Au nom de Dieu

Transcription

Au nom de Dieu
Au nom de Dieu
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Université de Tabriz
Faculté des Lettres Persanes et Langues Étrangères
Département de Langue et Littérature Françaises
Mémoire préparé pour l'obtention du Master II en
Langue et Littérature Françaises
L’étude de présence de l’art pictural et musical
dans Du Côté de chez Swann de Marcel Proust
Sous la direction de
Monsieur le docteur Allahchokr ASSADOLLAHI
Professeur consultant
Monsieur le docteur Mohammad –Hossein DJAVARI
Préparé par : Parvin HADJIZADEH
Septembre 2011
1
Université de Tabriz
Faculté des Lettres Persanes et Langues Étrangères
Département de Langue et Littérature Françaises
Nous certifions que ce mémoire préparé par
Parvin HADJIZADEH
Intitulé
L’étude de présence de l’art pictural et musical
dans Du Côté de chez Swann de Marcel Proust
A été accepté et reconnu quatre u. v. des cours de Master II
En langue et littérature françaises
Le jury étant composé de :
Professeur directeur : Monsieur le docteur Allahchokr Assadollahi
Professeur consultant : Monsieur le docteur Mohammad –Hossein
Djavari
Professeur examinateur : Madam le docteur Marzieh Balighi
Septembre 2011
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Nom : Hadjizadeh
Prénom : Parvin
Titre du mémoire: L’étude de présence de l’art pictural et musical dans
Du Côté de chez Swann de Marcel Proust
Professeur directeur : Monsieur le docteur Allahchokr Assadollahi
Professeur consultant : Monsieur le docteur Mohammad –Hossein Djavari
Université : Université de Tabriz
Discipline : Littérature
Française
Filière : Français
Grade : Master II
Pages : 99
Date : Septembre 2011
Faculté : Des Lettres Persanes et Langues Étrangères
Mots clés : Marcel Proust, Peinture, Littérature,
Impressionnisme
Résumé
Musique,
Tout au long des siècles des liens forts se sont noués entre l’art et la littérature, la
plupart des écrivains ont été aussi théoriciens et critiques d’art, de même, nombreux
ont été les artistes qui faisaient aussi de la littérature. Dans ce mémoire, nous visons à
explorer l’œuvre de l’un de ces écrivains critiques, Marcel Proust, afin d’étudier la
présence constante des arts, (la peinture, la musique), dans son œuvre.
D’abord, nous étudierons l’influence de l’art sur la vie de Charles Swann, un dandy et
un dilettante, le personnage principal de la deuxième partie de Du Côté de chez Swann
(Un amour de Swann). Nous verrons comment la musique et la peinture dessinent le
destin de ce personnage et nous verrons aussi comment Proust en interprétant la
relation entre l’art et chacun des personnages, a l’intention de mettre au jour ses idées
critiques sur l’art. D’ailleurs, nous essayerons de mettre en lumière les relations entre
la peinture impressionniste et l’écriture de Marcel Proust. L’influence de chef de file
de ce courant, Claude Monet, le peintre favori de Proust, sur son écriture, sera
également étudiée. Nous analysons aussi la présence des lois impressionnistes dans les
descriptions de Proust.
De plus, nous nous attachons à accentuer la présence du thème de la « ruine » dans A
la recherche et dans la peinture. Nous abordons les peintres des ruines comme Hubert
Robert, Jean Corot et les caractéristiques de leurs peintures, pour les comparer avec
certains passages d’A la recherche dont le thème principal est la ruine. Nous
apercevrons qu’il y a certains points et certains éléments communs entre quelques
passages d’A la recherche et certains tableaux ayant le thème de la ruine et nous
verrons que ces éléments communs symbolisent les mêmes idées (sur la vie et la mort)
pour Marcel Proust et pour les peintres de la ruine. En nous appuyant sur le premier
volume d’A la recherche nous visons à examiner la présence constante de l’art
(surtout la peinture et la musique) dans cette œuvre majeure de Proust.
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Surname: Hajizadeh
Name: Parvin
Thesis Title: The study of the presence of the pictorial and musical art in Marcel
Proust’s the Swann’s Way novel
Supervisor: Dr. Allahshokr Assadollahi
Adviser : Dr.
Degree: Master II
Major: French Language
University: University of Tabriz
Field: Literature
Faculty: Letters and Foreign Languages
Graduation date: September 2011
Pages: 99
Keywords: Marcel Proust, Painting, Literature, Music, Impressionism
ٍ‫چکید‬
Abstract
There has always been a strong relationship between French literature and art. Most of the
writers have been the theorists of art. There have been a lot of artists who have been active in
the domain of literature as well. In this research, high prominence of art, especially the art of
painting and music in Marcel Proust’s masterpiece will be investigated. He was one of the
authors who were at the same time a critic of the art.
First of all, we will deal with the influence of art on Charles Swann’s life-the protagonist of
the second part of the “the Swann’s way” novel. We will see how painting and music changed
his destiny and how Proust expressed his critical ideas towards art by explaining the
relationship between art and each one of the characters.
We will also analyze the similarity between impressionism and Marcel Proust’s manner of
writing and the impact of the pioneer of this method-Claude Monet- on Proust’s writings. And
we will see that most of the rules of impressionism are seen in Proust’s descriptions. On the
other hand, we will try to show the presence of the “ruin” theme in the art of painting and in
Proust’s novel.
First, we will analyze the works of a few of the “ruin” painters such as Hubert Robert and Jean
Corot and the characteristics of their paintings. Then we will compare these works and some
parts of “In search of lost time” with the “ruin” theme. We will see that “ruin” theme means
the same thing for Proust and these painters and that these paintings and some parts of “In
search of lost time” have some elements in common.
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Remerciements
Je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères à tous ceux qui
m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce travail.
J’aimerai avant tout remercier l'unique « Dieu » pour tous ses bienfaits.
Puis, je tiens à remercier sincèrement Monsieur le Docteur Allahshokr
Assadollahi, le directeur de ce mémoire qui tout au long de déroulement de
ce travail m’a guidée et m’a suggéré des pistes de réflexions et sans qui ce
mémoire n'aurait jamais vu le jour. Je le remercie pour sa patience, pour ses
précieux conseils et pour son aide, ainsi que pour le temps qu'il a bien
voulu me consacrer.
Mes remerciements s’adressent également à Monsieur le Docteur
Mohammad –Hossein Djavari, le professeur consultant de ce mémoire, qui
a eu la gentillesse de lire et de corriger ce travail, je le remercie pour sa
patience, sa disponibilité et ses conseils utiles.
J'exprime ma gratitude à tous mes professeurs, plus particulièrement
Monsieur le Docteur, Irandoust, Monsieur le Docteur Afkhami Nia et
Madame Kamal qui ont accepté, toujours, de répondre à mes questions
avec gentillesse et qui m’ont, toujours, aidée à accomplir ma connaissance
en littérature française.
Mais ce projet n'aurait jamais pu voir le jour sans le soutien actif des
membres de ma famille, je tiens aussi à exprimer, ma reconnaissance
envers mes chers parents, qui ont été toujours là pour moi et qui tiennent
une place immense dans mon cœur. Je remercie également mon cher frère
et ma chère sœur, mes deux confidents qui m’ont soutenue et encouragée
tout au long de mes études.
Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et
mes amis, pour leur soutien moral et pour leur amitié.
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Introduction
L’art et la littérature sont en correspondance depuis toujours. Parfois
c’est la littérature qui influence les créations artistiques et parfois, c’est
l’art qui devient le sujet de la littérature. L’art, surtout la peinture, a attiré
toujours l’attention des écrivains et des poètes. Diderot au dix-huitième
siècle, Baudelaire et Hugo au dix-neuvième siècle, tous, s’intéressent à la
peinture, certains d’entre eux ont laissé des œuvres critiques et certains,
comme Hugo, ont réalisé plusieurs dessins originaux.
C’est au cours du vingtième siècle que le lien entre la littérature et l’art
devient, de plus en plus solide, grâce aux génies artistiques de certains
poètes comme Apollinaire et aux critiques de certains écrivains comme
Marcel Proust.
L’œuvre majeure de Proust, A la recherche du temps perdu1, paraît
comme une exposition des tableaux des grands maîtres de siècles
différents, où on joue, tantôt la musique moderne et tantôt les morceaux de
musique classique, cela accentue l’importance des deux arts, la musique et
la peinture, pour l’auteur de ce roman.
La plupart des idées de Proust sur l’art sont imprégnées des théories
d’art de John Ruskin2. C’est par la traduction de ses œuvres que Proust
s’initie aux peintres florentins comme Bellini3 ou Botticelli4 et aussi à l’art
gothique. Ainsi, son intérêt aux monuments et aux églises gothiques, dont
1
PROUST, Marcel, A la recherche du temps perdu, Gallimard, Paris, 1954.
2
Ecrivain, poète, peintre et critique d'art britannique (1819-1900).
3
Peintre italien de la Renaissance (1429-1507).
4
Peintre italien (1445. 1510).
9
nous voyons les descriptions tout au long d’A la recherche, et aux peintres
italiens, s’enracine dans sa lecture de Ruskin.
L’influence du courant impressionniste est aussi évidente dans l’œuvre
de Proust. Les artistes de ce courant de la seconde moitié du dix-neuvième
siècle, en s’éloignant des règles de la peinture réaliste, ont créé une
méthode originale pour traiter la nature. Il ne s’agissait plus de copier le
réel mais de le traiter autrement, selon les impressions que leur procure
cette nature à un moment donné. Ce courant a exercé des influences
considérables sur la littérature françaises et nombreux sont des écrivains
qui ont projeté les lois impressionnistes dans leurs œuvres parmi lesquelles
on peut citer le nom de Flaubert, Zola et Proust.
C’est ainsi que Proust, dans ses descriptions de la nature, s’attache à
peindre sa propre réalité qui n’a rien à voir avec la réalité de tout le monde.
Comme un peintre impressionniste, dans la plupart des passages d’A la
recherche, il décrit ses impressions devant les objets matériels, parfois les
plus banals. Aussi, le peintre imaginaire du roman, Elstir, est-il un peintre
impressionniste qui manifeste les idées de Proust sur les peintres et les
peintures de ce courant.
Comme les impressionnistes, Proust donne la prépondérance à décrire
le jeu de lumière, sa beauté et son pouvoir à modifier les couleurs de la
nature. Ainsi, la nature peinte par Proust ou les peintres impressionnistes
n’a pas les mêmes couleurs que celle des peintres et des écrivains réalistes.
A part la peinture, la musique est aussi l’un des thèmes principaux d’A
la recherche. Le musicien imaginaire du roman, M. Vinteuil devient le
modèle de Proust pour analyser l’influence de l’art de la musique sur la vie
de ses personnages et aussi celle de l’art sur la vie réelle.
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C’est un morceau musical de ce musicien qui bouleverse la vie de
Charles Swann, le personnage principal d’Un amour de Swann, (la
deuxième partie de Du Côté de chez Swann), un dilettante dont la vie est
dominée par l’art et enfin c’est la musique de Vinteuil qui lui inspire
l’amour d’une femme vulgaire, Odette de Crécy.
Presque tous les personnages du roman sont en relation avec l’art, mais
parmi eux le narrateur et Charles Swann ont noué un lien très fort avec
l’art surtout avec la musique et la peinture, ils regardent le monde à travers
la fenêtre de l’art et le traitent selon les lois de l’art. La musique fait
palpiter le cœur de Swann et la peinture le fait amoureux fou d’Odette.
Quant au narrateur, il parvient à éterniser le temps et le souvenir grâce à
l’art de la littérature.
Ce mémoire sera reparti en trois chapitres. D’abord, nous analyserons
le rôle de l’art (la musique et la peinture) à inspirer amour et à dominer la
vie de Charles Swann. Nous y verrons comment l’art, loin d’éclaircir la vie
de ce personnage l’entraine vers un amour faux et obscurcit sa vie. Puisque
Swann ne parvenant guère à déchiffrer le message de l’art, à traduire les
impressions que lui procurent la musique et la peinture, les associait à
l’amour d’Odette. Nous aborderons aussi la critique traditionnelle de
Sainte- Beuve qui va à l’encontre des idées critiques de Proust et à la fin du
premier chapitre nous mènerons une étude comparative entre le rôle de la
musique et celui de la peinture dans la naissance de l’amour de Swann.
Ensuite, dans le deuxième chapitre, nous allons examiner l’influence du
courant impressionniste sur l’écriture de Marcel Proust. Nous vérifierons la
présence des règles impressionnistes, comme la division des couleurs, les
taches colorées et la vibration de la nature, dans les descriptions de Proust
11
et nous y verrons comment l’écrivain rivalise avec les peintres à créer des
paysages tout à fait originaux.
Puis, dans le troisième chapitre, nous mènerons une étude sur la
conception de la ruine dans A la recherche du temps perdu de Proust et
certains tableaux des peintres comme Hubert Robert1. En effet, pour mettre
en évidence les liens entre l’œuvre de Proust et les tableaux de ces peintres,
nous analyserons leurs éléments communs.
Enfin, dans cette étude nous allons répondre aux questions suivantes :
Comment, selon Proust, L’art peut influencer et bouleverser notre vie ?
Quel serait le message de l’art pour chacun de nous ? Quelles sont les
affinités entre l’écriture de Marcel Proust et les peintures impressionnistes
? Comment ce courant a influencé l’écriture de Proust ? Et enfin, comment
le thème de la ruine figure dans A la recherche et dans certains tableaux de
la peinture ? Quels sont leurs points communs et leurs différences?
1
Peintre français (1733-1808).
12
Chapitre 1
L’art et l’amour
(Le rôle de la peinture et la
musique dans la naissance de
l’amour)
13
A la recherche du temps perdu¹ est l’un des chefs d’œuvre littéraires du
vingtième siècle, écrit par Marcel Proust, c’est un roman en sept volumes
dont les deux derniers sont posthumes. Le thème majeur du roman est le
problème de la fuite du temps, mais quand le narrateur découvre le pouvoir
de l’art à vaincre le temps, à éterniser le moment et à ressusciter le passé, le
thème de l’art dépasse celui du temps et envahit plusieurs pages d’A la
recherche où le narrateur exprime ses idées sur l’art à travers l’histoire de
sa vie et celles de ses personnage comme Charles Swann.
Le premier tome de ce roman Du Côté de chez Swann est divisé en
trois parties , Combray ,qui raconte l’histoire de l’enfance du narrateur, à
Combray, une petite ville, où il passe ses vacances chez sa tante Léonie,
Un amour de Swann , la deuxième partie, est considérée comme un roman
dans le roman qui raconte l’histoire d’un dandy, Charles Swann, qui tombe
amoureux d’une femme ,Odette de Crécy, sous l’influence de ses illusions
artistiques et enfin dans la dernière partie, Noms de pays : Le nom, le
narrateur exprime l’importance et le pouvoir des noms des lieux comme
Balbec ou Combray qui symbolisent pour lui certains événements et
certaines conceptions fictifs et réels.
¹ PROUST, Marcel, A la recherche du temps perdu, Gallimard, Paris, 1954.
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Dans ce chapitre on va étudier le rôle très important de l’art dans la vie
de Charles Swann. D’abord on mène une étude sur la fonction de la
peinture dans la vie amoureuse de Swann et puis on va analyser le rôle que
joue la musique (la sonate de Vinteuil) à réanimer et à modifier le cœur de
Swann et enfin on s'intéressera à une étude comparative entre les
impressions que Swann et le narrateur ont ressenties l’un devant la musique
et l’autre devant la madeleine.
1-1. L’art et le personnage de Swann
Un amour de
Swann, la deuxième partie de Du Côté de chez
Swann est l'histoire de Swann, un homme qui a attrapé la maladie de
l'amour, dilettante et grand connaisseur d'art, personnage déjà présent dans
la première partie du roman (Combray). C'est un récit à la troisième
personne qui raconte une partie de la vie de Swann (avant la naissance du
narrateur) tourmentée par les problèmes de l'amour. Un amour né de l'art
qui essaie de subsister grâce à lui.
En effet, l’art jouait un rôle majeur dans la vie de Swann qui étudiait
les œuvres des grands artistes comme Vermeer1 et connaissait par cœur les
noms et les histoires de tous les chefs d’œuvre de la peinture et leurs
créateurs. Il était un grand admirateur de la peinture
et les peintres
florentins, il collectionnait des tableaux des grands maîtres et ne manquait
aucune exposition.
1
Peintre hollandais (1632- 1675).
15
Ainsi, l’art imprégnait toute la mentalité de Swann et c’était lui qui
donnait le sens à sa vie et dessinait son destin, puisqu’il n’existait aucune
frontière, pour lui, entre le monde réel de la vie et l’univers imaginaire de
l’art, il les avait entremêlés et avait constitué pour lui-même un monde, où
régnaient les lois de l’art. Ainsi, c’est l’art qui l’invite vers l’amour et
change l’itinéraire de sa vie.
1-2. Première rencontre avec Odette
Un soir, L’un des amis de Swann lui présente, Odette de Crécy,
une cocotte et une demi-mondaine, qui fréquente le milieu des Verdurin
(un couple riche et snob qui tient un salon et y prépare des soirées pour
les amis), puis Odette et Swann continuent à se voir dans ces soirées
des Verdurin. Aux premières rencontres, Swann ne trouve pas Odette
très intéressante, certainement, elle n’était pas laide, mais sa beauté ne
parvenait pas à attirer l’attention de Swann. A la beauté d'Odette il
préférait, alors, celle d'« une petite ouvrière fraîche et bouffie comme
une rose et dont il était épris. »1
«, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté,
mais d'un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne
lui inspirait aucun désir, »2
Comme on l’a déjà souligné, lors de la première rencontre, Odette
1
PROUST, Marcel, A la recherche du temps perdu, op.cit., T. I, p. 260.
2
Ibid., p. 234.
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paraît aux yeux de Swann comme une femme pas intéressante. En effet,
c'est Odette qui retourne à le voir après leur première rencontre et fait signe
de l'aimer. Ainsi, être aimé de la part d'une jeune femme, lui semble, peu à
peu, agréable.
« Mais, quand Odette était partie, Swann souriait en pensant
qu'elle lui avait dit combien le temps lui durerait jusqu'à ce
qu'il lui permît de revenir ; »1
Alors, bien qu'Odette ne représente pas les qualités physiques des femmes
qu'il préférait, Swann ne refuse pas ses visites et ne s'éloigne pas d'elle.
Parce qu'il pensait que :
« Ce serait bien agréable d'avoir ainsi une petite personne
chez qui on pourrait trouver cette chose si rare, du bon
thé. »2
Pour ne pas perdre l'amitié de cette jeune femme et
pour rendre
supportables ses visites, pendant lesquelles il regrettait que « la grande
beauté qu'elle avait ne fût pas du genre de celles qu'il aurait spontanément
préférées. »3, il essayait de l'imaginer charmante et c'est ainsi que l'œuvre
d'art vient à son secours pour embellir l'image d'Odette.
En effet, en projetant quelque chose de lui-même sur Odette, selon la
théorie de l'amour proustien, il la rend aimable et se jette volontairement
dans le piège d'un amour qui sera son malheur.
ˡ Ibid., p. 236.
2
Ibid., p. 265.
3
Ibid., p. 236.
17
En réalité, le passage ci-dessous, qui précède le passage de
métamorphose d'Odette à l'image de Zéphora, (le tableau de Botticelli 1)
désigne comment jusqu'à cette illumination, Swann sentait « une sorte de
répulsion » vers Odette.
« En se rendant chez elle ce jour-là comme chaque fois
qu'il devait la voir, d'avance il se la représentait ; et la
nécessité où il était pour trouver jolie sa figure de limiter
aux seules pommettes roses et fraîches, les joues qu'elle
avait si souvent jaunes, languissantes, parfois piquées de
petits points rouges, l'affligeait comme une preuve que
l'idéal est inaccessible et le bonheur médiocre. » 2
1-3. Swann amoureux (La naissance de l'amour grâce à l'art)
Dans cette partie, on va étudier le rôle de l’art (le tableau de Botticelli et
la sonate de Vinteuil) dans l’amour de Swann.
1-3-1. Le rôle de la musique
Dans une soirée, un morceau de musique « une sonate pour piano et
violon »3, lui procure des impressions et des plaisirs dont il ne pouvait pas
trouver la raison, l’admiration qu’il sentait pour la petite phrase avait
bouleversé son cœur.
Il savait bien qu’il existait un secret derrière ce charme de la petite
phrase et ce plaisir inconnu qui remplissait son cœur voulait en effet lui
offrir un renouvèlement de l’esprit, une voie vers l’art, vers la création,
1
2
3
Peintre italien (1445-1510).
PROUST, Marcel, A la recherche du temps perdu, op.cit., T. I, p. 266.
Ibid., p. 253.
18
mais contrairement au narrateur qui parvient à la fin du roman à déchiffrer
le secret du plaisir que lui donnaient certains objets comme les clochers de
Martinville ou les fleurs d’aubépine et à se lancer vers une carrière de
l’écrivain, Swann ne réussit guère à découvrir le mystère de la petite phrase
et, alors, il se trompe en pensant que la musique l’invite vers l’amour.
Autrement dit, la fonction de l’art dans la vie de Swann va à l’encontre
de l’idée proustienne sur l’art qui affirme que : l’art éclaircit notre vie, il
nous permet de voir ce qui se cache derrière l’aspect matériel des choses ,
de dévoiler le secret du monde, de nous réveiller et de ressusciter nos âmes
aussi bien que nos souvenirs, mais dans le cas de Swann on voit qu’il s’agit
d’un obscurcissement, puisqu’en se noyant dans les illusions , il s’éloigne
du monde réel et même de l’essence de l’art (on verra comment l’amour
d’Odette l’empêche de continuer son étude sur Vermeer, ou le pousse à
oublier l’essence de la sonate de Vinteuil, allant jusqu’à la considérer
comme un morceau de musique quelconque qui chantait leur amour.)
Ainsi la petite phrase prépare son cœur, petit à petit, pour l’amour
d’Odette, puisque Swann associait l’attrait de la musique à son affection
pour Odette et chaque fois qu’on jouait ce morceau, il se sentait de plus en
plus rapproché de cette femme.
1-3-2. Le rôle de la peinture
En effet, ce n’est que grâce à la peinture que Swann devient fou
amoureux d’Odette, qu’il trouvait d’abord vulgaire. Ainsi qu’un jour,
frappé par la similarité du visage d’Odette avec celui d’une figure dans une
œuvre de Botticelli (La vie de Moïse), il tombe amoureux d’elle. Ainsi, il
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est fasciné par la ressemblance d’Odette avec la fille de Jéthro1 qu’il
connaissait et qu’il admirait depuis longtemps. Alors, l’art inspire l’amour
à son cœur. Le moment de la naissance de l'amour est ainsi décrit par le
narrateur :
«, elle frappa Swann par sa ressemblance avec cette figure
de Zéphora, la fille de Jéthro, qu'on voit dans une fresque
de la chapelle Sixtine. »2
C'était le sentiment de posséder
une œuvre d'art, Zéphora, qui
attirait le cœur de Swann, ce
passionné de'art, vers Odette. A ses
yeux, elle n'est plus une femme
ordinaire, mais la figure désirée de
Zéphora, inaccessible jusqu'à ce
moment-là, celle qui, étant parti du
pays des rêves, avait traversé des
siècles et était maintenant devant
Botticelli (détail) La vie de Moïse, à gauche
lui, debout et vivante. Dès lors, il se
Zéphora
met à l'idéalisation de cette femme
qu'il trouvait d'abord vulgaire et qui n'est plus Odette mais une œuvre d'art
très précieuse.
« Il la regardait ; un fragment de la fresque apparaissait
dans son visage et dans son corps, »3
Mais pourquoi Swann a assimilé Odette à ce tableau de Botticelli plutôt
1
2
3
Le nom du beau-père de Moïse
Ibid., p. 266.
Ibid., p. 267.
21
qu’à une autre figure comme Vénus1 ou à un autre tableau ? D’abord il faut
souligner que c’est la lecture de Ruskin2 qui a orienté l’attention de Proust
vers la peinture de Botticelli. D’ailleurs, Ouhti Soumeya dans son
article Lecture comparative entre le passage proustien sur Odette et la
Zéphora de Botticelli répond ainsi à cette question :
« C’est
qu’Odette n’est
pas
Vénus, mais
la
représentation d’une frêle jeune fille qui a besoin d’être
protégée. Odette est Zéphora, non pas seulement à cause
de Botticelli, mais aussi à cause de l’histoire sainte : c’est
la jeune fille dont on empêchait de boire les troupeaux et
qui a été défendue par Moïse, et, donc avant d’être
l’amant, - puis le mari -, car Moïse a épousé la fille de
Jéthro, comme Swann finira par épouser Odette, c’est
d’abord au rôle de protecteur que pense Swann, ou, en
tout cas, que pense Proust pour son personnage. Ainsi
s'établit un parallèle entre le sort des deux personnages, et
n'oublions pas là que le tableau appartient au genre de la
peinture narrative [ou historique], qui représente une
scène biblique. » 3
La baguette magique de l'art avait changé Odette en un trésor, elle était
devenue la princesse du pays des fées et l'amour du prince Swann.
1
2
La Naissance de Vénus est un tableau de Sandro Botticelli, peint vers 1485.
Ecrivain, poète, peintre et critique d'art britannique (1819-1900).
3
http://www.marocagreg.com/forum/sujet-lecture-comparative-entre-le-passage-proustien-surodette-et-la-zephora-de-botticelli-7258.html.
21
Tandis qu'avant l'amour d'Odette Swann nous avait été présenté comme
un homme en quête du désire physique, après avoir trouvé l'amour, grâce à
l'art, il ne résume plus, l'amour, dans la possession physique de l'être aimé.
En revanche ce qu'il cherche dès lors, c'est l'amour subjectif et la
possession de l'âme d'Odette.
«, depuis qu'il aimait Odette, sympathiser avec elle,
tâcher de n'avoir qu'une âme à eux deux lui était si doux,
qu'il cherchait à se plaire aux choses qu'elle aimait, et il
trouvait un plaisir d'autant plus profond non seulement à
imiter ses habitudes, mais à adopter ses opinions… »1
C'était le pouvoir de l'art, son caractère purifiant, qui parvenait à
transcender ainsi la conception de l'amour chez Swann. La beauté et la
pureté de l'œuvre d'art (il s'agissait de la fille de Moïse) inspirait à Swann
un amour pur et subjectif et fermait ses yeux aux laideurs du monde réel.
Odette n'était plus pour lui une cocotte, une femme entretenue et vulgaire,
mais un chef d'œuvre florentin et distingué. Elle était Zéphora de Botticelli.
L'art qui donne naissance à l'amour, est nécessaire, aussi, pour le
protéger, c'est pourquoi Swann « plaça sur sa table de travail, comme une
photographie d'Odette, une reproduction de la fille de Jéthro. »2. Cela, de
peur que le visage réel d'Odette ne remplace celui enjolivé par l'art.
On voit, donc, tout au long du récit, l'image de la femme aimée est associée
à différentes figures de peinture, tantôt angélique comme celle de Zéphora
dans la vie de Moïse de Botticelli, tantôt diabolique comme celle de
Salomé1
1
2
PROUST, Marcel, A la recherche du temps perdu, op.cit., T. I, pp. 294-295.
Ibid., p. 269.
22