apparat critique - éditions de l`originale

Transcription

apparat critique - éditions de l`originale
éditions de
l’originale
BALZAC ROMANS ET CONTES PHILOSOPHIQUES
ROMANS
ET CONTES
PHILOSOPHIQUES
PAR M. DE BALZAC.
édition établie et présentée par
ANDREW OLIVER
éditions de l’originale
collection « Les romans de Balzac »
TABLE DES MATIÈRES
Traité avec Charles Gosselin pour la publication des Romans et contes philosophiques (1831)
« Avis du libraire-éditeur » dans Contes philosophiques
(1832)
Comparaison entre l’édition originale de Sarrasine et « Le
Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale d’El Verdugo et « Le
Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale de L’Enfant maudit
et « Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale de L'Élixir de longue
vie et « Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale des Proscrits et « Le
Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale du Chef-d’œuvre inconnu et « Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale du Réquisitionnaire
et « Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale d’Étude de femme et
« Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale des Deux rêves et
« Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale de Jésus-Christ en
Flandre et « Le Furne corrigé »
Comparaison entre l’édition originale de L’Église et « Le
Furne corrigé »
Bibliographie
TRAITÉ AVEC CHARLES
GOSSELIN POUR LA
PUBLICATION DES ROMANS ET
CONTES PHILOSOPHIQUES
[Paris, 22 aoû 1831]
Entre les soussignés
Honoré de Balzac, homme de lettres, demeurant à Paris, rue
de Cassini, n° 1, d’une part
Et Charles Gosselin, libraire, demeurant à Paris, rue St-Germain des Prés, d’autre part
Il a été convenu ce qui suit
Mr de Balzac cède à Mr Gosselin le droit de faire un tirage à
douze cents exemplaires sans main de passe aucune de La Peau
de chagrin et de huit ou dix romans ou contes philosophiques
dont L’Enfant maudit, Les Proscrits, Sarrasine etc. déjà
publiés dans divers journaux, et un ou deux autres inédits. Ce
tirage sera divisé en trois volumes in-8º de vingt-quatre feuilles au moins et de vingt-cinq au plus, caractère Cicéro, justification de Fragoletta à peu près. Mr Gosselin pourra diviser les
douze cents exemplaires en deux ou trois éditions.
Pour prix de la présente cession Mr Gosselin paiera à Mr de
Balzac quatre mille francs comme suit:
– Mille francs en divers acomptes payés ou à
payer d’ici un mois – ci
fr. 1.000
– Mille francs en un billet à trois mois de la
publication qui devra avoir lieu au plus
tard le 31 août courant
1.000
1
– Mille francs en un billet à cinq mois
– Mille francs en un billet à huit mois
1.000
1.000
4.000
En cas de réimpression, Mr Gosselin aura toujours la préférence à prix égal sur toute offre de ses confrères faite de bonne
foi et justifiée.
Mr de Balzac vend en outre à Mr Gosselin un ouvrage intitulé Histoire de la succession du marquis de Carabas, roman
philosophique qui formera un volume in-8º, de vingt-cinq
feuilles, ou peut-être deux. Mr Gosselin tirera cet ouvrage au
nombre qui lui conviendra en payant un franc cinquante centimes par exemplaire à Mr de Balzac, si l’ouvrage forme seulement un volume, et deux francs cinquante centimes s’il en
forme deux, mais alors les corrections seraient toutes à la
charge de l’éditeur; tandis que dans le premier cas, Mr Gosselin n’en passe à l’auteur que jusqu’à concurrence de soixante et
quinze francs pour le seul volume ; Mr Gosselin tirera en sus du
nombre qu’il paiera, les treizièmes exemplaires doubles, plus
le nombre à donner à l’auteur et aux journaux. En cas de
seconde édition de cet ouvrage, Mr Gosselin aura le droit de la
faire au prix de deux francs cinquante centimes pour deux
volumes, et un franc cinquante pour un seul.
Le paiement à faire à Mr de Balzac sera fait dans les proportions et termes ici indiqués pour La Peau de chagrin.
Mr Gosselin a encore acheté à Mr de Balzac un ouvrage intitulé : Contes drolatiques devant former un volume in-8º, tiré à
mille exemplaires, plus les doubles treizièmes et les exemplaires d’auteur et de journaux. Ce tirage est acquis pour la somme
de douze cent cinquante francs. Si Mr de Balzac venait à
publier un second recueil de Contes drolatiques, il appartiendrait à Mr Gosselin pour le même nombre, moyennant quinze
cents francs. Les éditions suivantes des deux volumes étant
d’avance acquises à Mr Gosselin moyennant un franc cinquante centimes par exemplaire de chaque volume quel que
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soit le nombre tiré, et toujours avec les doubles treizièmes et
exemplaires d’auteur et de journaux.
Le nombre d’exemplaires à fournir à Mr de Balzac que Mr
Gosselin tirera en sus est fixé à vingt par édition et quarante
pour les journaux.
Mr de Balzac par convention écrite s’est obligé à fournir à
Mr Gosselin à prix égal sur toute offre de ses confrères faite de
bonne foi et justifiée, un roman de deux volumes in-8°, cette
convention est confirmée ici.
Il n’y a aucune époque déterminée pour la livraison des
manuscrits ici vendus (sauf La Peau de chagrin et les huit ou
dix Contes philosophiques), mais Mr de Balzac s’oblige, sous
peine de dommages et intérêts à ne faire aucune publication de
librairie, sauf la réimpression augmentée des Scènes de la vie
privée et les Scènes de la vie militaire, plus un roman intitulé
Les Trois Cardinaux promis à Mr Mame et qui ne peut être
publié que par lui, avant d’avoir rempli les engagements ici
contractés envers Mr Gosselin, qui, de son côté, s’oblige à
accepter les manuscrits vendus aux conditions fixées lorsque
Mr de Balzac les lui remettra.
Fait double à Paris le vingt deux août mil huit cent trente et
un
approuvé l’écriture
H. de Balzac.
approuvé l’écriture
Ch. Gosselin 1 .
1. Ce traité est publié dans B ALZAC , Correspondance, I, (1809-1835),
édition établie, présentée et annotée par Roger PIERROT et Hervé YON
(Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2006),
pp. 387-9.
3
AVIS DU LIBRAIRE-ÉDITEUR 1
L’immense et rapide succPs de la premiPre édition de La
Peau de chagrin nous obligea B en publier, peu de semaines
aprPs son apparition, une édition nouvelle. M. de Balzac crut
devoir joindre B cette édition douze Romans ou Contes philosophiques dont quelques-uns avaient paru dans deux de nos
recueils littéraires les plus accrédités dans les salons de la capitale, la Revue de Paris et la Revue des Deux Mondes; les autres
étaient inédits. Cette addition fut considérée par l’un de nos
plus spirituels critiques comme le complément nécessaire du
systPme philosophique développé dans La Peau de chagrin, et
elle contribua au prompt débit de la seconde édition. Une troisiPme la suivit de prPs et sera bientôt épuisée. Ainsi, en moins
d’une année, trois éditions, c’est-B-dire plus de quatre mille
cinq cents exemplaires de La Peau de chagrin auront été
enlevés par le public ! Toutefois, les acquéreurs des quinze
cents exemplaires de la premiPre édition réclamPrent vivement
de nous une publication particuliPre des douze Contes philosophiques, afin de les joindre B La Peau de chagrin, et c’est pour
satisfaire B ce vÉu que nous publions aujourd’hui ces deux
volumes que nous faisons précéder de l’Introduction, morceau
de littérature fort remarquable df B la plume élégante de M.
PhilarPte Chasles.
Nous avons sous presse un volume de M. de Balzac, intitulé : Nouveaux Contes philosophiques. Un tirage B part a été
1 Cet avis figure en tête des Contes philosophiques (Paris, Gosselin,
1832).
fait ; il est destiné aux acquéreurs de ces deux volumes, afin
que leur collection soit toujours complPte.
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DE SARRASINE ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
SARRASINE.¶
¶
I.¶
LES DEUX PORTRAITS.¶
Croyez-vous que l’Allemagne ait seul le privilége d’être absurde et fantastique?¶
– A MONSIEUR CHARLES DE BERNARD DU GRAIL.¶
J’ÉTAISJ’étais plongé dans une de ces rêveries profondes qui souvent saisissent tout
le monde, même un homme frivole, au sein des fêtes les plus tumultueuses. Minuit venait
de sonner à l’horloge de l’Élysée l’Elysée-Bourbon. Assis dans l’embrasure d’une
fenêtre, et caché sous les plis onduleux d’un rideau de moire, je pouvais contempler à
mon aise le jardin de l’hôtel où je passais la soirée.¶ Les arbres, imparfaitement couverts
de neige, se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine
blanchi par la lune; et, vus. Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient
vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la
célèbrefameuse danse des morts... – Puis, en me retournant de l’autre côté, je pouvais
admirer la danse des vivans! –vivants! un salon splendide, aux parois d’argent et d’or,
aux lustres étincelansétincelants, brillant de bougies... – et là Là, fourmillaient, s’agitaient
et papillonnaient les plus jolies femmes de Paris, les plus riches, les mieux titrées,
éclatantes, pompeuses, éblouissantes de diamans; –diamants! des fleurs sur la tête, sur le
sein, dans les cheveux, semées sur les robes, ou en guirlandes à leurs pieds. – C’était de
légers frémissemensfrémissements de joie; ou , des pas voluptueux, qui faisaient rouler
les dentelles, les blondes, la mousseline autour de leurs flancs délicats. Quelques regards
trop vifs perçaient çà et là, éclipsaient les lumières, le feu des diamansdiamants, et
animaient encore des cœurs déjà trop ardens. Il y avaitardents. On surprenait aussi des
airs de tête significatifs pour les amansamants, et des attitudes négatives .pour les maris.
Les éclats de voix des joueurs, à chaque coup imprévu, le retentissement de l’or, se
mêlaient à la musique, au murmure des conversations; et, pour achever d’étourdir cette
foule enivrée par tout ce que la terre le monde peut offrir de séductions, une vapeur de
parfums et l’ivresse générale agissaient sur les imaginations en délire.¶affolées. Ainsi, à
ma droite, la sombre et silencieuse image de la mort; à ma gauche, les décentes
bacchanales de la vie: ici, la nature froide, morne, en deuil; là, les hommes en joie.¶
– Et moi Moi, sur la frontière de ces deux tableaux si disparates, qui, mille fois
répétés de diverses manières, rendent Paris la ville la plus amusante du monde et la plus
philosophique, je faisais une macédoine morale, moitié plaisante, moitié funèbre. Du pied
gauche je marquais la mesure, et je croyais avoir l’autre dans un cercueil. Ma jambe était
en effet glacée par un de ces vents coulis qui vous gèlent une moitié du corps, tandis que
l’autre éprouve la chaleur moite des salons..., accident assez fréquent au bal.¶
– Il n’y a pas fort long-temps que M. monsieur de Lanty possède cet hôtel?¶
– Si fait. Voici bientôt dix ans que le maréchal S***de Carigliano le lui a vendu...¶
– Ah!¶
– Ces gens-là doivent avoir une fortune immense?...¶?¶
– Mais il le faut bien.¶
– Quelle fête!...... Elle est d’un luxe insolent.¶
– Les croyez-vous aussi riches que M. Roy ou que M. d’Aligre?¶le sont monsieur de
Nucingen ou monsieur de Gondreville?¶
– Mais vous ne savez donc pas?...¶?¶
J’avançai la tête et je reconnus les deux interlocuteurs. Ils appartenaient pour
appartenir à cette gent curieuse qui, à Paris, s’occupe exclusivement des Pourquoi? des
Comment? D’où vient-il? Qui sont-ils? Qu’y a-t-il? Qu’a-t-elle fait?¶ Ils se mirent à
parler bas, et s’éloignèrent pour aller causer plus à l’aise sur quelque canapé solitaire.¶
Jamais mine plus féconde ne s’était offerteouverte aux chercheurs de mystères. Personne
ne savait de quel pays venait la famille de Lanty, ni de quel commerce, de quelle
spoliation, de quelle piraterie ou de quel héritage provenait une fortune estimée à
plusieurs millions.¶– Tous les membres de cette famille parlaient l’italien, le français,
l’espagnol, l’anglais et l’allemand, avec assez de perfection pour faire supposer qu’ils
avaient dû long-temps séjourner parmi ces différensdifférents peuples. ÉtaientEtaient-ce
des bohémiens? étaient-ce des flibustiers?¶
– Quand ce serait le diable!... disaient de jeunes politiques, ils reçoivent à merveille.¶
– Le comte de Lanty eût-il dévalisé quelque Casauba, j’épouserais bien sa fille!
s’écriait un philosophe.¶
Qui n’aurait pas épousé Marianina?..... C’était une, jeune fille de seize ans, dont la
beauté réalisait les fabuleuses conceptions des poëtespoètes orientaux.? Comme la fille du
sultan dans le conte de la Lampe merveilleuse, elle aurait dû rester voilée. – Son chant
faisait pâlir les talenstalents incomplets des Malibran, des Sontag, des Fodor, chez
lesquelles une qualité dominante excluta toujours exclu la perfection de l’ensemble;
tandis que MariaMarianina savait unir au même degré la pureté du son, la sensibilité, la
justesse du mouvement et des intonations, l’âme et la science, la correction et le
sentiment. Elle Cette fille était le type de cette poésie secrète, lien commun de tous les
arts, et qui fuit toujours ceux qui la cherchent. Douce et modeste, instruite et spirituelle,
rien ne pouvait éclipser Marianina, si ce n’est – n’était sa mère!...¶
Avez-vous jamais rencontré de ces femmes dont la beauté foudroyante défie les
atteintes de l’âge, et qui semblent à trente-six ans plus désirables qu’à vingt, peutêtre?qu’elles ne devaient l’être quinze ans plus tôt? Leur visage est une âme passionnée;,
il étincelle; chaque trait y brille d’intelligence;: chaque pore possède un éclat particulier,
surtout aux lumières; leurs. Leurs yeux séduisansséduisants attirent, refusent, parlent ou
se taisent; leur démarche est innocemment savante; leur voix déploie les mélodieuses
richesses des tons les plus coquettement doux et tendres. Fondés sur des comparaisons,
leurs éloges caressent l’amour- propre le plus chatouilleux. Un mouvement de leurs
sourcils, le moindre jeu de l’œil, leur lèvre qui se fronce, impriment une sorte de terreur à
ceux qui font dépendre d’elles leur vie et leur bonheur. Inexpériente de l’amour et docile
aux au discours, une jeune fille peut se laisser séduire; mais pour ces sortes de femmes...,
un homme doit savoir, comme M.monsieur de Jaucourt, ne pas crier quand, en se cachant
au fond d’un cabinet, la femme de chambre lui brise deux doigts dans la jointure d’une
porte. Aimer ces puissantes sirènes,... c’est , n’est-ce pas jouer sa vie.? Et voilà pourquoi
peut-être nous les aimons -nous si passionnément! Telle était la comtesse de Lanty.¶
– Filippo, frère de Marianina, tenait, comme sa sœur, de la beauté merveilleuse de la
comtesse. Pour tout dire d’en un mot, ce jeune homme était une image vivante de
l’Antinoüs, avec des formes plus grêles. Mais comme ces maigres et délicates proportions
s’allient bien à la jeunesse quand un teint olivâtre, des sourcils vigoureux et le feu d’un
œil velouté promettent pour l’avenir des passions mâles, des idées généreuses!... Si
Filippo restait, dans tous les cœurs de jeunes filles, comme un type; et,, il demeurait
également dans le souvenir de toutes les mères, comme le meilleur parti de France.¶
La beauté, la fortune, l’esprit, les grâces de ces deux enfansenfants venaient
uniquement de leur mère; car le . Le comte de Lanty était petit, laid et grêlé; sombre
comme un Espagnol et, ennuyeux comme un banquier; du reste, il . Il passait d’ailleurs
pour un profond politique, peut-être parce qu’il riait rarement, et citait toujours
M.monsieur de Metternich ou Wellington.¶
Cette mystérieuse famille avait tout l’attrait d’un poëmepoème de lord Byron. Chaque
personne du beau mondeen traduisait d’une manière différente , dont les difficultés:
c’était étaient traduites d’une manière différente par chaque personne du beau monde: un
chant obscur et sublime. de strophe en strophe. La réserve que M.monsieur et madame de
Lanty gardaient sur leur origine, sur leur existence passée et sur leurs relations avec les
quatre parties du monde n’eût pas été long-temps un sujet d’étonnement à Paris; car, en .
En nul pays peut-être, l’axiome de Vespasien n’est mieux compris. Là, les écus même
tachés de sang ou de boue ne trahissent rien et représentent tout. Pourvu que la haute
société sache le chiffre de votre fortune, vous êtes classé parmi les sommes qui vous sont
égales, et personne ne vous demande à voir vos parchemins, parce que tout le monde sait
combien peu ils coûtent.¶– En Dans une ville où les problèmes sociaux se résolvent par
des équations algébriques, les aventuriers ont, en leur faveur, d’excellentes chances; et
alors, en. En supposant que cette famille eût été égyptiennebohémienne d’origine, elle
était si riche, si attrayante, que la haute société pouvait bien lui pardonner au moins un
mystère!...ses petits mystères. Mais, par malheur, l’histoire énigmatique de la maison
Lanty offrait un perpétuel intérêt de curiosité, assez semblable à celui des romans d’Anne
Radcliffe. .¶
Les observateurs, ces gens qui tiennent à savoir dans quel magasin vous achetez vos
candélabres, ou qui vous demandent le prix du loyer quand votre appartement leur semble
beau, avaient remarqué, de loin en loin, au milieu des fêtes, des concerts, des bals, des
raouts donnés par la comtesse, l’apparition d’un personnage étrange. C’était un homme.¶
– La première fois qu’il se montra dans l’hôtel, ce fut pendant un concert. Il , où il
semblait avoir été attiré, vers le salon, par la voix enchanteresse de Marianina.¶
Une dame placée près de la porte dit à sa voisine:¶– –– Depuis un moment, j’ai
froid!¶, dit à sa voisine une dame placée près de la porte.¶
L’inconnu, qui se trouvait près de cette femme, s’en alla. Alors quelque temps après,
elle dit:¶.¶
– Voilà qui est singulier?...! j’ai chaud., dit cette femme après le départ de l’étranger.
Et vous me taxerez peut-être de folie, mais je ne saurais m’empêcher de penser que mon
voisin, ce monsieur vêtu de noir qui vient de partir, causait ce froid!...¶
Bientôt l’exagération naturelle aux gens de la haute société fit naître et accumuler les
idées les plus plaisantes, les expressions les plus bizarres, les contes les plus ridicules sur
ce personnage mystérieux.¶ Sans être précisément un vampire, une goule, un homme
artificiel, une espèce de Faust ou de Robin des bois, il participait, au dire des gens amis
du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes; et il . Il se rencontrait, çà et là, des
Allemands qui prenaient pour des réalités ces railleries ingénieuses de la médisance
parisienne pour des réalités; mais l’étranger n’. L’étranger était simplement – qu’un
vieillard.¶ Quelques-uns Plusieurs de ces jeunes hommes, habitués à décider, tous les
matins, l’avenir de l’Europe, par dans quelques phrases élégantes, voulaient voir dans en
l’inconnu un quelque grand criminel, possesseur d’immenses richesses.¶ Des romanciers
racontaient la vie de ce vieillard, et vous donnaient des détails, véritablement curieux, sur
les atrocités commises par lui pendant le temps qu’il était au service du prince de
Mysore.¶ Des banquiers, gens plus positifs, établissaient une fable spécieuse:¶– –: – Bah!
disaient-ils en haussant leurs larges épaules par un mouvement de pitié, ce petit vieux?.....
c’ est une tête génoise!.....¶!¶
– Monsieur, si ce n’est pas une indiscrétion, pourriez-vous avoir la bonté de
m’expliquer ce que vous entendez par une tête génoise?¶
– Monsieur, c’est un homme sur la vie duquel reposent d’énormes capitaux;, et, de sa
bonne santé, dépendent sans doute les revenus de cette famille!...¶
Je me souviens d’avoir entendu chez madame de Briched’Espard un magnétiseur
prouverprouvant, par des considérations historiques très-spécieuses, que ce vieillard, mis
sous verre, était le fameux Balsamo dit Cagliostro. IlSelon ce moderne alchimiste,
l’aventurier sicilien avait échappé à la mort, et s’amusait, selon ce moderne alchimiste, à
faire de l’or pour ses petits-enfans.¶enfants. Enfin le bailli de Ferette prétendait avoir
reconnu dans ce singulier personnage le comte de Saint-Germain...¶– Toutes ces Ces
niaiseries, dites avec le ton spirituel, avec l’air railleur qui, de nos jours, caractérise une
société sans croyances, entretenaient de vagues soupçons sur la maison de Lanty. Enfin,
par un singulier concours de circonstances, les membres de cette famille justifiaient les
conjectures du monde, en tenant une conduite assez mystérieuse avec ce vieillard, dont la
vie était en quelque sorte dérobée à toutes les investigations.¶
Ce personnage franchissait-il le seuil de l’appartement qu’il était censé occuper à
l’hôtel de Lanty?..., son apparition causait toujours une grande sensation dans la famille.
On eût dit un événement de haute importance. Filippo, Marianina, madame de Lanty et
un vieux domestique dévoué avaient seuls le privilége d’aider l’inconnu à marcher, à se
lever, à s’asseoir. Chacun en surveillait les moindres mouvemens.mouvements. Il
semblait que ce fût une personne enchantée d’où de qui dépendissent le bonheur, la vie ou
la fortune de tous. ÉtaitEtait-ce crainte ou affection!...? Les gens du monde ne pouvaient
découvrir aucune induction qui les aidât à résoudre ce problème.¶ Caché pendant des
mois entiers au fond d’un sanctuaire inconnu, ce génie familier en sortait tout à coup,
comme furtivement et, sans être attendu, apparaissantet apparaissait au milieu des salons
comme ces fées d’autrefois qui descendaient de leurs dragons volansvolants pour venir
troubler les solennités auxquelles elles n’avaient pas été conviées. Alors les Les
observateurs les plus exercés pouvaient, alors seuls, deviner l’inquiétude des maîtres du
logis; car ces derniers , qui savaient dissimuler leurs sentimenssentiments avec une
singulière habileté. Mais, parfois, tout en dansant dans un quadrille, la trop naïve
Marianina jetait un regard de terreur sur le vieillard qu’elle surveillait au sein des
groupes. – Ou bien, Filippo s’élançait en se glissant à travers la foule, pour le joindre, et
restait auprès de lui, tendre et attentif, comme si un souffle ou le contact des hommes ou
le moindre souffle dût briser cette créature bizarre. La comtesse tâchait de s’en approcher,
sans paraître avoir eu l’intention de le rejoindre; puis, en prenant des manières et une
physionomie autant empreintes de servilité que de tendresse, de soumission que de
despotisme, elle disait deux ou trois mots auxquels déférait presque toujours le vieillard.
Il , il disparaissait emmené, ou, pour mieux dire, emporté par elle.¶ Si madame de Lanty
n’était pas là, le comte employait mille stratagèmes pour arriver à lui; mais il avait l’air
de s’en faire écouter difficilement, et le traitait comme un enfant gâté dont la mère
redoute écoute les caprices ou redoute la mutinerie.¶– Quelques indiscrets, s’étant
hasardés à questionner étourdiment le comte de Lanty, cet homme froid et réservé n’avait
jamais paru comprendre l’interrogation des curieux. – Aussi, après bien des tentatives,
que la circonspection de tous les membres de cette famille rendit vaines, personne ne
chercha plus -t-il à découvrir un secret si bien gardé. Les espions de bonne compagnie, les
gobe-mouches et les politiques avaient fini, de guerre lasse, par ne plus s’occuper de ce
mystère.¶
Mais, en ce moment, il y avait peut-être, au sein de ces salons resplendissans,
resplendissants des philosophes qui, tout en prenant une glace, un sorbet, ou en posant sur
une console leur verre vide de punch, se disaient:¶– –: – Je ne serais pas étonné
d’apprendre que ces gens-là sont des fripons; car ce . Ce vieux, qui se cache et n’apparaît
qu’aux équinoxes ou aux solstices, m’a tout l’air d’un assassin...¶
– Ou d’un banqueroutier...¶
– C’est à peu près la même chose... Tuer la fortune d’un homme, c’est quelquefois pis
que de le tuer lui-même...¶
– Monsieur, j’ai parié vingt louis;, il m’en revient quarante.¶
– Ma foi,! monsieur, il n’y en a plusn’en reste que trente sur le tapis....¶
–Eh Hé! bien!, voyez-vous comme la société est mêlée ici!.... On n’y peut pas
jouer...¶
– C’est vrai... Mais voilà bientôt six mois que nous n’avons aperçu l’Esprit... Croyezvous que ce soit un être vivant?...¶?¶
– Hé! hé! tout au plus...¶
Ces derniers mots étaient dits, autour de moi, par des inconnus qui s’en allèrent au
moment où je résumais, dans une dernière pensée, mes réflexions mélangées de noir et de
blanc, de vie et de mort. Ma folle imagination autant que mes yeux contemplait tour à
tour et la fête, arrivée à son plus haut degré de splendeur, et le sombre tableau des
jardins... Je ne sais combien de temps je méditai sur ces deux côtés de la médaille
humaine; mais soudain le rire étouffé d’une jeune femme me réveilla...¶ Je restai stupéfait
à l’aspect de l’image qui s’offrit à mes regards. Par un des plus rares caprices de la nature,
la pensée en demi-deuil qui se roulait dans ma cervelle en était sortie. Elle , elle se
trouvait devant moi, personnifiée, vivante. Elle , elle avait jailli comme Minerve de la tête
de Jupiter, grande et forte... Elle, elle avait tout à la fois cent ans et vingt-deux ans..., elle
était vivante et morte...¶– Échappé Echappé de sa chambre, comme un fou de sa loge, le
petit vieillard s’était sans doute adroitement coulé derrière une haie de gens attentifs à la
voix de Marianina, qui finissait la cavatine de Tancrède. Il semblait être sorti de dessous
terre, poussé par quelque mécanisme de théâtre. Immobile et sombre, il resta pendant un
moment à regarder cette fête, dont il avait peut-être entendu le murmure. avait peut-être
atteint à ses oreilles. Sa préoccupation, presque somnambulique, était si concentrée sur
les choses, qu’il se trouvait au milieu du monde sans voir le monde. Il avait surgi sans
cérémonie auprès d’une des plus ravissantes femmes de Paris, danseuse élégante et jeune,
aux formes délicates..., une de ces figures aussi fraîches que l’est celle d’un enfant,
blanches et roses, et si frêles, si transparentes, qu’un regard d’homme semble devoir les
pénétrer, comme les rayons du soleil traversent une glace pure. Ils étaient là, devant moi,
tous deux, ensemble, unis et si serrés, que l’étranger froissait et la robe de gaze, et les
guirlandes de fleurs, et les cheveux légèrement crépéscrêpés, et la ceinture flottante...¶
J’avais amené cette jeune femme au bal de madame de Lanty. Comme elle venait
pour la première fois dans cette maison, je lui pardonnai son rire étouffé; mais je lui fis
vivement je ne sais quel signe impérieux; et, alors, elle demeura qui la rendit tout
interdite, respectant et lui donna du respect pour son voisin. Elle s’assit près de moi. Le
vieillard ne voulut pas quitter cette délicieuse créature, à laquelle il s’attacha
capricieusement avec cette obstination muette et sans cause apparente, dont sont
susceptibles les gens extrêmement âgés sont susceptibles, et qui les fait ressembler à des
enfans.enfants. Pour s’asseoir auprès de la jeune dame, il lui fallut prendre un pliant. Ses
moindres mouvemensmouvements furent empreints de cette lourdeur froide, de cette
stupide indécision qui caractérisent les gestes d’un paralytique. Il se posa lentement sur
son siége, avec circonspection, et en grommelant quelques paroles inintelligibles. Sa voix
cassée ressembla au bruit que fait une pierre en tombant dans un puits.¶– La jeune
femme me pressa vivement la main, comme si elle eût cherché à se garantir d’un
précipice; car elle , et frissonna quand cet homme, qu’elle regardait, tourna sur elle deux
yeux sans chaleur, deux yeux glauques, qui ne pouvaient se comparer qu’à de la nacre
ternie.¶
– J’ai peur, me dit-elle en se penchant à mon oreille.¶
– Vous pouvez parler..., répondis-je. Il entend très-difficilement.¶
– Vous le connaissez donc?¶
– Oui.¶
Alors elle Elle s’enhardit alors assez pour examiner pendant un moment cette
créature, sans nom dans le langage humain, forme sans substance, être sans vie, ou vie
sans action... Elle était sous le charme de cette craintive curiosité qui pousse les femmes à
se procurer des émotions dangereuses, à voir des tigres enchaînés, à regarder des boas, en
s’effrayant de n’en être séparées que par de faibles barrières...¶ Quoique le petit vieillard
eût le dos courbé comme celui d’un journalier, on s’apercevait facilement que sa taille
avait dû être ordinaire. Son excessive maigreur, la délicatesse de ses membres, prouvaient
que ses proportions étaient toujours restées sveltes. Il portait une culotte de soie noire, qui
flottait autour de ses cuisses décharnées, en décrivant des plis comme une voile abattue.
Un anatomiste eût reconnu soudain les symptômes d’une affreuse éthisie,étisie en voyant
les petites jambes qui servaient à soutenir ce corps étrange. Vous eussiez dit de deux os
mis en croix sur une tombe. Un sentiment de profonde horreur pour l’homme saisissait le
cœur quand une fatale attention vous dévoilait les marques imprimées par la décrépitude
à cette casuelle machine presque casuelle.¶. L’inconnu portait un gilet blanc, brodé d’or, à
l’ancienne mode, et son linge était d’une blancheur éclatante; mais un . Un jabot de
dentelle d’Angleterre assez roux, dont la richesse eût été enviée par une reine, formait des
ruches jaunes sur sa poitrine. C’; mais sur lui cette dentelle était plutôt un haillon qu’un
ornement. Au milieu de ce jabot, un diamant de d’une valeur incalculable scintillait
comme le soleil. Ce luxe suranné, ce trésor intrinsèque et sans goût, faisaient encore
mieux ressortir la figure de cet être bizarre: le . Le cadre était digne du portrait. Ce visage
noir était anguleux et creusé dans tous les sens. Le menton était creux; les tempes, étaient
creuses; les yeux, étaient perdus en de jaunâtres orbites. Les os maxillaires, rendus
saillanssaillants par une maigreur indescriptible, dessinaient des cavités au milieu de
chaque joue. Ces gibbosités, plus ou moins éclairées par les lumières,
produisaientproduisirent des ombres et des reflets curieux qui achevaient d’ôter à ce
visage les caractères de la face humaine. Puis, les années avaient si fortement collé sur les
os la peau jaune et fine de ce visage qu’elle y décrivait partout une multitude de rides,
tantôt ou circulaires, comme les replis de l’eau troublée par un caillou que jette un
enfant; tantôt, ou étoilées comme une fêlure de vitre; ou droites;, mais toujours profondes
et aussi pressées que les feuillets dans la tranche d’un livre. Quelques vieillards nous
présentent souvent des portraits plus hideux; mais ce qui contribuait le plus à donner
l’apparence d’une création artificielle au spectre survenu devant nous, c’était le rouge et
le blanc dont il reluisait. Les sourcils de son masque recevaient de la lumière un lustre qui
révélait une peinture très-bien exécutée. Heureusement pour la vue, attristée de tant de
ruines, son crâne cadavéreux était caché sous une perruque blonde, dont les boucles
innombrables trahissaient une prétention extraordinaire. Du reste, la coquetterie féminine
de ce personnage fantasmagorique était assez énergiquement annoncée par les boucles
d’or qui pendaient à ses oreilles, par les anneaux dont ses doigts ossifiés faisaient briller
les admirables pierreries brillaient à ses doigts ossifiés, et par une chaîne de montre qui
scintillait comme les chatons d’une rivière au cou d’une femme. Enfin, cette espèce
d’idole japonaise conservait sur ses lèvres bleuâtres un rire fixe et arrêté, un rire
implacable et goguenard, comme celui d’une tête de mort. Elle était là, silencieuse, avec
l’immobilité d’uneSilencieuse, immobile autant qu’une statue; mais exhalant, elle
exhalait l’odeur musquée des vieilles robes que les héritiers d’une duchesse exhument de
ses tiroirs, pendant un inventaire.¶ Si le vieillard tournait les yeux vers l’assemblée, il
semblait que les mouvemensmouvements de ces globes incapables de réfléchir une lueur
se fussent accomplis par un artifice imperceptible,; et quand les yeux s’arrêtaient, celui
qui les examinait finissait par douter qu’ils eussent remué.¶– Et – voir Voir, auprès de ces
débris humains –, une jeune femme dont le cou, les bras et le corsage étaient nus et
blancs; dont les formes pleines et verdoyantes de beauté, dont les cheveux bien plantés
sur un front d’albâtre, inspiraient l’amour, dont les yeux ne recevaient pas, mais
répandaient la lumière;, qui était toute vie, toute suave, toute fraîche, et dont les boucles
vaporeuses, dont l’haleine embaumée, semblaient trop lourdes, trop dures, trop puissantes
pour cette ombre, pour cet homme en poussière...C’était ; ah! c’était bien la mort et la vie,
ma pensée, une arabesque imaginaire, une chimère moitié hideuse, à moitié suave....,
divinement femelle par le corsage.¶
– Il y a pourtant de ces mariages-là qui s’accomplissent assez souvent dans le
monde!..., me dis-je.¶
– Il sent le cimetière..., s’écria la jeune femme épouvantée.¶Elle qui me pressa
comme pour s’assurer de ma protection, et les mouvemensdont les mouvements
tumultueux de son sein me dirent qu’elle avait grand’peur.¶– – – C’est une horrible
vision!..., reprit-elle, je ne saurais rester là plus long-temps. Si je le regarde encore, je
croirai que la Mortmort elle-même est venue me chercher... Mais vit-il?...¶?¶
Elle porta la main sur le phénomène avec cette hardiesse que les femmes puisent dans
la violence de leurs désirs; mais une sueur froide sortit de ses pores. Aussitôt, car aussitôt
qu’elle eut touché le vieillard, elle entendit un cri semblable à celui d’une crécelle. Cette
aigre voix, si c’était une voix, s’échappa d’un gosier presque desséché... Puis, à cette
clameur, succéda vivement une petite toux d’enfant, convulsive et d’une sonorité
particulière...¶ A ce bruit, Marianina, Filippo et madame de Lanty jetèrent les yeux sur
nous, et leurs regards furent comme des éclairs!...¶– . La jeune femme aurait voulu être au
fond de la Seine. Elle prit mon bras et m’entraîna vers un boudoir... Hommes et femmes,
tout le monde nous fit place. Parvenus au fond des appartemensappartements de
réception, nous entrâmes dans un petit cabinet demi-circulaire. Ma compagne se jeta sur
un divan, palpitante d’effroi, et sachant à peinesans savoir où elle était.¶
– Madame, vous êtes folle?, lui dis-je.¶
– Mais, reprit-elle après un moment de silence pendant lequel je l’admirai, est-ce ma
faute?... Pourquoi madame de Lanty laisse-t-elle errer des revenansrevenants dans son
hôtel?...¶?¶
– Allons, répondis-je, vous faites commeimitez les sots!.... Vous prenez un petit
vieillard pour un spectre.¶
– Taisez-vous!..., répliqua-t-elle avec cet air imposant et railleur que toutes les
femmes savent si bien prendre quand elles veulent avoir raison.¶– Quel Le joli boudoir!...
s’écria-t-elle en regardant autour d’elle. Le satin bleu fait toujours à merveille, en
tenture!.... Est-ce frais!¶– – Ah! le beau tableau,! ajouta-t-elle en se levant, et allant se
mettre en face d’une toile magnifiquement encadrée.¶
Nous restâmes pendant un moment dans la contemplation de cette merveille, qui
semblait due à quelque pinceau surnaturel. Il Le tableau représentait Adonis étendu sur
une peau de lion. La lampe, suspendue au milieu du boudoir, et contenue dans un vase
d’albâtre, illuminait alors ce tableau cette toile d’une lueur douce qui nous permit d’en de
saisir toutes les beautés de la peinture.¶
– Un être aussi parfait existe-t-il?... me demanda-t-elle, après avoir examiné, non sans
un doux sourire de contentement, la grâce exquise des contours, la pose, la couleur, les
cheveux, tout enfin...¶
– Il est trop beau pour un homme!..., ajouta-t-elle après un examen pareil à celui
qu’elle aurait fait d’une rivale.¶
Oh! comme je ressentis alors les atteintes de cette jalousie à laquelle un poëtepoète
avait essayé vainement de me faire croire! la jalousie des gravures, des tableaux, des
statues, où les artistes exagèrent la beauté humaine, par suite de la doctrine qui les porte à
tout idéaliser.¶
– C’est un portrait, lui répondis-je. Il est dû au talent de Girodet...Vien. Mais ce grand
peintre, cher aux poëtes, n’a jamais vu l’original, et votre admiration sera moins vive
peut-être quand vous saurez que cette académie a été faite d’après une statue de femme...¶
– Mais qui est-ce?...¶?¶
J’hésitai.¶
– Je veux le savoir..., ajouta-t-elle vivement.¶
– Je crois, lui dis-je, que cet Adonis représente un... un... un parent de madame de
Lanty...¶
J’eus la douleur de la voir abîmée dans la contemplation de cette figure. Elle s’assit en
silence:, je me mis auprès d’elle, et je lui pris la main sans qu’elle s’en aperçût! Oublié
pour un portrait!...¶ En ce moment le bruit léger des pas d’une femme, dont la robe
frémissait, retentit dans le silence. Nous vîmes entrer la jeune Marianina, plus brillante
encore par une admirable son expression d’innocence que par sa grâce et par sa fraîche
toilette... Elle ; elle marchait alors lentement, et tenait avec un soin maternel, avec une
filiale sollicitude, le spectre habillé qui nous avait fait fuir du salon de musique. Elle ; elle
le conduisit en le regardant avec une espèce d’inquiétude poserposant lentement ses pieds
débiles. Ils Tous deux, ils arrivèrent assez péniblement à une porte cachée dans la tenture.
Là, Marianina frappa doucement; et aussitôt . Aussitôt apparut, comme par magie, un
grand homme sec, espèce de génie familier.¶– Avant de confier le vieillard à ce gardien
mystérieux, la jeune enfant baisa respectueusement le cadavre ambulant, et sa chaste
caresse ne fut pas exempte de cette câlinerie gracieuse dont quelques femmes ont le secret
appartient à quelques femmes privilégiées.¶
– Addio, addio! disait-elle avec les inflexions les plus jolies de sa jeune voix. .¶
Elle ajouta même sur la dernière syllabe une roulade admirablement bien exécutée,
mais à voix basse, et comme pour peindre l’effusion de son cœur par une expression
poétique.¶– Le vieillard, frappé subitement par quelque souvenir, resta sur le seuil de ce
réduit secret. Alors nousNous entendîmes alors, grâce à un profond silence, le soupir
lourd qui sortit de sa poitrine; puis, tirant: il tira la plus belle des bagues dont ses doigts
de squelette étaient chargés, il et la plaça dans le sein de Maria.nina. La jeune folle se mit
à rire, reprit la bague, la glissa par-dessus son gant à l’un de ses doigts, et s’élança
vivement vers le salon, où retentirent en ce moment les préludes d’une contredanse...
Mais elle Elle nous aperçut.¶
– Ah! vous étiez là!... dit-elle en rougissant.¶
Elle nous regarda d’abord Après nous avoir regardés comme pour nous interroger;
puis, elle courut à son danseur avec l’insouciante pétulance de son âge.¶
– Qu’est-ce que cela veut dire?... me demanda ma jeune partenaire. Est-ce son mari?...
Je crois rêver... Où suis-je?...¶?¶
– Vous! répondis-je, vous, madame, qui êtes exaltée et qui, comprenant si bien les
émotions les plus imperceptibles, savez cultiver, dans un cœur d’homme, le plus délicat
des sentimenssentiments, sans le flétrir, sans le briser dès le premier jour... Vous , vous
qui avez pitié des peines du cœur, et qui, à l’esprit d’une Parisienne, joignez une âme
passionnée digne de l’Italie ou de l’Espagne...¶
Elle vit bien que mon langage était empreint d’une ironie amère. Alors; et, alors, sans
avoir l’air d’y prendre garde, elle m’interrompit pour dire:¶– –: – Oh! vous me faites à
votre goût..... Singulière tyrannie!... Vous voulez que je ne sois pas moi.¶
– Oh! je ne veux rien, m’écriai-je épouvanté de son attitude sévère; mais au . Au
moins est-il vrai que vous aimez à entendre raconter l’histoire de ces passions énergiques
enfantées dans nos cœurs par les ravissantes femmes du midi?...¶Midi?¶
– Oui: eh. Hé! bien?¶
–Eh Hé! bien!, j’irai demain soir chez vous vers neuf heures, et je vous révélerai ce
mystère...¶
– Non, répondit-elle d’un air mutin;, je veux l’apprendre sur-le-champ...¶
– Vous ne m’avez pas encore donné le droit de vous obéir quand vous dites: – Je
veux.¶
– En ce moment, répondit-elle avec une coquetterie désespérante, j’ai le plus vif désir
de connaître ce secret; mais demain –. Demain, je ne vous écouterai peut-être pas...¶
Elle sourit, et nous nous séparâmes; elle toujours aussi fière, aussi rude, quoique
veuve; et moi, toujours aussi ridicule. en ce moment que toujours. Elle eut l’audace de
valser avec un jeune aide -de -camp, et je restai tour à tour fâché, boudeur, admirant,
aimant, jaloux.¶
– A demain, me dit-elle vers deux heures du matin, quand elle sortit du bal.¶
– Je n’irai pas, pensais-je, et je t’abandonne; car tu. Tu es plus capricieuse, plus
fantasque mille fois peut-être –... que mon imagination.¶
II.¶
UNE PASSION D’ARTISTE.¶
Les femmes soupçonnent-elles la force d’une vraie passion dans un cœur d’homme?¶
¶
– LE Le lendemain, nous étions devant un bon feu, dans un petit salon élégant, assis
tous deux:; elle, sur une causeuse; moi, sur des coussins, presque à ses pieds, et – mon œil
sous le sien. La rue était silencieuse. La lampe jetait une clarté douce. C’était une de ces
soirées délicieuses à l’âme, un de ces momensmoments qui ne s’oublient jamais, une de
ces heures passées dans la paix et le désir, et dont, plus tard, nous regrettons le charme est
toujours un sujet de regret, même quand nous nous trouvons plus heureux; car rien ne
saurait. Qui peut effacer la vive empreinte des premières sollicitations de l’amour.¶?¶
– Allons, dit-elle, j’écoute!...¶
– Mais je n’ose commencer... L’aventure a des passages dangereux pour le
narrateur..... Si je m’enthousiasme, vous me ferez taire?...¶
– Parlez?...¶
– J’obéis.................¶
¶
– Ernest-Jean SARRASINEarrasine était le seul fils d’un procureur de la FrancheComté., repris-je après une pause. Son père avait assez loyalement gagné 6 à 8,000 six à
huit mille livres de rentes, fortune de praticien qui, jadis, en province, passait pour
colossale. Le vieux maître Sarrasine, n’ayant qu’un enfant, ne voulut rien négliger pour
son éducation, il espérait en faire un magistrat, et vivre assez long-temps pour voir, dans
ses vieux jours, le petit-fils de MathieuMatthieu Sarrasine, laboureur au pays de SaintDié, s’asseoir sur les lis et dormir à l’audience pour la plus grande gloire du parlement
Parlement; mais le ciel ne réservait pas cette joie au procureur.¶ Le jeune Sarrasine,
confié de bonne heure aux Jésuites, donna les preuves d’une turbulence peu commune. Il
eut l’enfance d’un homme de talent. Ne voulant Il ne voulait étudier qu’à sa guise, il se
révoltait souvent, et restait parfois des heures entières plongé dans de confuses
méditations, occupé, tantôt à contempler ses camarades quand ils jouaient, tantôt à se
représenter les héros d’Homère. Puis, s’il lui arrivait de se divertir, il mettait une ardeur
extraordinaire dans ses jeux. Lorsqu’une lutte s’élevait entre un camarade et lui, rarement
le combat finissait sans qu’il y eût du sang répandu; et s’il . S’il était le plus faible, il
mordait. Tour à tour agissant ou passif, sans aptitude ou merveilleusement trop
intelligent, son caractère bizarre le fit redouter de ses maîtres autant que de ses
camarades. Au lieu d’apprendre les élémenséléments de la langue grecque, il dessinait le
révérend père qui leur expliquait un passage de Thucydide, ou il croquait le maître de
mathématiques, le préfet, les valets, le correcteur, barbouillantet barbouillait tous les murs
d’esquisses informes...¶ Au lieu de chanter les louanges du Seigneur à l’église, il
s’amusait, pendant les offices, à déchiqueter un banc; ou, quand il s’était précautionné
d’un avait volé quelque morceau de bois, il sculptait quelque figure de sainte. Si le bois,
la pierre ou le crayon lui manquaient, il rendait ses idées avec de la mie de pain; et, soit.
Soit qu’il copiât les personnages des tableaux qui garnissaient le chœur, soit qu’il
improvisât, il laissait toujours à sa place de grossières ébauches, dont le caractère
licencieux désespérait les plus jeunes pères; car et les médisansmédisants prétendaient
que les vieux Jésuitesjésuites en souriaient.¶ Enfin, s’il faut en croire la chronique du
collége, il fut chassé, pour avoir, en attendant son tour au confessionnal, un vendredi
saint, sculpté une grosse bûche en forme de Christ. L’impiété gravée sur cette statue était
trop forte pour ne pas attirer un châtiment à l’artiste. N’avait-il pas eu l’audace de placer
sur le haut du tabernacle cette figure passablement cynique!¶ Sarrasine vint chercher à
Paris un refuge contre les menaces de la malédiction paternelle. Ayant une de ces
volontés fortes qui ne connaissent pas d’obstacles, il obéit aux ordres de son génie et
entra dans l’atelier de Bouchardon. Il travaillait pendant toute la journée;, et, le soir, allait
mendier sa subsistance.¶ Bouchardon, émerveillé des progrès et de l’intelligence du jeune
artiste, devina bientôt la misère dans laquelle se trouvait son élève. Il ; il le secourut, le
prit en affection, et le traita même comme son enfant. Puis, lorsque le génie de Sarrasine
se fut dévoilé par une de ces œuvres où le talent à venir lutte contre l’effervescence de la
jeunesse, le généreux Bouchardon essaya de le remettre dans les bonnes grâces du vieux
procureur.¶ Devant l’autorité du sculpteur célèbre le courroux paternel s’apaisa.
Besançon tout entier se félicita d’avoir donné le jour à un grand homme futur; et, dans .
Dans le premier moment d’extase où le plongea sa vanité flattée, le praticien avare mit
son fils en état de paraître avec avantage dans le monde.¶ Les longues et laborieuses
études exigées par la sculpture domptèrent pendant long-temps le caractère impétueux et
le génie sauvage de Sarrasine. Bouchardon, prévoyant la violence avec laquelle les
passions se déchaîneraient dans cette jeune âme, peut-être aussi vigoureusement trempée
que celle de Michel-Ange, en étouffa l’énergie sous des travaux continus. Il réussit à
maintenir dans de justes bornes la fougue extraordinaire de Sarrasine; soit, en lui
défendant de travailler, et en lui proposant des distractions quand il le voyait emporté par
la furie de quelque pensée; soit , ou en lui confiant d’importansd’importants travaux au
moment où il était prêt à se livrer à la dissipation. Mais, auprès de cette âme passionnée,
la douceur fut toujours la plus puissante de toutes les armes;, et le maître ne prit un grand
empire sur son élève qu’en en excitant la reconnaissance par une bonté paternelle.¶ A
l’âge de vingt-deux ans, Sarrasine fut forcément soustrait à la salutaire influence que
Bouchardon exerçait sur ses mœurs et sur ses habitudes. Il porta les peines de son génie
en gagnant le prix de sculpture fondé par M. le marquis de Marigny.¶, le frère de madame
de Pompadour, qui fit tant pour les Arts. Diderot vanta, comme un chef-d’œuvre, la statue
de l’élève de Bouchardon. Ce ne fut pas sans une profonde douleur que le sculpteur du roi
vit partir pour l’Italie un jeune homme dont, par principe, il avait entretenu l’ignorance
profonde sur les choses de la vie.¶ Sarrasine était depuis six ans le commensal de
Bouchardon; et, fanatique. Fanatique de son art comme Canova le fut depuis, il se levait
au jour, entrait dans l’atelier pour n’en sortir qu’à la nuit, et ne vivantvivait qu’avec la
Muse!...sa muse. S’il allait à la Comédie-Française, il y était entraîné par son maître. Il se
sentait si gêné chez madame Geoffrin et dans le grand monde où Bouchardon essaya de
l’introduire, qu’il préféra rester seul, et répudia les plaisirs de cette époque licencieuse.¶ Il
n’eut pas d’autre maîtresse que la Sculpture et... Clotilde, l’une des célébrités de l’Opéra.
Encore cette intrigue ne dura guère.-t-elle pas. Sarrasine était assez laid, toujours mal
mis;, et, de sa nature si libre, si peu régulier dans sa vie privée, que l’illustre nymphe,
redoutant quelque catastrophe, rendit bientôt le sculpteur à l’amour des arts.Arts. Sophie
ArnoultArnould a dit je ne sais quel bon mot à ce sujet. Elle s’étonna, je crois, que sa
camarade eût pu l’emporter sur des statues.¶ Sarrasine partit pour l’Italie en 1758.
Pendant le voyage, son imagination ardente s’enflamma sous un ciel de cuivre et à
l’aspect des monumensmonuments merveilleux dont est semée la patrie des arts est
semée.Arts. Il admira les statues, les fresques, les tableaux; et, plein d’émulation, il vint à
Rome, en proie au désir d’inscrire son nom entre les noms de Michel-Ange et de
Monsieurmonsieur Bouchardon. Aussi, pendant les premiers jours, il partagea-t-il son
temps entre ses travaux d’atelier et l’examen des œuvres d’art qui abondent à Rome.¶ Il
avait déjà passé quinze jours dans l’état d’extase qui saisit toutes les jeunes imaginations
à l’aspect de la reine des ruines, quand, un soir, il entra au théâtre d’Argentina, devant
lequel se pressait une grande foule. Il s’enquit des causes de cette affluence, et le monde
répondit par deux noms: – Zambinella! Jomelli!¶ Il entre et s’assied au parterre, pressé
par deux abbati notablement gros; mais il était assez heureusement placé près de la scène.
La toile se leva; et, pour. Pour la première fois de sa vie, il entendit cette musique dont
M.monsieur Jean-Jacques Rousseau lui avait si éloquemment vanté les délices, pendant
une soirée du baron d’Holbach. Les sens du jeune sculpteur furent, pour ainsi dire,
lubrifiés par les accensaccents de la sublime harmonie de Jomelli. Les langoureuses
originalités de ces voix italiennes habilement mariées le plongèrent dans une ravissante
extase. Il resta muet, immobile, ne se sentant pas même foulé par deux prêtres. Son âme
passa dans ses oreilles et dans ses yeux. Il crut écouter par chacun de ses pores...¶ Tout à
coup des applaudissemensapplaudissements à faire crouler la salle accueillirent l’entrée
en scène de la prima donna... Elle s’avança par coquetterie sur le devant du théâtre, et
salua le public avec une grâce infinie.¶ Les lumières, l’enthousiasme de tout un peuple,
l’illusion de la scène, les prestiges d’une toilette qui, à cette époque, était assez
engageante, conspirèrent en faveur de cette femme... Sarrasine poussa un cri des cris de
plaisir.¶ Il admirait en ce moment la beauté idéale dont de laquelle il avait jusqu’alors
cherché çà et là les perfections, çà et là, dans la nature: , en demandant à un modèle,
souvent ignoble, les rondeurs d’une jambe accomplie; à tel autre, les contours du sein; à
celui-là, ses blanches épaules; prenant enfin le cou d’une jeune fille, et les mains de cette
autrefemme, et les genoux polis de celle-là... mais – ne rencontrantcet enfant, sans
rencontrer jamais sous le ciel froid de Paris les riches et suaves créations de la Grèce
antique. Et la La Zambinella lui montrait réunies, et bien vivantes, et délicates, ces
exquises proportions de la nature féminine si ardemment désirées, dontdesquelles un
sculpteur est, tout à la fois, le juge le plus sévère et le plus passionné.¶ C’était... une
bouche expressive, des yeux d’amour, un teint d’une blancheur éblouissante... Et joignez
à ces détails –, qui eussent ravi un peintre –, toutes les merveilles des Vénus
rêvéesrévérées et rendues par le ciseau des Grecs!...... L’artiste ne se lassait pas d’admirer
la grâce inimitable avec laquelle les bras étaient attachés au buste, la rondeur prestigieuse
du cou, les lignes harmonieusement décrites par les sourcils, par le nez..., puis – l’ovale
parfait du visage, la pureté de ses contours vifs, et l’effet des de cils fournis, recourbés,
qui terminaient de larges et voluptueuses paupières..... C’était plus qu’une femme, c’était
un chef-d’œuvre!... Il y avait –se trouvait dans cette création inespérée –, de l’amour à
ravir tous les hommes, et des beautés dignes de satisfaire un critique... Sarrasine dévorait
des yeux la statue de Pygmalion, pour lui descendue de son piédestal.¶ Quand la
Zambinella chanta..., ce fut un délire!.... L’artiste eut froid; puis, il sentit un foyer qui
pétilla soudain dans les profondeurs de son être intime, de ce que nous nommons le cœur,
faute de mot!... Il n’applaudit pas, il ne dit rien, car il éprouvait un mouvement de folie, –
espèce de frénésie qui ne nous agite qu’à cet âge où le désir a je ne sais quoi de terrible et
d’infernal.¶ Sarrasine voulait s’élancer sur le théâtre et s’emparer de cette femme..... Sa
force, centuplée par une dépression morale impossible à expliquer, puisque ces
phénomènes se passent dans une sphère inaccessible à l’observation humaine, tendait à se
projeter avec une violence douloureuse. A le voir, on eût dit d’un homme froid et
stupide.¶ Gloire, science, avenir, existence, couronnes!..., tout s’écroula. – Etre aimé
d’elle –, ou – mourir!....., tel fut l’arrêt que Sarrasine porta sur lui-même.¶ Il était si
complétement ivre qu’il ne voyait plus ni salle, ni spectateurs, ni acteurs, n’entendait plus
de musique. Bien mieux, il n’existait pas de distance entre lui et la Zambinella. Il , il la
possédait. Ses , ses yeux, attachés sur elle, s’emparaient d’elle. Une puissance presque
diabolique lui permettait de sentir le vent de sacette voix, de respirer la poudre embaumée
dont ses ces cheveux étaient imprégnés, de voir les méplats de son ce visage, d’y compter
les veines bleues qui en nuançaient la peau satinée!...... Enfin cette voix agile, fraîche et
d’un timbre argenté, agile – et souple comme un fil auquel le moindre souffle d’air donne
une forme, qu’il roule et déroule, développe et disperse, – cette voix attaquait si vivement
son âme qu’il laissa plus d’une fois échapper de ces cris involontaires arrachés par les
délices convulsives trop rarement données par les passions humaines...¶ Bientôt il fut
obligé de quitter le théâtre. Ses jambes tremblantes refusaient presque de le soutenir. Il
était abattu, faible comme un homme nerveux qui s’est livré à quelque effroyable colère.
Il avait eu tant de plaisir –, ou peut-être il avait -il tant souffert –, que sa vie s’était
écoulée comme l’eau d’un vase heurté.renversé par un choc. Il sentait en lui un vide, un
anéantissement semblable à ces atonies qui désespèrent les convalescensconvalescents au
sortir d’une forte maladie.¶ Envahi par une tristesse inexplicable, il alla s’asseoir sur les
marches d’une église; et. Là, le dos appuyé contre une colonne, il se perdit dans une
méditation aussi confuse qu’comme un rêve... La passion l’avait foudroyé.¶ De retour au
logis, il tomba dans un de ces paroxismesparoxysmes d’activité qui nous révèlent la
présence de principes nouveaux dans notre existence. Il fut en En proie à cette première
fièvre d’amour qui tient autant au plaisir qu’à la douleur; et, alors, il trompa voulut
tromper son impatience et son délire en dessinant la Zambinella de mémoire. Ce fut une
sorte de méditation matérielle. Sur telle feuille, la Zambinella se trouvait dans cette
attitude, calme et froide en apparence, affectionnée par Raphaël, par le Giorgion et par
tous les grands peintres; sur. Sur telle autre, elle tournait la tête avec finesse en achevant
une roulade... elle , et semblait s’écouter elle-même. Enfin Sarrasine la crayonna sa
maîtresse dans toutes les poses: il la fit sans voile, assise, debout, couchée, ou chaste ou
amoureuse; , en réalisant, grâce au délire de ses crayons, toutes les idées capricieuses par
lesquellesqui sollicitent notre imagination est sollicitée quand nous pensons fortement à
une maîtresse. Mais sa pensée furieuse alla plus loin que le dessin. Il voyait la
Zambinella, lui parlait, la suppliait, épuisait mille années de vie et de bonheur avec elle,
en la plaçant dans toutes les situations, imaginables, en essayant, pour ainsi dire, l’avenir
avec elle!¶. Le lendemain, il envoya son laquais louer, pour toute la saison, une loge
voisine de la scène; puis. Puis, comme tous les jeunes gens dont l’âme est puissante, il
s’exagéra les difficultés de son entreprise, et donna, pour première pâture, à sa passion, le
bonheur de pouvoir admirer sa maîtresse sans obstacles.¶ Cet âge d’or de l’amour,
pendant lequel nous jouissons de notre propre sentiment, et où nous nous trouvons
heureux presque par nous-mêmes, ne devait pas durer long-temps chez Sarrasine; mais les
événemens. Cependant les événements le surprirent quand il était encore sous le charme
de cette printanière hallucination, aussi naïve que voluptueuse.¶ Pendant une huitaine de
jours, il vécut toute une vie, occupé le matin à pétrir la glaise à l’aide de laquelle il
réussissait à copier la Zambinella, malgré les voiles, les jupes, les corsets et les nœuds de
rubans qui la lui dérobaient; et, le . Le soir, installé de bonne heure dans sa loge, seul,
couché sur un sofa, il se faisait, semblable à un Turc enivré d’opium, un bonheur aussi
fécond, aussi prodigue qu’il le souhaitait. D’abord il se familiarisa graduellement avec les
émotions trop vives que lui donnait le chant de sa maîtresse; puis il apprivoisa ses yeux à
la voir, et finit par la contempler la donna sans redouter l’explosion de la sourde rage
dont par laquelle il avait été animé le premier jour. Sa passion devint plus profonde, en
devenant plus tranquille.¶– Du reste, Sarrasine était le farouche. Il sculpteur ne souffrait
pas que sa solitude, peuplée d’images, d’espérancesparée des fantaisies de l’espérance et
pleine de bonheur, fût troublée même par ses camarades. Il aimait avec tant de force et si
naïvement qu’il eut à subir les innocensinnocents scrupules dont nous sommes assaillis
quand nous aimons pour la première fois. Ainsi, En commençant à entrevoir qu’il faudrait
bientôt agir, s’intriguer, demander où demeurait la Zambinella, savoir si elle avait une
mère, un oncle, un tuteur, une famille; en songeant enfin aux moyens de la voir, de lui
parler; alors –, il sentait son cœur se gonfler si fort à des idées aussi ambitieuses de
bonheur, qu’il remettait ces soins au lendemain, aussi heureux de ses souffrances
physiques autant que de ses plaisirs intellectuels.¶
– Mais, me dit madame de F***Rochefide en m’interrompant, je ne vois encore ni
Marianina ni, son petit vieillard?...¶
– Vous ne voyez que lui!, m’écriai-je, impatienté comme un auteur auquel on fait
manquer l’effet d’un vers final...¶ Je repris.¶coup de théâtre. Depuis quelques jours,
repris-je après une pause, Sarrasine était si fidèlement venu s’installer dans sa loge, et ses
regards exprimaient tant d’amour, que sa passion pour la voix de Zambinella aurait été la
nouvelle de tout Paris, si cette aventure s’y fût passée; mais en Italie, madame, au
spectacle, chacun y assiste pour son compte, avec ses passions, avec un intérêt de cœur
qui excluentexclut l’espionnage des lorgnettes. Cependant la frénésie du sculpteur ne
devait pas échapper long-temps aux regards des chanteurs et des cantatrices. Aussi, un Un
soir, le Français s’aperçut qu’on riait de lui dans les coulisses...¶ Il eût été difficile de
savoir à quelles extrémités il se serait porté, si la Zambinella n’était pas entrée en scène.
Elle jeta sur Sarrasine un des coups d’œil éloquenséloquents qui disent souvent beaucoup
plus de choses que les femmes ne le veulent. Ce regard fut toute une révélation! –.
Sarrasine était aimé!...¶– – Si ce n’est qu’un caprice, pensa-t-il en accusant déjà sa
maîtresse de trop d’ardeur, elle ne connaît pas la domination sous laquelle elle va
tomber!.... Son caprice durera, j’espère, autant que ma vie!...¶. En ce moment, trois coups
légèrement frappés à la porte de la sa loge excitèrent l’attention de l’artiste. Il ouvrit. Une
vieille femme entra mystérieusement.¶– – Jeune homme!..., dit-elle, si vous voulez être
heureux, ayez de la prudence, enveloppez-vous d’une cape, abaissez sur vos yeux un
grand chapeau; puis, vers dix heures du soir, trouvez-vous dans la rue du Corso, devant
l’hôtel d’Espagne...¶– – J’y serai!..., répondit-il en mettant deux louis dans la main ridée
de la duègne.¶ Il s’échappa de sa loge, après avoir fait un signe d’intelligence à la
Zambinella, qui baissa timidement ses voluptueuses paupières, comme une femme
heureuse d’être enfin comprise... et Puis il courut chez lui, afin d’emprunter à la toilette
toutes les séductions qu’elle voudraitpourrait lui prêter.¶ En sortant du théâtre, un
inconnu l’arrêta par le bras.¶– – Prenez garde à vous, seigneur Français!..., lui dit-il à
l’oreille. Il s’agit de vie et de mort... Le cardinal Cicognara est son protecteur...¶, et ne
badine pas. Quand un démon aurait mis entre Sarrasine et la Zambinella les profondeurs
de l’enfer..., en ce moment, il eût tout traversé d’une enjambée. Semblable aux chevaux
des immortels dont peints par Homère a décrit le pas, l’amour du sculpteur avait franchi
en un clin d’œil d’immenses espaces.¶– – La mort dût-elle m’attendre au sortir de la
maison, j’irais encore plus vite!..., répondit-il.¶– – Poverino!... s’écria l’inconnu en
disparaissant.¶ Parler de dangers à un amoureux, n’est-ce pas lui vendre des plaisirs?...¶
Jamais le laquais de Sarrasine n’avait vu son maître si minutieux en fait de toilette!.... Sa
plus belle épée, présent de Bouchardon, le nœud que Clotilde lui avait donné, son habit
pailleté, son gilet de drap d’argent, sa tabatière d’or, ses montres précieuses, tout fut tiré
des coffres, et il se para comme une jeune fille qui doit se promener devant son premier
amant.¶ A l’heure dite, ivre d’amour et bouillant d’espérance, Sarrasine, le nez dans son
manteau, courut au rendez-vous donné par la vieille. La duègne attendait.¶– – Vous avez
bien tardé!... lui dit-elle. – Venez?¶ Alors elle . Elle entraîna le Français dans plusieurs
petites rues, et s’arrêta devant un palais d’assez belle apparence. Elle frappa. La porte
s’ouvrit. ConduisantElle conduisit Sarrasine à travers un labyrinthe d’escaliers, de
galeries et d’appartemensd’appartements qui n’étaient éclairés que par les lueurs
incertaines de la lune, elle et arriva bientôt à une porte, entre les fentes de laquelle
s’échappaient de vives lumières, et d’où partaient les de joyeux éclats de plusieurs voix.¶
Tout à coup Sarrasine fut ébloui, quand, sur un mot de la vieille, il fut admis dans ce
mystérieux appartement... Il , et se trouva dans un salon aussi brillamment éclairé et que
somptueusement meublé, au milieu duquel s’élevait une table bien servie, chargée de
sacro-saintes bouteilles, de riansriants flacons dont les facettes rougies étincelaient. Il
reconnut les chanteurs et les cantatrices du théâtre, mêlés à des femmes charmantes.
C’était, tous prêts à commencer une orgie toute prête, une médianoche d’artistes qui
n’attendaientn’attendait plus que lui...¶ Sarrasine réprima un mouvement de dépit, et fit
bonne contenance. Il avait espéré une chambre mal éclairée, sa maîtresse auprès d’un
brasier, un jaloux à deux pas, la mort et l’amour, des confidences échangées à voix basse,
cœur à cœur, des baisers périlleux, et – les visages si voisins –, que les cheveux de la
Zambinella eussent caressé son front chargé de désirs, brûlant de bonheur...¶– – Vive la
folie! s’écria-t-il, signori. Signori e belle donne, vous me permettrez de prendre plus tard
ma revanche, et de vous témoigner ma reconnaissance pour la manière dont vous
accueillez un pauvre sculpteur...¶ Puis, après Après avoir reçu les
complimenscompliments assez affectueux de la plupart des personnes présentes, qu’il
connaissait de vue, il tâcha de s’approcher de la bergère sur laquelle la Zambinella était
nonchalamment étendue.¶– Oh! comme son cœur battit quand il aperçut un pied mignon,
chaussé de ces mules qui –, permettez-moi de le dire, madame – , donnaient, jadis, au
pied des femmes une expression si coquette, si voluptueuse, que je ne sais pas comment
les hommes y pouvaient résister. Les bas blancs bien tirés et à coins verts, les jupes
courtes, les mules pointues et à talons hauts du règne de Louis XV ont peut-être un peu
contribué à démoraliser l’Europe et le clergé.....¶
– Un peu!... dit-elle. la marquise. Vous n’avez donc rien lu?...¶?¶
– La Zambinella, repris-je en souriant, s’était effrontément croisé les jambes, et agitait
en badinant celle qui se trouvait dessus..., attitude de duchesse, qui allait
miraculeusementbien à son genre de beauté; car elle était capricieuse, et affectait pleine
d’une certaine mollesse engageante. Elle avait quitté ses habits de théâtre, et portait un
corps qui dessinait une taille svelte. et que faisaient valoir des paniers et une robe de satin
brodée de fleurs bleues. Sa poitrine, dont une dentelle dissimulait les trésors par un luxe
de coquetterie, étincelait de blancheur. La cantatrice était coifféeCoiffée à peu près
comme la se coiffait madame du Barry; et, sa figure, quoique surchargée d’un large
bonnet, n’en paraissait que plus mignonne. La , et la poudre lui seyait merveilleusement
bien. Du reste, elle portait des paniers et une robe de satin, brodée de fleurs bleues. La
voir ainsi, c’était l’adorer.¶ Elle sourit gracieusement au sculpteur, qui. Sarrasine, tout
mécontent de ne pouvoir lui parler que devant témoins, s’assit poliment auprès d’elle, et
l’entretint de musique, en la louant sur son prodigieux talent; mais – la sa voix de
Sarrasine tremblait d’amour, de crainte et d’espérance.¶– – Que craignez-vous?... lui dit
Vitagliani, le chanteur le plus célèbre de la troupe. Allez, vous n’avez pas un seul rival à
craindre ici.¶ Puis il Le Ténor sourit silencieusement; et ce . Ce sourire se répéta sur les
lèvres de tous les convives, dont l’attention avait une certaine malice cachée dont un
amoureux ne devait guère pas s’apercevoir.¶ un amoureux. Cette publicité fut comme un
coup de poignard que Sarrasine aurait soudainement reçu dans le cœur. Quoique doué
d’une certaine force de caractère, et bien qu’aucune circonstance ne dût influer sur son
amour, il n’avait peut-être pas encore songé que Zambinella était presque une courtisane,
et qu’il ne pouvait pas avoir, tout à la fois, les jouissances pures qui rendent l’amour
d’une jeune fille chose si délicieuse, et les emportemensemportements fougueux par
lesquels une femme de théâtre fait acheter les trésors de sa passion.¶ Il réfléchit, et se
résigna.¶ Le souper fut servi. Sarrasine et la Zambinella se mirent sans cérémonie à côté
l’un de l’autre.¶ Pendant la moitié du festin, les artistes ayant gardégardèrent quelque
mesure, et le sculpteur essaya deput causer avec la cantatrice. Il lui trouva de l’esprit, de
la finesse; mais elle était d’une ignorance surprenante, et se montra faible, et
superstitieuse. La délicatesse de ses organes se reproduisait dans son entendement.¶
Quand Vitagliani déboucha la première bouteille de vin de Champagne, Sarrasine lut
dans les yeux de sa voisine une crainte assez vive de la petite détonation produite par le
dégagement du gaz. Le tressaillement involontaire de cette organisation féminine fut
interprété par l’amoureux artiste comme l’indice d’une excessive sensibilité.¶ Cette
faiblesse charma le Français. Il entre tant de protection dans l’amour d’un homme!¶– –
Vous disposerez de ma puissance comme d’un bouclier!... est une Cette phrase n’est-elle
pas écrite au fond de toutes les déclarations d’amour.¶? Sarrasine, trop passionné pour
débiter des galanteries à la belle Italienne, était, comme tous les amansamants, tour à tour
grave, rieur ou recueilli; puis, il feignait d’. Quoiqu’il parût écouter les convives, et il
n’entendait pas un mot,adonné tout entier de ce qu’ils disaient, tant il s’adonnait au plaisir
de se trouver près d’elle..., de lui effleurer la main, de la servir... Il nageait dans une joie
secrète.....¶ Quoique ses yeux et ceux de sa voisine eussent une rare éloquence Malgré
l’éloquence de quelques regards mutuels, il fut étonné de la réserve dans laquelle la
Zambinella se tint avec lui. Elle avait bien commencé la première à lui presser le pied et à
l’agacer avec la malice d’une femme libre et amoureuse; mais – soudain, elle s’était
enveloppée dans une modestie de jeune fille, après avoir entendu raconter par Sarrasine
un trait de sa vie, qui peignit une l’excessive violence de son caractère.¶ Quand le souper
devint une orgie, les convives se mirent à chanter, inspirés par le Peraltaperalta et le
Perdro Ximenès.pedro ximenès. Ce furent des duos ravissansravissants, des airs de la
Calabre, des seguidilles espagnoles, des canzonettes napolitaines. L’ivresse était dans
tous les yeux, dans la musique, dans les cœurs et dans la les voix. Il y avait déborda tout à
coup une vivacité enchanteresse, un abandon cordial, une bonhomie italienne dont rien ne
peut donner l’idée à ceux qui ne connaissent que les assemblées de Paris, les raouts de
Londres ou les cercles de Vienne.¶ Les plaisanteries et les mots d’amour se croisaient, –
comme des balles dans une bataille, – à travers les rires, les impiétés, les invocations à la
sainte Vierge ou al Bambino. L’un se coucha sur un sofa, et se mit à dormir. Une jeune
fille écoutait une déclaration sans savoir qu’elle répandait du vin de Xérès sur la
nappe.....¶ Au milieu de ce désordre, la Zambinella, comme frappée de terreur, resta
pensive. Elle refusa de boire, mangea peut-être un peu trop; mais la gourmandise est, diton, une grâce chez les femmes!¶ Sarrasine, . En admirant la pudeur de sa maîtresse,
Sarrasine fit de sérieuses réflexions pour l’avenir.¶– – Elle veut sans doute être
épousée...., se dit-il. Alors il s’abandonna aux délices du de ce mariage; car sa. Sa vie
entière ne lui semblait pas assez longue pour épuiser la source de bonheur qu’il trouvait
au fond de son âme.¶ Vitagliani, son voisin, lui versa si souvent à boire que, vers les trois
heures du matin, sans être complétement ivre, Sarrasine se trouva sans force contre son
délire. Dans un moment de fougue, il emporta cette femme légère, et se sauvaen se
sauvant dans une espèce de boudoir qui communiquait au salon, et sur la porte duquel il
avait plus d’une fois tourné les yeux.¶ L’Italienne était armée d’un poignard.¶– – Si tu
approches....., dit-elle, je serai forcée de te plonger cette arme dans le cœur..... Va! tu me
mépriserais!.... J’ai conçu trop de respect pour ton caractère... et je pour me livrer ainsi.
Je ne veux pas déchoir du sentiment que tu m’accordes.....¶– – Ah! ah! dit Sarrasine, c’est
un mauvais moyen pour éteindre une passion que de l’exciter. Es-tu donc déjà corrompue
à ce point que, vieille de cœur, tu agirais comme une jeune courtisane, qui aiguise les
émotions dont elle fait commerce?...¶– – Mais c’est aujourd’hui vendredi!..., réponditelle, effrayée de la violence du Français.¶ Sarrasine, qui n’était pas dévot, se prit à rire.
Alors – la La Zambinella, bondissant bondit comme un jeune chevreuil, et s’élança dans
la salle du festin; et quand . Quand Sarrasine, y apparut courant après elle, y apparut, il
fut accueilli par un rire infernal... Il vit la Zambinella évanouie sur un sofa. Elle était pâle
et comme épuisée par l’effort extraordinaire qu’elle venait de faire.¶ Quoique Sarrasine
sût peu d’italien, il entendit sa maîtresse disant à voix basse à Vitagliani:¶–: – Mais il me
tuera!¶ Cette scène étrange rendit le sculpteur tout confus. La raison lui revint. Il resta,
d’abord, immobile; mais, quandpuis il retrouva la parole, il s’assit auprès de sa maîtresse
et protesta de son respect. Puis, donnant Il trouva la force de donner le change à sa
passion, il lui tint en disant à cette femme les discours les plus exaltés,cherchant à ; et,
pour peindre son amour, et déployant, sans peine,il déploya les trésors de cette éloquence
presque magique, officieux interprète que les femmes refusent rarement de croire.¶ Les
Au moment où les premières lueurs du matin surprirent les convives. Alors, une dame
femme proposa d’aller à Frascati. Tous accueillirent par de vives acclamations l’idée de
passer la journée à la villa Ludovisi. Alors, Vitagliani descendit pour louer des voitures.¶
Sarrasine eut le bonheur de conduire la Zambinella dans un phaéton. Une fois sortis de
Rome, la gaîtégaieté, un moment réprimée par les combats que chacun avait livrés au
sommeil, se réveilla soudain; car, hommes. Hommes et femmes, tous paraissaient
habitués à cette vie étrange, à ces plaisirs continus, à cet entraînement d’artiste qui fait de
la vie une fête perpétuelle où l’on rit sans arrière-pensées...¶ La compagne du sculpteur
était la seule qui parût abattue.¶–Êtes – Etes-vous malade?... lui dit Sarrasine; aimeriez.
Aimeriez-vous mieux rentrer chez vous?...¶– – Je ne suis pas assez forte pour supporter
tous ces excès..., répondit-elle... J’ai besoin de grands ménagemensménagements; mais –,
près de vous, – je me sens si bien...! Sans vous, je ne serais pas restée à ce souper, car;
une nuit passée me fait perdre toute ma fraîcheur.¶– – Vous êtes si délicate!... reprit
Sarrasine en contemplant les traits mignons de cette charmante créature.¶–Et puis, les
excès – Les orgies m’abîment la voix!...¶–. – Maintenant que nous sommes seuls, s’écria
l’artiste, et que vous n’avez plus à craindre l’effervescence de ma passion, dites-moi que
vous m’aimez?...¶–. – Pourquoi?... répliqua-t-elle. A , à quoi bon?... Je vous ai semblé
jolie... Mais vous êtes Français, et votre sentiment passera... Oh! vous ne m’aimeriez pas
comme je voudrais être aimée.¶– – Comment!...¶– – Sans but de passion vulgaire,
purement!.... J’abhorre les hommes encore plus peut-être que je ne hais les femmes. – J’ai
besoin de me réfugier dans l’amitié. – Le monde est désert pour moi. – Je suis une
créature maudite..., condamnée à comprendre le bonheur, à le sentir, à le désirer, et,
comme tant d’autres, forcée de à le voir me fuir à toute heure... Souvenez-vous, seigneur,
que je ne vous aurai pas trompé... Je vous défends de m’aimer. – Je puis être un ami
dévoué pour vous, – car j’admire votre force et votre caractère. – J’ai besoin d’un frère,
d’un protecteur;. Soyez tout cela pour moi, mais – rien de plus.¶– – Ne pas vous aimer!...
s’écria Sarrasine; mais, chère ange, tu es ma vie, mon bonheur...¶–! – Si je disais un mot
vous me repousseriez avec horreur...¶– – Coquette!... rien ne peut m’effrayer... Dis-moi
que tu me coûteras l’avenir, que dans deux mois je mourrai, que je serai damné pour
t’avoir seulement embrassée...¶ Il l’embrassa, malgré les efforts que fit la Zambinella
pour se soustraire à ce baiser passionné.¶– – Dis-moi que tu es un démon, qu’il te faut ma
fortune, mon nom, toute ma célébrité.....! Veux-tu que je ne sois pas sculpteur?... Parle.¶–
– Si je n’étais pas une femme?... demanda timidement la Zambinella d’une voix argentine
et douce.¶– Oh! quelle – La bonne plaisanterie!... s’écria Sarrasine. Crois-tu pouvoir
tromper l’œil d’un artiste? N’ai-je pas, depuis dix jours, dévoré, scruté, admiré tes
ravissantes perfections?... Une femme seule peut avoir ce bras rond et moelleux, ces
contours élégans...élégants. Ah! tu veux des complimens!...¶compliments! Elle sourit
tristement, et dit en murmurant:¶–: – Fatale beauté!¶ Elle leva les yeux au ciel. En ce
moment son regard eut je ne sais quelle expression d’horreur si puissante, si vive, que
Sarrasine en tressaillit.¶– – Seigneur Français, reprit-elle, oubliez à jamais un instant de
folie!.... Je vous estime; mais, quant à de l’amour..., ne m’en demandez pas; ce sentiment
est étouffé dans mon cœur... Je n’ai pas de cœur!... s’écria-t-elle en pleurant. Le théâtre
sur lequel vous m’avez vue, ces applaudissemensapplaudissements, cette musique, cette
gloire, à laquelle on m’a condamnée... Voilà, voilà ma vie, je n’en ai pas d’autre. – Dans
quelques heures vous ne me verrez plus.¶ des mêmes yeux, la femme que vous aimez sera
morte. Le sculpteur ne répondit pas. Il était la proie d’une sourde rage qui lui pressait le
cœur. Il ne pouvait que regarder cette femme extraordinaire avec des yeux enflammés qui
brûlaient. Cette voix empreinte de faiblesse, l’attitude, les manières et les gestes de
Zambinella, marqués de tristesse, de mélancolie et de découragement, réveillaient dans
son âme toutes les richesses de la passion. Chaque parole était un aiguillon.¶ En ce
moment, ils étaient arrivés à Frascati. Quand l’artiste tendit les bras à sa maîtresse pour
l’aider à descendre, il la sentit toute frissonnante.¶– – Qu’avez-vous?... Vous me feriez
mourir!..., s’écria-t-il en la voyant pâlir, si vous aviez la moindre douleur dont je fusse la
cause même innocente!...¶–. – Un serpent!... dit-elle en montrant une couleuvre qui se
glissait le long d’un fossé... J’ai peur de ces odieuses bêtes...¶ Sarrasine écrasa la tête de
la couleuvre d’un coup de pied.¶– – Comment avez-vous assez de courage?...! reprit la
Zambinella en contemplant avec un effroi visible le reptile mort.¶– – Eh! bien!..., dit
l’artiste en souriant, oserez-vous bien prétendre que vous n’êtes pas femme?...¶ Ils
rejoignirent leurs compagnons et se promenèrent dans les bois de la villa Ludovisi, qui
appartenait alors au cardinal Cicognara. Cette matinée s’écoula trop vite pour l’amoureux
sculpteur; , mais elle fut remplie par une foule d’incidensd’incidents qui lui dévoilèrent la
coquetterie, la faiblesse, la mignardise de cette âme molle et sans énergie. C’était la
femme avec ses peurs soudaines, ses caprices sans raison, ses troubles instinctifs, ses
audaces sans cause, ses bravades et sa délicieuse finesse de sentiment...¶ Il y eut un
moment où, s’aventurant dans la campagne, la petite troupe des joyeux chanteurs vit de
loin quelques hommes armés jusqu’aux dents, et dont le costume n’avait rien de
rassurant.¶ A ce mot: – Voici des brigands!..., chacun doubla le pas pour se mettre à l’abri
dans l’enceinte de la villa du cardinal.¶ En cet instant critique, Sarrasine s’aperçut à la
pâleur de la Zambinella qu’elle n’avait plus assez de force pour marcher; alors il la prit
dans ses bras et la porta, pendant quelque temps, en courant. Quand il se fut rapproché
d’une vigne voisine, il mit sa maîtresse à terre, et lui dit:¶–. – Expliquez-moi, lui dit-il,
comment cette extrême faiblesse qui, chez toute autre femme, serait hideuse, me
déplairait, et dont la moindre preuve suffirait presque pour éteindre mon amour, en vous...
me plaît, me charme...¶–? – Oh! combien je vous aime!... reprit-il, car tous. Tous vos
défauts, vos terreurs, vos petitesses ajoutent je ne sais quelle grâce à votre âme. Je sens
que je détesterais une femme forte, une Sapho, courageuse, pleine d’énergie, de passion.
O frêle et douce créature! comment peux-tu être autrement...? Cette voix d’ange, cette
voix délicate, eût été un contre-sens si elle fût partiesortie d’un corps autre que le tien...¶–
– Je ne puis, dit-elle, vous donner aucun espoir!... –. Cessez de me parler ainsi, car l’on se
moquerait de vous... – Il m’est impossible de vous interdire l’entrée du théâtre,; mais si
vous m’aimez ou si vous êtes sage, vous n’y viendrez plus. – Écoutez, Monsieur?...
Ecoutez, monsieur, dit-elle d’une voix grave.¶– – Oh! tais-toi!..., dit l’artiste enivré. Les
obstacles attisent l’amour dans mon cœur.¶ La Zambinella resta dans une attitude
gracieuse et modeste; mais elle se tut, comme si une pensée terrible lui eût révélé quelque
malheur.¶ Quand il fallut revenir à Rome, elle monta dans une berline à quatre places, en
ordonnant au sculpteur, d’un air impérieusement cruel, d’y retourner seul avec le
phaéton.¶ Pendant le chemin, Sarrasine résolu à résolut d’enlever la Zambinella, . Il passa
toute la journée occupé à former des plans plus extravagansextravagants les uns que les
autres. A la nuit tombante, au moment où il sortit pour aller demander à quelques
personnes, où était situé le palais habité par sa maîtresse; mais, il rencontra l’un de ses
camarades sur le seuil de la porte.¶– – Mon cher, lui dit ce dernier, je suis chargé par
notre ambassadeur de t’inviter à venir ce soir chez lui... Il donne un concert magnifique;,
et quand tu sauras que Zambinella y sera...¶– – Zambinella!... s’écria Sarrasine en délire à
ce nom., j’en suis fou! – Tu es comme tout le monde, lui répondit son camarade. – Mais
si vous êtes mes amis, toi, Vien, Lauterbourg et Allegrain, vous me prêterez votre
assistance pour un coup de main après la fête...¶–, demanda Sarrasine. – Il n’y a pas de
cardinal à tuer, pas de...?¶– – Non, non, dit Sarrasine, je ne vous demande rien que
d’honnêtes gens ne puissent faire...¶ En peu de temps le sculpteur disposa tout pour le
succès de son entreprise. Il arriva l’un des derniers chez l’ambassadeur, mais il y vint
dans une voiture de voyage attelée de chevaux vigoureux menés par l’un des plus
entreprenans veturinientreprenants vetturini de Rome. Le palais de l’ambassadeur étant
plein de monde, ce ne fut pas sans peine que le sculpteur, inconnu à tous les
assistansassistants, parvint au salon où dans ce moment Zambinella chantait.¶– – C’est
sans doute par égard pour les cardinaux, les évêques et les abbés qui sont ici, demanda
Sarrasine, qu’elle est habillée en homme et, qu’elle a une bourse derrière la tête, les
cheveux crêpés et une épée au côté...¶–? – Elle!... qui Qui elle?... répondit le vieux
seigneur auquel s’adressait Sarrasine.¶– – La Zambinella!...¶–. – La Zambinella?... reprit
le prince romain. Vous moquez-vous? D’où venez-vous? Est-ce qu’une femme est il
jamais montéemonté de femme sur les théâtres de Rome? Et... ne savez-vous pas par
quelles créatures les rôles de femme sont remplis dans les étatsEtats du pape? C’est moi,
monsieur, qui ai doté Zambinella de sa voix!.... J’ai tout payé à ce drôle-là, même son
maître à chanter... Eh! bien!, il a si peu de reconnaissance du service que je lui ai rendu,
qu’il n’a jamais voulu remettre les pieds chez moi!.... Et cependant –, s’il fait fortune –, il
me la devra tout entière...¶ Le prince Chigi aurait pu parler, certes, long-temps:, Sarrasine
ne l’écoutait pas. Une affreuse vérité avait pénétré dans son âme..... Il était frappé comme
d’un coup de foudre. Il resta immobile, les yeux attachés sur le prétendu chanteur...¶ Son
regard flamboyant eut une sorte d’influence magnétique sur Zambinella, car ce dernier le
musico finit par détourner furtivementsubitement la vue vers Sarrasine, et alors sa voix
céleste s’altéra. – Il trembla!...¶ Un murmure involontaire, échappé à l’assemblée, qu’il
tenait comme attachée à ses lèvres, acheva de le troubler, et ; il s’assit, discontinuantet
discontinua son air.¶ Le cardinal Cicognara, qui avait épié du coin de l’œil la direction
que prit le regard de son protégé, aperçut alors le Français. Se penchant à l’oreille d’; il se
pencha vers un de ses aides-de-camp ecclésiastiques, il et parut demander le nom du
sculpteur. Quand il eut obtenu la réponse qu’il désirait, il contempla fort attentivement
l’artiste, et donna des ordres à un abbé, qui disparut avec prestesse.¶ Cependant
Zambinella, s’étant remis, recommença le morceau qu’il avait interrompu si
capricieusement,; mais il l’exécuta mal;, et refusa, malgré toutes les instances qui lui
furent faites, de chanter autre chose. Ce fut la première fois qu’il exerça publiquement
cette tyrannie capricieuse, qui, plus tard, ne le rendit pas moins célèbre que son talent.¶
–C’est une femme!... et son immense fortune, due, dit-on, non moins à sa voix qu’à sa
beauté. – C’est une femme, dit Sarrasine, en se croyant seul. Il y a là-dessous quelque
intrigue secrète. Le cardinal Cicognara trompe le pape et toute la ville de Rome!...¶
Aussitôt le sculpteur sortit du salon; et, rassemblant, rassembla ses amis, ilet les
embusqua dans la cour du palais. Quand Zambinella se fut assuré du départ de Sarrasine,
il parut recouvrer quelque tranquillité.¶ Vers minuit, après avoir erré dans les salons, en
homme qui cherche un ennemi, le musico quitta l’assemblée; mais au. Au moment où il
franchissait la porte du palais, il fut adroitement saisi par des hommes qui le bâillonnèrent
avec un mouchoir et le mirent dans la voiture louée par Sarrasine.¶ Glacé d’horreur,
Zambinella resta dans un coin sans oser faire un mouvement. Il voyait devant lui la figure
terrible de l’artiste, qui gardait un silence de mort. Le trajet fut court. Zambinella, enlevé
par Sarrasine, se trouva bientôt dans un atelier sombre et nu.¶ Le chanteur, à moitié mort,
demeura sur une chaise, osant à peinesans oser regarder une statue de femme, dans
laquelle il reconnut ses traits..... Il ne proféra pas une parole;, mais ses dents claquaient. Il
était transi de peur.....¶ Sarrasine se promenait à grands pas. Tout à coup il s’arrêta devant
Zambinella.¶– – Dis-moi la vérité?....., demanda-t-il d’une voix sourde et altérée. Tu es
une femme!...? Le cardinal Cicognara…¶… Zambinella, tombant à tomba sur ses
genoux, et ne répondit qu’en baissant la tête...¶– – Ah! tu es une femme!..., s’écria
l’artiste en délire; car même un...¶ Il n’acheva pas.¶– – Non, reprit-il, il n’aurait pas tant
de bassesse.¶– – Ah! ne me tuez pas!....., s’écria Zambinella, fondant en larmes. Je n’ai
consenti à vous tromper hier que pour plaire à mes camarades, qui voulaient rire...¶– –
Rire!... répondit le sculpteur d’une voix qui eut un éclat infernal. Rire!..., rire!... Tu as osé
te jouer d’une passion d’homme..., toi?...¶– – Oh! grâce! répliqua Zambinella.¶– – Je
devrais te faire mourir!... cria Sarrasine en tirant son épée par un mouvement de violence.
Mais, reprit-il avec un dédain froid, en fouillant ton être avec un poignard, y trouverais-je
un sentiment à éteindre, une vengeance à satisfaire? – Tu n’es rien..... Homme ou femme,
je te tuerais;! mais.....¶ Sarrasine fit un geste de dégoût, qui l’obligea de détourner sa tête,
et alors il regarda la statue...¶– – Et c’est une illusion!... s’écria-t-il.¶ Puis se retournant
vers Zambinella:¶–: – Un cœur de femme était pour moi un asile, une patrie... As-tu des
sœurs qui te ressemblent?... Non. Eh! bien, meurs! – NonMais non, tu vivras; car te. Te
laisser la vie, c’est n’est-ce pas te vouer à quelque chose de pire que la mort...? Ce n’est
ni mon sang ni mon existence que je regrette, c’est mais l’avenir!... c’est et ma fortune de
cœur!.... Ta main débile a renversé mon bonheur. – Quelle espérance puis-je te ravir pour
toutes celles que tu as flétries? – Tu m’as ravalé plus bas quejusqu’à toi... Aimer, être
aimé!... sont désormais des motsmois vides de sens pour moi –, comme pour toi. – Sans
cesse je penserai à cette femme imaginaire en voyant une femme réelle.¶ Il montra la
statue par un geste de désespoir.¶– – J’aurai toujours dans le souvenir une harpie céleste
qui viendra enfoncer ses griffes dans tous mes sentimenssentiments d’homme, et qui
signera toutes les autres femmes d’un cachet d’imperfection!... Monstre! toi qui ne peux
donner la vie à rien, tu m’as dépeuplé la terre de toutes ses femmes!...¶. Sarrasine s’assit
en face du chanteur épouvanté. Deux grosses larmes sortirent de ses yeux secs, roulèrent
le long de ses joues mâles et tombèrent à terre, –: deux larmes de rage, deux larmes âcres
et brûlantes.¶– – Plus d’amour...! je suis mort à tout plaisir, à toutes les émotions
humaines...¶ A ces mots, il saisit un marteau et le lança sur la statue avec une force si
extravagante qu’il la manqua... Il crut avoir détruit ce monument de sa folie, et alors il
reprit son épée et la brandit pour tuer le chanteur.¶ Zambinella jeta des cris perçans.¶
perçants. En ce moment trois hommes entrèrent, et soudain le sculpteur tomba percé de
trois coups de stylet.¶– – De la part du cardinal Cicognara!..., dit l’un d’eux.¶– – C’est un
bienfait... digne d’un chrétien..., répondit le Français en expirant.¶– Ces sombres
émissaires apprirent à Zambinella l’inquiétude de son protecteur, qui attendait à la porte
dans une voiture fermée, afin de pouvoir l’emmener aussitôt qu’il serait délivré.¶
– Mais, me dit la comtesse de F***madame de Rochefide, quel rapport existe-t-il
entre cette histoire et le petit vieillard que j’ainous avons vu chez les Lanty?...¶?¶
– Madame, le cardinal Cicognara se rendit maître de la statue de Zambinella et la fit
exécuter en marbre. Elle , elle est aujourd’hui dans le musée Albani. C’est là qu’en 1791
la famille Lanty la retrouva. Elle , et pria GirodetVien de la copier; et ce. Le portrait qui
vous a montré Zambinella à vingt ans, un instant après l’avoir vu centenaire, lui a servi
plus tard pour son Endymion, dontl’Endymion de Girodet, vous avez pu en reconnaître le
type dans l’Adonis...¶
– Mais ce ou cette Zambinella?¶
– Ne saurait être, madame, que le grand-oncle de Marianina!.... Vous devez concevoir
maintenant l’intérêt que madame de Lanty peut avoir à cacher la source de son
immensed’une fortune, car elle qui provient...¶
– Assez! dit-elle en me faisant un geste impérieux.¶
Nous restâmes pendant un moment plongés dans le plus profond silence.¶
– Hé! bien?... lui dis-je.¶
– Ah! s’écria-t-elle en se levant et se promenant à grands pas dans la chambre.¶
Elle vint me regarder, et me dit d’une voix altérée:¶– –: – Vous m’avez dégoûtée de
la vie et des passions pour bien long-temps...longtemps. Au monstre près, tous les
sentimenssentiments humains ne se dénouent-ils pas ainsi?..., par d’atroces déceptions...?
Mères, des enfansenfants nous assassinent, ou par leur mauvaise conduite, ou par leur
froideur; épouses. Epouses, nous sommes trahies; amantes. Amantes, nous sommes
délaissées, abandonnées. – L’amitié!... Existe existe-t-elle? – Demain je seraime ferais
dévote. Quand si je ne savais pouvoir rester comme un roc inaccessible au milieu des
orages de la vie. Si l’avenir du chrétien seraitest encore une illusion, au moins elle ne se
détruit qu’après la mort. – Laissez-moi seule.¶
– Ah! lui dis-je, vous savez punir...¶
–J’aurais – Aurais-je tort?¶
– Oui, répondis-je avec une sorte de courage; car en. En achevant cette histoire, assez
connue en Italie, je puis vous donner une haute idée des progrès faits par la civilisation
actuelle... Il On n’y afait plus de ces malheureuses créatures.... – Paris, dit-elle, est une
terre bien hospitalière; il accueille tout, et les fortunes honteuses, et les fortunes
ensanglantées. Le crime et l’infamie y ont droit d’asile, y rencontrent des sympathies; la
vertu seule y est sans autels. Oui, les âmes pures ont une patrie dans le ciel! Personne ne
m’aura connue! J’en suis fière.¶
Et la marquise resta pensive.¶
Paris, novembre 1830.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
D’EL VERDUGO ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
EL VERDUGO¶
A MARTINEZ DE LA ROSA.
LE Le clocher de la petite ville de Menda venait de sonner minuit. En ce moment, un jeune
officier français, appuyé sur le parapet d’une longue terrasse qui bordait les jardins du château de
Menda, paraissait abîmé dans une contemplation plus profonde que ne le comportait
l’insouciance de la vie militaire; mais il faut dire aussi que jamais heure, site et nuit ne furent plus
propices à la méditation. Le beau ciel de l’Espagned’Espagne étendait un dôme d’azur au -dessus
de sa tête. Le scintillement des étoiles et la douce lumière de la lune éclairaient capricieusement
une vallée délicieuse qui se déroulait coquettement à ses pieds tous ses trésors.. Appuyé sur un
oranger en fleurs, le chef de bataillon pouvait voir, à cent pieds au -dessous de lui, la ville de
Menda, qui semblait s’être mise à l’abri des vents du nord, au pied du rocher sur lequel était bâti
le château. En tournant la tête, il apercevait la mer, dont les eaux brillantes encadraient le
paysage, comme d’une large lame d’argent. Le château était illuminé. Le joyeux tumulte d’un bal,
les accensaccents de l’orchestre, les rires de quelques officiers et de leurs danseuses arrivaient
jusqu’à lui, mêlés au lointain murmure des flots. La fraîcheur de la nuit imprimait une sorte
d’énergie à son corps fatigué par la chaleur du jour; enfin,. Enfin les jardins étaient plantés
d’arbres si odoriféransodoriférants et de fleurs si suaves, que le jeune homme se trouvait comme
plongé dans un bain de parfums.¶
Le château de Menda appartenait à un grand d’Espagne, qui l’habitait en ce moment avec toute sa
famille. Pendant toute cette soirée, l’aînée de ses des filles avait regardé l’officier avec un intérêt
empreint d’une telle tristesse, que le sentiment de pitiécompassion exprimé par l’Espagnole
pouvait bien causer la rêverie du Français. Clara était belle:, et quoiqu’elle eût trois frères et une
sœur, les biens du marquis de Léganès paraissaient assez considérables pour faire croire à Victor
Marchand que la jeune personne aurait une riche dot. Mais, comment oser croire que la fille du
vieillard le plus entiché de sa grandesse qui fût en Espagne, pourrait être donnée au fils d’un
épicier de Paris!¶ Les D’ailleurs, les Français étaient haïs. Le marquis ayant été soupçonné par le
général G..t..r, qui gouvernait la province, de préparer un soulèvement en faveur de Ferdinand
VII, le bataillon commandé par Victor Marchand avait été cantonné dans la petite ville de Menda
pour contenir les campagnes voisines, qui obéissaient au marquis de Léganès. Une récente
dépêche du maréchal Ney faisait même craindre que les Anglais ne débarquassent prochainement
sur la côte, et signalait le marquis comme un homme entretenantqui entretenait des intelligences
avec le cabinet de Londres. Aussi, malgré le bon accueil que cet Espagnol avait fait à Victor
Marchand et à ses soldats, le jeune officier se tenait -il constamment sur ses gardes.¶ En se
dirigeant vers cette terrasse où il venait examiner l’état de la ville et des campagnes confiées à sa
surveillance, il se demandait comment il devait interpréter l’amitié que le marquis n’avait cessé
de lui témoigner, et comment la tranquillité du pays pouvait se concilier avec les inquiétudes de
son général; mais, depuis un moment, toutes ces pensées avaient été chassées de l’esprit du jeune
commandant par un sentiment de prudence et par une curiosité bien légitime.¶ Il venait
d’apercevoir dans, la ville une assez grande quantité de lumières. Or, malgréMalgré la fête de
saint Jacques, il avait ordonné, le matin même, que tous les feux fussent éteints à l’heure
ordinaire, prescrite par son règlement. Le château seul avait été excepté de cette mesure. Il vit
bien briller çà et là les baïonnettes de ses soldats aux postes accoutumés; mais le silence était
solennel, et rien n’annonçait que les Espagnols fussent en proie à l’ivresse d’une fête.¶ Après
avoir cherché à s’expliquer l’infraction générale dont les habitans se rendaient coupables envers
l’ordonnanceles habitants, il trouva dans ce délit un mystère biend’autant plus grand en
pensantincompréhensible qu’il avait laissé des officiers, chargés de la police nocturne et des
rondes. Avec l’impétuosité de la jeunesse, il allait s’élancer sur par une brèche pour descendre
plus rapidement les rochers, et parvenir ainsi plus tôt que par le chemin ordinaire à un petit poste
placé à l’entrée de la ville du côté du château, quand un faible bruit l’arrêta dans sa course. Il crut
entendre le sable des allées criercriant sous le pas léger d’une femme. Il retourna la tête et ne vit
rien; mais ses yeux furent saisis par l’éclat extraordinaire de l’Océan. Il y aperçut tout à coup un
spectacle si funeste, qu’il demeura immobile de surprise, en accusant même ses sens d’erreur. Les
rayons blanchissansblanchissants de la lune lui permirent de distinguer des voiles à une assez
grande distance. Il tressaillit, et tâcha de se convaincre que cette terrible vision n’était pas était un
piége d’optique tenduoffert par les capricesfantaisies des ondes et de la lune.¶ En ce moment, une
voix enrouée prononça son le nom. L’officier de l’officier, qui regarda vers la brèche, et il vit
s’s’y élever lentement la tête du soldat par lequel il s’était fait accompagner au château.¶
– Est-ce vous, mon commandant?...¶?¶
– Oui. Eh! bien? lui dit à voix basse le jeune homme, averti par qu’une sorte de pressentiment
avertit d’agir avec mystère.¶
– Ces gredins-là se remuent comme des vers!..., et je me hâte de vous communiquer, si vous le
permettez, de vous communiquer mes petites observations.¶
– Parle..., répondit Victor Marchand.¶
– Je viens de suivre un homme du château qui s’est dirigé par ici une lanterne à la main. Or une
Une lanterne est furieusement suspecte, car! je ne crois pas que ce chrétien-là ait besoin d’allumer
des cierges à cette heure-ci. Ils veulent nous manger,! que je me suis dit..., et je me suis mis à lui
examiner les talons... Aussi, mon commandant, j’aiai-je découvert à trois pas d’ici, sur un quartier
de roche, un certain amas de fagots...¶
Un cri terrible qui tout à coup retentit dans la ville et, interrompit le soldat. Une lueur soudaine
éclaira le commandant. Le pauvre grenadier reçut à l’instant même une balle dans la tête et tomba
mort.. Un feu de paille et de bois sec brillait comme un incendie à dix pas du jeune homme. Les
instrumensLes instruments et les rires cessaient de se faire entendre dans la salle de du bal. Un
silence de mort, interrompu par des gémissemens, avaientgémissements, avait soudain remplacé
les rumeurs et la musique de la fête. Un coup de canon retentit sur la plaine blanche de l’Océan.
Une sueur froide coula sur le front du jeune officier. Il était sans épée. Il comprenait que tous ses
soldats avaient péri et que les Anglais allaient débarquer. Il se vit déshonoré s’il vivait, il se vit
traduit devant un conseil de guerre... et ; alors il mesura des yeux la profondeur de la vallée. Il
s’élançait, quand, et s’y élançait au moment où la main de Clara saisit la sienne.¶
– Fuyez,! dit-elle;, mes frères me suivent. pour vous tuer. Au bas du rocher, par là, vous trouverez
le cheval l’andaloux de Juanito. Allez!...¶!¶
Elle le poussa. Le , le jeune homme stupéfait la regarda pendant un moment. Mais; mais,
obéissant bientôt à l’instinct de conservation qui n’abandonne pas mêmejamais l’homme, même
le plus fort, il s’élança dans le parc en prenant la direction indiquée, et courut à travers des
rochers que les chèvres avaient seules pratiqués jusqu’alors. Il entendit ClaritaClara crier à ses
frères de le poursuivre; il entendit les pas de ses assassins; il entendit siffler à ses oreilles les
balles de plusieurs décharges; mais il atteignit la vallée, trouva le cheval, monta dessus et disparut
avec la rapidité de l’éclair.¶
En peu d’heures le jeune officier parvint au quartier du général G..t..r. Ce dernier était à dîner,
qu’il trouva dînant avec son état-major.¶
– Je vous apporte ma tête! s’écria le chef de bataillon en apparaissant pâle et défait.¶
Il s’assit, et raconta l’horrible aventure. Un silence effrayant accueillit son récit.¶
– Je vous trouve plus malheureux que criminel, répondit enfin le terrible général. Vous n’êtes pas
comptable du forfait des Espagnols; et, à moins que le maréchal n’en décide autrement, je vous
absous.¶
Ces paroles ne donnèrent qu’une bien faible consolation au malheureux officier.¶
– Quand l’empereur saura cela!... s’écria-t-il.¶
– Il voudra vous faire fusiller..., dit le général;, mais nous verrons. Enfin, ne parlons plus de ceci,
ajouta-t-il d’un ton sévère, que pour en tirer une vengeance qui imprime une terreur salutaire à ce
pays de traîtrise.¶où l’on fait la guerre à la façon des Sauvages.¶
Une heure après, un régiment tout entier, un détachement de cavalerie et un convoi d’artillerie
étaient en route. Le général et Victor marchaient à la tête de cette colonne. Les soldats, instruits
du massacre de leurs camarades, étaient possédés d’une fureur sans exemple. La distance qui
séparait la ville de Menda du quartier général fut franchie avec une rapidité miraculeuse. Sur la
route, le général trouva des villages entiers sous les armes. Chacune de ces misérables bourgades
fut cernée, et leurs habitanshabitants décimés.¶ Par une de ces fatalités inexplicables, les
vaisseaux anglais étaient restés en panne sans avancer*, de sorte; mais on sut plus tard que ces
vaisseaux ne portaient que de l’artillerie et qu’ils avaient mieux marché que le reste des
transports. Ainsi la ville de Menda , privée des défenseurs qu’elle attendait, et que l’apparition
des voiles anglaises semblait lui promettre, fut entourée par les troupes françaises presque sans
coup férir. Les habitanshabitants, saisis de terreur et se voyant dénués du secours que l’apparition
des voiles anglaises semblait leur promettre, offrirent de se rendre à discrétion. Par un de ces
dévoûmensdévouements qui n’ont pas été rares dans la Péninsule, les assassins des Français,
prévoyant, d’après la cruauté connue du général, que Menda serait peut-être livrée aux flammes et
la population entière passée au fil de l’épée, proposèrent de se dénoncer eux-mêmes au général. Il
accepta cette offre, en y mettant pour condition que tous les habitanshabitants du château, depuis
le dernier valet jusqu’au marquis, seraient mis entre ses mains. Cette capitulation étant consentie,
le général promit de faire grâce au reste de la population et d’empêcher ses soldats de piller la
ville ou d’y mettre le feu. Une contribution énorme fut frappée, et les plus riches
habitanshabitants se constituèrent prisonniers pour en garantir le paiement, qui devait être
effectué dans les vingt-quatre heures.¶
Le général ayant prisprit toutes les précautions nécessaires à la sûreté de ses troupes, et
pourvupourvut à la défense du pays, et refusa de loger ses soldats dans les maisons. Après les
avoir fait camper, il monta au château et s’en empara militairement. Tous lesLes membres de la
famille de Léganès et les domestiques furent soigneusement gardés à vue et, garrottés. Le général
ordonna d’enfermer ses prisonniers, et enfermés dans la salle où le bal avait eu lieu. Des fenêtres
de cette pièce on pouvait facilement embrasser la terrasse qui dominait la ville. L’état-major
s’établit dans une galerie voisine, où le général tint d’abord conseil sur les mesures à prendre pour
s’opposer au débarquement.¶ Après avoir expédié un aide- de- camp au maréchal Ney, ordonné
d’établir des batteries sur la côte, le général et son état-major s’occupèrent des prisonniers. Deux
cents Espagnols que les habitanshabitants avaient livrés furent immédiatement fusillés sur la
terrasse. Après cette exécution militaire, le général commanda de planter sur la terrasse autant de
potences qu’il y avait de gens dans la salle du château et de faire venir le bourreau de la ville.¶
Profitant Victor Marchand profita du temps qui allait s’écouler avant que le dîner fût servi pour
l’état-major dans la galerie du château, Victor Marchand allaaller voir les prisonniers. Il revint
bientôt vers le général.¶
– J’accours, lui dit-il d’une voix émue, vous demander des grâces...¶
– Vous!... reprit le général avec un ton d’ironie amère.¶
– Hélas! répondit Victor, ce sontje demande de tristes grâces. Le marquis, en voyant planter les
potences, a espéré que vous changeriez ce genre de supplice pour sa famille. Il, et vous supplie de
faire décapiter les nobles...¶
– Soit, dit le général.¶
– Ils demandent encore qu’on leur accorde les secours de la religion, et qu’on les délivre de leurs
liens. Ils; ils promettent de ne pas chercher à fuir...¶
– J’y consens..., dit le général; mais vous m’en répondez...¶
– Le vieillard vous offre encore toute sa fortune si vous voulez pardonner à son jeune fils.¶
– Vraiment! répondit le chef; mais ses. Ses biens appartiennent déjà au roi Joseph... Il s’arrêta.
Une pensée de mépris rida son front, et il ajouta : – Je vais surpasser leur désir. Je devine
l’importance de sa dernière demande... Eh! bien!, qu’il achète l’éternité de son nom, et mais que
l’Espagne se souvienne à jamais et de leur sa trahison et de leur son supplice!... Je laisse toute
cette sa fortune et fais grâcela vie à celui de ses fils qui remplira l’office de bourreau. Allez, et ne
m’en parlez plus.¶
Victor resta stupéfait.¶ Le dîner était servi. Tous les Les officiers attablés satisfaisaient un appétit
que la fatigue avait aiguillonné. Un seul d’entre eux, Victor Marchand manquait au festin, c’était
Victor Marchand.. Après avoir long-temps hésité longtemps, il se renditentra dans le salon où
gémissait l’orgueilleuse famille de Léganès. Il entra. Il , et jeta un regard tristedes regards tristes
sur le spectacle que présentait alors cette salle, où, la surveille, il avait vu tournoyer, emportées
par la walsevalse, les têtes parées et brillantes des deux jeunes filles et des trois jeunes gens. Il
frémit en pensant que dans peu elles devaient rouler tranchées par le sabre du bourreau. Le
Attachés sur leurs fauteuils dorés, le père et la mère, les trois enfansenfants et les deux filles, étant
attachés sur les fauteuils dorés, restaient dans un état d’immobilité complète. Huit serviteurs
silencieux étaient debout, les mains liées derrière le dos. Ces quinze personnes se regardaient
gravement, et leurs yeux trahissaient à peine les sentimens dont elles étaient animées.sentiments
qui les animaient. Une résignation profonde et le regret d’avoir échoué dans leur entreprise se
lisaient sur quelques fronts. Des soldats immobiles et les gardaient en respectant la douleur de ces
cruels ennemis, les gardaient.. Un mouvement de curiosité anima tous les visages quand Victor
parut. Il donna l’ordre de délier les condamnés, et il alla lui-même détacher les cordes qui
retenaient Clara prisonnière sur sa chaise. Elle sourit tristement. L’officier ne put s’empêcher
d’effleurer les bras élégans et frais de la jeune fille. Il admira, en admirant sa chevelure noire, sa
taille souple; car c’était. C’était une véritable Espagnole : elle avait le teint espagnol, un peu brun;
les yeux espagnols, de longs cils recourbés, et une prunelle plus noire que œilne l’est l’aile d’un
corbeau.¶
– Avez-vous réussi? lui dit-elle, avec en lui adressant un de ces sourires funèbres où il y a encore
de la jeune fille.¶
Victor ne put s’empêcher de gémir. Il regarda tour à tour les trois frères et Clara. L’un, et c’était
l’aîné, avait trente ans. Petit, assez mal fait, l’air fier et dédaigneux, il ne manquait pas d’une
certaine noblesse dans les manières, et ne paraissait pas étranger à cette délicatesse de sentiment
qui rendit autrefois la galanterie espagnole si célèbre. Il se nommait Juanito. Le second, Philippe,
était âgé de vingt ans environ. Il ressemblait à Clara. Le dernier avait huit ans. Un peintre aurait
trouvé dans les traits de RaphaëlManuel un peu de cette constance romaine que David a prêtée
aux enfansenfants dans ses pages républicaines. Le vieux marquis avait une tête couverte de
cheveux blancs qui semblait échappée d’un tableau de Murillo.¶ A cet aspect, le jeune officier
hocha la tête, en désespérant de voir accepter par un de ces quatre personnages le marché du
général. Cependant; néanmoins il osa le confier à Clara. ElleL’Espagnole frissonna d’abord, mais
elle reprit tout à coup un air calme et alla s’agenouiller devant son père.¶
– Oh! lui dit-elle, faites jurer à Juanito qu’il obéira fidèlement aux ordres que vous lui donnerez. –
Nous, et nous serons contens.¶contents.¶
La vieille mère marquise tressaillit d’espérance; mais quand, se penchant vers son mari, elle eut
entendu l’horrible confidence de Clara, elle cette mère s’évanouit.¶ Juanito comprit tout, et il
bondit comme un lion en cage.¶ Victor prit sur lui de renvoyer les soldats, après avoir obtenu, du
marquis, l’assurance d’une soumission parfaite. Les domestiques furent emmenés et livrés au
bourreau, qui les pendit.¶
Quand la famille n’eut plus que Victor pour surveillant, le vieux père se leva:¶.¶
– Juanito! dit-il.¶
Juanito, comprenant l’ordre de son père, n’y ne répondit que par une inclinaison de tête qui
équivalait à un refus. Il, retomba sur sa chaise, et regarda ses parensparents d’un œiloeil sec et
terrible.¶ Clara vint s’asseoir sur ses genoux, et, d’un air gai:¶ : – Mon cher Juanito, dit-elle, en
lui passant ses le bras autour du cou et l’embrassant sur les paupières; si tu savais combien,
donnée par toi, la mort me sera douce., Je n’aurai pas à subir l’odieux contact des mains d’un
bourreau. Tu me guériras des maux qui m’attendaient, et... mon bon Juanito, tu ne me voulais
voir à personne:, eh! bien!...¶?¶
Ses yeux veloutés jetèrent un regard de feu sur Victor, comme pour réveiller dans le cœur de
Juanito son horreur des Français.¶
– Aie du courage, lui dit son frère Philippe;, autrement notre famillerace presque royale est
éteinte.¶
Tout à coup Clara se leva, le groupe qui s’était formé autour de Juanito se sépara,; et il cet enfant,
rebelle à bon droit, vit devant lui, debout, son vieux père, qui d’un ton solennel, s’écria:¶
– : Juanito, je te l’ordonne!...¶
Le jeune comte restant immobile, son père tomba à ses genoux. Involontairement, Clara,
RaphaëlManuel et Philippe l’imitèrent; et, tous tendant. Tous tendirent les mains vers celui qui
devait sauver la famille de l’oubli, et semblèrent répéter ces paroles paternelles.¶ : – Mon fils,
manquerais-tu donc d’énergie espagnole et de vraie sensibilité?..... Veux-tu me laisser long-temps
à genoux, et dois-tu considérer ta vie et tes souffrances?...¶– Est-ce mon fils, Madame?madame?
ajouta le vieillard en se retournant vers la marquise.¶
– Il y consent!... s’écria la mère avec désespoir; car elle vit en voyant Juanito faire un mouvement
des sourcils, dont elle seule connaissait la signification n’était connue que d’elle.¶
MarquitaMariquita, la seconde fille, se tenait à genoux, en serrant sa mère dans ses faibles bras;
et, comme elle pleurait à chaudes larmes, son petit frère RaphaëlManuel vint la gronder.¶
En ce moment, l’aumônier du château entra. Il , il fut aussitôt entouré de toute la famille. On, on
l’amena à Juanito. Victor, ne pouvant supporter plus long-temps cette scène, fit un signe à Clara,
et se hâta d’aller tenter un dernier effort auprès du général. Il ; il le trouva en belle humeur, au
milieu du festin, et buvant du vin délicieux avec ses officiers, qui commençaient à tenir de joyeux
propos.¶
Une heure après, cent des plus notables habitanshabitants de Menda vinrent sur la terrasse pour
être, suivant les ordres du général, témoins de l’exécution de la famille Léganès. Un détachement
de soldats fut placé pour contenir les Espagnols, que l’on rangea sous les potences auxquelles les
domestiques du marquis avaient été pendus, et leurs. Les têtes de ces bourgeois touchaient
presque les pieds de ces martyrs. A trente pas d’eux, s’élevait un billot et brillait un cimeterre.¶
Le bourreau était là en cas de refus de la part de Juanito.¶ Bientôt les Espagnols entendirent, au
milieu du plus profond silence, les pas de plusieurs personnes, le son mesuré de la marche d’un
piquet de soldats et le léger retentissement de leurs fusils. Ces différensdifférents bruits étaient
mêlés aux accensaccents joyeux du festin des officiers, comme naguère les danses d’un bal
avaient déguisé les apprêts de la sanglante trahison. Tous les regards se tournèrent vers le
château, et l’on vit la noble famille qui s’avançait avec une incroyable assurance. Tous les fronts
étaient calmes et sereins. Un seul homme, pâle et défait, s’appuyait sur le prêtre, qui prodiguait
toutes les consolations de la religion à cet homme, le seul qui dût vivre. Le bourreau comprit,
comme tout le monde, que Juanito avait accepté sa place pour un jour. Le vieux marquis et sa
femme, Clara, MarquitaMariquita et leurs deux frères, vinrent s’agenouiller à quelques pas du
lieu fatal. Juanito fut conduit par le prêtre. Quand il arriva au billot, l’exécuteur, le tirant par la
manche, le prit à part, et lui donna probablement quelques instructions.¶ Le confesseur plaça ses
les victimes de manière à ce qu’elles ne vissent pas le supplice; mais . Mais c’était de vrais
Espagnols. Ils qui se tinrent debout et sans faiblesse.¶
Clara s’élança la première vers son frère. – Juanito, lui dit-elle, aie pitié de mon peu de courage.
Commence! commence par moi!...¶?¶
En ce moment, les pas précipités d’un homme retentirent. Victor arriva sur le lieu de cette scène.
Clara était agenouillée déjà, et déjà son cou blanc appelait le cimeterre. L’officier pâlit;, mais il
trouva la force d’accourir:¶.¶
– Le général t’accorde la vie si tu veux m’épouser!..., lui dit-il à voix basse.¶
L’Espagnole lança sur l’officier un regard de mépris et de fierté.¶ – Allons, Juanito!..., dit-elle
d’un son de voix profond.¶
Sa tête roula aux pieds de Victor; et la. La marquise de Léganès laissa échapper un mouvement
convulsif en entendant le son lourd du cimeterrebruit; ce fut la seule marque de sa douleur.¶
– Suis-je bien comme ça, mon bon Juanito?... fut la demande que fit le petit RaphaëlManuel à son
frère.¶
– Ah! tu pleures, Marquita?...Mariquita! dit Juanito à sa sœur.¶
– Oh,! oui!..., répliqua la jeune fille; je . Je pense à toi, mon pauvre Juanito... Ah! que, tu vas
êtreseras bien malheureux sans nous!...¶
Bientôt la grande figure du marquis apparut. Il regarda le sang de ses enfans, ilenfants, se tourna
vers les spectateurs muets et immobiles, il étendit les mains vers Juanito, et dit d’une voix forte:¶
: – Espagnols...., je donne à mon fils ma bénédiction paternelle!... qu’elle l’accompagne toujours!
– Maintenant, marquis, frappe sans peur, car tu es sans reproche.¶
Mais quand Juanito vit approcher sa mère, soutenue par le confesseur:¶
: – Elle m’a nourri!..., s’écria-t-il, et sa.¶
Sa voix arracha un cri d’horreur à l’assemblée. Le bruit du festin et les rires joyeux des officiers
s’apaisèrent à cette terrible clameur.¶
La marquise, comprenant comprit que le courage de Juanito était épuisé, elle s’élança d’un bond
par-dessus la balustrade, et alla sa se fendre la tête sur les rochers. Un cri d’admiration s’éleva.
Juanito était tombé évanoui.¶
– Mon général, dit un officier à moitié ivre, Marchand vient de me raconter quelque chose de
cette exécution... – Je , je parie que vous ne l’avez pas ordonnée...¶
– Oubliez-vous, Messieursmessieurs, s’écria le général G...t...r, que, dans un mois, cinq cents
familles françaises seront en larmes, et que nous sommes en Espagne? Voulez-vous laisser nos os
ici?...¶?¶
Après cette allocution, il ne se trouva personne, pas même un sous-lieutenant, qui osât vider son
verre.¶
Malgré les respects dont il est entouré, malgré le titre d’eld’El verdugo* dont (le bourreau) que le
roi d’Espagne a, dit-on, enrichi le nom du donné comme titre de noblesse au marquis de Léganès,
il est dévoré par le chagrin, il vit solitaire et se montre rarement. Accablé sous le fardeau de son
admirable forfait, il semble attendre avec impatience que la naissance d’un second fils lui donne
le droit de rejoindre les ombres dont il marche entouré.¶qui l’accompagnent incessamment.¶
Paris, octobre 1829.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DE L’ENFANT MAUDIT ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
L’ENFANT MAUDIT¶
I.
UNE CHAMBRE A COUCHER DU XVIe SIÈCLE.¶
A MADAME LA BARONNE JAMES ROTHSCHILD.¶
COMMENT VÉCUT LA MÈRE.¶
PAR Par une nuit orageuse du mois de novembre,d’hiver et sur les deux heures du
matin, la comtesse Jeanne d’Hérouville ressentant de cruelles angoisses, pensaéprouva de
si vives douleurs que, malgré son inexpérience, qu’elle pouvait être surelle pressentit un
prochain accouchement; et l’instinct qui nous fait espérer le point d’accoucher. Le
sentiment des personnes souffrantes les porte presque toujours à changer la position
mieux dans laquelle elles éprouvent les premières atteintes d’une douleur. Et alors,
cherchant à dissiper de sinistres pressentimens, la comtesse essayaun changement de
position lui conseilla de se mettre sur son séant comme, soit pour étudier la nature de ses
souffrances, et toutes nouvelles, soit pour réfléchir à la sa situation critique où elle allait
se trouver. Elle était assaillie par des craintes trop vives, pour songer aux périls d’une
crise maternelle qui cause toujours quelque épouvante aux femmes quand elles doivent la
subir pour la première fois.¶ En tâchant de se lever, la comtesse prit, pour ne pas éveiller
son mari qui dormait auprès d’elle, des précautions minutieuses, dictées, sans doute, par
le plus tendre amour ou par une profonde terreur.. Elle était en proie à de cruelles craintes
causées moins par les risques d’un premier accouchement dont s’épouvantent la plupart
des femmes, que par les dangers qui attendaient l’enfant. Pour ne pas éveiller son mari
couché près d’elle, la pauvre femme prit des précautions qu’une profonde terreur rendait
aussi minutieuses que peuvent l’être celles d’un prisonnier qui s’évade. Quoique les
douleurs devinssent de plus en plus intenses, elle cessa, pendant un moment, de les sentir.
Toutes, tant elle concentra ses forces furent absorbées par une dans la pénible entreprise.
Elle essayait d’appuyer sur l’oreiller ses deux mains presque humides, afin de se dresser
insensiblement, et de pour faire quitter à la moitié de son corps endolori la posture
horizontale qui la privait de son où elle se trouvait sans énergie.¶ Au moindre
bruissement de l’immense courte-pointe en moire verte, sous laquelle elle avait si trèspeu dormi depuis son mariage, elle s’arrêtait comme si elle eût tinté une cloche. Puis,
forcée, par la nécessité, Forcée d’épier l’effet que ses mouvemens produisaient sur le
sommeil de son mari, elle dirigeait alternativement le regard de ses longs yeux bleus sur
le comte, elle partageait son attention entre les plis de la moire importune,criarde étoffe et
sur une large figure basanée, dont elle sentait la moustache àfrôlait son épaule. Si une
quelque respiration par trop bruyante s’exhalait des lèvres de son gardien, la jeune femme
exprimaitmari, elle lui inspirait des peurs soudaines qui ravivaient encore l’éclat du
vermillon répandu sur ses joues blanches par les angoisses d’un enfantement prochain.
Elle ressemblait à un par sa double angoisse. Le criminel qui, parvenu nuitamment
jusqu’à la porte de sa prison, espère, pendant le sommeil du geôlier, faire et qui tâche de
tourner sans bruit, dans une impitoyable serrure, la clef qu’il a savamment dérobée.¶
Enfintrouvée, n’est pas plus timidement audacieux. Quand la comtesse réussit à se
levervit sur son séant sans avoir troublé le calme qui régnait sur le visage de son mari.
Quand elle se trouva sur son séant, réveillé son gardien, elle laissa échapper un geste
involontaire de joie enfantine qui accusait une où se révélait la touchante naïveté de son
caractère; mais le sourire à demi formé sur ses lèvres enflammées fut promptement
réprimé. Une : une pensée vint rembrunir son front pur, et sa brillante figure reprit une ses
longs yeux bleus reprirent leur expression de tristesse. Elle poussa un long soupir, et
replaça ses mains, non sans de prudentes précautions, sur le fatal oreiller conjugal; et.
Puis, comme si, pour la première fois depuis son mariage, elle se trouvait libre de ses
actions et de ses pensées, elle regarda timidement les choses autour d’elle. Vous eussiez
dit en tendant le cou par de légers mouvements semblables à ceux d’un oiseau
contemplant sa en cage.¶ L’on devinait A la voir ainsi, on eût facilement deviné que
naguère elle était toute tout joie et toute tout folâtrerie,; mais que, subitement, le destin
avait moissonné ses premières espérances et changé sa gaîté son ingénue gaieté en
mélancolie.¶
La chambre, objet de sa curiosité, était une de ces chambres antiquescelles que, de nos
jours encore, quelques concierges octogénaires annoncent ainsi aux voyageurs qui
visitent les vieux châteaux en leur disant: – Voici la chambre de parade où Louis XIII a
couché.¶
De belles tapisseries, mais généralement brunes de ton, étaient encadrées par de
grands panneauxde grandes bordures en bois de noyer, dont le temps avait noirci les
sculptures délicates. Les solives du avaient été noircies par le temps. Au plafond,
disposées avec art, les solives formaient des caissons de couleur fauve et ornés de
moulures. Ces décorations, de d’arabesques dans le style sévère, du siècle précédent, et
qui conservaient les couleurs du châtaignier. Ces décorations pleines de teintes sévères
réfléchissaient si peu la lumière, qu’il était difficile de voir les leurs dessins des frises,,
alors même lorsque le soleil illuminait de ses rayons les plus chauds, donnait en plein
dans cette chambre haute d’étage, large et longue, qui conservait toujours de solennelles
ténèbres.¶. Aussi, la lampe d’argent posée sur le manteau d’une vaste cheminée,
l’éclairait-elle alors si faiblement, que sa lueur tremblotante pouvait être comparée à ces
étoiles nébuleuses qui apparaissent à peine sur , par moments, percent le voile grisâtre
d’une nuit d’automne.¶ Les marmousets qui se pressaientpressés dans le marbre noir du
chambranle de cette cheminée, placée presque en qui faisait face du au lit de la comtesse,
avaientoffraient des figures si grotesquement hideuses, qu’elle n’osait y arrêter ses
regards, dans la crainteelle craignait de les voir se remuer ou d’entendre un rire éclatant
sortir de leurs bouches béantes et contournées. En ce moment, une horrible tempête
grondait par cette cheminée semblait être l’organe d’une horrible tempête qui ravageait
l’océan, car elle en traduisaitredisait les moindres rafales avec une en leur prêtant un sens
lugubre fidélité. Son âtre était, grâce à , et la largeur démesurée du de son tuyau, la
mettait si bien en communication si directe avec le ciel, que les nombreux tisons du foyer
avaient une sorte de respiration:, ils brillaient et s’éteignaient tour à tour, selon les
caprices et la force au gré du vent. Au-dessus de cette cheminée, l’écussonL’écusson de la
famille d’Hérouville était, sculpté en marbre blanc avec tous ses lambrequins et les
figures de ses tenans, ornemens qui donnaienttenants, prêtait l’apparence d’une tombe à
cette espèce d’édifice l’apparence d’un tombeau. Evidemment cette cheminée avait été
destinée à faire, dans l’ordonnance de la chambre, le qui faisait le pendant du lit occupé
par la comtesse et son mari.¶ Quant à ce , autre monument élevé à la gloire de l’hyménée,
un . Un architecte moderne eût été fort embarrassé de décider si la chambre avait été
construite pour le lit, ou le lit pour la chambre. Il ressemblait assez à ces œuvres où
siègent les membres de la fabrique dans les riches paroisses. Deux amours qui jouaient
sur un ciel de noyer orné de fleurons galans,guirlandes auraient pu passer pour des anges,
et les colonnes de même bois qui soutenaient le ce dôme offraientprésentaient des
allégories mythologiques dont l’explication se trouvait également, au gré des savans, dans
la Bible ou dans les Métamorphoses d’Ovide. Le tout aurait convenu à une chaire ou à
une œuvre aussi bien qu’à un lit.Otez le lit, ce ciel aurait également bien couronné dans
une église la chaire ou les bancs de l’œuvre. Les époux montaient par trois marches à
cette somptueuse couche, entourée d’une estrade; et décorée de deux immenses courtines
de moire verte à grands dessins brillansbrillants, nommés ramages, peut-être parce que
les oiseaux qu’ils représentent sont censés chanter, l’enveloppaient en décrivant des . Les
plis de ces immenses rideaux étaient si raidesroides, qu’à la nuit, on eût pris cette soie
pour un tissu de métal flexible.¶. Sur le velours vert, orné de crépines d’or, tendu au qui
formait le fond de ce lit seigneurial, la superstition crédule des comtes d’Hérouville, qui
pourtant de religion ne se souciaient guère, avait attaché un grand crucifix en travers
duquel, tous les ans, le où leur chapelain du château plaçait un nouveau rameau de buis
bénit, en même temps qu’il renouvelait au jour de Pâques fleuries la provision d’eau
sainte contenue dans un petit l’eau du bénitier incrusté à l’extrémité inférieureau bas de la
croix.¶
D’un côté de la cheminée était placée une armoire de bois précieux et
magnifiquement ouvragéouvré, que les jeunes mariées recevaient encore en province le
jour de leurs noces. Ces vieux bahuts, si recherchés aujourd’hui par les antiquaires,
étaient l’arsenal où les femmes puisaient les trésors de leurs parures aussi riches
qu’élégantes. Ils contenaient le lingeles dentelles, les corps de jupe, les hauts cols, les
robes de prix, les ceintures etaumônières, les masques, les gants, les voiles, toutes les
ressourcesinventions de la coquetterie du XVIeseizième siècle. C’était l’arsenal où les
femmes puisaient les trésors de leurs parures plus riches qu’élégantes.¶ De l’autre côté,
pour la symétrie, se trouvaits’élevait un meuble semblable, qui servait de secrétaire à la
comtesse. où la comtesse mettait ses livres, ses papiers et ses pierreries. D’antiques
fauteuils en tapisseriedamas, un grand miroir verdâtre, fabriqué à Venise et
curieusementrichement encadré dans une espèce de toilette roulante, achevaient
l’ameublement de cette chambre, dont le . Le plancher était couvert d’un tapis de Perse
qui dont la richesse attestait la galanterie du comte.¶ Sur la dernière marche, qui servait
de socle au lit, était du lit se trouvait une petite table destinée à recevoir la sur laquelle la
femme de chambre servait tous les soirs, dans une coupe d’argent ou d’or dans laquelle,
tous les soirs, les époux trouvaient, un breuvage préparé avec des épices.¶
Ces descriptions peuvent déplaire à certaines personnes qui veulent à tout prix des
événemens; mais quandQuand nous avons fait quelques pas dans la vie, nous connaissons
assez la secrète influence exercée par les lieux sur les dispositions de l’âme, pour
sympathiser avec des sites.¶ Or, la comtesse inventoriait avec terreur cette chambre, sur
laquelle elle n’avait pas encore pu jeter aussi librement les yeux. Ce luxe sévère lui
semblait inexorable, et il y a beaucoup d’instans. Pour qui ne s’est-il pas rencontré des
instants mauvais où l’on trouve voit je ne sais quels gages d’espérance dans les choses
qui nous entourent.environnent? Heureux ou misérable, l’homme donneprête une
physionomie aux moindres objets dont avec lesquels il est environné, vit; il les écoute, et
les consulte, tant il est naturellement superstitieux. En ce moment, la comtesse,
promenant promenait ses regards sur tous les meubles, comme s’ils eussent été des êtres, ;
elle semblait leur demander secours et ou protection; mais ce luxe sombre lui paraissait
inexorable.¶
Tout à coup la tempête redoubla. Devenant alors plus craintive en La jeune femme
n’osa plus rien augurer de favorable en entendant les menaces de l’ouragan, la jeune
femme n’osa plus rien augurer de favorable sous d’aussi tristes lambris, et par un tel
courroux du ciel, dont les changemenschangements étaient interprétés à cette époque de
crédulité suivant les espérances et idées ou les habitudes de chaque esprit.¶ La comtesse,
aussi épouvantée du tumulte extérieur que de ses appréhensions secrètes, Elle reporta
soudain les yeux vers deux fenêtrescroisées en ogive qui étaient au bout de la chambre;
mais la petitesse des vitraux et la multiplicité des lames de plomb ne lui permirent pas de
s’assurer, par voir l’état du firmament, et de reconnaître si la fin du monde approchait,
comme le prétendaient quelques moines affamés de donations. La comtesse Elle aurait pu
facilement y pu croire à ces prédictions, car le bruit de la mer irritée, dont les vagues
assaillaient les murs du château, se joignit au mugissement à la grande voix de la tempête,
de manière à faire trembler et les rochers. Cet effort de la nature réveilla de nouvelles
douleurs dans les entrailles de la future mère. Alors, sans jeter une plainte, elle se tourna
lentement vers le crucifix, et après avoir mis, par un regard, toutes ses espérances en
Dieu, elle osa contempler la figure de son mari.¶ parurent s’ébranler. Quoique ses les
souffrances se succédassent toujours plus vives et plus cruelles, elle se tint appuyée sur
ses deux mains fatiguées, sans pousser un cri, sans se hasarder à la comtesse n’osa pas
réveiller son protecteur naturel, dont toute autre femme, à sa place, aurait énergiquement
réclamé le secours.¶ Elle se mit à examiner, avec une curiosité mêlée d’effroi, des mari;
mais elle en examina les traits qu’elle avait toujours eu peur d’analyser. Il semblait que ,
comme si le désespoir pouvait seul lui conseiller d’en sonder les mystères.lui avait
conseillé d’y chercher une consolation contre tant de sinistres pronostics.¶
Si les choses étaient tristes autour d’ellede la jeune femme, cette figure, toute malgré
le calme qu’elle pût être dans le du sommeil, paraissait plus triste encore, et jamais
habitation ne fut plus digne du maître.. Agitée par les coups de flots du vent, la flamme
ondoyante clarté de la lampe venait mourir sur les qui se mourait aux bords du lit; et,
n’illuminant n’illuminait la tête du comte que par momens, moments, en sorte que les
caprices de la clarté mouvantemouvements de la lueur simulaient sur ce visage en repos
les effrayans débats d’une pensée orageuse. Un tel spectacle fit d’abord peur à A peine la
comtesse. A peine fut-elle même rassurée en reconnaissant la cause de ce phénomène.
Chaque fois qu’une nappe de qu’un coup de vent projetait la lumière arrivant sur cette
grande figure y projetait en ombrant les ombres des nombreuses callosités qui la
caractérisaient, il lui semblait que son mari allait s’éveiller et fixer sur elle deux yeux
gris, dont elle n’avait pas encore pu soutenir la d’une insoutenable rigueur.¶ Le
Implacable comme la guerre que se faisaient alors l’Eglise et le Calvinisme, le front du
comte était encore menaçant, même pendant le sommeil: des; de nombreux sillons
multipliésproduits par les émotions d’une vie guerrière y imprimaient une vague
ressemblance avec ces pierres vermiculées dont quelques monumens sont ornés; et,
comme les qui ornent les monuments de ce temps; pareils aux mousses blanches ou
vertes qui pendent aux branches des vieux chênes, ses des cheveux, gris avant le temps,
l’entouraient sans grâce. L’intolérance, et l’intolérance religieuse siégeait sur ce front
implacable et guerrier.y montrait ses brutalités passionnées. La forme du d’un nez aquilin
qui ressemblait au bec d’un oiseau de proie, les contours noirs et plissés d’un œil jaune,
les os saillans dusaillants d’un visage creusé, la rigidité des rides profondes, le dédain
écrit sur marqué dans la lèvre inférieure, les noirs contours de l’œil, tout indiquait une
cruauté presque innée, une ambition , un despotisme, une force d’autant plus à craindre
que l’étroitesse de la têtedu crâne trahissait un défaut absolu d’esprit. Il était facile de lire
une intrépidité native, mais et du courage sans générosité, dans ce. Ce visage qu’était
horriblement défiguré par une large balafre avait encore horriblement défiguré. Cette
ancienne plaie y formait une couture transversale qui dont la couture figurait une seconde
bouche dans la joue droite.¶ A l’âge de trente-trois ans, le comte s’était fait un nom,
jaloux de s’illustrer dans la malheureuse guerre de religion dont le signal fut donné par la
Saint-Barthélemi fut le signal. Il, avait été grièvement blessé au siègesiége de La la
Rochelle. La malencontre de sa blessure, pour parler le langage du temps, augmenta sa
haine contre ceux de la religion; etReligion; mais, par une disposition morale assez
naturelle, il enveloppa aussi les hommes à belles figures dans le sentiment qu’il vouait
aux calvinistes.son antipathie. Avant cette catastrophe, il était déjà si laid qu’aucune
dame n’avait voulu recevoir ses hommages. La seule passion de sa jeunesse fut une
femme célèbre nommée la Belle Romaine. La défiance que lui donna sa laideurnouvelle
disgrâce le rendit d’une extrême susceptibilité. N’osant jamais susceptible au point de ne
plus croire qu’il pût inspirer grande passion aux femmes,une passion véritable; et son
caractère était devenu devint si sauvage. S’il avait eu, que s’il eut des succès en
amourgalanterie, il ne les devait guère qu’dut à la frayeur inspirée par ses cruautés.¶
La main gauche, que le ce terrible catholique avait hors du lit, achevait d’en de
peindre le son caractère. ÉtendueEtendue de manière à garder la comtesse comme un
avare garde son trésor, cette main énorme était couverte de poils si nombreux, d’un
dédaleabondants, elle offrait un lacis de veines et de muscles si saillanssaillants, qu’elle
ressemblait à unequelque branche de hêtre entourée des par les tiges d’un lierre jauni.¶ En
contemplant la puissante figure du comte, un enfant l’aurait attribuée au corps d’un aurait
reconnu l’un de ces ogres dont les nourrices racontent de si terribles histoires. leur sont
racontées par les nourrices. Il suffisait de voir la largeur et la longueur de la place
occupéeque le comte occupait dans le lit par le comte pour lui reconnaître des pour
deviner ses proportions gigantesques. Ses yeux étaient surmontés de gros sourcils
grisonnans quigrisonnants lui cachaient les paupières, de manière à donner à rehausser la
clarté de son regard une sorte de œil où éclatait la férocité dont on ne peut avoir une idée
qu’en le comparant à lumineuse de celui d’un loup. au guet dans la feuillée. Sous son nez
de lion, deux larges moustaches peu soignées, car il méprisait singulièrement la toilette,
ne permettaient pas d’apercevoir sa la lèvre supérieure; et, heureusement. Heureusement
pour la comtesse, la large bouche de son mari était muette en ce moment, car les plus
doux sons qui en sortaientde cette voix rauque la faisaient frissonner. Enfin, quoique
Quoique le comte d’Hérouville eût à peine cinquante ans, au premier abord on pouvait lui
en donner soixante, tant les fatigues de la guerre, sans altérer sa constitution robuste,
avaient outragé sa physionomie; mais il se souciait fort peu de passer pour un mignon.¶
La comtesse, qui atteignait à peine sa dix-huitième année, formait, auprès de cette
immense figure, un contraste pénible à voir. Elle était blanche, et svelte, délicate.. Ses
cheveux châtains, mélangés de teintes d’or, se jouaient sur son cou comme des nuages de
bistre. et découpaient un de ces visages délicats trouvés par Carlo Dolci pour ses madones
au teint d’ivoire, qui semblent près d’expirer sous les atteintes de la douleur physique.
Vous eussiez dit d’une apparitionde l’apparition d’un ange chargé d’adoucir les volontés
du comte d’Hérouville.¶
– Non, il ne nous tuera pas!..., s’écria-t-elle mentalement après avoir long-temps
contemplé son mari. N’est-il pas franc, noble, courageux et fidèle à sa parole... –?...
Fidèle à sa parole?....¶ En reproduisant cette phrase par la pensée, elle tressaillit
violemment, elle pâlit et resta comme stupide.¶
Pour comprendre toute l’horreur de la situation où se trouvait la comtesse, il est
nécessaire d’ajouter que cette scène nocturne avait lieu en 15931591, époque à laquelle la
guerre civile régnait en France, et où les lois y étaient sans vigueur. Le partiLes excès de
la Ligue, opposéopposée à l’avénement de Henri 1V, surpassait dans ses excès IV,
surpassaient toutes les calamités des guerres précédentes.de religion. La licence devint
même alors si grande qu’il que personne n’était pas surprenantsurpris de voir un grand
seigneur fairefaisant tuer son ennemi publiquement et , en plein jour. Lorsqu’une
expédition militaire, dirigée dans un intérêt privé, était sagement conduite, il suffisait de
l’entreprendre au nom de la Ligue ou du roi pour obtenirRoi, elle obtenait des deux parts
les plus grands éloges des deux parts.¶. Ce fut ainsi que Balagny, un soldat, faillit devenir
prince souverain, aux portes de la France. Quant aux meurtres commis en famille, s’il est
permis de se servir de cette expression, on ne s’en souciait pas plus, dit un contemporain,
que d’une gerbe de feurre, à moins qu’ils n’eussent été accompagnés de circonstances par
trop cruelles.¶ Quelque temps avant la mort du roi, une dame de la cour ayant
assassinéassassina un gentilhomme qui avait tenu sur elle des discours malséans,
malséants. L’un des mignons de Henri III lui dit:¶: – Elle l’a, parvive Dieu! sire, fort
joliment dagué!¶
Par la rigueur de ses exécutions, le comte d’Hérouville, un des plus emportés
royalistes de Normandie, maintenait, sous l’obéissance de Henri IV, toute la partie ouest
de cette province qui avoisine la Bretagne. Chef de l’une des plus riches familles de
France, il avait considérablement augmenté le revenu de ses nombreuses terres en
épousant, sept mois avant la nuit pendant laquelle commence cette histoire, Jeanne de
Saint-Savin, jeune demoiselle qui, par un hasard assez commun dans ces temps, où les
gens mouraient dru comme mouches, réunit avait subitement réuni sur sa tête les biens
des troisdeux branches opulentes de la maison de Saint-Savin.¶ Deux mois après, il
s’éleva, dans La nécessité, la terreur, furent les seuls témoins de cette union. Dans un
repas donné au comte et à la comtesse d’Hérouville, deux mois après, par la ville de
Bayeux, au comte et à la comtesse d’Hérouville à l’occasion de ce leur mariage, il s’éleva
une discussion qui, à par cette époque d’ignorance, fut trouvée mal sonnante et fort
saugrenue. Elle ; elle était relative à la prétendue légitimité des enfansenfants venant au
monde dix mois après la mort du mari, ou sept mois après la première nuit des noces.¶ –
Madame, avait dit brutalement le comte à sa femme, quant à me donner un enfant dix
mois après ma mort..., je n’y peux!... –. Mais, pour votre début, n’accouchez pas à sept
mois.¶ – Que ferais-tu donc, vieil ours? demanda le jeune marquis de PontCarré,Verneuil pensant que le comte voulait plaisanter.¶ – Je tordrais fort proprement le
col à la mère et à l’enfant.¶ Une réponse aussi péremptoire servit de clôture à cette
discussion imprudemment élevée par un médecin seigneur bas-normand. Les convives
gardèrent le silence en contemplant, avec une sorte de terreur, la jolie comtesse
d’Hérouville; car ils . Tous étaient persuadés que, dans l’occurrence, ce farouche seigneur
exécuterait sa menace.¶
La terrible parole du comte retentit dans le sein de la jeune femme, alors enceinte; et,
à l’instant même, un de ces pressentimens qui viennent sillonnerpressentiments qui
sillonnent l’âme comme des éclairsun éclair de l’avenir l’avertit qu’elle accoucherait à
sept mois. Une chaleur intérieure lui monta desenveloppa la jeune femme de la tête aux
pieds jusqu’au cœur, et ses oreilles tintèrent, en concentrant la vie au cœur avec tant de
violence. qu’elle se sentit extérieurement comme dans un bain de glace. Depuis lors, il ne
se passa pas un jour sans que ce mouvement de terreur secrète n’arrêtât les élans les plus
innocensinnocents de son âme.¶ Le souvenir du regard et de l’inflexion de voix qu’eut
son mari en prononçant cet par lesquels le comte accompagna son arrêt, glaçait encore le
sang de la comtesse, et lui faisait oubliertaire ses douleurs, lorsque, penchée sur cette tête
endormie, elle y cherchait voulait y trouver durant le sommeil les indices d’une pitié
toujours absente pendant qu’elle y cherchait vainement pendant la veille. Cet enfant
menacé de mort avant de naître, lui demandant le jour. Tout à coup, sentant par un
mouvement vigoureux qui annonçait la turbulence de cet enfant menacé de mort avant de
naître, elle s’écria bien doucement, et d’une voix qui ressemblait à un soupir:¶: – Pauvre
petit!...¶ Elle n’acheva point. Il, il y a des idées qu’une mère ne supporte pas; et la
comtesse, incapable, en ce moment,. Incapable de raisonner, en ce moment, la comtesse
fut comme étouffée par une angoisse d’âme qui lui était inconnue. Deux larmes,
s’échappant échappées de ses yeux, roulèrent lentement le long de ses joues, y tracèrent
deux lignes brillantes, et restèrent suspendues au contourbas de son blanc visage,
semblables à deux gouttes de rosée sur un lis. Quel savant oserait prendre sur lui de dire
que l’enfant reste sur un terrain neutre où les émotions de la mère ne pénètrent pas,
pendant ces heures où l’âme embrasse le corps et y communique ses impressions, où la
pensée infiltre au sang des baumes réparateurs ou des fluides vénéneux? Cette terreur qui
agitait l’arbre troubla-t-elle le fruit? Ce mot: Pauvre petit! fut-il un arrêt dicté par une
fleur.¶vision de son avenir? Le tressaillement de la mère fut bien énergique, et son regard
fut bien perçant!¶
Le chagrin auquel elle était en proie s’étendait sur toute sa vie, comme l’exhalaison
empestée qui corrompt l’air d’une verte campagne. La sanglante réponse échappée au
comte était un anneau mystérieux qui rattachait les événemens de la jeunesse
mystérieusement le passé de sa femme à cet accouchement prématuré; et ses . Ces odieux
soupçons, si publiquement exprimés, avaient jeté dans les souvenirs de la comtesse toute
la terreur dont ils dotaientqui retentissait jusque dans l’avenir.¶ Aussi, depuis Depuis ce
fatal repas, la jeune femme s’était-gala, elle abstenue, comme d’une faute, de contempler
le passé. Elle chassait, avec autant de crainte qu’une autre femme aurait pris de plaisir à
les évoquer, mille tableaux épars que sa vive imagination lui dessinait souvent malgré ses
efforts. Elle se refusait à se perdre dans les visions l’émouvante contemplation des
heureux jours où elleson cœur était libre encore. En effet, semblables aux fragmens des
d’aimer. Semblables aux mélodies du pays natal qui font pleurer les bannis, ses
méditations ces souvenirs lui retraçaient des sites et des sentimens si délicieuxsensations
si délicieuses, que sa jeune conscience les lui reprochait comme autant de crimes. Ses
souvenirs étaient un commentaire qui rendait bien , et s’en servait pour rendre plus
terrible encore la promesse du comte, et ils contenaient les véritables, les plus puissans
secrets : là était le secret de l’horreur à laquellequi oppressait la comtesse était en ce
moment livrée.¶
Il règne sur lesLes figures endormies possèdent une espèce de suavité due au repos
parfait du corps et de l’intelligence. Or, quoique cette absence ; mais quoique ce calme
changeât peu la dure expression des traits du comte, l’illusion offre aux malheureux de
toute passion ne pût guère communiquer de charme aux traits du comte, cependant
l’illusion est si attrayante pour les malheureux si attrayants mirages, que la jeune
épousefemme finit par trouver un espoir dans ce calme trompeur. Ses craintes et ses
douleurs lui laissèrent un moment de répit; la tempête, déchaînant des torrens de pluie, ne
faisait plus entendre qu’un bruissement mélancolique; et alors, tout en cette tranquillité.
La tempête qui déchaînait alors des torrents de pluie ne fit plus entendre qu’un
mugissement mélancolique; ses craintes et ses douleurs lui laissèrent également un
moment de répit. En contemplant l’homme auquel sa vie était à jamais liée, la comtesse
tomba insensiblementse laissa donc entraîner dans une rêverie dont la douceur fut si
enivrante, qu’elle n’eut pas la force de combattre la douceur enivrante.¶ d’en rompre le
charme. En un instant, par une de ces intuitions d’âme visions qui participent de la
puissance divine, elle fit passer rapidement devant elle les ravissantesrapides images du
d’un bonheur qui n’était plus.¶perdu sans retour.¶
Elle Jeanne aperçut d’abord faiblement, et comme dans la lointaine lumière de
l’aurore, le modeste château où son insouciante enfance s’était écoulée, s’écoula: ce fut
bien la pelouse verte, le ruisseau frais, la petite chambre, théâtre de ses premiers jeux.
Elle se vit cueillant des fleurs, les plantant, et ne devinant pas pourquoi elles toutes se
fanaient sans grandir, malgré sa constance à les arroser.
Bientôt lui apparurent, apparut confusément encore, la ville immense et le vieil grand
hôtel de pierre où elle fut conduite à noirci par le temps où sa mère la conduisit à l’âge de
sept ans. Alors sa Sa railleuse mémoire lui montra les vieilles têtes de tous les des maîtres
qui la tourmentèrent. Puis, àA travers des un torrent de mots d’italien et d’espagnol, en
écoutant, dans espagnols ou italiens, en répétant en son âme, des romances et les aux sons
d’un joli rebec, elle se rappela la personne de son père: au. Au retour du parlement, il
descendaitPalais, elle allait au-devant du Président, elle le regardait descendant de sa
mule à l’aide d’une grande pierre, montait lentementson montoir, lui prenait la main pour
gravir avec lui l’escalier, et ne déposaitpar son babil chassait les soucis judiciaires qu’en
dépouillantqu’il ne dépouillait pas toujours avec la robe noire ou rouge dont elle, espiègle
et rieuse, avait, un jour, coupé, par espièglerie, la fourrure blanche mélangée de noir.
tomba sous ses ciseaux. Elle ne jeta qu’un regard sur le confesseur de sa mèretante, la
supérieure des Clarisses, homme rigide et fanatique, chargé de l’initier aux mystères
d’unede la religion terrible. Là elle se souvint d’avoir commencé à trembler. Ce . Endurci
par les sévérités que nécessitait l’hérésie, ce vieux prêtre insensible, secouantsecouait à
tout propos les chaînes de l’enfer, ne lui parlant parlait que des vengeances célestes, et la
rendait craintive en lui persuadant qu’elle était toujours en présence de Dieu, la rendait
faible et craintive. Elle devenait. Devenue timide, recueillie, elle n’osait lever les yeux, et
n’avait plus que du respect pour sa mère, à qui jusqu’alors elle avait partagéfait partager
ses folâtreries. DeDès ce moment, une religieuse terreur s’emparait de son jeune cœur,
quand elle voyait cette mère bien -aimée arrêtant sur elle ses yeux bleus avec une
apparence de colère.¶
Elle revit se retrouva tout à coup la dans sa seconde enfance, époque de son enfance
pendant laquelle elle ne comprenaitcomprit rien encore aux choses de la vie; et redit
encore adieu à. Elle salua par un regret presque moqueur ces jours où tout son bonheur fut
de travailler avec sa mère dans un petit salon de tapisserie, de prier dans une grande
église, de chanter une romance en s’accompagnant du rebec, de lire en cachette un livre
de chevalerie, déchirer une fleur par curiosité, attendre les présens quedécouvrir quels
présents lui ferait son père lui faisait à la fête du bienheureux saint Jean, et chercher le
sens des paroles qu’on n’achevait pas devant elle, étaient des sources intarissables de
bonheur...¶ Mais aussitôt. Aussitôt elle effaça par une pensée, comme on efface un mot
crayonné sur un album, les enfantines joies que, pendant un moment, et entre deux
souffrancesce moment où elle ne souffrait pas, son imagination rapide venait de lui
choisir parmi tous les tableaux que les seize premières années de sa vie pouvaient lui
offrir. Et la La grâce de cet océan limpide fut bientôt éclipsée par l’éclat d’un plus frais
souvenir; car la , quoique orageux. La joyeuse paix de son enfance lui apportait moins de
douceur qu’un seul des troubles semés dans les deux dernières années de sa vie, années
riches en trésors pour toujours ensevelis pour toujours dans son cœur...¶cœur. La
comtesse se retrouva arriva soudain à cette ravissante matinée où, précisément au
coinfond du grand parloir en bois de chêne sculpté qui servait de salle à manger, elle vit
son beau cousin pour la première fois. La Effrayée par les séditions de Paris, la famille de
sa mère, redoutant les troubles de Paris, envoyait à Rouen ce jeune courtisan, dans
l’espérance qu’il s’y formerait aux devoirs de la magistrature auprès de son grand-oncle,
dont un jour de qui la charge de président pouvait lui être résignée.¶lui serait transmise
quelque jour. La comtesse sourit involontairement en songeant à la vivacité avec laquelle
elle s’était retirée en reconnaissant dans le parloir ce parent attendu qu’elle ne connaissait
pas; mais malgré. Malgré sa promptitude à ouvrir et fermer la porte, son coup d’œil avait
étémis dans son âme une si pénétrantvigoureuse empreinte de cette scène, qu’en ce
moment encore il lui semblait encore le voir devant elle.¶ Elle avait, à la dérobée,tel qu’il
se produisit en se retournant. Elle n’avait alors admiré qu’à la dérobée le goût et le luxe
répandurépandus sur des vêtemensvêtements faits à Paris; mais, aujourd’hui, plus hardie
dans son souvenir qu’en cette innocente et furtive entrevue, elle caressait le , son œil
allait librement du manteau de en velours violet brodé d’or et doublé de satin, les
dentelles noires dontaux ferrons qui garnissaient les bottines étaient garnies, les jolis, et
des jolies losanges crevéscrevées du pourpoint et du haut-de-chausse, la blancheà la riche
collerette empesée, et surtout une figure jeune, rabattue qui laissait voir un cou frais aussi
blanc que la dentelle. Elle flattait avec la main une figure caractérisée par deux petites
moustaches relevées en pointe, et par une royale qui, sous le menton, ressemblait à
pareille à l’une des queues d’hermine répanduessemées sur l’épitoge de son père.¶ Au
milieu du silence et de la nuit, les yeux attachésfixés sur les courtines de moire qu’elle ne
voyait plus, oubliant et son mari et l’orage et son mari, la comtesse osa se rappeler
comment, après bien des jours, qui furent comme qui lui semblèrent aussi longs que des
années, tant pleins ils furent, le jardin entouré de vieux murs noirs et le noir hôtel de son
père lui semblèrent parurent dorés et lumineux: elle . Elle aimait, elle était aimée!... puis,
comment Comment, craignant les regards sévères de sa mère, elle s’était glissée un matin
dans le cabinet de son père, pour lui faire ses jeunes confidences, après s’être assise sur
lui et s’être permis des espiègleries qui avaient attiré le sourire aux lèvres de l’éloquent
magistrat, sourire qu’elle attendait pour lui dire:¶: « – Me gronderez-vous, si?...¶ je vous
dis quelque chose? » Elle croyait entendre encore son père, lui disant, après un
interrogatoire où, pour la première fois, elle parlait de son amour: « – Eh! bien!, mon
enfant, nous verrons. S’il étudie bien, s’il veut me succéder, s’il continue à te plaire...., je
me mettrai dans de ta conspiration de bonheur... Et alors, n’écoutant! » Elle n’avait plus
rien écouté, elle avait baisé son père, et renversé les paperasses, pour courir au grand
tilleul, où, tous les matins, avant le lever de la sa redoutable mère, elle rencontrait son
cousin Georgesle gentil George de Chaverny!¶ Lui promettant Le courtisan promettait de
dévorer les lois et les coutumes, le courtisan il quittait les riches ajustemensajustements
de la noblesse d’épée pour prendre le sévère costume des magistrats.¶ « – Je t’aime bien
mieux vêtu de noir, » lui disait-elle.¶ Elle mentait;, mais ce mensonge avait rendu son
bien-aimé moins triste d’avoir jeté la dague. Enfin les aux champs. Le souvenir des ruses
employées pour tromper cettesa mère, dont la sévérité semblait grande, lui
apportèrentrendirent les joies fécondes d’un amour innocent, permis et partagé...¶ C’était
quelque rendez-vous sous les tilleuls, où la parole était plus libre sans témoins; les
furtives étreintes et les baisers surpris, enfin tous les naïfs à-comptes de la passion qui ne
dépasse point les bornes de la modestie. Revivant, comme en songe, dans ces délicieuses
journées où elle s’accusait d’avoir eu trop de bonheur, et d’autant plus qu’elle le sentait
tout entier, elle se complut à revoir encoreelle osa baiser dans le vide cette jeune figure
aux regards enflammés, et cette bouche vermeille, qui lui parlait si bien d’amour. Elle
avait aimé Chaverny, parce qu’il était pauvre; et, en récompense, que pauvre en
apparence; mais combien de trésors n’avait-elle avaitpas découverts dans cette âme
modeste etaussi douce!...¶ Mais tout qu’elle était forte! Tout à coup meurt le président.,
Chaverny ne lui succède pas. La , la guerre civile survient flamboyante. Par les soins de
leur cousin, elle et sa mère trouvent un asile secret dans une petite ville de la BasseNormandie. Bientôt les morts successives de quelques parensparents la rendent une des
plus riches héritières de France, et avec. Avec la médiocrité de fortune s’enfuit le
bonheur. Alors la La sauvage et terrible figure du comte d’Hérouville, demandant qui
demande sa main et l’obtenant à force de terreur, lui apparaît comme la nuitune nuée
grosse de foudre qui étend un son crêpe sur les richesses du de la terre jusqu’alors dorée
par le soleil. La pauvre comtesse s’efforce de chasser le souvenir de toutes les des scènes
de désespoir et de larmes amenées par sa longue résistance; mais elle . Elle voit
confusément l’incendie de la petite ville, etpuis Chaverny emprisonné. Puis elle arrive àle
huguenot mis en prison, menacé de mort, et attendant un horrible supplice. Arrive cette
épouvantable soirée où sa mère, pâle, et mourante, se prosterne à ses pieds. Elle , Jeanne
peut sauver son cousin, elle cède; il . Il est nuit; le comte, revenu sanglant du combat, se
trouve là. Elle prêt; il fait surgir un prêtre, des flambeaux, une église! Jeanne appartient
au malheur. A peine peut-elle dire adieu à son beau cousin:¶ délivré. « – Chaverny, si tu
m’aimes, ne me revois jamais!...¶ » Elle entend le bruit lointain des pas de son noble ami.
Elle qu’elle n’a plus revu; mais elle garde au fond du cœur son dernier regard qu’elle
voitretrouve si souvent en songe. Puis, la jeune fille est commedans ses songes et qui les
lui éclaire. Comme un chat enfermé dans la cage dud’un lion, craignantla jeune femme
craint à chaque heure les griffes puissantes du maître, toujours levées sur elle. La
comtesse se fait un crime de se revêtir à certains jours de, consacrés par quelque plaisir
inattendu, la robe que portait la jeune fille au moment où, pour la première fois, elle vit
son amant. Aujourd’hui, pour être heureuse, elle doit oublier le passé et, ne plus songer à
l’avenir.¶
– Je ne me crois pas coupable, se dit-elle; mais si je le parais aux yeux du comte... il
est si jaloux!, n’est-ce pas comme si je l’étais? Peut-être le suis-je! La sainte Vierge n’a-telle pas...¶ conçu sans... Elle s’arrêta; et, pendant.¶
Pendant ce moment d’irréflexionoù ses pensées étaient nuageuses, où son âme
voyageait dans le monde des fantaisies, sa naïveté lui fit attribuer aux adieux deau dernier
regard, par lequel son amant lui darda toute sa vie, le pouvoir dequ’exerça la
visitationVisitation de l’ange; mais cette sur la mère du Sauveur. Cette supposition, digne
du temps d’innocence auquel sa rêverie l’avait si imprudemment reportée, s’évanouit
devant le souvenir d’une scène conjugale plus odieuse que la mort. La pauvre comtesse
ne pouvait plus conserver de doute sur la légitimité de l’enfant qui s’agitait dans son sein,
car la . La première nuit des noces lui apparut dans toute son horreurl’horreur de ses
supplices, traînant à sa suite bien d’autres nuits, et de bien plus tristes jours!...¶!¶
– Ah! s’écria-t-elle, pauvre Chaverny!.....¶
Alors elle pleura. Puis, se cramponnant à son chevet, elle tourna les yeux sur son
mari, comme pour se persuader encore une fois que cette figure lui promettait une
clémence si chèrement achetée...¶
Elle jeta un cri perçant.¶
Le comte était éveillé. Ses deux yeux gris, aussi clairs que ceux d’un tigre, brillaient
sous les touffes brunes de ses sourcils, et lançaient un regard accusateur. Depuis un
moment sans doute il contemplait sa femme.¶
La comtesse, épouvantée d’avoir rencontré ce terrible regard, se glissa sous la
courtepointe et resta sans mouvement.¶
¶
¶
II.
LE REBOUTEUR.¶
– Ah! pauvre Chaverny! s’écria-t-elle en pleurant, toi si soumis, si gracieux, tu m’as
toujours été bienfaisant!¶
Elle tourna les yeux sur son mari, comme pour se persuader encore que cette figure
lui promettait une clémence si chèrement achetée. Le comte était éveillé. Ses deux yeux
jaunes, aussi clairs que ceux d’un tigre, brillaient sous les touffes de ses sourcils, et
jamais son regard n’avait été plus incisif qu’en ce moment. La comtesse, épouvantée
d’avoir rencontré ce regard, se glissa sous la courte-pointe et resta sans mouvement.¶
– POURQUOI– Pourquoi pleurez-vous?... demanda le comte en tirant vivement le
drap sous lequel sa femme s’était enseveliecachée.¶
Cette voix, toujours effrayante pour elle, eut en ce moment une douceur factice qui lui
sembla de bon augure.¶
– Je souffre beaucoup, répondit-elle.¶
– Eh! bien!, ma mignonne, est-ce un crime que de souffrir? Pourquoi vous
cachertrembler quand je vous regarde? Hélas! que faut-il donc faire pour être aimé?¶ Il
soupira, et toutes Toutes les rides de son front s’amassèrent entre ses deux sourcils.¶ – Je
vous cause toujours de l’effroi, je le vois bien!.., ajouta-t-il en soupirant.¶
La comtesse se permit d’interrompre son mari en jetant quelques gémissemens, et,
conseilléeConseillée par l’instinct des caractères faibles et timides, elle , la comtesse
interrompit le comte en jetant quelques gémissements, et s’écria tout à coup:¶: – Je crains
de faire une fausse couche! J’ai couru sur les rochers pendant toute la soirée, et je me
serai sans doute trop fatiguée.....¶
Elle trembla violemment en prononçant ces paroles, tant son mari la regardait
fixement; car, prenantEn entendant ces paroles, le sire d’Hérouville jeta sur sa femme un
regard si soupçonneux qu’elle rougit en frissonnant. Il prit la peur qu’il inspirait à cette
naïve créature pour l’expression d’un remords, il répliqua:¶.¶
– Mais c’est peutPeut-être est-ce un accouchement véritable qui commence....?
demanda-t-il.¶
– Eh! bien?... dit-elle.¶
– Eh! bien!, dans tous les cas, il faut ici quelqu’un d’un homme habile, et je vais le
l’aller chercher...¶
L’air sombre dont qui accompagnait ces paroles furent accompagnées, glaça la
comtesse. Elle, elle retomba sur le lit en poussant un cri,soupir arraché plutôt par une
affreuse visionle sentiment de sa destinée que par les angoisses de la crise prochaine.¶ Ce
gémissement acheva de prouver au comte la vraisemblance de tous les des soupçons qui
se réveillaient dans son esprit. Une rage concentrée lui brisa le cœur; mais, En affectant
un calme que les accensaccents de sa voix, ses gestes, et ses regards démentaient, il se
leva précipitamment; puis, s’enveloppant à la hâte, s’enveloppa d’une robe en velours
noir qu’il trouva sur un fauteuil, il alla et commença par fermer soigneusement une porte
située auprès de la cheminée, et par laquelle on pouvait passerpassait de la chambre de
parade dans les appartemensappartements de réception qui communiquaient à l’escalier
d’honneur.¶ En voyant le soin avec lequel son mari gardaitgarder cette clef, la comtesse
eut le pressentiment d’un malheur. Epiant ses mouvemens avec une indéfinissable
anxiété,; elle l’entendit ouvrir la porte opposée à celle qu’il venait de fermer, et se rendre
dans une autre pièce où couchaient les comtes d’Hérouville , quand ils n’honoraient pas
leurs femmes de leur noble compagnie. Mais laLa comtesse ne connaissait que par ouïdire la destination de cette chambre, car depuis son mariagela jalousie fixait son mari près
d’elle. Si quelques expéditions militaires avaient pu seules obliger le comtel’obligeaient à
quitter le lit d’honneur; et l’on doit croire que, pendant ses absences forcées, il , le comte
laissait plus d’un argus au château.¶ Alors des argus dont l’incessant espionnage accusait
ses outrageuses défiances. Malgré l’attention avec laquelle la comtesse resta dans un
profond silence; et, malgré l’attention avec laquelle elle s’efforçait d’écouter le moindre
bruit, elle n’entendit plus rien qui pût lui révéler les intentions de son mari.. Le comte
était arrivé dans une longue galerie aboutissantcontiguë à sa chambre, et qui occupait
toute l’aile occidentale du château. Le cardinal d’Hérouville, son grand-oncle, amateur
passionné d’imprimeriedes œuvres de l’imprimerie, y avait amassé une bibliothèque aussi
curieuse par le nombre que par la beauté des volumes;, et, la prudence lui avait fait
pratiquer dans les murs une de ces inventions merveilleuses, conseilléeconseillées par la
solitude ou par la peur monastique.¶ Une chaîne d’argent soigneusement cachée mettait
en mouvement, au moyen de fils invisibles, une sonnette placée au chevet du lit d’un
serviteur fidèle.¶ Le comte, voulant agir avec le plus grand secret, entra à tâtons, saisit la
tira cette chaîne et la tira doucement. Un vieil , un écuyer de garde ne tarda pas à faire
retentir du bruit de ses bottes et de ses éperons les dalles sonores d’une vis en colimaçon,
contenue dans la haute tourelle qui flanquait, du côté de la mer, l’angle occidental du
château. du côté de la mer. En entendant monter le compagnon de ses périlsson serviteur,
le comte alla dérouiller les puissans ressorts de fer et les verrous qui défendaient la porte
secrète par laquelle la galerie communiquait avec la tourelle. Puis, et il introduisit dans ce
sanctuaire de la science un homme d’armes dont l’encolure annonçait un serviteur digne
du maître.¶ L’écuyer, à peine éveillé, semblait avoir marché par instinct. La ; la lanterne
de corne qu’il tenait à la main éclaira si faiblement la longue galerie, que son maître et lui
se dessinèrent dans l’obscurité comme deux fantômes.¶
– Selle mon cheval de bataille à l’instant même, et prépare-toi àtu vas
m’accompagner... dit le comte Cet ordre fut prononcé d’un son de voix profond qui
réveilla toute l’intelligence du serviteur.¶ Ce dernier, levant; il leva les yeux sur son
maître, et rencontra un regard si perçant, qu’il en reçut comme une secousse électrique.¶ –
Bertrand, ajouta le comte en posant la main droite sur le bras de l’écuyer, il faut quittertu
quitteras ta cuirasse et prendreprendras les habits d’un capitaine de miquelets.¶
– Vive Dieu, monseigneur, me déguiser en ligueur!... Excusez-moi, je vous obéirai,
mais j’aimerais autant être pendu!...¶
LeFlatté dans son fanatisme, le comte sourit comme un homme dont on caresse la
chimère favorite; mais, pour effacer ce rire qui contrastait avec l’expression sinistre
répandue sur son visage, il répondit brusquement:¶ – Ah çà, choisis: – Choisis dans
l’écurie un cheval assez vigoureux pour que tu me puisses me suivre. Nous
ironsmarcherons comme des balles au sortir de l’arquebuse. Quand je serai prêt, sois-le.
Je sonnerai de nouveau.¶
Bertrand s’inclina en silence, et partit. Quand; mais quand il eut descendu quelques
marches, il se dit à lui-même, en entendant siffler l’ouragan:¶: – Tous les démons sont
dehors, jarni-dieu!... et ça m’aurait j’aurais été bien étonné de voir celui-ci rester
tranquille. C’estNous avons surpris Saint-Lô par une tempête semblable que nous avons
surpris Saint-Lô!...¶
Le comte trouva dans sa chambre un le costume favorable à son projet, et qui lui
servait souvent pour ses stratagèmes. Il s’habilla à la hâte avec uneAprès avoir revêtu sa
mauvaise casaque, qui avait l’air d’appartenir à l’un de ces pauvres reîtres dont Henri IV
payait si rarement la solde, et était si rarement payée par Henri IV, il revint promptement
dans la chambre où gémissait sa femme.¶
– Tâchez de souffrir patiemment, lui dit-il. Je crèverai, s’il le faut, mon cheval, afin de
revenir plus vite pour apaiser vos douleurs.¶
Malgré les sons rauques de la voix de son mari, cesCes paroles
n’annonçantn’annonçaient rien de funeste, et la comtesse, enhardie, se préparait à faire
une question, lorsque le comte lui demanda tout à coup:¶: – Ne pourriez-vous pas
m’indiquerme dire où vous mettezsont vos masques?...?¶
– Mes masques!..., répondit-elle. Bon Dieu,! qu’en voulez-vous faire?...¶?¶
– Où sont vos masques? répéta-t-il avec sa violence ordinaire.¶
– Dans le bahut, dit-elle.¶
La comtesse ne put s’empêcher de frémir en voyant son mari s’emparer de tous
choisir dans ses masques, et s’occuper, avec une attention minutieuse, à déguiser son
visage à l’aide d’ un touret de nez , dont l’usage était aussi naturel aux dames de cette
époque, que l’est celui des gants aux femmes d’aujourd’hui.¶ Le comte devint
entièrement méconnaissable quand il eut mis sur sa tête un mauvais chapeau de feutre
gris, orné d’une vieille plume de coq toute cassée. Il serra autour de ses reins un large
ceinturon de cuir, dans la gaîne duquel il passa une longue dague qu’il ne portait pas
habituellement.¶ En ce moment, il s’avança vers le lit par un mouvement si étrange, et ses
Ces misérables vêtemensvêtements lui donnèrent un aspect si effrayant, et il s’avança
vers le lit par un mouvement si étrange, que la comtesse crut sa dernière heure arrivée.¶
-– Ah! ne nous tuez pas!..., s’écria-t-elle. Laissez, laissez-moi mon enfant, et je vous
aimerai!.. bien.¶
– Vous vous sentez donc bien coupable pour m’offrir, comme une rançon, de vos
fautes l’amour que vous me devez?...¶?¶
Ces La voix du comte eut un son lugubre sous le velours; ses amères paroles amères
furent accompagnées d’un regard flamboyant, et qui eut la voix du comte eut un son
lugubre sous le velours. La pesanteur du plomb et anéantit la comtesse, anéantie, en
tombant sur elle.¶
– Mon Dieu, s’écria -t-elle douloureusement:¶ – Mon Dieu, l’innocence serait-elle
donc funeste!...¶?¶
– Il ne s’agit pas de votre mort, lui répondit son maître en sortant de la rêverie où il
était tombé, mais de faire exactement, et pour l’amour de moi, ce que je réclame en ce
moment de vous.¶ Il jeta sur le lit un des deux masques qu’il tenait, et sourit de pitié en
voyant le geste de frayeur involontaire arrachéqu’arrachait à sa femme par la chutele choc
si loger du velours noir.¶– – Vous ne me ferez qu’un mièvre enfant! s’écria-t-il. Ayez ce
masque sur votre visage lorsque je serai de retour, ajouta-t-il: je. Je ne veux pas qu’un
homme, même un croquant, puisse se vanter d’avoir vu la comtesse d’Hérouville!....¶!¶
– Pourquoi prendre un homme?... pour cet office? demanda-t-elle à voix basse.¶
– Oh! oh! ma mie, ne suis-je pas le maître ici? répondit le comte.¶
– Qu’importe un mystère de plus?...! dit la comtesse au désespoir. Le .¶
Son maître ayant avait disparu, son cette exclamation fut sans danger pour elle.¶, car
souvent l’oppresseur étend ses mesures aussi loin que va la crainte de l’opprimé. Par un
des courts momensmoments de calme qui séparaient les accès de la tempête, la comtesse
entendit le pas de deux chevaux qui semblaient voler à travers les dunes périlleuses et les
rochers sur lesquels ce vieux château était assis; mais ce . Ce bruit fut promptement
étouffé par la voix des flots, et bientôt . Bientôt elle se trouva prisonnière dans ce sombre
appartement, seule au milieu d’une nuit tour à tour silencieuse ou menaçante, et sans
secours pour conjurer le un malheur qu’elle voyait s’avancer à grands pas, comme le
dénoûment des angoisses de son premier enfantement.¶ Pensant qu’elle devait peut-être la
vie à l’innocente finesse par laquelle elle avait fait appréhender une fausse couche à son
mari, la. La comtesse chercha une nouvelle quelque ruse pour sauver soncet enfant. Ce
petit être, conçu dans les larmes, et le désespoir, était déjà devenu toute son existence.
Depuis cinq mois, il était sa consolation, le principe de ses idées, l’avenir de ses
affections, sa seule et frêle espérance.¶ Elle se leva, soutenue Soutenue par un maternel
courage; et, allant , elle alla prendre le petit cor de cuivre dont se servait son mari pour
faire venir ses gens, elle ouvrit une fenêtre, et tira du cuivre quelques accens faibles etdes
accents grêles qui se perdirent sur la vaste étendue des eaux, comme une bulle lancée
dans les airs par un enfant. Alors elle pleura en comprenantElle comprit l’inutilité de cette
plainte ignorée des hommes. Marchant, et se mit à marcher à travers les appartemens, elle
espéraappartements, en espérant que toutes les issues n’en ne seraient pas fermées.
Parvenue à la bibliothèque, elle chercha, mais en vain, s’il n’y existerait pas quelque
passage secret; mais ce fut en vain. S’élançant au bout de, elle traversa la longue galerie
des livres, elle atteignit la fenêtre la plus rapprochée de la cour d’honneur du château, et
là, faisant fit de nouveau retentir les échos en sonnant du cor, elleet lutta sans succès avec
la voix puissante de l’ouragan.¶ Presque morte et découragée, Dans son découragement,
elle pensait à se confier à l’une des duègnes dont son mari l’avait entouréede ses femmes,
toutes créatures de son mari, lorsqu’en passant dans son oratoire elle vit que le comte
avait fermé la porte conduisant aux appartemens de ses femmes était fermée. La comtesse
eut à peine le temps de regagner son lit.qui conduisait à leurs appartements. Ce fut une
horrible découverte. Tant de précautions prises pour l’isoler annonçaient le désir de
procéder sans témoins à quelque terrible exécution. A mesure qu’elle que la comtesse
perdait tout espoir, les douleurs venaient l’assaillir, et alors elle en sentit bien plus
vivement le poids; car son découragement, accru de tous les efforts tentés pour sauver son
enfant, lui avait enlevé ses dernières forces. plus vives, plus ardentes. Le pressentiment
d’un meurtre possible, joint à la fatigue de ses efforts, lui enleva le reste de ses forces.
Elle ressemblait au naufragé qui, fatigué, succombe, emporté par une dernière lame moins
furieuse que toutes les autres.¶ Bientôt les souffrances ne permirent plus à la comtesse de
compter les heures.celles qu’il a vaincues. La douloureuse ivresse de l’enfantement ne lui
permit plus de compter les heures. Au moment où elle se crut sur le point d’accoucher,
seule, sans secours, et qu’à toutes ses terreurs se joignaitjoignit la crainte des
accidensaccidents auxquels son inexpérience l’exposait, le comte arriva soudain sans
qu’elle l’eût entendu venir. Il Cet homme se trouva là comme un démon réclamant, à
l’expiration d’un pacte, l’âme qui lui a été vendue. Il ; il gronda sourdement en voyant le
visage de sa femme découvert; mais, après l’avoir assez adroitement masquée, il
l’emporta dans ses bras nerveux, et la déposa sur le lit de sa chambre.¶
L’effroi que cette apparition et cet enlèvement inspirèrent à la comtesse fit taire un
moment la nature, et alors la malheureuse mère ses douleurs, elle put jeter un regard furtif
sur les acteurs de cette scène mystérieuse.¶, et ne reconnut pas Bertrand, qu’elle ne
reconnut pas (car il qui s’était masqué aussi soigneusement que son maître), avait . Après
avoir allumé à la hâte quelques bougies, dont la clarté se mêlait aux premiers rayons du
soleil, qui commençait à rougir qui rougissait les vitraux des fenêtres. Ce , ce serviteur
étonné paraissait, alla s’appuyer à l’angle d’une embrasure de fenêtre. Là, le visage tourné
vers le mur, il semblait en restant dans la même position, obéir à un ordre supérieur. Il
était appuyé sur l’angle d’une embrasure de fenêtre; et, le visage tourné vers le mur, dont
i1 semblait mesurer l’épaisseur formidable, il et se tenait dans une immobilité si complète
que vous eussiez dit d’une statue de chevalier.¶ Au milieu de la chambre, la comtesse
aperçut un petit homme très-gras et , tout pantois, dont les yeux étaient bandés. La et
dont les traits étaient si bouleversés par la terreur peinte sur sa figure rondelette en
bouleversait tellement les traits, qu’il était lui fut impossible d’en de deviner l’leur
expression habituelle, et il gardait, comme les mannequins des peintres, une posture si
stupide, qu’on pouvait le comparer à un enfant auquel ses camarades ont malicieusement
crié casse-cou de tous côtés.¶
– Par la mort-dieu! monsieur le rebouteur, luidrôle, dit le comte en lui rendant la vue
par un mouvement brusque qui fit tomber autour du au cou de l’inconnu le bandeau qu’il
avait sur les yeux, ne t’avise pas de regarder autre chose que la misérable sur laquelle tu
vas exercer ta science; ou sinon, je te jette dans la rivière qui coule sous ces fenêtres,
après t’avoir mis au chef un diamant un collier de diamants qui pèseront plus de cent
livres!¶ Et il tira légèrement sur la poitrine de son auditeur stupéfait la cravate qui avait
servi de bandeau.¶ – Examine d’abord si ce n’est qu’une fausse couche, et,; dans ce cas,
ta vie me répondrait de la sienne... Mais; mais si l’enfant est vivant, tu me l’apporteras.¶
Après cette allocution, le comte saisit par le milieu du corps le pauvre
rebouteuropérateur, l’enleva comme une plume de la place où il était, et le posa devant la
comtesse. Puis, il Le seigneur alla se placer au fond de l’embrasure de la croisée, où il
demeura immobile comme Bertrand. Seulement, jouantjoua du tambour avec ses doigts
sur le vitrage, en portant alternativement ses yeux se portèrent alternativement sur son
serviteur, sur le lit, sur l’océan, mais plus fréquemment peut-être sur le lit et l’océan; et
ses sinistres regards semblaient et sur l’Océan, comme s’il eût voulu promettre à l’enfant
attendu la mer pour berceau.¶
Le nom de rebouteur appartenait, à cette époque, comme un titre d’honneur, à
quelques-uns de ces hommes rares en France, qui, soit par sortilège, ou grâce à une
longue pratique, reboutaient, c’est-à-dire remettaient les jambes et les bras cassés,
guérissaient bêtes et gens de certaines maladies, et s’accommodaient merveilleusement
aux volontés des dames et des seigneurs qui ne les payaient pas toujours. Le pauvre
rebouteur, que le comte et Bertrand venaient d’arracher par une violence inouïe au plus
doux sommeil qui eût jamais clos paupière d’homme, pour l’attacher en croupe sur un
cheval qui semblait avoir l’enfer à sa suite, était célèbre principalement par son habileté
dans les accouchemens, avortemens et fausses couches.¶
Son caractère, naturellement malicieux et gai, s’était admirablement bien accommodé
de la joie et des repas qui couronnaient presque toujours ses opérations. Il luttait avec la
corporation formidable des sages-femmes; mais sa discrétion bien connue lui avait valu,
de quarante lieues à la ronde, la clientelle de la haute noblesse, qui dans ces temps de
désordres, était souvent obligée d’initier à des secrets honteux ou terribles maître Antoine
Beauvouloir. L’habitude d’être partout l’homme le plus important avait ajouté à son
imperturbable gaîté une dose de vanité grave. Ses impertinences étaient presque toujours
bien reçues dans les momens de crise, où il se plaisait à opérer avec une certaine lenteur
magistrale. De plus, il était curieux comme un rossignol; à ces deux défauts près,
développés en lui par les aventures multipliées où le jetait sa profession, c’était le
meilleur homme de Normandie.¶
En se trouvant placé par le comte devant une femme en mal d’enfant, maître
Beauvouloir recouvra toute sa présence d’esprit. Il se mit à tâter le pouls de la dame
masquée, sans penser aucunement à elle. C’était un maintien doctoral, à l’aide duquel il
réfléchissait sur sa propre situation. Dans aucune des intrigues, soit honteuses, soit
criminelles, où la force l’avait contraint d’agir en instrument aveugle, jamais les
précautions n’avaient été gardées avec autant de prudence que dans celle-ci. Il pouvait
souvent avoir compris que sa mort était mise en délibération, comme un moyen d’assurer
le secret de l’entreprise à laquelle il participait malgré lui; mais sa vie n’avait jamais été
tant compromise qu’en ce moment. Il résolut, avant tout, de reconnaître ceux dont il était
le complice, et de s’enquérir ainsi de l’étendue de son danger, afin de pouvoir sauver sa
chère personne.¶
– De quoi s’agit-il?..... demanda le rebouteur à voix basse, en disposant la comtesse à
recevoir les secours de sa vieille expérience.¶
– Ne lui donnez pas l’enfant...¶
– Parlez tout haut..... s’écria le comte d’une voix tonnante, qui empêcha maître
Beauvouloir d’entendre le dernier mot prononcé par la victime. – Ou sinon, ajouta le
seigneur qui déguisait soigneusement sa voix, dis ton In manus.¶
– Plaignez-vous à haute voix, dit le rebouteur à la dame; criez, jarnidieu! car cet
homme a des pierreries qui ne vous iraient pas mieux qu’à moi!... Du courage, ma petite
dame!...¶
– Aie la main légère!... cria de nouveau le comte.¶
– Monsieur est jaloux?... répondit le frater d’une petite voix aigre. Mais les cris de la
comtesse couvrirent sa voix.¶
Aussi heureusement pour la sûreté que pour la renommée de maître Beauvouloir, la
nature se montra clémente. C’était plutôt un avortement qu’un accouchement, tant
l’enfant qui apparut était chétif, débile et sans consistance. Grâce à sa rare petitesse, le
nouveau-né n’avait dû causer à sa mère aucune douleur aiguë.¶
– Par le ventre de la sainte Vierge!... s’écria le curieux rebouteur, ce n’est pas une
fausse couche!...¶
A ces mots le comte fit trembler le plancher, tant il le frappa violemment du pied;
tandis que la comtesse pinça maître Beauvouloir.
– Ah! ah! j’y suis! se dit-il à lui-même.¶
– Ce devait donc être une fausse couche?... demanda-t-il à l’oreille de la dame
masquée, qui lui répondit par un geste affirmatif, comme si ce geste était le seul langage
qui pût exprimer ses pensées.¶
– Tout cela n’est pas encore bien clair! pensa le rebouteur.¶
Comme tous ceux qui exercent son art avec habileté, le frater savait reconnaître assez
facilement si une femme en était, disait-il, à son premier malheur.
Quoique la pudique inexpérience de certains gestes lui révélât la virginité de la
comtesse en ce genre, le malicieux rebouteur s’écria:¶
– Madame accouche comme si elle n’avait jamais fait que cela!...
Un sourd grognement de rage sortit du gosier du comte; il trépigna d’une manière
convulsive, et dit:¶
– A moi l’enfant!¶
– Ne le lui donnez pas, au nom de Dieu!... s’écria la mère.¶
Ce cri presque sauvage réveilla dans le cœur du frater une courageuse bonté, qui lui
fit épouser la cause de la comtesse.¶
– L’enfant n’est pas encore venu! Vous vous battez de la chape à l’évêque!...
répondit-il froidement au comte, en cachant le pauvre avorton.¶
Mais étonné de ne pas entendre de cris, il regarda l’enfant, croyant déjà qu’il était
mort.¶
Alors le comte s’aperçut de la supercherie du rebouteur, et sautant sur lui d’un seul
bond:¶
– Tête-dieu pleine de reliques!... me le donneras-tu!... s’écria-t-il en rugissant de rage
et lui arrachant des mains l’innocente victime, qui alors jeta de faibles cris.¶
– Prenez garde; il est tout contrefait! dit maître Beauvouloir en s’accrochant au bras
du comte! Il est chétif; c’est un enfant venu sans doute à sept mois!...¶
Puis, avec une force supérieure qui lui était donnée par une sorte d’exaltation, il arrêta
les doigts du père en lui disant à l’oreille, d’une voix entrecoupée:¶
– Épargnez-vous un crime: il ne vivra pas!...¶
– Scélérat! s’écria vivement le comte, des mains duquel le rebouteur épouvanté avait
arraché l’enfant. Qui te dit que je veuille sa mort?... ne vois-tu pas que je le caresse?...¶
– Attendez alors qu’il ait dix-huit ans pour le caresser ainsi!... répondit Beauvouloir
retrouvant toute son importance.¶
– Mais, ajouta-t-il, en pensant à sa propre sûreté (car il venait de reconnaître le comte
qui, dans son emportement, avait oublié de déguiser sa voix), baptisez-le promptement, et
ne parlez pas de mon arrêt à la mère; autrement vous la tueriez.¶
Cette phrase adroite lui était suggérée par la joie secrète que le comte avait trahie en
laissant échapper un geste promptement réprimé, au moment où le frater lui prophétisa la
mort de l’avorton.¶
Le rebouteur, dont les paroles venaient de sauver l’enfant, s’était empressé de le
rapporter près de la mère. Il la trouva évanouie. Elle avait tout entendu, car il n’est pas
rare de voir, dans les grandes crises, les organes de l’homme contracter une délicatesse
inouïe.¶
Maître Beauvouloir montra au comte, par un geste ironique, l’état dans lequel leur
débat avait mis l’accouchée. Cependant les cris de l’enfant qu’il posa sur le lit rendirent,
comme par magie, la vie à la comtesse.¶
La pauvre dame L’homme que, par une violence inouïe, le comte et Bertrand venaient
d’arracher au plus doux sommeil qui eût jamais clos paupière humaine, pour l’attacher en
croupe sur un cheval qu’il put croire poursuivi par l’enfer, était un personnage dont la
physionomie peut servir à caractériser celle de cette époque, et dont l’influence se fit
d’ailleurs sentir dans la maison d’Hérouville.¶
Jamais en aucun temps les nobles ne furent moins instruits en sciences naturelles, et
jamais l’astrologie judiciaire ne fut plus en honneur, car jamais on ne désira plus
vivement connaître l’avenir. Cette ignorance et cette curiosité générale avaient amené la
plus grande confusion dans les connaissances humaines; tout y était pratique personnelle,
car les nomenclatures de la théorie manquaient encore; l’imprimerie exigeait de grands
frais, les communications scientifiques avaient peu de rapidité; l’Eglise persécutait encore
les sciences tout d’examen qui se basaient sur l’analyse des phénomènes naturels. La
persécution engendrait le mystère. Donc, pour le peuple comme pour les grands,
physicien et alchimiste, mathématicien et astronome, astrologue et nécromancien, étaient
six attributs qui se confondaient en la personne du médecin. Dans ce temps, le médecin
supérieur était soupçonné de cultiver la magie; tout en guérissant ses malades, il devait
tirer des horoscopes. Les princes protégeaient d’ailleurs ces génies auxquels se révélait
l’avenir, ils les logeaient chez eux et les pensionnaient. Le fameux Corneille Agrippa,
venu en France pour être le médecin de Henri II, ne voulut pas, comme le faisait
Nostradamus, pronostiquer l’avenir, et il fut congédié par Catherine de Médicis qui le
remplaça par Cosme Ruggieri. Les hommes supérieurs à leur temps et qui travaillaient
aux sciences étaient donc difficilement appréciés; tous inspiraient la terreur qu’on avait
pour les sciences occultes et leurs résultats.¶
Sans être précisément un de ces fameux mathématiciens, l’homme enlevé par le
comte jouissait en Normandie de la réputation équivoque attachée à un médecin chargé
d’œuvres ténébreuses. Cet homme était l’espèce de sorcier que les paysans nomment
encore, dans plusieurs endroits de la France, un Rebouteur. Ce nom appartenait à
quelques génies bruts qui, sans étude apparente, mais par des connaissances héréditaires
et souvent par l’effet d’une longue pratique dont les observations s’accumulaient dans
une famille, reboutaient, c’est-à-dire remettaient les jambes et les bras cassés,
guérissaient bêtes et gens de certaines maladies, et possédaient des secrets prétendus
merveilleux pour le traitement des cas graves. Non-seulement maître Antoine
Beauvouloir, tel était le nom du rebouteur, avait eu pour aïeul et pour père deux fameux
praticiens desquels il tenait d’importantes traditions, mais encore il était instruit en
médecine; il s’occupait de sciences naturelles. Les gens de la campagne voyaient son
cabinet plein de livres et de choses étranges qui donnaient à ses succès une teinte de
magie. Sans passer précisément pour sorcier, Antoine Beauvouloir imprimait, à trente
lieues à la ronde, un respect voisin de la terreur aux gens du peuple; et, chose plus
dangereuse pour lui-même, il avait à sa disposition des secrets de vie et de mort qui
concernaient les familles nobles du pays. Comme son grand-père et son père, il était
célèbre par son habileté dans les accouchements, avortements et fausses couches. Or,
dans ces temps de désordres, les fautes furent assez fréquentes et les passions assez
mauvaises pour que la haute noblesse se vît obligée d’initier souvent maître Antoine
Beauvouloir à des secrets honteux ou terribles. Nécessaire à sa sécurité, sa discrétion était
à toute épreuve; aussi sa clientèle le payait-elle généreusement, en sorte que sa fortune
héréditaire s’augmentait beaucoup. Toujours en route, tantôt surpris comme il venait de
l’être par le comte, tantôt obligé de passer plusieurs jours chez quelque grande dame, il ne
s’était pas encore marié; d’ailleurs sa renommée avait empêché plusieurs filles de
l’épouser. Incapable de chercher des consolations dans les hasards de son métier qui lui
conférait tant de pouvoir sur les faiblesses féminines, le pauvre rebouteur se sentait fait
pour les joies de la famille, et ne pouvait se les donner. Ce bonhomme cachait un
excellent cœur sous les apparences trompeuses d’un caractère gai, en harmonie avec sa
figure joufflue, avec ses formes rondes, avec la vivacité de son petit corps gras et la
franchise de son parler. Il désirait donc se marier pour avoir une fille qui transportât ses
biens à quelque pauvre gentilhomme; car il n’aimait pas son état de rebouteur, et voulait
faire sortir sa famille de la situation où la mettaient les préjugés du temps. Son caractère
s’était d’ailleurs assez bien accommodé de la joie et des repas qui couronnaient ses
principales opérations. L’habitude d’être partout l’homme le plus important avait ajouté à
sa gaieté constitutive une dose de vanité grave. Ses impertinences étaient presque
toujours bien reçues dans les moments de crise, où il se plaisait à opérer avec une certaine
lenteur magistrale. De plus, il était curieux comme un rossignol, gourmand comme un
lévrier et bavard comme le sont les diplomates qui parlent sans jamais rien trahir de leurs
secrets. A ces défauts près, développés en lui par les aventures multipliées où le jetait sa
profession, Antoine Beauvouloir passait pour être le moins mauvais homme de la
Normandie. Quoiqu’il appartînt au petit nombre d’esprits supérieurs à leur temps, un bon
sens de campagnard normand lui avait conseillé de tenir cachées ses idées acquises et les
vérités qu’il découvrait.¶
En se trouvant placé par le comte devant une femme en mal d’enfant, le rebouteur
recouvra toute sa présence d’esprit. Il se mit à tâter le pouls de la dame masquée, sans
penser aucunement à elle; mais, à l’aide de ce maintien doctoral, il pouvait réfléchir et
réfléchissait sur sa propre situation. Dans aucune des intrigues honteuses et criminelles où
la force l’avait contraint d’agir en instrument aveugle, jamais les précautions n’avaient été
gardées avec autant de prudence qu’elles l’étaient dans celle-ci. Quoique sa mort eût été
souvent mise en délibération, comme moyen d’assurer le succès des entreprises
auxquelles il participait malgré lui, jamais sa vie n’avait été compromise autant qu’elle
l’était en ce moment. Avant tout, il résolut de reconnaître ceux qui l’employaient, et de
s’enquérir ainsi de l’étendue de son danger afin de pouvoir sauver sa chère personne.¶
– De quoi s’agit-il? demanda le rebouteur à voix basse en disposant la comtesse à
recevoir les secours de son expérience.¶
– Ne lui donnez pas l’enfant.¶
– Parlez haut, dit le comte d’une voix tonnante qui empêcha maître Beauvouloir
d’entendre le dernier mot prononcé par la victime. Sinon, ajouta le seigneur qui déguisait
soigneusement sa voix, dis ton In manus.¶
– Plaignez-vous à haute voix, dit le rebouteur à la dame. Criez, jarnidieu! cet homme
a des pierreries qui ne vous iraient pas mieux qu’à moi! Du courage, ma petite dame?¶
– Aie la main légère, cria de nouveau le comte.¶
– Monsieur est jaloux, répondit l’opérateur d’une petite voix aigre qui fut
heureusement couverte par les cris de la comtesse.¶
Pour la sûreté de maître Beauvouloir, la nature se montra clémente. Ce fut plutôt un
avortement qu’un accouchement, tant l’enfant qui vint était chétif; aussi causa-t-il peu de
douleurs à sa mère.¶
– Par le ventre de la sainte Vierge, s’écria le curieux rebouteur, ce n’est pas une fausse
couche!¶
Le comte fit trembler le plancher en piétinant de rage, et la comtesse pinça maître
Beauvouloir.¶
– Ah! j’y suis, se dit-il à lui-même. – Ce devait donc être une fausse couche?
demanda-t-il tout bas à la comtesse qui lui répondit par un geste affirmatif, comme si ce
geste eût été le seul langage qui pût exprimer ses pensées. – Tout cela n’est pas encore
bien clair, pensa le rebouteur.¶
Comme tous les gens habiles en son art, l’accoucheur reconnaissait facilement une
femme qui en était, disait-il, à son premier malheur. Quoique la pudique inexpérience de
certains gestes lui révélât la virginité de la comtesse, le malicieux rebouteur s’écria: –
Madame accouche comme si elle n’avait jamais fait que cela!¶
Le comte dit alors avec un calme plus effrayant que sa colère: – A moi l’enfant.¶
– Ne le lui donnez pas, au nom de Dieu! fit la mère dont le cri presque sauvage
réveilla dans le cœur du petit homme une courageuse bonté qui l’attacha, beaucoup plus
qu’il ne le crut lui-même, à ce noble enfant renié par son père.¶
– L’enfant n’est pas encore venu. Vous vous battez de la chape à l’évêque, répondit-il
froidement au comte en cachant l’avorton.¶
Etonné de ne pas entendre de cris, le rebouteur regarda l’enfant en le croyant déjà
mort; la comte s’aperçut alors de la supercherie et sauta sur lui d’un seul bond.¶
– Tête-dieu pleine de reliques! me le donneras-tu, s’écria le seigneur en lui arrachant
l’innocente victime qui jeta de faibles cris.¶
– Prenez garde, il est contrefait et presque sans consistance, dit maître Beauvouloir en
s’accrochant au bras du comte. C’est un enfant venu sans doute à sept mois! Puis, avec
une force supérieure qui lui était donnée par une sorte d’exaltation, il arrêta les doigts du
père en lui disant à l’oreille, d’une voix entrecoupée: – Epargnez-vous un crime, il ne
vivra pas.¶
– Scélérat! répliqua vivement le comte aux mains duquel le rebouteur avait arraché
l’enfant, qui te dit que je veuille la mort de mon fils? Ne vois-tu pas que je le caresse?¶
– Attendez alors qu’il ait dix-huit ans pour le caresser ainsi, répondit Beauvouloir en
retrouvant son importance. Mais, ajouta-t-il en pensant à sa propre sûreté, car il venait de
reconnaître le seigneur d’Hérouville qui dans son emportement avait oublié de déguiser
sa voix, baptisez-le promptement et ne parlez pas de mon arrêt à la mère: autrement, vous
la tueriez.¶
La joie secrète que le comte avait trahie par le geste qui lui échappa quand la mort de
l’avorton lui fut prophétisée, avait suggéré cette phrase au rebouteur, et venait de sauver
l’enfant; Beauvouloir s’empressa de le reporter près de la mère alors évanouie, et il la
montra par un geste ironique, pour effrayer le comte de l’état dans lequel leur débat
l’avait mise. La comtesse avait tout entendu, car il n’est pas rare de voir dans les grandes
crises de la vie les organes humains contractant une délicatesse inouïe; cependant les cris
de son enfant posé sur le lit la rendirent comme par magie à la vie; elle crut entendre la
voix de deux anges, quand, à la faveur des vagissemensvagissements du nouveau-né, le
rebouteur lui dit à voix basse, en se penchant à son oreille:
– Ayez-en bien soin, il vivra cent ans!..... Beauvouloir s’y connaît!¶.¶
Un soupir céleste, un mystérieux serrement de main furent la récompense du
rebouteur, qui cherchait à s’assurer, avant de livrer aux embrassemensembrassements de
la mère impatiente cette frêle créature dont la peau portait encore l’empreinte des doigts
du comte, si la caresse paternelle n’avait rien dérangé dans sa chétive organisation.¶ Le
mouvement de folie par lequel la mère cacha son fils auprès d’elle, et le regard menaçant
qu’elle jeta sur le comte par les deux trous du masque, firent frissonner le
frater.¶Beauvouloir.¶
– Elle mourrait, si elle perdait trop promptement son enfant!fils, dit-il au comte vers
lequel il s’élança.¶
Pendant cette dernière partie de la scène, le sire d’Hérouville semblait être devenu
plus farouche. Il n’avaitn’avoir rien vu, ni rien entendu. Restant immobileImmobile et
comme absorbé dans une profonde méditation, il avait recommencé à battre du tambour
avec ses doigts sur les vitraux; mais, après la dernière phrase que lui dit le rebouteur, il se
retourna vers lui par un mouvement d’une violence frénétique, et tira sa dague, et
s’écria:¶.¶
– Misérable manant!...¶ Ce mot était un sobriquet outrageant donné par les royalistes
aux ligueurs.¶– s’écria-t-il, en lui donnant le sobriquet par lequel les Royalistes
outrageaient les Ligueurs. Impudent coquin! La science, qui te vaut l’honneur d’être le
complice des gentilshommes pressés d’ouvrir ou de fermer des successions, me retient à
peine de priver à jamais la Normandie de son sorcier, en l’élevant triomphalement à six
pieds de terre!...¶
Puis, au . Au grand contentement de Beauvouloir, le comte repoussa violemment sa
dague dans le fourreau.¶ – Ne saurais-tu, continua-t-il d’une voix tonnantedit le sire
d’Hérouville en continuant, te trouver une fois en ta vie dans l’honorable compagnie d’un
seigneur et de sa dame, sans les soupçonner de ces méchansméchants calculs que tu
laisses faire à la canaille, sans songer qu’elle n’y est pas autorisée, comme les
gentilshommes, par des motifs plausibles? Puis-je avoir, dans cette occurrence, des
raisons d’étatd’Etat pour agir comme tu le supposes?... Tuer mon fils!... l’enlever à sa
mère!... Où as-tu pris ces billevesées? Suis-je fou? Pourquoi nous effraies-tu sur les jours
de ce vigoureux enfant?... Bélître, comprends donc que je me suis défié de ta pauvre
vanité!. Si tu avais su le nom de la dame que tu as accouchée, tu te serais vanté de l’avoir
vue! Pâque-Dieu!... Tu aurais peut-être tué, par trop de précaution, la mère ou l’enfant.
Mais, songes-y bien, ta misérable vie me répond des leurs!¶et de ta discrétion et de leur
bonne santé!¶
Le rebouteur fut stupéfait du changement subit qui s’opérait dans les intentions du
comte. Cet accès de tendresse pour l’avorton l’effrayait encore plus que l’impatiente
cruauté et la morne indifférence qu’il avait d’abord manifestées d’abord; car l’accent qu’il
mit en par le seigneur. L’accent du comte en prononçant sa dernière phrase décelait une
combinaison plus savante pour arriver à l’accomplissement d’un dessein immuable.¶
Maître Beauvouloir se promit alors intérieurement de décamper du pays, s’il avait le
bonheur de se retirer sain et sauf de s’expliqua ce mauvais pas. Puis, s’expliquant un
dénoûment aussi imprévu par la double promesse qu’il avait faite à la mère et au père:¶
: – J’y suis! se dit-il. Ce bon seigneur ne veut pas se rendre odieux à sa femme, et s’en
remettra sur la providence de l’apothicaire; alors il . Il faut alors que je tâche de prévenir
la dame de veiller sur son noble marmot!...¶
Au moment où il se dirigeait vers le lit, le comte, qui s’était approché d’une armoire à
plusieurs tiroirs, l’arrêta par une puissanteimpérative interjection; et, au. Au geste que fit
le seigneur en lui tendant une bourse, le rebouteurBeauvouloir se mit en devoir de
recueillir, non sans une joie inquiète, l’or qui brillait à travers un réseau de soie rouge, et
qui lui fut dédaigneusement jeté.¶
Le comte, le lui jetant avec dédain, dit avec ironie:¶ – Si tu m’as fait raisonner comme
un vilain, je ne me crois pas dispensé de te payer en seigneur. Je ne te demande pas la
discrétion!... L’homme que voici –, dit le comte montraen montrant Bertrand – a dû te
dire que, partout où il y, a dû t’expliquer que partout où il se rencontre des chênes et des
rivières, mes diamansdiamants et mes colliers savent trouver les manansmanants qui
parlent de moi!...¶
En achevant ces paroles de clémence, le géant s’avança lentement vers le rebouteur
interdit, lui approcha bruyamment un siége, et parut l’inviter à s’asseoir comme lui, près
de l’accouchée.¶
– Eh! bien! , ma mignonne, nous avons enfin un fils!..., reprit-il. C’est bien de la joie
pour nous. Souffrez-vous beaucoup?...¶?¶
– Non, dit en murmurant la comtesse.¶
L’étonnement de la mère et sa gêne, les tardives démonstrations de la joie factice et
tardive du père, convainquirent maître Beauvouloir qu’un incident grave échappait à sa
pénétration habituelle. Le frater, persistant; il persista dans ses soupçons, appliquaet
appuya sa main sur celle de la jeune femme, sous prétexte de moins pour s’assurer de son
état, que pour lui donner quelques avis.¶
– La peau est bonne..., dit-il. Nul accident fâcheux n’est à craindre pour madame. La
fièvre de lait viendra sans doute;, ne vous en épouvantez pas..., ce ne sera rien.¶
Mais làLà, le rusé rebouteur s’arrêtant, serra la main de la comtesse, par un
mouvement d’une rare intelligence.¶ pour la rendre attentive.¶
– Si vous ne voulez pas avoir d’inquiétude sur votre enfant, madame, reprit-il, il vous
ne fautdevez pas le quitter. Laissez-le long-temps boire le lait que ses petites lèvres
cherchent déjà; nourrissez-le vous-même, et gardez-vous bien des drogues de
l’apothicaire. Le sein est le remède à toutes les maladies des enfans.enfants. J’ai
beaucoup vu d’accouchemensobservé d’accouchements à sept mois, mais j’ai rarement vu
de délivrance aussi peu douloureuse que la vôtre. Ce n’est pas étonnant:, l’enfant est si
maigre!... Il tiendrait dans un sabot!... et je Je suis sûr qu’il ne pèse pas quinze onces. Du
lait,! du lait! S’il reste toujours sur votre sein, vous le sauverez.¶
Ces dernières paroles furent accompagnées d’un nouveau mouvement imperceptible
des de doigts du rebouteur qui pressa le bras de la comtesse; et malgré. Malgré les deux
jets de flammes que dardaient les yeux du comte par les trous de son masque,
Beauvouloir débita ses périodes avec le sérieux imperturbable d’un homme qui voulait
gagner son argent.¶
– Oh! oh! rebouteur, tu oublies ton vieux feutre noir?..., lui dit Bertrand au moment
où le fraterl’opérateur sortait avec lui de la chambre.¶
Les motifs de la clémence du comte envers son fils étaient puisés dans un et coetera
de notaire. Au moment où Beauvouloir lui arrêta les mains, l’Avarice et la Coutume de
Normandie s’étaient dressées devant lui. Par un signe, ces deux puissances lui
engourdirent les doigts et imposèrent silence à ses passions haineuses. L’une lui cria: – «
Les biens de ta femme ne peuvent appartenir à la maison d’Hérouville que si un enfant
mâle les y transporte! » L’autre lui montra la comtesse mourant et les biens réclamés par
la branche collatérale des Saint-Savin. Toutes deux lui conseillèrent de laisser à la nature
le soin d’emporter l’avorton, et d’attendre la naissance d’un second fils qui fût sain et
vigoureux, pour pouvoir se moquer de la vie de sa femme et de son premier-né. Il ne vit
plus un enfant, il vit des domaines, et sa tendresse devint subitement aussi forte que son
ambition. Dans son désir de satisfaire à la Coutume, il souhaita que ce fils mort-né eût les
apparences d’une robuste constitution. La mère, qui connaissait bien le caractère du
comte, fut encore plus surprise que ne l’était le rebouteur, et conserva des craintes
instinctives qu’elle manifestait parfois avec hardiesse, car en un instant le courage des
mères avait doublé sa force.¶
Pendant quelques jours, le comte resta très-assidûment auprès de sa femme, et lui
prodigua des soins auxquels l’intérêt imprimait une sorte de tendresse. La comtesse
devina promptement qu’elle seule était l’objet de toutes ces attentions. La haine du père
pour son fils se montrait dans les moindres détails; il s’abstenait toujours de le voir ou de
le toucher; il se levait brusquement et allait donner des ordres au moment où les cris se
faisaient entendre; enfin, il semblait ne lui pardonner de vivre que dans l’espoir de le voir
mourir. Cette dissimulation coûtait encore trop au comte. Le jour où il s’aperçut que l’œil
intelligent de la mère pressentait sans le comprendre le danger qui menaçait son fils, il
annonça son départ pour le lendemain de la messe des relevailles, en prenant le prétexte
d’amener toutes ses forces au secours du roi.¶
Telles furent les circonstances qui accompagnèrent et précédèrent la naissance
d’Étienne d’Hérouville. Pour désirer incessamment la mort de ce fils désavoué, le comte
n’aurait pas eu le puissant motif de l’avoir déjà voulue; il aurait même fait taire cette
triste disposition que l’homme se sent à persécuter l’être auquel il a déjà nui; il ne se
serait pas trouvé dans l’obligation, cruelle pour lui, de feindre de l’amour pour un odieux
avorton qu’il croyait fils de Chaverny, le pauvre Étienne n’en aurait pas moins été l’objet
de son aversion. Le malheur d’une constitution rachitique et maladive, aggravé peut-être
par sa caresse, était à ses yeux une offense toujours flagrante pour son amour-propre de
père. S’il avait en exécration les beaux hommes, il ne détestait pas moins les gens débiles
chez lesquels la force de l’intelligence remplaçait la force du corps. Pour lui plaire, il
fallait être laid de figure, grand, robuste et ignorant. Étienne, que sa faiblesse vouait en
quelque sorte aux occupations sédentaires de la science, devait donc trouver dans son
père un ennemi sans générosité. Sa lutte avec ce colosse commençait dès le berceau; et
pour tout secours contre un si dangereux antagoniste, il n’avait que le cœur de sa mère,
dont l’amour s’accroissait, par une loi touchante de la nature, de tous les périls qui le
menaçaient.¶
Ensevelie tout à coup dans une profonde solitude par le brusque départ du comte,
Jeanne de Saint-Savin dut à son enfant les seuls semblants de bonheur qui pouvaient
consoler sa vie. Ce fils, dont la naissance lui était reprochée à cause de Chaverny, la
comtesse l’aima comme les femmes aiment l’enfant d’un illicite amour, obligée de le
nourrir, elle n’en éprouva nulle fatigue. Elle ne voulut être aidée en aucune façon par ses
femmes, elle vêtait et dévêtait son enfant en ressentant de nouveaux plaisirs à chaque
petit soin qu’il exigeait. Ces travaux incessants, cette attention de toutes les heures,
l’exactitude avec laquelle elle devait s’éveiller la nuit pour allaiter son enfant, furent des
félicités sans bornes. Le bonheur rayonnait sur son visage quand elle obéissait aux
besoins de ce petit être. Comme Étienne était venu prématurément, plusieurs vêtements
manquaient, elle désira les faire elle-même, et les fit, avec quelle perfection, vous le
savez, vous qui, dans l’ombre et le silence, mères soupçonnées, avez travaillé pour des
enfants adorés! A chaque aiguillée de fil, c’était une souvenance, un désir, des souhaits,
mille choses qui se brodaient sur l’étoffe comme les jolis dessins qu’elle y fixait. Toutes
ces folies furent redites au comte d’Hérouville et grossirent l’orage déjà formé. Les jours
n’avaient plus assez d’heures pour les occupations multipliées et les minutieuses
précautions de la nourrice; ils s’enfuyaient chargés de contentements secrets.¶
Les avis du rebouteur étaient toujours écrits devant la comtesse; aussi craignait-elle
pour son enfant, et les services de ses femmes, et la main de ses gens; elle aurait voulu
pouvoir ne pas dormir afin d’être sûre que personne n’approcherait d’Étienne pendant son
sommeil; elle le couchait près d’elle. Enfin elle assit la Défiance à ce berceau. Pendant
l’absence du comte, elle osa faire venir le chirurgien de qui elle avait bien retenu le nom.
Pour elle, Beauvouloir était un être envers lequel elle avait une immense dette de
reconnaissance à payer; mais elle désirait surtout le questionner sur mille choses relatives
à son fils. Si l’on devait empoisonner Étienne, comment pouvait-elle déjouer les
tentatives, comment gouverner sa frêle santé? fallait-il l’allaiter longtemps? Si elle
mourait, Beauvouloir se chargerait-il de veiller sur la santé du pauvre enfant?¶
Aux questions de la comtesse, Beauvouloir attendri lui répondit qu’il redoutait autant
qu’elle le poison pour Étienne; mais sur ce point, la comtesse n’avait rien à craindre tant
qu’elle le nourrirait de son lait; puis pour l’avenir, il lui recommanda de toujours goûter à
la nourriture d’Étienne.¶
¶
– Si madame la comtesse, ajouta le rebouteur, sent quoi que ce soit d’étrange sur la
langue, une saveur piquante, amère, forte, salée, tout ce qui étonne le goût enfin, rejetez
l’aliment. Que les vêtements de l’enfant soient lavés devant vous, et gardez la clef du
bahut où ils seront. Enfin, quoi qu’il lui arrive, mandez-moi, je viendrai.¶
Les enseignements du rebouteur se gravèrent dans le cœur de Jeanne, qui le pria de
compter sur elle comme sur une personne dont il pouvait disposer; Beauvouloir lui dit
alors qu’elle tenait entre ses mains tout son bonheur.¶
Il raconta succinctement à la comtesse comment le seigneur d’Hérouville, faute de
belles et de nobles amies qui voulussent de lui à la cour, avait aimé dans sa jeunesse une
courtisane surnommée la Belle Romaine, et qui précédemment appartenait au cardinal de
Lorraine. Bientôt abandonnée, la Belle Romaine était venue à Rouen pour solliciter de
plus près le comte en faveur d’une fille de laquelle il ne voulait point entendre parler, en
alléguant sa beauté pour ne la point reconnaître. A la mort de cette femme qui périt
misérable, la pauvre enfant, nommée Gertrude, encore plus belle que sa mère, avait été
recueillie par les Dames du couvent des Clarisses, dont la supérieure était mademoiselle
de Saint-Savin, tante de la comtesse. Ayant été appelé pour soigner Gertrude, il s’était
épris d’elle à en perdre la tête. Si madame la comtesse, dit Beauvouloir, voulait
entremettre cette affaire, elle s’acquitterait non-seulement de ce qu’elle croyait lui devoir,
mais encore il s’estimerait être son redevable. Ainsi sa venue au château, fort dangereuse
aux yeux du comte, serait justifiée; puis tôt ou tard, le comte s’intéresserait à une si belle
enfant, et pourrait peut-être un jour la protéger indirectement en le faisant son médecin.¶
La comtesse, cette femme si compatissante aux vraies amours, promit de servir celles
du pauvre médecin. Elle poursuivit si chaudement cette affaire, que, lors de son second
accouchement, elle obtint, pour la grâce qu’à cette époque les femmes étaient autorisées à
demander à leurs maris en accouchant, une dot pour Gertrude, la belle bâtarde, qui, vers
ce temps, au lieu d’être religieuse, épousa Beauvouloir. Cette dot et les économies du
rebouteur le mirent à même d’acheter Forcalier, un joli domaine voisin du château
d’Hérouville, et que vendaient alors des héritiers.¶
¶
III.
L’AMOUR PATERNEL.¶
Les motifs de la clémence du comte envers son fils étaient puisés dans un et cætera de
notaire. En effet, au moment où le rebouteur lui arrêta les mains, l’Avarice et la Coutume
de Normandie s’étaient tout à coup dressées devant lui. Par un signe, ces deux puissances
lui engourdirent les doigts, et imposèrent silence à ses passions haineuses.¶
L’une lui cria: – Les biens de ta femme ne peuvent appartenir à la maison
d’Hérouville, que si un enfant mâle les y transporte.¶
L’autre lui montra la comtesse mourante, et les biens réclamés par la branche
collatérale des Saint-Savin.¶
Toutes deux lui conseillèrent de laisser à la nature le soin d’emporter l’avorton, et
d’attendre la naissance d’un second fils, qui fût sain et vigoureux, pour aider la nature et
pouvoir mépriser la vie de sa femme.¶
Alors il ne vit plus un enfant, il vit des domaines.¶
Sa tendresse subite était forte comme son ambition: il aurait voulu, dans son désir de
satisfaire à la loi, que ce fils mort-né eût les apparences d’une robuste constitution.¶
Connaissant mieux le caractère du comte, la mère, encore plus surprise que le
rebouteur, conserva une crainte instinctive qu’elle manifestait parfois avec hardiesse;
mais son enfant lui avait donné de la force et fait un courage.¶
Pendant quelques jours, le comte resta très-assidûment auprès de sa femme, et lui
prodigua des soins auxquels l’intérêt imprimait une sorte de tendresse. Mais, avec l’œil
d’une mère, la comtesse s’aperçut promptement qu’elle seule était l’objet de toutes ces
attentions. La haine du père pour son fils était visible. Il s’abstenait toujours de le voir
alla ou de de le toucher, se levait brusquement et allait donner des ordres au moment où
les cris se faisaient entendre; enfin, il ne semblait lui pardonner d’exister que dans
l’espoir de sa mort. Mais cette dissimulation coûtait encore trop au comte. Le jour où il
s’aperçut que l’œil intelligent de la mère devinait, sans le comprendre, le danger qui
menaçait son fils, il annonça son départ pour le lendemain de la messe des relevailles, en
prétextant la nécessité où il était d’amener au secours du roi toutes les forces dont il
pouvait disposer.¶
Telles furent les circonstances qui accompagnèrent et précédèrent la naissance
d’Étienne d’Hérouville. Le comte n’aurait pas eu, pour désirer incessamment la mort de
ce fils désavoué, le puissant motif de l’avoir déjà voulue; il aurait même fait taire cette
triste disposition que l’homme se sent, de haïr l’être auquel il a nui une première fois; et il
ne se serait pas trouvé dans l’obligation, cruelle pour lui, de feindre de l’amour pour un
avorton qui lui était odieux: le pauvre Étienne n’en aurait pas moins été l’objet de son
aversion.¶
La constitution rachitique et maladive de ce petit corps, dont la caresse paternelle
avait peut-être aggravé les défauts de conformation, était, aux yeux du comte, une offense
toujours flagrante pour son amour-propre de père. S’il avait en exécration les beaux
hommes, il ne détestait pas moins les gens débiles, voués aux sciences et aux
plaisirs de l’intelligence. Pour lui plaire, il fallait être laid de figure, grand et robuste.
L’ignorance des livres et la connaissance de l’art militaire étaient les seules qualités qu’il
prisât dans un homme. La rudesse des manières et du langage achevaient d’en faire, à ses
yeux, un modèle accompli de virilité.¶
Étienne devait donc trouver dans son père un ennemi sans générosité. Sa lutte avec ce
colosse commençait dès le berceau; et, pour tout secours contre un antagoniste aussi
dangereux il n’avait que le cœur de sa timide et jeune mère, dont l’amour pour lui
s’accroissait, par une loi touchante de la nature, de tous les périls qui le menaçaient.¶
Ensevelis tout à coup dans une profonde solitude par le brusque départ du comte, ces
deux êtres faibles et timides se comprirent admirablement, s’unirent par une même
pensée, et arrivèrent à n’avoir qu’une même existence.¶
Au moment où, pour la première fois, Étienne distingua les objets, et qu’il put exercer
sa vue avec cette stupide avidité naturelle aux enfans, ses regards rencontrèrent les
sombres lambris de la chambre d’honneur; lorsque sa jeune oreille s’efforça de percevoir
les sons et d’en saisir les différences, il entendit le bruissement monotone des eaux de la
mer qui venaient se briser sur les rochers par un mouvement aussi régulier que celui d’un
balancier d’horloge: ainsi, les lieux, les sons, les choses, tout ce qui frappe les sens,
prépare l’entendement et forme le caractère, s’accordait à le rendre enclin à la
mélancolie.¶
Dès sa naissance, il devait croire que sa mère était la seule créature qui existât sur
terre, voir le monde comme un désert, et s’habituer à ce sentiment de retour sur nousmêmes qui nous porte à vivre seuls, à chercher en nous les immenses ressources de la
pensée. Comme tous les enfans en proie à une souffrance, il gardait presque toujours une
attitude passive.Rassurée ainsi par le bon rebouteur, la comtesse sentit sa vie à jamais
remplie par des joies inconnues aux autres mères. Certes, toutes les femmes sont belles
quand elles suspendent leurs enfants à leur sein en veillant à ce qu’ils y apaisent leurs cris
et leurs commencements de douleur; mais il était difficile de voir, même dans les
tableaux italiens, une scène plus attendrissante que celle offerte par la comtesse,
lorsqu’elle sentait Étienne se gorgeant de son lait, et son sang devenir ainsi la vie de ce
pauvre être menacé. Son visage étincelait d’amour, elle contemplait ce cher petit être, en
craignant toujours de lui voir un trait de Chaverny à qui elle avait trop songé. Ces
pensées, mêlées sur son front à l’expression de son plaisir, le regard par lequel elle
couvait son fils, son désir de lui communiquer la force qu’elle se sentait au cœur, ses
brillantes espérances, la gentillesse de ses gestes, tout formait un tableau qui subjugua les
femmes qui l’entouraient: la comtesse vainquit l’espionnage.¶
Bientôt ces deux êtres faibles s’unirent par une même pensée, et se comprirent avant
que le langage ne pût leur servir à s’entendre. Au moment où Étienne exerça ses yeux
avec la stupide avidité naturelle aux enfants, ses regards rencontrèrent les sombres
lambris de la chambre d’honneur. Lorsque sa jeune oreille s’efforça de percevoir les sons
et de reconnaître leurs différences, il entendit le bruissement monotone des eaux de la mer
qui venait se briser sur les rochers par un mouvement aussi régulier que celui d’un
balancier d’horloge. Ainsi les lieux, les sons, les choses, tout ce qui frappe les sens,
prépare l’entendement et forme le caractère, le rendit enclin à la mélancolie. Sa mère ne
devait-elle pas vivre et mourir au milieu des nuages de la mélancolie. Dès sa naissance, il
put croire que la comtesse était la seule créature qui existât sur la terre, voir le monde
comme un désert, et s’habituer à ce sentiment de retour sur nous-mêmes qui nous porte à
vivre seuls, à chercher en nous-mêmes le bonheur, en développant les immenses
ressources de la pensée. La comtesse n’était-elle pas condamnée à demeurer seule dans la
vie, et à trouver tout dans son fils, persécuté comme le fut son amour à elle. Semblable à
tous les enfants en proie à la souffrance, Étienne gardait presque toujours l’attitude
passive qui, douce ressemblance, était celle de sa mère. La délicatesse de ses organes
étaitfut si grande, qu’un bruit trop soudainsoudain ou que la compagnie d’une personne
tumultueuse lui donnait une sorte de fièvre. Vous eussiez dit d’un de ces petits insectes
pour lesquels Dieu semble modérer la violence du vent et la chaleur du soleil. Aussi,;
comme eux, incapable de lutter contre le moindre obstacle, il cédait comme eux, sans
résistance et sans ni plainte, à tout ce qui paraissait agressif.¶ Cette patience angélique
inspirait à sa mèrela comtesse un sentiment profond qui l’aidait à supporter lesôtait toute
fatigue aux soins minutieux et constans réclamés par une santé si chancelante. Les avis du
rebouteur étaient toujours écrits devant elle; et alors, craignant tout pour son enfant, elle
assit la Défiance près de son berceau. Bientôt elle trouva des joies célestes dans la triste
existence qu’elle croyait déshéritée de bonheur: voir son fils, c’était oublier ses peines. .¶
Elle admira la Providence, qui le remercia Dieu, qui plaçait Étienne, comme une foule
de créatures, au sein de la sphère de paix et de silence, la seule où il pût s’élever
heureusement et se soustraire à la mort.¶. Souvent les mains maternelles, pour lui si
douces et si prudentesfortes à la fois, le transportaient dans la haute région des fenêtres
ogives... alors De là, ses yeux , bleus, comme ceux de sa mère, semblaient étudier les
ondes vertes de l’océan. Ils magnificences de l’Océan. Tous deux restaient ainsi tous
deuxalors des heures entières à contempler l’infini de cette vaste nappe, tour à tour
sombre et brillante., muette et sonore. Ces longues et muettes méditations étaient pour
Étienne un secret apprentissage de la douleur, car presque. Presque toujours alors les yeux
de sa mère se mouillaient de larmes;, et, alors, pendant ces pénibles songes de l’âme, les
jeunes traits d’Étienne ressemblaient à un léger réseau tiré par un poids trop lourd. Puis,
bientôtBientôt sa précoce intelligence du malheur lui révélant tout le pouvoir de que ses
jeux enfantinsexerçaient sur la comtesse,; il essayait, en ces instans de tristesse, de la
divertir par les mêmes caresses dont elle se servait pour endormir ses souffrances; et
jamais . Jamais ses petites mains lutines, ses demi-petits mots bégayés, ses rires
intelligensintelligents, ne manquaient de dissiper les rêveries de sa mère. Alors, s’il était
Etait-il fatigué, une sa délicatesse instinctive l’empêchait de se plaindre.¶
– Pauvre chère sensitive!..., s’écria la comtesse en le voyant endormi de lassitude
après une folâtrerie qui venait de faire enfuir un de ses souvenirs les plus douloureux. Où
souvenirs, où pourras-tu vivre? Qui te comprendracomprendra jamais!....., toi dont l’âme
tendre sera blessée par un regard trop sévère, et? toi qui, semblable à ta triste mère,
estimeras un doux sourire chose plus précieuse que tous les biens de la terre?... Ange
aimé de ta mère, qui t’aimera dans le monde?... Qui devinera les trésors enseveliscachés
sous ta frêle enveloppe?... Personne... Comme moi, tu seras seul sur terre...¶ Dieu te garde
de concevoir, comme moi, un amour favorisé par Dieu, traversé par les hommes!¶
Elle soupira, elle pleura; mais en voyant la pose . La gracieuse pose de son fils qui
dormait sur ses genoux, elle sourit la fit sourire avec mélancolie, et : elle le regarda long-temps en silence... heureuse, et goûtantsavourant un de ces plaisirs muets, profonds, qui
sont un secret entre les mères et Dieu.... Après avoir reconnu combien sa voix, unie aux
accents de la mandoline, plaisait à son fils, elle lui chantait les romances si gracieuses de
cette époque, et elle croyait voir sur ses petites lèvres barbouillées de son lait le sourire
par lequel Georges de Chaverny la remerciait jadis quand elle quittait son rebec. Elle se
reprochait ces retours sur le passé, mais elle y revenait toujours. L’enfant, complice de
ces rêves, souriait précisément aux airs qu’aimait Chaverny.¶
A dix-huit mois, la faiblesse d’Étienne n’avait pas encore permis à la comtesse de le
promener au dehors; mais les légères couleurs qui nuançaientnuançaient le blanc mat de
sa peau, comme si le plus pâle des pétales d’un églantier y eût été apporté par le vent,
attestaient déjà la vie et la santé. Au moment où elle commençait à croire aux prédictions
du rebouteur, et s’applaudissait d’avoir pu, en l’absence du comte, entourer son fils des
précautions les plus sévères, afin de le préserver de tout danger, les lettres écrites par le
secrétaire de son mari lui en annoncèrent le prochain retour du maître.¶. Un matin, la
comtesse, livrée à la folle joie qui s’empare de toutes les mères quand elles voient pour la
première fois marcher leur premier enfant, jouait avec Étienne à ces jeux aussi
indescriptibles que peut l’être le charme des souvenirs... Tout; tout à coup elle entendit
craquer les planchers sous un pas pesant, et à . A peine s’était-elle levée, par un
mouvement de surprise involontaire, qu’elle se trouva devant le comte. Elle jeta un cri
d’effroi, mais elle essaya de réparer ce tort involontaire en s’avançant vers le comte et lui
tendant son front avec soumission pour y recevoir un baiser.¶
– Si j’avais été prévenuePourquoi ne pas me prévenir de votre arrivée..? dit-elle.¶
– La réception, répondit le comte en l’interrompant, eût été plus cordiale et , mais
moins franche.¶
Il avisa l’enfant, et l’état de santé dans lequel il le revoyait lui arracha d’abord un
geste de surprise empreint de fureur; mais réprimant soudainil réprima soudain sa colère,
il et se mit à sourire.¶
– Je vous apporte de bonnes nouvelles..., reprit-il. J’ai le gouvernementgouvernement
de Champagne, et la promesse du roi d’être fait duc et pair. Puis, nous avons hérité d’un
parent... Ce ; ce maudit huguenot de Chaverny est mort.¶
La comtesse pâlit et tomba sur un fauteuil. Elle devinait le secret de la sinistre joie
répandue sur la figure de son mari, et que la vue d’Étienne semblait accroître. C’était le
rire d’un démon.¶
¶
– Monsieur, dit-elle d’une voix émue, vous n’ignorez pas que j’ai long-temps aimé
mon cousin de Chaverny. Vous répondrez à Dieu de la douleur que vous me causez...¶
A ces mots, le regard du comte étincela, et; ses lèvres tremblèrent sans qu’il pût
proférer une parole, tant il était ému par la rage; mais, enfin, jetantil jeta sa dague sur une
table avec une telle violence que le fer résonna comme un coup de tonnerre:¶.¶
– ÉcoutezEcoutez-moi!..., cria-t-il d’une voix étourdissantede sa grande voix, et
souvenez-vous de ceci! Je mes paroles: je veux ne jamais entendre ni voir le petit monstre
que vous tenez dans vos bras. Il , car il est votre enfant et non le mien... A; a-t-il un seul
de mes traits?... Jour de Dieu! tête-Dieu pleine de reliques! cachez-le bien, ou sinon...¶
– Juste ciel!... cria la comtesse, protégez-nous.¶
– Silence!... répondit le colosse. Si vous ne voulez pas que je le heurte, faites en sorte
qu’il ne se rencontre plus que je ne le trouve jamais sur mon passage...¶
– AlorsMais alors, reprit la comtesse , qui se sentit le courage de lutter contre son
tyran, jurez-moi de ne point attenter à ses jours, si vous ne le voyez pas...rencontrez plus.
Puis-je compter sur votre parole de gentilhomme?...¶?¶
– Mais,...– Que veut dire ceci? reprit le comte.¶
– Eh! bien! monstre, tuez-nous donc,... aujourd’hui tous deux! s’écria-t-elle en se
jetant à genoux et serrant son enfant dans ses bras...¶
– Levez-vous, madame! Je vous engage ma foi de gentilhomme de ne rien
entreprendre sur la vie de ce maudit embryon, pourvu qu’il demeure sur les rochers qui
bordent la mer au -dessous du château; je lui donne la maison du pêcheur pour habitation
et la grève pour domaine; mais malheur à lui, si je le retrouve jamais au delà de ces
limites!...¶!¶
La comtesse se mit à pleurer amèrement.¶
– Voyez-le donc!..., dit-elle. C’est votre fils....¶
– Madame!...¶!¶
A ce mot, la comtesse mère épouvantée emporta son enfant dont le cœur palpitait
comme celui d’une fauvette surprise dans son lit nid par un pâtre.¶
Mais soit Soit que l’innocence ait un charme auquel les hommes les plus endurcis ne
sauraient se soustraire, soit que le comte se reprochât sa violence, ou craignît et craignit
de plonger dans le un trop grand désespoir une créature nécessaire à ses plaisirs et autant
qu’à ses desseins, sa voix était redevenues’était faite aussi douce qu’elle pouvait l’être, au
moment où quand sa femme revint pâle et presque mourante.¶
¶
– Jeanne, ma mignonne, lui dit-il, donnez-moi la main, et ne soyez pas rancunière!...,
et donnez-moi la main. On ne sait comment se comporter avec vous. autres femmes. Je
vous apporte de nouveaux honneurs, de nouvelles richesses: et, tête-dieu! vous me
recevez comme un maheustre dans qui tombe en un parti de manans!manants! Mon
gouvernement va m’obliger à de longues absences, jusqu’à ce que je l’aie échangé
pourcontre celui de Normandie; ainsiau moins, ma mignonne, au moins faites-moi bon
visage pendant mon séjour ici...¶
La comtesse comprit le sens de ces paroles; leur dont la feinte douceur ne pouvait
plus la tromper.¶
– Je connais mes devoirs!..., répondit-elle avec un accent de mélancolie que son mari
prit d’abord pour de la tendresse.¶
Il yCette timide créature avait trop de pureté, trop de grandeur chez cette timide
créature, pour qu’elle osât essayer, comme certaines femmes adroites, de gouverner le
comte en mettant du calcul dans sa conduite ou en prostituant son cœur; elle soupira,
s’éloigna en silence, soumise et cachant son désespoir.¶, espèce de prostitution par
laquelle les belles âmes se trouvent salies. Elle s’éloigna silencieuse pour aller consoler
son désespoir en promenant Étienne.¶
– Tête-dieu pleine de reliques! je ne serai donc jamais aimé!..., s’écria le comte, en
surprenant une larme dans les yeux de sa femme, au moment où elle sortit.¶
Incessamment menacée, la maternité devint chez la comtesse une passion qui prit la
violence que les femmes portent dans leurs sentiments coupables. Par une espèce de
sortilège,sortilége dont toutes les mères ont le secret gît dans le cœur de toutes les mères,
et qui avait eut encore plus de force entre la comtesse et son fils, elle réussit à lui faire
comprendre le péril qui le menaçait sans cesse, et lui apprit à redouter l’approche de son
père. La scène terrible dontde laquelle Étienne avait été témoin se grava dans sa mémoire,
de manière à produire en lui comme une maladie. Il finit par pressentir la présence du
comte avec tant d’instinctde certitude, que, si l’un de ces sourires dont les mères
connaissent les signes imperceptibles éclatent aux yeux d’une mère, animait sa figure au
moment où ses organes imparfaits, déjà façonnés par la crainte, lui annonçaient la marche
lointaine de son père, ses traits se contractaient, et l’oreille de la mère n’était pas plus
alerte que le sentiment intérieur l’instinct du fils. Avec l’âge, cette faculté de créée par la
terreur grandit si bien qu’Étienne, que, semblable aux sauvagesSauvages de l’Amérique,
Étienne distinguait les le pas de son père, savait écouter sa voix éclatante à des distances
éloignées, et prédisait sa venue.¶ Voir le sentiment de terreur que son mari lui inspirait,
partagé si tôt par son enfant, le rendit encore plus précieux à la comtesse; et leur union se
fortifia si bien, que, comme deux fleurs nées sur la attachées au même tigerameau, ils se
courbaient sous le même vent, se relevaient par la même espérance. C’était Ce fut une
même vie.¶
Au départ du comte, Jeanne commençait une seconde grossesse; et, cette fois, elle .
Elle accoucha cette fois au terme voulu par les préjugés.¶ Elle , et mit au monde, non sans
des douleurs inouïes, un gros garçon, qui, dix-huit quelques mois après, offrit une si
parfaite ressemblance avec son père que la haine du comte pour l’aîné s’en accrut
singulièrement. Pour encore. Afin de sauver son enfant chéri, la comtesse consentit à tous
les projets que son mari forma pour le bonheur et la fortune de leur son second fils.
Étienne fut destiné à l’état ecclésiastique. Étienne, promis au cardinalat, dut devenir
prêtre pour laisser à Maximilien devait être l’héritier des les biens et des les titres de la
maison d’Hérouville. A ce prix, la pauvre mère assura le repos de son enfant
chéri.¶l’enfant maudit.¶
Jamais deux frères ne furent plus dissemblables qu’Étienne et Maximilien. Le cadet
eut en naissant le goût du bruit, des exercices violensviolents et de la guerre. Aussi; aussi
le comte eutconçut-il pour lui autant d’amour que sa femme en avait pour Étienne. Les
deux frères grandirent sans se connaître, sans se voir, et arrivèrent à l’âge de
l’adolescence.¶Par une sorte de pacte naturel et tacite, chacun des époux se chargea de
son enfant de prédilection. Le duc, car vers ce temps Henri IV récompensa les éminents
services du seigneur d’Hérouville, le duc ne voulut pas, dit-il, fatiguer sa femme, et donna
pour nourrice à Maximilien une bonne grosse Bayeusaine choisie par Beauvouloir. A la
grande joie de Jeanne de Saint-Savin, il se défia de l’esprit autant que du lait de la mère,
et prit la résolution de façonner son enfant à son goût. Il éleva Maximilien dans une sainte
horreur des livres et des lettres; il lui inculqua les connaissances mécaniques de l’art
militaire, il le fit de bonne heure monter à cheval, tirer l’arquebuse et jouer de la dague.
Quand son fils devint grand, il le mena chasser pour qu’il contractât cette sauvagerie de
langage, cette rudesse de manières, cette force de corps, cette virilité dans le regard et
dans la voix qui rendaient à ses yeux un homme accompli. Le petit gentilhomme fut à
douze ans un lionceau fort mal léché, redoutable à tous au moins autant que le père, ayant
la permission de tout tyranniser dans les environs et tyrannisant tout.¶
Étienne habitait une petite chaumière de jardinier habita la maison située dans une
grotte de granit au bord de la mer, au pied du château. Sa mère l’Océan que lui avait fait
donnée son père, et que la duchesse fit disposer l’intérieur de cette humble maison de
manière à ce que son fils qu’il y trouvât toutes les quelques-unes des jouissances du luxe.
Elle auxquelles il avait droit. La duchesse y allait passer avec lui la plus grande partie de
la journée. Ils La mère et l’enfant parcouraient ensemble les rochers, et les grèves, et ;
elle lui indiquait à Étienne les limites du de son petit domaine de sable, de coquilles, de
mousses et de cailloux ; la terreur profonde qui la saisissait en lui voyant quitter
l’enceinte concédée, lui appartenait. Insensiblement il avait compris, par la terreur
profonde dont fit comprendre que la mort l’attendait au delà. Étienne trembla pour sa
mère était saisie s’il venait à faire avant de trembler pour lui-même; puis bientôt chez lui,
le nom même du duc d’Hérouville excita un pas hors de cette enceinte, que la mort
l’attendait au delà. Chez lui, le nom de père excitait tout à la fois une terrible crainte
trouble qui troublait son âme, la le dépouillait de son énergie, et le soumettait à cette
espèce d’atoniel’atonie qui fait tomber à genoux une jeune fille à genoux devant un
tigre.¶ Caché dans un trou de rocher, S’il apercevait souvent de loin ce géant sinistre, ou
s’il en entendait la voix, et alors l’impression douloureuse qu’il avait ressentie jadis au
moment où il en fut maudit, lui glaçait le cœur. Aussi, comme un Lapon qui meurt au
delà de ses neiges, il se fit -il une délicieuse patrie de sa cabane, et de ses rochers, et,; s’il
en dépassait l’enceintela frontière, il éprouvait un malaise indéfinissable.¶
Sa mère, sentant que ce En prévoyant que son pauvre enfant ne pouvait pourrait
trouver de bonheur que dans une humble sphère de calme et de silence,silencieuse, la
duchesse regretta moins d’abord la destinée qu’on lui avait donné tous les goûts de la
imposée; elle s’autorisa de cette vocation forcée pour lui préparer une belle vie en
remplissant sa solitude. Ainsi, la bibliothèque du cardinal d’Hérouville fut en quelque
sorte son héritage. La lecture devait remplir sa vie. Pour le dédommager de ses infirmités,
la nature l’avait doué d’une voix si mélodieuse qu’il était difficile de résister au plaisir de
l’entendre. Sa mère lui enseigna la musique; par les nobles occupations de la science, et
quelque chant tendre et mélancolique, soutenu par les accens d’une mandoline, fut un de
ses trésors... La studieuse poésie, dont les riches méditations nous font parcourir en
botaniste les vastes champs de la pensée; la féconde comparaison des idées humaines,
l’exaltation que nous donne la parfaite intelligence des œuvres du génie, devinrent les
inépuisables et tranquilles félicités de sa vie rêveuse et solitaire. Enfin, les fleurs,
créations ravissantes, dont la destinée avait tant de ressemblance avec la sienne, eurent
tout son amour. Aussi, heureuse de voir à son fils des passions innocentes qui le
garantissaient du rude contact de la vie sociale auquel il n’aurait pas plus résisté que la
plus jolie dorade de l’océan n’eût soutenu sur la grève un regard du soleil, la comtesse
encouragea les goûts d’Étienne, en lui apportant des romanceros espagnols, des motets
italiens, des livres, des sonnets, des poésies... Et chaque matin, il trouvait sa solitude
peuplée de jolies plantes aux riches couleurs, aux suaves parfums.¶fit venir au château
Pierre de Sebonde pour servir de précepteur au futur cardinal d’Hérouville. Malgré la
tonsure destinée à son fils, Jeanne de Saint-Savin ne voulut pas que cette éducation sentît
la prêtrise, et la sécularisa par son intervention. Beauvouloir fut chargé d’initier Étienne
aux mystères des sciences naturelles. La duchesse, qui surveillait elle-même les études
afin de les mesurer à la force de son enfant, le récréait en lui apprenant l’italien et lui
dévoilait insensiblement les richesses poétiques de cette langue. Pendant que le duc
conduisait Maximilien devant les sangliers au risque de le voir se blesser, Jeanne
s’engageait avec Étienne dans la voie lactée des sonnets de Pétrarque ou dans le
gigantesque labyrinthe de la Divine Comédie. Pour dédommager Étienne de ses
infirmités, la nature l’avait doué d’une voix si mélodieuse, qu’il était difficile de résister
au plaisir de l’entendre; sa mère lui enseigna la musique. Des chants tendres et
mélancoliques, soutenus par les accents d’une mandoline, étaient une récréation favorite
que promettait la mère en récompense de quelque travail demandé par l’abbé de Sebonde.
Étienne écoutait sa mère avec une admiration passionnée qu’elle n’avait jamais vue que
dans les yeux de Chaverny. La première fois que la pauvre femme retrouva ses souvenirs
de jeune fille dans le long regard de son enfant, elle le couvrit de baisers insensés. Elle
rougit quand Étienne lui demanda pourquoi elle paraissait l’aimer mieux en ce moment;
puis elle lui répondit qu’à chaque heure elle l’aimait davantage. Bientôt elle retrouva,
dans les soins que voulaient l’éducation de l’âme et la culture de l’esprit, les mêmes
plaisirs qu’elle avait goûtés en nourrissant, en élevant le corps de son enfant. Quoique les
mères ne grandissent pas toujours avec leurs fils, la duchesse était une de celles qui
portent dans la maternité les humbles adorations de l’amour; elle pouvait caresser et
juger; elle mettait son amour-propre à rendre Étienne supérieur à elle en toute chose et
non à le régenter; peut-être se savait-elle si grande par son inépuisable affection, qu’elle
ne redoutait aucun amoindrissement. C’est les cœurs sans tendresse qui aiment la
domination, mais les sentiments vrais chérissent l’abnégation, cette vertu de la Force.
Lorsqu’Étienne ne comprenait pas tout d’abord quelque démonstration, un texte ou un
théorème, la pauvre mère, qui assistait aux leçons, semblait vouloir lui infuser la
connaissance des choses, comme naguère, au moindre cri, elle lui versait des flots de lait.
Mais aussi de quel éclat la joie n’empourprait-elle pas le regard de la duchesse, alors
qu’Étienne saisissait le sens des choses et se l’appropriait? Elle montrait, comme disait
Pierre de Sebonde, que la mère est un être double dont les sensations embrassent toujours
deux existences.¶
Ses lectures, auxquelles sa frêle santé ne lui permettait pas de se livrer long-temps, et
ses faibles exercices au milieu des rochers, étaient interrompus par de naïves méditations
qui le faisaient rester des heures entières devant ses riantes fleurs, ses douces compagnes,
ou tapi dans le creux de quelque roche en présence d’une algue, d’une mousse, d’une
herbe marine dont il étudiait les mystères.¶
Il cherchait une rime au sein des corolles odorantes, comme l’abeille eût été butiner
son miel. Il admirait même souvent sans but, et sans vouloir s’expliquer son plaisir, les
filets délicats imprimés en couleur foncée sur les pétales, la délicatesse des riches
tuniques d’or ou d’azur, vertes ou violâtres, les découpures si profusément belles des
calices ou des feuilles, leurs tissus mats ou veloutés qui se déchiraient, comme son âme,
au moindre effort.¶
Il demeurait pendant de longues journées couché sur le sable, vivant sa vie douce et
molle, heureux, poëte sans le savoir; et alors l’irruption soudaine d’un insecte doré, les
reflets du soleil dans l’océan, les tremblemens du vaste et limpide miroir des eaux, un
coquillage, une araignée de mer, tout devenait événement, plaisir pour cette âme ingénue.
Voir venir sa mère, entendre de loin le frôlement de sa robe, l’entendre, la baiser, lui
parler, l’écouter, lui causaient des sensations si vives, que souvent un retard, la plus
légère crainte lui donnaient une fièvre dévorante.....¶
A l’âge de seize ans, Étienne avait la taille d’un enfant; et, semblable à une plante
étiolée, ses longues méditations l’avaient habitué à pencher la tête. Sa peau transparente
et satinée comme celle d’une petite fille laissait voir le plus léger rameau de ses veines
bleues. Sa blancheur était celle de la porcelaine. Ses yeux clairs exprimaient la faiblesse,
une douceur ineffable; ils imploraient protection, car il y avait de la prière dans son
regard, et la modestie la plus vraie dans tous ses traits. De longs cheveux châtains, plats,
lisses et fins se partageaient en deux bandeaux sur son front et se bouclaient à leur
extrémité. Ses joues étaient pâles et creuses; son front pur, marqué de quelques rides,
faisait mal à voir, car il trahissait une souffrance lente et profonde. Sa bouche, gracieuse
et ornée de dents très-blanches, conservait cette espèce de sourire qui se fixe sur les lèvres
des mourans. Ses mains étaient blanches comme celles d’une coquette, et
remarquablement belles. Sa voix avait un timbre qui inspirait l’amour... Enfin, vous
eussiez cru voir une tête de jeune fille malade sur un corps débile et contrefait. Il n’y avait
qu’une âme en lui, et à cette âme il fallait le silence, des caresses, la paix et l’amour. Sa
mère lui prodiguait l’amour et les caresses; les rochers étaient silencieux; les fleurs, les
livres charmaient sa solitude, et son petit royaume de sable et de coquilles, d’algues et de
verdure lui semblait un monde toujours frais et nouveau: aussi, jusqu’à l’âge de dix-huit
ans, Étienne fut-il heureux.¶
Mais bientôt il éprouva le plus affreux malheur qui pût l’affliger. La comtesse,
dévorée par le chagrin, était en proie depuis long-temps à une maladie de langueur. Elle
mourut. Étienne resta seul dans le monde. Sa douleur fut muette. Il ne courut plus à
travers les rochers; il ne se sentit plus la force de lire, de chanter; il demeura des journées
entières accroupi dans un creux de rocher, indifférent aux intempéries de l’air, immobile,
attaché sur le granit, semblable à l’une des mousses qui y croissaient, pleurant bien
rarement, mais perdu dans une seule pensée, immense, infinie comme l’océan; et, comme
l’océan, elle prenait mille formes, devenait terrible, orageuse, calme... C’était plus qu’une
douleur: c’était une vie nouvelle, une irrévocable destinée. Cette pauvre petite créature ne
devait plus sourire. Il y a des peines qui, semblables à du sang jeté dans une eau courante,
teignent momentanément les flots; puis l’onde, en se renouvelant, restaure la pureté de sa
nappe: mais, chez Étienne, la source même était adultérée, et chaque flot du temps devait
lui apporter une même dose de fiel.¶
A son lit de mort, la comtesse avait confié son fils au vieux Bertrand. Avertie par un
instinct qui ne trompe jamais les mères, elle s’était aperçue de la pitié profonde
qu’inspirait à l’écuyer le chétif héritier de la maison puissante à laquelle il portait un
sentiment de vénération comparable à celui de Tom-le-Long pour son navire.¶
Bertrand fut donc la providence de son jeune maître. Presque octogénaire, le fidèle
serviteur avait conservé l’intendance des écuries, pour ne pas perdre l’habitude d’être une
autorité dans la maison; et, comme son logis se trouvait près de la chaumière où se retirait
Étienne, il était à portée de veiller sur lui avec cette persistance d’affection et cette
simplicité rusée qui caractérisent les vieux soldats.¶
Il dépouillait toute sa rudesse pour parler au pauvre enfant. Il allait doucement le
prendre par les temps de pluie; et, l’arrachant à sa rêverie, il le ramenait au logis. Il mit de
l’amour-propre à remplacer la comtesse de manière à ce que le fils trouvât, sinon le même
amour, du moins les mêmes attentions... Cette pitié ressemblait à de la tendresse.¶
Or, comme le vieil écuyer s’attachait de plus en plus à son maître, Étienne supporta
sans plainte et sans résistance les soins du serviteur; mais il n’y eut jamais de sympathie
entre eux: tous les liens étaient brisés entre l’enfant maudit et les autres créatures. Sa
mère avait emporté dans la tombe tout ce qu’il pouvait porter d’amour à un être de son
espèce. Il semblait que son cœur eût été brisé comme son corps par la nature.¶
Aussi devint-il une sorte de créature intermédiaire entre l’homme et la plante, ou
peut-être entre l’homme et Dieu. Son âme conservait une pureté native. Il ignorait les lois
sociales, les faux sentimens du monde, et n’obéissait qu’à l’instinct de son cœur.¶
Néanmoins, malgré sa sombre mélancolie, il sentit bientôt le besoin d’aimer, d’avoir
une autre mère, une autre âme à lui; et, comme une barrière d’airain s’élevait entre lui et
la civilisation, à force de chercher un être auquel il pût confier ses pensées et dont il pût
partager la vie, il finit par sympathiser avec l’océan.¶
Toujours en présence de cette immense création, dont les merveilles cachées
contrastent si puissamment avec celles de la terre, il y découvrit d’étonnans mystères.
Familiarisé dès le berceau avec l’infini de ces campagnes humides, la mer et le ciel lui
racontaient d’admirables poésies. Pour lui, tout était varié dans ce large tableau, si
monotone en apparence. Comme tous les hommes dont l’âme domine le corps, il avait
une vue perçante, et pouvait saisir à des distances énormes, avec une admirable facilité,
sans fatigue, les nuances les plus fugitives de la lumière, les tremblemens les plus
éphémères de l’eau. Il admirait même, par un calme parfait, les teintes multipliées de la
mer, qui, semblable à un visage de femme, avait alors une physionomie, des sourires, des
idées, des caprices; là verte et sombre, ici riant dans son azur... tantôt unissant ses lignes
brillantes avec les tremblantes lueurs de l’horizon, tantôt se balançant d’un air doux sous
des nuages bruns... Il y avait pour lui des fêtes magnifiques pompeusement célébrées au
coucher du soleil, quand l’astre versait ses couleurs rouges sur les flots comme un
manteau de pourpre. La mer était gaie, vive, spirituelle au milieu du jour, lorsqu’elle
frissonnait en répétant l’éclat de la lumière par mille facettes éblouissantes; puis, elle lui
révélait d’étonnantes mélancolies, et le faisait pleurer, lorsque, résignée, calme et triste,
elle réfléchissait un ciel gris chargé de nuages... Il avait saisi tous les langages muets de
cette immense créature: le flux et reflux était comme une respiration mélodieuse dont
chaque soupir lui peignait un sentiment. Il en comprenait le sens intime, et nul marin, nul
savant n’aurait pu prédire mieux que lui la moindre colère de l’océan, le plus léger
changement de sa face. A la manière dont le flot venait mourir sur le rivage, il devinait
les houles, les tempêtes, les grains, la force des marées...¶
Quand la nuit étendait ses voiles sur le ciel, il la voyait encore sous les lueurs
crépusculaires, et conversait avec elle. Enfin, il participait à sa grande et féconde vie: il
éprouvait en son âme une véritable tempête quand elle se courrouçait; il respirait dans ses
sifflemens aigus, courait dans ses laines énormes qui se brisaient en mille franges liquides
sur les rochers, se sentait intrépide et terrible comme elle; et, comme elle, bondissait par
des retours prodigieux, gardait des silences mornes, imitait ces clémences soudaines..... Il
avait épousé la mer. Elle était sa confidente, son amie, son bonheur.¶
Le matin quand il venait sur ses rochers, en parcourant les sables fins et brillans de la
grève, il reconnaissait l’esprit de l’océan par un simple regard: il en voyait soudain les
paysages, et planait ainsi sur la grande face des eaux comme un ange du ciel..... Si de
joyeuses, de lutines, de blanches vapeurs lui jetaient un réseau vague, comme un voile au
front d’une fiancée, il en suivait les ondulations et les caprices avec une joie délicieuse.....
C’était un charme pour lui que de la trouver coquette au matin comme une femme qui se
lève, fraîche, rouge, encore tout endormie...¶
Sa pensée, mariée avec cette grande pensée divine, le consolait dans sa solitude, et les
mille jets de son âme avaient peuplé son étroit désert de fantaisies sublimes. Pur comme
un ange, vierge des idées sociales qui dégradent tant les hommes, naïf comme un enfant,
il vivait comme une mouette, comme une fleur, prodigue seulement des trésors d’une
imagination poétique: tantôt s’élevant jusqu’à Dieu par la prière, tantôt redescendant,
humble et résigné, jusqu’au bonheur paisible de la brute; incroyable mélange de deux
créations. Pour lui, les étoiles étaient les fleurs de la nuit; le soleil, un père; les oiseaux,
des amis. Partout il plaçait l’âme de sa mère: souvent il la voyait dans les nuages, il lui
parlait, et ils communiquaient réellement ensemble par des visions célestes..... Il y avait
des jours où il entendait sa voix, où il admirait son sourire, des jours où il ne l’avait pas
perdue..... Dieu semblait lui avoir donné la puissance des anciens solitaires, des sens
intérieurs plus parfaits, des forces morales inouïes qui lui permettaient d’aller plus avant
que les autres hommes dans les secrets des œuvres immortelles. Ses regrets et sa douleur
étaient comme des liens qui l’unissaient au monde des esprits. Il y pénétrait, armé de son
amour, pour y aller chercher sa mère, réalisant ainsi, par les sublimes accords de l’extase,
la fabuleuse entreprise d’Orphée..... Il s’élançait dans l’avenir, dans le ciel, comme de son
rocher il volait sur l’océan d’une ligne à l’autre de l’horizon.¶
Souvent aussi, quand il était tapi au fond d’un trou profond, capricieusement arrondi
dans un fragment de granit, et dont l’entrée avait l’étroitesse d’un terrier; quand,
doucement éclairé par les chauds rayons du soleil qui passaient par des fissures et lui
montraient les jolies mousses marines dont cette retraite était décorée, véritable nid de
quelque oiseau de mer; là souvent il était saisi d’un sommeil involontaire. Le soleil, son
souverain, lui disait seul qu’il avait dormi en lui mesurant le temps pendant lequel avaient
disparu, pour lui, ses paysages d’eau, ses sables dorés, ses coquillages. Alors il admirait à
travers une lumière brillante comme celle des cieux, les villes immenses dont ses livres
lui parlaient; il allait, regardant avec étonnement, mais sans envie, les cours, les rois, les
batailles, les hommes, les monumens..... Ce rêve en plein jour lui rendait toujours plus
chères ses douces fleurs, ses nuages, son soleil, ses beaux rochers de granit. Il semblait
qu’un ange lui révélait les abîmes du monde moral, et les chocs terribles des civilisations,
pour le mieux attacher à sa vie solitaire..... Il sentait que, s’il se hasardait à traverser ces
océans d’hommes, son âme y serait bientôt déchirée; qu’il y périrait brisé comme une
fleur qui tombe du bord d’une pauvre mansarde dans la boue d’une rue.....¶
Un jour, en 1617, vingt et quelques années après l’horrible nuit pendant laquelle
Étienne fut mis au monde, le duc d’Hérouville, alors âgé de soixante-quinze ans, vieux,
cassé, presque mort, était assis, au coucher du soleil, dans un immense fauteuil, devant la
fenêtre ogive de sa chambre à coucher, à la place d’où jadis la comtesse avait si
vainement réclamé, par les sons du cor perdus dans les airs, le secours des hommes et du
ciel..... Vous eussiez dit un véritable débris de tombeau. Sa large et puissante figure,
dépouillée de son aspect sinistre par la souffrance et par l’âge, avait une couleur blafarde
en rapport avec les longues mèches de cheveux blancs qui tombaient autour de sa tête
chauve, dont le crâne jaune semblait débile. La guerre et le fanatisme brillaient encore
dans ses yeux gris, mais ils y étaient tempérés par un sentiment religieux. La dévotion
jetait une teinte monastique sur ce visage, jadis si dur et maintenant sillonné de rides qui
en adoucissaient l’expression. Les reflets du couchant coloraient cette tête encore
vigoureuse par des tons doux; et le corps affaibli, enveloppé de vêtemens bruns, achevait,
par sa pose lourde, par la privation de tout mouvement, de peindre l’existence monotone,
le repos terrible de cet homme, autrefois si entreprenant, si haineux, si actif...¶
– Assez!.., dit-il à son chapelain, vieillard vénérable, qui lui lisait l’Évangile en se
tenant debout devant lui, dans une attitude respectueuse.¶
Le duc, semblable à ces vieux lions de ménagerie qui arrivent à une décrépitude
encore pleine de majesté, se tourna vers un autre homme en cheveux blancs, et lui tendit
un bras décharné, couvert de poils rares, encore nerveux, mais sans vigueur.¶
– A vous, rebouteur! s’écria-t-il; voyez où j’en suis... aujourd’hui...
– Tout va bien, monseigneur, et la fièvre a cessé... Vous vivrez encore de longues
années...¶
– Je voudrais voir Maximilien ici! reprit le duc en laissant échapper un sourire
d’aise... Ce brave enfant! il commande maintenant sa compagnie d’arquebusiers chez le
roi... Le maréchal d’Ancre en a eu soin... Notre gracieuse reine Marie pense à le bien
apparenter, et mon nom sera dignement continué... Il a fait des prodiges de valeur à
l’attaque...¶
En ce moment Bertrand arrive, tenant une lettre à la main.¶
– Qu’est ceci?... dit vivement le vieux seigneur.¶
– Une dépêche apportée par un courrier que vous envoie Sa Majesté, répondit
l’écuyer.¶
– Les huguenots reprendraient-ils les armes, tête-dieu pleine de reliques! s’écria le
duc en se dressant et jetant un regard étincelant sur les trois vieillards... J’armerais encore
mes soldats, et, avec Maximilien à mes côtés, la Normandie...¶
– Asseyez-vous, mon bon seigneur, dit le rebouteur inquiet de voir le duc se livrer à
une bravade dangereuse chez un convalescent.¶
– Lisez, maître Corbineau, dit le vieillard en tendant la dépêche à son confesseur.¶
Ces quatre personnages formaient un tableau curieux, plein d’enseignemens pour la
vie humaine. L’écuyer, le prêtre et le médecin, blanchis par les années, tous trois debout
devant leur maître assis dans son fauteuil, ne se jetant l’un à l’autre que de pâles regards,
traduisant chacun l’une des idées qui finissent par s’emparer de l’homme au bord de la
tombe, tous fantastiquement éclairés par les riches couleurs du couchant, silencieux,
composaient un tableau sublime de mélancolie et fertile en contrastes. Cette chambre
sombre et solennelle, où rien n’était changé depuis plus de vingt années, encadrait
merveilleusement cette page poétique, pleine de passions éteintes, attristée par la mort,
remplie par la religion...¶
– Le maréchal d’Ancre a été tué sur le pont du Louvre par ordre du roi, puis....¶
– Achevez! cria le seigneur.¶
– Votre fils....¶
– Eh bien!....¶
– Mort....¶
Le duc pencha la tête sur sa poitrine, fit un grand soupir, et resta muet, immobile.¶
A ce mot, à ce soupir, les trois vieillards se regardèrent. Il leur sembla que l’illustre et
opulente maison d’Hérouville disparaissait devant eux comme un navire qui sombre....¶
– Le maître d’en haut, reprit le duc, en lançant un terrible regard sur le ciel, se montre
bien ingrat envers moi!... Il ne se souvient guère de ce que j’ai osé pour sa sainte cause...¶
– Dieu se venge!... dit le prêtre d’une voix grave.¶
– Mettez-moi cet homme au cachot!... s’écria le seigneur exaspéré.¶
– Vous pouvez me faire taire plus facilement que votre conscience.¶
Le vieillard redevint pensif.¶
– Ma maison périr!... mon nom s’éteindre!... Je veux me marier... avoir un fils!....
s’écria-t-il après une longue pause.¶
Le rebouteur ne put s’empêcher de sourire, tout effrayante que fût l’expression du
désespoir peint sur la face du duc d’Hérouville.¶
En ce moment, au milieu du silence, et dominant le doux murmure de la mer, un
chant aussi frais que l’air du soir, aussi pur que le ciel, simple comme la couleur verte qui
teignait l’océan, s’éleva soudain pour charmer la nature. La ravissante mélancolie de cette
voix céleste, la mélodie des paroles, la musique plaintive, répandaient dans l’âme un
sentiment semblable à je ne sais quel parfum magique. L’harmonie montait comme par
nuages. Elle remplissait les airs, elle versait du baume sur toutes les douleurs, ou plutôt
elle les consolait en les exprimant. La voix s’unissait au bruissement de l’onde avec une
si rare perfection, qu’elle semblait sortir du sein des flots.... C’était plus doux qu’une
parole d’amour; car il y avait la délicieuse fraîcheur de l’espérance.¶
– Qu’est ceci?... demanda le duc.¶
– C’est le petit rossignol qui chante. Tel est le nom que nous avons donné au fils aîné
de monseigneur.... répondit Bertrand.¶
– Mon fils!... s’écria le vieillard. J’ai un fils!... un fils!...¶
Il se dressa sur ses pieds, et se mit à marcher dans sa chambre d’un pas lent et
précipité tour à tour; puis, faisant un geste de commandement, il renvoya ses gens, à
l’exception du prêtre.¶
Le lendemain matin, le duc, appuyé sur son vieil écuyer, allait sur la grève, à travers
les rochers, cherchant le fils que jadis il avait maudit. Il l’aperçut de loin, tapi dans une
crevasse de granit, nonchalamment étendu au soleil, la tête posée sur une touffe d’herbes
fines, les pieds ramassés gracieusement sous le corps.... Il ressemblait à une hirondelle en
repos.... Aussitôt que le grand vieillard se montra sur le bord de la mer, et que le bruit de
ses pas, assourdi par le sable, résonna faiblement, en se mêlant à la voix des flots, Étienne
tourna la tête, jeta un petit cri d’oiseau surpris, et disparut dans le granit même, comme
une souris qui rentre si lestement dans son trou que l’on finit même par douter de l’avoir
aperçue...¶
– Hé! tête-dieu pleine de reliques! où s’est-il donc fourré!... s’écria le seigneur en
arrivant au rocher sur lequel son fils était accroupi.¶
– Il est là... dit Bertrand en montrant une fente étroite dont les bords avaient été polis,
usés par les assauts des hautes marées...¶
– Étienne!... mon La duchesse augmentait ainsi le sentiment naturel qui lie un fils à
sa mère, par les tendresses d’un amour ressuscité. La délicatesse d’Étienne lui fit
continuer pendant plusieurs années les soins donnés à l’enfance, elle venait l’habiller, elle
le couchait; elle seule peignait, lissait, bouclait et parfumait la chevelure de son fils. Cette
toilette était une caresse continuelle; elle donnait à cette tête chérie autant de baisers
qu’elle y passait de fois le peigne d’une main légère. De même que les femmes aiment à
se faire presque mères pour leurs amants en leur rendant quelques soins domestiques, de
même la mère se faisait de son fils un simulacre d’amant; elle lui trouvait une vague
ressemblance avec le cousin aimé par delà le tombeau. Étienne était comme le fantôme de
Georges, entrevu dans le lointain d’un miroir magique; elle se disait qu’il était plus
gentilhomme qu’ecclésiastique.¶
– Si quelque femme aussi aimante que moi voulait lui infuser la vie de l’amour, il
pourrait être bien heureux! pensait-elle souvent.¶
Mais les terribles intérêts qui exigeaient la tonsure sur la tête d’Étienne lui revenaient
en mémoire, et elle baisait les cheveux que les ciseaux de l’Eglise devaient retrancher, en
y laissant des larmes. Malgré l’injuste convention faite avec le duc, elle ne voyait Étienne
ni prêtre ni cardinal dans ces trouées que son œil de mère faisait à travers les épaisses
ténèbres de l’avenir. Le profond oubli du père lui permit de ne pas engager son pauvre
enfant dans les Ordres.¶
– Il sera toujours bien temps! se disait-elle.¶
Puis, sans s’avouer une pensée enfouie dans son cœur, elle formait Étienne aux belles
manières des courtisans, elle le voulait doux et gentil comme était Georges de Chaverny.
Réduite à quelque mince épargne par l’ambition du duc, qui gouvernait lui-même les
biens de sa maison en employant tous les revenus à son agrandissement ou à son train,
elle avait adopté pour elle la mise la plus simple, et ne dépensait rien afin de pouvoir
donner à son fils des manteaux de velours, des bottes en entonnoir garnies de dentelles,
des pourpoints en fines étoffes tailladées. Ses privations personnelles lui faisaient
éprouver les mêmes joies que causent les dévouements qu’on se plaît tant à cacher aux
personnes aimées. Elle se faisait des fêtes secrètes en pensant, quand elle brodait un
collet, au jour où le cou de son fils en serait orné. Elle seule avait soin des vêtements, du
linge, des parfums, de la toilette d’Étienne, elle ne se parait que pour lui, car elle aimait à
être trouvée belle par lui. Tant de sollicitudes accompagnées d’un sentiment qui pénétrait
la chair de son fils et la vivifiait, eurent leur récompense. Un jour Beauvouloir, cet
homme divin qui par ses leçons s’était rendu cher à l’enfant maudit et dont les services
n’étaient pas d’ailleurs ignorés d’Étienne; ce médecin de qui le regard inquiet faisait
trembler la duchesse toutes les fois qu’il examinait cette frêle idole, déclara qu’Étienne
pouvait vivre de longs jours si aucun sentiment violent ne venait agiter brusquement ce
corps si délicat. Étienne avait alors seize ans.¶
A cet âge, la taille d’Étienne avait atteint cinq pieds, mesure qu’il ne devait plus
dépasser; mais Georges de Chaverny était de taille moyenne. Sa peau, transparente et
satinée comme celle d’une petite fille, laissait voir le plus léger rameau de ses veines
bleues. Sa blancheur était celle de la porcelaine. Ses yeux, d’un bleu clair empreints d’une
douceur ineffable, imploraient la protection des hommes et des femmes; les entraînantes
suavités de la prière s’échappaient de son regard et séduisaient avant que les mélodies de
sa voix n’achevassent le charme. La modestie la plus vraie se révélait dans tous ses traits.
De longs cheveux châtains, lisses et tins, se partageaient en deux bandeaux sur son front
et se bouclaient à leurs extrémités. Ses joues pâles et creuses, son front pur, marqué de
quelques rides, exprimaient une souffrance native qui faisait mal à voir. Sa bouche,
gracieuse et ornée de dents très-blanches, conservait cette espèce de sourire qui se fixe sur
les lèvres des mourants. Ses mains blanches comme celles d’une femme, étaient
remarquablement belles de forme. Semblable à une plante étiolée, ses longues
méditations l’avaient habitué à pencher la tête, et cette attitude seyait à sa personne:
c’était comme la dernière grâce qu’un grand artiste met à un portrait pour en faire
ressortir toute la pensée. Vous eussiez cru voir une tête de jeune fille malade placée sur
un corps d’homme débile et contrefait.¶
La studieuse poésie dont les riches méditations nous font parcourir en botaniste les
vastes champs de la pensée, la féconde comparaison des idées humaines, l’exaltation que
nous donne la parfaite intelligence des œuvres du génie, étaient devenues les inépuisables
et tranquilles félicités de sa vie rêveuse et solitaire. Les fleurs, créations ravissantes dont
la destinée avait tant de ressemblance avec la sienne, eurent tout son amour. Heureuse de
voir à son fils des passions innocentes qui le garantissaient du rude contact de la vie
sociale auquel il n’aurait pas plus résisté que la plus jolie dorade de l’Océan n’eût soutenu
sur la grève un regard du soleil, la comtesse avait encouragé les goûts d’Étienne, en lui
apportant des romanceros espagnols, des motets italiens, des livres, des sonnets, des
poésies. La bibliothèque du cardinal d’Hérouville était l’héritage d’Étienne, la lecture
devait remplir sa vie. Chaque matin, l’enfant trouvait sa solitude peuplée de jolies plantes
aux riches couleurs, aux suaves parfums. Ainsi, ses lectures, auxquelles sa frêle santé ne
lui permettait pas de se livrer longtemps, et ses exercices au milieu des rochers, étaient
interrompus par de naïves méditations qui le faisaient rester des heures entières assis
devant ses riantes fleurs, ses douces compagnes, ou tapi dans le creux de quelque roche
en présence d’une algue, d’une mousse, d’une herbe marine en en étudiant les mystères. Il
cherchait une rime au sein des corolles odorantes, comme l’abeille y eût butiné son miel.
Il admirait souvent sans but, et sans vouloir s’expliquer son plaisir, les filets délicats
imprimés sur les pétales en couleurs foncées, la délicatesse des riches tuniques d’or ou
d’azur, vertes ou violâtres, les découpures si profusément belles des calices ou des
feuilles, leurs tissus mats ou veloutés qui se déchiraient, comme devait se déchirer son
âme au moindre effort. Plus tard, penseur autant que poëte, il devait surprendre la raison
de ces innombrables différences d’une même nature, en y découvrant l’indice de facultés
précieuses; car, de jour en jour, il fit des progrès dans l’interprétation du Verbe divin écrit
sur toute chose de ce monde. Ces recherches obstinées et secrètes, faites dans le monde
occulte, donnaient à sa vie l’apparente somnolence des génies méditatifs. Étienne
demeurait pendant de longues journées couché sur le sable, heureux, poëte à son insu.
L’irruption soudaine d’un insecte doré, les reflets du soleil dans l’Océan, les
tremblements du vaste et limpide miroir des eaux, un coquillage, une araignée de mer,
tout devenait événement et plaisir pour cette âme ingénue. Voir venir sa mère, entendre
de loin le frôlement de sa robe, l’attendre, la baiser, lui parler, l’écouter, lui causaient des
sensations si vives, que souvent un retard ou la plus légère crainte lui causaient une fièvre
dévorante. Il n’y avait qu’une âme en lui, et pour que le corps faible et toujours débile ne
fût pas détruit par les vives émotions de cette âme, il fallait à Étienne le silence, des
caresses, la paix dans le paysage, et l’amour d’une femme. Pour le moment, sa mère lui
prodiguait l’amour et les caresses; les rochers étaient silencieux; les fleurs, les livres
charmaient sa solitude; enfin, son petit royaume de sable et de coquilles, d’algues et de
verdure, lui semblait un monde toujours frais et nouveau.¶
Étienne eut tous les bénéfices de cette vie physique si profondément innocente, et de
cette vie morale si poétiquement étendue. Enfant par la forme, homme par l’esprit, il était
également angélique sous les deux aspects. Par la volonté de sa mère, ses études avaient
transporté ses émotions dans la région des idées. L’action de sa vie s’accomplit alors dans
le monde moral, loin du monde social qui pouvait le tuer ou le faire souffrir. Il vécut par
l’âme et par l’intelligence. Après avoir saisi les pensées humaines par la lecture, il s’éleva
jusqu’aux pensées qui meuvent la matière, il sentit des pensées dans les airs, il en lut
d’écrites au ciel. Enfin, il gravit de bonne heure la cime éthérée où se trouvait la
nourriture délicate propre à son âme, nourriture enivrante, mais qui le prédestinait au
malheur le jour où ces trésors accumulés se joindraient aux richesses qu’une passion met
soudain au cœur. Si parfois Jeanne de Saint-Savin redoutait cet orage, elle se consolait
bientôt par une pensée que lui inspirait la triste destinée de son fils; car cette pauvre mère
ne trouvait d’autre remède à un malheur qu’un malheur moindre; aussi chacune de ses
jouissances était-elle pleine d’amertume!¶
– Il sera cardinal, se disait-elle, il vivra par le sentiment des arts dont il se fera le
protecteur. Il aimera l’art au lieu d’aimer une femme, et l’art ne le trahira jamais.¶
Les plaisirs de cette amoureuse maternité furent donc sans cesse altérés par de
sombres pensées qui naissaient de la singulière situation où se trouvait Étienne au sein de
sa famille. Les deux frères avaient déjà dépassé l’un et l’autre l’âge de l’adolescence sans
se connaître, saur s’être vus, sans soupçonner leur existence rivale. La duchesse avait
longtemps espéré pouvoir, pendant une absence de son mari, lier les deux frères par
quelque scène solennelle où elle comptait les envelopper de son âme. Elle se flattait
d’intéresser Maximilien à Étienne, en disant au cadet combien il devait de protection et
d’amour à son aîné souffrant en retour des renoncements auxquels il avait été soumis, et
auxquels il serait fidèle, quoique contraint. Cet espoir longtemps caressé s’était évanoui.
Loin de vouloir amener une reconnaissance entre les deux frères, elle redoutait plus une
rencontre entre Étienne et Maximilien qu’entre Étienne et son père. Maximilien, qui ne
croyait qu’au mal, eût craint qu’un jour Étienne ne redemandât ses droits méconnus, et
l’aurait jeté dans la mer en lui mettant une pierre au cou. Jamais fils n’eut moins de
respect que lui pour sa mère. Aussitôt qu’il avait pu raisonner, il s’était aperçu du peu
d’estime que le duc avait pour sa femme. Si le vieux gouverneur conservait quelques
formes dans ses manières avec la duchesse, Maximilien, peu contenu par son père, causait
mille chagrins à sa mère. Aussi Bertrand veillait-il incessamment à ce que jamais
Maximilien ne vît Étienne, de qui la naissance d’ailleurs était soigneusement cachée.
Tous les gens du château haïssaient cordialement le marquis de Saint-Sever, nom que
portait Maximilien, et ceux qui savaient l’existence de l’aîné le regardaient comme un
vengeur que Dieu tenait en réserve. L’avenir d’Étienne était donc douteux; peut-être
serait-il persécuté par son frère! La pauvre duchesse n’avait point de parents auxquels elle
pût confier la vie et les intérêts de son enfant chéri; Étienne n’accuserait-il pas sa mère,
quand, sous la pourpre romaine, il voudrait être père comme elle avait été mère? Ces
pensées, sa vie mélancolique et pleine de douleurs secrètes, étaient comme une longue
maladie tempérée par un doux régime. Son cœur exigeait les ménagements les plus
habiles, et ceux qui l’entouraient étaient cruellement inexperts en douceurs. Quel cœur de
mère n’eût pas été meurtri sans cesse en voyant le fils!... cria le vieillard.¶ aîné, l’homme
de tête et de cœur en qui se révélait un beau génie, dépouillé de ses droits; tandis que le
cadet, homme de sac et de corde, sans aucun talent, même militaire, était chargé de porter
la couronne ducale et de perpétuer la famille. La maison d’Hérouville reniait sa gloire.
Incapable de maudire, la douce Jeanne de Saint-Savin ne savait que bénir et pleurer; mais
elle levait souvent les yeux au ciel, pour lui demander compte de cet arrêt bizarre. Ses
yeux s’emplissaient de larmes quand elle pensait qu’à sa mort son fils serait tout à fait
orphelin et resterait en butte aux brutalités d’un frère sans foi ni loi. Tant de sensations
réprimées, un premier amour inoublié, tant de douleurs incomprises, car elle taisait ses
plus vives souffrances à son enfant chéri, ses joies toujours troublées, ses chagrins
incessants, avaient affaibli les principes de la vie et développé chez elle une maladie de
langueur qui, loin d’être atténuée, prit chaque jour une force nouvelle. Enfin, un dernier
coup activa la consomption de la duchesse, elle essaya d’éclairer le duc sur l’éducation de
Maximilien et fut rebutée; elle ne put porter aucun remède aux détestables semences qui
germaient dans l’âme de cet enfant. Elle entra dans une période de dépérissement si
visible, que cette maladie nécessita la promotion de Beauvouloir au poste de médecin de
la maison d’Hérouville et du gouvernement de Normandie. L’ancien rebouteur vint
demeurer au château. Dans ce temps, ces places appartenaient à des savants qui y
trouvaient les loisirs nécessaires à l’accomplissement de leurs travaux et les honoraires
indispensables à leur vie studieuse. Beauvouloir souhaitait depuis quelque temps cette
position, car son savoir et sa fortune lui avaient valu de nombreux et d’acharnés ennemis.
Malgré la protection d’une grande famille à laquelle il avait rendu service dans une
affaire dont il était question, il avait été récemment impliqué dans un procès criminel, et
l’intervention du gouverneur de Normandie, sollicitée par la duchesse, arrêta seule les
poursuites. Le duc n’eut pas à se repentir de l’éclatante protection qu’il accordait à
l’ancien rebouteur: Beauvouloir sauva le marquis de Saint-Sever d’une maladie si
dangereuse, que tout autre médecin eût échoué dans cette cure. Mais la blessure de la
duchesse datait de trop loin pour qu’on pût la guérir, surtout quand elle était
incessamment ravivée au logis. Lorsque les souffrances firent entrevoir une fin prochaine
à cet ange que tant de douleurs préparaient à de meilleures destinées, la mort eut un
véhicule dans les sombres prévisions de l’avenir.¶
L’héritier ne répondit pas. Alors,– Que deviendra mon pauvre enfant sans moi! était
une pensée que chaque heure ramenait comme un flot amer.¶
Enfin, lorsqu’elle dut demeurer au lit, la duchesse inclina promptement vers la tombe;
car alors elle fut privée de son fils, à qui son chevet était interdit par le pacte à
l’observation duquel il devait la vie. La douleur de l’enfant fut égale à celle de la mère.
Inspiré par le génie particulier aux sentiments comprimés, Étienne se créa le plus
mystique des langages pour pouvoir s’entretenir avec sa mère. Il étudia les ressources de
sa voix comme eût fait la plus habile des cantatrices, et venait chanter d’une voix
mélancolique sous les fenêtres de sa mère, quand, par un signe, Beauvouloir lui disait
qu’elle était seule. Jadis, au maillot, il avait consolé sa mère par d’intelligents sourires;
devenu poëte, il la caressait par les plus suaves mélodies.¶
– Ces chants me font vivre! disait la duchesse à Beauvouloir en aspirant l’air animé
par la voix d’Étienne.¶
Enfin arriva le moment où devait commencer un long deuil pour l’enfant maudit. Déjà
plusieurs fois il avait trouvé de mystérieuses correspondances entre ses émotions et les
mouvements de l’Océan. La divination des pensées de la matière dont l’avait doué sa
science occulte, rendait ce phénomène plus éloquent pour lui que pour tout autre. Pendant
la fatale soirée où il allait voir sa mère pour la dernière fois, l’Océan fut agité par des
mouvements qui lui parurent extraordinaires. C’était un remuement d’eaux qui montrait
la mer travaillée intestinement; elle s’enflait par de grosses vagues qui venaient expirer
avec des bruits lugubres et semblables aux hurlements des chiens en détresse. Étienne se
surprit à se dire à lui-même: – Que me veut-elle? elle tressaille et se plaint comme une
créature vivante! Ma mère m’a souvent raconté que l’Océan était en proie à d’horribles
convulsions pendant la nuit où je suis né. Que va-t-il m’arriver?¶
Cette pensée le fit rester debout à la fenêtre de sa chaumière, les yeux tantôt sur la
croisée de la chambre de sa mère où tremblotait une lumière, tantôt sur l’Océan qui
continuait à gémir. Tout à coup Beauvouloir frappa doucement, ouvrit, et montra sur sa
figure assombrie le reflet d’un malheur.¶
– Monseigneur, dit-il, madame la duchesse est dans un si triste état qu’elle veut vous
voir. Toutes les précautions sont prises pour qu’il ne vous advienne aucun mal au
château; mais il nous faut beaucoup de prudence, nous serons obligés de passer par la
chambre de Monseigneur, là où vous êtes né.¶
Ces paroles firent venir des larmes aux yeux d’Étienne, qui s’écria: – L’Océan m’a
parlé!¶
Il se laissa machinalement conduire vers la porte de la tour par où Bertrand était
monté pendant la nuit où la duchesse avait accouché de l’enfant maudit. L’écuyer s’y
trouvait une lanterne à la main. Étienne parvint à la grande bibliothèque du cardinal
d’Hérouville où il fut obligé de rester avec Beauvouloir pendant que Bertrand allait ouvrir
les portes et reconnaître si l’enfant maudit pouvait passer sans danger. Le duc ne s’éveilla
pas. En s’avançant à pas légers, Étienne et Beauvouloir n’entendaient dans cet immense
château que la faible plainte de la mourante. Ainsi, les circonstances qui accompagnèrent
la naissance d’Étienne se retrouvaient à la mort de sa mère. Même tempête, mêmes
angoisses, même peur d’éveiller le géant sans pitié, qui cette fois dormait bien. Pour
éviter tout malheur, l’écuyer prit Étienne dans ses bras et traversa la chambre de son
redoutable maître, décidé à lui donner quelque prétexte tiré de l’état où se trouvait la
duchesse, s’il était surpris. Étienne eut le cœur horriblement serré par la crainte qui
animait ces deux fidèles serviteurs; mais cette émotion le prépara pour ainsi dire au
spectacle qui s’offrit à ses regards dans cette chambre seigneuriale où il revenait pour la
première fois depuis le jour où la malédiction paternelle l’en avait banni. Sur ce grand lit
que le bonheur n’approcha jamais, il chercha sa bien-aimée et ne la trouva pas sans peine,
tant elle était maigrie. Blanche comme ses dentelles, n’ayant plus qu’un dernier souffle à
exhaler, elle rassembla ses forces pour prendre les mains d’Étienne, et voulut lui donner
toute son âme dans un long regard, comme autrefois Chaverny lui avait légué à elle toute
sa vie dans un adieu. Beauvouloir et Bertrand, l’enfant et la mère, le duc endormi, se
trouvaient encore réunis. Même lieu, même scène, mêmes acteurs; mais c’était la douleur
funèbre au lieu des joies de la maternité, la nuit de la mort au lieu du jour de la vie. En ce
moment, l’ouragan annoncé depuis le coucher du soleil par les lugubres hurlements de la
mer, se déclara soudain.¶
– Chère fleur de ma vie, dit Jeanne de Saint-Savin en baisant son fils au front, tu fus
détaché de mon sein au milieu d’une tempête, et c’est par une tempête que je me détache
de toi. Entre ces deux orages tout me fut orage, hormis les heures où je t’ai vu. Voici ma
dernière joie, elle se mêle à ma dernière douleur. Adieu mon unique amour, adieu belle
image de deux âmes bientôt réunies, adieu ma seule joie, joie pure, adieu tout mon bienaimé!¶
– Laisse-moi te suivre, dit Étienne qui s’était couché sur le lit de sa mère.¶
– Ce serait un meilleur destin! dit-elle en laissant couler deux larmes sur ses joues
livides, car, comme autrefois, son regard parut lire dans l’avenir. – Personne ne l’a vu?
demanda-t-elle à ses deux serviteurs. En ce moment le duc se remua dans son lit, tous
tressaillirent. – Il y a du mélange jusque dans ma dernière joie! dit la duchesse.
Emmenez-le! emmenez-le!¶
– Ma mère, j’aime mieux te voir un moment de plus et mourir! dit le pauvre enfant en
s’évanouissant sur le lit.¶
A un signe de la duchesse, Bertrand prit Étienne dans ses bras, et le laissant voir une
dernière fois à la mère qui le baisait par un dernier regard, il se mit en devoir de
l’emporter, en attendant un nouvel ordre de la mourante.¶
– Aimez-le bien, dit-elle à l’écuyer et au rebouteur, car je ne lui vois pas d’autres
protecteurs que vous et le ciel.¶
Avertie par un instinct qui ne trompe jamais les mères, elle s’était aperçue de la pitié
profonde qu’inspirait à l’écuyer l’aîné de la maison puissante à laquelle il portait un
sentiment de vénération comparable à celui des Juifs pour la Cité Sainte. Quant à
Beauvouloir, le pacte entre la duchesse et lui s’était signé depuis long-temps. Ces deux
serviteurs, émus de voir leur maîtresse forcée de leur léguer ce noble enfant, promirent
par un geste sacré d’être la providence de leur jeune maître, et la mère eut foi en ce
geste.¶
La duchesse mourut au matin, quelques heures après; elle fut pleurée des derniers
serviteurs qui, pour tout discours, dirent sur sa tombe qu’elle était une gente femme
tombée du paradis.¶
Étienne fut en proie à la plus intense, à la plus durable des douleurs, douleur muette
d’ailleurs. Il ne courut plus à travers les rochers, il ne se sentit plus la force de lire ni de
chanter. Il demeura des journées entières accroupi dans le creux d’un roc, indifférent aux
intempéries de l’air, immobile, attaché sur le granit, semblable à l’une des mousses qui y
croissaient, pleurant bien rarement; mais perdu dans une seule pensée, immense, infinie
comme l’Océan; et comme l’Océan, cette pensée prenait mille formes, devenait terrible,
orageuse, calme. Ce fut plus qu’une douleur, ce fut une vie nouvelle, une irrévocable
destinée faite à cette belle créature qui ne devait plus sourire. Il est des peines qui,
semblables à du sang jeté dans une eau courante, teignent momentanément les flots;
l’onde, en se renouvelant, restaure la pureté de sa nappe; mais, chez Étienne, la source
même fut adultérée; et chaque flot du temps lui apporta même dose de fiel.¶
Dans ses vieux jours, Bertrand avait conservé l’intendance des écuries, pour ne pas
perdre l’habitude d’être une autorité dans la maison. Son logis se trouvait près de la
maison où se retirait Étienne, en sorte qu’il était à portée de veiller sur lui avec la
persistance d’affection et la simplicité rusée qui caractérisent les vieux soldats. Il
dépouillait toute sa rudesse pour parler au pauvre enfant; il allait doucement le prendre
par les temps de pluie, et l’arrachait à sa rêverie pour le ramener au logis. Il mit de
l’amour-propre à remplacer la duchesse de manière à ce que le fils trouvât, sinon le même
amour, du moins les mêmes attentions. Cette pitié ressemblait à de la tendresse. Étienne
supporta sans plainte ni résistance les soins du serviteur; mais trop de liens étaient brisés
entre l’enfant maudit et les autres créatures, pour qu’une vive affection pût renaître dans
son cœur. Il se laissa machinalement protéger, car il devint une sorte de créature
intermédiaire entre l’homme et la plante, ou peut-être en l’homme et Dieu. A quoi
comparer un être à qui les lois sociales, les faux sentiments du monde étaient inconnus, et
qui conservait une ravissante innocence, en n’obéissant qu’à l’instinct de son cœur.
Néanmoins, malgré sa sombre mélancolie, il sentit bientôt le besoin d’aimer, d’avoir une
autre mère, une autre âme à lui; mais séparé de la civilisation par une barrière d’airain, il
était difficile qu’il rencontrât un être qui se fût fait fleur comme lui. A force de chercher
un autre lui-même auquel il pût confier ses pensées et dont la vie pût devenir la sienne, il
finit par sympathiser avec l’Océan. La mer devint pour lui un être animé, pensant.
Toujours en présence de cette immense création dont les merveilles cachées contrastent si
grandement avec celles de la terre, il y découvrit la raison de plusieurs mystères.
Familiarisé dès le berceau avec l’infini de ces campagnes humides, la mer et le ciel lui
racontèrent d’admirables poésies. Pour lui, tout était varié dans ce large tableau si
monotone en apparence. Comme tous les hommes de qui l’âme domine le corps, il avait
une vue perçante, et pouvait saisir à des distances énormes, avec une admirable facilité,
sans fatigue, les nuances les plus fugitives de la lumière, les tremblements les plus
éphémères de l’eau. Par un calme parfait, il trouvait encore des teintes multipliées à la
mer qui, semblable à un visage de femme, avait alors une physionomie, des sourires, des
idées, des caprices: là verte et sombre, ici riant dans son azur, tantôt unissant ses lignes
brillantes avec les lueurs indécises de l’horizon, tantôt se balançant d’un air doux sous
des nuages orangés. Il se rencontrait pour lui des fêtes magnifiques pompeusement
célébrées au coucher du soleil, quand l’astre versait ses couleurs rouges sur les flots
comme un manteau de pourpre. Pour lui la mer était gaie, vive, spirituelle au milieu du
jour, lorsqu’elle frissonnait en répétant l’éclat de la lumière par ses mille facettes
éblouissantes; elle lui révélait d’étonnantes mélancolies, elle le faisait pleurer, lorsque,
résignée, calme et triste, elle réfléchissait un ciel gris chargé de nuages. Il avait saisi les
langages muets de cette immense création. Le flux et reflux était comme une respiration
mélodieuse dont chaque soupir lui peignait un sentiment, il en comprenait le sens intime.
Nul marin, nul savant n’aurait pu prédire mieux que lui la moindre colère de l’Océan, le
plus léger changement de sa face. A la manière dont le flot venait mourir sur le rivage, il
devinait les houles, les tempêtes, les grains, la force des marées. Quand la nuit étendait
ses voiles sur le ciel, il voyait encore la mer sous les lueurs crépusculaires, et conversait
avec elle; il participait à sa féconde vie, il éprouvait en son âme une véritable tempête
quand elle se courrouçait; il respirait sa colère dans ses sifflements aigus, il courait avec
les lames énormes qui se brisaient en mille franges liquides sur les rochers, il se sentait
intrépide et terrible comme elle, et comme elle bondissait par des retours prodigieux; il
gardait ses silences mornes, il imitait ses clémences soudaines. Enfin, il avait épousé la
mer, elle était sa confidente et son amie. Le matin, quand il venait sur ses rochers, en
parcourant les sables fins et brillants de la grève, il reconnaissait l’esprit de l’Océan par
un simple regard; il en voyait soudain les paysages, et planait ainsi sur la grande face des
eaux, comme un ange venu du ciel. Si de joyeuses, de lutines, de blanches vapeurs lui
jetaient un réseau fin, comme un voile au front d’une fiancée, il en suivait les ondulations
et les caprices avec une joie d’amant, aussi charmé de la trouver au matin coquette
comme une femme qui se lève encore tout endormie, qu’un mari de revoir sa jeune
épouse dans la beauté que lui a faite le plaisir. Sa pensée, mariée avec cette grande pensée
divine, le consolait dans sa solitude, et les mille jets de son âme avaient peuplé son étroit
désert de fantaisies sublimes. Enfin, il avait fini par deviner dans tous les mouvements de
la mer sa liaison intime avec les rouages célestes, et il entrevit la nature dans son
harmonieux ensemble, depuis le brin d’herbe jusqu’aux astres errants qui cherchent,
comme des graines emportées par le vent; à se planter dans l’éther. Pur comme un ange,
vierge des idées qui dégradent les hommes, naïf comme un enfant, il vivait comme une
mouette, comme une fleur, prodigue seulement des trésors d’une imagination poétique,
d’une science divine de laquelle il contemplait seul la féconde étendue. Incroyable
mélange de deux créations! tantôt il s’élevait jusqu’à Dieu par la prière, tantôt il
redescendait, humble et résigné, jusqu’au bonheur paisible de la brute. Pour lui, les
étoiles étaient les fleurs de la nuit; le soleil était un père; les oiseaux étaient ses amis. Il
plaçait partout l’âme de sa mère; souvent il la voyait dans les nuages, il lui parlait, et ils
communiquaient réellement par des visions célestes; en certains jours, il entendait sa
voix, il admirait son sourire, enfin il y avait des jours où il ne l’avait pas perdue! Dieu
semblait lui avoir donné la puissance des anciens solitaires, l’avoir doué de sens intérieurs
perfectionnés qui pénétraient l’esprit des choses. Des forces morales inouïes lui
permettaient d’aller plus avant que les autres hommes dans les secrets des œuvres
immortelles. Ses regrets et sa douleur étaient comme des liens qui l’unissaient au monde
des esprits; il y allait, armé de son amour, pour y chercher sa mère, en réalisant ainsi par
les sublimes accords de l’extase la symbolique entreprise d’Orphée. Il s’élançait dans
l’avenir ou dans le ciel, comme de son rocher il volait sur l’Océan d’une ligne à l’autre de
l’horizon. Souvent aussi, quand il était tapi au fond d’un trou profond, capricieusement
arrondi dans un fragment de granit, et dont l’entrée avait l’étroitesse d’un terrier; quand,
doucement éclairé par les chauds rayons du soleil qui passaient par des fissures et lui
montraient les jolies mousses marines par lesquelles cette retraite était décorée, véritable
nid de quelque oiseau de mer; là, souvent, il était saisi d’un sommeil involontaire. Le
soleil, son souverain, lui disait seul qu’il avait dormi en lui mesurant le temps pendant
lequel avaient disparu pour lui ses paysages d’eau, ses sables dorés et ses coquillages. Il
admirait à travers une lumière brillante comme celle des cieux, les villes immenses dont
lui parlaient ses livres; il allait regardant avec étonnement, mais sans envie, les cours, les
rois, les batailles, les hommes, les monuments. Ce rêve en plein jour lui rendait toujours
plus chères ses douces fleurs, ses nuages, son soleil, ses beaux rochers de granit. Pour le
mieux attacher à sa vie solitaire, un ange semblait lui révéler les abîmes du monde moral,
et les chocs terribles des civilisations. Il sentait que son âme, bientôt déchirée à travers
ces océans d’hommes, périrait brisée comme une perle qui, à l’entrée royale d’une
princesse, tombe de la coiffure dans la boue d’une rue.¶
COMMENT MOURUT LE FILS¶
En 1617, vingt et quelques années après l’horrible nuit pendant laquelle Étienne fut
mis au monde, le duc d’Hérouville, alors âgé de soixante-seize ans, vieux, cassé, presque
mort, était assis au coucher du soleil dans un immense fauteuil, devant la fenêtre ogive de
sa chambre à coucher, à la place d’où jadis la comtesse avait si vainement réclamé, par
les sons du cor perdus dans les airs, le secours des hommes et du ciel. Vous eussiez dit
d’un véritable débris de tombeau. Sa figure énergique, dépouillée de son aspect sinistre
par la souffrance et par l’âge, avait une couleur blafarde en rapport avec les longues
mèches de cheveux blancs qui tombaient autour de sa tête chauve, dont le crâne jaune
semblait débile. La guerre et le fanatisme brillaient encore dans ces yeux jaunes, quoique
tempérés par un sentiment religieux. La dévotion jetait une teinte monastique sur ce
visage, jadis si dur et marqué maintenant de teintes qui en adoucissaient l’expression. Les
reflets du couchant coloraient par une douce lueur rouge cette tête encore vigoureuse. Le
corps affaibli, enveloppé de vêtements bruns, achevait, par sa pose lourde, par la privation
de tout mouvement, de peindre l’existence monotone, le repos terrible de cet homme,
autrefois si entreprenant, si haineux, si actif.¶
– Assez, dit-il à son chapelain.¶
Ce vieillard vénérable lisait l’Evangile en se tenant debout devant le maître dans une
attitude respectueuse. Le duc, semblable à ces vieux lions de ménagerie qui arrivent à une
décrépitude encore pleine de majesté, se tourna vers un autre homme en cheveux blancs,
et lui tendit un bras décharné, couvert de poils rares, encore nerveux, mais sans vigueur.¶
– A vous, rebouteur, s’écria-t-il, voyez où j’en suis aujourd’hui.¶
– Tout va bien, monseigneur, et la fièvre a cessé. Vous vivrez encore de longues
années.¶
– Je voudrais voir Maximilien ici, reprit le duc en laissant échapper un sourire d’aise.
Ce brave enfant! il commande maintenant une compagnie d’arquebusiers chez le roi. Le
maréchal d’Ancre a eu soin de mon gars, et notre gracieuse reine Marie pense à le bien
apparenter, maintenant qu’il a été créé duc de Nivron. Mon nom sera donc dignement
continué. Le gars a fait des prodiges de valeur à l’attaque...¶
En ce moment Bertrand arriva, tenant une lettre à la main.¶
– Qu’est ceci? dit vivement le vieux seigneur.¶
– Une dépêche apportée par un courrier que vous envoie le roi, répondit l’écuyer.¶
– Le roi et non la reine-mère! s’écria le duc. Que se passe-t-il donc, les Huguenots
reprendraient-ils les armes, tête-dieu pleine de reliques! reprit le duc en se dressant et
jetant un regard étincelant sur les trois vieillards. J’armerais encore mes soldats, et, avec
Maximilien à mes côtés, la Normandie...¶
– Asseyez-vous, mon bon seigneur, dit le rebouteur inquiet de voir le duc se livrant à
une bravade dangereuse chez un convalescent. Lisez, maître Corbineau, dit le vieillard en
tendant la dépêche à son confesseur.¶
¶
Ces quatre personnages formaient un tableau plein d’enseignements pour la vie
humaine. L’écuyer, le prêtre et le médecin, blanchis par les années, tous trois debout
devant leur maître assis dans son fauteuil, et ne se jetant l’un à l’autre que de pâles
regards, traduisaient chacun l’une des idées qui finissent par s’emparer de l’homme au
bord de la tombe. Fortement éclairés par un dernier rayon du soleil couchant, ces hommes
silencieux composaient un tableau sublime de mélancolie et fertile en contrastes. Cette
chambre sombre et solennelle, où rien n’était changé depuis vingt-cinq années, encadrait
bien cette page poétique, pleine de passions éteintes, attristée par la mort, remplie par la
religion.¶
– Le maréchal d’Ancre a été tué sur le pont du Louvre par ordre du roi, puis,... Oh!
mon Dieu...¶
– Achevez, cria le seigneur.¶
– Monseigneur le duc de Nivron...¶
– Eh! bien.¶
– Est mort!¶
Le duc pencha la tête sur sa poitrine, fit un grand soupir, et resta muet. A ce mot, à ce
soupir, les trois vieillards se regardèrent. Il leur sembla que l’illustre et opulente maison
d’Hérouville disparaissait devant eux comme un navire qui sombre.¶
– Le maître d’en haut, reprit le duc en lançant un terrible regard sur le ciel, se montre
bien ingrat envers moi. Il ne se souvient pas des hauts faits que j’ai commis pour sa sainte
cause!¶
– Dieu se venge, dit le prêtre d’une voix grave.¶
– Mettez cet homme au cachot, s’écria le seigneur.¶
– Vous pouvez me faire taire plus facilement que vous n’apaiserez votre conscience.¶
Le duc d’Hérouville redevint pensif.¶
– Ma maison périr! mon nom s’éteindre! Je veux me marier, avoir un fils! dit-il après
une longue pause.¶
Quelque effrayante que fût l’expression du désespoir peint sur la face du duc
d’Hérouville, le rebouteur ne put s’empêcher de sourire. En ce moment, un chant frais
comme l’air du soir, aussi pur que le ciel, simple autant que la couleur de l’Océan,
domina le murmure de la mer et s’éleva pour charmer la nature. La mélancolie de cette
voix, la mélodie des paroles, répandirent dans l’âme comme un parfum. L’harmonie
montait par nuages, remplissait les airs, versait du baume sur toutes douleurs, ou plutôt
elle les consolait en les exprimant. La voix s’unissait au bruissement de l’onde avec une
si rare perfection qu’elle semblait sortir du sein des flots. Ce chant fut plus doux pour ces
vieillards que ne l’aurait été la plus tendre parole d’amour pour une jeune fille, il
apportait tant de religieuses espérances qu’il résonna dans le cœur comme une voix partie
du ciel.¶
– Qu’est ceci? demanda le duc.¶
– Le petit rossignol chante, dit Bertrand, tout n’est pas perdu, ni pour lui, ni pour
vous.¶
– Qu’appelez-vous un rossignol?¶
– C’est le nom que nous avons donné au fils aîné de monseigneur, répondit Bertrand.¶
– Mon fils, s’écria le vieillard. J’ai donc un fils, enfin quelque chose qui porte mon
nom et qui peut le perpétuer.¶
Il se dressa sur ses pieds, et se mit à marcher dans sa chambre d’un pas tour à tour lent
et précipité; puis il fit un geste de commandement et renvoya ses gens, à l’exception du
prêtre.¶
Le lendemain matin, le duc appuyé sur son vieil écuyer allait le long de la grève, à
travers les rochers cherchant le fils que jadis il avait maudit; il l’aperçut de loin, tapi dans
une crevasse de granit, nonchalamment étendu au soleil, la tête posée sur une touffe
d’herbes fines, les pieds gracieusement ramassés sous le corps. Étienne ressemblait à une
hirondelle en repos. Aussitôt que le grand vieillard se montra sur le bord de la mer, et que
le bruit de ses pas assourdi par le sable résonna faiblement en se mêlant à la voix des
flots, Étienne tourna la tête, jeta un cri d’oiseau surpris, et disparut dans le granit même,
comme une souris qui rentre si lestement dans son trou que l’on finit par douter de l’avoir
aperçue.¶
– Hé! tête-dieu pleine de reliques, où s’est-il donc fourré? s’écria le seigneur en
arrivant au rocher sur lequel son fils était accroupi.¶
– Il est là, dit Bertrand en montrant une fente étroite dont les bords avaient été polis,
usés par l’assaut répété des hautes marées.¶
– Étienne, mon fils bien-aimé! s’écria le vieillard.¶
L’enfant maudit ne répondit pas. Pendant une partie de la matinée, le vieux duc
supplia, menaça, gronda, implora tour à tour, sans pouvoir obtenir de réponse. Parfois il
se taisait, appliquait l’oreille à la crevasse, et tout ce que son ouïe faible lui permettait
d’entendre était le sourd battement du cœur d’Étienne, dont les pulsations précipitées
retentissaient sous la voûte sonore....¶
– Il vit au moins, celui-là!..., dit le vieillard d’un son de voix déchirant.¶
Au milieu du jour, le père au désespoir eut recours à la prière.¶
– Étienne, lui disait-il, mon cher Étienne, Dieu m’a puni de t’avoir méconnu! Il m’a
privé de ton frère! Aujourd’hui, tu es mon seul et unique enfant. – Je t’aime plus que je
m’aime moi!.... –-même. J’ai reconnu mon erreur, et je sais que tu as véritablement mon
sang dans tes veines et mon sang ou celui de ta mère dont j’ai causé le malheur; mais
viens!... Je a été mon ouvrage. Viens, je tâcherai de te faire oublier mes torts en te
chérissant pour tout ce que j’ai perdu.¶ – Étienne, tu es déjà duc de Nivron, et tu seras
après moi duc d’Hérouville, pair de France, chevalier des ordresOrdres et de la Toisond’Or, capitaine de cent hommes d’armes, grand-bailli de Bessin, gouverneur de
Normandie pour le roi..., seigneur de vingt-sept domaines, de quarante où se comptent
soixante-neuf clochers...., marquis de Saint-Sever. Tu auras pour femme la fille d’un
prince.... Tu seras le chef de la maison d’Hérouville... Veux-tu donc me faire mourir de
chagrin?... Viens, viens! ou je reste agenouillé là, devant ta retraite, jusqu’à ce que je t’aie
vu. Ton vieux père te voie...prie, et s’humilie devant son enfant comme si c’était Dieu luimême.¶
Mais l’EnfantL’enfant maudit, n’entendant n’entendit pas ce langage hérissé d’idées
sociales, de vanités qu’il ne comprenait pas, et retrouvantpoint, et retrouvait dans son âme
des impressions de terreur invincibles, . Il resta muet, livré à d’affreuses angoisses.¶
Alors, sur Sur le soir, le vieux seigneur ayant , après avoir épuisé toutes les formules
de langage, toutes les ressources de la prière et les accensaccents du repentir, se jeta,fut
frappé d’une sorte de contrition religieuse, à genoux . Il s’agenouilla sur le sable, et fit en
lui-même ce vœu:¶
– Je jure!... d’élever une chapelle à saint Jean et à saint Étienne, patrons de ma femme
et de mon fils, d’y fonder cent messes en l’honneur de la Vierge, si Dieu et les saints me
ramènentrendent l’affection de monsieur le duc de Nivron, mon fils!....¶, ici présent!¶
Il demeura dans une humilité profonde, agenouillé, les mains jointes, et pria; et, .
Mais ne voyant point paraître son enfant, l’espoir de son nom, alors de grosses larmes
sortirent de ses yeux si long-temps secs, et roulèrent le long de ses joues flétries....¶ En ce
moment, Étienne, qui n’entendait plus rien, s’étant coulése coula sur le bord de sa grotte
comme une jeune couleuvre affamée de soleil, il vit ses les larmes de ce vieillard abattu,
reconnut le langage de la douleur; et, saisissant, saisit la main de son père, il et
l’embrassa, en disant d’une voix d’ange:¶: – O ma mère, pardonne!....¶!¶
Dans la fièvre du bonheur, le gouverneur de Normandie emporta dans ses bras son
chétif héritier qui tremblait comme une fille enlevée; et le sentant palpiter, il s’efforça de
le rassurer en le baisant avec les précautions qu’il aurait prises pour manier une fleur, il
trouva pour lui de douces paroles qu’il n’avait jamais su prononcer.¶
– Vrai Dieu, tu ressembles à ma pauvre Jeanne, cher enfant! lui disait-il. Instruis-moi
de tout ce qui te plaira, je te donnerai tout ce que tu désireras. Sois bien fort! porte-toi
bien! Je t’apprendrai à monter à cheval sur une jument douce et gentille comme tu es
doux et gentil. Rien ne te contrariera. Tête-dieu pleine de reliques! autour de toi, tout
pliera comme des roseaux sous le vent. Je vais te donner ici un pouvoir sans bornes. Moimême je t’obéirai comme au Dieu de la famille.¶
Le père entra bientôt avec son fils dans la chambre seigneuriale où s’était écoulée la
triste vie de la mère. Étienne alla soudain s’appuyer près de cette croisée où il avait
commencé de vivre, d’où sa mère lui faisait des signaux pour lui annoncer le départ de
son persécuteur qui maintenant, sans qu’il sût encore pourquoi, devenait son esclave et
ressemblait à ces gigantesques créatures que le pouvoir d’une fée mettait aux ordres d’un
jeune prince. Cette fée était la Féodalité. En revoyant la chambre mélancolique où ses
yeux s’étaient habitués à contempler l’Océan, des pleurs vinrent aux yeux d’Étienne; les
souvenirs de son long malheur mêlés aux mélodieuses souvenances des plaisirs qu’il
avait goûtés dans le seul amour qui lui fût permis, l’amour maternel, tout fondit à la fois
sur son cœur et y développa comme un poëme à la fois délicieux et terrible. Les émotions
de cet enfant habitué à vivre dans les contemplations de l’extase, comme d’autres se
livrent aux agitations du monde, ne ressemblaient à aucune des émotions habituelles aux
hommes.¶
– Vivra-t-il? dit le vieillard étonné de la faiblesse de son héritier sur lequel il se surprit
à retenir son souffle.¶
– Je ne pourrai vivre qu’ici, répondit simplement Étienne qui l’avait entendu.¶
– Hé! bien, cette chambre sera la tienne, mon enfant.¶
– Qu’y a-t-il? dit le jeune d’Hérouville en entendant des commensaux du château qui
arrivaient dans la salle des gardes où le duc les avait convoqués tous pour leur présenter
son fils, en ne doutant pas du succès.¶
– Viens, lui répondit son père en le prenant par la main et l’amenant dans la grande
salle.¶
A cette époque un duc et pair, possessionné comme l’était le duc d’Hérouville, ayant
ses charges et ses gouvernements, menait en France le train d’un prince; les cadets de
famille ne répugnaient pas à le servir; il avait une maison et des officiers: le premier
lieutenant de sa compagnie d’ordonnance était chez lui ce que sont aujourd’hui les aides
de camp chez un maréchal. Quelques années plus tard, le cardinal de Richelieu eut des
gardes du corps. Plusieurs princes alliés à la maison royale, les Guise, les Condé, les
Nevers, les Vendôme avaient des pages pris parmi les enfants des meilleures maisons,
dernière coutume de la chevalerie éteinte. Sa fortune et l’ancienneté de sa race normande
indiquée par son nom (herus villa, maison du chef), avaient permis au duc d’Hérouville
d’imiter la magnificence des gens qui lui étaient inférieurs, tels que les d’Epernon, les
Luynes, les Balagny, les d’O, les Zamet, regardés en ce temps comme des parvenus, et
qui néanmoins vivaient en princes. Ce fut donc un spectacle imposant pour le pauvre
Étienne que de voir l’assemblée des gens attachés au service de son père. Le duc monta
sur une chaise placée sous un de ces solium ou dais en bois sculpté garni d’une estrade
élevée de quelques marches, d’où, dans quelques provinces, certains seigneurs rendaient
encore des arrêts dans leurs châtellenies, rares vestiges de féodalité qui disparurent sous
le règne de Richelieu. Ces espèces de trônes, semblables aux bancs d’œuvre dans les
églises, sont devenus des objets de curiosité. Quand Étienne se trouva là, près de son
vieux père, il frissonna de se voir le point de mire de tous les yeux.¶
– Ne tremble pas, lui dit le duc en abaissant sa tête chauve jusqu’à l’oreille de son fils,
car tout ça, c’est nos gens.¶
A travers les ténèbres à demi lumineuses produites par le soleil couchant dont les
rayons rougissaient les croisées de cette salle, Étienne apercevait le bailli, les capitaines et
les lieutenants en armes, accompagnés de quelques soldats, les écuyers, le chapelain, les
secrétaires, le médecin, le majordome, les huissiers, l’intendant, les piqueurs, les gardeschasse, toute la livrée et les valets. Quoique ce monde se tînt dans une attitude
respectueuse commandée par la terreur qu’inspirait le vieillard aux gens les plus
considérables qui vivaient sous son commandement et dans sa province, il se faisait un
bruit sourd produit par une curieuse attente. Ce bruit serra le cœur d’Étienne qui, pour la
première fois, éprouvait l’influence de la lourde atmosphère d’une salle où respirait une
assemblée nombreuse; ses sens, habitués à l’air pur et sain de la mer, furent offensés avec
une promptitude qui indiquait la perfection de ses organes. Une horrible palpitation, due à
quelque vice dans l’organisation de son cœur, l’agita de ses coups précipités, quand son
père, obligé de se montrer comme un vieux lion majestueux, prononça, d’une voix
solennelle, le petit discours suivant: – Mes amis, voici mon fils Étienne, mon premier-né,
mon héritier présomptif, le duc de Nivron, à qui le roi confirmera sans doute les charges
de défunt son frère; je vous le présente afin que vous le reconnaissiez et que vous lui
obéissiez comme à moi-même. Je vous préviens que si l’un de vous, ou si quelqu’un dans
la province dont j’ai le gouvernement, déplaisait au jeune duc ou le heurtait en quoi que
ce soit, il vaudrait mieux, cela étant et moi le sachant, que ce quelqu’un ne fût jamais sorti
du ventre de sa mère. Vous avez entendu? retournez tous à vos affaires, et que Dieu vous
conduise. Les obsèques de Maximilien d’Hérouville se feront ici, lorsque son corps y sera
rapporté. La maison prendra le deuil dans huit jours. Plus tard, nous fêterons l’avénement
de mon fils Étienne.¶
– Vive monseigneur! vivent les d’Hérouville! fut crié de manière à faire mugir le
château.¶
Les valets apportèrent des flambeaux pour éclairer la salle. Ce hourra, cette lumière et
les sensations que donna à Étienne le discours de son père, jointes à celles qu’il avait
éprouvées déjà, lui causèrent une défaillance complète, il tomba sur le fauteuil en laissant
sa main de femme dans la large main de son père. Quand le duc, qui avait fait signe au
lieutenant de sa compagnie d’approcher, lui dit: – Eh! bien, baron d’Artagnon, je suis
heureux de pouvoir réparer ma perte, venez voir mon fils! il sentit dans sa main une main
froide, regarda le nouveau duc de Nivron, le crut mort, et jeta un cri de terreur qui
épouvanta l’assemblée.¶
Beauvouloir ouvrit l’estrade, prit le jeune homme dans ses bras, et l’emmena en
disant à son maître: – Vous l’avez tué en ne le préparant pas à cette cérémonie.¶
¶
– Il ne pourra donc pas avoir d’enfant, s’il en est ainsi? s’écria le duc qui suivit
Beauvouloir dans la chambre seigneuriale où le médecin alla coucher le jeune héritier.¶
– Eh! bien, maître? demanda le père avec anxiété.¶
– Ce ne sera rien, répondit le vieux serviteur en montrant à son seigneur Étienne
ranimé par un cordial dont il lui avait donné quelques gouttes sur un morceau de sucre,
nouvelle et précieuse substance que les apothicaires vendaient au poids de l’or.¶
– Prends, vieux coquin, dit le vieux seigneur, en tendant sa bourse à Beauvouloir, et
soigne-le comme le fils d’un roi. S’il mourait par ta faute, je te brûlerais moi-même sur
un gril.¶
– Si vous continuez à vous montrer violent, le duc de Nivron mourra par votre fait, dit
brutalement le médecin à son maître, laissez-le, il va s’endormir.¶
– Bonsoir, mon amour, dit le vieillard, en baisant son fils au front.¶
– Bonsoir, mon père, reprit le jeune homme dont la voix fit tressaillir le duc qui pour
la première fois s’entendait donner par Étienne le nom de père.¶
Le duc prit Beauvouloir par le bras, l’emmena dans la salle voisine, et le poussa dans
l’embrasure d’une croisée en lui disant: – Ha! çà, vieux coquin à nous deux?¶
Ce mot, qui était la gracieuseté favorite du duc, fit sourire le médecin, qui depuis
longtemps avait quitté ses rebouteries.¶
– Tu sais, dit le duc en continuant, que je ne te veux pas de mal. Tu as deux fois
accouché ma pauvre Jeanne, tu as guéri mon fils Maximilien d’une maladie, enfin tu fais
partie de ma maison. Pauvre enfant! je le vengerai, je me charge de celui qui me l’a tué!
Tout l’avenir de la maison d’Hérouville est donc entre tes mains. Je veux marier cet
enfant-là sans tarder. Toi seul peux savoir s’il y a chance de trouver en cet avorton de
l’étoffe à faire des d’Hérouville... Tu m’entends. Que crois-tu?¶
– Sa vie, au bord de la mer, a été si chaste et si pure, que la nature est plus drue chez
lui qu’elle ne l’aurait été s’il eût vécu dans votre monde. Mais un corps si délicat est le
très-humble serviteur de l’âme. Monseigneur Étienne doit choisir lui-même sa femme, car
tout en lui sera l’ouvrage de la nature, et non celui de vos vouloirs. Il aimera naïvement,
et fera, par désir de cœur, ce que vous souhaitez qu’il fasse pour votre nom. Donnez à
votre fils une grande dame qui soit comme une haquenée, il ira se cacher dans ses
rochers; bien plus! si quelque vive terreur le tuerait à coup sûr, je crois qu’un bonheur
trop subit le foudroierait également. Pour éviter ce malheur, m’est avis de laisser Étienne
s’engager de lui-même, et à son aise, dans la voie des amours. Ecoutez, monseigneur,
quoique vous soyez un grand et puissant prince, vous n’entendez rien à ces sortes de
choses. Accordez-moi votre confiance entière, sans bornes, et vous aurez un petit-fils.¶
– Si j’obtiens un petit-fils par quelque sortilége que ce soit, je te fais anoblir. Oui,
quoique ce soit difficile, de vieux coquin tu deviendras un galant homme, tu seras
Beauvouloir, baron de Forcalier. Emploie le vert et le sec, la magie blanche et noire, les
neuvaines à l’Eglise et les rendez-vous au sabbat, pourvu que j’aie une lignée mâle, tout
sera bien.¶
– Je sais, dit Beauvouloir, un chapitre de sorciers capable de tout gâter; ce sabbat
n’est autre que vous-même, monseigneur. Je vous connais. Vous désirez une lignée à tout
prix aujourd’hui; demain vous voudrez déterminer les conditions dans lesquelles doit
venir cette lignée, et vous tourmenterez votre fils.¶
– Dieu m’en garde!¶
– Eh! bien, allez à la cour, où la mort du maréchal et l’émancipation du roi doit avoir
mis tout sens dessus dessous, et où vous avez affaire, ne fut-ce que pour vous faire donner
le bâton de maréchal qu’on vous a promis. Laissez-moi gouverner monseigneur Étienne.
Mais engagez-moi votre parole de gentilhomme de m’approuver en quoi que je fasse.¶
Le duc frappa dans la main du vieillard en signe d’une entière adhésion, et se retira
dans son appartement.¶
Quand les jours d’un haut et puissant seigneur sont comptés, le médecin est un
personnage important au logis. Aussi, ne faut-il pas s’étonner de voir un ancien rebouteur
devenu si familier avec le duc d’Hérouville. A part les liens illégitimes par lesquels son
mariage l’avait rattaché à cette grande maison, et qui militaient en sa faveur, le duc avait
si souvent éprouvé le grand sens du savant, qu’il en avait fait l’un de ses conseillers
favoris. Beauvouloir était le Coyctier de ce Louis XI. Mais, de quelque prix que fût sa
science, le médecin n’avait pas, sur le gouverneur de Normandie, en qui respirait toujours
la férocité des guerres religieuses, autant d’influence que la féodalité. Aussi, le serviteur
avait-il deviné que les préjugés du noble nuisaient aux vœux du père. En grand médecin
qu’il était, Beauvouloir comprit que, chez un être délicatement organisé comme Étienne,
le mariage devait être une lente et douce inspiration qui lui communiquât de nouvelles
forces en l’animant du feu de l’amour. Comme il l’avait dit, imposer une femme à
Étienne, c’était le tuer. On devait éviter surtout que ce jeune solitaire s’effrayât du
mariage dont il ne savait rien, et qu’il connût le but dont se préoccupait son père. Ce
poëte inconnu n’admettait que la noble et belle passion de Pétrarque pour Laure, de Dante
pour Béatrix. Comme sa mère, il était tout amour pur, et tout âme; on devait lui donner
l’occasion d’aimer, attendre l’événement et non le commander; un ordre aurait tari en lui
les sources de la vie.¶
Maître Antoine Beauvouloir était père, il avait une fille élevée dans des conditions qui
en faisaient la femme d’Étienne. Il était si difficile de prévoir les événements qui
rendraient un enfant destiné par son père au cardinalat, l’héritier présomptif de la maison
d’Hérouville, que Beauvouloir n’avait jamais remarqué la ressemblance des destinées
d’Étienne et de Gabrielle. Ce fut une idée subite inspirée par son dévouement à ces deux
êtres plutôt que par son ambition. Malgré son habileté, sa femme était morte en couches
en lui donnant une fille, dont la santé fut si faible, qu’il pensa que la mère avait dû léguer
à son fruit des germes de mort. Beauvouloir aima sa Gabrielle comme tous les vieillards
aiment leur unique enfant. Sa science et ses soins constants prêtèrent une vie factice à
cette frêle créature, qu’il cultiva comme un fleuriste cultive une plante étrangère. Il l’avait
soustraite à tous les regards dans son domaine de Forcalier, où elle fut protégée contre les
malheurs du temps par la bienveillance générale qui s’était attachée à un homme auquel
chacun devait un cierge, et dont le pouvoir scientifique inspirait une sorte de terreur
respectueuse. En s’attachant à la maison d’Hérouville, il avait augmenté les immunités
dont il jouissait dans la province, et déjoué les poursuites de ses ennemis par sa position
formidable auprès du gouverneur; mais il s’était bien gardé, en venant au château, d’y
amener la fleur qu’il tenait enfouie à Forcalier, domaine plus important par les terres qui
en dépendaient que par l’habitation, et sur lequel il comptait pour trouver à sa fille un
établissement conforme à ses vues. En promettant au vieux duc une postérité, en lui
demandant sa parole d’approuver sa conduite, il pensa soudain à Gabrielle, à cette douce
enfant, dont la mère avait été oubliée par le duc, comme il avait oublié son fils Étienne. Il
attendit le départ de son maître avant de mettre son plan à exécution, en prévoyant que si
le duc en avait connaissance, les énormes difficultés qui pourraient être levées à la faveur
d’un résultat favorable, seraient dès l’abord insurmontables.¶
La maison de maître Beauvouloir était exposée au midi, sur le penchant d’une de ces
douces collines qui cerclent les vallées de Normandie; un bois épais l’enveloppait au
nord; des murs élevés et des haies normandes à fossés profonds, y faisaient une
impénétrable enceinte. Le jardin descendait, en pente molle, jusqu’à la rivière qui arrosait
les herbages de la vallée, et à laquelle le haut talus d’une double haie formait en cet
endroit un quai naturel. Dans cette haie tournait une secrète allée, dessinée par les
sinuosités des eaux, et que les saules, les hêtres, les chênes rendaient touffue comme un
sentier de forêt. Depuis la maison jusqu’à ce rempart, s’étendaient les masses de la
verdure particulière à ce riche pays, belle nappe ombragée par une lisière d’arbres rares,
dont les nuances composaient une tapisserie heureusement colorée: là, les teintes
argentées d’un pin se détachaient de dessus le vert foncé de quelques aulnes; ici, devant
un groupe de vieux chênes, un svelte peuplier élançait sa palme, toujours agitée; plus
loin, des saules pleureurs penchaient leurs feuilles pâles entre de gros noyers à tête ronde.
Cette lisière permettait de descendre, à toute heure, de la maison vers la haie, sans avoir à
craindre les rayons du soleil. La façade, devant laquelle se déroulait le ruban jaune d’une
terrasse sablée, était ombrée par une galerie de bois autour de laquelle s’entortillaient des
plantes grimpantes qui, dans le mois de mai, jetaient leurs fleurs jusqu’aux croisées du
premier étage. Sans être vaste, ce jardin semblait immense par la manière dont il était
percé; et ses points de vue, habilement ménagés dans les hauteurs du terrain, se mariaient
à ceux de la vallée où l’œil se promenait librement. Selon les instincts de sa pensée,
Gabrielle pouvait, ou rentrer dans la solitude d’un étroit espace sans y apercevoir autre
chose qu’un épais gazon et le bleu du ciel entre les cimes des arbres, ou planer sur les
plus riches perspectives en suivant les nuances des lignes vertes, depuis leurs premiers
plans si éclatants, jusqu’aux fonds purs de l’horizon où elles se perdaient, tantôt dans
l’océan bleu de l’air, tantôt dans les montagnes de nuages qui y flottaient.¶
Soignée par sa grand’mère, servie par sa nourrice, Gabrielle Beauvouloir ne sortait de
cette modeste maison que pour se rendre à la paroisse, dont le clocher se voyait au faîte
de la colline, et où l’accompagnaient toujours son aïeule, sa nourrice et le valet de son
père. Elle était donc arrivée à l’âge de dix-sept ans dans la suave ignorance que la rareté
des livres permettait à une fille de conserver sans qu’elle parût extraordinaire en un temps
où les femmes instruites étaient de rares phénomènes. Cette maison avait été comme un
couvent, plus la liberté, moins la prière ordonnée, et où elle avait vécu sous les yeux
d’une vieille femme pieuse, sous la protection de son père, le seul homme qu’elle eût
jamais vu. Cette solitude profonde, exigée dès sa naissance par la faiblesse apparente de
sa constitution, avait été soigneusement entretenue par Beauvouloir. A mesure que
Gabrielle grandissait, les soins qui lui étaient prodigués, l’influence d’un air pur avaient à
la vérité fortifié sa jeunesse frêle. Néanmoins le savant médecin ne pouvait se tromper en
voyant les teintes nacrées qui entouraient les jeux de sa fille s’attendrir, se brunir,
s’enflammer suivant ses émotions: la débilité du corps et la force de l’âme se signaient là
par des indices que sa longue pratique lui permettait de reconnaître; puis, la céleste beauté
de Gabrielle lui avait fait redouter les entreprises si communes par un temps de violence
et de sédition. Mille raisons avaient donc conseillé à ce bon père d’épaissir l’ombre et
d’agrandir la solitude autour de sa fille dont l’excessive sensibilité l’effrayait, une
passion, un rapt, un assaut quelconque la lui aurait blessée à mort. Quoique sa fille
encourût rarement des reproches, un mot de réprimande la bouleversait; elle le gardait au
fond du cœur où il pénétrait et engendrait une mélancolie méditative; elle allait pleurer, et
pleurait longtemps. Chez Gabrielle, l’éducation morale n’avait donc pas voulu moins de
soins que l’éducation physique. Le vieux médecin avait dû renoncer à conter à sa fille les
histoires qui charment les enfants, elle en recevait de trop vives impressions. Aussi, cet
homme, qu’une longue pratique avait rendu si savant, s’était-il empressé de développer le
corps de sa fille afin d’amortir les coups qu’y portait une âme aussi vigoureuse. Comme
Gabrielle était toute sa vie, son amour, sa seule héritière, il n’avait jamais hésité à se
procurer les choses dont le concours devait amener le résultat souhaité. Il écarta
soigneusement les livres, les tableaux, la musique, toutes les créations des arts qui
pouvaient réveiller la pensée. Aidé par sa mère, il intéressait Gabrielle à des ouvrages
manuels. La tapisserie, la couture, la dentelle, la culture des fleurs, les soins du ménage,
la récolte des fruits, enfin les plus matérielles occupations de la vie étaient données en
pâture à l’esprit de cette charmante enfant; Beauvouloir lui apportait de beaux rouets, des
bahuts bien travaillés, de riches tapis, de la poterie de Bernard de Palissy, des tables, des
prie-Dieu, des chaises sculptées et garnies d’étoffes précieuses, du linge ouvré, des
bijoux. Avec l’instinct que donne la paternité, le vieillard choisissait toujours ses cadeaux
parmi les œuvres dont les ornements appartenaient à ce genre fantasque nommé
arabesque, et qui ne parlant ni aux sens ni à l’âme, s’adressent seulement à l’esprit par les
créations de la fantaisie pure. Ainsi, chose étrange! la vie que la haine d’un père avait
commandée à Étienne d’Hérouville, l’amour paternel avait dit à Beauvouloir de l’imposer
à Gabrielle. Chez l’un et l’autre de ces deux enfants, l’âme devait tuer le corps; et sans
une profonde solitude, ordonnée par le hasard chez l’un, voulue par la science chez
l’autre, tous deux pouvaient succomber, celui-ci à la terreur, celle-là sous le poids d’une
trop vive émotion d’amour. Mais, hélas! au lieu de naître dans un pays de landes et de
bruyères, au sein d’une nature sèche aux formes arrêtées et dures, que tous les grands
peintres ont donné comme fonds à leurs vierges, Gabrielle vivait au fond d’une grasse et
plantureuse vallée. Beauvouloir n’avait pu détruire l’harmonieuse disposition des
bosquets naturels, le gracieux agencement des corbeilles de fleurs, la fraîche mollesse du
tapis vert, l’amour exprimé par les entrelacements des plantes grimpantes. Ces vivaces
poésies avaient leur langage, plutôt entendu que compris de Gabrielle qui se laissait aller
à de confuses rêveries sous les ombrages; à travers les idées nuageuses que lui
suggéraient ses admirations sous un beau ciel, et ses longues études de ce paysage
observé dans tous les aspects qu’y imprimaient les saisons et les variations d’une
atmosphère marine où viennent mourir les brumes de l’Angleterre, où commencent les
clartés de la France, il s’élevait dans son esprit une lointaine lumière, une aurore qui
perçait les ténèbres dans lesquelles la maintenait son père.¶
¶
Beauvouloir n’avait pas soustrait non plus Gabrielle à l’influence de l’amour divin,
elle joignait à l’admiration de la nature l’adoration du Créateur; elle s’était élancée dans
la première voie ouverte aux sentiments féminins: elle aimait Dieu, elle aimait Jésus, la
Vierge et les saints, elle aimait l’Eglise et ses pompes; elle était catholique à la manière
de sainte Thérèse qui voyait dans Jésus un infaillible époux, un continuel mariage. Mais
Gabrielle se livrait à cette passion des âmes fortes avec une simplicité si touchante,
qu’elle aurait désarmé la séduction la plus brutale par l’enfantine naïveté de son langage.¶
Où cette vie d’innocence conduisait-elle Gabrielle? Comment instruire une
intelligence aussi pure que l’eau d’un lac tranquille qui n’aurait encore réfléchi que l’azur
des cieux? Quelles images dessiner sur cette toile blanche? Autour de quel arbre tourner
les clochettes de neige épanouies sur ce liseron? Jamais le père ne s’était fait ces
questions sans éprouver un frisson intérieur. En ce moment, le bon vieux savant
cheminait lentement sur sa mule, comme s’il eût voulu rendre éternelle la route qui
menait du château d’Hérouville à Ourscamp, nom du village auprès duquel se trouvait
son domaine de Forcalier. L’amour infini qu’il portait à sa fille lui avait fait concevoir un
si hardi projet! un seul être au monde pouvait la rendre heureuse, et cet homme était
Étienne. Certes, le fils angélique de Jeanne de Saint-Savin et la candide fille de Gertrude
Marana étaient deux créations jumelles. Toute autre femme que Gabrielle devait effrayer
et tuer l’héritier présomptif de la maison d’Hérouville; de même qu’il semblait à
Beauvouloir que Gabrielle devait périr par le fait de tout homme de qui les sentiments et
les formes extérieures n’auraient pas la virginale délicatesse d’Étienne. Certes le pauvre
médecin n’y avait jamais songé, le hasard s’était complu à ce rapprochement, et
l’ordonnait. Mais, sous le règne de Louis XIII, oser amener le duc d’Hérouville à marier
son fils unique à la fille d’un rebouteur normand! Et cependant de ce mariage seulement
pouvait résulter cette lignée que voulait impérieusement le vieux duc. La nature avait
destiné ces deux beaux êtres l’un à l’autre, Dieu les avait rapprochés par une incroyable
disposition d’événements, tandis que les idées humaines, les lois mettaient entre eux des
abîmes infranchissables. Quoique le vieillard crût voir en ceci le doigt de Dieu, et malgré
la parole qu’il avait surprise au duc, il fut saisi par de telles appréhensions en pensant aux
violences de ce caractère indompté, qu’il revint sur ses pas au moment où, parvenu sur le
haut de la colline opposée à celle d’Ourscamp, il aperçut la fumée qui s’élevait de son toit
entre les arbres de son enclos. Il fut décidé par son illégitime parenté, considération qui
pouvait influer sur l’esprit de son maître. Puis une fois décidé, Beauvouloir eut confiance
dans les hasards de la vie, il se pourrait que le duc mourût avant le mariage; et d’ailleurs
il compta sur les exemples: une paysanne du Dauphiné, Françoise Mignot, venait
d’épouser le maréchal de l’Hopital; le fils du connétable Anne de Montmorency avait
épousé Diane, la fille de Henri II et d’une dame piémontaise nommée Philippe Duc.¶
Pendant cette délibération, où l’amour paternel estimait toutes les probabilités,
discutait les bonnes comme les mauvaises chances, et tâchait d’entrevoir l’avenir en en
pesant les éléments, Gabrielle se promenait dans le jardin où elle choisissait des fleurs
pour garnir les vases de l’illustre potier qui fit avec l’émail ce que Benvenuto Cellini
avait fait avec les métaux. Gabrielle avait mis ce vase, orné d’animaux en relief, sur une
table, au milieu de la salle, et le remplissait de fleurs pour égayer sa grand’mère, et peutêtre aussi pour donner une forme à ses propres pensées. Le grand vase de faïence, dite de
Limoges, était plein, achevé, posé sur le riche tapis de la table, et Gabrielle disait à sa
grand’mère: « – Regardez donc! » quand Beauvouloir entra. La fille courut se jeter dans
les bras du père. Après les premières effusions de tendresse, Gabrielle voulut que le
vieillard admirât le bouquet; mais après l’avoir regardé, Beauvouloir plongea sur sa fille
un regard profond qui la fit rougir.¶
– Il est temps, se dit-il en comprenant le langage de ces fleurs dont chacune avait été
sans doute étudiée et dans sa forme et dans sa couleur, tant chacune était bien mise à sa
place, où elle produisait un effet magique dans le bouquet.¶
Gabrielle resta debout, sans penser à la fleur commencée sur son métier. A l’aspect de
sa fille, une larme roula dans les yeux de Beauvouloir, sillonna ses joues qui contractaient
encore difficilement une expression sérieuse, et tomba sur sa chemise que, selon la mode
du temps, son pourpoint ouvert sur le ventre laissait voir au-dessus de son haut-dechausses. Il jeta son feutre orné d’une vieille plume rouge, pour pouvoir faire avec sa
main le tour de sa tête pelée. En contemplant de nouveau sa fille qui, sous les solives
brunes de cette salle tapissée de cuir, ornée de meubles en ébène, de portières en grosses
étoffes de soie, parée de sa haute cheminée, et qu’éclairait un jour doux, était encore bien
à lui, le pauvre père sentit des larmes dans ses yeux et les essuya. Un père qui aime son
enfant voudrait le garder toujours petit; quant à celui qui peut voir, sans une profonde
douleur, sa fille passant sous la domination d’un homme, il ne remonte pas vers les
mondes supérieurs, il redescend dans les espèces infimes.¶
– Qu’avez-vous, mon fils? dit la vieille mère en ôtant ses lunettes et cherchant dans
l’attitude ordinairement joyeuse du bonhomme le sujet du silence qui la surprenait.¶
Le vieux médecin montra du doigt sa fille à l’aïeule qui hocha la tête par un signe de
satisfaction, comme pour dire: Elle est bien mignonne!¶
Qui n’eût pas éprouvé l’émotion de Beauvouloir en voyant la jeune fille comme la
dessinait l’habillement de l’époque et le jour frais de la Normandie. Gabrielle portait ce
corset en pointe par devant et carré par derrière que les peintres italiens ont presque tous
donné à leurs saintes et leurs madones. Cet élégant corselet en velours bleu de ciel, aussi
joli que celui d’une demoiselle des eaux, enveloppait le corsage comme une guimpe, en le
comprimant de manière à modeler finement les formes qu’il semblait aplatir; il moulait
les épaules, le dos, la taille avec la netteté d’un dessin fait par le plus habile artiste, et se
terminait autour du cou par une oblongue échancrure ornée d’une légère broderie en soie
couleur carmélite, et qui laissait voir autant de nu qu’il en fallait pour montrer la beauté
de la femme, mais pas assez pour éveiller le désir. Une robe de couleur carmélite, qui
continuait le trait des lignes accusées par le corps de velours, tombait jusque sur les pieds
en formant des plis minces et comme aplatis. La taille était si fine, que Gabrielle semblait
grande. Son bras menu pendait avec l’inertie qu’une pensée profonde imprime à
l’attitude. Ainsi posée, elle présentait un modèle vivant des naïfs chefs-d’œuvre de la
statuaire dont le goût existait alors, et qui se recommande à l’admiration par la suavité de
ses lignes droites sans roideur, et par la fermeté d’un dessin qui n’exclut pas la vie.
Jamais profil d’hirondelle n’offrit, en rasant une croisée le soir, des formes plus
élégamment coupées. Le visage de Gabrielle était mince sans être plat; sur son cou et sur
son front couraient des filets bleuâtres qui y dessinaient des nuances semblables à celles
de l’agate, en montrant la délicatesse d’un teint si transparent, qu’on eût cru voir le sang
couler dans les veines. Cette blancheur excessive était faiblement teintée de rose aux
joues. Cachés sous un petit bonnet de velours bleu brodé de perles, ses cheveux, d’un
blond égal, coulaient comme deux ruisseaux d’or le long de ses tempes, et se jouaient en
anneaux sur ses épaules, qu’ils ne couvraient pas. La couleur chaude de cette chevelure
soyeuse animait la blancheur éclatante du cou, et purifiait encore par son reflet les
contours du visage déjà si pur. Les yeux, longs et comme pressés entre des paupières
grasses, étaient en harmonie avec la finesse du corps et de la tête; le gris de perle y avait
du brillant sans vivacité, la candeur y recouvrait la passion. La ligne du nez eût paru
froide comme une lame d’acier, sans deux narines veloutées et roses dont les
mouvements semblaient en désaccord avec la chasteté d’un front rêveur, souvent étonné,
riant parfois, et toujours d’une auguste sérénité. Enfin, une petite oreille alerte attirait le
regard, en montrant sous le bonnet, entre deux touffes de cheveux, la poire d’un rubis
dont la couleur se détachait vigoureusement sur le lait du cou. Ce n’était ni la beauté
normande où la chair abonde, ni la beauté méridionale où la passion agrandit la matière,
ni la beauté française, toute fugitive comme ses expressions, ni la beauté du Nord
mélancolique et froide, c’était la séraphique et profonde beauté de l’Eglise catholique, à
la fois souple et rigide, sévère et tendre.¶
– Où trouvera-t-on une plus jolie duchesse? se dit Beauvouloir en se complaisant à
voir Gabrielle, qui, légèrement penchée, tendant le cou pour suivre au dehors le vol d’un
oiseau, ne pouvait se comparer qu’à une gazelle arrêtée pour écouter le murmure de l’eau
où elle va se désaltérer.¶
– Viens t’asseoir là, dit Beauvouloir en se frappant la cuisse et faisant à Gabrielle un
signe qui annonçait une confidence.¶
Gabrielle comprit et vint. Elle se posa sur son père avec la légèreté de la gazelle, et
passa son bras autour du cou de Beauvouloir dont le collet fut brusquement chiffonné.¶
– A qui pensais-tu donc en cueillant ces fleurs? jamais tu ne les as si galamment
disposées.¶
– A bien des choses, dit-elle. En admirant ces fleurs, qui semblent faites pour nous, je
me demandais pour qui nous sommes faites, nous; quels sont les êtres qui nous regardent?
Vous êtes mon père, je puis vous dire ce qui se passe en moi; vous êtes habile, vous
expliquerez tout. Je sens en moi comme une force qui veut s’exercer, je lutte contre
quelque chose. Quand le ciel est gris, je suis à demi contente, je suis triste, mais calme.
Quand il fait beau, que les fleurs sentent bon, que je suis là-bas sur mon banc, sous les
chèvrefeuilles et les jasmins, il s’élève en moi comme des vagues qui se brisent contre
mon immobilité. Il me vient dans l’esprit des idées qui me heurtent et s’enfuient comme
les oiseaux le soir à nos croisées, je ne peux pas les retenir. Eh! bien, quand j’ai fait un
bouquet où les couleurs sont nuancées comme sur une tapisserie, où le rouge mord le
blanc, où le vert et le brun se croisent, quand tout y abonde, que l’air s’y joue, que les
fleurs se heurtent, qu’il y a une mêlée de parfums et de calices entre-choqués, je suis
comme heureuse en reconnaissant ce qui se passe en moi-même. Quand, à l’église,
l’orgue joue et que le clergé répond, qu’il y a deux chants distincts qui se parlent, les voix
humaines et la musique, eh! bien, je suis contente, cette harmonie me retentit dans la
poitrine, je prie avec un plaisir qui m’anime le sang...¶
En écoutant sa fille, Beauvouloir l’examinait avec l’œil de la sagacité: son regard eût
semblé stupide par la force même de ses pensées rayonnantes, de même que l’eau d’une
cascade semble immobile. Il soulevait le voile de chair qui lui cachait le jeu secret par
lequel l’âme réagit sur le corps, il étudiait les symptômes divers que sa longue expérience
avait surpris dans toutes les personnes confiées à ses soins, et il les comparait aux
symptômes contenus dans ce corps frêle dont les os l’effrayaient par leur délicatesse, dont
le teint de lait l’épouvantait par son peu de consistance; et il tâchait de relier les
enseignements de sa science à l’avenir de cette angélique enfant, et il avait le vertige en
se trouvant ainsi, comme s’il eût été sur un abîme; la voix trop vibrante, la poitrine trop
mignonne de Gabrielle l’inquiétait, et il s’interrogeait lui-même, après l’avoir interrogée.¶
– Tu souffres ici! s’écria-t-il enfin poussé par une dernière pensée où se résuma sa
méditation. Elle inclina mollement la tête.¶
– A la grâce de Dieu! dit le vieillard en jetant un soupir. Je t’emmène au château
d’Hérouville, tu y pourras prendre, dans la mer, des bains qui te fortifieront.¶
¶
– Cela est-il vrai, mon père? ne vous moquez pas de votre Gabrielle. J’ai tant désiré
voir le château, les hommes d’armes, les capitaines et Monseigneur.¶
– Oui, ma fille. Ta nourrice et Jean t’accompagneront.¶
– Sera-ce bientôt?¶
– Demain, dit le vieillard qui se précipita dans le jardin pour cacher son agitation à sa
mère et à sa fille.¶
– Dieu m’est témoin, s’écria-t-il, qu’aucune pensée ambitieuse ne me fait agir. Ma
fille à sauver, le pauvre petit Étienne à rendre heureux, voilà mes seuls motifs!¶
S’il s’interrogeait ainsi lui-même, c’est qu’il sentait, au fond de sa conscience, une
inextinguible satisfaction de savoir que, par la réussite de son projet, Gabrielle serait un
jour duchesse d’Hérouville. Il y a toujours un homme chez un père. Il se promena
longtemps, rentra pour souper, et se complut pendant toute la soirée à regarder sa fille au
sein de la douce et brune poésie à laquelle il l’avait habituée.¶
Quand, avant le coucher, la grand’mère, la nourrice, le médecin et Gabrielle
s’agenouillèrent pour faire leur prière en commun, il leur dit: – Supplions tous Dieu qu’il
bénisse mon entreprise.¶
La grand’mère, qui connaissait le dessein de son fils, eut les yeux humectés par ce qui
lui restait de larmes. La curieuse Gabrielle avait le visage rouge de bonheur. Le père
tremblait, tant il avait peur d’une catastrophe.¶
– Après tout, lui dit sa mère, ne t’effraie pas, Antoine! Le duc ne tuera pas sa petitefille.¶
– Non, répondit-il, mais il peut la contraindre à épouser quelque soudard de baron qui
nous la meurtrirait.¶
Le lendemain Gabrielle, montée sur un âne, suivie de sa nourrice à pied, de son père à
cheval sur sa mule, et accompagnée du valet qui conduisait deux chevaux chargés de
bagages, se mit en route vers le château d’Hérouville, où la caravane n’arriva qu’à la
tombée du jour. Afin de pouvoir tenir ce voyage secret, Beauvouloir s’était dirigé par les
chemins détournés en partant de grand matin, et il avait fait emporter des provisions pour
manger en route, sans se montrer dans les hôtelleries. Beauvouloir entra donc à la nuit,
sans être remarqué par les gens du château, dans l’habitation que l’enfant maudit avait
occupée si longtemps, et où l’attendait Bertrand, la seule personne qu’il eut mise dans sa
confidence. Le vieil écuyer aida le médecin, la nourrice et le valet à décharger les
chevaux, à transporter le bagage, et à établir la fille de Beauvouloir dans la demeure
d’Étienne. Quand Bertrand vit Gabrielle, il resta tout ébahi.¶
– Il me semble voir Madame? s’écria-t-il. Elle est mince et fluette comme elle; elle a
ses couleurs pâles et ses cheveux blonds; le vieux duc l’aimera.¶
– Dieu le veuille! dit Beauvouloir. Mais reconnaîtra-t-il son sang à travers le mien?¶
– Il ne peut guère le renier, dit Bertrand. Je suis allé souvent le quérir à la porte de la
Belle Romaine, qui demeurait rue Culture-Sainte-Catherine, le cardinal de Lorraine la
laissa forcément à monseigneur, par honte d’avoir été maltraité en sortant de chez elle.
Monseigneur, qui, dans ce temps-là, marchait sur les talons de ses vingt ans, doit bien se
souvenir de cette embûche, il était déjà bien hardi, je peux dire la chose aujourd’hui, il
menait les affronteurs!¶
– Il ne pense plus guère à tout ceci, dit Beauvouloir. Il sait que ma femme est morte,
mais à peine sait-il que j’ai une fille!¶
– Deux vieux reîtres comme nous mèneront la barque à bon port, dit Bertrand. Après
tout, si le duc se fâche et s’en prend à nos carcasses, elles ont fait leur temps.¶
Avant de partir, le duc d’Hérouville avait défendu, sous les peines les plus graves, à
tous les gens du château, d’aller sur la grève où Étienne avait jusqu’alors passé sa vie, à
moins que le duc de Nivron n’y ramenât quelqu’un avec lui. Cet ordre, suggéré par
Beauvouloir, qui avait démontré la nécessité de laisser Étienne maître de garder ses
habitudes, garantissait à Gabrielle et à sa nourrice l’inviolabilité du territoire d’où le
médecin leur commanda de ne jamais sortir sans sa permission.¶
Étienne était resté, pendant ces deux jours, dans la chambre seigneuriale, où le
retenait le charme de ses douloureux souvenirs. Ce lit avait été celui de sa mère; à deux
pas, elle avait subi cette terrible scène de l’accouchement où Beauvouloir avait sauvé
deux existences; elle avait confié ses pensées à cet ameublement, elle s’en était servie, ses
yeux avaient souvent erré sur ces lambris; combien de fois était-elle venue à cette croisée
pour appeler, par un cri, par un signe, son pauvre enfant désavoué, maintenant maître
souverain du château. Demeuré seul dans cette chambre, où, la dernière fois, il n’était
venu qu’à la dérobée, amené par Beauvouloir pour donner un dernier baiser à sa mère
mourante, il l’y faisait revivre, il lui parlait, il l’écoutait; il s’abreuvait à cette source qui
ne tarit jamais, et d’où découlent tant de chants semblables au Super flumina Babylonis.
Le lendemain de son retour, Beauvouloir vint voir son maître, et le gronda doucement
d’être resté dans sa chambre sans sortir, en lui faisant observer qu’il ne fallait pas
substituer à sa vie en plein air, la vie d’un prisonnier.¶
– Ceci est bien vaste, répondit Étienne, il y a l’âme de ma mère.¶
Le médecin obtint cependant, par la douce influence de l’affection, qu’Étienne se
promènerait tous les jours, soit au bord de la mer, soit au dehors dans les campagnes qui
lui étaient inconnues. Néanmoins Étienne, toujours en proie à ses souvenirs, resta le
lendemain jusqu’au soir à sa fenêtre, occupé à regarder la mer; elle lui offrit des aspects si
multipliés, qu’il croyait ne l’avoir jamais vue si belle. Il entremêla ses contemplations de
la lecture de Pétrarque, un de ses auteurs favoris, celui dont la poésie allait le plus à son
cœur par la constance et l’unité de son amour. Étienne n’avait pas en lui l’étoffe de
plusieurs passions, il ne pouvait aimer que d’une seule façon, une seule fois. Si cet amour
devait être profond, comme tout ce qui est un, il devait être calme dans ses expressions,
suave et pur comme les sonnets du poëte italien. Au coucher du soleil, l’enfant de la
solitude se mit à chanter de cette voix merveilleuse qui s’était produite, comme une
espérance, dans les oreilles les plus sourdes à la musique, celles de son père. Il exprima sa
mélancolie en variant un même air qu’il dit plusieurs fois à la manière du rossignol. Cet
air, attribué au feu roi Henri IV, n’était pas l’air de Gabrielle, mais un air de beaucoup
supérieur comme facture, comme mélodie, comme expression de tendresse, et que les
admirateurs du vieux temps reconnaîtront aux paroles également composées par le grand
roi; l’air fut sans doute pris aux refrains qui avaient bercé son enfance dans les montagnes
du Béarn.¶
Viens, aurore,¶
Je t’implore,¶
Je suis gai quand je te voi;¶
La bergère¶
Qui m’est chère¶
Est vermeille comme toi;¶
¶
De rosée¶
Arrosée,¶
La rose a moins de fraîcheur;¶
Une hermine¶
Est moins fine,¶
Le lis a moins de blancheur.¶
Après s’être naïvement peint la pensée de son cœur par ses chants, Étienne contempla
la mer en se disant: – Voilà ma fiancée et mon seul amour à moi! Puis il chanta cet autre
passage de la chansonnette:¶
Elle est blonde,¶
Sans seconde!¶
et le répéta en exprimant la poésie solliciteuse qui surabonde chez un timide jeune
homme, oseur quand il est solitaire. Il y avait des rêves dans ce chant onduleux, pris,
repris, interrompu, recommencé, puis perdu dans une dernière modulation dont les teintes
s’affaiblirent comme les vibrations d’une cloche. En ce moment, une voix qu’il fut tenté
d’attribuer à quelque sirène sortie de la mer, une voix de femme répéta l’air qu’il venait
de chanter, mais avec toutes les hésitations que devait y mettre une personne à laquelle se
révèle pour la première fois la musique; il reconnut le bégaiement d’un cœur qui naissait
à la poésie des accords. Étienne, à qui de longues études sur sa propre voix avaient appris
le langage des sons, où l’âme rencontre autant de ressources que dans la parole pour
exprimer ses pensées, pouvait seul deviner tout ce que ces essais accusaient de timide
surprise. Avec quelle religieuse et subtile admiration n’avait-il pas été écouté? Le calme
de l’air lui permettait de tout entendre, et il tressaillit au frémissement des plis flottants
d’une robe; il s’étonna, lui que les émotions produites par la terreur poussaient toujours à
deux doigts de la mort, de sentir en lui-même la sensation balsamique autrefois causée
par la venue de sa mère.¶
– Allons, Gabrielle, mon enfant, dit Beauvouloir, je t’ai défendu de rester après le
coucher du soleil sur ces grèves. Rentre, ma fille.¶
– Gabrielle! se dit Étienne, le joli nom!¶
Beauvouloir apparut bientôt et réveilla son maître d’une de ces méditations qui
ressemblaient à des rêves. Il était nuit, la lune se levait.¶
– Monseigneur, dit le médecin, vous n’êtes pas encore sorti aujourd’hui, ce n’est pas
sage.¶
– Et moi, répondit Étienne, puis-je aller sur la grève après le coucher du soleil?¶
Le sous-entendu de cette phrase qui accusait la douce malice d’un premier désir fit
sourire le vieillard.¶
– Tu as une fille? Beauvouloir.¶
– Oui, monseigneur, l’enfant de ma vieillesse, mon enfant chéri. Monseigneur le duc,
votre illustre père, m’a si fort recommandé de veiller sur vos précieux jours, que, ne
pouvant plus l’aller voir à Forcalier où elle était, je l’en ai fait sortir, à mon grand regret,
et afin de la soustraire à tous les regards, je l’ai mise dans la maison où logeait auparavant
monseigneur. Elle est si délicate, je crains tout pour elle, même un sentiment trop vif;
aussi ne lui ai-je rien fait apprendre, elle se serait tuée.¶
– Elle ne sait rien! dit Étienne surpris.¶
– Elle a tous les talents d’une bonne ménagère; mais elle a vécu comme vit une
plante. L’ignorance, monseigneur, est une chose aussi sainte que la science; la science et
l’ignorance sont pour les créatures deux manières d’être; l’une et l’autre conservent l’âme
comme dans un suaire; la science vous a fait vivre, l’ignorance sauvera ma fille. Les
perles bien cachées échappent au plongeur et vivent heureuses. Je puis comparer ma
Gabrielle à une perle, son teint en a l’orient, son âme en a la douceur, et jusqu’ici mon
domaine de Forcalier lui a servi d’écaille.¶
– Viens avec moi, dit Étienne en s’enveloppant d’un manteau, je veux aller au bord de
la mer, le temps est doux.¶
Beauvouloir et son maître cheminèrent en silence jusqu’à ce qu’une lumière partie
d’entre les volets de la maison du pêcheur eût sillonné la mer par un ruisseau d’or.¶
– Je ne saurais exprimer, s’écria le timide héritier en s’adressant au médecin, les
sensations que me cause la vue d’une lumière projetée sur la mer. J’ai si souvent
contemplé la croisée de cette chambre jusqu’à ce que sa lumière s’éteignit! ajouta-t-il en
montrant la chambre de sa mère.¶
– Quelque délicate que soit Gabrielle, répondit gaiement Beauvouloir, elle peut venir
et se promener avec nous, la nuit est chaude et l’air ne contient aucune vapeur, je vais
l’aller chercher; mais soyez sage, monseigneur.¶
Étienne était trop timide pour proposer à Beauvouloir de l’accompagner à la maison
du pêcheur; d’ailleurs, il se trouvait dans l’état de torpeur où nous plonge l’affluence des
idées et des sensations qu’engendre l’aurore de la passion. Plus libre en se trouvant seul,
il s’écria, voyant la mer éclairée par la lune: – L’Océan a donc passé dans mon âme!¶
L’aspect de la jolie statuette animée qui venait à lui, et que la lune argentait en
l’enveloppant de sa lumière, redoubla les palpitations au cœur d’Étienne, mais sans le
faire souffrir.¶
– Mon enfant, dit Beauvouloir, voici monseigneur.¶
En ce moment, le pauvre Étienne souhaita la taille colossale de son père, il aurait
voulu se montrer fort et non chétif. Toutes les vanités de l’amour et de l’homme lui
entrèrent à la fois dans le cœur comme autant de flèches, et il demeura dans un morne
silence en mesurant pour la première fois l’étendue de ses imperfections. Embarrassé
d’abord du salut de la jeune fille, il le lui rendit gauchement et resta près de Beauvouloir
avec lequel il causa tout en se promenant le long de la mer; mais la contenance timide et
respectueuse de Gabrielle l’enhardit, il osa lui adresser la parole. La circonstance du chant
était l’effet du hasard; le médecin n’avait rien voulu préparer, il pensait qu’entre deux
êtres à qui la solitude avait laissé le cœur pur, l’amour se produirait dans toute sa
simplicité. La répétition de l’air par Gabrielle fut donc un texte de conversation tout
trouvé. Pendant cette promenade, Étienne sentit en lui-même cette légèreté corporelle que
tous les hommes ont éprouvée au moment où le premier amour transporte le principe de
leur vie dans une autre créature. Il offrit à Gabrielle de lui apprendre à chanter. Le pauvre
enfant était si heureux de pouvoir se montrer aux yeux de cette jeune fille investi d’une
supériorité quelconque, qu’il tressaillit d’aise quand elle accepta. Dans ce moment, la
lumière donna pleinement sur Gabrielle et permit à Étienne de reconnaître les points de
vague ressemblance qu’elle avait avec la feue duchesse. Comme Jeanne de Saint-Savin,
la fille de Beauvouloir était mince et délicate; chez elle comme chez la duchesse, la
souffrance et la mélancolie produisaient une grâce mystérieuse. Elle avait la noblesse
particulière aux âmes chez lesquelles les manières du monde n’ont rien altéré, en qui tout
est beau parce que tout est naturel. Mais il se trouvait de plus en Gabrielle le sang de la
Belle Romaine qui avait rejailli à deux générations, et qui faisait à cette enfant un cœur de
courtisane violente dans une âme pure; de là procédait une exaltation qui lui rougit le
regard, qui lui sanctifia le front, qui lui fit exhaler comme une lueur, et communiqua les
pétillements d’une flamme à ses mouvements. Beauvouloir frissonna quand il remarqua
ce phénomène qu’on pourrait aujourd’hui nommer la phosphorescence de la pensée, et
que le médecin observait alors comme une promesse de mort. Étienne surprit la jeune
fille à tendre le cou par un mouvement d’oiseau timide qui regarde autour de son nid.
Cachée par son père, Gabrielle voulait voir Étienne à son aise, et son regard exprimait
autant de curiosité que de plaisir, autant de bienveillance que de naïve hardiesse. Pour
elle, Étienne n’était pas faible, mais délicat; elle le trouvait si semblable à elle-même, que
rien ne l’effrayait dans ce suzerain: le teint souffrant d’Étienne, ses belles mains, son
sourire malade, ses cheveux partagés en deux bandeaux et répandus en boucles sur la
dentelle de son collet rabattu, ce front noble sillonné de jeunes rides, ces oppositions de
luxe et de misère, de pouvoir et de petitesse lui plaisaient; ne flattaient-elles pas les désirs
de protection maternelle qui sont en germe dans l’amour? ne stimulaient-elles pas déjà le
besoin qui travaille toute femme de trouver des distinctions à celui qu’elle veut aimer?
Chez tous les deux, des idées, des sensations nouvelles s’élevaient avec une force, avec
une abondance qui leur élargissaient l’âme; ils restaient l’un et l’autre étonnés et
silencieux, car l’expression des sentiments est d’autant moins démonstrative qu’ils sont
plus profonds. Tout amour durable commence par de rêveuses méditations. Il convenait
peut-être à ces deux êtres de se voir pour la première fois dans la lumière adoucie de la
lune, afin de ne pas être éblouis tout à coup par les splendeurs de l’amour; ils devaient se
rencontrer au bord de la mer qui leur offrait une image de l’immensité de leurs
sentiments. Ils se quittèrent pleins l’un de l’autre, en craignant tous deux de ne s’être pas
plu.¶
De sa fenêtre Étienne regarda la lumière de la maison où était Gabrielle. Pendant cette
heure d’espoir mêlée de craintes, le jeune poëte trouva des significations nouvelles aux
sonnets de Pétrarque. Il avait entrevu Laure, une fine et délicieuse figure, pure et dorée
comme un rayon de soleil, intelligente comme l’ange, faible comme la femme. Ses vingt
années d’études eurent un lien, il comprit la mystique alliance de toutes les beautés; il
reconnut combien il y avait de la femme dans les poésies qu’il adorait; il aimait enfin
depuis si longtemps sans le savoir, que tout son passé se confondit dans les émotions de
cette belle nuit. La ressemblance de Gabrielle avec sa mère lui parut un ordre divinement
donné. Il ne trahissait pas sa douleur en aimant, l’amour lui continuait la maternité. Il
contemplait, à la nuit, l’enfant couchée dans cette chaumière, avec les mêmes sentiments
qu’éprouvait sa mère quand il y était. Cette autre similitude lui rattachait encore le
présent au passé. Sur les nuages de ses souvenirs, la figure endolorie de Jeanne de SaintSavin lui apparut; il la revit avec son sourire faible, il entendit sa parole douce, elle
inclina la tête, et pleura. La lumière de la maison s’éteignit. Étienne chanta la jolie
chansonnette d’Henri IV avec une expression nouvelle. De loin, les essais de Gabrielle lui
répondirent. La jeune fille faisait aussi son premier voyage dans les pays enchantés de
l’extase amoureuse. Cette réponse remplit de joie le cœur d’Étienne; en coulant dans ses
veines, le sang y répandit une force qu’il ne s’était jamais sentie, l’amour le rendait
puissant. Les êtres faibles peuvent seuls connaître la volupté de cette création nouvelle au
milieu de la vie. Les pauvres, les souffrants, les maltraités ont des joies ineffables, peu de
chose est l’univers pour eux. Étienne tenait par mille liens au peuple de la Cité dolente.
Sa grandeur récente ne lui causait que de la terreur, l’amour lui versait le baume créateur
de la force: il aimait l’amour.¶
Le lendemain, Étienne se leva de bonne heure pour courir à son ancienne maison, où
Gabrielle animée de curiosité, pressée par une impatience qu’elle ne s’avouait pas, avait
de bon matin bouclé ses cheveux et revêtu son charmant costume. Tous deux étaient
pleins du désir de se revoir, et craignaient mutuellement les effets de cette entrevue.
Quant à lui, pensez qu’il avait choisi ses plus fines dentelles, son manteau le mieux orné,
son haut-de-chausses de velours violet; il avait pris enfin ce bel habillement que
recommande à toutes les mémoires la pâle figure de Louis XIII, figure opprimée au sein
de la grandeur comme Étienne l’avait été jusqu’alors. Cet habillement n’était pas le seul
point de ressemblance qui existât entre le maître et le sujet. Mille sensibilités se
rencontraient chez Étienne comme chez Louis XIII: la chasteté, la mélancolie, les
souffrances vagues mais réelles, les timidités chevaleresques, la crainte de ne pouvoir
exprimer le sentiment dans sa pureté, la peur d’être trop vite amené au bonheur que les
âmes grandes aiment à différer, la pesanteur du pouvoir, cette pente à l’obéissance qui se
trouve chez les caractères indifférents aux intérêts, mais pleins d’amour pour ce qu’un
beau génie religieux a nommé l’astral.¶
Quoique très-inexperte du monde, Gabrielle avait pensé que la fille d’un rebouteur,
l’humble habitante de Forcalier était jetée à une trop grande distance de monseigneur
Étienne, duc de Nivron, l’héritier de la maison d’Hérouville, pour qu’ils fussent égaux;
elle n’allait pas jusqu’à deviner l’anoblissement de l’amour. La naïve créature n’avait pas
vu là sujet d’ambitionner une place à laquelle toute autre fille eût été jalouse de s’asseoir,
elle n’y avait vu que des obstacles. Aimant déjà sans savoir ce que c’était qu’aimer, elle
se trouvait loin de son plaisir et voulait s’en rapprocher, comme un enfant souhaite la
grappe dorée, objet de sa convoitise, trop haut située. Pour une fille émue à l’aspect d’une
fleur, et qui entrevoyait l’amour dans les chants de la liturgie, combien doux et forts
n’avaient pas été les sentiments éprouvés la veille, à l’aspect de cette faiblesse
seigneuriale qui rassurait la sienne; mais Étienne avait grandi pendant cette nuit, elle s’en
était fait une espérance, un pouvoir; elle l’avait mis si haut qu’elle désespérait de parvenir
jusqu’à lui.¶
– Me permettrez-vous de venir quelquefois près de vous, dans votre domaine?
demanda le duc en baissant les yeux.¶
En voyant Étienne si craintif, si humble, car lui aussi avait déifié la fille de
Beauvouloir, Gabrielle fut embarrassée du sceptre qu’il lui remettait; mais elle fut
profondément émue et flattée de cette soumission. Les femmes seules savent combien le
respect que leur porte un maître engendre de séductions. Néanmoins, elle eut peur de se
tromper, et tout aussi curieuse que la première femme, elle voulut savoir.¶
– Ne m’avez-vous pas promis hier de me montrer la musique? lui répondit-elle tout en
espérant que la musique serait un prétexte pour se trouver avec elle.¶
Si la pauvre enfant avait su la vie d’Étienne, elle se serait bien gardée d’exprimer un
doute. Pour lui, la parole était un retentissement de l’âme, et cette phrase lui causa la plus
profonde douleur.¶
¶
Il arrivait le cœur plein en redoutant jusqu’à une obscurité dans sa lumière, et il
rencontrait un doute. Sa joie s’éteignit, il se replongea dans son désert et n’y trouva plus
les fleurs dont il l’avait embelli. Eclairée par la prescience des douleurs qui distingue
l’ange chargé de les adoucir et qui sans doute est la Charité du ciel, Gabrielle devina la
peine qu’elle venait de causer. Elle fut si vivement frappée de sa faute qu’elle souhaita la
puissance de Dieu pour pouvoir dévoiler son cœur à Étienne, car elle avait ressenti la
cruelle émotion que causaient un reproche, un regard sévère; elle lui montra naïvement
les nuées qui s’étaient élevées en son âme et qui faisaient comme des langes d’or à l’aube
de son amour. Une larme de Gabrielle changea la douleur d’Étienne en plaisir, et il voulut
alors s’accuser de tyrannie. Ce fut un bonheur qu’à leur début ils connussent ainsi le
diapason de leurs cœurs, ils évitèrent mille chocs qui les auraient meurtris. Tout à coup
Étienne, impatient de se retrancher derrière une occupation, conduisit Gabrielle à une
table, devant la petite croisée où il avait souffert et où désormais il allait admirer une fleur
plus belle que toutes celles qu’il avait étudiées. Puis il ouvrit un livre sur lequel se
penchèrent leurs têtes dont les cheveux se mêlèrent.¶
Ces deux êtres si forts par le cœur, si maladifs de corps, mais embellis par les grâces
de la souffrance, formaient un touchant tableau. Gabrielle ignorait la coquetterie: un
regard était accordé aussitôt que sollicité, et les doux rayons de leurs yeux ne cessaient de
se confondre que par pudeur; elle eut de la joie à dire à Étienne combien sa voix lui faisait
plaisir à entendre; elle oubliait la signification des paroles quand il lui expliquait la
position des notes ou leur valeur; elle l’écoutait, laissant la mélodie pour l’instrument,
l’idée pour la forme; ingénieuse flatterie, la première que rencontre l’amour vrai.
Gabrielle trouvait Étienne beau, elle voulut manier le velours du manteau, toucher la
dentelle du collet. Quant à Étienne, il se transformait sous le regard créateur de ces yeux
fins; ils lui infusaient une sève fécondante qui étincelait dans ses yeux, reluisait à son
front, qui le retrempait intérieurement, et il ne souffrait point de ce jeu nouveau de ses
facultés; au contraire, elles se fortifiaient. Le bonheur était comme le lait nourricier de sa
nouvelle vie.¶
Comme rien ne pouvait les distraire d’eux-mêmes, ils restèrent ensemble nonseulement cette journée, mais toutes les autres, car ils s’appartinrent dès le premier jour,
en se passant l’un à l’autre le sceptre, et jouant avec eux-mêmes comme l’enfant joue
avec la vie. Assis et heureux sur ce sable doré, chacun disait à l’autre son passé,
douloureux chez celui-ci, mais plein de rêveries; rêveur chez celle-là, mais plein de
souffrants plaisirs.¶
– Je n’ai pas eu de mère, disait Gabrielle, mais mon père a été bon comme Dieu.¶
– Je n’ai pas eu de père, répondait l’enfant maudit, mais ma mère a été tout un ciel.¶
Étienne racontait sa jeunesse, son amour pour sa mère, son goût pour les fleurs.
Gabrielle se récriait à ce mot. Questionnée, elle rougissait, se défendait de répondre; puis,
quand une ombre passait sur ce front que la mort semblait effleurer de son aile, sur cette
âme visible où les moindres émotions d’Étienne apparaissaient, elle répondait: – C’est
que moi aussi j’aimais les fleurs.¶
N’était-ce pas une déclaration comme les vierges en savent faire, que de se croire liée
jusque dans le passé par la communauté des goûts! L’amour cherche toujours à se vieillir,
c’est la coquetterie des enfants.¶
Étienne apporta des fleurs le lendemain, en ordonnant qu’on lui en cherchât de rares,
comme sa mère en faisait jadis chercher pour lui. Sait-on la profondeur à laquelle
arrivaient chez un être solitaire les racines d’un sentiment qui reprenait ainsi les traditions
de la maternité, en prodiguant à une femme les soins caressants par lesquels sa mère avait
charmé sa vie! Pour lui, quelle grandeur dans ces riens où se confondaient ses deux seules
affections! Les fleurs et la musique devinrent le langage de leur amour. Gabrielle répondit
par des bouquets aux envois d’Étienne, de ces bouquets dont un seul avait fait deviner au
vieux rebouteur que son ignorante fille en savait déjà trop. L’ignorance matérielle des
deux amants formait comme un fond noir sur lequel les moindres traits de leur
accointance toute spirituelle se détachaient avec une grâce exquise, comme les profils
rouges et si purs des figures étrusques. Leurs moindres paroles apportaient des flots
d’idées, car elles étaient le fruit de leurs méditations. Incapables d’inventer la hardiesse,
pour eux tout commencement leur semblait une fin. Quoique toujours libres, ils étaient
emprisonnés dans une naïveté, qui eût été désespérante si l’un d’eux avait pu donner un
sens à ses confus désirs. Ils étaient à la fois les poëtes et la poésie. La musique, le plus
sensuel des arts pour les âmes amoureuses, fut le truchement de leurs idées, et ils
prenaient plaisir à répéter une même phrase en épanchant la passion dans ces belles
nappes de sons où leurs âmes vibraient sans obstacle.¶
Beaucoup d’amours procèdent par opposition: c’est des querelles et des
raccommodements, le vulgaire combat de l’Esprit et de la Matière. Mais le premier coup
d’aile du véritable amour le met déjà bien loin de ces luttes, il ne distingue plus deux
natures là où tout est même essence; semblable au génie dans sa plus haute expression, il
sait se tenir dans la lumière la plus vive, il la soutient, il y grandit, et n’a pas besoin
d’ombre pour obtenir son relief. Gabrielle, parce qu’elle était femme, Étienne, parce qu’il
avait beaucoup souffert et beaucoup médité, parcoururent promptement l’espace dont
s’emparent les passions vulgaires, et allèrent bientôt au delà. Comme toutes les natures
faibles, ils furent plus rapidement pénétrés par la Foi, par cette pourpre céleste qui double
la force en doublant l’âme. Pour eux, le soleil fut toujours à son midi. Bientôt ils eurent
cette divine croyance en eux-mêmes qui ne souffre ni jalousie, ni tortures; ils eurent
l’abnégation toujours prête, l’admiration constante. Dans ces conditions, l’amour était
sans douleur. Egaux par leur faiblesse, forts par leur union, si le noble avait quelques
supériorités de science ou quelque grandeur de convention, la fille du médecin les effaçait
par sa beauté, par la hauteur du sentiment, par la finesse qu’elle imprimait aux
jouissances. Ainsi, tout à coup, ces deux blanches colombes volent d’une aile semblable
sous un ciel pur: Étienne aime, il est aimé, le présent est serein, l’avenir est sans nuage, il
est souverain, le château est à lui, la mer est à tous deux, nulle inquiétude ne trouble
l’harmonieux concert de leur double cantique; la virginité des sens et de l’esprit leur
agrandit le monde, leurs pensées se déduisent sans efforts; le désir, dont les satisfactions
flétrissent tant de choses, le désir, cette faute de l’amour terrestre, ne les atteint pas
encore. Comme deux zéphyrs assis sur la même branche de saule, ils en sont au bonheur
de contempler leur image dans le miroir d’une eau limpide; l’immensité leur suffit, ils
admirent l’Océan, sans songer à y glisser sur la barque aux blanches voiles, aux cordages
fleuris que conduit l’Espérance.¶
Il est dans l’amour un moment où il se suffit à lui-même, où il est heureux d’être.
Pendant ce printemps où tout est en bourgeon, l’amant se cache parfois de la femme
aimée pour en mieux jouir, pour la mieux voir; mais Étienne et Gabrielle se plongèrent
ensemble dans les délices de cette heure enfantine: tantôt c’était deux sœurs pour la grâce
des confidences, tantôt deux frères pour la hardiesse des recherches. Ordinairement
l’amour veut un esclave et un dieu, mais ils réalisèrent le délicieux rêve de Platon, il n’y
avait qu’un seul être divinisé. Ils se protégeaient tour à tour. Les caresses vinrent,
lentement, une à une, mais chastes comme les jeux si mutins, si gais, si coquets des
jeunes animaux qui essaient la vie. Le sentiment qui les portait à transporter leur âme
dans un chant passionné les conduisit à l’amour par les mille transformations d’un même
bonheur. Leurs joies ne leur causaient ni délire ni insomnies. Ce fut l’enfance du plaisir
grandissant sans connaître les belles fleurs rouges qui couronneront sa tige. Ils se livraient
l’un à l’autre sans supposer de danger, ils s’abandonnaient dans un mot comme dans un
regard, dans un baiser comme dans la longue pression de leurs mains entrelacées. Ils se
vantaient leurs beautés l’un à l’autre ingénument, et dépensaient dans ces secrètes idylles
des trésors de langage en devinant les plus douces exagérations, les plus violents
diminutifs trouvés par la muse antique des Tibulle et redits par la Poésie italienne. C’était
sur leurs lèvres et dans leurs cœurs le constant retour des franges liquides de la mer sur le
sable fin de la grève, toutes pareilles, toutes dissemblables. Joyeuse, éternelle fidélité!¶
S’il fallait compter les jours, ce temps prit cinq mois; s’il fallait compter les
innombrables sensations, les pensées, les rêves, les regards, les fleurs écloses, les
espérances réalisées, les joies sans fin, une chevelure dénouée et vétilleusement
éparpillée, puis remise et ornée de fleurs, les discours interrompus, renoués, abandonnés,
les rires folâtres, les pieds trempés dans la mer, les chasses enfantines faites à des
coquillages cachés dans les rochers, les baisers, les surprises, les étreintes, mettez toute
une vie, la mort se chargera de justifier le mot. Il est des existences toujours sombres,
accomplies sous des cieux gris; mais supposez un beau jour où le soleil enflamme un air
bleu, tel fut le mai de leur tendresse pendant lequel Étienne avait suspendu toutes ses
douleurs passées au cœur de Gabrielle, et la jeune fille avait rattaché ses joies à venir à
celui de son seigneur. Étienne n’avait eu qu’une douleur dans sa vie, la mort de sa mère;
il ne devait y avoir qu’un seul amour, Gabrielle.¶
La grossière rivalité d’un ambitieux précipita le cours de cette vie de miel. Le duc
d’Hérouville, vieux guerrier rompu aux ruses, politique rude mais habile, entendit en luimême s’élever la voix de la défiance après avoir donné la parole que lui demandait son
médecin. Le baron d’Artagnon, lieutenant de sa compagnie d’ordonnance, avait en
politique toute sa confiance. Le baron était un homme comme les aimait le duc
d’Hérouville, une espèce de boucher, taillé en force, grand, à visage mâle, acerbe et froid,
le brave au service du trône, rude en ses manières, d’une volonté de bronze à l’exécution,
et souple sous la main; noble d’ailleurs, ambitieux avec la probité du soldat et la ruse du
politique. Il avait la main que supposait sa figure, la main large et velue du condottière.
Ses manières étaient brusques, sa parole était brève et concise. Or, le gouverneur avait
chargé son lieutenant de surveiller la conduite que tiendrait le médecin auprès du nouvel
héritier présomptif. Malgré le secret qui environnait Gabrielle, il était difficile de tromper
le lieutenant d’une compagnie d’ordonnance: il entendit le chant de deux voix, il vit de la
lumière le soir dans la maison au bord de la mer; il devina que tous les soins d’Étienne,
que les fleurs demandées et ses ordres multipliés concernaient une femme; puis il surprit
la nourrice de Gabrielle par les chemins allant chercher quelques ajustements à Forcalier,
emportant du linge, en rapportant un métier ou des meubles de jeune fille. Le soudard
voulut voir et vit la fille du rebouteur, il en fut épris. Beauvouloir était riche. Le duc allait
être furieux de l’audace du bonhomme. Le baron d’Artagnon basa sur ces événements
l’édifice de sa fortune. Le duc, apprenant que son fils était amoureux, voudrait lui donner
une femme de grande maison, héritière de quelques domaines; et pour détacher Étienne
de son amour, il suffirait de rendre Gabrielle infidèle en la mariant à un noble dont les
terres seraient engagées à quelque Lombard. Le baron n’avait pas de terres. Ces données
eussent été excellentes avec les caractères qui se produisent ordinairement dans le monde,
mais elles devaient échouer avec Étienne et Gabrielle. Le hasard avait cependant déjà
bien servi le baron d’Artagnon.¶
Pendant son séjour à Paris, le duc avait vengé la mort de Maximilien en tuant
l’adversaire de son fils, et il avait avisé pour Étienne une alliance inespérée avec
l’héritière des domaines d’une branche de la maison de Grandlieu, une grande et belle
personne dédaigneuse, mais qui fut flattée par l’espérance de porter un jour le titre de
duchesse d’Hérouville. Le duc espéra faire épouser à son fils mademoiselle de Grandlieu.
En apprenant qu’Étienne aimait la fille d’un misérable médecin, il voulut ce qu’il
espérait. Pour lui, cet échange ne faisait pas question. Vous savez si cet homme de
politique brutale comprenait brutalement l’amour! il avait laissé mourir près de lui la
mère d’Étienne, sans avoir compris un seul de ses soupirs. Jamais peut-être en sa vie
n’avait-il éprouvé de colère plus violente que celle dont il fut saisi quand la dernière
dépêche du baron lui apprit avec quelle rapidité marchaient les desseins de Beauvouloir,
auquel le capitaine prêta la plus audacieuse ambition. Le duc commanda ses équipages et
vint de Paris à Rouen en conduisant à son château la comtesse de Grandlieu, sa sœur la
marquise de Noirmoutier, et mademoiselle de Grandlieu, sous le prétexte de leur montrer
la province de Normandie. Quelques jours avant son arrivée, sans que l’on sût comment
ce bruit se répandait dans le pays, il n’était question, d’Hérouville à Rouen, que de la
passion du jeune duc de Nivron pour Gabrielle Beauvouloir, la fille du célèbre rebouteur.
Les gens de Rouen en parlèrent au vieux duc précisément au milieu du festin qui lui fut
offert, car les convives étaient enchantés de piquer le despote de la Normandie. Cette
circonstance excita la colère du gouverneur au dernier point. Il fit écrire au baron de tenir
fort secrète sa venue à Hérouville, en lui donnant des ordres pour parer à ce qu’il
regardait comme un malheur.¶
Dans ces circonstances, Étienne et Gabrielle avaient déroulé tout le fil de leur peloton
dans l’immense labyrinthe de l’amour, et tous deux, peu inquiets d’en sortir, voulaient y
vivre. Un jour, ils étaient restés auprès de la fenêtre où s’accomplirent tant de choses. Les
heures, d’abord remplies par de douces causeries, avaient abouti à quelques silences
méditatifs. Ils commençaient à sentir en eux-mêmes les vouloirs indécis d’une possession
complète: ils en étaient à se confier l’un à l’autre leurs idées confuses, reflets d’une belle
image dans deux âmes pures. Durant ces heures encore sereines, parfois les yeux
d’Étienne s’emplissaient de larmes pendant qu’il tenait la main de Gabrielle collée à ses
lèvres. Comme sa mère, mais en cet instant plus heureux en son amour qu’elle ne l’avait
été, l’enfant maudit contemplait la mer, alors couleur d’or sur la grève, noire à l’horizon,
et coupée çà et là de ces lames d’argent qui annoncent une tempête. Gabrielle, se
conformant à l’attitude de son ami, regardait ce spectacle et se taisait. Un seul regard, un
de ceux par lequel les âmes s’appuient l’une sur l’autre, leur suffisait pour se
communiquer leurs pensées. Le dernier abandon n’était pas pour Gabrielle un sacrifice, ni
pour Étienne une exigence. Chacun d’eux aimait de cet amour si divinement semblable à
lui-même dans tous les instants de son éternité, qu’il ignore le dévouement, qu’il ne craint
ni les déceptions ni les retards. Seulement, Étienne et Gabrielle étaient dans une
ignorance absolue des contentements dont le désir aiguillonnait leur âme. Quand les
faibles teintes du crépuscule eurent fait un voile à la mer, que le silence ne fut plus
interrompu que par la respiration du flux et du reflux dans la grève, Étienne se leva,
Gabrielle imita ce mouvement par une crainte vague, car il avait quitté sa main. Étienne
prit Gabrielle dans un de ses bras en la serrant contre lui par un mouvement de tendre
cohésion; aussi, comprenant son désir, lui fit-elle sentir le poids de son corps assez pour
lui donner la certitude qu’elle était à lui, pas assez pour le fatiguer. L’amant posa sa tête
trop lourde sur l’épaule de son amie, sa bouche s’appuya sur le sein tumultueux, ses
cheveux abondèrent sur le dos blanc et caressèrent le cou de Gabrielle. La jeune fille
ingénument amoureuse pencha la tête afin de donner plus de place à Étienne en passant
son bras autour de son cou pour se faire un point d’appui. Ils demeurèrent ainsi, sans se
dire une parole, jusqu’à ce que la nuit fut venue. Les grillons chantèrent alors dans leurs
trous, et les deux amants écoutèrent cette musique comme pour occuper tous leurs sens
dans un seul. Certes ils ne pouvaient alors être comparés qu’à un ange qui, les pieds posés
sur le monde, attend l’heure de revoler vers le ciel. Ils avaient accompli ce beau rêve du
génie mystique de Platon et de tous ceux qui cherchent un sens à l’humanité: ils ne
faisaient qu’une seule âme, ils étaient bien cette perle mystérieuse destinée à orner le
front de quelque astre inconnu, notre espoir à tous!¶
– Tu me reconduiras, dit Gabrielle en sortant la première de ce calme délicieux.¶
– Pourquoi nous quitter? répondit Étienne.¶
– Nous devrions être toujours ensemble, dit-elle.¶
– Reste.¶
¶
– Oui.¶
Le pas lourd du vieux Beauvouloir se fit entendre dans la salle voisine. Le médecin
trouva les deux enfants séparés, et il les avait vus entrelacés à la fenêtre. L’amour le plus
pur aime encore le mystère.¶
– Ce n’est pas bien, mon enfant, dit-il à Gabrielle. Demeurer si tard, ici, sans
lumière.¶
– Pourquoi? dit-elle, vous savez bien que nous nous aimons, et qu’il est le maître au
château.¶
– Mes enfants, reprit Beauvouloir, si vous vous aimez, votre bonheur exige que vous
vous épousiez pour passer votre vie ensemble; mais votre mariage est soumis à la volonté
de monseigneur le duc...¶
– Mon père m’a promis de satisfaire tous mes vœux, s’écria vivement Étienne en
interrompant Beauvouloir.¶
– Ecrivez-lui donc, monseigneur, répondit le médecin, exprimez-lui votre désir, et
donnez-moi votre lettre pour que je la joigne à celle que je viens d’écrire. Bertrand partira
sur-le-champ pour remettre ces dépêches à monseigneur lui-même. Je viens d’apprendre
qu’il est à Rouen; il amène l’héritière de la maison de Grandlieu, et je ne pense pas que ce
soit pour lui... Si j’écoutais mes pressentiments, j’emmènerais Gabrielle cette nuit
même...¶
– Nous séparer, s’écria Étienne qui défaillit de douleur en s’appuyant sur son amie.¶
– Mon père!¶
– Gabrielle, dit le médecin en lui tendant un flacon qu’il alla prendre sur une table et
qu’elle fit respirer à Étienne, Gabrielle, ma science m’a dit que la nature vous avait
destinés l’un à l’autre... Mais je voulais préparer monseigneur le duc à un mariage qui
froisse toutes ses idées, et le démon l’a prévenu contre nous. – Il est monsieur le duc de
Nivron, dit le père à Gabrielle, et toi tu es la fille d’un pauvre médecin.¶
– Mon père a juré de ne me contrarier en rien, dit Étienne avec calme.¶
– Il m’a bien juré aussi, à moi, de consentir à ce que je ferais en vous cherchant une
femme, répondit le médecin; mais s’il ne tient pas ses promesses?¶
Étienne s’assit comme foudroyé.¶
¶
– La mer était sombre ce soir, dit-il après un moment de silence.¶
– Si vous saviez monter à cheval, monseigneur, dit le médecin, je vous dirais de vous
enfuir avec Gabrielle, ce soir même: je vous connais l’un et l’autre, et sais que toute autre
union vous sera funeste. Le duc me ferait certes jeter dans un cachot et m’y laisserait pour
le reste de mes jours en apprenant cette fuite; mais je mourrais joyeusement, si ma mort
assurait votre bonheur. Hélas, monter à cheval, ce serait risquer votre vie et celle de
Gabrielle. Il faut affronter ici la colère du gouverneur.¶
– Ici, répéta le pauvre Étienne.¶
– Nous avons été trahis par quelqu’un du château qui a courroucé votre père, reprit
Beauvouloir.¶
– Allons nous jeter ensemble à la mer, dit Étienne à Gabrielle en se penchant à
l’oreille de la jeune fille qui s’était mise à genoux auprès de son amant.¶
Elle inclina la tête en souriant. Beauvouloir devina tout.¶
– Monseigneur, reprit-il, votre savoir autant que votre esprit vous a fait éloquent,
l’amour doit vous rendre irrésistible; déclarez votre amour à monseigneur le duc, vous
confirmerez ma lettre qui est assez concluante. Tout n’est pas perdu, je le crois. J’aime
autant ma fille que vous l’aimez, et veux la défendre.¶
Étienne hocha la tête.¶
– La mer était bien sombre ce soir, dit-il.¶
– Elle était comme une lame d’or à nos pieds, répondit Gabrielle d’une voix
mélodieuse.¶
Étienne fit venir de la lumière, et se mit à sa table pour écrire à son père. D’un côté de
sa chaise était Gabrielle agenouillée, silencieuse, regardant l’écriture sans la lire, elle
lisait tout sur le front d’Étienne. De l’autre côté se tenait le vieux Beauvouloir dont la
figure joviale était profondément triste, triste comme cette chambre où mourut la mère
d’Étienne. Une voix secrète criait au médecin: – Il aura la destinée de sa mère!¶
La lettre finie, Étienne la tendit au vieillard, qui s’empressa d’aller la donner à
Bertrand. Le cheval du vieil écuyer était tout sellé, l’homme prêt: il partit et rencontra le
duc à quatre lieues d’Hérouville.¶
– Conduis-moi jusqu’à la porte de la tour, dit Gabrielle à son ami quand ils furent
seuls.¶
¶
Tous deux passèrent par la bibliothèque du cardinal, et descendirent par la tour où se
trouvait la porte dont la clef avait été donnée à Gabrielle par Étienne. Abasourdi par
l’appréhension du malheur, le pauvre enfant laissa dans la tour le flambeau qui lui servait
à éclairer sa bien-aimée, et la reconduisit vers sa maison. A quelques pas du petit jardin
qui faisait une cour de fleurs à cette humble habitation, les deux amants s’arrêtèrent.
Enhardis par la crainte vague qui les agitait, ils se donnèrent, dans l’ombre et le silence,
ce premier baiser où les sens et l’âme se réunissent pour causer un plaisir révélateur.
Étienne comprit l’amour dans sa double expression, et Gabrielle se sauva de peur d’être
entraînée par la volupté, mais à quoi?... Elle n’en savait rien.¶
Au moment où le duc de Nivron montait les degrés de l’escalier, après avoir fermé la
porte de la tour, un cri de terreur poussé par Gabrielle retentit à son oreille avec la
vivacité d’un éclair qui brûle les yeux. Étienne traversa les appartements du château,
descendit par le grand escalier, gagna la grève, et courut vers la maison de Gabrielle où il
vit de la lumière. En arrivant dans le petit jardin, et à la lueur du flambeau qui éclairait le
rouet de sa nourrice, Gabrielle avait aperçu sur la chaise un homme à la place de cette
bonne femme. Au bruit des pas, cet homme s’était avancé vers elle et l’avait effrayée.
L’aspect du baron d’Artagnon justifiait bien la peur qu’il inspirait à Gabrielle.¶
– Vous êtes la fille à Beauvouloir, le médecin de Monseigneur, lui dit le lieutenant de
la compagnie d’ordonnance quand Gabrielle fut remise de sa frayeur.¶
– Oui, seigneur.¶
– J’ai des choses de la plus haute importance à vous confier. Je suis le baron
d’Artagnon, le lieutenant de la compagnie d’ordonnance que monseigneur le duc
d’Hérouville commande.¶
Dans les circonstances où se trouvaient les deux amants, Gabrielle fut frappée de ces
paroles et du ton de franchise avec lequel le soldat les prononça.¶
– Votre nourrice est là, elle peut nous entendre, venez dit le baron.¶
Il sortit, Gabrielle le suivit. Tous deux allèrent sur la grève qui était derrière la
maison.¶
– Ne craignez rien, lui dit le baron.¶
Ce mot aurait épouvanté une personne qui n’eût pas été ignorante; mais une jeune
fille simple et qui aime ne se croit jamais en péril.¶
– Chère enfant, lui dit le baron, en s’efforçant de donner un ton mielleux à sa voix,
vous et votre père vous êtes au bord d’un abîme où vous allez tomber demain; je ne
saurais voir ceci sans vous avertir. Monseigneur est furieux contre votre père et contre
vous, il vous soupçonne d’avoir séduit son fils, et il aime mieux le voir mort que le voir
votre mari: voilà pour son fils. Quant à votre père, voici la résolution qu’a prise
Monseigneur. Il y a neuf ans, votre père fut impliqué dans une affaire criminelle; il
s’agissait du détournement d’un enfant noble au moment de l’accouchement de la mère,
et auquel il s’est employé. Monseigneur, sachant l’innocence de votre père, le garantit
alors des poursuites du parlement; mais il va le faire saisir et le livrer à la justice en
demandant qu’on procède contre lui. Votre père sera rompu vif; mais en faveur des
services qu’il a rendus à son maître, peut-être obtiendra-t-il de n’être que pendu. J’ignore
ce que Monseigneur a décidé de vous; mais je sais que vous pouvez sauver monseigneur
de Nivron de la colère de son père, sauver Beauvouloir du supplice horrible qui l’attend,
et vous sauver vous-même.¶
– Que faut-il faire? dit Gabrielle.¶
– Allez vous jeter aux pieds de Monseigneur, lui avouer que son fils vous aime
malgré vous, et lui dire que vous ne l’aimez pas. En preuve de ceci, vous lui offrirez
d’épouser l’homme qu’il lui plaira de vous désigner pour mari. Il est généreux, il vous
établira richement.¶
– Je puis tout faire, excepté de renier mon amour.¶
– Mais s’il le faut pour sauver votre père, vous et monseigneur de Nivron?¶
– Étienne, dit-elle, en mourra, et moi aussi!¶
– Monseigneur de Nivron sera triste de vous perdre, mais il vivra pour l’honneur de sa
maison; vous vous résignerez à n’être que la femme d’un baron, au lieu d’être duchesse,
et votre père vivra, répondit l’homme positif.¶
En ce moment, Étienne arrivait à la maison, il n’y vit pas Gabrielle, et jeta un cri
perçant.¶
– Le voici, s’écria la jeune fille, laissez-moi l’aller rassurer.¶
– Je viendrai savoir votre réponse demain matin, dit le baron.¶
– Je consulterai mon père, répondit-elle.¶
¶
– Vous ne le verrez plus, je viens de recevoir l’ordre de l’arrêter et de l’envoyer à
Rouen, sous escorte et enchaîné, dit-il en quittant Gabrielle frappée de terreur.¶
La jeune fille s’élança dans la maison et y trouva Étienne épouvanté du silence par
lequel la nourrice avait répondu à sa première question: – Où est-elle?¶
– Me voilà, s’écria la jeune fille dont la voix était glacée, dont les couleurs avaient
disparu, dont la démarche était lourde.¶
– D’où viens-tu, dit-il, tu as crié.¶
– Oui, je me suis heurtée contre...¶
– Non, mon amour, répondit Étienne en l’interrompant, j’ai entendu les pas d’un
homme.¶
– Étienne, nous avons sans doute offensé Dieu, mettons-nous à genoux et prions. Je te
dirai tout après.¶
Étienne et Gabrielle s’agenouillèrent au prie-dieu, la nourrice récita son rosaire.¶
– Mon Dieu, dit la jeune fille dans un élan qui lui fit franchir les espaces terrestres, si
nous n’avons pas péché contre vos saints commandements, si nous n’avons offensé ni
l’Eglise ni le roi, nous qui ne formons qu’une seule et même personne en qui l’amour
reluit comme la clarté que vous avez mise dans une perle de la mer, faites-nous la grâce
de ne nous séparer ni dans ce monde ni dans l’autre!¶
– Chère mère, ajouta Étienne, toi qui es dans les cieux, obtiens de la Vierge que si
nous ne pouvons être heureux, Gabrielle et moi, nous mourions au moins ensemble, sans
souffrir. Appelle-nous, nous irons à toi!¶
Puis, ayant récité leurs prières du soir, Gabrielle raconta son entretien avec le baron
d’Artagnon.¶
– Gabrielle, dit le jeune homme en puisant du courage dans son désespoir d’amour, je
saurai résister à mon père.¶
Il la baisa au front et non plus sur les lèvres; puis il revint au château, résolu
d’affronter l’homme terrible qui pesait tant sur sa vie. Il ne savait pas que la maison de
Gabrielle allait être gardée par des soldats aussitôt qu’il l’aurait quittée.¶
Le lendemain, Étienne fut accablé de douleur quand, en allant voir Gabrielle, il la
trouva prisonnière; mais Gabrielle envoya sa nourrice pour lui dire qu’elle mourrait plutôt
que de le trahir; que d’ailleurs elle avait trouvé le moyen de tromper la vigilance des
gardes, et qu’elle se réfugierait dans la bibliothèque du cardinal, où personne ne pourrait
soupçonner qu’elle serait; mais elle ignorait quand elle pourrait accomplir son dessein.
Étienne se tint alors dans sa chambre, où les forces de son cœur s’usèrent dans une
pénible attente.¶
A trois heures, les équipages du duc et sa suite entrèrent au château, où il devait venir
souper avec sa compagnie. En effet, à la chute du jour, madame la comtesse de Grandlieu
à qui sa fille donnait le bras, le duc et la marquise de Noirmoutier montaient le grand
escalier dans un profond silence, car le front sévère de leur maître avait épouvanté tous
les serviteurs. Quoique le baron d’Artagnon eût appris l’évasion de Gabrielle, il avait
affirmé qu’elle était gardée; mais il tremblait d’avoir compromis la réussite de son plan
particulier, au cas où le duc verrait son dessein contrarié par cette fuite. Ces deux terribles
figures avaient une expression farouche mal déguisée par l’air agréable que leur imposait
la galanterie. Le duc avait commandé à son fils de se trouver au salon. Quand la
compagnie y entra, le baron d’Artagnon reconnut à la physionomie abattue d’Étienne que
l’évasion de Gabrielle lui était encore inconnue.¶
– Voici monsieur mon fils, dit le vieux duc en prenant Étienne par la main et le
présentant aux dames.¶
Étienne les salua sans mot dire. La comtesse et mademoiselle de Grandlieu
échangèrent un regard qui n’échappa point au vieillard.¶
– Votre fille sera mal partagée, dit-il à voix basse, n’est-ce pas là votre pensée?¶
– Je pense tout le contraire, mon cher duc, répondit la mère en souriant.¶
La marquise de Noirmoutier qui accompagnait sa sœur se prit à rire finement. Ce rire
perça le cœur d’Étienne, que la vue de la grande demoiselle avait déjà terrifié.¶
– Hé! bien, monsieur le duc, lui dit son père à voix basse et d’un air enjoué, ne vous
ai-je pas trouvé là un beau moule? Que dites-vous de ce brin de fille, mon chérubin?¶
Le vieux duc ne mettait pas en doute l’obéissance de son fils, Étienne était pour lui
l’enfant de sa mère, la même pâte docile au doigt.¶
– Qu’il ait un enfant et qu’il crève! pensait le vieillard, peu m’en chault.¶
¶
– Mon père, dit l’enfant d’une voix douce, je ne vous comprends pas.,¶
– Venez chez vous, j’ai deux mots à vous dire, fit le duc en passant dans la chambre
d’honneur.¶
Étienne suivit son père. Les trois dames, émues par un mouvement de curiosité que
partagea le baron d’Artagnon, se promenèrent dans cette grande salle de manière à se
trouver groupées à la porte de la chambre d’honneur que le duc avait laissée
entr’ouverte.¶
– Cher Benjamin, dit le vieillard en adoucissant d’abord sa voix, je t’ai choisi pour
femme cette grande et belle demoiselle; elle est l’héritière des domaines d’une branche
cadette de la maison de Grandlieu, bonne et vieille noblesse du duché de Bretagne. Ainsi,
sois gentil compagnon, et rappelle-toi les plus jolies choses de tes livres pour leur dire des
galanteries avant de leur en faire.¶
– Mon père, le premier devoir d’un gentilhomme n’est-il pas de tenir sa parole?¶
– Oui!¶
– Hé! bien, quand je vous ai pardonné la mort de ma mère, morte ici par le fait de son
mariage avec vous, ne m’avez-vous pas promis de ne jamais contrarier mes désirs? Moimême je t’obéirai comme au Dieu de la famille, avez-vous dit. Je n’entreprends rien sur
vous, je ne demande que d’avoir mon libre arbitre dans une affaire où il s’en va de ma
vie, et qui me regarde seul: mon mariage.¶
– J’entendais, dit le vieillard en sentant tout son sang lui monter au visage, que tu ne
t’opposerais pas à la continuation de notre noble race.¶
– Vous ne m’avez point fait de condition, dit Étienne. Je ne sais ce que l’amour a de
commun avec une race; mais ce que je sais bien, c’est que j’aime la fille de votre vieil
ami Beauvouloir, et petite-fille de votre amie la Belle Romaine.¶
– Mais elle est morte, répondit le vieux colosse d’un air à la fois sombre et railleur qui
annonçait l’intention où il était de la faire disparaître.¶
Il y eut un moment de profond silence.¶
Le vieillard aperçut les trois dames et le baron d’Artagnon. En cet instant suprême,
Étienne, dont le sens de l’ouïe était si délicat, entendit dans la bibliothèque la pauvre
Gabrielle qui, voulant faire savoir à son ami qu’elle s’y était renfermée, chantait ces
paroles:¶
Une hermine¶
Est moins fine,¶
Le lis a moins de fraîcheur.¶
L’enfant maudit, que l’horrible phrase de son père avait plongé dans les abîmes de la
mort, revint à la surface de la vie sur les ailes de cette poésie. Quoique déjà ce
mouvement de terreur, effacé si rapidement, lui eût brisé le cœur, il rassembla ses forces,
releva la tête, regarda son père en face pour la première fois de sa vie, échangea mépris
pour mépris, et dit avec l’accent de la haine: – Un gentilhomme ne doit pas mentir! D’un
bond il sauta vers la porte opposée à celle du salon et cria: – Gabrielle!¶
Tout à coup, la suave créature apparut dans l’ombre comme un lis dans les feuillages,
et trembla devant ce groupe de femmes moqueuses, instruites des amours d’Étienne.
Semblable à ces nuages qui portent la foudre, le vieux duc, arrivé à un degré de rage qui
ne se décrit point, se détachait sur le front brillant que produisaient les riches
habillements de ces trois dames de cour. Entre la prolongation de sa race et une
mésalliance, tout autre homme aurait hésité; mais il se rencontra dans ce vieil homme
indompté la férocité qui jusqu’alors avait décidé toutes les difficultés humaines; il tirait à
tout propos l’épée, comme le seul remède qu’il connût aux nœuds gordiens de la vie.
Dans cette circonstance où le bouleversement de ses idées était au comble, le naturel
devait triompher. Deux fois pris en flagrant délit de mensonge par un être abhorré, par
son enfant maudit mille fois, et plus que jamais maudit au moment où sa faiblesse
méprisée, et pour lui la plus méprisable, triomphait d’une omnipotence infaillible
jusqu’alors, il n’y eut plus en lui ni père, ni homme: le tigre sortit de l’antre où il se
cachait. Le vieillard, que la vengeance rendit jeune, jeta sur le plus ravissant couple
d’anges qui eût consenti à mettre les pieds sur la terre, un regard pesant de haine et qui
assassinait déjà.¶
– Eh! bien, crevez tous! Toi, sale avorton, la preuve de ma honte. Toi, dit-il à
Gabrielle, misérable gourgandine à langue de vipère qui as empoisonné ma maison!¶
¶
Ces paroles portèrent dans le cœur des deux enfants la terreur dont elles étaient
chargées. Au moment où Étienne vit la large main de son père armée d’un fer et levée sur
Gabrielle, il mourut, et Gabrielle tomba morte en voulant le retenir.¶
Le vieillard ferma la porte avec rage, et dit à mademoiselle de Grandlieu: – Je vous
épouserai, moi!¶
– Et vous êtes assez vert-galant pour avoir une belle lignée, dit la comtesse à l’oreille
de ce vieillard qui avait servi sous sept rois de France.¶
Paris, 1831 – 1836.
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DE L’ÉLIXIR DE LONGUE VIE ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
L’ÉLIXIR DE LONGUE VIE¶
AU LECTEUR.¶
I.¶
FESTIN¶
Au début de la vie littéraire de l’auteur, un ami, mort depuis longtemps, lui donna le sujet
de cette Etude, que plus tard il trouva dans un recueil publié vers le commencement de ce
siècle; et, selon ses conjectures, c’est une fantaisie due à Hoffmann de Berlin, publiée
dans quelque almanach d’Allemagne, et oubliée dans ses œuvres par les éditeurs. La
Comédie Humaine est assez riche en inventions pour que l’auteur avoue un innocent
emprunt; comme le bon La Fontaine, il aura traité d’ailleurs à sa manière, et sans le
savoir, un fait déjà conté. Ceci ne fut pas une de ces plaisanteries à la mode en 1830,
époque à laquelle tout auteur faisait de l’atroce pour le plaisir des jeunes filles. Quand
vous serez arrivé à l’élégant parricide de don Juan, essayez de deviner la conduite que
tiendrait, en des conjonctures à peu près semblables, les honnêtes gens qui, au dixneuvième siècle, prennent de l’argent à rentes viagères, sur la foi d’un catarrhe, ou ceux
qui louent une maison à une vieille femme pour le reste de ses jours? Ressusciteraient-ils
leurs rentiers? Je désirerais que des peseurs-jurés de conscience examinassent quel
degré de similitude il peut exister entre don Juan et les pères qui marient leurs enfants à
cause des espérances? La société humaine, qui marche, à entendre quelques philosophes,
dans une voie de progrès, considère-t-elle comme un pas vers le bien, l’art d’attendre les
trépas? Cette science a créé des métiers honorables, au moyen desquels on vit de la mort.
Certaines personnes ont pour état d’espérer un décès, elles le couvent, elles
s’accroupissent chaque matin sur un cadavre, et s’en font un oreiller le soir: c’est les
coadjuteurs, les cardinaux, les surnuméraires, les tontiniers, etc. Ajoutez-y beaucoup de
gens délicats, empressés d’acheter une propriété dont le prix dépasse leurs moyens, mais
qui établissent logiquement et à froid les chances de vie qui restent à leurs pères ou à
leurs belles-mères, octogénaires ou septuagénaires, en disant: – « Avant trois ans,
j’hériterai nécessairement, et alors... » Un meurtrier nous dégoûte moins qu’un espion.
Le meurtrier a cédé peut-être à un mouvement de folie, il peut se repentir, s’ennoblir.
Mais l’espion est toujours espion; il est espion au lit, à table, en marchant, la nuit, le
jour; il est vil à toute minute. Que serait-ce donc d’être meurtrier comme un espion est
vil? Hé! bien, ne venez-vous pas de reconnaître au sein de la société une foule d’êtres
amenés par nos lois, par nos mœurs, par les usages, à penser sans cesse à la mort des
leurs, à la convoiter? Ils pèsent ce que vaut un cercueil en marchandant des cachemires
pour leurs femmes, en gravissant l’escalier d’un théâtre, en désirant aller aux Bouffons,
en souhaitant une voiture. Ils assassinent au moment où de chères créatures, ravissantes
d’innocence, leur apportent, le soir, des fronts enfantins à baiser en disant: « Bonfoir,
père! » Ils voient à toute heure des yeux qu’ils voudraient fermer, et qui se rouvrent
chaque matin à la lumière, comme celui de Belvidéro dans cette ÉTUDE. Dieu seul sait
le nombre des parricides qui se commettent par la pensée! Figurez-vous un homme ayant
a servir mille écus de rentes viagères à une vieille femme, et qui, tous deux, vivent à la
campagne, séparés par un ruisseau, mais assez étrangers l’un à l’autre pour pouvoir se
haïr cordialement sans manquer à ces convenances humaines qui mettent un masque sur
le visage de deux frères dont l’un aura le majorat, et l’autre une légitime. Toute la
civilisation européenne repose sur L’HÉRÉDITÉ comme sur un pivot, ce serait folie que
de le supprimer; mais ne pourrait-on, comme dans les machines qui font l’orgueil de
notre Age, perfectionner ce rouage essentiel.¶
Si l’auteur a conservé cette vieille formule AU LECTEUR dans un ouvrage où il tâche de
représenter toutes les formes littéraires, c’est pour placer une remarque relative à
quelques Études, et surtout à celle-ci. Chacune de ses compositions est basée sur des
idées plus ou moins neuves, dont l’expression lui semble utile, il peut tenir à la priorité
de certaines formes, de certaines pensées qui, depuis, ont passé dans le domaine
littéraire, et s’y sont parfois vulgarisées. Les dates de la publication primitive de chaque
Étude ne doivent donc pas être indifférentes à ceux des lecteurs qui voudront lui rendre
justice.¶
La lecture nous donne des amis inconnus, et quel ami qu’un lecteur! nous avons des amis
connus qui ne lisent rien de nous! l’auteur espère avoir payé sa dette en dédiant cette
œuvre DIIS IGNOTIS.¶
¶
DANSDans un des plus beauxsomptueux palais de Ferrare, par une soirée d’hiver, sur les
neuf heures, don Juan Belvidéro régalait un prince de la maison d’Este. A cette époque,
une fête était un merveilleux spectacle que de royales richesses ou la puissance d’un
seigneur pouvaient seules produire. Parmi les plus beaux chefs-d’œuvre des arts, sous des
lambris de marbre, sur de riches tapis de Turquie, autour d’une table éclairée par des
bougies parfumées, sept femmes étaient assises, et, joyeuses, disaient de doux
propos.ordonner.¶
Assises autour d’une table éclairée par des bougies parfumées, sept joyeuses femmes
échangeaient de doux propos, parmi d’admirables chefs-d’œuvre dont les marbres blancs
se détachaient sur des parois en stuc rouge et contrastaient avec de riches tapis de
Turquie. Vêtues de satin, étincelantes d’or et chargées de pierreries, qui brillaient moins
peut-être que leurs yeux vifs, elles, toutes racontaient, toutes, des passions énergiques,
mais diverses comme leur beauté.l’étaient leurs beautés. Elles ne différaient ni par les
mots ni par les idées; seulement, l’air, un regard, quelques gestes ou l’accent servaient à
leurs paroles de commentaires à leurs paroles.¶libertins, lascifs, mélancoliques ou
goguenards.¶
L’une semblait dire: – Ma beauté sait réchauffer le cœur glacé des vieillards...¶
L’autre: – J’aime à rester couchée sur des coussins, pour penser avec ivresse à ceux qui
m’adorent.¶
Une troisième, novice de ces fêtes, voulait rougir: – Au fond du cœur je sens un remords!
disait-elle. Je suis catholique, et j’ai peur de l’enfer; mais . Mais je vous aime tant..., oh!
tant et tant –, que je puis vous sacrifier l’éternité.....¶
La quatrième, vidant une coupe de vin de Chio, s’écriait: – Vive la gaîté!gaieté! Je prends
une existence nouvelle à chaque aurore! Oublieuse du passé, nonchalanteivre encore des
assauts de la veille, tous les soirs j’épuise une vie de bonheur, une vie pleine
d’amour!...¶!¶
La femme assise auprès de Belvidéro le regardait d’un œil enflammé. Elle était
silencieuse:. – Je ne m’en remettrais pas à des Bravibravi pour tuer mon amant, s’il
m’abandonnait!¶ Puis elle avait ri; mais sa main convulsive brisabrisait un drageoir d’or
miraculeusement sculpté.¶
– Quand seras-tu grand-duc?... demanda la sixième au prince avec une expression de joie
meurtrière dans les dents, et du délire bachique dans les yeux.¶
– Et toi, quand ton père mourra-t-il?.... reprit dit la septième en riant et, en jetant son
bouquet à don Juan par un geste enivrant de folâtrerie.¶ C’était une innocente jeune fille
accoutumée par le pape Borgia à jouer avec toutes les choses sacrées.¶
– Ah! ne m’en parlez pas, s’écria le jeune et beau don Juan Belvidéro;, il n’y a qu’un père
éternel dans le monde, et le malheur veut qu’il se trouve être le mien!¶que je l’aie!¶
Les sept courtisanes de Ferrare, les amis de don Juan et le prince lui-même jetèrent un cri
d’horreur. La saillie de leur amphitryon était antidatée de deuxDeux cents ans: après et
sous Louis XV, les gens de bon goût en eussent ri. de cette saillie. Mais peut-être aussi,
au dans le commencement d’une orgie, les âmes avaient-elles encore trop de lucidité? Et,
malgré Malgré le feu des bougies, le cri des passions, l’aspect des vases d’or et d’argent,
la fumée des vins;, malgré la contemplation des femmes les plus ravissantes, peut-être y
avait-il encore, au fond des cœurs, un peu de cette vergogne pour les choses humaines et
divines, dont l’édifice connu sous le nom de société allait sans doute disparaître dans
quelques instans et s’écrouler qui lutte jusqu’à ce que l’orgie l’ait noyée dans le les
derniers flots d’un vin? pétillant? Déjà néanmoins les fleurs avaient été froissées, les yeux
s’hébétaient, et l’ivresse gagnait, selon l’expression de Rabelais, même lesjusqu’aux
sandales.¶ En ce moment de silence, une porte s’ouvrit; et, comme au festin de Balthazar,
Dieu se fit reconnaître. Il , il apparut sous les traits d’un vieux domestique en cheveux
blancs, à la démarche tremblante, aux sourcils contractés. Entrant; il entra d’un air triste,
il flétrit d’un regard les couronnes, les coupes de vermeil, les pyramides de fruits, l’éclat
de la fête, la pourpre des visages étonnés et les couleurs des coussins foulés par les le bras
blancs des femmes; bref, il emporta toute leur enfin, il mit un crêpe à cette folie en disant
ces sombres paroles d’une voix basse et creuse:¶: – Monsieur..., votre père se meurt!...¶
Don Juan se leva en faisant à ses hôtes et au prince un geste qui peut se traduire par: « –
Excusez-moi, ceci n’arrive pas tous les jours. »¶
Est-ce que la La mort d’un père ne surprend -elle pas souvent les jeunes gens au milieu
des splendeurs de la vie, au sein des folles idées d’une orgie? La mort est aussi soudaine
dans ses caprices qu’une courtisane l’est dans ses dédains. Elle est femme, mariée au
genre humain et... ; mais plus fidèle. Où est l’homme qu’elle a , elle n’a jamais trompé?..
personne.¶
Quand don Juan eut fermé la porte de la salle et qu’il marcha dans une longue galerie,
froide autant qu’obscure, il s’efforça de prendre une contenance de théâtre; car, en
songeant à son rôle de fils, il avait jeté sa joie avec sa serviette.¶ La nuit était noire. Le
silencieux serviteur qui conduisait le jeune homme vers une chambre mortuaire éclairait
assez mal son maître, de en sorte que la MORT, aidée par le froid, le silence, l’obscurité
et, par une réaction d’ivresse, peut-être, put glisser quelques réflexions dans l’âme de ce
dissipateur. Il, il interrogea sa vie et devint pensif comme un homme qui va voir juger un
de ses en procès qui s’achemine au tribunal.¶
Bartholoméo Belvidéro, père de don Juan, était un vieillard nonagénaire qui avait passé la
majeure partie de sa vie dans les laborieuses espérancescombinaisons du commerce.
Ayant traversé souvent les mystérieusestalismaniques contrées de l’Orient, il y avait
acquis d’immenses richesses et des connaissances plus précieuses, disait-il, que l’or et les
diamans, dontdiamants, desquels alors il ne se souciait plus guère.¶ – Je préfère une dent
à un rubis, et le pouvoir au savoir!...., s’écriait-il parfois en souriant.¶ Ce bon père aimait
à entendre don Juan lui raconter une étourderie de jeunesse, et il disait d’un air
goguenard, en lui prodiguant l’or: – Mon cher enfant, ne fais que les sottises qui
t’amuseront!...¶. C’était le seul vieillard qui éprouvât du plaisir à voir un jeune homme. Il
jouissait de l’avenir de son fils comme , l’amour paternel trompait sa caducité par la
contemplation d’une si cette brillante vie eût été l’espérance de sa tombe.¶. A l’âge de
soixante ans, Belvidéro s’était épris d’un ange de paix et de beauté. Don Juan avait été le
seul fruit de cette tardive et passagère amour. Aussi ne faut-il pas demander si le vieux
Bartholoméo aimait son fils, le vivant portrait de cette femme adorée!¶ Depuis quinze
années, ille bonhomme déplorait la perte de sa chère Juana. Ses nombreux serviteurs et
son fils attribuaient à cette douleur de vieillard les habitudes singulières qu’il avait
contractées. En effet, Bartholoméo, réfugiéRéfugié dans l’aile la plus incommode de son
palais, Bartholoméo n’en sortait que très-rarement;, et don Juan lui-même ne pouvait
pénétrer dans l’appartement de son père sans en avoir obtenu la permission. Si ce
volontaire anachorète allait et venait dans le palais ou par les rues de Ferrare, il semblait
chercher une chose qui lui manquait, marchant; il marchait tout rêveur, indécis, préoccupé
comme un homme en guerre avec une idée ou avec un souvenir. Pendant que le jeune
homme donnait des fêtes somptueuses, et que le palais retentissait d’des éclats de sa joie;,
que les chevaux piaffaient dans les cours;, que les pages se disputaient en jouant aux dés
sur les degrés, Bartholoméo mangeait sept onces de pain par jour et buvait de l’eau. S’il
lui fallait un peu de volaille, c’était pour en donner les os à un barbet noir, son
compagnon fidèle. Il ne se plaignait jamais du bruit. Même durantDurant sa maladie, si le
son du cor ou et les aboiemensaboiements des chiens le surprenaient dans son sommeil, il
se contentait de dire:¶: – Ah! c’est don Juan qui rentre!...¶ Jamais sur cette terre un père si
commode et si indulgent ne s’était rencontré! Aussi; aussi le jeune Belvidéro, accoutumé
à le traiter sans cérémonie, avait-il tous les défauts des enfansenfants gâtés. Il ; il vivait
avec Bartholoméo comme vit une capricieuse courtisane avec un vieil amant, faisant
excuser une impertinence par un sourire, vendant sa belle humeur, et se laissant aimer.¶
En reconstruisant, par une pensée, le tableau de ses jeunes années, don Juan s’aperçut
qu’il lui serait difficile de trouver la bonté de son père en faute. Alors En entendant, au
fond de son cœur, naître un remords, au moment où il traversait la galerie, il se sentit près
de pardonner à Belvidéro d’avoir si long-temps vécu. Il revenait à des
sentimenssentiments de piété filiale, comme un voleur devient honnête homme – en
dérobant par la jouissance possible d’un million.¶, bien dérobé. Bientôt ille jeune homme
franchit les hautes et froides salles qui composaient l’appartement de son père; et, après .
Après avoir éprouvé les effets d’une atmosphère humide, respiré l’air épais, l’odeur rance
qui s’exhalaient de vieilles tapisseries et d’armoires couvertes de poussière, il se trouva
dans la chambre antique du vieillard, devant un lit nauséabond, auprès d’un foyer presque
éteint. Une lampe, posée sur une table de forme gothique, jetait, par intervalles inégaux,
des nappes de lumière plus ou moins fortes sur le lit, montrantet montrait ainsi la figure
du vieillard sous des aspects toujours différens.différents. Le froid sifflait à travers les
fenêtres mal fermées; et la neige, en fouettant sur les vitraux, produisait un bruit sourd.¶
Cette scène formait un contraste si heurté avec cellela scène que don Juan venait
d’abandonner, qu’il ne put s’empêcher de tressaillir. Puis, il eut froid quand, en
approchant du lit, une assez violente rafale de lueur, poussée par une bouffée de vent,
illumina la tête de son père: les traits en étaient décomposés;, la peau, collée fortement
sur les os, avait des teintes verdâtres que la blancheur de l’oreiller, sur lequel le vieillard
reposait, rendait encore plus horribles; contractée par la douleur, sa la bouche
entr’ouverte et dénuée de dents laissait passer quelques soupirs qui, s’accordant parfois
avec les hurlemensdont l’énergie lugubre était soutenue par les hurlements de la tempête,
semblaient avoir encore plus d’énergie.¶. Malgré ces signes de destruction, il éclatait sur
cette tête un caractère incroyable de puissance. Un esprit supérieur y combattait la mort.
Les yeux, creusés par la maladie, gardaient une fixité singulière. Il semblait que
Bartholoméo cherchât à tuer, par son regard de mourant, un ennemi assis au pied de son
lit. Ce regard, fixe et froid, était d’autant plus effrayant, que la tête restait dans une
immobilité semblable à celle des crânes posés sur une table, chez les médecins. Le corps
entièrement dessiné par les draps du lit annonçait que les membres du vieillard gardaient
la même raideur. –roideur. Tout était mort, moins les yeux. Les sons qui sortaient de la
bouche avaient mêmeenfin quelque chose de mécanique.¶ Don Juan éprouva une certaine
honte d’arriver auprès du lit de son père mourant en tenantgardant un bouquet de
courtisane à la main;dans son sein, en y apportant les parfums d’une fête et les senteurs
du vin.¶
– Oh! oh!– Tu t’amusais! s’écria le vieillard en apercevant son fils.¶
Au même moment, la voix pure et légère d’une cantatrice qui enchantait les convives,
fortifiée par les accords du théorbe dontde la viole sur laquelle elle s’accompagnait,
domina le râle de l’ouragan, et retentit jusque dans cette chambre funèbre. Don Juan
n’entendit rien; mais Bartholoméo lui dit:¶ Don Juan voulut ne rien entendre de cette
sauvage affirmation donnée à son père.¶
– Tu t’amusaisBartholoméo dit: – Je ne t’en veux pas, mon enfant?...¶
Ce mot plein de douceur fit mal à don Juan, qui ne pardonna pas à son père cette
poignante bonté.¶
– Oui, répon– Quel remords pour moi, mon père! lui dit-il d’une voix troublée,... et ce
sera, pour moi, le sujet d’un remords éternel..hypocritement.¶
– Pauvre Juanito!...Juanino, reprit le mourant d’une voix sourde, j’ai toujours été si doux
pour toi, que tu ne saurais désirer ma mort?...¶?¶
– Oh! s’écria don Juan, s’il était possible de vous rendre la vie en donnant une partie de la
mienne...¶– ! (Ces choses-là peuvent toujours se dire!..., pensait le dissipateur;, c’est
comme si j’offrais le monde à ma maîtresse...¶!) A peine sa pensée était-elle achevée, que
le vieux barbet aboya. Cette voix intelligente fit frémir don Juan:, il crut avoir été compris
par le chien.¶
– Je savais bien, mon fils, que je pouvais compter sur toi!..., s’écria le moribond. Je
vivrai. Va, tu seras content!.... Je vivrai, mais sans enlever un seul des jours qui
t’appartiennent.¶
– Il a le délire!..., se dit don Juan.¶ Puis il ajouta tout haut: – Oui, mon père chéri, vous
vivrez, certes, autant que moi!, car votre image sera sans cesse dans mon cœur...¶
– Il ne s’agit pas de cette vie-là!..., dit le vieux seigneur en rassemblant ses forces pour se
dresser sur son séant, et tout car il fut ému par un de ces soupçons qui ne naissent que
sous le chevet des mourans.¶– Écoutemourants. – Écoute, mon fils, reprit-il d’une voix
affaiblie par ce dernier effort. Je , je n’ai pas plus envie de mourir, que toi detu ne veux te
passer de maîtresses, de vin, de chevaux, de faucons, de chiens et d’or!...¶
– Je le crois bien!..., pensa encore le fils en s’agenouillant au chevet du lit, et en baisant
une des mains cadavéreuses de Bartholoméo.¶ – Mais, reprit-il à haute voix, mon père,
mon cher père, il faut se soumettre à la volonté de Dieu!...¶
– Dieu!..., c’est moi, répliqua le vieillard en grommelant.¶
– Ne blasphémez pas!..., s’écria le jeune homme en voyant l’air menaçant que prirent les
traits de son père. Gardez-vous-en bien, vous avez reçu l’extrême-onction!.., et je ne me
consolerais pas de vous voir mourir en état de péché.¶
– Veux-tu m’écouter?...! s’écria le mourant dont la bouche grinça.¶
Don Juan se tut; et alors un . Un horrible silence régna. A travers les
sifflemenssifflements lourds de la neige, les accords du théorbede la viole et la voix
délicieuse arrivèrent encore, faibles comme un jour naissant. Le moribond sourit.¶
– Tu as bien fait d’inviter– Je te remercie d’avoir invité des cantatrices, d’avoir amené de
la musique!... Une fête..., des femmes jeunes et belles..., blanches, à cheveux noirs!... tous
les plaisirs de la vie... – Fais, fais-les rester... Je, je vais renaître...¶
– Le délire est à son comble!..., dit don Juan.¶
– ... J’ai découvert un moyen de ressusciter. – Tiens! – Cherche dans le tiroir de cette la
table. – Tu , tu l’ouvriras en pressant un ressort caché par le griffon.¶
– J’y suis, mon père?...¶
– Là..., bien, – prends un petit flacon de cristal de roche.¶
– Le voici...¶
– J’ai employé vingt ans à...¶ En ce moment, le vieillard, sentant sentit approcher sa fin,
et rassembla toute son énergie pour dire: – Aussitôt que j’aurai rendu le dernier soupir...,
tu me frotteras tout entier de cette eau. – Je, je renaîtrai!...¶
– Il y en a bien peu!..., répliqua le jeune homme.¶
Si Bartholoméo ne pouvait plus parler; mais, il avait encore la faculté d’entendre et de
voir; alors: sur ce mot, sa tête, se tournant vers don Juan par un mouvement d’une
effrayante brusquerie, son cou resta tordu comme celui d’une statue de marbre que la
pensée du sculpteur a condamnée à regarder de côté. Ses , ses yeux agrandis contractèrent
une hideuse immobilité... Il était mort, – mort en perdant sa seule et , sa dernière
illusion...¶ En cherchant un asile dans le cœur de son fils, il y trouvait une tombe plus
creuse que les hommes ne la font d’habitude à leurs morts. Aussi, ses cheveux avaient
étéfurent-ils éparpillés par l’horreur, et son regard convulsé parlait -il encore. – C’était un
père se levant avec rage de son sépulcre pour demander vengeance à Dieu!...¶!¶
– Tiens! toutle bonhomme est fini!..., s’écria don Juan.¶
Ayant d’abord présentéEmpressé de présenter le mystérieux cristal à la lueur de la lampe,
comme un buveur consulte sa bouteille à la fin d’un repas, il n’avait pas vu blanchir l’œil
de son père.¶ Le chien, béant, contemplait alternativement son maître mort et l’élixir;, de
même que don Juan regardait tour à tour son père et la fiole. – La lampe jetait des
flammes ondoyantes. – Le silence était profond – le théorbe,
muet...¶..................................¶¶, la viole muette. Belvidéro tressaillit en croyant voir son
père se remuer... Alors, intimidé Intimidé par l’expression raideroide de ses yeux
accusateurs, il les ferma, – comme il aurait poussé une persienne battue par le vent
pendant une nuit d’automne. – Il se tint debout, immobile, perdu dans un monde de
pensées.¶ Tout à coup un bruit aigre, semblable au cri d’un ressort rouillé, rompit ce
silence. Don Juan, surpris, faillit laisser tomber le flacon. Une sueur, plus froide que ne
l’est l’acier d’un poignard, sortit de ses pores...¶ Un coq de bois peint surgit au -dessus
d’une horloge et chanta trois fois.¶ C’était une de ces ingénieuses machines à l’aide
desquelles les savanssavants de cette époque se faisaient éveiller à l’heure fixée pour
leurs travaux.¶ L’aube rougissait déjà les croisées. – Don Juan avait passé dix heures à
réfléchir. – La vieille horloge était plus fidèle que lui à son service qu’il ne l’était dans
l’accomplissement de ses devoirs envers Bartholoméo. – Ce mécanisme se composait de
bois, de poulies, de cordes, de rouages, tandis que – lui – avait ce mécanisme particulier à
l’homme, et nommé – un cœur.¶ Pour ne plus s’exposer à perdre la mystérieuse liqueur,
le sceptique don Juan la replaça dans le tiroir de la petite table gothique.¶ En ce moment
solennel, il entendit dans les galeries un tumulte sourd: c’étaientc’était des voix confuses,
des rires étouffés, des pas légers, les froissemensfroissements de la soie, enfin le bruit
d’une troupe joyeuse qui tâche de se recueillir. La porte s’ouvrit, et le prince, les amis de
don Juan, les sept courtisanes, les cantatrices apparurent dans le désordre bizarre où se
trouvent des danseuses surprises par les lueurs du matin, quand le soleil lutte avec les
feux pâlissanspâlissants des bougies. – Ils arrivaient tous pour donner au jeune héritier les
consolations d’usage...¶
– Oh! oh! le pauvre don Juan a aurait-il donc pris cette mort au sérieux!..., dit le prince à
l’oreille de la Brambilla.¶
– Mais, son père était un bonhomme!...bien bon homme, répondit-elle.¶
Cependant les méditations nocturnes de don Juan avaient imprimé à ses traits une
expression de stupeur si frappante, qu’elle imposa silence à ce groupe. Les hommes
restèrent immobiles. – Les femmes, dont les lèvres étaient séchées par le vin, et dont les
joues avaient été marbrées par des baisers, s’agenouillèrent et se mirent à prier... Don
Juan ne put s’empêcher de tressaillir en voyant les splendeurs, les joies, les rires, les
chants, la jeunesse, la beauté, le pouvoir, toute la vie personnifiée se prosterner
prosternant ainsi devant la mort!.... Mais, dans cette adorable Italie, la débauche et la
religion s’accouplaient alors si bien, que la religion y était une débauche et la débauche
une religion!¶ Le prince serra affectueusement la main de don Juan; puis, toutes les
figures ayant formulé simultanément une même grimace mi-partie de tristesse et
d’indifférence, cette fantasmagorie disparut, laissant la salle vide. – C’était bien une
image de la vie!¶ En descendant les escaliers, le prince dit à la Rivabarella: – Hein! Qui
qui aurait cru don Juan un fanfaron d’impiété?... Il aime son père!...¶!¶
– Avez-vous remarqué le chien noir?... demanda la Brambilla.¶
– Le voilà immensément riche!..., repartit en soupirant la Bianca Cavatolino.¶
– Que m’importe!... s’écria la fière Varonèse, celle qui avait brisé le drageoir.¶
– Comment, que t’importe?... s’écria le duc, mais. Avec ses écus il est plus aussi prince
que moi avec ses écus!...¶
.......................................................................................¶
¶
D’abord don Juan, balancé par mille pensées, flotta entre plusieurs partis; mais, après.
Après avoir pris conseil du trésor amassé par son père, il revint, sur le soir, dans la
chambre mortuaire, l’âme grosse d’un effroyable égoïsme.¶ Il trouva dans l’appartement
tous les gens de sa maison occupés à rassembler les ornemensornements du lit de parade
sur lequel feu monseigneur allait être exposé le lendemain, au milieu d’une superbe
chambre ardente, curieux spectacle que tout Ferrare devait venir admirer. Don Juan fit un
signe, et ses gens s’arrêtèrent tous, interdits, tremblans...¶tremblants.¶
– Laissez-moi seul ici, dit-il d’une voix altérée;, vous n’y rentrerez qu’au moment où j’en
sortirai.¶
Quand les pas du vieux serviteur, qui s’en allait le dernier, ne retentirent plus que
faiblement sur les dalles, don Juan ferma précipitamment la porte, et, sûr d’être seul, il
s’écria:¶: – Essayons!...¶!¶
Le corps de Bartholoméo était couché sur une longue table. Pour dérober à tous les yeux
le hideux spectacle d’un cadavre qu’une extrême décrépitude et la maigreur rendaient
semblable à un squelette, les embaumeurs avaient posé sur le corps un drap qui
l’enveloppait, moins la tête. Cette espèce de momie gisait au milieu de la chambre; et le
drap, naturellement souple, en dessinait vaguement les formes, mais aiguës, raidesroides
et grêles. Le visage était déjà marqué de larges taches violettes qui indiquaient la
nécessité d’achever l’embaumement.¶ Malgré le scepticisme dont il était armé, don Juan
trembla en débouchant la magique fiole de cristal. Quand il arriva près de la tête, il fut
même contraint d’attendre un moment, tant il frissonnait. Mais ce jeune homme avait été,
de bonne heure, savamment corrompu par les mœurs d’une cour dissolue; et alors, une
réflexion digne du pape Alexandreduc d’Urbin vint donc lui donner un courage que
fortifiait encore la qu’aiguillonnait un vif sentiment de curiosité.¶Il , il semblait même
que le démon lui eût soufflé ces mots qui résonnèrent dans son cœur:¶: – Imbibe un
œil!...¶ Il prit un linge, et, après l’avoir parcimonieusement mouillé dans la précieuse
liqueur, il le passa légèrement sur la paupière droite du cadavre.¶ L’œil s’ouvrit.¶
– Ah! ah! dit don Juan en pressantprenant le flacon dans sa main, comme nous serrons, en
rêvant, la branche à laquelle nous sommes suspendus au -dessus d’un précipice.¶
Il voyait un œil plein de vie, un œil d’enfant dans une tête de mort. La , la lumière y
tremblait au milieu d’un jeune fluide; et, protégée par de beaux cils noirs, elle scintillait
pareille à ces lueurs uniques que le voyageur aperçoit dans une campagne déserte, par les
soirs d’hiver. – Cet œil flamboyant paraissait vouloir s’élancer sur don Juan;, et il pensait,
accusait, condamnait, menaçait, jugeait, parlait, il criait, il mordait. Toutes les passions
humaines s’y agitaient: c’étaient. C’était les supplications les plus tendres; puis : une
colère de roi; , puis l’amour d’une jeune fille demandant grâce à ses bourreaux; et enfin le
regard profond que jette un homme sur les hommes en gravissant la dernière marche de
l’échafaud. Il y avait enfin éclatait tant de vie dans ce fragment de vie, que don Juan
épouvanté recula. Il , il se promena par la chambre, n’osant plussans oser regarder cet œil,
mais il le qu’il revoyait sur les planchers, sur les tapisseries, partout.. La chambre était
parsemée de pointes pleines de feu, de vie, d’intelligence... Toujours Partout brillaient des
yeux qui aboyaient après lui!¶
– Il aurait bien revécu cent ans!..., s’écria-t-il involontairement, au moment où, ramené
devant son père par une influence diabolique, il contemplait cette étincelle lumineuse.¶
Tout à coup la paupière intelligente se ferma et se rouvrit brusquement, comme celle
d’une femme qui consent.¶ Une voix auraiteût crié: « Oui! » don Juan n’aurait pas été
plus effrayé.¶
– Que faire?... pensa-t-il.¶ Il eut le courage d’essayer de clore cette paupière blanche;
mais tous ses . Ses efforts furent inutiles.¶
– Le crever?... Ce sera peut-être un parricide!..? se demanda-t-il.¶
– Oui!..., dit l’œil par un clignotement d’une étonnante ironie.¶
– Ah! bah!– Ha! ha! s’écria don Juan, il y a de la sorcellerie là- dedans!... ¶. Et il
s’approcha de l’œil pour l’écraser.¶ Une grosse larme roula sur les joues creuses du
cadavre; et, de là,, et tomba sur la main de Belvidéro.¶
– Elle est brûlante!..., s’écria-t-il en s’asseyant.¶
Alors il s’assit. Cette lutte l’avait fatigué comme s’il avait combattu, à l’exemple de
Jacob, contre un ange. .¶
Enfin il se leva en se disant:¶: – Pourvu qu’il n’y ait pas de sang!¶ Puis, rassemblant tout
ce qu’il faut de courage pour être lâche, il écrasa l’œil, en le foulant avec un linge, mais
sans le regarder.¶ Un grand gémissement sortit, plaintif,inattendu, mais terrible. –, se fit
entendre. Le pauvre barbet expirait en hurlant.¶
– Serait-il dans le secret?... se demanda don Juan en regardant le fidèle animal.¶
¶
¶
« Croyez-vous que je me sois joué de vous? – Non. Ce récit n’est pas une plaisanterie; ne
le prenez pas pour une œuvre de déception dans laquelle un auteur fait de l’atroce pour le
plaisir des jeunes filles. – Je n’ai pas entrepris d’enseigner une manière d’éborgner la
mort!... Attendez, vous n’êtes pas encore arrivés au moment où vous pourrez frémir sans
avoir à rougir de votre peur...¶
Maintenant – essayez de deviner la conduite que tiendraient, en des conjonctures à peu
près semblables, les honnêtes gens qui, au dix-neuvième siècle, prennent de l’argent à
rentes viagères, sur la foi d’un catarrhe, ou ceux qui louent une maison à une vieille
femme pour le reste de ses jours?... Je cuide qu’ils ne ressusciteraient pas leurs rentiers!¶
Je désirerais que des peseurs-jurés de conscience examinassent quel degré de similitude
existe entre don Juan et les pères qui marient leurs enfans à des filles à cause des
espérances?¶
La société humaine qui marche, à entendre quelques philosophes, dans une voie de
progrès, a considéré comme un pas vers le bien l’art d’attendre les trépas. Cette science a
créé des métiers honorables au moyen desquels un homme vit de la mort. Certaines
personnes espèrent, par état, un décès. Elles le couvent et le guettent. Elles
s’accroupissent chaque matin sur un cadavre, et s’en font un oreiller le soir: ce sont les
coadjuteurs, les cardinaux, les surnuméraires, les tontiniers, etc. Ajoutez-y beaucoup de
gens délicats, empressés d’acheter une propriété dont le prix dépasse la somme de leurs
capitaux; mais qui établissent logiquement et à froid les chances de vie qui restent à leurs
pères ou à leurs belles-mères, octogénaires ou septuagénaires, disant: – « Avant trois ans,
j’hériterai nécessairement, et alors..... »¶
Un meurtrier nous dégoûte moins qu’un espion, parce que le meurtrier a cédé peut-être à
un moment de folie: il peut se repentir, s’ennoblir. Mais l’espion est toujours espion. Il
est espion au lit, à table, en marchant, la nuit, le jour; il est vil à toute minute. Que seraitce donc d’être meurtrier comme un espion est vil?¶
Hé bien! ne venez-vous pas de reconnaître au sein de la société une foule d’êtres amenés
par nos lois, par nos mœurs, par les usages, à penser sans cesse à la mort des leurs, à la
convoiter? Ils pèsent ce que vaut un cercueil, en marchandant des cachemires pour leurs
femmes, en gravissant l’escalier d’un théâtre, en désirant aller aux Bouffes, en souhaitant
une voiture. Ils assassinent au moment où de chères créatures, ravissantes d’innocence,
leur apportent, le soir, des fronts enfantins à baiser en disant: « Bonsoir, père!... »¶
Ils voient à toute heure des yeux qu’ils voudraient fermer, et qui se rouvrent, chaque
matin, à la lumière, comme celui de Belvidéro... Dieu seul sait le nombre des parricides
véniels qui se commettent par la pensée!...¶
Figurez-vous un homme ayant à servir mille écus de rente viagère à une vieille femme, et
n’étant, tous deux, séparés à la campagne que par un ruisseau, assez étrangers l’un à
l’autre pour pouvoir se haïr cordialement sans manquer à ces convenances humaines qui
mettent un masque d’amitié sur la figure de deux frères!... Quelle vie!...¶
Il existe un pays dans le monde où chaque citoyen peut disposer de sa fortune comme bon
lui semble, sans être tenu d’en laisser une obole à ses enfans. Là seulement, il ne s’élève
pas, entre les plus doux sentimens, des murs d’argent et d’or. A Washington, ce principe
paraît simple; mais en Europe, toute la civilisation repose sur un pivot:
l’HÉRÉDITE!.....¶
¶
II.
FIN.¶
Toutes les fois que Languet, curé de Saint-Sulpice, passait devant un savant critique
surnommé le dénicheur de saints, il le saluait avec respect, disant: « J’ai toujours peur
qu’il ne fasse un fripon de mon pauvre saint Sulpice! »¶
(MONOGRAPHIE DE LA VERTU.)¶
DON JUAN BELVIDÉRO Don Juan Belvidéro passa pour un fils très-pieux. Il éleva un
monument de marbre blanc sur la tombe de son père, et en confia l’exécution des figures
aux plus célèbres artistes du temps. Il ne fut parfaitement tranquille que le jour où sa la
statue paternelle, agenouillée devant la tête de BartholoméoReligion, imposa son poids
énorme sur cette fosse, au fond de laquelle il enterra le seul remords dontqui ait effleuré
son cœur devait être chatouillé.¶ dans les moments de lassitude physique. En inventoriant
les immenses richesses amassées par le vieil orientaliste, don Juan devint avare. N’avait,
n’avait-il pas deux vies humaines à pourvoir d’argent?¶Aussi, embrassant Son regard
profondément scrutateur pénétra dans le principe de la vie sociale, et embrassa d’autant
mieux l’existence et le monde qu’il les voyait à travers un tombeau, il . Il analysa toutles
hommes et les choses pour en finir d’une seule fois avec le Passé, représenté par
l’Histoire; avec le Présent, configuré par la Loi; avec l’Avenir, dévoilé par les Religions.¶
Il prit l’âme et la matière, les jeta dans un creuset, n’y retrouva rien, et dès lors il devint
DON JUAN!...¶!¶
Maître des illusions de la vie, il s’élança, jeune et beau, dans la vie, méprisant le monde,
mais s’emparant du monde. Son bonheur n’était ne pouvait pas, vous pensez bien, être
cette félicité bourgeoise qui se repaît d’un bouilli périodique, d’une douce bassinoire en
hiver, d’une lampe pour la nuit et de pantoufles neuves à chaque trimestre. . . . . Non, il se
saisit de l’existence comme un singe d’qui attrape une noix; et, n’étant pas homme à , et
sans s’amuser long-temps d’une marotte creuse, il dépouilla savamment les vulgaires
enveloppes du fruit pour en discuter la pulpe savoureuse. Alors laLa poésie, les sentimens
humains et l’exaltation et les sublimes transports de la passion humaine ne lui allèrent pas
même plus au cou-de-pied.¶ Il ne commit point la faute de ces hommes puissanspuissants
qui, s’imaginant parfois que les petites âmes croient aux grandes, s’avisent d’échanger les
hautes pensées de l’avenir contre la petite monnaie de nos idées viagères. Il pouvait bien,
comme eux, marcher les pieds sur terre et la tête dans les cieux; mais il aimait mieux
s’asseoir, et sécher, sous ses baisers, plus d’une lèvre de femme, fraîche, tendre,
humidefraîche et parfumée; car, semblable à la Mort, là où il passait, il dévorait tout sans
pudeur!... n’ayant qu’, voulant un amour de possession, un amour oriental, aux plaisirs
longs et faciles.¶ N’aimant que la femme dans les femmes, il se confiait à la plus profonde
ironie.fit de l’ironie une allure naturelle à son âme. Quand ses maîtresses se servaient
d’un lit pour monter aux cieux, allant s’y où elles allaient se perdre au sein d’une extase
enivrante.... alors, don Juan les y suivait, grave, expansif, aussi sincère qu’autant que sait
l’être un étudiant allemand; mais. Mais il disait JE, quand sa maîtresse, folle, éperdue,
disait NOUS!...¶ Il savait admirablement bien se laisser entraîner par une femme, . Il était
toujours assez fort pour lui faire croire qu’il tremblait comme un jeune lycéen, disant à
qui dit à sa première partnerdanseuse, dans un bal: « Vous aimez la danse? » Mais il
savait aussi rugir à propos, tirer son épée puissante et briser les commandeurs. Il y avait
de la raillerie dans sa simplicité et du rire dans ses larmes, car il sut toujours pleurer
autant qu’une femme, quand elle dit à son mari: « Donne-moi un équipage, ou je meurs
de la poitrine. »¶» Pour les négociansnégociants, le monde est un ballot ou une masse de
billets en circulation; pour la plupart des jeunes gens, c’est une femme; pour quelques
femmes, c’est un homme; pour certains esprits, c’est un salon, une coterie, un quartier,
une ville; mais pour don Juan, l’univers était – lui! Modèle de grâce et de noblesse, d’un
esprit séduisant, il attacha sa barque à tous les rivages; mais en se faisant conduire, il
n’allait que jusqu’où il voulait être mené. Plus il vit et, plus il douta. En examinant les
hommes, il devina que souvent que le courage était de la témérité; la prudence, une
poltronnerie; la générosité, finesse; la justice, un crime; la délicatesse, une niaiserie; la
probité, une organisation: et, par une singulière fatalité, il s’aperçut que les gens vraiment
probes, délicats, justes, généreux, prudensprudents et courageux, n’obtenaient aucune
considération parmi les hommes.¶ – Quelle froide plaisanterie! se dit-il. Elle ne vient pas
d’un Dieu.¶dieu. Et alors, renonçant à un monde meilleur, il ne se découvrit jamais en
entendant prononcer un nom, et considéra les saints de pierre dans les églises comme des
œuvres d’art. Aussi, comprenant le mécanisme des sociétés humaines, il ne heurtait -il
jamais trop les préjugés, parce qu’il n’était pas aussi puissant que le bourreau; mais il
tournait les lois sociales avec cette grâce et cet esprit si bien rendus dans sa scène avec
M.monsieur Dimanche; car il. Il fut destiné à deveniren effet le type du Don Juan de
Molière, du Faust de GœtheGoethe, du Manfred de Byron et du Melmoth de Maturin.
Grandes images tracées par les plus grands génies de l’Europe, et auxquelles les accords
de Mozart ne manqueront pas plus que la lyre de Rossini peut-être!..... Images terribles
que le principe du mal, existant chez l’homme, éternise, et dont chaque siècle admire
quelques copies: ¶ Soit se retrouvent de siècle en siècle: soit que ce type entre en
pourparler avec les hommes, comme en s’incarnant dans Mirabeau;¶ Soit; soit qu’il se
contente d’agir en silence, comme Bonaparte;¶ Ou; ou de presser l’univers dans une
ironie, comme le divin Rabelais;¶ Ou; ou bien encore qu’il se rie des êtres, au lieu
d’insulter aux choses, comme le maréchal de Richelieu;¶ Et ; et mieux peut-être, soit
qu’il se moque à la fois des hommes et des choses, comme le plus célèbre de nos
ambassadeurs.¶ Mais le génie profond de don Juan Belvidéro résuma, par avance, tous
ces génies; car il. Il se joua de tout. Sa vie était une moquerie qui embrassait hommes,
choses, institutions et, idées.¶ Quant à l’éternité, il avait causé familièrement une demiheure avec le pape Jules II;, et à la fin de la conversation, il lui dit en riant:¶: – S’il faut
absolument choisir, j’aime mieux croire en Dieu qu’au diable; il y a toujours de la
ressource avec la puissance unie à la bonté offre toujours plus de ressource que n’en a le
Génie du Mal.¶
– Oui;, mais Dieu veut qu’on fasse pénitence dans ce monde.....¶
– Vous pensez donc toujours à vos indulgences?... répondit Belvidéro. Eh! bien!, j’ai,
pour me repentir des fautes de ma première vie, toute une existence en réserve.¶
– Ah! parpaillotsi tu comprends ainsi la vieillesse, s’écria le pape, tu risques d’être
canonisé! ...¶
– Après votre élévation à la papauté, l’on peut tout croire.¶
Et là-dessus, ils allèrent voir les ouvriers occupés à bâtir l’immense basilique consacrée à
saint Pierre.¶
– Saint Pierre était est l’homme de génie!.... qui nous a constitué notre double pouvoir, dit
le pape à don Juan;, il mérite bien ce monument. Mais parfois, la nuit, je pense qu’un
déluge passera l’éponge sur tout cela..., et ce sera à recommencer.....¶
Don Juan et le pape se prirent à rire:, ils s’étaient entendus. Un sot aurait étéserait allé, le
lendemain, s’amuser avec Jules II chez Raphaël ou dans la délicieuse Villa-Madama;
mais Belvidéro alla le voir officier pontificalement, afin de se convaincre de ses doutes.
Dans une débauche, La Rovère aurait pu se démentir et commenter l’Apocalypse.¶
MaisToutefois cette légende n’est pas entreprise pour fournir des matériaux à ceux qui
voudront écrire des mémoires sur la vie de don Juan;, elle est destinée à prouver aux
honnêtes gens que Belvidéro n’est pas mort dans son duel avec une pierre, comme
veulent le faire croire quelques lithographes.¶ Lorsque don Juan Belvidéro atteignit l’âge
de soixante ans, il vint se fixer en Espagne. Là il épousa, sur ses vieux jours, il épousa
une jeune et ravissante Andalouse. Mais, par calcul, il ne fut ni bon père ni bon époux.
C’était un calcul. Il avait observé que nous ne sommes jamais si tendrement aimés que
par les femmes auxquelles nous ne songeons guères.. Dona Elvire avait été saintement
élevée par une vieille tante au fond de l’Andalousie, dans un château, à quelques lieues de
San-Lucar; elle, était tout dévouement et toute tout grâce: don. Don Juan devina que cette
jeune fille serait femme à long-temps combattre une passion avant d’y céder; et alors, il
espéra donc pouvoir la conserver vertueuse jusqu’à sa mort. Ce fut une plaisanterie
sérieuse, une partie d’échecs qu’il voulut se réserver de jouer pendant ses vieux jours.¶
Fort de toutes les fautes commises par son père Bartholoméo, don Juan résolut de faire
servir les moindres actions de sa vieillesse à la réussite du drame qui devait s’accomplir
sur son lit de mort. Ainsi la plus grande partie de ses richesses resta enfouie dans les
caves de son palais à Ferrare, où il allait rarement. Quant à l’autre moitié de sa fortune,
elle fut placée en viager, afin d’intéresser à la durée de sa vie et sa femme et ses enfans,
essayantenfants, espèce de remplacer les sentimens dont il avait privé son père par les
soins de la cupidité. Mais rouerie que son père aurait dû pratiquer; mais cette spéculation
de machiavélisme ne lui fut pas très-nécessaire. Le jeune Philippe Belvidéro, son fils,
devint un Espagnol aussi consciencieusement religieux que son père était impie, en vertu
peut-être du proverbe: à père avare, enfant prodigue.¶ L’abbé de San-Lucar fut choisi par
don Juan pour diriger les consciences de la duchesse de Belvidéro et de Philippe. Cet
ecclésiastique était un saint homme, de belle taille, admirablement bien proportionné,
ayant de beaux yeux noirs, une tête à la Tibère, fatiguée par les jeûnes, blanche de
macérations, et journellement tenté comme le sont tous les solitaires. Le vieux seigneur
espérait peut-être pouvoir encore tuer un moine avant de finir son premier bail de vie.
Mais, soit que l’abbé fût aussi fort que don Juan pouvait l’être lui-même, soit que dona
Elvire eût plus de prudence ou de vertu que don Juan l’Espagne n’en accordaitaccorde
aux femmes, il don Juan fut contraint de passer ses derniers jours comme un vieux curé
de campagne, sans scandale chez lui.¶ Parfois il prenait plaisir à trouver son fils etou sa
femme en faute sur leurs devoirs de religion, et il exigeaitvoulait impérieusement qu’ils
exécutassent toutes les obligations imposées aux fidèles par la cour de Rome. Enfin il
n’était jamais si heureux qu’en entendant le galant abbé de San-Lucar, dona Elvire et
Philippe discutantoccupés à discuter un cas de conscience.¶ Cependant, malgré les soins
prodigieux que le seigneur don Juan Belvidéro donnait à sa personne, les jours de la
décrépitude arrivèrent; et, avec cet âge de douleur, vinrent les cris de l’impuissance, cris
d’autant plus déchirans que la force des souvenirs était déchirants, que plus
féconde.riches étaient les souvenirs de sa bouillante jeunesse et de sa voluptueuse
maturité. Cet homme, chez lequel en qui le dernier degré de la raillerie était d’engager les
autres à croire aux lois et aux principes dont il se moquait, s’endormait le soir sur un
peut-être! Ce modèle du bon ton, ce duc, vigoureux dans une orgie, superbe dans les
cours, gracieux auprès des femmes, dont il avait tordu les cœurs avaient été tordus par lui
comme un paysan tord un lien d’osier;, cet homme de génie avait une pituite opiniâtre,
une sciatique importune, une goutte brutale. Il voyait ses dents le quitter,quittant comme,
à la fin d’une soirée, les dames les plus blanches, les mieux parées, s’en vont, une à une,
laissant le salon désert et démeublé. Enfin ses mains hardies tremblèrent, ses jambes
sveltes chancelèrent;, et, un soir, l’apoplexie lui pressa le cou de ses mains crochues et
glaciales.¶ Depuis ce jour fatal, il devint morose et dur. Il accusait le dévouement de son
fils et de sa femme, en prétendant parfois que leurs soins touchanstouchants et délicats ne
lui étaient si tendrement prodigués que parce qu’il avait placé toute sa fortune en rentes
viagères. Elvire et Philippe versaient alors des larmes amères et redoublaient de caresses
auprès du malicieux vieillard, dont la voix cassée devenait affectueuse pour leur dire:¶
–: – « Mes amis, ma chère femme, vous me pardonnez, n’est-ce pas?... Je vous tourmente
un peu?–. Hélas! grand Dieu! comment te sers-tu de moi pour éprouver ces deux célestes
créatures?... Moi, qui devrais être leur joie, je suis leur fléau!...¶. » Ce fut ainsi qu’il les
enchaîna au chevet de son lit, leur faisant oublier des mois entiers d’impatience et de
cruauté par une heure où, pour eux, il déployait les trésors toujours nouveaux de sa grâce
et d’une fausse tendresse. Système paternel qui lui réussit infiniment mieux que celui
dont son père avait usé jadis son père envers lui...¶ Enfin, il parvint à un tel degré de
maladie que, pour le mettre au lit, il fallait le manœuvrer comme une felouque entrant
dans un chenal dangereux.¶ Puis le jour de la mort arriva. Ce brillant et sceptique
personnage, dont l’entendement survivait seul à la plus affreuse de toutes les destructions,
se vit entre un médecin et un confesseur, ses deux antipathies... Mais il fut jovial avec
eux. N’y avait-il pas, pour lui, une lumière scintillante derrière le voile de l’avenir? Et,
surSur cette scène toile, de plomb pour les autres et diaphane pour lui, les légères et , les
ravissantes délices de la jeunesse se jouaient comme des ombres.¶
Ce fut par une belle soirée d’été que don Juan sentit les approches de la mort. Le ciel de
l’Espagne étant était d’une admirable pureté, les orangers parfumantparfumaient l’air, les
étoiles distillantdistillaient de vives et fraîches lumières, la nature semblait lui donner des
gages certains de sa résurrection. Un , un fils pieux et obéissant le contemplait avec
amour et respect. Vers onze heures, il voulut rester seul avec cet être candide.¶
– Philippe!..., lui dit-il d’une voix si tendre et si affectueuse que le jeune homme
tressaillit et pleura de bonheur, car jamais. Jamais ce père inflexible n’avait prononcé
ainsi: Philippe!¶– Écoute-moi, mon fils, reprit le moribond. Je suis un grand pécheur.
Aussi ai-je pensé, pendant toute ma vie, à ma mort. Jadis je fus l’ami du grand pape Jules
Il.II. Cet illustre pontife, ayant craint craignit que l’excessive irritation de mes sens ne me
fîtfit commettre quelque péché mortel entre le moment où j’expirerais et celui où j’aurais
reçu les saintes huiles, m’a fait; il me fit présent d’une fiole dans laquelle existe l’eau
sainte jaillie autrefois des rochers, dans le désert. J’ai gardé le secret sur cette dilapidation
du trésor de l’église:l’Eglise, mais je suis autorisé à révéler ce mystère à mon fils, in
articulo mortis. Vous trouverez cette fiole dans le tiroir de cette table gothique, qui n’a
jamais quitté le chevet de mon lit... Le précieux cristal pourra vous servir encore, mon
bien-aimé Philippe... Mais jurez Jurez-moi, par votre salut éternel, que vous allez
d’exécuter ponctuellement mes ordres?...¶?¶
Philippe regarda son père; et don. Don Juan se connaissait trop à l’expression des
sentimenssentiments humains pour ne pas mourir en paix sur la foi d’un tel regard,
comme son père était mort au désespoir sur la foi du sien.¶
– Tu méritais un autre père!..., reprit don Juan. J’ose t’avouer, mon enfant, qu’au moment
où le respectable abbé de San-Lucar m’administrait le viatique, je pensais à
l’incompatibilité de deux puissances aussi étendues que celles du diable et de Dieu...¶
– Oh! mon père...¶!¶
– Et je me disais que, quand Satan fera sa paix, il devra, sous peine d’être un grand
misérable, stipuler le pardon de ses adhérens...adhérents. Cette pensée me poursuit!...
Alors j’irais. J’irais donc en enfer, vois-tu? mon fils, si tu n’accomplissais pas mes
volontés?...¶
– Oh! dites-les-moi promptement, mon père!¶
– Aussitôt que j’aurai fermé les yeux, reprit don Juan, dans quelques minutes peut-être, tu
prendras mon corps, tout chaud même, et tu l’étendras sur une table, au milieu de cette
chambre. Puis tu éteindras cette lampe; car la lueur des étoiles doit te suffire... Tu me
dépouilleras de mes vêtemensvêtements; et pendant que tu réciteras des Pater et des Ave
en élevant ton âme à Dieu, tu auras soin d’humecter, avec cette eau sainte, mes yeux, mes
lèvres, toute la tête d’abord – et, puis successivement les membres et le corps... Mais;
mais, mon cher fils, la puissance de Dieu est si grande, qu’il ne faudra t’étonner de
rien!...¶!¶
Ici, don Juan, sentant qui sentit la mort venir, ajouta d’une voix terrible:¶
– Et tiensTiens bien le flacon...¶II Puis il expira doucement dans les bras d’un fils dont
les larmes abondantes coulèrent sur sa face ironique et blême.¶
Il était environ minuit quand don Philippe Belvidéro plaça le cadavre de son père sur la
table; et, après. Après en avoir baisé le front menaçant et les cheveux gris, il éteignit la
lampe. La lueur douce, produite par la clarté de la lune, dont les reflets bizarres
illuminaient la campagne, permit au pieux Philippe d’entrevoir indistinctement le corps
de son père: c’était , comme quelque chose de blanc au milieu de l’ombre. Le jeune
homme imbiba un linge dans la liqueur; puis, et, plongé dans la prière, au milieu d’un
profond silence, il oignit fidèlement cette tête sacrée. au milieu d’un profond silence. Il
entendait bien des frémissemensfrémissements indescriptibles, mais il les attribuait aux
jeux de la brise dans les cimes des arbres. Quand il eut mouillé le bras droit, il se sentit
fortement étreindre le cou par un bras jeune et vigoureux: – c’était, le bras de son père!....
Il jeta un cri déchirant, et laissa tomber la fiole, qui se cassa; la . La liqueur s’évapora.
Tous les Les gens du château accoururent, armés de flambeaux. Ce cri les avait
épouvantés et surpris, comme si la trompette du jugement dernier eût ébranlé l’univers.
En un moment, la chambre fut pleine de monde.¶ La foule tremblante aperçut don
Philippe évanoui, mais retenu par le bras puissant de son père, qui lui serrait le cou...
Puis, chose surnaturelle, l’assistance vit la tête de don Juan, aussi jeune, aussi belle que
celle de l’Antinoüs, ; une tête aux cheveux noirs, aux yeux brillansbrillants, à la bouche
vermeille, s’agitant et qui s’agitait effroyablement sans pouvoir remuer le squelette
auquel elle appartenait.¶ Un vieux serviteur imbécile cria: – Miracle!...¶ Tous et tous ces
Espagnols superstitieux répétèrent: – Miracle!...¶ Alors dona Elvire, trop Trop pieuse
pour admettre les mystères de la magie, dona Elvire envoya chercher l’abbé de San-
Lucar.¶ Lorsque le prieur contempla de ses yeux le miracle, il résolut d’en profiter en
homme d’esprit et en abbé qui ne demandait pas mieux que d’augmenter ses revenus.
Déclarant aussitôt que le seigneur don Juan serait infailliblement canonisé, il indiqua,
pour le surlendemain, la cérémonie de l’apothéose dans son couvent, – qui désormais
s’appellerait, dit-il, San-Juan-de-Lucar...¶ A ces mots, la tête fit une grimace assez
facétieuse.¶
Le goût des Espagnols pour ces sortes de solennités est si connu, qu’il ne doit pas être
difficile de croire aux féeries religieuses par lesquelles l’abbaye de San-Lucar célébra la
translation du bienheureux don Juan Belvidéro dans son église. TroisQuelques jours après
la mort de cet illustre seigneur, le miracle de son imparfaite résurrection s’était si
druementdrument conté de villevillage en village, dans un rayon de plus de cinquante
lieues autour de SanSaint-Lucar, que ce fut déjà une comédie que de voir les curieux par
les chemins. Ils; ils vinrent de tous côtés, affriandés par un Te Deum chanté aux
flambeaux.¶ L’antique mosquée du couvent de San-Lucar, merveilleux édifice bâti par les
Maures, et dont les voûtes entendaient depuis trois siècles le nom de Jésus-Christ
substitué à celui d’Allah, ne put contenir toute la foule accourue pour voir la cérémonie.
Pressés comme des fourmis, des hidalgos en manteaux de velours, et armés de leurs
bonnes épées, se tenaient debout autour des piliers, n’ayant passans trouver de place pour
plier leurs genoux, qui ne se pliaient que là. Il y avait deDe ravissantes paysannes, dont
les basquines dessinaient les formes amoureuses;, donnaient le bras à des vieillards en
cheveux blancs, des . Des jeunes gens aux yeux de feu; se trouvaient à côté de vieilles
femmes parées; puis. Puis c’était des couples frémissant d’aise, fiancées curieuses
amenées par leurs bien-aimés, ; des mariés de la veille, enfans; des enfants se tenant
craintifs par la main. Ce monde était là, riche de couleurs, brillant de contrastes, chargé de
fleurs, émaillé, produisant de faisant un doux tumultes dans le silence de la nuit.¶ Les
larges portes de l’église s’ouvrirent. Ceux qui, venus trop tard, restèrent en dehors,
voyaient de loin, par les trois portails sculptésouverts, une scène dont les décorations
vaporeuses de nos opéras modernes ne sauraient donner même qu’une faible idée. Des
dévotes et des pécheurs, pressés de gagner les bonnes grâces d’un nouveau saint, ayant
alluméallumèrent en son honneur des milliers de cierges dans cette vaste église, ces
lueurs douces donnaient intéressées qui donnèrent de magiques aspects au monument.
Les noires arcades, les colonnes et leurs chapiteaux, les chapelles profondes et brillantes
d’or et d’argent, les galeries, les découpures sarrasines, les traits les plus délicats de cette
sculpture délicate, se dessinaient dans cette lumière surabondante, comme des figures
capricieuses qui se forment dans un brasier rouge. C’était un océan de feux, dominé, au
fond de l’église, par le chœur doré, d’ où s’élevait le maître-autel, dont la gloire eût
rivalisé avec celle d’un soleil levant. En effet, la splendeur des lampes d’or, des
candélabres d’argent, des bannières, des glands, des saints et des ex-voto,
pâlissaientpâlissait devant la châsse où se trouvait don Juan. Le corps de l’impie étincelait
de pierreries, de fleurs, de cristaux, de diamansdiamants, d’or, de plumes aussi blanches
que les ailes d’un séraphin, et il remplaçait sur l’autel un tableau du Christ. Autour de lui
brillaient des cierges nombreux qui élançaient dans les airs de flamboyantes ondes.¶ Le
luxurieuxbon abbé de San-Lucar, paré de ses des habits pontificaux, ayant sa mitre
enrichie de pierres précieuses, son rochet, sa crosse d’or, siégeait, roi du chœur, sur un
fauteuil d’un luxe impérial, au milieu de tout son clergé, composé d’impassibles
vieillards en cheveux argentés, revêtus d’aubes fines et blanches, et qui l’entouraient,
semblables aux saints confesseurs dont que les peintres environnent l’Éternel.groupent
autour de l’Eternel. Le grand-chantre et les dignitaires du chapitre, décorés des
brillansbrillants insignes de leurs vanités ecclésiastiques, allaient et venaient au sein des
nuages formés par l’encens, pareils à des aux astres roulantqui roulent sur un le
firmament.¶ Quand l’heure du triomphe fut venue, les cloches réveillèrent tous les échos
de la campagne, et cette immense assemblée jeta vers Dieu le premier cri de louanges par
lequel commence le Te Deum. Quel criCri sublime! C’étaientC’était des voix pures et
légères, des voix de femmes, en extase, mêlées aux voix graves et fortes des hommes, des
milliers de voix, si puissantes, que l’orgue n’en domina pas l’ensemble, malgré le
mugissement profond de ses tuyaux... Seulement les notes perçantes de la jeune voix des
enfansenfants de chœur et les larges accensaccents de quelques basses-tailles, suscitèrent
des idées gracieuses, peignirent l’enfance et la force, dans ce ravissant concert de voix
humaines toutes confondues en un sentiment d’amour...¶
– Te Deum laudamus!...¶!¶
Du sein de cette cathédrale noire de femmes et d’hommes agenouillés, ce chant partit
semblable à une lumière qui scintille tout à coup dans la nuit, et le silence fut rompu
comme par un coup de tonnerre. Les voix montèrent avec les nuages d’encens qui jetaient
alors des voiles diaphanes et bleuâtres sur les fantastiques merveilles de l’architecture...
Tout était richesse, parfum, lumière et mélodie...¶ Au moment où cette musique d’amour
et de reconnaissance s’élança vers l’autel, don Juan, trop poli pour ne pas remercier, trop
spirituel pour ne pas entendre raillerie, répondit par un rire effrayant, et se prélassa dans
sa châsse.¶ Mais le diable lui fit bientôtl’avant fait penser à toutes les chancesla chance
qu’il courait d’être pris pour un homme ordinaire, pour un saint, un Boniface, un
Pantaléon. Alors, il rugit, et, àtroubla cette mélodie d’amour, il mêla par un hurlement
auquel se joignirent les mille voix de l’enfer. La terre bénissait, et le ciel maudissait.
L’église en trembla sur ses vieux fondemensfondements antiques...¶
– Te Deum laudamus!... disait l’assemblée.¶
– Allez à tous les diables, bêtes brutes que vous êtes! Dieu!...., Dieu!.... Carajo Carajos
demonios..., animaux...¶, êtes-vous stupides avec votre Dieu-vieillard!¶
Et un torrent d’imprécations se déroula comme un ruisseau de laves brûlantes par une
irruption du de Vésuve.¶
– Deus sabaoth, sabaoth! crièrent les chrétiens.¶
– Vous insultez la majesté de l’enfer! répondit don Juan, dont la bouche grinçait des
dents.¶ Bientôt le bras vivant put passer par-dessus la châsse, et menaçant du poing
l’assemblée, il fit par des gestes empreints de désespoir et d’ironie.¶
– Comme leLe saint nous bénit!..., dirent les vieilles femmes, les enfansenfants et les
fiancés, gens crédules.¶
Voilà comment nous sommes souvent trompés dans nos adorations. L’homme supérieur
se moque de ceux qui le complimentent, comme Louis XVIII sur son balcon maudissait
les Parisiens sur lesquels il régnait trop tard, tout en leur adressant des complimens
affectueux.¶et complimente quelquefois ceux dont il se moque au fond du cœur.¶
Au moment où l’abbé, prosterné devant l’autel, chantait:¶–: – Sancte JoannesJohannes,
ora pro nobis!...¶ Il entendit assez distinctement: – O coglione...¶
– Que se passe-t-il donc là-haut? s’écria le sous-prieur en voyant la châsse remuer.¶
– Le saint fait le diable, répondit l’abbé.¶
Alors cette tête vivante se détacha violemment du corps qui ne vivait plus et tomba sur le
crâne jaune de l’officiant.¶
– Souviens-toi de dona Elvire!..., cria la tête en dévorant celle de l’abbé.¶
Ce dernier jeta un cri affreux qui troubla la cérémonie. Tous les prêtres accoururent et
entourèrent leur souverain.¶
– Imbécile, dis donc qu’il y a un Dieu?... cria la voix au moment où l’abbé, mordu dans
sa cervelle, allait expirer.¶
Ce fut le premier religieux qui mourut bicéphale.¶
Nous pouvons tirer de ce mythe plusieurs moralités intéressantes. D’abord.... Mais.... –
continuez sans l’auteur.¶
Paris, octobre 1830.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DES PROSCRITS ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
LES PROSCRITS.¶
O patria!...¶
(ROSSINI, Tancredi.)¶ALMAE SORORI¶
I.¶
LE SERGENT DE VILLE.¶
¶
¶
EN En 1308, il n’existait encore que fortexistait peu de maisons sur le terrainTerrain
formé par les alluvions et par les sables de la Seine, en haut de la Cité, derrière l’église
Notre-Dame. Le premier qui osa se bâtir un manoirlogis sur cette grève mouvante et
soumise à de fréquentes inondations, fut un sergent de la ville de Paris. Ayant qui avait
rendu quelques menus services à messieurs du chapitre Notre-Dame; en récompense,
l’évêque lui bailla quinzevingt-cinq perches de terre, et le dispensa de toute censive ou
redevance pour le fait de ses constructions.¶ Sept ans avant le jour auquel où commence
cette histoire, Joseph Tirechair, l’un des plus rudes sergenssergents de Paris, comme son
nom le prouve, avait donc, grâce à ses droits dans les amendes par lui perçues pour les
délits commis ès rues de la Cité, construit une bâti sa maison au bord de la Seine,
précisément à l’extrémité de la rue du Port-Saint-Landry. Profitant d’une espèceAfin de
pile en maçonnerie, élevée par la ville pour garantir de tout dommage les marchandises
déposées sur le port, la ville avait construit une espèce de pile en maçonnerie qui se voit
encore sur quelques vieux plans de Paris, et qui préservait le pilotis du port en soutenant à
la tête du Terrain les efforts des eaux et des glaces; le sergent yen avait assisprofité pour
asseoir son logis, en sorte qu’il fallait monter une dizaine deplusieurs marches pour
arriver chez lui.¶ Semblable à presque toutes les maisons de Paris, du temps, cette chétive
bicoque était surmontée d’un toit pointu dont nous donnerons une juste idée en le
comparant à deux cartes mises l’une contre l’autre par quelque enfant qui commence un
qui figurait au-dessus de ses châteaux éphémères. Sous ce toit de forme primitive, dont,
au grand la façade la moitié supérieure d’une losange. Au regret des historiographes, il
n’existe plus guère à Paris que deux existe à peine un ou trois deux modèles, il y avait un
de ces toits à Paris. Une ouverture ronde éclairait le grenier vide, dans lequel la femme du
sergent faisait sécher le linge du chapitre, qu’Chapitre, car elle avait l’honneur de
blanchir.¶ Notre-Dame, qui n’était certes pas une mince pratique. Au premier étage,
l’architecte avait ménagé étaient deux chambres qui, bon an mal an, se louaient aux
étrangers à raison de quarante sous parisis pour chacune, bon an, mal an. Ce prix
exorbitant était justifié d’ailleurs par le luxe avec lequel ces deux pièces avaient été
meublées: des que Tirechair avait mis dans leur ameublement. Des tapisseries de Flandre
en garnissaient les murailles; un grand lit orné d’un tour en serge verte, semblable à ceux
de nos des paysans, était honorablement fourni de matelas, et recouvert d’assez de bons
draps dont la en toile n’était point trop grossière; enfin chaquefine. Chaque réduit avait
son chauffe-doux, espèce de poêle dont la description est inutile. Le plancher,
soigneusement entretenu par les apprenties de la Tirechair, brillait comme le bois d’une
châsse. Au lieu de s’asseoir sur des d’escabelles, les locataires avaient pour siéges de
grandes chaires en noyer sculpté qui provenaient, provenues sans doute du pillage de
quelque château. Deux bahuts incrustés en étain, une table à colonnes torses,
complétaient un mobilier digne des chevaliers bannerets les mieux huppés, que leurs
affaires amenaient à Paris.¶ Les vitraux de ces deux chambres donnaient sur la rivière: par
l’un. Par l’une, vous n’eussiez pu voir que les rives de la Seine et les trois îles désertes
nommées aujourd’huidont les deux premières ont été réunies plus tard et forment l’île
Saint-Louis et aujourd’hui, la troisième était l’île Louviers; tandis que de . Par l’autre,
vous auriez aperçu, à a travers une échappée du port Saint-Landry, le quartier de la
Grève, le pont Notre-Dame avec ses maisons; puis, les hautes tours du Louvre,
récemment bâties par Philippe-Auguste, et qui dominaient ce Paris chétif et pauvre dont ,
lequel suggère à l’imagination de nos poëtes nous raconte aujourd’huides poètes
modernes tant de fausses merveilles.¶ Dans le Le bas de la maison à Tirechair, pour nous
servir de l’expression alors en usage, il y avait une se composait d’une grande chambre
où travaillait sa femme, et par où les locataires étaient obligés de passer pour se rendre
chez eux, en gravissant un escalier pareil à celui d’un moulin, et. Puis derrière lequel, se
trouvaient la cuisine et la chambre à coucher du sergent.¶, qui avaient vue sur la Seine.
Un petit jardin, conquis sur les eaux, étalait, au pied de cette humble demeure, ses carrés
de choux verts, ses ognonsoignons et quelques pieds de rosiers, tous défendus par des
pieux formant une espèce de haie. Une cabane construite en bois et en boue servait
d’asilede niche à un gros chien, le gardien nécessaire de cette maison isolée; puis, tout
auprès de la niche, il y avait une enceinte où, pendant la journée, caquetaient des poules.¶
. A cette niche commençait une enceinte où criaient des poules dont les œufs se vendaient
aux chanoines. Çà et là, sur le terrainTerrain fangeux ou sec, suivant les caprices de
l’atmosphère parisienne, s’élevaient quelques petits arbres petits, incessamment battus
par le vent, tourmentés, cassés par les promeneurs, et ; des saules vivaces, des joncs, et
de hautes herbes... Le terrain, la Seine, le Port, la maison, la Seine, le port, étaient
encadrés à l’ouest par l’immense basilique de Notre-Dame, qui projetait, au gré du soleil,
son ombre froide sur cette terre; et alors,. Alors comme aujourd’hui, Paris n’avait pas de
lieu plus solitaire, de paysage plus solennel etni plus mélancolique. La grande voix des
eaux, le chant des prêtres ou les sifflemensle sifflement du vent troublaient seuls cette
espèce de bocage, où, parfois, se faisaient aborder quelques couples amoureux, pour se
confier leurs secrets, lorsque les offices retenaient à l’église les gens du chapitre.¶
Par une soirée du mois d’avril, en l’an 1308, Joseph Tirechair rentra chez lui
singulièrement fâché. Depuis trois jours il trouvait tout en ordre sur la voie publique; et,
en . En sa qualité d’homme de police, rien ne l’affectait plus que de se voir inutile.
JetantIl jeta sa hallebarde avec humeur, il se mit à grommelergrommela de vagues paroles
en dépouillant sa jaquette mi-partie de bleu et de rouge et de bleu, pour endosser un
mauvais hoqueton de camelot. Puis, aprèsAprès avoir pris dans la huche un morceau de
pain sur lequel il étendit une couche de beurre assez épaisse, il s’établit sur un banc,
examina, autour de lui, ses quatre murs blanchis à la chaux, compta les solives de son
plancher, inventoria ses ustensiles de ménage appendus à des clous; et, maugréant
presque, maugréa d’un soin qui ne lui laissait rien à dire, il inspecta et regarda sa femme,
laquelle ne soufflait mot en repassant les aubes et les surplis du chapitre.¶de la sacristie.¶
– Par mon salut!..., dit-il pour entamer la conversation, je ne sais, Jacqueline, où tu vas
pêcher tes apprenties!...¶–. En voilà une!..., ajouta-t-il en montrant avec son couteau une
ouvrière qui plissait assez maladroitement une nappe d’autel. En , en vérité, plus je la
mire, et plus je pense qu’elle ressemble à une fille folle de son corps, et non à une bonne
grosse serve de campagne... Elle a des mains aussi blanches que celles d’une dame!...
Jour de Dieu!, ses cheveux sentent le parfum, je crois! Etet ses chausses sont fines
comme celles d’une reine... Par la double corne de Mahom!... il y a quelque chose, les
choses céans qui ne va pas comme il faut!...¶vont pas à mon gré.¶
L’ouvrière se prit à rougir, et regarda guigna Jacqueline d’un air qui exprimait une crainte
mêlée d’orgueil; mais la. La blanchisseuse, répondant répondit à ce regard par un sourire,
quitta son ouvrage;, et d’une voix aigrelette:¶: – Ah çà!... dit-elle à son mari, ne
m’impatiente pas?...! Ne vas-tu point m’accuser de quelques manigances? Trotte sur ton
pavé tant que tu voudras, et ne te mêle de ce qui se passe ici que pour dormir en paix,¶
, boire ton vin, et manger ce que je te mets sur la table... ou; sinon, je ne me charge plus
de t’entretenir en joie et en santé...¶ – Il n’y a pas Trouvez-moi dans toute la ville d’un
homme plus heureux que ce singe-là! ajouta-t-elle en lui faisant une grimace de reproche.
Il a de l’argent dans son escarcelle;, il a pignon sur Seine, une vertueuse hallebarde d’un
côté, une honnête femme de l’autre, une maison aussi propre, aussi nette que mon œil...
Et ; et ça se plaint comme un galeuxpèlerin ardé du feu Saint-Antoine!...¶!¶
– Ah! reprit le sergent, crois-tu, Jacqueline, que j’aie envie de voir mon taudislogis rasé,
ma hallebarde aux mains d’un autre et ma femme au pilori?...¶?¶
Jacqueline et la délicate ouvrière pâlirent.¶
– Explique-toi donc, reprit vivement la blanchisseuse, et fais voir ce que tu as dans ton
sac. Je m’aperçois bien, mon gars, que depuis quelques jours tu loges une sottise dans ta
pauvre cervelle depuis quelques jours.... Allons, viens çà! et défile-moi ton chapelet. Il
faut que tu sois bien couard pour redouter le moindre grabuge, en portant la hallebarde du
parloir aux bourgeois, et en vivant sous la protection du chapitre. Les chanoines
mettraient le diocèse en interdit, si Jacqueline se plaignait à eux de la plus mince
avanie...¶
Et, En disant cela, elle marcha droit au sergent; puis, et le prenantprit par le bras:¶: –
Viens donc!..., ajouta-t-elle en le faisant lever, et l’emmenant sur les degrés.¶
Quand ils furent au bord de l’eau, dans leur jardinet, Jacqueline, regardant regarda son
mari d’un air moqueur:¶: – Apprends, vieux truand, que, quand cette belle dame sort du
logis, il entre une pièce d’or dans notre épargne...¶
-– Oh! oh!... fit le sergent, qui resta pensif et coi devant sa femme.¶ Mais il reprit
bientôt:¶: – Eh! donc, nous sommes perdus... Pourquoi cette dame femme vient-elle chez
nous?¶
– Elle vient, reprit Jacqueline, voir le tout joli petit clerc que nous avons là-haut!...¶ Et
elle montra la , reprit Jacqueline en montrant la chambre dont la fenêtre avait vue sur la
vaste étendue de la Seine.¶
– Malédiction! s’écria le sergent. Pour quelques traîtres écus, tu m’auras ruiné,
Jacqueline!.... Est-ce là un métier pour que doive faire la sage et prude femme d’un
sergent?... Mais fût-elle comtesse ou baronne, cette dame ne saurait nous tirer du
traquenard... où nous serons tôt ou tard emboisés? N’aurons-nous pas de plus contre nous
un mari puissant et grandement offensé? car, jarnidi! car jarnidieu! elle est bien belle.¶
– Oui- dà!..., elle est veuve, vilain oison!... Comment oses-tu soupçonner ta femme de
vilenies?...vilenie et de bêtises? Cette dame n’a jamais parlé à notre gentil clerc. Elle , elle
se contente de le voir et de penser à lui... Pauvre enfant! Sans sans elle, il serait déjà mort
de faim!... Elle , car elle est quasiment sa mère... Et lui, le chérubin, il est aussi facile de
le tromper que de bercer un nouveau-né... Il croit que ses deniers vont toujours, et il les a
déjà deux fois mangés depuis six mois...¶
– Femme, répondit gravement le sergent, en lui montrant la place de Grève, te souvienstu d’avoir vu d’ici le feu dans lequel on a brûlérôti l’autre jour cette Danoise?...¶?¶
– Eh! bien!..., dit Jacqueline effrayée.¶
– Eh! bien!, reprit Tirechair, les deux étrangers que nous aubergeons sentent le roussi... Il
n’y a chapitre, comtesse, ni protection qui tiennent. Voilà Pâques venu, l’année finie:, il
faut les mettre nos hôtes à la porte, et vite et tôt. Apprendras-tu donc à un sergent à
reconnaître un le gibier de potence!...? Nos deux hôtes avaient pratiqué la Porrette, cette
hérétique de Danemark, dont Danemarck ou de Norwége de qui tu as entendu d’ici le
dernier cri... C’était une courageuse diablesse, car elle n’a point sourcillé sur son fagot;,
ce qui prouvait bienabondamment son accointance avec le diable... Je ; je l’ai vue comme
je te vois... Elle , elle prêchait encore l’assistance, disant qu’elle était dans le ciel, et
voyait Dieu... Eh Hé! bien!, depuis ce jour, je n’ai point dormi tranquillement sur mon
grabat. Le vieux seigneur couché au dessus de moi nous est plus sûrement sorcier que
chrétien. J’ai, foiFoi de sergent! j’ai le frisson quand il ce vieux passe près de moi... La ;
la nuit, jamais il ne dort. Si ; si je m’éveille, sa voix retentit comme le bourdonnement des
cloches, et je lui entends faire ses conjurations en dans la langue diabolique. Lui de
l’enfer; lui as-tu jamais vu manger une honnête croûte de pain, une fouace faite par la
main d’un talmellier catholique?... Sa peau brune a été cuite et hâlée par le feu de
l’enfer... Il y a, jour Jour de Dieu! dans ses yeux exercent un charme, comme dans ceux
d’un serpent. Or,des serpents! Jacqueline, je ne veux pas de ces deux hommes-là chez
moi. Je vis trop près de la justice pour ne pas savoir qu’il faut ne jamais rien avoir rien à
démêler avec elle. Tu mettras nos deux locataires à la porte: le vieux, parce qu’il m’est
suspect;, le jeune, parce qu’il est trop mignon. L’un et l’autre ont l’air de ne point hanter
les chrétiens. Ils , ils ne vivent certes pas comme nous. Le vivons; le petit regarde
toujours la lune, les étoiles et les nuages, en sorcier qui guette l’heure de monter sur son
balai; et l’autre, sournois, se sert bien certainement de ce pauvre enfant pour quelque
sortilége... Mon bouge est déjà sur la rivière, et c’estj’ai assez d’une de cette cause de
ruine sans y attirer le feu du ciel ou l’amour d’une comtesse.¶ – J’ai dit. Ne bronche
pas...¶
Malgré le despotisme qu’elle exerçait au logis, Jacqueline resta stupéfaite en entendant
l’espèce de réquisitoire fulminé par le sergent contre ses deux hôtes.¶ En ce moment, elle
regarda machinalement la fenêtre de la chambre où logeait le vieillard, et frissonna
d’horreur en y rencontrant tout à coup la face sombre et mélancolique, le regard profond
qui faisaient tressaillir même le sergent, tout quelque habitué qu’il fût à voir des
criminels.¶
A cette époque, petits et grands, clercs et laïques, tout tremblait à la pensée d’un pouvoir
surnaturel, et le . Le mot de magie était aussi puissant que la lèpre pour briser les
sentimenssentiments, rompre les liens sociaux, et glacer la pitié dans les cœurs les plus
généreux.¶ La femme du sergent pensa soudain qu’elle n’avait jamais vu ses deux hôtes
faisant acte de créatures humaines.créature humaine. Quoique la voix du plus jeune fût
douce et mélodieuse comme les sons d’une flûte, elle l’entendait si rarement, qu’alors elle
fut tentée de la prendre pour l’effet d’un sortilége. En se rappelant l’étrange beauté de son
ce visage blanc et rose;, en revoyant, par le souvenir, sa cette chevelure blonde et les
feux humides de son ce regard étincelant, elle crut y reconnaître les artifices du démon.
Elle se souvint d’être restée pendant des journées entières sans avoir entendu le plus léger
bruit chez les deux étrangers. Où étaient-ils pendant ces longues heures?...¶ Tout à coup,
les circonstances les plus singulières revinrent en foule à sa mémoire. Alors, elle Elle fut
complètementcomplétement saisie par la peur, et voulut voir une preuve de magie dans
l’amour que la riche dame portait à ce jeune Godefroy, pauvre orphelin, venu de Flandre
à Paris pour étudier à l’Université.¶ Elle mit promptement la main dans une de ses
poches, en tira vivement quatre livres tournois en grands blancs; et, regardant, et regarda
les pièces avec une avarice mêléepar un sentiment d’avarice mêlé de crainte...¶
– Ce n’est pourtant pas là de la fausse monnaie?... dit-elle en montrant les sous d’argent à
son mari.¶ – Puis, ajouta-t-elle, comment les mettre hors de chez nous après avoir reçu
d’avance le loyer de l’année?...¶ prochaine?¶
– Tu consulteras le doyen du chapitre..., répondit le sergent. N’est-ce pas à lui de nous
dire comment il fautnous devons nous comporter avec des êtres extraordinaires?¶
– Oh! oui, bien extraordinaires..., s’écria Jacqueline. Et c’est une Voyez la malice à eux
que de! venir se gîter dans le giron même de Notre-Dame!...¶ – Mais, reprit-elle, avant de
consulter le doyen, pourquoi ne pas prévenir cette noble et digne dame du danger qu’elle
court?...¶?¶
En achevant ces paroles, Jacqueline et le sergent, qui n’avait pas perdu un coup de dent,
rentrèrent au logis. Tirechair, en homme vieilli dans les ruses de son métier, feignit de
prendre l’inconnue pour une véritable ouvrière; mais cette indifférence apparente laissait
percer la crainte d’un courtisan qui respecte un royal incognito.¶ En ce moment, six
heures sonnèrent au clocher de Saint-Denis-du-Pas, petite église qui se trouvait entre
Notre-Dame et le port Saint-Landry, la première cathédrale bâtie à Paris, au lieu même où
saint Denis a été mis sur le gril, disent les chroniques. Aussitôt l’heure vola de cloche en
cloche par toute la cité. Et alors, Cité. Tout à coup des cris confus s’élevèrent sur la rive
gauche de la Seine, derrière Notre-Dame, à l’endroit où fourmillaient les écoles de
l’Université.¶ A ce signal, le vieil hôte de Jacqueline marcha se remua dans sa chambre;
et bientôt, le . Le sergent, sa femme et l’inconnue entendirent ouvrir et fermer
brusquement une porte, et le pas lourd de l’étranger retentit sur les marches de l’escalier
intérieur.¶ Grâce aux Les soupçons du sergent, donnaient à l’apparition de ce
personnage devenait un événement plein d’intérêt.¶ Les si haut intérêt, que les visages de
Jacqueline et du sergent offrirent tout à coup une expression si bizarre que la dame,
rapportantdont fut saisie la dame. Rapportant, comme toutes les personnes qui aiment,
l’effroi du couple à son protégé, fut saisie d’une crainte vague, etl’inconnue attendit avec
une sorte d’inquiétude le dénoûment de ce soudain mystère.¶l’événement qu’annonçait la
peur de ses prétendus maîtres.¶
L’étranger resta pendant un instant sur le seuil de la porte à pour examiner les trois
personnes qui étaient dans la salle, en paraissant y chercher son compagnon. Le regard
qu’il leur y jeta, tout quelque insouciant qu’il fût, remua puissammenttroubla les cœurs. Il
était vraiment impossible, à tout le monde, et même à un homme ferme, de ne pas avouer
que la nature avait départi des pouvoirs exorbitansexorbitants à cet être en apparence
surnaturel.¶ Quoique ses yeux fussent assez profondément enfoncés sous les grands
arceaux dessinés par ses sourcils, ils étaient, comme ceux d’un milan, enchâssés dans des
paupières si larges et bordés d’un cercle noir si vivement marqué sur le haut de sa joue,
que leurs globes semblaient être en saillie. Le feu de cetCet œil magique avait je ne sais
quoi de despotique et de perçant qui saisissait l’âme. C’était par un regard pesant et plein
de pensées, un regard brillant et lucide comme celui des serpensserpents ou des oiseaux,;
mais qui stupéfiait, qui écrasait, par la véloce communication trop vive d’un immense
malheur ou d’une de quelque puissance surhumaine.¶ Puis, dans cet homme, tout Tout
était en harmonie avec ce regard de plomb et de feu, fixe et mobile, sévère et calme. Si,
dans ce grand œil d’aigle, les agitations terrestres semblaient paraissaient en quelque
sorte éteintes, le visage maigre et sec portait aussi les traces de passions malheureuses
passions et d’événemenset de grands événements accomplis. Il était maigre et sec. Le nez
tombait droit et se prolongeait de telle sorte que les narines paraissaient semblaient le
retenir. Tous lesLes os de la face étaient nettement accusés, et par des rides droites et
longues en qui creusaient les joues décharnées. Tout ce qui formait un creux dans sa
figure paraissait sombre. Vous eussiez dit le lit d’un torrent desséché, mais où la violence
de l’ouragan des eaux écoulées était attestée par la profondeur des sillons, qui trahissaient
quelque lutte horrible, éternelle. Deux larges plis, partant de chaque côté de son nez,
semblablesSemblables à la trace laissée par les rames d’une barque sur les ondes, de
larges plis partant de chaque côté de son nez accentuaient fortement son visage, en
donnantet donnaient à sa bouche, ferme et sans sinuosités, un caractère d’amère tristesse.
Enfin, tout ce qui formait un creux dans sa figure paraissait sombre; mais Au-dessus de
l’ouragan peint sur ce visage, son front tranquille s’élançait avec une sorte de hardiesse et
le couronnait ce visage comme d’un monument de d’une coupole en marbre.¶ Il
L’étranger gardait cette attitude intrépide et sérieuse que contractent les hommes habitués
au malheur, et faits par la nature pour affronter avec impassibilité une foule furieuse, un
danger imminent, les foules furieuses, et pour tout regarder en face. les grands dangers. Il
semblait se mouvoir dans une sphère à lui, d’où il planait au -dessus de l’humanité.
Comme Ainsi que son regard, son geste était d’une irrésistible possédait une irrésistible
puissance; ses mains décharnées étaient celles d’un guerrier; s’il fallait baisser les yeux
quand les siens plongeaient sur vous, ouil fallait également trembler quand sa parole etou
son actiongeste s’adressaient à votre âme. Il marchait entouré d’une majesté silencieuse et
terrible; ses mains décharnées étaient celles d’un guerrier; et vous l’auriez pris qui le
faisait prendre pour un despote sans gardes, pour un dieuquelque Dieu sans rayons.¶
Son costume ajoutait encore à toutes les aux idées que faisaient naîtrequ’inspiraient les
singularités de sa démarche ou de sa physionomie, et complétait admirablement cet être
surprenant, de sorte que l’âme. L’âme, le corps et l’habit s’harmoniaient ainsi de manière
à impressionner les imaginations les plus froides.¶ L’étranger Il portait une espèce de
surplis en drap noir, sans manches, qui s’agrafait par- devant et descendait jusqu’à mijambe, en lui laissant le coucol nu et, sans rabat. Son justeaucorpsjustaucorps et ses
bottines étaient noirs., tout était noir. Il avait sur la tête une calotte en velours, semblable
à celle d’un prêtre, et qui traçait une ligne circulaire au -dessus de son front sans qu’un
seul cheveu s’en échappât. C’était le deuil le plus rigide et l’habit le plus sombre dont
qu’un homme pût être revêtu.prendre. Sans une longue épée qui pendait à son côté,
soutenue par un ceinturon de cuir, et que l’on apercevait à la fente du surtout noir, un
ecclésiastique l’eût salué comme un frère. Quoiqu’il fût de taille moyenne, il paraissait
grand, surtout quand on ne regardait que son ; mais en le regardant au visage, il était
gigantesque.¶
– L’heure a sonné!..., la barque attend! Ne , ne viendrez-vous pas?¶
Ces A ces paroles, prononcées en mauvais français, retentirent dans lemais qui furent
facilement entendues au milieu du silence grave qui régnait alors.¶ A ces mots, un léger
frémissement se fit entendreretentit dans l’autre chambre;, et tout à coup, descendant
l’escalier comme un oiseau, le jeune homme apparut.¶ en descendit avec la rapidité d’un
oiseau. Quand ilGodefroid se montra, le visage de la dame s’empourpra, elle trembla,
tressaillit, et se fit un voile de ses mains blanches.¶ Toute femme eût partagé cette
émotion profonde en contemplant un homme de vingt ans environ, mais dont la taille et
les formes étaient si frêles qu’au premier coup d’œil vous eussiez cru voir un enfant ou
quelque jeune fille déguisée. Son chaperon noir, semblable au béret des Basques, laissait
apercevoir un front blanc comme de la neige, où la grâce et l’innocence étincelaient, en
exprimant une suavité divine, reflet d’une âme pleine de foi naïve; et l’imagination des
poëtes. L’imagination des poètes aurait voulu y chercher cette étoile que, dans je ne sais
quel conte, une mère pria la fée-marraine d’empreindre sur le front de son enfant
abandonné, comme Moïse au gré des flots. Il y avait de l’amourL’amour respirait dans les
milliers de boucles blondes qui retombaient sur ses épaules. Son cou, véritable cou de
cygne, était blanc et d’une admirable rondeur, véritable cou de cygne!. Ses yeux bleus,
pleins de vie, et limpides, semblaient réfléchir le ciel. Il avait un regard enivrant; puis,
lesLes traits de son visage, la coupe, le teint, de son front étaient d’un fini, d’une
délicatesse à ravir un peintre. La fleur de beauté qui nous émeut si puissamment sur , dans
les figures de femmes, nous cause d’intarissables émotions, cette exquise pureté dans les
des lignes, cette lumineuse auréole posée sur des traits adorés, se mariaient, à des teintes
mâles, à une puissance, à une fermeté encore adolescente, qui formaient de délicieux
contrastes. C’était enfin un de ces visages mélodieux qui, muets, nous parlent, et nous
attirent; et lui, un de ces êtres privilégiés auxquels la nature a donné le pouvoir de plaire
par leur simple aspect. Cependantnéanmoins, en le contemplant avec un peu d’attention,
vous auriez peut-être y aurait-on reconnu cette l’espèce de flétrissure que nous
qu’imprime une grande pensée ou la passion, dans la vierge blancheur de la peau, et dans
une verdeur mate qui le faisait ressembler sa charmante figure à une jeune feuille se
dépliant au soleil ses tendres linéamens.¶. Aussi, jamais opposition ne fut-elle plus
brusque etni plus vive queque l’était celle offerte par la réunion de ces deux êtres.¶ Il
semblait voir un gracieux et faible arbuste né dans le creux d’un vieux saule, dépouillé
par le temps, sillonné par la foudre, décrépit, un de ces saules majestueux, l’admiration
des peintres, des poëtes. Le ; le timide arbrisseau s’y met à l’abri des orages.¶ L’un était
un dieuDieu, l’autre était un ange:; celui-ci, le poëtepoète qui sent;, celui-là, le poëtepoète
qui traduit: enfin c’étaient le ; un prophète souffrant et le , un lévite en prières.¶ Ils Tous
deux passèrent en silence et sans saluer.¶
– Avez-vous vu comme il l’a sifflé?.... s’écria le sergent de ville au moment où les le pas
des deux étrangers ne s’entendirents’entendit plus sur la grève. N’est-ce point un diable
avec et son page?...¶?¶
– Ouf!... répondit Jacqueline, j’étais oppressée. Jamais je ne les avais examinésn’avais
examiné nos hôtes si attentivement. Est-ceIl est malheureux, pour nous autres femmes,
que le démon puisse prendre un aussi gentil visage!...¶!¶
– Oui, jette-lui de l’eau bénite, s’écria Tirechair, et tu le verras se changer en crapaud... Je
vais aller tout dire à l’officialité.....¶
AEn entendant ce mot, la dame, se réveillant de la rêverie dans laquelle elle était plongée,
et regarda le sergent, qui déjà mettait sa casaque bleue et rouge:¶.¶
– Où courez-vous?... dit-elle.¶
– Mais... informer– Informer la justice que nous logeons des sorciers, bien à notre corps
défendant.¶
L’inconnue se prit à sourire.¶
– Je suis la comtesse Mahaut!..., dit-elle en se levant avec une dignité qui rendit le sergent
tout pantois.¶ – Gardez-vous, reprit-elle, de faire la plus légère peine à vos hôtes.
Honorez surtout le vieillard. Je , je l’ai vu chez le roi votre seigneur, qui l’a courtoisement
accueilli. Vous, vous seriez mal avisé de lui causer le moindre encombre. Quant à mon
séjour chez vous, n’en sonnez mot!... –, si vous aimez à vivre en paix...¶la vie.¶
La comtesse se tut et retomba dans sa méditation; mais, relevant. Elle releva bientôt la
tête, elle fit un signe à Jacqueline;, et, toutes deux, montèrent alors à la chambre de
Godefroy.¶Godefroid. La belle comtesse regarda le lit, les chaires de bois, le bahut, les
tapisseries, la table, avec un bonheur semblable à celui du banni qui contemple, en
rentrantau retour, les toits pressés de sa ville natale, assise au pied d’une colline.¶
– Si tu ne m’as pas trompée, dit-elle à Jacqueline, je te promets cent écus d’or...¶
– Tenez, madame, répondit l’hôtesse, le pauvre ange est sans méfiance, et voici tout son
bien!...¶!¶
Disant cela, Jacqueline ouvrait un tiroir de la table, et montrait quelques parchemins.¶
– O Dieu de bonté,! s’écria la comtesse en saisissant un contrat qui attira soudain son
attention, et où elle lut:¶: GOTHOFREDUS COMES GANTIACUS. (Godefroid, comte
de Gand.)¶
– Gothofredus comes Gantiacus!¶Elle laissa tomber le parchemin, passa la main sur son
front; etmais, se trouvant sans doute compromise en faisant ainside laisser voir son
émotion à Jacqueline, elle reprit une contenance froide.¶
– Je suis contente!... dit-elle.¶
Puis elle descendit et sortit de la maison.¶ Le sergent et sa femme, s’étant mis se mirent
sur le seuil de leur porte, et lui virent prendre le chemin du port. Un bateau se trouvait
amarré près de là. Quand le frémissement du pas de la comtesse put être entendu, un
marinier se leva soudain, aida la belle ouvrière à s’asseoir sur un banc, et rama de
manière à faire voler le bateau comme une hirondelle, en aval de la Seine.¶
– Es-tu bête?...! dit Jacqueline en frappant familièrement sur l’épaule du sergent. Nous
avons gagné ce matin cent écus d’or!...¶
– Je n’aime pas plus à loger des seigneurs que loger des sorciers. Je ne sais qui des uns ou
des autres nous mènent plus vitement au gibet..., répondit Tirechair en prenant sa
hallebarde.¶ – Je vais, reprit-il, aller voirfaire ma ronde du côté de Champfleuries si la
lisière est toujours pire que le drap.... Ah! que Dieu nous protége, et me fasse rencontrer
quelque Galloisegalloise ayant mis ce soir ses anneaux d’or pour briller dans l’ombre
comme un ver luisant!...¶!¶
Jacqueline, restée seule au logis, monta précipitamment dans la chambre du seigneur
inconnu, pour tâcher d’y trouver quelques renseignemensrenseignements sur cette
mystérieuse affaire. Semblable à ces savanssavants qui se donnent des peines infinies
pour compliquer les principes clairs et simples de la nature, elle avait déjà bâti un roman
informe qui lui servait à expliquer la réunion de ces trois personnages sous son pauvre
toit. Elle fouilla le bahut, examina tout, et ne put rien découvrir d’extraordinaire: . Elle vit
seulement elle vit sur la table une écritoire et quelques feuilles de parchemin; mais
comme elle ne savait pas lire, cette trouvaille ne pouvait lui rien apprendre.¶ Un
sentiment de femme la ramenant dans la chambre du beau jeune homme, d’où elle aperçut
par la croisée ses deux hôtes qui traversaient la Seine dans le bateau du passeur.¶
– Ils sont comme deux statues!..., se dit-elle. – Ah! ah! ils abordent devant la rue du
Fouarre! –. Est-il leste le petit mignon!... Il il a sauté à terre comme un bouvreuil... Près
de lui, le vieux ressemble à une quelque saint de pierre de la cathédrale... Ils vont à
l’ancienne école des Quatre-Nations.... Prest!... je ne les vois plus.¶ – C’est là qu’il
respire, ce pauvre chérubin!? ajouta-t-elle en regardant les meubles de la chambre. Est-il
galant et plaisant! Ah! ces seigneurs, c’est autrement fait que nous.¶
Et Jacqueline descendit après avoir passé la main sur la couverture du lit, épousseté le
bahut, et s’être demandé pour la centième fois depuis six mois:¶: – A quoi diable passe-til toutes ses saintes journées?... Il ne peut pas toujours regarder dans le bleu du temps et
dans les étoiles que Dieu a misespendues là-haut!... Ce comme des lanternes. Le cher
enfant a du chagrin... Mais pourquoi le vieux maître et lui ne se parlent-ils presque
point?¶ Puis, elle se perdit dans ses pensées, qui, dans sa cervelle de femme, se
brouillaientbrouillèrent comme un écheveau de fil.¶
¶
II.
LE DOCTEUR EN THÉOLOGIE MYSTIQUE.¶
¶
¶
LE Le vieillard et le jeune homme étaient entrés en effet dans une des écoles qui
rendaient à cette époque la rue du Fouarre si célèbre en Europe.¶ L’illustre Sigier, le plus
fameux docteur en théologieThéologie mystique de l’Université de Paris, montait à sa
chaire au moment où les deux locataires de Jacqueline arrivèrent à l’ancienne école des
Quatre-Nations, dans une grande salle basse, de plain-pied avec la rue.¶ Les dalles froides
étaient garnies de paille fraîche, sur laquelle un bon nombre d’étudiansd’étudiants avaient
tous un genou appuyé, et l’autre relevé, pour sténographier l’improvisation du maître à
l’aide de ces abréviations qui font le désespoir de nos modernes des déchiffreurs.¶
modernes. La salle était pleine, non -seulement d’écoliers, mais encore des hommes les
plus distingués du clergé, de la cour et de l’ordre judiciaire. Il y avaits’y trouvait des
savanssavants étrangers, des gens d’épée et de riches bourgeois.¶ Là se rencontraient ces
faces larges, ces fronts protubéransprotubérants, ces barbes vénérables qui nous inspirent
une sorte de religion pour nos ancêtres à l’aspect des portraits du moyen âge.Moyen-Age.
Des visages maigres aux yeux brillansbrillants et enfoncés, surmontés de crânes jaunis
dans les fatigues d’une scolastique impuissante, la passion favorite du siècle,
contrastaient avec de jeunes têtes ardentes, avec des hommes graves, avec des figures
guerrières, avec les faces joues rubicondes de quelques financiers.¶ Ces leçons, ces
dissertations, ces thèses soutenues par les génies les plus brillansbrillants du treizième et
du quatorzième siècle, excitaient l’enthousiasme de nos pères. Elles ; elles étaient leurs
combats de taureaux, leurs Italiens, leur tragédie, leurs grands danseurs, tout leur théâtre
enfin; car les . Les représentations de mystères ne vinrent même qu’après ces luttes
spirituelles. Alors donc, une qui peut-être engendrèrent la scène française. Une éloquente
inspiration qui réunissait l’attrait de la voix humaine habilement maniée, les subtilités de
l’éloquence, et des recherches hardies dans les secrets de Dieu, satisfaisait alors à toutes
les curiosités, émouvait les âmes, et composait le spectacle à la mode.¶ Alors, la
théologie La Théologie ne résumait toutespas seulement les sciences;, elle était la science
même, et ouvraitcomme le fut autrefois la Grammaire chez les Grecs, et présentait un
fécond avenir à ceux qui se distinguaient dans ces duels, où, comme Jacob, les orateurs
combattaient avec l’esprit de Dieu. Les ambassades, les arbitrages entre les souverains,
les chancelleries, les dignités ecclésiastiques, appartenaient aux hommes dont la parole
s’était aiguisée dans les controverses théologiques. La chaire était devenue puissante par
l’habitude des controverses théologiques. C’était la tribune de l’époque. Ce système vécut
jusqu’au jour où Rabelais immola l’ergotisme sous ses terribles moqueries, comme
Cervantes tua la chevalerie avec une comédie écrite.¶
Pour comprendre ce siècle extraordinaire, l’esprit qui en dicta les chefs-d’œuvre, et même
inconnus aujourd’hui, quoique immenses, enfin pour s’en expliquer tout jusqu’à la
barbarie, il suffit d’étudier les constitutions de l’Université de Paris, et d’examiner
l’enseignement bizarre qui était alors en vigueur.¶ La théologie La Théologie se divisait
en deux facultés:Facultés, celle de théologie THÉOLOGIE proprement dite, et celle de
décret.¶DÉCRET. La facultéFaculté de théologieThéologie avait trois sections: la
scolastiqueScolastique, la canoniqueCanonique et la mystique.¶Mystique. Il serait
fastidieux d’expliquer les attributions de ces diverses parties de la science, puisqu’une
seule nous intéresse.¶ Donc, la Mystique, est le sujet de cette étude. La THÉOLOGIE
MYSTIQUE embrassait les l’ensemble des révélations divines et l’explication des
mystères.¶ Cette branche de l’ancienne théologie est la seule qui soitsecrètement restée en
honneur parmi nous. Jacob Bœhm, Swedenborg, Martinez Pasqualis, Saint-Martin;,
Molinos, mesdames Guyon, Bourignon et Krudener;, la grande secte des
extatiquesExtatiques, celle des illuminésIlluminés, ont, à diverses époques, dignement
conservé les doctrines de cette science, dont le but a quelque chose d’effrayant et de
gigantesque. Aujourd’hui, comme au temps du docteur Sigier, il s’agit de donner à
l’homme des ailes pour pénétrer dans le sanctuaire où Dieu se cache à nos regards.¶
Cette digression était nécessaire pour l’intelligence de la scène à laquelle le vieillard et le
jeune homme partis du terrain Notre-Dame venaient assister. Puis; puis elle nous
défendra de tout reproche. Quelques cette Étude, que certaines personnes hardies à juger
auraient pu nous accuser d’un poétique pourraient soupçonner de mensonge et nous taxer
d’hyperbole.¶
Le docteur Sigier était un grand homme, de haute taille et dans la force de l’âge. Sa
figure, sauvéeSauvée de l’oubli par les fastes universitaires, sa figure offrait de frappantes
analogies avec celle de Mirabeau. Elle était marquée du au sceau de l’éloquence, d’une
éloquence impétueuse, animée, terrible; mais le . Le docteur avait, sur le au front, les
signes d’une croyance religieuse et d’une ardente foi qui manquèrent à son successeur;
enfin sa Sosie. Sa voix possédait de plus une douceur persuasive, un timbre éclatant et
flatteur.¶
En ce moment, le jour que les fenêtrescroisées à petits vitraux garnis de plomb
répandaient avec parcimonie, colorait cette assemblée de teintes capricieuses, en y créant
çà et là desde vigoureux contrastes curieux par les oppositions, par les mélanges d’une
lumière douce, avec de visibles par le mélange de la lueur et des ténèbres. Ici des yeux
étincelaient en des coins brunsobscurs; là de noires chevelures étaient, caressées par des
rayons, et semblaient lumineuses au -dessus de quelques visages ensevelis dans l’ombre;
puis quelques , plusieurs crânes découronnés, conservant une faible ceinture de cheveux
blancs, apparaissaient au milieu d’un clair obscur, -dessus de la foule comme des
créneaux argentés par la lune, dans une douce nuit; mais toutes ces . Toutes les têtes,
tournées vers le docteur, restaient muettes, impatientes. Les voix monotones des autres
professeurs, dont les écoles étaient voisines, retentissaient seules dans la rue silencieuse.¶
Alors, les comme le murmure des flots de la mer. Le pas des deux inconnus, qui
arrivaient qui arrivèrent en ce moment, attirèrent attira l’attention; et le générale. Le
docteur Sigier, prêt à prendre la parole, voyant vit le majestueux vieillard debout, lui
chercha de l’œil une place. N’en, et n’en trouvant pas, tant la foule était grande, il
descendit de sa tribune, vint à lui d’un air respectueux, et le fit asseoir sur l’escalier de la
chaire, en lui prêtant son escabeau.¶ L’assemblée accueillit cette faveur par un long
murmure d’approbation, en reconnaissant dans le vieillard le héros d’une admirable thèse
récemment soutenue à la Sorbonne. Quand l’inconnu fut placé, qu’il L’inconnu jeta sur
l’auditoire, au -dessus duquel il planait, ce puissant et profond regard qui racontait tout un
poëmepoème de malheurs et de mélancolies, plus d’une âme éprouva, et ceux qu’il
atteignit éprouvèrent d’indéfinissables tressaillemens.¶ tressaillements. L’enfant,
épousant le sort de l’inconnu, qui suivait le vieillard s’assit sur une des marches, et
s’appuya contre la chaire, dans une pose ravissante de grâce et de tristesse.¶ Alors le Le
silence devint profond, et le seuil de la porte, la rue même , furent obstrués en peu
d’instansd’instants par une foule d’écoliers qui désertèrent les autres classes.¶
Le docteur Sigier devait résumer, en un dernier discours, les théories qu’il avait données
sur la résurrection, sur le ciel et l’enfer, dans ses leçons précédentes.¶ Sa curieuse
doctrine répondait aux sympathies de l’époque, et satisfaisait à ces désirs immodérés du
merveilleux qui tourmentent les hommes à tous les âges du monde. Cet effort exorbitant
de l’homme pour saisir un infini qui échappe sans cesse à ses mains débiles, ce dernier
assaut de la pensée avec elle-même, était une œuvre digne d’une assemblée où brillaient
alors toutes les lumières de ce siècle, où scintillait peut-être la plus vaste des imaginations
humaines.¶ D’abord, le docteur rappela simplement, d’un ton doux et sans emphase, les
principaux points précédemment établis.¶
« Aucune intelligence ne se trouvait égale à une autre.¶ L’homme était-il en droit de
demander compte à son créateur de l’inégalité des forces morales données à chacun?¶
Sans vouloir pénétrer tout à coup les desseins de Dieu, ne devait-on pas reconnaître, en
fait, que, par suite de leurs dissemblances générales, les intelligences se divisaient en de
grandes sphères?¶ Depuis la sphère où brillait le moins d’intelligence jusqu’à celle la plus
translucide où les âmes arrivaient à une vue translucideapercevaient le chemin pour aller
à Dieu, n’existait-il pas une gradation réelle de spiritualité?¶ Les les esprits appartenant à
une même sphère ne s’entendaient-ils pas fraternellement, en âme, en chair, en pensées,
en sentimens?.....¶, en sentiment? »¶
Là, le docteur développait de merveilleuses théories, relatives aux sympathies, expliquant
. Il expliquait dans un langage biblique tous les phénomènes de l’amour, les répulsions
instinctives, les pressentimens, les attractions vives qui méconnaissent les lois de
l’espace, les cohésions soudaines des âmes qui semblent se reconnaître. Puis, quantQuant
aux divers degrés de force dont nos amitiés, nos haines et nos affections étaient
susceptibles nos affections, il les résolvait par la place plus ou moins rapprochée du
centre que les êtres occupaient dans leurs cercles respectifs.¶ Alors, il Il révélait
sophistiquementmathématiquement une grande pensée de Dieu dans la coordination des
différentes sphères humaines.¶ Par l’homme, elles créaient, disait-il, ces sphères créaient
un monde intermédiaire entre l’intelligence de la brute et l’intelligence des anges.¶
Selon lui, la Parole divine nourrissait la Parole spirituelle, la Parole spirituelle nourrissait
la Parole animée, la Parole animée nourrissait la Parole animale, la Parole animale
nourrissait la Parole végétale, et la Parole végétale exprimait la vie de la parole stérile.
Les successives transformations de chrysalide que Dieu imposait ainsi à nos âmes, et
cette espèce de vie infusoire qui, d’une zone à l’autre, se communiquait toujours plus
vive, plus spirituelle, plus clairvoyante, développaientdéveloppait confusément, mais
assez merveilleusement peut-être pour ses auditeurs inexpérimentés, le mouvement
imprimé par le Très-Haut à toute la nature.¶la Nature. Secouru par lesde nombreux
passages des empruntés aux livres sacrés, dontet desquels il se servait pour se commenter
lui-même, pour exprimer par des images sensibles et saillantes les raisonnemensles
raisonnements abstraits qui lui manquaient, il secouait l’esprit de Dieu, comme une
torche, à travers les profondeurs de la création, avec une impétueuse éloquence qui lui
était propre et dont les accensaccents sollicitaient la conviction de son auditoire.¶ Ainsi,
déroulant Déroulant ce système mystérieux système dans toutes ses conséquences, il
donnait la clef de tous les symboles, justifiantjustifiait les vocations, les dons particuliers,
les génies, les talenstalents humains.¶ Devenant tout à coup physiologiste par instinct, il
rendait compte des ressemblances animales inscrites sur les figures humaines, par des
analogies avec nos origines primordiales et par le mouvement ascendant de toute la
création. Il vous faisait assister au jeu de la nature, assignantassignait une mission, un
avenir à la plante, aux minéraux, à la plante, à l’animal. La Bible à la main, après avoir
spiritualisé la matièreMatière et matérialisé l’espritl’Esprit, après avoir fait entrer la
volonté de Dieu en tout, et imprimé du respect pour ses moindres œuvres, il admettait la
possibilité de parvenir par la foi d’une sphère à une autre.¶
Telle était fut la première partie de son discours, dont il appliquait,en appliqua par
d’adroites digressions, les doctrines au système de la féodalité. La poésie religieuse et
profane, l’éloquence abrupte du temps, avaient une large carrière dans cette immense
théorie, où venaient se fondre tous les systèmes philosophiques de l’antiquité.¶
, mais d’où le docteur les faisait sortir, éclaircis, purifiés, changés. Les faux dogmes des
deux principes et ceux du panthéisme tombaient sous sa parole qui proclamait l’unité
divine en laissant à Dieu et à ses anges la connaissance des fins dont les moyens
éclataient si magnifiques aux yeux de l’homme. Armé des démonstrations mystiques du
par lesquelles il expliquait le monde réelmatériel, le docteur Sigier construisait un autre
monde intermédiaire,spirituel dont les sphères graduellement élevées nous séparaient de
Dieu, comme la plante était éloignée de nous par une infinité de cercles à franchir.¶
Alors il Il peuplait le ciel, les étoiles, les astres, le soleil... Au nom de saint Paul, il
investissait les hommes d’une puissance nouvelle. Il , il leur était permis de monter, de
monde en monde, jusqu’aux sources de la vie. éternelle. L’échelle mystique de Jacob était
tout à la fois la formule religieuse de ce secret divin et la preuve traditionnelle du fait.¶
Alors, il Il voyageait dans les espaces, en entraînant les âmes passionnées sur les ailes de
sa parole, faisant et faisait sentir l’infini à ses auditeurs, eten les plongeant dans l’océan
céleste, comme, de nos jours, Gœthe, dans Faust, lord Byron, dans Manfred, ont essayé
de le faire; car les tentatives désespérées de notre moderne poésie sont nécessaires à
l’intelligence des efforts bizarres de l’esprit humain en ces temps de barbarie.¶ Alors, il.
Le docteur expliquait ainsi logiquement l’enfer par d’autres cercles, disposés en ordre
inverse des sphères brillantes qui aspiraient à Dieu, et où la souffrance remplaçaitet les
ténèbres remplaçaient la lumière et l’esprit. Les tortures se comprenaient comme aussi
bien que les délices. Les termes de comparaison se rencontraientexistaient dans les
transitions de notre la vie humaine, dans ses diverses atmosphères de douleur et
d’intelligence. Ainsi les fabulations les plus extraordinaires de l’enfer et du purgatoire se
trouvaient naturellement réalisées.¶ Il déduisait admirablement les raisons fondamentales
de nos vertus.¶ L’homme pieux, cheminant dans la pauvreté, fier de sa conscience,
toujours en paix avec lui-même, et persistant à ne pas se mentir dans son cœur, malgré les
spectacles du vice triomphant, était un ange puni, déchu, qui, se souvenant se souvenait
de son origine, et pressentantpressentait sa récompense, accomplissait sa tâche, et
obéissait à sa belle mission.¶ Les sublimes résignations du christianisme
apparaissaientapparaissent alors dans toute leur gloire. Il mettait les martyrs sur leurs les
bûchers ardensardents, et les dépouillait presque de leurs mérites, en les dépouillant de
leurs souffrances, montrant . Il montrait l’ange intérieur dans les cieux, tandis que son
écorce d’homme l’homme extérieur était entre les ferremensbrisé par le fer des
bourreaux... Il montrait, il peignait, il faisait reconnaître à descertains signes célestes, à
des beautés privilégiées, des anges parmi les hommes, comme il en existait au dessus des
hommes...¶ Alors, il . Il allait alors arracher, dans les entrailles de l’entendement, le
véritable sens du mot chute, qui se retrouve en tous les langages. Il revendiquait les plus
futilesfertiles traditions, afin de démontrer la vérité de notre origine, expliquant avec une
incroyable . Il expliquait avec lucidité la passion que tous les hommes ont de s’élever, de
monter, ambition instinctive, révélation perpétuelle de notre destinée.¶ Il faisait épouser
d’un regard l’univers entier, et montraitdécrivait la substance de Dieu même, coulant à
pleins bords comme un fleuve immense, du centre aux extrémités, des extrémités vers le
centre. La nature était une et compacte; et dans . Dans l’œuvre la plus chétive en
apparence, comme dans la plus vaste, tout obéissait à cette loi. Chaque création en
reproduisait, en petit, une image exacte, soit la sève de la plante, soit le sang de l’homme
ou, soit le cours des astres.¶ Il entassait preuve sur preuve, configurantet configurait
toujours sa pensée par un tableau plein d’harmonie, mélodieux de poésie, ravissant de
grâce.¶. Il marchait, du rested’ailleurs, hardiment au -devant des objections.¶ Ainsi luimême foudroyait, sous une éloquente interrogation, les monumensmonuments de nos
sciences et toutes les superfétations humaines, pour lesquelles à la construction desquelles
les sociétés s’emparaient des élémensemployaient les éléments du monde terrestre. Il
demandait si nos guerres, si nos malheurs, si nos dépravations empêchaient le grand
mouvement imprimé par Dieu à tous les mondes?... Et alors, il Il faisait rire de
l’impuissance humaine. Il montrait en montrant nos efforts effacés partout. Il évoquait
les mânes de Tyr, de Carthage, de Babylone, ordonnant; il ordonnait à Babel, à
Jérusalem, de comparaître; et, il y cherchait, sans les trouver, les sillons éphémères de
notre la charrue... civilisatrice. L’humanité flottait sur le monde, comme un vaisseau dont
le sillage, quelque profond qu’il puisse être, disparaît sous le niveau paisible de l’Océan.¶
Telles étaient les idées fondamentales du discours prononcé par le docteur Sigier, idées
qu’il enveloppa dans le langage mystique et le latin bizarre en usage à cette époque. Les
Écritures,Les Ecritures dont il avait fait une étude particulière, lui fournissaient les armes
sous lesquelles il apparaissait à son siècle pour en presser la marche. Il couvrait, comme
d’un manteau, sa hardiesse sous un grand savoir;, et sa philosophie, sous la sainteté de ses
mœurs.¶ En ce moment, après avoir mis son audience face à face avec Dieu, après avoir
fait tenir le monde dans une pensée, et dévoilé presque la pensée du monde, il contempla
l’assemblée silencieuse, palpitante. Alors, il , et interrogea l’étranger par un regard; et,.
Aiguillonné sans doute aiguillonné par la présence de cet être singulier, il ajouta ces
paroles, que nous avons dégagées ici de la latinité corrompue du moyen -âge:¶.¶
– Où croyez-vous que l’homme puisse prendre ces vérités fécondes, si ce n’est au sein de
Dieu même? Que suis-je? Le faible traducteur d’une seule ligne léguée par le plus
puissant des apôtres, une seule ligne entre mille aussi également brillantes de lumière.¶
Avant nous tous, saint Paul avait dit: In Deo vivimus, movemusmovemur et sumus. (Nous
vivons, nous sommes, nous marchons dans Dieu même.¶.) Aujourd’hui, moins
croyanscroyants et plus savanssavants, ou moins instruits et plus incrédules, nous
demanderions à l’apôtre, à quoi bon ce mouvement perpétuel? Où va cette vie distribuée
par zones? Pourquoi cette intelligence qui commence par les perceptions confuses du
marbre, et va, de sphère en sphère, jusqu’à l’homme, jusqu’à l’ange, jusqu’à Dieu? Où est
la source, où est la mer?... Si la vie, arrivée à Dieu à travers les mondes et les étoiles, à
travers la matière et l’esprit, redescend vers un autre but?... Vous voudriez voir l’univers
des deux côtés. Vous adoreriez le souverain, à condition de vous asseoir sur son trône un
moment. Insensés que nous sommes! Nous nous refusons aux animaux les plus
intelligensintelligents le don de comprendre nos pensées et le but de nos actions;, nous
sommes sans pitié pour nos les créatures des sphères inférieures;, nous les chassons de
notre monde;, nous leur dénions la faculté de deviner la pensée humaine, et nous
voudrions connaître la plus élevée de toutes les idées!..., l’idée de l’idée! Eh! bien!, allez!,
partez! montez par la foi de globe en globe!... Volez, volez dans les espaces! La pensée,
l’amour et la foi en sont les clefs mystérieuses!. Traversez les cercles, parvenez au trône.!
Dieu est plus clément que vous ne l’êtes! Il , il a ouvert son temple à toutes ses créations;
mais . Mais n’oubliez pas l’exemple de Moïse!? Déchaussez-vous pour entrer dans le
sanctuaire, dépouillez-vous de toute souillure, quittez bien complétement votre corps,
autrement vous seriez consumés, car Dieu!... Dieu, – c’est la lumière!...¶!¶
Au moment où le docteur Sigier, la face ardente, la main levée, prononçait cette grande
parole, un rayon de soleil pénétra par un vitrail ouvert, et fit jaillir, comme par magie, une
source brillante, une longue et triangulaire bande d’or, qui revêtit l’assemblée comme
d’un lumineux linceul.¶ Aussitôt toutesd’une écharpe. Toutes les mains battirent, et les
assistanscar les assistants acceptèrent cet effet du soleil couchant comme un miracle.¶ Un
cri unanime s’éleva:¶: – Vivat! vivat!...¶ Le ciel lui-même semblait applaudir.¶ Godefroy
Godefroid, saisi de respect, regardait tour à tour le vieillard et le docteur Sigier, qui se
parlaient à voix basse.¶
– Gloire au maître!... disait l’étranger.¶
– Qu’est-ce qu’ une gloire passagère? répondait Sigier.¶
– Je voudrais éterniser ma reconnaissance, répliqua le vieillard...¶
– Eh! bien!, une ligne de vous,? reprit le docteur, me ce sera sans doute précieuse dans
l’avenir...¶me donner l’immortalité humaine.¶
– Hé! peut-on donner ce qu’on n’a point?... s’écria l’inconnu.¶
Accompagnés par la foule qui , semblable à des courtisans autour de leurs rois, se pressait
sur leurs pas, en laissant entre elle et ces trois personnages une respectueuse distance,
semblable à des courtisans autour de leurs rois, GodefroyGodefroid, le vieillard et Sigier
marchèrent vers la rive fangeuse, où alors dans ce temps il n’y avait point encore de
maisons, et où le passeur les attendait.¶ Le docteur et l’étranger ne s’entretenaient ni en
latin ni en langue gauloise;, ils parlaient gravement un langage inconnu; mais leurs. Leurs
mains s’adressaient tour à tour aux cieux et à la terre; et plus. Plus d’une fois , Sigier, à
qui les détours du rivage étaient familiers, guidait, avec un soin particulier, le vieillard
vers les planches étroites jetées comme des ponts sur la boue. L’assemblée; l’assemblée
les épiait avec curiosité, et quelques écoliers enviaient le privilége du jeune enfant qui
suivait ces deux souverains de la parole.¶ Enfin le docteur salua le vieillard, et vit partir la
toue svelte et légère le bateau du passeur...¶
Au moment où le bateau la barque flotta doucement au milieu desur la vaste étendue de la
Seine en imprimant ses secousses à l’âme de délicieuses secousses, la lune qui se levait
rouge et radieuse, le soleil, semblable à un incendie alluméqui s’allumait à l’horizon, jeta
ses rayons à traversperça les crevasses de quelques nuages, versa sur les campagnes des
torrenstorrents de lumière, colora de ses tons rouges, de ses reflets bruns, et les cimes
d’ardoises et les toits de chaume, borda de feu les tours de Philippe-Auguste, imprima sur
les maisons une couche d’or, inonda les cieux, teignit les eaux, fit resplendir les herbes,
réveilla les insectes à moitié endormis... Cette longue gerbe de lumière embrasa les
nuages... C’était comme le premier dernier vers de son hymne...l’hymne quotidien. Tout
cœur devait tressaillir; car, alors la nature fut sublime.¶ L’étranger, ayant Après avoir
contemplé ce spectacle, l’étranger eut ses paupières humectées par la plus faible de toutes
les larmes humaines, excitée par de puissans souvenirs, humecta ses paupières.¶
Godefroy. Godefroid pleurait aussi en admirant le ciel; mais, sa main palpitante ayant
rencontrérencontra celle du vieillard, celui-ci qui se retourna et , lui laissa voir son
émotion. Alors, trouvant sans doute; mais, sans doute pour sauver sa dignité d’homme
qu’il crut compromise, il lui dit d’une voix profonde:¶: – Je pleure mon pays!...¶ – Je , je
suis banni, reprit-il, banni!... Ah! jeune! Jeune homme, à cette heure même j’ai quitté ma
patrie... Mais là-bas, à cette heure, les lucioles sortaientsortent de leurs frêles demeures, et
se suspendaient,suspendent comme autant de diamans,diamants aux rameaux des
glaïeuls; à . A cette heure, la brise était douce comme la plus douce poésie; elle s’élevait ,
s’élève d’une vallée trempée de lumière, en exhalant de suaves parfums. A l’horizon, et je
voyais une ville d’or, semblable à la Jérusalem céleste, je voyais une ville d’or, une ville
dont je ne puis prononcer le nom!... ne doit pas sortir de ma bouche. Là serpentait,
serpente aussi une rivière... Cette ville, ce fleuve, dont les monumens, et ses monuments,
cette rivière dont les ravissantes perspectives, dont les nappes d’eau bleuâtres se
confondaient, se mariaient, se dénouaient..., lutte harmonieuse qui réjouissait ma vue, et
m’inspirait l’amour, où sont-ils?... A cette heure, les ondes prenaient, sous le ciel
lumineux du couchant, des teintes fantastiques, et figuraient de capricieux tableaux. Les
étoiles distillaient une lumière caressante;, la lune tendait partout ses piéges gracieux, et
elle donnait une autre vie aux arbres, aux couleurs, aux formes. Elle allait diversifiant, et
diversifiait les eaux brillantes, les collines muettes, animant les rochers, les édifices.....
Les lueurs s’allumaient alors dans les châteaux de mon pays!... mon pays, mon amour,
auxquels je disais adieu!... éloquents. La ville parlait, scintillait et ; elle me rappelait.,
elle! Des colonnes de fumée se dressaient auprès des colonnes antiques dont les marbres
étincelaient de blancheur au sein de la nuit. Les ; les lignes de l’horizon se dessinaient
encore à travers les vapeurs du soir... Tout , tout était harmonie, et mystère. La nature ne
me disait pas adieu, elle voulait me garder. Ah! c’était tout pour moi: ma mère et mon
enfant, mon épouse et ma gloire, et les ! Les cloches, elles-mêmes, pleuraient alors ma
proscription. O terre merveilleuse! elle est plus aussi belle que le ciel!... Depuis cette
heure, j’ai eu l’univers pour cachot... O ma Ma chère patrie!..., pourquoi m’as-tu
proscrit!...¶? – Mais j’y triompherai!... s’écria-t-il en jetant ce mot avec un tel accent de
conviction, et d’un timbre si éclatant, que le batelier tressaillit, en croyant entendre le son
d’une trompette.¶
Le vieillard était debout, dans une attitude prophétique, et regardait dans les airs vers le
sud, en montrant sa patrie du doigt à travers les régions du ciel. La pâleur ascétique de
son visage avait fait place à la rougeur du triomphe, ses yeux scintillaient, etétincelaient,
il était sublime comme un lion hérissant sa crinière.¶
– Et toi, pauvre enfant!... reprit-il en regardant Godefroy,Godefroid dont les joues étaient
bordées par un chapelet de gouttes brillantes, as-tu donc comme moi étudié la vie sur des
pages sanglantes? Pourquoi pleurer? Que peux-tu regretter à ton âge?...¶?¶
– Hélas! dit Godefroy,Godefroid, je regrette une patrie plus belle que toutes les la patries
de la terre, une patrie que je n’ai point vue, et dont j’ai souvenir... Oh! si je pouvais
fendre les espaces à plein vol, j’irais...¶
L’étranger – Où? dit le Proscrit.¶
– Là-haut, répondit l’enfant.¶
En entendant ce mot, l’étranger tressaillit vivement à ces paroles. Puis, arrêtant, arrêta son
regard lourd sur le jeune homme, il et le fit taire. Alors tous deux, s’entretenant dans un
fécond silence, Tous deux ils s’entretinrent par une inexplicable effusion d’âme, en
écoutant leurs yeux, vœux au sein d’un fécond silence, et voyagèrent fraternellement,
comme deux colombes qui parcourent les cieux d’une même aile, jusqu’au moment où la
barque, en touchant le sable du Terrain, les tira de leur profonde rêverie.¶
Ensevelis tous Tous deux, ensevelis dans leurs pensées, ils marchèrent en silence vers la
maison du sergent.¶
– Ainsi, disait en lui-même le grand étranger, ce pauvre petit se croit un ange banni du
ciel!.... Et qui, parmi nous, aurait le droit de le détromper?... Sera-ce moi?... Moi qui suis
enlevé si souvent par un pouvoir magique loin de la terre... Moi; moi qui appartiens à
Dieu... Moi ; moi qui suis pour moi-même un mystère... N’ai-je donc pas vu le plus beau
des anges vivant dans cette boue?... Cet enfant est-il donc plus ou moins insensé que
moi?je le suis? A-t-il fait un pas plus hardi dans la foi?... Il croit!... Sa , sa croyance le
conduira sans doute en quelque sentier lumineux semblable à celui dans lequel je
marche... Mais, s’il est beau comme un ange, n’est-il est bienpas trop faible encore pour
résister à de si rudes combats!...¶!¶
Mais l’enfant, intimidéIntimidé par la présence de son compagnon, dont la voix
foudroyante lui exprimait ses propres pensées , comme l’éclair traduit les volontés du
ciel, l’enfant se contentait de regarder les étoiles avec les yeux d’un amant, accablé.
Accablé par un luxe de sensibilité qui lui écrasait le cœur. Il, il était là, faible et craintif,
comme un moucheron inondé de soleil. Ces deux beaux êtres comprenaient, Godefroy, la
force; et le vieillard, la faiblesse. La voix céleste de Sigier leur avait célestement déduit à
tous deux les mystères du monde moral; le grand vieillard devait les revêtir de gloire,;
l’enfant les sentir; et,sentait en lui-même sans pouvoir en rien exprimer; tous trois, ils
transfiguraient,exprimaient par de vivantes, par de nobles images, la Science, la Poésie et
le Sentiment.¶
En rentrant au logis, l’étranger s’enferma dans sa chambre, alluma sa lampe inspiratrice;,
et, se confiant au terrible démon du travail, il demandaen demandant des mots au silence,
des idées à la nuit.¶ Godefroy Godefroid s’assit au bord de sa fenêtre, regarda tour à tour
les reflets de la lune dans les eaux, étudia les mystères du ciel; et, livré. Livré à l’une de
ces extases qui lui étaient familières, il voyagea de sphère en sphère, de visions en
visions, écoutant et croyant entendre de sourds frémissemens, frémissements et des voix
d’anges;, voyant ou croyant voir des lueurs divines au sein desquelles il se perdait,
essayant de parvenir au point éloigné, source de toute lumière, principe de toute
harmonie.¶ Bientôt la grande clameur de Paris, portée au loin propagée par les eaux de la
Seine, s’apaisa, les lueurs s’éteignirent une à une dans lesen haut des maisons. Bientôt, le
silence régna dans toute son étendue. La , et la vaste cité s’endormit comme un géant
fatigué, minuit. Minuit sonna, et le. Le plus léger bruit, même la chute d’une feuille ou le
vol d’un choucas changeant de place dans les cimes de Notre-Dame, eussent alors rappelé
l’esprit de l’étranger sur la terre, ou l’âme deeussent fait quitter à l’enfant des les hauteurs
célestes...¶ vers lesquelles son âme était montée sur les ailes de l’extase. En ce moment,
le vieillard entendit avec horreur dans la chambre voisine le un gémissement sinistre d’un
mourant. Ce cri funèbrequi se confondit avec la chute d’un corps lourd; et, à la manière
dont il tombait, que l’oreille expérimentée du banni lui fit reconnaître reconnut pour être
un cadavre.¶ Il sortit précipitamment, entra chez Godefroy; et là, il vit le pauvre enfant
Godefroid, le vit gisant comme une masse informe.¶ A la lueur de la lune, il, aperçut au
cou du jeune homme une longue corde serrée à son cou et qui serpentait à terre.¶
Il avait été pendu!...¶
¶
III.
LE POÈTE.¶
LE grand vieillard releva lestement la créature d’amour et de grâce étendue à ses pieds;
et, quand il eut dénoué la corde qui serrait ce joli cou de femme légèrement meurtri
Quand il l’eut dénouée, l’enfant ouvrit les yeux. Et d’une voix douce:¶.¶
– Où suis-je?..., demanda-t-il avec une expression de plaisir.¶
– Chez vous!..., dit le vieillard en regardant, non sans une avec surprise mêlée de
curiosité, le cou de Godefroy, la corde et Godefroid, le clou auquel elle la corde avait été
attachée, et qui se trouvait encore au bout.¶
– Dans le ciel?..., répondit l’enfant d’une voix délicieuse.¶
– Oh! non... Non, sur la terre!... reprit répliqua le vieillard.¶
GodefroyGodefroid marcha dans la ceinture de lumière fantastique tracée par la lune auà
travers de la chambre dont le vitrail était ouvert; et alors, il revit la Seine frémissante, les
saules, et les herbes du Terrain; puis la . Une nuageuse atmosphère qui s’élevait au dessus des eaux comme un dais de fumée blanche.¶. A ce spectacle, pour lui désolant, il
se croisa les mains sur la poitrine, et prit une attitude de désespoir.¶ Le; le vieillard vint à
lui; et, l’étonnement peint sur la figure:¶.¶
– Vous avez voulu vous tuer?... lui demanda-t-il.¶
– Oui..., répondit Godefroy,Godefroid en laissant avec insouciance l’étranger lui passer à
plusieurs reprises les mains sur le cou, pour examiner l’endroit où les efforts de la corde
avaient porté les efforts de la corde.¶
En s’apercevant que, saufMalgré de légères contusions, le jeune homme n’avait dû peu
souffrir aucun mal, le. Le vieillard présuma que le clou, peu solide, avait promptement
cédé au poids du corps, et qu’alors, cette tentative de suicideque ce fatal essai s’était
terminée par une chute peu dangereuse.¶sans danger.¶
– Pourquoi donc, mon cher enfant, avez-vous tenté de mourir?... dit l’étranger.¶?¶
– Ah! répondit Godefroy, Godefroid ne retenant avec peine des plus les larmes qui
roulaient dans ses yeux, j’ai entendu la voix d’en haut!... Elle m’appelait par mon nom!...
Oh! je la connais!... Elle ne m’avait pas encore nommé; mais, cette fois, elle me conviait
au ciel!... Oh! quellecombien cette voix est douce!...¶ – Ne pouvant pas m’élancer dans
les cieux, repriajouta-t-il avec un geste naïf, j’ai pris pour aller à Dieu la seule route que
nous ayons...¶
– Oh!, enfant!... , enfant sublime!... s’écria le vieillard en enlaçant GodefroyGodefroid
dans ses bras et le pressant avec enthousiasme sur son cœur; oh! tu . Tu es poëte!... Tu
poète, tu sais monter intrépidement sur l’ouragan!... Ta poésie, à toi, ne sort pas de ton
cœur!... Tes vives, tes ardentes pensées, tes créations, marchent et grandissent dans ton
âme. Va, ne livre pas tes penséesidées au vulgaire!... Sois? sois l’autel, la victime et le
prêtre tout ensemble!... Tu connais les cieux, n’est-ce pas?... Tu as vu ces myriades
d’anges aux blanches plumes, aux sistres d’or, qui, tous, tendent d’un vol égal vers le
trône?... Et, et tu as admiré souvent leurs ailes, qui, sous la voix de Dieu, s’agitent comme
les touffes harmonieuses des forêts sous la tempête... Oh! quecombien l’espace sans
bornes est beau!... dis?...¶?¶
Et leLe vieillard serrait convulsivement la main de Godefroy, pendant que tous deux
contemplaientGodefroid, et tous deux contemplèrent le firmament, dont les étoiles
semblaient leur parler...¶verser de caressantes poésies qu’ils entendaient.¶
– Oh! voir Dieu!, s’écria doucement Godefroy.¶Godefroid.¶
– Enfant! reprit tout à coup l’étranger d’une voix sévère, as-tu donc si vitetôt oublié les
enseignemensenseignements sacrés de notre bon maître le docteur Sigier?... Pour revenir,
toi dans ta patrie céleste, et moi dans ma patrie terrestre, ne devons-nous pas obéir à la
voix de Dieu?... Marchons avec résignationrésignés dans les rudes chemins où son doigt
puissant a marqué notre route. Ne frémis-tu pas du danger auquel tu t’es exposé?...
Appelé Venu sans ordre, ayant dit: Me voilà!... avant le temps, ne serais- tu pas retombé
dans un monde inférieur à celui dans lequel ton âme voltige aujourd’hui?... Oh! pauvre
Pauvre chérubin égaré, ne devrais-tu pas bénir Dieu de t’avoir fait vivre dans une sphère
où tu n’entends que de célestes accords?... N’es-tu pas pur comme le cristal, jeune etun
diamant, beau comme une fleur?... Ah! si, semblable à moi, tu ne connaissais que la cité
des douleurs!... A m’y promener, je me suis usé le cœur... Oh! fouiller dans les tombes
pour leur demander d’horribles secrets; essuyer des mains altérées de sang, les compter
pendant toutes les nuits, les contempler toutes levées vers moi, en implorant un pardon
que je ne puis accorder!... Oh!; étudier les convulsions de l’assassin, et les derniers cris
de la sa victime,; écouter d’épouvantables bruits et d’affreux silences,; le silence d’un
père dévorant ses fils morts...; interroger le rire des damnés,; chercher quelques formes
humaines parmi des masses décolorées, que le crime a roulées et tordues...; apprendre des
mots que les hommes vivansvivants n’entendent pas sans mourir; toujours évoquer les
morts, pour toujours les traduire et les juger, les épouser, les traduire... est-ce donc une
vie?...¶?¶
– Arrêtez,! s’écria Godefroy;Godefroid, je ne saurais vous regarder, vous écouter
davantage! Ma raison s’égare, ma vue s’obscurcit... Vous allumez en moi un feu qui me
dévore...¶
– Il faut– Je dois cependant que je parle!continuer, reprit le vieillard en levant, en
secouant la sa main par un mouvement extraordinaire, qui produisit sur le jeune homme
l’effet d’un charme.¶
Pendant un moment, l’étranger fixa sur GodefroyGodefroid ses grands yeux éteints et
abattus; puis, il étendit le doigt vers la terre. Alors: vous eussiez cru voir alors un gouffre
entrouvert tout à coupentr’ouvert à son commandement.¶ Il resta debout, éclairé par les
indécis et vagues reflets de la lune, qui firent resplendir son front où éclata le ciel. Une
espèce de d’où s’échappa comme une lueur s’échappait de ses traits. D’abordsolaire. Si
d’abord une expression presque dédaigneuse se perdit dans les sombres plis de son
visage; il paraissait rire de la terre; mais, bientôt son regard contracta cette fixité qui
semble indiquer la présence d’un objet invisible aux organes ordinaires de la vue; et
certes. Certes, ses yeux contemplaientcontemplèrent alors les lointains tableaux que nous
garde la tombe.¶ Jamais peut-être cet homme surprenant n’eut une apparence aussi
fantastique.si grandiose. Une lutte terrible bouleversa son âme et , vint réagir sur sa forme
extérieure qui, toute puissante qu’elle ; et quelque puissant qu’il parût être, il plia comme
une herbe qui se courbe sous la brise messagère des orages...¶ Godefroy Godefroid resta
silencieux, immobile, enchanté. Une ; une force inexplicable le clouait au cloua sur le
plancher; et, comme lorsque notre attention nous arrache à nous-même, dans le spectacle
d’un incendie ou d’une bataille, il ne sentait pas sentit plus son propre corps.¶
– Veux-tu que je te dise la destinée au -devant de laquelle tu marchais, pauvre ange
d’amour?...¶ Ecoute.¶! Il m’a été donné de voir les espaces immenses, les abîmes sans fin
où vont s’engloutir les créations humaines, cette mer sans rives où court notre grand
fleuve d’hommes et d’anges. En parcourant les vastes régions des éternels supplices,
j’étais préservé de la mort par le manteau d’un immortel, parImmortel, ce vêtement de
gloire et de dû au génie et que se passent les siècles..., moi, chétif!...¶ Quand j’allaij’allais
par les campagnes de lumière où se pressent les heureux, l’amour d’une femme, les ailes
d’un ange, me soutenaient; et, porté sur son cœur, je pouvais goûter ces plaisirs ineffables
dont l’étreinte est plus dangereuse pour nous, mortels, que toutesne le sont les angoisses
du monde mauvais...¶ En accomplissant mon pèlerinage à travers les sombres régions
d’en -bas, j’étais parvenu, de douleur en douleur, de crime en crime, de punitions en
punitions, de silences atroces en cris déchirans,déchirants sur le gouffre supérieur à tous
les aux cercles de l’enfer; et, déjàl’Enfer. Déjà, je voyais, dans le lointain, la clarté du
paradis Paradis qui brillait à une distance énorme... J’étais , j’étais dans la nuit, mais sur
les limites du jour; et je . Je volais, emporté par mon guide, entraîné par une puissance
semblable à celle qui, dans pendant nos rêves, nous ravit dans les sphères invisibles aux
yeux du corps.¶, L’auréole dont qui ceignait nos fronts étaient ceints faisait fuir toutes les
ombres sur notre passage, comme une impalpable poussière. Loin de nous, les soleils de
tous les univers donnaientjetaient à peine la faible lueur des lucioles de mon pays.¶
J’allais atteindre les champs de l’air, où, vers le paradis, les masses de lumière se
multiplient, où l’on fend facilement l’azur, où les innombrables mondes jaillissent comme
des fleurs dans une prairie...¶ Là, sur la dernière ligne circulaire qui appartenait encore
aux fantômes que je laissais derrière moi, semblables à semblable à des chagrins qu’on
veut oublier, je vis une grande ombre...¶ Elle se tenait debout, Debout et dans une
attitude ardente, et cette âme dévorait les espaces du regard. Ses, ses pieds restaient
attachés par le pouvoir de Dieu sur le dernier point de cette ligne; et l’ombre y où elle
accomplissait sans cesse la tension pénible par laquelle nous projetons nos forces lorsque
nous voulons prendre notre élan, comme des oiseaux prêts à s’envoler.¶ Je reconnus un
homme.¶ Il , il ne nous regarda, ne nous entendit pas. Tous ; tous ses muscles
tressaillaient, et haletaient. Il semblait que,; par chaque parcelle de temps, il éprouvât de
nouveau,semblait éprouver sans faire un seul pas, la fatigue de traverser l’océan, par
lequel il était séparé du paradis,l’infini qui le séparait du paradis où sa vue plongeait sans
cesse, où il croyait entrevoir une image chérie...¶ Sur la dernière porte de l’enferl’Enfer
comme sur la première, je lus une expression de désespoir dans l’espérance.¶ Le
malheureux était si horriblement écrasé par je ne sais quelle force, que sa douleur passa
dans mes os et me glaça. Je me réfugiai près de mon guide, dont la protection me rendit à
la paix et au silence.¶ Semblable à la mère dont l’œil perçant voit le milan dans les airs ou
l’y devine, l’ombre poussa un cri de joie.¶ Alors, regardant Nous regardâmes là où il
regardait, et nous vîmes comme un saphir qui se détachait du petit cercle bleu qui flottait
au flottant au-dessus de nos têtes dans les abîmes de lumière. Cette éclatante étoile
descendait avec la rapidité d’un rayon de soleil quand il apparaît au matin sur l’horizon,
et que ses premières clartés glissent furtivement sur notre terre. La SPLENDEUR devint
distincte;, elle grandit; et, bientôt, j’aperçus bientôt le nuage glorieux au sein duquel vont
les anges, espèce de fumée brillante, de sueur lumineuse émanée de leur divine substance,
et qui, çà et là, pétillait pétille en langues de feu... Une noble tête, dont de laquelle il est
impossible de supporter l’éclat sans avoir revêtu le manteau, le laurier, la palme, attribut
des Puissances, s’élevait au -dessus de cette nuée aussi blanche, aussi pure que de la
neige. C’était une lumière dans la lumière! Ses ailes frémissaient semant des
éblouissemens, des ondulations dans les sphères,Ses ailes en frémissant semaient
d’éblouissantes oscillations dans les sphères par lesquelles il passait, comme passe le
regard de Dieu à travers les mondes...¶ Enfin je vis le séraphinl’archange dans sa
gloire!.... La fleur d’éternelle beauté qui décore les anges de l’Esprit brillait en lui...¶ Il
avait tenait à la main une palme verte;, et de l’autre un glaive flamboyant; la palme, pour
en décorer l’ombre pardonnée,; le glaive, pour faire reculer l’enferl’Enfer entier par un
seul geste.... Il souriait, mais tristement.¶ A son approche, nous sentîmes les parfums du
ciel qui tombèrent comme une rosée.... Dans toute la région où il se tintdemeura l’Ange,
l’air prit la couleur d’une opaledes opales, et s’agita par des ondulations dont l’ange était
le principe...¶ venait de lui. Il arriva, regarda l’ombre, et lui dit:¶: – A demain!.. .¶ Puis il
se retourna vers le ciel par un mouvement gracieux, étendit ses ailes, franchit les sphères,
comme un vaisseau fendant les ondes, qui, en un moment, laisselaissant à peine voir ses
blanches voiles dans la clarté du soleil, aux à des exilés laissés au rivage.¶ sur quelque
plage déserte. L’ombre poussa un effroyable cri auquel tous d’effroyables cris auxquels
les damnés répondirent, depuis le cercle le plus profondément enfoncé dans l’immensité
des mondes de douleur jusqu’à celui plus paisible à la surface duquel nous étions... Ce fut
un horrible concert. La plus poignante de toutes les angoisses avait fait un appel à toutes
les autres. La clameur se grossit des rugissemensrugissements d’une mer de feu qui
servait comme de base à la terrible harmonie des innombrables millions d’ombresd’âmes
souffrantes...¶ Puis tout à coup ellel’ombre prit son vol à travers la cité dolente et
descendit de sa place jusqu’au fond même de l’enferl’Enfer; elle remonta subitement,
revint, se replongea dans les cercles infinis, les parcourut dans tous les sens, semblable à
un vautour qui, mis pour la première fois dans une volière, s’épuise en efforts superflus...
L’ombre avait le droit d’errer ainsi. Elle , et pouvait traverser les zones de l’enferl’Enfer,
glaciales, fétides, brûlantes, sans participer à leurs souffrances. Elle se ; elle glissait dans
cette immensité, comme un rayon de du soleil sait se fairefait jour au sein de l’obscurité.¶
– Dieu ne lui a point infligé de punition, me dit le Maîtremaître; mais aucune de ces
âmes dont de qui tu as successivement contemplé les tortures, ne voudrait changer son
supplice contre l’espérance sous laquelle cette âme succombe...¶ En ce moment, l’ombre
revint près de nous, ramenée par une force invincible qui la condamnait à sécher sur le
bord des enfers.¶ Mon divin guide, devinant laqui devina ma curiosité dont j’étais saisi,
toucha de son rameau de laurier le malheureux, occupé peut-être à mesurer le siècle de
peine qui se trouvait entre luice moment et ce lendemain toujours fugitif.¶ Il L’ombre
tressaillit, et nous jeta un regard plein de toutes les larmes qu’il qu’elle avait déjà
versées.¶– – « Vous voulez connaître mon infortune? dit-il elle d’une voix triste. Oh!, oh!
j’aime à la raconter. Je suis ici, et ThérésaTérésa est là-haut!... Voilà? voilà tout. Sur
terre, nous étions heureux;, nous étions toujours unis. Quand je vis pour la première fois
ma chère ThérésaTérésa Donati, elle avait dix ans. Alors nous Nous nous aimâmes alors,
sans savoir ce que c’était quequ’était l’amour. Notre vie fut une même vie. Je : je
pâlissais de sa pâleur;, j’étais heureux de sa joie. Ensemble; ensemble, nous nous
livrâmes au charme de penser, de sentir, et l’un par l’autre nous apprîmes l’amour. Nous
fûmes mariés dans Crémone, et jamais nous ne connûmes nos lèvres que souriantparées
des perles du sourire, nos yeux que rayonnant; jamais rayonnèrent toujours; nos
chevelures, nos vœux ne se séparèrent. Nos pas plus que nos vœux; toujours nos deux
têtes se confondaient quand nous lisions;, toujours nos pas s’unissaient quand nous
marchions. La vie fut un long baiser, notre maison fut une vaste couche...¶ Un jour
ThérésaTérésa pâlit, et me dit pour la première fois:¶: – Je souffre!¶ Et je ne souffrais
pas!... Elle ne se releva plus. Je vis, sans mourir, ses beaux traits s’altérer, ses cheveux
d’or s’endolorir... Elle souriait pour me cacher ses douleurs; mais je les lisais dans l’azur
de ses yeux. J’y interprétais dont je savais interpréter les moindres tremblemens de leur
azur lumineux...¶tremblements. Elle me disait: – Honorino, je t’aime!... au moment où
ses lèvres blanchirent; enfin, elle serrait encore me serrait encore la main dans les
siennesses mains quand la mort les glaça...¶ Aussitôt je me tuai, pour qu’elle ne se
couchât pas seule dans le lit froid et humide de son du sépulcre, sous son drap de
marbre...¶ Elle est là-haut, Thérésa, etTérésa, moi, je suis ici. Je voulais ne pas la quitter:,
Dieu nous a séparés. – Pourquoi; pourquoi donc nous avoir unis sur la terre? – Il est
jaloux... Le paradis a été sans doute bien plus beau du jour où ThérésaTérésa y est
montée... La voyez-vous?... Elle est triste dans son bonheur... Elle, elle est sans moi! – Le
paradis doit être bien désert pour elle...¶ » – Maître, dis-je en pleurant, car je pensais à
mes amours, au moment où celui-ci souhaitera le paradis pour Dieu seulement, ne sera-til pas délivré?...¶ Le père de la poésie inclina doucement la tête en signe d’assentiment; et
nous . Nous nous éloignâmes en fendant les airs, sans faire plus de bruit que les oiseaux
qui passent quelquefois sur nos têtes quand nous sommes étendus à l’ombre d’une touffe
d’arbres.d’un arbre. Nous eussions vainement tenté d’empêcher l’infortuné de blasphémer
ainsi; car un. Un des malheurs des anges de des ténèbres est de ne pas jamais voir la
lumière, même quand ils en sont environnés. Il Celui-ci n’aurait pas compris nos paroles
.......................................................................................¶
En ce moment, le pas rapide de plusieurs chevaux retentit au milieu du silence;, le chien
aboya;, la voix grondeuse du sergent lui répondit; des cavaliers descendirent, frappèrent à
la porte;, et le bruit s’éleva tout à coup avec la violence brusque d’une détonation
inattendue...¶ Alors les Les deux proscrits, les deux poëtes,poètes tombèrent sur terre de
toute la hauteur qui nous sépare des cieux... Le douloureux brisement de cette chute
courut, comme un autre sang, dans leurs veines, mais en sifflant, en y roulant en eux des
pointes acérées et cuisantes. La Pour eux, la douleur fut en quelque sorte une commotion
électrique...¶ La lourde et sonore démarche d’un homme d’armes, dont l’épée, dont la
cuirasse et les éperons produisaient un singulier cliquetis, ferrugineux retentit dans
l’escalier; puis un soldat se montra bientôt devant l’étranger surpris.¶
– Nous pouvons rentrer à Florence, dit le soldat,cet homme dont la grosse voix parut
douce en prononçant des mots italiens.¶
– Que dis-tu?... demanda le grand hommevieillard.¶
– Les blancs triomphent!...¶!¶
– Ne te trompes-tu pas?... reprit le poëtepoète.¶
– Non, cher Dante!... répondit le soldat.¶ Et le timbre riche de sa dont la voix guerrière
exprima les frissonnements des batailles et les joies de la victoire et les frissonnemens des
batailles.¶
– A Florence!... à Florence!... O ma Florence!... cria vivement DANTE ALIGHIERI, dont
la figure resplendit.¶ Il qui se dressa sur ses pieds, regarda dans les, airs, y crut voir
l’Italie;, et alors – il devint gigantesque.¶
– A Florence, Florence!..... Florence!..... Italie! Béatrix!¶
Il était en délire.¶
– Et moi!... quand serai-je dans le ciel?... dit Godefroy qui restait, un genou en terre,
devant le poëtepoète immortel, comme un ange en face du sanctuaire.¶
– Viens à Florence!... lui dit le Dante d’un son de voix compatissant. Va!.... quand tu
verras lesses amoureux paysages du haut de Fiesolè, tu te croiras au paradis.¶
Le soldat se mit à sourire...¶ Pour la première, pour la seule fois peut-être, la sombre et
terrible figure du de Dante exprimaitrespira une joie. Il avait dans les; ses yeux, sur le et
son front, toutes exprimaient les peintures de bonheur dont qu’il a si magnifiquement
prodiguées dans son Paradis est si prodigue.. Il lui semblait peut-être entendre la voix de
Béatrix.¶ En ce moment, le pas léger d’une femme et le frémissement d’une robe
retentirent dans le silence.¶ L’aurore jetait alors ses premières clartés...¶ Alors la La belle
comtesse Mahaut entra, poussa un cri, courut à Godefroy.¶Godefroid.¶
– Viens, mon enfant,... mon fils!... Va! le il m’est maintenant permis de t’avouer! Ta
naissance est reconnue, tes droits sont sous la protection du roi de France, et tu trouveras
un paradis, ce sera dans le cœur de ta mère...¶
– Ah! jeJe reconnais la voix du ciel!..., cria l’enfant ravi.¶
Ce cri réveilla le Dante.¶Il qui regarda le jeune homme enlacé dans les bras de la
comtesse; et après avoir salué du il les salua par un regard et du gestelaissa son
compagnon d’études, qu’il laissait au d’étude sur le sein maternel...¶
– Partons!......., s’écria-t-il d’une voix tonnante. Mort aux Guelfes!..!¶
¶
Paris, octobre 1831.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DU CHEF D’ŒUVRE INCONNU ET « LE FURNE
CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
LE CHEF-D'ŒUVRE INCONNU.¶¶
A UN LORD.¶
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .¶
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .¶
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .¶
1845.¶
CHAPITRE I.¶
GILLETTE.¶¶
¶
VERSVers la fin de l’année 1612, par une froide matinée de décembre, un jeune homme,
dont le costumevêtement était de très-mince apparence, se promenait devant la porte d’une
maison située rue des Grands-Augustins, à Paris.¶ Après avoir assez long-temps marché de long
en largedans cette rue avec l’irrésolution d’un amant qui n’ose se présenter à chez sa première
maîtresse, toute quelque facile qu’elle puisse êtresoit, il finit par franchir le seuil de cette porte, et
demanda cependant si maître François PORBUS était en son logis. Sur la réponse affirmative
que lui fit une vieille femme occupée à balayer une salle basse, l’inconnu le jeune homme monta
lentement les degrés, mais lentement, et en s’arrêtants’arrêta de marche en marche, comme
quelque courtisan de fraîche date, inquiet de l’accueil que le roi va lui faire. Quand il parvint en
haut de la vis, il demeura pendant un moment sur le palier, incertain s’il prendrait le heurtoir
grotesque qui ornait la porte de l’atelier où travaillait sans doute le peintre de Henri IV, délaissé,
pour Rubens, par Marie de Médicis.¶ Le jeune homme éprouvait cette sensation profonde qui a
dû faire vibrer tous les cœursle cœur des grands artistes, quand, au fort de leur la jeunesse et de
leur amour pour l’art, ils ont abordé certains hommes un homme de génie, ou leurs chefsquelque
chef-d’œuvre.¶ Il existe dans tous les sentimenssentiments humains une fraîcheur vierge, une
fleur primitive, engendrée par un noble enthousiasme qui va toujours faiblissant jusqu’à ce que le
bonheur ne soit plus qu’un souvenir, et la gloire un mensonge. Parmi nos ces émotions fragiles,
rien ne ressemble à l’amour comme la jeune passion jeune et primordiale d’un artiste
commençant le délicieux supplice de sa destinée de gloire et de malheur, passion pleine d’audace
et de timidité, de croyances vagues et de découragemensdécouragements certains.¶ A celui qui,
léger d’argent, ou qui adolescent de génie, n’a pas vivement palpité en se présentant devant un
maître, il manquera toujours une corde dans le cœur, uneje ne sais quelle touche de pinceau, un
sentiment dans l’œuvre, une certaine expression de poésie. Si quelques fanfarons, bouffis d’euxmêmes, croient trop tôt à l’avenir, ils ne sont gens d’esprit que pour les sots.¶ A ce compte, le
jeune inconnu avait certesparaissait avoir un vrai mérite, si le talent doit se mesurer sur la cette
timidité première, sur cette pudeur indéfinissable que les gens promis à la gloire savent perdre
dans l’exercice de leur art, comme les jolies femmes perdent la leur dans celuile manége de la
coquetterie. – L’habitude du triomphe amoindrit le doute, et la pudeur est un doute peut-être!¶.¶
Le pauvre néophyte, accabléAccablé de misère et surpris en ce moment de son outrecuidance,
le pauvre néophyte ne serait pas entré chez le peintre auquel nous devons l’admirable portrait de
Henri IV, sans un secours extraordinaire qui que lui fut envoyé par envoya le hasard.¶ Un
vieillard vint à monter l’escalier. A la bizarrerie de son costume, à la magnificence de son rabat
de dentelle, à la prépondérante sécurité de sa démarche, le jeune homme devina que dans ce
personnage était un ou le protecteur ou un l’ami du peintre.¶ Se reculant alors; il se recula sur le
palier pour lui faire place, il et l’examina curieusement, espérant trouver en lui la bonne nature
d’un artiste ou le caractère serviable des gens qui aiment les arts.¶ Mais ; mais il y avaitaperçut
quelque chose de diabolique dans cette figure, et surtout ce je ne sais quoi dontqui affriande les
artistes sont friands.. Imaginez un front chauve, bombé, proéminent, retombant en saillie sur un
petit nez écrasé, retroussé du bout comme celui de Rabelais, ou de Socrate; une bouche rieuse et
ridée;, un menton court, légèrementfièrement relevé, mais garni d’une barbe grise, taillée en
pointe;, des yeux vert de mer, ternis en apparence par l’âge, mais qui, par le contraste du blanc
nacré dans lequel flottait la prunelle, devaient jeter parfois jeter des regards magnétiques au fort
de la colère ou de l’enthousiasme. Du reste, le Le visage était d’ailleurs singulièrement flétri par
les fatigues de l’âge, et plus encore par ces pensées qui creusent également l’âme et le corps; les .
Les yeux n’avaient plus de cils, et à peine voyait-on quelques traces de sourcils au -dessus de
leurs arcades saillantes.¶ Mettez cette tête sur un corps fluet et débile, entourez-la d’une dentelle
étincelante de blancheur et travaillée comme une truelle à poisson, jetez sur le pourpoint noir du
vieillard une lourde chaîne d’or..., et, vous aurez une image imparfaite de ce personnage, auquel
le jour faible de l’escalier prêtait encore une couleur fantastique. Vous eussiez dit d’une toile de
Rembrandt marchant silencieusement et sans cadre, dans la noire atmosphère créée parque s’est
appropriée ce grand peintre.¶ Il Le vieillard jeta sur le jeune homme un regard empreint de
sagacité, frappa trois coups à la porte;, et, dit à un homme valétudinaire, âgé de quarante ans
environ, étant venuqui vint ouvrir:¶: – Bonjour, maître Porbus!... lui dit-il d’une voix cassée.¶
Porbus s’inclina respectueusement et , il laissa entrer le jeune homme en le croyant amené
par l’inconnu.¶ Ce serait chose assez importante, un détail artistement historique, que de
dépeindre l’atelier de maître Porbus; mais l’histoire nous prend tellementle vieillard et s’inquiéta
d’autant moins de lui que le néophyte demeura sous le charme que doivent éprouver les peintresnés à la gorge; les descriptions sont si cruellement difficiles à bien faire l’aspect du premier
atelier qu’ils voient et plaisent si rarement aux lecteurs qui ont la prétention d’y suppléer, que
vous perdrez, ma foi! ce morceau par moi peint à l’huile, peint sur place, et dans lequel les jours,
les teintes, la poussière, les accessoires, les figures possédaient un certain mérite...¶où se révèlent
quelques-uns des procédés matériels de l’art. Un vitrage ouvert dans la voûte éclairait l’atelier de
maître Porbus. Concentré sur une toile accrochée au chevalet, et qui n’était encore touchée que
de trois ou quatre traits blancs, le jour n’atteignait pas jusqu’aux noires profondeurs des angles de
cette vaste pièce; mais quelques reflets égarés allumaient dans cette ombre rousse une paillette
argentée au ventre d’une cuirasse de reître suspendue à la muraille, rayaient d’un brusque sillon
de lumière la corniche sculptée et cirée d’un antique dressoir chargé de vaisselles curieuses, ou
piquaient de points éclatants la trame grenue de quelques vieux rideaux de brocart d’or aux
grands plis cassés, jetés là comme modèles. Des écorchés de plâtre, des fragments et des torses
de déesses antiques, amoureusement polis par les baisers des siècles, jonchaient les tablettes et
les consoles. D’innombrables ébauches, des études aux trois crayons, à la sanguine ou à la
plume, couvraient les murs jusqu’au plafond. Des boîtes à couleurs, des bouteilles d’huile et
d’essence, des escabeaux renversés ne laissaient qu’un étroit chemin pour arriver sous l’auréole
que projetait la haute verrière dont les rayons tombaient à plein sur la pâle figure de Porbus et sur
le crâne d’ivoire de l’homme singulier. L’attention du jeune homme fut bientôt exclusivement
acquise à un tableau qui, par ce temps de trouble et de révolutions, était déjà devenu célèbre, et
que visitaient quelques-uns de ces entêtés auxquels on doit la conservation du feu sacré pendant
les jours mauvais. Cette belle page représentait une Marie égyptienne se disposant à payer le
passage du bateau. Ce chef-d’œuvre, destiné à Marie de Médicis, fut vendu par elle aux jours de
sa misère.¶
Vous y eussiez vu, entre autres choses, une croisée ogive coloriée, et une petite fille occupée
à remettre ses chausses, exécutées avec un fini vraiment regrettable. C’était aussi vrai, aussi faux,
aussi peigné, léché, qu’une croquade d’amateur; mais aujourd’hui la peinture est si malade en
France, qu’il y aurait crime à faire encore des tableaux en littérature: aussi nos poëtes sont-ils
généralement sobres d’images par pure politesse...¶
Le jeune homme resta debout, immobile, devant un tableau qui, par ce temps de troubles et
de révolutions, était déjà devenu célèbre, et que visitaient quelques-uns de ces entêtés auxquels
nous devons la conservation du feu sacré pendant les jours mauvais. A toutes les époques, il s’est
rencontré des gens soigneux d’enterrer les drapeaux et de sauver les dieux en déroute; car dans
tous les siècles on a revendu les dieux avec bénéfice.¶
Cette belle page (le mot n’étant pas encore inventé pour désigner une œuvre de peinture,
j’aurais pu tout aussi bien vous dire: cette pourtraicture saincte et mignonnement paracheuée,
mais le placage historique me semble fatigant, outre que beaucoup ne comprennent plus les vieux
mots), cette page donc, représentait une Marie Égyptienne acquittant le passage du bateau. Ce
chef-d’œuvre, destiné à Marie de Médicis, fut par elle vendu à Cologne, aux jours de sa misère;
et, lors de notre invasion en Allemagne (1806), un capitaine d’artillerie la sauva d’une
destruction imminente, en la mettant dans son porte-manteau. C’était un protecteur des arts qui
aimait mieux prendre que voler. Ses soldats avaient déjà fait des moustaches à la sainte
protectrice des filles repenties, et allaient, ivres et sacrilèges, tirer à la cible sur la pauvre sainte,
qui, même en peinture, devait obéir à sa destinée. Aujourd’hui cette magnifique toile est au
château de la Grenadière, près de Saint-Cyr en Touraine, et appartient à M. de Lansay.¶
– J’aime ta sainte!... dit le vieillard à Porbus, et je te la paierais dix écus d’or au delà du prix
que t’en donne madame la reine; mais aller sur ses brisées?... du diable!...¶
– Vous la trouvez bien...¶
– Heu! heu!... fit le vieillard. Elle ne vit pas! En la regardant long-temps, je ne saurais croire
qu’il y ait de l’air entre ses bras et le fond de la toile... Je ne sens pas la chaleur de ce beau corps,
et ne trouve pas de sang dans les veines... Les contours ne sont pas dessinés franchement. – Tu as
craint d’être sec en suivant la méthode de l’école italienne, et tu n’as pas voulu empâter les
extrémités à l’instar du Titien et du Corrège. Eh bien! tu n’as eu ni les avantages d’un dessin pur
et correct ni les artifices des demi-teintes... Tu n’es vrai que dans les tons intérieurs de la chair...
Il y a de la vérité là...¶
Et le vieillard montrait la poitrine de la sainte.¶
– Puis, ici...¶
Et il indiquait le point où, sur le tableau, finissait l’épaule.¶
– Ici... tout est faux... Mais n’analysons pas– Ta sainte me plaît, dit le vieillard à Porbus, et je
te la paierais dix écus d’or au delà du prix que donne la reine; mais aller sur ses brisées?... du
diable!¶
– Vous la trouvez bien?¶
– Heu! heu! fit le vieillard, bien?... Oui et non. Ta bonne femme n’est pas mal troussée, mais
elle ne vit pas. Vous autres, vous croyez avoir tout fait lorsque vous avez dessiné correctement
une figure et mis chaque chose à sa place d’après les lois de l’anatomie! Vous colorez ce
linéament avec un ton de chair fait d’avance sur votre palette en ayant soin de tenir un côté plus
sombre que l’autre, et parce que vous regardez de temps en temps une femme nue qui se tient
debout sur une table, vous croyez avoir copié la nature, vous vous imaginez être des peintres et
avoir dérobé le secret de Dieu!... Prrr! Il ne suffit pas pour être un grand poète de savoir à fond la
syntaxe et de ne pas faire de fautes de langue! Regarde ta sainte, Porbus? Au premier aspect, elle
semble admirable mais au second coup d’œil on s’aperçoit qu’elle est collée au fond de la toile et
qu’on ne pourrait pas faire le tour de son corps. C’est une silhouette qui n’a qu’une seule face,
c’est une apparence découpée, une image qui ne saurait se retourner, ni changer de position. Je ne
sens pas d’air entre ce bras et le champ du tableau; l’espace et la profondeur manquent;
cependant tout est bien en perspective, et la dégradation aérienne est exactement observée; mais,
malgré de si louables efforts, je ne saurais croire que ce beau corps soit animé par le tiède souffle
de la vie. Il me semble que si je portais la main sur cette gorge d’une si ferme rondeur, je la
trouverais froide comme du marbre! Non, mon ami, le sang ne court pas sous cette peau d’ivoire,
l’existence ne gonfle pas de sa rosée de pourpre les veines et les fibrilles qui s’entrelacent en
réseaux sous la transparence ambrée des tempes et de la poitrine. Cette place palpite, mais cette
autre est immobile, la vie et la mort luttent dans chaque détail: ici c’est une femme, là une statue,
plus loin un cadavre. Ta création est incomplète. Tu n’as pu souffler qu’une portion de ton âme à
ton œuvre chérie. Le flambeau de Prométhée s’est éteint plus d’une fois dans tes mains, et
beaucoup d’endroits de ton tableau n’ont pas été touchés par la flamme céleste.¶
– Mais pourquoi, mon cher maître? dit respectueusement Porbus au vieillard tandis que le
jeune homme avait peine à réprimer une forte envie de le battre.¶
– Ah! voilà, dit le petit vieillard. Tu as flotté indécis entre les deux systèmes, entre le dessin
et la couleur, entre le flegme minutieux, la raideur précise des vieux maîtres allemands et l’ardeur
éblouissante, l’heureuse abondance des peintres italiens. Tu as voulu imiter à la fois Hans
Holbein et Titien, Albrecht Durer et Paul Véronèse. Certes c’était là une magnifique ambition!
Mais qu’est-il arrivé? Tu n’as eu ni le charme sévère de la sécheresse, ni les décevantes magies
du clair-obscur. Dans cet endroit, comme un bronze en fusion qui crève son trop faible moule, la
riche et blonde couleur du Titien a fait éclater le maigre contour d’Albrecht Durer où tu l’avais
coulée. Ailleurs, le linéament a résisté et contenu les magnifiques débordements de la palette
vénitienne. Ta figure n’est ni parfaitement dessinée, ni parfaitement peinte, et porte partout les
traces de cette malheureuse indécision. Si tu ne te sentais pas assez fort pour fondre ensemble au
feu de ton génie les deux manières rivales, il fallait opter franchement entre l’une ou l’autre, afin
d’obtenir l’unité qui simule une des conditions de la vie. Tu n’es vrai que dans les milieux, tes
contours sont faux, ne s’enveloppent pas et ne promettent rien par derrière. Il y a de la vérité ici,
dit le vieillard en montrant la poitrine de la sainte. – Puis, ici, reprit-il en indiquant le point où sur
le tableau finissait l’épaule. – Mais là, fit-il en revenant au milieu de la gorge, tout est faux.
N’analysons rien, ce serait faire ton désespoir.¶
Le vieillard s’assit sur une escabelle, se tint la tête dans les mains et resta muet.¶
– Maître, lui dit Porbus, j’ai cependant bien étudié, sur le nu, les lignes du corps.¶ – Oui...
oui... répondit le vieillard, un mois ou deux... et vous vous arrêtez là!... Vous faites d’admirables
vêtements de chair à vos femmes, cette gorge; mais vous oubliez tous de leur donner le
mouvement et la vie?... Une femme a, certes, cet air de tête, ce regard de douce résignation et
doit tenir sa jupe ainsi! ... Mais où est le plus? Vous avez le moins dont se contente le vulgaire...
O Mabuse!... O mon maître! ajouta ce singulier personnage, tu es un voleur, tu as emporté la vie
avec toi!...¶, pour notre malheur, il est des effets vrais dans la nature qui ne sont plus probables
sur la toile...¶
– A cela près, reprit-il, cela vaut mieux que les peintures du sieur Rubens... Au moins, avezvous là, couleur, sentiment et dessin, les trois parties essentielles de l’art...¶ – Mais cela est
sublime, bonhomme!... s’écria d’une voix forte le jeune homme sortant d’une rêverie profonde;
et ces deux figures ont une finesse d’intention ignorée des peintres d’Italie...¶
– Et qui êtes-vous?... lui demanda Porbus.¶
Le pauvre néophyte rougit.¶
– Hélas, maître, pardonnez à ma hardiesse. Je suis inconnu, mais barbouilleur d’instinct, et
arrivé depuis peu dans cette ville, source de toute science...¶
– A l’œuvre!... à l’œuvre!... lui dit Porbus en lui présentant un crayon rouge et une feuille de
papier.¶
L’inconnu copia lestement la Madeleine au trait...¶
– Oh! oh! s’écria le vieillard. Votre nom?...¶
Le jeune homme écrivit au bas: Nicolas Poussin!...¶
– Allons déjeuner, dit le vieil inconnu à Porbus. Venez tous deux à mon logis. J’ai du jambon
fumé, du bon vin; et, malgré le malheur des temps, nous causerons peinture! Nous sommes de
force!... Voici un petit bonhomme, ajouta-t-il en frappant sur l’épaule de Nicolas Poussin, qui a
de la facilité!...¶
Apercevant alors la piètre casaque du Normand, il tira de sa ceinture une bourse de peau, y
fouilla, prit deux pièces d’or, et, les lui montrant:¶
– J’achète ton dessin!... dit-il.¶
Poussin tressaillit.¶
– Prends, prends, s’écria Porbus. Il a dans son escarcelle la rançon de trois rois!¶
Bientôt ils descendirent de l’atelier et cheminèrent en devisant sur les arts, jusqu’à une belle
maison de bois, située près du pont Saint-Michel, et dont Poussin admira les ornemens, le
heurtoir, les encadremens de croisée, les arabesques sculptées; puis, il se trouva tout à coup dans
une salle basse, devant un bon feu, près d’une table chargée de mets appétissans; et, par un
bonheur inouï, dans la compagnie de deux grands artistes pleins de bonhomie.¶
– Jeune homme!... lui dit Porbus en le voyant ébahi devant un tableau, ne regardez pas trop
cette toile, vous tomberiez dans le désespoir!...¶
C’était l’Adam que fit Mabuse pour sortir de prison où ses créanciers le retinrent si longtemps... Et, en effet, il y avait, dans cette figure, une telle puissance de réalité que Nicolas
Poussin commença dès ce moment à comprendre le véritable sens des confuses paroles dites par
le vieillard.¶
Celui-ci regardant le tableau d’un air satisfait, mais sans enthousiasme, semblait dire: « J’ai
fait mieux!...Ȧ
– Il y a là de la vie!... dit-il; et mon pauvre maître s’y est surpassé; mais il manquait encore de
la vérité dans le fond de la toile..... L’homme est bien vivant, il se lève et va venir à nous... Mais
l’air, le ciel, le vent que nous respirons, voyons et sentons, n’y est pas. Il n’y a encore là qu’un
homme!... Mabuse le disait lui-même avec dépit quand il n’était pas ivre!¶
Poussin regardait alternativement le vieillard et Porbus avec une inquiète curiosité. Il
s’approcha de celui-ci comme pour lui demander le nom de leur hôte; mais le peintre se mit un
doigt sur les lèvres d’un air de mystère, et le jeune homme, vivement intéressé, garda le silence,
espérant que tôt ou tard quelque mot lui permettrait de deviner le nom de son hôte, dont la
richesse et les talens étaient suffisamment attestés par le respect que Porbus lui témoignait, et par
les merveilles entassées dans cette salle.¶
Poussin, voyant sur la sombre boiserie de chêne un beau portrait de femme, s’écria:¶
– Ceci est un Giorgion!¶
– Non! répondit le vieillard, c’est un de mes premiers barbouillages!...¶
– Tudieu!... dit naïvement le Poussin, je suis donc chez le dieu de la peinture!...¶
Le vieillard sourit comme un homme familiarisé depuis long-temps avec cet éloge.¶
– Maître Frenhofer! dit Porbus, ne sauriez-vous faire venir un peu de ce bon vin du Rhin,
pour moi...¶
– La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer! Tu n’es pas un vil
copiste, mais un poète! s’écria vivement le vieillard en interrompant Porbus par un geste
despotique. Autrement un sculpteur serait quitte de tous ses travaux en moulant une femme! Hé!
bien, essaie de mouler la main de ta maîtresse et de la poser devant toi, tu trouveras un horrible
cadavre sans aucune ressemblance, et tu seras forcé d’aller trouver le ciseau de l’homme qui,
sans te la copier exactement, t’en figurera le mouvement et la vie. Nous avons à saisir l’esprit,
l’âme, la physionomie des choses et des êtres. Les effets! les effets! mais ils sont les accidents de
la vie, et non la vie. Une main, puisque j’ai pris cet exemple, une main ne tient pas seulement au
corps, elle exprime et continue une pensée qu’il faut saisir et rendre. Ni le peintre, ni le poète, ni
le sculpteur ne doivent séparer l’effet de la cause qui sont invinciblement l’un dans l’autre! La
véritable lutte est là! Beaucoup de peintres triomphent instinctivement sans connaître ce thème
de l’art. Vous dessinez une femme, mais vous ne la voyez pas! Ce n’est pas ainsi que l’on
parvient à forcer l’arcane de la nature. Votre main reproduit, sans que vous y pensiez, le modèle
que vous avez copié chez votre maître. Vous ne descendez pas assez dans l’intimité de la forme,
vous ne la poursuivez pas avec assez d’amour et de persévérance dans ses détours et dans ses
fuites. La beauté est une chose sévère et difficile qui ne se laisse point atteindre ainsi, il faut
attendre ses heures, l’épier, la presser et l’enlacer étroitement pour la forcer à se rendre. La
Forme est un Protée bien plus insaisissable et plus fertile en replis que le Protée de la fable, ce
n’est qu’après de longs combats qu’on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect;
vous autres! vous vous contentez de la première apparence qu’elle vous livre, ou tout au plus de
la seconde, ou de la troisième; ce n’est pas ainsi qu’agissent les victorieux lutteurs! Ces peintres
invaincus ne se laissent pas tromper à tous ces faux-fuyants, ils persévèrent jusqu’à ce que la
nature en soit réduite à se montrer toute nue et dans son véritable esprit. Ainsi a procédé Raphaël,
dit le vieillard en ôtant son bonnet de velours noir pour exprimer le respect que lui inspirait le roi
de l’art, sa grande supériorité vient du sens intime qui, chez lui, semble vouloir briser la Forme.
La Forme est, dans ses figures, ce qu’elle est chez nous, un truchement pour se communiquer des
idées, des sensations, une vaste poésie. Toute figure est un monde, un portrait dont le modèle est
apparu dans une vision sublime, teint de lumière, désigné par une voix intérieure, dépouillé par
un doigt céleste qui a montré, dans le passé de toute une vie, les sources de l’expression. Vous
faites à vos femmes de belles robes de chair, de belles draperies de cheveux, mais où est le sang
qui engendre le calme ou la passion et qui cause des effets particuliers. Ta sainte est une femme
brune, mais ceci, mon pauvre Porbus, est d’une blonde! Vos figures sont alors de pâles fantômes
colorés que vous nous promenez devant les yeux, et vous appelez cela de la peinture et de l’art.
Parce que vous avez fait quelque chose qui ressemble plus à une femme qu’à une maison, vous
pensez avoir touché le but, et, tout fiers de n’être plus obligés d’écrire à côté de vos figures,
currus venustus ou pulcher homo, comme les premiers peintres, vous vous imaginez être des
artistes merveilleux! Ha! ha! vous n’y êtes pas encore, mes braves compagnons, il vous faudra
user bien des crayons, couvrir bien des toiles avant d’arriver. Assurément, une femme porte sa
tête de cette manière, elle tient sa jupe ainsi, ses yeux s’allanguissent et se fondent avec cet air de
douceur résignée, l’ombre palpitante des cils flotte ainsi sur les joues! C’est cela, et ce n’est pas
cela. Qu’y manque-t-il? un rien, mais ce rien est tout. Vous avez l’apparence de la vie, mais vous
n’exprimez pas son trop plein qui déborde, ce je ne sais quoi qui est l’âme peut-être et qui flotte
nuageusement sur l’enveloppe; enfin cette fleur de vie que Titien et Raphaël ont surprise. En
partant du point extrême où vous arrivez, on ferait peut-être d’excellente peinture; mais vous
vous lassez trop vite. Le vulgaire admire, et le vrai connaisseur sourit. O Mabuse, ô mon maître,
ajouta ce singulier personnage, tu es un voleur, tu as emporté la vie avec toi! – A cela près,
reprit-il, cette toile vaut mieux que les peintures de ce faquin de Rubens avec ses montagnes de
viandes flamandes, saupoudrées de vermillon, ses ondées de chevelures rousses, et son tapage de
couleurs. Au moins, avez-vous là couleur, sentiment et dessin, les trois parties essentielles de
l’Art.¶
– Mais cette sainte est sublime, bon homme! s’écria d’une voix forte le jeune homme en
sortant d’une rêverie profonde. Ces deux figures, celle de la sainte et celle du batelier, ont une
finesse d’intention ignorée des peintres italiens, je n’en sais pas un seul qui eût inventé
l’indécision du batelier.¶
– Ce petit drôle est-il à vous? demanda Porbus au vieillard.¶
– Hélas! maître, pardonnez à ma hardiesse, répondit le néophyte en rougissant. Je suis
inconnu, barbouilleur d’instinct, et arrivé depuis peu dans cette ville, source de toute science.¶
– A l’œuvre! lui dit Porbus en lui présentant un crayon rouge et une feuille de papier.¶
L’inconnu copia lestement la Marie au trait.¶
– Oh! oh! s’écria le vieillard. Votre nom?¶
Le jeune homme écrivit au bas Nicolas Poussin.¶
– Voilà qui n’est pas mal pour un commençant, dit le singulier personnage qui discourait si
follement. Je vois que l’on peut parler peinture devant toi. Je ne te blâme pas d’avoir admiré la
sainte de Porbus. C’est un chef-d’œuvre pour tout le monde, et les initiés aux plus profonds
arcanes de l’art peuvent seuls découvrir en quoi elle pèche. Mais puisque tu es digne de la leçon,
et capable de comprendre, je vais te faire voir combien peu de chose il faudrait pour compléter
cette œuvre. Sois tout œil et tout attention, une pareille occasion de t’instruire ne se représentera
peut-être jamais. Ta palette, Porbus?¶
Porbus alla chercher palette et pinceaux. Le petit vieillard retroussa ses manches avec un
mouvement de brusquerie convulsive, passa son pouce dans la palette diaprée et chargée de tons
que Porbus lui tendait; il lui arracha des mains plutôt qu’il ne les prit une poignée de brosses de
toutes dimensions, et sa barbe taillée en pointe se remua soudain par des efforts menaçant qui
exprimaient le prurit d’une amoureuse fantaisie. Tout en chargeant son pinceau de couleur, il
grommelait entre ses dents: – Voici des tons bons à jeter par la fenêtre avec celui qui les a
composés, ils sont d’une crudité et d’une fausseté révoltantes, comment peindre avec cela? Puis
il trempait avec une vivacité fébrile la pointe de la brosse dans les différents tas de couleurs dont
il parcourait quelquefois la gamme entière plus rapidement qu’un organiste de cathédrale ne
parcourt l’étendue de son clavier à l’O Filii de Pâques.¶
Porbus et Poussin se tenaient immobiles chacun d’un côté de la toile, plongés dans la plus
véhémente contemplation.¶
– Vois-tu, jeune homme, disait le vieillard sans se détourner, vois-tu comme au moyen de
trois ou quatre touches et d’un petit glacis bleuâtre, on pouvait faire circuler l’air autour de la tête
de cette pauvre sainte qui devait étouffer et se sentir prise dans cette atmosphère épaisse!
Regarde comme cette draperie voltige à présent et comme on comprend que la brise la soulève!
Auparavant elle avait l’air d’une toile empesée et soutenue par des épingles. Remarques-tu
comme le luisant satiné que je viens de poser sur la poitrine rend bien la grasse souplesse d’une
peau de jeune fille, et comme le ton mélangé de brun-rouge et d’ocre calciné réchauffe la grise
froideur de cette grande ombre où le sang se figeait au lieu de courir. Jeune homme, jeune
homme, ce que je te montre là, aucun maître ne pourrait te l’enseigner. Mabuse seul possédait le
secret de donner de la vie aux figures. Mabuse n’a eu qu’un élève, qui est moi. Je n’en ai pas eu,
et je suis vieux! Tu as assez d’intelligence pour deviner le reste, par ce que je te laisse entrevoir.¶
Tout en parlant, l’étrange vieillard touchait à toutes les parties du tableau: ici deux coups de
pinceau, là un seul, mais toujours si à propos qu’on aurait dit une nouvelle peinture, mais une
peinture trempée de lumière. Il travaillait avec une ardeur si passionnée que la sueur se perla sur
son front dépouillé; il allait si rapidement par de petits mouvements si impatients, si saccadés,
que pour le jeune Poussin il semblait qu’il y eût dans le corps de ce bizarre personnage un démon
qui agissait par ses mains en les prenant fantastiquement contre le gré de l’homme. L’éclat
surnaturel des yeux, les convulsions qui semblaient l’effet d’une résistance donnaient à cette idée
un semblant de vérité qui devait agir sur une jeune imagination. Le vieillard allait disant: – Paf,
paf, paf! voilà comment cela se beurre, jeune homme! venez, mes petites touches, faites-moi
roussir ce ton glacial! Allons donc! Pon! pon! pon! disait-il en réchauffant les parties où il avait
signalé un défaut de vie, en faisant disparaître par quelques plaques de couleur les différences de
tempérament, et rétablissant l’unité de ton que voulait une ardente Egyptienne.¶
– Vois-tu, petit, il n’y a que le dernier coup de pinceau qui compte. Porbus en a donné cent,
moi je n’en donne qu’un. Personne ne nous sait gré de ce qui est dessous. Sache bien cela!¶
Enfin ce démon s’arrêta, et se tournant vers Porbus et Poussin muets d’admiration, il leur dit:
– Cela ne vaut pas encore ma Belle - Noiseuse, cependant on pourrait mettre son nom au bas
d’une pareille œuvre. Oui, je la signerais, ajouta-t-il en se levant pour prendre un miroir dans
lequel il la regarda. – Maintenant, allons déjeuner, dit-il. Venez tous deux à mon logis. J’ai du
jambon fumé, du bon vin! Hé! hé! malgré le malheur des temps, nous causerons peinture! Nous
sommes de force. Voici un petit bonhomme, ajouta-t-il en frappant sur l’épaule de Nicolas
Poussin, qui a de la facilité.¶
Apercevant alors la piètre casaque du Normand, il tira de sa ceinture une bourse de peau, y
fouilla, prit deux pièces d’or, et les lui montrant: – J’achète ton dessin, dit-il.¶
– Prends, dit Porbus à Poussin en le voyant tressaillir et rougir de honte, car ce jeune adepte
avait la fierté du pauvre. Prends donc, il a dans son escarcelle la rançon de deux rois!¶
Tous trois, ils descendirent de l’atelier et cheminèrent en devisant sur les arts, jusqu’à une
belle maison de bois, située près du pont Saint-Michel, et dont les ornements, le heurtoir, les
encadrements de croisées, les arabesques émerveillèrent Poussin. Le peintre en espérance se
trouva tout à coup dans une salle basse, devant un bon feu, près d’une table chargée de mets
appétissants, et par un bonheur inouï, dans la compagnie de deux grands artistes pleins de
bonhomie.¶
– Jeune homme lui dit Porbus en le voyant ébahi devant un tableau, ne regardez pas trop cette
toile, vous tomberiez dans le désespoir.¶
C’était l’Adam que fit Mabuse pour sortir de prison où ses créanciers le retinrent si longtemps. Cette figure offrait, en effet, une telle puissance de réalité, que Nicolas Poussin
commença dès ce moment à comprendre le véritable sens des confuses paroles dites par le
vieillard. Celui-ci regardait le tableau d’un air satisfait, mais sans enthousiasme, et semblait dire:
« J’ai fait mieux! »¶
– Il y a de la vie, dit-il, mon pauvre maître s’y est surpassé; mais il manquait encore un peu
de vérité dans le fond de la toile. L’homme est bien vivant, il se lève et va venir à nous. Mais
l’air, le ciel, le vent que nous respirons, voyons et sentons, n’y sont pas. Puis il n’y a encore là
qu’un homme! Or le seul homme qui soit immédiatement sorti des mains de Dieu, devait avoir
quelque chose de divin qui manque. Mabuse le disait lui-même avec dépit quand il n’était pas
ivre.¶
Poussin regardait alternativement le vieillard et Porbus avec une inquiète curiosité. Il
s’approcha de celui-ci comme pour lui demander le nom de leur hôte; mais le peintre se mit un
doigt sur les lèvres d’un air de mystère, et le jeune homme, vivement intéressé, garda le silence,
espérant que tôt ou tard quelque mot lui permettrait de deviner le nom de son hôte, dont la
richesse et les talents étaient suffisamment attestés par le respect que Porbus lui témoignait, et
par les merveilles entassées dans cette salle.¶
Poussin, voyant sur la sombre boiserie de chêne un magnifique portrait de femme, s’écria: –
Quel beau Giorgion!¶
– Non! répondit le vieillard, vous voyez un de mes premiers barbouillages!¶
– Tudieu! je suis donc chez le dieu de la peinture, dit naïvement le Poussin.¶
Le vieillard sourit comme un homme familiarisé depuis longtemps avec cet éloge.¶
– Maître Frenhofer! dit Porbus, ne sauriez-vous faire venir un peu de votre bon vin du Rhin
pour moi?¶
– Deux pipes, répondit le vieillard. Une pour m’acquitter du plaisir que j’ai eu ce matin en
voyant ta jolie pécheresse, et l’autre comme un présent d’amitié.¶
– Ah! si je n’étais pas toujours souffrant, reprit Porbus, et si vous vouliez me laisser voir
votre maîtresseBelle-Noiseuse, je pourrais faire quelque peinture haute, large et profonde, où les
figures seraient de grandeur naturelle.¶
– Montrer mon œuvre!..., s’écria le vieillard tout ému. Non, non, je dois la perfectionner
encore... Hier, vers le soir, dit-il, j’ai cru avoir fini... Ses yeux me semblaient humides, sa chair
était agitée. Les tresses de ses cheveux remuaient... Elle respirait!... Ce matin, au jour... j’ai
reconnu mon erreur!... Si j’ai trouvé le moyen de mettre des formes rondes en saillie sur une toile
plate et droite, en combinant la pureté du trait avec certains effets pris aux peintres qui ont
savamment chargé de couleur les contours afin de les détacher du fond, j’ai encore des doutes sur
la vérité de mes lignes... Oh!... la ligne vraie!... La ligne vraie!¶ Quoique j’aie trouvé le moyen de
réaliser sur une toile plate le relief et la rondeur de la nature, ce matin, au jour, j’ai reconnu mon
erreur. Ah! pour arriver à ce résultat glorieux, j’ai étudié à fond les grands maîtres du coloris, j’ai
analysé et soulevé couche par couche les tableaux de Titien, ce roi de la lumière, j’ai, comme ce
peintre souverain, ébauché ma figure dans un ton clair avec une pâte souple et nourrie, car
l’ombre n’est qu’un accident, retiens cela, petit. Puis je suis revenu sur mon œuvre, et au moyen
de demi-teintes et de glacis dont je diminuais de plus en plus la transparence, j’ai rendu les
ombres les plus vigoureuses et jusqu’aux noirs les plus fouillés; car les ombres des peintres
ordinaires sont d’une autre nature que leurs tons éclairés; c’est du bois, de l’airain, c’est tout ce
que vous voudrez, excepté de la chair dans l’ombre. On sent que si leur figure changeait de
position, les places ombrées ne se nettoieraient pas et ne deviendraient pas lumineuses. J’ai évité
ce défaut où beaucoup d’entre les plus illustres sont tombés, et chez moi la blancheur se révèle
sous l’opacité de l’ombre la plus soutenue! Comme une foule d’ignorants qui s’imaginent
dessiner correctement parce qu’ils font un trait soigneusement ébarbé, je n’ai pas marqué
sèchement les bords extérieurs de ma figure et fait ressortir jusqu’au moindre détail anatomique,
car le corps humain ne finit pas par des lignes. En cela, les sculpteurs peuvent plus approcher de
la vérité que nous autres. La nature comporte une suite de rondeurs qui s’enveloppent les unes
dans les autres. Rigoureusement parlant, le dessin n’existe pas! Ne riez pas, jeune homme!
Quelque singulier que vous paraisse ce mot, vous en comprendrez quelque jour les raisons. La
ligne est le moyen par lequel l’homme se rend compte de l’effet de la lumière sur les objets; mais
il n’y a pas de lignes dans la nature où tout est plein: c’est en modelant qu’on dessine, c’est-àdire qu’on détache les choses du milieu où elles sont, la distribution du jour donne seule
l’apparence au corps! Aussi, n’ai-je pas arrêté les linéaments, j’ai répandu sur les contours un
nuage de demi-teintes blondes et chaudes qui fait que l’on ne saurait précisément poser le doigt
sur la place où les contours se rencontrent avec les fonds. De près, ce travail semble cotonneux et
paraît manquer de précision, mais à deux pas, tout se raffermit, s’arrête et se détache; le corps
tourne, les formes deviennent saillantes, l’on sent l’air circuler tout autour. Cependant je ne suis
pas encore content, j’ai des doutes. Peut-être faudrait-il ne pas dessiner un seul trait, et vaudrait-il
mieux attaquer une figure par le milieu en s’attachant d’abord aux saillies les plus éclairées, pour
passer ensuite aux portions les plus sombres. N’est-ce pas ainsi que procède le soleil, ce divin
peintre de l’univers. Oh! nature, nature! qui jamais t’a surprise dans tes fuites! Tenez, le trop de
science, de même que l’ignorance, arrive à une négation. Je doute de mon œuvre!¶
Le vieillard fit une pause, puis il reprit:¶: – Voilà dix ans, jeune homme, que je travaille; mais
que sont dix petites années quand il s’agit de lutter avec la nature?... Nous ignorons le temps
qu’employa le sculpteurseigneur Pygmalion pour faire la seule statue qui ait marché!...¶!¶
Le vieillard tomba dans une rêverie profonde, et resta les yeux fixes en jouant machinalement
avec son couteau.¶
– Le voilà en conversation avec son esprit!..., dit Porbus à voix basse.¶
A ce mot, Nicolas Poussin se sentit sous la puissance d’une inexplicable curiosité d’artiste.
Ce vieillard aux yeux blancs, attentif et stupide, devenu pour lui plus qu’un homme, était lui
apparut comme un génie fantasque vivantqui vivait dans quelque une sphère inconnue. Il
réveillait mille idées confuses en l’âme, et le . Le phénomène moral de cette espèce de
fascination ne peut pas plus se définissait pas plus quedéfinir qu’on ne peut traduire l’émotion
excitée par les sons d’un orgue parisien redisant un air dechant qui rappelle la patrie au cœur de
l’exilé.¶ Le mépris que ce vieil homme affectait d’exprimer pour les plus belles tentatives de
l’art, sa richesse, ses manières, les déférences de Porbus pour lui, cette œuvre tenue si long-temps
secrète, œuvre de patience, œuvre de génie sans doute, s’il fallait en croire la tête de vierge que le
jeune Poussin avait si franchement admirée, et qui était là, belle encore, même près de l’Adam de
Mabuse; pour toutes ces singularités, l’idiome moderne n’a qu’un mot: c’était indéfinissable!...
Admirable expression! En effet, elle résume la littérature fantastique; elle formule, attestait le
faire impérial d’un des princes de l’art; tout ce qui échappe aux perceptions bornées de notre
esprit; et, quand vous l’avez placée sous les yeux d’un lecteur, il est lancé dans l’espace
imaginaire; alors, le fantastique se trouve tout germé; il pointe comme une herbe verteen ce
vieillard allait au sein de l’incompréhensible et de l’impuissance...¶ Donc, ce vieillard, maître
Frenhofer, paraissait indéfinissable, incompréhensible; et tout ce delà des bornes de la nature
humaine. Ce que la riche imagination de Nicolas Poussin put saisir de clair et de perceptible, en
voyant cet être surnaturel (surnaturel!... voilà encore , était une belle expression!), c’est qu’il était
le type le plus completcomplète image de la nature artiste, de cette nature capricieuse et folle, à
laquelle tant de pouvoirs sont confiés, et qui trop souvent en abuse, emmenant la froide raison,
les bourgeois et même quelques amateurs, à travers mille routes pierreuses, où, pour eux, il n’y a
rien; tandis que, folâtre en ses fantaisies, la jolie déessecette fille aux ailes blanches y découvre
des épopées, des châteaux, des œuvres d’art. – Nature moqueuse et bonne, féconde et pauvre!¶
Ainsi, pour l’enthousiaste Poussin, ce vieillard était devenu, par une transfiguration subite,
l’artl’Art lui-même, l’art avec son secretses secrets, ses fougues, et ses rêveries.¶
– Oui, mon cher Porbus, reprit Frenhofer, il m’a manqué jusqu’à présent de rencontrer une
femme irréprochable!... –, un corps dont les contours soient d’une beauté parfaite, et dont la
carnation... Mais où est-elle vivante, dit-il en s’interrompant, cette introuvable Vénus des
anciens, si souvent cherchée, et dont de qui nous rencontrons à peine les quelques beautés
éparses?... Oh! pour voir un moment, une seule fois, la nature divine, complète, l’idéal enfin, je
donnerais toute ma fortune!.., mais j’irais te chercher dans tes limbes, beauté céleste! Comme
Orphée, je descendrais dans l’enfer de l’art pour en ramener la vie.¶
– Nous pouvons nous départir d’ici, dit Porbus à Poussin;, il ne nous entend plus, ne nous
voit plus...¶!¶
– Allons à son atelier?..., répondit le jeune homme émerveillé.¶
– Oh! le vieux reître a su en défendre l’entrée. Ses trésors sont trop bien gardés pour que nous
puissions y arriver jusqu’à eux.... Je n’ai pas attendu votre avis et votre fantaisie pour tenter
l’assaut du mystère...¶
– Il y a donc un mystère?...¶?¶
– Oui, répondit Porbus. Le vieux Frenhofer est le seul élève que Mabuse ait voulu faire. –
DevenantDevenu son ami, son sauveur, son père, Frenhofer a sacrifié la plus grande partie de ses
trésors à satisfaire les passions de Mabuse; et en échange, Mabuse, reconnaissant, lui a légué le
secret du relief, le pouvoir de donner aux figures cette vie extraordinaire, cette fleur de nature,
notre désespoir éternel, et mais dont il possédait si bien le faire, qu’un jour, ayant vendu et bu le
damas à fleur dont il fleurs avec lequel il devait s’habiller à l’entrée de Charles-Quint, il
accompagna son maître avec un vêtement de papier, sur lequel il avait peint le en damas. L’éclat
particulier de l’étoffe portée par Mabuse surprit l’empereur, qui, voulant en faire compliment au
protecteur du vieil ivrogne, découvrit la supercherie!.... Frenhofer est un homme passionné pour
notre art et qui vit dans la couleur!...¶, qui voit plus haut et plus loin que les autres peintres. Il a
profondément médité sur les couleurs, sur la vérité absolue de la ligne; mais, à force de
recherches, il est arrivé à douter de l’objet même de ses recherches. Dans ses moments de
désespoir, il prétend que le dessin n’existe pas et qu’on ne peut rendre avec des traits que des
figures géométriques ce qui est au delà du vrai, puisque avec le trait et le noir, qui n’est pas une
couleur, on peut faire une figure; ce qui prouve que notre art est, comme la nature, composé
d’une infinité d’éléments: le dessin donne un squelette, la couleur est la vie, mais la vie sans le
squelette est une chose plus incomplète que le squelette sans la vie. Enfin, il y a quelque chose de
plus vrai que tout ceci, c’est que la pratique et l’observation sont tout chez un peintre, et que si le
raisonnement et la poésie se querellent avec les brosses, on arrive au doute comme le bonhomme,
qui est aussi fou que peintre. Peintre sublime, il a eu le malheur de naître riche, ce qui lui a
permis de divaguer, ne l’imitez pas! Travaillez! les peintres ne doivent méditer que les brosses à
la main.¶
– Nous y pénétrerons!..., s’écria Poussin n’écoutant plus Porbus, et ne doutant plus de rien.¶
Porbus sourit à l’enthousiasme du jeune inconnu, et ils se quittèrent.¶le quitta en l’invitant à
venir le voir.¶
Nicolas Poussin revenantrevint à pas lents vers la rue de la Harpe, et dépassa sans s’en
apercevoir la modeste hôtellerie où il était logé.¶ Montant avec une inquiète promptitude son
misérable escalier, il parvint à une chambre haute, située sous cette une toiture en colombage,
naïve et légère couverture des maisons du vieux Paris. Il vit, prèsPrès de l’unique et sombre
fenêtre, de cette chambre, il vit une jeune fille qui, au bruissementbruit de la porte, se dressa
soudain par un mouvement d’amour. Elle ; elle avait reconnu le peintre à la manière dont il
levaavait attaqué le loquet.¶
– Qu’as-tu? lui dit-elle.¶
– J’ai, j’ai!... j’ai, s’écria-t-il en étouffant de plaisir, que je me suis senti peintre!... J’avais
douté de moi jusqu’à présent, mais ce matin j’ai cru en moi-même! Je puis être un grand
homme!... Va!, Gillette, nous serons riches, heureux! Il y a de l’or dans ces pinceaux...¶
Mais il se tut soudain. Sa figure grave et vigoureuse perdit son expression de joie quand il
compara l’immensité de ses espérances à la médiocrité de ses ressources matérielles.. Les murs
étaient couverts de simples papiers chargés d’esquisses au crayon. Il ne possédait pas quatre
toiles vaillantes.propres. Les couleurs avaient alors un haut prix, et le pauvre gentilhomme voyait
sa palette à peu près nue.¶ Au sein de cette misère, il possédait et ressentait d’incroyables
richesses de cœur, et une dévorantela surabondance de d’un génie. dévorant. Amené à Paris par
un gentilhomme de ses amis, ou peut-être par son propre talent, il y avait rencontré soudain une
maîtresse, une de ces âmes nobles et généreuses qui viennent souffrir près d’un grand homme, en
épousent les misères, et s’efforcent d’ende comprendre les leurs caprices; fortes pour la misère et
l’amour, comme d’autres sont intrépides à porter le luxe ou à faire preuve d’insensibilité.¶, à
faire parader leur insensibilité. Le sourire errant sur les lèvres de Gillette dorait ce grenier, y et
rivalisait avec l’éclat du ciel. Le soleil ne brillait pas toujours, tandis qu’elle, était toujours là,
recueillie dans sa passion, attachée à son bonheur, à sa souffrance, consolant le génie qui
débordait dans l’amour avant de s’emparer de l’art, ou de palpiter pour la gloire.¶
– Écoute, Gillette!..., viens!...¶
ObéissanteL’obéissante et joyeuse, elle fille sauta sur les genoux du peintre. Elle était toute
grâce, toute beauté;, jolie comme un printemps, pure, blanche; ayantparée de toutes les richesses
féminines enfin, et de plus les éclairant par le feu d’une belle âme!¶.¶
– O Dieu! s’écria-t-il, je n’oserai jamais lui dire...¶
– Un secret? reprit-elle. Oh!, je veux le savoir.¶
Le Poussin resta rêveur.¶
– Parle donc! ...¶
– Gillette! pauvre cœur aimé!¶
– Oh! tu veux quelque chose de moi!...¶?¶
– Oui.¶
– Si tu désires que je pose encore devant toi comme l’autre jour, reprit-elle d’un petit air
boudeur, je n’y consentirai plus jamais... Cela est mal. Et puis, car, dans ces momensmoments-là,
tes yeux ne me disent plus rien. Tu ne penses plus à moi, et cependant tu me regardes!...¶
– Aimerais-tu mieux me voir copiercopiant une autre femme?...¶?¶
– Peut-être....., dit-elle, si elle était bien laide...¶
– Eh! bien, reprit le Poussin d’un ton sérieux, si pour ma gloire à venir, si pour me faire grand
peintre, il fallait aller poser chez un autre...¶?¶
– Tu veux m’éprouver..., dit-elle. Tu sais bien que je n’irais pas!¶.¶
Le Poussin pencha sa tête sur sa poitrine comme un en homme qui succombe à une joie ou à
une douleur trop forte pour son âme.¶
– Écoute, dit-elle en tirant Poussin par la manche de son pourpoint usé, je t’ai dit, Nick, que
je donnerais ma vie pour toi; mais je ne t’ai jamais promis, moi vivante, de renoncer à mon
amour, à toi...¶
– Y renoncer!...? s’écria le Poussin.¶
– Si je me montrais ainsi à un autre..., tu ne m’aimerais plus..... et Et, moi-même, je me
trouverais indigne de toi!.... Obéir à tes caprices, n’est-ce pas chose naturelle et simple?... Malgré
moi, je suis heureuse, et même fière de faire ta chère volonté... Mais pour un autre!... fi... donc...¶
– Pardonne, ma Gillette, dit le peintre en se jetant à ses genoux. J’aime mieux être aimé que
glorieux!.... Pour moi, tu es plus belle que la fortune et les honneurs. Va, jette mes pinceaux,
brûle ces esquisses. Je me suis trompé... ma Ma vocation , c’est de t’aimer. Je ne suis pas peintre,
je suis amoureux!... Périsse . Périssent et l’art et tous ses secrets!...¶!¶
Elle l’admirait, heureuse, charmée!... Elle régnait! Elle , elle sentait instinctivement que les
arts étaient oubliés pour elle, et jetés à ses pieds comme un grain d’encens.¶
– Ce n’est pourtant qu’un vieillard!..., reprit Poussin. Il ne pourra voir que la femme en toi:
tu. Tu es si parfaite...¶!¶
– Il faut bien aimer!..., s’écria-t-elle prête à sacrifier ses scrupules d’amour pour récompenser
son amant de tous les sacrifices qu’il lui faisait. – Mais, reprit-elle, ce serait me perdre. – Ah! me
perdre pour toi!.... Oui, cela est bien beau,! mais... tu m’oublieras... Oh! quelle mauvaise pensée
as-tu donc eue là?...¶!¶
– Je l’ai eue et je t’aime!, dit-il avec une sorte de contrition;, mais je suis donc un infâme!...¶
– Consultons le père Hardouin....? dit-elle.¶
– Oh, non! que ce soit un secret entre nous deux!...¶
– Eh! bien, j’irai...; mais ne sois pas là, dit-elle... Reste à la porte, armé de ta dague; si je crie,
entre et tue le peintre...¶
Ne voyant plus que son art, le Poussin pressa Gillette dans, ses bras!¶.¶
– Il ne m’aime plus!... pensa Gillette quand elle se trouva seule.¶
Elle se repentait déjà de sa résolution. Mais elle fut bientôt en proie à une épouvante plus
cruelle que son repentir, et s’efforçaitelle s’efforça de chasser une pensée affreuse qui s’élevait
dans son cœur. – Elle croyait aimer déjà moins le peintre en le soupçonnant moins estimable
qu’auparavant.¶
¶
CHAPITRE II.
CATHERINE LESCAULT.¶
DEUX joursTrois mois après la rencontre du POUSSINPoussin et de PORBUSPorbus, celuici vint voir maître Frenhofer.¶
Le vieillard était alors en proie à l’un de ces découragemensdécouragements profonds et
spontanés dont la cause est, s’il faut en croire les mathématiciens de la médecine, dans une
digestion mauvaise, dans le vent, la chaleur, ou quelque empâtement des hypocondres
hypochondres; et, suivant les spiritualistes, dans l’imperfection de notre nature morale. Un
écrivain moderne exprimerait cet état phénoménal en disant que Frenhofer avait fait une
prodigieuse dépense d’âme; mais laissons là le prétentieux jargon de notre époque, leLe
bonhomme s’était purement et simplement fatigué à parachever son mystérieux tableau.¶ Il était
donc languissamment assis, dans une vaste chaire de chêne sculptée, garnie de cuir noir; et, sans
quitter son attitude mélancolique, il lança sur Porbus le regard engourdi d’un homme qui
s’ests’était établi dans son ennui.¶
– Eh! bien!, maître, lui dit Porbus, l’outremer que vous avez étéêtes allé chercher à Bruges
était-il mauvais?... Est, est-ce que vous n’avez pas su broyer notre nouveau blanc?..., votre huile
est-elle méchante, ou les pinceaux...¶ rétifs?¶
– Hélas! s’écria le vieillard, j’ai cru pendant un moment que mon œuvre était accomplie;
mais je me suis, certes, trompé dans quelques détails, et je ne serai tranquille qu’après avoir
éclairci mes doutes... Aussi je Je me décide à voyager et vais aller en Turquie, en Grèce, en Asie,
pour y chercher un modèle et comparer mon tableau à diverses natures... Peut-être ai-je là-haut,
reprit-il en laissant échapper un sourire de contentement, la nature elle-même... Parfois, j’ai quasi
peur qu’un souffle ne me réveille cette femme, et qu’elle ne disparaisse...¶
Puis il se leva tout à coup, comme pour partir.¶
– Oh! oh! répondit Porbus, j’arrive à temps pour vous éviter la dépense et les fatigues du
voyage.¶
– Comment?, demanda Frenhofer étonné.¶
– Le jeune Poussin est aimé par une femme dont l’incomparable beauté se trouve sans
imperfection aucune!.... Mais, mon cher maître, s’il consent à vous la prêter, au moins faudra-t-il
nous laisser voir votre toile...¶
Le vieillard resta debout, immobile, dans un état de stupidité parfaite.¶
– Comment!... s’écria-t-il enfin douloureusement, montrer ma créature, mon épouse!...?
déchirer le voile dontsous lequel j’ai chastement couvert mon bonheur?... Mais ce serait une
horrible prostitution! Voilà dix ans que je vis avec cette femme! Elle , elle est à moi, à moi
seul!... Elle, elle m’aime. Ne m’a-t-elle pas souri à chaque coup de pinceau que je lui ai donné?
Elle a une âme, l’âme dont je l’ai douée!.... Elle rougirait si d’autres yeux que les miens
s’arrêtaient sur elle... La faire voir!... mais quel est le mari, l’amant assez vil pour conduire sa
femme au déshonneur!...? Quand tu fais un tableau pour la Courcour, tu n’y mets pas toute ton
âme, tu ne vends aux courtisans que des mannequins coloriés. Ma peinture n’est pas une
peinture, c’est un sentiment, une passion! Née dans mon atelier, elle doit y rester vierge, et n’en
peut sortir que vêtue. La poésie et les femmes ne se montrentlivrent nues qu’à leurs
amans!...amants! Possédons-nous les figuresle modèle de Raphaël, l’Angélique de l’Arioste, la
Béatrix du Dante...? Non! nous n’en voyons que les formes!Formes. Eh! bien!, l’œuvre que je
tiens là-haut sous mes verrous est une exception dans notre art... ce Ce n’est pas une toile, c’est
une femme!... une femme avec laquelle je pleure, je ris, je cause... je et pense. Veux-tu que, tout
à coup, je quitte un bonheur de dix années comme on jette un manteau? Que, tout à coup, je cesse
d’être père, amant et dieu; car cetteDieu. Cette femme n’est pas une créationcréature, c’est une
créature!...création. Vienne ton jeune homme, je lui donnerai mes trésors;, je lui ferai voir
donnerai des tableaux du CorrègeCorrége, de Michel-Ange, du Titien;, je baiserai la marque de
ses pas dans la poussière; mais en faire mon rival!...? honte à moi...! Ha! ha! je suis plus amant
encore que je ne suis peintre! J’aurai. Oui, j’aurai la force de brûler ma CatherineBelle-Noiseuse
à mon dernier soupir; mais lui faire supporter le regard d’un homme, d’un jeune homme, d’un
peintre...? non, non...! Je tuerais le lendemain celui qui l’aurait souillée d’un regard!... Je te
tuerais à l’instant, toi, mon ami, si tu ne la saluais pas à genoux!... Veux-tu maintenant que je
soumette mon idole aux froids regards et aux stupides critiques des imbéciles....? Ah! l’amour est
un mystère;, il n’a de vie qu’au fond des cœurs;, et tout est perdu quand un homme dit même à
son ami: – Voilà celle que j’aime!...¶!¶
Le vieillard semblait être redevenu jeune; ses yeux avaient de l’éclat et de la vie; ses joues
pâles étaient nuancées d’un rouge vif, et ses mains tremblaient.¶ Porbus, étonné de la violence
passionnée avec laquelle ces paroles furent dites, ne savait que répondre à un sentiment aussi
neuf que profond.¶ Frenhofer était-il raisonnable ou fou? Se trouvait-il subjugué par une fantaisie
d’artiste, ou les idées qu’il avait exprimées procédaient-elles de ce fanatisme inexprimable
produit en nous par le long enfantement d’une grande œuvre? Pouvait-on jamais espérer de
transiger avec cette passion bizarre?¶
En proie à toutes ces pensées, Porbus dit au vieillard:¶: – Mais n’est-ce pas femme pour
femme?... Poussin ne livre-t-il pas sa maîtresse à vos regards!¶?¶
– Quelle maîtresse!, répondit Frenhofer. – Elle le trahira tôt ou tard!. La mienne me sera
toujours fidèle!¶
– Eh! bien!, reprit Porbus, n’en parlons plus!.... Mais avant que vous ne trouviez, même en
Asie, une femme aussi belle, aussi parfaite que celle dont je parle, vous mourrez peut-être sans
avoir achevé votre tableau...¶
– Oh! il est fini....., dit Frenhofer..... Et qui Qui le verrait, croirait apercevoir une femme
couchée sur un lit de velours, sous des courtines... Près d’elle, un trépied d’argent d’or exhale des
parfums. – Tu serais tenté de prendre le gland d’or des cordons qui retiennent les rideaux, et il te
semblerait voir le sein de Catherine suivreLescault, une belle courtisane appelée la BelleNoiseuse, rendre le mouvement de sa respiration. – Cependant, je voudrais bien être certain.....¶
– Va donc en Asie!..., répondit Porbus en apercevant une sorte d’hésitation dans le regard de
Frenhofer.¶
Et Porbus fit quelques pas vers la porte de la salle.¶
En ce moment, Gillette et Nicolas Poussin étaient arrivés prèsprés du logis de Frenhofer.
Quand la jeune fille fut sur le point d’y entrer, elle quitta le bras du peintre, et se reculant en
arrière comme si elle eût été saisie par quelque soudain pressentiment:¶.¶
– Mais que viens-je donc faire ici?..., demanda-t-elle à son amant d’un son de voix profond et
en le regardant d’un œil fixe.¶
Étonné, le Poussin lui prit la main en disant avec une vive émotion:¶
– Gillette, je t’ai laissée maîtresse et veux t’obéir en tout. Tu es ma conscience et ma gloire...
Reviens au logis, je serai plus heureux, peut-être, que si tu...¶
– Suis-je à moi, quand tu me parles ainsi?... Oh! non, je ne suis plus qu’une enfant.¶ – Allons,
ajouta-t-elle en paraissant faire un violent effort, si notre amour périt, et si je mets dans mon
cœur un long regret, ta célébrité ne sera-t-elle pas le prix de mon obéissance à tes désirs?...
Entrons, ce sera vivre encore que d’être toujours comme un souvenir dans ta palette! ...¶
En ouvrant la porte de la maison, les deux amansamants se rencontrèrent avec Porbus; et
celui-ci qui, surpris par la beauté de Gillette dont les yeux étaient alors pleins de larmes, la saisit
toute tremblante, et l’amenant devant le vieillard:¶: – Tenez, dit-il, ne vaut-elle pas tous les
chefs-d’œuvre du monde?...¶?¶
Frenhofer tressaillit. Gillette était là, dans l’attitude naïve et simple d’une jeune Géorgienne,
toute innocente et peureuse, ravie et présentée par des brigands à quelque marchand d’esclaves.
Une pudique rougeur colorait son visage;, elle baissait les yeux;, ses mains étaient pendantes à
ses côtés;, ses forces semblaient l’abandonner, et des larmes protestaient contre la violence faite à
sa pudeur.¶ En ce moment, Poussin, au désespoir d’avoir sorti ce beau trésor de son ce grenier,
se maudit lui-même; et, alors,. Il devint plus amant qu’artiste, et mille scrupules lui torturèrent le
cœur, quand il vit l’œil rajeuni du vieillard, qui, par une habitude de peintre, déshabilla, pour
ainsi dire, cette jeune fille en en devinant les formes les plus secrètes.¶ Revenant soudain Il revint
alors à la féroce jalousie du véritable amour, il s’écria:¶.¶
– Gillette, partons!.. s’écria-t-il.¶
A cet accent, à ce cri, sa maîtresse joyeuse leva les yeux sur lui, le vit, et, courant courut dans
ses bras:¶.¶
– Ah! tu m’aimes donc?... s’écria-t-, répondit-elle en fondant en larmes.¶
Elle avait Après avoir eu l’énergie de taire sa souffrance, mais elle manquamanquait de force
pour cacher son bonheur.¶
– Oh! laissez-la-moi pendant deux heures...un moment, dit le vieux peintre, et vous la
comparerez à ma Catherine... – Oui, j’y consens.¶
Il y avait encore de l’amour dans le cri de Frenhofer. Il semblait avoir de la coquetterie pour
son semblant de femme, et jouir par avance du triomphe que la beauté de sa vierge allait
remporter sur celle d’une vraie jeune fille.¶
– Ne le laissez pas se dédire!..., s’écria Porbus en frappant sur l’épaule de Poussin. Les fruits
de l’amour passent vite, ceux de l’art sont immortels...¶
– Pour lui, répondit Gillette en regardant attentivement le Poussin et Porbus, ne suis-je donc
pas plus qu’une femme!...¶? Elle leva la tête avec fierté; mais quand, après avoir jeté un coup
d’œil étincelant à Frenhofer, elle vit son amant occupé à contempler de nouveau le portrait, qu’il
avait pris naguère pour un Giorgion:¶: – Ah! dit-elle, montons!... Il ne m’a jamais regardée
ainsi!...¶
– Vieillard!..., reprit Poussin tiré de sa méditation par la voix de Gillette, vois cette épée!..., je
la plongerai dans ton cœur au premier mot de plainte que prononcera cette jeune fille... Puis, je
mettrai le feu à ta maison, et personne n’en sortira... Comprends-tu?...¶?¶
Nicolas Poussin était sombre, et sa parole fut terrible; son. Cette attitude, son et surtout le
geste du jeune peintre consolèrent Gillette; et, alors, elle qui lui pardonna presque de la sacrifier
à la peinture, et à la gloire, à l’avenir.¶ son glorieux avenir. Porbus et Poussin restèrent à la porte
de l’atelier, se regardant l’un l’autre en silence; et si. Si, d’abord, celui-làle peintre de la Marie
égyptienne se permit quelques exclamations:¶: – Ah! elle se déshabille. – Il , il lui dit de se
mettre au jour, etc.¶! Il la compare! Bientôt il se tut à l’aspect du Poussin dont le visage était
devenu inquietprofondément triste; et sombre., quoique les vieux peintres n’aient plus de ces
scrupules si petits en présence de l’art, il les admira tant ils étaient naïfs et jolis. Le jeune homme
avait la main sur la garde de sa dague et l’oreille presque collée à la porte. Porbus, également
attentif, commençait à comprendre la souffrance du Poussin. Tous deux, dans l’ombre et debout,
ressemblaient ainsi à deux conspirateurs attendant l’heure de frapper un tyran.¶
– Entrez!..., entrez!..., leur dit le vieillard rayonnant de bonheur. Mon œuvre est parfaite, et
maintenant je puis la montrer avec orgueil. Jamais peintre, pinceaux, couleurs, toile et lumière ne
feront une rivale à ma Catherine Lescault!.. la belle courtisane.¶
Porbus et Poussin, enEn proie à une vive curiosité, se trouvèrent bientôtPorbus et Poussin
coururent au milieu d’un vaste atelier, couvert de poussièrepoussiere, où tout était en désordre,
d’où le jour tombait d’en haut, et où ils virent çà et là des tableaux accrochés aux murs parmi des
statues, des essais, des bustes, des mains, des squelettes, et des morceaux d’étoffe, des armes, des
meubles, curieux modèles!. Ils s’étaient arrêtéss’arrêtèrent tout d’abord devant une figure de
femme de grandeur naturelle, demi-nue, et pour laquelle ils furent saisis d’admiration.¶
– Oh! ne vous occupez pas de cela!..., dit Frenhofer. C’est, c’est une toile que j’ai barbouillée
pour étudier une pose..., ce tableau ne vaut rien. – Voilà mes erreurs!..., reprit-il en leur montrant
de ravissantes compositions suspendues aux murs, autour d’eux.¶
A ces mots, Porbus et Poussin , stupéfaits de ce dédain pour de telles œuvres, cherchèrent le
portrait annoncé, sans réussir à l’apercevoir.¶
– Eh! bien!, le voilà! ... leur dit le vieillard exalté.¶ Il avaitdont les cheveux étaient en
désordre et, dont le visage était enflammé; ses par une exaltation surnaturelle, dont les yeux
pétillaient; il était tout haletant.¶, et qui haletait comme un jeune homme ivre d’amour. – Ah! ah!
s’écria-t-il, vous ne vous attendiez pas à tant de perfection!... Vous êtes devant une femme et
vous cherchiezcherchez un tableau!.... Il y a tant de profondeur sur cette toile, l’air y est si vrai,
que vous ne pouvez plus le distinguer de l’air qui nous environne... Où est l’art?... perdu,
disparu!... Ce sont Voilà les formes même mêmes d’une jeune fille... N’ai-je pas bien saisi la
couleur, le vif de la ligne qui termine lesparaît terminer le corps!...? N’est-ce pas nature?...le
même phénomène que nous présentent les objets qui sont dans l’atmosphère comme les poissons
dans l’eau? Admirez comme les contours se détachent du fond?... Ne semble-t-il pas que vous
puissiez passer la main sur ce dos?... Aussi, j’ai, pendant sept années, ai-je étudié les
phénomèneseffets de l’accouplement du jour et des objets... Et ces cheveux..., la lumière ne les
inonde-t-elle pas?... Mais elle a respiré, je crois!..... Ce ce sein!..... Voyez..., voyez? Ah! qui ne
voudrait l’adorer à genoux?... Les chairs palpitent. Elle va se lever! – Attendez!.., attendez.¶
– Apercevez-vous quelque chose? demanda Poussin à Porbus.¶
– Non. Et vous?...¶?¶
– Rien...¶
Les deux peintres, laissant laissèrent le vieillard à son extase, regardèrent si la lumière, en
tombant d’aplomb sur la toile qu’il leur montrait, n’en neutralisait pas tous les effets; alors, ils.
Ils examinèrent alors la peinture en se mettant à droite, à gauche, de face, en se baissant ouet se
levant tour à tour.¶
– Oui!..., oui!..., c’est bien une toile!..., leur disait Frenhofer, en se méprenant sur le but de
cet examen scrupuleux. Tenez, voilà le châssis!..., le chevalet!... Enfin,, enfin voici mes couleurs,
mes pinceaux!...¶
Et il s’empara d’une brosse qu’il leur présenta par un mouvement naïf.¶
– Le vieux lansquenet se joue de nous!..., dit Poussin en revenant devant le prétendu tableau.
Je ne vois là que des couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes
bizarres!.. qui forment une muraille de peinture.¶
– Nous nous trompons, voyez?... reprit Porbus.¶
Alors, en En s’approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile, le bout d’un pied nu qui
sortait de ce chaos de couleurs, de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme;
mais un pied... un pied délicieux, un pied vivant!¶ Et ils Ils restèrent pétrifiés d’admiration
devant ce fragment échappé dans l’œuvre à une incroyable destruction aussi , à une lente que et
progressive. destruction. Ce pied apparaissait là comme le torse de quelque Vénus en marbre de
Paros qui surgirait, riche de beautés, parmi les décombres d’une ville incendiée.¶
– Il y a une femme là-dessous!..., s’écria Porbus, en faisant remarquer à Poussin les diverses
superpositionscouches de couleurs dontque le vieux peintre avait successivement chargé toutes
les parties de cette figuresuperposées en voulant la perfectionner. sa peinture.¶
Alors les Les deux peintres se tournèrent spontanément vers Frenhofer, en commençant à
s’expliquer, mais vaguement, l’extase dans laquelle il vivait.¶
– Il est de bonne foi! ..., dit Porbus.¶
– Oui, mon ami, répondit le vieillard en se réveillant, il faut de la foi!..., de la foi dans l’art, et
vivre pendant long-temps avec son œuvre pour produire une semblable création semblable...
Quelques-unes de ces ombres m’ont coûté bien des travaux... Tenez? Il , il y a là sur sala joue, au
-dessous des yeux, une légère vapeurpénombre qui, si vous l’observez dans la nature, vous
paraîtra presque intraduisible... Eh! bien!..., croyez-vous qu’elle que cet effet ne m’ait pas coûté
des peines inouïes à reproduire? Mais aussi, mon cher Porbus, regarde attentivement mon travail,
et tu comprendras mieux ce que je te disais relativement àsur la manière dont les Flamands et les
Italiens traitent la lumière de traiter le modelé et le contour... En dessinant purement la ligne
d’après les enseignemens du Pérugin, j’ai légèrement dégradé la lumière par des demi-tons que
j’ai long-temps étudiés, et au lieu d’empâter le dehors de la ligne, j’ai disposé des ombres dans la
lumière. –les contours. Regarde la lumière du sein, et vois comme, par une suite de touches et de
rehauts fortement empâtés, je suis parvenu à accrocher la véritable lumière et à la combiner avec
la blancheur luisante des tons éclairés; et comme, par un travail contraire, en effaçant les saillies
et le grain de la pâte, j’ai pu, à force de caresser le contour de ma figure, noyé dans la demiteinte, ôter jusqu’à l’idée de dessin et de moyens artificiels, et lui donner l’aspect et la rondeur
même de la nature. Approchez?..., vous verrez mieux ce travail. – De loin, il disparaît... Tenez,?
là, il est, je crois, très-remarquable.¶
Et du bout de sa brosse, il désignait aux deux peintres un pâté de couleur claire.¶
Porbus frappa sur l’épaule du vieillard; puis, en se tournant vers Poussin:¶: – Savez-vous que
nous voyons en lui un bien grand peintre?... dit-il.¶
– Il est encore plus poëtepoète que peintre!, répondit gravement Poussin.¶
– Là, reprit Porbus en touchant la toile, finit notre art sur terre...¶
– Et, de là, il va se perdre dans les cieux!..., dit Poussin.¶
– QueCombien de jouissances sur ce morceau de toile!... s’écria Porbus.¶
Le vieillard absorbé ne les écoutait pas, et souriait à cette femme imaginaire.¶
– Mais, tôt ou tard, il s’apercevra qu’il n’y a rien sur sa toile!..., s’écria le Poussin.¶
– Rien!... sur... ma toile!..., dit Frenhofer en regardant tour à tour les deux peintres et son
prétendu tableau.¶
– Qu’avez-vous fait?...! répondit Porbus à Poussin.¶
Le vieillard saisit avec force le bras du jeune homme et lui dit:¶: – Tu ne vois rien?...,
manant! maheustre! bélître! bardache!... Pourquoi donc es-tu monté ici?¶ – Mon bon Porbus?...,
reprit-il en se tournant vers l’autre spectateurle peintre, est-ce que, vous aussi, vous vous joueriez
de moi?... Répondez... Je vous ai rendu service, répondez? je suis votre ami... Aurais, dites,
aurais je donc gâté mon tableau?¶
Porbus, indécis, n’osa rien dire; mais, l’anxiété peinte sur la physionomie blanche du
vieillard était si cruelle, qu’il montra la toile en disant:¶: – Voyez!...¶!¶
Frenhofer contempla son tableau pendant un moment et chancela.¶
– Rien!..., rien!... Oh! Et avoir travaillé dix ans!.....¶!¶
Il s’assit et pleura.¶
– Je suis donc un imbécile, un fou!... Je je n’ai donc ni talent, ni capacité... Je , je ne suis plus
qu’un homme riche, qui, en marchant, ne fait que marcher!... Je n’aurai donc rien produit!...¶!¶
Contemplant avec douleurIl contempla sa toile à travers ses larmes, il se releva tout à coup
avec fierté; puis, jetant, et jeta sur les deux peintres un regard étincelant aux deux peintres:¶.¶
– Par le sang, par le corps, par la tête du Christ!... Vous , vous êtes des faquins!... Allez,
jaloux!... Je la vois, moi!... Elle qui voulez me faire croire qu’elle est gâtée pour me la voler!
Moi, je la vois! cria-t-il, elle est merveilleusement belle!... Ah! vous craignez ma gloire!...
Sortez!... sortez!...¶
En ce moment, Poussin entendit les pleurs de Gillette; elle était seule, oubliée dans un coin,
oubliée...¶
– Qu’as-tu, mon ange?... lui demanda le peintre redevenu subitement amoureux.¶
– Tue-moi! dit-elle, je . Je serais une infâme de t’aimer encore, car je te méprise... Tu es ma
vie Je t’admire, et tu me fais horreur... JeJe t’aime et je crois que je te hais déjà.¶
Pendant que Poussin écoutait Gillette, Frenhofer recouvrait sa Catherine d’une serge verte,
avec la sérieuse tranquillité d’un joaillier qui ferme ses tiroirs en se croyant en compagnie
d’adroits larrons. Il jeta sur les deux peintres un regard profondément sournois, plein de mépris et
de soupçon, les mit silencieusement à la porte de son atelier, avec une promptitude convulsive.
Puis, il leur dit sur le seuil de son logis: – Adieu mes petits amis.¶
Cet adieu glaça les deux peintres. Le lendemain, Porbus inquiet, revint voir Frenhofer, et
apprit qu’il était mort dans la nuit, après avoir brûlé ses toiles.¶
Paris, février 1832.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DU RÉQUISITIONNAIRE ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
LE RÉQUISITIONNAIRE.¶
« Tantôt ils lui voyaient, par un phénomène de vision ou de
locomotion, abolir l’espace dans ses deux modes de Temps et de
Distance, dont l’un est intellectuel et l’autre physique. »
Hist. intell. de Louis Lambert.¶
A MON CHER ALBERT MARCHAND DE LA RIBELLERIE.¶
Tours, 1836.¶
PARPar un soir du mois de novembre 1793, les principaux personnages de Carentan se
trouvaient dans le salon de madame de Dey..., chez laquelle l’assemblée se tenait tous les jours.
Ce rendez-vous accoutumé avait excité le plus grand intérêt, pour cette soirée-là, par suite de
quelquesQuelques circonstances qui n’eussent point attiré l’attention d’une grande ville, mais
dont une petite devait être qui devaient fortement préoccupée.¶ en préoccuper une petite,
prêtaient il à ce rendez-vous habituel un intérêt inaccoutumé. La surveille, madame de Dey...
avait fermé sa porte à tout le monde, et, sa société, qu’elle s’était encore dispensée de recevoir la
veille, en prétextant d’une indisposition, elle s’était encore dispensée de recevoir sa société
habituelle.¶. En temps ordinaire, ces deux événemensévénements eussent fait à Carentan le
même effet que produit dans à Paris un relâche à tous les théâtres; ces . Ces jours-là, l’existence
y est en quelque sorte incomplète; mais. Mais, en 1793, la conduite de madame de Dey... pouvait
avoir la plus sinistre influence sur sa destinée. Alors, la les plus funestes résultats. La moindre
démarche hasardée devenait alors presque toujours pour les nobles une question de vie ou de
mort.¶ Or, pour Pour bien comprendre la curiosité vive et les étroites finesses qui animèrent
pendant cette soirée les physionomies normandes de tous les ces personnages; et,, mais surtout,
pour partager les perplexités secrètes de madame de Dey..., il est nécessaire d’expliquer le rôle
qu’elle jouait à Carentan. La position critique dans laquelle elle se trouvait en ce moment ayant
été sans doute celle de bien des gens pendant la révolutionRévolution, les sympathies de plus
d’un lecteur achèveront de colorer ce récit.¶
Madame de Dey..., veuve d’un lieutenant général, chevalier des ordres, avait quitté la cour au
commencement de l’émigration. Possédant des biens considérables aux environs de Carentan,
elle s’y était réfugiée, en espérant que l’influence de la terreur s’y ferait peu sentir. Ce calcul,
fondé sur une exacte connaissance exacte du pays, était juste; car, en effet, la révolution. La
Révolution exerça peu de ravages en Basse-Normandie.¶ Quoique madame de Dey... ne vît jadis
que les familles nobles du pays quand elle y venait visiter ses propriétés, elle avait, par politique,
ouvert sa maison aux principaux bourgeois de la ville et aux nouvelles autorités, en s’efforçant
de les rendre fiers de sa conquête, et de ne sans réveiller chez eux ni haine ni jalousie.¶
Gracieuse et bonne, douée de cette inexprimable douceur qui sait plaire sans recourir à
l’abaissement ou à la prière, elle avait réussi à se concilier l’estime générale par un tact exquis
dont les sages avertissemensavertissements lui permettaient de se tenir sur la ligne délicate où
elle pouvait satisfaire à toutes les aux exigences de cette société mêlée, sans humilier le rétif
amour-propre des parvenus ou , ni choquer celui de ses anciens amis.¶
Agée d’environ trente-huit ans, elle conservait encore, non pas la cette beauté fraîche et nourrie
des qui distingue les filles de la Basse-Normandie, mais une beauté grêle et pour ainsi dire
aristocratique. Ses traits étaient fins et délicats; sa taille, était souple et déliée. Quand elle
parlait, son pâle visage paraissait s’éclairer et prendre de la vie. Ses grands yeux noirs étaient
pleins d’affabilité, mais leur expression calme et religieuse semblait annoncer que le principe de
son existence n’était pointplus en elle.¶ Mariée à la fleur de l’âge avec un militaire vieux et
jaloux, la fausseté de sa position au milieu d’une cour galante contribua beaucoup sans doute à
répandre un voile de grave mélancolie sur une figure où les charmes et la vivacité de l’amour
avaient dû briller autrefois. Obligée de réprimer sans cesse les mouvemensmouvements naïfs, les
émotions de la femme alors qu’elle sent encore au lieu de réfléchir, la passion était restée vierge
au fond de son cœur. Aussi, son principal attrait venait-il de cette intime jeunesse que, par
momensmoments, trahissait sa physionomie, et qui donnait à ses idées une innocente expression
de désir. Son aspect commandait la retenue;, mais il y avait toujours dans son maintien, dans sa
voix, des promessesélans vers un avenir inconnu, comme chez une jeune fille; et bientôt,
l’homme le plus insensible se trouvait amoureux d’elle, mais en conservant toujourset conservait
néanmoins une sorte de crainte respectueuse, parce que inspirée par ses manières polies qui
imposaient, parce que son . Son âme, nativement grande, mais fortifiée par des luttes cruelles,
semblait placée trop loin du vulgaire, et que les hommes se faisaient justice. A cette âme, il
fallait nécessairement une grande et noblehaute passion. Aussi les affections de madame de
Dey... s’étaient-elles concentrées dans un seul sentiment, celui de la maternité. Tout le Le
bonheur et le plaisirles plaisirs dont sa vie de femme avait été privée sa vie de femme, elle le les
retrouvait dans l’amour extrême qu’elle portait à son fils. Elle ne l’aimait pas seulement avec le
pur et profond dévouement d’une mère, mais avec la coquetterie d’une maîtresse, avec la
jalousie d’une épouse. Elle était malheureuse loin de lui, inquiète pendant ses absences, ne le
voyait jamais assez, ne vivait que par lui et pour lui.¶ Pour Afin de faire comprendre touteaux
hommes la force de ce sentiment, même par les hommes, il suffira d’ajouter que ce fils était nonseulement l’unique enfant de madame de Dey..., mais son dernier parent, le seul être auquel elle
pût rattacher les craintes, les espérances et les joies de sa vie; car le . Le feu comte de Dey... fut
le dernier rejeton de sa famille, comme elle se trouva seule héritière de la sienne.¶ Tout s’était
accordé pour attiser Les calculs et les intérêts humains s’étaient donc accordés avec les plus
nobles besoins de l’âme pour exalter dans le cœur de la comtesse un sentiment déjà si fort chez
les femmes. Elle n’avait élevé son fils qu’avec des peines infinies, qui le lui avaient rendu plus
cher encore. Vingt ; vingt fois les médecins lui en présagèrent la perte; mais se confiant à ses
pressentimens, à , confiante en ses pressentiments, en ses espérances, et en dépit des arrêts de la
Faculté, elle eut la joie inexprimable de lui voir heureusement traverser les périls de l’enfance,
d’admirer les progrès de sa constitution; puis, grâce, en dépit des arrêts de la Faculté.¶
Grâce à des soins constans, ilconstants, ce fils avait grandi, et s’était si gracieusement développé,
qu’à vingt ans, il passait pour un des cavaliers les plus accomplis de Versailles. Enfin, par un
bonheur qui ne couronne pas les efforts de toutes les mères, elle était adorée de son fils. Leurs ;
leurs âmes s’entendaient par de fraternelles sympathies. S’ils n’eussent pas été liés déjà par le
vœu de la nature, ils auraient instinctivement éprouvé l’un pour l’autre cette amitié d’homme à
homme, si rare à rencontrer dans la vie. Nommé sous-lieutenant de dragons à dix-huit ans, le
jeune comte avait obéi au point d’honneur de l’époque en suivant les princes dans leur
émigration.¶
Ainsi madame de Dey..., noble, riche, et mère d’un émigré, ne se dissimulait point les dangers de
sa cruelle situation. Ne formant d’autre vœu que celui de conserver à son fils une grande fortune,
elle avait renoncé au bonheur de l’accompagner. En ; mais en lisant les lois rigoureuses en vertu
desquelles la République confisquait chaque jour les biens des émigrés à Carentan, elle
s’applaudissait de cet acte de courage. Ne gardait-elle pas les trésors de son fils au péril de ses
jours? Puis, en apprenant les terribles exécutions ordonnées par la Convention, elle s’endormait
heureuse de savoir sa seule richesse en sûreté, loin des dangers, loin des échafauds... Alors elle
Elle se complaisait à croire qu’elle avait pris le meilleur parti pour sauver tout à la fois toutes ses
fortunes.¶ Faisant à cette secrète pensée toutes les concessions voulues par le malheur des temps,
mais sans compromettre ni sa dignité de femme ni ses croyances aristocratiques, elle enveloppait
ses douleurs dans un froid mystère. Elle avait compris toutes les difficultés qui l’attendaient à
Carentan. Venir y occuper la première place, c’était n’était-ce pas y défier l’échafaud tous les
jours; mais? Mais, soutenue par un courage de mère, elle sut conquérir l’affection des pauvres en
soulageant indifféremment toutes les misères, et se rendit nécessaire aux riches en veillant à
leurs plaisirs.¶ Elle recevait le procureur de la commune, le maire, le président du district,
l’accusateur public, et même les juges du tribunal révolutionnaire. Les quatre premiers de ces
personnages, n’étant pas mariés, la courtisaient dans l’espoir de l’épouser, soit en l’effrayant par
le mal qu’ils pouvaient lui faire, soit en lui offrant leur protection. L’accusateur public, ancien
procureur à Caen, jadis chargé des intérêts de la comtesse, tentait de lui inspirer de l’amour par
une conduite pleine de dévouement et de générosité; finesse dangereuse! C’Il était le plus
redoutable de tous les prétendans.prétendants. Lui seul connaissait à fond l’état de la fortune
considérable de son ancienne cliente; et sa . Sa passion devait s’accroître de tous les désirs d’une
avarice qui s’appuyait sur un pouvoir immense, sur le droit de vie et de mort dans le district.¶
Cet homme, encore jeune, mettait tant de noblesse dans ses procédés, que madame de Dey...
n’avait pas encore pu le juger. Mais, méprisant le danger qu’il y avait à lutter d’adresse avec des
Normands, elle employait l’esprit inventif et la ruse que la nature a départis aux femmes pour
opposer toutes ces rivalités les unes aux autres. En gagnant du temps, elle espérait arriver saine
et sauve à la fin des troubles; car, à . A cette époque, les royalistes de l’intérieur se flattaient tous
les jours de voir la révolutionRévolution terminée le lendemain; et cette conviction a été la perte
de beaucoup d’entre eux.¶
Malgré tous ces obstacles, la comtesse avait assez habilement maintenu son indépendance
jusqu’au jour où, par une inexplicable imprudence, elle s’était avisée de fermer sa porte. Elle
inspirait un intérêt si profond et si véritable, que toutes les personnes venues ce soir-là chez elle
conçurent une vive inquiétudede vives inquiétudes en apprenant que soudain qu’il lui devenait
impossible de les recevoir, et ; puis, avec cette franchise de curiosité empreinte dans les mœurs
provinciales, elles s’enquéraients’enquirent du malheur, du chagrin, de la maladie qui
affligeaitdevait affliger madame de Dey... Mais à toutes les A ces questions une vieille femme
de charge, nommée Brigitte, répondait que sa maîtresse s’était enfermée et ne voulait pas voir
personne, pas même les gens de sa maison.¶ L’existence, en quelque sorte claustrale, que mènent
les habitanshabitants d’une petite ville crée en eux une habitude d’analyser et d’expliquer les
actions d’autrui si naturellement invincible qu’après avoir plaint madame de Dey..., sans savoir
si elle était réellement heureuse ou chagrine, chacun se mit à rechercher les causes de sa
soudaine retraite.¶
– Si elle était malade, dit le premier curieux, elle aurait envoyé chez le médecin. Et; mais le
docteur est resté pendant toute la journée chez moi à jouer aux échecs?...! Il me disait en riant
que, par le temps qui court, il n’y a qu’une maladie... et qu’elle est malheureusement incurable.¶
Cette plaisanterie fut prudemment hasardée.¶ Alors femmes Femmes, hommes, vieillards et
jeunes filles se mirent alors à parcourir le vaste champ des conjectures. Chacun crut entrevoir un
secret, et ce secret occupa toutes les imaginations. Le lendemain les soupçons s’envenimèrent.
Comme la vie est à jour dans une petite ville, les femmes apprirent les premières que Brigitte
avait fait au marché des provisions plus considérables qu’à l’ordinaire. Ce fait ne pouvait être
contesté; car . L’on avait vu Brigitte de grand matin sur la place, et, chose extraordinaire, elle y
avait acheté le seul lièvre qui s’y trouvât. Toute la ville savait que madame de Dey... n’aimait pas
le gibier. Le lièvre devint un nouveau point de départ pour des suppositions infinies.¶ En faisant
leur promenade périodique, les vieillards remarquèrent dans la maison de la comtesse une sorte
d’activité concentrée qui se révélait par les précautions même dont les gens se servaient les gens
pour la cacher. Le valet de chambre battait un tapis dans le jardin. La ; la veille, personne n’y
aurait pris garde; mais le ce tapis devint une pièce à l’appui des romans que tout le monde
bâtissait; car chacun . Chacun avait le sien.¶ Le second jour, en apprenant que madame de Dey...
se disait indisposée, les principaux personnages de Carentan se réunirent le soir chez le frère du
maire, vieux négociant marié, homme probe, généralement estimé, et pour lequel la comtesse
avait beaucoup d’égards. Là, tous les aspiransaspirants à la main de la riche veuve eurent à
raconter une fable plus ou moins probable. – Chacun ; et chacun d’eux pensait à faire tourner à
son profit la circonstance secrète qui la forçait de se compromettre ainsi. L’accusateur public
imaginait tout un drame pour amener nuitamment le fils de madame de Dey... chez elle. – Le
maire croyait à un prêtre insermenté, venu de la Vendée, et qui lui aurait demandé un asile; mais
l’achat du lièvre, un vendredi, l’embarrassait beaucoup. – Le président du district tenait
fortement pour un chef de chouansChouans ou de Vendéens vivement poursuivi. – D’autres
voulaient un noble échappé des prisons de Paris. – Enfin tous soupçonnaient la comtesse d’être
coupable d’une de ces générosités que les lois d’alors nommaient un crime, et qui pouvaient
conduire à l’échafaud. Du reste, l’accusateurL’accusateur public disait d’ailleurs à voix basse
qu’il fallait se taire, et tâcher de sauver l’infortunée de l’abîme vers lequel elle marchait à grands
pas.¶
– Si vous ébruitez cette affaire..., ajouta-t-il, je serai obligé d’intervenir, de faire des
perquisitions chez elle..., et alors!...¶ Il n’acheva pas;, mais chacun comprit cette terrible
réticence...¶
Les amis sincères de la comtesse s’alarmèrent tellement pour elle que, dans la matinée du
troisième jour, le procureur-syndic de la commune lui fit écrire par sa femme un mot pour
l’engager à recevoir pendant la soirée comme à l’ordinaire.¶Le Plus hardi, le vieux négociant,
plus hardi, se présenta dans la matinée chez madame de Dey... Fort du service qu’il voulait lui
rendre, il exigea d’être introduit auprès d’elle; mais il , et resta stupéfait en l’apercevant dans le
jardin, occupée à couper les dernières fleurs de ses plates-bandes pour en garnir des vases.¶
– Elle a sans doute donné asile à son amant!..., se dit le vieillard pris de pitié pour cette
charmante femme.¶ La singulière expression du visage de la comtesse le confirma dans ses
soupçons.¶ Vivement ému de ce dévouement si naturel aux femmes, mais qui nous touche
toujours, parce que tous les hommes sont flattés par les sacrifices qu’une d’elles fait à un
homme, le négociant instruisit la comtesse des bruits qui couraient dans la ville et du danger où
elle se trouvait:¶. – Car, lui dit-il en terminant, si, parmi nos fonctionnaires, il en est quelquesuns assez disposés à vous pardonner un héroïsme qui aurait un prêtre pour objet, personne ne
vous plaindra si l’on vient à découvrir que vous vous immolez à des intérêts de cœur...¶
A ces mots, madame de Dey... regarda le vieillard avec un air d’égarement et de folie dont il
frissonna, tout vieux qu’il était.¶qui le fit frissonner, lui, vieillard.¶
– Venez, lui dit-elle en le prenant par la main.¶ Elle le conduisit pour le conduire dans sa
chambre, et là, tirantoù, après s’être assurée qu’ils étaient seuls, elle tira de son sein une lettre
sale et chiffonnée:¶: – Lisez!..., s’écria-t-elle en faisant un violent effort pour prononcer ce mot.¶
Elle tomba dans son fauteuil, comme anéantie.¶ Pendant que le vieux négociant cherchait ses
lunettes et les nettoyait, elle leva les yeux sur lui, le contempla pour la première fois avec
curiosité; puis, d’une voix altérée:¶: – Je me fie à vous..., lui dit-elle doucement.¶
– Est-ce que je ne viens pas partager votre crime!..., répondit le bonhomme avec simplicité.¶
Elle tressaillit. C’était la seule Pour la première fois que, dans cette petite ville, son âme
généreuse eût sympathisésympathisait avec celle d’un autre.¶ Le vieux négociant comprit tout à
coup et l’abattement et la joie de la comtesse.¶ Son fils avait fait partie de l’expédition de
Granville. – Il , il écrivait à sa mère du fond de sa prison. – Il lui donnait, en lui donnant un triste
et doux espoir. Ne doutant pas de ses moyens d’évasion, il lui indiquait trois jours, pendant
lesquels il devait se présenter chez elle, déguisé. La fatale lettre contenait de déchiransdéchirants
adieux, au cas où il ne serait pas à Carentan dans la soirée du troisième jour. – Enfin , et il priait
sa mère de remettre une assez forte somme à l’émissaire qui s’était chargé de lui apporter cette
triste dépêche, à travers mille dangers.¶ Le papier tremblait dans les mains du vieillard.¶
– Et voici le troisième jour!..., s’écria madame de Dey... en se levant brusquement, reprenant qui
se leva rapidement, reprit la lettre, et marchant avec vivacité...¶
– Vous avez commis des imprudences!..., lui dit le négociant. Pourquoi faire prendre des
provisions?...¶?¶
– Mais il peut arriver, mourant de faim, exténué de fatigue, et...¶ Elle n’acheva pas.¶
– Je suis sûr de mon frère..., reprit le vieillard, je vais aller le mettre dans vos intérêts...¶
Alors le Le négociant, retrouvant retrouva dans cette circonstance la finesse qu’il avait mise jadis
dans les affaires, et lui dicta des conseils empreints de prudence et de sagacité.¶ Après être
convenus de tout ce qu’ils devaient dire et faire l’un et ou l’autre, le vieillard alla, sous divers des
prétextes habilement trouvés, dans les principales maisons de Carentan, où il annonça que
madame de Dey..., qu’il venait de voir, recevrait dans la soirée, malgré son indisposition.¶
Luttant de finesse avec toutes les intelligences normandes dans l’interrogatoire que chaque
famille lui imposa sur la nature de la maladie de la comtesse, il réussit à donner le change à
presque toutes les personnes qui s’occupaient de cette mystérieuse affaire. Sa première visite fit
merveille. Il raconta devant une vieille dame goutteuse que madame de Dey... avait manqué périr
d’une attaque de goutte à l’estomac. Le ; le fameux Tronchin lui ayant recommandé jadis, en
pareille occurrence, de se mettre sur la poitrine la peau d’un lièvre écorché vif, et de rester au lit
sans se permettre le moindre mouvement, la comtesse, en danger de mort, il y a deux jours, se
trouvait, après avoir suivi ponctuellement suivi la bizarre ordonnance de Tronchin, assez bien
rétablie pour recevoir ceux qui viendraient la voir pendant la soirée. Ce conte eut un succès
prodigieux, et le médecin de Carentan, royaliste in petto, en augmenta l’effet par
l’impartialitél’importance avec laquelle il discuta les savantes bizarreries du le spécifique.¶
Néanmoins les soupçons avaient trop fortement pris racine dans l’esprit de quelques entêtés ou
de quelques philosophes pour être entièrement dissipés; en sorte que, le soir, tous ceux qui
étaient admis chez madame de Dey... vinrent avec empressement et de bonne heure chez elle, les
uns pour épier sa contenance, les autres par amitié, la plupart saisis par le merveilleux de sa
guérison.¶ Ils trouvèrent la comtesse assise, comme à l’ordinaire, sur une chaise, au coin de la
grande cheminée en pierre de son salon, à peu près aussi modeste que tousl’étaient ceux de
Carentan; car, pour ne pas blesser les étroites pensées de ses hôtes, elle s’était refusée à toutes les
aux jouissances de luxe auxquelles elle était jadis habituée. Elle , elle n’avait donc rien changé
chez elle. Le carreau de la salle de réception n’était même pas frotté. Laissant aux Elle laissait
sur les murs leurs de vieilles tapisseries sombres, elle gardaitconservait les meubles du pays,
brûlait de la chandelle, et suivait les modes de la ville, en épousant la vie provinciale sans reculer
ni devant les petitesses les plus dures, ni devant les privations les plus désagréables. Mais
sachant que ses hôtes lui pardonneraient toutes les magnificences qui auraient leur bien-être pour
but, elle ne négligeait rien quand il s’agissait de leur procurer des jouissances personnelles. Aussi
leur donnait-elle d’excellensd’excellents dîners. Elle allait jusqu’à feindre de l’avarice pour
plaire à ces esprits calculateurs; et, après avoir eu l’art de se faire arracher certaines concessions
de luxe, elle savait tout offrirobéir avec grâce.¶ Donc, vers sept heures du soir, la meilleure
mauvaise compagnie de Carentan se trouvait chez elle, assise sur des chaises en tapisserie, et
décrivantdécrivait un grand cercle devant la cheminée. La maîtresse du logis, soutenue dans son
malheur par les regards compatissanscompatissants que lui jetait le vieux négociant, se soumit
avec un courage inouï à toutes lesaux questions minutieuses, à tous les raisonnemensaux
raisonnements frivoles et stupides de ses hôtes. Mais à chaque coup de marteau frappé sur sa
porte, ou toutes les fois que des pas retentissaient dans la rue, elle cachait ses émotions en
soulevant des questions intéressantes pour la fortune du pays. Elle éleva de bruyantes discussions
sur la qualité des cidres, et fut si bien secondée par le bon vieillard, qui la comprenait
admirablement bienson confident, que l’assemblée oublia presque de l’espionner en trouvant sa
contenance naturelle et son aplomb imperturbable.¶ Mais l’accusateur L’accusateur public et
l’un des juges du tribunal révolutionnaire restaient taciturnes, observaient avec attention les
moindres mouvemensmouvements de sa physionomie, écoutaient dans la maison, malgré le
tumulte; et, à plusieurs reprises, ils lui firent des questions embarrassantes, auxquelles elle la
comtesse répondit cependant avec une admirable présence d’esprit. Les mères ont tant de
courage!¶ Au moment où madame de Dey... eut arrangé les parties, placé tout le monde à des
tables de boston, de reversis ou de wisthwhist, elle resta encore à causer auprès de quelques
jeunes personnes avec un extrême laisser-aller, en jouant son rôle en actrice consommée; puis,
elle . Elle se fit demander un loto;, prétendit savoir seule où il était, et, prétextant qu’elle seule
pouvait le trouver, elle disparut.¶
– J’étouffe!..., ma pauvre Brigitte!..., s’écria-t-elle en essuyant des larmes qui sortirent vivement
de ses yeux, brillans brillants de fièvre, de douleur et d’impatience.¶ – Il ne vient pas, reprit-elle
en regardant la chambre où elle était montée.¶– Ici, je respire et je vis!.... Encore quelques
momensmoments, et il sera là;, pourtant! car il vit encore, j’en suis certaine. – Mon cœur me le
dit. – N’entendez-vous rien, Brigitte?..... Oh! je donnerais le reste de ma vie pour savoir s’il est
en prison ou s’il marche à travers la campagne!.... – Je voudrais ne pas penser!....¶
Elle examina de nouveau si tout était en ordre dans l’appartement.¶ Un bon feu brillait dans la
cheminée; les volets étaient soigneusement fermés; les meubles reluisaient de propreté. La ; la
manière dont le lit avait été fait le lit prouvait que la comtesse s’était occupée avec Brigitte des
moindres détails; et ses espérances étaient écritesse trahissaient dans les soins délicats que
trahissait l’ensemble de cette chambre. Il y avait toute qui paraissaient avoir été pris dans cette
chambre où se respiraient et la gracieuse douceur de l’amour et ses plus chastes caresses dans les
parfums exhalés par les fleurs. Une mère seule pouvait avoir prévu les désirs d’un soldat et lui
préparer d’ausde si complètes satisfactions. – Un repas exquis, des vins choisis, la chaussure, le
linge, enfin tout ce qui devait être nécessaire ou agréable à un homme qui voyagevoyageur
fatigué, se trouvait rassemblé pour que rien ne lui manquât, pour que les délices du chez-soi lui
révélassent l’amour d’une mère, pour qu’il n’eût aucun souhait à former...¶
– Brigitte?... dit la comtesse d’un son de voix déchirant, en allant placer un siégesiège devant la
table, comme pour donner de la réalité à ses vœux, comme pour augmenter la puissanceforce de
ses illusions.¶
– Ah! madame, il viendra!..... Il n’est pas loin.....¶ – Je ne doute pas qu’il ne vive et qu’il ne soit
en marche..., reprit Brigitte, car j’ai . J’ai mis une clef dans la Bible, et je l’ai tenue sur mes
doigts pendant que Cottin lisait l’Evangile de saint Jean... Et – Madame!et, madame! la clef n’a
pas tourné.¶
– Est-ce bien sûr?... demanda la comtesse.¶
– Oh! madame, c’est connu... Je gagerais mon salut qu’il vit encore... Dieu ne peut pas se
tromper.¶
– Oh! malgré toutMalgré le danger qui l’attend ici, je voudrais bien cependant l’y voir...¶
– Pauvre monsieur Auguste!, s’écria Brigitte, il est sans doute à pied, par les chemins.¶
– Et voilà huit heures qui sonnent au clocher! ..., s’écria la comtesse avec terreur.¶
Puis, frissonnantElle eut peur d’être restée plus long-temps qu’elle ne le devait, peut-être, dans
cette chambre, où elle croyait à la vie de son fils, en voyant tout ce qui lui en attestait la vie, elle
descendit; mais avant d’entrer au salon, elle resta pendant un moment sous le péristyle de
l’escalier, en écoutant si quelque bruit ne réveillait pas les silencieux échos de la ville. Elle sourit
au mari de Brigitte, qui se tenait en sentinelle, et dont les yeux semblaient hébétés à force de
prêter attention, comme elle, aux murmures de la place et de la nuit. Elle voyait son fils en tout,
et partout.¶ Affectant un air gai, elle Elle rentra bientôt, en affectant un air gai, et se mit à jouer
au loto avec de des petites filles; mais, de temps à autreen temps, elle se plaignit de souffrir, et
revint occuper son fauteuil auprès de la cheminée..................................................................¶
¶Telle était la situation des choses et des esprits dans la maison de madame de Dey......., pendant
que, sur le chemin de Paris à Cherbourg, un jeune homme vêtu d’une carmagnole brune, costume
de rigueur à cette époque, se dirigeait vers Carentan.¶ A l’origine des réquisitions, il y avait peu
ou point de discipline, et les. Les exigences du moment ne permettantpermettaient guère à la
républiqueRépublique d’équiper sur-le-champ ses soldats, et il n’était pas rare de voir les
chemins couverts de réquisitionnaires qui conservaient leurs habits bourgeois, et . Ces jeunes
gens devançaient leurs bataillons aux lieux d’étape, ou restaient fort en arrière; la, car leur
marche de ces jeunes gens étant était soumise à laleur manière dont ils supportaientde supporter
les fatigues d’une longue route.¶ Le jeune voyageur dont il est ici question se trouvait assez en
avant de la colonne de réquisitionnaires qui se rendait à Cherbourg, et que le maire de Carentan
attendait d’heure en heure, afin de leur distribuer à ces défenseurs de la patrie leurs des billets de
logement. Ce jeune homme marchait d’un pas alourdi, mais ferme encore, et toute son allure
semblait annoncer qu’il s’était familiarisé depuis long-temps avec les fatiguesrudesses de la vie
militaire. Quoique la lune éclairât les herbages qui avoisinent Carentan, il avait remarqué de gros
nuages blancs prêts à jeter de la neige sur la campagne; et la crainte d’être surpris par un ouragan
animait sans doute sa démarche, car elle étaitalors plus vive que ne le comportaient les fatigues
de la journée.¶ comportait sa lassitude. Il avait sur le dos un sac presque vide, et tenait à la main
une canne de buis, coupée dans les hautes et larges haies que cet arbuste forme autour de la
plupart des héritagesherbages en Basse-Normandie.¶ Ce voyageur solitaire entra dans Carentan,
dont les tours, bordées par la lune de lueurs capricieusesfantastiques par la lune, lui
apparaissaient depuis un moment. Son pas réveilla les échos des rues silencieuses; et,, où il ne
rencontrant personne, le jeune homme ; il fut obligé de demander, la maison du maire à un
tisserand qui travaillait encore, la maison du maire.. Ce magistrat demeurait heureusement à une
faible distance;, et bientôt le réquisitionnaire se vit bientôt à l’abri sous le porche de la maison du
digne hommemaire, et s’y assit sur un banc de pierre, en attendant le billet de logement qu’il
avait réclamé.¶ Le maire l’ayant Mais mandé par ce fonctionnaire, il comparut devant lui, et
devint l’objet d’un scrupuleux examen.¶ L’inconnu Le fantassin était un jeune homme de bonne
mine, et qui paraissait appartenir à une famille distinguée. Il y avait un certainSon air de
trahissait la noblesse dans son air, et l’intelligence. L’intelligence due à une bonne éducation
respirait sur sa figure.¶
Le– Comment te nommes-tu, lui demanda le maire en lui adressajetant un regard plein d’intérêt
et de finesse, après s’être assuré qu’ils étaient seuls.¶ – Comment te nommes-tu?... lui demandat-il.¶
– Julien Jussieu..., répondit le réquisitionnaire.¶
Le – Et tu viens? dit le magistrat laissaen laissant échapper un sourire d’incrédulité.¶
– Et tu viens?¶
– De Paris...¶
– Tes camarades sont doivent être loin!..., reprit le maireNormand d’un ton railleur.¶
– J’ai trois lieues d’avance sur le bataillon...¶
– Il y a, sans doute, quelque chose qui– Quelque sentiment t’attire sans doute à Carentan, citoyen
réquisitionnaire!? dit le maire d’un air fin.¶ – C’est bien!..., ajouta-t-il en imposant silence par un
geste de main au jeune homme prêt à parler. C’est bien!....., nous savons où t’envoyer...¶
– Tiens..., ajouta-t-il en lui remettant son billet de logement, va, citoyen Jussieu!.. .¶!¶
Il y avait uneUn teinte d’ironie douce et bienveillantese fit sentir dans l’accent avec lequel le
magistrat prononça ces deux derniers mots.¶ Et le maire lui tendit, en tendant un billet sur lequel
la demeure de madame de Dey... était indiquée.¶ Le jeune homme lut l’adresse avec un air de
curiosité.¶
– Il sait bien qu’il n’a pas loin à aller... Et quand il sera dehors, il aura bientôt traversé la place!
s’écria le maire en se parlant à lui-même, pendant que le jeune -homme sortait.¶ – Il est joliment
hardi!... Que Dieu le conduise!... Il a réponse à tout... Oui, mais si jeun autre que moi lui avais
avait demandé à de voir ses papiers!...¶, il était perdu!¶
....................................................................................¶
En ce moment, toutes les cloches et toutes les horloges de Carentan ayantavaient sonné neuf
heures et demie,; les falots s’allumaient dans l’antichambre de madame de Dey... Les ; les
domestiques aidaient leurs maîtresses et leurs maîtres à mettre leurs sabots, leurs houppelandes
ou leurs mantelets; et les joueurs, ayant avaient soldé leurs comptes, et allaient se retirer tous
ensemble, suivant l’usage établi dans toutes les petites villes.¶
– Il paraît que l’accusateur veut rester!..., dit une dame en s’apercevant que ce personnage
important leur manquait dans le groupe à l’instantau moment où chacun se sépara sur la place
pour regagner son logis, après avoir épuisé toutes les formules d’adieu...¶
En effet ce Ce terrible magistrat était en effet seul avec la comtesse, qui, tremblante, attendait, en
tremblant, qu’il lui plût de sortir.¶
– Citoyenne, dit-il enfin après un long silence qui eut quelque chose d’effrayant, je suis ici pour
faire observer les lois de la république...¶République...¶
Madame de Dey... frissonna.¶
– N’as-tu donc rien à me révéler?... demanda-t-il.¶
– Rien..., répondit-elle étonnée.¶
– Ah! madame, s’écria l’accusateur en s’asseyant auprès d’elle et changeant de ton, pardonnezmoi... Mais, en ce moment, faute d’un mot, vous ou moi, nous pouvons porter notre tête sur
l’échafaud. J’ai trop bien observé votre caractère, votre âme, vos manières, pour partager l’erreur
dans laquelle vous avez su mettre votre société ce soir. – Vous attendez votre fils, je n’en saurais
douter.¶
La comtesse laissa échapper un geste de dénégation; mais elle avait pâli; , mais les muscles de
son visage s’étaient contractés par la nécessité où elle se trouvait d’afficher une fermeté
trompeuse, et l’œil implacable de l’accusateur public fixé sur elle ne perdit aucun de ses
mouvemens.¶mouvements.¶
– Eh! bien!, recevez-le..., reprit le magistrat révolutionnaire; – mais qu’il ne reste pas plus tard
que sept heures du matin sous votre toit: car demain. Demain, au jour, armé d’une dénonciation
que je me ferai faire, je viendrai chez vous...¶
Elle le regarda d’un air stupide qui aurait fait pitié à un tigre.¶
– Je démontrerai, poursuivit-il d’une voix douce, la fausseté de la dénonciation par d’exactes
perquisitions, et vous serez, par la nature de mon rapport, à l’abri de tous soupçons ultérieurs. Je
parlerai de vos dons patriotiques, de votre civisme, et nous serons tous sauvés...¶
Madame de Dey... craignant craignait un piége, piège, elle restait immobile;, mais son visage
était en feu et sa langue glacée...¶ Un coup de marteau retentit dans la maison.¶
– Ah!... cria la mère épouvantée.¶ Elle tomba, en tombant à genoux.¶ – Le sauver!..., le
sauver!...¶!¶
– Oui..., sauvons-le!... reprit l’accusateur public, en lui lançant un regard de passion;, dût-il nous
en coûter la vie!...¶
– Je suis perdue!..., s’écria-t-elle pendant que l’accusateur la relevait avec politesse.¶
– Eh! madame, répondit-il par un beau mouvement oratoire, je ne veux vous devoir à rien... qu’à
vous-même.¶
– Madame, le voilà, le voi..., s’écria Brigitte, croyant qui croyait sa maîtresse seule.¶
A l’aspect de l’accusateur public, la vieille servante, de rouge et joyeuse qu’elle était, devint
immobile et blême.¶
– Qui est-ce, Brigitte?... demanda le magistrat d’un air doux et intelligent.¶
– Un réquisitionnaire que le maire nous envoie à loger!..., répondit la servante en montrant le
billet.¶
– C’est vrai, dit l’accusateur après avoir lu le papier. Il nous arrive un bataillon ce soir!...¶!¶
Et il sortit. .¶
La comtesse avait trop besoin de croire en ce moment à la sincérité de son ancien procureur pour
concevoir le moindre doute; alors elle monta rapidement l’escalier, palpitante, ayant à peine la
force de se soutenir; puis, le cœur serré, elle ouvrit la porte de la sa chambre, vit son fils, et se
précipitant dans ses bras, mourante:¶: – Oh! mon enfant, mon enfant, mon cher enfant...! s’écriat-elle en sanglotant, versant un torrent de larmes, et le couvrant de baisers empreints d’une sorte
de frénésie.¶
– Madame..., dit l’inconnu.¶
– Ah! ce n’est pas lui!..., cria la mère-t-elle en reculant d’épouvante.¶ Elle resta et restant debout
en contemplantdevant le réquisitionnaire qu’elle contemplait d’un air hagard et d’un œil sec.¶
– O saint bon Dieu, quelle ressemblance!... dit Brigitte.¶
Il y eut un moment de silence, et l’étranger lui-même tressaillit à l’aspect de madame de Dey...¶
– Ah! monsieur..., dit-elle en s’appuyant sur le mari de Brigitte, et sentant alors dans toute son
étendue une douleur dont la première atteinte avait failli la tuer; monsieur, je ne saurais vous voir
plus long-temps... Souffreztemps, souffrez que mes gens me remplacent et s’occupent de vous...¶
Elle descendit chez elle, appuyée sur les bras deà demi portée par Brigitte et duson vieux
serviteur.¶
– Comment, madame! s’écria la femme de charge en asseyant sa maîtresse; est-ce que, cet
homme va-t-il coucher dans le lit de M.monsieur Auguste, mettre les pantoufles de M.monsieur
Auguste, manger le pâté que j’ai fait pour M.monsieur Auguste!... Ah! quand on devrait me
guillotiner, je...¶
– Brigitte!... cria madame de Dey...¶
Brigitte resta muette.¶
– Tais-toi donc, bavarde!, lui dit son mari à voix basse. Veux, veux-tu tuer madame?...¶?¶
En ce moment, le réquisitionnaire fit du bruit dans sa chambre en se mettant à table.¶
– Ah! jeJe ne resterai pas ici, s’écria madame de Dey..., j’irai dans la serre, d’où j’entendrai
mieux ce qui se passera au dehors pendant la nuit...¶
Elle flottait encore entre la crainte d’avoir perdu son fils et l’espérance de le voir reparaître...¶ La
nuit fut horriblement silencieuse. Il y eut, pour la comtesse, un moment affreux, quand le
bataillon des réquisitionnaires vint en ville et que chaque homme y chercha son logement. Ce
furent fut des espérances trompées à chaque pas, à chaque bruit; puis bientôt la nature reprit un
calme effrayant.¶ Vers le matin, la comtesse fut obligée de rentrer chez elle. Brigitte, qui
surveillait les mouvemensmouvements de sa maîtresse, ne la voyant pas sortir, entra dans la
chambre et y trouva la comtesse morte!¶.¶
– Elle aura probablement entendu ce réquisitionnaire qui achève de s’habiller et qui marche dans
la chambre de M.monsieur Auguste en chantant leur damnée Marseillaise, comme s’il était dans
une écurie, s’écria Brigitte. – ÇaCa l’aura tuée!...¶!¶
Mais laLa mort de la comtesse fut causée par un sentiment plus grave, et sans doute par quelque
vision terrible.¶ A l’heure précise où madame de Dey... mourait à Carentan, son fils était fusillé
dans le Morbihan.¶ Nous pouvons joindre ce fait tragique à toutes les observations sur les
sympathies qui méconnaissent les lois de l’espace; documensdocuments que rassemblent avec
une savante curiosité quelques hommes de solitude, et qui serviront un jour à asseoir les bases
d’une science nouvelle à laquelle il a manqué jusqu’à ce jour un docteur Gall.¶homme de génie.¶
Paris, février 1831.
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
D’ÉTUDE DE FEMME ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
ÉTUDE DE FEMME.¶
Février 1830.
DÉDIÉ AU MARQUIS JEAN-CHARLES DI NEGRO.¶
La comtesse La marquise de ***Listomère est une de ces jeunes femmes élevées dans
l’esprit de la restauration; elle Restauration. Elle a des principes;, elle fait maigre;, elle
communie; mais elle , et va très-parée au bal, aux Bouffes et Bouffons, à l’Opéra. Son ;
son directeur lui permet d’allier ainsi le profane et le sacré. Toujours en règle avec
l’église et avec le monde, elle offre une image exacte du temps présent, qui semble avoir
pris le mot de légalitéLégalité pour épigraphe. Il y a dans la La conduite de la comtesse
marquise comporte précisément assez de dévotion pour qu’elle puissepouvoir arriver sous
une nouvelle Maintenon, à la sombre piété des derniers jours de Louis XIV, et assez de
mondanité pour qu’elle adopte insensiblementadopter également les mœurs galantes des
premiers jours de ce règne, s’il revenait. En ce moment, elle est vertueuse par calcul, ou
par goût peut-être. Elle est mariéeMariée depuis sept ans au comtemarquis de ***.
C’Listomère, un de ces députés qui attendent la pairie, elle croit peut-être aussi servir par
sa conduite l’ambition de sa famille. Quelques femmes attendent pour la juger le moment
où monsieur de Listomère sera pair de France, et où elle aura trente-six ans, époque de la
vie où la plupart des femmes s’aperçoivent qu’elles sont dupes des lois sociales. Le
marquis est un homme assez insignifiant; : il est bien en cour. Ses , ses qualités sont
négatives comme ses défauts; les unes ne peuvent pas plus lui faire une réputation de
vertu que les autres ne lui donnent l’espèce d’éclat jeté par les vices. Député, il ne parle
jamais;, mais il vote bien. Il ; il se comporte dans son ménage comme à la Chambre;
c’est. Aussi passe-t-il pour être le meilleur mari de France. S’il n’est pas susceptible de
s’exalter, il ne gronde jamais, à moins qu’on ne le fasse attendre. Ses amis l’ont nommé
le temps couvert. Il n’y ane se rencontre en effet, chez lui, ni lumière trop vive, ni
obscurité complète: il . Il ressemble à tous les ministères qui se sont succédés en France
depuis la Charte. Or, pour Pour une femme à principes, il était difficile de tomber en de
meilleures mains. C’estN’est-ce pas beaucoup pour une femme vertueuse que d’avoir
épousé un homme incapable de faire des sottises.¶? Il s’est rencontré des dandysdandies
qui ont eu l’impertinence de presser légèrement la main de la comtessemarquise en
dansant avec elle. Ils, ils n’ont recueilli que des regards de mépris, et tous ont éprouvé
cette indifférence insultante qui, semblable aux gelées du printemps, détruit le germe des
plus belles espérances. Les beaux, les spirituels, les fats, les gens hommes à
petitessentiment qui se nourrissent en tétant leurs cannes, ceux à grand nom ou à grosse
renommée, les gens de haute et petite volée, auprès d’elle tout a blanchi. Elle a conquis le
droit de causer aussi long-temps et aussi souvent qu’elle le veut avec les hommes qui lui
semblent spirituels, sans qu’elle soit couchée sur l’album de la médisance. Il y a
desCertaines femmes coquettes sont capables de suivre ce plan-là pendant sept ans pour
se forger un boucliersatisfaire plus tard leurs fantaisies; mais supposer cette arrièrepensée à la comtesse de ***,marquise de Listomère serait la calomnier.¶ J’ai eu le
bonheur de voir ce phénix des comtesses; et commemarquises : elle cause bien, je sais
écouter, qualité rare, je lui ai plu. Je , je vais à ses soirées. C’était là où tendait Tel était le
but de mon ambition. Madame de *** n’est niNi laide ni jolie. Elle a les , madame de
Listomère a des dents blanches, le teint éclatant et les lèvres très-rouges. Elle ; elle est
grande et bien faite. Elle ; elle a le pied petit, fluet, et ne l’avance pas. Ses ; ses yeux, loin
d’être éteints, comme le sont presque tous les yeux parisiens, ont un éclat doux qui
devient magique, si par hasard elle s’anime. On devine une âme à travers cette forme
indécise. Si elle s’intéresse à la conversation, elle y déploie une grâce ensevelie sous les
précautions d’un maintien froid, et alors elle devient est charmante. Elle ne veut pas de
succès et en obtient; car on . On trouve toujours ce qu’on ne cherche pas. Cette phrase est
trop souvent vraie pour ne pas se changer un jour en proverbe. Ce sera la moralité de cette
aventure, que je ne me permettrais pas de raconter, si elle ne retentissait en ce moment
dans tous les parloirssalons de Paris.¶
La comtessemarquise de ***Listomère a dansé, il y a un mois environ, avec un jeune
homme aussi modeste qu’il est étourdi;, plein de bonnes qualités, et ne laissant voir que
ses défauts,; il est passionné et se moque des passions; il a du talent, et il le cache; il fait
le savant avec les aristocrates et fait de l’aristocratie avec les savans. C’savants. Eugène
de Rastignac est un de ces jeunes gens très-sensés qui essaient de tout, et semblent tâter
les hommes pour savoir ce que porte l’avenir. Il a de l’originalité et de la grâce, ce qui est
rare.¶ Ernest de M... En attendant l’âge de l’ambition, il se moque de tout; il a de la grâce
et de l’originalité, deux qualités rares parce qu’elles s’excluent l’une l’autre. Il a causé
sans préméditation de succès avec la comtesse de ***. Il est resté marquise de Listomère,
pendant une demi-heure auprès d’elle; et, tout enenviron. En se jouant des caprices d’une
conversation qui, après avoir commencé à l’opéra de Guillaume -Tell, en était venue aux
devoirs des femmes, il avait plus d’une fois regardé la comtessemarquise de manière à
l’embarrasser. Puis; puis il la quitta et ne lui parla plus de toute la soirée. Il; il dansa, se
mit à l’écarté, perdit quelque argent, et s’en alla se coucher.¶ J’ai l’honneur de vous
affirmer que tout se passa ainsi: je . Je n’ajoute ni , je ne retranche rien.¶
Le lendemain matin, Ernest Rastignac se réveilla tard, resta dans son lit et, où il se
livra sans doute à quelques-unes de ces rêveries matinales, pendant lesquelles un jeune
homme se glisse, comme un sylphe, sous plus d’une courtine de soie, de cachemire ou de
coton; et alors. En ces moments, plus le corps est lourd de sommeil, plus l’esprit est agile.
Mais enfin ErnestEnfin Rastignac se leva sans trop bâiller, comme font tant de gens mal
appris, sonna son valet de chambre, se fit apprêter du thé, en but immodérément;, ce qui
ne paraîtra pas extraordinaire aux personnes qui aiment le thé; mais pour expliquer cette
circonstance aux gens qui ne l’acceptent que comme la panacée des indigestions,
j’ajouterai qu’Ernestqu’Eugène écrivait. Il : il était commodément assis, et avait les pieds
plus souvent sur ses chenets que dans sa chancelière. Oh! avoir les pieds sur la barre polie
qui réunit les deux griffons d’un garde-cendre, et penser à ses amours quand on se lève et
qu’on est en robe de chambre!... homme ou femme, c’, est chose si délicieuse, que je
regrette infiniment de n’avoir ni maîtresse, ni chenets, ni robe de chambre; mais quand.
Quand j’aurai tout cela, je n’écriraine raconterai pas de romanmes observations, j’en
ferai!..profiterai.¶
La première lettre qu’Ernestqu’Eugène écrivit fut achevée en un quart d’heure. Il; il la
plia, la cacheta et la laissa devant lui sans y mettre l’adresse. La seconde lettre,
commencée à onze heures, ne fut finie qu’à midi. Les quatre pages étaient pleines.¶
– Cette femme me trotte dans la tête!....., dit-il.¶ Il plia en pliant cette seconde épître,
la cacheta, laqu’il laissa devant lui, sauf àcomptant y mettre l’adresse; puis, croisant après
avoir achevé sa rêverie involontaire. Il croisa les deux pans de sa robe de chambre à
ramages, il posa ses pieds sur un tabouret, coula ses mains dans les goussets de son
pantalon de cachemire rouge, et se renversa dans une délicieuse bergère à oreilles, dont le
siége et le dossier décrivaient l’angle confortable de cent vingt degrés. Il ne prit plus de
thé et resta immobile, les yeux attachés sur la main dorée qui couronnait sa pelle, sans
voir ni main, ni pelle, ni dorure. Il ne tisonna même pas. Faute immense!... C’est N’est-ce
pas un plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense aux femmes!? Notre esprit
prête des phrases aux petites langues bleues qui se dégagent soudain et babillent dans le
foyer. On interprète le langage puissant et brusque d’un bourguignon*..¶
A ce mot arrêtons-nous et plaçons ici pour les ignorants une explication due à un
étymologiste très-distingué qui a désiré garder l’anonyme. Bourguignon est le nom
populaire et symbolique donné, depuis le règne de Charles VI, à ces détonations
bruyantes dont l’effet est d’envoyer sur un tapis ou sur une robe un petit charbon, léger
principe d’incendie. Le feu dégage, dit-on, une bulle d’air qu’un ver rongeur a laissée
dans le cœur du bois. Inde amor, inde burgundus. L’on tremble en voyant rouler comme
une avalanche le charbon qu’on avait si industrieusement essayé de poser entre deux
bûches flamboyantes... Oh! tisonner quand on aime, c’estn’est-ce pas développer
matériellement sa pensée.¶?¶
Ce fut en ce moment que j’entrai chez Ernest. IlEugène, il fit un petit soubresaut et
me dit:¶ : – Ah! te voilà! ..., mon cher Horace. Depuis quand es-tu là?¶
– J’arrive...¶
– Ah!...¶!¶
Il prit les deux lettres, y mit les adresses et sonna son domestique.¶
– Porte cela en ville.¶
Et JeanJoseph y alla sans faire d’observations:, excellent domestique!¶
Nous nous mîmes à causer de l’expédition d’Algerde Morée, dans laquelle je désirais
être employé en qualité d’historiographede médecin. Eugène me fit observer que je
perdrais beaucoup à quitter Paris, et rédacteur de bulletins militaires; mais Ernest m’ayant
fait observer que ma qualité de romancier jetterait de la défaveur sur le récit des
opérations, nous parlâmes de choses indifférentes. Je ne crois pas que l’on me sache
mauvais gré de supprimer notre
conversation.....................................................................................¶
Quand la comtesse de *** Au moment où la marquise de Listomère se leva, sur les
deux heures après midi, sa femme de chambre, Caroline lui remit une lettre. Elle , elle la
lut pendant que ThérèseCaroline la coiffait. (Imprudence que j’ai vu commettre à
commettent beaucoup de jeunes femmes.)¶
O cher ange d’amour!, trésor de vie et de bonheur.....¶! A ces mots, la
comtessemarquise allait mettrejeter la lettre au feu; mais il lui passa par la tête une
fantaisie que toute femme vertueuse comprendra merveilleusement, et qui était de voir
comment un homme qui débutait ainsi pouvait finir.¶ Elle lut. Quand elle eut tourné la
quatrième page, elle laissa tomber ses bras comme une personne fatiguée.¶
– Thérèse– Caroline, allez savoir qui a remis cette lettre chez moi.¶
– Madame, je l’ai reçue du valet de chambre de M. le marquis Ernest de M..monsieur
le baron de Rastignac.¶
Il se fit un long silence.¶
– Madame veut-elle s’habiller? demanda Thérèse.Caroline.¶
– Non.¶
– Il faut qu’il soit bien impertinent,! pensa la comtesse
..............................marquise........................................................¶
Je prie toutes les femmes d’imaginer elles-mêmes le commentaire. .¶
Madame de *** le Listomère termina le sien par la résolution bien formelle de
consigner M. Ernestmonsieur Eugène à sa porte;, et, si elle le rencontrait dans le monde,
de lui témoigner plus que du dédain. Son ; car son insolence ne pouvait se comparer à
aucune de celles que la comtessemarquise avait fini par excuser jadis.. Elle avaitvoulut
d’abord voulu garder la lettre; mais, toute réflexion faite, elle la brûla.¶
– Madame vient de recevoir une fameuse déclaration d’amour, et – elle l’a lue,...! dit
ThérèseCaroline à la femme de charge.¶
– Je n’aurais jamais cru cela de madame!..., répondit la vieille tout étonnée.¶
Le soir, la comtesse alla chez le marquis de L...Beauséant, où M. ErnestRastignac
devait probablement se trouver. C’était un samedi. Le marquis de L.....Beauséant étant
son oncle, il un peu parent à monsieur de Rastignac, ce jeune homme ne pouvait pas
manquer de venir pendant la soirée. A deux heures du matin, madame de ***Listomère,
qui n’était restée que pour accabler le jeune homme Eugène de sa froideur, l’avait attendu
vainement. Un homme d’esprit, M. de StendhalStendalh, a eu la bizarre idée de nommer
cristallisation le travail que la pensée de madame de ***la marquise fit avant, pendant et
après cette soirée. On a bien appelé les réformateurs littéraires des romantiques!... Va
pour cristallisation: le mot me plaît.¶
Quatre jours après, ErnestEugène grondait son valet de chambre.¶
– Ah çà! JeanJoseph, je vais être forcé de te renvoyer, mon garçon!¶
– Plaît-il, Monsieur?...¶monsieur?¶
– Tu ne me fais que des sottises!. Où as-tu porté les deux lettres que je t’ai remises
vendredi?¶
JeanJoseph devint stupide. Semblable à ces figures de quelque statue du porche d’une
cathédrale, il resta immobile, entièrement absorbé par le travail de son imaginative. Tout
à coup il sourit bêtement et dit:¶ : – Monsieur, l’une était pour madame la comtesse de
***marquise de Listomère, rue du Faubourg-Saint-HonoréDominique, et l’autre pour
l’avoué de Monsieur..monsieur...¶
– Es-tu certain de ce que tu dis là?¶
JeanJoseph demeura tout interdit.¶ Je vis bien qu’il fallait que je m’en mêlasse, moi
qui, par hasard, me trouvais encore là.¶
– JeanJoseph a raison, dis-je.¶
Ernest Eugène se tourna de mon côté.¶
– J’ai lu les adresses fort involontairement, et.....¶
– Et,... dit ErnestEugène en m’interrompant, l’une des lettres n’était pas pour la
vicomtesse de B...?¶madame de Nucingen?¶
– Non, de par tous les diables!... et j’ai Aussi, ai-je cru, mon cher, que ton cœur avait
pirouetté de la rue Saint-Lazare à la rue Saint-Dominique au faubourg Saint-Honoré.¶
ErnestEugène se frappa le front du plat de la main et se mit à sourire. JeanJoseph vit bien
que la faute ne venait pas de lui.¶
Maintenant, voilà où sont les moralités que tous les jeunes gens devraient méditer.¶
Première faute: Ernest : Eugène trouva plaisant de faire rire madame de ***Listomère de
la méprise qui l’avait rendue maîtresse d’une lettre d’amour.¶ qui n’était pas pour elle.
Deuxième faute: Il : il n’alla chez madame de ***Listomère que quatre jours après
l’aventure;, laissant ainsi les pensées d’une vertueuse jeune femme se cristalliser.¶ Il
avaitse trouvait encore une dizaine de fautes qu’il faut passer sous silence, afin de donner
aux dames le plaisir de les déduire ex professo à ceux qui ne les trouveront pas.¶
Ernestdevineront pas. Eugène arrive à la porte de la comtesse de ***marquise; mais
quand il veut passer, le concierge l’arrête et lui dit que madame la comtessemarquise est
sortie. Comme il remontait en voiture, le comte marquis entra.¶
– Venez donc, Ernest:Eugène? ma femme est chez elle.¶
Oh! excusez le comte!... c’est unmarquis. Un mari; et, tel, quelque bon que l’on qu’il
soit, il est difficile d’atteindreatteint difficilement à la perfection.¶ En montant l’escalier,
Ernest de M... faisait des réflexions. IlRastignac s’aperçut alors des dix fautes de logique
mondaine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre de sa vie.¶ Quand madame de
***Listomère vit son mari entrerentrant avec ErnestEugène, elle ne put s’empêcher de
rougir. Le jeune marquis baron observa cette rougeur subite; et, comme. Si l’homme le
plus modeste a toujoursconserve encore un petit fondfonds de fatuité dont il ne se
dépouille pas plus que la femme ne se sépare de sa fatale coquetterie, il sequi pourrait
blâmer Eugène de s’être alors dit en lui-même:¶ : – Quoi! cette forteresse aussi?...¶ Et il
se posa dans sa cravate; car, bien . Quoique les jeunes gens ne soient pluspas très-avares,
ils aiment tous à mettre une tête de plus dans leur médailler.¶médaillier.¶
M. le comteonsieur de ***,Listomère se saisissantsaisit de la Gazette de France, qu’il
aperçut dans un coin de la cheminée, et alla vers l’embrasure d’une fenêtre pour acquérir
au jour, et, le journaliste aidant, une opinion à lui sur l’état de la France.¶ Une femme,
voire même une prude, ne reste pas long-temps embarrassée, même dans la situation la
plus difficile où elle puisse se trouver. Il : il semble qu’elle ait toujours à la main la
feuille de figuier dont que lui a donnée notre mère Eve lui a fait présent.. Aussi, quand
ErnestEugène, interprétant en faveur de sa vanité la consigne donnée à la porte, salua
madame de ***Listomère d’un air passablement délibéré, elle sut-elle voiler toutes ses
pensées par un de ces sourires féminins plus impénétrables que ne l’est la parole d’un
roi.¶
– Seriez-vous indisposée, Madame? carmadame? vous m’avezaviez fait défendre
votre porte...¶
– Non, Monsieurmonsieur.¶
– Vous alliez sortir, peut-être?¶
– Pas davantage.¶
– Vous attendiez quelqu’un?¶
– Personne.¶
– Si ma visite est indiscrète, ne vous en prenez qu’à M.monsieur le comte;
j’obéissaismarquis. J’obéissais à votre mystérieuse volonté,consigne quand il m’a luimême introduit dans le sanctuaire...¶
– M. le comteonsieur de Listomère n’était pas dans ma confidence; – il . Il n’est pas
toujours prudent de mettre un mari au fait de certains secrets...¶
L’accent fermefermé et doux dontavec lequel la comtessemarquise prononça ces
paroles et le regard imposant qu’elle lança firent bien juger à ErnestRastignac qu’il s’était
trop pressé de se poser dans sa cravate.¶
– Madame, je vous comprends!..., dit-il en riant. Alors; je dois alors me féliciter
doublement d’avoir rencontré M. le comte, puisqu’monsieur le marquis, il me procure
l’occasion de vous présenter une justification qui serait pleine de dangers si vous n’étiez
pas la bonté même.¶
La comtessemarquise regarda le jeune marquisbaron d’un air assez étonné; mais elle
répondit avec dignité:¶: – Monsieur, je vous prie de garder le silence; ce sera de votre
part la meilleure des excuses: . Quant à moi, je vous promets le plus entier oubli. C’est
une espèce de, pardon que vous méritez à peine.¶
– Madame, dit vivement ErnestEugène, le pardon est inutile quandlà où il n’y a pas
eu d’offense. La lettre, ajouta-t-il à voix basse, que vous avez reçue et qui a dû vous
paraître si inconvenante, ne vous était pas destinée.¶
La comtessemarquise ne put s’empêcher de sourire, elle voulait avoir été offensée.¶
– Pourquoi mentir?... reprit-elle d’un air dédaigneusement enjoué, mais d’un son de
voix assez doux; maintenant. Maintenant que je vous ai grondé, je rirai volontiers d’une
ruse de guerred’un stratagème qui n’est pas sans malice. Il y aJe connais de pauvres
femmes qui s’y prendraient. – Dieu! comme il aime!... diraient-elles. – Madame de
***La marquise se mit à rire forcément, puis elle et ajouta d’un air d’indulgence : – Si
nous voulons rester amis, qu’il ne soit plus question de méprises dont je ne puis être la
dupe.¶
– Sur mon honneur, Madamemadame, vous l’êtes beaucoup plus que vous ne
pensez..., répliqua vivement Ernest.¶Eugène.¶
– Mais de quoi parlez-vous donc là?... demanda le comtemonsieur de Listomère qui
écoutait, depuis un instant, écoutait la conversation, sans en pouvoir percer l’obscurité.¶
– Oh! cela n’est pas intéressant pour vous!..., répondit la comtesse.¶marquise.¶
M.onsieur de ***Listomère reprit tranquillement la lecture de son journal et dit : –
Ah! madame de Mortsauf est morte : votre pauvre frère est sans doute à Clochegourde.¶
– Savez-vous, Monsieur, monsieur, reprit madame de ***la marquise en se tournant
vers ErnestEugène, que vous venez de dire une impertinence?....¶?¶
– Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes, répondit-il naïvement Ernest, je
croirais que vous voulez ou vous amuser de moi, ou me donner des idées dontdesquelles
je me défends, ou m’arracher mon secret.¶ Peut-être encore voulez-vous vous amuser de
moi.¶
La comtesseLa marquise sourit. Ce sourire impatienta Ernest.¶Eugène.¶
– Puissiez-vous, Madamemadame, dit-il, toujours croire à une offense que je n’ai
point commise! et je souhaite bien ardemment que le hasard ne vous fasse pas découvrir
dans le monde la personne qui devait lire cette lettre...¶
– Ce Hé quoi! ce serait toujours pour la vicomtesse!madame de Nucingen? s’écria
madame de ***,Listomère plus curieuse de pénétrer un secret que de se venger des
épigrammes du jeune homme.¶
ErnestEugène rougit, car il faut être bien vieux pour ne pas rougir en entendant
prononcer le nom d’une bien-aimée; mais . Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pour ne
pas rougir en se voyant reprocher la bêtise d’une fidélité que les femmes raillent pour ne
pas montrer combien elles en sont envieuses. Néanmoins il dit avec assez de sang froid:
– Oh! non : – Pourquoi pas, madame!...¶?¶
Voilà les fautes que l’on commet à vingt-cinq ans!...¶. Cette confidence causa une
commotion violente à madame de ***Listomère; mais ErnestEugène ne saitsavait pas
encore analyser un visage de femme en le regardant à la hâte ou de côté. Les lèvres
seules de la comtessemarquise avaient pâli. Elle se leva, et le marquis fut obligé d’en
faire autant.¶Madame de Listomère sonna pour demander du bois, et contraignit ainsi
Rastignac à se lever pour sortir.¶
– Si cela est, dit-elle d’ alors la marquise en arrêtant Eugène par un air froid et
composé, il vous serait difficile de m’expliquer, Monsieur, commentmonsieur, par quel
hasard mon nom a pu se trouver sous votre plume; car il . Il n’en est pas d’une adresse
écrite sur une lettre comme du claque d’un voisin qu’on peut, par étourderie, prendre
pour le sien, en quittant le bal.¶
ErnestEugène décontenancé regarda la comtessemarquise d’un air hébété, puis,
sentantà la fois fat et bête, il sentit qu’il devenait ridicule, il balbutia une phrase
d’écolier, salua et sortit.¶ Quelques jours après, la comtessemarquise acquit des preuves
irrécusables de la véracité d’Ernest. Voicid’Eugène. Depuis seize jours qu’elle ne va plus
dans le monde.¶
Le comte de ***marquis dit à tous ceux qui lui demandent raison de ce changement :
– Ma femme a une gastrite.¶
Moi qui la soigne et qui connais son secret, je sais qu’elle a seulement une petite
crise nerveuse de laquelle elle profite pour rester chez elle.¶
Paris, février 1830.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DES DEUX RÊVES ET « LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
[SUR CATHERINE DE MEDICIS]¶
TROISIÈME PARTIE.
LES DEUX RÊVES¶.
Les choses humaines n’ont-elles pas même principe?¶
(MONTAIGNE)¶
BODARD DE SAINT-JAMEBodard de Saint-James, trésorier de la marine, était, en
1786, celui des financiers de Paris dont le luxe excitait l’attention et les caquets de la
ville. A cette époque, il faisait construire, à Neuilly sa célèbre folieFolie, et sa femme
achetait, pour couronner le dais de son lit, une garniture de plumes dont le prix avait
effrayé la reine. Alors il Il était alors bien plus facile qu’aujourd’hui de se mettre à la
mode et d’occuper de soi tout Paris; souvent , il suffisait souvent d’un bon mot ou de la
fantaisie d’une femme.¶
Bodard possédait le magnifique hôtel de la place Vendôme, que le fermier-général
Dangé avait, depuis peu, quitté par force. Ce célèbre épicurien venait de mourir;, et, le
jour de son enterrement, M.monsieur de Bièvre, son intime ami, avait trouvé matière à
rire en disant: qu’on pourraitpouvait maintenant passer par la place Vendôme sans
danger. Cette allusion au jeu d’enfer qu’on jouait chez le défunt en fut toute son l’oraison
funèbre. L’hôtel est celui qui fait face à la chancellerie1.¶Chancellerie.¶
Pour achever en deux mots l’histoire de Bodard, c’était un pauvre homme. Il , il fit
une faillite de quatorze millions après celle du prince de Guéménée; et la. La maladresse
qu’il mit à ne pas précéder la sérénissime banqueroute, pour me servir de l’expression de
Lebrun-Pindare, fut cause qu’on ne parla même pas de lui. Il mourut, comme Bourvalais,
Bouret et tant d’autres, dans un grenier.¶
Madame de Saint-JameJames avait pour ambition de ne recevoir chez elle que des
gens de qualité, vieux ridicule toujours nouveau. Pour elle, les mortiers du parlement
étaient déjà fort peu de chose; elle voulait voir dans ses salons des personnes titrées qui
eussent au moins les grandes entrées à Versailles. Dire qu’il vint beaucoup de cordons
bleus chez la jolie financière, ce serait mentir; mais il est très-certain qu’elle avait réussi à
obtenir les bontés et l’attention de quelques membres de la famille de Rohan, comme le
prouva par la suite le trop fameux procès du collier.¶
Un soir, c’était, je crois, le 2en août 1786, je fus très-surpris de rencontrer dans le
salon de cette trésorière, si prude à l’endroit des preuves, deux nouveaux visages qui me
parurent assez mauvaise compagnie. Elle vint à moi dans l’embrasure d’une croisée où
j’avais étéj’étais allé me nicher avec intention.¶
– Dites-moi donc, lui demandai-je en lui désignant par un coup d’œil interrogatif l’un
des inconnus, quelle est cette espèce-là? Comment avez-vous cela chez vous?¶
– C’est unCet homme est charmant!...¶
– Le voyez-vous à travers le prisme de l’amour, ou me trompé-je?¶
– Vous ne vous trompez pas, reprit-elle en riant, il est laid comme une chenille;
mais... il m’a rendu le plus immense service qu’une femme puisse recevoir d’un homme.¶
Comme je la regardais malicieusement, elle se hâta d’ajouter:¶: – Il m’a radicalement
guérie de ces odieuses rougeurs qui me couperosaient le teint et me faisaient ressembler à
une paysanne...¶
Je haussai les épaules avec humeur.¶
1
On nomme ainsi l’hotêl où est situé le ministère de la justice à Paris.
– C’est un charlatan!, m’écriai-je.¶
– Non, répondit-elle, c’est le chirurgien des pages. Il ; il a beaucoup d’esprit, je vous
jure, et d’ailleurs il écrit. C’est un savant physicien.¶
– Si son style ressemble à sa figure...! repris-je en souriant. – Mais l’autre?¶
– Qui?..., l’autre.¶?¶
– Ce petit monsieur pincé, propret, poupin, et qui a l’air d’avoir bu du verjus.¶?¶
– Mais c’est un homme assez bien né, me dit-elle. Il arrive de je ne sais quelle
province. Il ... ah! de l’Artois, il est chargé de terminer une affaire qui concerne le
cardinal, et c’est Son Éminenceson Eminence elle-même qui l’a présentévient de le
présenter à M.monsieur de Sainte-Jame.-James. Ils ont choisi tous deux Sainte-JameJames pour arbitre. En cela le provincial n’a pas fait preuve d’esprit; mais aussi, quels
sont les gens assez niais pour confier un procès à cet homme-là? Il est doux comme un
mouton et timide comme une fille. Son Éminence l’amadoue, car il s’agit, je crois, de
300,000 livres.¶; son Eminence est pleine de bonté pour lui.¶
– De quoi s’agit-il donc?¶
– De trois cent mille livres, dit-elle.¶
– Mais c’est donc un avocat?... dis repris-je en faisant un léger haut-le-corps.¶
– Oui, dit-elle. Puis,.¶
Assez confuse de cet humiliant aveu, elle madame Bodard alla reprendre sa place au
pharaon.¶
Toutes les parties étaient complètes. Or je Je n’avais rien à faire ni à dire, car je venais
de perdre deux mille écus contre M.monsieur de Laval, avec lequel je m’étais rencontré
chez une impure. J’allai me jeter dans une duchesse placée auprès de la cheminée. S’il y
eut jamais sur cette terre un homme bien étonné, ce fut certes moi, en apercevant que, de
l’autre côté du chambranle, j’avais pour vis-à-vis le contrôleur général. M.ContrôleurGénéral. Monsieur de Calonne paraissait assoupi et livré, ou il se livrait à toutesl’une de
ces méditations qui tyrannisent les jouissances négatives de la digestion.hommes d’État.
Quand je le montrai le ministre par un geste à Beaumarchais qui venait à moi, le père de
Figaro, ou Figaro lui-même, m’expliqua ce mystère sans mot dire.¶ Il m’indiqua tour à
tour ma propre tête et celle de Bodard par un geste assez malicieux, qui consistait à
écarter vers nous deux doigts de la main en tenant les autres fermés. Mon premier
mouvement fut de me lever pour aller dire quelque chose de piquant à Calonne,; je restai:
d’abord, parce que je songeai à jouer un tour à ce favori, et ensuite, ; puis, Beaumarchais
m’avait un peu trop familièrement arrêté de la main; puis, clignant des yeux.¶
– Que voulez-vous, monsieur? lui dis-je.¶
Il cligna pour m’indiquer le contrôleur, il m’avait dit en murmurant:¶Contrôleur.¶
– Ne le réveillez pas..., me dit-il à voix basse, l’on est trop heureux quand il dort.¶
– Mais c’est aussi un plan de finances que le sommeil!..., repris-je.¶
– Certainement!, nous répondit l’homme d’étatd’État qui avait deviné nos paroles au
seul mouvement des lèvres.¶, et plût à Dieu que nous pussions dormir long-temps, il n’y
aurait pas le réveil que vous verrez!¶
– Monseigneur, dit le dramaturge, j’ai un remerciement à vous faire...¶
– Et pourquoi?...¶?¶
– M.onsieur de Mirabeau est parti pour Berlin. Je ne sais pas si, dans cette affaire des
eauxEaux, nous ne nous serions pas noyés tous deux.¶
– Vous avez trop de mémoire et pas assez de reconnaissance...., répliqua sèchement le
ministre, fâché de voir divulguer un de ses secrets devant moi.¶
– Cela est possible, dit Beaumarchais piqué au vif, mais j’ai des millions.. qui peuvent
aligner bien des comptes.¶
M. de Calonne feignit de ne pas entendre...¶
Il était minuit et demi quand les parties cessèrent. L’on se mit à table. Nous étions dix
personnes, Bodard et sa femme, le contrôleur-généralContrôleur-Général, Beaumarchais,
les deux inconnus, deux jolies dames dont je tairai les noms doivent se taire, et un
fermier-général, appelé, je crois, Lavoisier. De trente personnes que je trouvai dans le
salon en y entrant, il n’était resté que ces dix convives, et encore. Encore les deux espèces
ne soupèrent-elles que d’après les instances de madame de Sainte-Jame-James, qui crut
s’acquitter avec l’un en lui donnant à manger, et qui peut-être invita l’autre pour plaire à
son mari, auquel elle faisait des coquetteries, je ne sais trop pourquoi; car, après. Après
tout, M.monsieur de Calonne était une puissance, et si quelqu’un avait eu à se fâcher,
c’eût été moi.¶
Le souper commençait à commença par être ennuyeux à la mort.mourir. Ces deux
gens et le fermier-général nous gênaient. Alors je Je fis un signe à Beaumarchais pour lui
dire de griser le fils d’Esculape qu’il avait à sa droite, et jeen lui donnaidonnant à
entendre que je me chargeais de l’avocat. Comme il ne nous restait plus que ce moyen-là
de nous amuser, et qu’il nous promettait de la part de ces deux hommes une ample
moisson d’des impertinences dont nous nous amusions déjà, M.monsieur de Calonne
sourit à mon projet. En deux secondes, les trois dames trempèrent dans notre conspiration
bachique. Elles s’engagèrent par des œillades très-significatives, à y jouer leur rôle, et le
vin de Sillery couronna plus d’une fois les verres de sa mousse argentée. Le chirurgien fut
assez facile;: mais au troisièmesecond verre que je voulus lui versaiverser, mon voisin me
dit avec la froide politesse d’un usurier, qu’il ne boirait pas davantage.¶
En ce moment, madame de Saint-JameJames nous avait mis, je ne sais par quel hasard
de la conversation, sur le chapitre des merveilleux soupers du comte de Cagliostro., que
donnait le cardinal de Rohan. Je n’avais pas l’esprit trop présent à ce que disait la
maîtresse du logis, car depuis la réponse qu’il m’avait faite, j’observais avec une
invincible curiosité la figure mignarde et blême de mon voisin. Son nez , dont le principal
trait était un nez à la fois camard et pointu, ce qui, par momens, le faisait ressembler, par
moments, à une fouine. Tout à coup ses joues se colorèrent en entendant madame de
Sainte-Jame dire à M. de Calonne d’un ton impérieux:¶-James qui se querellait avec
monsieur de Calonne.¶
– Mais je vous assure, Monsieurmonsieur, que j’ai vu la reine Cléopâtre.., disait-elle
d’un air impérieux.¶
– Je le crois, Madame!...madame, répondit mon voisin; car moi. Moi, j’ai parlé à
Catherine de Médicis...¶
– Oh! oh!... s’écria M. dit monsieur de Calonne.¶
Les paroles prononcées par le petit provincial le furent d’une voix qui avait une
indéfinissable sonorité, s’il est permis d’emprunter ce terme à la physique. Cette soudaine
clarté d’intonation chez un homme qui avait jusque -là très-peu parlé, toujours très-bas et
avec le meilleur ton possible, nous surprit au dernier point.¶
– Mais il parle..., s’écria le chirurgien, que Beaumarchais avait mis dans un état
satisfaisant.¶
– Son voisin aura poussé quelque ressort, répondit le satirique.¶
Mon homme rougit légèrement en entendant ces paroles, quoiqu’elles n’eussent été
que murmuréesdites en murmurant.¶
– Et comment était la feue reine? demanda Calonne.¶
– Je n’affirmerais pas que la personne avec laquelle j’ai soupé hier fût Catherine de
Médicis elle-même, car ce . Ce prodige doit paraître justement impossible à un chrétien
aussi bien qu’à un philosophe, répliqua l’avocat en appuyant légèrement l’extrémité de
ses doigts sur la table et en se renversant sur sa chaise, comme s’il devait parler longtemps; mais. Néanmoins je puis jurer que cette femme ressemblait autant à Catherine de
Médicis que si toutes deux elles eussent été sœurs. Elle Celle que je vis portait une robe
de velours noir absolument pareille à celle dont est vêtue cette reine est vêtue dans le
portrait qu’en possède le roi; sa tête était couverte de ce bonnet de velours si
caractéristique; enfin, elle avait le teint blafard, et la figure que vous lui connaissez. Je
n’ai pu m’empêcher de témoigner ma surprise à Son Eminence. La rapidité de l’évocation
m’a semblé d’autant plus merveilleuse que M.monsieur le comte de Cagliostro ne pouvait
pasn’avait pu deviner le nom du personnage avec lequel j’allais désirer de me trouver.
J’ai été confondu. La magie du spectacle que présentait un souper où apparaissaient
d’illustres femmes des temps passés m’ôta toute présence d’esprit. J’écoutai sans oser
questionner. En échappant vers minuit aux piéges de cette sorcellerie, je doutais presque
de moi-même. Mais ce qui va vous paraître extraordinaire, c’est que, pour moi, tout ce
merveilleux me semble sembla naturel en comparaison de la puissantesingulière
hallucination que je devais subir encore. Je ne sais par quelles paroles je pourrais vous
peindre l’état de mes sens. Seulement je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je ne
m’étonne plus qu’il se soit rencontré jadis des âmes assez faibles ou assez fortes pour
croire aux mystères de la magie et au pouvoir du démon.. Pour moi, jusqu’à plus ample
informé, je regarde comme possibles les apparitions dont ont parlé Cardan et quelques
thaumaturges.¶
Ces paroles furent, prononcées avec une incroyable éloquence de ton. Elles, étaient de
nature à éveiller une excessive curiosité chez tous les convives: aussi. Aussi nos regards
se tournèrent-ils sur l’orateur, et nous restâmes -nous immobiles. Nos yeux seuls
trahissaient la vie en réfléchissant les bougies scintillantes des flambeaux. A force de
contempler l’inconnu, il nous sembla voir les pores de son visage, et surtout ceux de son
front, livrer passage au sentiment intérieur dont il était pénétré. Il y avait dans cetCet
homme, en apparence froid et composé,compassé, semblait contenir en lui-même un
foyer secret dont la flamme vint agiragissait sur nous.¶
– Je ne sais pas, reprit-il, si la figure évoquée me suivit en se rendant invisible; mais
aussitôt que ma tête reposa sur mon lit, je vis la grande ombre de Catherine se lever
devant moi. C’estJe me sentis, instinctivement que je me sentais, dans une sphère
lumineuse, car mes yeux, attachés sur la reine par une insupportable fixité, ne virent
qu’elle... Tout à coup elle se pencha vers moi...¶
(A ces mots, les dames laissèrent échapper un mouvement unanime de curiosité.)¶.¶
– Mais, reprit l’avocat, j’ignore si je dois continuer; bien que je sois porté à croire que
ce ne soit qu’un rêve, ce qu’il qui me reste à dire est grave...¶
– S’agit-il de religion? dit Beaumarchais.¶
– Ou y aurait-il de l’indécence à continuer?quelque indécence? demanda Calonne, ces
dames vous la pardonneraient.¶
– Il s’agit de gouvernement..., répondit l’avocat.¶
– Allez, reprit le ministre. Voltaire, Diderot et consorts ont assez bien commencé
l’éducation de nos oreilles.¶
Le contrôleur devint fort inattentif, et sa voisine, madame de G...enlis, fort occupée.¶
Le provincial hésitait encore; mais. Beaumarchais lui dit alors avec vivacité:¶
: – Mais allez donc, maître; ne! Ne savez-vous pas que quand les lois nous laissent si
peu de liberté, que nous prenons notre les peuples prennent leur revanche par dans les
mœurs?...¶
Alors le convive commença ainsi:¶.¶
– Soit que certaines idées fermentassent à mon insu dans mon âme, soit que je fusse
poussé par une puissance étrangère, je lui dis: – Ah! madame, vous avez commis un bien
grand crime!...¶
. – Lequel?... demanda-t-elle d’une voix grave.¶
– Celui dont le signal fut donné par la cloche du palais donna, le signal au 24 août...¶
Elle sourit dédaigneusement, et quelques rides profondes se dessinèrent sur ses joues
blafardes. ¶
– – Vous nommez cela un crime?... répondit-elle. Ce , ce ne fut qu’un grand malheur.
L’entreprise, mal conduite, ayant échoué, il n’en est pas résulté pour la France, pour
l’Europe, pour le Christianisme, toutl’Église catholique, le bien que nous en attendions;.
Que voulez-vous? les ordres ont été mal exécutés; nous . Nous n’avons pas rencontré
autant de MontlucMontlucs qu’il en fallait; la . La postérité ne nous tiendra pas compte
du défaut de communications qui nous empêcha d’imprimer à notre œuvre cette unité de
mouvement nécessaire aux grands coups d’état;d’État: voilà le malheur! Si, le 25 août, il
n’était pas resté l’ombre d’un huguenotHuguenot en France, je serais demeurée jusque
dans la postérité la plus reculée comme une belle image de la Providence. Que Combien
de fois les âmes clairvoyantes de Sixte-Quint, de Richelieu, de Bossuet, ne m’ont -elles
pas secrètement accusée d’avoir échoué dans mon entreprise après avoir osé la
concevoir!.... Aussi, de combien de regrets ma mort ne fut-elle pas accompagnée !.....?...
Trente ans après la Saint-Barthélemi, la maladie durait encore ; elle coûtaitavait fait
couler déjà dix fois plus de sang noble à la France qu’il n’en restait à verser le 26 août
1572. La révocation de l’édit de Nantes, en l’honneur de laquelle vous avez frappé des
médailles, a coûté plus de larmes, plus de sang et d’argent, a tué plus de prospérité en
France que trois Saint-Barthélemi. Letellier a su accomplir avec une plumée d’encre le
décret que le trône avait secrètement promulgué depuis moi ; mais si, le 25 août 1572,
cette immense exécution était nécessaire, le 25 août 1685 elle était inutile. Sous le second
fils de Henri de Valois, l’hérésie était à peine enceinte ; sous le second fils de Henri de
Bourbon, elle avait, cette mère féconde, avait jeté son frai sur l’univers entier. Vous
m’accusez d’un crime, et vous dressez des statues au fils d’Anne d’Autriche !..! Lui et
moi, nous avons cependant essayé la même chose: il a réussi, j’ai échoué; mais Louis
XIV a trouvé sans armes les Protestants qui, sous mon règne, avaient de puissantes
armées, des hommes d’état, des capitaines, et l’Allemagne pour eux.¶
A ces paroles lentement prononcées, je sentis en moi comme un tressaillement
intérieur. Je croyais respirer la fumée du sang de je ne sais quelles victimes. Catherine
avait grandi. Elle était là comme un mauvais génie, et il me sembla qu’elle voulait
pénétrer dans ma conscience pour s’y reposer. .¶
– – Il a rêvé cela, dit Beaumarchais à voix basse, car il ne l’a certes pas inventé!... .¶
– – Ma raison est confondue!..., dis-je à la reine. Vous vous applaudissez d’un acte
que trois générations condamnent, flétrissent et...– – Ajoutez, reprit-elle, que toutes les
plumes ont été plus injustes envers moi que ne l’ont été mes contemporains. Nul n’a pris
ma défense. Je suis accusée d’ambition –, moi riche et souveraine!.... Je suis taxée de
cruauté, etmoi qui n’ai sur la conscience que deux têtes tranchées. Et pour les esprits les
plus impartiaux je suis peut-être encore un grand problème.... Croyez-vous donc que j’aie
été dominée par des sentimenssentiments de haine?, que je n’aie respiré que vengeance et
fureur ?¶? Elle sourit de pitié.¶– – J’étais calme et froide comme la raison même. J’ai
condamné les huguenotsHuguenots sans pitié, mais sans emportement. Ils , ils étaient
l’orange pourrie de ma corbeille. Reine d’Angleterre, j’eusse jugé de même les
catholiquesCatholiques, s’ils y eussent été séditieux. Pour que notre pouvoir eût quelque
vie à cette époque, il fallait dans l’étatl’État un seul Dieu, une seule foiFoi, un seul
maître.Maître. Heureusement pour moi que , j’ai gravé ma justification dans un mot.
Quand Birague m’annonça faussement la perte de la bataille de Dreux : – : – Eh ! bien!,
nous irons au prêche!..., m’écriai-je. De la haine contre ceux de la religion!...Religion? Je
les estimais beaucoup et je ne les connaissais pas.point. Si je me suis senti de l’aversion
pour des hommes en politiqueenvers quelques hommes politiques, ce fut pour le lâche
cardinal de Lorraine, pour son frère, soldat fin et brutal., qui tous deux me faisaient
espionner. Voilà quels étaient les ennemis de mes enfans!... Je enfants, ils voulaient leur
arracher la couronne, je les voyais tous les jours, ils m’excédaient. Si nous n’avions pas
fait la Saint-Barthélemi, ces misérablesles Guise l’eussent accomplie à l’aide de Rome et
de ses moines; et la . La Ligue, qui n’a été forte que de ma vieillesse, eût commencé en
1573.¶– – Mais, Madamemadame, au lieu d’ordonner cet horrible assassinat (excusez ma
franchise), pourquoi n’avoir pas employé les vastes ressources de votre politique à donner
aux calvinistesRéformés les sages institutions qui rendirent le règne de Henri IV si
glorieux et si paisible ?¶? Elle sourit encore, haussa les épaules, et ses rides creuses
donnèrent à son pâle visage une expression d’ironie pleine d’amertume.¶ – – Les
peuples, dit-elle, ont besoin de repos après les luttes les plus acharnées : voilà le secret de
ce règne. Mais Henri IV a commis deux fautes irréparables : il ne devait ni abjurer le
protestantisme, ni laisser la France catholique après l’être devenu lui-même. Lui seul s’est
trouvé en position de changer sans secousse la face de la France. Ou pas une étole, ou pas
un prêche. Telle! telle aurait dû être sa pensée. Laisser dans un gouvernement deux
principes ennemis sans que rien les balance..., voilà un crime de roi! Il , il sème ainsi des
révolutions. A Dieu seul il appartient de mettre dans son œuvre le bien et le mal sans
cesse en présence. Mais peut-être cette sentence était-elle inscrite au fond de la politique
de Henri IV, et peut-être causa-t-elle sa mort!.... Il est impossible que Sully n’ait pas jeté
un regard de convoitise sur ces immenses biens du clergé, dont que le clergé ne possédait
pas alors le entièrement, car la noblesse gaspillait au moins les deux tiers...¶ de leurs
revenus. Sully le Réformé n’en avait pas moins des abbayes. Elle s’arrêta et parut
réfléchir.¶ – Mais, reprit-elle, songez-vous que c’est à la nièce d’un pape que vous
demandez raison de son catholicisme?...¶ Elle s’arrêta encore.¶
– Après tout, j’eusse été calvinisteCalviniste de bon cœur..., ajouta-t-elle en laissant
échapper un geste d’insouciance. Est-ce que les Les hommes supérieurs de cevotre siècle
penseraient-ils encore que la religion était pour quelque chose dans ce procès, le plus
immense de ceux que l’Europe ait jugés, vaste révolution, retardée par des de petites
causes qui ne l’empêcheront pas de rouler sur le monde, puisque je ne l’ai pas
étouffée?..... Révolution, dit-elle en me jetant un regard profond, qui marche toujours et
que tu pourras achever. – Oui, toi, toi qui m’écoutes!...¶ Je frissonnai.¶ – Quoi! personne
encore n’a compris que les intérêts nouveaux anciens et les intérêts anciens nouveaux
avaient saisi Rome et Luther comme des drapeaux! Quoi! pour éviter une lutte à peu près
semblable, Louis IX, en entraînant une population centuple à de celle que j’ai condamnée,
et la laissant aux sables de l’Égypte, a mérité le nom de saint:, et moi!...¶? – Mais moi,
dit-elle, j’ai échoué.¶ Elle pencha la tête et resta silencieuse un moment. Ce n’était plus
une reine que je voyais, mais bien plutôt une de ces antiques druidesses qui sacrifiaient
des hommes, et savaient dérouler les pages de l’avenir en exhumant les
enseignemensenseignements du passé.¶ Mais bientôt elle releva sa royale et majestueuse
figure, et dit:¶. – En appelant l’attention de tous les bourgeois sur les abus de
l’Églisel’Église romaine, dit-elle, Luther et Calvin faisaient naître en Europe un esprit
d’investigation qui devait amener les peuples à vouloir tout examiner. Or
l’examenL’examen conduit au doute. Au lieu d’une foi nécessaire aux sociétés, ils
traînaient après eux et dans le lointain une curiosité philosophique.philosophie curieuse,
armée de marteaux, avide de ruines. La science s’élançait toute brillante de ses fausses
clartés du sein de l’hérésie. Il s’agissait bien moins d’une réforme dans l’Églisel’Église
que de la liberté. indéfinie de l’homme qui est la mort de tout pouvoir. J’ai vu cela!...¶. La
conséquence des succès obtenus par les religionnairesReligionnaires dans leur lutte contre
le sacerdoce, déjà plus armé et plus redoutable que la royautécouronne, était la ruine du
pouvoir monarchique et féodal.élevé par Louis XI à si grands frais sur les débris de la
Féodalité. Il ne s’agissait de rien moins que de l’anéantissement de ces trois grandes
institutions,la religion et de la royauté sur les débris desquelles toutes les bourgeoisies du
monde auraient pactisé.voulaient pactiser. Cette lutte était donc une guerre à mort entre
de les nouvelles combinaisons et les lois, et les croyances anciennes. Les catholiques Les
Catholiques étaient l’expression des intérêts matériels de la royauté, des seigneurs et du
clergé. Ce fut un duel à outrance entre deux géans, etgéants, la Saint-Barthélemi n’en n’y
fut malheureusement qu’une blessure. Souvenez-vous que, pour épargner quelques
gouttes de sang dans un moment opportun, on en laisse verser plus tard par
torrens.torrents. L’intelligence qui plane sur une nation ne peut éviter un malheur: celui
de n’être plus jugée que par ses ne plus trouver de pairs pour être bien jugée quand elle a
succombé sous le poids d’un événement. Mes pairs sont rares, les sots sont en majorité:
tout est expliqué par ces deux propositions. Si mon nom est en exécration à la France, il
faut s’en prendre aux esprits médiocres qui y forment la majoritémasse de toutes les
générations. Dans les grandes crises que j’ai eu à subirsubies, régner..... ce n’était pas
donner des audiences, passer des revues et signer des ordonnances..... J’ai pu commettre
des fautes, je n’étais qu’une femme. Mais pourquoi ne s’est-il pas alors rencontré un
homme qui fût au -dessus de son siècle? Le duc d’Albe était une âme de bronze;, Philippe
II était hébété de croyance catholique, Henri IV, était un soldat joueur et libertin, mais qui
avait un cœur excellent; l’Amiral, un entêté systématique. Louis XI était venuvint trop
tôt, Richelieu vint trop tard. Vertueuse ou criminelle, que l’on m’attribue ou non la SaintBarthélemi, j’en accepte le fardeau; car alors: je resterai entre ces deux grands
roishommes comme l’anneau visible d’une chaîne inconnue. Quelque jour des écrivains à
paradoxes se demanderont si les peuples n’ont pas quelquefois prodigué le nom de
bourreaux à des victimes. Ce ne sera pas une fois seulement que l’humanité préférera
d’immoler un dieu plutôt que de s’accuser elle -même. Vous êtes tous portés, tous, à
verser sur deux cents manansmanants sacrifiés à propos les larmes que vous refusez aux
malheurs d’une génération, d’un siècle ou d’un monde; et. Enfin vous oubliez que la
liberté religieuse, la liberté politique, la tranquillité d’une nation, la science même, sont
des présensprésents pour lesquels le destin prélève des impôts de sang!¶ – Les nations ne
pourraient-elles pas être un jour heureuses à meilleur marché?..... m’écriai-je les larmes
aux yeux.¶ – Les vérités ne sortent de leurs leur puits que pour prendre des bains de
sang.... où elles se rafraîchissent. Le christianisme lui-même, essence de toute vérité,
puisqu’il vient de Dieu, s’est-il établi sans martyrs? le sang n’a-t-il pas coulé à flots?...¶
ne coulera-t-il pas toujours? Tu le sauras, toi qui dois être un des maçons de l’édifice
social commencé par les apôtres. Tant que tu promèneras ton niveau sur les têtes, tu seras
applaudi; puis quand tu voudras prendre la truelle, on te tuera. Sang! sang! ce mot
retentissait à mes oreilles comme un tintement.¶ – Selon vous, dis-je, le protestantisme
aurait donc eu le droit de raisonner comme vous?...¶ Catherine avait disparu, comme si
unquelque souffle eût éteint la lumière surnaturelle qui permettait à mon esprit de voir
cette figure dont les proportions étaient devenues gigantesques. Alors je Je trouvai tout à
coup en moi -même une partie de moi-même qui adoptait les doctrines atroces déduites
par cette italienne. Je me réveillai en sueur, pleurant, et au moment où ma raison
victorieuse me disait, d’une voix douce, qu’il n’appartenait ni à un roi, ni même à une
nation, d’appliquer ces principes dignes d’un peuple d’athées.¶
– Et comment sauvera-t-on les monarchies qui croulent? demanda Beaumarchais.¶
– Dieu est là!... Monsieur, monsieur, répliqua mon voisin.¶
– AlorsDonc, reprit M.monsieur de Calonne avec cette incroyable légèreté qui le
caractérisait, nous avons la ressource de nous croire, selon l’évangilel’Évangile de
Bossuet, les instrumensinstruments de Dieu!...¶
Du moment où Aussitôt que les dames s’étaient aperçues que l’affaire se passait en
conversation entre la reine et l’avocat, elles avaient chuchoté. J’ai même fait grâce des
phrases à points d’interjection qu’elles lancèrent à travers le discours de l’avocat.
Cependant ces mots: ¶ – Il est ennuyeux à la mort!¶ – Mais, ma chère, quand finira-t-il?
parvinrent plus d’une fois à mon oreille.¶
QuandLorsque l’inconnu cessa de parler, les dames se turent. M.onsieur Bodard
dormait.¶ Le chirurgien à moitié gris, Lavoisier, Beaumarchais et moi nous avions été
seuls attentifs, car M.monsieur de Calonne jouait avec sa voisine. En ce moment le
silence eut quelque chose de solennel. La lueur des bougies me paraissait avoir une
couleur magique. Un même sentiment nous avait attachés par des liens mystérieux à cet
homme, qui, pour ma part, me fit concevoir les inexplicables effets du fanatisme. Il ne
fallut rien moins que la voix sourde et caverneuse du compagnon de Beaumarchais pour
nous réveiller.¶
– Et moi aussi, j’ai rêvé!..., s’écria-t-il.¶
Je regardai plus particulièrement alors le chirurgien, et j’éprouvai unje ne sais quel
sentiment instinctif d’horreur. Son teint terreux, ses traits à la fois ignobles et grands,
offraient une expression exacte de ce que l’onvous me permettrapermettez de nommer ici
la canaille. Quelques grains bleuâtres et noirs étaient semés sur son visage comme des
traces de boue, et ses yeux lançaient une flamme sinistre. Cette figure paraissait plus
sombre qu’elle ne l’était peut-être, à cause de la neige amassée sur sa tête par une coiffure
à frimas.¶
– Cet homme-là doit enterrer plus d’un malade!..., dis-je à mon voisin.¶
– Je ne lui confierais pas mon chien, me répondit-il.¶
– Je le hais involontairement.¶
– Et moi je le méprise...¶
– Quelle injustice, cependant!... repris-je.¶
– Oh! mon Dieu, après-demain il peut devenir aussi célèbre que l’acteur Volange,
répliqua l’inconnu.¶
M.onsieur de Calonne montra le chirurgien par un geste qui semblait nous dire: –
Celui-là me paraît devoir être plus amusant.¶
– Et auriez-vous aussi rêvé d’une reine?... lui demanda Beaumarchais.¶
– Non, j’ai rêvé d’un peuple!..., répondit-il avec une emphase qui nous fit rire...
J’avais entre les mains Je soignais alors un malade auquelà qui je devais couper la cuisse
le lendemain de mon rêve...¶
– Et vous avez trouvé le peuple dans la cuisse de votre malade?... demanda
M.monsieur de Calonne.¶
– Précisément, répondit le chirurgien.¶
– Est-il amusant!... s’écria la comtesse de G...enlis.¶
– Je fus assez surpris, dit l’orateur sans s’embarrasser des interruptions et en mettant
chacune de ses mains dans les goussets de son vêtement nécessairesa culotte, de trouver à
qui parler dans cette cuisse. J’avais la singulière faculté d’entrer chez mon malade.
Quand, pour la première fois, je me trouvai sous sa peau, je contemplai une merveilleuse
quantité de petits êtres qui s’agitaient, pensaient et raisonnaient. Les uns vivaient dans le
corps de cet homme, et les autres dans sa pensée. Ses idées étaient des êtres qui
naissaient, grandissaient, mouraient. Ils; ils étaient malades, gais, bien portansportants,
tristes, et avaient tous enfin des physionomies particulières. Ils; ils se combattaient ou se
caressaient. Quelques idées s’élançaient au dehors et allaient vivre dans le monde
intellectuel: car je. Je compris tout à coup qu’il y avait deux univers, l’univers visible et
l’univers invisible; que la terre avait, comme l’homme, un corps et une âme. Alors laLa
nature s’illumina pour moi, et j’en appréciai l’immensité en apercevant l’océan des êtres
qui, par masses et par espèces, étaient répandus partout, faisant une seule et même
matière animée, depuis les marbres jusqu’à Dieu!.... Magnifique spectacle! Bref, il y avait
un univers dans mon malade. Quand je plantai le mon bistouri au sein de sa cuisse
gangrénéegangrenée, j’abattis un millier de ces bêtes-là... – Vous riez,
Mesdamesmesdames, d’apprendre que vous êtes livrées aux bêtes...¶
– Pas de personnalités, dit M.monsieur de Calonne. Parlez pour vous et pour votre
malade.¶
– Mon homme, épouvanté des cris de ses animalcules, et souffrant comme un damné,
voulait interrompre mon opération; mais j’allais toujours, et je lui disais que des animaux
malfaisansmalfaisants lui rongeaient déjà les os. Il fit un mouvement de résistance en ne
comprenant pas ce que j’allais faire pour son bien, et mon bistouri m’entra dans le côté...¶
– Il est stupide!, dit Lavoisier.¶
– Non, il est gris, répondit Beaumarchais.¶
– Mais, Messieursmessieurs, mon rêve a un sens..., s’écria le chirurgien.¶
– Oh! oh! cria Bodard qui se réveillait, j’ai une jambe engourdie.¶
– Monsieur, lui dit sa femme, vos animaux sont morts.¶
– Cet homme a une vocation!..., s’écria mon voisin qui avait fixé imperturbablement
fixé le chirurgien pendant qu’il parlait.¶
– Il est à celui de monsieur, disait toujours le laid convive en continuant, ce qu’est
l’action à la parole, le corps à l’âme...¶
Mais sa langue épaissie s’embrouilla, et il ne prononça plus que d’indistinctes
paroles.¶ Heureusement pour nous la conversation reprit un autre cours, et au. Au bout
d’une demi-heure nous avions oublié le chirurgien des pages, qui dormait. La pluie se
déchaînait par torrenstorrents quand nous nous levâmes de table.¶
– L’avocat n’est pas si bête, dis-je à Beaumarchais.¶
– Ho!Oh! il est lourd et froid; mais. Mais vous voyez qu’il y a encore en que la
province recèle encore de bonnes gens qui prennent au sérieux les théories politiques et
notre histoire de France. C’est un levain qui fermentera.¶
– Avez-vous votre voiture? me demanda madame de Saint-James.¶
– Non, lui répondis-je sèchement; je. Je ne savais pas que je dusse la demander ce
soir... Vous voulez peut-être que je reconduise le contrôleur?... Est-ce qu’il serait Serait-il
donc venu chez vous en polisson*?¶
ElleCette expression du moment servait à désigner une personne qui, vêtue en cocher,
conduisait sa propre voiture à Marly. Madame de Saint-James s’éloigna vivement, sonna,
demanda la voiture de Saint-Jame; puis, prenants, et prit à part l’avocat, elle lui dit:¶.¶
– M.onsieur de RobespierreRoberspierre, voulez-vous me faire le plaisir de mettre
M.monsieur Marat chez lui? Il, car il est hors d’état de se soutenir.., lui dit-elle.¶
– Volontiers, madame, répondit monsieur de Roberspierre avec une manière galante,
je voudrais que vous m’ordonnassiez quelque chose de plus difficile à faire.¶
¶
* Aller en polisson à Marly, c’était s’y rendre sans sa voiture et sans ses gens, déguisé
en bourgeois.¶
Paris, janvier 1828.¶
COMPARAISON ENTRE L’ÉDITION ORIGINALE
DE JÉSUS-CHRIST EN FLANDRE ET
« LE FURNE CORRIGÉ »
Dans cette comparaison l’édition de 1831 constitue le texte de base. Les mots, les
phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les phrases, les passages
non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui du « Furne corrigé ».
Les mots, les phrases, les passages en rouge constituent des substitutions par rapport au
texte de 1831.
JÉSUS-CHRIST EN FLANDRE.¶
A MARCELINE DESBORDES-VALMORE,
A vous, fille de la Flandre et qui en êtes une des gloires modernes, cette naïve
tradition des Flandres.¶
DE BALZAC.¶
A une époque assez indéterminée de l’histoire brabançonne, les relations entre l’île de
Cadzant et les côtes de la Flandre, n’ étaient entretenues que par une seule barque destinée
au passage des voyageurs. Capitale de l’île, Midelbourg, plus tard si célèbre dans les
annales du protestantisme, comptait à peine deux ou trois cents feux; et la . La riche
Ostende n’était encore qu’était un havre inconnu, flanqué d’une bourgade chétivement
peuplée par quelques pêcheurs, par de pauvres négociansnégociants et par des corsaires
impunis.¶ Cependant, Néanmoins le bourg d’Ostende, composé d’une vingtaine de
maisons et de trois cents cabanes, chaumines ou taudis construits avec des débris de
navires naufragés, avait jouissait d’un gouverneur, d’une milice, des de fourches
patibulaires, d’un couvent, d’un bourgmestre, enfin de tous les symptômesorganes d’une
civilisation très-avancée.¶ Qui régnait alors en Brabant, en Flandre ou , en Belgique? Sur
ce point, la tradition est muette.¶ Avouons-le! notre récit? cette histoire se ressent
étrangement du vague, de l’incertitude, du merveilleux que les orateurs favoris des
veillées flamandes se sont amusés maintes fois à répandre dans leurs gloses aussi diverses
de poésie, que contradictoires par les détails. Cette chronique, diteDite d’âge en âge,
répétée de foyer en foyer, par les aïeules, par les conteurs de jour et de nuit, cette
chronique a reçu de chaque siècle une teinte différente. Semblable à ces
monumensmonuments arrangés suivant le caprice des architectures de chaque époque,
mais dont les masses noires et frustes plaisent aux poëtespoètes, elle ferait le désespoir des
commentateurs, des éplucheurs de mots, de faits et de dates. Le narrateur y croit, comme
tous les esprits superstitieux de la Flandre y ont cru, sans en être ni plus doctes ou ni plus
infirmes. Seulement, dans l’impossibilité de mettre en harmonie toutes les versions, nous
racontonsvoici le fait à notre guise, très-adultéré, sans dépouillé peut-être de sa naïveté
romanesque impossible à reproduire, mais avec ses hardiesses que l’histoire désavoue,
avec sa moralité que la religion approuve, son fantastique, fleur d’imagination, son sens
caché, dont le sage peut s’accommoder, laissant à le sage. A chacun sa pâture, et le soin de
trier le bon grain dans de l’ivraie.¶
Donc, la La barque qui servait à passer les voyageurs de l’île de Cadzant à Ostende,
allait quitter le rivage. Avant de détacher la chaîne de fer qui retenait sa chaloupe à une
pierre de la petite jetée où l’on s’embarquait, le patron, donna du cor à plusieurs reprises,
afin d’appeler les personnes en retard. Ce retardataires, car ce voyage était le son dernier
qu’il dût faire; la . La nuit approchait;, les derniers feux du soleil couchant permettaient à
peine d’apercevoir les côtes de Flandre, et de distinguer, dans l’île, les passagers attardés,
errant soit le long des murs en terre dont les champs sont étaient environnés, soit parmi les
hauts joncs des marais.¶ Comme la La barque était presque pleine, un cri s’éleva:¶: –
Qu’attendez-vous? Partons!...¶. En ce moment, un homme apparut à dixquelques pas de la
jetée, et; le pilote fut assez surpris de le voir. Il , qui ne l’avait entendu ni venir, ni marcher.,
fut assez surpris de le voir. Ce voyageur semblait s’être levé de terre tout à coup, comme
un paysan qui se serait couché dans un champ en attendant l’heure du départ et que la
trompette aurait réveillé. C’était ou Était-ce un voleur ou ? était-ce quelque homme de
douane et ou de police?...¶ Quand il arriva sur l’espèce de la jetée où la barque était
amarrée, sept personnes qui se tenaientplacées debout à l’arrière de la chaloupe
s’empressèrent de s’y asseoir sur les bancs, afin de s’y trouver seules et de ne pas laisser
l’étranger se mettre parmi avec elles. Ce fut une pensée d’égoïsme, instinctive et rapide,
une de ces pensées d’aristocratie qui viennent au cœur de tous les des gens riches.¶
Aussi, quatre Quatre de ces personnages appartenaient-ils à la plus haute noblesse de
Flandre. C’étaientdes Flandres. D’abord un jeune cavalier, ayant accompagné de deux
beaux lévriers à ses côtés; et portant, sur ses cheveux longs, une toque ornée de pierreries,
il faisait retentir ses éperons dorés, et frisait de temps en temps sa moustache avec
impertinence, en jetant des regards dédaigneux au reste de l’équipage; puis, une noble. Une
altière demoiselle, tenant tenait un faucon sur son poing, altière, et ne parlait qu’à sa mère
ou à un ecclésiastique de du haut rang, abbé commendataire ou évêque.¶
leur parent sans doute. Ces quatre personnes faisaient grand bruit, et conversaient
ensemble, comme si elles eussent été seules dans la barque; et, cependant, près .
Néanmoins, auprès d’elles, se trouvait un gros bourgeois de Bruges, homme très-important
en son dans le pays. Il était, un gros bourgeois de Bruges enveloppé dans un grand
manteau; et son. Son domestique, armé jusqu’aux dents, avait mis près de lui, dans le
bateau, deux sacs pleins d’argent.¶ Puis, à A côté d’eux, il y avait se trouvait encore un
homme de science, docteur à l’université de Louvain, accompagnéflanqué de son clerc,
portant force livres.¶ Tous ces . Ces gens riches, et, qui se méprisaient peut-être les uns les
autres, étaient séparés de l’avant par le banc des rameurs.¶
Lorsque le passager en retard mit le pied dans la barque, il jeta un regard rapide sur
l’arrière; et, n’y voyantvit pas de place, il et alla en demander une à ceux qui se trouvaient
sur l’avant du bateau.¶ Ceux-là étaient de pauvres gens!.... A l’aspect d’un homme vêtu de
camelot brunà tête nue, dont l’habit et le haut-de-chausses étaient très-simples; dont en
camelot brun, dont le rabat en toile de lin empesé n’avait nin’avaient aucun ornement ni
dentelles, dont la tête restait nue; et, qui ne tenait à la main ni toque ni chapeau;, sans bourse
ni épée à la ceinture, ni bourse, ni épée, ils tous le prirent pour un bourgmestre sûr de son
autorité, bourgmestre bonbon homme et doux comme quelques-uns de ces vieux
Flamands, dont la nature et le caractère ingénus nous ont été si bien conservés par les
peintres du pays. Alors les Les pauvres passagers l’accueillirentaccueillirent alors l’inconnu
par des démonstrations respectueuses; tous qui excitèrent des railleries chuchotées entre
les gens de l’arrière se mirent à plaisanter en chuchotant.¶. Un vieux soldat, homme de peine
et de fatigue, donnant à l’étranger sa place sur le banc à l’étranger, s’assit au bord de la
barque, et s’y maintint en équilibre par la manière dont il appuya ses pieds contre une de
ces traverses de bois qui ressemblentsemblables aux arêtes d’un poisson, et servaient
servent à lier les planches des bateaux.¶ Une jeune femme, mère d’un petit enfant, et qui
paraissait appartenir à la classe ouvrière d’Ostende, se recula pour faire plus assez de
place au nouveau venu; mais il n’y avait. Ce mouvement n’accusa ni servilité, ni dédain
dans ce mouvement; c’était. Ce fut un de ces témoignages d’obligeance par lesquels les
pauvres gens, habitués à connaître le prix d’un service et les délices de la fraternité,
révèlent la franchise et le naturel de leurs âmes, si naïves dans l’expression de leurs
qualités et de leurs défauts.¶ L’étranger, les remerciant tous deux ; aussi l’étranger les
remercia-t-il par un geste plein de noblesse, . Puis il s’assit entre cette jeune mère et le
vieux soldat.¶ Derrière lui, se trouvaient un paysan et son fils, âgé de dix ans.¶
Puis, une Une pauvresse, ayant un bissac presque vide, vieille et ridée, en haillons,
type de malheur et d’insouciance, gisait sur le bec de la barque, accroupie dans un gros
paquet de cordages. Un des rameurs, vieux marinier, qui l’avait connue belle et riche,
l’avait fait entrer dans la barque par charité, et, suivant l’admirable dictondiction du peuple,
pour l’amour de Dieu.¶
– Grand merci, Thomas!..., avait dit la vieille; j’ajouterai de plus, je dirai pour toi ce
soir deux paterPater et deux ave à Ave dans ma prière...¶
Le patron ayant donna du cor encore une fois donné du cor et regardé , regarda la
campagne muette, jeta la chaîne dans le bateau, courut le long du bord, jusqu’au
gouvernail, en prit la barre, resta debout; puis, d’une voix forte, après avoir contemplé le
ciel, il dit d’une voix forte à ses rameurs, quand ils furent en pleine mer:¶: – Ramez,
ramez fort, et dépêchons!... La la mer est grosse d’sourit à un mauvais grain, la sorcière!...
Je sens la houle au mouvement du gouvernail, et l’orage à mes blessures...¶
Ces paroles, dites en termes de marine, espèce de langue intelligible seulement pour
des oreilles accoutumées au bruit des flots, imprimèrent aux rames un mouvement
précipité, mais toujours cadencé; mouvement unanime, et différent de la manière de
ramer précédente, comme le trot d’un cheval l’est de son galop.¶ Le beau monde assis à
l’arrière prit plaisir à voir tous ces bras nerveux, ces visages bruns aux yeux de feu, ces
muscles tendus, et ces différentes forces humaines agissant de concert, pour leur faire
traverser le détroit, moyennant un faible péage. Loin de déplorer cette misère, ils se
montrèrent les quatre rameurs en riant des expressions grotesques que le travailla
manœuvre imprimait à leurs physionomies tourmentées.¶ Mais à A l’avant, le soldat, le
paysan et la vieille contemplaient les mariniers avec cette espèce de compassion naturelle
aux gens qui, du travailvivant de labeur, connaissent les rudes angoisses et les fiévreuses
fatigues; puis du travail. Puis, habitués à la vie en plein air, ils tous avaient compris, à
l’aspect du ciel, le danger dont ils devaient être menacés. Ilsqui les menaçait, tous étaient
donc sérieux. Quant à la La jeune mère, elle endormait berçait son enfant, le berçait sur son
sein en lui chantant une vieille hymne d’église pour l’endormir.¶
– Si nous arrivons, dit le soldat au paysan, c’est que le bon dieu mettrale bon Dieu aura
mis de l’entêtement à nous laisser en vie!...¶
– Ah! il est le maître, répondit la vieille; mais je crois que son bon plaisir est de nous
appeler àprès de lui... Voyez là -bas, cette lumière...¶? Et, par un geste de tête, elle
montrait le couchant, où des bandes de feu tranchaient vivement sur des nuages bruns
nuancés de rouge, et qui semblaient prêts à bien près de déchaîner quelque vent furieux.
La mer faisait entendre un murmure sourd, une espèce de mugissement intérieur, assez
semblable à la voix d’un chien quand il ne fait que gronder; mais, après. Après tout,
Ostende n’était pas loin.¶ En ce moment, le ciel et la mer offraient un de ces spectacles
dont auxquels il est peut-être impossible à la peinture et le langage osent rarement rendre les
effets, auxquels il est peut-être impossible comme à la parole de donner un peu plus de durée
qu’ils n’en ont réellement, en les imprimant dans notre mémoire par un tableau. Il faut des
contrastes puissans aux créations humaines.. Les créations humaines veulent des contrastes
puissants. Aussi, les artistes demandent -ils ordinairement à la nature ses phénomènes les
plus brillansbrillants, désespérant sans doute d’intéresser par de rendre la grande et belle
poésie au sein de laquelle elle se meut tous les jours; et, cependant, parfois, de son allure
ordinaire, quoique l’âme humaine est plus fortementsoit souvent aussi profondément
remuée dans le calme que dans le mouvement, et par le silence autant que par la tempête.¶
Il y eut un moment où, sur la barque, chacun se tut, et contempla la mer et le ciel, soit
par pressentiment, soit pour obéir à cette mélancolie religieuse dontqui nous sommessaisit
presque tous saisis, à l’heure de la prière, à la chute du jour, à l’instant où la nature se tait,
où les cloches parlent.¶ La mer jetait une lueur blanche et blafarde, mais changeante et
semblable aux couleurs de l’acier; le . Le ciel était constammentgénéralement grisâtre,
quoique nuancé de noir et de rouge; puis, à l’horizon, au couchant. A l’ouest, de longs espaces
étroits simulaient des flots de sang;, tandis qu’à l’orient, des lignes étincelantes comme la
lumière de la lune quand elle est pure, marquées comme par un pinceau fin, étaient séparées,
çà et là, par quelques des nuages plissés comme des rides sur le front d’un vieillard.¶
Ainsi, la mer et le ciel n’offraient que des offraient partout un fond terne, tout en demiteintes sur le fond terne et sombre, qui faisait ressortir les feux sinistres de l’occident. Il y
avait dans cette du couchant. Cette physionomie de la nature, une espèce de inspirait un
sentiment terrible; et, s’il était . S’il est permis de faire passer les audacieusesglisser les
audacieux tropes du peuple dans la langue écrite, on dirait comme répéterait ce que disait
le soldat:, que le temps montrait le visage irrité d’un capitaine mécontent; ou, comme le était
en déroute, ou, ce que lui répondit le paysan, qu’ilque le ciel avait la mine froidement
féroce d’un bourreau.¶ Le vent s’éleva tout à coup vers le couchant. Alors, , et le patron,
qui ne cessait de consulter la mer, la voyant s’enfler à l’horizon, s’écria:¶-: – Hau! hau!...¶
A ce cri, les matelots s’arrêtèrent aussitôt que la voix frappa leurs oreilles, et laissèrent
nager leurs rames.¶
– Le patron a raison!..., dit froidement Thomas, quand la barque portée en haut d’une
énorme vague, redescendit comme au fond de la mer.. entr’ouverte.¶
A ce mouvement extraordinaire, à cette colère soudaine de l’océan, les gens de
l’arrière devinrent blêmes, et jetèrent un cri terrible...¶: – Nous périssons!.. .¶
– Oh! pas encore!..., leur répondit tranquillement le patron.¶
En ce moment, les nuées se déchirèrent sous l’effort du vent, précisément au milieu du
ciel, et au -dessus de la barque.¶ Alors Les masses grises s’étant étalées avec une sinistre
promptitude à l’orient et au couchant, la douce lumière lueur du crépuscule éclaira cette
scène comme si quelque rayon de la lune eût jailli au bord d’une nuée; et, les masses grises
s’étant étalées avec une sinistre promptitude à l’orient et au couchant, cette lueur blanche
tombanty tomba d’aplomb sur la barque par laune crevasse si capricieusement faite par le due
au vent d’orage, et permit d’y voir tous les visages.¶ Tous les Les passagers, nobles, ou
riches, mariniers et pauvres, restèrent un moment surpris à l’aspect de l’homme arrivé le du
dernier au milieu d’eux.¶ Sa figure était pleine de calme et de douceur.venu. Ses cheveux d’or,
partagés en deux bandeaux sur son front tranquille et serein, retombaient en boucles
nombreuses sur ses épaules. Les passagers furent frappés du sentiment particulier qu’exprimait
cette belle physionomie: l’étranger , en découpant sur la grise atmosphère une figure
sublime de douceur et où rayonnait l’amour divin. Il ne méprisait pas la mort, il paraissait
était certain de ne pas périr...¶ Mais, si d’abord, les gens de l’arrière, lâches et tremblans
qu’ils étaient, oublièrent un instant la tempête implacable dont ladont l’implacable fureur
les menaçait, ils revinrent bientôt à leurs sentimenssentiments d’égoïsme et aux habitudes
de leur vie.¶
– Est-il heureux, ce stupide bourgmestre, de ne pas s’apercevoir du danger que nous
courons tous...! Il est là comme un chien, et mourra sans agonie!..., dit le docteur.¶
A peine avait-il dit cette phrase assez judicieuse, que la tempête déchaîna ses
furies.légions. Les vents soufflèrent de tous les côtés, la barque tournoya comme une
toupie, et la mer y entra.¶
– Oh! mon pauvre enfant!... mon enfant!... qui Qui sauvera mon enfant!...? s’écria la
mère d’une voix déchirante.¶
– Vous-même!..., répondit l’étranger.¶
Le timbre de cet organe pénétra le cœur de la jeune femme, il y mit un espoir. Elle ;
elle entendit cette suave parole distinctement malgré les sifflemenssifflements de l’orage et,
malgré les cris poussés par les passagers.¶
– Sainte- Vierge de Bon-Secours, qui êtes à Anvers, je vous promets mille livres de
cire et une statue, si vous me tirez de là!..., s’écria le bourgeois à genoux sur ses des sacs
d’or.¶
– La Vierge n’est pas plus à Anvers qu’ici!..., lui répondit le docteur.¶
– Elle est dans le ciel!, répliqua une voix qui semblait sortir de la mer...¶
– Qui donc a parlé?...¶?¶
– C’est le diable!..., s’écria le domestique, puisqu’il se moque de la Vierge d’Anvers.¶
– Laissez-moi donc là votre Sainte-sainte Vierge!..., dit le patron aux passagers.
Empoignez-moi les écopes, et videz-moi l’eau de la barque. Et vous autres, reprit-il en
s’adressant aux matelots, ramez ferme! Nous avons un moment de répit!... Au , au nom du
diable qui vous laisse en ce monde, soyons nous-mêmemêmes notre providence. Ce petit
canal est furieusement dangereux!... On, on le sait, mais voilà quarantetrente ans que je le
traverse; et . Est-ce n’est pas de ce soir que je me bats avec la tempête.¶?¶
Puis, debout à son gouvernail, ille patron continua de regarder alternativement sa
barque, la mer et le ciel.¶
– Il se moque toujours de tout, le patron!..., dit Thomas à voix basse.¶
– Est-ce que Dieu va nous laisserlaissera-t-il mourir, avec ces misérables manans!...?
demanda l’orgueilleuse jeune fille au beau cavalier.¶
– Non, non, noble demoiselle!... Ecoutez. Écoutez-moi!¶? Il l’attira par la taille, et lui
parlant à l’oreille:¶: – Je sais nager!..., n’en dites rien! Je vous prendrai par vos beaux
cheveux, et vous conduirai doucement au rivage; mais – je ne puis sauver que vous...¶
La demoiselle regarda sa vieille mère. La dame était à genoux et demandait quelque
absolution à l’évêque, qui ne l’écoutait pas...¶ Le chevalier, lisant lut dans les yeux de sa
belle maîtresse un faible sentiment de piété filiale, et lui dit d’une voix sourde:¶: –
Soumettez-vous aux volontés de Dieu...! S’il veut appeler votre mère à lui, ce sera sans
doute pour son bonheur...¶ – En en l’autre monde, ajouta-t-il d’une voix encore plus
basse.¶ – Et pour le nôtre en celui-ci!..., pensa-t-il.¶ La dame de Rupelmonde possédait
sept fiefs, outre la baronnie de Gâvres.¶ La demoiselle écouta la voix de sa vie, les
intérêts de son amour, parlant par la bouche du bel aventurier, jeune mécréant, qui hantait
les églises par la raison qui lui faisait hanter les tripots;, où il y cherchait une proie, une fille
à marier ou de beaux deniers comptans.¶comptants. L’évêque bénissait les flots, et leur
ordonnait de se calmer, en désespoir de cause; mais il songeait à sa concubine, qui
l’attendait, avec quelque délicat festin;, qui, peut-être, en ce moment se mettait au bain, se
parfumait, s’habillait de velours, et ou faisait agrafer ses colliers de et ses pierreries. Loin
de songer aux pouvoirs de la Sainte Eglisesainte Église, et de consoler ces chrétiens en les
exhortant à se confier à Dieu, l’évêque pervers mêlait des regrets mondains et des paroles
d’amour aux saintes paroles du bréviaire.¶ La lueur qui éclairait ces pâles visages
permettait d’en permit de voir les leurs diverses expressions, quand la barque, enlevée
dans les airs par une vague, puis rejetée au fond de l’abîme, puis secouée comme une
feuille frêle, jouet de la bise en automne, craquait dans sa coque, et semblait prête à et
parut près de se briser.¶Alors c’étaient Ce fut alors des cris horribles, suivis d’affreux
silences.¶ L’attitude des personnes assises à l’avant du bateau contrastait singulièrement
avec celle des gens riches ou puissans.¶puissants. La jeune mère serrait son enfant contre
son sein, chaque fois que les vagues menaçaient d’engloutir la fragile embarcation; mais
elle croyait à l’espérance que lui avait jetée au cœur la puissante parole dite par l’étranger;
et, chaque fois, elle tournait ses regards vers cet homme dont le visage lui semblait
lumineusement doux; elle y , et puisait dans son visage une foi nouvelle, la foi forte d’une
femme faible, la foi d’une mère. Ne vivant plus queVivant par la parole divine, par la
parole d’amour échappée à cet homme, la naïve créature attendait avec confiance
l’exécution de cette espèce de promesse, et ne redoutantredoutait presque plus le péril.¶ Le
Cloué sur le bord de la chaloupe, le soldat n’était pas moins curieux à voir. Sa figure rude et
basanée imitait ne cessait de contempler cet être singulier sur l’impassibilité de l’inconnu.
Cloué sur le bord de la chaloupe, il ne cessait de contempler cet être singulier; et, faisant usage
de son intelligence et deduquel il modelait sa figure rude et basanée en déployant son
intelligence et sa volonté, dont les puissanspuissants ressorts s’étaient peu viciés pendant
le cours d’une vie passive et machinale qui n’avait employé que sa force physique, il ne
voulait pas ; jaloux de se montrer moins tranquille et moins calmecalme autant que ce
courage supérieur, devant lequel il restait en admiration. En prenant ainsi l’inconnu pour
modèle, il finit par s’identifier, à son insu peut-être, au principe secret de cette puissance
intérieure; puis, ce culte du courage et de l’audace. Puis son admiration devint un fanatisme
instinctif, un amour sans bornes, une croyance en cet homme, semblable à l’enthousiasme
que les soldats ont pour leur chef, quand il est homme de pouvoir, environné par l’éclat
des victoires, et qu’il marche au milieu des beauxéclatants prestiges du génie.¶ La vieille
pauvresse disait à voix basse:¶: – Ah! pécheresse infâme que je suis!... Ai-je souffert
autant qu’il le fallaitassez pour expier les plaisirs de ma jeunesse? Ah! pourquoi,
malheureuse, ai-jeas-tu mené la belle vie d’une galloise? J’aiGalloise, as-tu mangé le bien
de Dieu avec des gens d’église, le bien des pauvres avec les torçonniers et maltôtiers!.....?
Ah! j’ai eu grand tort!.... O mon Dieu! mon Dieu! laissez-moi finir mon enfer sur cette
terre de malheur. Ou bien,: – Sainte Vierge, mère de Dieu, prenez pitié de moi!¶
– Et consolez– Consolez-vous, la mère:, le bon Dieu n’est pas un lombard!... Moi, j’ai.
Quoique j’aie tué, peut-être à tort et à travers, les bons, et les mauvais; eh bien, je ne
crains pas la résurrection!¶.¶
– Ah! monsieur l’anspessade, sont-elles heureuses, ces belles dames, d’être auprès
d’un évêque, d’un saint homme! reprit la vieille. Elles, elles auront l’absolution de leurs
péchés..... Oh! si je pouvais entendre la voix d’un prêtre, me disant: – Vos péchés vous
seront remis!... Je, je le croirais!¶
L’étranger se tourna vers elle, et son regard charitable la fit tressaillir.¶
– AyezAvez la foi!..., lui dit-il, et vous serez sauvée!...¶
– Que Dieu vous récompense!..., mon bon Seigneur, lui répondit-elle. Si vous dites
vrai, j’irai pour vous et pour moi en pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette, pieds nus...¶
Les deux paysans, le père et le fils, restaient silencieux, résignés et soumis à la
volonté de Dieu, en gens accoutumés à suivre instinctivement, comme les animaux, le
branle donné à la nature...¶Nature. Ainsi, d’un côté les richesses, l’orgueil, la science, la
débauche, le crime, toute la société humaine, telle que la font les arts, la pensée,
l’éducation, le monde et ses lois; mais aussi, de ce côté seulement, les cris, la terreur,
mille sentimenssentiments divers combattus par des doutes affreux, là, seulement, les
angoisses de la peur!.... .. Puis, au -dessus de ces types d’existences socialesexistences, un
homme puissant, le patron de la barque, ne doutant de rien, le chef, le roi fataliste, se
faisant sa propre providence, et fataliste, et criant: – « « Sainte- Ecope!... » et non pas: –
« Sainte- Vierge!... » enfin, défiant l’orage, et luttant avec lui la mer corps à corps.¶ A
l’autre bout de la nacelle, des faibles!... La la mère berçant, dans son sein, un petit enfant
qui souriait à l’orage. Une ; une fille, jadis joyeuse, maintenant livrée à d’horribles
remords. Un ; un soldat criblé de blessures, sans autre récompense que sa vie mutilée pour
prix d’un dévoûmentdévouement infatigable. Pour salaire de sa mort de tous les jours,; il
avait à peine un morceau de pain trempé de pleurs. Cependant; néanmoins il se riait de
tout et marchait sans soucis. Heureux, heureux quand il noyait sa gloire au fond d’un pot
de bière ou qu’il la racontait à des enfansenfants qui l’admiraient, il commettait
gaîmentgaiement à Dieu le soin de son avenir. Enfin; enfin, deux paysans, gens de peine et
de fatigue, le travail incarné, le labeur dont vivait le monde. Toutes cesCes simples
créatures étaient ignorantes, simples, insouciantes de la pensée et de ses trésors, mais prêtes
à les abîmer dans une croyance, ayant la foi d’autant plus robuste qu’elles n’avaient
jamais rien discuté, ni analysé; natures vierges, où la conscience était restée pure et le
sentiment puissant; parce que le remords, le malheur, l’amour, le travail avaient exercé,
purifié, concentré, doublé, exercédécuplé, leur volonté, la seule chose qui, dans l’homme,
ressemble à ce que les savanssavants nomment une âme...¶
Aussi, quand Quand la barque, conduite par la miraculeuse adresse du pilote, arriva
presque en vue d’Ostende, à cinquante pas du rivage, et que, elle en fut repoussée par une
convulsion de la tempête, elle et chavira soudain; que l’étranger. L’étranger au lumineux
visage dit alors à ce petit monde de douleur:¶: – Ceux qui ont la foi, seront sauvés en ;
qu’ils me suivant!...¶suivent!¶
Et que cetCet homme se leva, marcha d’un pas ferme sur les flots:¶La . Aussitôt la
jeune mère prit son enfant dans ses bras et marcha près de lui sur la mer.¶ Puis, le Le
soldat se dressa soudain en disant dans son langage de naïveté:¶: – Ah! nom d’une pipe,!
je te suivraisuivrais au diable.¶ Et Puis, sans paraître étonné, il marcha sur la mer.¶ Et la
La vieille pécheresse, croyant à toute la toute-puissance de Dieu, suivit l’homme et
marcha sur la mer.¶ Et les Les deux paysans se dirent:¶: – Puisqu’ils marchent sur l’eau,
pourquoi ne ferions-nous pas comme eux?...¶ Ils se levèrent et coururent après eux en
marchant sur la mer.¶ Thomas voulut les imiter,; mais, sa foi chancelant, il tomba
plusieurs fois dans la mer, se releva; puis, après trois épreuves, il suivit le cortége des
hommes de croyance et de volonté.¶ marcha sur la mer. L’audacieux pilote s’était attaché
comme un rémoraremora sur le plancher de sa barque.¶ L’avare avait eu la foi et s’était
levé; mais c’était par avarice, il voulut emporter son or, et son or l’emporta au fond de la
mer.¶ Se moquant du charlatan et des imbéciles qui l’écoutaient, au moment où il vit
l’inconnu proposant aux passagers de marcher sur la mer, le savant se prit à rire et fut
englouti par l’océan.¶
La jeune fille fut entraînée dans un l’abîme par son amant.¶ L’évêque et la vieille
dame allèrent au fond, lourds des de crimes, peut-être;, mais plus lourds encore
d’incrédulité, de confiance en de fausses images;, lourds de dévotions, légers d’aumônes
et de vraie religion.¶
La troupe fidèle, qui foulait d’un pied ferme et sans se mouillersec la plaine des eaux
courroucées, entendait autour d’elle les sifflemens horribles d’une sifflements de la
tempête. D’énormes lames venaient se briser sur son chemin; mais une . Une force
invincible coupait l’océan; et, à. A travers le brouillard, ces fidèles apercevaient dans le
lointain, sur le rivage, une petite lumière faible qui tremblotaittremblottait par la fenêtre
d’une cabane de pêcheurs. Ils marchaientChacun, en marchant courageusement vers cette
lueur; et, , croyait entendre son voisin criant à travers les mugissemensmugissements de la
mer, chacun croyait entendre son voisin criant:¶: – Courage!...¶ Et, cependant, attentif à son
danger, personne ne disait mot.¶ Ils atteignirent ainsi le bord de la mer; et quand . Quand
ils furent tous assis au foyer du pêcheur, ils cherchèrent en vain leur guide lumineux.¶ Le
fils de l’homme était assis Assis sur le haut d’un rocher, au bas duquel l’ouragan jeta le
pilote attaché sur sa planche avec par cette force surnaturelle qu’ontque déploient les
marins en se noyant; ilaux prises avec la mort, l’HOMME descendit, recueillit le naufragé
presque brisé; puis il dit en étendant une main secourable sur sa tête:¶: – Bon pour cette
fois-ci!..., mais n’y revenez plus, ce serait d’un trop mauvais exemple.¶
Il prit le marin sur ses épaules et le porta jusques jusqu’à la chaumière du pêcheur. Il
frappa pour le malheureux, afin qu’on lui ouvrît la porte de ce modeste asile, et puis le
Sauveur de ces hommes disparut.¶ En cet endroit, fut bâti, pour les marins, le couvent de la
Merci, où se vit long-temps l’empreinte que les pieds de Jésus-Christ avaient, dit-on,
laissée sur le sable. En 1793, lors de l’entrée des Français en Belgique, des moines
emportèrent cette précieuse relique, l’attestation de la dernière visite que Jésus ait faite à
la Terre.¶
Ce fut là que, fatigué de vivre, je me trouvais quelque temps après la révolution de
1830. Si vous m’eussiez demandé la raison de mon désespoir, il m’aurait été presque
impossible de la dire, tant mon âme était devenue molle et fluide. Les ressorts de mon
intelligence se détendaient sous la brise d’un vent d’ouest. Le ciel versait un froid noir, et
les nuées brunes qui passaient au-dessus de ma tête donnaient une expression sinistre à la
nature. L’immensité de la mer, tout me disait: – Mourir aujourd’hui, mourir demain, ne
faudra-t-il pas toujours mourir? et, alors... J’errais donc en pensant à un avenir douteux, à
mes espérances déchues. En proie à ces idées funèbres, j’entrai machinalement dans cette
église du couvent, dont les tours grises m’apparaissaient alors comme des fantômes à
travers les brumes de la mer. Je regardai sans enthousiasme cette forêt de colonnes
assemblées dont les chapiteaux feuillus soutiennent des arcades légères, élégant
labyrinthe. Je marchai tout insouciant dans les nefs latérales qui se déroulaient devant moi
comme des portiques tournant sur eux-mêmes. La lumière incertaine d’un jour d’automne
permettait à peine de voir en haut des voûtes les clefs sculptées, les nervures délicates qui
dessinaient si purement les angles de tous les cintres gracieux. Les orgues étaient muettes.
Le bruit seul de mes pas réveillait les graves échos cachés dans les chapelles noires. Je
m’assis auprès d’un des quatre piliers qui soutiennent la coupole, près du chœur. De là, je
pouvais saisir l’ensemble de ce monument que je contemplai sans y attacher aucune idée.
L’effet mécanique de mes yeux me faisait seul embrasser le dédale imposant de tous les
piliers, les roses immenses miraculeusement attachées comme des réseaux au-dessus des
portes latérales ou du grand portail, les galeries aériennes où de petites colonnes menues
séparaient les vitraux enchâssés par des arcs, par des trèfles ou par des fleurs, joli
filigrane en pierre. Au fond du chœur, un dôme de verre étincelait comme s’il était bâti de
pierres précieuses habilement serties. A droite et à gauche, deux nefs profondes
opposaient à cette voûte, tour à tour blanche et coloriée, leurs ombres noires au sein
desquelles se dessinaient faiblement les fûts indistincts de cent colonnes grisâtres. A force
de regarder ces arcades merveilleuses, ces arabesques, ces festons, ces spirales, ces
fantaisies sarrasines qui s’entrelaçaient les unes dans les autres, bizarrement éclairées,
mes perceptions devinrent confuses. Je me trouvai, comme sur la limite des illusions et de
la réalité, pris dans les piéges de l’optique et presque étourdi par la multitude des aspects.
Insensiblement ces pierres découpées se voilèrent, je ne les vis plus qu’à travers un nuage
formé par une poussière d’or, semblable à celle qui voltige dans les bandes lumineuses
tracées par un rayon de soleil dans une chambre. Au sein de cette atmosphère vaporeuse
qui rendit toutes les formes indistinctes, la dentelle des roses resplendit tout à coup.
Chaque nervure, chaque arête sculptée, le moindre trait s’argenta. Le soleil alluma des
feux dans les vitraux dont les riches couleurs scintillèrent. Les colonnes s’agitèrent, leurs
chapiteaux s’ébranlèrent doucement. Un tremblement caressant disloqua l’édifice, dont
les frises se remuèrent avec de gracieuses précautions. Plusieurs gros piliers eurent des
mouvements graves comme est la danse d’une douairière qui, sur la fin d’un bal,
complète par complaisance les quadrilles. Quelques colonnes minces et droites se mirent
à rire et à sauter, parées de leurs couronnes de trèfles. Des cintres pointus se heurtèrent
avec les hautes fenêtres longues et grêles, semblables à ces dames du moyen âge qui
portaient les armoiries de leurs maisons peintes sur leurs robes d’or. La danse de ces
arcades mitrées avec ces élégantes croisées ressemblait aux luttes d’un tournoi. Bientôt
chaque pierre vibra dans l’église, mais sans changer de place. Les orgues parlèrent, et me
firent entendre une harmonie divine à laquelle se mêlèrent des voix d’anges, musique
inouïe, accompagnée par la sourde basse-taille des cloches dont les tintements
annoncèrent que les deux tours colossales se balançaient sur leurs bases carrées. Ce
sabbat étrange me sembla la chose du monde la plus naturelle, et je ne m’en étonnai pas
après avoir vu Charles X à terre. J’étais moi-même doucement agité comme sur une
escarpolette qui me communiquait une sorte de plaisir nerveux, et il me serait impossible
d’en donner une idée. Cependant, au milieu de cette chaude bacchanale, le chœur de la
cathédrale me parut froid comme si l’hiver y eût régné. J’y vis une multitude de femmes
vêtues de blanc, mais immobiles et silencieuses. Quelques encensoirs répandirent une
odeur douce qui pénétra mon âme en la réjouissant. Les cierges flamboyèrent. Le lutrin,
aussi gai qu’un chantre pris de vin, sauta comme un chapeau chinois. Je compris que la
cathédrale tournait sur elle-même avec tant de rapidité que chaque objet semblait y rester
à sa place. Le Christ colossal, fixé sur l’autel, me souriait avec une malicieuse
bienveillance qui me rendit craintif, je cessai de le regarder pour admirer dans le lointain
une bleuâtre vapeur qui se glissa à travers les piliers, en leur imprimant une grâce
indescriptible. Enfin plusieurs ravissantes figures de femmes s’agitèrent dans les frises.
Les enfants qui soutenaient de grosses colonnes, battirent eux-mêmes des ailes. Je me
sentis soulevé par une puissance divine qui me plongea dans une joie infinie, dans une
extase molle et douce. J’aurais, je crois, donné ma vie pour prolonger la durée de cette
fantasmagorie, quand tout à coup une voix criarde me dit à l’oreille: – Réveille-toi, suismoi!¶
Une femme desséchée me prit la main et me communiqua le froid le plus horrible aux
nerfs. Ses os se voyaient à travers la peau ridée de sa figure blême et presque verdâtre.
Cette petite vieille froide portait une robe noire traînée dans la poussière, et gardait à son
cou quelque chose de blanc que je n’osais examiner. Ses yeux fixes, levés vers le ciel, ne
laissaient voir que le blanc des prunelles. Elle m’entraînait à travers l’église et marquait
son passage par des cendres qui tombaient de sa robe. En marchant, ses os claquèrent
comme ceux d’un squelette. A mesure que nous marchions, j’entendais derrière moi le
tintement d’une clochette dont les sons pleins d’aigreur retentirent dans mon cerveau,
comme ceux d’un harmonica.¶
– Il faut souffrir, il faut souffrir, me disait-elle.¶
Nous sortîmes de l’église, et traversâmes les rues les plus fangeuses de la ville; puis,
elle me fit entrer dans une maison noire où elle m’attira en criant de sa voix, dont le
timbre était fêlé comme celui d’une cloche cassée: – Défends-moi, défends-moi!¶
Nous montâmes un escalier tortueux. Quand elle eut frappé à une porte obscure, un
homme muet, semblable aux familiers de l’inquisition, ouvrit cette porte. Nous nous
trouvâmes bientôt dans une chambre tendue de vieilles tapisseries trouées, pleine de
vieux linges, de mousselines fanées, de cuivres dorés.¶
– Voilà d’éternelles richesses, dit-elle.¶
Je frémis d’horreur en voyant alors distinctement, à la lueur d’une longue torche et de
deux cierges, que cette femme devait être récemment sortie d’un cimetière. Elle n’avait
pas de cheveux. Je voulus fuir, elle fit mouvoir son bras de squelette et m’entoura d’un
cercle de fer armé de pointes. A ce mouvement, un cri poussé par des millions de voix, le
hurrah des morts, retentit près de nous!¶
– Je veux te rendre heureux à jamais, dit-elle. Tu es mon fils!¶
Nous étions assis devant un foyer dont les cendres étaient froides. Alors la petite
vieille me serra la main si fortement que je dus rester là. Je la regardai fixement, et tâchai
de deviner l’histoire de sa vie en examinant les nippes au milieu desquelles elle
croupissait. Mais existait-elle? C’était vraiment un mystère. Je voyais bien que jadis elle
avait dû être jeune et belle, parée de toutes les grâces de la simplicité, véritable statue
grecque au front virginal.¶
– Ah! ah! lui dis-je, maintenant je te reconnais. Malheureuse, pourquoi t’es-tu
prostituée aux hommes? Dans l’âge des passions, devenue riche, tu as oublié ta pure et
suave jeunesse, tes dévouements sublimes, tes mœurs innocentes, tes croyances fécondes,
et tu as abdiqué ton pouvoir primitif, ta suprématie tout intellectuelle pour les pouvoirs de
la chair. Quittant tes vêtements de lin, ta couche de mousse, tes grottes éclairées par de
divines lumières, tu as étincelé de diamants, de luxe et de luxure. Hardie, fière, voulant
tout, obtenant tout et renversant tout sur ton passage, comme une prostituée en vogue qui
court au plaisir, tu as été sanguinaire comme une reine hébétée de volonté. Ne te
souviens-tu pas d’avoir été souvent stupide par moments. Puis tout à coup
merveilleusement intelligente, à l’exemple de l’Art sortant d’une orgie. Poète, peintre,
cantatrice, aimant les cérémonies splendides, tu n’as peut-être protégé les arts que par
caprice, et seulement pour dormir sous des lambris magnifiques? Un jour, fantasque et
insolente, toi qui devais être chaste et modeste, n’as-tu pas tout soumis à ta pantoufle, et
ne l’as-tu pas jetée sur la tête des souverains qui avaient ici bas le pouvoir, l’argent et le
talent! Insultant à l’homme et prenant joie à voir jusqu’où allait la bêtise humaine, tantôt
tu disais à tes amants de marcher à quatre pattes, de te donner leurs biens, leurs trésors,
leurs femmes même, quand elles valaient quelque chose! Tu as, sans motif, dévoré des
millions d’hommes, tu les as jetés comme des nuées sablonneuses de l’Occident sur
l’Orient. Tu es descendue des hauteurs de la pensée pour t’asseoir à côté des rois. Femme,
au lieu de consoler les hommes, tu les as tourmentés, affligés! Sûre d’en obtenir, tu
demandais du sang! Tu pouvais cependant te contenter d’un peu de farine, élevée comme
tu le fus, à manger des gâteaux et à mettre de l’eau dans ton vin. Originale en tout, tu
défendais jadis à tes amants épuisés de manger, et ils ne mangeaient pas. Pourquoi
extravaguais-tu jusqu’à vouloir l’impossible? Semblable à quelque courtisane gâtée par
ses adorateurs, pourquoi t’es-tu affolée de niaiseries et n’as-tu pas détrompé les gens qui
expliquaient ou justifiaient toutes tes erreurs? Enfin, tu as eu tes dernières passions!
Terrible comme l’amour d’une femme de quarante ans, tu as rugi! tu as voulu étreindre
l’univers entier dans un dernier embrassemeut, et l’univers qui t’appartenait t’a échappé.
Puis, après les jeunes gens sont venus à tes pieds des vieillards, des impuissants qui t’ont
rendue hideuse. Cependant quelques hommes au coup d’œil d’aigle te disaient d’un
regard: – Tu périras sans gloire, parce que tu as trompé, parce que tu as manqué à tes
promesses de jeune fille. Au lieu d’être un ange au front de paix et de semer la lumière et
le bonheur sur ton passage, tu as été une Messaline aimant le cirque et les débauches,
abusant de ton pouvoir. Tu ne peux plus redevenir vierge, il te faudrait un maître. Ton
temps arrive. Tu sens déjà la mort. Tes héritiers te croient riche, ils te tueront et ne
recueilleront rien. Essaie au moins de jeter tes hardes qui ne sont plus de mode, redeviens
ce que tu étais jadis. Mais non! tu t’es suicidée! N’est-ce pas là ton histoire? lui dis-je en
finissant, vieille caduque, édentée, froide, maintenant oubliée, et qui passe sans obtenir un
regard. Pourquoi vis-tu? Que fais-tu de ta robe de plaideuse qui n’excite le désir de
personne? où est ta fortune? pourquoi l’as-tu dissipée? où sont tes trésors? Qu’as-tu fait
de beau?¶
A cette demande, la petite vieille se redressa sur ses os, rejeta ses guenilles, grandit,
s’éclaira, sourit, sortit de sa chrysalide noire. Puis, comme un papillon nouveau-né, cette
création indienne sortit de ses palmes, m’apparut blanche et jeune, vêtue d’une robe de
lin. Ses cheveux d’or flottèrent sur ses épaules, ses yeux scintillèrent, un nuage lumineux
l’environna, un cercle d’or voltigea sur sa tête, elle fit un geste vers l’espace en agitant
une longue épée de feu.¶
– Vois et crois! dit-elle.¶
Tout à coup, je vis dans le lointain des milliers de cathédrales, semblables à celles que
je venais de quitter, mais ornées de tableaux et de fresques; j’y entendis de ravissants
concerts. Autour de ces monuments, des milliers d’hommes se pressaient, comme des
fourmis dans leurs fourmilières. Les uns empressés de sauver des livres et de copier des
manuscrits, les autres servant les pauvres, presque tous étudiant. Du sein de ces foules
innombrables surgissaient des statues colossales, élevées par eux. A la lueur fantastique,
projetée par un luminaire aussi grand que le soleil, je lus sur le socle de ces statues:
SCIENCES. HISTOIRE. LITTÉRATURES.¶
La lumière s’éteignit, je me retrouvai devant la jeune fille, qui, graduellement, rentra
dans sa froide enveloppe, dans ses guenilles mortuaires, et redevint vieille. Son familier
lui apporta un peu de poussier, afin qu’elle renouvelât les cendres de sa chaufferette, car
le temps était rude; puis, il lui alluma, à elle qui avait eu des milliers de bougies dans ses
palais, une petite veilleuse afin qu’elle pût lire ses prières pendant la nuit.¶
– On ne croit plus!... dit-elle.¶
Telle était la situation critique dans laquelle je vis la plus belle, la plus vaste, la plus
vraie, la plus féconde de toutes les puissances.¶
– Réveillez-vous, monsieur, l’on va fermer les portes, me dit une voix rauque.¶
En me retournant, j’aperçus l’horrible figure du donneur d’eau bénite, il m’avait
secoué le bras. Je trouvai la cathédrale ensevelie dans l’ombre, comme un homme
enveloppé d’un manteau.¶
– Croire! me dis-je, c’est vivre! Je viens de voir passer le convoi d’une Monarchie, il
faut défendre l’ÉGLISE!¶
Paris, février 1831.¶
Comparaison entre L’Église de 1831 et le « Furne corrigé »
L’Église ne porte pas de titre dans l’édition Furne de 1846 : en effet, cette nouvelle est intégrée à
la fin de Jésus-Christ en Flandre. Dans la comparaison qui suit l’édition de 1831 constitue le
texte de base. Les mots, les phrases, les passages rayés reflètent le texte de 1831. Les mots, les
phrases, les passages non-rayés indiquent la conformité entre le texte de 1831 et celui de la fin de
Jésus-Christ en Flandre dans le « Furne corrigé ». Les mots, les phrases, les passages en rouge
constituent des substitutions introduites dans le « Furne orrigé ».
L’ÉGLISE.¶
¶
J’ÉTAISCe fut là que, fatigué de vivre, et, sije me trouvais quelque temps après la révolution de
1830. Si vous m’eussiez demandé la raison de mon désespoir, il m’aurait été presque impossible
d’en trouverde la causedire, tant mon âme était devenue molle et fluide. Les ressorts de mon
intelligence s’étaient détendusse détendaient sous la brise d’un vent d’ouest... Le ciel versait un
froid noir, et les nuées brunes qui passaient au -dessus de ma tête donnaient à toute la nature une
expression sinistre. L’eau jaune de la Loire, les peupliers décharnés de ses rives à la nature.
L’immensité de la mer, tout me disait:¶: – Mourir aujourd’hui, – ou mourir demain!... il , ne
faudra -t-il pas toujours mourir..... – Et? et, alors...¶ J’errais donc en pensant à un avenir douteux,
à mes espérances déchues. En proie à ces idées funèbres, j’entrai machinalement dans la sombre
cathédrale de Saint-Gatiencette église du couvent, dont les tours grises m’apparaissaient alors
comme des fantômes à travers la brume.¶ les brumes de la mer. Je regardai sans enthousiasme
cette forêt de colonnes assemblées dont les chapiteaux feuillus soutiennent des arcades
légères!..... Labyrinthe, élégant!... labyrinthe. Je marchais, marchai tout insouciant, dans les nefs
latérales qui se déroulaient devant moi comme des portiques sans fin.....tournant sur eux-mêmes.
La lumière incertaine d’un jour d’automne permettait à peine de voir, en haut des voûtes, les
clefs sculptées, les nervures délicates qui dessinaient si purement les angles de mille tous les
cintres gracieux..... Les orgues étaient muettes. Le bruit seul de mes pas réveillait les graves
échos cachés dans les chapelles noires.¶ Je m’assis auprès d’un des quatre piliers qui soutiennent
la grande nefcoupole, près du chœur..... De là, je pouvais saisir l’ensemble de ce monument... Je
le contemplais que je contemplai sans y attacher aucune idée, presque sans le voir; et c’était,
pour ainsi dire, par l’effet. L’effet mécanique de mes yeux que j’embrassais etme faisait seul
embrasser le dédale imposant de tous les piliers, et les roses immenses, miraculeusement
attachées, – comme des réseaux, – au -dessus des portes latérales ou du grand portail, et les
galeries aériennes, riches d’ogives, garnies où de petites colonnes menues qui séparaient les
vitraux enchâssés par des arcs, par des trèfles ou par des fleurs, – espèce dejoli filigrane en
pierre...¶Du côté du choeur, le Au fond du chœur, un dôme de verre étincelait comme s’il était
bâti de pierres précieuses habilement serties... A droite et à gauche, les deux nefs profondes
formaient un contraste puissant, en opposantopposaient à cette voûte, tour à tour blanche et
coloriée, l’ombre noireleurs ombres noires au sein de laquelle desquelles se dessinaient
faiblement des arceaux hardiment élancés et les fûts indistincts de cent colonnes grisâtres...¶ A
force de regarder ces arcades merveilleuses, ces arabesques de marbre, ces festons, ces spirales,
ces fantaisies sarrasines qui s’entrelaçaient les unes dans les autres, capricieusement bizarrement
éclairées, tour à tour sombres et brillantes, mes perceptions devinrent confuses; et je . Je me
trouvai, comme sur la limite des illusions et de la réalité, pris dans les piéges de l’optique et
presque étourdi par la multitude des aspects... Insensiblement, ces pierres découpées devinrent
moins vivantes, moins vraies, et se voilèrent imparfaitement. Je , je ne les vis plus qu’à travers
un brouillard diaphane, au sein d’un nuage formé par une poussière d’or, semblable à celle qui
voltige dans les bandes lumineuses tracées par un rayon de soleil dans une chambre...¶ Puis, au
Au sein de cette atmosphère vaporeuse qui rendit toutes les formes indistinctes, la dentelle des
roses resplendit tout à coup. Chaque nervure, chaque arête sculptée, le moindre trait devint
d’argent.s’argenta. Le soleil alluma des feux dans tous les vitraux dont les riches couleurs
scintillèrent comme des étoiles.. Les colonnes s’agitèrent, et leurs chapiteaux s’ébranlèrent
doucement. Un tremblement caressant disloqua l’édifice, etdont les frises se remuèrent avec de
gracieuses précautions... Il y eut de Plusieurs gros piliers dont les mouvemens furenteurent des
mouvements graves comme est la danse d’une douairière qui, sur la fin d’un bal, figurecomplète
par complaisance pour compléter les quadrilles. Mais il y eut aussi de petites Quelques colonnes
minces et droites qui se mirent à rire et à sauter, parées de leurs couronnes de trèfles... Quelques
Des cintres pointus se heurtèrent avec les hautes fenêtres, longues et grêles, semblables à ces
dames du moyen âge qui portaient les armoiries de leurs maisons peintes sur leurs robes
dorées.d’or. La danse de ces arcades mitrées avec ces élégantes croisées ressemblait aux luttes
d’un tournoi... Enfin, bientôt Bientôt chaque pierre vibra dans l’église, mais sans changer de
place. Les orgues parlèrent, et me firent entendre une harmonie divine à laquelle se mêlèrent des
voix d’anges. Cette, musique étaitinouïe, accompagnée par la sourde basse-taille des cloches,
dont les tintemens annonçaienttintements annoncèrent que les deux tours colossales se
balançaient aussi gravement sur leurs bases carrées...¶ Ce sabbat étrange me semblait la chose du
monde la plus naturelle, et je ne m’en étonnais pas, parce que j’étaisétonnai pas après avoir vu
Charles X à terre. J’étais moi-même doucement agité comme sur une escarpolette. Je ressentais
qui me communiquait une sorte de plaisir nerveux dont , et il me serait impossible de d’en
donner une idée. LeCependant, au milieu de cette chaude bacchanale, le chœur étaitde la
cathédrale me parut froid comme si l’hiver y eût régné, et j’y. J’y vis une multitude de femmes
vêtues de blanc, mais immobiles... Elles ne faisaient aucun bruit. C’étaient comme des ombres.
et silencieuses. Quelques encensoirs répandaientrépandirent une odeur douce qui pénétrait
jusqu’à mon âme et la réjouissait.en la réjouissant. Les cierges flamboyaient.flamboyèrent. Le
lutrin, aussi gai qu’un chantre pris de vin, sautait comme un chapeau chinois!...¶ A force de
contempler ce merveilleux spectacle, je . Je compris que la cathédrale tournait sur elle-même
avec tant de rapidité que chaque objet semblait y rester à sa place... Le Christ colossal, fixé sur
l’autel, rayonnait et me souriait avec une malicieuse bienveillance qui me rendit craintif.¶ Alors,
je cessai de le regarder pour admirer, dans le lointain, une bleuâtre vapeur qui, en se glissant à
travers les piliers blancs, , en leur imprimaitimprimant une grâce indescriptible. Il y avait
deEnfin plusieurs ravissantes figures de femmes qui souriaients’agitèrent dans toutes les frises,
des enfans qui criaient et battaient des ailes en soutenant de grosses colonnes...... Les enfants qui
soutenaient de grosses colonnes, battirent eux-mêmes des ailes. Je me sentaissentis soulevé par
une puissance divine, j’étais plongé qui me plongea dans une joie infinie, dans une extase molle,
et douce; et, pour en prolonger la durée, j’aurais. J’aurais, je crois, donné ma vie pour prolonger
la durée de cette fantasmagorie, quand tout à coup, une voix criarde me dit à l’oreille:¶: –
Réveille-toi, suis-moi!...¶!¶
C’était uneUne femme desséchée qui me prit la main et me communiqua le froid le plus horrible
à tous les aux nerfs.¶ Elle était décrépite et maigre; ses Ses os se voyaient à travers une la peau
ridée; de sa figure blême et d’une pâleur presque verdâtre, était crochue.. Cette petite vieille
froide portait une robe noire, traînée dans la poussière; puis, elle avait, et gardait à son cou
quelque chose de blanc que je n’osais pas examiner. En marchant, ses os claquaient comme ceux
d’un squelette. Ses yeux fixes, levés vers le ciel, ne laissaient voir que le blanc des prunelles.
Elle m’entraînait à travers l’église et marquait son passage par des cendres qui tombaient de sa
robe. En marchant, ses os claquèrent comme ceux d’un squelette. A mesure que nous marchions,
j’entendais derrière moi le tintement d’une clochette dont les sons pleins d’aigreur
retentissaientretentirent dans mon cerveau, comme ceux d’un perçant harmonica.¶
– Il faut souffrir!..., il faut souffrir!..., me disait-elle.¶
Nous sortîmes de l’église, nous et traversâmes les rues les plus fangeuses de la ville, des rues
étroites et fangeuses; puis, elle me fit entrer dans une maison noire, où elle m’attira en me criant
de sa voix, dont le timbre était fêlé comme celui d’une cloche cassée:¶: – Défends-moi!...,
défends-moi!...¶!¶
Nous montâmes un escalier tortueux. Quand elle eut frappé à une porte obscure, un homme
muet, semblable aux familiers de l’inquisition, nous ouvrit; et nous cette porte. Nous nous
trouvâmes bientôt dans une chambre tendue de vieilles tapisseries trouées, pleine de vieux linges,
de mousselines fanées, de cuivres dédorés.¶
– Voilà d’éternelles richesses!..., dit-elle.¶
Je frémis d’horreur en voyant alors distinctement, à la lueur d’une longue torche et de deux
cierges, que cette femme devait être récemment sortie d’un cimetière. Sa robe cachait un linceul.
Elle n’avait pas de cheveux. Je voulus fuir, elle fit mouvoir son bras desséché, de squelette et
m’entoura d’un cercle de fer armé de pointes; et, à . A ce mouvement, un cri poussé par des
millions de voix, le hurrah des morts, retentit près de nous...¶!¶
– Je veux te rendre heureux à jamais!..., dit-elle. Tu es mon fils!¶
Nous étions assis devant un foyer dont les cendres étaient froides, et. Alors la petite vieille me
serrait la main si fortement que je dus rester là. Alors je Je la regardai fixement, et je tâchai de
deviner l’histoire de sa vie en examinant toutes les nippes au milieu desquelles elle
croupissait...¶
Mais existait-elle?... C’était vraiment un mystère.¶ Je voyais bien que jadis elle avait dû être
jeune et belle, parée de toutes les grâces de la simplicité, véritable statue grecque, blanche, au
front virginal.¶
– Ah! ah! lui dis-je, maintenant je te reconnais!...... Malheureuse!..... Pourquoi, pourquoi t’es-tu
prostituée aux hommes?... Dans l’âge des passions, devenue riche, tu as oublié ta pure et suave
jeunesse, tes dévouemensdévouements sublimes, tes mœurs innocentes, tes croyances fécondes,
et tu as abdiqué ton pouvoir primitif, ta suprématie toute tout intellectuelle pour les pouvoirs de
la chair. Alors, quittantQuittant tes vêtemensvêtements de lin, ta couche de mousse, tes grottes
éclairées par de divines lumières, tu as étincelé de diamansdiamants, de luxe et de luxure!....
Hardie, fière, voulant tout, obtenant tout et renversant tout sur ton passage, comme une
prostituée en vogue qui court à l’Opéraau plaisir, tu as été sanguinaire, comme une reine hébétée
de plaisir!.....volonté. Ne te souviens-tu pas d’avoir été souvent stupide par momens;
puismoments. Puis tout à coup merveilleusement intelligente, à l’exemple d’un jeune
journalistede l’Art sortant d’une orgie.¶ Enfin, poëte Poète, peintre, cantatrice, aimant les
cérémonies splendides, tu n’as peut-être protégé les arts que par caprice, et seulement pour
dormir sous des lambris magnifiques?¶ Un jour, fantasque et insolente, toi qui devais être chaste
et modeste, n’as-tu pas tout soumis à ta pantoufle, et ne l’as-tu pas jetée sur la tête des souverains
qui avaient ici bas le pouvoir, l’argent, et le talent?¶ Enfin, n’as-tu pas joué, comme Ninon, avec
ton fils?... Il t’a tuée!...¶! Insultant à l’homme et prenant joie à voir jusqu’où allait la bêtise
humaine, tantôt tu disais à tes amansamants de marcher à quatre pattes, de te donner leurs biens,
leurs trésors, leurs femmes même, quand elles valaient quelque chose! Tu as, sans motif, dévoré
des millions d’hommes!... Tu , tu les as jetés comme des nuées sablonneuses de l’occident sur
l’orient... l’Occident sur l’Orient. Tu es descendue des hauteurs de la pensée pour t’asseoir à côté
des rois!.... Femme, au lieu de consoler les hommes, tu les as tourmentés, affligés!...¶ Sûre d’en
obtenir, tu demandais du sang! Tu pouvais cependant te contenter d’un peu de farine, puisque
élevée comme tu avais été élevée le fus, à manger des gâteaux et à mettre de l’eau dans ton vin.¶
Originale en tout, tu défendais jadis à tes amansamants épuisés de manger, et ils ne mangeaient
pas.¶ Pourquoi extravaguais-tu jusqu’à vouloir l’impossible, et, comme une femme? Semblable à
quelque courtisane gâtée par ses adorateurs, pourquoi t’es-tu affolée de niaiseries et n’as-tu pas
détrompé les gens qui les trouvaient ravissantes et qui expliquaient ou justifiaient toutes tes
erreurs?¶ Enfin, tu as eu tes dernières passions! Et, terribleTerrible comme l’amour d’une femme
de quarante ans, tu as rugi! tu as voulu étreindre l’univers entier dans un dernier embrassement:
embrassemeut, et l’univers, qui t’appartenait, t’a échappé.¶ Puis, après les jeunes gens, sont
venus à tes pieds des vieillards, des impuissans,impuissants qui t’ont rendue hideuse, et
cependant. Cependant quelques hommes à au coup d’œil d’aigle te disaient d’un regard:¶« : – Tu
périras sans gloire, parce que tu as trompé, parce que tu as manqué à tes promesses de jeune fille.
Au lieu d’être un ange au front de paix, et de semer la vie lumière et le bonheur sur ton passage,
tu as été une Messaline aimant le cirque et les débauches, abusant de ton pouvoir... Tu ne peux
plus redevenir vierge, il te faudrait un maître..... Ton temps arrive... Tu sens déjà la mort... Tes
héritiers te croient riche;, ils te tueront et ne recueilleront rien. Essaie au moins de jeter tes
hardes qui ne sont plus de mode, redeviens ce que tu étais jadis. – Mais non! tu t’es suicidée!...»¶
C’est N’est-ce pas là ton histoire,? lui dis-je en finissant, vieille caduque, édentée, froide,
maintenant oubliée, et qui passes sans obtenir un regard... Pourquoi vis-tu? Que fais-tu de ta robe
de plaideuse qui n’excite le désir de personne?... où est ta fortune?..... pourquoi l’as-tu
dissipée?... où sont tes trésors? Qu’as-tu fait de beau?.....¶?¶
A cette demande, la petite vieille se redressa sur ses os, rejeta ses guenilles, grandit, s’éclaira,
sourit, sortit de sa chrysalide noire; et. Puis, comme un papillon nouveau -né, cette création
indienne sortit de ses palmes, m’apparut blanche et jeune, vêtue d’une robe de lin. Ses cheveux
d’or flottèrent sur de ravissantes ses épaules;, ses yeux scintillèrent;, un nuage lumineux
l’environna;, un cercle d’or voltigea sur sa tête;, elle fit un geste vers l’espace en agitant une
longue palme verte.¶épée de feu.¶
Aussitôt– Vois et crois! dit-elle.¶
Tout à coup, je vis dans le lointain des milliers de cathédrales, semblables à cellecelles que je
venais de quitter, mais ornées de tableaux et de fresques; puis, j’y entendis de ravissansravissants
concerts. Autour de ces monumensmonuments, des milliers d’hommes se pressaient, comme des
fourmis dans leurs fourmilières. Les uns empressés de sauver des livres, et de copier des
manuscrits;, les autres servant les pauvres, presque tous étudiant; et, du . Du sein de ces foules
innombrables surgissaient des statues colossales, élevées par eux. A la lueur fantastique, projetée
par un luminaire aussi grand que le soleil, je lus sur le socle de ces statues: SCIENCES.
HISTOIRE. – SCIENCES. – LITTÉRATURES. Enfin, tous les noms sous lesquels les hommes
d’aujourd’hui rangent les collections d’idées dont ils sont fiers.¶
La lumière s’éteignit, je me retrouvai devant la jeune fille, qui, graduellement, rentra dans sa
froide enveloppe, dans ses guenilles mortuaires, et redevint vieille.¶ Son familier lui apporta un
peu de poussier, afin qu’elle renouvelât les cendres de sa chaufferette, car le temps était rude;
puis, il lui alluma, à elle qui avait eu des milliers de bougies dans ses palais, une petite veilleuse
afin qu’elle pût lire ses prières pendant la nuit.¶
– On ne croit plus!... dit-elle.¶
Telle était la situation critique dans laquelle je vis la plus belle, la plus vaste, la plus vraie, la
plus féconde de toutes les idées humaines.¶puissances.¶
– Réveillez-vous, Monsieurmonsieur, l’on va fermer les portes!....., me dit une voix rauque.¶
En me retournant, j’aperçus l’horrible figure du donneur d’eau bénite. Il , il m’avait secoué le
bras. Je trouvai la cathédrale humide, et tout ensevelie dans l’ombre, comme un homme
enveloppé d’un manteau...¶
En marchant sur les bords du fleuve, je croyais sentir encore l’église dansant sous moi.¶– Croire!
me dis-je, c’est vivre! Je viens de voir passer le convoi d’une Monarchie, il faut défendre
l’ÉGLISE!¶
Paris, février 1831.¶
BIBLIOGRAPHIE
éditions
Romans et contes philosophiques par M. de Balzac (Paris,
Charles Gosselin, libraire, 1831), 3 vol in-8º : tome I, Introduction signée « P », La Peau de chagrin, 2 e éd.; tome II, La
Peau de chagrin, suite et fin, Sarrasine, La Comédie du
diable, El Verdugo; t. III, L’Enfant maudit, L’Élixir de
longue vie, Les Proscrits, Le Chef-d’œuvre inconnu, Le
Réquisitionnaire, Étude de femme, Les Deux rêves, JésusChrist en Flandre, L’Église. Publication annoncée dans la
Bibliographie de la France, le 24 septembre 1831.
Contes philosophiques par M. de Balzac (Paris, Charles Gosselin, libraire, 1832), 2 vol in-8º : tome I, Avis du libraireéditeur, Introduction signée « P », Sarrasine, La Comédie du
diable, El Verdugo, L’Enfant maudit, Étude de femme; t. II,
L’Élixir de longue vie, Les Proscrits, Le Chef-d’œuvre
inconnu, Le Réquisitionnaire, Les Deux rêves, Jésus-Christ
en Flandre, L’Église.
Romans et contes philosophiques par M. de Balzac (Paris,
Charles Gosselin, libraire, 1833), 4 vol in-8º : tome I, Introduction signée « P Ch », La Peau de chagrin, 3 e éd.; tome II,
La Peau de chagrin, suite et fin; t. III, Sarrasine, La
Comédie du diable, El Verdugo, L’Enfant maudit, Étude de
femme; t. IV, L’Élixir de longue vie, Les Proscrits, Le Chefd’œuvre inconnu, Le Réquisitionnaire, Les Deux rêves,
Jésus-Christ en Flandre, L’Église.
1
Le reste de la bibliographie est consacrée aux éditions des
contes individuels : ne sont pas répertoriées celles dans les
Romans et contes philosophiques ou dans les Contes philosophiques.
Sarrasine
ni manuscrit, ni épreuves
pré-publication
Sarrasine, La Revue de Paris, 21 et 28 novembre 1830.
éditions
Scènes de la vie parisienne in Études de mœurs au XIXe siècle
par M. de Balzac (Paris, M me Charles Béchet, 1835), 2 vol.
in-8º: t. IV, Profil de marquise, Sarrasine, Madame Firmiani, La Comtesse a deux maris.
Scènes de la vie parisienne publiées par M. de Balzac, « nouvelle édition revue et corrigée, 1re et 2e séries » (Paris, Charpentier, 1839), 2 vol. in-18 : t. I, La Comtesse à deux maris,
Madame Firmiani, Sarrasine, Le Papa Gobseck, La Bourse.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac, «
Première partie : Études de mœurs . Troisième livre : Scènes
de la vie parisienne », tome II (Paris, Furne, Dubochet et
Cie, Hetzel, 1844), Le Colonel Chabert, Facino Cane, La
Messe de l’athée, Sarrasine, L’Interdiction, Histoire de la
grandeur et de la décadence de César Birotteau.
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME VI , Études de mœurs,
scènes de la vie parisienne (suite) : Histoire de la grandeur
et de la décadence de César Birotteau - La Maison Nucingen
- Splendeurs et misères des courtisanes - Les Secrets de la
princesse de Cadignan - Facino Cane - Sarrasine - Pierre
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ni manuscrit ni épreuves
pré-publications
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H ENRI B. – E. M ORISSEAU », le 18 novembre 1830.
édition
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El Verdugo
ni manuscrit ni épreuves
pré-publication
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éditions
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1834), t. V.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XV (Paris, Furne, Dubochet
et Cie, Hetzel, 1845), Massimilla Doni, Gambara, L’Enfant
maudit, Les Marana, Adieu, Le Réquisitionnaire, El Verdugo, Un Drame au bord de la mer, L’Auberge rouge, L’Élixir
de longue vie, Maître Cornélius, Sur Catherine de Médicis
(première partie) : le Martyr calviniste.
7
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B ALZAC , La Comédie humaine, TOME X. Études philosophiques : La Peau de chagrin - Jésus-Christ en Flandre - Melmoth réconcilié - Le Chef-d’œuvre inconnu - Gambara Massimilla Doni - La Recherche de l’absolu - L’Enfant maudit - Adieu - Les Marana - Le Réquisitionnaire - El Verdugo Un Drame au bord de la mer. Édition de Pierre-Georges
Castex avec la collaboration de Thierry Bodin, Pierre
Citron, Madeleine Fargeaud, Henri Gauthier, René Guise et
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L’Enfant maudit
La nouvelle est largement remaniée entre 1831 et 1837. On
en trouve les traces dans les divers fragments manuscrits
(coll. Lovenjoul, A 67 et A 69). Il existe également des
épreuves corrigées (coll. Lovenjoul, A 66).
pré- et co-publications
L’Enfant maudit, la Revue des deux mondes, janvier-février
1831.
8
L’Enfant maudit, l’Artiste, 2 octobre 1831.
éditions
B ALZAC , Honoré de, Études philosophiques, 3 e livraison,
t. XII, XIII, XV, XVI, XVII (Paris, Delloye et Lecou, 1837), 5
vol. in-12 : t. XII , La Messe de l’athée, Les Deux rêves, Facino Cane, Les Martyrs ignorés; t. XIII , Le Secret des Ruggieri; t. XV et XVI , L’Enfant maudit (réunissant deux récits
d’origine différente – Comment vécut la mère [L’Enfant
maudit de 1831] et La Perle brisée [publiée dans la Chronique de Paris, le 16 octobre 1836]); t. XVI , Une Passion
dans le désert; t. XVII , L’Auberge rouge et Le Chef-d’œuvre
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B ALZAC , Honoré de, L’Enfant maudit, édition critique établie
avec introduction et relevé des variantes, par François G ERMAIN (Paris, Les Belles Lettres, 1965). C.R. Suzanne Jean
B ÉRARD, L’Année balzacienne 1969, p. 342; C.R. Raffaele
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La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XV (Paris, Furne, Dubochet
et Cie, Hetzel, 1845), Massimilla Doni, Gambara, L’Enfant
maudit, Les Marana, Adieu, Le Réquisitionnaire, El Verdugo, Un Drame au bord de la mer, L’Auberge rouge, L’Élixir
de longue vie, Maître Cornélius, Sur Catherine de Médicis
(première partie) : le Martyr calviniste.
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME X. Études philosophiques : La Peau de chagrin - Jésus-Christ en Flandre - Melmoth réconcilié - Le Chef-d’œuvre inconnu - Gambara Massimilla Doni - La Recherche de l’absolu - L’Enfant maudit - Adieu - Les Marana - Le Réquisitionnaire - El Verdugo Un Drame au bord de la mer. Édition de Pierre-Georges
Castex avec la collaboration de Thierry Bodin, Pierre
Citron, Madeleine Fargeaud, Henri Gauthier, René Guise et
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L’Élixir de longue vie
ni manuscrit ni épreuves
pré-publication
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éditions
B ALZAC , Honoré de, Études philosophiques (Paris, Werdet,
1834), t. V.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XV (Paris, Furne, Dubochet
et Cie, Hetzel, 1845), Massimilla Doni, Gambara, L’Enfant
maudit, Les Marana, Adieu, Le Réquisitionnaire, El Verdugo, Un Drame au bord de la mer, L’Auberge rouge, L’Élixir
de longue vie, Maître Cornélius, Sur Catherine de Médicis
(première partie) : le Martyr calviniste.
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME XI . Études philosophiques (fin) : Maître Cornélius - L’Auberge rouge - Sur Catherine de Médicis - L’Élixir de longue vie - Préface du « Livre
mystique » - Les Proscrits - Louis Lambert - Séraphita. Études analytiques (début) : Physiologie du mariage. Édition
de Pierre-Georges Castex avec la collaboration de Nicole
Cazauran, Henri Gauthier, René Guise, Michel Lichtlé,
Anne-Marie Meininger et Arlette Michel (Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980).
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Les Proscrits
ni manuscrit ni épreuves
pré-publication
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t. I, « Préface », Les Proscrits, Histoire intellectuelle de
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B ALZAC , Honoré de, Le Livre mystique (Paris, Werdet, 1836),
t. I, « Préface », Les Proscrits, Histoire intellectuelle de
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La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XVI (Paris, Furne, Dubochet et Cie, Hetzel, 1846), Sur Catherine de Médicis 2-3, Les
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12
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME XI . Études philosophiques (fin) : Maître Cornélius - L’Auberge rouge - Sur Catherine de Médicis - L’Élixir de longue vie - Préface du « Livre
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de Pierre-Georges Castex avec la collaboration de Nicole
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Le Chef-d’œuvre inconnu
ni manuscrit ni épreuves
pré-publication
Le Chef-d’œuvre inconnu, conte fantastique, L’Artiste, 31 juillet 1831 (« Maître Frenhofer », pp. 319-23); 7 août
1831(« Catherine Lescault », pp. 7-10).
éditions
B ALZAC , Honoré de, Études philosophiques, 3 e livraison,
t. XII, XIII, XV, XVI, XVII (Paris, Delloye et Lecou, 1837), 5
14
vol. in-12 : t. XII , La Messe de l’athée, Les Deux rêves, Facino Cane, Les Martyrs ignorés; t. XIII , Le Secret des Ruggieri; t. XV et XVI , L’Enfant maudit (réunissant deux récits
d’origine différente – Comment vécut la mère [L’Enfant
maudit de 1831] et La Perle brisée [publiée dans la Chronique de Paris, le 16 octobre 1836]); t. XVI , Une Passion
dans le désert; t. XVII , L’Auberge rouge et Le Chef-d’œuvre
inconnu.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XIV (Paris, Furne, Dubochet et Cie, Hetzel, 1845), La Peau de chagrin, Jésus-Christ
en Flandre, Melmoth réconcilié, Le Chef-d’œuvre inconnu,
La Recherche de l’Absolu.
BALZAC , Honoré de, Le Provincial à Paris (Paris, Gabriel
Roux et Cassanet, 1847), 2 vol in-8º; t. I-II, « Avant-propos », Le Provincial à Paris, Gillette, Monographie du rentier, El Verdugo.
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME X. Études philosophiques : La Peau de chagrin - Jésus-Christ en Flandre - Melmoth réconcilié - Le Chef-d’œuvre inconnu - Gambara Massimilla Doni - La Recherche de l’absolu - L’Enfant maudit - Adieu - Les Marana - Le Réquisitionnaire - El Verdugo Un Drame au bord de la mer. Édition de Pierre-Georges
Castex avec la collaboration de Thierry Bodin, Pierre
Citron, Madeleine Fargeaud, Henri Gauthier, René Guise et
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Le Réquisitionnaire
ni manuscrit ni épreuves
pré-publications
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pp. 224-43.
Le Réquisitionnaire, Journal général du département du Loiret-Cher, annonces judiciaires, demandes et avis divers, 22
et 29 mai, le 5 juin 1831.
éditions
B ALZAC , Honoré de, Études philosophiques (Paris, Werdet,
1834), t. V.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XV (Paris, Furne, Dubochet
et Cie, Hetzel, 1845), Massimilla Doni, Gambara, L’Enfant
maudit, Les Marana, Adieu, Le Réquisitionnaire, El Verdugo, Un Drame au bord de la mer, L’Auberge rouge, L’Élixir
de longue vie, Maître Cornélius, Sur Catherine de Médicis
(première partie) : le Martyr calviniste.
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME X. Études philosophiques : La Peau de chagrin - Jésus-Christ en Flandre - Melmoth réconcilié - Le Chef-d’œuvre inconnu - Gambara -
24
Massimilla Doni - La Recherche de l’absolu - L’Enfant maudit - Adieu - Les Marana - Le Réquisitionnaire - El Verdugo Un Drame au bord de la mer. Édition de Pierre-Georges
Castex avec la collaboration de Thierry Bodin, Pierre
Citron, Madeleine Fargeaud, Henri Gauthier, René Guise et
Moïse Le Yaouanc (Paris, Gallimard, coll. « Bibliothêque
de la Pléiade, 1979).
études sur Le Réquisitionnaire
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de Balzac », POÉSIE, n° 64, 1993, pp. 97-107.
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lectures du Réquisitionnaire de Balzac », Littératures,
no. 12, 1984, pp. 61-75.
S CHUEREWEGEN, Franc, « Le Lecteur et le livre. Comment lire
Le Réquisitionnaire de Balzac? » in Michel P ICARD, éd., La
lecture littéraire. Actes du colloque tenu à Reims du 14 au
16 juin 1984 (Reims, Clancier-Guénégaud, 1987), pp. 4256.
Étude de femme
ni manuscrit ni épreuves
pré-publication
Mœurs parisiennes : Étude de femme, La Mode, 20 mars 1830.
post-publication
Étude de femme, Le Voleur, 30 juin 1832.
25
éditions
Scènes de la vie parisienne in Études de mœurs au XIXe siècle
par M. de Balzac (Paris, M me Charles Béchet, 1835), 2 vol.
in-8º: t. IV, Profil de marquise, Sarrasine, Madame Firmiani, La Comtesse a deux maris.
Scènes de la vie parisienne publiées par M. de Balzac, « nouvelle édition revue et corrigée, 1re et 2e séries » (Paris, Charpentier, 1839), 2 vol. in-18 : t. I , La Comtesse à deux maris,
Madame Firmiani, Sarrasine, Le Papa Gobseck, La Bourse;
t. II , La Femme vertueuse, Profil de marquise, L’Interdiction, Les Marana.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Scènes de la vie privée », tome I (Paris, Furne, Dubochet et
Cie, Hetzel et Paulin, 1842), La Maison du chat qui pelote,
Le Bal de Sceaux, La Bourse, La Vendetta, Madame Firmiani, Une double famille, La Paix du ménage, La fausse maîtresse, Étude de femme, Albert Savarus.
B ALZAC , La Comédie humaine, TOME II . Études de mœurs,
scènes de la vie privée (suite) : Une Double famille - La Paix
du ménage - Madame Firmiani - Étude de femme - La Fausse
Maîtresse - Une Fille d’Ève - Le Message - La Grenadière La Femme abandonnée - Honorine - Béatrix - Gobseck - La
Femme de trente ans. Édition de Pierre-Georges Castex avec
la collaboration de Pierre Citron, Madeleine Fargeaud, Bernard Gagnebin, Jeannine Guichardet, René Guise, AnneMarie Meininger, Nicole Mozet, Roger Pierrot et Guy
Sagnes (Paris, Gallimard, coll. « Bibliioth`que de la
Pléiade », 1976).
étude
Gauthier, Henri, « Le projet du recueil Études de femme »,
L’Année balzacienne 1967, pp. 115-46.
26
Les Deux rêves
manuscrit de la première partie (Bibliothèque de l’Institut,
Lov. A 59)
pré-publications
Les Deux rêves, La Mode, 8 mai 1830.
Le Petit souper : conte fantastique, Revue des deux mondes, 18
décembre 1830, pp. 388-402.
Le Petit souper : conte fantastique, Le Voleur, 15 mars 1831.
éditions
B ALZAC , Honoré de, Études philosophiques, 3 e livraison,
t. XII, XIII, XV, XVI, XVII (Paris, Delloye et Lecou, 1837), 5
vol. in-12 : t. XII , La Messe de l’athée, Les Deux rêves, Facino Cane, Les Martyrs ignorés; t. XIII , Le Secret des Ruggieri; t. XV et XVI , L’Enfant maudit (réunissant deux récits
d’origine différente – Comment vécut la mère [L’Enfant
maudit de 1831] et La Perle brisée [publiée dans la Chronique de Paris, le 16 octobre 1836]); t. XVI , Une Passion
dans le désert; t. XVII , L’Auberge rouge et Le Chef-d’œuvre
inconnu.
B ALZAC , Honoré de, Catherine de Médicis expliquée : le martyr calviniste (Paris, Souverain, 1844), 3 vol. in-8º [Les
Deux rêves, t. III ].
B ALZAC , Honoré de, Les Deux rêves, Le Voleur et le Cabinet
de lecture réunis, 10 octobre 1844.
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XVI (Paris, Furne, Dubochet et Cie, Hetzel, 1846), Sur Catherine de Médicis 2-3, Les
Proscrits, Louis Lambert, Séraphîta, Physiologie du
mariage.
BALZAC , La Comédie humaine, TOME XI . Études philosophiques (fin) : Maître Cornélius - L’Auberge rouge - Sur Catherine de Médicis - L’Élixir de longue vie - Préface du « Livre
27
mystique » - Les Proscrits - Louis Lambert - Séraphita. Études analytiques (début) : Physiologie du mariage. Édition
de Pierre-Georges Castex avec la collaboration de Nicole
Cazauran, Henri Gauthier, René Guise, Michel Lichtlé,
Anne-Marie Meininger et Arlette Michel (Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980).
études sur Sur Catherine de Médicis et Les Deux
rêves
B ERNARD , Claudie, « Balzac et le roman historique. Sur
Catherine de Médicis : une histoire paradoxale », Poétique ,
n° 71, 1987, pp. 333- 5.
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Jésus-Christ en Flandre
ni manuscrit ni épreuves
éditions
B ALZAC , Honoré de, Études philosophiques (Paris, Werdet,
1836), 5 vol. in-12; Jésus-Christ en Flandre, t. XXII .
La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,
« Études philosophiques », tome XIV (Paris, Furne, Dubochet et Cie, Hetzel, 1845), La Peau de chagrin, Jésus-Christ
en Flandre, Melmoth réconcilié, Le Chef-d’œuvre inconnu,
La Recherche de l’Absolu.
BALZAC , La Comédie humaine, TOME X. Études philosophiques : La Peau de chagrin - Jésus-Christ en Flandre - Melmoth réconcilié - Le Chef-d’œuvre inconnu - Gambara Massimilla Doni - La Recherche de l’absolu - L’Enfant maudit - Adieu - Les Marana - Le Réquisitionnaire - El Verdugo Un Drame au bord de la mer. Édition de Pierre-Georges
Castex avec la collaboration de Thierry Bodin, Pierre
Citron, Madeleine Fargeaud, Henri Gauthier, René Guise et
Moïse Le Yaouanc (Paris, Gallimard, coll. « Bibliothêque
de la Pléiade, 1979).
29
études sur Jésus-Christ en Flandre
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Flandre », Studies in Short Fiction, 15, Winter 1978, pp. 4954.
M ARTONYI , Eva, « Allégories et symboles dans un récit de
Balzac », Revue d’histoire de l’Église de France, 8, 2003,
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récit. Une relecture de Jésus-Christ en Flandre de H. de Balzac », Queste. Estudios de lengua y literatura francesas, n°
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L’Église
ni manuscrit ni épreuves.
pré-publications
A LCOFRIBAS , Zéro : conte fantastique, La Silhouette, 3
octobre 1830.
L E COMTE ALEX DE B *** , La Danse des pierres, La Caricature, 9 décembre 1830.
30
Ces deux fragments sont réunis en septembre pour former le
texte de L’Église qui sera à ton tour intégrée à Jésus-Christ
en Flandre.
édition
B ALZAC , Honoré de, L’Église, édition critique établie par Jean
Pommier (Genève, Droz, 1947).
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