Rolinka Niers - Theses and placement reports Faculty of Arts

Transcription

Rolinka Niers - Theses and placement reports Faculty of Arts
Rolinka Niers
S1320947
Scriptie voor de Master RTC
Begeleider: dr. J.M.L. den Toonder
Rijksuniversiteit Groningen
Oktober 2008
Table des matières
Introduction
3
La courtisane au XIXième siècle
5
Dumas fils et la vraie Dame aux Camélias
10
La courtisane dans la littérature
15
La Dame aux Camélias: résumé des différentes œuvres
21
La représentation de la courtisane dans les différents médias
29
Qui parle? La voix de Dumas fils dans son œuvre
48
La réception des œuvres
51
De Marguerite à Violetta
58
L’œuvre de Dumas comme source d’inspiration
67
Conclusion
93
Bibliographie
96
Annexe 1:
Résumés des deux versions de La Dame aux Camélias et de La Traviata
102
Annexe 2:
La Dame aux Camélias: théâtre, ballet, musical, bande dessinée
108
Annexe 3: La Dame aux Camélias au cinéma
110
2
Introduction
Dans cette étude, nous allons voir comment une personne et une histoire vraies sont
devenues légendaires à l’aide des versions fictives de cette histoire. Je étudierai le roman La
Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils (1824-1895), l’histoire qui était la source
d’inspiration de ce roman, la pièce de théâtre que Dumas a ensuite basée sur son roman, et
l’opéra La Traviata de Giuseppe Verdi (1813-1901), qui est basée sur la pièce. L’histoire parle
de la liaison entre la courtisane Marguerite Gautier, la Dame aux Camélias, et son amant de
cœur, Armand Duval. On retrouve souvent la courtisane comme personnage dans la
littérature au XIXième siècle, mais la Dame aux Camélias est, à l’exception peut-être de la
courtisane Manon Lescaut dans l’œuvre d’Abbé Prévost de 1731, la courtisane ‘fictive’ la plus
populaire et la plus connue encore de nos jours. La Traviata est de nos jours un des opéras
les plus populaires et même l’opéra le plus joué au monde. En parlant de ces faits, la
question qui s’impose, et qui se trouve à la base de ce mémoire, est la question suivante: en
quoi s’explique cette popularité remarquable du roman et de la pièce de théâtre La Dame
aux Camélias de Dumas fils et de l’opéra La Traviata de Verdi?
Pour répondre à cette question, j’insisterai dans cette recherche sur quatre médias
différents: le roman, le théâtre, l’opéra, et finalement le cinéma, qui prend au XXième siècle le
rôle que la pièce de théâtre jouait auparavant, en assurant la popularité durable de l’œuvre.
La Dame aux Camélias est pour une grande partie autobiographique: Dumas y décrit la
version idéalisée d’un amour qu’il a vécu lui-même. Ce qui m’a intéressé dans ces œuvres
n’est pas seulement le fait que la personne principale soit une courtisane, et donc choquant
comme personnage, et le fait qu’elle soit basée sur une femme qui a réellement vécu, mais
je m’intéresse aussi à la réception de l’œuvre par le public au milieu du XIXième siècle, et au
fait que l’histoire a toujours réussi à intéresser un nouveau public. Les questions suivantes,
qui traitent de tous les aspects de la popularité de l’œuvre, nous aideront à trouver la
réponse à la question principale: pourquoi est-ce que la courtisane était un thème tellement
populaire dans le roman et le théâtre français au XIXième siècle? Pourquoi le roman et la pièce
de Dumas étaient-ils entre les plus populaires traitant ce thème? Pourquoi Verdi a-t-il choisi
La Dame aux Camélias comme sujet de son opéra? Et finalement, de quelle façon Dumas
fils a-t-il inspiré d’autres auteurs avec La Dame aux Camélias, et comment ont-ils adapté
l’histoire pour qu’elle soit toujours au goût du public?
Premièrement, j’introduirai le thème: qu’est-ce qu’était exactement une courtisane au
XIXième siècle? Il nous est indispensable de connaître l’histoire ‘vraie’ qui a été l’inspiration
pour le roman de Dumas: la vie de la courtisane Marie Duplessis. Je donnerai un résumé des
3
œuvres littéraires dans lesquelles on retrouve la courtisane comme personnage, ce qui nous
donnera une idée de la popularité du thème. Puis, je donnerai des résumés des différentes
versions de l’histoire de La Dame aux Camélias; je comparerai la représentation de la
courtisane dans les différentes œuvres et nous allons voir que nous pouvons retrouver
l’opinion de Dumas fils lui-même dans cette représentation. Après, j’insisterai sur la réception
des différentes œuvres. J’étudierai les raisons pour lesquelles Verdi a choisi cette histoire
pour son opéra La Traviata, qui est l’œuvre la plus connue basée sur l’histoire. Finalement, je
traiterai la façon dont les œuvres de Dumas ont été une inspiration pour d’autres écrivains et
pour des réalisateurs de films; je passerai en revue plusieurs adaptations qui ont été faites
de l’histoire et j’analyserai dans quelques œuvres les changements que la présentation,
notamment du personnage de Marguerite, a subi pour être au goût de chaque nouveau
public. C’est à l’aide de ces différents aspects que seront dévoilées les raisons de la
popularité durable de l’œuvre et du mythe qui y trouve son origine, le mythe de la Dame aux
Camélias.
4
La courtisane au XIXième siècle
Pour une bonne compréhension de l’histoire ainsi que du personnage principal, Marguerite
Gautier, une explication du phénomène de la courtisane au XIXième siècle est indispensable.
Le mot courtisane est utilisée pour la première fois, dans le sens d’une femme entretenue,
en Italie lors de la renaissance, pour désigner des femmes vénales qui cherchaient leurs
amants dans la société élégante de la cour.1 En France, au XIXième siècle, on utilise le terme
pour les distinguer des autres types de prostituées. Une courtisane ou une femme
entretenue – on les appelait aussi lorettes, à cause du quartier Notre Dame de Lorette où la
plupart d’elles habitaient2 - n’était pas simplement une prostituée.3 Elle avait des qualités qui
la distinguaient des autres et qui l’aidaient à atteindre une position sociale plus élevée, d’où
le terme souvent utilisé de ‘demi-mondaine’. Elle venait souvent d’un milieu pauvre, mais elle
utilisait sa beauté, sa grâce et son talent pour monter l’échelle sociale. On trouve une bonne
description de la façon dont une courtisane pouvait, grâce à sa charme et sa présence qui lui
donnaient l’air d’une femme du monde, échapper à sa propre classe sociale, dans le préface
que Jules Janin a écrit pour le roman de Dumas. Il s’agit de Marie Duplessis, qui était
l’inspiration pour le personnage de Marguerite Gautier:
‘Il y avait en l’an de grâce 1845, dans ces années d’abondance et de paix où
toutes les faveurs de l’esprit, du talent, de la beauté et de la fortune entouraient
cette France d’un jour, une jeune et belle personne de la figure la plus charmante,
qui attirait à elle, par sa seule présence, une certaine admiration mêlée de déférence
pour quiconque, la voyant pour la première fois, ne savait ni le nom ni la profession
de cette femme. Elle avait en effet, et de la façon la plus naturelle, le regard ingénu,
le geste décevant, la démarche hardie et décente tout ensemble, d’une femme du
plus grand monde. Son visage était sérieux, son sourire était imposant, et rien qu’à la
voir marcher, on pouvait dire ce que disait un jour Elleviou d’une femme de la cour:
Évidemment, voici une fille ou une duchesse.
Hélas! ce n’était pas une duchesse, elle était née au bas de l’échelle difficile,
et il avait fallu qu’elle fût en effet belle et charmante pour avoir remonté d’un pied si
léger les premiers échelons, dès l’age de dix-huit ans qu’elle pouvait avoir en ce
temps-là.’ 4
1
Gun (1963), p. 1.
Lyonnet (1930), p. 12/13.
3
Pour cette partie du texte: Crane (1976).
4
Dumas (1981), p. 481.
2
5
Une courtisane arrivée était considérée avec un certain respect et elle jouait un rôle
important et pittoresque dans la vie mondaine. Arthur Gold et Robert Fizdale en donnent une
impression intéressante dans leur biographie de Sarah Bernhardt, l’actrice qui a joué tant de
fois Marguerite Gautier. Ils parlent ici de la mère de Sarah, Youle, qui quittait le domicile
paternel à Amsterdam pour aller chercher sa fortune à Paris:
‘(…) she managed, with a single-mindedness born of desperation, to storm
the enclaves of the rich, that top-hatted, corsetted, and crinolines world she longed
to enter, if only through the back door. By 1850, the squalor of her apprentice days
behind her, she had arrived, a courtesan in good standing; apposition not to be
dismissed since courtesans had a proud lineage of their own. To this day, the French
roll their names on the tongue like vintage wine. Ninon de Lenclos and Marion
Delorme, Liane de Pougy and Marie Duplessis are more than random threads in
France’s history, they are figures woven into its fabric. Admiration for their gifts may
have been grudging, but it was admiration all the same, for it was no simple feat to
persuade sound, thrifty men to part with extravagant, even ruinous sums in exchange
for sensual pleasures and the excitement of infidelity. To indulge the caprices and
satisfy the greed of an opulent mistress was conspicuous proof of a gentleman’s
wealth and position. Had not kings and emperors set an impressive example? Writers
too were drawn to courtesans. Not only Balzac, but Stendhal, Zola, Flaubert, and
Proust enliven their pages with the rise and fall of those women who were the
bubbling foam on the dark wave of prostitution that engulfed Paris.’ 5
Une courtisane n’était donc certainement pas une prostituée comme on les trouvait dans les
bordels ou à côté de la rue. Elle vivait dans le luxe, mais pour ce luxe elle était dépendante
de ses amants. Elle vivait donc littéralement au-dessus de ses moyens. Il arrivait souvent
que les femmes des hommes fortunés étaient jalouses du luxe que les courtisanes pouvaient
se permettre. Mais ce luxe n’avait pas seulement pour but de rendre leur vie plus agréable,
le luxe était une nécessité pour la courtisane. Il était attirant pour les hommes d’être l’amant
d’une femme à la mode. Et pour rester à la mode, elle devait avoir des robes neuves, des
bijoux, un appartement agréable, une voiture avec des chevaux et bien sûr une loge à
l’opéra et au théâtre, pour ne manquer à aucune première. Elle dépensait donc une fortune
pour maintenir sa position et si, à un certain moment, elle n’était plus populaire, elle pouvait
5
Gold (1991), p. 12/13.
6
faire faillite en quelques semaines et finir dans la pauvreté. Comme une courtisane devenait
naturellement moins populaire après avoir atteint un certain âge, mourir jeune était presque
considéré comme une bénédiction pour elles. Mais il arrivait aussi qu’une ancienne
courtisane devenait une entremetteuse pour une autre courtisane, ou devenait par exemple
modiste. Il y a même des exemples de courtisanes qui finissaient par se marier, ce qui était
assez exceptionnel parce que leur réputation repoussait en général les prétendants sérieux.
Devenir courtisane était une manière de pouvoir vivre dans le luxe, sans se marier et
donc en restant plutôt libre et indépendante; elle pouvait choisir ses amants elle-même. Pour
des femmes venant d’un milieu pauvre, qui travaillaient par exemple comme modiste, femme
de ménage, ouvrière d’usine ou - pour celles qui venaient de la campagne - dans les
champs, c’était très attirant de laisser leur vie de travail dur, et de devenir courtisane, ce qui
leur semblait une façon très facile et pas du tout fatigant de gagner son pain. Beaucoup de
courtisanes commençaient comme grisettes, des filles qui travaillaient par exemple chez des
modistes. Ces grisettes avaient souvent comme amants des jeunes étudiants, qui n’avaient
pas les moyens pour leur donner des cadeaux chers: c’était plutôt de l’amour désintéressé.
Mais si elles étaient particulièrement belles et charmantes et arrivaient à être l’objet
d’attention d’un homme riche, elles pouvaient très vite monter l’échelle sociale et devenir
courtisane. C’était aussi de cette façon qu’Alphonsine Plessis, une pauvre grisette, devenait
Marie Duplessis, une courtisane à la mode. Il y avait aussi beaucoup de courtisanes qui
étaient en même temps danseuses, actrices ou chanteuses. Pour illustrer la mode de vie des
courtisanes je présente quelques courtisanes très connues du XIXième siècle avant d’insister
sur Marie Duplessis dans le chapitre suivant.
Une courtisane qui était aussi une des connaissances et une rivale de Marie
Duplessis, était Lola Montez (1821-1861), une danseuse de l’Opéra.6 Elle était d’origine
irlandaise, son vrai nom étant Marie Dolores Eliza Rosanna Gilbert, mais en changeant son
nom en Lola Montez elle se présentait comme danseuse espagnole. Apparemment, elle
n’avait pas beaucoup de talent pour la danse, mais sa danse érotique de l’araignée était
légendaire. Elle avait des liaisons avec, entre autres, le pianiste Franz Liszt et le roi Louis I
de Bavière, et aussi Dumas père était un de ses admirateurs. En 1851, elle partit pour les
Etats-Unis, pour aller en Australie quelques années plus tard, et pour s’installer finalement à
New York. Elle était très possessive et on dirait d’elle qu’elle portait le mauvais œil, elle
arrivait toujours à mettre ses amants dans l’embarras: pour ces deux raisons, ses amants
essayaient, très vite après le commencement de la liaison, de se débarrasser d’elle. Comme
beaucoup de courtisanes, elle a commencé sa carrière sur scène; cependant, il y a eu très
6
Issartel (1981), p. 29, http://en.wikipedia.org/wiki/Lola_Montez.
7
peu de courtisanes qui étaient au même temps si célèbres mais avec une si mauvaise
réputation.
Un exemple d’une courtisane de la Belle Époque très connue est Liane de Pougy
(1869-1950), née Anne-Marie Chassaigne, puis Madame Henri Pourpe pendant son premier
mariage et finalement princesse Georges Ghika par son deuxième mariage.7 Elle recevait une
éducation religieuse au couvent, s’était mariée à l’âge de seize ans, s’enfuyait pour Paris
après deux ans de mauvais traitement, et divorçait d’avec son mari. Elle était engagée
comme danseuse de cabaret aux Folies Bergères sous le pseudonyme de Liane de Pougy.
C’est là où elle commençait sa carrière de courtisane, et, en étant ouvertement bisexuelle,
avait des amants des deux sexes. Elle écrivait également quelques romans contenant des
éléments autobiographiques, qui nous donnent beaucoup d’informations sur sa vie et sur ses
idées. En 1899 elle rencontra l’amour de sa vie, l’écrivain Nathalie Clifford Barney, qui la
trompa; Liane décrivait leur liaison dans son roman Idylle Saphique (1901). En 1910 elle se
mariait avec le prince roumain Georges Ghika. Mariage heureux pendant seize années, le
prince avait fini par prendre une amante plus jeune, et Liane se consolait en prenant
plusieurs amantes. Après la mort de son mari en 1945, elle changeait de vie et entrait
comme novice dans le Tiers-Ordre de Saint-Dominique comme Anne-Marie-Madeleine de la
Pénitence et travaillait dans un orphelinat pour enfants handicapés. Son journal et ses
mémoires ont été publiés sous le titre Mes cahiers bleus.8 Liane de Pougy vivait un demisiècle après Marie Duplessis, mais sa vie était exemplaire d’une vie de courtisane. Elle fuyait
sa vie en province, utilisait son charme pour monter l’échelle sociale, obtenant de la noblesse
en mariant un prince. Pendant la première partie du XIXième siècle la bisexualité d’une
courtisane n’était pas encore acceptée, dans la Belle Époque par contre il était plutôt en
vogue d’être bisexuelle - comme on le voit par exemple dans Nana de Zola – comme il était
également en vogue d’être poitrinaire au XIXième siècle.
La rivale de Liane de Pougy était Carolina Otero ou la Belle Otéro (1868-1965),9 une
danseuse, actrice et courtisane d’origine espagnole qui, elle aussi, commençait sa carrière à
Paris aux Folies Bergères. Elle, Liane de Pougy et Émilienne d’Alençon étaient surnommées
les ‘Trois Grâces’ de la Belle Époque. Elle avait des liaisons avec entre autres Edouard VII, roi
de Grande Bretagne, Léopold II, roi de Belgique, et le président du Conseil Aristide Briand.
Elle faisait des tournées aux Etats-Unis, en Europe et en Russie et on l’appelait, en 1898, la
première ‘star de l’histoire du cinéma’ quand Félix Mesguich filmait un de ses numéros de
7
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liane_de_Pougy.
Pougy (1941).
9
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Belle_Otero.
8
8
danse avec un cinématographe Lumière. En 1915, elle se retirait de la vie publique et
s’installait à Nice. Elle se ruinait à cause des luxes extravagants qu’elle se permettait et en
perdant des millions au jeu, et meurt finalement dans la misère et dans l’oubli. Elle est un
exemple d’une courtisane qui a été très riche mais qui était morte très pauvre.
Dans ce chapitre, j’ai insisté sur la place et le mode de vie de la courtisane à Paris au
XIXième siècle et j’ai donné quelques exemples de courtisanes qui vivaient au XIXième siècle
pour illustrer cette mode de vie. L’introduction de ce phénomène, qu’on ne connaît plus en
Europe occidentale,10 montre que les courtisanes faisaient beaucoup parler d’elles. Le public
était intrigué par leur vie de luxe. Pour cette raison, elles étaient un sujet fécond pour les
écrivains. La fascination des gens pour les courtisanes est un peu comparable à la
fascination qu’on a de nos jours pour les célébrités. Ces femmes arrivaient à monter l’échelle
sociale et à atteindre une certaine indépendance, ce qui était autrement presque impossible
pour une femme. Ces connaissances nous aideront à mieux comprendre le personnage de
Marguerite et ses actions, ainsi que le comportement des autres personnages envers elle.
10
Pour le chapitre traitant la courtisane dans la littérature, j’ai cherché des versions ‘modernes’ de la
courtisane. Un des aspects qui distinguent la courtisane des autres prostituées est que la courtisane
avait des liaisons, des relations, avec ses amants ou ‘clients’. De nos jours, il n’y a plus, autant que je
sache, des prostituées qui ont vraiment des liaisons avec leurs clients. A mon avis, les femmes qu’on
appelle ‘gold-diggers’, qui font tout pour séduire un homme riche pour profiter de leur argent, sont le
phénomène le plus proche de la courtisane du XIXième siècle; voir la page 18.
9
Dumas fils et la vraie Dame aux Camélias
Dans La Dame aux Camélias, Dumas fils raconte la version romancée de sa liaison avec la
courtisane Marie Duplessis (1824-1847).11 Vivant avec un père qu’il adorait et qui était son
grand exemple mais qui était irresponsable et qui avait l’argent trop facile, il était élevé à
vivre la vie que son père vivait. D’un côté celui-là écrivait beaucoup et travaillait dur (il
publiait tellement d’œuvres littéraires qu’une grande partie des œuvres publiées sous son
nom étaient apparemment écrites par ses collaborateurs et que Dumas les avait seulement
approuvées; mais même s’il n’a pas écrit toutes ces œuvres lui-même, il en a quand même
beaucoup écrit). De l’autre côté il était un bon vivant qui aimait beaucoup la bonne cuisine,
amuser des invités, dont la plupart il ne connaissait souvent pas, et qui avait d’innombrables
affaires et liaisons.12 C’était dans cet entourage que Dumas fils faisait la connaissance de
beaucoup de personnes d’importance, culturellement, politiquement ou socialement, et c’est
dans ce monde qu’il faisait aussi la connaissance de la courtisane à la mode, Marie Duplessis.
Marie Duplessis était née en 1824 à Nonant comme Alphonsine Plessis. Elle vivait une
enfance malheureuse: son père était un ivrogne violent, sa mère était morte quand elle avait
neuf ans. Quand elle arrivait à Paris à l’âge de quinze ans, elle était donc pauvre et vêtue
d’haillons. L’homme de lettres Nestor Roqueplan, qui devint plus tard directeur de l’Opéra, a
écrit qu’un jour en 1839 il l’avait remarquée sur le Pont-neuf, tout affamée, et qu’il lui avait
acheté un grand cornet de frites. Quand il la revoyait quelques années plus tard, en étant la
maîtresse du duc de Guiche, il la reconnaissait avec peine, parce qu’à cette époque là, elle
était déjà vêtue de robes luxueuses.13 Alphonsine s’adaptait très facilement à la vie dans la
ville. Elle a probablement travaillé comme grisette chez une modiste pendant quelque temps;
mais très vite elle devenait la maîtresse d’un homme qui tenait un restaurant dans la galerie
Montpensier au Palais-Royal, qui lui donnait un petit appartement rue de L’Arcade;14 et
quelques temps plus tard elle le quittait pour Agénor, duc de Guiche. Elle commandait des
toilettes à la mode, elle allait au théâtre et elle apprenait à lire et à écrire. En 1842, elle
changeait son nom en Marie Duplessis, ce qui était plus chic; c’était aussi dans cette année
que Dumas fils la voyait pour la première fois quand elle passait dans la rue. Marie passait
l’été à Baden, en Allemagne, pour prendre les eaux; elle était à cette époque-là déjà
poitrinaire. Dans un rien de temps, elle devenait la courtisane le plus à la mode de Paris; elle
11
Pour cette partie, j’ai utilisé notamment Issartel (1981), Saunders (1954), Lyonnet (1930) et Lucot
(1997)
12
Saunders (1954).
13
Saunders (1954), p. 87, Lyonnet (1930), p. 17.
14
Lyonnet (1930), p. 18.
10
choisissait ses amants d’un certain cercle, celui du ‘Jockey Club’.15 Elle vivait dans le luxe.
Quelques-uns de ses amants illustres étaient le comte Olympio Aguado de las Marismas et le
vicomte Edouard de Perrégaux. Dumas la voyait de temps en temps dans la rue ou dans
l’Opéra. Il la décrit de la façon suivante, dans son ‘à propos’ de la pièce La dame aux
Camélias:
‘Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle
avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les
lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde; on eût dit une figurine
de saxe. En 1844, lorsque je la vis pour la première fois, elle s’épanouissait dans
toute son opulence et dans toute sa beauté. (…) Elle ne manquait ni d’esprit ni de
désintéressement. (…) Elle possédait une distinction native, s’habillait avec goût,
marchait avec grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une
femme du monde.’ 16
Un soir d’automne en 1844 au théâtre des Variétés, il demandait à son ami Eugène Déjazet,
qui connaissait Clémence Prat, l’entremetteuse de Marie, d’arranger une entrevue. Marie
partait du théâtre avec le vieux comte de Stackelberg, son protecteur, qui la raccompagnait
chez elle; Clémence, Déjazet et Dumas suivaient. Le comte rentrait chez lui directement, et
la compagnie pouvait se faire annoncer chez Marie.
Dumas fils était présenté à Marie. Apparemment, leur rencontre s´était passé
presque exactement comme Dumas l’a décrite dans son roman: Marie lui donnait un rendezvous pour le lendemain en lui donnant un camélia de son bouquet, qu’il devait lui rendre
quand elle a fané. Bien que les camélias soient ses fleurs préférées, elle n’était connue
comme ‘la Dame aux Camélias’ qu’après sa mort, grâce au roman de Dumas; apparemment,
c’était sa fleuriste qui lui avait donné ce nom. Il devenait son amant de cœur, c'est-à-dire
qu’il ne la ‘payait’ pas pour pouvoir être son amant. Comme elle avait déjà tout ce qu’elle
pouvait désirer sur le plan matériel, elle cherchait probablement un amant jeune qui ne
l’ennuierait pas. Bien qu’elle n’ait pas voulu accepter de l’argent de Dumas, il s’endettait
quand même en achetant des fleurs, des bonbons, des soirées à l’Opéra, des dîners,
etcetera; afin de pourvoir financer tout cela, il commença à jouer. Quand Marie et lui
passaient quelques jours à la campagne, tout semblait être parfait; mais de retour à Paris
elle reprenait aussitôt son ancien mode de vivre et semblait appartenir à tout le monde. La
15
16
Felsenstein (2003), p. 12.
Dumas (1867 I), p. 9/10.
11
santé de Marie s’aggravait, mais elle était irritée quand Dumas lui suggérait de changer sa
façon de vivre. Par contre, elle adoptait une vie encore plus agitée pour oublier sa maladie.
Elle refusait de plus en plus souvent de recevoir Dumas, qui décidait finalement de rompre
avec Marie, ce qu’il faisait en lui écrivant une lettre adieu.
Après sa liaison avec Dumas fils, Marie Duplessis en avait une avec le pianiste et
compositeur Franz Liszt, commencée vers la fin de l’année 1845, avec qui elle avait sa
dernière grande liaison et qui était, selon Saunders17, l’amour de sa vie. C’était probablement
le premier amant qui pouvait vraiment se comparer à elle, parce qu’il était beau, séduisant,
riche, célèbre et encore plus désirée par les femmes qu’elle ne l’était par les hommes. Liszt
écrivait d’elle:
‘C’était bien l’incarnation la plus absolue de la femme qui ait jamais existé (…)
Je ne suis pas partial, en général, pour les ‘Marion Delorme’ ni pour les ‘Manon
Lescaut’ (…) mais celle-là était une exception. Elle avait beaucoup de cœur, un
entrain tout à fait idéal, et je prétends qu’elle était unique dans son espèce (…)’ 18
‘Lorsque je pense à la pauvre Marie Duplessis, la corde mystérieuse d’une
élégie antique résonne dans mon cœur.’ 19
Liszt se trouvait entre les deux grands amours de sa vie, et bien que ce qu’il ait écrit sur elle
donne l’impression qu’il ait sans doute aimé un peu Marie, cette liaison était pour lui
beaucoup moins sérieuse que ses liaisons avec Marie d’Agoult et avec la princesse Carolyne
de Sayn-Wittgenstein, qui étaient plus longues et sur lesquelles il a beaucoup plus écrit. Il
obtenait un poste comme Maître de Chapelle à Weimar et voulait s’y installer; mais il n’y
voyait pas de place pour elle, une courtisane. En février 1846 Marie se mariait à Londres
avec le vicomte Edouard de Perrégaux, mais elle revenait vivre à Paris comme si de rien
n’était.20 Elle n’a guère utilisé son titre de vicomtesse; il est possible qu’elle ne veuille ce titre
que pour pouvoir vivre avec Liszt à Weimar, pour que leur liaison serait plus facilement
acceptée.21 Mais la santé de Marie déclinait de plus en plus et Liszt la laissait seule à Paris de
plus en plus souvent. Sa situation financière était aussi pénible: ses amants l’avaient quittée
et il n’y avait plus personne pour payer ses factures. Marie sentait qu’elle allait mourir bientôt
17
18
19
20
21
Saunders (1954), p. 177
Issartel (1981), p. 35
http://fr.wikipedia.org/wiki/Maire_Duplessis
Saunders (1954), p. 179, Lyonnet (1930), p. 33-36.
Saunders (1954), p. 179
12
et allait encore une fois prendre les eaux en Allemagne, mais vers l’hiver de 1846 elle ne
pouvait plus quitter son appartement. A cette époque, Dumas accompagnait son père sur un
long voyage vers l’Espagne.
Marie était morte à l’âge de vingt-trois ans, le 3 février 1847, de consomption, ce
qu’on appelle de nos jours la tuberculose. Dumas apprenait la nouvelle une semaine plus
tard, quand il partait de Marseille pour Paris, où il arrivait le 14.22 Le vicomte de Perrégaux
était obligé à identifier le corps, et le 16 février on avait ouvert le cercueil, au cimetière
Montmartre. Il est possible que Dumas l’ait accompagné, ou bien qu’il ait entendu un
témoignage de cet événement, et qu’il a utilisé cette expérience pour la décrire dans le
roman. Il était aussi présent à la vente des biens de Marie. Pendant quelque temps, Marie
continuait à être un sujet populaire dans la presse et dans la conversation. Ce serait donc un
sujet fécond pour un aspirant écrivain comme Dumas. Il écrivait une élégie pour Marie
Duplessis, qui allait faire partie d’un volume de poèmes. En juin, en retournant à Paris après
avoir visité son père au Château de Monte Christo, il s’arrêtait à l’auberge du ‘Cheval Blanc’.
C’était là où il a commencé l’écriture du roman sur sa liaison avec Marie. Le jeune écrivain
avait été beaucoup influencé par l’œuvre de George Sand et ce sujet était donc parfait pour
son premier roman. Il finissait l’œuvre en trois semaines. La Dame aux Camélias parût en
1848. Le public ne voulait pas de ses poèmes, mais le roman était un succès immédiat,
surtout auprès des femmes: dans quelques mois après la parution il en avait déjà vendu des
milliers, ce qui était beaucoup à cette époque. Dans beaucoup de romans écrits au XIXième
siècle figurent des courtisanes, mais La Dame aux Camélias est le seul cas dans lequel il est
certain qu’il s’agit d’une description d’une vraie personne.23 Cela rendait l’histoire sans doute
plus vraisemblable pour les lecteurs, et aussi plus intéressante. Le roman était donc si
populaire à la parution notamment parce que Marie Duplessis l’avait été, mais c’était aussi
grâce à la popularité du roman en 1848 que Marie Duplessis restait un sujet intéressant pour
la presse. L’année suivante, Dumas fils décidait de faire une pièce de théâtre basée sur le
roman, mais pendant quelques années il avait des problèmes avec la censure qui ne
permettait pas la représentation de la pièce:
‘L’année suivante on apprenait qu’il avait tiré de son roman une pièce de
théâtre en cinq actes et que cette comédie venait d’être interdite par la censure qui
fonctionnait alors sous la seconde République. A cette nouvelle, tous ceux qui
22
23
Lucot (1997), p. 71/72.
Crane (1976), p. 88.
13
n’avaient pas encore lu le volume voulurent le connaître. Ce fut un engouement
universel.’ 24
Finalement, la censure avait donc eu une influence positive sur la popularité de l’œuvre.
Avec le temps, Dumas fils devenait de plus en plus moraliste et plus tard dans sa vie
il considérait La Dame aux Camélias comme un péché de jeunesse, bien qu´il sache très bien
que c’était son œuvre la plus populaire et celle qui avait rendu son auteur célèbre; comme
sa pièce de théâtre était encore beaucoup jouée vers la fin de sa vie, il pouvait vivre des
recettes. Selon Carlo Pasticci, il s’agit même de la pièce de théâtre le plus jouée au XIXième
siècle.25 Dumas fils en écrivait d’ailleurs encore bien d’autres, dont les plus connues sont
Diane de Lys et Le Demi-Monde. Le changement de morale de Dumas fils est un sujet de
recherche en soi;26 d’un côté, il se distanciait de la morale de son père, qui avait laissé la
mère de Dumas fils quand elle était enceinte et qui avait eu de nombreuses liaisons; de
l’autre côté, comme il n’était pas heureux en ménage lui-même, lui aussi se jetait dans les
bras d’une autre femme. Il n’arrivait donc pas à être le bon exemple qu’il aurait tant voulu
être. Bien que Dumas fils n’ait jamais eu la célébrité de son père, l’auteur des Trois
Mousquetaires et du Comte de Monte Christo, il est quand même reçu à l’Académie française
en 1875, honneur qu’il acceptait au nom de son père. De nos jours, La Dame aux Camélias
est la seule œuvre de Dumas fils encore lu par un grand public, sans doute en partie grâce à
la popularité de l’opéra. A cause de la popularité de La Dame aux Camélias et La Traviata, la
tombe d’Alphonsine Plessis est encore aujourd’hui l’objet de nombreux pèlerinages, et on y
trouve toujours des camélias frais.
Ce résumé de la vie de Marie Duplessis nous sera utile pour l’étude des versions
fictives de l’histoire de la Dame aux Camélias, pour voir quelles parties de l’histoire sont
basées sur la réalité et lesquelles ont échappé à l’imagination de Dumas fils.
24
25
26
Lyonnet (1930), p. 9.
Felsenstein (2003), p. 14.
Seillère (1921).
14
La courtisane dans la littérature
Dumas fils n’était pas le premier et certainement pas le dernier auteur à consacrer une
œuvre littéraire à une courtisane. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, les
courtisanes étaient très présentes dans la vie culturelle, dans les théâtres et dans le monde
des divertissements. Le luxe qu’elles pouvaient se permettre frappait l’imagination et les plus
élégantes d’entre-elles imposaient souvent des nouvelles modes. Beaucoup d’écrivains au
XIXième siècle ont connu personnellement des courtisanes et ont décrit dans leurs romans
leurs propres expériences; d’autres ne les connaissaient que de vue et insistaient surtout sur
le fait qu’elles vivaient dans le péché. Dans bien des cas, il s’agissait d’un sujet choquant qui
provoquait le scandale. Comme le scandale était presque une garantie pour succès, cela
explique aussi en partie la popularité du sujet. Pour obtenir une idée de la popularité de la
courtisane comme thème littéraire en France au XIXième siècle, ce qui peut expliquer en partie
la popularité de l’œuvre de Dumas, il est nécessaire de faire un relevé global de la courtisane
comme personnage littéraire. Ce relevé nous aidera plus tard à comparer La Dame aux
Camélias à d’autres œuvres qui traitent de courtisanes. Je me suis bornée aux courtisanes
ou personnages semblables aux courtisanes, comparables à celles qu’on trouve dans les
œuvres traitées dans ce mémoire, je ne traiterai par exemple pas les courtisanes asiatiques
ou les courtisanes avant le XVIIIième siècle. Comme on ne connaît plus de nos jours des
courtisanes comme celles du XIXième siècle, j’ai également cherché des représentations
modernes de la courtisane. Etant donné que le cinéma est devenu un medium important au
XXième siècle, je ne me suis pas limitée à la littérature mais je donnerai aussi quelques
exemples cinématographiques.
Dumas fils n’était certainement pas le premier écrivain à présenter une courtisane
comme personnage dans un roman. L’Abbé Prévost (1697-1763) l’avait déjà fait en 1731
avec son Histoire des Grieux et de Manon Lescaut, une œuvre encore largement connu au
XIXième siècle et encore de nos jours, et aussi une inspiration pour Dumas fils: il utilise
l’histoire de Manon dans son roman pour la contraster avec celle de Marguerite. Manon est
une fille pas très intelligente qui trompe son amant de cœur, Des Grieux, parce qu’elle ne
peut pas résister aux tentations de l’argent. Quand même, son amant ne veut pas la quitter
et se laisse entraîner dans la misère avec elle, et la suit même quand elle est exilée en
Amérique. Là, finalement, elle meurt. Le roman est devenu un classique et l’histoire de
Manon Lescaut est toujours restée populaire, sans doute aussi grâce aux deux opéras qu’on
en a tirés (il y en a eu d’ailleurs encore deux autres à peu près oubliés), Manon (1884) de
Jules Massenet et Manon Lescaut (1893) de Giacomo Puccini. Le roman est mentionné
15
plusieurs fois dans La Dame aux Camélias dans des comparaisons, comme nous allons le voir
dans le chapitre sur la représentation de la courtisane dans cette œuvre.
Un nom qu’il faut mentionner ici, parce qu’il s’agit bien d’une courtisane légendaire
bien qu’elle vive au XVIIième siècle, est Ninon de l’Enclos (1620-1705). Elle était un habitué
des salons, le mécène d’entre autres Molière et Voltaire et elle était l’auteur de quelques
œuvres, parmi elles La coquette vengée (1659). Plusieurs écrivains ont écrit des œuvres sur
elle.
Au XIXième siècle, on peut retrouver la courtisane comme personnage littéraire chez
presque tous les grands écrivains, par exemple chez Balzac, Hugo, Flaubert, Daudet,
Maupassant, les frères Goncourt et Zola, sans compter des écrivains moins connus de nos
jours comme Barrault, Berthoud, Frémy, Ricard et Soulié.27 Alex Lascar en nomme encore
beaucoup d’autres dans son article La courtisane romantique (1830-1850): solitude et
ambiguïté d’un personnage romanesque.28 Au commencement du XIXième siècle, donc avant
que Dumas fils ait écrit La Dame aux Camélias, il y avait entre autres Balzac et Hugo qui
utilisaient des courtisanes comme personnages. Dans son drame Marion de Lorme (1828),
Hugo nous raconte l’histoire de la courtisane Marion. Marion ne révèle pas sa vraie identité à
son amant. Il risque sa vie pour elle en se battant en duel avec un des autres amants de
Marion et il est condamné à mort. Quand Didier découvre qu’elle est en fait cette fameuse
Marion de Lorme, il la méprise; mais juste avant qu’il soit exécuté, il la pardonne en croyant
que leur amour aurait pu la changer en une honnête femme.29 La pièce est interdite par la
censure, problème que Dumas aura aussi avec la pièce de théâtre La Dame aux Camélias. La
pièce est finalement représentée en 1831, après qu’Hugo ait changé la fin: dans la première
version, Didier meurt sans pardonner à Marion.30 Le nom Marion de Lorme est, comme
Manon Lescaut et Marguerite Gautier, devenu presque un synonyme pour une courtisane.
Les nombreuses courtisanes dans l’œuvre de Honoré de Balzac n’ont pas connu une
célébrité pareille, peut-être parce qu’il ne s’agisse souvent pas de personnages principales et
parce qu’elles soient décrites d’une manière plus superficielle. On retrouve des courtisanes
entre autres dans ses romans La cousine Bette (1846) et Splendeurs et misères des
courtisanes (1847). En 1838, Alfred de Musset a écrit la nouvelle Frédéric et Bernerette;
Dumas père lui-même avait écrit en 1844 la pièce Fernande, traitant d’une courtisane.
Gustave Flaubert écrit en 1869 L’Éducation Sentimentale31 dans laquelle il introduit la
27
28
29
30
31
Crane (1967).
Lascar (2001).
Hugo (1985).
Barrère (1952), p. 54.
Flaubert (1869).
16
courtisane Rosanette Bron, qui évoque des scènes tout à fait comparables à certaines scènes
dans La Dame aux Camélias, quand il s’agit des problèmes d’argent ou de leur séjour à la
campagne. Dans Scènes de la vie de bohème (1845-1849) d’Henri Murger, un roman qui a
aussi été l’inspiration pour un opéra, à savoir La Bohème de Puccini, figurent également des
courtisanes. En général, la courtisane était représentée comme étant vulgaire, frivole et
enfantine.
Dans l’œuvre de George Sand, une des rares femmes qui ont écrit sur des
courtisanes, on trouve Isidora (1846), qui traite d’une courtisane qui est ‘sauvée’ par la sœur
de son mari défunt, qui l’accepte et devient son amie.32 Eve Sourian argumente dans sa
préface pour le roman qu’il est bien possible que ce roman a aussi été inspiré par Marie
Duplessis33 et que Sand y réfère dans la notice avec laquelle le roman commence:
‘A Paris, 1845. C’était une très belle personne, extraordinairement intelligente,
et qui vint plusieurs fois verser son cœur à mes pieds, disait-elle. Je vis parfaitement
qu’elle posait devant moi et ne pensait pas un mot de ce qu’elle disait la plupart du
temps. Elle eût pu être ce qu’elle n’était pas. Aussi n’est-ce pas elle que j’ai dépeinte
dans Isidora. 34
Le fait qu’Isidora est aussi prénommée la Dame aux Camélias renforce l’idée; mais comme
Sand le dit elle-même, le caractère d’Isidora n’est pas basé sur le personnage historique;
dans l’œuvre il ne s’agit donc pas d’un autre point de vue concernant Marie Duplessis, ce qui
aurait pu être intéressant pour le comparer avec celui de Dumas fils. Ce qui est cependant
intéressant, est qu’il s’agit du point de vue d’une femme par rapport aux courtisanes, et
Sand se montre assez sévère à leur regard.
On retrouve un tout autre point de vue par rapport aux courtisanes dans les œuvres
d’Emile Zola. Zola ne condamne pas les courtisanes, il est plutôt un observateur décrivant la
misère dans laquelle elles vivaient. Son roman Nana (1880), qui fait partie du cycle des
Rougon-Macquart, compte, comme celui de Dumas fils, parmi les romans les plus connus
traitant de courtisanes; mais dans ce roman il ne s’agit pas d’une Marguerite, mais d’une fille
arrogante sans cœur. Cependant, il y a de fortes ressemblances entre la représentation du
mode de vie des courtisanes dans Nana et dans La Dame aux Camélias. Ce n’est pas la seule
œuvre de Zola dans laquelle on trouve des courtisanes; on les retrouve aussi dans ses
32
33
34
Seillière (1921), p. 6, Sand (1846).
Sand (1846), p. 12/13.
Sand (1846), p. 35.
17
œuvres de jeunesse, notamment dans La confession de Claude, que je traiterai dans le
dernier chapitre en étant une œuvre influencée par La Dame aux Camélias, et aussi dans Le
vœu d’une morte et Madeleine Férat.
Le thème n’était pas seulement populaire en France: l’auteur anglais John Cleland
écrit Memoirs of a Woman of Pleasure ou Fanny Hill en 1748/1749, un roman qui est encore
populaire de nos jours, et en 1894, Oscar Wilde écrit sa Sainte Courtisane. En 1825, la
courtisane anglaise Harriette Wilson publiait ses propres mémoires, qu’on peut lire encore de
nos jours sous le titre Mistress of many – The memoirs of Harriette Wilson.35 Ce qui est
intéressant dans cette œuvre est évidemment qu’elle contient le point de vue d’une
courtisane au lieu de celui de ses amants, dans un temps où il n’y avait pas encore beaucoup
d’écrivains féminins. Mes cahiers bleus,36 les mémoires de la courtisane Liane de Pougy, que
j’ai déjà mentionnées, et les mémoires de Sarah Bernhardt, Ma double vie,37 sont
intéressantes pour les mêmes raisons.
Au XXième siècle, la courtisane comme on l’a connu au XIXième siècle disparaît; mais on
peut toujours trouver dans la littérature des personnages de courtisanes ou des personnages
qui ressemblent aux courtisanes; par exemple Odette du Crécy, qui devient la femme de
Swann, dans Du coté de chez Swann (1913) de Marcel Proust. Elle n’est pas introduit par
l’écrivain comme étant une courtisane, mais en fait, elle en est une. Colette, qui était une
amie d’entre autres la courtisane Caroline Otéro (voir plus haut), écrit en 1920 Chéri, un
roman sur la liaison entre une vieille courtisane et un jeune homme nommé Chéri.
Encore de nos jours, de nombreux romans sont écrits qui traitent de courtisanes; il
s’agit souvent de romans historiques. Quelques exemples récents sont Courtesan de Dora
Levy Mossanen (2005) et In the company of the courtesan (2006) de Sarah Dunant.
On peut comparer la courtisane du XIXième siècle à ce qu’on appelle de nos jours un ‘golddigger’: une femme qui veut marier un homme riche pour profiter de son argent et pour
pouvoir vivre dans le luxe. Et si cela n’est pas un thème très fréquemment utilisé dans la
littérature, il y en a des exemples cinématographiques; par exemple dans le film récent Hors
de prix (2007) de Pierre Salvadori dans lequel une femme séduit des hommes riches pour
pouvoir vider leur cartes de crédit, mais qui, finalement, tombe amoureuse d’un homme
pauvre, comme Marguerite. Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s (1961) réalisé par
Blake Edwards est un exemple connu; un autre exemple classique est le film Pretty Woman
(1990) de Garry Marshall, dans lequel un homme riche tombe amoureux d’une prostituée, et
35
36
37
Wilson (1960).
Pougy (1941).
Bernhardt (1907).
18
aussi le film musical Moulin Rouge! (2001), dont je parlerai dans le chapitre traitant de
l’œuvre de Dumas comme source d’inspiration. Il est clair que le thème a conservé une
certaine popularité au XXième siècle.
Il est remarquable que beaucoup des histoires des courtisanes traitées ici fassent
preuve de plusieurs éléments récurrents. Il s’agit souvent d’un amant jeune qui veut sauver
ou ‘purifier’ la courtisane; pour ce faire, ils quittent Paris - symbole pour la frivolité et tout ce
qu’il y a de mal dans la façon de vivre d’une courtisane – pour aller à la campagne;
subitement, la courtisane redevient une femme honnête. Puis viennent les soucis d’argent, le
retour à Paris, la rechute à la vie de courtisane et souvent la mort précoce de celle-là. Dans
beaucoup de ces histoires, il y a en plus des éléments autobiographiques; les expériences
personnelles des auteurs, positives ou négatives, ont beaucoup d’influence sur la
représentation de la courtisane dans les œuvres. Chez les écrivains qui n’ont pas connu des
courtisanes, on ne retrouve dans la représentation de la courtisane que le point de vue de
l’homme; chez ceux qui ont profité de l’occasion de les étudier de près, la représentation de
la courtisane est plus nuancée et plus humaine.
La différence la plus remarquable entre toutes ces courtisanes littéraires et La Dame
aux Camélias, est le caractère de Marguerite: elle est représentée comme une fille avec un
bon cœur, ce qui est exceptionnel pour une courtisane dans une œuvre littéraire. Elle est,
selon Van der Gun, la ‘dernière courtisane romantique’,38 et selon Dumas fils lui-même, la
dernière courtisane qui ‘avait du cœur’.39 Dans un petit livre de Claretie datant de 1882, qui
traite de Dumas en étant un ‘célébrité contemporain’, on trouve la comparaison suivant entre
Manon Lescaut et La Dame aux Camélias:
‘Le livre de Dumas, c’est Manon Lescaut, si l’on veut, mais avec l’idée moderne
en plus, avec le sentiment du repentir. Armand Duval, c’est un Desgrieux qui ne
tombe pas; Marguerite Gautier est une Manon qui se relève. Il y a dans ce livre de
Dumas une chose de plus que dans celui de l’abbé Prévost: avec la passion il y a
l’honneur.’
40
Déjà au XIXième siècle, le public appréciait la valeur de La Dame aux Camélias quand il s’agit
de la représentation de la courtisane, et Claretie la place même au dessus des autres œuvres
traitant des courtisanes, parmi lesquelles la très populaire Manon Lescaut.
38
Gun (1963), p. 68.
Dumas (1867, I), p. 10.
40
Claretie (1882), p. 13.
39
19
Ce relevé nous montre donc que la courtisane était au XIXième siècle un personnage
populaire; qu’il y a des éléments récurrents qu’on peut retrouver dans de nombreuses
histoires traitant des courtisanes, mais aussi que la représentation de la courtisane dans les
différentes œuvres diffère. Je ferai plus tard une analyse plus profonde de la représentation
de la courtisane dans les trois œuvres sur La Dame aux Camélias, pour laquelle ce chapitre
sera utile. Maintenant, je vais introduire l’histoire de La Dame aux Camélias comme on le
trouve dans les trois différents médias. Le caractère de Marguerite et ses actions seront
présentés à l’aide d’un résumé des trois histoires.
20
La Dame aux Camélias: résumé des différentes oeuvres
Pour pouvoir comparer les deux oeuvres de Dumas et celle de Verdi, et par extension la
représentation de la courtisane dans ces œuvres qui est un facteur important pour la
popularité du personnage, je vais premièrement faire un résumé qui compare les différentes
histoires. Ce qui complique la comparaison entre les œuvres est le fait qu’il y des différences
entre les noms des personnages, et parfois il y a des personnages supplémentaires ou des
personnages supprimés. Dans la pièce, Dumas a ajouté deux personnages, la grisette
Nichette et son fiancé Gustave. On retrouve aussi l’inverse, par exemple chez Prudence et
Olympe, qui sont dans l’opéra toutes les deux représentées par le personnage de Flora. C’est
dans ces cas-là que ces changements de noms ont de l’influence sur l’histoire. Les noms
dans l’opéra sont tous différents parce qu’il fallait trouver des noms italiens; les noms dans la
version française de l’opéra diffèrent un peu de la version italienne. Cependant, il y a des
similarités entre les noms: Marguerite et Violetta sont tous deux noms de fleurs, et l’ami de
Violetta s’appelle Flora; dans la version anglaise de la pièce, Marguerite s’appelle Camille,
elle est donc nommée directement après la fleur qu’elle aime. Le docteur s’appelle Germont
dans la version française de l’opéra, comme Alfredo dans la version italienne; le nom
Douphol ressemble Duval et Grenvil ressemble Varville, donc même s’il s’agit de différents
personnages, Verdi et Piave, son librettiste, ont étés inspirés par les noms français. Pour
faciliter la comparaison, j’ai mis les noms des personnages principaux dans une table:
Roman
Pièce de théâtre
Opéra
Opéra, version
française
Marguerite Gautier
Marguerite Gautier
Violetta Valéry
Violetta de Saint-Ys
Armand Duval
Armand Duval
Alfredo Germont
Rodolphe d’Orbel
Georges Duval
Georges Duval
Giorgio Germont
Georges d’Orbel
Gaston R…
Gaston Rieux
Gastone, Visconte
Le vicomte Émile
de Letorières
Prudence
Prudence
~ Flora Bervoix
Clara
Olympe
Olympe
Nanine
Nanine
Annina
Annette
Le comte de N…
(Arthur de) Varville
~ Barone
Le baron Reynal
Le comte de G…
Le comte de Giray
Douphol
Le vieux duc
Le duc de Mauriac
~ Marchese
Le marquis d’Orbigny
21
d’Orbigny
Le docteur
Dottore Grenvil
Le docteur Germont
Pour le résumé, j’ai partagé l’histoire en six parties, globalement basées sur les actes dans la
pièce: la rencontre et l’amour; la liaison et l’interrogation; à la campagne et le sacrifice;
l’affront; et finalement la mort. Les parties sont précédés par l’introduction, qui ne figure que
dans le roman. Les résumés individuels des différentes oeuvres se trouvent dans les
annexes.
L’introduction
Pour le roman, Dumas fils a utilisé un récit encadré: l’histoire est racontée par un homme
qui, en visitant la vente des biens d’une courtisane décédée, commence à s’intéresser à la
vie de celle-là et y achète un exemplaire de Manon Lescaut, roman qu’un de ses amants lui
avait donné. Cette courtisane était Marguerite Gautier, une femme qui avait été beaucoup à
la mode il y avait quelques mois. Quelques jours plus tard, un des amants de Marguerite,
Armand Duval, vient rendre visite au narrateur pour demander s’il peut racheter le livre: il
n’a pas pu assister à la vente et n’a donc pas pu obtenir un souvenir d’elle. Il était juste de
retour d’un long voyage à l’étranger et il avait obtenu de Julie Duprat, la femme qui avait
soignée Marguerite pendant ses derniers jours, quelques lettres, qu’elle avait écrit pour lui
pendant ses derniers jours et dans lesquelles elle lui raconte ce qui était la vraie cause de la
fin de leur liaison. Armand demande à notre narrateur de l’accompagner au cimetière; pour
qu’Armand puisse voir Marguerite une dernière fois, il a obtenu la permission de sa sœur
d’exhumer la morte pour l’enterrer dans une concession à perpétuité. Armand tombe malade
à cause de la fatigue et des émotions. Le narrateur lui tient compagnie et Armand
commence à lui raconter l’histoire de sa liaison avec Marguerite. On ne retrouve ni cette
introduction ni le récit encadré dans la pièce ou dans l’opéra. Dumas l’a utilisé sans doute
parce qu’il voulait créer une distance entre lui-même, l’auteur du roman qui est représenté
par le narrateur, et Armand, le personnage principal du roman; il voulait éviter que les
lecteurs lisaient le roman en supposant que l’histoire était basée sur la liaison de Dumas luimême, même si cela était effectivement le cas, un fait dont presque tout le monde était au
courant.
I. La rencontre: l’amour
Un soir, Armand est allé à l’Opéra Comique en compagnie de son ami Ernest, qui le présente
à Marguerite. Elle se moque de lui parce qu’il la prend trop aux sérieux. Quand, quelques
22
jours plus tard, Armand apprend qu’elle est très malade – elle est poitrinaire -, il va avoir de
ses nouvelles chaque jour. Deux ans plus tard, il se trouve au théâtre des Variétés en
compagnie de son ami Gaston. Il propose à Prudence Duvernoy, qui est la voisine de
Marguerite et une connaissance de Gaston, de l’accompagner chez elle. Quand, une fois
rentrée chez elle, Marguerite demande à Prudence de venir lui tenir compagnie, Prudence
emmène avec elle Armand et Gaston. Ici commence le premier acte de la pièce de théâtre et
aussi de l’opéra. Armand est présenté pour la deuxième fois; Marguerite ne se souvient plus
de lui. Le comte de N…, qui lui avait tenu compagnie jusque là et l’ennuyait horriblement,
part. Quand Marguerite est pris d’un fort accès de toux et fuit dans son cabinet de toilette,
Armand est le seul à la rejoindre et à exprimer son inquiétude pour sa santé et l’amour qu’il
lui porte. Ils parlent longtemps et elle l’avertit du fait qu’elle ne peut jamais être à lui seul;
son mode de vie ne lui permet pas de n’avoir qu’un seul amant. Elle lui donne un camélia, sa
fleur favorite et l’origine de son prénom, et dit qu’il peut la remporter quand elle s’est fanée.
Marguerite lui permet donc de venir la voir le lendemain soir, en étant son amant de cœur.
Dans la pièce et dans l’opéra, il s’agit dans cette scène d’une compagnie plus grande
que dans le roman, dans la pièce il y a six personnes chez Marguerite, dans l’opéra il s’agit
même d’une fête avec des dizaines d’invités. Dans la pièce, au début Varville (le comte de
G… dans le roman) attend que Marguerite soit rentrée de l’Opéra et parle avec Nanine, la
servante, de Marguerite. C’est pour nous donner une idée de ce personnage, cette
conversation a donc plus au moins la même fonction que l’introduction du roman. Nichette
passe, une grisette que Marguerite connaît du temps dans laquelle elle aussi était encore
grisette. Puisque Marguerite n’est pas encore de retour et que son fiancé Gustave l’attend,
elle part. Il s’agit des personnages que Dumas a ajoutés pour faire un contraste entre leur
liaison ‘honnête’ et la liaison entre Marguerite et Armand. Marguerite revient, après quelque
temps Varville sent qu’il n’est pas le bienvenu et il part, pendant qu’Olympe et M. SaintGaudens entrent. Après que Marguerite l’ait appelée, Prudence, la voisine de Marguerite,
arrive en compagnie de Gaston et Armand Duval, qui l’avaient accompagnée chez-elle.
Armand est introduit chez Marguerite en étant ‘l’homme de Paris qui est le plus amoureux de
vous’. On lui raconte qu’il venait avoir de ses nouvelles chaque soir quand elle était malade.
Un peu plus tard, la compagnie propose que Gaston chante une chanson à boire. C’est en
dansant que Marguerite a un malaise et envoie la compagnie dans une autre pièce pour être
seule. La scène dans le cabinet de toilette est globalement la même.
Dans l’opéra, le premier acte se passe à une grande fête chez Violetta Valéry, la
courtisane. Son protecteur, le baron Douphol, essaye d’attirer l’attention de Violetta, qui n’y
réagit pas. Alfredo est présenté à Violetta par leur ami mutuel Gaston, qui l’introduit comme
23
dans la pièce, en étant son plus grand admirateur. Elle lui demande de porter un toast; il
célèbre le vin et l’amour. Violetta lui répond avec un hymne à la joie. La scène dans le
cabinet de toilette est comparable aux scènes dans le roman et dans la pièce. Quand Violetta
est prise d’un malaise et envoie tout le monde dans une autre chambre pour danser, Alfredo
est le seul qui reste auprès d’elle et exprime son inquiétude pour sa santé et son amour pour
elle. Violetta lui donne une fleur, et lui donne la permission de la lui rendre le lendemain.
C’est peut être parce que cette scène est, selon Dumas fils, très fidèle à la rencontre réelle
entre Dumas et Marie Duplessis, qu’elle est tellement forte qu’on n’avait pas besoin de la
changer beaucoup pour le théâtre ou l’opéra. Quand tout le monde est parti, Violetta reste
seule à méditer son mode de vie et la possibilité d’un amour sincère; dans la pièce, elle fait
cela au début du deuxième acte, en parlant à Nanine.
II. La liaison; l’interrogation
Pendant la journée, Armand va aux Champs-Élysées, où il sait qu’elle a l’habitude de se
promener tous les jours. Quand, le soir, il se rend chez Marguerite, elle le reçoit assez mal;
mais après que Prudence soit passée pour lui donner une bonne nouvelle – elle a obtenu six
mille francs du vieux duc, le protecteur de Marguerite – elle change d’humeur. A cinq heures
du matin, elle lui dit de s’en aller, parce que le duc, qui est très jaloux, vient tous les matins
lui rendre visite et elle ne veut pas qu’il voie Armand. Pendant la journée, elle lui écrit de se
rendre ce soir au Vaudeville, mais puisque elle est accompagnée du comte de G… elle n’a
pas beaucoup de temps pour lui parler. Le soir, après que le comte soit parti de chez elle,
Armand va la voir; elle lui raconte qu’elle croit avoir trouvé un moyen pour passer l’été avec
lui à la campagne. Dans la pièce, c’est juste après la scène dans laquelle elle a avoué son
amour pour Armand à Prudence, qu’Armand vient lui rendre visite et qu’elle lui raconte son
projet. Quand Marguerite le renvoie, Armand croit qu’elle attend quelqu’un; il découvre que
c’est le comte de Giray. Il se sent trompé et lui écrit une lettre d’adieu. Mais ce soir même il
regrette déjà cette lettre et il vient pour la prier de le pardonner, ce que, finalement, elle
fait. Bien que ce soit un peu raccourci, cela ressemble assez fidèlement au roman, dans
lequel, le lendemain, il reçoit une lettre dans laquelle elle dit qu’elle est malade et ne peut
pas le recevoir ce soir. Armand découvre qu’elle lui a écrit cela parce qu’elle avait reçu ce
soir le comte de G… Armand se sent trahi, bien qu’elle l’ait prévenu à l’avance. Il lui écrit une
lettre d’adieu accusatrice. Elle ne répond pas, et le lendemain il a tant de regret de sa
première lettre qu’il lui écrit une autre lettre, lui demandant pardon. Le soir, elle vient lui
rendre visite. Elle le pardonne et avoue qu’elle est vraiment amoureuse de lui. La liaison
recommence, et bien que Marguerite ne lui demande pas d’argent, sortir avec elle lui coûte
24
cher. Il commence à jouer pour avoir des ressources supplémentaires. Une fois, quand
Armand, Marguerite et Prudence passent la journée à la campagne, Marguerite évoque de
nouveau l’idée de passer l’été ensemble à la campagne, avec l’aide financière du vieux duc.
Dans l’opéra, on ne retrouve pas ce passage; le deuxième acte commence quand ils vivent
heureusement à la campagne.
III. A la campagne; le sacrifice
Tout est arrangé et ils vivent heureusement à la campagne. Quand le duc découvre qu’elle y
vit ouvertement avec un amant, il la laisse choisir: ou bien quitter Armand ou renoncer à son
aide. Elle choisit la dernière option parce qu’elle ne veut plus vivre qu’avec Armand. Après
quelque temps, Armand découvre que Marguerite, à l’aide de Prudence, est en train de
vendre sa voiture, ses chevaux, ses cachemires et ses bijoux pour payer ses dettes à Paris;
puisque le duc ne la protège plus, les créanciers ne veulent plus lui donner du crédit.
Armand part pour Paris pour trouver un moyen pour payer les dettes pour qu’elle n’ait pas
besoin de vendre encore plus de ses possessions. On retrouve cette scène aussi dans la
pièce et dans le deuxième acte de l’opéra, à part de l’intervention du duc.
Le père d’Armand est mis au courant du changement de vie de son fils et, étant
arrivé à Paris, demande à son fils de l’y rejoindre. Pendant cette rencontre, il essaye de
convaincre Armand de la nécessité de quitter Marguerite; il n’y parvient pas. Armand
retourne auprès de Marguerite, mais elle lui dit de ne surtout pas se brouiller avec son père,
et d’aller demander son pardon. Pendant qu’Armand est à Paris pour chercher son père, qu’il
ne trouve pas, celui-là vient rendre visite à Marguerite. Il lui dit de mettre fin à la liaison,
parce que cette liaison noircit leur nom de famille et qu’il est probable que le fiancé de la
sœur d’Armand ne veut plus la marier si leur nom de famille est associé à celui d’une
courtisane. Finalement, elle y consent. Quand Armand rentre, Marguerite a l’air distrait.
Comme son père lui a donné rendez-vous le lendemain, Armand va encore une fois à Paris.
Quand il revient, Marguerite est partie et ne revient pas. Il va la chercher dans son ancien
appartement, où on lui remet la lettre d’adieu de Marguerite. Dans la pièce et dans l’opéra, il
ne s’agit pas d’une conversation entre le père et le fils; quand Armand est à Paris pour régler
les dettes de Marguerite, le père Duval vient rendre visite à Marguerite. Dans la pièce, il
arrive juste après que Nichette et Gustave, qui lui avaient rendu visite, et avec lesquels elle a
glorifié la vie simple, soient partis. Dans la pièce comme dans l’opéra, c’est aussi l’argent qui
compte pour le père Duval: il l’accuse de ruiner Armand. Après que M. Duval soit parti,
Marguerite donne à Prudence une lettre pour remettre au baron de Varville, dans laquelle
elle l’invite à l’accompagner à une fête chez Olympe dans quelques jours; puis, elle écrit une
25
lettre d’adieu à Armand. Armand la surprend en écrivant et dit que son père va venir le soir
même; elle dit qu’il vaut mieux qu’elle ne soit pas là quand il arrive, et elle part. Un peu plus
tard, il reçoit la lettre d’adieu. Dans l’opéra, il y a plus au moins la même scène. Quand
Alfredo revient, après la visite du père Germont, il surprend Violetta en train d’écrire une
lettre au baron Douphol. Elle lui dit combien elle l’aime et part. Un peu plus tard, la servante
vient pour donner à Alfredo la lettre d’adieu de Violetta.
IV. L’affront
Armand va chez son père, qui le persuade de revenir auprès de sa famille. Mais après un
mois, il retourne à Paris pour chercher Marguerite, qu’il ne peut pas oublier. Il la voit aux
Champs-Elysées, en compagnie d’Olympe, une autre fille entretenue. Armand se décide à
devenir l’amant d’Olympe pour rendre jalouse Marguerite. Après quelque temps, Marguerite
ne se montre plus en public par crainte de les rencontrer. Prudence obtient d’Armand qu’il
consentit à recevoir Marguerite chez lui. Marguerite lui demande de ne plus la faire souffrir,
parce qu’elle n’a pas mérité un tel traitement. Ils passent la nuit ensemble et Marguerite lui
promet d’être là pour lui quand il veut la voir. Cependant, quand le lendemain il se rend chez
elle, sa domestique lui dit qu’elle ne peut pas le recevoir, parce que le comte de N… est là.
Armand est offensé et écrit une note à Marguerite, disant qu’il avait oublié de la payer pour
ses services, et il inclut dans l’enveloppe cinq cent francs. Il se résout de partir en voyage à
l’étranger.
Cette partie est un peu différente dans la pièce et dans l’opéra. Dans la pièce comme
dans l’opéra, l’affront se passe en plein public; dans le roman, l’affront est plus indirect. Dans
la pièce, Marguerite et Varville se rendent à la fête d’Olympe, où on est en train de jouer.
Prudence raconte à Gaston que Marguerite et Armand sont séparés quand Armand, qui est
déjà de retour de Tours, où sa famille vit, entre. Marguerite et le baron de Varville entrent.
Armand et Marguerite se sentent tous les deux très mal à l’aise. Armand et Varville
commencent à jouer; Armand gagne. Marguerite prend Armand à part et lui dit de partir
parce qu’elle craint que Varville va le provoquer en duel. Comme elle ne peut pas dire qu’elle
l’aime encore, elle dit qu’elle aime Varville; Armand jette l’argent qu’il a gagné à ses pieds et
dit qu’il la paye pour les sacrifices qu’elle avait fait pour lui. Varville jette ses gants au visage
d’Armand;de cette façon, il le provoque en duel.
Dans l’opéra, cette partie se passe à la fin du deuxième acte. Violetta se rend à une
fête chez son amie Flora en compagnie du baron Douphol; Alfredo, qui pense qu’elle l’a
trompé, s’y rend aussi. Un groupe des invités est habillé comme tsiganes et toréadors et
donne un spectacle. Alfredo défie le baron à jouer aux cartes. Alfredo jette l’argent qu’il a
26
gagné aux pieds de Violetta en disant que c’est son payement pour ses services. Le père
d’Alfredo lui rappelle à l’ordre, mais le baron lui provoque en duel. Violetta essaye a prévenir
le duel, mais ne le peut pas, parce qu’en faisant cela elle devait admettre qu’elle aime encore
Alfredo.
V. La Mort
Dans le roman, Armand n’est pas encore de retour quand il reçoit le message que Marguerite
est morte. C’est en rentrant à Paris qu’il obtient de Julie Duprat les lettres de Marguerite.
Dans ces lettres, elle parle de sa rencontre avec le père d’Armand et de ses derniers jours.
Elle lui raconte aussi que le père d’Armand lui a envoyé une lettre consolatrice et de l’argent
pendant sa maladie. Il fait lire toutes ces lettres au narrateur, qui l’accompagne chez son
père et sa sœur.
Dans le roman, les derniers jours de Marguerite sont décrits dans les lettres et
Armand n’est pas là quand elle meurt; dans la pièce, Armand arrive juste à temps pour voir
Marguerite avant qu’elle soit morte. Marguerite est très malade. Gaston, qui l’a gardé
pendant la nuit, sort; le docteur entre. Elle reçoit une lettre de Nichette: elle va se marier ce
jour même. Prudence vient encore une fois lui demander de l’argent. Marguerite relit une
lettre que le père d’Armand lui a envoyée, dans laquelle il dit qu’Armand était parti à
l’étranger après le duel avec Varville, mais que maintenant il lui avait tout raconté et
qu’Armand viendra lui demander pardon. Enfin, Armand arrive et lui dit qu’il ne la quittera
plus. Marguerite se ranime, elle veut même sortir pour aller au mariage, mais elle se rend
compte qu’il est trop tard. Elle donne un médaillon avec son portrait à Armand en lui
expliquant qu’il peut montrer cela à sa future épouse en disant que cette femme priait pour
eux chaque jour du ciel. Nichette, Gustave et Gaston entrent. Finalement, en disant qu’elle
ne souffre plus, elle meurt.
Dans le troisième acte de l’opéra, Violetta se trouve sur son lit de mort. Le docteur
annonce à Annina qu’elle n’a plus que quelques heures à vivre. Le père d’Alfredo a envoyé
une lettre à Violetta, dans laquelle il explique qu’après le duel, Alfredo a dû quitter le pays
pour quelque temps, mais qu’il sera de retour pour lui rendre une dernière visite, son père
lui ayant raconté la vraie raison du départ de Violetta. Finalement, Alfredo et son père
arrivent; Violetta se ranime mais il est trop tard, elle meurt, après avoir demandé à Alfredo
de ne jamais l’oublier.
27
Les différences principales entre les trois histoires
La plupart des différences entre les trois histoires s’expliquent facilement quand on se rend
compte qu’il s’agit de différentes sortes de médias. Dans les versions théâtrales, l’histoire est
raccourcie, il y a moins de personnages et on n’a utilisé que les scènes du roman qui sont les
plus importantes pour le développement de la liaison entre Marguerite et Armand. Dans le
roman, Dumas raconte plus de détails et d’anecdotes. La différence la plus importante se
trouve à la fin; dans le roman, Marguerite meurt sans qu’Armand est là, abandonnée par
presque tous ses amis et amants, tandis que dans la pièce de théâtre et dans l’opéra,
Armand est de retour juste à temps pour la revoir avant qu’elle meure. Cette différence n’a
pas trop d’importance pour la manière dont Marguerite est représentée dans les œuvres, il
s’agit premièrement d’une nécessité théâtrale. Il y a quand même quelques différences qui
sont plus importantes pour la représentation de Marguerite et les autres courtisanes dans
l’histoire, par exemple les personnages supplémentaires Nichette et Gustave, la manière dont
Marguerite est traitée par Armand après qu’elle l’a quitté, mais aussi le fait que dans le
roman, le lecteur est informé davantage sur le passé de Marguerite que dans la pièce et
dans l’opéra, ce qui ne semble cependant pas trop influencer la représentation d’elle et
l’impression générale qu’on obtient d’elle, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.
Une comparaison des trois versions souligne également les scènes clés de l’histoire qui se
retrouvent dans la pièce de théâtre et l’opéra: leur rencontre, la confrontation entre
Marguerite et le père Duval et la scène du trépas.
Ce résumé était nécessaire pour comprendre le caractère de Marguerite et ses
actions et la manière dont elle est présentée, et donc pour le chapitres suivant. Maintenant,
on va voir s’il y a des différences remarquables entre la représentation de la courtisane dans
le roman, la pièce et l’opéra et d’où viennent ces différences; j’insisterai aussi sur la question
de savoir si les différences entre les trois histoires ont de l’influence sur la représentation des
personnages.
28
La représentation de la courtisane dans les différents médias
Dans ce chapitre, j’étudierai les aspects remarquables de la représentation de la courtisane
dans l’histoire de Dumas et l’opéra de Verdi. Je traiterai d’abord la représentation dans les
trois œuvres, puis nous déterminerons en quoi consistent les différences essentielles entre
les trois. Finalement, je me demanderai en quoi la représentation de la courtisane dans cette
histoire diffère de celles qu’on trouve dans d’autres œuvres traitant des courtisanes et dans
quelle mesure cette différence peut être une des raisons pour son succès.
Le roman
Dans son introduction à La Dame aux Camélias dans son théâtre complet, Dumas dit de
Marie Duplessis, sa source d’inspiration:
‘Elle fut une des dernières et des seules courtisanes qui eurent du cœur. C’est
sans doute pour ce motif qu’elle est morte si jeune. Elle ne manquait ni d’esprit ni de
désintéressement. Elle a fini pauvre dans un appartement somptueux, saisi par ses
créanciers. Elle possédait une distinction native, s’habillait avec goût, marchait avec
grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une femme du
monde.’ 41
Dans cette citation on reconnaît le commentaire de Jules Janin dans sa préface.42 L’image
que Dumas nous donne de Marie, qui est sans doute un peu idéalisée, ressemble
exactement à la représentation de Marguerite dans son roman et sa pièce de théâtre. Cette
citation et le fait que nous savons que l’histoire a été inspirée par la liaison entre Dumas et
Marie Duplessis, fait suggérer que c’est Dumas qui nous parle de Marie dans les descriptions
dans le roman, bien qu’il a utilisé le récit encadré pour se distancier et pour donner
l’impression qu’il ne s’agit pas de lui-même. Dans les trois médias, le personnage principal,
Marguerite ou Violetta, est présenté comme une sainte: elle a ses défauts, mais elle est
intelligente, éduquée, et elle a un bon cœur. Elle ne fait pas de promesses qu’elle ne peut
pas tenir, elle est très honnête envers Armand, et si elle ment, c’est pour le protéger contre
sa propre jalousie. Elle est aussi une victime et une martyre: elle est prête à laisser son
propre bonheur pour assurer celui d’un autre. En fait, son seul vrai défaut est qu’elle est une
41
42
Dumas (1867), p. 10.
Voir p. 5.
29
courtisane. Il y a aussi quelques autres courtisanes qui jouent un rôle dans l’histoire et qui
ne sont pas si angéliques que Marguerite. Comme Dumas l’écrit lui-même dans son roman:
‘L’histoire de Marguerite est une exception, je le répète; mais si c’eût été une
généralité, ce n’eût pas été la peine de l’écrire.’ 43
En fait, ce que Dumas fils fait dans ce roman, est de présenter une courtisane qui n’est pas
tout à fait une courtisane ou qui, au moins, n’a pas les caractéristiques d’une courtisane
typique. Pour souligner que Marguerite est une exception, Dumas introduit aussi quelques
courtisanes qui ressemblent plus à l’image typique de la courtisane qu’on retrouve dans la
littérature du XIXième siècle. Il y a par exemple Olympe, qui est caractérisée comme suit par
Armand:
‘Celle-là était bien le type de la courtisane sans honte, sans cœur et sans
esprit, pour moi du moins, car peut-être un homme avait-il fait avec elle le rêve que
j’avais fait avec Marguerite.’
RTL, p. 229.
C’est qu’Armand se rend bien compte que la Marguerite qu’il connaissait, n’était pas tout à
fait la même que la courtisane que le monde connaissait; il l’a vue d’un autre point de vue et
il a eu de la chance en faisant la connaissance de la Marguerite avec cœur; la chance que,
par exemple, le comte de N. n’a pas eue. On peut donc également interpréter cette citation
en sens inverse: si Olympe était peut-être une femme avec esprit du point de vu de
quelqu’un d’autre, Marguerite était peut-être une femme sans cœur pour un autre homme
qu’Armand. Un autre exemple d’une courtisane sans cœur est Prudence, une ancienne
courtisane qui est la voisine de Marguerite, et qui ne lui tient compagnie que pour lui
extorquer de l’argent. Quand Marguerite est malade et n’a plus un sou, elle la laisse sans
pardon et elle ose même dire que c’est Marguerite qui était la cause de sa propre faillite:
‘Prudence venait de faire faillite. Elle nous dit que Marguerite en était la cause;
que pendant sa maladie, elle lui avait prêté beaucoup d’argent pour lequel elle avait
fait des billets qu’elle n’avait pu payer, Marguerite étant morte sans le lui rendre et ne
lui ayant pas donné de reçus avec lesquels elle pût se présenter comme créancière.’
43
Dumas (1848/1852/1981), p. 250. A partir d’ici, je référerai à cette œuvre comme RTL (roman,
théâtre, livret).
30
RTL, p. 249.
Cette description montre clairement qu’il s’agit d’un personnage qui ne mérite pas notre
confiance; mais pour quelques scènes critiques dans l’histoire elle est indispensable. C’est
elle qui rend possible la rencontre entre Armand et Marguerite et c’est aussi elle qui vend les
propriétés de Marguerite pour elle, ce qui était nécessaire pour Marguerite pour montrer à
Armand qu’elle était prête à sacrifier sa vie de luxe pour lui. Marguerite se réalise que
Prudence n’est pas une vraie amie et elle sait très bien ce qui se passe entre elles, et elle
comprend aussi sa propre situation, ce qui nous montre son intelligence:
‘Nous avons des amies, mais ce sont des amies comme Prudence, des femmes
jadis entretenues qui ont encore des goûts de dépense que leur âge ne leur permet
plus. Alors elles deviennent nos amies ou plutôt nos commensales. Leur amitié va
jusqu’à la servitude, jamais jusqu’au désintéressement. Jamais elles ne vous
donneront qu’un conseil lucratif. Peu leur importe que nous ayons dix amants de
plus, pourvu qu’elles y gagnent des robes ou un bracelet, et qu’elles puissent de
temps en temps se promener dans notre voiture et venir au spectacle dans notre
loge. (…) Elles ne nous rendent jamais une service, si petit qu’il soit, sans se le faire
payer le double de ce qu’il vaut.’
RTL, p. 162.
Ici, c’est Marguerite qui parle de sa propre perspective; mais quand même il est possible que
Dumas ait utilisé cette perspective pour nous donner sa propre opinion sur la situation dans
laquelle les courtisanes se trouvent; je reviendrai sur cette question dans le chapitre suivant.
Le message est clair: une courtisane n’est jamais aimée juste pour elle-même, c’est pour son
entourage, son luxe et le prestige qu’on obtient en étant son amant qu’on veut faire partie
de son entourage.
Si Marguerite est présentée comme la victime des gens qui veulent profiter d’elle,
Marguerite elle-même n’est pas non plus toute sainte. La manière dont elle traite le comte
est assez grossière:
‘-Adieu, mon cher comte, vous vous en allez déjà ?
-Oui, je crains de vous ennuyer.
-Vous ne m’ennuyez pas plus aujourd’hui que les autres jours.’
RTL, p. 108.
31
Elle sait que le comte l’adore, mais elle le méprise, et elle se trouve dans une telle situation
qu’elle peut se permettre de ne pas le prendre comme amant, ce qui est en fait un luxe pour
une courtisane; le fait qu’elle est difficile à contenter la rend encore plus désirable. Dans
cette citation, on voit encore une fois que Marguerite peut être une femme sans cœur pour
l’un et l’amante parfaite pour l’autre. Dumas nous montre cette différence entre les deux
côtés du caractère de Marguerite aussi du point de vue d’Armand dans le roman: il y a une
différence entre la manière dont Marguerite est représentée dans la première partie du livre,
avant qu’Armand devienne son amant, et la deuxième partie. Dans la première partie, on
trouve surtout des remarques sur des courtisanes en général, qui donnent une image plutôt
négative d’elles. On voit aussi que Marguerite peut être grossière et égoïste. Dans la
deuxième partie, il devient clair que Marguerite n’est pas une courtisane comme les autres et
qu’elle a aussi les qualités nommées ci-dessus. A la première rencontre avec Armand, elle ne
le prend pas du tout au sérieux. Il dit à propos de cela:
‘Pour peu que l’on ait vécu avec les filles du genre de Marguerite, on sait le
plaisir qu’elles prennent à faire de l’esprit à faux et à taquiner les gens qu’elles voient
pour la première fois. C’est sans doute une revanche des humiliations qu’elles sont
souvent forcées de subir de la part de ceux qu’elles voient tous les jours.’
RTL, p. 95.
Son ami Ernest lui dit ensuite:
‘(…) ne faites pas à ces filles-là l’honneur de les prendre au sérieux. Elles ne
savent pas ce que c’est que l’élégance et la politesse; c’est comme les chiens
auxquels on met des parfums, ils trouvent que cela sent mauvais et vont se rouler
dans le ruisseau.’
RTL, p. 96.
C’est aussi Armand de sa part qui ne prend pas au sérieux Marguerite, en la prenant pour
‘une fille du genre…’ ; il ne voit pas Marguerite comme personne, mais seulement comme
courtisane et plus spécifiquement comme l’image qu’il a de la courtisane typique, qu’il ne
faut pas prendre au sérieux. Quand ils sont devenus amants, on voit une tout autre
Marguerite, qui dit elle-même d’avoir changé grâce à l’amour. Armand dit de cet amour de
Marguerite:
32
‘Mais être réellement aimé d’une courtisane, c’est une victoire bien autrement
difficile. Chez elles, la débauche a cuirassé les sentiments. Les mots qu’on leur dit,
elles les savent depuis longtemps, les moyens que l’on emploie, elles les connaissent,
l’amour même qu’elles inspirent, elles l’ont vendu. Elles aiment par métier et non par
entraînement. Elles sont mieux gardées par leurs calculs qu’une vierge par sa mère et
son couvent; aussi ont-elles inventé le mot caprice pour ces amours sans trafic
qu’elles se donnent de temps en temps comme repos, comme excuse, ou comme
consolation; semblables à ces usuriers qui rançonnent mille individus, et qui croient
tout racheter en prêtant un jour vingt francs à quelque pauvre diable qui meurt de
faim, sans exiger d’intérêt et sans demander de reçu.
Puis, quand Dieu permet l’amour à une courtisane, cet amour, qui semble
d’abord un pardon, devient presque toujours pour elle un châtiment. Il n’y a pas
d’absolution sans pénitence. Quand une créature, qui a tout son passé à se
reprocher, se sent tout à coup prise d’un amour profond, sincère, irrésistible, dont
elle ne se fût jamais crue capable ; quand elle a avoué cet amour, comme l’homme
aimé ainsi la domine! Comme il se sent fort avec ce droit cruel de lui dire: «Vous ne
faites pas plus pour de l’amour que vous n’avez fait pour de l’argent.» Alors elles ne
savent quelles preuves donner.’
RTL, p. 135.
Elle aime Armand comme elle n’a jamais aimé un homme de sa vie, mais elle sait aussi
qu’elle ne peut pas quitter sa vie de courtisane sans susciter des complications et que c’est
cela qui rendra leur amour impossible quoi qu’il en soit. L’amour n’est simplement pas permis
aux courtisanes, c’est le seul luxe qui leur manque. Mais même en sachant tout cela, elle est
prête à vivre cette romance. Quand ils vivent à la campagne ensemble, elle commence à
apprécier la vie simple:
‘Cette courtisane, qui avait fait dépenser en bouquets plus d’argent qu’il n’en
faudrait pour faire vivre dans la joie une famille entière, s’asseyait quelquefois sur la
pelouse, pendant une heure, pour examiner la simple fleur dont elle portait le nom.’
RTL, p. 178.
En fait, pendant que, en appréciant la vie simple, son caractère gagne en amabilité pour le
lecteur, elle perd au même temps son côté raisonnable dont elle avait tellement besoin en
33
étant courtisane. Elle se laisse tout à coup guider par ses sentiments, ce qui va la pousser à
sa perte. Quand le père d’Armand la force à le quitter, elle trouve de la joie dans le fait
qu’elle est un martyre, elle est prête à souffrir pour Armand. Elle raconte dans ses lettres à
Armand:
‘Alors commença cette série de jours dont chacun m’apporta une nouvelle
insulte de vous, insulte que je recevais presque avec joie, car outre qu’elle était la
preuve que vous m’aimiez toujours, il me semblait que, plus vous me persécuteriez,
plus je grandirais à vos yeux le jour où vous sauriez la vérité.
Ne vous étonnez pas de ce martyre joyeux, Armand, l’amour que vous aviez
eu pour moi avait ouvert mon cœur à de nobles enthousiasmes.’
RTL, p. 237.
Elle pense que de cette façon, elle peut se rendre digne de l’amour qu’Armand a pour elle.
On retrouve dans le roman à plusieurs occasions des références à Manon Lescaut,
l’héroïne du roman de Prévost de 1731, sans doute la courtisane la plus connue de la
littérature française. C’est pour cela que Dumas fait dans son roman à plusieurs occasions la
comparaison entre Manon et Marguerite. Il est clair qu’en ce faisant il veut montrer au
lecteur que Marguerite est une meilleure personne que Manon; en témoignent par exemple
les citations suivantes.
‘Ce fut pendant ce temps-là qu’elle lut si souvent Manon Lescaut. Je la surpris
bien des fois annotant ce livre: et elle me disait toujours que lorsqu’une femme aime,
elle ne peut pas faire ce que faisait Manon.’
RTL, p. 178.
Elle trouve donc qu’elle est une vraie femme amoureuse et que Manon ne l’était pas.
‘- (Marguerite) (…) dans un mois d’ici je serais libre, je ne devrais plus rien, et nous
irions passer ensemble l’été à la campagne.
(…)
Je ne pus m’empêcher de rougir à ce mot de bénéfices; je me rappelai Manon
Lescaut mangeant avec Des Grieux l’argent de M. de B…
(…)
34
- (Armand) Cela signifie que je soupçonne fort M. le comte de G… d’être votre associé
dans cette heureuse combinaison dont je n’accepte ni les charges ni les bénéfices.’
RTL, p. 145/146.
Armand se rend compte que Marguerite restera toujours une courtisane, et qu’il y a toujours
un risque qu’elle fera des choses comparables à celles qu’a faites Manon, même s’il veut
croire qu’elle est différente. Il s’agit donc aussi d’une référence à ce qui va se passer entre
eux: pour faire croire à Armand qu’elle ne l’aime plus, elle agit comme Manon l’aurait fait.
Un facteur important de la représentation de Marguerite dans toutes les œuvres est
qu’elle est malade, elle est atteinte de la tuberculose. Le fait que nous savons dès le début
qu’elle va bientôt mourir l’assure de notre sympathie. A part de cela, la tuberculose était une
maladie à la mode au XIXième siècle. Comme Susan Sontag le note, dans son essay ‘Illness as
Metaphor’, dans lequel elle compare les métaphores liées à la tuberculose au XIXième siècle à
lesquelles liés au cancer au XXième siècle:
‘Shelley wrote on July 27, 1820 to Keats, commiserating as one TB sufferer to
another, that he has learned ‘that you continue to wear a consumptive appearance.’
This was no mere turn of phrase. Consumption was understood as a manner of
appearing, and that appearance became a staple of nineteenth-century manners. It
became rude to eat heartily. It was glamorous to look sickly. ‘Chopin was tubercular
at a time when good health was not chic,’ Camille Saint-Saëns wrote in 1913. ‘It was
fashionable to be pale and drained; Princess Belgiojoso strolled along the boulevards
… pale as death in person.’ Saint-Saëns was right to connect an artist, Chopin, with
the most celebrated femme fatale of the period, who did a great deal to popularize
the tubercular look. The TB-influenced idea of the body was a new model for
aristocratic looks – at a moment when aristocracy stops being a matter of power, and
starts being mainly a matter of image. (‘One can never be too rich. One can never be
too thin,’ the Duchess of Windsor once said.) Indeed, the romanticizing of TB is the
first widespread example of that distinctively modern activity, promoting the self as
an image. The tubercular look had to be considered attractive once it came to be
considered a mark of distinction of breeding. ‘I cough continually!’ Marie Bashkirtsev
wrote in the once widely read Journal, which was published, after her death at
twenty-four, in 1887. ‘But for a wonder, far from making me look ugly, this gives me
an air of languor that is very becoming.’ What was once the fashion for aristocratic
femmes fatales and aspiring young artists became, eventually, the province of fashion
35
as such. Twentieth-century women’s fashions (with their cult of thinness) are the last
stronghold of the metaphors associated with the romanticizing of TB in the late
eighteenth and early nineteenth centuries. (…) Gradually, the tubercular look, which
symbolized an appealing vulnerability, a superior sensitivity, became more and more
the ideal look for women (…)’ 44
Sarah Bernhardt, dans sa biographie Ma double vie, raconte à plusieurs reprises avec fierté
comment, quand elle était jeune, elle était maigre et pâle, comment elle avait l’air maladif:
‘Je jouais alors les jeunes filles, les jeunes princesses ou les jeunes garçons,
mon corps menu, ma figure pâle, mon aspect maladif (…)’ 45
Pour le lecteur moderne, cela semblera sans doute assez singulier; cependant, il faut se
rendre compte qu’encore au XXième siècle, la mode pour les femmes était de rester pâle. On
peut le comparer aussi au ‘junky look’ qui est de nos jours tellement populaire chez les rock
stars et d’autres célébrités. Dans le roman, on retrouve toutes ces caractéristiques d’une
poitrinaire, Marguerite est pale, trop maigre, nerveuse et fiévreuse, et elle dit toujours qu’elle
se sent malade, même si, souvent, elle ne l’utilise que comme prétexte pour ne pas recevoir
quelqu’un, ou pour obtenir de la pitié, comme dans la citation suivante, quand Marguerite dit
à Armand:
‘(…) vous comprenez qu’il y a pour un homme de cœur de plus nobles choses
à faire que de se venger d’une femme malade et triste comme je le suis. Tenez,
prenez ma main, j’ai la fièvre, j’ai quitté mon lit pour venir vous demander, non pas
votre amitié, mais votre indifférence.’
RTL, p. 225.
La maladie s’aggrave encore à cause de la vie fiévreuse qu’elle vit; la nonchalance qu’elle a à
propos de sa santé la fait encore plus tragique et attirante. Armand lui-même utilise la
maladie de Marguerite comme prétexte pour venir prendre de ses nouvelles, même s’il n’est
pas encore présenté à elle à cette époque. Dans le roman, on trouve aussi une scène qui
suggère que le chagrin d’amour peut être à l’origine d’une maladie et qu’il est possible de
mourir de chagrin d’amour:
44
45
Sontag (1977), p. 28-30.
Berhardt (1907), p. 326.
36
‘(…) il y avait eu dans le désespoir d’Armand des accents sincères, et passant
d’un extrême à l’autre, je me figurai que le chagrin s’était changé en maladie, et que
si je n’avais pas de ses nouvelles, c’est qu’il était malade et peut-être mort.’
RTL, p. 77.
Pour un héros romantique, ce serait un mort tout à fait ‘comme il faut’. La maladie n’est
donc pas du tout vécue comme quelque chose de repoussant ou de négatif mais plutôt
comme l’inverse.
La pièce de théâtre
La représentation de Marguerite dans la pièce de théâtre est plus ou moins la même que
dans le roman. Marguerite est une femme intelligente et franche, qui ne se fait pas
d’illusions sur sa vie et qui essaye de parler raison à Armand:
‘Prenez la poste et sauvez-vous, si ce que vous me dites est vrai; ou bien
aimez-moi comme un bon ami, mais pas autrement. Venez me voir, nous rirons, nous
causerons; mais ne vous exagérez pas ce que je vaux, car je ne vaux pas grandchose. Vous avez un bon cœur, vous avez besoin d’être aimé; vous êtes trop jeune et
trop sensible pour vivre dans notre monde; aimez une autre femme, ou mariez-vous.
Vous voyez que je suis bonne fille, et que je vous parle franchement.’
RTL, p. 295.
Comme dans le roman, il est clair qu’elle est une femme raisonnable qui ne se fait pas
d’illusions. Quand elle tombe amoureuse d’Armand, son comportement change, elle veut
savoir de Prudence s’il parle d’elle, ce qu’il dit, ce qu’elle sait sur lui; il est clair que ce n’est
plus la courtisane qui parle, mais une femme amoureuse:
‘MARGUERITE
Le cœur me bat, vous ne sentez pas ?
PRUDENCE
Pourquoi le cœur vous bat-il ?
MARGUERITE
Parce qu’il est dix heures et qu’il va venir.
37
PRUDENCE
C’est à ce point? Je me sauve. (…)’
RTL, p. 306.
Une autre différence est l’introduction du couple Nichette et Gustave, que Dumas utilise
comme contraste avec la relation entre Marguerite et Armand: d’un côté il y a le couple
honnête et comme il faut, qui s’aiment et qui vont se marier, même s’ils sont assez pauvres
et ne peuvent se permettre qu’un petit appartement; et de l’autre côté il y a l’amour
impossible entre une courtisane qui ne peut pas se permettre de ne plus avoir des amant
riches, et un garçon qui n’est ‘ni assez riche pour l’aimer comme il le voudrait, ni assez
pauvre pour l’aimer comme elle le voudriait.’ 46 Même si toutes les subtilités du roman ne
sont pas exprimées dans la pièce, puisqu’il n’y a pas de narrateur qui les exprime, il y a dans
le théâtre un facteur supplémentaire qu’il ne faut pas oublier en parlant de la représentation
des personnages: l’influence des acteurs. Dumas dit de l’actrice qui a joué Marguerite à la
première, et du rôle de Marguerite en soi:
‘Madame Doche a incarné le rôle de telle façon, que son nom est à jamais
inséparable du titre de la pièce. Il fallait toute la distinction, toute la grâce, toute la
fantaisie qu’elle a montrées sans effort pour que le type difficile et franc de
Marguerite Gautier fût accepté sans discussion. Rien qu’en voyant paraître l’actrice, le
spectateur s’est senti prêt à tout pardonner à l’héroïne. Je ne crois pas qu’une autre
personne, à quelque théâtre qu’elle appartînt et quelque talent qu’elle eût, aurait pu,
comme elle, réunir toutes les sympathies autour de cette nouvelle création. Gaieté
fine, élégante, nerveuse, abandon familier, câlinerie mélancolique, dévouement,
passion, résignation, douleur, extase, sérénité, pudeur dans la mort, rien ne lui a
manqué, sans compter la jeunesse, l’éclat, la beauté, le brio, qui devaient compléter
le rôle et qui en sont le corps et la plastique indispensables. Il n’y a pas eu un conseil
à lui donner, pas une observation à lui faire; c’est au point qu’en jouant le rôle de
cette façon elle avait l’air de l’avoir écrit. Une pareille artiste n’est plus un interprète,
c’est un collaborateur.’ 47
Cette citation exprime l’opinion de Dumas lui-même en ce qui concerne le rôle de
Marguerite, un personnage idéalisé, et qu’il était très content des accomplissements de
l’actrice qui la jouait à la première; mais en fait, l’actrice qui a vraiment rendu le rôle célèbre
46
47
RTL, p. 150.
Dumas (1867), p. 19.
38
et qui l’a joué plus que toute autre actrice était Sarah Bernhardt, vers la fin du XIXième siècle.
Elle se pouvait sans doute très bien identifier à la courtisane, vivant comme une courtisane
elle-même, et Bernhardt a même eu un amant de cœur, l’acteur Jean Mounet-Sully, qui
croyait lui aussi qu’il pouvait la convertir en femme honnête. Cette relation est décrite de la
manière suivante dans la biographie de Gold et Fizdale:
‘(…) to have an affair with a spoiled mother’s boy from the provinces was
outside Sarah’s experience. His belief in the pure and the good, both in life and in art,
seemed refreshing after the blasé Lignes and Haases she had known.
On the other hand, Bergerac and the prudish advice of his God-fearing mother
had hardly prepared Mounet for the casual promiscuity of women like Sarah. He did
not understand the protocol that went with having an actress from the demimonde
for a mistress. It never occurred to him that Sarah would think of him as her amant
de coeur. (…) His was a simpler world, where mothers were sacred, wives were
submissive, and sweethearts were faithful.
(…) His hope, he was later to reveal, was to raise Sarah from the mire of sin
and lead her, good Calvinist that he was, onto the path of righteousness.
Sarah (…) did not consider herself a fallen woman, but a woman who had
risen in the world. (…) To take on a handsome young actor with the pitiful salary of
six thousand francs a year was a carnal diversion, a luxury she felt she could afford.
Certainly she had no thought of dismissing the menagerie who paid her bills and kept
her in the clothes and jewels she loved.’ 48
Sarah n’avait peut-être pas le ‘bon cœur’ de Marguerite, et ne se serait jamais sacrifiée pour
son amant, mais elle savait certainement très bien ce qu’était une courtisane, comment elle
vivait, et que les questions d’argent jouaient un grand rôle dans sa vie. Il est possible qu’à
cause de la vie qu’elle menait elle-même, il était plutôt facile pour elle de donner une
représentation vraisemblable d’une courtisane.49 Elle connaissait aussi la tuberculose de près,
elle avait longtemps été convaincu du fait qu’elle aussi allait mourir jeune de tuberculose, et
sa sœur Régine était morte jeune de cette maladie.50 La première fois qu’elle jouait
Marguerite, c’était en fait Camille, parce qu’elle la jouait pour la première fois à New York en
48
Gold (1991), p. 100/101.
Je me rends compte du fait que certaines théories théâtrales s’opposent à cet aspect d’identification
avec le rôle et qu’il est selon celles-là important de garder une certaine distance; mais de l’autre côté,
les expériences de Bernhardt elle-même ont très bien pu augmenter sa compréhension du rôle.
50
Gold (1991), p. 115.
49
39
1880, et Camille était le nom que le traducteur John Wilkens avait choisi pour l’héroïne.51
Gold nous donne l’impression suivante:
‘It would be a gross understatement to say that Sarah had success as
Marguerite. She was Marguerite, and for thirty years, no actress, try as she might,
could alter that fact. As Sarcey52 wrote: ‘Only a beautiful, worldly woman, born and
bred in Paris, only a master at transforming prose into poetry could combine
restraint, feverish gaiety, and a tragic yearning for love with the infinite cynicism and
careless insolence that was the product of a courtesan’s life.’’
53
Un critique russe a ainsi commenté la représentation de Bernhardt à Moscou:
‘Yesterday instead of a pompous heroine we saw the living image of a deeply
loving, deeply suffering woman from a notorious milieu – who grappled to herself the
audience’s sympathy and attention with irresistible force.’ 54
Même si Dumas était à cette époque-là devenu très moraliste et trouvait que La Dame aux
Camélias n’était pas représentative du reste de son œuvre, il était quand même flatté par la
popularité de la pièce et du culte pour Marie Duplessis causé par l’interprétation de Sarah
Bernhardt, et il lui envoyait en 1884 la lettre d’adieu originale qu’il avait écrit à Marie
Duplessis.55 Quand même il avait trouvé une manière pour montrer son changement de
morale dans la pièce: en 1884 il ordonnait à l’acteur qui jouait le père d’Armand de garder
son chapeau en présence de Marguerite (Bernhardt), ce qui signifiait qu’il ne la respectait
pas en étant courtisane.56 C’est peut-être qu’en prenant un certain âge que Dumas fils se
sentait plus proche du personnage du père d’Armand que de celui d’Armand lui-même.
Une autre actrice qui a beaucoup joué Marguerite Gautier était l’Italienne Eleonore
Duse, une concurrente de Bernhardt. Bernard Shaw, qui n’était pas un admirateur de
Bernhardt, faisait la comparaison suivante:
51
Zucker (1934). Ce qui est remarquable est le fait que bien que la pièce s’appelle Camille en anglais,
on utilise dans les différentes versions anglaises (aussi dans les films) quand même le plus souvent le
nom Marguerite pour le personnage lui-même.
52
Un critique de théâtre français.
53
Gold (1991), p. 172/173.
54
Gold (1991), p. 198.
55
Saunders (1954), p. 21.
56
Saunders (1954), p. 278.
40
‘In La Dame aux Camélias it is easy for an intense actress to harrow us with
her sorrows and paroxysms of phthisis, leaving us with a liberal pennyworth of
sensation, not fundamentally distinguishable from that offered by a public execution.
(…) As different from this as light from darkness is the method of the actress who
shows us how human sorrow can express itself only in its appeal for the sympathy it
needs, whilst striving by strong endurance to shield others from the infection of its
torment. That is the charm of Duse’s interpretation of the stage poem of Marguerite
Gautier. It is unspeakably touching because it is exquisitely considerate; that is,
exquisitely sympathetic. No physical charm is noble as well as beautiful unless it is
the expression of a moral charm; and it is because Duse’s range includes these moral
high notes (…) that her compass (…) so immeasurably dwarfs the poor little octave
and a half on which Sarah Bernhardt plays such pretty canzonets and stirring
marches.’ 57
Duse jouait donc une Marguerite modeste et réservée, qui était tout l’inverse de
l’interprétation expressive de Bernhardt. Quand même, elle n’a pas pu prendre la place de
Bernhardt, qui était de loin l’interprète préféré pour la pièce. Elle jouait, pour son temps,
assez naturelle, pendant que ses collègues contemporains jouaient encore d’une façon plutôt
raide. Un public moderne n’aurait sans doute pas pu apprécier les interprétations du XIXième
siècle, à cause de cette manière de jouer. La pièce a bien sûr encore été interprétée au
théâtre après, au XXième siècle, mais les adaptations contemporaines de l’histoire, par
exemple les films, ont attribué plus à la popularité de l’histoire.
L’opéra
La différence entre l’opéra et le roman et la pièce de théâtre réside bien sûr dans le
remplacement d’une grande partie du texte par la musique. Au niveau de la forme il y a donc
de grandes différences entre les œuvres; au niveau du contenu par contre, on retrouve le
même message dans les différentes œuvres. L’opéra fait preuve, comme le roman, d’un
contraste entre la première partie et la deuxième partie de l’histoire.
Dans l’acte premier, Violetta est une femme qui aime les fêtes et ne prend pas la vie
au sérieux; dans le deuxième acte, elle est une femme qui aime d’un amour désintéressé.
Dans l’opéra, c’est surtout la musique qui exprime cette différence: dans l’acte premier, la
musique est gaie et on chante des chansons à boire; Marguerite chante un hymne à la joie.
57
Gold (1991), p. 257.
41
Après la fête, la musique devient plus sérieuse et plus émotionnelle. Peter Conrad dit de la
représentation de la courtisane Violetta dans l’opéra, dans un critique dans le New
Statesman:
‘Opera, indulging its love affair with the female voice, has always been
fascinated by that manysided mythical being, the eternal woman. Because operatic
composers are usually male, most of their heroines can be classified as either whores
or Madonnas. But what if sexual ardour and a consoling maternal purity are combined
in a single figure, such as Verdi’s reformed courtesan Violetta in La Traviata? The
psychological enigma is intensified by the role’s contradictory vocal demands. Violetta
the party girl has to sing her way through a showy, flighty, coloratura tirade; but
when she falls in love, she must find a voice that is more truly impassioned, weighted
by a desperate yearning. Sacrifice and sickness require a different sound: thready,
grave, yet capable of febrile elation as she imagines her own resurrection and blesses
the world that has rejected her.’ 58
Il est donc clair que le personnage de Violetta se développe, qu’il y a des changements dans
son caractère, elle est un ‘round character’ tout comme elle l’est dans le roman et dans la
pièce. On peut aussi voir dans le texte le contraste évoqué par le changement de caractère
de Violetta:
Alfredo
RODOLPHE
Tranne sol io.
N’aimez-vous rien?
VIOLETTA
VIOLETTA
Gli è vero!
Personne! Jamais d’amour: j’appartiens au
Sì grande amor dimenticato avea 59
plaisir.
RTL, p. 426.60
(Alfredo: je suis le seul [à vous aimer]
Violetta: C’est vrai!
J’avais oublié votre grand amour)
58
59
Conrad (2004).
www.giuseppeverdi.it.
42
VIOLETTA
VIOLETTA
Ah, no giammai!
Oh! Non… jamais!
Non sapete quale affetto
Je l’adore, et ma vie
Vivo, immenso m’arda in petto?
A la sienne est unie;
Che né amici, né parenti
Voulez vous que j’oublie
Io non conto tra i viventi?
Ma promesse et mon devoir?
E che Alfredo m’ha giurato
Non! De nous séparer, Dieu seul a le
Che in lui tutto io troverò?
pouvoir!
Non sapete che colpita
RTL, p. 439.
D’altro morbo è la mia vita?
Che già presso il fin ne vedo?
Ch’io mi separi da Alfredo?
Ah, il supplizio è si spietato,
Che morir preferirò.
(~ Ne savez-vous pas que je n’ai pas d’amis,
pas de famille, qu’Alfredo m’a promis d’être
tout cela pour moi? Ne savez-vous pas que
je vais mourir bientôt? Je préfère mourir que
de quitter Alfredo)
Si les différences entre le texte de la version italienne et celui de la version française sont
assez grandes, puisque le texte de la traduction doit convenir à la musique, le message est
au fond le même. Au début, Violetta n’aime personne et ne vit que pour le plaisir, après, elle
ne peut plus vivre sans amour jusqu’au point de vouloir vendre tout ce qu’elle a et laisser sa
vie de courtisane pour pouvoir vivre avec Alfredo. Il s’agit du même contraste que dans le
roman et la pièce, mais le changement passe plus subitement.
Il y a quelques éléments dans la représentation de Violetta qu’on ne retrouve pas si
explicitement dans les autres œuvres. Dans le dernier acte, elle est soudainement devenue
très religieuse; elle dit au docteur que cela lui aide à souffrir moins. Elle veut donner aux
pauvres la moitié de ce qu’il lui reste d’argent. Quand Armand revient, elle veut aller à
l’église pour remercier dieu pour son retour. Dans la pièce de théâtre, elle veut aussi aller à
l’église, mais pour d’autres raisons: elle veut assister au mariage de Nichette et Gustave.
Cette religiosité est évoquée sans doute en partie pour rendre le personnage plus
60
Livret de la version française; il ne s’agit donc pas d’une traduction littérale.
43
sympathique au public italien, pour lequel la religion joue un grand rôle émotionnel dans
tous les aspects de leur vie: dans la traduction française on ne retrouve pas si explicitement
cette religiosité, ce qui est peut être dû à la laïcité des Français. Depuis la Révolution
française, il y a une séparation stricte entre l’Eglise et l’Etat, entre la religion et la vie
publique.61 A cause de cette laïcité, la religion est devenue pour les Français quelque chose
de beaucoup plus privée qu’elle l’est pour les Italiens. Il est donc logique que la religion ne
soit pas non plus tellement présente dans les théâtres en France qu’elle l’est dans les
théâtres italiens.
VIOLETTA:
VIOLETTA:
(…)
(…)
Mi confortò iersera un pio ministro.
Mais mon âme est plus calme, je le sens;
Religione è sollievo a’ sofferenti.
Car j’ai reçu des secours bien puissants.
RTL p. 465.
(hier soir, un prêtre est venu pour me
conforter.
La religion est un soulèvement pour les
souffrants.)
VIOLETTA:
VIOLETTA:
(…) a un tempio
Et prions Dieu pour qu’il bénisse
Alfredo, andiamo,
Les nœuds qui doivent nous unir.
Del tuo ritorno grazie rendiamo
RTL, p. 470.
(Allons à une église, Alfredo,
pour rendre grâce pour ton retour)
Il est clair qu’il ne s’agit pas seulement de l’influence d’Alfredo, mais surtout du fait qu’elle
voit la mort en face. Elle se fait des soucis à cause de sa vie de courtisane et elle espère que
son amour sincère pour Alfredo et le sacrifice qu’elle a fait pour lui peuvent compenser ses
péchés.
Dans l’opéra, la musique joue naturellement un rôle important dans la représentation
des personnages. Le fait que Violetta, à la fin du premier acte, reprend le thème musical
avec lequel Alfredo a célébré l’amour, symbolise le fait qu’elle aussi tombe amoureuse et
qu’elle l’accepte comme amant. Qu’on entend encore chanter Alfredo à ce moment-là, bien
61
Baubérot (2000).
44
qu’il soit déjà parti, symbolise sa présence dans les pensées de Violetta. Le monde dans
lequel Violetta vit est représenté par la musique de fête frivole, joyeuse, qu’on retrouve au
début du premier acte et à la fin du deuxième acte. Le fait que, à la fin du deuxième acte,
Violetta ne participe plus musicalement à l’action, symbolise le fait qu’elle a changé, cet acte
nous montre le développement émotionnel et spirituel qu’elle a parcouru: elle n’appartient
plus à ce monde superficiel.62 Dans le dernier acte, on entend dehors de la musique du
carnaval, ce qui fait le contraste avec les souffrances de Violetta encore plus grand. Comme
l’a fait remarquer Conrad, il y a un grand contraste entre la façon de chanter de Violetta
dans les trois actes. Dans le premier acte, elle chante un aria colorature, très virtuose et
avec de nombreux ornements, ce qui représente sa façon de vivre frivole; dans le troisième
acte par contre, elle chante d’une façon très simple et humble, ce qui représente la femme
sincère, prise de conscience, qu’elle est devenue grâce à l’amour. Kimbell résume le contenu
psychologique de l’opéra d’une manière plutôt efficace:
‘If Act I explores an antithesis between a world of superficial social games and
deep psychological necessity, Acts II and III explore an antithesis between fond
dream and harsh disillusion.’ 63
Ce sont ces antithèses qui forment la puissance dramatique de l’opéra et qui sont évoqués
par les changements dans le caractère et dans la représentation de Violetta.
Comme dans la pièce de théâtre, dans l’opéra aussi les chanteurs sont l’élément
décisif de la représentation. Entre les chanteuses les plus applaudies qui ont chanté La
Traviata se trouvent Marietta Piccolomini (1834-1899) qui faisait la création à Paris en 1856,
Christine Nilsson (1843-1921) qui faisait la création de la version française, Adelina Patti
(1849-1919), Nellie Melba (1861-1931), Mirella Freni (1935) et Maria Callas (1923-1977).64
La création de la dernière est sans doute la plus connue de nos jours. Des divas
contemporaines comme Renata Tebaldi, Montserrat Caballe et Kiri Te Kanawa ont également
joule le rôle de Violetta; et, les dernières années, c’était le rôle de premier plan d’Angela
Gheorghiu.
Pour des raisons pratiques je n’ai pas pu analyser une représentation de la pièce de
Dumas; l’opéra, par contre, est encore souvent représenté de nos jours. Si une seule
version, qui est en plus une version contemporaine, ne peut pas être représentative des
62
63
64
Kimbell (1981), p. 659.
Kimbell (1981), p. 662.
Issartel (1981), p. 112-118.
45
représentations du XIXième siècle, il me semble quand même intéressant d’analyser une
représentation pour voir si les éléments que j’ai trouvés dans le texte sont aussi présents
dans la représentation sur scène. Je vais étudier la version du Royal Opera House Covent
Garden de 2004, avec Angela Gheorghiu, Frank Lopardi et Leo Nucci (dans le rôle du père
Germont), dirigée par Sir Georg Solti et réalisé par Richard Eyre.
Un élément intéressant d’une représentation d’un opéra sont les costumes. Dans
cette production, les robes que Violetta porte semblent représenter son état psychologique.
Dans le premier acte, elle porte une robe de bal blanche, un couleur qui ne représente pas
ici l’innocence – il s’agit bien d’une courtisane - mais plutôt la joie de vivre et le plaisir. Dans
le deuxième acte, elle porte une robe jaune ‘simple’ pour représenter la vie simple mais
heureuse à la campagne. Après la rupture avec Armand, elle porte une robe noire plutôt
chaste; elle a l’air d’être en deuil. Dans le troisième acte finalement, elle porte une chemise
de nuit blanche informe et elle a les cheveux défaits: son apparition représente sa misère.
Le contraste entre les différentes représentations de Violetta dans les différents actes
qu’on retrouve dans le livret, n’est pas très présent dans la manière dont le rôle de Violetta
est joué dans cette représentation. Ici, Violetta reste pendant toute l’histoire une personne
dynamique et intelligente, avec l’air un peu soutenu; on ne retrouve pas dans le deuxième
acte la naïveté de Marguerite, causée par son amour, qu’on peut voir dans le roman ou dans
la pièce. Comparée avec son amie Flora, elle n’a même pas trop l’air d’être frivole. Elle
devient de plus en plus désespérée au cours de l’histoire, mais ce changement est plutôt
graduel. Comme je l’ai déjà dit, la représentation de Violetta consiste pour une très grande
partie en l’interprétation de la chanteuse et du réalisateur. À mon avis, cette représentation
est une interprétation moderne, qui veut présenter l’histoire le plus naturellement et
vraisemblablement possible, en tenant compte avec le public, qui est de nos jours habitué
aux films et émissions télévisées qui montrent une manière de jouer plutôt réaliste.
Nous avons vu qu’on retrouve dans l’opéra le même contraste dans le caractère du
personnage de la courtisane qu’on trouve dans les deux autres œuvres, bien qu’il s’agisse
d’une autre forme et que la musique remplace en partie le texte. Le fait qu’il y a plus de
musique que de texte fait aussi que l’opéra est plus compréhensible pour un public
international. Nous avons vu aussi que l’œuvre et le personnage de Violetta laissent une
marge à des interprétations différentes, toute comme les œuvres de Dumas fils, si bien que
cet aspect donne à l’opéra la possibilité de toujours être de son temps, dans chaque nouvelle
production, ce qui n’est certainement pas toujours évident dans le genre de l’opéra.65
65
Il y de nombreux opéras qui ne sont de nos jours appréciés que pour la musique, les
histoires étant jugées trop recherchés ou démodés.
46
En comparant les différentes représentations
Nous pouvons conclure que la représentation de Marguerite et Violetta reste plus au moins la
même dans les trois médias, mais que le contraste entre la représentation qu’on trouve dans
la première partie et celle de la deuxième partie de l’histoire, le changement d’une femme
raisonnable mais frivole en une femme amoureuse qui se laisse guider par ses sentiments et
finalement en une femme désespérée, devient plus grand ou moins subtile dans la pièce de
théâtre et encore plus dans l’opéra.
Les acteurs ont étés un facteur important dans le succès et la popularité durable de
l’histoire, Marguerite ou Violetta étant interprétées par de grandes actrices comme Eugénie
Doche, Sarah Bernhardt, Eleonora Duse et, dans le XXième siècle, Edwige Feuillère et par la
longue liste de cantatrices célèbres nommées ci-dessus. C’est la musique de l’opéra qui fait
de l’histoire une romance que tout le monde peut comprendre et qui a assuré le succès
international; on va voir que de nos jours, le film a pris la place de la pièce de théâtre quand
il s’agit d’assurer l’attention du public pour l’histoire de Dumas fils.
Ce qui est remarquable quand il s’agit de la représentation de la courtisane dans
l’histoire de La Dame aux Camélias, est qu’il nous donne la possibilité de faire connaître, au
même temps qu’Armand, la courtisane. Il nous montre que derrière l’image, faite des
préjugés que le monde a d’une courtisane, il y a une femme en chair et en os; contrairement
à ce que, par exemple, Balzac a fait dans ses romans, dans lesquels il introduit des
courtisanes plutôt typiques. La description de Dumas n’est pas plus réaliste que celle de
Balzac, mais la force de Dumas fils réside dans sa présentation de la courtisane comme
‘round character’, au lieu des ‘flat characters’ de Balzac. Il y a un développement dans le
caractère de Marguerite, ce qui signifie qu’il est plus facile pour le lecteur ou le spectateur de
vivre la situation dans laquelle la courtisane Marguerite se trouve. Celle-ci est représentée
comme une vraie femme, et le public arrive à mieux comprendre la situation des courtisanes
plus que dans, par exemple, l’œuvre de Balzac. C’est ce développement qui rend plus
sympathique et aussi plus populaire le personnage de Marguerite que les autres personnages
de courtisanes dans des œuvres de la même époque. Au même temps, elle est encore
suffisamment idéalisée pour être un caractère romantique et pour devenir légendaire. Ce
dernier aspect distingue la Dame aux Camélias du personnage de Nana de Zola par exemple,
puisque cette dernière, bien qu’étant elle aussi un ‘round character’, n’est pas assez idéalisée
pour pouvoir produire un mythe comme celui de La Dame aux Camélias. Dans le chapitre
suivant, nous allons voir de quelle manière Dumas fils a intégré sa propre opinion dans cette
représentation.
47
Qui parle? La voix de Dumas fils dans son œuvre
La plupart des lecteurs du roman de Dumas fils, à l’époque de sa parution, savaient qu’il
s’agissait d’une histoire basée sur la vie de Marie Duplessis, notamment sur sa liaison avec
Dumas fils. Ils s’attendaient donc au fait que Dumas présentait son propre point de vue dans
le roman. Et sans doute, c’est ce qu’il a fait, même s’il a essayé de s’en distancier au niveau
de la forme en évoquant un narrateur qui raconte l’histoire d’un ami. Même si Dumas fils a
changé de morale pendant sa vie, il est clair que pour la plupart du temps, il nous raconte
dans le roman ses propres opinions quand il laisse Armand ou Marguerite parler de la
situation sociale et morale dans laquelle ils se trouvent, parce qu’il est plutôt conséquent
dans ses remarques et parce qu’il nous parle de ses propres expériences. Les idées qu’on
retrouve dans les remarques de Marguerite et d’Armand se ressemblent; elles donnent
l’impression que c’est au fond la même personne qui parle, à savoir l’auteur lui-même.
L’opinion de Dumas fils sur les courtisanes a été influencée par son amour pour Marie
Duplessis et il est possible qu’il se soit rendu compte plus tard que sa représentation de la
courtisane était trop idéalisée et que, pour cette raison, il n’était plus d’accord avec ses
propres descriptions. J’ai déjà remarqué que Dumas, en prenant de l’âge et en devenant plus
conservateur, s’associait plus avec le père d’Armand qu’avec Armand lui-même. Dans les
remarques de Marguerite et d’Armand par contre on retrouve l’opinion du jeune Dumas fils.
La morale de Dumas fils est en fait un sujet de recherche en soi; en changeant de
morale, il n’hésitait pas à changer la façon d’interpréter ses œuvres. Si, à l’époque de La
Dame au Camélias, il dit qu’il y a un besoin d’amour vainqueur des règlements sociaux et
dédaigneux des bornes de la terre,66 un peu plus tard il note:
‘Quand un peuple, qui se fait appeler le peuple le plus franc, le plus
chevaleresque, le plus spirituel de tous les peuples, permet pourtant que des milliers
de jeunes filles, dont il pourrait faire des compagnes intelligentes, des mères
respectées ne soient bonnes qu’à faire des courtisanes avilies et dangereuses, ce
peuple mérite que la femme qu’il a inventée le dévore tôt ou tard. C’est ce qu’elle
commence à faire et ce qu’elle fera tout à fait!’ 67
Et encore:
66
67
Siellière (1921), p. 75.
Seillière (1921), p. 64/65.
48
‘L’amour digne de ce nom n’a qu’une seule forme. Il épouse la femme quand
elle est libre: il la respecte quand elle ne l’est pas.’ 68
Aux environs de 1880 par contre, il lance un campagne pour le divorce, sans doute parce
qu’il en avait éprouve le nécessité lui-même, sa vie privée n’étant pas si impeccable qu’on
aurait pu le croire en considérant ses idées moralistes. Il donnait même pour argument que
l’adultère allait disparaître de la scène française, aussitôt que la loi de divorce aurait enlevé
toute excuse à l’adultère, puisque la femme mariée pouvait sans problème divorcer son mari
et épouser son amant.69 Pour revenir à la représentation ‘originale’ des personnages de La
Dame aux Camélias, je parlerai ici notamment des idées de Dumas à l’époque où il a écrit
cette œuvre.
Comme je l’ai déjà mentionné dans le chapitre précédent, Dumas montre dans son
roman deux impressions différentes de courtisanes; l’impression raisonnable et pratique qu’il
a des courtisanes en général: qu’il ne faut pas trop les prendre aux sérieux; qu’elles n’aiment
pas vraiment leurs amants, c’est leur argent et le luxe qu’elles aiment; qu’elles ont des
dépenses qu’un seul amant ne pourrait pas financer. De l’autre côté, il insiste sur le fait que
Marguerite est une exception. Les deux points de vue expriment l’opinion de Dumas luimême, il sait ce que c’est qu’une courtisane, mais il veut croire à l’idée que Marguerite, ou
Marie, était un être supérieur à elles. En témoigne une conversation entre le fils et le père
dans le roman:
‘[M. Duval] (…) Est-il honorable pour vous d’aller vivre maritalement avec une
fille que tout le monde a eue ?
-[Armand] Qu’importe, si cette fille m’aime, si elle se régénère par l’amour
qu’elle a pour moi et par l’amour que j’ai pour elle! Qu’importe, enfin, s’il y a
conversion!
-Eh! Croyez-vous donc, monsieur, que la mission d’un homme d’honneur soit
de convertir des courtisanes ? (…) Quelle sera la conclusion de cette cure
merveilleuse, et que penserez-vous de ce que vous dites aujourd’hui, quand vous
aurez quarante ans? (…)
Je sentais bien que mon père avait raison pour toutes les femmes, mais j’étais
convaincu qu’il n’avait pas raison pour Marguerite. (…)’
RTL, p. 194/195.
68
69
Seillière (1921), p. 75.
Seillière (1921), p. 79.
49
On a déjà vu quelques autres exemples que j’ai cités dans le chapitre précédent, montrant
que la plupart des personnages dans l’œuvre ont un côté raisonnable et objectif, mais aussi
un côté passionné et naïf qui veut croire aux illusions. En fait, ce sont ces deux côtés
contradictoires que Dumas, de sa vie, n’a jamais pu concilier tout à fait l’un à l’autre.
On accusait Dumas fils de donner, avec ses deux premières pièces de théâtre, La
Dame aux Camélias et Diane de Lys, un mauvais exemple aux femmes et filles du monde,
comme Dumas le note lui-même:
‘Il est convenu que je ne présente et glorifie sur la scène que des coquines,
des exceptions abominables, que j’ai perdu le droit de parler de vertu et d’honneur,
que c’est moi qui ai corrompu les sociétés modernes, lesquelles, avant mon
apparition, n’étaient que troupeaux de blancs moutons (…) D’aucuns prétendent que
je n’ai pas peu contribué au développement de l’immoralité présente et que c’est ma
faute si les courtisanes, qui n’avaient jadis qu’un côté du trottoir, ont fini par prendre
à Paris le haut du pavé… (…)’ 70
Il est clair qu’il ne prenait pas trop au sérieux cette accusation, mais qu’il se sentait quand
même concerné. Il se rendait compte aussi que le scandale était à la base de son succès et
que c’était cela qui lui assurait l’intérêt du public et qui le distinguait de ses nombreux
collègues. C’était peut-être aussi pour cette raison qu’il ne devenait que plus tard très
moraliste, parce qu’à cette époque, en étant déjà ‘arrivé’, il n’avait plus besoin de se faire
remarquer, son nom étant alors devenu assez célèbre pour assurer le succès de ses œuvres;
sa réception à l’Académie française y était aussi pour quelque chose.
Il s’agit bien de la voix de Dumas fils qui nous parle dans La Dame aux Camélias, bien
qu’en prenant l’âge, il était devenu plus moraliste et se distanciait de l’œuvre. On y retrouve
déjà, bien que ce soit son premier roman, les deux côtés contradictoires du caractère de
Dumas, le côté raisonnable et le côté passionné et idéaliste. Le scandale qui entourait
l’œuvre à la parution a lancé la carrière de Dumas fils; plus tard dans sa carrière, il n’avait
plus besoin de cette controverse pour se faire remarquer et ses idées devenaient plus
conservatrices. Il est néanmoins clair que le public a de loin préféré les idées du jeune
Dumas fils, évoquées dans La Dame aux Camélias.
70
Seillière (1921), p. 14.
50
La réception des oeuvres
La réception des œuvres, par le public et par les critiques, peut nous donner beaucoup
d’informations sur leur popularité et sur l’influence qu’elles ont eues. Je parle ici notamment
de la réception à l’époque de la parution des œuvres. La réception de l’opéra a été très bien
documentée, la réception de la pièce l’est un peu moins et sur le roman nous savons surtout
que c’était un grand succès de librairie.
Le roman
Le roman de Dumas se vendait des milliers à la parution. Dumas donne en fait lui-même une
des raisons pour laquelle son roman était si populaire, quand il décrit la vente des biens de
Marguerite Gautier:
‘Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans l’appartement des
visiteurs et même des visiteuses, qui, quoique vêtues de velours, couvertes de
cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec
étonnement, avec admiration même, le luxe qui s’étalait sous leurs yeux.
Plus tard je compris cette admiration et cet étonnement, car m’étant mis aussi
à examiner, je reconnus aisément que j’étais dans l’appartement d’une femme
entretenue. Or, s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait
là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes, dont les équipages
éclaboussent chaque jour le leur, qui ont, comme elles et à côté d’elles, leur loge à
l’Opéra et aux Italiens, et qui étalent, à Paris, l’insolente opulence de leur beauté, de
leurs bijoux et de leurs scandales.’ 71
Comme je l’ai dit en introduisant le thème de la courtisane, les femmes du monde étaient
souvent jalouses du luxe que pouvaient se permettre les courtisanes; la vente des
possessions d’une courtisane était donc d’un côté une sorte de revanche, de l’autre côté,
c’était une possibilité d’entrer dans sa maison, de voir de près la façon de vivre de la
courtisane. Le roman donnait aussi cette possibilité aux femmes du monde, il donnait un
coup d’œil dans la vie de la courtisane populaire Marie Duplessis, ce qui était une des raisons
du succès de l’œuvre.
71
RTL, p. 52.
51
Un des aspects intéressants de La Dame aux Camélias était donc qu’il y a des
éléments dans l’histoire qui sont très proches de la réalité; puisque l’exemple de Dumas,
Marie Duplessis, était déjà morte, il n’avait pas trop besoin de censurer des choses, le lecteur
savait qu’il s’agissait de Marie Duplessis.
Les critiques à l’époque de la parution n’ont pas trop apprécié les qualités littéraires
de l’œuvre; d’ailleurs, le reste de l’œuvre de Dumas fils n’a pas non plus fait une grande
impression aux critiques,72 bien qu’il ait eu du succès comme auteur dramatique. Ce n’était
que plus tard dans sa carrière que la valeur innovatrice de La Dame aux Camélias à été
signalée. Dans le livre de Claretie on trouve cette déclaration extatique:
‘Je ne sais si, comme le dit M. Dumas, écrire ce livre était ‘un devoir’; mais, à
coup sûr, c’était ‘un droit’. Et le livre est digne de sa réputation: il émeut, il attendrit,
il fait songer. Il inspira à son auteur cette comédie, ce drame, cette pièce, je ne sais
comment l’appeler, cette Dame aux Camélias, qui, je le répète, transforma l’art
contemporain, substitua la simple réalité à la convention romanesque, et poussa le
théâtre dans la voie du vrai.’ 73
C’était donc également le style moderne qui attiré l’attention du public et qui a attribué au
succès.
Quand on se rend compte qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse et du premier roman
de Dumas fils, il est remarquable que La Dame aux Camélias est toujours restée l’œuvre la
plus populaire et la plus appréciée de Dumas fils.
La pièce
Les problèmes que Dumas fils a eus avec la censure n’ont qu’augmenté l’intérêt de son
public pour la pièce qu’il avait tirée du roman, qui allait sûrement faire scandale à cause de
son sujet osé. Comme Seillière le dit dans son étude sur la morale de Dumas fils:
‘(La pièce) débute, comme on le sait, par l’évocation, fort réaliste, de la vie
intime d’une prostituée de haute marque: nouveauté qui devait piquer singulièrement
la curiosité des spectateurs de l’époque, non encore blasés sur ce genre d’épices.’ 74
72
73
74
Lyonnet (1930), p. 61.
Claretie (1882), p. 11/12 (soulignement par l’auteur).
Seillière (1921), p. 9.
52
Bien qu’il y ait eu des romans et des pièces traitant des courtisanes, la vie qu’elles menaient
n’était pas encore représentée d’une façon aussi franche. Seillière pense aussi que c’est la
scène de la mort de Marguerite qui cause en grande partie le succès de la pièce et de
l’histoire:
‘Cette mort fit et fait encore aujourd’hui le succès du drame par son action sur
les nerfs du spectateur. (…) Quoiqu’il en soit, la pièce eut un immense succès de
larmes et de scandale: elle est devenue populaire: elle a fait du tombeau
d’Alphonsine Plessis, l’original de La Dame aux Camélias, un lieu de pèlerinage encore
fréquenté par les Parisiennes galantes dont cette fille est devenue la patronne, selon
le canon de la religion rousseauiste.’ 75
C’était aussi la forme de la pièce elle-même qui était nouvelle, le fait qu’il s’agissait d’une
histoire contemporaine, qu’on y trouvait des personnages venant des différents milieux
sociaux. Claretie applaudissait ces aspects révolutionnaires:
‘C’était quelque-chose (sic), vers 1830, que d’arracher au théâtre sa tunique
grecque ou romaine devenue souquenille et de la remplacer par un pourpoint neuf;
c’était mieux encore, en 1850, de rejeter le pourpoint usé pour mettre, sur le torse en
chair et en os de personnages bien humains, le frac de la vie courante, le morne
habit noir, l’uniforme banal de nos joies et de nos douleurs.’ 76
A l’étranger, les critiques étaient un peu plus réservés; ils n’avaient pas l’habitude d’un sujet
si osé étant représenté sur scène. Un critique du New York Times a commenté une
représentation à Londres en 1880, joué par Helena Modjeska, non de la version originale de
la pièce, mais de l’adaptation Heartsease. Son commentaire nous donne néanmoins une idée
de la situation:
‘On Saturday morning last, at the Court Theatre, [the play] was eminently
successful, when full justice was done to its peculiar merits. For my own part I fail to
see the smallest wholesome interest that a decent audience can take in the so-called
‘love’ of a creature such as the woman whom Dumas surrounds with so much tricky
75
76
Seillière (1921), p. 11/12.
Claretie (1882), p. 5.
53
sympathy. The play is as false in conception, motive, and passion as it is weak and
frivolous in action. (…) No respectable family ought to be invited to a theatre and be
asked to follow the adventures of a mere courtesan unless there is a moral to be
taught. Dumas and his coughing heroine have no lesson for us. (…) ‘French art’, socalled, is killing the English drama; it has already slain the idea of virtue and the
profession of this stage being a possible combination.’ 77
Ce qu’on peut voir dans cet article est que si les critiques étaient négatives, surtout en ce qui
concernait la morale de l’histoire, l’audience par contre appréciait beaucoup la pièce. Comme
on l’a vu aussi quand il s’agissait du roman, la popularité auprès du public et des lecteurs
était finalement plus importante pour l’histoire et la carrière de l’auteur que l’opinion des
critiques.
Une personne qui a certainement attribué à la popularité de la pièce est, comme nous
l’avons déjà constaté, l’actrice Sarah Bernhardt, qui était l’actrice française la plus populaire
de son temps et dont La Dame aux Camélias était le rôle qu’elle a le plus souvent joué, de
milliers de fois et dans de nombreux pays.
L’opéra
La Traviata est aujourd’hui l’opéra le plus joué au monde, mais on n’aurait pas pu prévoir
cette popularité en assistant à la première, le 6 mars 1853 au Teatro la Fenice à Venise.78
Comme Verdi a écrit lui-même, dans une lettre à son ami Muzio:
‘La Traviata, ieri sera, fiasco. La colpa è mia o dei cantanti ?... Il tempo giudicherà.’79
‘La Traviata hier soir était un fiasco. La faute à moi ou aux chanteurs? … Le temps le
dirai.’ 80
Et à son ami, le chef d’orchestre Mariani, il dit:
77
http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin.
78
Budden (1985), p. 60.
79
Cesari (1913), p. 533.
80
Traductions françaises de l’auteur.
54
‘La Traviata has been a great fiasco and, worse, they laughed. Now then,
what do you want? I am not upset. Either I am wrong or they are. For my part, I do
not believe the final word on Traviata was spoken last night. They will see it again,
and we shall see! Meanwhile, caro Mariani, record a fiasco.’ 81
Il y avait quelques raisons qui ont attribué à l’échec initial de La Traviata, qui n’était pas si
grave que Verdi prétendait qu’il l’était, mais qui était néanmoins étonnant pour un opéra qui
finirait par être un des opéras les plus populaires qui soient. Les interprètes n’étaient pas
ceux que Verdi aurait souhaités. La chanteuse qui interprétait le rôle de Violetta, Fanny
Salvini-Donatelli, était trop rondelette et avait donc l’air trop ‘vivante’ pour jouer une femme
qui meurt de consomption. C’était, entre autres, à cause de son physique que le public ne la
prenait pas aux sérieux et riait quand elle jouait la scène du trépas. Salvini-Donatelli, qui
était d’ailleurs une chanteuse douée quand il s’agissait du bel canto romantique, n’avait pas
de problèmes avec l’acte premier, mais elle ne pouvait pas transmettre avec crédibilité la
portée dramatique qu’il devait y avoir dans les actes deux et trois. Apparemment, les autres
chanteurs étaient encore moins aptes pour leurs rôles. Verdi a commenté plus tard qu’on
pouvait très bien jouer Rigoletto avec des chanteurs médiocres, mais que pour La Traviata,
on avait vraiment besoin de chanteurs dont les caractères correspondent aux caractères des
personnages:
‘As he [Verdi] later said himself, a company can do Rigoletto with average
singers, but for La traviata the artists have to match the characters.’ 82
Le premier acte de l’opéra était un grand succès; les autres l’étaient beaucoup moins.
Verdi voulait faire de cet opéra une histoire ‘de notre temps’, donc du XIXième siècle;
mais la censure n’approuvait pas de cet objectif et avait donc décidé que l’histoire se
passerait au commencement du XVIIIième siècle, perruques et crinolines inclus. On a
maintenu ce cadre encore jusqu’au XXième siècle. Bien que cela ne soit pas conforme à l’idée
de Verdi de traiter un sujet contemporain, il n’est pas clair si ce cadre historique a eu
beaucoup d’influence sur la réception de l’opéra. Cependant, cette exigence de la censure a
certainement eu une influence négative sur la confiance déjà affaiblie de Verdi concernant la
réussite de l’opéra. L’attitude négative de Verdi envers les interprètes et la représentation a
certainement eu de l’influence sur la qualité de la représentation. Un facteur qu’il ne faut pas
81
82
Martin (1965), p. 255, Cesari (1913), p. 533.
Phillips-Matz (1993), p. 322.
55
oublier en traitant la réception de l’opéra est le fait que la première avait lieu à Venise. Le
public de Venise n’avait pas l’habitude d’un thème tellement osé et était donc plus réservé
qu’un public parisien ne l’aurait été.
Nonobstant les premières représentations mal réussies, il y avait déjà à la première
des gens qui croyaient que cet opéra pourrait quand même être un succès. Parmi eux le
journaliste Tomaso Locatelli qui écrivait deux articles dans la Gazetta di Venezia, le 7 et 12
mars, dans lesquels il blâmait les interprètes pour l’échec et prévoyait qu’une représentation
prochaine aurait certainement du succès.83 Dr. Cesare Vigna, un ami de Verdi qui était aussi
un critique de musique, écrivait dans le Gazzetta musicale di Milano que la représentation
inadéquate avait empêché le public d’apprécier le vrai ‘esprit’ de l’œuvre de Verdi.84 Pendant
la deuxième production de l’opéra en mai 1854, au Teatro San Benedetto qui était aussi en
Venise, la distribution des rôles était beaucoup plus réussie. Piave, le librettiste, écrivait à
Ricordi85 à propos de Maria Spezia, la chanteuse qui allait jouer Violetta:
‘I have the satisfaction of telling you that Spezia is made for this opera, and
that this opera seems made for Spezia (…) In this opera, she is a woman different
from those in all the other [works], and [in] her very pallor, her exhaustion, and her
entire person, everything in her comes together to make her the true incarnation of
the idea of Dumas, of Verdi, and also of myself.’ 86
Il était donc considéré indispensable pour la vraisemblance du personnage de Violetta que
l’interprète avait déjà un peu cet air maladif du personnage. En plus de la distribution des
rôles qui était plus adéquate, Verdi avait, pour la deuxième production, aussi fait quelques
adaptations dans la partition originale. Ricordi écrivait à Verdi après les premières
représentations:
‘In a word, I have to tell you again that there was never a success in Venice
like that of La Traviata, not even in the time of your Ernani. Gallo87 tells me that on
the third night there was an uproar of indescribable applause, and that the [last] act
was even more effective that on the other two nights, if that is possible (…)’ 88
83
84
85
86
87
88
Issartel (1981), p. 99.
Phillips-Matz (1993), p. 323.
L’éditeur de la musique de Verdi.
Phillips-Matz (1993), p. 328.
Gallo était le réalisateur de cette production.
Phillips-Matz (1993), p. 328.
56
L’opéra est toujours resté au répertoire depuis et il n’a guère connu des échecs comme celui
de la première; la distribution des rôles est néanmoins toujours restée une affaire délicate.
De nos jours, l’opéra est beaucoup plus populaire que le roman et la pièce; peut-être
le raisonnement de John Rosselli, dans son The life of Verdi, est une partie de l’explication:
‘For nineteenth-century Italians, opera did what the Italian novel failed to do:
it both crystallised feelings and relationships in which they could see themselves and
let them attain new heights of imaginative experience, grounded in thrilling
melodramatic action. Verdi’s operas were the Italian equivalent not just of Dickens’s
but of Victor Hugo’s or Dostoevsky’s novels, where likewise action at times violent or
lurid served to deepen insight into human life. Thanks to the power of music and to
Verdi’s individual strengths the operas now work in the theatre through almost the
whole of their course as, in the reader’s perception, the novels do not. Hugo’s swollen
rhetoric, Dostoevsky’s rant, Dickens’s false sentiment over young women alienate us
from parts of their works; Verdi’s early operas are at times blatant or ramshackle, but
(…) a good performance in the theatre lets their joined energy and nobility carry all
before them.’ 89
Rosselli a donc l’idée que l’opéra parle au public d’une manière que les romans ne peuvent
pas le faire, ce qui explique peut-être le fait que l’opéra La Traviata est, de nos jours, la plus
populaire des trois œuvres: le style des romans et des pièces de théâtre du XIXième siècle
est démodé aux yeux du lecteur du XXième siècle, pendant que celui de l’opéra l’est moins.
En comparant les différentes réceptions
Il est clair que les oeuvres ont toutes les trois eu un succès durable, même si la pièce n’est
restée populaire que grâce aux versions filmées et non aux représentations théâtrales. Le
roman par contre, qui était un succès à la parution, est encore de nos jours considéré
comme un classique. Grâce à beaucoup de différents aspects de l’œuvre, entre autres le
style ‘moderne’, qui était considéré comme ‘réaliste’ à l’époque de la parution, le scandale
que le sujet a causé et aussi grâce aux interprètes célèbres, l’histoire dans ses différentes
formes a ému le public du XIXième siècle. La popularité internationale de l’opéra a encore
renforcé l’intérêt du public pour les différentes versions de l’histoire. Nous allons voir dans
les chapitres suivants que le public du XXième siècle n’a pas non plus cessé d’apprécier
l’histoire dans encore bien d’autres formes.
89
Rosselli (2000), p. 3.
57
De Marguerite à Violetta
Le compositeur italien d’opéra Giuseppe Verdi a choisi la pièce La Dame aux Camélias pour
en faire un opéra, qui porterait le nom La Traviata et qui allait devenir un des opéras les plus
populaires au monde. Mais pourquoi Verdi a-t-il choisi cette histoire d’une courtisane, et
comment est-ce qu’il a fait la connaissance de la pièce et du roman? A mon avis, on peut
trouver les réponses dans sa passion pour la littérature, son amour pour une femme et son
enfance, passé dans un milieu pauvre.
Le choix d’un sujet était pour Verdi peut-être l’aspect le plus difficile dans la
réalisation d’un opéra.90 Verdi accordait beaucoup d’importance à trouver des histoires
convenables pour ses opéras, comme il le faisait aussi aux livrets que les librettistes
écrivaient pour lui: il était pour eux difficile de coopérer avec Verdi, parce qu’il était très
spécifique sur le contenu et sur la qualité des vers et il n’hésitait pas à les faire réécrire
plusieurs fois. Comme Francesco Piave, un de ses librettistes, écrivait à un ami, en travaillant
au livret de l’opéra Simon Boccanegra:
‘Verdi is my tyrant and you cannot believe how many and how various are the
demands he makes on me and my pour verses.’ 91
Il arrivait souvent que Verdi passait des mois à trouver un sujet et à discuter sur le livret et
seulement quelques jours à écrire l’opéra.
Au début de sa carrière, Verdi préférait des histoires historiques et fastueux, souvent
contenant des références à la situation politique en Italie: il soutenait la lutte pour une Italie
unie et contre l’oppression autrichienne. L’opéra Nabucco (1841) en est un exemple, basé
sur une histoire biblique qui raconte l’oppression des Hébreux par le roi Nabucco, qui est à la
fin miraculeusement converti au judaïsme. Le chœur des esclaves hébreux ‘Va pensiero’ est
devenu un symbole pour la lutte contre l’oppression, et spécifiquement de la lutte contre
l’oppression autrichienne et pour un Italie uni. C’est grâce à cet opéra que Verdi était devenu
pour les Italiens une sorte de porte-parole quand il s’agissait de l’Italie indépendante. A
partir des années 1850, son nom devenait même une devise politique: on criait Viva
V.E.R.D.I. (Vittorio Emanuele Re D’Italia – Victor Emmanuel roi d’Italie). En 1859, après que
90
Les recherches dans ce chapitre sont notamment basées sur Budden (1985), Rosselli (2000) et
Martin (1965).
91
Budden (1985), p. 72.
58
l’Italie est devenue indépendante, Verdi était même élu député pour la province de Parme,
ce que Verdi lui-même trouvait ridicule, et dont il écrit dans une lettre à Piave:
‘I was elected and during the early days I frequented the Chamber up till the
great day in which Rome was declared Capital of Italy. (…) For two long years I
attended only rarely. Several times I was about to hand in my resignation but some
obstacle always came up at the last moment and I’m still a deputy against every
wish, every desire, without having the slightest inclination nor aptitude nor talent.
There you have it. Anyone who wishes or who has to write my biography as member
of Parliament has only to print in large letters in the middle of a blank sheet of paper
‘The 450 are really only 449 because Verdi as a deputy doesn’t exist.’ 92
Verdi ne se sentait pas doué pour la politique, c’était à travers son art qu’il voulait faire une
différence.
Après un certain temps, Verdi commençait à préférer des histoires humaines dans
lesquelles figuraient des personnages venant de différents milieux sociaux. L’explication pour
cette préférence se trouve dans son enfance. Verdi était né le 9 ou 10 octobre 181393 (la
date est contestée) à Le Roncole, un petit village près de Busseto, dans le duché de Parme,
comme Joseph Fortunin François Verdi. Parme était à cette époque incorporé dans l’empire
de Napoléon et Verdi était donc né français, bien que cela n’eut pas de conséquences pour le
reste de sa vie. Giuseppe Verdi était son nom et la plupart de ses proches et connaissances
l’appelaient simplement Verdi. Le Roncole était un village de paysans et l’éducation y était
donc très élémentaire. Pendant toute sa vie, Verdi s’était très bien rendu compte du fait qu’à
cause de son manque d’éducation, il resterait toujours un peu paysan. Cependant, pour un
fils d’un paysan, Verdi avait eu une éducation assez exceptionnelle: on lui donnait des leçons
privées à la maison dès l’âge de quatre, avant qu’il aille fréquenter l’école du village; il
prenait des leçons de musique et son père lui avait même donné une vieille épinette; il allait
au gymnase à Busseto, et plus tard on lui donnait la possibilité de faire des études à Milan.
Mais le fait que Verdi accentuait toute sa vie qu’il venait d’un milieu pauvre prouve encore
une fois qu’il avait toujours le sentiment de n’être qu’un paysan, d’appartenir au peuple.
Peut-être ses parents n’étaient-ils pas entre les familles les plus pauvres, mais quand même
le jeune Verdi travaillait déjà pour contribuer au revenu familial. Il avait eu des leçons
d’orgue de l’organiste du village, et lui succédait dans le poste d’organiste à l’âge de dix ans.
92
93
Budden (1985), p. 84.
Martin (1965), p. 3, Rosselli (2000), p. 12.
59
Il gardait ce poste quand il allait vivre à Busseto pour y aller au gymnase. On raconte qu’il
marchait tous les dimanches pieds nus à Le Roncole pour épargner ses chaussures. Cette vie
lui a probablement appris à être l’homme d’affaires scrupuleux qu’il était. Parce qu’il venait
d’un milieu pauvre, Verdi s’est toujours senti concerné par le peuple. C’est sans doute à
cause de cela qu’il commençait à préférer des histoires humaines avec des personnages
vraisemblables venant des différentes classes sociales et ayant des sentiments vrais: des
histoires contemporaines traitant des problèmes sociaux. En faisant cela, il se distinguait des
autres compositeurs d’opéra, dont la plupart préférait encore les histoires traditionnellement
utilisées dans l’opéra, qui traitaient des thèmes classiques ou historiques.
Kimbell94 suggère qu’il est bien possible que Verdi ait été influencé, pendant ses
séjours à Paris entre 1847 et 1852, par le mouvement réaliste français. Ce mouvement, qui
avait à cette époque-là juste commencé à s’établir, préférait aussi se concentrer sur la classe
ouvrière parce que celle-là était le moins artificielle et le plus sincère. En Italie, l’art était
influencé par les idées qui propageaient l’unification de l’Italie, le Risorgimento. Selon Jaap
van Osta, Verdi s’était aussi laissé inspirer par la brochure Filosofia della musica (1836) de
Giuseppe Mazzini, qui était un des révolutionnaires les plus importants dans l’Italie du XIXième
siècle. Dans cette brochure, Mazzini proposait une nouvelle sorte de musique, qui n’était pas
fait pour plaire à l’aristocratie, mais qui était par contre une musique romantique qui pourrait
susciter les sentiments collectifs et nationalistes du peuple italien.95 De cette manière, il
voulait utiliser la musique comme instrument pour rendre le peuple sensible pour la cause
nationale. Ces idées correspondent largement avec les idées du ‘verismo’ (1875-1895), le
mouvement italien inspiré par le réalisme français, qui voulait utiliser notamment la
littérature pour propager une culture italienne collective pour renforcer les sentiments
nationalistes. Pour atteindre ce but, il était indispensable de s’adresser au peuple en utilisant
un langage qui serait compréhensible pour tout le monde. Les idées du verismo se
répandaient aussi dans d’autres formes d’art. Dans l’opéra,96 la musique instrumentale
devient plus importante par rapport au texte; la musique elle-même devient porteuse du
message. De cette façon, il est plus facile pour le peuple de comprendre l’histoire et de
s’identifier avec les personnages. L’époque de gloire du verismo dans l’opéra se passait à la
fin du XIXième siècle, et on en trouve les exemples les plus convaincants dans l’œuvre des
compositeurs comme Puccini, Mascagni et Leoncavallo. Selon une conception largement
94
Kimbell (1981), p. 642/643.
Osta (1989), p. 65.
96
http://www.felinebird.co.uk/verismo.shtml,
http://journals.cambridge.org/download.php?file=%2FOPR%2FOPR5_01%2FS0954586700003876a.p
df&code=cddb0bd8e9c15022a8274c4fdfabca59, http://www.grattacielo.org/verismo.htm.
95
60
répandue, Verdi était le premier à introduire le ‘verismo’ dans le théâtre italien,97 et plus
précisément dans le dernier acte de La Traviata. Konrad Claude Dryden nous propose le
raisonnement suivant:
‘Verdi seemed to be experimenting with modes of expression that had
received few parallels until that time. (…) While some musicologists suggest that it is
unfair to claim La Traviata a bridge to verismo, both the opera’s intimacy and the
work’s concentration on one protagonist who matures and transforms herself from
one act to another, is nothing if not ‘uno squarcio di vita’ – ‘a slice of life’ – as
heralded in Tonio’s prologue to I Pagliacci,98 the credo of the verismo movement.
Violetta would become a preferred role among verismo sopranos. The reason for this
attraction was presumably the dramatic possibilities afforded by the last act. The
impression that present-day audiences have of the Dumas heroine has certainly been
influenced by the way the part has been performed during most of this century –
very often by sopranos who have excelled in verismo roles – thus probably far
removed from interpretations during Verdi’s own time.’ 99
Même si à l’époque de La Traviata, le verismo n’avait pas encore trouvé sa forme définitive,
il est clair que Verdi a été influencé par l’esprit du siècle et qu’il a, avec son œuvre, contribué
au développement des idées du verismo dans l’opéra. Ce n’est pas seulement Verdi qui a eu
une influence sur le verismo, le verismo a également eu une influence sur les interprétations
et sur les représentations des opéras de Verdi: une influence qu’on retrouve encore dans les
représentations modernes.
Pour toutes ces raisons, l’histoire de La Dame aux Camélias était très intéressante
pour Verdi. Comme il écrit à son ami Cesare de Sanctis, le 1 janvier 1853:
‘Io desidero soggetti nouvi, grandi, belli, variati, arditi… ed arditi all’estremo
punto, con forme nuove, ecc., ecc., e nello stesso tempo musicabili. (…) A Venezia
faccio la Dame aux camelias, che avrà per titolo, forse, La Traviata. È un soggetto
dell’epoca. Un altro forse non l’avrebbe fatto pei constumei, pei tempi e per mille altri
goffi scrupoli, io lo faccio con tutto il piacere. Tutti gridarono quando io proposi un
gobbo da mettere in iscena. Ebbene, io era felice di scrivere il Rigoletto.’ 100
97
Kimbell (1981), p. 642, 646, http://www.grattacielo.org/verismo.htm.
Opéra de Leoncavallo.
99
http://www.grattacielo.org/verismo.htm.
100
Cesari (1913), p. 531/532, Budden (1985), p. 61.
98
61
‘Je veux des sujets nouveaux, grands, beaux, variés, osés… osés à l’extrème,
avec des formes nouvelles, etc., etc., et qui se prêtent en même temps à une
adaptation musicale. (…) Pour Venise je fais La Dame aux Camélias, qui s’appellera,
peut-être, La Traviata. C’est un sujet contemporain. Un autre [compositeur] ne
l’aurait pas fait à cause des costumes, de l’époque, et pour mille autres petits
scrupules, mais moi je le fais avec plaisir. Tout le monde criait au scandale [aussi]
quand je prenais un bossu comme personnage. Mais moi, j’étais heureux d’écrire
Rigoletto.’ 101
Verdi n’avait pas seulement une préférence pour des sujets contemporains et traitant des
problèmes sociaux, il avait aussi un penchant pour des sujets un peu bizarres, anormaux,
non conventionnels, comme par exemple son choix pour Rigoletto. Personne avant lui n’avait
osé prendre comme personnage principal d’un opéra un bossu. Il était probablement aussi le
premier à prendre comme personnage principal une courtisane contemporaine, et cela était
un sujet encore plus osé. A mon avis, ce choix de sujets s’explique en partie par son origine
pauvre. Comme il n’était pas un compositeur d’opéra conventionnel, il ne se sentait pas
obligé de choisir des sujets conventionnels.
Il n’est pas tout à fait certain si Verdi a assisté à une représentation de la pièce de
Dumas, mais la plupart d’entre ses biographes le présument. Selon Christiane Issartel il
assistait même, accompagné de Giuseppina, à la première,102 et, d’après elle, il a dit qu’il
avait lu le roman, mais que la pièce lui montrait des possibilités d’en faire un opéra qu’il
n’avait pas prévu dans le roman. En tous cas, il se trouvait à Paris à cette époque, l’hiver de
1852/1853.103 Sans doute s’était-il aperçu du tumulte que le roman et la pièce de Dumas
faisaient.
Il y a aussi des arguments qui montrent qu’il y avait une raison personnelle pour
Verdi d’avoir choisi cette histoire. Comme il y en a entre la vie de Dumas fils et son roman, il
y a aussi des liens entre l’histoire de La Traviata et la vie de Verdi lui-même. Après la mort
de sa première femme, Margherita Barezzi, Verdi a longtemps vécu avec une femme,
Giuseppina Strepponi, sans être marié avec elle, donc une situation un peu comparable à
celle de Marguerite et Armand bien que Giuseppine ne soit pas une courtisane. Giuseppina
101
102
103
Traduction française de l’auteur.
Issartel (1981), p. 96.
Martin (1965), p. 243.
62
Strepponi, une chanteuse d’opéra que Verdi connaissait déjà depuis le début de sa carrière,
a connu quelques scandales dans sa vie: elle avait trois enfants illégitimes, et de deux
d’entre eux on n’était pas certain qui était le père. Giuseppina était pour Verdi la raison de
rester plus longtemps que prévu à Paris, où elle s’était installée après sa carrière exécutrice
comme enseignante de chant, avant de venir vivre avec Verdi à Busseto. Verdi aimait la ville,
parce qu’il y pouvait se promener à son aise, sans être reconnu dans la rue, ce qui lui était
devenu impossible en Italie. En 1847, ils commençaient à vivre ensemble, mais ce n’était
qu’en 1859 qu’ils se mariaient. En mai 1851, elle était venue vivre avec lui à Busseto, le
village de son enfance. Dans ce village il y avait beaucoup de critique à ce mode de vivre,
qui était très inhabituel, et les villageois n’acceptaient pas Giusseppina. Le couple passait
l’hiver de 1851/1852 à Paris, où Giuseppina se trouvait sans doute mieux à sa place. C’était à
cette époque-là qu’on jouait la pièce de Dumas au Théâtre de Vaudeville, la première étant
le 2 février 1852. Il est bien possible que s’il n’eut pas été à Paris pour Giuseppina à cette
époque, ou même s’il n’y avait jamais eu de liaison entre eux, il n’aurait jamais fait la
connaissance de l’œuvre de Dumas fils. Le 21 janvier 1852, Verdi écrivait à Antonio Barrezzi,
son bénéficier depuis son enfance et aussi son beau-père, en réaction à une lettre que celuilà l’avait écrit, et en critiquant le comportement des villageois:
‘In casa mia vive una Signora libera indipendente, amante come me della vita
solitaria, con una fortuna che la mette al coperto di ogni bisogno. Nè io, nè Lei
dobbiamo a chichessia conto delle nostre azioni; ma d’altronde chi sa quali rapporti
esistano fra noi? Ed in questo caso chi sa quali sono i motivi particolari, quali le idee
da tacerne la pubblicazione? (…) Bensì io dirò che a lei, in mia casa, si deve pari anzi
maggior rispetto che non si deve a me (…)’ 104
‘Une femme habite chez moi. Elle est libre, indépendante, elle aime, comme
moi, une vie solitaire qui la mette à l’abri de toute obligation. Ni moi ni elle ne devons
de comptes de nos actions à qui que se soit; qui sait quels sont nos rapports? Et,
dans cette maison, qui sait quels sont les motives particuliers pour ne pas les faire
connaître? (…) Je vous dirai toutefois qu’on lui doit, chez moi, un respect encore plus
grand que celui qu’on me doit (…).’
104
Cesari (1913), p. 130.
63
Il y a certains aspects dans cette lettre qu’on peut retrouver dans le livret de l’opéra. Dans
l’exemple suivant, quand le père d’Alfredo vient rendre visite à Violetta, on retrouve l’idée
que la femme doit être respectée quand elle est chez-elle:
GERMONT:
D’ORBEL:
Sì, dell’incauto, che a ruina corre,
Je suis père, et je viens vous ravir
Ammaliato da voi.
Un fils qui me force à rougir.
VIOLETTA:
VIOLETTA:
Donna son io, signore, ed in mia casa;
Je suis chez moi, monsieur… et je suis
femme;
Ch’io vi lasci assentite,
Ne l’oubliez jamais… ce droit, je le
Più per voi che per me.105
réclame.106
Après avoir dit cela, elle lui donne les papiers de la vente de ses possessions à Paris, pour lui
montrer, comme Verdi le dit dans la lettre, qu’elle a une fortune d’elle-même et qu’elle n’a
pas ruiné son fils:
GERMONT:
D’ORBEL:
De’ suoi beni
Vous le ruinez, madame…
Dono vuol farvi
VIOLETTA:
VIOLETTA:
Oh! Mais c’est une horreur!
Non l’osò finora
Lui remettant les papiers qu’elle tenait à la
Rifiuterei.
main, en entrant.
Preuve visible…
GERMONT: (guardandosi intorno)
Pur tanto lusso
D’ORBEL, après avoir parcouru les papiers.
Est-il possible?
VIOLETTA:
A tutti
VIOLETTA:
È mistero quest’atto
Le bien que j’aime est dans son cœur.’
A voi nol sia.
105
106
www.giuseppeverdi.it.
RTL, p. 437/438: texte de la version française de l’opéra, pas traduit littéralement.
64
D’ORBEL, après avoir achevé de lire.
GERMONT: (dopo averle scorse coll’occhio)
Grand Dieu!... Que vois je?
Ciel ! che siscopro!
Agréez mon excuse,
D’ogni vostro avere
Vous vendiez tous vos biens, et c’est vous
Or volete spogliarvi ?
que j’accuse!
Ah, il passato perché, perché v’accusa?
Ah! Le passé s’efface…
Il y a beaucoup de ressemblances entre la situation dans laquelle Verdi et Giuseppina se
trouvaient et la partie de l’histoire dans laquelle Marguerite et Armand (ou Violetta et
Alfredo) vont s’installer à la campagne eux aussi. On pouvait comparer Barezzi, le beau-père
de Verdi, à Georges Duval, le père d’Armand, qui veut sauver son fils d’une liaison qui
pouvait compromettre sa réputation. Un autre argument pour cet raisonnement est le fait
que le père Germont joue un rôle encore plus important dans l’opéra que dans la pièce: la
scène de la confrontation entre Violetta et Giorgio Germont se trouve exactement au milieu
de l’opéra, et il est, contrairement au roman et à la pièce, aussi présent dans la scène de
trépas de Violetta: il y dit même qu’il regrette ses actions. Barezzi, lui aussi, s’était vite
réconcilié avec Giuseppina.
Verdi n’aimait pas le fait que les gens s’intéressaient à sa vie personnelle, étant un
homme célèbre; il ne parlait des choses privées qu’avec ses proches et il préférait dissocier
son travail et sa vie privée. Verdi lui-même n’a donc jamais affirmé que les ressemblances
entre l’histoire et sa propre vie puissent être une des raisons pour choisir La Dame aux
Camélias, mais il est peu probable qu’il ne se soit pas reconnu dans l’histoire. John Rosselli,
dans son The life of Verdi, dit à propos de ce sujet:
‘Suggestions that La traviata alludes to Strepponi are wrongheaded: Verdi
called Violetta a ‘whore’ – she was a kept woman – but Strepponi was an
independent artist who supported a family. Her sexual life before the two of them
came together was at once ‘simple, natural’ and, in the theatre, not uncommon –
though probably worse managed than most.’ 107
A mon avis, si Verdi s’était reconnu dans l’histoire, ce n’était pas parce qu’il trouvait que
Giuseppina était une prostituée, mais parce que son entourage la traitait comme telle; une
chanteuse ou une actrice, qui avait en plus eue de nombreuses liaisons, et qui vivait
107
Rosselli (2000), p. 69.
65
indépendante, était au XIXième siècle à peine plus respectée qu’une courtisane ou une
prostituée.108 Les villageois la trouvaient frivole:
‘(…) Giuseppina was ignored in the street and no one sat near her in church.
For all her native charity she would not forget these insults in the years to come.’ 109
Il est donc possible que Verdi ait choisi le sujet parce qu’il voulait montrer que Giuseppina
n’était pas comme Violetta, que lui non plus respectait les courtisanes mais que Giuseppina
était mieux que cela.
Une dernière raison pour laquelle Verdi a choisi La Dame aux Camélias était le fait
que Verdi s’intéressait beaucoup à la littérature, il lisait beaucoup de romans et de pièces de
théâtre d’écrivains internationaux. Quand en 1871 on lui demandait de devenir directeur du
conservatoire de Milan, il refusait la poste mais donnait son opinion didactique en disant qu’il
fallait aux étudiants du conservatoire l’exercice constant de la fugue et du contrepoint et des
études approfondis de la littérature. Il vouait une grande admiration à Alessandro Manzoni,
l’auteur de Gli promessi sposi, l’œuvre qui était d’une grande importance pour la création
d’une seule langue italienne, ce qui était nécessaire pour pouvoir réaliser l’unification de
l’Italie. Verdi était également un grand amateur de Shakespeare, dont il faisait adapter en
livret d’opéra les pièces Macbeth, Othello et Falstaff; de Schiller, dont il utilisait cinq pièces
de théâtre pour ses opéras; et de l’auteur espagnol Antonio Garcia Guttiérrez, qui était
l’auteur des pièces qui étaient à l’origine des opéras Il Trovatore et Simon Boccanegra. La
littérature française était aussi une inspiration pour lui: à part de La Dame aux Camélias, il
utilisait pour ses livrets deux pièces de Victor Hugo, Hernani et Le roi s’amuse, dont la
dernière devenait l’opéra Rigoletto; Alzire, une tragédie de Voltaire; et quelques autres
pièces d’auteurs moins connus. Verdi maîtrisait le français, ce qu’il a probablement appris
pendant ses études à Milan, où beaucoup de Milanais éduqués le parlaient. Apparemment, il
en a eu des leçons en 1846.110 Cela lui donnait la possibilité de lire aussi des œuvres qui
n’avaient pas encore été traduits en italien, comme l’œuvre de Dumas fils, et aussi de
coopérer avec le librettiste français Eugène Scribe pour faire des opéras pour l’Opéra de
Paris. De son trilogie Il Trovatore, Rigoletto et La Traviata, qui sont considérés comme ses
trois meilleurs opéras, deux d’entre eux étaient basés sur des œuvres françaises.
108
Une étude intéressante traitant ce sujet est celle de Kirsten Pullen: Actresses and Whores – On
Stage and in Society (2005).
109
110
Budden (1985), p. 53/54.
Rosselli (2000), p. 21.
66
Le choix de Verdi pour La Dame aux Camélias était peut-être un choix inattendu, un
choix que ses collègues contemporains n’auraient pas faits, mais aussi un choix qui
s’explique par quelques facteurs importants dans la vie de Verdi. Sa passion pour la
littérature, qui le portait à lire des œuvres internationales, parmi lesquels se trouvaient
beaucoup d’œuvres françaises; ses origines pauvres, qui faisaient qu’il était concerné par le
peuple, et préférait donc des histoires humaines, vraisemblables, avec des personnages de
différentes classes sociales; son engagement avec les idées du Risorgimento; et sa liaison
avec Giuseppina Strepponi, ce qui n’était pas seulement la raison de plusieurs séjours à Paris
où il a fait la connaissance avec l’œuvre de Dumas fils, mais qui était peut-être aussi la
raison pour laquelle il s’était reconnu dans cette histoire, qu’il a choisi pour créer l’opéra La
Traviata.
67
L’œuvre de Dumas comme source d’inspiration
A part de l’opéra de Verdi, qui est l’exemple le plus célèbre, il y a eu de nombreuses autres
œuvres qui ont été inspirées par ou qui sont basés sur La Dame aux Camélias. Il y a des
auteurs qui ont adapté l’histoire, et d’autres qui l’ont juste prise comme source d’inspiration,
qui se sont laissés influencer par l’histoire, ou qui ont fait une réaction critique à l’œuvre de
Dumas fils. Toutes ces œuvres sont des preuves de la popularité de l’oeuvre originale et ont
attribué à cette popularité. Apparemment, l’œuvre se prête très bien à être adaptée et peut
facilement être résumée en quelques scènes clés très dramatiques. Le roman a inspiré une
quantité énorme de toutes sortes d’œuvres d’art: des romans, des pièces de théâtre, des
ballets, des films, etcetera. De l’autre côté, La Dame aux Camélias a aussi été à la base de
quelques œuvres critiquant l’histoire et les idées de Dumas fils. On retrouve ces œuvres
critiques surtout au XIXième siècle, de la vie de Dumas fils; on critiquait le fait qu’il auréolait
une courtisane et ne désapprouvait pas ouvertement sa vie frivole. Presque toutes les
adaptations de l’histoire, et dans lesquelles on ne retrouve guère de critique à l’adresse de
Dumas fils, ont été faites au XXième siècle. Toutes ces oeuvres ont attribué au fait que La
Dame aux Camélias n’a jamais cessé d’attirer l’attention du public. Je parlerai d’abord des
œuvres dans lesquelles on retrouve l’influence de La Dame aux Camélias ou qui sont des
réactions à l’œuvre de Dumas, et puis des œuvres qui sont basées directement sur l’histoire,
ou bien sur la vie de Marie Duplessis. On retrouve dans ce chapitre des œuvres que je n’ai
pas mentionnées dans le chapitre sur la courtisane dans la littérature; c’est qu’il ne s’agit pas
toujours des œuvres très connues ou des auteurs populaires. Pour la rédaction de ce
chapitre, l’ouvrage d’Issartel a été un source d’information indispensable,111 en ce qu’elle
contient un sommaire, bien qu’incomplète et n’étant certainement plus à jour, des œuvres
inspirées par ou qui sont une adaptation de l’œuvre de Dumas fils. A part de cette œuvre, un
grand nombre de sources sur internet m’ont été très utiles, par exemple des bases de
données digitales de films. Pour la dernière partie de ce chapitre, j’ai choisi quatre films
basés sur ou inspirés par La Dame au Camélias, réalisés en de différentes époques, pour
analyser comment on a adapté l’histoire pour qu’elle puisse être au goût du public de leur
époque. On peut s’imaginer qu’il y a des critiques étant de l’opinion que l’histoire n’est plus
de notre temps, parce qu’il n’y plus de nos jours des courtisanes et que le public moderne ne
comprend plus le personnage de la courtisane. Nous allons également voir dans ce chapitre
si cet aspect a posé des problèmes aux créateurs des adaptations de l’histoire et au public.
111
Issartel (1981).
68
Les oeuvres inspirées sur ou influencées par La Dame aux Camélias
Parmi les auteurs qui ont considéré d’un œil critique l’œuvre de Dumas fils se trouvent son
collègue Emile Augier et l’auteur Emile Zola. En réaction à l’œuvre de Dumas fils ils ont repris
le thème de la courtisane d’un point de vue différent.
Le concurrent: Emile Augier
Un des plus grands concurrents de Dumas fils était l’auteur de théâtre Emile Augier. Bien
que peu connu de nos jours, la qualité de son œuvre n’était certainement pas inférieure à
celle de l’œuvre de Dumas et il était un homme de poids dans la vie littéraire à cette époque.
Choqué par le succès de La Dame aux Camélias, il a essayé deux fois d’y faire une
réplique.112 Il avait déjà traité le thème avant la parution du roman et de la pièce de Dumas,
dans la comédie pastorale Le Joueur de Flûte, d’une façon plutôt innocente. Un pauvre
berger tombe amoureux de la courtisane classique Laïs; il se vend comme esclave pour
pouvoir se permettre d’acheter pour quelques instants ses faveurs. Laïs est émue, le rachète
avec toute sa fortune et abandonne sa vie de courtisane pour aller vivre avec lui. Dans cette
œuvre, la courtisane n’est pas vraiment présentée comme étant condamnable; mais Augier
ne prenait pas trop de risque d’être critiqué pour cela, en choisissant un cadre classique pour
l’histoire.
La première réaction d’Augier à la pièce de Dumas, Le Mariage d’Olympe (1855), dont
il a avoué qu’il s’agissait d’une riposte à Dumas, est beaucoup moins innocente que sa
première tentative du thème. Dans ce cas, il s’agissait bien d’une situation contemporaine.
La courtisane Olympe va se marier avec le comte de Puygiron. Olympe veut se faire accepter
par la famille du comte: son oncle le marquis de Puygiron qui vit en Autriche. D’abord, elle
est accueillie cordialement; mais après quelques temps, sa conduite la démasque. Le duc se
rend compte qu’elle n’a pas de morale et qu’il sera impossible de changer son attitude.
Olympe cherche à se venger; le marquis la tue et puis se tue lui-même.113 Comme dans La
Dame aux Camélias, il s’agit d’un homme qui croit qu’il peut changer la nature d’une
courtisane mais qui n’y arrive finalement pas. Il n’y a donc, selon Augier, pas de place pour
une courtisane dans une famille honnête, et il est impossible de changer la nature d’une
courtisane. A l’aide de cette histoire, il voulait ridiculiser l’amour entre Marguerite et Armand.
Il est remarquable qu’il ait apparemment adopté ce point de vue qu’après que Dumas fils eut
112
113
Seillière (1921), p. 149-153.
Seillière (1921), p. 150/151.
69
écrit La Dame aux Camélias; on ne retrouve pas encore ce ton moraliste dans Le Joueur de
Flûte. Cela donne l’impression qu’il a voulu plaire aux critiques de Dumas fils. Il a choisi pour
son personnage principal le nom Olympe, le nom que Dumas fils utilisait également pour le
personnage de la courtisane sans cœur; il a peut-être voulu dire avec cela qu’il y a
seulement des Olympes, pas de Marguerites, entre les courtisanes.
En 1868, Augier écrit encore la pièce Paul Forestier. Le peintre Paul Forestier est
amoureux d’une femme mariée, Léa. Son père obtient de Léa qu’elle s’éloigne de son fils
pour qu’il puisse se marier avec Camille, une fille très honnête. Après la mort du mari de Léa,
celle-là revient et Paul découvre que son père l’a trompé. Camille propose de se sacrifier
pour les amants. Paul se rend compte de la supériorité de sa femme et reste auprès d’elle.114
On reconnaît dans cette histoire la scène entre Marguerite et le père Duval. Le message est
clair: l’amour conjugal est toujours préférable à l’amour adultère. La mort du mari de Léa n’a
pas effacé le péché qu’elle a commis; elle restera donc selon Augier toujours une femme de
péché. La raison pour laquelle Augier a donné à son héroïne le nom Camille, n’est pas clair:
ce n’est sans doute pas pour faire honneur à la Dame aux Camélias, puisqu’il s’agit d’une fille
honnête. Il s’agit sans doute d’une coïncidence.
En regardant les œuvres sur des courtisanes d’Augier, nous voyons que lui, comme
Dumas fils, est devenu plus moraliste au cours de sa vie: dans le cas d’Augier, on a
l’impression que La Dame aux Camélias a été une des causes de ce changement.
Malheureusement pour lui, ses histoires moralistes n’ont jamais connu une popularité pareille
à celle de La Dame aux Camélias. Les pièces de théâtre d’Augier sont des exemples des
œuvres qui ont voulues au même temps profiter de la popularité du sujet auprès du public
de théâtre et critiquer l’œuvre de Dumas fils. Les pièces n’étaient cependant ni assez
innovatrices ni assez osées pour devenir des classiques et obtenir une popularité durable,
comme l’œuvre de Dumas fils.
Zola et La confession de Claude
Les courtisanes dans l’œuvre d’Emile Zola (1840-1908) comptent parmi les exemples les plus
connus. Zola, qui est connu de nos jours comme le représentant principal du naturalisme,
écrivait d’un style tout à fait différent que Dumas fils, ce qui ne signifie pas qu’on ne peut
pas trouver des ressemblances entre les œuvres des deux auteurs. Comme Kranowski le dit
dans son Paris dans les romans d’Émile Zola:
114
Seillière (1921), p. 152/153.
70
‘La regrettable nécessité de coller des étiquettes aux œuvres littéraires nous
paraît, dans le cas d’Émile Zola, prédisposer un lecteur non averti à de fausses
impressions: tous les manuels traitent Zola d’abord et avant tout en chef du
naturalisme, fait qui s’explique sans peine, bien entendu. Pourtant, les frères
Goncourt, Maupassant, Daudet même sont en réalité plus près du naturalisme que
lui. A notre avis, Zola n’était pas moins romantique que naturaliste.’ 115
C’est justement cet aspect romantique qu’on retrouve dans les œuvres de jeunesse de Zola.
Avant de commencer le cycle Les Rougon-Macquart, Zola écrivait quelques œuvres qui
traitaient souvent de jeunes hommes qui venaient d’arriver à Paris après avoir passé leur
enfance à la campagne, comme Zola lui-même. Dans La confession de Claude,116 réaction
critique aux œuvres romantiques traitant des courtisanes, le pauvre poète Claude prend la
prostituée Laurence sous son toit. Dans les œuvres les plus connues traitant des courtisanes,
à savoir Manon Lescaut d’Abbé Prévost, Marion Delorme de Hugo et La Dame aux Camélias,
il s’agit toujours d’un jeune homme qui a l’illusion qu’il peut changer une femme entretenue
en une honnête femme. C’est aussi le cas dans La confession de Claude, bien qu’il ne
s’agisse dans ce roman que d’une pauvre prostituée; pour Claude, elle représente une
courtisane, et il la compare avec Marion Delorme. Il y a d’ailleurs de nombreuses
ressemblances avec l’œuvre de Dumas fils. La perspective est plus ou moins pareille: il s’agit
dans les deux œuvres d’une confession qu’un homme fait à un ami, ou à plusieurs amis,
dans le cas de Claude. La confession de Claude est également inspirée par des expériences
personnelles.117 Zola avait eu pour maîtresse une certaine Berthe, et il avait la ‘folle idée de
ramener au bien cette malheureuse, en l’aimant, en la relevant du ruisseau.’ 118 Dans le
roman il a voulu raconter cet échec. Claude se ruine pour sa Laurence d’une manière encore
plus concrète qu’Armand le fait pour Marguerite, parce qu’il ne vient pas d’une famille riche
et ne trouve pas d’emploi parce qu’il n’a plus que des haillons pour se vêtir, ayant vendu tout
ce qu’il avait. Dumas fils utilise dans son roman le personnage de Manon Lescaut comme
contraste négatif avec Marguerite; Zola fait dans son roman des allusions à l’histoire de
Marion Delorme, qui est pour Claude un exemple positif, et qui le guide dans ses actions.
Quand Laurence vient lui demander secours, Claude se dit:
115
116
117
118
Kranowski (1968), p. 152
Zola (1865).
Zola (1978), p. 268.
Zola (2002), p. 401.
71
‘Alors nous étions Didier pardonnant à la Marion et l’avouant pour épouse au
pied de l’échafaud. Nous grandissions la courtisane de la hauteur de nos tendresses.
Eh bien! Aujourd’hui, je puis être Didier. Marion est là, tout aussi impure que
le jour où il lui pardonna (…)’ 119
Ici revient l’idée qu’il peut la changer, en la traitant comme une honnête femme. Dans les
deux romans, la campagne et la nature symbolisent la vraie vie, la santé et l’amour sincère.
Quand ils passent une journée à la campagne, Laurence, qui est d’abord laide et oisive, se
transforme complètement:
‘Fraîche, rougissante, toute vibrante, Laurence est venue s’asseoir à mon côté.
Elle était humide de rosée, ses seins se soulevaient, rapides, pleins d’un souffle jeune
et frais. Il s’exhalait d’elle une bonne odeur d’herbe et de santé. J’avais enfin près de
moi une femme, vivant largement, purement, regardant la lumière en face. Je me
suis penché, j’ai baisé Laurence au front. (…) Je suis rentré à Paris, Laurence au bras,
jeune et fort, ivre de lumière et de printemps, le cœur plein de rosée et d’amour.
J’aimais hautement, je croyais être aimé.’ 120
Nous avons déjà vu que Marguerite subissait une transformation pareille dans La Dame aux
Camélias, de même que Manon dans l’œuvre de Prévost.
Claude est bien un héros romantique, tout comme Armand, et peut-être plus que tout
autre protagoniste de Zola:
‘O mon Dieu, pitié! Ne me prenez pas ma souffrance. Empêchez cette femme
de me guérir en me tuant mon amour. Qu’elle reste là, à mon côté ; qu’elle y reste,
froide et indifférente, pour prolonger mon tourment. Je ne sais plus pourquoi je
l’aime; je l’aime en dehors du juste et du vrai ; je l’aime pour l’aimer, et je ne veux
pas qu’on me dérange dans la folie de ma passion. (…)’ 121
Laurence par contre représente un contraste qui ne pouvait être plus grand avec Marguerite.
Elle est laide, pas très intelligente, elle vit dans la misère sans s’en soucier et elle n’a pas de
cœur. Quand Claude tombe amoureux de Laurence, elle devient dans ses yeux plus belle et
119
120
121
Zola (1865), p. 30.
Zola (1865), p. 83/87.
Zola (1865), p. 120.
72
plus sincère; à la fin, il se rend compte qu’il s’est laissé tromper par l’amour. Zola a voulu
nous montrer la réalité, sans l’idéaliser, tout en laissant, dans cette œuvre au moins, un peu
d’espérance pour l’avenir du protagoniste.
Tout comme Dumas fils, Zola n’était pas non plus très fier de ses œuvres de jeunesse
et a même empêché la réédition de quelques-uns de ces textes. Le point de vue des deux
auteurs quant aux femmes entretenues ont aussi des ressemblances, quand on compare
l’image qu’ils évoquent d’elles dans leurs romans. Claude dit à ce sujet:
‘J’ai remarqué que ces filles, femmes avant l’âge, gardent longtemps
l’insouciance et puérilité de l’enfant. Elles sont blasées, et joueraient volontiers encore
à la poupée. Un rien les amuse, les fait rire aux éclats; elles retrouvent, sans y
songer, l’étonnement et le caressant babil des petites filles de cinq ans.’ 122
C’est tout à fait comme Marguerite est présentée au début du romande Dumas: une fille qui
rit de tout, ne prend rien au sérieux, et peut encore être émerveillée comme un enfant par
de petites choses.
Zola, étant un enfant de son temps, a été influencé dans son œuvre, et certainement
dans ses œuvres de jeunesse, par les écrivains romantiques et leurs œuvres; ils
représentaient la vie littéraire de cette époque et leurs œuvres faisaient partie du bagage
culturel de Zola. En écrivant sa propre histoire de courtisane, il a cependant voulu s’opposer
aux histoires idéalisées traitant des courtisanes, et voulait plutôt montrer, en racontant d’une
manière plus réaliste, le côté repoussant des histoires de courtisanes. Il a utilisé les éléments
caractérisant les histoires romantiques traitant des courtisanes étudiés dans le chapitre sur la
courtisane dans la littérature;123 des éléments que ses lecteurs au XIXième siècle ont
certainement reconnus. Selon Becker, Zola voulait prouver avec ce roman que les histoires
d’Hugo, de Dumas, de Feuillet et de Murger étaient invraisemblables;124 il voulait donc
montrer la misère derrière le masque romantique. D’un côté, les deux histoires de Dumas fils
et de Zola ont de nombreuses ressemblances, parce qu’ils ont eu en partie les mêmes
inspirations et les mêmes influences, et parce que Zola à été, malgré lui, influencé par
l’œuvre Dumas fils; de l’autre côté, les messages qu’ils ont voulus transmettre au lecteur
sont très différents.
122
123
124
Zola (1865), p. 31.
Voir la page 18.
Zola (1978), p. 268.
73
Quelques autres exemples d’œuvres inspirées par La Dame aux Camélias
Entre les nombreux autres œuvres inspirées par La Dame aux Camélias, écrites par des
auteurs qui ont considéré le roman avec un œil moins critique que Zola et Augier l’avaient
fait, on trouve des exemples de parodie, de réinvention de l’histoire et parfois presque de
plagiat. Écrire une œuvre inspirée par l’histoire de Dumas fils n’était néanmoins pas une
garantie pour une réussite. La pièce de théâtre Mademoiselle Aïssée de Louis Bouilhet n’avait
aucun succès dans la représentation à l’Odéon, même si elle était réalisée par Flaubert avec
Sarah Bernhardt dans le rôle principal. Il y avait trop de ressemblances entre les deux
histoires; le public ne prenait pas la pièce aux sérieux.125 Dans ce cas-là, le public a donc de
loin préféré la version originale. Un exemple d’une parodie est le film La Signora senza
Camelie (La Dame sans Camélias), réalisé par Michelangelo Antonioni en 1953. Le film traite
d’une vendeuse devenue actrice, qui n’obtient que des rôles médiocres; elle épouse contre
son gré un producteur qui lui interdit de poursuivre sa carrière. Ce film profite aussi un peu
de la popularité du titre pour attirer l’attention du public.
La Traviata, en étant une adaptation de La Dame aux Camélias elle-même, a aussi
été une source d’inspiration pour d’autres œuvres. Il y en a d’innombrables exemples, mais
un exemple très populaire est celui qu’on retrouve dans L’opéra imaginaire de Pascal Roulin
(1993), une collection de petites animations représentant des scènes d’opéras célèbres. Il
s’agit d’une scène de La Traviata126 en animation d’argile créée par Guionne Leroy.127 Cette
œuvre est un bon exemple d’une réinvention de l’histoire qui a réussi à plaire un très grand
public, bien que, ou peut-être grâce au fait qu’il ne s’agisse qu’un fragment plutôt court. Une
œuvre récente qui a été inspirée directement par La Dame aux Camélias et qui a réinventé
l’histoire est le film musical Moulin Rouge! (2001) de Baz Luhrmann. J’insisterai sur ce film
dans la dernière partie de ce chapitre, dans lequel je vais comparer la manière dont on
présente l’histoire à de différentes époques à l’aide de quatre films, pour voir comment la
représentation de la courtisane a changé avec le temps pour être au goût du public de
l’époque.
Les œuvres basées sur l’histoire de La Dame aux Camélias
Il y a un nombre impressionnant d’œuvres directement basées sur l’histoire de La Dame aux
Camélias, dont la plupart d’entre-elles ont été faites au cours du XXième siècle, ce qui nous
125
126
127
Gold (1991), p. 90.
A savoir la Chœur des Bohémiens (Noi siamo zingarelle), acte II, scène X.
http://youtube.com/watch?v=GRWDFY1-zOo&feature=related.
74
montre encore une fois la popularité durable de cette œuvre. On trouve parmi ces oeuvres
des pièces de théâtre, des ballets, un musical et même une bande dessinée; mais on trouve
surtout beaucoup de films. Je donnerai quelques exemples des œuvres les plus connues;
une liste plus élaborée des adaptations de l’histoire se trouve dans l’annexe II. Pour le
cinéma, j’ai fait une liste séparée qui se trouve dans l’annexe III. Au lieu de traiter une
grande partie de ces œuvres superficiellement, je préfère examiner quelques-unes de ces
œuvres en profondeur. J’ai choisi pour cela quatre films: Camille de 1921 avec Alla
Nazimova, Camille de 1936 avec Greta Garbo, La Dame aux Camélias de 1981 avec Isabelle
Huppert, et Moulin Rouge! de 2001 avec Nicole Kidman. Le film est le médium qui a au
XXième siècle pris la place que la pièce de théâtre avait au XIXième siècle, et qui a assuré la
popularité durable de La Dame aux Camélias plus que la pièce de théâtre originale a pu le
faire au XXième siècle. On va voir comment la représentation de la courtisane a changée avec
le temps pour attirer un public nouveau, à l’aide de ces quatre adaptations très différentes.
Je déterminerai aussi les scènes des œuvres originales qu’on peut retrouver dans les
adaptations. D’abord, je traiterai brièvement quelques autres médias qui ont produit des
exemples intéressants.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre sur la réception de La Dame aux Camélias,
le théâtre français était considéré par les Anglais et les Américains comme choquant; pour
plaire au public anglophone, on y jouait initialement une version plus innocente, Heart’s-Ease
ou Heartsease (1875), qui était une adaptation anglaise de James Mortimer.128 Selon Gold,
Marguerite n’est qu’une fille un peu trop flirteuse dans cette version, et Armand est un
garçon honnête, mais entêté; Marguerite meurt de chagrin quand Armand la quitte d’un air
indifférent. Si les critiques étaient encore sceptiques, le public appréciait beaucoup cette
version ‘censuré’.
La pièce de théâtre la plus originale parlant de la Dame aux Camélias est Deburau de
l’acteur et l’auteur de théâtre français Sacha Guitry. La pièce, créée en 1918 au théâtre de
Vaudeville, traite de la liaison fictive entre Marie Duplessis et Jean-Gaspard Deburau, le plus
célèbre mime du XIXième siècle. Cette œuvre est remarquable pour plusieurs raisons:
premièrement, il s’agit d’une des premières œuvres écrites au XXième siècle basées sur la
vie de Marie Duplessis, la ‘vraie’ Dame aux Camélias; deuxièmement, elle évoque des
personnages historiques et les présente dans une situation fictive. Le rôle de Marie était créé
par la cantatrice et actrice Yvonne Printemps, qui jouerait plus tard Marguerite Gautier dans
un des nombreux films sur l’histoire, et qui était aussi, pendant quelques temps, la deuxième
128
Gold (1991), p. 172, http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin.
75
femme de Guitry. Apparemment, la pièce était un grand succès, et en 1920 on le montait à
New York, une représentation qui était très bien reçue par les critiques, comme on peut lire
dans la critique parue dans le New York Times.129 En 1924, Guitry collaborait à un film basé
sur la pièce sous le titre The Lover of Camille, par Harry Beaumont;130 l’accent y était mis
plutôt sur Marie Duplessis et moins sur Deburau, qui était le centre de la pièce. On a fait un
autre film de la pièce en 1951, avec musique d’André Messager. Cette pièce nous montre
comment on peut utiliser des aspects de plusieurs histoires et les présenter dans une
nouvelle forme, ce qui nous donne la possibilité de voir les personnages d’une toute autre
perspective. Cela est aussi une manière d’adapter une histoire pour être de son temps.
Au cours du XXième siècle, plusieurs ballets ont été créés basés sur La Dame aux
Camélias. Les plus connus sont celui de Frederick Ashton, Marguerite et Armand (1963), fait
pour les danseurs célèbres Margot Fonteyn et Rudolf Nureyev, 131 et celui de John
Neumeier, La Dame aux Camélias ou Die Kameliendame (1977), fait pour Marcia Haydée,132
qui est vraiment devenu un classique et a été dansé encore récemment par, entre autres,
Sylvie Guillem et Nicolas le Riche133 et par Aurélie Dupont et Manuel Legris.134 Intéressant est
le fait que les chorégraphes choisissent ou bien la musique de Verdi, ou bien de la musique
de Liszt ou Chopin, les contemporains de Marie Duplessis. Comme la danse est un médium
théâtral très différent que les pièces de théâtre, on adapte l’histoire d’une telle manière
qu’on n’a pas besoin de mots. L’histoire est le plus souvent réduit à la liaison entre
Marguerite et Armand et l’intervention du père Duval. Dans la version de Neumeier, l’accent
est mis sur le contraste entre le couple Marguerite et Armand et le couple Manon et
Desgrieux, ce qui donne une interprétation théâtrale intéressante. En simplifiant l’histoire et
en la rendant compréhensible pour tous les publics, ces ballets ont certainement attribué au
fait que l’histoire a pu rester tellement populaire.
Les films: les adaptations de l’histoire pour être au goût des époques et des publics
différents
Egalement au XXième siècle, il y a eu un nombre impressionnant de films basés sur La Dame
aux Camélias. Pour une liste élaborée des films qui traitent de La Dame aux Camélias, voir
129
http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=940CEED6173CE533A25757C2A9649D946195D6CF&oref=slogin.
130
http://movies.nytimes.com/movie/100548/Lover-of-Camille/overview.
131
http://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Ashton,
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dame_aux_cam%C3%A9lias,
http://www.youtube.com/watch?v=DSIz2DWZMbY.
132
http://www.youtube.com/watch?v=20tB46GQgIw.
133
http://www.youtube.com/watch?v=S7vgh7UoDcQ&feature=related.
134
http://www.youtube.com/watch?v=GNEkiefn9hw&feature=related.
76
annexe II. Le premier était un film danois, Kameliendamen (1907); mais la première
production à avoir un public international était celle que Louis Mercanton réalisait en 1911:
La Dame aux Camélias avec Sarah Bernhardt – elle avait soixante-six ans - dans son rôle
habituel de Marguerite Gautier, et Lou Tellegen, un des protégés de Bernhardt, qui jouait
Armand. Le film muet et très court ne faisait pas honneur à l’histoire, Bernhardt n’était selon
certains pas une actrice douée pour le cinéma et elle était sans doute trop vieille pour
interpréter d’une façon convaincante le rôle de la jeune femme devant les caméras, pour
lesquelles on ne peut cacher aucune imperfection. Néanmoins, le film a été admiré et
applaudi par des milliers de spectateurs après la parution et selon Jean Cocteau, il n’y aurait
personne qui pouvait donner une meilleure représentation de la Dame aux Camélias que
Bernhardt dans ce film.135 Il s’agit en tous cas d’un document historique, étant un des rares
documents filmés qui nous montre la célèbre Sarah Bernhardt.
Les films que j’ai choisis pour montrer plus profondément les ‘rajeunissements’ que
l’histoire a subi, sont quatre films de différentes époques, utilisant de différents points de
départ. Les deux premiers films sont des réalisations américaines et s’appellent aussi toutes
les deux Camille. Quand même il y a des différences essentielles: pour le premier, celui de
1921, on a choisi de transférer l’histoire au ‘présent’, donc au début du XXième siècle; le
deuxième se situe au XIXième siècle, comme l’histoire originale. Le fait que le premier film est
muet a une grande influence sur la représentation des personnages. Le troisième film, La
Dame aux Camélias de Mauro Bolognini de 1981, nous donne une toute autre vue sur
l’histoire, en prenant comme point de départ la reconstruction de la ‘vraie’ vie de Marie
Duplessis, l’inspiration pour La Dame aux Camélias. Le dernier, le film musical Moulin Rouge!
de Baz Luhrmann de 2001, utilise en fait des parties prises de plusieurs histoires et situe
l’histoire en 1899 au cabaret fameux Moulin Rouge.
Camille - 1921
En 1921 paraît le film américain Camille de Ray Smallwood, avec Alla Nazimova et Rudolph
Valentino.136 L’histoire est celle de Dumas, mais située dans les années 20. On présente ce
changement avec l’introduction suivante:
‘Camille! What a magic conjuring of players who have portrayed Dumas’
immortal ‘Daughter of Chance’. And with them comes to mind the thought of basque
135
Gold (1991), p. 309.
http://www.youtube.com/watch?v=y8xcL3prGe4.
136
77
and crinoline. But why not a Camille of today? Living the same story in this
generation?’ 137
Ce changement d’époque se voit surtout dans les vêtements et les intérieurs; la musique est
également de l’époque. Natacha Rambova, la femme de Valentino, faisait les décors:138
l’appartement de Marguerite est moderne, presque futuriste, et on y retrouve partout des
camélias stylées. L’histoire reste très proche de la pièce de théâtre. Cependant, le fait qu’il
s’agit d’un film muet influence beaucoup la représentation des personnages. Les visages très
blancs avec des yeux énormes paraîtront à un public moderne tout à fait ridicules. Comme
tous les gestes sont beaucoup exagérés et parce qu’il y a beaucoup moins de texte, le film
n’a pas beaucoup de subtilité, surtout aux yeux d’un public moderne. Les sentiments sont
très explicitement transmis au public. La musique joue également un rôle important en
suggérant les émotions. A cette époque cependant, le public était habitué à ce style et l’a
interprété d’une tout autre manière qu’un public moderne pourrait le faire. Le style de jouer,
la musique, les costumes et les décors du film: tout était du dernier cri et conforme au goût
du public.
La présentation de Marguerite au début du film nous donne l’image d’une femme
frivole, naïve, insensible et superficielle:
‘Winter. Paris, magic city of pleasure, yet beneath its tinselled gaiety throbbing
with life’s grim note of passion and tragedy. ‘The Lady of the Camellias.’ She was a
useless ornament – a plaything – a bird of passage – a momentary aurora.’ 139
Gaston renforce encore cette image en disant à Armand, quand ils voient Marguerite sortir
de sa loge au théâtre:
‘There’s the ‘Lady with the Camellias’ with the Count de Varville. She is
evidently playing for higher stakes. The old Duke is getting his congé.’ 140
Pendant la fête, organisé chez Marguerite après le théâtre, Marguerite porte un toast au
comte de Varville, qui nous montre un être plutôt insensible:
137
138
139
140
Smallwood (1921), 1’30.
http://en.wikipedia.org/wiki/Alla_Nazimova.
Smallwood (1921), 1’50.
Smallwood (1921), 3’20.
78
‘Let us drink to the Count whose sine we spill –
Who never objects to footing the bill –
Who is very persistent in his attentions –
Yet never conceals his… intentions!’ 141
Après ce toast, elle commence à chanter ‘simple, little Clo from Bordeaux’, une chanson dans
laquelle elle évoque son passé. L’histoire d’une fille simple et sincère venant de la campagne
à Paris, où elle devient une femme frivole. La manière dont elle repousse aussi bien le comte
de Varville qu’Armand, quand ils veulent lui donner un baiser, disant ‘Not untill you put a
jewel in my hand’, nous donne l’idée que l’argent et le luxe comptent pour lui avant toute
autre chose. Mais dans les scènes qui la montrent seule et dans la scène avec Armand, qui
vient la tenir compagnie quand elle se retire dans son boudoir après qu’elle ait eu un accès
de toux, elle est déjà un tout autre personnage que la femme gaie qu’elle joue en public. Elle
dit à Armand:
‘My symbol, Armand – a camellia. Cherished, its beauty will excel the loveliest
flower, but wound it with the slightest touch and it will die.’ 142
Elle se rend compte que sa vie ne va pas être longue, et qu’elle est plus vulnérable que son
entourage ne le pense; derrière le masque gai, elle est misérable. En fait, elle a déjà compris
que sa mode de vie ne vaut pas toutes ces souffrances; mais elle sait aussi que pour elle, il
n’y a pas d’autre monde que celui-là.
L’histoire de Manon Lescaut joue dans ce film un grand rôle dans le changement du
caractère de Marguerite. Quand Armand et Marguerite vivent ensemble à la campagne, où
Marguerite a appris à apprécier la vie simple, il lui lit l’histoire et elle voit les ressemblances
entre elle et Manon. Comme il s’agit d’un film muet, l’histoire de Manon est évoquée avec
des scènes ‘historiques’, dans lesquelles on reconnaît Marguerite et Armand. Marguerite ne
veut pas qu’Armand se sacrifie pour elle comme Des Grieux le faisait pour Manon. Quand
Duval père vient lui rendre visite, elle dit qu’elle veut oublier le passé et vivre avec Armand.
Duval père lui dit:
‘You cannot [forget your past] – you are chained to your past! Would you
drag the man you love down into the mire?’ 143
141
142
Smallwood (1921), 10’30.
Smallwood (1921), 18’53.
79
Soudain, elle se souvient de l’histoire de Manon. Elle se rend compte que la seule manière à
être meilleure que Manon est de quitter Armand: elle consent donc à la volonté du père
Duval. Elle a voulu se sacrifier avant qu’Armand se sacrifie pour elle. Quelques instants avant
sa mort, elle dit à Gaston, qui est venu lui rendre visite avec Nichette:
‘Do not weep, Gaston, the world will lose nothing. I was a useless ornament –
a plaything – a momentary aurora. (…)
Let me sleep – let me dream – I am happy.’ 144
Elle s’est réalisée comment sa vie dans le luxe a été superficielle, comment son existence a
été insignifiante. Elle a perdu son air arrogant. La différence entre ce film et la plupart des
autres versions est qu’Armand ne vient pas la voir avant qu’elle soit morte. Sa présence est
seulement évoquée par des retours en arrière. Quand même, elle est heureuse grâce aux
souvenirs de sa vie avec Armand.
L’histoire est assez proche de la pièce, bien qu’un peu simplifiée. A part des
changements déjà évoqués, il y en a quelques autres qui sont intéressants. Par exemple le
fait que c’est Gaston qui va se marier avec Nichette; on voit donc que le personnage de
Gaston se développe aussi, d’un jeune homme bleu en l’homme sincère qu’il doit être pour
être digne de l’amour de Nichette. Un autre exemple est la conversation entre Armand et
Varville à la table de jeu, qui est en fait toute l’opposé de la version originale:
‘ARMAND
-If chance could be bought with gold – like a woman – you might be the
winner, my dear count.
VARVILLE
-It is usually the provincial upstart who wins for the first time – and boasts of
his luck!’ 145
Dans la version originale, Armand parle du proverbe: ‘Malheureux en amour, heureux au
jeu.’ 146 Dans la pièce, on a l’impression qu’il a renoncé à Marguerite, dans le film par contre,
il a apparemment encore beaucoup de rancune contre Marguerite, il ne lui a pas encore
143
144
145
146
Smallwood (1921), 37’40.
Smallwood (1921), 67’05.
Smallwood (1921), 49’20.
RTL, p. 382.
80
pardonnée. La scène dans laquelle Armand raconte en plein public ce que Marguerite lui a
fait est par contre très proche à la pièce:
‘ARMAND
Bear witness that I pay her now – that I owe her nothing!’ 147
Après ce scandale, le comte de Varville lui a préféré Olympe; Marguerite n’a donc plus de
protecteur et fait faillite. Le roman Manon Lescaut est la seule chose qu’elle est permise de
garder comme souvenir d’Armand. Le message qu’on trouve dans ce film est que le succès
et la popularité ne sont que temporaires, qu’un seul faux-pas peut les éteindre: on ne trouve
le bonheur que dans des vrais sentiments, pas dans les choses matérielles. La présentation
‘moderne’ est un facteur qui attribué au succès du film, même si l’histoire est restée
essentiellement la même. Alla Nazimova et Rudolph Valentino, qui étaient des acteurs en
vogue à cette époque, y étaient sans doute aussi pour quelque chose; c’est un très bon
exemple d’une adaptation qui a été fait spécialement pour plaire au public de l’époque.
Camille - 1936
Le film qui était peut-être la version la plus populaire était Le Roman de Marguerite Gautier,
ou Camille en anglais, la version hollywoodienne tourné en 1936 par Georges Cukor pour
Metro-Goldwyn-Mayer,148 avec Greta Garbo et Robert Taylor, basé sur la pièce et le roman
de Dumas, mais avec des adaptations intéressantes. Le film a gagné un New York Film
Critics Circle Award, Greta Garbo étant Best Actress, et il était nominé pour un Acadamy
Award, également pour meilleure actrice.149 C’est aussi la célébrité de l’actrice qui a assuré la
popularité durable de ce film.
Dans ce film, le développement du personnage de Marguerite Gautier est très bien
présenté, le contraste entre le début et la fin est assez grand. Marguerite est présenté au
début de la façon suivante:
‘This is the story of one of those pretty creatures who lived on the quicksands
of popularity – Marguerite Gautier, who brightened her wit with champagne – and
sometimes her eyes with tears.’ 150
147
148
149
150
Smallwood (1921), 54’44.
http://www.youtube.com/watch?v=oQZ-yF0b8z8.
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281936_film%29.
Cukor (1936), 1’44.
81
A la première rencontre à deux entre Armand et Marguerite, Marguerite nous donne une
impression cynique. Elle n’est pas la fille naïve de Nazimova: elle connaît au contraire très
bien les règles du jeu qu’elle joue et elle sait qu’Armand n’est pas à sa place dans ce milieu,
qu’il a un tout autre morale que les autres hommes qui lui font la cour:
‘MARGUERITE
-Why should you care for a woman like me? I’m always nervous or sick or sad
or too gay.’
ARMAND
-But I do care for you.
(…)
M. -You’re young and sensitive. The sort of company you’re in tonight doesn’t
suit you at all.
A. -Nor you.
M. -Nonsense. These are the only friends I have, and I’m no better than they
are.
(…)
M. –Why don’t you laugh at yourself a little as I laugh at myself, and come
and talk to me once in a while in a friendly way.
A. –That’s too much… and not enough. Don’t you believe in love, Marguerite?
M. –I don’t think I know what it is.’ 151
Quand même, elle se laisse séduire par les propositions d’Armand, disant:
‘After all, when one doesn’t have long to live, why shouldn’t one have fancies?’
152
Elle ne prend pas encore très au sérieux sa liaison avec Armand, mais elle pense qu’elle peut
se permettre d’avoir un amant de cœur, car elle veut goûter de l’amour, qu’elle dit ne pas
connaître, avant de mourir. Vivant à la campagne avec Armand, elle devient une femme
beaucoup plus sincère et moins cynique. Dans son entretien avec le père d’Armand, elle
nous montre jusqu’à quel degré elle a changé:
151
152
Cukor (1936), 29’30.
Idem.
82
‘MARGUERITE
-Have you never known love to last, monsieur?
MR. DUVAL
-Never, when it was unsanctified by marriage, unblessed by children or social
ties.
M. –I shall love Armand always, and I believe he shall love me always too.
D. –Always?
M. –Always!
D. –Hasn’t your experience taught you the human heart can’t be trusted?
M. –I think I know my own heart better than you can, monsieur. And I can
trust it not to change.
D. -No woman, unprotected as you are, can afford to give the best years of
her life to a man who, when he leaves her, will leave her with nothing, and who is
certain to leave her in the end!
M. -I don’t suppose you can understand how any woman, unprotected as you
say I am, can be lifted above self-interest, by a sentiment so delicate and pure that
she feels only humiliation when you speak of such things. You don’t know how I’ve
changed. And he taught me that love is not always selfish nor goodness dull, nor men
faithless. No, no. You can’t expect me to give up such love as his.’ 153
Marguerite n’est pas convaincue par l’argument que leur séparation sera pour son propre
bien. Elle est déjà loin de l’égoïsme qu’on peut voir quand elle accepte Armand pour amant,
et se dit qu’elle peut se permettre d’avoir un amant de coeur. Si elle finit par céder à la
volonté du père Duval, c’est parce qu’elle comprend qu’elle ne serait jamais acceptée dans le
milieu social d’Armand, et qu’elle lui fait tort en restant auprès de lui. Sa présence allait
fermer les portes des amis et de la famille d’Armand, et elle ne veut pas qu’il sacrifie tout
cela pour elle. Dans cette partie du film, elle est vraiment devenue une autre femme, une
victime de ses propres émotions, avec de tout autres priorités qu’avant. Dans la scène de
trépas, elle dit à Armand:
‘Marguerite
-Perhaps it’s better if I live in your heart, where the world can’t see me. If I’m
dead, there’ll be no stain on our love.’ 154
153
154
Cukor (1936), 66’40.
Cukor (1936), 1:43’20.
83
Cette fin est présentée comme une fin positive: leur amour est désormais accepté, parce que
Marguerite n’est plus là et ne forme plus un obstacle pour Armand pour vivre dans son
propre milieu. Marguerite ne voulait plus vivre sans Armand: elle n’attendait que son retour
pour mourir.
Comme je l’ai déjà dit, on trouve dans ce film quelques changements dans l’histoire.
On y retrouve par exemple la scène d’une vente, mais ce n’est pas la vente de Marguerite,
mais d’une autre courtisane; Marguerite et Armand y assistent tous les deux. Armand
propose d’acheter un tome de Manon Lescaut pour l’anniversaire de Marguerite. Armand lui
raconte que Manon meurt à la fin de l’histoire; Marguerite lui répond, étant prévoyante:
‘However, we all die. So perhaps this will be sold again someday at an auction
after my death.’ 155
Cette citation est aussi une référence au roman de Dumas, dans lequel il s’agit en effet de la
vente de Marguerite où Armand rachète le tome de Manon Lescaut qu’il lui avait donné. Un
autre changement est la première rencontre entre Armand et Marguerite. Prudence a
arrangé un rendez-vous entre Marguerite et le baron de Varville. Marguerite confond Armand
avec le baron de Varville; quand elle s’aperçoit de son erreur, Armand est offensé parce qu’il
est apparemment pas assez riche pour Marguerite. Marguerite lui envoie acheter des
bonbons; quand il revient, elle est partie avec le baron de Varville. Cette scène nous montre
l’importance d’un nom et de l’argent pour une courtisane. Elle est enchantée de faire la
connaissance d’Armand et se félicite déjà parce qu’il est tellement beau; mais quand elle
découvre qu’il n’est pas le baron, il devient clair que ce n’est que sa fortune qui compte pour
elle.
De ces quatre films, il s’agit ici peut être de la version la plus moraliste de l’histoire,
qu’on peut voir surtout dans le récit du père Duval. Il insiste sur l’importance du mariage,
des liens de parenté, de la respectabilité, de la dignité. La réunion familiale de la famille
Duval, à l’honneur de la première communion d’une des sœurs d’Armand et des fiançailles
d’une autre sœur, nous montre ce monde si différent de celui de Marguerite. Cette
représentation était conforme au goût conservateur du public américain. Ici, nous voyons
encore une fois comment l’histoire est adaptée pour être au goût du public.
155
Cukor (1936), 22’00.
84
La Dame aux Camélias
En 1981, Isabelle Huppert joue Marie Duplessis dans le film La Dame aux Camélias de Mauro
Bolognini,156 basé non sur le roman de Dumas fils mais sur le livre de Bertrand PoirotDelpech, dans lequel il fait une reconstruction de la vie de Marie Duplessis: Marie Duplessis,
‘la Dame aux Camélias’: une vie romancée.157 Poirot-Delpech avoue dans la préface de son
livre que celle-ci n’est qu’une version possible de la vie de Marie Duplessis; il s’agit donc
plutôt d’une histoire fictive contenant de nombreux éléments historiques. Le but de PoirotDelpech était de raconter une histoire plus réaliste et moins romantique et idéalisée de la vie
d’une courtisane, et c’était sans doute aussi le but de Bolognini en réalisant ce film; le but
n’était pas de faire un relevé historiquement correct. Poirot-Delpech dit du film:
‘Il n’a qu’un rapport épisodique avec l’œuvre de Dumas, et lointain avec la
vérité historique. Il prend une liberté de taille: au lieu de faire mourir le père de Marie
Duplessis quand elle a quinze ans, comme l’indiquent toutes les sources, il le laisse
vivre, et survivre à sa fille. Le colporteur de Nonant devient témoin, complice,
profiteur, de la prostitution de sa fille. (…)’ 158
Le personnage du père joue donc un rôle important dans cette version; en fait, il joue un
rôle bien plus important que Dumas fils et les autres amants de Marie. Il est aussi le seul qui
reste dans cette version de l’histoire presque toujours près d’elle. Ce qui est remarquable est
qu’il y a de différences essentielles entre le livre de Poirot-Delpech et le film; il y a en fait
presque pas de scènes qui sont prises littéralement du livre et il y a de nombreux
changements de noms. L’homme qui ‘achète’ Alphonsine de son père par exemple, s’appelle
Bernier au lieu de Plantier. Comme cette partie de l’histoire de Poirot-Delpech était
probablement pas très bien documentée – il n’y a presque pas de documents sur l’enfance
d’Alphonsine – ce changement de nom n’a pas trop d’importance. Dans le film, on ne
retrouve pas la sœur d’Alphonsine, Delphine; mais on retrouve quand même ce nom, parce
que la servante du pasteur s’appelle Delphine. Naturellement, il y a des éléments de l’histoire
de Poirot-Delpech qu’on ne retrouve pas dans le film – par exemple la visite qu’Alphonsine
rend à sa grand-mère - la mère de sa mère morte - qui est une comtesse. On a aussi ôté la
liaison entre Marie et Dumas père, peut-être parce que cet élément était jugé trop choquant
ou dégoûtant pour le public. Dans le livre de Poirot-Delpech, Marie assiste à la mort du
156
157
158
http://mjf.missouristate.edu/faculty/wang/ih/career/1981_camelias.htm.
Poirot-Delpech (1981).
Poirot-Delpech (1981), p. 13.
85
comte Stackelberg, qui a vendu tout ce qu’il avait pour elle. Dans le film, le comte
Stackelberg lui dit adieu peu avant la mort de Marie ‘parce qu’il ne veut pas voir mourir sa
fille pour la deuxième fois.’
La différence essentielle entre ce film et les autres films est que celui-ci prétend être
une sorte de documentaire, qui veut présenter la vie de la courtisane le plus réaliste
possible, avec tous les détails dégoûtants. On ne retrouve point dans ce film le romantisme
des autres films. Ce que le film montre très bien est que quand on a été pauvre, l’argent
reste toujours l’aspect le plus important dans la vie, et les idées sur l’honnêteté semblent
être plutôt hypocrites. On y trouve des idées plutôt naturalistes. Le film ne critique pas les
actes des personnages, mais nous montre que les gens qui sont nés dans le ruisseau y
finiront, et qu’il y aura toujours une différence essentielle entre les riches et les pauvres.
Qu’Alphonsine est condamnée dès le début du film, on peut le déduire de la musique
accompagnant le film, qui reste toujours en mineur, plaintive, à part de la musique des fêtes,
qui sonne faussement gaie. A la fin du film, quand Marin Plessis aborde Dumas fils après la
première réussie de la pièce La Dame aux Camélias, Marin lui dit:
‘Disons que c’est notre dame aux camélias. Quel beau titre! Avec ça, vous
pouvez être sûr que vous toucherez tous les publics. Et vous gagnerez plein de sous,
en plus.’ 159
Cette allusion au succès futur de la pièce est aussi une sorte de reproche à l’adresse de
Dumas fils, parce qu’il a voulu embellir l’histoire et a ignoré les détails sordides de la vie de
Marie Duplessis. C’est en fait cette citation qui nous montre la différence de contenu entre
l’histoire de Dumas fils et ce film. On n’aurait jamais pu publier au XIXième siècle une histoire
comme l’ont fait Poitot-Delpech et Bolognini. Le film aussi est un produit de son temps en
voulant choquer son public en insistant justement sur les éléments obscènes et en les
exagérant. Le film montre le curé qui se noue pour avoir été séduit par la jeune Alphonsine;
qu’elle se montre nue à les amis de son amant, Agénor, puisqu’ils allaient tous finir dans son
lit tôt ou tard; que Marie, vêtue de blanc, vient à l’abattoir boire du sang frais d’une vache
qu’on vient de tuer, comme traitement contre la tuberculose; mais aussi que la tuberculose
est, contrairement à l’image idéalisé qu’on retrouve dans la littérature du XIXième siècle, une
maladie qui pue, qui étouffe, qui donne des maux extrêmes, qui cause une mort affreuse
trempé de sang au lieu de la mort douce que Dumas fils nous raconte. En fait,
l’interprétation d’Angela Gheorghiu dans la production de La Traviata dont j’ai parlé, est, en
159
Bolognini (1981), vers la fin du film.
86
étant également une interprétation moderne, plus proche de la scène de mort montré dans
ce film. Dans le film, on renforce encore le contraste en montrant la scène de trépas
romantique de la pièce directement après la mort ‘réaliste’ de Marie Duplessis. Ce film a
clairement été fait pour un tout autre public que les deux versions hollywoodiennes traitées
en haut.
Huppert est une Marie Duplessis qui a l’air de n’éprouver guère d’émotions. Au début,
elle est une fille qui est naïve et expérimentée à la fois; en étant courtisane elle a l’air
indifférent et fatigué du monde. L’amour de Dumas fils et aussi leur séjour à la campagne –
à Nonant, son village natal – n’ont pas d’influence sur son attitude. Elle est donc très
éloignée de l’image que Dumas fils nous donne d’elle dans son œuvre, comme elle l’est de
l’image que la littérature du XIXième siècle nous donne de la courtisane en général.
Ce qui a été retenu de l’histoire de Dumas fils est le récit encadré: Dumas fils nous
raconte, pendant la première de sa pièce de théâtre, la ‘vraie’ histoire. Ce récit est
cependant loin du récit encadré du roman: l’histoire qui va suivre contient beaucoup
d’éléments que Dumas ne pouvait pas connaître, il n’est donc pas très vraisemblable que ce
soit lui qui parle. Un autre élément, déjà mentionné par Poirot-Delpech, est Marin Plessis qui
prend une place importante dans l’histoire, entre autres la place de Duval père en insistant
que Marie quitte Dumas fils. Dans son argumentation, il n’est même pas question du bienêtre de Dumas fils; c’est que les créanciers de Marie sont devenus impatients, que le comte
Stackelberg ne veut donner son argent qu’à lui en personne, et qu’il y quelqu’un d’autre qui
l’attend à Paris… à savoir Franz Liszt. Après son retour à Paris, son état de santé s’aggrave.
Quand elle va une dernière fois au théâtre, elle est déjà délirante et croit voir Bernier, qui la
salue. En quittant en toute hâte le théâtre, son mari, le comte de Perrégaux, lui court après
et propose de l’aider. Elle le repousse. Ce n’est que son père qui est resté auprès d’elle
quand elle meurt.
Ce film diffère des autres films sur de nombreux points. L’histoire étant basée sur une
reconstruction de la vie de Marie Duplessis, le film veut donc présenter le thème d’une
manière plus réaliste que les films basés sur l’œuvre de Dumas fils, mais aussi d’une manière
plus choquante, montrant tous les détails obscènes et repoussants de sa vie et de sa mort.
Ce film a été fait pour un tout autre public que les deux premiers films, pour un public qui
était habitué à cette forme de réalisme choquant. En voulant raconter l’histoire d’une autre
perspective, le réalisateur a réussi à adresser un nouveau public.
87
Moulin Rouge!
J’ai déjà mentionné dans ce chapitre le film Moulin Rouge! de Baz Luhrmann – à ne pas
confondre avec le film Moulin Rouge de John Huston de 1952, qui traite de la vie de
Toulouse-Lautrec. L’histoire est basée sur les opéras La Bohème de Puccini, Orphée aux
Enfers de Offenbach et notamment La Traviata de Verdi. On voit même des aspects de la vie
de Dumas qu’on ne retrouve pas dans La Traviata; le héros, Christian (joué par Ewan
McGregor), est par exemple un pauvre écrivain, comme Dumas fils. Le musical, utilisant des
chansons populaires d’entre autres Madonna, Elton John, Nirvana et Queen, a été filmé
comme un clip vidéo, pour pouvoir s’adresser à la ‘génération MTV’. L’histoire se situe en
1899, dans le cabaret fameux Moulin Rouge. L’héroïne Satine (jouée par Nicole Kidman) – un
nom qui est peut-être inspiré par la courtisane Satin dans Nana de Zola – est une courtisane
qui est la vedette du cabaret le Moulin Rouge. Zidler, le directeur du Moulin Rouge, organise
un rendez-vous entre elle et le duc (the Duke) pour lui persuader à investir dans un nouveau
spectacle qu’ils veulent présenter dans le Moulin Rouge et dont Satine sera la vedette. Satine
veut devenir une vraie actrice au lieu d’une danseuse du cabaret. Détail intéressant: son
idole est Sarah Bernhardt, la plus fameuse interprétatrice du rôle de La Dame aux Camélias.
Christian, un écrivain anglais jeune et pauvre, est adopté par Toulouse-Lautrec et ses amis
bohémiens, qui se sont surnommés ‘les Enfants de la Révolution’. Ils sont en train de créer
un spectacle intitulé ‘Spectacular, spectacular’ et eux aussi veulent un entretien avec Satine.
Christian est confondu avec le duc; une scène qui semble être prêté à la version de Cukor.
Christian tombe amoureux de Satine, et elle aussi dit qu’elle l’aime. Juste après qu’elle a
découvert que Christian n’est pas le duc, le vrai duc entre et Christian doit se cacher. Satine
lui raconte le spectacle. Quand le duc est parti, Christian convainc Satine de son amour. Le
duc rentre et les surprend. A l’aide de Toulouse et de ses amis, ils donnent une présentation
improvisée et chaotique du spectacle. Le duc veut investir dans le spectacle, mais pour cela,
il veut avoir le droit exclusif au ‘services’ de Satine. Pendant les répétitions, la liaison entre
Satine et Christian continue sans que le duc le sache. Quand le duc découvre la liaison,
Satine veut partir avec Christian, mais Zidler l’en empêche, en lui disant qu’elle va bientôt
mourir. Le duc menace de faire assassiner Christian s’il se montre encore. Satine quitte
Christian pour le sauver du duc, en prétendant qu’elle ne l’aime plus. Christian vient quand
même à la première du spectacle, il veut la ‘payer pour ses services’. A l’aide d’une chanson
qui symbolise leur amour éternel ils découvrent qu’ils s’aiment encore: le spectacle fini,
Satine meurt sur scène, dans les bras de Christian.
Un aspect intéressant est qu’il y a dans ce film plusieurs récits encadrés. Il y a
Toulouse-Lautrec, déguisé, qui introduit et conclut l’histoire; il y a Christian qui nous raconte
88
l’histoire, pendant qu’il l’écrit sur sa machine à écrire; et finalement, il y a le spectacle, qui
symbolise l’histoire de Christian et Satine. Il s’agit donc ici, comme chez Dumas, du pauvre
écrivain qui écrit sa propre histoire d’amour.
Zidler, le directeur du Moulin Rouge, prend ici le rôle du père Duval, en insistant que
Satine quitte Christian, il le fait une première fois quand il découvre leur affaire, et puis
encore une fois quand le duc menace d’assassiner Christian:
‘ZIDLER
-Are you mad? The Duke holds the deeds to the Moulin Rouge. He is spending a
fortune on you. (…) He wants to make you a star. And you are dallying with the
writer!
SATINE
-Harold, don’t be ridiculous…
Z. -I saw you together!
S. -It’ nothing. It’s just an infatuation. It’s nothing.
Z. -The infatuation will end. Go to the boy. Tell him it’s over. The Duke is expecting
you in the tower at eight.’ 160
Dans la deuxième citation, on retrouve l’idée qu’on trouve aussi dans La Dame aux Camélias,
que Christian acceptera la fin de leur affaire seulement s’il croit que Satine ne l’aime plus:
‘ZIDLER
-Send Christian away. Only you can save him.
SATINE
-He’ll fight for me.
Z. -Yes. Unless he believes you don’t love him
S. -What?
Z. -You’re a great actress, Satine. Make him believe you don’t love him.
S. -No.
Z. -Use your talent to save him. Hurt him. Hurt him to save him. There is no other
way. The show must go on, Satine. We’re creatures of the underworld. We can’t
afford to love.’ 161
160
161
Luhrmann (2001), dvd 1, 53’00
Luhrmann (2001), dvd 2, 24’00
89
Il y a quand même une grande différence entre le récit du père Duval et ceux de Zidler: il
n’est pas question ici d’un acte de sacrifice à l’intérêt de quelqu’un d’autre. Si Satine accepte
à quitter Christian, c’est pour lui sauver littéralement la vie et non parce qu’elle trouve que
ce sera mieux pour elle et Christian, l’argument dont Zidler a voulu la convaincre. Zidler
utilise aussi l’argument que les gens comme elle et lui n’ont pas le droit d’être amoureux,
une idée qu’on trouve aussi dans La Dame aux Camélias, et dont Satine est aussi convaincu
au début de l’histoire:
‘CHRISTIAN
-Before, (…) when you thought I was the Duke, you said that you loved me, and I
wondered…
SATINE
-If it was just an act?
C. -Yes.
S. -Of course!
C. -It just felt… real.
S. -Christian, I’m a courtesan. I’m paid to make men believe what they want to
believe.
C. -Silly of me to think that you could fall in love with someone like me.
S. -I can’t fall in love with anyone.
C. -You can’t fall in love? But life without love, that’s terrible!
S. -Being on the street, that’s terrible.
C. -No, love is like oxygen. (…) All you need is love!’ 162
Christian lui fait changer d’avis, qu’on peut voir un peu plus tard dans l’histoire, quand elle
récite presque littéralement ce qu’il lui a dit:
‘CHRISTIAN
-Madly jealous, the evil maharaja forces the courtesan to make the penniless sitar
player believe she doesn’t love him. ‘Thank you for curing me of my ridiculous
obsession with love,’ says the penniless sitar player, throwing money at her feet and
leaving the kingdom forever. (…)
SATINE
-But a life without love… that’s terrible!’ 163
162
Luhrmann (2001), dvd 1, 46’00
90
Dans ce fragment, on retrouve aussi une scène qu’on a prêtée littéralement à la pièce de
Dumas, à savoir celle dans laquelle Armand, après que Marguerite l’ait quitté, jette l’argent
qu’il a gagné au jeu aux pieds de Marguerite. Il s’agit d’une idée de Christian pour leur
spectacle; on retrouvera cette scène encore une fois à la fin du film, quand Christian vient
‘payer’ Satine: ‘I’ve come to pay my bill.’ 164 Aussi la tuberculose dont Satine souffre est un
élément pris de La Traviata. La maladie est très présente dans le film, Satine s’évanouit
plusieurs fois, a des crises, crache du sang et elle a des sueurs; quand même, elle ne se
réalise pas qu’elle va mourir qu’après que Zidler le lui a dit. Ce n’est donc qu’à la fin de
l’histoire que la maladie prend le rôle fataliste qu’il a dès le début dans l’histoire originale et
dans les autres films. Satine, qui est au début une femme intelligente et raisonnable mais qui
ne se permet pas d’avoir des émotions, est morte, juste au moment où elle a commencé à
vivre grâce à l’amour de Christian. Un autre élément qui est très présent dans ce film est la
jalousie, aussi bien celle de Christian que celle du duc, qui est un facteur inéluctable dans
une relation avec une courtisane. L’amour entre Satine et Christian cependant paraît
surmonter cette jalousie.
Un changement dans l’histoire qu’on a fait pour l’adapter à notre temps, est le fait
que ce ne sont pas l’argent et le luxe, mais sa carrière d’actrice qui est le plus important
pour Satine. Cette carrière représente pour elle son indépendance, comme l’argent
représentait l’indépendance pour Marguerite. Pour nous, le personnage d’une courtisane a
l’air insensible, mais au XIXième siècle, c’était une manière pour une femme de mener sa
propre vie, de régler ses propres comptes. Il est pour un public moderne sans doute plus
facile de s’identifier avec le personnage de Satine, même si la situation n’est pas très
vraisemblable d’un point de vue historique. Pour une grande partie des chanteuses et
danseuses des cabarets, ce travail n’était qu’un moyen de trouver des amants riches. Satine
est plutôt une femme moderne, qui est dégoûtée des choses qu’elle doit faire pour obtenir
ce qu’elle veut. Mais pour Satine comme pour Marguerite, tomber amoureuse n’est pas
avantageux pour les affaires.
Luhrmann a prêté beaucoup d’attention aux éléments qui devaient assurer que le film
était au goût d’un public moderne et surtout au goût des jeunes. Il utilise de la musique et
de la danse pop et rock et tout le film est filmé comme un clip vidéo. Luhrmann raconte dans
son commentaire du film qu’il voulait que ce film fasse la même impression sensationnelle au
spectateur que le Moulin Rouge le faisait à son public en 1899. Pour obtenir cet effet, il a
163
164
Luhrmann (2001), dvd 1, 53’00
Luhrmann (2001), dvd 2, 36’00
91
beaucoup exagéré l’intensité de la musique, de la danse, du tumulte; les images s’alternent
d’une vitesse extrême. La représentation du personnage de la courtisane est également
modernisée: il s’agit vraiment d’une femme ‘carriériste’ qui découvre que l’amour est peutêtre plus important que sa carrière.
Tous les films ont été faits pour un autre public et pour un autre temps. Les
réalisateurs ont utilisé de différentes tactiques pour mettre à jour l’histoire. Dans Camille
(1921), l’histoire est présentée dans le présent, avec de la musique, des décors et des
costumes modernes. Dans l’autre Camille (1936), on utilise le cadre original, mais on trouve
l’esprit conservateur de l’époque dans la présentation de l’histoire. La Dame aux Camélias
(1981) aussi utilise le cadre original, mais veut nous montrer l’histoire ‘véritable’ au lieu de la
version romantique de Dumas fils. L’histoire a également été filmée d’une manière très
réaliste et choquante, parce qu’elle était destinée à un public moderne. Dans Moulin Rouge!
(2001), la musique et la danse moderne sont essentielles, tout comme dans Camille (1921),
mais intégrées dans un cadre du XIXième siècle. Le plus remarquable est le fait que la
représentation de la courtisane est toujours adaptée à l’air du temps. L’histoire elle-même
cependant est toujours restée essentiellement la même. Le fait que l’histoire et le
personnage de Marguerite se prêtent à des interprétations tellement différentes nous donne
une des clés de son succès. Il est toujours possible de faire une nouvelle version de La Dame
aux Camélias qui peut plaire à un nouveau public. L’histoire a donc une certaine valeur
intemporelle. Nous avons vu que l’histoire a été présentée dans de différents médias, qui
l’ont adaptée pour de différentes sortes de public. Ces versions ont énormément élargi la
portée de l’histoire. Les réactions critiques à l’œuvre au XIXième siècle, comme celles que j’ai
traitées dans la première partie du chapitre, n’ont pas eu beaucoup d’influence sur les
œuvres créées au XXième siècle. L’argument qu’un public moderne n’est plus capable de
comprendre le personnage d’une courtisane, parce qu’il n’y a plus de courtisanes de nos
jours, ne semble pas être valable: comme nous avons vu dans ce chapitre, l’histoire a été
transformée conforme au goût du public. Il y a d’un côté des versions modernes pour
lesquelles on a trouvé des versions contemporaines de la courtisane; de l’autre côté il y a
des versions ‘historiques’, se situant dans le XIXième siècle, avec de ‘vraies’ courtisanes, et le
public a toujours compris la situation et les relations entre les personnages, même si souvent
le réalisateur n’a pas trouvé nécessaire d’expliquer le phénomène de la courtisane au XIXième
siècle; Luhrmann présente son héroïne également comme étant une courtisane, présumant
que même un public jeune en comprendrait la signification. Cette argumentation est encore
renforcée par le nombre immense d’œuvres inspirées par La Dame aux Camélias. S’il n’y
92
avait pas eu un public pour ces œuvres, ou si le public ne les aurait pas comprises, elles
n’auraient jamais été créées.
93
Conclusion
Dans ce mémoire, j’ai montré que La Dame aux Camélias a connu une popularité
extraordinaire pour une œuvre littéraire d’une ampleur modeste, écrite par un auteur jeune
et inexpérimenté. Nous avons vu aussi qu’à la base de cette popularité se trouvent beaucoup
de différents aspects, qui ont assuré non seulement le succès direct mais aussi la popularité
durable de l’histoire.
Rien d’étonnant à ce que, dans la littérature du XIXième siècle, la courtisane fut très
populaire comme personnage, comme je l’ai montré dans le relevé de la courtisane dans la
littérature. Elle était très présente dans la vie culturelle, et elle frappait l’imagination avec le
luxe dont elle s’entourait. C’était également un sujet qui provoquait le scandale, ce qui était
presque une garantie pour l’attention du public. Cependant, de toutes ces histoires de
courtisanes, il n’y en a guère qui ont connu une popularité comparable à celle du roman de
Dumas fils. Il y a plusieurs aspects qui ont fait que La Dame aux Camélias se faisait
remarquer.
Un élément qui était essentiel pour la popularité immédiate de l’œuvre, était le
scandale que Dumas fils a provoqué en choisissant pour personnage une courtisane et en
dévoilant le petit monde des courtisanes et de leurs amants riches. Comme toujours, le
scandale, la censure et l’intérêt des médias qui en résulte ont évoqué un immense intérêt du
public pour l’histoire, et dans ce cas encore plus que d’habitude, parce qu’il s’agissait de la
description d’une vraie personne.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre traitant de Marie Duplessis, l’inspiration de
Dumas, le personnage de la Dame aux Camélias n’est pas seulement basé sur une vraie
personne, mais sur une personne célèbre en plus; les lecteurs et spectateurs au XIXième siècle
étaient curieux à savoir comment elle vivait, comme on veut de nos jours également tout
savoir sur les vies des célébrités à la mode. Bien que l’histoire soit pour une grande partie
fictive, peu à peu l’histoire de Dumas fils devenait pour beaucoup des gens la version ‘vraie’.
Les œuvres de Dumas fils et l’histoire vraie se sont mêlés pour former le mythe autour de La
Dame aux Camélias. Dumas a attribué à cela en écrivant d’un style qui donne l’impression
d’être réaliste, en donnant beaucoup de détails et en faisant de Marguerite un ‘round
character’, mais qui, en même temps, idéalise le personnage de la courtisane; nous avons vu
dans le chapitre traitant la représentation de la courtisane dans La Dame aux Camélias, que
cette représentation n’était pas celle qui était habituellement utilisée en décrivant une
courtisane. Si elle avait été décrite avec tous ses défauts et sans laisser un peu de mystère,
en faisant d’elle une courtisane ‘typique’ comme on le trouve dans beaucoup d’autres
94
œuvres littéraires au XIXième siècle, le monde n’aurait pas été tellement fasciné par elle. C’est
donc la manière dont Dumas fils a représenté la courtisane qui était une des raisons de la
popularité de l’œuvre. En lui donnant le surnom la Dame aux Camélias, qui est devenu plus
connu que les noms de Marguerite Gautier et Marie Duplessis, Dumas a encore renforcé le
mythe, en insinuant qu’elle était déjà de sa vie un mythe. Ce surnom de Marguerite est
devenu également celui de Marie, et les deux personnes sont devenues une seule dans
l’imagination du public.
Nous avons vu dans le chapitre qui traite des œuvres basées sur l’histoire de Dumas
que l’histoire se prête très bien pour le théâtre, ce qui est une autre raison pour sa
popularité. On y trouve quelques scènes tellement fortes qu’on n’a jamais cessé à les
reprendre et adapter pour des versions théâtrales nouvelles. La scène dans laquelle Armand
est le seul à rester auprès de Marguerite quand elle a un fort accès de toux, pendant que ses
autres invités continuent à s’amuser, est une de ces scènes; aussi la scène de la
confrontation entre le père d’Armand et Marguerite est une des scènes les plus expressives,
qu’on revoit dans presque toutes les adaptations. La scène de trépas finalement, assurait le
triomphe pour la plupart des actrices qui l’ont jouée; il s’agit donc d’un rôle populaire, pour
les actrices comme pour les cantatrices.
Verdi, le compositeur d’opéra italien, était un des premiers à se laisser inspirer de
l’histoire pour faire son opéra La Traviata. J’ai montré dans le chapitre traitant de Verdi, qu’il
avait plusieurs raisons pour choisir La Dame aux Camélias. Premièrement, il se laissait
souvent inspirer par la littérature française, et le fait qu’il passait à cette époque une grande
partie de son temps à Paris lui permettait d’être à la hauteur de tout ce qu’il y avait de
nouveau dans les théâtres français. En plus, Verdi s’opposait à la tradition de choisir pour les
opéras des sujets historiques, parlant des rois et des reines, ou des sujets basés sur la
mythologie classique. Il avait une préférence pour des sujets parlant des problèmes sociaux
et de différentes classes sociales, ce qui s’explique par le fait que Verdi venait d’un milieu
pauvre et s’est toujours senti concerné par le peuple. L’histoire de La Dame aux Camélias lui
convenait à merveille: il s’agissait d’une histoire contemporaine, avec des personnages
venant de différentes classes sociales qui étaient pour cette époque présentés d’une manière
très vraisemblable. Il était inspiré par le réalisme français, mais aussi par l’esprit du siècle en
Italie, par les idées de Mazzini et le Risorgimento. Le dernier acte de La Traviata est
considéré comme un des premiers exemples du verismo dans l’opéra italien, bien qu’à cette
époque-là, le verismo n’avait pas encore trouvé sa forme définitive. Les idées innovatrices de
Verdi ont sans doute contribué au développement du versimo dans l’opéra. L’analogie entre
l’histoire et la vie de Verdi lui-même, qui vivait à cette époque en ménage, sans être marié,
95
avec une femme qui, tout comme Marguerite, n’avait pas eu une mode de vie irréprochable,
est peut-être une autre raison pour laquelle Verdi a pu s’identifier avec l’histoire. Toutes ces
circonstances ont contribué au fait que Verdi l’a choisi pour faire La Traviata, l’œuvre qui
était la première à assurer la popularité internationale de l’histoire.
Nous avons vu dans les chapitres traitant de la réception des œuvres et des autres
œuvres basées sur l’histoire, que les interprètes du personnage de La Dame aux Camélias
ont également beaucoup attribué au succès; notamment Sarah Bernhardt dans le rôle de
Marguerite dans la pièce de théâtre, Greta Garbo dans ce même rôle dans un des films les
plus appréciés sur l’histoire, et Maria Callas dans le rôle de Violetta dans l’opéra, parce que
toutes ces femmes sont devenus légendaires elles-mêmes.
L’aspect qui est à mon avis le plus important quand il s’agit de la popularité durable
est le fait que l’histoire, dans toutes les différentes versions traitées dans le dernier chapitre,
s’adapte très facilement au goût d’un nouveau public. Un argument contre cette valeur
intemporelle de l’histoire aurait pu être qu’il n’y a plus de courtisanes de nos jours et que le
public contemporain ne comprend donc plus les personnages. Le nombre incroyable
d’adaptations de l’histoire, des pièces de théâtre, des ballets et surtout des films, qui ont
étés faits au cours du XXième siècle réfute cet argument. Apparemment, le public
contemporain est encore très bien capable de comprendre les pensées, les actes et les
sentiments d’une courtisane du XIXième siècle. L’histoire de la courtisane se prête aussi bien
pour une interprétation romantique que pour une interprétation plus réaliste et plus
confrontant. On a vu dans le dernier chapitre que la représentation de la courtisane est
devenue moins moraliste au cours du temps, et qu’on met, dans les versions et les
interprétations modernes, plus l’accent sur la misère dans laquelle elle vivait et sur les
souffrances que lui donnait sa maladie.
Nous avons vu qu’à la base de la popularité de La Dame aux Camélias, il y a de
nombreux différents aspects. D’un côté, le thème provoquait le scandale, les gens étaient
curieux à savoir comment vivait la courtisane Marie Duplessis, ce que Dumas fils décrit d’une
façon assez réaliste; le changement dans le caractère de la courtisane au cours de l’histoire
fait que le public s’identifie avec elle. De l’autre côté, le personnage était suffisamment
idéalisé et mystifié pour produire le mythe de La Dame aux Camélias. La valeur intemporelle
de l’œuvre se trouve aussi dans le fait que l’histoire se prête très bien à de différentes
interprétations, ce qui donne la possibilité de l’adapter au goût de chaque public et à chaque
époque. On voit cet aspect également dans l’opéra La Traviata, qui n’a pas seulement assuré
le succès international, mais qui en plus, lui aussi, se prête très bien aux mises en scènes
modernes. La Dame aux Camélias connaît quelques scènes très fortes qu’on retrouve dans
96
presque toutes les adaptations et dans tous les médias. Il sera intéressant de voir comment
on adaptera l’histoire dans l’avenir, parce qu’il est sûr qu’il y en aura des nouvelles versions:
la Dame aux Camélias aura sans doute encore beaucoup d’autres visages.
97
Bibliographie
-Barrère, J.-B., (1952), Hugo, Hatier, Paris
-Baubérot, J., (2000), Histoire de la laïcité en France, Presses Universitaires de France, Paris
-Bernhardt, S., (1907), Mémoires de Sarah Bernhardt – Ma double vie, Librairie Charpentier
et Fasquelle, Paris
-Budden, J., (1985), The Master Musicians – Verdi, J.M. Dent & Sons Ltd, London/Melbourne
-Cesari, G. et Luzio, A., (1913), I Copialettere di Giuseppe Verdi, Arnaldo Forni Editore,
Milano / Bologna
-Claretie, J., (1882), Célébrités contemporaines – Alexandre Dumas fils, Imprimerie - librairie
A. Quantin, Paris
-Conrad, P., The eternal woman, dans New Statesman, le 12 avril 2004, p. 40-41
-Crane, R. A., (1976), The courtisane character in the nineteenth-century French novel from
Balzac to Zola, University of North Carolina, Chapel Hill
-Dumas, A. (fils), (1867), Théâtre complet, I et VIII, Calmann-Lévy Éditeurs, Paris
-Dumas, A. (fils), e. a., (1848/1852/1981), La Dame aux camélias – le roman, le drame, la
traviata (RTL), Flammarion, Paris
-Felsenstein, W., e. a., (2003), Verdi – La Traviata, Nationale Reisopera, Enschede
-Flaubert, G., (1869/1993), L’éducation sentimentale – histoire d’un jeune homme, Bookking
International, Paris
-Gold, A. et Fizdale, R., (1991), The divine Sarah – a life of Sarah Bernhardt, Alfred A. Knopf,
New York
98
-Gun, W. H. van der, (1963), La courtisane romantique et son rôle dans la comédie humaine
de Balzac, Van Gorcum, Assen
-Hugo, V., (1985), Victor Hugo – Œuvres complètes – Théâtre I, Editions Robert Laffont,
Paris
-Issartel, C., (1981), Les Dames aux camélias – de l’histoire à la légende, Chêne Hachette,
Paris
-Kimbell, D. R. B., (1981), Verdi in the age of Italian romanticism, Cambridge University
Press, Cambridge
-Kranowski, N., (1968), Paris dans les romans d’Émile Zola, Presses universitaires de France,
Paris
-Lascar, A., La courtisane romantique (1830-1850): solitude et ambiguïté d’un personnage
romanesque, dans Revue d’histoire littéraire de la France, juillet/août 2001, p. 1193-1215
-Lucot, Y.-M., (1997), Dumas – Père et fils, Editions la Vague verte, Woignarue
-Lyonnet, H., (1930), La Dame aux Camélias de Dumas Fils, Société Française d’Éditions
Littéraires et Techniques, Paris
-Martin, G., (1965), Verdi – His Music, Life and Times, Macmillan & Co LTD, London
-Osta, J. van, (1989), Geschiedenis van het moderne Italië – Tussen liberalisme en fascisme,
Nijgh & Van Ditmar Universitair, ‘s-Gravenhage
-Phillips-Matz, M. J., (1993), Verdi – a biography, Oxford University Press, New York
-Poirot-Delpech, B., (1981), Marie Duplessis, ‘la Dame aux Camélias’: une vie romancée,
Éditions Ramsay, Paris
-Pougy, L. de, (1941/1977), Mes cahiers bleus, Plon, Paris
99
-Pullen, K., (2005), Actresses and Whores – On Stage and in Society, Cambridge University
Press, Cambridge
-Rosselli, J., (2000), The life of Verdi, Cambridge University Press, Cambridge
-Sand, G., (1846/1990), Isidora, Editions des femmes, Paris
-Saunders, E., (1954), La dame aux camélias et les Dumas (traduit en français), Correa,
Paris
-Seillière, E., (1921), La morale de Dumas Fils – l’évolution passionnelle dans le Théâtre
contemporain, Librairie Félix Alcan, Paris
-Sontag, S., (1977), Illness as Metaphor, Farrar, Strauss and Giroux, New York
-Wilson, H., (1825/1960), Mistress of many – The memoirs of Harriette Wilson (ed. Par M.
Marquis), Bestseller Library, London
-Zola, E., (1865/1928), Les œuvres complètes de Zola – I. La confession de Claude II. Le
vœu d’une morte, François Bernouard, Paris
-Zola, E., (1978), Émile Zola – Correspondance - I. 1858-1867, Éditions du Centre National
de la Recherche Scientifique, Paris
-Zola, E., (2002), Émile Zola, Œuvres complètes - tome 1, les débuts: 1858-1865, Nouveau
Monde Éditions, Paris
-Zucker, A. E., et Henderson, P., Camille as the translation of La dame aux camélias, dans
Modern Language Notes, novembre 1934, p. 472-476
Films
-Bolognini, M., (1981), La Dame aux Camélias, Gaumont
100
-Cukor, G., (1936), Camille / Le roman de Marguerite Gautier, Warner Bros. Entertainment
-Eyre, R., (1994), La Traviata (Solti, Gheorghiu, Lopardo), Covent Garden Pioneer FSP /
Decca Music Group
-Luhrmann, B., (2001), Moulin Rouge, Twentieth Century Fox
-Smallwood, R., (1921), Camille, Warner Bros. Entertainment
Sites internet
-http://books.google.nl/books?id=mdJdYslEkBUC&pg=PA497&lpg=PA497&dq=heartsease+j
ames+mortimer&source=web&ots=KLTn48Spfx&sig=PpxWI0cDgME7R4BRvFunTksAqN8&hl
=nl&sa=X&oi=book_result&resnum=4&ct=result, Heartsease, consulté en septembre 2008
-http://en.wikipedia.org/wiki/Alla_Nazimova, consulté en juillet 2008
-http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_2000, consulté en juillet 2008
-http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%28Barton_film%29, consulté en 12008
-http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281936_film%29, consulté en juillet 2008
-http://en.wikipedia.org/wiki/Leila_Mourad, consulté en août 2008
-http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_Legrand, Marguerite The Musical (2008), consulté en
novembre 2008
-http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias, consulté en juillet 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9mastock, consulté en mai 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Ashton, consulté en juillet 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Lefebre, consulté en septembre 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Belle_Otero, consulté en mai 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dame_aux_cam%C3%A9lias, consulté en juillet 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/Liane_de_Pougy, consulté en mai 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/Lola_Montez, consulté en mai 2008
-http://fr.wikipedia.org/wiki/Maire_Duplessis, consulté en mai 2008
-http://mjf.missouristate.edu/faculty/wang/ih/career/1981_camelias.htm, La Dame aux
Camélias (Bolognini), consulté en septembre 2008.
101
-http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9A0DE4D71131E03BBC4E51DFBF66838F659
EDE, consulté en juillet 2008
-http://movies.nytimes.com/movie/review?res=980CE1DD123EE03BBC4850DFB5668383659
EDE, La Traviata /The Lost One (1948), consulté en août 2008
-http://movies.nytimes.com/movie/100548/Lover-of-Camille/overview, New York Times,
consulté en juillet 2008
-http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=940CEED6173CE533A25757C2A9649D946195D6CF&oref=slogin, New
York Times, consulté en juillet 2008
-http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin, New York
Times, consulté en juillet 2008
-http://tvision.whatsonstage.com/index.php?pg=591, Marguerite – the Musical (2008),
consulté en novembre 2008
-http://youtube.com/watch?v=GRWDFY1-zOo&feature=related /
http://www.youtube.com/watch?v=NDhHxIz83Ic, l’Opéra Imaginaire: La Traviata, consulté
en juillet 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=Dr4BvzlvrG0, consulté en juillet 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=DSIz2DWZMbY, Ashton: Marguerite et Armand, consulté
en juillet 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=GNEkiefn9hw&feature=related, Neumeier:
Kameliendame, consulté en 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=G8TGs_RAN3c, La signora delle camelie (2005),
consulté en septembre 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=HtZzllvx0nA, Marguerite – the Musical (2008), consulté
en novembre 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=oQZ-yF0b8z8, Camille (1936), consulté en juillet 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=S7vgh7UoDcQ&feature=related, Neumeier:
Kameliendame, consulté en 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=y8xcL3prGe4, Camille (1921), consulté en juillet 2008
-http://www.youtube.com/watch?v=20tB46GQgIw, Neumeier: Kameliendame, consulté en
juillet 2008
102
-http://www.answers.com/topic/camille-1917-film, consulté en août 2008
- http://www.biribinentertainment.com/camille/hist.htm, Camille (musical, 1996), consulté en
juillet 2008
-http://www.citwf.com/film279192.htm, Primavera (1917), consulté en août 2008
-http://www.deutsches-filmhaus.de/filme_einzeln/t_einzeln/toelle_tom/kameliendame_
die.htm, Die Kameliendame (1978), consulté en août 2008
-http://www.dumaspere.com/pages/oeuvre/filmo_fils.pdf, consulté en août 2008
-http://www.fandango.com/carminegallone/filmography/p90929, La Traviata (1948),
consulté en août 2008.
-http://www.felinebird.co.uk/verismo.shtml, consulté en novembre 2008
-http://www.filmpolski.pl/fp/index.php/126273, Dama Kameliowa (1995), consulté en juillet
2008
-www.giuseppeverdi.it, consulté en avril 2008
-http://www.grattacielo.org/verismo.htm, consulté en novembre 2008
-http://journals.cambridge.org/download.php?file=%2FOPR%2FOPR5_01%2FS0954586700
003876a.pdf&code=cddb0bd8e9c15022a8274c4fdfabca59, consulté en novembre 2008
-http://www.imdb.com/character/ch0031710/, consulté en août 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0000583/, Kameliendamen (1907), consulté en septembre
2008
-http://www.imdb.com/title/tt0010967/, Arme Violetta, consulté en septembre 2008.
-http://www.imdb.com/title/tt0045593/, consulté en août 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0123791/, Deburau (1951), consulté en juillet 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0175890/, Margarita, Armando y su padre (1939), consulté en
août 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0204944/, Cha hua nu (1938), consulté en août 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0212022/, Camille (1909), consulté en août 2008
http://www.imdb.com/title/tt0281960/, Leila, ghadet el camelia (1942), consulté en août
2008
-http://uk.imdb.com/title/tt0342166/, Camille (1912), consulté en août 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0442841/, La Signora delle camelie (2005), consulté en
septembre 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0446373/, Die Kameliendame (1978), consulté en août 2008
-http://www.imdb.com/title/tt0834562/, La Dame aux Camélias (1911), consulté en
septembre 2008
103
Pièce annexe 1:
Résumés complets des oeuvres
Le roman
Pour le roman, Dumas fils a utilisé un récit encadré: l’histoire est racontée par un homme
qui, en visitant la vente des biens d’une courtisane décédée, commence à s’intéresser à la
vie de celle-là et y achète un exemplaire de Manon Lescaut, roman qu’un de ses amants lui
avait donné. Cette courtisane était Marguerite Gautier, une femme qui avait été beaucoup à
la mode il y avait quelques mois. Quelques jours plus tard, un des amants de Marguerite,
Armand Duval, vient rendre visite au narrateur pour demander s’il peut racheter le livre: il
n’a pas pu assister à la vente et n’a donc pas pu obtenir un souvenir d’elle. Il était juste de
retour d’un long voyage à l’étranger et il avait obtenu de Julie Duprat, la femme qui avait
soignée Marguerite pendant ses derniers jours, quelques lettres, qu’elle avait écrit pour lui
pendant ses derniers jours et dans lesquelles elle lui raconte ce qui était la vraie cause de la
fin de leur liaison. Armand demande à notre narrateur de l’accompagner au cimetière; pour
qu’Armand puisse voir Marguerite une dernière fois, il a obtenu la permission de sa sœur
d’exhumer la morte pour l’enterrer dans une concession à perpétuité. Armand tombe malade
à cause de la fatigue et des émotions. Le narrateur lui tient compagnie et Armand
commence à lui raconter l’histoire de sa liaison avec Marguerite.
Un soir, il est allé à l’Opéra Comique en compagnie de son ami Ernest, qui le présente
à Marguerite. Elle se moque de lui parce qu’il la prend trop aux sérieux. Quand, quelques
jours plus tard, Armand apprend qu’elle est très malade – elle est poitrinaire -, il va avoir de
ses nouvelles chaque jour. Deux ans plus tard, il se trouve au théâtre des Variétés en
compagnie de son ami Gaston. Il propose à Prudence Duvernoy, qui est la voisine de
Marguerite et une connaissance d’Armand, de l’accompagner chez elle. Quand, une fois
rentrée chez elle, Marguerite demande à Prudence de venir lui tenir compagnie, Prudence
emmène avec elle Armand et Gaston. Armand est présenté pour la deuxième fois;
Marguerite ne se souvient plus de lui. Le comte de N…, qui l’avait tenu compagnie jusque là
et l’ennuyait horriblement, part. Quand Marguerite est pris d’un fort accès de toux et fuit
dans son cabinet de toilette, Armand est le seul à la rejoindre et d’exprimer son inquiétude
pour sa santé et l’amour qu’il lui porte. Ils parlent longtemps et elle l’avertit du fait qu’elle ne
peut jamais être à lui seul ; son mode de vivre ne lui permet pas de n’avoir qu’un seul
amant. Elle lui donne un camélia et dit qu’il doit lui rendre quand elle a évanouie. Elle lui
permet donc de venir la voir le lendemain soir, en étant son amant de cœur. Pendant la
journée, il va aux Champs-Élysées, où il sait qu’elle a l’habitude de se promener tous les
104
jours. Quand, le soir, il se rend chez Marguerite, elle le reçoit assez mal; mais après que
Prudence soit passée pour lui donner une bonne nouvelle – elle a obtenu six mille francs du
vieux duc, le protecteur de Marguerite – elle change d’humeur. A cinq heures du matin, elle
lui dit de s’en aller, parce que le duc, qui est très jaloux, vient tous les matins la rendre visite
et elle ne veut pas qu’il voie Armand. Pendant la journée, elle l’écrit de se rendre ce soir aux
Vaudeville, mais puisque elle est accompagnée du comte de G… elle n’a pas beaucoup de
temps pour lui parler. Le soir, après que le comte est parti de chez elle, Armand va la voir;
elle lui raconte qu’elle croit avoir trouvé un moyen pour passer l’été avec lui à la campagne.
Le lendemain, il reçut une lettre dans laquelle elle dit qu’elle est malade et ne peut pas le
recevoir ce soir. Armand découvre qu’elle lui a écrit cela parce qu’elle reçut ce soir le comte
de G… Armand se sent trahi, bien qu’elle l’ait prévenu à l’avance. Il lui écrit une lettre
d’adieu accusatrice. Elle ne répond pas, et le lendemain il a tant de regret de sa première
lettre qu’il l’écrit une autre lettre, lui demandant pardon. Le soir, elle vient lui rendre visite.
Elle le pardonne et avoue qu’elle est vraiment amoureuse de lui. La liaison recommence, et
bien que Marguerite ne lui demande pas d’argent, sortir avec elle lui coûte cher. Il
commence à jouer pour avoir des ressources supplémentaires. Une fois, quand Armand,
Marguerite et Prudence passent la journée à la campagne, Marguerite évoque de nouveau
l’idée de passer l’été ensemble à la campagne, avec l’aide financière du vieux duc.
Tout est arrangé et ils vivent heureusement à la campagne. Quand le duc découvre
qu’elle y vit ouvertement avec un amant, il la laisse choisir: quitter Armand ou renoncer à
son aide. Elle choisit la dernière option parce qu’elle ne veut plus vivre qu’avec Armand.
Après quelque temps, Armand découvre que Marguerite, à l’aide de Prudence, est en train
de vendre sa voiture, ses chevaux, ses cachemires et ses bijoux pour payer ses dettes à
Paris; puisque le duc ne la protège plus, les créanciers ne veulent plus lui donner du crédit.
Armand part pour Paris pour trouver un moyen pour payer les dettes pour qu’elle n’eût pas
besoin de vendre encore plus de ses possessions. Le père d’Armand est mis au courant du
changement de vie de son fils et, étant arrivé à Paris, demande à son fils de l’y rejoindre.
Pendant cette rencontre, il essaye de convaincre Armand de la nécessité de quitter
Marguerite; il n’y parvient pas. Armand retourne auprès de Marguerite, mais elle le dit de ne
surtout pas se brouiller avec son père, et d’aller demander son pardon. Pendant qu’Armand
est à Paris pour chercher son père, qu’il ne trouve pas, celui-là vient rendre visite à
Marguerite. Il lui dit de mettre fin à la liaison, parce que cette liaison noircit leur nom de
famille et qu’il est probable que le fiancé de la sœur d’Armand ne veut plus la marier si leur
nom de famille est associé à une courtisane. Finalement, elle consent. Quand Armand rentre,
Marguerite a l’air distrait. Comme son père lui a donné rendez-vous le lendemain, Armand va
105
encore une fois à Paris. Quand il revient, Marguerite est partie et ne revient pas. Il va la
chercher dans son ancien appartement, où on lui remet la lettre d’adieu de Marguerite. Il va
chez son père, qui le persuade de revenir auprès de sa famille. Mais après un mois, il se
décide à retourner à Paris pour chercher Marguerite, qu’il ne peut pas oublier.
Il la voit aux Champs-Elysées, en compagnie d’Olympe, une autre fille entretenue.
Armand se décide à devenir l’amant d’Olympe pour rendre jalouse Marguerite. Après quelque
temps, Marguerite ne se montre plus en public par crainte de les rencontrer. Prudence
obtient d’Armand qu’il consentit à recevoir Marguerite chez lui. Marguerite lui demande de ne
plus la faire souffrir, parce qu’elle n’a pas mérité cela. Ils passent la nuit ensemble et
Marguerite lui promit d’être là pour lui quand il veut la voir. Cependant, quand le lendemain
il se rend chez elle, sa domestique lui dit qu’elle ne peut pas le recevoir, parce que le comte
de N… est là. Armand est offensé et écrit une note à Marguerite, disant qu’il avait oublié de
la payer pour ses services, et il inclut dans l’enveloppe cinq cent francs. Il se résolut de partir
en voyage à l’étranger. Il n’est pas encore de retour quand il reçoit le message que
Marguerite est morte. C’est en rentrant à Paris qu’il obtient de Julie Duprat les lettres de
Marguerite. Dans ces lettres, elle parle de sa rencontre avec le père d’Armand et de ses
derniers jours. Elle lui raconte aussi que le père d’Armand lui a envoyé une lettre consolante
et de l’argent pendant sa maladie. Il fait lire toutes ces lettres au raconteur, qui
l’accompagne chez son père et sa sœur.
La pièce
Pour faire de son roman une pièce de théâtre, Dumas a naturellement du raccourcir
l’histoire, mais il a aussi fait quelques changements importants. Il n’y a plus de récit encadré.
Dumas a ajouté une histoire qu’on ne trouve pas dans le roman: celle de la grisette Nichette
– une ancienne amie de Marguerite - et son fiancé Gustave. La pièce a cinq actes: I. La
rencontre, II. L’interrogation, III. Le sacrifice, IV. L’affront, V. La mort.
Varville (le comte de G… dans le roman) attend que Marguerite soit rentrée de
l’Opéra et parle avec Nanine, la servante, de Marguerite. Nichette passe, mais puisque
Marguerite ne soit pas encore de retour et son fiancé l’attende, elle part. Marguerite revient,
après quelque temps Varville sent qu’il n’est pas le bienvenu et il part, pendant qu’Olympe et
M. Saint-Gaudens entrent. Après que Marguerite l’ait appelée, Prudence, la voisine de
Marguerite, arrive en compagnie de Gaston et Armand Duval, qui l’avaient accompagnée
chez-elle. Armand est introduit chez Marguerite en étant ‘l’homme de Paris qui est le plus
106
amoureux de vous’. On lui raconte qu’il venait avoir de ses nouvelles chaque soir quand elle
était malade. Un peu plus tard, la compagnie propose qu’il soit à Gaston de chanter une
chanson à boire. C’est en dansant que Marguerite a un malaise et envoie la compagnie dans
une autre pièce pour être seule. Seulement Armand revient pour la tenir compagnie. Il
exprime l’amour qu’il lui porte et son inquiétude pour sa santé. Après qu’ils eussent discuté
quelque temps, elle consent à le prendre comme amant de cœur en lui donnant une fleur,
qu’il doit venir lui rendre quand elle est fanée.
Marguerite parle avec Prudence de l’amour qu’elle a pour Armand. Quand Armand
vient, elle lui raconte le plan qu’elle a pour passer l’été à la campagne ensemble. Quand
Marguerite le renvoie, Armand croit qu’elle attend quelqu’un; il découvre que c’est le comte
de Giray. Il se sent trompé et l’écrit une lettre d’adieu. Mais ce soir même il regrette déjà
cette lettre et il vient pour la prier de le pardonner, ce que, finalement, elle fait.
Ils passent donc l’été à la campagne. Après quelque temps, Armand découvre que
Marguerite, à l’aide de Prudence, a vendu sa voiture, ses chevaux, ses cachemires et ses
bijoux pour payer pour cela. Pour l’empêcher de vendre encore plus, il va à Paris pour
emprunter de l’argent. Nichette et Gustave viennent rendre visite à Marguerite, et elle
glorifie la vie simple qu’ils ont et qu’elle dit vouloir. Ils ne sont pas encore partis quand le
père d’Armand vient lui rendre visite. Il l’accuse de ruiner son fils; elle lui donne l’acte de la
vente de ses possessions. L’attitude du père Duval envers elle change, mais il la persuade
quand même de quitter Armand, parce que le fiancé de sa sœur ne veut pas la marier si la
liaison entre son frère et une courtisane continue à noircir leur nom de famille. Après que M.
Duval soit parti, Marguerite donne à Prudence une lettre pour remettre au baron de Varville,
dans laquelle elle l’invite à l’accompagner à une fête chez Olympe dans quelques jours; puis,
elle écrit une lettre d’adieu à Armand. Armand la surprit en écrivant et dit que son père va
venir le soir même; elle dit que c’est mieux si elle ne soit pas là quand il vienne, et elle part.
Un peu plus tard, il reçoit la lettre d’adieu.
A la fête d’Olympe, on est en train de jouer. Prudence raconte à Gaston que
Marguerite et Armand sont séparés. Armand, qui est déjà de retour de Tours, où sa famille
vit, entre. Marguerite et le baron de Varville entrent. Armand et Marguerite se sentent tous
les deux très mal à l’aise. Armand et Varville commencent à jouer; Armand gagne.
Marguerite prend Armand à part et lui dit de partir parce qu’elle craint que Varville va le
provoquer en duel. Comme elle ne peut pas dire qu’elle l’aime encore, elle dit qu’elle aime
Varville; Armand jette l’argent qu’il a gagné à ses pieds et dit qu’il la paye pour les sacrifices
qu’elle avait fait pour lui. Varville jette ses gants au visage d’Armand.
107
Marguerite est très malade. Gaston, qui l’a gardé pendant la nuit, sort; le docteur
entre. Elle reçoit une lettre de Nichette: elle va se marier ce jour même. Prudence vient
encore lui demander de l’argent. Marguerite relit une lettre que le père d’Armand lui a
envoyée, dans laquelle il dit qu’Armand était parti à l’étranger après le duel avec Varville,
mais que maintenant il lui avait tout raconté et qu’Armand viendra lui demander pardon.
Enfin, Armand arrive et lui dit qu’il ne la quittera plus. Marguerite se ranime, elle veut même
sortir pour aller au mariage, mais elle se rend compte qu’il est trop tard. Elle donne un
médaillon avec son portrait à Armand en lui expliquant qu’il peut montrer cela à sa future
épouse en disant que cette femme priait pour eux chaque jour du ciel. Nichette, Gustave et
Gaston entrent. Finalement, en disant qu’elle ne souffre plus, elle meurt.
L’opéra
Le livret de l’opéra est en fait très fidèle à la pièce de théâtre, bien que tous les noms soient
changés. L’opéra n’a que trois actes: I. L’amour, II. Le sacrifice, III. La mort.
Le premier acte se passe à une grande fête chez Violetta Valéry, une courtisane. Son
protecteur, le baron Douphol, essaye d’attirer l’attention de Violetta, qui n’y réagit pas.
Alfredo est présenté à Violetta par leur ami mutuel Gaston, qui l’introduit comme étant son
plus grand admirateur. Elle lui demande de porter un toast; il célèbre le vin et l’amour.
Violetta lui répond avec un hymne à la joie. Quand Violetta est pris d’un malaise et envoie
tout le monde dans une autre chambre pour danser, Alfredo est le seul qui reste auprès
d’elle et exprime son inquiétude pour sa santé et son amour pour elle. Violetta lui donne une
fleur, et lui donne la permission de la lui rendre le lendemain. Quand tout le monde est parti,
Violetta reste seule à méditer son mode de vivre et la possibilité d’un amour sincère.
Le deuxième acte se passe en province, Alfredo et Violetta vivent ensemble
tranquillement. Alfredo découvre que Violetta est en train de vendre ses possessions à Paris
avec l’aide d’Annina, sa servante. Alfredo décide d’aller à Paris pour chercher de l’argent. Le
père d’Alfredo vient rendre visite à Violetta et la persuade de quitter Alfredo pour rendre
possible le mariage de sa sœur. Quand Alfredo revient, il surprend Violetta en train d’écrire
une lettre au baron Douphol. Elle lui dit combien elle l’aime et part. Un peu plus tard, la
servante vient pour donner à Alfredo la lettre d’adieu de Violetta. Violetta se rend à une fête
chez son ami Flora en compagnie du baron Douphol; Alfredo, qui pense qu’elle l’a trompé,
s’y rend aussi. Un groupe des invités est habillé comme tsiganes et toréadors et donne un
spectacle. Alfredo défie le baron à jouer aux cartes. Alfredo jette l’argent qu’il a gagné aux
pieds de Violetta en disant que c’est son payement pour ses services. Le père d’Alfredo lui
108
rappelle à l’ordre, mais le baron lui provoque en duel. Violetta essaye a prévenir le duel, mais
ne le peut pas, parce qu’en faisant cela elle devait admettre qu’elle aime encore Alfredo.
Dans le troisième acte Violetta se trouve sur son lit de mort. Le docteur annonce à
Annina qu’elle n’a plus que quelques heures à vivre. Le père d’Alfredo a envoyé une lettre à
Violetta, dans laquelle il explique qu’après le duel, Alfredo a du laisser le pays pour quelques
temps, mais qu’il sera de retour pour lui rendre une dernière visite, son père lui ayant
raconté la vraie raison du départ de Violetta. Finalement, Alfredo et son père arrivent;
Violetta se ranime mais il est trop tard, elle meurt, après avoir demandé à Alfredo de ne
jamais l’oublier.
109
Pièce annexe II:
La Dame aux Camélias: théâtre, ballet, musical, bande dessinée
Théâtre
1875 - Heart’s-Ease / Heartsease – version ‘censuré’ de la pièce de Dumas fils, adaptée par
James Mortimer.165
1918 - Deburau – pièce écrite par Sacha Guitry, traitant la liaison fictive entre Marie
Duplessis et le mime célèbre Jean-Gaspard Deburau. Le rôle de Marie était créé par
Yvonne Printemps. Première à New York en 1920.166 Egalement adapté pour le
cinéma.
Ballet
1948 - La Dama delle camelie – chorégraphie d’Aurel Millos avec musique de Roman Vlad.167
1955 - The Lady of the Fools – chorégraphie de John Cranko accompagnée d’un
arrangement de musique de Verdi.168
19 ? - La Dame aux Camélias – chorégraphie de A. Tudor, musique de Verdi.169
1957 - La Dame aux Camélias – chorégraphie de Tatiana Gsovsky, décors de Jacques
Dupont, musique de Henri Sauguet inspirée sur la musique de Franz Liszt, amant de
Marie Duplessis.170
1963 - Marguerite et Armand – chorégraphie de Frederick Ashton avec musique de Franz
Liszt,171 pour Margot Fonteyn et Rudolf Nureyev (Noureev), qui ne traite que de la
liaison amoureuse et l’intervention du père Duval.172
1977 - La Dame aux Camélias / Die Kameliendame – chorégraphie de John Neumeier pour
Marcia Haydée,173 décors et costumes très romantiques de Jürgen Rose et musique
de Chopin, un contemporain de Liszt, Dumas fils et Marie Duplessis.174
165
Gold (1991), p. 172, http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin,
http://books.google.nl/books?id=mdJdYslEkBUC&pg=PA497&lpg=PA497&dq=heartsease+james+mor
timer&source=web&ots=KLTn48Spfx&sig=PpxWI0cDgME7R4BRvFunTksAqN8&hl=nl&sa=X&oi=book_
result&resnum=4&ct=result.
166
http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=940CEED6173CE533A25757C2A9649D946195D6CF&oref=slogin.
167
Issartel (1982), p. 128-132.
168
Idem.
169
Idem.
170
Idem.
171
http://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Ashton.
172
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dame_aux_cam%C3%A9lias,
http://www.youtube.com/watch?v=DSIz2DWZMbY.
173
http://www.youtube.com/watch?v=GNEkiefn9hw&feature=related.
110
1980 - La Dame aux Camélias – chorégraphie de Jorge Lefebre pour Christine Klépal et le
ballet Royal de Wallonie, dont il était le directeur.175
1994 - The Lady of the Camellias – chorégraphie de Val Caniparoli avec musique de
Chopin.176
Musical
1996 - Camille / La Dame aux Camélias – musical écrit par Julia Gregory; la première était
jouée par Christiane Noll et Jospeh Cassidy.177
2008 – Marguerite – the Musical – musical écrit par Alain Boublil et Claude-Michel
Schönberg, musique de Michel Legrand, paroles des chansons d’Herbert Kretzmer.
L’histoire se passe pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942), Marguerite (Ruthie
Henshall) est la maîtresse d’un officier allemand, mais tombe amoureuse d’Armand
(Julian Ovenden), un jeune musicien.178
Bande dessinée
1974 - La Dame aux Camélias – bande dessinée de Gotlib et Alexis, parue dans le livre
Cinémastock. Parodie exagérant le trait principal des personnages, dans ce cas la
vénalité de Marguerite.179
174
Issartel (1982), p. 132.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Lefebre.
176
http://www.youtube.com/watch?v=Dr4BvzlvrG0.
177
http://www.biribinentertainment.com/camille/hist.htm.
178
http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_Legrand, http://www.youtube.com/watch?v=HtZzllvx0nA,
http://tvision.whatsonstage.com/index.php?pg=591.
179
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9mastock, Issartel (1982), 166/167.
175
111
Pièce annexe III:
La Dame aux Camélias au cinéma
1907 - Kameliendamen - un film danois de Viggo Larsen avec Oda Alstrup et Viggo Larsen
lui-même.180
1909 – La Dame aux Camélias / Camille – un film italien de Ugo Falena avec Vittoria Lepanto
et Alberto Nepoti.181
1911 - La Dame aux Camélias – un film de Louis Mercanton avec Sarah Bernhardt et Lou
Tellegen.182
1912 – La Dame aux Camélias / Camille – film américain dans une adaptation de Herbert
Brenon avec Gertrude Shipman et Irving Cummings.183
1915 – Camille - une adaptation de Frances Marion réalisé par Albert Capellani, avec Clara
Kimball Young et Paul Capellani.184
1915 - La Signora delle Camelie – un film italien de Baldassarre Negroni et Gustavo Serena,
avec Hesperia, Alberto Collo et Ida Carloni Talli.185
1915 – La Signora delle Camelie – un film italien de Gustavo Serena avec Francesca Bertini
et Gustavo Serena lui-même.186
1917 - Camille - une adaptation américaine d’Adrian Johnson réalisé par J. Gordon Edwards,
avec Theda Bara et Albert Roscoe. Ce film a probablement été perdu.187
1917 – Primavera (Camille / Die Kameliendame) – un film allemand de Paul Leni, dans une
adaptation de Hans Brennert, avec Erna Morena et Harry Liedtke.188
1920 – Arme Violetta / Camille / The Red Peacock – film finnois de Paul Stein dans une
adaptation de Hanns Kräly avec Pola Negri et Victor Varconi.189
1921 – Camille – un film américain de Ray Smallwood, avec Alla Nazimova et Rudolph
Valentino.190
1922 – The Lady of the Camellias – un film anglais d’Edwin J. Collins dans une adaptation de
Frank Miller, avec Sybil Thorndike et Ward McAllister.191
180
http://www.imdb.com/title/tt0000583/.
http://www.imdb.com/title/tt0212022/.
182
http://www.imdb.com/title/tt0834562/.
183
http://uk.imdb.com/title/tt0342166/, http://www.dumaspere.com/pages/oeuvre/filmo_fils.pdf.
184
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281926_film%29.
185
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias.
186
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
187
http://www.answers.com/topic/camille-1917-film.
188
http://www.citwf.com/film279192.htm.
189
http://www.imdb.com/title/tt0010967/.
190
http://www.youtube.com/watch?v=y8xcL3prGe4.
191
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
181
112
1924 - The Lover of Camille – une adaptation de la pièce Deburau de Guitry, réalisé par
Harry Beaumont, avec Marie Prévost (Marie Duplessis) et Monte Bleu (Deburau);192
l’accent y était mis plutôt sur Marie Duplessis et moins sur Deburau, qui était le
centre de la pièce. On a fait un autre film de la pièce en 1951.
1925 - Damen med Kameliorna - un film suédois du réalisateur Olof Molander, avec Tora
Teje et Uno Henning.193
1926 – Camille - un film court (33 minutes) de Ralph Barton, avec entre autres Paul
Robeson, Anita Loos et Sinclair Lewis, et avec des apparitions de nombreux autres
acteurs connus à cette époque, qui étaient des amis de Barton, dont entre autres
Charlie Chaplin.194
1926 - Camille – un film de Fred Niblo dans une adaptation de Fred De Gresac, avec Norma
Talmadge et Gilbert Roland.195 Ce film a été perdu.
1934 – La Dame aux Camélias – un film de Fernand Rivers et Abel Gance, avec Yvonne
Printemps et Pierre Fresnay. C’était le premier rôle de cinéma pour l’actrice, qui était
à cette époque déjà une actrice célèbre. C’était probablement la première version
avec son.
1936 – Camille ou Le Roman de Marguerite Gautier – un film hollywoodien de Georges Cukor
pour Metro-Goldwyn-Mayer,196 avec Greta Garbo et Robert Taylor. Le film a gagné un
New York Film Critics Circle Award, Greta Garbo étant Best Actress, et il était nominé
pour un Acadamy Award, également pour meilleure actrice.197
1938 – Cha hua nu (=La Dame aux Camélias) – un film chinois de Li Pingqian.198
1939 – Margarita, Armando y su padre – un film argentinien de F. Mugica avec F. Parravicini
(Marguerite). Basé sur la pièce de théâtre d’Enrique Jardiel Poncela, une parodie sur
l’œuvre de Dumas fils.199
1942 – Leila, ghadet el camelia (Leila, Lady of the Camelias) – un film égyptien, en arabe, de
Togo Mizrahi avec Leila Mourad et Hussein Sedki.200
1944 – La Dama de las Camelias - la première version en espagnol, une adaptation de
Roberto Tasker, réalisé en Mexico par Gabriel Soria, avec Lina Montes et Emilio
Tuero.201
192
193
194
195
196
197
198
199
200
http://movies.nytimes.com/movie/100548/Lover-of-Camille/overview.
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%28Barton_film%29.
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281926_film%29.
http://www.youtube.com/watch?v=oQZ-yF0b8z8.
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281936_film%29.
http://www.imdb.com/title/tt0204944/.
http://www.imdb.com/title/tt0175890/.
http://en.wikipedia.org/wiki/Leila_Mourad, http://www.imdb.com/title/tt0281960/.
113
1947 – La Traviata / The lost one – film italien de Carmine Gallone avec Nelli Conradi et Gino
Mattera. Utilisant l’opéra de Verdi, combiné avec un récit encadré avec Dumas fils et
Verdi.202
1951 – Deburau – un film de la pièce, réalisé par Sacha Guitry lui-même, avec Lana Marconi
(Marie Duplessis) et Guitry (Deburau), avec musique d’André Messager.203 (→ 1924 -
The Lover of Camille)
1953 - La Dame aux Camélias (The Lady Without Camelias/ La Signora delle Camelie) – un
film de Raymond Bernard avec Micheline Presle et Roland Alexandre.
1953 - La Signora senza Camelie – un parodie sur La Dame aux Camélias de Michelangelo
Antonioni. Le film traite d’une vendeuse devenue actrice, qui n'obtient que des rôles
médiocres; elle épouse contre son gré un producteur qui lui interdit de poursuivre sa
carrière.
1954 - Camelia - la deuxième version mexicaine adapté par José Arenas et réalisé par
Roberto Gavaldón avec María Félix et Jorge Mistral.204
1954 - La Mujer de las camelias – un film argentine de Ernesto Arancibia dans une
adaptation de lui et d’Alexis de Arancibia, avec Mona Maris.205
1958 – The Lady of the Camellias – un film pour la série télévisée anglaise Armchair Theatre,
saison 2, épisode 3, réalisé par George More O’Ferrall avec Ann Todd et David
Knight.206
(1960 – La Dame aux Camélias - film avec Jeanne Moreau: projet inachevé.)207
1962 - La Dame aux camélias – une adaptation de Marcel Pagnol réalisé par François Cir
avec Yori Bertin et Gérard Barray.
1963 – Marguerite Gautier – un film pour la télévision néerlandaise VARA de Willy van
Hemert avec Andrea Domburg et Maxim Hamel.208
1964 - Festival: Lady of the Camellias - une version pour la télévision anglaise de Rudolph
Cartier, basée sur la version française de 1953, avec Billie Whitelaw et John Fraser.209
1969 - Camille 2000 - une version italienne un peu ‘modernisée’, réalisé par Radley Metzger,
avec Danièle Gaubert et Nino Castelnuovo. Cette adaptation plutôt érotique de
201
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias,
http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9A0DE4D71131E03BBC4E51DFBF66838F659EDE.
202
http://www.fandango.com/carminegallone/filmography/p90929,
http://movies.nytimes.com/movie/review?res=980CE1DD123EE03BBC4850DFB5668383659EDE.
203
http://www.imdb.com/title/tt0123791/.
204
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias, http://www.imdb.com/title/tt0045593/.
205
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias.
206
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
207
Poirot-Delpech (1981), p. 11.
208
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
209
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
114
Michael DiForrest traite aussi de l’abus de la drogue, un thème qu’on ne retrouve
naturellement pas dans l’histoire originale.210
1972 - La Dame aux camélias (Storia vera della signora dalle camelie) – un film de Robert
Maurice, avec Ludmilla Tcherina et Philippe Cardinal. L’adaptation de Pierre Cardinal
est basée sur le roman, mais utilise la fin de la pièce; on utilisait de la musique de
Mahler, qui a sans doute contribué à la gravité de la représentation.
1978 – Die Kameliendame – film pour la télévision allemande ARD de Tom Tölle, avec Erika
Pluhar et Klauss Hoffmann.211
1980 - A la recherche de la Dame aux Camélias - une émission télévisé réalisé par Pierre
Cardinal avec des dialogues de Claude Imbert, avec Christine Issartel dans le rôle de
Marguerite/Marie. L’histoire est présentée autour d’une rencontre fictive entre
Dumas, le créateur de Marguerite Gautier, et le duc de Guiche, le ‘créateur’ de Marie
Duplessis.
1981 - La Dame aux Camélias - un film de Mauro Bolognini avec Isabelle Huppert dans le
rôle de Marie Duplessis, basé non sur le roman de Dumas fils mais sur le livre de
Bertrand Poirot-Delpech, dans lequel il fait une reconstruction de la vie de Marie
Duplessis: Marie Duplessis, ‘la Dame aux Camélias’: une vie romancée.
1984 - Camille – un film pour la télévision anglaise et américaine, adapté par Blanche Hanalis
et réalisé par Desmond Davis, avec Greta Scacchi et Colin Firth.212
1987 – Die Kameliendame – version filmé du ballet de Neumeier, qui a lui-même fait la
réalisation, avec Marcia Haydée et Ivan Liska.213
1995 - Dama Kameliowa – un film pour la télévision polonaise de Jerzy Antczak avec Anna
Radwan et Jan Frycz.214 Cette version reprend le récit encadré que Dumas utilise dans
le roman.
1998 – La Dame aux Camélias – un film pour la télévision française de Jean-Claude Brialy qui
a aussi fait l’adaptation, avec Christiana Réali et Michaël Cohen.215
2001 – Moulin Rouge! – une adaptation de quelques opéras, dont La Traviata, réalisée par
Baz Luhrmann, avec Nicole Kidman et Ewan McGregor.
210
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_2000.
http://www.dumaspere.com/pages/oeuvre/filmo_fils.pdf, http://www.deutschesfilmhaus.de/filme_einzeln/t_einzeln/toelle_tom/kameliendame_die.htm,
http://www.imdb.com/title/tt0446373/.
212
http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281984_film%29.
213
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
214
http://www.filmpolski.pl/fp/index.php/126273.
215
http://www.imdb.com/character/ch0031710/.
211
115
2005 – La Signora delle camelie – un film pour la télévision italienne de Lodovico Gasparini
dans une adaptation de Marco Alessi et Piero Bodrato, avec Francesca Neri et Sergio
Múñiz.216
216
http://www.imdb.com/title/tt0442841/, http://www.youtube.com/watch?v=G8TGs_RAN3c.
116