Rolinka Niers - Theses and placement reports Faculty of Arts
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Rolinka Niers S1320947 Scriptie voor de Master RTC Begeleider: dr. J.M.L. den Toonder Rijksuniversiteit Groningen Oktober 2008 Table des matières Introduction 3 La courtisane au XIXième siècle 5 Dumas fils et la vraie Dame aux Camélias 10 La courtisane dans la littérature 15 La Dame aux Camélias: résumé des différentes œuvres 21 La représentation de la courtisane dans les différents médias 29 Qui parle? La voix de Dumas fils dans son œuvre 48 La réception des œuvres 51 De Marguerite à Violetta 58 L’œuvre de Dumas comme source d’inspiration 67 Conclusion 93 Bibliographie 96 Annexe 1: Résumés des deux versions de La Dame aux Camélias et de La Traviata 102 Annexe 2: La Dame aux Camélias: théâtre, ballet, musical, bande dessinée 108 Annexe 3: La Dame aux Camélias au cinéma 110 2 Introduction Dans cette étude, nous allons voir comment une personne et une histoire vraies sont devenues légendaires à l’aide des versions fictives de cette histoire. Je étudierai le roman La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils (1824-1895), l’histoire qui était la source d’inspiration de ce roman, la pièce de théâtre que Dumas a ensuite basée sur son roman, et l’opéra La Traviata de Giuseppe Verdi (1813-1901), qui est basée sur la pièce. L’histoire parle de la liaison entre la courtisane Marguerite Gautier, la Dame aux Camélias, et son amant de cœur, Armand Duval. On retrouve souvent la courtisane comme personnage dans la littérature au XIXième siècle, mais la Dame aux Camélias est, à l’exception peut-être de la courtisane Manon Lescaut dans l’œuvre d’Abbé Prévost de 1731, la courtisane ‘fictive’ la plus populaire et la plus connue encore de nos jours. La Traviata est de nos jours un des opéras les plus populaires et même l’opéra le plus joué au monde. En parlant de ces faits, la question qui s’impose, et qui se trouve à la base de ce mémoire, est la question suivante: en quoi s’explique cette popularité remarquable du roman et de la pièce de théâtre La Dame aux Camélias de Dumas fils et de l’opéra La Traviata de Verdi? Pour répondre à cette question, j’insisterai dans cette recherche sur quatre médias différents: le roman, le théâtre, l’opéra, et finalement le cinéma, qui prend au XXième siècle le rôle que la pièce de théâtre jouait auparavant, en assurant la popularité durable de l’œuvre. La Dame aux Camélias est pour une grande partie autobiographique: Dumas y décrit la version idéalisée d’un amour qu’il a vécu lui-même. Ce qui m’a intéressé dans ces œuvres n’est pas seulement le fait que la personne principale soit une courtisane, et donc choquant comme personnage, et le fait qu’elle soit basée sur une femme qui a réellement vécu, mais je m’intéresse aussi à la réception de l’œuvre par le public au milieu du XIXième siècle, et au fait que l’histoire a toujours réussi à intéresser un nouveau public. Les questions suivantes, qui traitent de tous les aspects de la popularité de l’œuvre, nous aideront à trouver la réponse à la question principale: pourquoi est-ce que la courtisane était un thème tellement populaire dans le roman et le théâtre français au XIXième siècle? Pourquoi le roman et la pièce de Dumas étaient-ils entre les plus populaires traitant ce thème? Pourquoi Verdi a-t-il choisi La Dame aux Camélias comme sujet de son opéra? Et finalement, de quelle façon Dumas fils a-t-il inspiré d’autres auteurs avec La Dame aux Camélias, et comment ont-ils adapté l’histoire pour qu’elle soit toujours au goût du public? Premièrement, j’introduirai le thème: qu’est-ce qu’était exactement une courtisane au XIXième siècle? Il nous est indispensable de connaître l’histoire ‘vraie’ qui a été l’inspiration pour le roman de Dumas: la vie de la courtisane Marie Duplessis. Je donnerai un résumé des 3 œuvres littéraires dans lesquelles on retrouve la courtisane comme personnage, ce qui nous donnera une idée de la popularité du thème. Puis, je donnerai des résumés des différentes versions de l’histoire de La Dame aux Camélias; je comparerai la représentation de la courtisane dans les différentes œuvres et nous allons voir que nous pouvons retrouver l’opinion de Dumas fils lui-même dans cette représentation. Après, j’insisterai sur la réception des différentes œuvres. J’étudierai les raisons pour lesquelles Verdi a choisi cette histoire pour son opéra La Traviata, qui est l’œuvre la plus connue basée sur l’histoire. Finalement, je traiterai la façon dont les œuvres de Dumas ont été une inspiration pour d’autres écrivains et pour des réalisateurs de films; je passerai en revue plusieurs adaptations qui ont été faites de l’histoire et j’analyserai dans quelques œuvres les changements que la présentation, notamment du personnage de Marguerite, a subi pour être au goût de chaque nouveau public. C’est à l’aide de ces différents aspects que seront dévoilées les raisons de la popularité durable de l’œuvre et du mythe qui y trouve son origine, le mythe de la Dame aux Camélias. 4 La courtisane au XIXième siècle Pour une bonne compréhension de l’histoire ainsi que du personnage principal, Marguerite Gautier, une explication du phénomène de la courtisane au XIXième siècle est indispensable. Le mot courtisane est utilisée pour la première fois, dans le sens d’une femme entretenue, en Italie lors de la renaissance, pour désigner des femmes vénales qui cherchaient leurs amants dans la société élégante de la cour.1 En France, au XIXième siècle, on utilise le terme pour les distinguer des autres types de prostituées. Une courtisane ou une femme entretenue – on les appelait aussi lorettes, à cause du quartier Notre Dame de Lorette où la plupart d’elles habitaient2 - n’était pas simplement une prostituée.3 Elle avait des qualités qui la distinguaient des autres et qui l’aidaient à atteindre une position sociale plus élevée, d’où le terme souvent utilisé de ‘demi-mondaine’. Elle venait souvent d’un milieu pauvre, mais elle utilisait sa beauté, sa grâce et son talent pour monter l’échelle sociale. On trouve une bonne description de la façon dont une courtisane pouvait, grâce à sa charme et sa présence qui lui donnaient l’air d’une femme du monde, échapper à sa propre classe sociale, dans le préface que Jules Janin a écrit pour le roman de Dumas. Il s’agit de Marie Duplessis, qui était l’inspiration pour le personnage de Marguerite Gautier: ‘Il y avait en l’an de grâce 1845, dans ces années d’abondance et de paix où toutes les faveurs de l’esprit, du talent, de la beauté et de la fortune entouraient cette France d’un jour, une jeune et belle personne de la figure la plus charmante, qui attirait à elle, par sa seule présence, une certaine admiration mêlée de déférence pour quiconque, la voyant pour la première fois, ne savait ni le nom ni la profession de cette femme. Elle avait en effet, et de la façon la plus naturelle, le regard ingénu, le geste décevant, la démarche hardie et décente tout ensemble, d’une femme du plus grand monde. Son visage était sérieux, son sourire était imposant, et rien qu’à la voir marcher, on pouvait dire ce que disait un jour Elleviou d’une femme de la cour: Évidemment, voici une fille ou une duchesse. Hélas! ce n’était pas une duchesse, elle était née au bas de l’échelle difficile, et il avait fallu qu’elle fût en effet belle et charmante pour avoir remonté d’un pied si léger les premiers échelons, dès l’age de dix-huit ans qu’elle pouvait avoir en ce temps-là.’ 4 1 Gun (1963), p. 1. Lyonnet (1930), p. 12/13. 3 Pour cette partie du texte: Crane (1976). 4 Dumas (1981), p. 481. 2 5 Une courtisane arrivée était considérée avec un certain respect et elle jouait un rôle important et pittoresque dans la vie mondaine. Arthur Gold et Robert Fizdale en donnent une impression intéressante dans leur biographie de Sarah Bernhardt, l’actrice qui a joué tant de fois Marguerite Gautier. Ils parlent ici de la mère de Sarah, Youle, qui quittait le domicile paternel à Amsterdam pour aller chercher sa fortune à Paris: ‘(…) she managed, with a single-mindedness born of desperation, to storm the enclaves of the rich, that top-hatted, corsetted, and crinolines world she longed to enter, if only through the back door. By 1850, the squalor of her apprentice days behind her, she had arrived, a courtesan in good standing; apposition not to be dismissed since courtesans had a proud lineage of their own. To this day, the French roll their names on the tongue like vintage wine. Ninon de Lenclos and Marion Delorme, Liane de Pougy and Marie Duplessis are more than random threads in France’s history, they are figures woven into its fabric. Admiration for their gifts may have been grudging, but it was admiration all the same, for it was no simple feat to persuade sound, thrifty men to part with extravagant, even ruinous sums in exchange for sensual pleasures and the excitement of infidelity. To indulge the caprices and satisfy the greed of an opulent mistress was conspicuous proof of a gentleman’s wealth and position. Had not kings and emperors set an impressive example? Writers too were drawn to courtesans. Not only Balzac, but Stendhal, Zola, Flaubert, and Proust enliven their pages with the rise and fall of those women who were the bubbling foam on the dark wave of prostitution that engulfed Paris.’ 5 Une courtisane n’était donc certainement pas une prostituée comme on les trouvait dans les bordels ou à côté de la rue. Elle vivait dans le luxe, mais pour ce luxe elle était dépendante de ses amants. Elle vivait donc littéralement au-dessus de ses moyens. Il arrivait souvent que les femmes des hommes fortunés étaient jalouses du luxe que les courtisanes pouvaient se permettre. Mais ce luxe n’avait pas seulement pour but de rendre leur vie plus agréable, le luxe était une nécessité pour la courtisane. Il était attirant pour les hommes d’être l’amant d’une femme à la mode. Et pour rester à la mode, elle devait avoir des robes neuves, des bijoux, un appartement agréable, une voiture avec des chevaux et bien sûr une loge à l’opéra et au théâtre, pour ne manquer à aucune première. Elle dépensait donc une fortune pour maintenir sa position et si, à un certain moment, elle n’était plus populaire, elle pouvait 5 Gold (1991), p. 12/13. 6 faire faillite en quelques semaines et finir dans la pauvreté. Comme une courtisane devenait naturellement moins populaire après avoir atteint un certain âge, mourir jeune était presque considéré comme une bénédiction pour elles. Mais il arrivait aussi qu’une ancienne courtisane devenait une entremetteuse pour une autre courtisane, ou devenait par exemple modiste. Il y a même des exemples de courtisanes qui finissaient par se marier, ce qui était assez exceptionnel parce que leur réputation repoussait en général les prétendants sérieux. Devenir courtisane était une manière de pouvoir vivre dans le luxe, sans se marier et donc en restant plutôt libre et indépendante; elle pouvait choisir ses amants elle-même. Pour des femmes venant d’un milieu pauvre, qui travaillaient par exemple comme modiste, femme de ménage, ouvrière d’usine ou - pour celles qui venaient de la campagne - dans les champs, c’était très attirant de laisser leur vie de travail dur, et de devenir courtisane, ce qui leur semblait une façon très facile et pas du tout fatigant de gagner son pain. Beaucoup de courtisanes commençaient comme grisettes, des filles qui travaillaient par exemple chez des modistes. Ces grisettes avaient souvent comme amants des jeunes étudiants, qui n’avaient pas les moyens pour leur donner des cadeaux chers: c’était plutôt de l’amour désintéressé. Mais si elles étaient particulièrement belles et charmantes et arrivaient à être l’objet d’attention d’un homme riche, elles pouvaient très vite monter l’échelle sociale et devenir courtisane. C’était aussi de cette façon qu’Alphonsine Plessis, une pauvre grisette, devenait Marie Duplessis, une courtisane à la mode. Il y avait aussi beaucoup de courtisanes qui étaient en même temps danseuses, actrices ou chanteuses. Pour illustrer la mode de vie des courtisanes je présente quelques courtisanes très connues du XIXième siècle avant d’insister sur Marie Duplessis dans le chapitre suivant. Une courtisane qui était aussi une des connaissances et une rivale de Marie Duplessis, était Lola Montez (1821-1861), une danseuse de l’Opéra.6 Elle était d’origine irlandaise, son vrai nom étant Marie Dolores Eliza Rosanna Gilbert, mais en changeant son nom en Lola Montez elle se présentait comme danseuse espagnole. Apparemment, elle n’avait pas beaucoup de talent pour la danse, mais sa danse érotique de l’araignée était légendaire. Elle avait des liaisons avec, entre autres, le pianiste Franz Liszt et le roi Louis I de Bavière, et aussi Dumas père était un de ses admirateurs. En 1851, elle partit pour les Etats-Unis, pour aller en Australie quelques années plus tard, et pour s’installer finalement à New York. Elle était très possessive et on dirait d’elle qu’elle portait le mauvais œil, elle arrivait toujours à mettre ses amants dans l’embarras: pour ces deux raisons, ses amants essayaient, très vite après le commencement de la liaison, de se débarrasser d’elle. Comme beaucoup de courtisanes, elle a commencé sa carrière sur scène; cependant, il y a eu très 6 Issartel (1981), p. 29, http://en.wikipedia.org/wiki/Lola_Montez. 7 peu de courtisanes qui étaient au même temps si célèbres mais avec une si mauvaise réputation. Un exemple d’une courtisane de la Belle Époque très connue est Liane de Pougy (1869-1950), née Anne-Marie Chassaigne, puis Madame Henri Pourpe pendant son premier mariage et finalement princesse Georges Ghika par son deuxième mariage.7 Elle recevait une éducation religieuse au couvent, s’était mariée à l’âge de seize ans, s’enfuyait pour Paris après deux ans de mauvais traitement, et divorçait d’avec son mari. Elle était engagée comme danseuse de cabaret aux Folies Bergères sous le pseudonyme de Liane de Pougy. C’est là où elle commençait sa carrière de courtisane, et, en étant ouvertement bisexuelle, avait des amants des deux sexes. Elle écrivait également quelques romans contenant des éléments autobiographiques, qui nous donnent beaucoup d’informations sur sa vie et sur ses idées. En 1899 elle rencontra l’amour de sa vie, l’écrivain Nathalie Clifford Barney, qui la trompa; Liane décrivait leur liaison dans son roman Idylle Saphique (1901). En 1910 elle se mariait avec le prince roumain Georges Ghika. Mariage heureux pendant seize années, le prince avait fini par prendre une amante plus jeune, et Liane se consolait en prenant plusieurs amantes. Après la mort de son mari en 1945, elle changeait de vie et entrait comme novice dans le Tiers-Ordre de Saint-Dominique comme Anne-Marie-Madeleine de la Pénitence et travaillait dans un orphelinat pour enfants handicapés. Son journal et ses mémoires ont été publiés sous le titre Mes cahiers bleus.8 Liane de Pougy vivait un demisiècle après Marie Duplessis, mais sa vie était exemplaire d’une vie de courtisane. Elle fuyait sa vie en province, utilisait son charme pour monter l’échelle sociale, obtenant de la noblesse en mariant un prince. Pendant la première partie du XIXième siècle la bisexualité d’une courtisane n’était pas encore acceptée, dans la Belle Époque par contre il était plutôt en vogue d’être bisexuelle - comme on le voit par exemple dans Nana de Zola – comme il était également en vogue d’être poitrinaire au XIXième siècle. La rivale de Liane de Pougy était Carolina Otero ou la Belle Otéro (1868-1965),9 une danseuse, actrice et courtisane d’origine espagnole qui, elle aussi, commençait sa carrière à Paris aux Folies Bergères. Elle, Liane de Pougy et Émilienne d’Alençon étaient surnommées les ‘Trois Grâces’ de la Belle Époque. Elle avait des liaisons avec entre autres Edouard VII, roi de Grande Bretagne, Léopold II, roi de Belgique, et le président du Conseil Aristide Briand. Elle faisait des tournées aux Etats-Unis, en Europe et en Russie et on l’appelait, en 1898, la première ‘star de l’histoire du cinéma’ quand Félix Mesguich filmait un de ses numéros de 7 http://fr.wikipedia.org/wiki/Liane_de_Pougy. Pougy (1941). 9 http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Belle_Otero. 8 8 danse avec un cinématographe Lumière. En 1915, elle se retirait de la vie publique et s’installait à Nice. Elle se ruinait à cause des luxes extravagants qu’elle se permettait et en perdant des millions au jeu, et meurt finalement dans la misère et dans l’oubli. Elle est un exemple d’une courtisane qui a été très riche mais qui était morte très pauvre. Dans ce chapitre, j’ai insisté sur la place et le mode de vie de la courtisane à Paris au XIXième siècle et j’ai donné quelques exemples de courtisanes qui vivaient au XIXième siècle pour illustrer cette mode de vie. L’introduction de ce phénomène, qu’on ne connaît plus en Europe occidentale,10 montre que les courtisanes faisaient beaucoup parler d’elles. Le public était intrigué par leur vie de luxe. Pour cette raison, elles étaient un sujet fécond pour les écrivains. La fascination des gens pour les courtisanes est un peu comparable à la fascination qu’on a de nos jours pour les célébrités. Ces femmes arrivaient à monter l’échelle sociale et à atteindre une certaine indépendance, ce qui était autrement presque impossible pour une femme. Ces connaissances nous aideront à mieux comprendre le personnage de Marguerite et ses actions, ainsi que le comportement des autres personnages envers elle. 10 Pour le chapitre traitant la courtisane dans la littérature, j’ai cherché des versions ‘modernes’ de la courtisane. Un des aspects qui distinguent la courtisane des autres prostituées est que la courtisane avait des liaisons, des relations, avec ses amants ou ‘clients’. De nos jours, il n’y a plus, autant que je sache, des prostituées qui ont vraiment des liaisons avec leurs clients. A mon avis, les femmes qu’on appelle ‘gold-diggers’, qui font tout pour séduire un homme riche pour profiter de leur argent, sont le phénomène le plus proche de la courtisane du XIXième siècle; voir la page 18. 9 Dumas fils et la vraie Dame aux Camélias Dans La Dame aux Camélias, Dumas fils raconte la version romancée de sa liaison avec la courtisane Marie Duplessis (1824-1847).11 Vivant avec un père qu’il adorait et qui était son grand exemple mais qui était irresponsable et qui avait l’argent trop facile, il était élevé à vivre la vie que son père vivait. D’un côté celui-là écrivait beaucoup et travaillait dur (il publiait tellement d’œuvres littéraires qu’une grande partie des œuvres publiées sous son nom étaient apparemment écrites par ses collaborateurs et que Dumas les avait seulement approuvées; mais même s’il n’a pas écrit toutes ces œuvres lui-même, il en a quand même beaucoup écrit). De l’autre côté il était un bon vivant qui aimait beaucoup la bonne cuisine, amuser des invités, dont la plupart il ne connaissait souvent pas, et qui avait d’innombrables affaires et liaisons.12 C’était dans cet entourage que Dumas fils faisait la connaissance de beaucoup de personnes d’importance, culturellement, politiquement ou socialement, et c’est dans ce monde qu’il faisait aussi la connaissance de la courtisane à la mode, Marie Duplessis. Marie Duplessis était née en 1824 à Nonant comme Alphonsine Plessis. Elle vivait une enfance malheureuse: son père était un ivrogne violent, sa mère était morte quand elle avait neuf ans. Quand elle arrivait à Paris à l’âge de quinze ans, elle était donc pauvre et vêtue d’haillons. L’homme de lettres Nestor Roqueplan, qui devint plus tard directeur de l’Opéra, a écrit qu’un jour en 1839 il l’avait remarquée sur le Pont-neuf, tout affamée, et qu’il lui avait acheté un grand cornet de frites. Quand il la revoyait quelques années plus tard, en étant la maîtresse du duc de Guiche, il la reconnaissait avec peine, parce qu’à cette époque là, elle était déjà vêtue de robes luxueuses.13 Alphonsine s’adaptait très facilement à la vie dans la ville. Elle a probablement travaillé comme grisette chez une modiste pendant quelque temps; mais très vite elle devenait la maîtresse d’un homme qui tenait un restaurant dans la galerie Montpensier au Palais-Royal, qui lui donnait un petit appartement rue de L’Arcade;14 et quelques temps plus tard elle le quittait pour Agénor, duc de Guiche. Elle commandait des toilettes à la mode, elle allait au théâtre et elle apprenait à lire et à écrire. En 1842, elle changeait son nom en Marie Duplessis, ce qui était plus chic; c’était aussi dans cette année que Dumas fils la voyait pour la première fois quand elle passait dans la rue. Marie passait l’été à Baden, en Allemagne, pour prendre les eaux; elle était à cette époque-là déjà poitrinaire. Dans un rien de temps, elle devenait la courtisane le plus à la mode de Paris; elle 11 Pour cette partie, j’ai utilisé notamment Issartel (1981), Saunders (1954), Lyonnet (1930) et Lucot (1997) 12 Saunders (1954). 13 Saunders (1954), p. 87, Lyonnet (1930), p. 17. 14 Lyonnet (1930), p. 18. 10 choisissait ses amants d’un certain cercle, celui du ‘Jockey Club’.15 Elle vivait dans le luxe. Quelques-uns de ses amants illustres étaient le comte Olympio Aguado de las Marismas et le vicomte Edouard de Perrégaux. Dumas la voyait de temps en temps dans la rue ou dans l’Opéra. Il la décrit de la façon suivante, dans son ‘à propos’ de la pièce La dame aux Camélias: ‘Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde; on eût dit une figurine de saxe. En 1844, lorsque je la vis pour la première fois, elle s’épanouissait dans toute son opulence et dans toute sa beauté. (…) Elle ne manquait ni d’esprit ni de désintéressement. (…) Elle possédait une distinction native, s’habillait avec goût, marchait avec grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une femme du monde.’ 16 Un soir d’automne en 1844 au théâtre des Variétés, il demandait à son ami Eugène Déjazet, qui connaissait Clémence Prat, l’entremetteuse de Marie, d’arranger une entrevue. Marie partait du théâtre avec le vieux comte de Stackelberg, son protecteur, qui la raccompagnait chez elle; Clémence, Déjazet et Dumas suivaient. Le comte rentrait chez lui directement, et la compagnie pouvait se faire annoncer chez Marie. Dumas fils était présenté à Marie. Apparemment, leur rencontre s´était passé presque exactement comme Dumas l’a décrite dans son roman: Marie lui donnait un rendezvous pour le lendemain en lui donnant un camélia de son bouquet, qu’il devait lui rendre quand elle a fané. Bien que les camélias soient ses fleurs préférées, elle n’était connue comme ‘la Dame aux Camélias’ qu’après sa mort, grâce au roman de Dumas; apparemment, c’était sa fleuriste qui lui avait donné ce nom. Il devenait son amant de cœur, c'est-à-dire qu’il ne la ‘payait’ pas pour pouvoir être son amant. Comme elle avait déjà tout ce qu’elle pouvait désirer sur le plan matériel, elle cherchait probablement un amant jeune qui ne l’ennuierait pas. Bien qu’elle n’ait pas voulu accepter de l’argent de Dumas, il s’endettait quand même en achetant des fleurs, des bonbons, des soirées à l’Opéra, des dîners, etcetera; afin de pourvoir financer tout cela, il commença à jouer. Quand Marie et lui passaient quelques jours à la campagne, tout semblait être parfait; mais de retour à Paris elle reprenait aussitôt son ancien mode de vivre et semblait appartenir à tout le monde. La 15 16 Felsenstein (2003), p. 12. Dumas (1867 I), p. 9/10. 11 santé de Marie s’aggravait, mais elle était irritée quand Dumas lui suggérait de changer sa façon de vivre. Par contre, elle adoptait une vie encore plus agitée pour oublier sa maladie. Elle refusait de plus en plus souvent de recevoir Dumas, qui décidait finalement de rompre avec Marie, ce qu’il faisait en lui écrivant une lettre adieu. Après sa liaison avec Dumas fils, Marie Duplessis en avait une avec le pianiste et compositeur Franz Liszt, commencée vers la fin de l’année 1845, avec qui elle avait sa dernière grande liaison et qui était, selon Saunders17, l’amour de sa vie. C’était probablement le premier amant qui pouvait vraiment se comparer à elle, parce qu’il était beau, séduisant, riche, célèbre et encore plus désirée par les femmes qu’elle ne l’était par les hommes. Liszt écrivait d’elle: ‘C’était bien l’incarnation la plus absolue de la femme qui ait jamais existé (…) Je ne suis pas partial, en général, pour les ‘Marion Delorme’ ni pour les ‘Manon Lescaut’ (…) mais celle-là était une exception. Elle avait beaucoup de cœur, un entrain tout à fait idéal, et je prétends qu’elle était unique dans son espèce (…)’ 18 ‘Lorsque je pense à la pauvre Marie Duplessis, la corde mystérieuse d’une élégie antique résonne dans mon cœur.’ 19 Liszt se trouvait entre les deux grands amours de sa vie, et bien que ce qu’il ait écrit sur elle donne l’impression qu’il ait sans doute aimé un peu Marie, cette liaison était pour lui beaucoup moins sérieuse que ses liaisons avec Marie d’Agoult et avec la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, qui étaient plus longues et sur lesquelles il a beaucoup plus écrit. Il obtenait un poste comme Maître de Chapelle à Weimar et voulait s’y installer; mais il n’y voyait pas de place pour elle, une courtisane. En février 1846 Marie se mariait à Londres avec le vicomte Edouard de Perrégaux, mais elle revenait vivre à Paris comme si de rien n’était.20 Elle n’a guère utilisé son titre de vicomtesse; il est possible qu’elle ne veuille ce titre que pour pouvoir vivre avec Liszt à Weimar, pour que leur liaison serait plus facilement acceptée.21 Mais la santé de Marie déclinait de plus en plus et Liszt la laissait seule à Paris de plus en plus souvent. Sa situation financière était aussi pénible: ses amants l’avaient quittée et il n’y avait plus personne pour payer ses factures. Marie sentait qu’elle allait mourir bientôt 17 18 19 20 21 Saunders (1954), p. 177 Issartel (1981), p. 35 http://fr.wikipedia.org/wiki/Maire_Duplessis Saunders (1954), p. 179, Lyonnet (1930), p. 33-36. Saunders (1954), p. 179 12 et allait encore une fois prendre les eaux en Allemagne, mais vers l’hiver de 1846 elle ne pouvait plus quitter son appartement. A cette époque, Dumas accompagnait son père sur un long voyage vers l’Espagne. Marie était morte à l’âge de vingt-trois ans, le 3 février 1847, de consomption, ce qu’on appelle de nos jours la tuberculose. Dumas apprenait la nouvelle une semaine plus tard, quand il partait de Marseille pour Paris, où il arrivait le 14.22 Le vicomte de Perrégaux était obligé à identifier le corps, et le 16 février on avait ouvert le cercueil, au cimetière Montmartre. Il est possible que Dumas l’ait accompagné, ou bien qu’il ait entendu un témoignage de cet événement, et qu’il a utilisé cette expérience pour la décrire dans le roman. Il était aussi présent à la vente des biens de Marie. Pendant quelque temps, Marie continuait à être un sujet populaire dans la presse et dans la conversation. Ce serait donc un sujet fécond pour un aspirant écrivain comme Dumas. Il écrivait une élégie pour Marie Duplessis, qui allait faire partie d’un volume de poèmes. En juin, en retournant à Paris après avoir visité son père au Château de Monte Christo, il s’arrêtait à l’auberge du ‘Cheval Blanc’. C’était là où il a commencé l’écriture du roman sur sa liaison avec Marie. Le jeune écrivain avait été beaucoup influencé par l’œuvre de George Sand et ce sujet était donc parfait pour son premier roman. Il finissait l’œuvre en trois semaines. La Dame aux Camélias parût en 1848. Le public ne voulait pas de ses poèmes, mais le roman était un succès immédiat, surtout auprès des femmes: dans quelques mois après la parution il en avait déjà vendu des milliers, ce qui était beaucoup à cette époque. Dans beaucoup de romans écrits au XIXième siècle figurent des courtisanes, mais La Dame aux Camélias est le seul cas dans lequel il est certain qu’il s’agit d’une description d’une vraie personne.23 Cela rendait l’histoire sans doute plus vraisemblable pour les lecteurs, et aussi plus intéressante. Le roman était donc si populaire à la parution notamment parce que Marie Duplessis l’avait été, mais c’était aussi grâce à la popularité du roman en 1848 que Marie Duplessis restait un sujet intéressant pour la presse. L’année suivante, Dumas fils décidait de faire une pièce de théâtre basée sur le roman, mais pendant quelques années il avait des problèmes avec la censure qui ne permettait pas la représentation de la pièce: ‘L’année suivante on apprenait qu’il avait tiré de son roman une pièce de théâtre en cinq actes et que cette comédie venait d’être interdite par la censure qui fonctionnait alors sous la seconde République. A cette nouvelle, tous ceux qui 22 23 Lucot (1997), p. 71/72. Crane (1976), p. 88. 13 n’avaient pas encore lu le volume voulurent le connaître. Ce fut un engouement universel.’ 24 Finalement, la censure avait donc eu une influence positive sur la popularité de l’œuvre. Avec le temps, Dumas fils devenait de plus en plus moraliste et plus tard dans sa vie il considérait La Dame aux Camélias comme un péché de jeunesse, bien qu´il sache très bien que c’était son œuvre la plus populaire et celle qui avait rendu son auteur célèbre; comme sa pièce de théâtre était encore beaucoup jouée vers la fin de sa vie, il pouvait vivre des recettes. Selon Carlo Pasticci, il s’agit même de la pièce de théâtre le plus jouée au XIXième siècle.25 Dumas fils en écrivait d’ailleurs encore bien d’autres, dont les plus connues sont Diane de Lys et Le Demi-Monde. Le changement de morale de Dumas fils est un sujet de recherche en soi;26 d’un côté, il se distanciait de la morale de son père, qui avait laissé la mère de Dumas fils quand elle était enceinte et qui avait eu de nombreuses liaisons; de l’autre côté, comme il n’était pas heureux en ménage lui-même, lui aussi se jetait dans les bras d’une autre femme. Il n’arrivait donc pas à être le bon exemple qu’il aurait tant voulu être. Bien que Dumas fils n’ait jamais eu la célébrité de son père, l’auteur des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte Christo, il est quand même reçu à l’Académie française en 1875, honneur qu’il acceptait au nom de son père. De nos jours, La Dame aux Camélias est la seule œuvre de Dumas fils encore lu par un grand public, sans doute en partie grâce à la popularité de l’opéra. A cause de la popularité de La Dame aux Camélias et La Traviata, la tombe d’Alphonsine Plessis est encore aujourd’hui l’objet de nombreux pèlerinages, et on y trouve toujours des camélias frais. Ce résumé de la vie de Marie Duplessis nous sera utile pour l’étude des versions fictives de l’histoire de la Dame aux Camélias, pour voir quelles parties de l’histoire sont basées sur la réalité et lesquelles ont échappé à l’imagination de Dumas fils. 24 25 26 Lyonnet (1930), p. 9. Felsenstein (2003), p. 14. Seillère (1921). 14 La courtisane dans la littérature Dumas fils n’était pas le premier et certainement pas le dernier auteur à consacrer une œuvre littéraire à une courtisane. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, les courtisanes étaient très présentes dans la vie culturelle, dans les théâtres et dans le monde des divertissements. Le luxe qu’elles pouvaient se permettre frappait l’imagination et les plus élégantes d’entre-elles imposaient souvent des nouvelles modes. Beaucoup d’écrivains au XIXième siècle ont connu personnellement des courtisanes et ont décrit dans leurs romans leurs propres expériences; d’autres ne les connaissaient que de vue et insistaient surtout sur le fait qu’elles vivaient dans le péché. Dans bien des cas, il s’agissait d’un sujet choquant qui provoquait le scandale. Comme le scandale était presque une garantie pour succès, cela explique aussi en partie la popularité du sujet. Pour obtenir une idée de la popularité de la courtisane comme thème littéraire en France au XIXième siècle, ce qui peut expliquer en partie la popularité de l’œuvre de Dumas, il est nécessaire de faire un relevé global de la courtisane comme personnage littéraire. Ce relevé nous aidera plus tard à comparer La Dame aux Camélias à d’autres œuvres qui traitent de courtisanes. Je me suis bornée aux courtisanes ou personnages semblables aux courtisanes, comparables à celles qu’on trouve dans les œuvres traitées dans ce mémoire, je ne traiterai par exemple pas les courtisanes asiatiques ou les courtisanes avant le XVIIIième siècle. Comme on ne connaît plus de nos jours des courtisanes comme celles du XIXième siècle, j’ai également cherché des représentations modernes de la courtisane. Etant donné que le cinéma est devenu un medium important au XXième siècle, je ne me suis pas limitée à la littérature mais je donnerai aussi quelques exemples cinématographiques. Dumas fils n’était certainement pas le premier écrivain à présenter une courtisane comme personnage dans un roman. L’Abbé Prévost (1697-1763) l’avait déjà fait en 1731 avec son Histoire des Grieux et de Manon Lescaut, une œuvre encore largement connu au XIXième siècle et encore de nos jours, et aussi une inspiration pour Dumas fils: il utilise l’histoire de Manon dans son roman pour la contraster avec celle de Marguerite. Manon est une fille pas très intelligente qui trompe son amant de cœur, Des Grieux, parce qu’elle ne peut pas résister aux tentations de l’argent. Quand même, son amant ne veut pas la quitter et se laisse entraîner dans la misère avec elle, et la suit même quand elle est exilée en Amérique. Là, finalement, elle meurt. Le roman est devenu un classique et l’histoire de Manon Lescaut est toujours restée populaire, sans doute aussi grâce aux deux opéras qu’on en a tirés (il y en a eu d’ailleurs encore deux autres à peu près oubliés), Manon (1884) de Jules Massenet et Manon Lescaut (1893) de Giacomo Puccini. Le roman est mentionné 15 plusieurs fois dans La Dame aux Camélias dans des comparaisons, comme nous allons le voir dans le chapitre sur la représentation de la courtisane dans cette œuvre. Un nom qu’il faut mentionner ici, parce qu’il s’agit bien d’une courtisane légendaire bien qu’elle vive au XVIIième siècle, est Ninon de l’Enclos (1620-1705). Elle était un habitué des salons, le mécène d’entre autres Molière et Voltaire et elle était l’auteur de quelques œuvres, parmi elles La coquette vengée (1659). Plusieurs écrivains ont écrit des œuvres sur elle. Au XIXième siècle, on peut retrouver la courtisane comme personnage littéraire chez presque tous les grands écrivains, par exemple chez Balzac, Hugo, Flaubert, Daudet, Maupassant, les frères Goncourt et Zola, sans compter des écrivains moins connus de nos jours comme Barrault, Berthoud, Frémy, Ricard et Soulié.27 Alex Lascar en nomme encore beaucoup d’autres dans son article La courtisane romantique (1830-1850): solitude et ambiguïté d’un personnage romanesque.28 Au commencement du XIXième siècle, donc avant que Dumas fils ait écrit La Dame aux Camélias, il y avait entre autres Balzac et Hugo qui utilisaient des courtisanes comme personnages. Dans son drame Marion de Lorme (1828), Hugo nous raconte l’histoire de la courtisane Marion. Marion ne révèle pas sa vraie identité à son amant. Il risque sa vie pour elle en se battant en duel avec un des autres amants de Marion et il est condamné à mort. Quand Didier découvre qu’elle est en fait cette fameuse Marion de Lorme, il la méprise; mais juste avant qu’il soit exécuté, il la pardonne en croyant que leur amour aurait pu la changer en une honnête femme.29 La pièce est interdite par la censure, problème que Dumas aura aussi avec la pièce de théâtre La Dame aux Camélias. La pièce est finalement représentée en 1831, après qu’Hugo ait changé la fin: dans la première version, Didier meurt sans pardonner à Marion.30 Le nom Marion de Lorme est, comme Manon Lescaut et Marguerite Gautier, devenu presque un synonyme pour une courtisane. Les nombreuses courtisanes dans l’œuvre de Honoré de Balzac n’ont pas connu une célébrité pareille, peut-être parce qu’il ne s’agisse souvent pas de personnages principales et parce qu’elles soient décrites d’une manière plus superficielle. On retrouve des courtisanes entre autres dans ses romans La cousine Bette (1846) et Splendeurs et misères des courtisanes (1847). En 1838, Alfred de Musset a écrit la nouvelle Frédéric et Bernerette; Dumas père lui-même avait écrit en 1844 la pièce Fernande, traitant d’une courtisane. Gustave Flaubert écrit en 1869 L’Éducation Sentimentale31 dans laquelle il introduit la 27 28 29 30 31 Crane (1967). Lascar (2001). Hugo (1985). Barrère (1952), p. 54. Flaubert (1869). 16 courtisane Rosanette Bron, qui évoque des scènes tout à fait comparables à certaines scènes dans La Dame aux Camélias, quand il s’agit des problèmes d’argent ou de leur séjour à la campagne. Dans Scènes de la vie de bohème (1845-1849) d’Henri Murger, un roman qui a aussi été l’inspiration pour un opéra, à savoir La Bohème de Puccini, figurent également des courtisanes. En général, la courtisane était représentée comme étant vulgaire, frivole et enfantine. Dans l’œuvre de George Sand, une des rares femmes qui ont écrit sur des courtisanes, on trouve Isidora (1846), qui traite d’une courtisane qui est ‘sauvée’ par la sœur de son mari défunt, qui l’accepte et devient son amie.32 Eve Sourian argumente dans sa préface pour le roman qu’il est bien possible que ce roman a aussi été inspiré par Marie Duplessis33 et que Sand y réfère dans la notice avec laquelle le roman commence: ‘A Paris, 1845. C’était une très belle personne, extraordinairement intelligente, et qui vint plusieurs fois verser son cœur à mes pieds, disait-elle. Je vis parfaitement qu’elle posait devant moi et ne pensait pas un mot de ce qu’elle disait la plupart du temps. Elle eût pu être ce qu’elle n’était pas. Aussi n’est-ce pas elle que j’ai dépeinte dans Isidora. 34 Le fait qu’Isidora est aussi prénommée la Dame aux Camélias renforce l’idée; mais comme Sand le dit elle-même, le caractère d’Isidora n’est pas basé sur le personnage historique; dans l’œuvre il ne s’agit donc pas d’un autre point de vue concernant Marie Duplessis, ce qui aurait pu être intéressant pour le comparer avec celui de Dumas fils. Ce qui est cependant intéressant, est qu’il s’agit du point de vue d’une femme par rapport aux courtisanes, et Sand se montre assez sévère à leur regard. On retrouve un tout autre point de vue par rapport aux courtisanes dans les œuvres d’Emile Zola. Zola ne condamne pas les courtisanes, il est plutôt un observateur décrivant la misère dans laquelle elles vivaient. Son roman Nana (1880), qui fait partie du cycle des Rougon-Macquart, compte, comme celui de Dumas fils, parmi les romans les plus connus traitant de courtisanes; mais dans ce roman il ne s’agit pas d’une Marguerite, mais d’une fille arrogante sans cœur. Cependant, il y a de fortes ressemblances entre la représentation du mode de vie des courtisanes dans Nana et dans La Dame aux Camélias. Ce n’est pas la seule œuvre de Zola dans laquelle on trouve des courtisanes; on les retrouve aussi dans ses 32 33 34 Seillière (1921), p. 6, Sand (1846). Sand (1846), p. 12/13. Sand (1846), p. 35. 17 œuvres de jeunesse, notamment dans La confession de Claude, que je traiterai dans le dernier chapitre en étant une œuvre influencée par La Dame aux Camélias, et aussi dans Le vœu d’une morte et Madeleine Férat. Le thème n’était pas seulement populaire en France: l’auteur anglais John Cleland écrit Memoirs of a Woman of Pleasure ou Fanny Hill en 1748/1749, un roman qui est encore populaire de nos jours, et en 1894, Oscar Wilde écrit sa Sainte Courtisane. En 1825, la courtisane anglaise Harriette Wilson publiait ses propres mémoires, qu’on peut lire encore de nos jours sous le titre Mistress of many – The memoirs of Harriette Wilson.35 Ce qui est intéressant dans cette œuvre est évidemment qu’elle contient le point de vue d’une courtisane au lieu de celui de ses amants, dans un temps où il n’y avait pas encore beaucoup d’écrivains féminins. Mes cahiers bleus,36 les mémoires de la courtisane Liane de Pougy, que j’ai déjà mentionnées, et les mémoires de Sarah Bernhardt, Ma double vie,37 sont intéressantes pour les mêmes raisons. Au XXième siècle, la courtisane comme on l’a connu au XIXième siècle disparaît; mais on peut toujours trouver dans la littérature des personnages de courtisanes ou des personnages qui ressemblent aux courtisanes; par exemple Odette du Crécy, qui devient la femme de Swann, dans Du coté de chez Swann (1913) de Marcel Proust. Elle n’est pas introduit par l’écrivain comme étant une courtisane, mais en fait, elle en est une. Colette, qui était une amie d’entre autres la courtisane Caroline Otéro (voir plus haut), écrit en 1920 Chéri, un roman sur la liaison entre une vieille courtisane et un jeune homme nommé Chéri. Encore de nos jours, de nombreux romans sont écrits qui traitent de courtisanes; il s’agit souvent de romans historiques. Quelques exemples récents sont Courtesan de Dora Levy Mossanen (2005) et In the company of the courtesan (2006) de Sarah Dunant. On peut comparer la courtisane du XIXième siècle à ce qu’on appelle de nos jours un ‘golddigger’: une femme qui veut marier un homme riche pour profiter de son argent et pour pouvoir vivre dans le luxe. Et si cela n’est pas un thème très fréquemment utilisé dans la littérature, il y en a des exemples cinématographiques; par exemple dans le film récent Hors de prix (2007) de Pierre Salvadori dans lequel une femme séduit des hommes riches pour pouvoir vider leur cartes de crédit, mais qui, finalement, tombe amoureuse d’un homme pauvre, comme Marguerite. Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s (1961) réalisé par Blake Edwards est un exemple connu; un autre exemple classique est le film Pretty Woman (1990) de Garry Marshall, dans lequel un homme riche tombe amoureux d’une prostituée, et 35 36 37 Wilson (1960). Pougy (1941). Bernhardt (1907). 18 aussi le film musical Moulin Rouge! (2001), dont je parlerai dans le chapitre traitant de l’œuvre de Dumas comme source d’inspiration. Il est clair que le thème a conservé une certaine popularité au XXième siècle. Il est remarquable que beaucoup des histoires des courtisanes traitées ici fassent preuve de plusieurs éléments récurrents. Il s’agit souvent d’un amant jeune qui veut sauver ou ‘purifier’ la courtisane; pour ce faire, ils quittent Paris - symbole pour la frivolité et tout ce qu’il y a de mal dans la façon de vivre d’une courtisane – pour aller à la campagne; subitement, la courtisane redevient une femme honnête. Puis viennent les soucis d’argent, le retour à Paris, la rechute à la vie de courtisane et souvent la mort précoce de celle-là. Dans beaucoup de ces histoires, il y a en plus des éléments autobiographiques; les expériences personnelles des auteurs, positives ou négatives, ont beaucoup d’influence sur la représentation de la courtisane dans les œuvres. Chez les écrivains qui n’ont pas connu des courtisanes, on ne retrouve dans la représentation de la courtisane que le point de vue de l’homme; chez ceux qui ont profité de l’occasion de les étudier de près, la représentation de la courtisane est plus nuancée et plus humaine. La différence la plus remarquable entre toutes ces courtisanes littéraires et La Dame aux Camélias, est le caractère de Marguerite: elle est représentée comme une fille avec un bon cœur, ce qui est exceptionnel pour une courtisane dans une œuvre littéraire. Elle est, selon Van der Gun, la ‘dernière courtisane romantique’,38 et selon Dumas fils lui-même, la dernière courtisane qui ‘avait du cœur’.39 Dans un petit livre de Claretie datant de 1882, qui traite de Dumas en étant un ‘célébrité contemporain’, on trouve la comparaison suivant entre Manon Lescaut et La Dame aux Camélias: ‘Le livre de Dumas, c’est Manon Lescaut, si l’on veut, mais avec l’idée moderne en plus, avec le sentiment du repentir. Armand Duval, c’est un Desgrieux qui ne tombe pas; Marguerite Gautier est une Manon qui se relève. Il y a dans ce livre de Dumas une chose de plus que dans celui de l’abbé Prévost: avec la passion il y a l’honneur.’ 40 Déjà au XIXième siècle, le public appréciait la valeur de La Dame aux Camélias quand il s’agit de la représentation de la courtisane, et Claretie la place même au dessus des autres œuvres traitant des courtisanes, parmi lesquelles la très populaire Manon Lescaut. 38 Gun (1963), p. 68. Dumas (1867, I), p. 10. 40 Claretie (1882), p. 13. 39 19 Ce relevé nous montre donc que la courtisane était au XIXième siècle un personnage populaire; qu’il y a des éléments récurrents qu’on peut retrouver dans de nombreuses histoires traitant des courtisanes, mais aussi que la représentation de la courtisane dans les différentes œuvres diffère. Je ferai plus tard une analyse plus profonde de la représentation de la courtisane dans les trois œuvres sur La Dame aux Camélias, pour laquelle ce chapitre sera utile. Maintenant, je vais introduire l’histoire de La Dame aux Camélias comme on le trouve dans les trois différents médias. Le caractère de Marguerite et ses actions seront présentés à l’aide d’un résumé des trois histoires. 20 La Dame aux Camélias: résumé des différentes oeuvres Pour pouvoir comparer les deux oeuvres de Dumas et celle de Verdi, et par extension la représentation de la courtisane dans ces œuvres qui est un facteur important pour la popularité du personnage, je vais premièrement faire un résumé qui compare les différentes histoires. Ce qui complique la comparaison entre les œuvres est le fait qu’il y des différences entre les noms des personnages, et parfois il y a des personnages supplémentaires ou des personnages supprimés. Dans la pièce, Dumas a ajouté deux personnages, la grisette Nichette et son fiancé Gustave. On retrouve aussi l’inverse, par exemple chez Prudence et Olympe, qui sont dans l’opéra toutes les deux représentées par le personnage de Flora. C’est dans ces cas-là que ces changements de noms ont de l’influence sur l’histoire. Les noms dans l’opéra sont tous différents parce qu’il fallait trouver des noms italiens; les noms dans la version française de l’opéra diffèrent un peu de la version italienne. Cependant, il y a des similarités entre les noms: Marguerite et Violetta sont tous deux noms de fleurs, et l’ami de Violetta s’appelle Flora; dans la version anglaise de la pièce, Marguerite s’appelle Camille, elle est donc nommée directement après la fleur qu’elle aime. Le docteur s’appelle Germont dans la version française de l’opéra, comme Alfredo dans la version italienne; le nom Douphol ressemble Duval et Grenvil ressemble Varville, donc même s’il s’agit de différents personnages, Verdi et Piave, son librettiste, ont étés inspirés par les noms français. Pour faciliter la comparaison, j’ai mis les noms des personnages principaux dans une table: Roman Pièce de théâtre Opéra Opéra, version française Marguerite Gautier Marguerite Gautier Violetta Valéry Violetta de Saint-Ys Armand Duval Armand Duval Alfredo Germont Rodolphe d’Orbel Georges Duval Georges Duval Giorgio Germont Georges d’Orbel Gaston R… Gaston Rieux Gastone, Visconte Le vicomte Émile de Letorières Prudence Prudence ~ Flora Bervoix Clara Olympe Olympe Nanine Nanine Annina Annette Le comte de N… (Arthur de) Varville ~ Barone Le baron Reynal Le comte de G… Le comte de Giray Douphol Le vieux duc Le duc de Mauriac ~ Marchese Le marquis d’Orbigny 21 d’Orbigny Le docteur Dottore Grenvil Le docteur Germont Pour le résumé, j’ai partagé l’histoire en six parties, globalement basées sur les actes dans la pièce: la rencontre et l’amour; la liaison et l’interrogation; à la campagne et le sacrifice; l’affront; et finalement la mort. Les parties sont précédés par l’introduction, qui ne figure que dans le roman. Les résumés individuels des différentes oeuvres se trouvent dans les annexes. L’introduction Pour le roman, Dumas fils a utilisé un récit encadré: l’histoire est racontée par un homme qui, en visitant la vente des biens d’une courtisane décédée, commence à s’intéresser à la vie de celle-là et y achète un exemplaire de Manon Lescaut, roman qu’un de ses amants lui avait donné. Cette courtisane était Marguerite Gautier, une femme qui avait été beaucoup à la mode il y avait quelques mois. Quelques jours plus tard, un des amants de Marguerite, Armand Duval, vient rendre visite au narrateur pour demander s’il peut racheter le livre: il n’a pas pu assister à la vente et n’a donc pas pu obtenir un souvenir d’elle. Il était juste de retour d’un long voyage à l’étranger et il avait obtenu de Julie Duprat, la femme qui avait soignée Marguerite pendant ses derniers jours, quelques lettres, qu’elle avait écrit pour lui pendant ses derniers jours et dans lesquelles elle lui raconte ce qui était la vraie cause de la fin de leur liaison. Armand demande à notre narrateur de l’accompagner au cimetière; pour qu’Armand puisse voir Marguerite une dernière fois, il a obtenu la permission de sa sœur d’exhumer la morte pour l’enterrer dans une concession à perpétuité. Armand tombe malade à cause de la fatigue et des émotions. Le narrateur lui tient compagnie et Armand commence à lui raconter l’histoire de sa liaison avec Marguerite. On ne retrouve ni cette introduction ni le récit encadré dans la pièce ou dans l’opéra. Dumas l’a utilisé sans doute parce qu’il voulait créer une distance entre lui-même, l’auteur du roman qui est représenté par le narrateur, et Armand, le personnage principal du roman; il voulait éviter que les lecteurs lisaient le roman en supposant que l’histoire était basée sur la liaison de Dumas luimême, même si cela était effectivement le cas, un fait dont presque tout le monde était au courant. I. La rencontre: l’amour Un soir, Armand est allé à l’Opéra Comique en compagnie de son ami Ernest, qui le présente à Marguerite. Elle se moque de lui parce qu’il la prend trop aux sérieux. Quand, quelques 22 jours plus tard, Armand apprend qu’elle est très malade – elle est poitrinaire -, il va avoir de ses nouvelles chaque jour. Deux ans plus tard, il se trouve au théâtre des Variétés en compagnie de son ami Gaston. Il propose à Prudence Duvernoy, qui est la voisine de Marguerite et une connaissance de Gaston, de l’accompagner chez elle. Quand, une fois rentrée chez elle, Marguerite demande à Prudence de venir lui tenir compagnie, Prudence emmène avec elle Armand et Gaston. Ici commence le premier acte de la pièce de théâtre et aussi de l’opéra. Armand est présenté pour la deuxième fois; Marguerite ne se souvient plus de lui. Le comte de N…, qui lui avait tenu compagnie jusque là et l’ennuyait horriblement, part. Quand Marguerite est pris d’un fort accès de toux et fuit dans son cabinet de toilette, Armand est le seul à la rejoindre et à exprimer son inquiétude pour sa santé et l’amour qu’il lui porte. Ils parlent longtemps et elle l’avertit du fait qu’elle ne peut jamais être à lui seul; son mode de vie ne lui permet pas de n’avoir qu’un seul amant. Elle lui donne un camélia, sa fleur favorite et l’origine de son prénom, et dit qu’il peut la remporter quand elle s’est fanée. Marguerite lui permet donc de venir la voir le lendemain soir, en étant son amant de cœur. Dans la pièce et dans l’opéra, il s’agit dans cette scène d’une compagnie plus grande que dans le roman, dans la pièce il y a six personnes chez Marguerite, dans l’opéra il s’agit même d’une fête avec des dizaines d’invités. Dans la pièce, au début Varville (le comte de G… dans le roman) attend que Marguerite soit rentrée de l’Opéra et parle avec Nanine, la servante, de Marguerite. C’est pour nous donner une idée de ce personnage, cette conversation a donc plus au moins la même fonction que l’introduction du roman. Nichette passe, une grisette que Marguerite connaît du temps dans laquelle elle aussi était encore grisette. Puisque Marguerite n’est pas encore de retour et que son fiancé Gustave l’attend, elle part. Il s’agit des personnages que Dumas a ajoutés pour faire un contraste entre leur liaison ‘honnête’ et la liaison entre Marguerite et Armand. Marguerite revient, après quelque temps Varville sent qu’il n’est pas le bienvenu et il part, pendant qu’Olympe et M. SaintGaudens entrent. Après que Marguerite l’ait appelée, Prudence, la voisine de Marguerite, arrive en compagnie de Gaston et Armand Duval, qui l’avaient accompagnée chez-elle. Armand est introduit chez Marguerite en étant ‘l’homme de Paris qui est le plus amoureux de vous’. On lui raconte qu’il venait avoir de ses nouvelles chaque soir quand elle était malade. Un peu plus tard, la compagnie propose que Gaston chante une chanson à boire. C’est en dansant que Marguerite a un malaise et envoie la compagnie dans une autre pièce pour être seule. La scène dans le cabinet de toilette est globalement la même. Dans l’opéra, le premier acte se passe à une grande fête chez Violetta Valéry, la courtisane. Son protecteur, le baron Douphol, essaye d’attirer l’attention de Violetta, qui n’y réagit pas. Alfredo est présenté à Violetta par leur ami mutuel Gaston, qui l’introduit comme 23 dans la pièce, en étant son plus grand admirateur. Elle lui demande de porter un toast; il célèbre le vin et l’amour. Violetta lui répond avec un hymne à la joie. La scène dans le cabinet de toilette est comparable aux scènes dans le roman et dans la pièce. Quand Violetta est prise d’un malaise et envoie tout le monde dans une autre chambre pour danser, Alfredo est le seul qui reste auprès d’elle et exprime son inquiétude pour sa santé et son amour pour elle. Violetta lui donne une fleur, et lui donne la permission de la lui rendre le lendemain. C’est peut être parce que cette scène est, selon Dumas fils, très fidèle à la rencontre réelle entre Dumas et Marie Duplessis, qu’elle est tellement forte qu’on n’avait pas besoin de la changer beaucoup pour le théâtre ou l’opéra. Quand tout le monde est parti, Violetta reste seule à méditer son mode de vie et la possibilité d’un amour sincère; dans la pièce, elle fait cela au début du deuxième acte, en parlant à Nanine. II. La liaison; l’interrogation Pendant la journée, Armand va aux Champs-Élysées, où il sait qu’elle a l’habitude de se promener tous les jours. Quand, le soir, il se rend chez Marguerite, elle le reçoit assez mal; mais après que Prudence soit passée pour lui donner une bonne nouvelle – elle a obtenu six mille francs du vieux duc, le protecteur de Marguerite – elle change d’humeur. A cinq heures du matin, elle lui dit de s’en aller, parce que le duc, qui est très jaloux, vient tous les matins lui rendre visite et elle ne veut pas qu’il voie Armand. Pendant la journée, elle lui écrit de se rendre ce soir au Vaudeville, mais puisque elle est accompagnée du comte de G… elle n’a pas beaucoup de temps pour lui parler. Le soir, après que le comte soit parti de chez elle, Armand va la voir; elle lui raconte qu’elle croit avoir trouvé un moyen pour passer l’été avec lui à la campagne. Dans la pièce, c’est juste après la scène dans laquelle elle a avoué son amour pour Armand à Prudence, qu’Armand vient lui rendre visite et qu’elle lui raconte son projet. Quand Marguerite le renvoie, Armand croit qu’elle attend quelqu’un; il découvre que c’est le comte de Giray. Il se sent trompé et lui écrit une lettre d’adieu. Mais ce soir même il regrette déjà cette lettre et il vient pour la prier de le pardonner, ce que, finalement, elle fait. Bien que ce soit un peu raccourci, cela ressemble assez fidèlement au roman, dans lequel, le lendemain, il reçoit une lettre dans laquelle elle dit qu’elle est malade et ne peut pas le recevoir ce soir. Armand découvre qu’elle lui a écrit cela parce qu’elle avait reçu ce soir le comte de G… Armand se sent trahi, bien qu’elle l’ait prévenu à l’avance. Il lui écrit une lettre d’adieu accusatrice. Elle ne répond pas, et le lendemain il a tant de regret de sa première lettre qu’il lui écrit une autre lettre, lui demandant pardon. Le soir, elle vient lui rendre visite. Elle le pardonne et avoue qu’elle est vraiment amoureuse de lui. La liaison recommence, et bien que Marguerite ne lui demande pas d’argent, sortir avec elle lui coûte 24 cher. Il commence à jouer pour avoir des ressources supplémentaires. Une fois, quand Armand, Marguerite et Prudence passent la journée à la campagne, Marguerite évoque de nouveau l’idée de passer l’été ensemble à la campagne, avec l’aide financière du vieux duc. Dans l’opéra, on ne retrouve pas ce passage; le deuxième acte commence quand ils vivent heureusement à la campagne. III. A la campagne; le sacrifice Tout est arrangé et ils vivent heureusement à la campagne. Quand le duc découvre qu’elle y vit ouvertement avec un amant, il la laisse choisir: ou bien quitter Armand ou renoncer à son aide. Elle choisit la dernière option parce qu’elle ne veut plus vivre qu’avec Armand. Après quelque temps, Armand découvre que Marguerite, à l’aide de Prudence, est en train de vendre sa voiture, ses chevaux, ses cachemires et ses bijoux pour payer ses dettes à Paris; puisque le duc ne la protège plus, les créanciers ne veulent plus lui donner du crédit. Armand part pour Paris pour trouver un moyen pour payer les dettes pour qu’elle n’ait pas besoin de vendre encore plus de ses possessions. On retrouve cette scène aussi dans la pièce et dans le deuxième acte de l’opéra, à part de l’intervention du duc. Le père d’Armand est mis au courant du changement de vie de son fils et, étant arrivé à Paris, demande à son fils de l’y rejoindre. Pendant cette rencontre, il essaye de convaincre Armand de la nécessité de quitter Marguerite; il n’y parvient pas. Armand retourne auprès de Marguerite, mais elle lui dit de ne surtout pas se brouiller avec son père, et d’aller demander son pardon. Pendant qu’Armand est à Paris pour chercher son père, qu’il ne trouve pas, celui-là vient rendre visite à Marguerite. Il lui dit de mettre fin à la liaison, parce que cette liaison noircit leur nom de famille et qu’il est probable que le fiancé de la sœur d’Armand ne veut plus la marier si leur nom de famille est associé à celui d’une courtisane. Finalement, elle y consent. Quand Armand rentre, Marguerite a l’air distrait. Comme son père lui a donné rendez-vous le lendemain, Armand va encore une fois à Paris. Quand il revient, Marguerite est partie et ne revient pas. Il va la chercher dans son ancien appartement, où on lui remet la lettre d’adieu de Marguerite. Dans la pièce et dans l’opéra, il ne s’agit pas d’une conversation entre le père et le fils; quand Armand est à Paris pour régler les dettes de Marguerite, le père Duval vient rendre visite à Marguerite. Dans la pièce, il arrive juste après que Nichette et Gustave, qui lui avaient rendu visite, et avec lesquels elle a glorifié la vie simple, soient partis. Dans la pièce comme dans l’opéra, c’est aussi l’argent qui compte pour le père Duval: il l’accuse de ruiner Armand. Après que M. Duval soit parti, Marguerite donne à Prudence une lettre pour remettre au baron de Varville, dans laquelle elle l’invite à l’accompagner à une fête chez Olympe dans quelques jours; puis, elle écrit une 25 lettre d’adieu à Armand. Armand la surprend en écrivant et dit que son père va venir le soir même; elle dit qu’il vaut mieux qu’elle ne soit pas là quand il arrive, et elle part. Un peu plus tard, il reçoit la lettre d’adieu. Dans l’opéra, il y a plus au moins la même scène. Quand Alfredo revient, après la visite du père Germont, il surprend Violetta en train d’écrire une lettre au baron Douphol. Elle lui dit combien elle l’aime et part. Un peu plus tard, la servante vient pour donner à Alfredo la lettre d’adieu de Violetta. IV. L’affront Armand va chez son père, qui le persuade de revenir auprès de sa famille. Mais après un mois, il retourne à Paris pour chercher Marguerite, qu’il ne peut pas oublier. Il la voit aux Champs-Elysées, en compagnie d’Olympe, une autre fille entretenue. Armand se décide à devenir l’amant d’Olympe pour rendre jalouse Marguerite. Après quelque temps, Marguerite ne se montre plus en public par crainte de les rencontrer. Prudence obtient d’Armand qu’il consentit à recevoir Marguerite chez lui. Marguerite lui demande de ne plus la faire souffrir, parce qu’elle n’a pas mérité un tel traitement. Ils passent la nuit ensemble et Marguerite lui promet d’être là pour lui quand il veut la voir. Cependant, quand le lendemain il se rend chez elle, sa domestique lui dit qu’elle ne peut pas le recevoir, parce que le comte de N… est là. Armand est offensé et écrit une note à Marguerite, disant qu’il avait oublié de la payer pour ses services, et il inclut dans l’enveloppe cinq cent francs. Il se résout de partir en voyage à l’étranger. Cette partie est un peu différente dans la pièce et dans l’opéra. Dans la pièce comme dans l’opéra, l’affront se passe en plein public; dans le roman, l’affront est plus indirect. Dans la pièce, Marguerite et Varville se rendent à la fête d’Olympe, où on est en train de jouer. Prudence raconte à Gaston que Marguerite et Armand sont séparés quand Armand, qui est déjà de retour de Tours, où sa famille vit, entre. Marguerite et le baron de Varville entrent. Armand et Marguerite se sentent tous les deux très mal à l’aise. Armand et Varville commencent à jouer; Armand gagne. Marguerite prend Armand à part et lui dit de partir parce qu’elle craint que Varville va le provoquer en duel. Comme elle ne peut pas dire qu’elle l’aime encore, elle dit qu’elle aime Varville; Armand jette l’argent qu’il a gagné à ses pieds et dit qu’il la paye pour les sacrifices qu’elle avait fait pour lui. Varville jette ses gants au visage d’Armand;de cette façon, il le provoque en duel. Dans l’opéra, cette partie se passe à la fin du deuxième acte. Violetta se rend à une fête chez son amie Flora en compagnie du baron Douphol; Alfredo, qui pense qu’elle l’a trompé, s’y rend aussi. Un groupe des invités est habillé comme tsiganes et toréadors et donne un spectacle. Alfredo défie le baron à jouer aux cartes. Alfredo jette l’argent qu’il a 26 gagné aux pieds de Violetta en disant que c’est son payement pour ses services. Le père d’Alfredo lui rappelle à l’ordre, mais le baron lui provoque en duel. Violetta essaye a prévenir le duel, mais ne le peut pas, parce qu’en faisant cela elle devait admettre qu’elle aime encore Alfredo. V. La Mort Dans le roman, Armand n’est pas encore de retour quand il reçoit le message que Marguerite est morte. C’est en rentrant à Paris qu’il obtient de Julie Duprat les lettres de Marguerite. Dans ces lettres, elle parle de sa rencontre avec le père d’Armand et de ses derniers jours. Elle lui raconte aussi que le père d’Armand lui a envoyé une lettre consolatrice et de l’argent pendant sa maladie. Il fait lire toutes ces lettres au narrateur, qui l’accompagne chez son père et sa sœur. Dans le roman, les derniers jours de Marguerite sont décrits dans les lettres et Armand n’est pas là quand elle meurt; dans la pièce, Armand arrive juste à temps pour voir Marguerite avant qu’elle soit morte. Marguerite est très malade. Gaston, qui l’a gardé pendant la nuit, sort; le docteur entre. Elle reçoit une lettre de Nichette: elle va se marier ce jour même. Prudence vient encore une fois lui demander de l’argent. Marguerite relit une lettre que le père d’Armand lui a envoyée, dans laquelle il dit qu’Armand était parti à l’étranger après le duel avec Varville, mais que maintenant il lui avait tout raconté et qu’Armand viendra lui demander pardon. Enfin, Armand arrive et lui dit qu’il ne la quittera plus. Marguerite se ranime, elle veut même sortir pour aller au mariage, mais elle se rend compte qu’il est trop tard. Elle donne un médaillon avec son portrait à Armand en lui expliquant qu’il peut montrer cela à sa future épouse en disant que cette femme priait pour eux chaque jour du ciel. Nichette, Gustave et Gaston entrent. Finalement, en disant qu’elle ne souffre plus, elle meurt. Dans le troisième acte de l’opéra, Violetta se trouve sur son lit de mort. Le docteur annonce à Annina qu’elle n’a plus que quelques heures à vivre. Le père d’Alfredo a envoyé une lettre à Violetta, dans laquelle il explique qu’après le duel, Alfredo a dû quitter le pays pour quelque temps, mais qu’il sera de retour pour lui rendre une dernière visite, son père lui ayant raconté la vraie raison du départ de Violetta. Finalement, Alfredo et son père arrivent; Violetta se ranime mais il est trop tard, elle meurt, après avoir demandé à Alfredo de ne jamais l’oublier. 27 Les différences principales entre les trois histoires La plupart des différences entre les trois histoires s’expliquent facilement quand on se rend compte qu’il s’agit de différentes sortes de médias. Dans les versions théâtrales, l’histoire est raccourcie, il y a moins de personnages et on n’a utilisé que les scènes du roman qui sont les plus importantes pour le développement de la liaison entre Marguerite et Armand. Dans le roman, Dumas raconte plus de détails et d’anecdotes. La différence la plus importante se trouve à la fin; dans le roman, Marguerite meurt sans qu’Armand est là, abandonnée par presque tous ses amis et amants, tandis que dans la pièce de théâtre et dans l’opéra, Armand est de retour juste à temps pour la revoir avant qu’elle meure. Cette différence n’a pas trop d’importance pour la manière dont Marguerite est représentée dans les œuvres, il s’agit premièrement d’une nécessité théâtrale. Il y a quand même quelques différences qui sont plus importantes pour la représentation de Marguerite et les autres courtisanes dans l’histoire, par exemple les personnages supplémentaires Nichette et Gustave, la manière dont Marguerite est traitée par Armand après qu’elle l’a quitté, mais aussi le fait que dans le roman, le lecteur est informé davantage sur le passé de Marguerite que dans la pièce et dans l’opéra, ce qui ne semble cependant pas trop influencer la représentation d’elle et l’impression générale qu’on obtient d’elle, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant. Une comparaison des trois versions souligne également les scènes clés de l’histoire qui se retrouvent dans la pièce de théâtre et l’opéra: leur rencontre, la confrontation entre Marguerite et le père Duval et la scène du trépas. Ce résumé était nécessaire pour comprendre le caractère de Marguerite et ses actions et la manière dont elle est présentée, et donc pour le chapitres suivant. Maintenant, on va voir s’il y a des différences remarquables entre la représentation de la courtisane dans le roman, la pièce et l’opéra et d’où viennent ces différences; j’insisterai aussi sur la question de savoir si les différences entre les trois histoires ont de l’influence sur la représentation des personnages. 28 La représentation de la courtisane dans les différents médias Dans ce chapitre, j’étudierai les aspects remarquables de la représentation de la courtisane dans l’histoire de Dumas et l’opéra de Verdi. Je traiterai d’abord la représentation dans les trois œuvres, puis nous déterminerons en quoi consistent les différences essentielles entre les trois. Finalement, je me demanderai en quoi la représentation de la courtisane dans cette histoire diffère de celles qu’on trouve dans d’autres œuvres traitant des courtisanes et dans quelle mesure cette différence peut être une des raisons pour son succès. Le roman Dans son introduction à La Dame aux Camélias dans son théâtre complet, Dumas dit de Marie Duplessis, sa source d’inspiration: ‘Elle fut une des dernières et des seules courtisanes qui eurent du cœur. C’est sans doute pour ce motif qu’elle est morte si jeune. Elle ne manquait ni d’esprit ni de désintéressement. Elle a fini pauvre dans un appartement somptueux, saisi par ses créanciers. Elle possédait une distinction native, s’habillait avec goût, marchait avec grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une femme du monde.’ 41 Dans cette citation on reconnaît le commentaire de Jules Janin dans sa préface.42 L’image que Dumas nous donne de Marie, qui est sans doute un peu idéalisée, ressemble exactement à la représentation de Marguerite dans son roman et sa pièce de théâtre. Cette citation et le fait que nous savons que l’histoire a été inspirée par la liaison entre Dumas et Marie Duplessis, fait suggérer que c’est Dumas qui nous parle de Marie dans les descriptions dans le roman, bien qu’il a utilisé le récit encadré pour se distancier et pour donner l’impression qu’il ne s’agit pas de lui-même. Dans les trois médias, le personnage principal, Marguerite ou Violetta, est présenté comme une sainte: elle a ses défauts, mais elle est intelligente, éduquée, et elle a un bon cœur. Elle ne fait pas de promesses qu’elle ne peut pas tenir, elle est très honnête envers Armand, et si elle ment, c’est pour le protéger contre sa propre jalousie. Elle est aussi une victime et une martyre: elle est prête à laisser son propre bonheur pour assurer celui d’un autre. En fait, son seul vrai défaut est qu’elle est une 41 42 Dumas (1867), p. 10. Voir p. 5. 29 courtisane. Il y a aussi quelques autres courtisanes qui jouent un rôle dans l’histoire et qui ne sont pas si angéliques que Marguerite. Comme Dumas l’écrit lui-même dans son roman: ‘L’histoire de Marguerite est une exception, je le répète; mais si c’eût été une généralité, ce n’eût pas été la peine de l’écrire.’ 43 En fait, ce que Dumas fils fait dans ce roman, est de présenter une courtisane qui n’est pas tout à fait une courtisane ou qui, au moins, n’a pas les caractéristiques d’une courtisane typique. Pour souligner que Marguerite est une exception, Dumas introduit aussi quelques courtisanes qui ressemblent plus à l’image typique de la courtisane qu’on retrouve dans la littérature du XIXième siècle. Il y a par exemple Olympe, qui est caractérisée comme suit par Armand: ‘Celle-là était bien le type de la courtisane sans honte, sans cœur et sans esprit, pour moi du moins, car peut-être un homme avait-il fait avec elle le rêve que j’avais fait avec Marguerite.’ RTL, p. 229. C’est qu’Armand se rend bien compte que la Marguerite qu’il connaissait, n’était pas tout à fait la même que la courtisane que le monde connaissait; il l’a vue d’un autre point de vue et il a eu de la chance en faisant la connaissance de la Marguerite avec cœur; la chance que, par exemple, le comte de N. n’a pas eue. On peut donc également interpréter cette citation en sens inverse: si Olympe était peut-être une femme avec esprit du point de vu de quelqu’un d’autre, Marguerite était peut-être une femme sans cœur pour un autre homme qu’Armand. Un autre exemple d’une courtisane sans cœur est Prudence, une ancienne courtisane qui est la voisine de Marguerite, et qui ne lui tient compagnie que pour lui extorquer de l’argent. Quand Marguerite est malade et n’a plus un sou, elle la laisse sans pardon et elle ose même dire que c’est Marguerite qui était la cause de sa propre faillite: ‘Prudence venait de faire faillite. Elle nous dit que Marguerite en était la cause; que pendant sa maladie, elle lui avait prêté beaucoup d’argent pour lequel elle avait fait des billets qu’elle n’avait pu payer, Marguerite étant morte sans le lui rendre et ne lui ayant pas donné de reçus avec lesquels elle pût se présenter comme créancière.’ 43 Dumas (1848/1852/1981), p. 250. A partir d’ici, je référerai à cette œuvre comme RTL (roman, théâtre, livret). 30 RTL, p. 249. Cette description montre clairement qu’il s’agit d’un personnage qui ne mérite pas notre confiance; mais pour quelques scènes critiques dans l’histoire elle est indispensable. C’est elle qui rend possible la rencontre entre Armand et Marguerite et c’est aussi elle qui vend les propriétés de Marguerite pour elle, ce qui était nécessaire pour Marguerite pour montrer à Armand qu’elle était prête à sacrifier sa vie de luxe pour lui. Marguerite se réalise que Prudence n’est pas une vraie amie et elle sait très bien ce qui se passe entre elles, et elle comprend aussi sa propre situation, ce qui nous montre son intelligence: ‘Nous avons des amies, mais ce sont des amies comme Prudence, des femmes jadis entretenues qui ont encore des goûts de dépense que leur âge ne leur permet plus. Alors elles deviennent nos amies ou plutôt nos commensales. Leur amitié va jusqu’à la servitude, jamais jusqu’au désintéressement. Jamais elles ne vous donneront qu’un conseil lucratif. Peu leur importe que nous ayons dix amants de plus, pourvu qu’elles y gagnent des robes ou un bracelet, et qu’elles puissent de temps en temps se promener dans notre voiture et venir au spectacle dans notre loge. (…) Elles ne nous rendent jamais une service, si petit qu’il soit, sans se le faire payer le double de ce qu’il vaut.’ RTL, p. 162. Ici, c’est Marguerite qui parle de sa propre perspective; mais quand même il est possible que Dumas ait utilisé cette perspective pour nous donner sa propre opinion sur la situation dans laquelle les courtisanes se trouvent; je reviendrai sur cette question dans le chapitre suivant. Le message est clair: une courtisane n’est jamais aimée juste pour elle-même, c’est pour son entourage, son luxe et le prestige qu’on obtient en étant son amant qu’on veut faire partie de son entourage. Si Marguerite est présentée comme la victime des gens qui veulent profiter d’elle, Marguerite elle-même n’est pas non plus toute sainte. La manière dont elle traite le comte est assez grossière: ‘-Adieu, mon cher comte, vous vous en allez déjà ? -Oui, je crains de vous ennuyer. -Vous ne m’ennuyez pas plus aujourd’hui que les autres jours.’ RTL, p. 108. 31 Elle sait que le comte l’adore, mais elle le méprise, et elle se trouve dans une telle situation qu’elle peut se permettre de ne pas le prendre comme amant, ce qui est en fait un luxe pour une courtisane; le fait qu’elle est difficile à contenter la rend encore plus désirable. Dans cette citation, on voit encore une fois que Marguerite peut être une femme sans cœur pour l’un et l’amante parfaite pour l’autre. Dumas nous montre cette différence entre les deux côtés du caractère de Marguerite aussi du point de vue d’Armand dans le roman: il y a une différence entre la manière dont Marguerite est représentée dans la première partie du livre, avant qu’Armand devienne son amant, et la deuxième partie. Dans la première partie, on trouve surtout des remarques sur des courtisanes en général, qui donnent une image plutôt négative d’elles. On voit aussi que Marguerite peut être grossière et égoïste. Dans la deuxième partie, il devient clair que Marguerite n’est pas une courtisane comme les autres et qu’elle a aussi les qualités nommées ci-dessus. A la première rencontre avec Armand, elle ne le prend pas du tout au sérieux. Il dit à propos de cela: ‘Pour peu que l’on ait vécu avec les filles du genre de Marguerite, on sait le plaisir qu’elles prennent à faire de l’esprit à faux et à taquiner les gens qu’elles voient pour la première fois. C’est sans doute une revanche des humiliations qu’elles sont souvent forcées de subir de la part de ceux qu’elles voient tous les jours.’ RTL, p. 95. Son ami Ernest lui dit ensuite: ‘(…) ne faites pas à ces filles-là l’honneur de les prendre au sérieux. Elles ne savent pas ce que c’est que l’élégance et la politesse; c’est comme les chiens auxquels on met des parfums, ils trouvent que cela sent mauvais et vont se rouler dans le ruisseau.’ RTL, p. 96. C’est aussi Armand de sa part qui ne prend pas au sérieux Marguerite, en la prenant pour ‘une fille du genre…’ ; il ne voit pas Marguerite comme personne, mais seulement comme courtisane et plus spécifiquement comme l’image qu’il a de la courtisane typique, qu’il ne faut pas prendre au sérieux. Quand ils sont devenus amants, on voit une tout autre Marguerite, qui dit elle-même d’avoir changé grâce à l’amour. Armand dit de cet amour de Marguerite: 32 ‘Mais être réellement aimé d’une courtisane, c’est une victoire bien autrement difficile. Chez elles, la débauche a cuirassé les sentiments. Les mots qu’on leur dit, elles les savent depuis longtemps, les moyens que l’on emploie, elles les connaissent, l’amour même qu’elles inspirent, elles l’ont vendu. Elles aiment par métier et non par entraînement. Elles sont mieux gardées par leurs calculs qu’une vierge par sa mère et son couvent; aussi ont-elles inventé le mot caprice pour ces amours sans trafic qu’elles se donnent de temps en temps comme repos, comme excuse, ou comme consolation; semblables à ces usuriers qui rançonnent mille individus, et qui croient tout racheter en prêtant un jour vingt francs à quelque pauvre diable qui meurt de faim, sans exiger d’intérêt et sans demander de reçu. Puis, quand Dieu permet l’amour à une courtisane, cet amour, qui semble d’abord un pardon, devient presque toujours pour elle un châtiment. Il n’y a pas d’absolution sans pénitence. Quand une créature, qui a tout son passé à se reprocher, se sent tout à coup prise d’un amour profond, sincère, irrésistible, dont elle ne se fût jamais crue capable ; quand elle a avoué cet amour, comme l’homme aimé ainsi la domine! Comme il se sent fort avec ce droit cruel de lui dire: «Vous ne faites pas plus pour de l’amour que vous n’avez fait pour de l’argent.» Alors elles ne savent quelles preuves donner.’ RTL, p. 135. Elle aime Armand comme elle n’a jamais aimé un homme de sa vie, mais elle sait aussi qu’elle ne peut pas quitter sa vie de courtisane sans susciter des complications et que c’est cela qui rendra leur amour impossible quoi qu’il en soit. L’amour n’est simplement pas permis aux courtisanes, c’est le seul luxe qui leur manque. Mais même en sachant tout cela, elle est prête à vivre cette romance. Quand ils vivent à la campagne ensemble, elle commence à apprécier la vie simple: ‘Cette courtisane, qui avait fait dépenser en bouquets plus d’argent qu’il n’en faudrait pour faire vivre dans la joie une famille entière, s’asseyait quelquefois sur la pelouse, pendant une heure, pour examiner la simple fleur dont elle portait le nom.’ RTL, p. 178. En fait, pendant que, en appréciant la vie simple, son caractère gagne en amabilité pour le lecteur, elle perd au même temps son côté raisonnable dont elle avait tellement besoin en 33 étant courtisane. Elle se laisse tout à coup guider par ses sentiments, ce qui va la pousser à sa perte. Quand le père d’Armand la force à le quitter, elle trouve de la joie dans le fait qu’elle est un martyre, elle est prête à souffrir pour Armand. Elle raconte dans ses lettres à Armand: ‘Alors commença cette série de jours dont chacun m’apporta une nouvelle insulte de vous, insulte que je recevais presque avec joie, car outre qu’elle était la preuve que vous m’aimiez toujours, il me semblait que, plus vous me persécuteriez, plus je grandirais à vos yeux le jour où vous sauriez la vérité. Ne vous étonnez pas de ce martyre joyeux, Armand, l’amour que vous aviez eu pour moi avait ouvert mon cœur à de nobles enthousiasmes.’ RTL, p. 237. Elle pense que de cette façon, elle peut se rendre digne de l’amour qu’Armand a pour elle. On retrouve dans le roman à plusieurs occasions des références à Manon Lescaut, l’héroïne du roman de Prévost de 1731, sans doute la courtisane la plus connue de la littérature française. C’est pour cela que Dumas fait dans son roman à plusieurs occasions la comparaison entre Manon et Marguerite. Il est clair qu’en ce faisant il veut montrer au lecteur que Marguerite est une meilleure personne que Manon; en témoignent par exemple les citations suivantes. ‘Ce fut pendant ce temps-là qu’elle lut si souvent Manon Lescaut. Je la surpris bien des fois annotant ce livre: et elle me disait toujours que lorsqu’une femme aime, elle ne peut pas faire ce que faisait Manon.’ RTL, p. 178. Elle trouve donc qu’elle est une vraie femme amoureuse et que Manon ne l’était pas. ‘- (Marguerite) (…) dans un mois d’ici je serais libre, je ne devrais plus rien, et nous irions passer ensemble l’été à la campagne. (…) Je ne pus m’empêcher de rougir à ce mot de bénéfices; je me rappelai Manon Lescaut mangeant avec Des Grieux l’argent de M. de B… (…) 34 - (Armand) Cela signifie que je soupçonne fort M. le comte de G… d’être votre associé dans cette heureuse combinaison dont je n’accepte ni les charges ni les bénéfices.’ RTL, p. 145/146. Armand se rend compte que Marguerite restera toujours une courtisane, et qu’il y a toujours un risque qu’elle fera des choses comparables à celles qu’a faites Manon, même s’il veut croire qu’elle est différente. Il s’agit donc aussi d’une référence à ce qui va se passer entre eux: pour faire croire à Armand qu’elle ne l’aime plus, elle agit comme Manon l’aurait fait. Un facteur important de la représentation de Marguerite dans toutes les œuvres est qu’elle est malade, elle est atteinte de la tuberculose. Le fait que nous savons dès le début qu’elle va bientôt mourir l’assure de notre sympathie. A part de cela, la tuberculose était une maladie à la mode au XIXième siècle. Comme Susan Sontag le note, dans son essay ‘Illness as Metaphor’, dans lequel elle compare les métaphores liées à la tuberculose au XIXième siècle à lesquelles liés au cancer au XXième siècle: ‘Shelley wrote on July 27, 1820 to Keats, commiserating as one TB sufferer to another, that he has learned ‘that you continue to wear a consumptive appearance.’ This was no mere turn of phrase. Consumption was understood as a manner of appearing, and that appearance became a staple of nineteenth-century manners. It became rude to eat heartily. It was glamorous to look sickly. ‘Chopin was tubercular at a time when good health was not chic,’ Camille Saint-Saëns wrote in 1913. ‘It was fashionable to be pale and drained; Princess Belgiojoso strolled along the boulevards … pale as death in person.’ Saint-Saëns was right to connect an artist, Chopin, with the most celebrated femme fatale of the period, who did a great deal to popularize the tubercular look. The TB-influenced idea of the body was a new model for aristocratic looks – at a moment when aristocracy stops being a matter of power, and starts being mainly a matter of image. (‘One can never be too rich. One can never be too thin,’ the Duchess of Windsor once said.) Indeed, the romanticizing of TB is the first widespread example of that distinctively modern activity, promoting the self as an image. The tubercular look had to be considered attractive once it came to be considered a mark of distinction of breeding. ‘I cough continually!’ Marie Bashkirtsev wrote in the once widely read Journal, which was published, after her death at twenty-four, in 1887. ‘But for a wonder, far from making me look ugly, this gives me an air of languor that is very becoming.’ What was once the fashion for aristocratic femmes fatales and aspiring young artists became, eventually, the province of fashion 35 as such. Twentieth-century women’s fashions (with their cult of thinness) are the last stronghold of the metaphors associated with the romanticizing of TB in the late eighteenth and early nineteenth centuries. (…) Gradually, the tubercular look, which symbolized an appealing vulnerability, a superior sensitivity, became more and more the ideal look for women (…)’ 44 Sarah Bernhardt, dans sa biographie Ma double vie, raconte à plusieurs reprises avec fierté comment, quand elle était jeune, elle était maigre et pâle, comment elle avait l’air maladif: ‘Je jouais alors les jeunes filles, les jeunes princesses ou les jeunes garçons, mon corps menu, ma figure pâle, mon aspect maladif (…)’ 45 Pour le lecteur moderne, cela semblera sans doute assez singulier; cependant, il faut se rendre compte qu’encore au XXième siècle, la mode pour les femmes était de rester pâle. On peut le comparer aussi au ‘junky look’ qui est de nos jours tellement populaire chez les rock stars et d’autres célébrités. Dans le roman, on retrouve toutes ces caractéristiques d’une poitrinaire, Marguerite est pale, trop maigre, nerveuse et fiévreuse, et elle dit toujours qu’elle se sent malade, même si, souvent, elle ne l’utilise que comme prétexte pour ne pas recevoir quelqu’un, ou pour obtenir de la pitié, comme dans la citation suivante, quand Marguerite dit à Armand: ‘(…) vous comprenez qu’il y a pour un homme de cœur de plus nobles choses à faire que de se venger d’une femme malade et triste comme je le suis. Tenez, prenez ma main, j’ai la fièvre, j’ai quitté mon lit pour venir vous demander, non pas votre amitié, mais votre indifférence.’ RTL, p. 225. La maladie s’aggrave encore à cause de la vie fiévreuse qu’elle vit; la nonchalance qu’elle a à propos de sa santé la fait encore plus tragique et attirante. Armand lui-même utilise la maladie de Marguerite comme prétexte pour venir prendre de ses nouvelles, même s’il n’est pas encore présenté à elle à cette époque. Dans le roman, on trouve aussi une scène qui suggère que le chagrin d’amour peut être à l’origine d’une maladie et qu’il est possible de mourir de chagrin d’amour: 44 45 Sontag (1977), p. 28-30. Berhardt (1907), p. 326. 36 ‘(…) il y avait eu dans le désespoir d’Armand des accents sincères, et passant d’un extrême à l’autre, je me figurai que le chagrin s’était changé en maladie, et que si je n’avais pas de ses nouvelles, c’est qu’il était malade et peut-être mort.’ RTL, p. 77. Pour un héros romantique, ce serait un mort tout à fait ‘comme il faut’. La maladie n’est donc pas du tout vécue comme quelque chose de repoussant ou de négatif mais plutôt comme l’inverse. La pièce de théâtre La représentation de Marguerite dans la pièce de théâtre est plus ou moins la même que dans le roman. Marguerite est une femme intelligente et franche, qui ne se fait pas d’illusions sur sa vie et qui essaye de parler raison à Armand: ‘Prenez la poste et sauvez-vous, si ce que vous me dites est vrai; ou bien aimez-moi comme un bon ami, mais pas autrement. Venez me voir, nous rirons, nous causerons; mais ne vous exagérez pas ce que je vaux, car je ne vaux pas grandchose. Vous avez un bon cœur, vous avez besoin d’être aimé; vous êtes trop jeune et trop sensible pour vivre dans notre monde; aimez une autre femme, ou mariez-vous. Vous voyez que je suis bonne fille, et que je vous parle franchement.’ RTL, p. 295. Comme dans le roman, il est clair qu’elle est une femme raisonnable qui ne se fait pas d’illusions. Quand elle tombe amoureuse d’Armand, son comportement change, elle veut savoir de Prudence s’il parle d’elle, ce qu’il dit, ce qu’elle sait sur lui; il est clair que ce n’est plus la courtisane qui parle, mais une femme amoureuse: ‘MARGUERITE Le cœur me bat, vous ne sentez pas ? PRUDENCE Pourquoi le cœur vous bat-il ? MARGUERITE Parce qu’il est dix heures et qu’il va venir. 37 PRUDENCE C’est à ce point? Je me sauve. (…)’ RTL, p. 306. Une autre différence est l’introduction du couple Nichette et Gustave, que Dumas utilise comme contraste avec la relation entre Marguerite et Armand: d’un côté il y a le couple honnête et comme il faut, qui s’aiment et qui vont se marier, même s’ils sont assez pauvres et ne peuvent se permettre qu’un petit appartement; et de l’autre côté il y a l’amour impossible entre une courtisane qui ne peut pas se permettre de ne plus avoir des amant riches, et un garçon qui n’est ‘ni assez riche pour l’aimer comme il le voudrait, ni assez pauvre pour l’aimer comme elle le voudriait.’ 46 Même si toutes les subtilités du roman ne sont pas exprimées dans la pièce, puisqu’il n’y a pas de narrateur qui les exprime, il y a dans le théâtre un facteur supplémentaire qu’il ne faut pas oublier en parlant de la représentation des personnages: l’influence des acteurs. Dumas dit de l’actrice qui a joué Marguerite à la première, et du rôle de Marguerite en soi: ‘Madame Doche a incarné le rôle de telle façon, que son nom est à jamais inséparable du titre de la pièce. Il fallait toute la distinction, toute la grâce, toute la fantaisie qu’elle a montrées sans effort pour que le type difficile et franc de Marguerite Gautier fût accepté sans discussion. Rien qu’en voyant paraître l’actrice, le spectateur s’est senti prêt à tout pardonner à l’héroïne. Je ne crois pas qu’une autre personne, à quelque théâtre qu’elle appartînt et quelque talent qu’elle eût, aurait pu, comme elle, réunir toutes les sympathies autour de cette nouvelle création. Gaieté fine, élégante, nerveuse, abandon familier, câlinerie mélancolique, dévouement, passion, résignation, douleur, extase, sérénité, pudeur dans la mort, rien ne lui a manqué, sans compter la jeunesse, l’éclat, la beauté, le brio, qui devaient compléter le rôle et qui en sont le corps et la plastique indispensables. Il n’y a pas eu un conseil à lui donner, pas une observation à lui faire; c’est au point qu’en jouant le rôle de cette façon elle avait l’air de l’avoir écrit. Une pareille artiste n’est plus un interprète, c’est un collaborateur.’ 47 Cette citation exprime l’opinion de Dumas lui-même en ce qui concerne le rôle de Marguerite, un personnage idéalisé, et qu’il était très content des accomplissements de l’actrice qui la jouait à la première; mais en fait, l’actrice qui a vraiment rendu le rôle célèbre 46 47 RTL, p. 150. Dumas (1867), p. 19. 38 et qui l’a joué plus que toute autre actrice était Sarah Bernhardt, vers la fin du XIXième siècle. Elle se pouvait sans doute très bien identifier à la courtisane, vivant comme une courtisane elle-même, et Bernhardt a même eu un amant de cœur, l’acteur Jean Mounet-Sully, qui croyait lui aussi qu’il pouvait la convertir en femme honnête. Cette relation est décrite de la manière suivante dans la biographie de Gold et Fizdale: ‘(…) to have an affair with a spoiled mother’s boy from the provinces was outside Sarah’s experience. His belief in the pure and the good, both in life and in art, seemed refreshing after the blasé Lignes and Haases she had known. On the other hand, Bergerac and the prudish advice of his God-fearing mother had hardly prepared Mounet for the casual promiscuity of women like Sarah. He did not understand the protocol that went with having an actress from the demimonde for a mistress. It never occurred to him that Sarah would think of him as her amant de coeur. (…) His was a simpler world, where mothers were sacred, wives were submissive, and sweethearts were faithful. (…) His hope, he was later to reveal, was to raise Sarah from the mire of sin and lead her, good Calvinist that he was, onto the path of righteousness. Sarah (…) did not consider herself a fallen woman, but a woman who had risen in the world. (…) To take on a handsome young actor with the pitiful salary of six thousand francs a year was a carnal diversion, a luxury she felt she could afford. Certainly she had no thought of dismissing the menagerie who paid her bills and kept her in the clothes and jewels she loved.’ 48 Sarah n’avait peut-être pas le ‘bon cœur’ de Marguerite, et ne se serait jamais sacrifiée pour son amant, mais elle savait certainement très bien ce qu’était une courtisane, comment elle vivait, et que les questions d’argent jouaient un grand rôle dans sa vie. Il est possible qu’à cause de la vie qu’elle menait elle-même, il était plutôt facile pour elle de donner une représentation vraisemblable d’une courtisane.49 Elle connaissait aussi la tuberculose de près, elle avait longtemps été convaincu du fait qu’elle aussi allait mourir jeune de tuberculose, et sa sœur Régine était morte jeune de cette maladie.50 La première fois qu’elle jouait Marguerite, c’était en fait Camille, parce qu’elle la jouait pour la première fois à New York en 48 Gold (1991), p. 100/101. Je me rends compte du fait que certaines théories théâtrales s’opposent à cet aspect d’identification avec le rôle et qu’il est selon celles-là important de garder une certaine distance; mais de l’autre côté, les expériences de Bernhardt elle-même ont très bien pu augmenter sa compréhension du rôle. 50 Gold (1991), p. 115. 49 39 1880, et Camille était le nom que le traducteur John Wilkens avait choisi pour l’héroïne.51 Gold nous donne l’impression suivante: ‘It would be a gross understatement to say that Sarah had success as Marguerite. She was Marguerite, and for thirty years, no actress, try as she might, could alter that fact. As Sarcey52 wrote: ‘Only a beautiful, worldly woman, born and bred in Paris, only a master at transforming prose into poetry could combine restraint, feverish gaiety, and a tragic yearning for love with the infinite cynicism and careless insolence that was the product of a courtesan’s life.’’ 53 Un critique russe a ainsi commenté la représentation de Bernhardt à Moscou: ‘Yesterday instead of a pompous heroine we saw the living image of a deeply loving, deeply suffering woman from a notorious milieu – who grappled to herself the audience’s sympathy and attention with irresistible force.’ 54 Même si Dumas était à cette époque-là devenu très moraliste et trouvait que La Dame aux Camélias n’était pas représentative du reste de son œuvre, il était quand même flatté par la popularité de la pièce et du culte pour Marie Duplessis causé par l’interprétation de Sarah Bernhardt, et il lui envoyait en 1884 la lettre d’adieu originale qu’il avait écrit à Marie Duplessis.55 Quand même il avait trouvé une manière pour montrer son changement de morale dans la pièce: en 1884 il ordonnait à l’acteur qui jouait le père d’Armand de garder son chapeau en présence de Marguerite (Bernhardt), ce qui signifiait qu’il ne la respectait pas en étant courtisane.56 C’est peut-être qu’en prenant un certain âge que Dumas fils se sentait plus proche du personnage du père d’Armand que de celui d’Armand lui-même. Une autre actrice qui a beaucoup joué Marguerite Gautier était l’Italienne Eleonore Duse, une concurrente de Bernhardt. Bernard Shaw, qui n’était pas un admirateur de Bernhardt, faisait la comparaison suivante: 51 Zucker (1934). Ce qui est remarquable est le fait que bien que la pièce s’appelle Camille en anglais, on utilise dans les différentes versions anglaises (aussi dans les films) quand même le plus souvent le nom Marguerite pour le personnage lui-même. 52 Un critique de théâtre français. 53 Gold (1991), p. 172/173. 54 Gold (1991), p. 198. 55 Saunders (1954), p. 21. 56 Saunders (1954), p. 278. 40 ‘In La Dame aux Camélias it is easy for an intense actress to harrow us with her sorrows and paroxysms of phthisis, leaving us with a liberal pennyworth of sensation, not fundamentally distinguishable from that offered by a public execution. (…) As different from this as light from darkness is the method of the actress who shows us how human sorrow can express itself only in its appeal for the sympathy it needs, whilst striving by strong endurance to shield others from the infection of its torment. That is the charm of Duse’s interpretation of the stage poem of Marguerite Gautier. It is unspeakably touching because it is exquisitely considerate; that is, exquisitely sympathetic. No physical charm is noble as well as beautiful unless it is the expression of a moral charm; and it is because Duse’s range includes these moral high notes (…) that her compass (…) so immeasurably dwarfs the poor little octave and a half on which Sarah Bernhardt plays such pretty canzonets and stirring marches.’ 57 Duse jouait donc une Marguerite modeste et réservée, qui était tout l’inverse de l’interprétation expressive de Bernhardt. Quand même, elle n’a pas pu prendre la place de Bernhardt, qui était de loin l’interprète préféré pour la pièce. Elle jouait, pour son temps, assez naturelle, pendant que ses collègues contemporains jouaient encore d’une façon plutôt raide. Un public moderne n’aurait sans doute pas pu apprécier les interprétations du XIXième siècle, à cause de cette manière de jouer. La pièce a bien sûr encore été interprétée au théâtre après, au XXième siècle, mais les adaptations contemporaines de l’histoire, par exemple les films, ont attribué plus à la popularité de l’histoire. L’opéra La différence entre l’opéra et le roman et la pièce de théâtre réside bien sûr dans le remplacement d’une grande partie du texte par la musique. Au niveau de la forme il y a donc de grandes différences entre les œuvres; au niveau du contenu par contre, on retrouve le même message dans les différentes œuvres. L’opéra fait preuve, comme le roman, d’un contraste entre la première partie et la deuxième partie de l’histoire. Dans l’acte premier, Violetta est une femme qui aime les fêtes et ne prend pas la vie au sérieux; dans le deuxième acte, elle est une femme qui aime d’un amour désintéressé. Dans l’opéra, c’est surtout la musique qui exprime cette différence: dans l’acte premier, la musique est gaie et on chante des chansons à boire; Marguerite chante un hymne à la joie. 57 Gold (1991), p. 257. 41 Après la fête, la musique devient plus sérieuse et plus émotionnelle. Peter Conrad dit de la représentation de la courtisane Violetta dans l’opéra, dans un critique dans le New Statesman: ‘Opera, indulging its love affair with the female voice, has always been fascinated by that manysided mythical being, the eternal woman. Because operatic composers are usually male, most of their heroines can be classified as either whores or Madonnas. But what if sexual ardour and a consoling maternal purity are combined in a single figure, such as Verdi’s reformed courtesan Violetta in La Traviata? The psychological enigma is intensified by the role’s contradictory vocal demands. Violetta the party girl has to sing her way through a showy, flighty, coloratura tirade; but when she falls in love, she must find a voice that is more truly impassioned, weighted by a desperate yearning. Sacrifice and sickness require a different sound: thready, grave, yet capable of febrile elation as she imagines her own resurrection and blesses the world that has rejected her.’ 58 Il est donc clair que le personnage de Violetta se développe, qu’il y a des changements dans son caractère, elle est un ‘round character’ tout comme elle l’est dans le roman et dans la pièce. On peut aussi voir dans le texte le contraste évoqué par le changement de caractère de Violetta: Alfredo RODOLPHE Tranne sol io. N’aimez-vous rien? VIOLETTA VIOLETTA Gli è vero! Personne! Jamais d’amour: j’appartiens au Sì grande amor dimenticato avea 59 plaisir. RTL, p. 426.60 (Alfredo: je suis le seul [à vous aimer] Violetta: C’est vrai! J’avais oublié votre grand amour) 58 59 Conrad (2004). www.giuseppeverdi.it. 42 VIOLETTA VIOLETTA Ah, no giammai! Oh! Non… jamais! Non sapete quale affetto Je l’adore, et ma vie Vivo, immenso m’arda in petto? A la sienne est unie; Che né amici, né parenti Voulez vous que j’oublie Io non conto tra i viventi? Ma promesse et mon devoir? E che Alfredo m’ha giurato Non! De nous séparer, Dieu seul a le Che in lui tutto io troverò? pouvoir! Non sapete che colpita RTL, p. 439. D’altro morbo è la mia vita? Che già presso il fin ne vedo? Ch’io mi separi da Alfredo? Ah, il supplizio è si spietato, Che morir preferirò. (~ Ne savez-vous pas que je n’ai pas d’amis, pas de famille, qu’Alfredo m’a promis d’être tout cela pour moi? Ne savez-vous pas que je vais mourir bientôt? Je préfère mourir que de quitter Alfredo) Si les différences entre le texte de la version italienne et celui de la version française sont assez grandes, puisque le texte de la traduction doit convenir à la musique, le message est au fond le même. Au début, Violetta n’aime personne et ne vit que pour le plaisir, après, elle ne peut plus vivre sans amour jusqu’au point de vouloir vendre tout ce qu’elle a et laisser sa vie de courtisane pour pouvoir vivre avec Alfredo. Il s’agit du même contraste que dans le roman et la pièce, mais le changement passe plus subitement. Il y a quelques éléments dans la représentation de Violetta qu’on ne retrouve pas si explicitement dans les autres œuvres. Dans le dernier acte, elle est soudainement devenue très religieuse; elle dit au docteur que cela lui aide à souffrir moins. Elle veut donner aux pauvres la moitié de ce qu’il lui reste d’argent. Quand Armand revient, elle veut aller à l’église pour remercier dieu pour son retour. Dans la pièce de théâtre, elle veut aussi aller à l’église, mais pour d’autres raisons: elle veut assister au mariage de Nichette et Gustave. Cette religiosité est évoquée sans doute en partie pour rendre le personnage plus 60 Livret de la version française; il ne s’agit donc pas d’une traduction littérale. 43 sympathique au public italien, pour lequel la religion joue un grand rôle émotionnel dans tous les aspects de leur vie: dans la traduction française on ne retrouve pas si explicitement cette religiosité, ce qui est peut être dû à la laïcité des Français. Depuis la Révolution française, il y a une séparation stricte entre l’Eglise et l’Etat, entre la religion et la vie publique.61 A cause de cette laïcité, la religion est devenue pour les Français quelque chose de beaucoup plus privée qu’elle l’est pour les Italiens. Il est donc logique que la religion ne soit pas non plus tellement présente dans les théâtres en France qu’elle l’est dans les théâtres italiens. VIOLETTA: VIOLETTA: (…) (…) Mi confortò iersera un pio ministro. Mais mon âme est plus calme, je le sens; Religione è sollievo a’ sofferenti. Car j’ai reçu des secours bien puissants. RTL p. 465. (hier soir, un prêtre est venu pour me conforter. La religion est un soulèvement pour les souffrants.) VIOLETTA: VIOLETTA: (…) a un tempio Et prions Dieu pour qu’il bénisse Alfredo, andiamo, Les nœuds qui doivent nous unir. Del tuo ritorno grazie rendiamo RTL, p. 470. (Allons à une église, Alfredo, pour rendre grâce pour ton retour) Il est clair qu’il ne s’agit pas seulement de l’influence d’Alfredo, mais surtout du fait qu’elle voit la mort en face. Elle se fait des soucis à cause de sa vie de courtisane et elle espère que son amour sincère pour Alfredo et le sacrifice qu’elle a fait pour lui peuvent compenser ses péchés. Dans l’opéra, la musique joue naturellement un rôle important dans la représentation des personnages. Le fait que Violetta, à la fin du premier acte, reprend le thème musical avec lequel Alfredo a célébré l’amour, symbolise le fait qu’elle aussi tombe amoureuse et qu’elle l’accepte comme amant. Qu’on entend encore chanter Alfredo à ce moment-là, bien 61 Baubérot (2000). 44 qu’il soit déjà parti, symbolise sa présence dans les pensées de Violetta. Le monde dans lequel Violetta vit est représenté par la musique de fête frivole, joyeuse, qu’on retrouve au début du premier acte et à la fin du deuxième acte. Le fait que, à la fin du deuxième acte, Violetta ne participe plus musicalement à l’action, symbolise le fait qu’elle a changé, cet acte nous montre le développement émotionnel et spirituel qu’elle a parcouru: elle n’appartient plus à ce monde superficiel.62 Dans le dernier acte, on entend dehors de la musique du carnaval, ce qui fait le contraste avec les souffrances de Violetta encore plus grand. Comme l’a fait remarquer Conrad, il y a un grand contraste entre la façon de chanter de Violetta dans les trois actes. Dans le premier acte, elle chante un aria colorature, très virtuose et avec de nombreux ornements, ce qui représente sa façon de vivre frivole; dans le troisième acte par contre, elle chante d’une façon très simple et humble, ce qui représente la femme sincère, prise de conscience, qu’elle est devenue grâce à l’amour. Kimbell résume le contenu psychologique de l’opéra d’une manière plutôt efficace: ‘If Act I explores an antithesis between a world of superficial social games and deep psychological necessity, Acts II and III explore an antithesis between fond dream and harsh disillusion.’ 63 Ce sont ces antithèses qui forment la puissance dramatique de l’opéra et qui sont évoqués par les changements dans le caractère et dans la représentation de Violetta. Comme dans la pièce de théâtre, dans l’opéra aussi les chanteurs sont l’élément décisif de la représentation. Entre les chanteuses les plus applaudies qui ont chanté La Traviata se trouvent Marietta Piccolomini (1834-1899) qui faisait la création à Paris en 1856, Christine Nilsson (1843-1921) qui faisait la création de la version française, Adelina Patti (1849-1919), Nellie Melba (1861-1931), Mirella Freni (1935) et Maria Callas (1923-1977).64 La création de la dernière est sans doute la plus connue de nos jours. Des divas contemporaines comme Renata Tebaldi, Montserrat Caballe et Kiri Te Kanawa ont également joule le rôle de Violetta; et, les dernières années, c’était le rôle de premier plan d’Angela Gheorghiu. Pour des raisons pratiques je n’ai pas pu analyser une représentation de la pièce de Dumas; l’opéra, par contre, est encore souvent représenté de nos jours. Si une seule version, qui est en plus une version contemporaine, ne peut pas être représentative des 62 63 64 Kimbell (1981), p. 659. Kimbell (1981), p. 662. Issartel (1981), p. 112-118. 45 représentations du XIXième siècle, il me semble quand même intéressant d’analyser une représentation pour voir si les éléments que j’ai trouvés dans le texte sont aussi présents dans la représentation sur scène. Je vais étudier la version du Royal Opera House Covent Garden de 2004, avec Angela Gheorghiu, Frank Lopardi et Leo Nucci (dans le rôle du père Germont), dirigée par Sir Georg Solti et réalisé par Richard Eyre. Un élément intéressant d’une représentation d’un opéra sont les costumes. Dans cette production, les robes que Violetta porte semblent représenter son état psychologique. Dans le premier acte, elle porte une robe de bal blanche, un couleur qui ne représente pas ici l’innocence – il s’agit bien d’une courtisane - mais plutôt la joie de vivre et le plaisir. Dans le deuxième acte, elle porte une robe jaune ‘simple’ pour représenter la vie simple mais heureuse à la campagne. Après la rupture avec Armand, elle porte une robe noire plutôt chaste; elle a l’air d’être en deuil. Dans le troisième acte finalement, elle porte une chemise de nuit blanche informe et elle a les cheveux défaits: son apparition représente sa misère. Le contraste entre les différentes représentations de Violetta dans les différents actes qu’on retrouve dans le livret, n’est pas très présent dans la manière dont le rôle de Violetta est joué dans cette représentation. Ici, Violetta reste pendant toute l’histoire une personne dynamique et intelligente, avec l’air un peu soutenu; on ne retrouve pas dans le deuxième acte la naïveté de Marguerite, causée par son amour, qu’on peut voir dans le roman ou dans la pièce. Comparée avec son amie Flora, elle n’a même pas trop l’air d’être frivole. Elle devient de plus en plus désespérée au cours de l’histoire, mais ce changement est plutôt graduel. Comme je l’ai déjà dit, la représentation de Violetta consiste pour une très grande partie en l’interprétation de la chanteuse et du réalisateur. À mon avis, cette représentation est une interprétation moderne, qui veut présenter l’histoire le plus naturellement et vraisemblablement possible, en tenant compte avec le public, qui est de nos jours habitué aux films et émissions télévisées qui montrent une manière de jouer plutôt réaliste. Nous avons vu qu’on retrouve dans l’opéra le même contraste dans le caractère du personnage de la courtisane qu’on trouve dans les deux autres œuvres, bien qu’il s’agisse d’une autre forme et que la musique remplace en partie le texte. Le fait qu’il y a plus de musique que de texte fait aussi que l’opéra est plus compréhensible pour un public international. Nous avons vu aussi que l’œuvre et le personnage de Violetta laissent une marge à des interprétations différentes, toute comme les œuvres de Dumas fils, si bien que cet aspect donne à l’opéra la possibilité de toujours être de son temps, dans chaque nouvelle production, ce qui n’est certainement pas toujours évident dans le genre de l’opéra.65 65 Il y de nombreux opéras qui ne sont de nos jours appréciés que pour la musique, les histoires étant jugées trop recherchés ou démodés. 46 En comparant les différentes représentations Nous pouvons conclure que la représentation de Marguerite et Violetta reste plus au moins la même dans les trois médias, mais que le contraste entre la représentation qu’on trouve dans la première partie et celle de la deuxième partie de l’histoire, le changement d’une femme raisonnable mais frivole en une femme amoureuse qui se laisse guider par ses sentiments et finalement en une femme désespérée, devient plus grand ou moins subtile dans la pièce de théâtre et encore plus dans l’opéra. Les acteurs ont étés un facteur important dans le succès et la popularité durable de l’histoire, Marguerite ou Violetta étant interprétées par de grandes actrices comme Eugénie Doche, Sarah Bernhardt, Eleonora Duse et, dans le XXième siècle, Edwige Feuillère et par la longue liste de cantatrices célèbres nommées ci-dessus. C’est la musique de l’opéra qui fait de l’histoire une romance que tout le monde peut comprendre et qui a assuré le succès international; on va voir que de nos jours, le film a pris la place de la pièce de théâtre quand il s’agit d’assurer l’attention du public pour l’histoire de Dumas fils. Ce qui est remarquable quand il s’agit de la représentation de la courtisane dans l’histoire de La Dame aux Camélias, est qu’il nous donne la possibilité de faire connaître, au même temps qu’Armand, la courtisane. Il nous montre que derrière l’image, faite des préjugés que le monde a d’une courtisane, il y a une femme en chair et en os; contrairement à ce que, par exemple, Balzac a fait dans ses romans, dans lesquels il introduit des courtisanes plutôt typiques. La description de Dumas n’est pas plus réaliste que celle de Balzac, mais la force de Dumas fils réside dans sa présentation de la courtisane comme ‘round character’, au lieu des ‘flat characters’ de Balzac. Il y a un développement dans le caractère de Marguerite, ce qui signifie qu’il est plus facile pour le lecteur ou le spectateur de vivre la situation dans laquelle la courtisane Marguerite se trouve. Celle-ci est représentée comme une vraie femme, et le public arrive à mieux comprendre la situation des courtisanes plus que dans, par exemple, l’œuvre de Balzac. C’est ce développement qui rend plus sympathique et aussi plus populaire le personnage de Marguerite que les autres personnages de courtisanes dans des œuvres de la même époque. Au même temps, elle est encore suffisamment idéalisée pour être un caractère romantique et pour devenir légendaire. Ce dernier aspect distingue la Dame aux Camélias du personnage de Nana de Zola par exemple, puisque cette dernière, bien qu’étant elle aussi un ‘round character’, n’est pas assez idéalisée pour pouvoir produire un mythe comme celui de La Dame aux Camélias. Dans le chapitre suivant, nous allons voir de quelle manière Dumas fils a intégré sa propre opinion dans cette représentation. 47 Qui parle? La voix de Dumas fils dans son œuvre La plupart des lecteurs du roman de Dumas fils, à l’époque de sa parution, savaient qu’il s’agissait d’une histoire basée sur la vie de Marie Duplessis, notamment sur sa liaison avec Dumas fils. Ils s’attendaient donc au fait que Dumas présentait son propre point de vue dans le roman. Et sans doute, c’est ce qu’il a fait, même s’il a essayé de s’en distancier au niveau de la forme en évoquant un narrateur qui raconte l’histoire d’un ami. Même si Dumas fils a changé de morale pendant sa vie, il est clair que pour la plupart du temps, il nous raconte dans le roman ses propres opinions quand il laisse Armand ou Marguerite parler de la situation sociale et morale dans laquelle ils se trouvent, parce qu’il est plutôt conséquent dans ses remarques et parce qu’il nous parle de ses propres expériences. Les idées qu’on retrouve dans les remarques de Marguerite et d’Armand se ressemblent; elles donnent l’impression que c’est au fond la même personne qui parle, à savoir l’auteur lui-même. L’opinion de Dumas fils sur les courtisanes a été influencée par son amour pour Marie Duplessis et il est possible qu’il se soit rendu compte plus tard que sa représentation de la courtisane était trop idéalisée et que, pour cette raison, il n’était plus d’accord avec ses propres descriptions. J’ai déjà remarqué que Dumas, en prenant de l’âge et en devenant plus conservateur, s’associait plus avec le père d’Armand qu’avec Armand lui-même. Dans les remarques de Marguerite et d’Armand par contre on retrouve l’opinion du jeune Dumas fils. La morale de Dumas fils est en fait un sujet de recherche en soi; en changeant de morale, il n’hésitait pas à changer la façon d’interpréter ses œuvres. Si, à l’époque de La Dame au Camélias, il dit qu’il y a un besoin d’amour vainqueur des règlements sociaux et dédaigneux des bornes de la terre,66 un peu plus tard il note: ‘Quand un peuple, qui se fait appeler le peuple le plus franc, le plus chevaleresque, le plus spirituel de tous les peuples, permet pourtant que des milliers de jeunes filles, dont il pourrait faire des compagnes intelligentes, des mères respectées ne soient bonnes qu’à faire des courtisanes avilies et dangereuses, ce peuple mérite que la femme qu’il a inventée le dévore tôt ou tard. C’est ce qu’elle commence à faire et ce qu’elle fera tout à fait!’ 67 Et encore: 66 67 Siellière (1921), p. 75. Seillière (1921), p. 64/65. 48 ‘L’amour digne de ce nom n’a qu’une seule forme. Il épouse la femme quand elle est libre: il la respecte quand elle ne l’est pas.’ 68 Aux environs de 1880 par contre, il lance un campagne pour le divorce, sans doute parce qu’il en avait éprouve le nécessité lui-même, sa vie privée n’étant pas si impeccable qu’on aurait pu le croire en considérant ses idées moralistes. Il donnait même pour argument que l’adultère allait disparaître de la scène française, aussitôt que la loi de divorce aurait enlevé toute excuse à l’adultère, puisque la femme mariée pouvait sans problème divorcer son mari et épouser son amant.69 Pour revenir à la représentation ‘originale’ des personnages de La Dame aux Camélias, je parlerai ici notamment des idées de Dumas à l’époque où il a écrit cette œuvre. Comme je l’ai déjà mentionné dans le chapitre précédent, Dumas montre dans son roman deux impressions différentes de courtisanes; l’impression raisonnable et pratique qu’il a des courtisanes en général: qu’il ne faut pas trop les prendre aux sérieux; qu’elles n’aiment pas vraiment leurs amants, c’est leur argent et le luxe qu’elles aiment; qu’elles ont des dépenses qu’un seul amant ne pourrait pas financer. De l’autre côté, il insiste sur le fait que Marguerite est une exception. Les deux points de vue expriment l’opinion de Dumas luimême, il sait ce que c’est qu’une courtisane, mais il veut croire à l’idée que Marguerite, ou Marie, était un être supérieur à elles. En témoigne une conversation entre le fils et le père dans le roman: ‘[M. Duval] (…) Est-il honorable pour vous d’aller vivre maritalement avec une fille que tout le monde a eue ? -[Armand] Qu’importe, si cette fille m’aime, si elle se régénère par l’amour qu’elle a pour moi et par l’amour que j’ai pour elle! Qu’importe, enfin, s’il y a conversion! -Eh! Croyez-vous donc, monsieur, que la mission d’un homme d’honneur soit de convertir des courtisanes ? (…) Quelle sera la conclusion de cette cure merveilleuse, et que penserez-vous de ce que vous dites aujourd’hui, quand vous aurez quarante ans? (…) Je sentais bien que mon père avait raison pour toutes les femmes, mais j’étais convaincu qu’il n’avait pas raison pour Marguerite. (…)’ RTL, p. 194/195. 68 69 Seillière (1921), p. 75. Seillière (1921), p. 79. 49 On a déjà vu quelques autres exemples que j’ai cités dans le chapitre précédent, montrant que la plupart des personnages dans l’œuvre ont un côté raisonnable et objectif, mais aussi un côté passionné et naïf qui veut croire aux illusions. En fait, ce sont ces deux côtés contradictoires que Dumas, de sa vie, n’a jamais pu concilier tout à fait l’un à l’autre. On accusait Dumas fils de donner, avec ses deux premières pièces de théâtre, La Dame aux Camélias et Diane de Lys, un mauvais exemple aux femmes et filles du monde, comme Dumas le note lui-même: ‘Il est convenu que je ne présente et glorifie sur la scène que des coquines, des exceptions abominables, que j’ai perdu le droit de parler de vertu et d’honneur, que c’est moi qui ai corrompu les sociétés modernes, lesquelles, avant mon apparition, n’étaient que troupeaux de blancs moutons (…) D’aucuns prétendent que je n’ai pas peu contribué au développement de l’immoralité présente et que c’est ma faute si les courtisanes, qui n’avaient jadis qu’un côté du trottoir, ont fini par prendre à Paris le haut du pavé… (…)’ 70 Il est clair qu’il ne prenait pas trop au sérieux cette accusation, mais qu’il se sentait quand même concerné. Il se rendait compte aussi que le scandale était à la base de son succès et que c’était cela qui lui assurait l’intérêt du public et qui le distinguait de ses nombreux collègues. C’était peut-être aussi pour cette raison qu’il ne devenait que plus tard très moraliste, parce qu’à cette époque, en étant déjà ‘arrivé’, il n’avait plus besoin de se faire remarquer, son nom étant alors devenu assez célèbre pour assurer le succès de ses œuvres; sa réception à l’Académie française y était aussi pour quelque chose. Il s’agit bien de la voix de Dumas fils qui nous parle dans La Dame aux Camélias, bien qu’en prenant l’âge, il était devenu plus moraliste et se distanciait de l’œuvre. On y retrouve déjà, bien que ce soit son premier roman, les deux côtés contradictoires du caractère de Dumas, le côté raisonnable et le côté passionné et idéaliste. Le scandale qui entourait l’œuvre à la parution a lancé la carrière de Dumas fils; plus tard dans sa carrière, il n’avait plus besoin de cette controverse pour se faire remarquer et ses idées devenaient plus conservatrices. Il est néanmoins clair que le public a de loin préféré les idées du jeune Dumas fils, évoquées dans La Dame aux Camélias. 70 Seillière (1921), p. 14. 50 La réception des oeuvres La réception des œuvres, par le public et par les critiques, peut nous donner beaucoup d’informations sur leur popularité et sur l’influence qu’elles ont eues. Je parle ici notamment de la réception à l’époque de la parution des œuvres. La réception de l’opéra a été très bien documentée, la réception de la pièce l’est un peu moins et sur le roman nous savons surtout que c’était un grand succès de librairie. Le roman Le roman de Dumas se vendait des milliers à la parution. Dumas donne en fait lui-même une des raisons pour laquelle son roman était si populaire, quand il décrit la vente des biens de Marguerite Gautier: ‘Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans l’appartement des visiteurs et même des visiteuses, qui, quoique vêtues de velours, couvertes de cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec étonnement, avec admiration même, le luxe qui s’étalait sous leurs yeux. Plus tard je compris cette admiration et cet étonnement, car m’étant mis aussi à examiner, je reconnus aisément que j’étais dans l’appartement d’une femme entretenue. Or, s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes, dont les équipages éclaboussent chaque jour le leur, qui ont, comme elles et à côté d’elles, leur loge à l’Opéra et aux Italiens, et qui étalent, à Paris, l’insolente opulence de leur beauté, de leurs bijoux et de leurs scandales.’ 71 Comme je l’ai dit en introduisant le thème de la courtisane, les femmes du monde étaient souvent jalouses du luxe que pouvaient se permettre les courtisanes; la vente des possessions d’une courtisane était donc d’un côté une sorte de revanche, de l’autre côté, c’était une possibilité d’entrer dans sa maison, de voir de près la façon de vivre de la courtisane. Le roman donnait aussi cette possibilité aux femmes du monde, il donnait un coup d’œil dans la vie de la courtisane populaire Marie Duplessis, ce qui était une des raisons du succès de l’œuvre. 71 RTL, p. 52. 51 Un des aspects intéressants de La Dame aux Camélias était donc qu’il y a des éléments dans l’histoire qui sont très proches de la réalité; puisque l’exemple de Dumas, Marie Duplessis, était déjà morte, il n’avait pas trop besoin de censurer des choses, le lecteur savait qu’il s’agissait de Marie Duplessis. Les critiques à l’époque de la parution n’ont pas trop apprécié les qualités littéraires de l’œuvre; d’ailleurs, le reste de l’œuvre de Dumas fils n’a pas non plus fait une grande impression aux critiques,72 bien qu’il ait eu du succès comme auteur dramatique. Ce n’était que plus tard dans sa carrière que la valeur innovatrice de La Dame aux Camélias à été signalée. Dans le livre de Claretie on trouve cette déclaration extatique: ‘Je ne sais si, comme le dit M. Dumas, écrire ce livre était ‘un devoir’; mais, à coup sûr, c’était ‘un droit’. Et le livre est digne de sa réputation: il émeut, il attendrit, il fait songer. Il inspira à son auteur cette comédie, ce drame, cette pièce, je ne sais comment l’appeler, cette Dame aux Camélias, qui, je le répète, transforma l’art contemporain, substitua la simple réalité à la convention romanesque, et poussa le théâtre dans la voie du vrai.’ 73 C’était donc également le style moderne qui attiré l’attention du public et qui a attribué au succès. Quand on se rend compte qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse et du premier roman de Dumas fils, il est remarquable que La Dame aux Camélias est toujours restée l’œuvre la plus populaire et la plus appréciée de Dumas fils. La pièce Les problèmes que Dumas fils a eus avec la censure n’ont qu’augmenté l’intérêt de son public pour la pièce qu’il avait tirée du roman, qui allait sûrement faire scandale à cause de son sujet osé. Comme Seillière le dit dans son étude sur la morale de Dumas fils: ‘(La pièce) débute, comme on le sait, par l’évocation, fort réaliste, de la vie intime d’une prostituée de haute marque: nouveauté qui devait piquer singulièrement la curiosité des spectateurs de l’époque, non encore blasés sur ce genre d’épices.’ 74 72 73 74 Lyonnet (1930), p. 61. Claretie (1882), p. 11/12 (soulignement par l’auteur). Seillière (1921), p. 9. 52 Bien qu’il y ait eu des romans et des pièces traitant des courtisanes, la vie qu’elles menaient n’était pas encore représentée d’une façon aussi franche. Seillière pense aussi que c’est la scène de la mort de Marguerite qui cause en grande partie le succès de la pièce et de l’histoire: ‘Cette mort fit et fait encore aujourd’hui le succès du drame par son action sur les nerfs du spectateur. (…) Quoiqu’il en soit, la pièce eut un immense succès de larmes et de scandale: elle est devenue populaire: elle a fait du tombeau d’Alphonsine Plessis, l’original de La Dame aux Camélias, un lieu de pèlerinage encore fréquenté par les Parisiennes galantes dont cette fille est devenue la patronne, selon le canon de la religion rousseauiste.’ 75 C’était aussi la forme de la pièce elle-même qui était nouvelle, le fait qu’il s’agissait d’une histoire contemporaine, qu’on y trouvait des personnages venant des différents milieux sociaux. Claretie applaudissait ces aspects révolutionnaires: ‘C’était quelque-chose (sic), vers 1830, que d’arracher au théâtre sa tunique grecque ou romaine devenue souquenille et de la remplacer par un pourpoint neuf; c’était mieux encore, en 1850, de rejeter le pourpoint usé pour mettre, sur le torse en chair et en os de personnages bien humains, le frac de la vie courante, le morne habit noir, l’uniforme banal de nos joies et de nos douleurs.’ 76 A l’étranger, les critiques étaient un peu plus réservés; ils n’avaient pas l’habitude d’un sujet si osé étant représenté sur scène. Un critique du New York Times a commenté une représentation à Londres en 1880, joué par Helena Modjeska, non de la version originale de la pièce, mais de l’adaptation Heartsease. Son commentaire nous donne néanmoins une idée de la situation: ‘On Saturday morning last, at the Court Theatre, [the play] was eminently successful, when full justice was done to its peculiar merits. For my own part I fail to see the smallest wholesome interest that a decent audience can take in the so-called ‘love’ of a creature such as the woman whom Dumas surrounds with so much tricky 75 76 Seillière (1921), p. 11/12. Claretie (1882), p. 5. 53 sympathy. The play is as false in conception, motive, and passion as it is weak and frivolous in action. (…) No respectable family ought to be invited to a theatre and be asked to follow the adventures of a mere courtesan unless there is a moral to be taught. Dumas and his coughing heroine have no lesson for us. (…) ‘French art’, socalled, is killing the English drama; it has already slain the idea of virtue and the profession of this stage being a possible combination.’ 77 Ce qu’on peut voir dans cet article est que si les critiques étaient négatives, surtout en ce qui concernait la morale de l’histoire, l’audience par contre appréciait beaucoup la pièce. Comme on l’a vu aussi quand il s’agissait du roman, la popularité auprès du public et des lecteurs était finalement plus importante pour l’histoire et la carrière de l’auteur que l’opinion des critiques. Une personne qui a certainement attribué à la popularité de la pièce est, comme nous l’avons déjà constaté, l’actrice Sarah Bernhardt, qui était l’actrice française la plus populaire de son temps et dont La Dame aux Camélias était le rôle qu’elle a le plus souvent joué, de milliers de fois et dans de nombreux pays. L’opéra La Traviata est aujourd’hui l’opéra le plus joué au monde, mais on n’aurait pas pu prévoir cette popularité en assistant à la première, le 6 mars 1853 au Teatro la Fenice à Venise.78 Comme Verdi a écrit lui-même, dans une lettre à son ami Muzio: ‘La Traviata, ieri sera, fiasco. La colpa è mia o dei cantanti ?... Il tempo giudicherà.’79 ‘La Traviata hier soir était un fiasco. La faute à moi ou aux chanteurs? … Le temps le dirai.’ 80 Et à son ami, le chef d’orchestre Mariani, il dit: 77 http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin. 78 Budden (1985), p. 60. 79 Cesari (1913), p. 533. 80 Traductions françaises de l’auteur. 54 ‘La Traviata has been a great fiasco and, worse, they laughed. Now then, what do you want? I am not upset. Either I am wrong or they are. For my part, I do not believe the final word on Traviata was spoken last night. They will see it again, and we shall see! Meanwhile, caro Mariani, record a fiasco.’ 81 Il y avait quelques raisons qui ont attribué à l’échec initial de La Traviata, qui n’était pas si grave que Verdi prétendait qu’il l’était, mais qui était néanmoins étonnant pour un opéra qui finirait par être un des opéras les plus populaires qui soient. Les interprètes n’étaient pas ceux que Verdi aurait souhaités. La chanteuse qui interprétait le rôle de Violetta, Fanny Salvini-Donatelli, était trop rondelette et avait donc l’air trop ‘vivante’ pour jouer une femme qui meurt de consomption. C’était, entre autres, à cause de son physique que le public ne la prenait pas aux sérieux et riait quand elle jouait la scène du trépas. Salvini-Donatelli, qui était d’ailleurs une chanteuse douée quand il s’agissait du bel canto romantique, n’avait pas de problèmes avec l’acte premier, mais elle ne pouvait pas transmettre avec crédibilité la portée dramatique qu’il devait y avoir dans les actes deux et trois. Apparemment, les autres chanteurs étaient encore moins aptes pour leurs rôles. Verdi a commenté plus tard qu’on pouvait très bien jouer Rigoletto avec des chanteurs médiocres, mais que pour La Traviata, on avait vraiment besoin de chanteurs dont les caractères correspondent aux caractères des personnages: ‘As he [Verdi] later said himself, a company can do Rigoletto with average singers, but for La traviata the artists have to match the characters.’ 82 Le premier acte de l’opéra était un grand succès; les autres l’étaient beaucoup moins. Verdi voulait faire de cet opéra une histoire ‘de notre temps’, donc du XIXième siècle; mais la censure n’approuvait pas de cet objectif et avait donc décidé que l’histoire se passerait au commencement du XVIIIième siècle, perruques et crinolines inclus. On a maintenu ce cadre encore jusqu’au XXième siècle. Bien que cela ne soit pas conforme à l’idée de Verdi de traiter un sujet contemporain, il n’est pas clair si ce cadre historique a eu beaucoup d’influence sur la réception de l’opéra. Cependant, cette exigence de la censure a certainement eu une influence négative sur la confiance déjà affaiblie de Verdi concernant la réussite de l’opéra. L’attitude négative de Verdi envers les interprètes et la représentation a certainement eu de l’influence sur la qualité de la représentation. Un facteur qu’il ne faut pas 81 82 Martin (1965), p. 255, Cesari (1913), p. 533. Phillips-Matz (1993), p. 322. 55 oublier en traitant la réception de l’opéra est le fait que la première avait lieu à Venise. Le public de Venise n’avait pas l’habitude d’un thème tellement osé et était donc plus réservé qu’un public parisien ne l’aurait été. Nonobstant les premières représentations mal réussies, il y avait déjà à la première des gens qui croyaient que cet opéra pourrait quand même être un succès. Parmi eux le journaliste Tomaso Locatelli qui écrivait deux articles dans la Gazetta di Venezia, le 7 et 12 mars, dans lesquels il blâmait les interprètes pour l’échec et prévoyait qu’une représentation prochaine aurait certainement du succès.83 Dr. Cesare Vigna, un ami de Verdi qui était aussi un critique de musique, écrivait dans le Gazzetta musicale di Milano que la représentation inadéquate avait empêché le public d’apprécier le vrai ‘esprit’ de l’œuvre de Verdi.84 Pendant la deuxième production de l’opéra en mai 1854, au Teatro San Benedetto qui était aussi en Venise, la distribution des rôles était beaucoup plus réussie. Piave, le librettiste, écrivait à Ricordi85 à propos de Maria Spezia, la chanteuse qui allait jouer Violetta: ‘I have the satisfaction of telling you that Spezia is made for this opera, and that this opera seems made for Spezia (…) In this opera, she is a woman different from those in all the other [works], and [in] her very pallor, her exhaustion, and her entire person, everything in her comes together to make her the true incarnation of the idea of Dumas, of Verdi, and also of myself.’ 86 Il était donc considéré indispensable pour la vraisemblance du personnage de Violetta que l’interprète avait déjà un peu cet air maladif du personnage. En plus de la distribution des rôles qui était plus adéquate, Verdi avait, pour la deuxième production, aussi fait quelques adaptations dans la partition originale. Ricordi écrivait à Verdi après les premières représentations: ‘In a word, I have to tell you again that there was never a success in Venice like that of La Traviata, not even in the time of your Ernani. Gallo87 tells me that on the third night there was an uproar of indescribable applause, and that the [last] act was even more effective that on the other two nights, if that is possible (…)’ 88 83 84 85 86 87 88 Issartel (1981), p. 99. Phillips-Matz (1993), p. 323. L’éditeur de la musique de Verdi. Phillips-Matz (1993), p. 328. Gallo était le réalisateur de cette production. Phillips-Matz (1993), p. 328. 56 L’opéra est toujours resté au répertoire depuis et il n’a guère connu des échecs comme celui de la première; la distribution des rôles est néanmoins toujours restée une affaire délicate. De nos jours, l’opéra est beaucoup plus populaire que le roman et la pièce; peut-être le raisonnement de John Rosselli, dans son The life of Verdi, est une partie de l’explication: ‘For nineteenth-century Italians, opera did what the Italian novel failed to do: it both crystallised feelings and relationships in which they could see themselves and let them attain new heights of imaginative experience, grounded in thrilling melodramatic action. Verdi’s operas were the Italian equivalent not just of Dickens’s but of Victor Hugo’s or Dostoevsky’s novels, where likewise action at times violent or lurid served to deepen insight into human life. Thanks to the power of music and to Verdi’s individual strengths the operas now work in the theatre through almost the whole of their course as, in the reader’s perception, the novels do not. Hugo’s swollen rhetoric, Dostoevsky’s rant, Dickens’s false sentiment over young women alienate us from parts of their works; Verdi’s early operas are at times blatant or ramshackle, but (…) a good performance in the theatre lets their joined energy and nobility carry all before them.’ 89 Rosselli a donc l’idée que l’opéra parle au public d’une manière que les romans ne peuvent pas le faire, ce qui explique peut-être le fait que l’opéra La Traviata est, de nos jours, la plus populaire des trois œuvres: le style des romans et des pièces de théâtre du XIXième siècle est démodé aux yeux du lecteur du XXième siècle, pendant que celui de l’opéra l’est moins. En comparant les différentes réceptions Il est clair que les oeuvres ont toutes les trois eu un succès durable, même si la pièce n’est restée populaire que grâce aux versions filmées et non aux représentations théâtrales. Le roman par contre, qui était un succès à la parution, est encore de nos jours considéré comme un classique. Grâce à beaucoup de différents aspects de l’œuvre, entre autres le style ‘moderne’, qui était considéré comme ‘réaliste’ à l’époque de la parution, le scandale que le sujet a causé et aussi grâce aux interprètes célèbres, l’histoire dans ses différentes formes a ému le public du XIXième siècle. La popularité internationale de l’opéra a encore renforcé l’intérêt du public pour les différentes versions de l’histoire. Nous allons voir dans les chapitres suivants que le public du XXième siècle n’a pas non plus cessé d’apprécier l’histoire dans encore bien d’autres formes. 89 Rosselli (2000), p. 3. 57 De Marguerite à Violetta Le compositeur italien d’opéra Giuseppe Verdi a choisi la pièce La Dame aux Camélias pour en faire un opéra, qui porterait le nom La Traviata et qui allait devenir un des opéras les plus populaires au monde. Mais pourquoi Verdi a-t-il choisi cette histoire d’une courtisane, et comment est-ce qu’il a fait la connaissance de la pièce et du roman? A mon avis, on peut trouver les réponses dans sa passion pour la littérature, son amour pour une femme et son enfance, passé dans un milieu pauvre. Le choix d’un sujet était pour Verdi peut-être l’aspect le plus difficile dans la réalisation d’un opéra.90 Verdi accordait beaucoup d’importance à trouver des histoires convenables pour ses opéras, comme il le faisait aussi aux livrets que les librettistes écrivaient pour lui: il était pour eux difficile de coopérer avec Verdi, parce qu’il était très spécifique sur le contenu et sur la qualité des vers et il n’hésitait pas à les faire réécrire plusieurs fois. Comme Francesco Piave, un de ses librettistes, écrivait à un ami, en travaillant au livret de l’opéra Simon Boccanegra: ‘Verdi is my tyrant and you cannot believe how many and how various are the demands he makes on me and my pour verses.’ 91 Il arrivait souvent que Verdi passait des mois à trouver un sujet et à discuter sur le livret et seulement quelques jours à écrire l’opéra. Au début de sa carrière, Verdi préférait des histoires historiques et fastueux, souvent contenant des références à la situation politique en Italie: il soutenait la lutte pour une Italie unie et contre l’oppression autrichienne. L’opéra Nabucco (1841) en est un exemple, basé sur une histoire biblique qui raconte l’oppression des Hébreux par le roi Nabucco, qui est à la fin miraculeusement converti au judaïsme. Le chœur des esclaves hébreux ‘Va pensiero’ est devenu un symbole pour la lutte contre l’oppression, et spécifiquement de la lutte contre l’oppression autrichienne et pour un Italie uni. C’est grâce à cet opéra que Verdi était devenu pour les Italiens une sorte de porte-parole quand il s’agissait de l’Italie indépendante. A partir des années 1850, son nom devenait même une devise politique: on criait Viva V.E.R.D.I. (Vittorio Emanuele Re D’Italia – Victor Emmanuel roi d’Italie). En 1859, après que 90 Les recherches dans ce chapitre sont notamment basées sur Budden (1985), Rosselli (2000) et Martin (1965). 91 Budden (1985), p. 72. 58 l’Italie est devenue indépendante, Verdi était même élu député pour la province de Parme, ce que Verdi lui-même trouvait ridicule, et dont il écrit dans une lettre à Piave: ‘I was elected and during the early days I frequented the Chamber up till the great day in which Rome was declared Capital of Italy. (…) For two long years I attended only rarely. Several times I was about to hand in my resignation but some obstacle always came up at the last moment and I’m still a deputy against every wish, every desire, without having the slightest inclination nor aptitude nor talent. There you have it. Anyone who wishes or who has to write my biography as member of Parliament has only to print in large letters in the middle of a blank sheet of paper ‘The 450 are really only 449 because Verdi as a deputy doesn’t exist.’ 92 Verdi ne se sentait pas doué pour la politique, c’était à travers son art qu’il voulait faire une différence. Après un certain temps, Verdi commençait à préférer des histoires humaines dans lesquelles figuraient des personnages venant de différents milieux sociaux. L’explication pour cette préférence se trouve dans son enfance. Verdi était né le 9 ou 10 octobre 181393 (la date est contestée) à Le Roncole, un petit village près de Busseto, dans le duché de Parme, comme Joseph Fortunin François Verdi. Parme était à cette époque incorporé dans l’empire de Napoléon et Verdi était donc né français, bien que cela n’eut pas de conséquences pour le reste de sa vie. Giuseppe Verdi était son nom et la plupart de ses proches et connaissances l’appelaient simplement Verdi. Le Roncole était un village de paysans et l’éducation y était donc très élémentaire. Pendant toute sa vie, Verdi s’était très bien rendu compte du fait qu’à cause de son manque d’éducation, il resterait toujours un peu paysan. Cependant, pour un fils d’un paysan, Verdi avait eu une éducation assez exceptionnelle: on lui donnait des leçons privées à la maison dès l’âge de quatre, avant qu’il aille fréquenter l’école du village; il prenait des leçons de musique et son père lui avait même donné une vieille épinette; il allait au gymnase à Busseto, et plus tard on lui donnait la possibilité de faire des études à Milan. Mais le fait que Verdi accentuait toute sa vie qu’il venait d’un milieu pauvre prouve encore une fois qu’il avait toujours le sentiment de n’être qu’un paysan, d’appartenir au peuple. Peut-être ses parents n’étaient-ils pas entre les familles les plus pauvres, mais quand même le jeune Verdi travaillait déjà pour contribuer au revenu familial. Il avait eu des leçons d’orgue de l’organiste du village, et lui succédait dans le poste d’organiste à l’âge de dix ans. 92 93 Budden (1985), p. 84. Martin (1965), p. 3, Rosselli (2000), p. 12. 59 Il gardait ce poste quand il allait vivre à Busseto pour y aller au gymnase. On raconte qu’il marchait tous les dimanches pieds nus à Le Roncole pour épargner ses chaussures. Cette vie lui a probablement appris à être l’homme d’affaires scrupuleux qu’il était. Parce qu’il venait d’un milieu pauvre, Verdi s’est toujours senti concerné par le peuple. C’est sans doute à cause de cela qu’il commençait à préférer des histoires humaines avec des personnages vraisemblables venant des différentes classes sociales et ayant des sentiments vrais: des histoires contemporaines traitant des problèmes sociaux. En faisant cela, il se distinguait des autres compositeurs d’opéra, dont la plupart préférait encore les histoires traditionnellement utilisées dans l’opéra, qui traitaient des thèmes classiques ou historiques. Kimbell94 suggère qu’il est bien possible que Verdi ait été influencé, pendant ses séjours à Paris entre 1847 et 1852, par le mouvement réaliste français. Ce mouvement, qui avait à cette époque-là juste commencé à s’établir, préférait aussi se concentrer sur la classe ouvrière parce que celle-là était le moins artificielle et le plus sincère. En Italie, l’art était influencé par les idées qui propageaient l’unification de l’Italie, le Risorgimento. Selon Jaap van Osta, Verdi s’était aussi laissé inspirer par la brochure Filosofia della musica (1836) de Giuseppe Mazzini, qui était un des révolutionnaires les plus importants dans l’Italie du XIXième siècle. Dans cette brochure, Mazzini proposait une nouvelle sorte de musique, qui n’était pas fait pour plaire à l’aristocratie, mais qui était par contre une musique romantique qui pourrait susciter les sentiments collectifs et nationalistes du peuple italien.95 De cette manière, il voulait utiliser la musique comme instrument pour rendre le peuple sensible pour la cause nationale. Ces idées correspondent largement avec les idées du ‘verismo’ (1875-1895), le mouvement italien inspiré par le réalisme français, qui voulait utiliser notamment la littérature pour propager une culture italienne collective pour renforcer les sentiments nationalistes. Pour atteindre ce but, il était indispensable de s’adresser au peuple en utilisant un langage qui serait compréhensible pour tout le monde. Les idées du verismo se répandaient aussi dans d’autres formes d’art. Dans l’opéra,96 la musique instrumentale devient plus importante par rapport au texte; la musique elle-même devient porteuse du message. De cette façon, il est plus facile pour le peuple de comprendre l’histoire et de s’identifier avec les personnages. L’époque de gloire du verismo dans l’opéra se passait à la fin du XIXième siècle, et on en trouve les exemples les plus convaincants dans l’œuvre des compositeurs comme Puccini, Mascagni et Leoncavallo. Selon une conception largement 94 Kimbell (1981), p. 642/643. Osta (1989), p. 65. 96 http://www.felinebird.co.uk/verismo.shtml, http://journals.cambridge.org/download.php?file=%2FOPR%2FOPR5_01%2FS0954586700003876a.p df&code=cddb0bd8e9c15022a8274c4fdfabca59, http://www.grattacielo.org/verismo.htm. 95 60 répandue, Verdi était le premier à introduire le ‘verismo’ dans le théâtre italien,97 et plus précisément dans le dernier acte de La Traviata. Konrad Claude Dryden nous propose le raisonnement suivant: ‘Verdi seemed to be experimenting with modes of expression that had received few parallels until that time. (…) While some musicologists suggest that it is unfair to claim La Traviata a bridge to verismo, both the opera’s intimacy and the work’s concentration on one protagonist who matures and transforms herself from one act to another, is nothing if not ‘uno squarcio di vita’ – ‘a slice of life’ – as heralded in Tonio’s prologue to I Pagliacci,98 the credo of the verismo movement. Violetta would become a preferred role among verismo sopranos. The reason for this attraction was presumably the dramatic possibilities afforded by the last act. The impression that present-day audiences have of the Dumas heroine has certainly been influenced by the way the part has been performed during most of this century – very often by sopranos who have excelled in verismo roles – thus probably far removed from interpretations during Verdi’s own time.’ 99 Même si à l’époque de La Traviata, le verismo n’avait pas encore trouvé sa forme définitive, il est clair que Verdi a été influencé par l’esprit du siècle et qu’il a, avec son œuvre, contribué au développement des idées du verismo dans l’opéra. Ce n’est pas seulement Verdi qui a eu une influence sur le verismo, le verismo a également eu une influence sur les interprétations et sur les représentations des opéras de Verdi: une influence qu’on retrouve encore dans les représentations modernes. Pour toutes ces raisons, l’histoire de La Dame aux Camélias était très intéressante pour Verdi. Comme il écrit à son ami Cesare de Sanctis, le 1 janvier 1853: ‘Io desidero soggetti nouvi, grandi, belli, variati, arditi… ed arditi all’estremo punto, con forme nuove, ecc., ecc., e nello stesso tempo musicabili. (…) A Venezia faccio la Dame aux camelias, che avrà per titolo, forse, La Traviata. È un soggetto dell’epoca. Un altro forse non l’avrebbe fatto pei constumei, pei tempi e per mille altri goffi scrupoli, io lo faccio con tutto il piacere. Tutti gridarono quando io proposi un gobbo da mettere in iscena. Ebbene, io era felice di scrivere il Rigoletto.’ 100 97 Kimbell (1981), p. 642, 646, http://www.grattacielo.org/verismo.htm. Opéra de Leoncavallo. 99 http://www.grattacielo.org/verismo.htm. 100 Cesari (1913), p. 531/532, Budden (1985), p. 61. 98 61 ‘Je veux des sujets nouveaux, grands, beaux, variés, osés… osés à l’extrème, avec des formes nouvelles, etc., etc., et qui se prêtent en même temps à une adaptation musicale. (…) Pour Venise je fais La Dame aux Camélias, qui s’appellera, peut-être, La Traviata. C’est un sujet contemporain. Un autre [compositeur] ne l’aurait pas fait à cause des costumes, de l’époque, et pour mille autres petits scrupules, mais moi je le fais avec plaisir. Tout le monde criait au scandale [aussi] quand je prenais un bossu comme personnage. Mais moi, j’étais heureux d’écrire Rigoletto.’ 101 Verdi n’avait pas seulement une préférence pour des sujets contemporains et traitant des problèmes sociaux, il avait aussi un penchant pour des sujets un peu bizarres, anormaux, non conventionnels, comme par exemple son choix pour Rigoletto. Personne avant lui n’avait osé prendre comme personnage principal d’un opéra un bossu. Il était probablement aussi le premier à prendre comme personnage principal une courtisane contemporaine, et cela était un sujet encore plus osé. A mon avis, ce choix de sujets s’explique en partie par son origine pauvre. Comme il n’était pas un compositeur d’opéra conventionnel, il ne se sentait pas obligé de choisir des sujets conventionnels. Il n’est pas tout à fait certain si Verdi a assisté à une représentation de la pièce de Dumas, mais la plupart d’entre ses biographes le présument. Selon Christiane Issartel il assistait même, accompagné de Giuseppina, à la première,102 et, d’après elle, il a dit qu’il avait lu le roman, mais que la pièce lui montrait des possibilités d’en faire un opéra qu’il n’avait pas prévu dans le roman. En tous cas, il se trouvait à Paris à cette époque, l’hiver de 1852/1853.103 Sans doute s’était-il aperçu du tumulte que le roman et la pièce de Dumas faisaient. Il y a aussi des arguments qui montrent qu’il y avait une raison personnelle pour Verdi d’avoir choisi cette histoire. Comme il y en a entre la vie de Dumas fils et son roman, il y a aussi des liens entre l’histoire de La Traviata et la vie de Verdi lui-même. Après la mort de sa première femme, Margherita Barezzi, Verdi a longtemps vécu avec une femme, Giuseppina Strepponi, sans être marié avec elle, donc une situation un peu comparable à celle de Marguerite et Armand bien que Giuseppine ne soit pas une courtisane. Giuseppina 101 102 103 Traduction française de l’auteur. Issartel (1981), p. 96. Martin (1965), p. 243. 62 Strepponi, une chanteuse d’opéra que Verdi connaissait déjà depuis le début de sa carrière, a connu quelques scandales dans sa vie: elle avait trois enfants illégitimes, et de deux d’entre eux on n’était pas certain qui était le père. Giuseppina était pour Verdi la raison de rester plus longtemps que prévu à Paris, où elle s’était installée après sa carrière exécutrice comme enseignante de chant, avant de venir vivre avec Verdi à Busseto. Verdi aimait la ville, parce qu’il y pouvait se promener à son aise, sans être reconnu dans la rue, ce qui lui était devenu impossible en Italie. En 1847, ils commençaient à vivre ensemble, mais ce n’était qu’en 1859 qu’ils se mariaient. En mai 1851, elle était venue vivre avec lui à Busseto, le village de son enfance. Dans ce village il y avait beaucoup de critique à ce mode de vivre, qui était très inhabituel, et les villageois n’acceptaient pas Giusseppina. Le couple passait l’hiver de 1851/1852 à Paris, où Giuseppina se trouvait sans doute mieux à sa place. C’était à cette époque-là qu’on jouait la pièce de Dumas au Théâtre de Vaudeville, la première étant le 2 février 1852. Il est bien possible que s’il n’eut pas été à Paris pour Giuseppina à cette époque, ou même s’il n’y avait jamais eu de liaison entre eux, il n’aurait jamais fait la connaissance de l’œuvre de Dumas fils. Le 21 janvier 1852, Verdi écrivait à Antonio Barrezzi, son bénéficier depuis son enfance et aussi son beau-père, en réaction à une lettre que celuilà l’avait écrit, et en critiquant le comportement des villageois: ‘In casa mia vive una Signora libera indipendente, amante come me della vita solitaria, con una fortuna che la mette al coperto di ogni bisogno. Nè io, nè Lei dobbiamo a chichessia conto delle nostre azioni; ma d’altronde chi sa quali rapporti esistano fra noi? Ed in questo caso chi sa quali sono i motivi particolari, quali le idee da tacerne la pubblicazione? (…) Bensì io dirò che a lei, in mia casa, si deve pari anzi maggior rispetto che non si deve a me (…)’ 104 ‘Une femme habite chez moi. Elle est libre, indépendante, elle aime, comme moi, une vie solitaire qui la mette à l’abri de toute obligation. Ni moi ni elle ne devons de comptes de nos actions à qui que se soit; qui sait quels sont nos rapports? Et, dans cette maison, qui sait quels sont les motives particuliers pour ne pas les faire connaître? (…) Je vous dirai toutefois qu’on lui doit, chez moi, un respect encore plus grand que celui qu’on me doit (…).’ 104 Cesari (1913), p. 130. 63 Il y a certains aspects dans cette lettre qu’on peut retrouver dans le livret de l’opéra. Dans l’exemple suivant, quand le père d’Alfredo vient rendre visite à Violetta, on retrouve l’idée que la femme doit être respectée quand elle est chez-elle: GERMONT: D’ORBEL: Sì, dell’incauto, che a ruina corre, Je suis père, et je viens vous ravir Ammaliato da voi. Un fils qui me force à rougir. VIOLETTA: VIOLETTA: Donna son io, signore, ed in mia casa; Je suis chez moi, monsieur… et je suis femme; Ch’io vi lasci assentite, Ne l’oubliez jamais… ce droit, je le Più per voi che per me.105 réclame.106 Après avoir dit cela, elle lui donne les papiers de la vente de ses possessions à Paris, pour lui montrer, comme Verdi le dit dans la lettre, qu’elle a une fortune d’elle-même et qu’elle n’a pas ruiné son fils: GERMONT: D’ORBEL: De’ suoi beni Vous le ruinez, madame… Dono vuol farvi VIOLETTA: VIOLETTA: Oh! Mais c’est une horreur! Non l’osò finora Lui remettant les papiers qu’elle tenait à la Rifiuterei. main, en entrant. Preuve visible… GERMONT: (guardandosi intorno) Pur tanto lusso D’ORBEL, après avoir parcouru les papiers. Est-il possible? VIOLETTA: A tutti VIOLETTA: È mistero quest’atto Le bien que j’aime est dans son cœur.’ A voi nol sia. 105 106 www.giuseppeverdi.it. RTL, p. 437/438: texte de la version française de l’opéra, pas traduit littéralement. 64 D’ORBEL, après avoir achevé de lire. GERMONT: (dopo averle scorse coll’occhio) Grand Dieu!... Que vois je? Ciel ! che siscopro! Agréez mon excuse, D’ogni vostro avere Vous vendiez tous vos biens, et c’est vous Or volete spogliarvi ? que j’accuse! Ah, il passato perché, perché v’accusa? Ah! Le passé s’efface… Il y a beaucoup de ressemblances entre la situation dans laquelle Verdi et Giuseppina se trouvaient et la partie de l’histoire dans laquelle Marguerite et Armand (ou Violetta et Alfredo) vont s’installer à la campagne eux aussi. On pouvait comparer Barezzi, le beau-père de Verdi, à Georges Duval, le père d’Armand, qui veut sauver son fils d’une liaison qui pouvait compromettre sa réputation. Un autre argument pour cet raisonnement est le fait que le père Germont joue un rôle encore plus important dans l’opéra que dans la pièce: la scène de la confrontation entre Violetta et Giorgio Germont se trouve exactement au milieu de l’opéra, et il est, contrairement au roman et à la pièce, aussi présent dans la scène de trépas de Violetta: il y dit même qu’il regrette ses actions. Barezzi, lui aussi, s’était vite réconcilié avec Giuseppina. Verdi n’aimait pas le fait que les gens s’intéressaient à sa vie personnelle, étant un homme célèbre; il ne parlait des choses privées qu’avec ses proches et il préférait dissocier son travail et sa vie privée. Verdi lui-même n’a donc jamais affirmé que les ressemblances entre l’histoire et sa propre vie puissent être une des raisons pour choisir La Dame aux Camélias, mais il est peu probable qu’il ne se soit pas reconnu dans l’histoire. John Rosselli, dans son The life of Verdi, dit à propos de ce sujet: ‘Suggestions that La traviata alludes to Strepponi are wrongheaded: Verdi called Violetta a ‘whore’ – she was a kept woman – but Strepponi was an independent artist who supported a family. Her sexual life before the two of them came together was at once ‘simple, natural’ and, in the theatre, not uncommon – though probably worse managed than most.’ 107 A mon avis, si Verdi s’était reconnu dans l’histoire, ce n’était pas parce qu’il trouvait que Giuseppina était une prostituée, mais parce que son entourage la traitait comme telle; une chanteuse ou une actrice, qui avait en plus eue de nombreuses liaisons, et qui vivait 107 Rosselli (2000), p. 69. 65 indépendante, était au XIXième siècle à peine plus respectée qu’une courtisane ou une prostituée.108 Les villageois la trouvaient frivole: ‘(…) Giuseppina was ignored in the street and no one sat near her in church. For all her native charity she would not forget these insults in the years to come.’ 109 Il est donc possible que Verdi ait choisi le sujet parce qu’il voulait montrer que Giuseppina n’était pas comme Violetta, que lui non plus respectait les courtisanes mais que Giuseppina était mieux que cela. Une dernière raison pour laquelle Verdi a choisi La Dame aux Camélias était le fait que Verdi s’intéressait beaucoup à la littérature, il lisait beaucoup de romans et de pièces de théâtre d’écrivains internationaux. Quand en 1871 on lui demandait de devenir directeur du conservatoire de Milan, il refusait la poste mais donnait son opinion didactique en disant qu’il fallait aux étudiants du conservatoire l’exercice constant de la fugue et du contrepoint et des études approfondis de la littérature. Il vouait une grande admiration à Alessandro Manzoni, l’auteur de Gli promessi sposi, l’œuvre qui était d’une grande importance pour la création d’une seule langue italienne, ce qui était nécessaire pour pouvoir réaliser l’unification de l’Italie. Verdi était également un grand amateur de Shakespeare, dont il faisait adapter en livret d’opéra les pièces Macbeth, Othello et Falstaff; de Schiller, dont il utilisait cinq pièces de théâtre pour ses opéras; et de l’auteur espagnol Antonio Garcia Guttiérrez, qui était l’auteur des pièces qui étaient à l’origine des opéras Il Trovatore et Simon Boccanegra. La littérature française était aussi une inspiration pour lui: à part de La Dame aux Camélias, il utilisait pour ses livrets deux pièces de Victor Hugo, Hernani et Le roi s’amuse, dont la dernière devenait l’opéra Rigoletto; Alzire, une tragédie de Voltaire; et quelques autres pièces d’auteurs moins connus. Verdi maîtrisait le français, ce qu’il a probablement appris pendant ses études à Milan, où beaucoup de Milanais éduqués le parlaient. Apparemment, il en a eu des leçons en 1846.110 Cela lui donnait la possibilité de lire aussi des œuvres qui n’avaient pas encore été traduits en italien, comme l’œuvre de Dumas fils, et aussi de coopérer avec le librettiste français Eugène Scribe pour faire des opéras pour l’Opéra de Paris. De son trilogie Il Trovatore, Rigoletto et La Traviata, qui sont considérés comme ses trois meilleurs opéras, deux d’entre eux étaient basés sur des œuvres françaises. 108 Une étude intéressante traitant ce sujet est celle de Kirsten Pullen: Actresses and Whores – On Stage and in Society (2005). 109 110 Budden (1985), p. 53/54. Rosselli (2000), p. 21. 66 Le choix de Verdi pour La Dame aux Camélias était peut-être un choix inattendu, un choix que ses collègues contemporains n’auraient pas faits, mais aussi un choix qui s’explique par quelques facteurs importants dans la vie de Verdi. Sa passion pour la littérature, qui le portait à lire des œuvres internationales, parmi lesquels se trouvaient beaucoup d’œuvres françaises; ses origines pauvres, qui faisaient qu’il était concerné par le peuple, et préférait donc des histoires humaines, vraisemblables, avec des personnages de différentes classes sociales; son engagement avec les idées du Risorgimento; et sa liaison avec Giuseppina Strepponi, ce qui n’était pas seulement la raison de plusieurs séjours à Paris où il a fait la connaissance avec l’œuvre de Dumas fils, mais qui était peut-être aussi la raison pour laquelle il s’était reconnu dans cette histoire, qu’il a choisi pour créer l’opéra La Traviata. 67 L’œuvre de Dumas comme source d’inspiration A part de l’opéra de Verdi, qui est l’exemple le plus célèbre, il y a eu de nombreuses autres œuvres qui ont été inspirées par ou qui sont basés sur La Dame aux Camélias. Il y a des auteurs qui ont adapté l’histoire, et d’autres qui l’ont juste prise comme source d’inspiration, qui se sont laissés influencer par l’histoire, ou qui ont fait une réaction critique à l’œuvre de Dumas fils. Toutes ces œuvres sont des preuves de la popularité de l’oeuvre originale et ont attribué à cette popularité. Apparemment, l’œuvre se prête très bien à être adaptée et peut facilement être résumée en quelques scènes clés très dramatiques. Le roman a inspiré une quantité énorme de toutes sortes d’œuvres d’art: des romans, des pièces de théâtre, des ballets, des films, etcetera. De l’autre côté, La Dame aux Camélias a aussi été à la base de quelques œuvres critiquant l’histoire et les idées de Dumas fils. On retrouve ces œuvres critiques surtout au XIXième siècle, de la vie de Dumas fils; on critiquait le fait qu’il auréolait une courtisane et ne désapprouvait pas ouvertement sa vie frivole. Presque toutes les adaptations de l’histoire, et dans lesquelles on ne retrouve guère de critique à l’adresse de Dumas fils, ont été faites au XXième siècle. Toutes ces oeuvres ont attribué au fait que La Dame aux Camélias n’a jamais cessé d’attirer l’attention du public. Je parlerai d’abord des œuvres dans lesquelles on retrouve l’influence de La Dame aux Camélias ou qui sont des réactions à l’œuvre de Dumas, et puis des œuvres qui sont basées directement sur l’histoire, ou bien sur la vie de Marie Duplessis. On retrouve dans ce chapitre des œuvres que je n’ai pas mentionnées dans le chapitre sur la courtisane dans la littérature; c’est qu’il ne s’agit pas toujours des œuvres très connues ou des auteurs populaires. Pour la rédaction de ce chapitre, l’ouvrage d’Issartel a été un source d’information indispensable,111 en ce qu’elle contient un sommaire, bien qu’incomplète et n’étant certainement plus à jour, des œuvres inspirées par ou qui sont une adaptation de l’œuvre de Dumas fils. A part de cette œuvre, un grand nombre de sources sur internet m’ont été très utiles, par exemple des bases de données digitales de films. Pour la dernière partie de ce chapitre, j’ai choisi quatre films basés sur ou inspirés par La Dame au Camélias, réalisés en de différentes époques, pour analyser comment on a adapté l’histoire pour qu’elle puisse être au goût du public de leur époque. On peut s’imaginer qu’il y a des critiques étant de l’opinion que l’histoire n’est plus de notre temps, parce qu’il n’y plus de nos jours des courtisanes et que le public moderne ne comprend plus le personnage de la courtisane. Nous allons également voir dans ce chapitre si cet aspect a posé des problèmes aux créateurs des adaptations de l’histoire et au public. 111 Issartel (1981). 68 Les oeuvres inspirées sur ou influencées par La Dame aux Camélias Parmi les auteurs qui ont considéré d’un œil critique l’œuvre de Dumas fils se trouvent son collègue Emile Augier et l’auteur Emile Zola. En réaction à l’œuvre de Dumas fils ils ont repris le thème de la courtisane d’un point de vue différent. Le concurrent: Emile Augier Un des plus grands concurrents de Dumas fils était l’auteur de théâtre Emile Augier. Bien que peu connu de nos jours, la qualité de son œuvre n’était certainement pas inférieure à celle de l’œuvre de Dumas et il était un homme de poids dans la vie littéraire à cette époque. Choqué par le succès de La Dame aux Camélias, il a essayé deux fois d’y faire une réplique.112 Il avait déjà traité le thème avant la parution du roman et de la pièce de Dumas, dans la comédie pastorale Le Joueur de Flûte, d’une façon plutôt innocente. Un pauvre berger tombe amoureux de la courtisane classique Laïs; il se vend comme esclave pour pouvoir se permettre d’acheter pour quelques instants ses faveurs. Laïs est émue, le rachète avec toute sa fortune et abandonne sa vie de courtisane pour aller vivre avec lui. Dans cette œuvre, la courtisane n’est pas vraiment présentée comme étant condamnable; mais Augier ne prenait pas trop de risque d’être critiqué pour cela, en choisissant un cadre classique pour l’histoire. La première réaction d’Augier à la pièce de Dumas, Le Mariage d’Olympe (1855), dont il a avoué qu’il s’agissait d’une riposte à Dumas, est beaucoup moins innocente que sa première tentative du thème. Dans ce cas, il s’agissait bien d’une situation contemporaine. La courtisane Olympe va se marier avec le comte de Puygiron. Olympe veut se faire accepter par la famille du comte: son oncle le marquis de Puygiron qui vit en Autriche. D’abord, elle est accueillie cordialement; mais après quelques temps, sa conduite la démasque. Le duc se rend compte qu’elle n’a pas de morale et qu’il sera impossible de changer son attitude. Olympe cherche à se venger; le marquis la tue et puis se tue lui-même.113 Comme dans La Dame aux Camélias, il s’agit d’un homme qui croit qu’il peut changer la nature d’une courtisane mais qui n’y arrive finalement pas. Il n’y a donc, selon Augier, pas de place pour une courtisane dans une famille honnête, et il est impossible de changer la nature d’une courtisane. A l’aide de cette histoire, il voulait ridiculiser l’amour entre Marguerite et Armand. Il est remarquable qu’il ait apparemment adopté ce point de vue qu’après que Dumas fils eut 112 113 Seillière (1921), p. 149-153. Seillière (1921), p. 150/151. 69 écrit La Dame aux Camélias; on ne retrouve pas encore ce ton moraliste dans Le Joueur de Flûte. Cela donne l’impression qu’il a voulu plaire aux critiques de Dumas fils. Il a choisi pour son personnage principal le nom Olympe, le nom que Dumas fils utilisait également pour le personnage de la courtisane sans cœur; il a peut-être voulu dire avec cela qu’il y a seulement des Olympes, pas de Marguerites, entre les courtisanes. En 1868, Augier écrit encore la pièce Paul Forestier. Le peintre Paul Forestier est amoureux d’une femme mariée, Léa. Son père obtient de Léa qu’elle s’éloigne de son fils pour qu’il puisse se marier avec Camille, une fille très honnête. Après la mort du mari de Léa, celle-là revient et Paul découvre que son père l’a trompé. Camille propose de se sacrifier pour les amants. Paul se rend compte de la supériorité de sa femme et reste auprès d’elle.114 On reconnaît dans cette histoire la scène entre Marguerite et le père Duval. Le message est clair: l’amour conjugal est toujours préférable à l’amour adultère. La mort du mari de Léa n’a pas effacé le péché qu’elle a commis; elle restera donc selon Augier toujours une femme de péché. La raison pour laquelle Augier a donné à son héroïne le nom Camille, n’est pas clair: ce n’est sans doute pas pour faire honneur à la Dame aux Camélias, puisqu’il s’agit d’une fille honnête. Il s’agit sans doute d’une coïncidence. En regardant les œuvres sur des courtisanes d’Augier, nous voyons que lui, comme Dumas fils, est devenu plus moraliste au cours de sa vie: dans le cas d’Augier, on a l’impression que La Dame aux Camélias a été une des causes de ce changement. Malheureusement pour lui, ses histoires moralistes n’ont jamais connu une popularité pareille à celle de La Dame aux Camélias. Les pièces de théâtre d’Augier sont des exemples des œuvres qui ont voulues au même temps profiter de la popularité du sujet auprès du public de théâtre et critiquer l’œuvre de Dumas fils. Les pièces n’étaient cependant ni assez innovatrices ni assez osées pour devenir des classiques et obtenir une popularité durable, comme l’œuvre de Dumas fils. Zola et La confession de Claude Les courtisanes dans l’œuvre d’Emile Zola (1840-1908) comptent parmi les exemples les plus connus. Zola, qui est connu de nos jours comme le représentant principal du naturalisme, écrivait d’un style tout à fait différent que Dumas fils, ce qui ne signifie pas qu’on ne peut pas trouver des ressemblances entre les œuvres des deux auteurs. Comme Kranowski le dit dans son Paris dans les romans d’Émile Zola: 114 Seillière (1921), p. 152/153. 70 ‘La regrettable nécessité de coller des étiquettes aux œuvres littéraires nous paraît, dans le cas d’Émile Zola, prédisposer un lecteur non averti à de fausses impressions: tous les manuels traitent Zola d’abord et avant tout en chef du naturalisme, fait qui s’explique sans peine, bien entendu. Pourtant, les frères Goncourt, Maupassant, Daudet même sont en réalité plus près du naturalisme que lui. A notre avis, Zola n’était pas moins romantique que naturaliste.’ 115 C’est justement cet aspect romantique qu’on retrouve dans les œuvres de jeunesse de Zola. Avant de commencer le cycle Les Rougon-Macquart, Zola écrivait quelques œuvres qui traitaient souvent de jeunes hommes qui venaient d’arriver à Paris après avoir passé leur enfance à la campagne, comme Zola lui-même. Dans La confession de Claude,116 réaction critique aux œuvres romantiques traitant des courtisanes, le pauvre poète Claude prend la prostituée Laurence sous son toit. Dans les œuvres les plus connues traitant des courtisanes, à savoir Manon Lescaut d’Abbé Prévost, Marion Delorme de Hugo et La Dame aux Camélias, il s’agit toujours d’un jeune homme qui a l’illusion qu’il peut changer une femme entretenue en une honnête femme. C’est aussi le cas dans La confession de Claude, bien qu’il ne s’agisse dans ce roman que d’une pauvre prostituée; pour Claude, elle représente une courtisane, et il la compare avec Marion Delorme. Il y a d’ailleurs de nombreuses ressemblances avec l’œuvre de Dumas fils. La perspective est plus ou moins pareille: il s’agit dans les deux œuvres d’une confession qu’un homme fait à un ami, ou à plusieurs amis, dans le cas de Claude. La confession de Claude est également inspirée par des expériences personnelles.117 Zola avait eu pour maîtresse une certaine Berthe, et il avait la ‘folle idée de ramener au bien cette malheureuse, en l’aimant, en la relevant du ruisseau.’ 118 Dans le roman il a voulu raconter cet échec. Claude se ruine pour sa Laurence d’une manière encore plus concrète qu’Armand le fait pour Marguerite, parce qu’il ne vient pas d’une famille riche et ne trouve pas d’emploi parce qu’il n’a plus que des haillons pour se vêtir, ayant vendu tout ce qu’il avait. Dumas fils utilise dans son roman le personnage de Manon Lescaut comme contraste négatif avec Marguerite; Zola fait dans son roman des allusions à l’histoire de Marion Delorme, qui est pour Claude un exemple positif, et qui le guide dans ses actions. Quand Laurence vient lui demander secours, Claude se dit: 115 116 117 118 Kranowski (1968), p. 152 Zola (1865). Zola (1978), p. 268. Zola (2002), p. 401. 71 ‘Alors nous étions Didier pardonnant à la Marion et l’avouant pour épouse au pied de l’échafaud. Nous grandissions la courtisane de la hauteur de nos tendresses. Eh bien! Aujourd’hui, je puis être Didier. Marion est là, tout aussi impure que le jour où il lui pardonna (…)’ 119 Ici revient l’idée qu’il peut la changer, en la traitant comme une honnête femme. Dans les deux romans, la campagne et la nature symbolisent la vraie vie, la santé et l’amour sincère. Quand ils passent une journée à la campagne, Laurence, qui est d’abord laide et oisive, se transforme complètement: ‘Fraîche, rougissante, toute vibrante, Laurence est venue s’asseoir à mon côté. Elle était humide de rosée, ses seins se soulevaient, rapides, pleins d’un souffle jeune et frais. Il s’exhalait d’elle une bonne odeur d’herbe et de santé. J’avais enfin près de moi une femme, vivant largement, purement, regardant la lumière en face. Je me suis penché, j’ai baisé Laurence au front. (…) Je suis rentré à Paris, Laurence au bras, jeune et fort, ivre de lumière et de printemps, le cœur plein de rosée et d’amour. J’aimais hautement, je croyais être aimé.’ 120 Nous avons déjà vu que Marguerite subissait une transformation pareille dans La Dame aux Camélias, de même que Manon dans l’œuvre de Prévost. Claude est bien un héros romantique, tout comme Armand, et peut-être plus que tout autre protagoniste de Zola: ‘O mon Dieu, pitié! Ne me prenez pas ma souffrance. Empêchez cette femme de me guérir en me tuant mon amour. Qu’elle reste là, à mon côté ; qu’elle y reste, froide et indifférente, pour prolonger mon tourment. Je ne sais plus pourquoi je l’aime; je l’aime en dehors du juste et du vrai ; je l’aime pour l’aimer, et je ne veux pas qu’on me dérange dans la folie de ma passion. (…)’ 121 Laurence par contre représente un contraste qui ne pouvait être plus grand avec Marguerite. Elle est laide, pas très intelligente, elle vit dans la misère sans s’en soucier et elle n’a pas de cœur. Quand Claude tombe amoureux de Laurence, elle devient dans ses yeux plus belle et 119 120 121 Zola (1865), p. 30. Zola (1865), p. 83/87. Zola (1865), p. 120. 72 plus sincère; à la fin, il se rend compte qu’il s’est laissé tromper par l’amour. Zola a voulu nous montrer la réalité, sans l’idéaliser, tout en laissant, dans cette œuvre au moins, un peu d’espérance pour l’avenir du protagoniste. Tout comme Dumas fils, Zola n’était pas non plus très fier de ses œuvres de jeunesse et a même empêché la réédition de quelques-uns de ces textes. Le point de vue des deux auteurs quant aux femmes entretenues ont aussi des ressemblances, quand on compare l’image qu’ils évoquent d’elles dans leurs romans. Claude dit à ce sujet: ‘J’ai remarqué que ces filles, femmes avant l’âge, gardent longtemps l’insouciance et puérilité de l’enfant. Elles sont blasées, et joueraient volontiers encore à la poupée. Un rien les amuse, les fait rire aux éclats; elles retrouvent, sans y songer, l’étonnement et le caressant babil des petites filles de cinq ans.’ 122 C’est tout à fait comme Marguerite est présentée au début du romande Dumas: une fille qui rit de tout, ne prend rien au sérieux, et peut encore être émerveillée comme un enfant par de petites choses. Zola, étant un enfant de son temps, a été influencé dans son œuvre, et certainement dans ses œuvres de jeunesse, par les écrivains romantiques et leurs œuvres; ils représentaient la vie littéraire de cette époque et leurs œuvres faisaient partie du bagage culturel de Zola. En écrivant sa propre histoire de courtisane, il a cependant voulu s’opposer aux histoires idéalisées traitant des courtisanes, et voulait plutôt montrer, en racontant d’une manière plus réaliste, le côté repoussant des histoires de courtisanes. Il a utilisé les éléments caractérisant les histoires romantiques traitant des courtisanes étudiés dans le chapitre sur la courtisane dans la littérature;123 des éléments que ses lecteurs au XIXième siècle ont certainement reconnus. Selon Becker, Zola voulait prouver avec ce roman que les histoires d’Hugo, de Dumas, de Feuillet et de Murger étaient invraisemblables;124 il voulait donc montrer la misère derrière le masque romantique. D’un côté, les deux histoires de Dumas fils et de Zola ont de nombreuses ressemblances, parce qu’ils ont eu en partie les mêmes inspirations et les mêmes influences, et parce que Zola à été, malgré lui, influencé par l’œuvre Dumas fils; de l’autre côté, les messages qu’ils ont voulus transmettre au lecteur sont très différents. 122 123 124 Zola (1865), p. 31. Voir la page 18. Zola (1978), p. 268. 73 Quelques autres exemples d’œuvres inspirées par La Dame aux Camélias Entre les nombreux autres œuvres inspirées par La Dame aux Camélias, écrites par des auteurs qui ont considéré le roman avec un œil moins critique que Zola et Augier l’avaient fait, on trouve des exemples de parodie, de réinvention de l’histoire et parfois presque de plagiat. Écrire une œuvre inspirée par l’histoire de Dumas fils n’était néanmoins pas une garantie pour une réussite. La pièce de théâtre Mademoiselle Aïssée de Louis Bouilhet n’avait aucun succès dans la représentation à l’Odéon, même si elle était réalisée par Flaubert avec Sarah Bernhardt dans le rôle principal. Il y avait trop de ressemblances entre les deux histoires; le public ne prenait pas la pièce aux sérieux.125 Dans ce cas-là, le public a donc de loin préféré la version originale. Un exemple d’une parodie est le film La Signora senza Camelie (La Dame sans Camélias), réalisé par Michelangelo Antonioni en 1953. Le film traite d’une vendeuse devenue actrice, qui n’obtient que des rôles médiocres; elle épouse contre son gré un producteur qui lui interdit de poursuivre sa carrière. Ce film profite aussi un peu de la popularité du titre pour attirer l’attention du public. La Traviata, en étant une adaptation de La Dame aux Camélias elle-même, a aussi été une source d’inspiration pour d’autres œuvres. Il y en a d’innombrables exemples, mais un exemple très populaire est celui qu’on retrouve dans L’opéra imaginaire de Pascal Roulin (1993), une collection de petites animations représentant des scènes d’opéras célèbres. Il s’agit d’une scène de La Traviata126 en animation d’argile créée par Guionne Leroy.127 Cette œuvre est un bon exemple d’une réinvention de l’histoire qui a réussi à plaire un très grand public, bien que, ou peut-être grâce au fait qu’il ne s’agisse qu’un fragment plutôt court. Une œuvre récente qui a été inspirée directement par La Dame aux Camélias et qui a réinventé l’histoire est le film musical Moulin Rouge! (2001) de Baz Luhrmann. J’insisterai sur ce film dans la dernière partie de ce chapitre, dans lequel je vais comparer la manière dont on présente l’histoire à de différentes époques à l’aide de quatre films, pour voir comment la représentation de la courtisane a changé avec le temps pour être au goût du public de l’époque. Les œuvres basées sur l’histoire de La Dame aux Camélias Il y a un nombre impressionnant d’œuvres directement basées sur l’histoire de La Dame aux Camélias, dont la plupart d’entre-elles ont été faites au cours du XXième siècle, ce qui nous 125 126 127 Gold (1991), p. 90. A savoir la Chœur des Bohémiens (Noi siamo zingarelle), acte II, scène X. http://youtube.com/watch?v=GRWDFY1-zOo&feature=related. 74 montre encore une fois la popularité durable de cette œuvre. On trouve parmi ces oeuvres des pièces de théâtre, des ballets, un musical et même une bande dessinée; mais on trouve surtout beaucoup de films. Je donnerai quelques exemples des œuvres les plus connues; une liste plus élaborée des adaptations de l’histoire se trouve dans l’annexe II. Pour le cinéma, j’ai fait une liste séparée qui se trouve dans l’annexe III. Au lieu de traiter une grande partie de ces œuvres superficiellement, je préfère examiner quelques-unes de ces œuvres en profondeur. J’ai choisi pour cela quatre films: Camille de 1921 avec Alla Nazimova, Camille de 1936 avec Greta Garbo, La Dame aux Camélias de 1981 avec Isabelle Huppert, et Moulin Rouge! de 2001 avec Nicole Kidman. Le film est le médium qui a au XXième siècle pris la place que la pièce de théâtre avait au XIXième siècle, et qui a assuré la popularité durable de La Dame aux Camélias plus que la pièce de théâtre originale a pu le faire au XXième siècle. On va voir comment la représentation de la courtisane a changée avec le temps pour attirer un public nouveau, à l’aide de ces quatre adaptations très différentes. Je déterminerai aussi les scènes des œuvres originales qu’on peut retrouver dans les adaptations. D’abord, je traiterai brièvement quelques autres médias qui ont produit des exemples intéressants. Comme nous l’avons vu dans le chapitre sur la réception de La Dame aux Camélias, le théâtre français était considéré par les Anglais et les Américains comme choquant; pour plaire au public anglophone, on y jouait initialement une version plus innocente, Heart’s-Ease ou Heartsease (1875), qui était une adaptation anglaise de James Mortimer.128 Selon Gold, Marguerite n’est qu’une fille un peu trop flirteuse dans cette version, et Armand est un garçon honnête, mais entêté; Marguerite meurt de chagrin quand Armand la quitte d’un air indifférent. Si les critiques étaient encore sceptiques, le public appréciait beaucoup cette version ‘censuré’. La pièce de théâtre la plus originale parlant de la Dame aux Camélias est Deburau de l’acteur et l’auteur de théâtre français Sacha Guitry. La pièce, créée en 1918 au théâtre de Vaudeville, traite de la liaison fictive entre Marie Duplessis et Jean-Gaspard Deburau, le plus célèbre mime du XIXième siècle. Cette œuvre est remarquable pour plusieurs raisons: premièrement, il s’agit d’une des premières œuvres écrites au XXième siècle basées sur la vie de Marie Duplessis, la ‘vraie’ Dame aux Camélias; deuxièmement, elle évoque des personnages historiques et les présente dans une situation fictive. Le rôle de Marie était créé par la cantatrice et actrice Yvonne Printemps, qui jouerait plus tard Marguerite Gautier dans un des nombreux films sur l’histoire, et qui était aussi, pendant quelques temps, la deuxième 128 Gold (1991), p. 172, http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin. 75 femme de Guitry. Apparemment, la pièce était un grand succès, et en 1920 on le montait à New York, une représentation qui était très bien reçue par les critiques, comme on peut lire dans la critique parue dans le New York Times.129 En 1924, Guitry collaborait à un film basé sur la pièce sous le titre The Lover of Camille, par Harry Beaumont;130 l’accent y était mis plutôt sur Marie Duplessis et moins sur Deburau, qui était le centre de la pièce. On a fait un autre film de la pièce en 1951, avec musique d’André Messager. Cette pièce nous montre comment on peut utiliser des aspects de plusieurs histoires et les présenter dans une nouvelle forme, ce qui nous donne la possibilité de voir les personnages d’une toute autre perspective. Cela est aussi une manière d’adapter une histoire pour être de son temps. Au cours du XXième siècle, plusieurs ballets ont été créés basés sur La Dame aux Camélias. Les plus connus sont celui de Frederick Ashton, Marguerite et Armand (1963), fait pour les danseurs célèbres Margot Fonteyn et Rudolf Nureyev, 131 et celui de John Neumeier, La Dame aux Camélias ou Die Kameliendame (1977), fait pour Marcia Haydée,132 qui est vraiment devenu un classique et a été dansé encore récemment par, entre autres, Sylvie Guillem et Nicolas le Riche133 et par Aurélie Dupont et Manuel Legris.134 Intéressant est le fait que les chorégraphes choisissent ou bien la musique de Verdi, ou bien de la musique de Liszt ou Chopin, les contemporains de Marie Duplessis. Comme la danse est un médium théâtral très différent que les pièces de théâtre, on adapte l’histoire d’une telle manière qu’on n’a pas besoin de mots. L’histoire est le plus souvent réduit à la liaison entre Marguerite et Armand et l’intervention du père Duval. Dans la version de Neumeier, l’accent est mis sur le contraste entre le couple Marguerite et Armand et le couple Manon et Desgrieux, ce qui donne une interprétation théâtrale intéressante. En simplifiant l’histoire et en la rendant compréhensible pour tous les publics, ces ballets ont certainement attribué au fait que l’histoire a pu rester tellement populaire. Les films: les adaptations de l’histoire pour être au goût des époques et des publics différents Egalement au XXième siècle, il y a eu un nombre impressionnant de films basés sur La Dame aux Camélias. Pour une liste élaborée des films qui traitent de La Dame aux Camélias, voir 129 http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=940CEED6173CE533A25757C2A9649D946195D6CF&oref=slogin. 130 http://movies.nytimes.com/movie/100548/Lover-of-Camille/overview. 131 http://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Ashton, http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dame_aux_cam%C3%A9lias, http://www.youtube.com/watch?v=DSIz2DWZMbY. 132 http://www.youtube.com/watch?v=20tB46GQgIw. 133 http://www.youtube.com/watch?v=S7vgh7UoDcQ&feature=related. 134 http://www.youtube.com/watch?v=GNEkiefn9hw&feature=related. 76 annexe II. Le premier était un film danois, Kameliendamen (1907); mais la première production à avoir un public international était celle que Louis Mercanton réalisait en 1911: La Dame aux Camélias avec Sarah Bernhardt – elle avait soixante-six ans - dans son rôle habituel de Marguerite Gautier, et Lou Tellegen, un des protégés de Bernhardt, qui jouait Armand. Le film muet et très court ne faisait pas honneur à l’histoire, Bernhardt n’était selon certains pas une actrice douée pour le cinéma et elle était sans doute trop vieille pour interpréter d’une façon convaincante le rôle de la jeune femme devant les caméras, pour lesquelles on ne peut cacher aucune imperfection. Néanmoins, le film a été admiré et applaudi par des milliers de spectateurs après la parution et selon Jean Cocteau, il n’y aurait personne qui pouvait donner une meilleure représentation de la Dame aux Camélias que Bernhardt dans ce film.135 Il s’agit en tous cas d’un document historique, étant un des rares documents filmés qui nous montre la célèbre Sarah Bernhardt. Les films que j’ai choisis pour montrer plus profondément les ‘rajeunissements’ que l’histoire a subi, sont quatre films de différentes époques, utilisant de différents points de départ. Les deux premiers films sont des réalisations américaines et s’appellent aussi toutes les deux Camille. Quand même il y a des différences essentielles: pour le premier, celui de 1921, on a choisi de transférer l’histoire au ‘présent’, donc au début du XXième siècle; le deuxième se situe au XIXième siècle, comme l’histoire originale. Le fait que le premier film est muet a une grande influence sur la représentation des personnages. Le troisième film, La Dame aux Camélias de Mauro Bolognini de 1981, nous donne une toute autre vue sur l’histoire, en prenant comme point de départ la reconstruction de la ‘vraie’ vie de Marie Duplessis, l’inspiration pour La Dame aux Camélias. Le dernier, le film musical Moulin Rouge! de Baz Luhrmann de 2001, utilise en fait des parties prises de plusieurs histoires et situe l’histoire en 1899 au cabaret fameux Moulin Rouge. Camille - 1921 En 1921 paraît le film américain Camille de Ray Smallwood, avec Alla Nazimova et Rudolph Valentino.136 L’histoire est celle de Dumas, mais située dans les années 20. On présente ce changement avec l’introduction suivante: ‘Camille! What a magic conjuring of players who have portrayed Dumas’ immortal ‘Daughter of Chance’. And with them comes to mind the thought of basque 135 Gold (1991), p. 309. http://www.youtube.com/watch?v=y8xcL3prGe4. 136 77 and crinoline. But why not a Camille of today? Living the same story in this generation?’ 137 Ce changement d’époque se voit surtout dans les vêtements et les intérieurs; la musique est également de l’époque. Natacha Rambova, la femme de Valentino, faisait les décors:138 l’appartement de Marguerite est moderne, presque futuriste, et on y retrouve partout des camélias stylées. L’histoire reste très proche de la pièce de théâtre. Cependant, le fait qu’il s’agit d’un film muet influence beaucoup la représentation des personnages. Les visages très blancs avec des yeux énormes paraîtront à un public moderne tout à fait ridicules. Comme tous les gestes sont beaucoup exagérés et parce qu’il y a beaucoup moins de texte, le film n’a pas beaucoup de subtilité, surtout aux yeux d’un public moderne. Les sentiments sont très explicitement transmis au public. La musique joue également un rôle important en suggérant les émotions. A cette époque cependant, le public était habitué à ce style et l’a interprété d’une tout autre manière qu’un public moderne pourrait le faire. Le style de jouer, la musique, les costumes et les décors du film: tout était du dernier cri et conforme au goût du public. La présentation de Marguerite au début du film nous donne l’image d’une femme frivole, naïve, insensible et superficielle: ‘Winter. Paris, magic city of pleasure, yet beneath its tinselled gaiety throbbing with life’s grim note of passion and tragedy. ‘The Lady of the Camellias.’ She was a useless ornament – a plaything – a bird of passage – a momentary aurora.’ 139 Gaston renforce encore cette image en disant à Armand, quand ils voient Marguerite sortir de sa loge au théâtre: ‘There’s the ‘Lady with the Camellias’ with the Count de Varville. She is evidently playing for higher stakes. The old Duke is getting his congé.’ 140 Pendant la fête, organisé chez Marguerite après le théâtre, Marguerite porte un toast au comte de Varville, qui nous montre un être plutôt insensible: 137 138 139 140 Smallwood (1921), 1’30. http://en.wikipedia.org/wiki/Alla_Nazimova. Smallwood (1921), 1’50. Smallwood (1921), 3’20. 78 ‘Let us drink to the Count whose sine we spill – Who never objects to footing the bill – Who is very persistent in his attentions – Yet never conceals his… intentions!’ 141 Après ce toast, elle commence à chanter ‘simple, little Clo from Bordeaux’, une chanson dans laquelle elle évoque son passé. L’histoire d’une fille simple et sincère venant de la campagne à Paris, où elle devient une femme frivole. La manière dont elle repousse aussi bien le comte de Varville qu’Armand, quand ils veulent lui donner un baiser, disant ‘Not untill you put a jewel in my hand’, nous donne l’idée que l’argent et le luxe comptent pour lui avant toute autre chose. Mais dans les scènes qui la montrent seule et dans la scène avec Armand, qui vient la tenir compagnie quand elle se retire dans son boudoir après qu’elle ait eu un accès de toux, elle est déjà un tout autre personnage que la femme gaie qu’elle joue en public. Elle dit à Armand: ‘My symbol, Armand – a camellia. Cherished, its beauty will excel the loveliest flower, but wound it with the slightest touch and it will die.’ 142 Elle se rend compte que sa vie ne va pas être longue, et qu’elle est plus vulnérable que son entourage ne le pense; derrière le masque gai, elle est misérable. En fait, elle a déjà compris que sa mode de vie ne vaut pas toutes ces souffrances; mais elle sait aussi que pour elle, il n’y a pas d’autre monde que celui-là. L’histoire de Manon Lescaut joue dans ce film un grand rôle dans le changement du caractère de Marguerite. Quand Armand et Marguerite vivent ensemble à la campagne, où Marguerite a appris à apprécier la vie simple, il lui lit l’histoire et elle voit les ressemblances entre elle et Manon. Comme il s’agit d’un film muet, l’histoire de Manon est évoquée avec des scènes ‘historiques’, dans lesquelles on reconnaît Marguerite et Armand. Marguerite ne veut pas qu’Armand se sacrifie pour elle comme Des Grieux le faisait pour Manon. Quand Duval père vient lui rendre visite, elle dit qu’elle veut oublier le passé et vivre avec Armand. Duval père lui dit: ‘You cannot [forget your past] – you are chained to your past! Would you drag the man you love down into the mire?’ 143 141 142 Smallwood (1921), 10’30. Smallwood (1921), 18’53. 79 Soudain, elle se souvient de l’histoire de Manon. Elle se rend compte que la seule manière à être meilleure que Manon est de quitter Armand: elle consent donc à la volonté du père Duval. Elle a voulu se sacrifier avant qu’Armand se sacrifie pour elle. Quelques instants avant sa mort, elle dit à Gaston, qui est venu lui rendre visite avec Nichette: ‘Do not weep, Gaston, the world will lose nothing. I was a useless ornament – a plaything – a momentary aurora. (…) Let me sleep – let me dream – I am happy.’ 144 Elle s’est réalisée comment sa vie dans le luxe a été superficielle, comment son existence a été insignifiante. Elle a perdu son air arrogant. La différence entre ce film et la plupart des autres versions est qu’Armand ne vient pas la voir avant qu’elle soit morte. Sa présence est seulement évoquée par des retours en arrière. Quand même, elle est heureuse grâce aux souvenirs de sa vie avec Armand. L’histoire est assez proche de la pièce, bien qu’un peu simplifiée. A part des changements déjà évoqués, il y en a quelques autres qui sont intéressants. Par exemple le fait que c’est Gaston qui va se marier avec Nichette; on voit donc que le personnage de Gaston se développe aussi, d’un jeune homme bleu en l’homme sincère qu’il doit être pour être digne de l’amour de Nichette. Un autre exemple est la conversation entre Armand et Varville à la table de jeu, qui est en fait toute l’opposé de la version originale: ‘ARMAND -If chance could be bought with gold – like a woman – you might be the winner, my dear count. VARVILLE -It is usually the provincial upstart who wins for the first time – and boasts of his luck!’ 145 Dans la version originale, Armand parle du proverbe: ‘Malheureux en amour, heureux au jeu.’ 146 Dans la pièce, on a l’impression qu’il a renoncé à Marguerite, dans le film par contre, il a apparemment encore beaucoup de rancune contre Marguerite, il ne lui a pas encore 143 144 145 146 Smallwood (1921), 37’40. Smallwood (1921), 67’05. Smallwood (1921), 49’20. RTL, p. 382. 80 pardonnée. La scène dans laquelle Armand raconte en plein public ce que Marguerite lui a fait est par contre très proche à la pièce: ‘ARMAND Bear witness that I pay her now – that I owe her nothing!’ 147 Après ce scandale, le comte de Varville lui a préféré Olympe; Marguerite n’a donc plus de protecteur et fait faillite. Le roman Manon Lescaut est la seule chose qu’elle est permise de garder comme souvenir d’Armand. Le message qu’on trouve dans ce film est que le succès et la popularité ne sont que temporaires, qu’un seul faux-pas peut les éteindre: on ne trouve le bonheur que dans des vrais sentiments, pas dans les choses matérielles. La présentation ‘moderne’ est un facteur qui attribué au succès du film, même si l’histoire est restée essentiellement la même. Alla Nazimova et Rudolph Valentino, qui étaient des acteurs en vogue à cette époque, y étaient sans doute aussi pour quelque chose; c’est un très bon exemple d’une adaptation qui a été fait spécialement pour plaire au public de l’époque. Camille - 1936 Le film qui était peut-être la version la plus populaire était Le Roman de Marguerite Gautier, ou Camille en anglais, la version hollywoodienne tourné en 1936 par Georges Cukor pour Metro-Goldwyn-Mayer,148 avec Greta Garbo et Robert Taylor, basé sur la pièce et le roman de Dumas, mais avec des adaptations intéressantes. Le film a gagné un New York Film Critics Circle Award, Greta Garbo étant Best Actress, et il était nominé pour un Acadamy Award, également pour meilleure actrice.149 C’est aussi la célébrité de l’actrice qui a assuré la popularité durable de ce film. Dans ce film, le développement du personnage de Marguerite Gautier est très bien présenté, le contraste entre le début et la fin est assez grand. Marguerite est présenté au début de la façon suivante: ‘This is the story of one of those pretty creatures who lived on the quicksands of popularity – Marguerite Gautier, who brightened her wit with champagne – and sometimes her eyes with tears.’ 150 147 148 149 150 Smallwood (1921), 54’44. http://www.youtube.com/watch?v=oQZ-yF0b8z8. http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281936_film%29. Cukor (1936), 1’44. 81 A la première rencontre à deux entre Armand et Marguerite, Marguerite nous donne une impression cynique. Elle n’est pas la fille naïve de Nazimova: elle connaît au contraire très bien les règles du jeu qu’elle joue et elle sait qu’Armand n’est pas à sa place dans ce milieu, qu’il a un tout autre morale que les autres hommes qui lui font la cour: ‘MARGUERITE -Why should you care for a woman like me? I’m always nervous or sick or sad or too gay.’ ARMAND -But I do care for you. (…) M. -You’re young and sensitive. The sort of company you’re in tonight doesn’t suit you at all. A. -Nor you. M. -Nonsense. These are the only friends I have, and I’m no better than they are. (…) M. –Why don’t you laugh at yourself a little as I laugh at myself, and come and talk to me once in a while in a friendly way. A. –That’s too much… and not enough. Don’t you believe in love, Marguerite? M. –I don’t think I know what it is.’ 151 Quand même, elle se laisse séduire par les propositions d’Armand, disant: ‘After all, when one doesn’t have long to live, why shouldn’t one have fancies?’ 152 Elle ne prend pas encore très au sérieux sa liaison avec Armand, mais elle pense qu’elle peut se permettre d’avoir un amant de cœur, car elle veut goûter de l’amour, qu’elle dit ne pas connaître, avant de mourir. Vivant à la campagne avec Armand, elle devient une femme beaucoup plus sincère et moins cynique. Dans son entretien avec le père d’Armand, elle nous montre jusqu’à quel degré elle a changé: 151 152 Cukor (1936), 29’30. Idem. 82 ‘MARGUERITE -Have you never known love to last, monsieur? MR. DUVAL -Never, when it was unsanctified by marriage, unblessed by children or social ties. M. –I shall love Armand always, and I believe he shall love me always too. D. –Always? M. –Always! D. –Hasn’t your experience taught you the human heart can’t be trusted? M. –I think I know my own heart better than you can, monsieur. And I can trust it not to change. D. -No woman, unprotected as you are, can afford to give the best years of her life to a man who, when he leaves her, will leave her with nothing, and who is certain to leave her in the end! M. -I don’t suppose you can understand how any woman, unprotected as you say I am, can be lifted above self-interest, by a sentiment so delicate and pure that she feels only humiliation when you speak of such things. You don’t know how I’ve changed. And he taught me that love is not always selfish nor goodness dull, nor men faithless. No, no. You can’t expect me to give up such love as his.’ 153 Marguerite n’est pas convaincue par l’argument que leur séparation sera pour son propre bien. Elle est déjà loin de l’égoïsme qu’on peut voir quand elle accepte Armand pour amant, et se dit qu’elle peut se permettre d’avoir un amant de coeur. Si elle finit par céder à la volonté du père Duval, c’est parce qu’elle comprend qu’elle ne serait jamais acceptée dans le milieu social d’Armand, et qu’elle lui fait tort en restant auprès de lui. Sa présence allait fermer les portes des amis et de la famille d’Armand, et elle ne veut pas qu’il sacrifie tout cela pour elle. Dans cette partie du film, elle est vraiment devenue une autre femme, une victime de ses propres émotions, avec de tout autres priorités qu’avant. Dans la scène de trépas, elle dit à Armand: ‘Marguerite -Perhaps it’s better if I live in your heart, where the world can’t see me. If I’m dead, there’ll be no stain on our love.’ 154 153 154 Cukor (1936), 66’40. Cukor (1936), 1:43’20. 83 Cette fin est présentée comme une fin positive: leur amour est désormais accepté, parce que Marguerite n’est plus là et ne forme plus un obstacle pour Armand pour vivre dans son propre milieu. Marguerite ne voulait plus vivre sans Armand: elle n’attendait que son retour pour mourir. Comme je l’ai déjà dit, on trouve dans ce film quelques changements dans l’histoire. On y retrouve par exemple la scène d’une vente, mais ce n’est pas la vente de Marguerite, mais d’une autre courtisane; Marguerite et Armand y assistent tous les deux. Armand propose d’acheter un tome de Manon Lescaut pour l’anniversaire de Marguerite. Armand lui raconte que Manon meurt à la fin de l’histoire; Marguerite lui répond, étant prévoyante: ‘However, we all die. So perhaps this will be sold again someday at an auction after my death.’ 155 Cette citation est aussi une référence au roman de Dumas, dans lequel il s’agit en effet de la vente de Marguerite où Armand rachète le tome de Manon Lescaut qu’il lui avait donné. Un autre changement est la première rencontre entre Armand et Marguerite. Prudence a arrangé un rendez-vous entre Marguerite et le baron de Varville. Marguerite confond Armand avec le baron de Varville; quand elle s’aperçoit de son erreur, Armand est offensé parce qu’il est apparemment pas assez riche pour Marguerite. Marguerite lui envoie acheter des bonbons; quand il revient, elle est partie avec le baron de Varville. Cette scène nous montre l’importance d’un nom et de l’argent pour une courtisane. Elle est enchantée de faire la connaissance d’Armand et se félicite déjà parce qu’il est tellement beau; mais quand elle découvre qu’il n’est pas le baron, il devient clair que ce n’est que sa fortune qui compte pour elle. De ces quatre films, il s’agit ici peut être de la version la plus moraliste de l’histoire, qu’on peut voir surtout dans le récit du père Duval. Il insiste sur l’importance du mariage, des liens de parenté, de la respectabilité, de la dignité. La réunion familiale de la famille Duval, à l’honneur de la première communion d’une des sœurs d’Armand et des fiançailles d’une autre sœur, nous montre ce monde si différent de celui de Marguerite. Cette représentation était conforme au goût conservateur du public américain. Ici, nous voyons encore une fois comment l’histoire est adaptée pour être au goût du public. 155 Cukor (1936), 22’00. 84 La Dame aux Camélias En 1981, Isabelle Huppert joue Marie Duplessis dans le film La Dame aux Camélias de Mauro Bolognini,156 basé non sur le roman de Dumas fils mais sur le livre de Bertrand PoirotDelpech, dans lequel il fait une reconstruction de la vie de Marie Duplessis: Marie Duplessis, ‘la Dame aux Camélias’: une vie romancée.157 Poirot-Delpech avoue dans la préface de son livre que celle-ci n’est qu’une version possible de la vie de Marie Duplessis; il s’agit donc plutôt d’une histoire fictive contenant de nombreux éléments historiques. Le but de PoirotDelpech était de raconter une histoire plus réaliste et moins romantique et idéalisée de la vie d’une courtisane, et c’était sans doute aussi le but de Bolognini en réalisant ce film; le but n’était pas de faire un relevé historiquement correct. Poirot-Delpech dit du film: ‘Il n’a qu’un rapport épisodique avec l’œuvre de Dumas, et lointain avec la vérité historique. Il prend une liberté de taille: au lieu de faire mourir le père de Marie Duplessis quand elle a quinze ans, comme l’indiquent toutes les sources, il le laisse vivre, et survivre à sa fille. Le colporteur de Nonant devient témoin, complice, profiteur, de la prostitution de sa fille. (…)’ 158 Le personnage du père joue donc un rôle important dans cette version; en fait, il joue un rôle bien plus important que Dumas fils et les autres amants de Marie. Il est aussi le seul qui reste dans cette version de l’histoire presque toujours près d’elle. Ce qui est remarquable est qu’il y a de différences essentielles entre le livre de Poirot-Delpech et le film; il y a en fait presque pas de scènes qui sont prises littéralement du livre et il y a de nombreux changements de noms. L’homme qui ‘achète’ Alphonsine de son père par exemple, s’appelle Bernier au lieu de Plantier. Comme cette partie de l’histoire de Poirot-Delpech était probablement pas très bien documentée – il n’y a presque pas de documents sur l’enfance d’Alphonsine – ce changement de nom n’a pas trop d’importance. Dans le film, on ne retrouve pas la sœur d’Alphonsine, Delphine; mais on retrouve quand même ce nom, parce que la servante du pasteur s’appelle Delphine. Naturellement, il y a des éléments de l’histoire de Poirot-Delpech qu’on ne retrouve pas dans le film – par exemple la visite qu’Alphonsine rend à sa grand-mère - la mère de sa mère morte - qui est une comtesse. On a aussi ôté la liaison entre Marie et Dumas père, peut-être parce que cet élément était jugé trop choquant ou dégoûtant pour le public. Dans le livre de Poirot-Delpech, Marie assiste à la mort du 156 157 158 http://mjf.missouristate.edu/faculty/wang/ih/career/1981_camelias.htm. Poirot-Delpech (1981). Poirot-Delpech (1981), p. 13. 85 comte Stackelberg, qui a vendu tout ce qu’il avait pour elle. Dans le film, le comte Stackelberg lui dit adieu peu avant la mort de Marie ‘parce qu’il ne veut pas voir mourir sa fille pour la deuxième fois.’ La différence essentielle entre ce film et les autres films est que celui-ci prétend être une sorte de documentaire, qui veut présenter la vie de la courtisane le plus réaliste possible, avec tous les détails dégoûtants. On ne retrouve point dans ce film le romantisme des autres films. Ce que le film montre très bien est que quand on a été pauvre, l’argent reste toujours l’aspect le plus important dans la vie, et les idées sur l’honnêteté semblent être plutôt hypocrites. On y trouve des idées plutôt naturalistes. Le film ne critique pas les actes des personnages, mais nous montre que les gens qui sont nés dans le ruisseau y finiront, et qu’il y aura toujours une différence essentielle entre les riches et les pauvres. Qu’Alphonsine est condamnée dès le début du film, on peut le déduire de la musique accompagnant le film, qui reste toujours en mineur, plaintive, à part de la musique des fêtes, qui sonne faussement gaie. A la fin du film, quand Marin Plessis aborde Dumas fils après la première réussie de la pièce La Dame aux Camélias, Marin lui dit: ‘Disons que c’est notre dame aux camélias. Quel beau titre! Avec ça, vous pouvez être sûr que vous toucherez tous les publics. Et vous gagnerez plein de sous, en plus.’ 159 Cette allusion au succès futur de la pièce est aussi une sorte de reproche à l’adresse de Dumas fils, parce qu’il a voulu embellir l’histoire et a ignoré les détails sordides de la vie de Marie Duplessis. C’est en fait cette citation qui nous montre la différence de contenu entre l’histoire de Dumas fils et ce film. On n’aurait jamais pu publier au XIXième siècle une histoire comme l’ont fait Poitot-Delpech et Bolognini. Le film aussi est un produit de son temps en voulant choquer son public en insistant justement sur les éléments obscènes et en les exagérant. Le film montre le curé qui se noue pour avoir été séduit par la jeune Alphonsine; qu’elle se montre nue à les amis de son amant, Agénor, puisqu’ils allaient tous finir dans son lit tôt ou tard; que Marie, vêtue de blanc, vient à l’abattoir boire du sang frais d’une vache qu’on vient de tuer, comme traitement contre la tuberculose; mais aussi que la tuberculose est, contrairement à l’image idéalisé qu’on retrouve dans la littérature du XIXième siècle, une maladie qui pue, qui étouffe, qui donne des maux extrêmes, qui cause une mort affreuse trempé de sang au lieu de la mort douce que Dumas fils nous raconte. En fait, l’interprétation d’Angela Gheorghiu dans la production de La Traviata dont j’ai parlé, est, en 159 Bolognini (1981), vers la fin du film. 86 étant également une interprétation moderne, plus proche de la scène de mort montré dans ce film. Dans le film, on renforce encore le contraste en montrant la scène de trépas romantique de la pièce directement après la mort ‘réaliste’ de Marie Duplessis. Ce film a clairement été fait pour un tout autre public que les deux versions hollywoodiennes traitées en haut. Huppert est une Marie Duplessis qui a l’air de n’éprouver guère d’émotions. Au début, elle est une fille qui est naïve et expérimentée à la fois; en étant courtisane elle a l’air indifférent et fatigué du monde. L’amour de Dumas fils et aussi leur séjour à la campagne – à Nonant, son village natal – n’ont pas d’influence sur son attitude. Elle est donc très éloignée de l’image que Dumas fils nous donne d’elle dans son œuvre, comme elle l’est de l’image que la littérature du XIXième siècle nous donne de la courtisane en général. Ce qui a été retenu de l’histoire de Dumas fils est le récit encadré: Dumas fils nous raconte, pendant la première de sa pièce de théâtre, la ‘vraie’ histoire. Ce récit est cependant loin du récit encadré du roman: l’histoire qui va suivre contient beaucoup d’éléments que Dumas ne pouvait pas connaître, il n’est donc pas très vraisemblable que ce soit lui qui parle. Un autre élément, déjà mentionné par Poirot-Delpech, est Marin Plessis qui prend une place importante dans l’histoire, entre autres la place de Duval père en insistant que Marie quitte Dumas fils. Dans son argumentation, il n’est même pas question du bienêtre de Dumas fils; c’est que les créanciers de Marie sont devenus impatients, que le comte Stackelberg ne veut donner son argent qu’à lui en personne, et qu’il y quelqu’un d’autre qui l’attend à Paris… à savoir Franz Liszt. Après son retour à Paris, son état de santé s’aggrave. Quand elle va une dernière fois au théâtre, elle est déjà délirante et croit voir Bernier, qui la salue. En quittant en toute hâte le théâtre, son mari, le comte de Perrégaux, lui court après et propose de l’aider. Elle le repousse. Ce n’est que son père qui est resté auprès d’elle quand elle meurt. Ce film diffère des autres films sur de nombreux points. L’histoire étant basée sur une reconstruction de la vie de Marie Duplessis, le film veut donc présenter le thème d’une manière plus réaliste que les films basés sur l’œuvre de Dumas fils, mais aussi d’une manière plus choquante, montrant tous les détails obscènes et repoussants de sa vie et de sa mort. Ce film a été fait pour un tout autre public que les deux premiers films, pour un public qui était habitué à cette forme de réalisme choquant. En voulant raconter l’histoire d’une autre perspective, le réalisateur a réussi à adresser un nouveau public. 87 Moulin Rouge! J’ai déjà mentionné dans ce chapitre le film Moulin Rouge! de Baz Luhrmann – à ne pas confondre avec le film Moulin Rouge de John Huston de 1952, qui traite de la vie de Toulouse-Lautrec. L’histoire est basée sur les opéras La Bohème de Puccini, Orphée aux Enfers de Offenbach et notamment La Traviata de Verdi. On voit même des aspects de la vie de Dumas qu’on ne retrouve pas dans La Traviata; le héros, Christian (joué par Ewan McGregor), est par exemple un pauvre écrivain, comme Dumas fils. Le musical, utilisant des chansons populaires d’entre autres Madonna, Elton John, Nirvana et Queen, a été filmé comme un clip vidéo, pour pouvoir s’adresser à la ‘génération MTV’. L’histoire se situe en 1899, dans le cabaret fameux Moulin Rouge. L’héroïne Satine (jouée par Nicole Kidman) – un nom qui est peut-être inspiré par la courtisane Satin dans Nana de Zola – est une courtisane qui est la vedette du cabaret le Moulin Rouge. Zidler, le directeur du Moulin Rouge, organise un rendez-vous entre elle et le duc (the Duke) pour lui persuader à investir dans un nouveau spectacle qu’ils veulent présenter dans le Moulin Rouge et dont Satine sera la vedette. Satine veut devenir une vraie actrice au lieu d’une danseuse du cabaret. Détail intéressant: son idole est Sarah Bernhardt, la plus fameuse interprétatrice du rôle de La Dame aux Camélias. Christian, un écrivain anglais jeune et pauvre, est adopté par Toulouse-Lautrec et ses amis bohémiens, qui se sont surnommés ‘les Enfants de la Révolution’. Ils sont en train de créer un spectacle intitulé ‘Spectacular, spectacular’ et eux aussi veulent un entretien avec Satine. Christian est confondu avec le duc; une scène qui semble être prêté à la version de Cukor. Christian tombe amoureux de Satine, et elle aussi dit qu’elle l’aime. Juste après qu’elle a découvert que Christian n’est pas le duc, le vrai duc entre et Christian doit se cacher. Satine lui raconte le spectacle. Quand le duc est parti, Christian convainc Satine de son amour. Le duc rentre et les surprend. A l’aide de Toulouse et de ses amis, ils donnent une présentation improvisée et chaotique du spectacle. Le duc veut investir dans le spectacle, mais pour cela, il veut avoir le droit exclusif au ‘services’ de Satine. Pendant les répétitions, la liaison entre Satine et Christian continue sans que le duc le sache. Quand le duc découvre la liaison, Satine veut partir avec Christian, mais Zidler l’en empêche, en lui disant qu’elle va bientôt mourir. Le duc menace de faire assassiner Christian s’il se montre encore. Satine quitte Christian pour le sauver du duc, en prétendant qu’elle ne l’aime plus. Christian vient quand même à la première du spectacle, il veut la ‘payer pour ses services’. A l’aide d’une chanson qui symbolise leur amour éternel ils découvrent qu’ils s’aiment encore: le spectacle fini, Satine meurt sur scène, dans les bras de Christian. Un aspect intéressant est qu’il y a dans ce film plusieurs récits encadrés. Il y a Toulouse-Lautrec, déguisé, qui introduit et conclut l’histoire; il y a Christian qui nous raconte 88 l’histoire, pendant qu’il l’écrit sur sa machine à écrire; et finalement, il y a le spectacle, qui symbolise l’histoire de Christian et Satine. Il s’agit donc ici, comme chez Dumas, du pauvre écrivain qui écrit sa propre histoire d’amour. Zidler, le directeur du Moulin Rouge, prend ici le rôle du père Duval, en insistant que Satine quitte Christian, il le fait une première fois quand il découvre leur affaire, et puis encore une fois quand le duc menace d’assassiner Christian: ‘ZIDLER -Are you mad? The Duke holds the deeds to the Moulin Rouge. He is spending a fortune on you. (…) He wants to make you a star. And you are dallying with the writer! SATINE -Harold, don’t be ridiculous… Z. -I saw you together! S. -It’ nothing. It’s just an infatuation. It’s nothing. Z. -The infatuation will end. Go to the boy. Tell him it’s over. The Duke is expecting you in the tower at eight.’ 160 Dans la deuxième citation, on retrouve l’idée qu’on trouve aussi dans La Dame aux Camélias, que Christian acceptera la fin de leur affaire seulement s’il croit que Satine ne l’aime plus: ‘ZIDLER -Send Christian away. Only you can save him. SATINE -He’ll fight for me. Z. -Yes. Unless he believes you don’t love him S. -What? Z. -You’re a great actress, Satine. Make him believe you don’t love him. S. -No. Z. -Use your talent to save him. Hurt him. Hurt him to save him. There is no other way. The show must go on, Satine. We’re creatures of the underworld. We can’t afford to love.’ 161 160 161 Luhrmann (2001), dvd 1, 53’00 Luhrmann (2001), dvd 2, 24’00 89 Il y a quand même une grande différence entre le récit du père Duval et ceux de Zidler: il n’est pas question ici d’un acte de sacrifice à l’intérêt de quelqu’un d’autre. Si Satine accepte à quitter Christian, c’est pour lui sauver littéralement la vie et non parce qu’elle trouve que ce sera mieux pour elle et Christian, l’argument dont Zidler a voulu la convaincre. Zidler utilise aussi l’argument que les gens comme elle et lui n’ont pas le droit d’être amoureux, une idée qu’on trouve aussi dans La Dame aux Camélias, et dont Satine est aussi convaincu au début de l’histoire: ‘CHRISTIAN -Before, (…) when you thought I was the Duke, you said that you loved me, and I wondered… SATINE -If it was just an act? C. -Yes. S. -Of course! C. -It just felt… real. S. -Christian, I’m a courtesan. I’m paid to make men believe what they want to believe. C. -Silly of me to think that you could fall in love with someone like me. S. -I can’t fall in love with anyone. C. -You can’t fall in love? But life without love, that’s terrible! S. -Being on the street, that’s terrible. C. -No, love is like oxygen. (…) All you need is love!’ 162 Christian lui fait changer d’avis, qu’on peut voir un peu plus tard dans l’histoire, quand elle récite presque littéralement ce qu’il lui a dit: ‘CHRISTIAN -Madly jealous, the evil maharaja forces the courtesan to make the penniless sitar player believe she doesn’t love him. ‘Thank you for curing me of my ridiculous obsession with love,’ says the penniless sitar player, throwing money at her feet and leaving the kingdom forever. (…) SATINE -But a life without love… that’s terrible!’ 163 162 Luhrmann (2001), dvd 1, 46’00 90 Dans ce fragment, on retrouve aussi une scène qu’on a prêtée littéralement à la pièce de Dumas, à savoir celle dans laquelle Armand, après que Marguerite l’ait quitté, jette l’argent qu’il a gagné au jeu aux pieds de Marguerite. Il s’agit d’une idée de Christian pour leur spectacle; on retrouvera cette scène encore une fois à la fin du film, quand Christian vient ‘payer’ Satine: ‘I’ve come to pay my bill.’ 164 Aussi la tuberculose dont Satine souffre est un élément pris de La Traviata. La maladie est très présente dans le film, Satine s’évanouit plusieurs fois, a des crises, crache du sang et elle a des sueurs; quand même, elle ne se réalise pas qu’elle va mourir qu’après que Zidler le lui a dit. Ce n’est donc qu’à la fin de l’histoire que la maladie prend le rôle fataliste qu’il a dès le début dans l’histoire originale et dans les autres films. Satine, qui est au début une femme intelligente et raisonnable mais qui ne se permet pas d’avoir des émotions, est morte, juste au moment où elle a commencé à vivre grâce à l’amour de Christian. Un autre élément qui est très présent dans ce film est la jalousie, aussi bien celle de Christian que celle du duc, qui est un facteur inéluctable dans une relation avec une courtisane. L’amour entre Satine et Christian cependant paraît surmonter cette jalousie. Un changement dans l’histoire qu’on a fait pour l’adapter à notre temps, est le fait que ce ne sont pas l’argent et le luxe, mais sa carrière d’actrice qui est le plus important pour Satine. Cette carrière représente pour elle son indépendance, comme l’argent représentait l’indépendance pour Marguerite. Pour nous, le personnage d’une courtisane a l’air insensible, mais au XIXième siècle, c’était une manière pour une femme de mener sa propre vie, de régler ses propres comptes. Il est pour un public moderne sans doute plus facile de s’identifier avec le personnage de Satine, même si la situation n’est pas très vraisemblable d’un point de vue historique. Pour une grande partie des chanteuses et danseuses des cabarets, ce travail n’était qu’un moyen de trouver des amants riches. Satine est plutôt une femme moderne, qui est dégoûtée des choses qu’elle doit faire pour obtenir ce qu’elle veut. Mais pour Satine comme pour Marguerite, tomber amoureuse n’est pas avantageux pour les affaires. Luhrmann a prêté beaucoup d’attention aux éléments qui devaient assurer que le film était au goût d’un public moderne et surtout au goût des jeunes. Il utilise de la musique et de la danse pop et rock et tout le film est filmé comme un clip vidéo. Luhrmann raconte dans son commentaire du film qu’il voulait que ce film fasse la même impression sensationnelle au spectateur que le Moulin Rouge le faisait à son public en 1899. Pour obtenir cet effet, il a 163 164 Luhrmann (2001), dvd 1, 53’00 Luhrmann (2001), dvd 2, 36’00 91 beaucoup exagéré l’intensité de la musique, de la danse, du tumulte; les images s’alternent d’une vitesse extrême. La représentation du personnage de la courtisane est également modernisée: il s’agit vraiment d’une femme ‘carriériste’ qui découvre que l’amour est peutêtre plus important que sa carrière. Tous les films ont été faits pour un autre public et pour un autre temps. Les réalisateurs ont utilisé de différentes tactiques pour mettre à jour l’histoire. Dans Camille (1921), l’histoire est présentée dans le présent, avec de la musique, des décors et des costumes modernes. Dans l’autre Camille (1936), on utilise le cadre original, mais on trouve l’esprit conservateur de l’époque dans la présentation de l’histoire. La Dame aux Camélias (1981) aussi utilise le cadre original, mais veut nous montrer l’histoire ‘véritable’ au lieu de la version romantique de Dumas fils. L’histoire a également été filmée d’une manière très réaliste et choquante, parce qu’elle était destinée à un public moderne. Dans Moulin Rouge! (2001), la musique et la danse moderne sont essentielles, tout comme dans Camille (1921), mais intégrées dans un cadre du XIXième siècle. Le plus remarquable est le fait que la représentation de la courtisane est toujours adaptée à l’air du temps. L’histoire elle-même cependant est toujours restée essentiellement la même. Le fait que l’histoire et le personnage de Marguerite se prêtent à des interprétations tellement différentes nous donne une des clés de son succès. Il est toujours possible de faire une nouvelle version de La Dame aux Camélias qui peut plaire à un nouveau public. L’histoire a donc une certaine valeur intemporelle. Nous avons vu que l’histoire a été présentée dans de différents médias, qui l’ont adaptée pour de différentes sortes de public. Ces versions ont énormément élargi la portée de l’histoire. Les réactions critiques à l’œuvre au XIXième siècle, comme celles que j’ai traitées dans la première partie du chapitre, n’ont pas eu beaucoup d’influence sur les œuvres créées au XXième siècle. L’argument qu’un public moderne n’est plus capable de comprendre le personnage d’une courtisane, parce qu’il n’y a plus de courtisanes de nos jours, ne semble pas être valable: comme nous avons vu dans ce chapitre, l’histoire a été transformée conforme au goût du public. Il y a d’un côté des versions modernes pour lesquelles on a trouvé des versions contemporaines de la courtisane; de l’autre côté il y a des versions ‘historiques’, se situant dans le XIXième siècle, avec de ‘vraies’ courtisanes, et le public a toujours compris la situation et les relations entre les personnages, même si souvent le réalisateur n’a pas trouvé nécessaire d’expliquer le phénomène de la courtisane au XIXième siècle; Luhrmann présente son héroïne également comme étant une courtisane, présumant que même un public jeune en comprendrait la signification. Cette argumentation est encore renforcée par le nombre immense d’œuvres inspirées par La Dame aux Camélias. S’il n’y 92 avait pas eu un public pour ces œuvres, ou si le public ne les aurait pas comprises, elles n’auraient jamais été créées. 93 Conclusion Dans ce mémoire, j’ai montré que La Dame aux Camélias a connu une popularité extraordinaire pour une œuvre littéraire d’une ampleur modeste, écrite par un auteur jeune et inexpérimenté. Nous avons vu aussi qu’à la base de cette popularité se trouvent beaucoup de différents aspects, qui ont assuré non seulement le succès direct mais aussi la popularité durable de l’histoire. Rien d’étonnant à ce que, dans la littérature du XIXième siècle, la courtisane fut très populaire comme personnage, comme je l’ai montré dans le relevé de la courtisane dans la littérature. Elle était très présente dans la vie culturelle, et elle frappait l’imagination avec le luxe dont elle s’entourait. C’était également un sujet qui provoquait le scandale, ce qui était presque une garantie pour l’attention du public. Cependant, de toutes ces histoires de courtisanes, il n’y en a guère qui ont connu une popularité comparable à celle du roman de Dumas fils. Il y a plusieurs aspects qui ont fait que La Dame aux Camélias se faisait remarquer. Un élément qui était essentiel pour la popularité immédiate de l’œuvre, était le scandale que Dumas fils a provoqué en choisissant pour personnage une courtisane et en dévoilant le petit monde des courtisanes et de leurs amants riches. Comme toujours, le scandale, la censure et l’intérêt des médias qui en résulte ont évoqué un immense intérêt du public pour l’histoire, et dans ce cas encore plus que d’habitude, parce qu’il s’agissait de la description d’une vraie personne. Comme nous l’avons vu dans le chapitre traitant de Marie Duplessis, l’inspiration de Dumas, le personnage de la Dame aux Camélias n’est pas seulement basé sur une vraie personne, mais sur une personne célèbre en plus; les lecteurs et spectateurs au XIXième siècle étaient curieux à savoir comment elle vivait, comme on veut de nos jours également tout savoir sur les vies des célébrités à la mode. Bien que l’histoire soit pour une grande partie fictive, peu à peu l’histoire de Dumas fils devenait pour beaucoup des gens la version ‘vraie’. Les œuvres de Dumas fils et l’histoire vraie se sont mêlés pour former le mythe autour de La Dame aux Camélias. Dumas a attribué à cela en écrivant d’un style qui donne l’impression d’être réaliste, en donnant beaucoup de détails et en faisant de Marguerite un ‘round character’, mais qui, en même temps, idéalise le personnage de la courtisane; nous avons vu dans le chapitre traitant la représentation de la courtisane dans La Dame aux Camélias, que cette représentation n’était pas celle qui était habituellement utilisée en décrivant une courtisane. Si elle avait été décrite avec tous ses défauts et sans laisser un peu de mystère, en faisant d’elle une courtisane ‘typique’ comme on le trouve dans beaucoup d’autres 94 œuvres littéraires au XIXième siècle, le monde n’aurait pas été tellement fasciné par elle. C’est donc la manière dont Dumas fils a représenté la courtisane qui était une des raisons de la popularité de l’œuvre. En lui donnant le surnom la Dame aux Camélias, qui est devenu plus connu que les noms de Marguerite Gautier et Marie Duplessis, Dumas a encore renforcé le mythe, en insinuant qu’elle était déjà de sa vie un mythe. Ce surnom de Marguerite est devenu également celui de Marie, et les deux personnes sont devenues une seule dans l’imagination du public. Nous avons vu dans le chapitre qui traite des œuvres basées sur l’histoire de Dumas que l’histoire se prête très bien pour le théâtre, ce qui est une autre raison pour sa popularité. On y trouve quelques scènes tellement fortes qu’on n’a jamais cessé à les reprendre et adapter pour des versions théâtrales nouvelles. La scène dans laquelle Armand est le seul à rester auprès de Marguerite quand elle a un fort accès de toux, pendant que ses autres invités continuent à s’amuser, est une de ces scènes; aussi la scène de la confrontation entre le père d’Armand et Marguerite est une des scènes les plus expressives, qu’on revoit dans presque toutes les adaptations. La scène de trépas finalement, assurait le triomphe pour la plupart des actrices qui l’ont jouée; il s’agit donc d’un rôle populaire, pour les actrices comme pour les cantatrices. Verdi, le compositeur d’opéra italien, était un des premiers à se laisser inspirer de l’histoire pour faire son opéra La Traviata. J’ai montré dans le chapitre traitant de Verdi, qu’il avait plusieurs raisons pour choisir La Dame aux Camélias. Premièrement, il se laissait souvent inspirer par la littérature française, et le fait qu’il passait à cette époque une grande partie de son temps à Paris lui permettait d’être à la hauteur de tout ce qu’il y avait de nouveau dans les théâtres français. En plus, Verdi s’opposait à la tradition de choisir pour les opéras des sujets historiques, parlant des rois et des reines, ou des sujets basés sur la mythologie classique. Il avait une préférence pour des sujets parlant des problèmes sociaux et de différentes classes sociales, ce qui s’explique par le fait que Verdi venait d’un milieu pauvre et s’est toujours senti concerné par le peuple. L’histoire de La Dame aux Camélias lui convenait à merveille: il s’agissait d’une histoire contemporaine, avec des personnages venant de différentes classes sociales qui étaient pour cette époque présentés d’une manière très vraisemblable. Il était inspiré par le réalisme français, mais aussi par l’esprit du siècle en Italie, par les idées de Mazzini et le Risorgimento. Le dernier acte de La Traviata est considéré comme un des premiers exemples du verismo dans l’opéra italien, bien qu’à cette époque-là, le verismo n’avait pas encore trouvé sa forme définitive. Les idées innovatrices de Verdi ont sans doute contribué au développement du versimo dans l’opéra. L’analogie entre l’histoire et la vie de Verdi lui-même, qui vivait à cette époque en ménage, sans être marié, 95 avec une femme qui, tout comme Marguerite, n’avait pas eu une mode de vie irréprochable, est peut-être une autre raison pour laquelle Verdi a pu s’identifier avec l’histoire. Toutes ces circonstances ont contribué au fait que Verdi l’a choisi pour faire La Traviata, l’œuvre qui était la première à assurer la popularité internationale de l’histoire. Nous avons vu dans les chapitres traitant de la réception des œuvres et des autres œuvres basées sur l’histoire, que les interprètes du personnage de La Dame aux Camélias ont également beaucoup attribué au succès; notamment Sarah Bernhardt dans le rôle de Marguerite dans la pièce de théâtre, Greta Garbo dans ce même rôle dans un des films les plus appréciés sur l’histoire, et Maria Callas dans le rôle de Violetta dans l’opéra, parce que toutes ces femmes sont devenus légendaires elles-mêmes. L’aspect qui est à mon avis le plus important quand il s’agit de la popularité durable est le fait que l’histoire, dans toutes les différentes versions traitées dans le dernier chapitre, s’adapte très facilement au goût d’un nouveau public. Un argument contre cette valeur intemporelle de l’histoire aurait pu être qu’il n’y a plus de courtisanes de nos jours et que le public contemporain ne comprend donc plus les personnages. Le nombre incroyable d’adaptations de l’histoire, des pièces de théâtre, des ballets et surtout des films, qui ont étés faits au cours du XXième siècle réfute cet argument. Apparemment, le public contemporain est encore très bien capable de comprendre les pensées, les actes et les sentiments d’une courtisane du XIXième siècle. L’histoire de la courtisane se prête aussi bien pour une interprétation romantique que pour une interprétation plus réaliste et plus confrontant. On a vu dans le dernier chapitre que la représentation de la courtisane est devenue moins moraliste au cours du temps, et qu’on met, dans les versions et les interprétations modernes, plus l’accent sur la misère dans laquelle elle vivait et sur les souffrances que lui donnait sa maladie. Nous avons vu qu’à la base de la popularité de La Dame aux Camélias, il y a de nombreux différents aspects. D’un côté, le thème provoquait le scandale, les gens étaient curieux à savoir comment vivait la courtisane Marie Duplessis, ce que Dumas fils décrit d’une façon assez réaliste; le changement dans le caractère de la courtisane au cours de l’histoire fait que le public s’identifie avec elle. De l’autre côté, le personnage était suffisamment idéalisé et mystifié pour produire le mythe de La Dame aux Camélias. La valeur intemporelle de l’œuvre se trouve aussi dans le fait que l’histoire se prête très bien à de différentes interprétations, ce qui donne la possibilité de l’adapter au goût de chaque public et à chaque époque. On voit cet aspect également dans l’opéra La Traviata, qui n’a pas seulement assuré le succès international, mais qui en plus, lui aussi, se prête très bien aux mises en scènes modernes. La Dame aux Camélias connaît quelques scènes très fortes qu’on retrouve dans 96 presque toutes les adaptations et dans tous les médias. Il sera intéressant de voir comment on adaptera l’histoire dans l’avenir, parce qu’il est sûr qu’il y en aura des nouvelles versions: la Dame aux Camélias aura sans doute encore beaucoup d’autres visages. 97 Bibliographie -Barrère, J.-B., (1952), Hugo, Hatier, Paris -Baubérot, J., (2000), Histoire de la laïcité en France, Presses Universitaires de France, Paris -Bernhardt, S., (1907), Mémoires de Sarah Bernhardt – Ma double vie, Librairie Charpentier et Fasquelle, Paris -Budden, J., (1985), The Master Musicians – Verdi, J.M. Dent & Sons Ltd, London/Melbourne -Cesari, G. et Luzio, A., (1913), I Copialettere di Giuseppe Verdi, Arnaldo Forni Editore, Milano / Bologna -Claretie, J., (1882), Célébrités contemporaines – Alexandre Dumas fils, Imprimerie - librairie A. Quantin, Paris -Conrad, P., The eternal woman, dans New Statesman, le 12 avril 2004, p. 40-41 -Crane, R. 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Cette courtisane était Marguerite Gautier, une femme qui avait été beaucoup à la mode il y avait quelques mois. Quelques jours plus tard, un des amants de Marguerite, Armand Duval, vient rendre visite au narrateur pour demander s’il peut racheter le livre: il n’a pas pu assister à la vente et n’a donc pas pu obtenir un souvenir d’elle. Il était juste de retour d’un long voyage à l’étranger et il avait obtenu de Julie Duprat, la femme qui avait soignée Marguerite pendant ses derniers jours, quelques lettres, qu’elle avait écrit pour lui pendant ses derniers jours et dans lesquelles elle lui raconte ce qui était la vraie cause de la fin de leur liaison. Armand demande à notre narrateur de l’accompagner au cimetière; pour qu’Armand puisse voir Marguerite une dernière fois, il a obtenu la permission de sa sœur d’exhumer la morte pour l’enterrer dans une concession à perpétuité. Armand tombe malade à cause de la fatigue et des émotions. Le narrateur lui tient compagnie et Armand commence à lui raconter l’histoire de sa liaison avec Marguerite. Un soir, il est allé à l’Opéra Comique en compagnie de son ami Ernest, qui le présente à Marguerite. Elle se moque de lui parce qu’il la prend trop aux sérieux. Quand, quelques jours plus tard, Armand apprend qu’elle est très malade – elle est poitrinaire -, il va avoir de ses nouvelles chaque jour. Deux ans plus tard, il se trouve au théâtre des Variétés en compagnie de son ami Gaston. Il propose à Prudence Duvernoy, qui est la voisine de Marguerite et une connaissance d’Armand, de l’accompagner chez elle. Quand, une fois rentrée chez elle, Marguerite demande à Prudence de venir lui tenir compagnie, Prudence emmène avec elle Armand et Gaston. Armand est présenté pour la deuxième fois; Marguerite ne se souvient plus de lui. Le comte de N…, qui l’avait tenu compagnie jusque là et l’ennuyait horriblement, part. Quand Marguerite est pris d’un fort accès de toux et fuit dans son cabinet de toilette, Armand est le seul à la rejoindre et d’exprimer son inquiétude pour sa santé et l’amour qu’il lui porte. Ils parlent longtemps et elle l’avertit du fait qu’elle ne peut jamais être à lui seul ; son mode de vivre ne lui permet pas de n’avoir qu’un seul amant. Elle lui donne un camélia et dit qu’il doit lui rendre quand elle a évanouie. Elle lui permet donc de venir la voir le lendemain soir, en étant son amant de cœur. Pendant la journée, il va aux Champs-Élysées, où il sait qu’elle a l’habitude de se promener tous les 104 jours. Quand, le soir, il se rend chez Marguerite, elle le reçoit assez mal; mais après que Prudence soit passée pour lui donner une bonne nouvelle – elle a obtenu six mille francs du vieux duc, le protecteur de Marguerite – elle change d’humeur. A cinq heures du matin, elle lui dit de s’en aller, parce que le duc, qui est très jaloux, vient tous les matins la rendre visite et elle ne veut pas qu’il voie Armand. Pendant la journée, elle l’écrit de se rendre ce soir aux Vaudeville, mais puisque elle est accompagnée du comte de G… elle n’a pas beaucoup de temps pour lui parler. Le soir, après que le comte est parti de chez elle, Armand va la voir; elle lui raconte qu’elle croit avoir trouvé un moyen pour passer l’été avec lui à la campagne. Le lendemain, il reçut une lettre dans laquelle elle dit qu’elle est malade et ne peut pas le recevoir ce soir. Armand découvre qu’elle lui a écrit cela parce qu’elle reçut ce soir le comte de G… Armand se sent trahi, bien qu’elle l’ait prévenu à l’avance. Il lui écrit une lettre d’adieu accusatrice. Elle ne répond pas, et le lendemain il a tant de regret de sa première lettre qu’il l’écrit une autre lettre, lui demandant pardon. Le soir, elle vient lui rendre visite. Elle le pardonne et avoue qu’elle est vraiment amoureuse de lui. La liaison recommence, et bien que Marguerite ne lui demande pas d’argent, sortir avec elle lui coûte cher. Il commence à jouer pour avoir des ressources supplémentaires. Une fois, quand Armand, Marguerite et Prudence passent la journée à la campagne, Marguerite évoque de nouveau l’idée de passer l’été ensemble à la campagne, avec l’aide financière du vieux duc. Tout est arrangé et ils vivent heureusement à la campagne. Quand le duc découvre qu’elle y vit ouvertement avec un amant, il la laisse choisir: quitter Armand ou renoncer à son aide. Elle choisit la dernière option parce qu’elle ne veut plus vivre qu’avec Armand. Après quelque temps, Armand découvre que Marguerite, à l’aide de Prudence, est en train de vendre sa voiture, ses chevaux, ses cachemires et ses bijoux pour payer ses dettes à Paris; puisque le duc ne la protège plus, les créanciers ne veulent plus lui donner du crédit. Armand part pour Paris pour trouver un moyen pour payer les dettes pour qu’elle n’eût pas besoin de vendre encore plus de ses possessions. Le père d’Armand est mis au courant du changement de vie de son fils et, étant arrivé à Paris, demande à son fils de l’y rejoindre. Pendant cette rencontre, il essaye de convaincre Armand de la nécessité de quitter Marguerite; il n’y parvient pas. Armand retourne auprès de Marguerite, mais elle le dit de ne surtout pas se brouiller avec son père, et d’aller demander son pardon. Pendant qu’Armand est à Paris pour chercher son père, qu’il ne trouve pas, celui-là vient rendre visite à Marguerite. Il lui dit de mettre fin à la liaison, parce que cette liaison noircit leur nom de famille et qu’il est probable que le fiancé de la sœur d’Armand ne veut plus la marier si leur nom de famille est associé à une courtisane. Finalement, elle consent. Quand Armand rentre, Marguerite a l’air distrait. Comme son père lui a donné rendez-vous le lendemain, Armand va 105 encore une fois à Paris. Quand il revient, Marguerite est partie et ne revient pas. Il va la chercher dans son ancien appartement, où on lui remet la lettre d’adieu de Marguerite. Il va chez son père, qui le persuade de revenir auprès de sa famille. Mais après un mois, il se décide à retourner à Paris pour chercher Marguerite, qu’il ne peut pas oublier. Il la voit aux Champs-Elysées, en compagnie d’Olympe, une autre fille entretenue. Armand se décide à devenir l’amant d’Olympe pour rendre jalouse Marguerite. Après quelque temps, Marguerite ne se montre plus en public par crainte de les rencontrer. Prudence obtient d’Armand qu’il consentit à recevoir Marguerite chez lui. Marguerite lui demande de ne plus la faire souffrir, parce qu’elle n’a pas mérité cela. Ils passent la nuit ensemble et Marguerite lui promit d’être là pour lui quand il veut la voir. Cependant, quand le lendemain il se rend chez elle, sa domestique lui dit qu’elle ne peut pas le recevoir, parce que le comte de N… est là. Armand est offensé et écrit une note à Marguerite, disant qu’il avait oublié de la payer pour ses services, et il inclut dans l’enveloppe cinq cent francs. Il se résolut de partir en voyage à l’étranger. Il n’est pas encore de retour quand il reçoit le message que Marguerite est morte. C’est en rentrant à Paris qu’il obtient de Julie Duprat les lettres de Marguerite. Dans ces lettres, elle parle de sa rencontre avec le père d’Armand et de ses derniers jours. Elle lui raconte aussi que le père d’Armand lui a envoyé une lettre consolante et de l’argent pendant sa maladie. Il fait lire toutes ces lettres au raconteur, qui l’accompagne chez son père et sa sœur. La pièce Pour faire de son roman une pièce de théâtre, Dumas a naturellement du raccourcir l’histoire, mais il a aussi fait quelques changements importants. Il n’y a plus de récit encadré. Dumas a ajouté une histoire qu’on ne trouve pas dans le roman: celle de la grisette Nichette – une ancienne amie de Marguerite - et son fiancé Gustave. La pièce a cinq actes: I. La rencontre, II. L’interrogation, III. Le sacrifice, IV. L’affront, V. La mort. Varville (le comte de G… dans le roman) attend que Marguerite soit rentrée de l’Opéra et parle avec Nanine, la servante, de Marguerite. Nichette passe, mais puisque Marguerite ne soit pas encore de retour et son fiancé l’attende, elle part. Marguerite revient, après quelque temps Varville sent qu’il n’est pas le bienvenu et il part, pendant qu’Olympe et M. Saint-Gaudens entrent. Après que Marguerite l’ait appelée, Prudence, la voisine de Marguerite, arrive en compagnie de Gaston et Armand Duval, qui l’avaient accompagnée chez-elle. Armand est introduit chez Marguerite en étant ‘l’homme de Paris qui est le plus 106 amoureux de vous’. On lui raconte qu’il venait avoir de ses nouvelles chaque soir quand elle était malade. Un peu plus tard, la compagnie propose qu’il soit à Gaston de chanter une chanson à boire. C’est en dansant que Marguerite a un malaise et envoie la compagnie dans une autre pièce pour être seule. Seulement Armand revient pour la tenir compagnie. Il exprime l’amour qu’il lui porte et son inquiétude pour sa santé. Après qu’ils eussent discuté quelque temps, elle consent à le prendre comme amant de cœur en lui donnant une fleur, qu’il doit venir lui rendre quand elle est fanée. Marguerite parle avec Prudence de l’amour qu’elle a pour Armand. Quand Armand vient, elle lui raconte le plan qu’elle a pour passer l’été à la campagne ensemble. Quand Marguerite le renvoie, Armand croit qu’elle attend quelqu’un; il découvre que c’est le comte de Giray. Il se sent trompé et l’écrit une lettre d’adieu. Mais ce soir même il regrette déjà cette lettre et il vient pour la prier de le pardonner, ce que, finalement, elle fait. Ils passent donc l’été à la campagne. Après quelque temps, Armand découvre que Marguerite, à l’aide de Prudence, a vendu sa voiture, ses chevaux, ses cachemires et ses bijoux pour payer pour cela. Pour l’empêcher de vendre encore plus, il va à Paris pour emprunter de l’argent. Nichette et Gustave viennent rendre visite à Marguerite, et elle glorifie la vie simple qu’ils ont et qu’elle dit vouloir. Ils ne sont pas encore partis quand le père d’Armand vient lui rendre visite. Il l’accuse de ruiner son fils; elle lui donne l’acte de la vente de ses possessions. L’attitude du père Duval envers elle change, mais il la persuade quand même de quitter Armand, parce que le fiancé de sa sœur ne veut pas la marier si la liaison entre son frère et une courtisane continue à noircir leur nom de famille. Après que M. Duval soit parti, Marguerite donne à Prudence une lettre pour remettre au baron de Varville, dans laquelle elle l’invite à l’accompagner à une fête chez Olympe dans quelques jours; puis, elle écrit une lettre d’adieu à Armand. Armand la surprit en écrivant et dit que son père va venir le soir même; elle dit que c’est mieux si elle ne soit pas là quand il vienne, et elle part. Un peu plus tard, il reçoit la lettre d’adieu. A la fête d’Olympe, on est en train de jouer. Prudence raconte à Gaston que Marguerite et Armand sont séparés. Armand, qui est déjà de retour de Tours, où sa famille vit, entre. Marguerite et le baron de Varville entrent. Armand et Marguerite se sentent tous les deux très mal à l’aise. Armand et Varville commencent à jouer; Armand gagne. Marguerite prend Armand à part et lui dit de partir parce qu’elle craint que Varville va le provoquer en duel. Comme elle ne peut pas dire qu’elle l’aime encore, elle dit qu’elle aime Varville; Armand jette l’argent qu’il a gagné à ses pieds et dit qu’il la paye pour les sacrifices qu’elle avait fait pour lui. Varville jette ses gants au visage d’Armand. 107 Marguerite est très malade. Gaston, qui l’a gardé pendant la nuit, sort; le docteur entre. Elle reçoit une lettre de Nichette: elle va se marier ce jour même. Prudence vient encore lui demander de l’argent. Marguerite relit une lettre que le père d’Armand lui a envoyée, dans laquelle il dit qu’Armand était parti à l’étranger après le duel avec Varville, mais que maintenant il lui avait tout raconté et qu’Armand viendra lui demander pardon. Enfin, Armand arrive et lui dit qu’il ne la quittera plus. Marguerite se ranime, elle veut même sortir pour aller au mariage, mais elle se rend compte qu’il est trop tard. Elle donne un médaillon avec son portrait à Armand en lui expliquant qu’il peut montrer cela à sa future épouse en disant que cette femme priait pour eux chaque jour du ciel. Nichette, Gustave et Gaston entrent. Finalement, en disant qu’elle ne souffre plus, elle meurt. L’opéra Le livret de l’opéra est en fait très fidèle à la pièce de théâtre, bien que tous les noms soient changés. L’opéra n’a que trois actes: I. L’amour, II. Le sacrifice, III. La mort. Le premier acte se passe à une grande fête chez Violetta Valéry, une courtisane. Son protecteur, le baron Douphol, essaye d’attirer l’attention de Violetta, qui n’y réagit pas. Alfredo est présenté à Violetta par leur ami mutuel Gaston, qui l’introduit comme étant son plus grand admirateur. Elle lui demande de porter un toast; il célèbre le vin et l’amour. Violetta lui répond avec un hymne à la joie. Quand Violetta est pris d’un malaise et envoie tout le monde dans une autre chambre pour danser, Alfredo est le seul qui reste auprès d’elle et exprime son inquiétude pour sa santé et son amour pour elle. Violetta lui donne une fleur, et lui donne la permission de la lui rendre le lendemain. Quand tout le monde est parti, Violetta reste seule à méditer son mode de vivre et la possibilité d’un amour sincère. Le deuxième acte se passe en province, Alfredo et Violetta vivent ensemble tranquillement. Alfredo découvre que Violetta est en train de vendre ses possessions à Paris avec l’aide d’Annina, sa servante. Alfredo décide d’aller à Paris pour chercher de l’argent. Le père d’Alfredo vient rendre visite à Violetta et la persuade de quitter Alfredo pour rendre possible le mariage de sa sœur. Quand Alfredo revient, il surprend Violetta en train d’écrire une lettre au baron Douphol. Elle lui dit combien elle l’aime et part. Un peu plus tard, la servante vient pour donner à Alfredo la lettre d’adieu de Violetta. Violetta se rend à une fête chez son ami Flora en compagnie du baron Douphol; Alfredo, qui pense qu’elle l’a trompé, s’y rend aussi. Un groupe des invités est habillé comme tsiganes et toréadors et donne un spectacle. Alfredo défie le baron à jouer aux cartes. Alfredo jette l’argent qu’il a gagné aux pieds de Violetta en disant que c’est son payement pour ses services. Le père d’Alfredo lui 108 rappelle à l’ordre, mais le baron lui provoque en duel. Violetta essaye a prévenir le duel, mais ne le peut pas, parce qu’en faisant cela elle devait admettre qu’elle aime encore Alfredo. Dans le troisième acte Violetta se trouve sur son lit de mort. Le docteur annonce à Annina qu’elle n’a plus que quelques heures à vivre. Le père d’Alfredo a envoyé une lettre à Violetta, dans laquelle il explique qu’après le duel, Alfredo a du laisser le pays pour quelques temps, mais qu’il sera de retour pour lui rendre une dernière visite, son père lui ayant raconté la vraie raison du départ de Violetta. Finalement, Alfredo et son père arrivent; Violetta se ranime mais il est trop tard, elle meurt, après avoir demandé à Alfredo de ne jamais l’oublier. 109 Pièce annexe II: La Dame aux Camélias: théâtre, ballet, musical, bande dessinée Théâtre 1875 - Heart’s-Ease / Heartsease – version ‘censuré’ de la pièce de Dumas fils, adaptée par James Mortimer.165 1918 - Deburau – pièce écrite par Sacha Guitry, traitant la liaison fictive entre Marie Duplessis et le mime célèbre Jean-Gaspard Deburau. Le rôle de Marie était créé par Yvonne Printemps. Première à New York en 1920.166 Egalement adapté pour le cinéma. Ballet 1948 - La Dama delle camelie – chorégraphie d’Aurel Millos avec musique de Roman Vlad.167 1955 - The Lady of the Fools – chorégraphie de John Cranko accompagnée d’un arrangement de musique de Verdi.168 19 ? - La Dame aux Camélias – chorégraphie de A. Tudor, musique de Verdi.169 1957 - La Dame aux Camélias – chorégraphie de Tatiana Gsovsky, décors de Jacques Dupont, musique de Henri Sauguet inspirée sur la musique de Franz Liszt, amant de Marie Duplessis.170 1963 - Marguerite et Armand – chorégraphie de Frederick Ashton avec musique de Franz Liszt,171 pour Margot Fonteyn et Rudolf Nureyev (Noureev), qui ne traite que de la liaison amoureuse et l’intervention du père Duval.172 1977 - La Dame aux Camélias / Die Kameliendame – chorégraphie de John Neumeier pour Marcia Haydée,173 décors et costumes très romantiques de Jürgen Rose et musique de Chopin, un contemporain de Liszt, Dumas fils et Marie Duplessis.174 165 Gold (1991), p. 172, http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=9902E2D7173FEE3ABC4F52DFB366838B699FDE&oref=slogin, http://books.google.nl/books?id=mdJdYslEkBUC&pg=PA497&lpg=PA497&dq=heartsease+james+mor timer&source=web&ots=KLTn48Spfx&sig=PpxWI0cDgME7R4BRvFunTksAqN8&hl=nl&sa=X&oi=book_ result&resnum=4&ct=result. 166 http://query.nytimes.com/mem/archivefree/pdf?_r=1&res=940CEED6173CE533A25757C2A9649D946195D6CF&oref=slogin. 167 Issartel (1982), p. 128-132. 168 Idem. 169 Idem. 170 Idem. 171 http://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Ashton. 172 http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dame_aux_cam%C3%A9lias, http://www.youtube.com/watch?v=DSIz2DWZMbY. 173 http://www.youtube.com/watch?v=GNEkiefn9hw&feature=related. 110 1980 - La Dame aux Camélias – chorégraphie de Jorge Lefebre pour Christine Klépal et le ballet Royal de Wallonie, dont il était le directeur.175 1994 - The Lady of the Camellias – chorégraphie de Val Caniparoli avec musique de Chopin.176 Musical 1996 - Camille / La Dame aux Camélias – musical écrit par Julia Gregory; la première était jouée par Christiane Noll et Jospeh Cassidy.177 2008 – Marguerite – the Musical – musical écrit par Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg, musique de Michel Legrand, paroles des chansons d’Herbert Kretzmer. L’histoire se passe pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942), Marguerite (Ruthie Henshall) est la maîtresse d’un officier allemand, mais tombe amoureuse d’Armand (Julian Ovenden), un jeune musicien.178 Bande dessinée 1974 - La Dame aux Camélias – bande dessinée de Gotlib et Alexis, parue dans le livre Cinémastock. Parodie exagérant le trait principal des personnages, dans ce cas la vénalité de Marguerite.179 174 Issartel (1982), p. 132. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Lefebre. 176 http://www.youtube.com/watch?v=Dr4BvzlvrG0. 177 http://www.biribinentertainment.com/camille/hist.htm. 178 http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_Legrand, http://www.youtube.com/watch?v=HtZzllvx0nA, http://tvision.whatsonstage.com/index.php?pg=591. 179 http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9mastock, Issartel (1982), 166/167. 175 111 Pièce annexe III: La Dame aux Camélias au cinéma 1907 - Kameliendamen - un film danois de Viggo Larsen avec Oda Alstrup et Viggo Larsen lui-même.180 1909 – La Dame aux Camélias / Camille – un film italien de Ugo Falena avec Vittoria Lepanto et Alberto Nepoti.181 1911 - La Dame aux Camélias – un film de Louis Mercanton avec Sarah Bernhardt et Lou Tellegen.182 1912 – La Dame aux Camélias / Camille – film américain dans une adaptation de Herbert Brenon avec Gertrude Shipman et Irving Cummings.183 1915 – Camille - une adaptation de Frances Marion réalisé par Albert Capellani, avec Clara Kimball Young et Paul Capellani.184 1915 - La Signora delle Camelie – un film italien de Baldassarre Negroni et Gustavo Serena, avec Hesperia, Alberto Collo et Ida Carloni Talli.185 1915 – La Signora delle Camelie – un film italien de Gustavo Serena avec Francesca Bertini et Gustavo Serena lui-même.186 1917 - Camille - une adaptation américaine d’Adrian Johnson réalisé par J. Gordon Edwards, avec Theda Bara et Albert Roscoe. Ce film a probablement été perdu.187 1917 – Primavera (Camille / Die Kameliendame) – un film allemand de Paul Leni, dans une adaptation de Hans Brennert, avec Erna Morena et Harry Liedtke.188 1920 – Arme Violetta / Camille / The Red Peacock – film finnois de Paul Stein dans une adaptation de Hanns Kräly avec Pola Negri et Victor Varconi.189 1921 – Camille – un film américain de Ray Smallwood, avec Alla Nazimova et Rudolph Valentino.190 1922 – The Lady of the Camellias – un film anglais d’Edwin J. Collins dans une adaptation de Frank Miller, avec Sybil Thorndike et Ward McAllister.191 180 http://www.imdb.com/title/tt0000583/. http://www.imdb.com/title/tt0212022/. 182 http://www.imdb.com/title/tt0834562/. 183 http://uk.imdb.com/title/tt0342166/, http://www.dumaspere.com/pages/oeuvre/filmo_fils.pdf. 184 http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281926_film%29. 185 http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias. 186 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 187 http://www.answers.com/topic/camille-1917-film. 188 http://www.citwf.com/film279192.htm. 189 http://www.imdb.com/title/tt0010967/. 190 http://www.youtube.com/watch?v=y8xcL3prGe4. 191 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 181 112 1924 - The Lover of Camille – une adaptation de la pièce Deburau de Guitry, réalisé par Harry Beaumont, avec Marie Prévost (Marie Duplessis) et Monte Bleu (Deburau);192 l’accent y était mis plutôt sur Marie Duplessis et moins sur Deburau, qui était le centre de la pièce. On a fait un autre film de la pièce en 1951. 1925 - Damen med Kameliorna - un film suédois du réalisateur Olof Molander, avec Tora Teje et Uno Henning.193 1926 – Camille - un film court (33 minutes) de Ralph Barton, avec entre autres Paul Robeson, Anita Loos et Sinclair Lewis, et avec des apparitions de nombreux autres acteurs connus à cette époque, qui étaient des amis de Barton, dont entre autres Charlie Chaplin.194 1926 - Camille – un film de Fred Niblo dans une adaptation de Fred De Gresac, avec Norma Talmadge et Gilbert Roland.195 Ce film a été perdu. 1934 – La Dame aux Camélias – un film de Fernand Rivers et Abel Gance, avec Yvonne Printemps et Pierre Fresnay. C’était le premier rôle de cinéma pour l’actrice, qui était à cette époque déjà une actrice célèbre. C’était probablement la première version avec son. 1936 – Camille ou Le Roman de Marguerite Gautier – un film hollywoodien de Georges Cukor pour Metro-Goldwyn-Mayer,196 avec Greta Garbo et Robert Taylor. Le film a gagné un New York Film Critics Circle Award, Greta Garbo étant Best Actress, et il était nominé pour un Acadamy Award, également pour meilleure actrice.197 1938 – Cha hua nu (=La Dame aux Camélias) – un film chinois de Li Pingqian.198 1939 – Margarita, Armando y su padre – un film argentinien de F. Mugica avec F. Parravicini (Marguerite). Basé sur la pièce de théâtre d’Enrique Jardiel Poncela, une parodie sur l’œuvre de Dumas fils.199 1942 – Leila, ghadet el camelia (Leila, Lady of the Camelias) – un film égyptien, en arabe, de Togo Mizrahi avec Leila Mourad et Hussein Sedki.200 1944 – La Dama de las Camelias - la première version en espagnol, une adaptation de Roberto Tasker, réalisé en Mexico par Gabriel Soria, avec Lina Montes et Emilio Tuero.201 192 193 194 195 196 197 198 199 200 http://movies.nytimes.com/movie/100548/Lover-of-Camille/overview. http://www.imdb.com/character/ch0031710/. http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%28Barton_film%29. http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281926_film%29. http://www.youtube.com/watch?v=oQZ-yF0b8z8. http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281936_film%29. http://www.imdb.com/title/tt0204944/. http://www.imdb.com/title/tt0175890/. http://en.wikipedia.org/wiki/Leila_Mourad, http://www.imdb.com/title/tt0281960/. 113 1947 – La Traviata / The lost one – film italien de Carmine Gallone avec Nelli Conradi et Gino Mattera. Utilisant l’opéra de Verdi, combiné avec un récit encadré avec Dumas fils et Verdi.202 1951 – Deburau – un film de la pièce, réalisé par Sacha Guitry lui-même, avec Lana Marconi (Marie Duplessis) et Guitry (Deburau), avec musique d’André Messager.203 (→ 1924 - The Lover of Camille) 1953 - La Dame aux Camélias (The Lady Without Camelias/ La Signora delle Camelie) – un film de Raymond Bernard avec Micheline Presle et Roland Alexandre. 1953 - La Signora senza Camelie – un parodie sur La Dame aux Camélias de Michelangelo Antonioni. Le film traite d’une vendeuse devenue actrice, qui n'obtient que des rôles médiocres; elle épouse contre son gré un producteur qui lui interdit de poursuivre sa carrière. 1954 - Camelia - la deuxième version mexicaine adapté par José Arenas et réalisé par Roberto Gavaldón avec María Félix et Jorge Mistral.204 1954 - La Mujer de las camelias – un film argentine de Ernesto Arancibia dans une adaptation de lui et d’Alexis de Arancibia, avec Mona Maris.205 1958 – The Lady of the Camellias – un film pour la série télévisée anglaise Armchair Theatre, saison 2, épisode 3, réalisé par George More O’Ferrall avec Ann Todd et David Knight.206 (1960 – La Dame aux Camélias - film avec Jeanne Moreau: projet inachevé.)207 1962 - La Dame aux camélias – une adaptation de Marcel Pagnol réalisé par François Cir avec Yori Bertin et Gérard Barray. 1963 – Marguerite Gautier – un film pour la télévision néerlandaise VARA de Willy van Hemert avec Andrea Domburg et Maxim Hamel.208 1964 - Festival: Lady of the Camellias - une version pour la télévision anglaise de Rudolph Cartier, basée sur la version française de 1953, avec Billie Whitelaw et John Fraser.209 1969 - Camille 2000 - une version italienne un peu ‘modernisée’, réalisé par Radley Metzger, avec Danièle Gaubert et Nino Castelnuovo. Cette adaptation plutôt érotique de 201 http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias, http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9A0DE4D71131E03BBC4E51DFBF66838F659EDE. 202 http://www.fandango.com/carminegallone/filmography/p90929, http://movies.nytimes.com/movie/review?res=980CE1DD123EE03BBC4850DFB5668383659EDE. 203 http://www.imdb.com/title/tt0123791/. 204 http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias, http://www.imdb.com/title/tt0045593/. 205 http://en.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_the_Camellias. 206 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 207 Poirot-Delpech (1981), p. 11. 208 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 209 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 114 Michael DiForrest traite aussi de l’abus de la drogue, un thème qu’on ne retrouve naturellement pas dans l’histoire originale.210 1972 - La Dame aux camélias (Storia vera della signora dalle camelie) – un film de Robert Maurice, avec Ludmilla Tcherina et Philippe Cardinal. L’adaptation de Pierre Cardinal est basée sur le roman, mais utilise la fin de la pièce; on utilisait de la musique de Mahler, qui a sans doute contribué à la gravité de la représentation. 1978 – Die Kameliendame – film pour la télévision allemande ARD de Tom Tölle, avec Erika Pluhar et Klauss Hoffmann.211 1980 - A la recherche de la Dame aux Camélias - une émission télévisé réalisé par Pierre Cardinal avec des dialogues de Claude Imbert, avec Christine Issartel dans le rôle de Marguerite/Marie. L’histoire est présentée autour d’une rencontre fictive entre Dumas, le créateur de Marguerite Gautier, et le duc de Guiche, le ‘créateur’ de Marie Duplessis. 1981 - La Dame aux Camélias - un film de Mauro Bolognini avec Isabelle Huppert dans le rôle de Marie Duplessis, basé non sur le roman de Dumas fils mais sur le livre de Bertrand Poirot-Delpech, dans lequel il fait une reconstruction de la vie de Marie Duplessis: Marie Duplessis, ‘la Dame aux Camélias’: une vie romancée. 1984 - Camille – un film pour la télévision anglaise et américaine, adapté par Blanche Hanalis et réalisé par Desmond Davis, avec Greta Scacchi et Colin Firth.212 1987 – Die Kameliendame – version filmé du ballet de Neumeier, qui a lui-même fait la réalisation, avec Marcia Haydée et Ivan Liska.213 1995 - Dama Kameliowa – un film pour la télévision polonaise de Jerzy Antczak avec Anna Radwan et Jan Frycz.214 Cette version reprend le récit encadré que Dumas utilise dans le roman. 1998 – La Dame aux Camélias – un film pour la télévision française de Jean-Claude Brialy qui a aussi fait l’adaptation, avec Christiana Réali et Michaël Cohen.215 2001 – Moulin Rouge! – une adaptation de quelques opéras, dont La Traviata, réalisée par Baz Luhrmann, avec Nicole Kidman et Ewan McGregor. 210 http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_2000. http://www.dumaspere.com/pages/oeuvre/filmo_fils.pdf, http://www.deutschesfilmhaus.de/filme_einzeln/t_einzeln/toelle_tom/kameliendame_die.htm, http://www.imdb.com/title/tt0446373/. 212 http://en.wikipedia.org/wiki/Camille_%281984_film%29. 213 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 214 http://www.filmpolski.pl/fp/index.php/126273. 215 http://www.imdb.com/character/ch0031710/. 211 115 2005 – La Signora delle camelie – un film pour la télévision italienne de Lodovico Gasparini dans une adaptation de Marco Alessi et Piero Bodrato, avec Francesca Neri et Sergio Múñiz.216 216 http://www.imdb.com/title/tt0442841/, http://www.youtube.com/watch?v=G8TGs_RAN3c. 116