MAGRITTE (René) 1898-1967

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MAGRITTE (René) 1898-1967
MAGRITTE (René) 1898-1967
Article écrit par Michel DRAGUET
Prise de vue
Peintre, dessinateur et photographe belge, René Magritte est l'une des figures majeures du surréalisme.
Son œuvre, qui joue avec des rapprochements incongrus d'objets familiers et des modifications d'échelles et
de perspectives, provoque des associations métaphoriques inattendues teintées d'humour et d'érotisme.
Jeux de mots et titres à double sens (La Trahison des images, dit Ceci n'est pas une pipe, 1929, Los Angeles
County Museum of Arts) invitent le spectateur à s'interroger. Pour Magritte, qui a significativement intitulé
une de ses œuvres L'Alphabet des révélations (1929, collection Menil, Houston), l'art était un moyen de
dévoiler le monde et d'en approfondir sa connaissance : l'inattendu et l'absurde contribuaient à le rendre
visible.
Personnalité originale au sein du surréalisme international, l'artiste ne fut pas toujours bien compris et ne
connut la célébrité qu'à la fin de sa vie. Le vrai succès vint après sa mort, son œuvre rencontrant une vraie
popularité – notamment auprès des jeunes générations d'artistes issus du pop art et de l'art conceptuel qui
se réclament de lui – qui ne s'est depuis lors jamais démentie.
I-Premières rencontres
René-Ghislain Magritte naît le 21 novembre 1898 à Lessines, près de Charleroi. Ses frères Raymond et
Paul viennent au monde respectivement deux et quatre ans plus tard. Il appartient à une famille bourgeoise
qui coule des jours paisibles jusqu'au suicide de la mère par noyade en 1912. L'image de sa mère morte, qui
aurait été retrouvée avec la chemise relevée par-dessus la tête, frappera profondément l'imaginaire de
l'enfant. Un an plus tard, la famille s'installe à Charleroi où René Magritte est inscrit à l'Athénée.
En 1916, il suit les cours de l'Académie des beaux-arts de Bruxelles où il rencontre Victor Sevranckx, qui
deviendra l'une des figures majeures de la première abstraction en Belgique. Peu après, Magritte partage un
atelier avec Pierre-Louis Flouquet, qui allie l'esprit décoratif à une inspiration non figurative. C'est dans ce
contexte que le jeune peintre développe ses premières recherches dans le registre de l'abstraction tout en
s'attachant à des travaux publicitaires où transparaît l'influence de l'art déco. Magritte travaille bientôt
comme graphiste chez Peters-Lacroix, une usine de papier peint dont Sevranckx est le directeur artistique.
Vers 1920-1921, Magritte fait la connaissance d'E. L. T. Mesens, musicien introduit dans les cercles
parisiens et qui nourrit une approche dadaïste de l'art. À travers son ami compositeur, il rencontre ceux qui
deviendront plus tard ses partenaires surréalistes : Marcel Lecomte en 1922, Camille Goemans un an plus
tard. Le quatuor collabore à la revue dadaïste Œsophage, lancée par Mesens en 1925 et qui ne connaît qu'un
numéro. Un an plus tard, Magritte collabore à la revue Marie, dirigée par le même Mesens. L'activité revuiste
occupe grandement le cercle d'amis mais, pour vivre, Magritte, qui a épousé en 1922 Georgette Berger
(1901-1986), développe en parallèle une intense activité publicitaire. Affiches, couvertures de partitions,
projets décoratifs se succèdent avec une série de dessins pour Norinne, la plus importante maison de
couture de Bruxelles. En 1926, Magritte réalise aussi le catalogue du fourreur Samuel. Certaines réalisations
unissent publicité et poésie et annoncent le tournant surréaliste.
II-Le tournant surréaliste
Le poète Paul Nougé, rencontré en 1925, devient l'ami intime de Magritte et l'oriente un peu plus vers le
surréalisme. À la fin de l'année, il réalise ainsi ses premières œuvres surréalistes, qui témoignent de
l'influence conjointe de Giorgio De Chirico et de Max Ernst. Il rejette désormais toute forme d'abstraction. En
1926, trois textes collectifs annoncent la constitution d'un groupe surréaliste belge ayant pour noyau
Magritte, Mesens, Nougé, Goemans et le compositeur André Souris. En 1927, Magritte bénéficie d'une
première exposition personnelle à la galerie Le Centaure, à Bruxelles. Le catalogue répertorie 61 œuvres,
dont 49 huiles et 12 papiers collés. Un texte de Paul Nougé propose les premières clés de lecture.
En septembre de cette même année, les Magritte s'installent au Perreux-sur-Marne, dans la banlieue
parisienne. Magritte espère intégrer le groupe surréaliste d'André Breton. Intéressé par les recherches de
Max Ernst et Joan Miró, Magritte peint énormément, expose (en 1928, à la galerie L'Époque de Bruxelles, que
dirige Mesens), collabore à la revue surréaliste Distances fondée par Nougé et Goemans et publie ses
propres textes comme Le Sens propre (5 numéros en 1929), en collaboration avec Goemans.
C'est dans cette perspective que le peintre réalise en 1929 sa série de « tableaux-mots » (La Trahison
des images, County Museum, Los Angeles ; Le Miroir magique, Gallery of Modern Art and Dean Gallery,
Édimbourg ; Le Palais des Rideaux III, Musée d'art moderne de New York) qui jouent sur des équivalences
entre écriture et peinture. Il considère toute forme de langage comme une convention dont l'activité
poétique se joue tout en la dévoilant. Il développe ses thèses dans le dernier numéro de La Révolution
surréaliste, dans un texte essentiel intitulé « Les Mots et les images ».
Pourtant, après un séjour d'été passé à Cadaqués, avec Dalí et le couple Eluard, Magritte rompt avec
Breton et avec Paris. Il revendique désormais vis-à-vis de la capitale intellectuelle du surréalisme une
position de provincial critique et irrespectueux qui culminera plus tard, en 1948, avec la « période vache ».
Alors que le crise économique des années 1930 bouleverse le marché de l'art, Magritte revient à
Bruxelles et reprend ses activités publicitaires, sous l'égide du Studio Dongo. Le groupuscule belge historique
s'est augmenté de nouvelles recrues : Louis Scutenaire en 1927, Paul Colinet en 1932, suivis par Marcel
Marïen. Magritte produit peu. Il traverse une période de doute qui le conduit, en 1933, à revoir sa conception
de la peinture. À la violence de ses premières œuvres surréalistes dominées par la pulsion sexuelle (Les Jours
gigantesques, 1928, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf) et aux équivalences poétiques de
l'écriture désormais rendue visible succède une recherche fondée sur le principe même de représentation
comme forme de connaissance. Magritte interroge la raison à travers l'évidence et conçoit la peinture
comme le moyen de formuler autant d'interrogations : le problème de la maison (une façade ouverte sur un
intérieur qui reproduit la façade fermée), celui de la pluie (il pleut sur un nuage posé sur le sol), du jour (un
paysage de nuit avec un ciel de jour), du fusil (une arme qui saigne posée contre le mur) se succèdent et se
répondent jusqu'à trouver une formulation qui emprunte à la publicité son évidence visuelle.
Magritte n'a pas totalement coupé les ponts avec Breton qui reste pour lui une autorité intellectuelle. En
1934, il reprend en dessin Le Viol pour illustrer la couverture de Qu'est-ce que le surréalisme ? de Breton. Il
reste aussi attaché à Eluard qui lui consacre un poème, « René Magritte », dans les Cahiers d'art. L'artiste
multiplie les projets. Il séjourne à Londres chez Edward James pour lequel il interroge le problème du visage
(1937), expose, sans succès, chez Julian Levy à New York (1938) et résume sa pensée dans une importante
conférence baptisée La Ligne de vie (1938).
III-Vers une reconnaissance internationale
La Seconde Guerre mondiale remet en cause son œuvre. À nouveau, le peintre estime devoir réagir aux
conditions de l'époque et, en 1943, il abandonne un style qu'il juge trop cérébral et trop pessimiste pour
exalter le plaisir dans la couleur : c'est sa période « Renoir » (1943-1947). En 1945, il adhère au Parti
communiste belge. Pour Magritte, l'artiste doit aller vers le soleil afin de créer les conditions non plus d'une
critique de la société, mais d'un « réenchantement » du réel. Jugée kitsch et grossière, cette veine le conduit
à l'échec. En 1948, réagissant avec une virulence provocatrice, Magritte prend congé de ce style de peinture
à l'occasion de sa première exposition personnelle à Paris. Présentées à la galerie du Faubourg, ses œuvres
sont alors qualifiées de « vaches » ou de « fauves » (d'où le nom de la « période vache », 1947-1948) et
soulèvent une incompréhension que la Préface de Scutenaire, baptisée « Les Pieds dans le plat », ne fait que
renforcer, avec ses accents empruntés à Céline.
Magritte fait bientôt marche arrière. Sa rencontre, en 1948, avec le marchand new-yorkais Alexandre
Iolas, qui devient son galeriste attitré jusqu'à sa mort, le conforte dans ce sens. Revenant à un imaginaire
qu'il décline avec volupté en imagerie, Magritte va multiplier ses images poétiques comme autant de
poèmes plastiques (La Clé de verre, 1959, collection Menil, Houston). La reconnaissance vient
progressivement. Il expose avec régularité et les rétrospectives se multiplient. En 1953, il obtient la
commande d'une décoration murale destinée au Casino communal de Knokke-le-Zoute : Le Domaine
enchanté. En 1959, Luc de Heusch réalise le film Magritte, ou la Leçon des choses. Magritte reprend ses
projets de revues (La Carte d'après nature en 1952, Rhétorique en 1961). En 1965, la rétrospective
organisée au Museum of Modern Art de New York sonne l'heure d'une célébration dont Magritte profite peu. Il
décède le 15 août 1967.
Michel DRAGUET
Bibliographie
•
D. ABADIE dir., Magritte, catal. expos., Galerie nationale du Jeu de paume, Paris, éd. du Jeu de paume, Ludion, Gand, 2003
•
A. BLAVIER dir., René Magritte : écrits complets, Flammarion, Paris, 2001
•
Magritte et la photographie, Bruxelles, Palais des beaux-arts, catal. expos., Ludion, 2005
•
M. DRAGUET, Magritte tout en papier : collages, dessins, gouaches, catal. expos., Fondation Dina Vierny-Musée Maillol, Hazan, Paris,
2006
•
M. FOUCAULT, Ceci n'est pas une pipe, Fata Morgana, Montpellier, 1973
•
G. OLLINGER-ZINQUE & F. LEEN dir., René Magritte, 1898-1967, catal. expos., Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles,
Ludion-Flammarion, 1998
•
Rétrospective Magritte, catal. expos., Palais des beaux-arts, Bruxelles, Musée national d'art moderne, Paris, Centre national d'art et de
culture Georges-Pompidou, Paris, 1978
•
P. ROEGIERS, Magritte et la photographie, Ludion-Flammarion, 2005
•
S. WHITFIELD & D. SYLVESTER dir., Magritte : catalogue raisonné, Flammarion, 1992-1993