjudicielle. Elle a néanmoins exprimé son point de vue sur la problématique : elle a considéré que l’exception prévue à l’article 5.1 de la directive s’appliquait aux copies temporaires générées par un internaute, et qu’ainsi ce dernier n’avait pas besoin d’autorisation pour naviguer et visualiser du contenu protégé par le droit d’auteur sur des pages web. Pour aboutir à cette conclusion, elle a notamment rappelé le considérant 33 de la directive de 2001, qui dispose notamment que l’exception prévue à l’article 5 couvre, sous réserve qu’ils remplissent les conditions dudit article, les actes qui permettent le survol (browsing), ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching). Mais elle s’est surtout appuyée sur la jurisprudence de la CJUE en la matière (notamment « Infopaq » et « Murphy c/ Media Protection») et a notamment relevé que : - les copies sont enregistrées et supprimées automatiquement en naviguant, par l’écoulement du temps et une utilisation continue du navigateur internet, plutôt que d’être dépendantes d’une intervention humaine discrétionnaire ; - la restriction de la directive par l’emploi des termes « provisoire » et « transitoire » vise à prévenir le téléchargement ou la copie qui sont permanents, jusqu’à la destruction de l’objet, tels qu’un courriel ; - l’absence de signification économique indépendante ne signifie pas que la copie n’a pas de valeur mais plutôt qu’elle n’a pas de valeur ajoutée à ce qui provient de la simple transmission/vision du contenu. La Cour Suprême a également précisé qu’ériger la simple vision d’un contenu, protégé par le droit d’auteur, sans l’autorisation du titulaire des droits (par exemple parce qu’il a été illégalement téléchargé par un tiers), en infraction conduirait à ce que des millions d’internautes ordinaires puissent, sans le savoir, être civilement responsables. Ainsi, la position de la Cour est claire : l’utilisation des services proposés par MELTWATER ne viole par le droit d’auteur. Compte tenu de sa jurisprudence antérieure, il est probable que la CJUE réponde également par la négative. Cette décision à intervenir est en tout état de cause importante, afin que les utilisateurs sachent s’ils ne seront pas coupables d’un acte de contrefaçon par le simple acte de navigation. A suivre… 3. La simple mise à jour d’un logiciel impliquant le traitement de données personnelles ne nécessite pas de déclaration spécifique à la Cnil (Cour de cassation, Chambre sociale Arrêt du 23 avril 2013, M. X. / ADSEA 06) Lien vers la décision Les faits et la procédure : Un animateur socio-éducatif a été licencié pour faute grave, pour avoir refusé de saisir, dans un logiciel dédié, des données à caractère personnel concernant des mineurs bénéficiant d’actions de prévention. Lors de la migration de la version 3 à la version 4 dudit logiciel dédié, le prénom, les trois premières lettres du patronyme de la personne et son adresse devaient être saisies par l’animateur, l’employeur estimant que ces données étaient ainsi anonymisées. L’animateur a cependant décidé d’interroger la Cnil avant d’exécuter cette directive, qui lui a indiqué que les éléments que son employeur lui demandait de saisir permettaient une identification de la personne et ne pouvaient donc être considérées comme des données anonymes. S’agissant de données collectées auprès des mineurs, la Cnil ajoutait qu’il fallait conséquemment obtenir le consentement préalable des parents. Le salarié a donc refusé de saisir les données car le traitement était non conforme à la réglementation puisqu’il n’avait pas fait l’objet d’une modification déclarative pour prendre en compte le traitement de ces données à caractère personnel. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a estimé qu’à défaut de toute déclaration à la Cnil de la modification du logiciel de traitement de données à caractère personnel mis en œuvre au sein de l’entreprise, le refus du salarié de saisir des informations nominatives dans ledit logiciel ne constitue pas un motif réel et sérieux de licenciement. La décision : La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel par arrêt du 23 avril 2013, en distinguant, s’agissant des modifications apportées aux informations ayant été préalablement déclarées à la Cnil, entre celles (i) qui constituent des modifications substantielles devant être portées à la connaissance de la Cnil et celles (ii) qui constituent une simple mise à jour d’un logiciel de traitement de données à caractère personnel n’entraînant pas l’obligation, pour le responsable du traitement, de procéder à une nouvelle déclaration. La Cour de cassation a ainsi estimé que la Cour d’appel, en se déterminant comme elle l’avait fait, sans rechercher si le passage du logiciel de la version 3 à la version 4 n’avait pas consisté en une simple mise à jour ne nécessitant pas une nouvelle déclaration auprès de la Cnil, a privé sa décision de base légale. Cette décision nous parait quelque peu contestable. Tout d’abord, elle ajoute une condition qui ne figure pas dans la loi Informatique et libertés : toute modification apportée aux informations ayant été préalablement déclarées (et non pas uniquement les modifications substantielles) doit en principe être soumise à la Cnil. En outre, il pourrait être considéré qu’il s’agit ici d’une modification substantielle, puisqu’il pourrait être estimé qu’il est porté des appréciations sur les difficultés sociales d’une personne identifiable, quiplus-est mineure. Cette revue de presse ne prétend pas à l’exhaustivité et en aucun cas, elle ne peut se substituer à des avis spécifiques sur des situations particulières. SCP Derriennic Associés 5 avenue de l’Opéra 75001 PARIS Tél. 01.47.03.14.94 – Fax : 01.47.03.31.41 www.derriennic.com