L`abus de structure
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L`abus de structure
UNIVERSITÉ MONTPELLIER 1 FACULTÉ DE DROIT CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHÉ Master II Recherche Droit du Marché « L’abus de structure » Pérennité et légitimité d’une conception objective de l’abus en droit de la concurrence Sous la direction de Mademoiselle Caroline RAJA, Docteur en Droit Mémoire présenté et soutenu dans le but de l’obtention du Master II Par Marion FERRANT Année 2010 - 2011 Á mes parents Á Benjamin Á mes grands – parents Á ma Tatie Á Clémentine et Romain 2 REMERCIEMENTS Je tiens, en premier lieu, à remercier tout particulièrement ma directrice de mémoire, Mademoiselle Caroline RAJA, qui a très généreusement pris de son temps afin de me guider, de m’accompagner et de m’encourager dans la rédaction de ce mémoire. Ses conseils m’ont été fort bénéfiques et sa présence tout au long de ce travail a été un soutien très précieux. Je tiens ensuite à remercier Monsieur le Professeur Daniel MAINGUY, qui par la qualité de son Master et de ses enseignements a rendu cette année d’étude extrêmement enrichissante. Je remercie également Monsieur Malo DEPINCÉ, Mademoiselle Brunelle FESSARD, Monsieur Vincent CRAPONNE, ainsi que Mademoiselle Fleur DUBOISLAMBERT, qui, membres de l’équipe pédagogique, ont, par leurs conseils avisés, contribué à la réalisation de ce mémoire. Puis, mes remerciements vont vers l’ensemble des personnes qui m’ont soutenu et aidé dans la rédaction de ce mémoire, et plus particulièrement à Monsieur Benjamin BERENGUER qui par sa présence a rempli de bonheur chaque journée de travail. Enfin, je remercie la promotion 2010 – 2011 du Master II Droit du Marché, avec laquelle des instants de joie ont été partagés. 3 SOMMAIRE INTRODUCTION ...........................................................................................................7 PARTIE 1/ L’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » ................18 Titre 1/ Les fondements de la notion « d’abus de structure » ..................................... 18 Chapitre 1/ Les prémices de la notion « d’abus de structure » .............................. 19 Chapitre 2/ Les précisions apportées à la notion d’abus de structure ................... 31 Titre 2/ Le développement de la notion « d’abus de structure »................................. 42 Chapitre 1/ 1989 : un tournant dans l’application de la notion « d’abus de structure » ? ............................................................................................................ 43 Chapitre 2/ L’utilisation variée de la notion « d’abus de structure »..................... 52 PARTIE 2/ L’utilisation actuelle de la notion « d’abus de structure » ....................64 Titre 1/ La redéfinition des critères d’application de la notion « d’abus de structure » .................................................................................................................................... 64 Chapitre 1/ Une définition plus complète de la notion « d’abus de structure » ..... 64 Chapitre 2/ Les conséquences dans l’application pratique de la notion « d’abus de structure » ............................................................................................................... 74 Titre 2/ L’inévitable maintien de la notion d’abus de structure .................................. 83 Chapitre 1/ La théorie des infrastructures essentielles : « nouvel avatar » de « l’abus de structure » ............................................................................................. 83 Chapitre 2/ L’opportunité du maintien de la notion « d’abus de structure » ......... 94 CONCLUSION GÉNÉRALE.....................................................................................104 4 LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS BOCC. – Bulletin Officiel de la Concurrence, de la Consommation, et de la répression des fraudes. CA – Cour d’Appel Cah. Dr. Entr. – Cahier du Droit de l’Entreprise Cah. Dr. Eur. – Cahier de Droit Européen CCC. – Contrats, Concurrence, Consommation CJCE – Cour de Justice des Communautés Européennes (jusqu’au 1er décembre 2009) Comm. – Commentaire D. – Recueil Dalloz Déc. Com. – Décision de la Commission Déc. Cons. Conc. – Décision du Conseil de la Concurrence Gaz. Pal. – Gazette du Palais Infra. – Ci-dessous J-CL. – Jurisclasseur JCP. Com. – Jurisclasseur Périodique (la Semaine Juridique), Édition Commerce et industrie JCP. E. – Jurisclasseur Périodique, Édition entreprise JCP. G. – Jurisclasseur Périodique, Édition générale JOCE – Journal Officiel des Communautés Européennes (avant 1992) 5 J.O. – Journal Officiel LPA – Les Petites Affiches N°. – Numéro P. – Page Préc. – Précité Rec. – Recueil RD Transp. – Revue de Droit des Transports Rép. Com. – Répertoire de Droit Commercial Dalloz RLC – Revue Lamy Concurrence RLDA – Revue Lamy Droit des Affaires RTD Eur. – Revue Trimestrielle de Droit Européen Supra – Ci-dessus t. – Tome TFUE – Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ex Traité instituant les Communautés Européennes) TPICE – Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes V. – Voir 6 INTRODUCTION « Seul un concurrent mort n’est pas dangereux1 » 1. - Telle pourrait bien être la philosophie de nombre d’opérateurs économiques présents sur le marché. Comme le soulignait le Professeur SCHAEFFER, « affaiblir ou éliminer un concurrent fait partie du jeu de la concurrence et sera bien souvent le résultat de la volonté d’un des partenaires de gagner dans la compétition commerciale2 ». 2. - Le droit de la concurrence est un droit récent et complexe, c’est pourquoi une étude des objectifs du droit de la concurrence semble nécessaire (I). L’analyse menée, par la suite, portera sur un aspect particulier du droit de la concurrence, à savoir l’abus en droit de la concurrence (II), et plus précisément sur la notion « d’abus de structure » (III). Enfin, un exposé de l’approche retenue pour la réalisation de cette étude sera effectué (IV). I – Les objectifs du droit de la concurrence 3. - Si le droit de la concurrence est un droit récent, il n’est cependant pas apparu durant la même période dans les différents systèmes juridiques, et l’objectif poursuivit diffère selon ces systèmes. Trois d’entre eux seront ici analysés : tout d’abord le droit de la concurrence aux Etats-Unis (A), puis le droit communautaire de la concurrence (B) et enfin le droit français de la concurrence (C). 1 2 John Davison ROCKEFELLER. E. SCHAEFFER, L’abus dans le droit de la concurrence, Gaz. Pal., Doctrine p. 401, 1981. 7 A – Le droit de la concurrence aux Etats-Unis 4. - Le droit de la concurrence apparait, pour la première fois, aux Etats-Unis, avec le Sherman Antitrust Act3. Ce dernier constitue la première tentative du gouvernement américain afin de limiter les comportements anticoncurrentiels des entreprises. Le Sherman Act, adopté par le parlement américain, avait été proposé par le sénateur de l’Ohio, John SHERMAN, afin de mettre fin aux pratiques mises en œuvre par la société Standard Oil, société créée et appartenant à John ROCKEFELLER4. 5. - Le sénateur John SHERMAN avait déclaré, lors de la proposition du texte, « si nous refusons qu’un Roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un Roi gouverne notre production, nos transport ou la vente de nos produits ». 6. - La section 2 du Sherman Act s’attèlera donc à interdire les monopolisations : « Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or combine or conspire with any other person or persons, to monopolize any part of the trade or commerce among the several States, or with foreign nations, shall be deemed guilty of a felony, and on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding $ 10,000,000 if a corporation, or, if any other person, $350,000, or by imprisonment not exceeding three years, or by both said punishments, in the discretion of the court5”. 7. - Dans l’hypothèse d’un pouvoir de monopole acquis à la suite d’une entente ou d’une concentration, l’illégalité est automatique : c’est l’entente ou la concentration qui constituent en elles mêmes le comportement abusif6. Dans les deux cas, c’est à la concurrence que ces pratiques portent atteinte. 3 The Sherman Antitrust Act, 2 juillet 1890. Cette société procédait par intégration horizontale et verticale à travers l’ensemble des Etats-Unis afin de devenir la plus grande société américaine de pétrole. 5 Cette section peut être traduite de la façon suivante : « toute personne qui monopolisera ou tentera de monopoliser, ou s’associera ou conspirera avec une autre personne ou d’autres personnes, afin de monopoliser une partie de l’industrie ou le commerce entre les divers Etats ou avec des Etats étrangers, est considérée comme coupable d’un crime ». 6 R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, n°4, p.679, 1969. 4 8 8. - L’économiste EDWARDS7, a déclaré au sujet des monopoles et de leur contrôle que « depuis quelques années, mon opinion est que l’on peut s’attaquer au problème de la firme puissante de deux manières. Ou bien l’on peut maintenir le pouvoir à un niveau auquel on pense qu’il sera suffisamment contenu par la concurrence, ou bien l’on peut établir un certain contrôle qui empêche que le pouvoir ne soit utilisé d’une façon que l’on n’aime pas. Les européens, étant parfaitement disposés à accepter beaucoup plus de contrôle que nous ne l’avons été historiquement, ont adopté la technique du contrôle ». 9. - Dans la conception américaine, le principe de libre concurrence est perçu comme une condition indispensable du progrès et du bon fonctionnement de l’économie. D’où la sévérité des sanctions prononcées dans le cadre d’une atteinte à ce principe de libre concurrence. 10. - Le droit « antitrust » qui a été mis en place prohibe toute atteinte à la concurrence. Les années 70-80 voient l’apparition de l’approche néolibérale8 du droit de la concurrence, laquelle s’écroulera avec la crise de 2008. A l’heure actuelle, le Président Barack OBAMA lutte contre les concentrations néfastes pour le bien être des consommateurs, et la tendance est à un rapprochement entre les droits américains et européens de la concurrence. B – Le droit de la communautaire de la concurrence 11. - La construction du droit communautaire de la concurrence s’effectue quasiment 60 ans après la construction américaine. 12. - Cette construction se réalise, dans un premier temps, avec le Traité de Paris 9. L’objectif de ce traité était la création d’un marché unique sur la production et la consommation du charbon et de l’acier entre les pays membres. Les règles contenues 7 C. EDWARDS, International aspects of antitrust, p.311. Laquelle considère que les mécanismes du libre marché portent en eux-mêmes les remèdes à toutes les imperfections du marché. Seule l’efficacité compte. 9 Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), signé à Paris le 18 avril 1951. 8 9 dans ce traité prohibaient les ententes restrictives de concurrence ainsi que les opérations de concentration10. 13. - Le Traité de Rome11, quant à lui, posera les bases plus complètes d’un droit communautaire de la concurrence. 14. - Ce dernier, dans son développement, du fait du processus de construction européenne, est attaché aux concepts de marché commun et de marché intérieur. C’est pourquoi il a comme mission de maintenir une concurrence saine dans ce marché intérieur12. L’objectif du droit de la concurrence est ici le bien-être économique. 15. - Les objectifs politiques du droit communautaire de la concurrence sont donc la protection des consommateurs, la protection des petites et moyennes entreprises, mais aussi la libre concurrence à l’intérieur de l’Union Européenne. Le droit communautaire comprend dès lors des règles applicables aux entreprises, par le contrôle des ententes et des abus de position dominante, ainsi que des règles applicables aux Etats membres, par l’encadrement des aides d’Etat notamment. 16. - Dans la conception communautaire du droit de la concurrence, et à la différence de la conception américaine, ce n’est pas la position de l’entreprise en soi qui est sanctionnée. Ce que l’on sanctionne est une utilisation préjudiciable pour les autres entreprises et pour les consommateurs de cette position. C’est pourquoi il prône une intervention des institutions communautaires, et plus particulièrement de la Commission Européenne, afin de sanctionner tout comportement d’une entreprise qui fausserait la concurrence dans le marché intérieur. Cette conception sera reprise par le droit français de la concurrence. 10 Articles 65 et 66 du Traité. Traité créant la Communauté Economique Européenne, signé à Rome le 25 mars 1957. 12 A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence interne et communautaire, LGDJ, n°10, p.33, 2010. 11 10 C – Le droit de la concurrence en France 17. - A la différence du droit communautaire de la concurrence, le droit français de la concurrence n’a pas réussi à former un ensemble homogène dans ses premières années d’existence. 18. - C’est, en effet, seulement depuis l’ordonnance du 1er décembre 198613 que les règles du droit de la concurrence forment un ensemble, contenu dans un texte unique, le Code de commerce. 19. - Les premiers éléments de droit de la concurrence apparaissent avec un décret de 195314, auquel se substituera un décret de 195815. Mais c’est avec l’ordonnance de 1986, traduisant la volonté du gouvernement d’entrer dans l’économie de marché, que se construira un véritable droit de la concurrence. L’objectif était, déjà à cette époque, d’opérer un rapprochement entre les règles internes et communautaires de concurrence. 20. - Aussi, la mise en place d’une autorité de contrôle veillant au respect de ces règles de concurrence était nécessaire. Ce sera chose faite, dès 197716 : cette autorité avait alors en charge de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, pratiques portant atteinte à la concurrence et correspondant aux ententes, abus de position dominante et abus de dépendance économique. 21. - D’un autre coté, sont sanctionnées par le droit de la concurrence les pratiques restrictives de concurrence, pratiques consistant en des comportements individuels, prohibés en soi. 13 Ordonnance n°86-1243, Relative à la liberté des prix et de la concurrence, JO, 9 décembre 1986. Décret du 9 aout 1953, n°53-704. 15 Décret du 24 juin 1958, n°58-545. 16 Loi du 19 juillet 1977, n°77-806 qui créée la Commission de la concurrence. Celle-ci sera remplacée par le Conseil de la concurrence, mis en place par l’ordonnance du 1 er décembre 1986, Préc. L’Autorité de la concurrence remplace désormais le Conseil de la concurrence depuis le 13 janvier 2009, date d’entrée en vigueur de la loi de Modernisation de l’Economie du 4 aout 2008, n°2008-776. 14 11 22. - Le droit français de la concurrence comprend pour l’essentiel des règles applicables aux entreprises, qui sont sur le fond, dans une large mesure semblables à celles du droit communautaire17. Le droit interne considère donc lui aussi que la libre concurrence constitue le moyen le plus efficace au service du bien-être de l’économie. Il convient de préciser que, dans cette étude, il sera question uniquement de l’analyse du droit communautaire ainsi que du droit interne de la concurrence. Si le respect des normes concurrentielles est contrôlé, il n’en reste pas moins que des abus peuvent être commis. II – L’abus en droit de la concurrence 23. - L’un des abus pouvant être mis en œuvre, sanctionné par le droit de la concurrence, est celui de l’abus de position dominante. 24. - La notion de position dominante n’est nullement définie par les textes, tant nationaux que communautaires. C’est donc la pratique qui est venue poser une définition18, et c’est par l’article 86 du Traité de Rome19 que viendra la sanction de ces abus de position dominante en droit communautaire. 25. - Les abus de position dominante ont été appréhendés, en France, par une loi du 2 juillet 196320, loi qui introduit l’article 59 bis de l’ordonnance du 30 juin 194521. Cet ancien article 59 bis dispose que « sont prohibés dans les mêmes conditions que les ententes, les activités d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises occupant sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, une position dominante caractérisée par une situation de monopole ou par une concentration manifeste de la 17 A. et G. DECOCQ, Préc. note 12. V. infra. 19 Traité créant la Communauté Economique Européenne, signé à Rome le 25 mars 1957 : « est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. […] ». 20 Loi de finance n° 63-628 rectificative pour 1963 : J.O. du 3 juillet 1963, p. 5915. 21 Ord. n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix : J.O. du 8 juillet 1945, p. 4150. Codifiée au titre IV du Code de commerce : Art. L. 410-1 et s. 18 12 puissance économique, lorsque ces acticités ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’entraver le fonctionnement normal du marché ». Par cette appréhension, les abus de position dominante constituent une catégorie très particulière dans la mesure où il s’agit autant de sanctionner une atteinte au marché que de punir un comportement qui aurait pu l’être par des mécanismes de droit civil22. 26. - S’il n’est pas nécessaire, à ce stade de l’étude, d’en donner la définition, il convient toutefois, afin de marquer son originalité, de tenter de replacer la notion d’abus de position dominante, telle qu’elle est appréhendée en droit de la concurrence, au cœur de la théorie civiliste de l’abus de droit. Le Professeur SCHAEFFER considère que, dans la théorie civiliste classique, « l’abus de droit consiste en l’exercice malicieux de celui-ci, c’est-à-dire avec l’intention de nuire à autrui. Dans une interprétation plus large, il suffit, pour qu’il y ait abus, que l’exercice du droit ait causé un préjudicie à autrui, même sans intention de nuire de la par de l’auteur, si son exercice était sans profit pour lui23 ». Selon cet auteur, en droit de la concurrence, l’abus ne se détermine pas en fonction du droit ou de la liberté qui est invoqué pour son exercice, mais en fonction du droit ou de la liberté qui lui est opposé. De ce fait, du point de vue juridique, un abus de droit est constaté lorsque ce droit entre en conflit avec un autre droit et que le juge ou le législateur fait prévaloir le second sur le premier. 27. - Sur ce point l’abus de position dominante se distingue de l’abus de droit, puisqu’il ne s’agit pas d’abuser d’un droit. L’abus de position dominante correspond à un abus de fait, puisqu’une entreprise abuse de sa situation sur le marché. 28. - L’appréhension de l’abus de position dominante vise à sanctionner une entreprise qui, du fait de sa position sur le marché, adopte des comportements qui empêchent toute autre entreprise d’entrer sur le marché, ou comportement qui obligent toute autre entreprise à se conformer à la volonté de l’entreprise dominante. 22 Le droit de la responsabilité notamment : M. DEPINCE, D. MAINGUY et J.-L. REPAUD, Droit de la concurrence, LITEC, p.284, n°366, 2010. 23 E. SCHAEFFER, L’abus dans le droit de la concurrence, Gaz. Pal, II, p. 405, n°44, 1981. 13 Cette sanction des abus de position dominante est présente dans tous les traités : l’article 86 du TCE deviendra l’article 82 du Traité d’Amsterdam (Traité CE). Le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne reprendra cette prohibition dans son article 102. Dans l’ensemble de ces dispositions, c’est donc bien l’exploitation effective, abusive, de la position dominante qui est sanctionnée. Cet abus de position dominante se scinde en deux catégories d’abus 24 : l’ « abus de structure » et l’ « abus de comportement ». III – L’ « abus de structure » 29. - Seul l’ « abus de structure » sera l’objet de la présente étude. Mais il conviendra au préalable de l’étudier dans sa distinction avec l’ « abus de comportement » (A) pour ensuite exposer l’intérêt d’une étude portant sur cet « abus de structure ». A – « Abus de structure » et « abus de comportement » 30. - La notion d’abus de position dominante a fait l’objet de discussions au sein de la doctrine25. Un auteur, le Professeur JOLIET, a ainsi offert une distinction, au sein même de cette notion. Il va en effet distinguer les notions « d’abus de comportement » et « d’abus de structure »26. 31. - L’abus de structure vise les comportements d’une entreprise portant atteinte à la concurrence. Ces comportements seraient toutefois admis s’ils étaient le fait d’une entreprise se trouvant en situation de concurrence normale, mais sont sanctionnés car émanant d’une entreprise dominante. Cette notion englobe la considération large qu’est l’atteinte à la structure de la concurrence : le comportement de l’entreprise est 24 V. R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur n°4, 1969, p.645. B. GOLDMAN, Droit commercial européen, DALLOZ, 1971 ; R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, 1969, p.645. 26 V. infra. 25 14 sanctionné en fonction de cette atteinte, et c’est en quoi ce type d’abus reflète une conception objective de l’abus. 32. - L’abus de comportement, quant à lui, vise les comportements qui sont mis en œuvre par une entreprise dominante, à l’égard d’autres entreprises. De par sa position sur le marché, l’entreprise dominante cherche à obtenir un avantage de cette autre entreprise. Les comportements de l’entreprise sont donc appréhendés en fonction d’un autre opérateur ainsi qu’en fonction des avantages indument recherchés, et c’est en quoi ce type d’abus reflète une conception subjective de l’abus. 33. - A travers l’établissement de cette distinction, le Professeur JOLIET va prôner la mise en place d’un contrôle des structures, c’est-à-dire la mise en place d’un contrôle des opérations de concentration entre entreprises. Ce contrôle, en effet, avait été prévu, dans le Traité de Paris27, mais les rédacteurs du Traité de Rome, cependant, n’avaient pas jugé utile de reprendre ces dispositions28. Ce dernier interviendra en 1989, par l’adoption d’un règlement29, lequel sera modifié en 200430. 34. - La notion d’abus de structure, dégagée par la doctrine, a également fait l’objet de vives discussions et critiques. Grâce aux divergences d’opinion, la notion, qui sera consacrée en jurisprudence par l’arrêt Continental Can31, fera toutefois l’objet d’importantes évolutions.32. 35. - Au demeurant, cette notion aurait pu être oubliée du fait de la jurisprudence. Celle-ci, en effet, dans un arrêt de 197933, va introduire une part de subjectivisme dans le contrôle des abus de position dominante, avec l’insertion d’une condition de « comportement anormal ». Il ne s’agit pas cependant, à ce stade de l’étude, d’expliquer de façon plus approfondie cette évolution jurisprudentielle. 27 Préc. note 8. C. PRIETO, L’abus de position dominante, J-CL Europe, Fasc. 1423, n°3, 2010. 29 Règlement du Conseil, n°4064/89, Relatif au contrôle des opérations de concentrations entre entreprises, du 21 Décembre 1989. 30 Règlement du Conseil, n°139/2004, Relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, du 20 Janvier 2004. 31 Arrêt Europemballage et Continental Can Contre Commission, 21 Février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p. 215. 32 V. infra. 33 Arrêt Hoffmann-La Roche, 13 Février 1979, Aff. 85/76, Rec CJCE 1979, p.461. 28 15 Apparue sous la plume de la doctrine, puis réceptionnée et adoptée par la jurisprudence, cette notion, toujours en évolution, conduit à s’interroger sur sa pérennité et sa légitimité en droit de la concurrence. La notion d’abus de structure est-elle toujours utilisée dans l’appréciation de l’abus de position dominante ? B - Intérêt d’une étude portant sur la notion « d’abus de structure » 36. - Cette question s’avère être fondamentale du point de vue de l’appréhension des abus de position dominante. Deux possibilités de sanction peuvent être envisagées. L’entreprise abusant de sa position dominante peut n’être sanctionnée que du fait de son comportement envers une autre entreprise, comportement qui lui cause directement un préjudice. L’entreprise, toutefois, peut également être sanctionnée du fait de l’atteinte qu’elle porte à la structure de la concurrence : son comportement peut causer un préjudice à l’ensemble de la structure concurrentielle. 37. - Les deux conceptions ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais la seconde permet une sanction plus large des comportements de l’entreprise dominante, la notion de « structure de la concurrence » pouvant renvoyer à de nombreux comportements. Les autorités de concurrence doivent donc prendre en compte l’atteinte portée à la concurrence, et pas seulement le préjudice direct causé à une autre entreprise. C’est pourquoi, analyser la pérennité de cette notion permet de comprendre la politique de sanction des abus de position dominante mise en place par les autorités de concurrence, ainsi que les évolutions de cette politique. IV – Approche retenue et plan 38. - Afin de déterminer si la notion d’abus de structure est pérenne en droit de la concurrence, une approche chronologique de l’utilisation de cette notion a été privilégiée. Il apparaitra que, critiquée lors de son apparition et dans ses applications postérieures, son existence a été remise en cause lors de la mise en place d’un contrôle sur les opérations de concentration entre entreprises. 16 Une approche dichotomique classique, fondée sur la distinction droit interne / droit communautaire n’aurait pas permis d’analyser clairement l’évolution de la notion « d’abus de structure ». L’étude, chronologique, se veut donc pour objectif d’exposer, dans un premier temps, l’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » (Partie 1), pour, dans un second temps, expliquer son utilisation actuelle (Partie 2). 17 PARTIE 1/ L’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » 39. - La naissance et la construction de la notion d’abus de structure ne se sont pas faites de façon simultanée. La notion, en effet, naîtra en doctrine et sera consacrée par la jurisprudence. C’est une notion complexe, difficile à appréhender dans sa distinction avec l’abus de comportement et qui nait dans les années 1970, années pendant lesquelles les différentes notions du droit de la concurrence n’en étaient qu’à leurs prémices. Une étude approfondie des fondements de cette notion (Titre 1) s’avère essentielle. Celle-ci permettra en effet de saisir efficacement l’intégralité des évolutions de cette notion, son développement (Titre 2), les raisons de son développement ainsi que les critiques qui ont pu être formulées à son encontre. Titre 1/ Les fondements de la notion « d’abus de structure » 40. - Les fondements de la notion d’abus de structure se sont construits de façon progressive. Lorsque cette notion apparait en doctrine, en effet, elle n’en est qu’à ses prémices (Chapitre 1). Ce n’est que grâce à la jurisprudence, de par les précisions qu’elle y apporte (Chapitre 2), que cette notion se construira. 18 Chapitre 1/ Les prémices de la notion « d’abus de structure » 41. - L’abus de structure est une notion relativement « récente » et elle arbore la particularité d’être le fruit de la doctrine. Cette notion, plus précisément, est le fruit du travail d’un auteur : Monsieur le Professeur JOLIET34. Ce dernier, en 1969, procède à une distinction, dans l’un de ses articles, qui n’a encore jamais été faite, ni par la doctrine, ni en jurisprudence. Il distingue en effet « l’abus de comportement » et « l’abus de structure ». Cette distinction, toute nouvelle, trouvera un écho en jurisprudence avec l’arrêt Europemballage et Continental Can C/ Commission35. L’émergence doctrinale de la notion « d’abus de structure » (Section 1) sera ainsi consacrée par la jurisprudence (Section 2). Section 1/ L’émergence doctrinale de la notion d’ « abus de structure » 42. - Les notions d’ « abus de comportement » (Paragraphe 1) et d’ « abus de structure » (Paragraphe 2) vont clairement être distinguées par le Professeur JOLIET. Cette distinction, qui repose sur une divergence d’approches de l’abus, tantôt subjective, tantôt objective, ne sera pas remise en cause par le reste de la doctrine. Paragraphe 1/ L’approche subjective de l’abus : « l’abus de comportement » 43. - La législation américaine de la concurrence envisage la monopolisation comme résultant de la possession du pouvoir de monopole36 associée à l’intention 34 Préc. note 6. CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p.215. 36 Hypothèse où une entreprise dispose d’une marge discrétionnaire substantielle dans la détermination de ses prix et de sa production. 35 19 d’exercer ce pouvoir37 : la monopolisation constitue un comportement plutôt qu’une situation de marché donnée. L’entreprise sera sanctionnée dans trois hypothèses : si elle a recours à des méthodes abusives, si elle a recours à des méthodes déloyales, ou lorsqu’elle a recours à des choix politiques qui aboutissent à la création d’un pouvoir de monopole. 44. - Dans la législation européenne de la concurrence, c’est l’exploitation effective de la position dominante qui est sanctionnée. L’entreprise doit donc avoir réellement utilisé les possibilités que lui confère la domination du marché et avoir retiré des avantages de l’exercice de cette domination. 45. - Dans son article, le Professeur JOLIET, à l’origine, avait pour objectif de comparer le Sherman Act38 avec l’ex-article 86 du Traité de Rome39 (art. 82 CE, 102 TFUE) afin de comprendre la façon dont les deux systèmes juridiques - le système américain et le système français - appréhendaient les abus de position dominante. 46. - Aux termes de l’ex-article 86 TCE « est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : a) Imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables, b) Limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs, c) Appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, 37 Préc. note 6, p.663. Préc. note 3.. 39 Traité sur la Communauté Européenne, du 25 Mars 1957. 38 20 d) Subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires, qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. » 47. - C’est à l’appui de la définition de l’abus40, telle qu’elle avait été donnée par les experts, que le Professeur JOLIET mènera son analyse. Aux termes de cette définition : « il y a exploitation abusive d’une position dominante lorsque le détenteur de cette position utilise les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu’il n’obtiendrait pas en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace »41. Le Professeur JOLIET va alors considérer, que, selon cette définition, l’abus est une notion qui doit s’apprécier objectivement. De ce fait, il y a exploitation abusive lorsque le comportement de l’entreprise constitue objectivement un comportement fautif au regard des dispositions du traité. 48. - Le caractère équivoque de la définition va toutefois l’amener à s’interroger quant au critère de détermination de l’abus : « L’abus au sens du traité de Rome consiste-t-il dans un certain type de comportement à l’égard de la concurrence ou dans une certaine attitude à l’égard des fournisseurs ou utilisateurs (l’autre coté du marché) ? Le critère de l’abus est-il l’exploitation effective du pouvoir de marché au détriment des utilisateurs ou bien l’acquisition et la perpétuation de ce pouvoir selon des méthodes « déloyales » qui portent atteinte à la concurrence42 ? Cette interrogation, fondamentale, se trouvera au cœur de la distinction opérée par l’auteur entre les notions d’abus de structure et d’abus de comportement. Deux sortes d’atteinte – d’abus – peuvent, en effet, être caractérisées. 49. - L’auteur relève que les termes de l’ex-article 86 TCE43 visent en réalité à veiller à ce que la domination du marché ne soit pas utilisée au préjudice des utilisateurs ou des consommateurs. Les exemples qu’il évoque se rapportent ainsi à des cas d’exercice du pouvoir, à des pratiques par lesquelles l’entreprise tire parti de son 40 La Commission des Communautés Européennes avait chargé certains experts d’effectuer une étude sur les moyens offerts de l’article 86 du Traité de Rome. 41 Mémorandum sur la concentration, p.22. 42 Préc., note 6, p.681. 43 Préc., note 39. 21 pouvoir sur le marché, c’est-à-dire l’exploite. Il démontre cette analyse à travers chaque pratique citée. En ce qui concerne d’abord la fixation unilatérale de prix inéquitables et la limitation de la production au préjudice des consommateurs, il considère que c’est un moyen pour l’entreprise d’exploiter son pouvoir de marché. Concernant ensuite les pratiques discriminatoires, il apparait clairement pour l’auteur que cela vise à assurer l’égalité de la concurrence entre acheteurs de l’entreprise dominante. Enfin, les clauses liées ou jumelées sont pour l’entreprise dominante une façon de tirer parti de l’avantage que lui donne son pouvoir. 50. - Toutes ces pratiques se réfèrent au comportement qu’une entreprise en situation de position dominante peut avoir à l’égard des concurrents et de ses partenaires commerciaux. L’entreprise dominante adopte directement un comportement envers une autre entreprise dans le dessein de profiter du pouvoir que lui confère sa position dominante. C’est d’ailleurs la définition classique de l’abus de comportement qui sera retenue. Il est en effet possible de le définir de la façon suivante : « il consiste à profiter de sa position pour obtenir des avantages de ses clients ou fournisseurs qu’une concurrence effective ne lui aurait pas permis44 » Le Professeur JOLIET va critiquer la position prise par les rédacteurs du traité en considérant qu’ « à la différence de l’article 2 [du Sherman Act], l’article 86 ne permet pas de redresser un comportement abusif à l’égard de la concurrence45 » car les termes de cet article ne visent que des comportements mis en œuvre à l’égard d’entreprises. Or, pour l’auteur, il est également indispensable de sanctionner des comportements abusifs qui portent atteinte à la structure de la concurrence. 44 M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2ème Ed, p. 189, 2003 ; L. VOGEL, G. RIPERT, R. ROBLOT, M. GERMAIN, Traité de Droit Commercial, t 1, Vol. 1, LGDJ, 18ème Ed, 2001, n°66 ; J-B BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°200 ; C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., Fasc. 260, n°98, 2003. ; P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats – Distribution, 2010, n°172 ; M-C GUERIN, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois Pénales Spéciales, 2008, n°61. 45 Préc., note 6, p.689. 22 Paragraphe 2/ L’approche objective de l’abus : « l’abus de structure » 51. - La comparaison entre le Sherman Antitrust Act46 et l’ex-article 86 du Traité de Rome, menée par le Professeur JOLIET, le conduira à relever que l’article 2 du Sherman Act définit la notion d’abus comme un comportement agressif ou déloyal à l’égard de la concurrence. Il poursuit en expliquant qu’il s’agit de « pratiques inspirées par le seul désir d’anéantir la concurrence ou de pratiques qui, sans présenter un caractère coercitif, n’en ont pas moins pour effet et pour objectif d’ériger des barrières artificielles au jeu de la concurrence ». 52. - L’opposition entre ces deux textes est donc claire : l’ex-article 86 du TCE définit l’abus de position dominante comme l’exploitation effective du pouvoir de monopole au détriment des utilisateurs et des concurrents. Comme expliqué précédemment, seules sont données en exemple des pratiques portant atteinte aux concurrents et aux partenaires commerciaux de l’entreprise en situation dominante. 53. - Il regrette que cet article ne permette pas de sanctionner une pratique abusive à l’égard de la concurrence, à l’égard de la structure de la concurrence en elle-même, mais seulement à l’égard des entreprises directement. L’atteinte à la concurrence est une atteinte plus globale, pouvant par exemple dissuader un concurrent potentiel d’entrer sur le marché. Cet article ne permet pas, par exemple, de corriger un excès de publicité qui viserait au maintien de la domination par l’exclusion de concurrents potentiels ; or, des dépenses publicitaires excessives risquent de constituer une force de dissuasion à l’égard des entreprises nouvelles désireuses de s’introduire dans le marché 47. Par contre, il ajoute que de par sa nature même, le système de l’ex-article 86 justifie le recours à un contrôle direct des prix et de la production. Les autorités européennes seront contraintes d’intervenir dans la gestion des entreprises puisque l’ex-article 86 ne leur permet d’agir sur les structures en elles mêmes. Il y a nécessairement un lien entre la définition donnée à la notion d’abus et les remèdes qui seront mis en place pour sanctionner les infractions. 46 47 Préc., note 3. Cela ressort clairement de la sentence rendue par la Cour Suprême dans l’arrêt American Tobacco : US., 328. U.S. 781.797 (1946). 23 54. - Le Professeur JOLIET se réfère à l’ex-article 3, f) TCE48, qui précise que « aux fins énoncées à l’article précédent, l’action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité […] l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans la marché commun ». Il constate qu’en dépit de la proclamation de cet article, l’article 86 TCE ne permet pas aux institutions de garantir la survie des mécanismes concurrentiels. 55. - Afin de démontrer son hypothèse, il prendra appui sur le droit des concentrations et se servira plus particulièrement de la vision exprimée par la Commission49 : celle-ci soutient en effet que la création d’un monopole risque d’entraîner une limitation artificielle de la production et que pour cette raison, l’élimination complète de la concurrence par voie de concentration serait illicite. Mais pour l’auteur, ce danger n’est pas particulier au monopole et serait déjà implicitement exprimé à l’ex-article 86 : en effet, il serait implicitement présent dans toute position dominante, une position dominante limitant nécessairement la production. De ce fait, si les deux situations entrainent les mêmes conséquences, pourquoi ne pas les traiter avec les mêmes instruments ? 56. - L’auteur prône alors la mise en place d’un contrôle des concentrations puisqu’au vu des termes de l’ex-article 86 TCE et de l’interprétation qui en est faite par les autorités de concurrence, ces concentrations n’entrent pas dans le champ de cet article relatif aux abus de position dominante. L’auteur souhaite, en réalité, un contrôle de toute pratique d’une entreprise qui porte atteinte à la concurrence ; or, une opération de concentration porte atteinte à la concurrence puisqu’il devient alors plus difficile pour les concurrents d’entrer sur le marché et d’y rester durablement. 57. - Et c’est ainsi que va être définit l’abus de structure : ce dernier est « objectif est vise toute pratique d’une entreprise dominante qui porte atteinte à la concurrence, 48 Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu'il est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ». 49 Dans son Mémorandum sur la Concentration, p.25. 24 ce qui conduit à interdire per se certaines pratiques au seul motif qu’elles faussent la concurrence50 ». 58. - C’est donc par cet article qu’apparait la distinction entre abus de comportement et abus de structure. Cette distinction est essentielle en ce qu’elle permet, par l’intermédiaire de l’ex-article 86, de sanctionner une atteinte à la concurrence : il s’agit de prendre en compte les effets du comportement de l’entreprise. L’abus de comportement, quant à lui, s’opère directement à l’égard d’une entreprise et l’abus apparait de façon évidente. L’abus de structure est quand à lui plus subtil en ce qu’il interdit à une entreprise en situation de position dominante d’avoir un comportement qui serait admis s’il émanait d’une entreprise en situation de concurrence normale. 59. - Désormais, deux types d’abus sont donc identifiés : l’un, l’abus de comportement, est relatif à un comportement mis en œuvre à l’égard d’une autre entreprise. L’autre, l’abus de structure, vise un comportement qui porte atteinte à la concurrence et qui est sanctionné parce qu’il est le fait d’une entreprise dominante. Cette nouvelle distinction sera reprise et consacrée quatre ans plus tard par la jurisprudence. C’est en effet la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans le célèbre arrêt Europemballage et Continental Can C/ Commission du 21 Février 197351, qui opérera cette consécration. Section 2/ La consécration jurisprudentielle de la notion « d’abus de structure » 60. - Dévoilée sous la plume du Professeur JOLIER, et retenue par la doctrine, la distinction entre l’abus de structure et l’abus de comportement a également été adoptée 50 M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2ème Ed, p. 189 2003 ; L. VOGEL, G. RIPERT, R. ROBLOT, M. GERMAIN, Traité de Droit Commercial, t 1, Vol. 1, LGDJ, 18ème Ed, 2001, n°866 ; J-B BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°200 ; C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., Fasc. 260, 2003, n°98. ; P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats – Distribution, 2010, n°172 ; M-C GUERIN, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois Pénales Spéciales, 2008, n°61. 51 Préc. note 35. 25 par la jurisprudence. La notion d’abus de structure est apparue, dès 1973, dans la décision Europemballage et Continental Can C/ Commission de la Cour de Justice des Communautés Européennes (Paragraphe 1). Au demeurant, la réception de la notion par la Cour de Justice s’est largement trouvée induite par les circonstances de l‘espèce. Instrumentalisée par la Cour, la notion d’abus de structure a permis d’offrir un palliatif à l’absence, à l’époque, de contrôle communautaire des opérations de concentration (Paragraphe 2) Paragraphe 1/ L’apparition de la notion « d’abus de structure » dans la décision Europemballage et Continental Can C/ Commission 61. - La doctrine considère cet arrêt comme ayant très largement contribué à l’interprétation de l’ex-article 86 TCE (art. 102 TFUE) relatif à l’abus de position dominante52. 62. - Avant d’entrer dans le détail de la décision rendue par la Cour de Justice, il convient de faire un bref rappel des faits de l’espèce. La société Continental Can Inc, société américaine de droit newyorkais, est le plus grand producteur mondial d’emballages métalliques, emballages légers, boites de conserves et matériel de bouchage. Depuis le début de l’année 1969, Continental Can contrôle le plus grand producteur allemand de ces mêmes produits disposant d’une position dominante sur le marché des emballages (TDV53). 63. - Un accord est signé le 16 février 1970 entre Continental Can et T.D.V aux termes duquel Continental Can s’engage à créer, au Delawara (USA) une société holding54 à laquelle elle transférera ses intérêts actuels dans S.L.W55 et sa participation minoritaire dans T.D.V. 52 J. BOULOUIS, R-M. CHEVALLIER, D. FASQUELLE, M. BLANQUET, Les grands arrêts de la jurisprudence communautaire, DALLOZ, t 2, 5ème Ed, 2002, p.310 ; A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2008, n°275, p.390. 53 La société Thomassen & Drijver-Verblifa N.V. 54 Ultérieurement appelée Europemballage Corporation. 26 En définitive, ces opérations devraient permettre à Continental Can de contrôler, par l’intermédiaire d’Europemballage, qu’elle contrôlerait à 100%, les deux groupes : l’allemand S.L.W et le néerlandais T.D.V. 64. - La Commission décide toutefois d’intervenir et mène son enquête : elle rend une décision le, 9 décembre 197156, aux termes de laquelle elle constate que Continental Can, qui détient une position dans une partie substantielle du marché commun sur le marché des emballages légers a exploité abusivement cette position dominante. 65. - La Cour de Justice rend alors un arrêt en date du 21 Février 197357. L’avocat général, Monsieur Karl ROEMER, dans ses conclusions58, commence par relever que c’est la première fois que la Cour doit se prononcer sur la base de l’ex-article 86 TCE. L’avocat général considère que la question qui se pose en l’espèce est la suivante : estce que « l'article 86 joue également lorsqu'une entreprise jouissant d'une position dominante renforce tellement sa position sur le marché en absorbant une autre entreprise qu'il ne subsiste pratiquement plus de concurrence » ? L’avocat répondra par la négative en considérant que la Commission opère une interprétation extensive de l’ex-article 86 alors que le texte doit être interprété strictement. L’avocat ROEMER conclut en considérant que la décision de la Commission doit donc être annulée. La Cour de Justice va suivre les conclusions de l’avocat général et ainsi annuler la décision rendue par la Commission. 66. - Son raisonnement va être de considérer qu’il faut envisager l’esprit, l’économie et les termes de l’ex-article 86 TCE. Elle considère que les ex-articles 85 et 86 du TCE poursuivent le même objectif ; de ce fait, la puissance de domination qui serait atteinte par des entreprises grâce à la mise en place d’une unité organique doit être sanctionnée de la même façon que les associations d’entreprises altérant la concurrence et prohibaient par l’article 85 du TCE. 55 La société Schmalbach Lubeca Werke AG, société se trouvant en situation de position dominante en Allemagne. 56 Déc. Com, Continental Can, 9 décembre 1971 n°72621 IV, 26.811, JOCE L 8 janvier 1972. 57 Préc. note 35. 58 Conclusions de l’avocat général ROEMER, présentées le 21 novembre 1972, Rec. 1973, p. 215. 27 67. - La cour conclut, et c’est ici l’apport majeur de cet arrêt, en considérant « qu'est dès lors susceptible de constituer un abus le fait, par une entreprise en position dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c'est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l'entreprise dominante ; […] le problème, évoqué par les requérantes, du lien de causalité qui, à leur avis, devrait exister entre la position dominante et son exploitation abusive, ne revêt pas d'intérêt, le renforcement de la position détenue par l'entreprise pouvant être abusif et interdit par l'article 86 du traité, quels que soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet59 […] ». La Cour accepte le raisonnement de la Commission : la prise de contrôle total par une entreprise dominante de son seul concurrent sur le marché en cause tombe sous le coup de l’article 86 (article 102 TFUE) du TCE. 68. - Cet arrêt consacre de ce fait la notion d’abus de structure. La Cour, en effet, admet que le simple fait que le marché soit substantiellement entravé suffit à caractériser l’abus, quels que soient les moyens utilisés. L’abus est constitué en dehors des éléments intrinsèques de l’entreprise. Désormais, comme le Professeur JOLIET le souhaitait60, c’est l’atteinte à la concurrence, et non plus seulement aux concurrents, qui est prise en considération. C’est donc une interprétation extensive de l’ex-article 86 du TCE qui a permis cette consécration, puisque cette hypothèse de la prise de contrôle d’un concurrent ou d’une atteinte à la concurrence n’était nullement prévue dans le texte. La Cour a proclamé cette atteinte en se détachant de la lettre du texte, en envisageant l’esprit de ce texte. 69. - Mais cette décision intervient dans le contexte particulier d’une prise de contrôle total, d’une opération de concentration. C’est pourquoi il est possible de considérer que la notion d’abus de structure a été utilisée par la Commission comme palliatif à l’absence de contrôle communautaire des opérations de concentration. 59 60 Préc. note 35, point 26. V. supra. 28 Paragraphe 2/ L’instrumentalisation de la notion d’abus de structure par la Cour de justice : un palliatif à l’absence de contrôle des opérations de concentration 70. - En 1973, lorsque l’arrêt est rendu, il n’existe aucun contrôle communautaire des opérations de concentration. Ce constat accrédite l’idée selon laquelle la notion d’abus de structure est ici utilisée comme palliatif à cette absence. Il convient de rappeler, en effet, que l’arrêt de la Commission a été annulé par la Cour car cette dernière considérait que la décision manquait de motivation concernant la définition du marché en cause: le raisonnement fondé sur l’ex-article 86 du TCE, selon lequel est prohibée toute exploitation abusive d’une position dominante, a donc été approuvé par la Cour. 71. - Une partie de la doctrine a favorablement accueilli ce raisonnement. M. Jean De RICHEMONT61 considère ainsi que, par le biais de son arrêt, la Cour « institue un contrôle préalable des concentrations ». Pris à la lettre, l’ex-article 86 TCE ne permet pourtant qu’un contrôle et une sanction à postériori d’un abus de position dominante. 72. - En considérant, cependant, que le renforcement d’une position dominante par le biais d’une opération de concentration constitue un abus de position dominante lorsque le marché est substantiellement entravé, la Cour s’autorise un contrôle à priori de toute opération de concentration qui entraverait substantiellement le marché, donc qui entraverait substantiellement la concurrence. Dès lors, toute entreprise qui a recours à une opération de concentration peut craindre une sanction de la Cour lorsque cette opération aura une incidence sur un marché déterminé. 73. - Un autre auteur62, lui aussi favorable à cette analyse, justifie le raisonnement de la Cour par le fait que celle-ci met un point d’honneur à exécuter et à respecter la 61 J. De RICHEMONT, Concentrations et abus de positions dominantes, Article 86 du Traité de Rome, Affaire Continental Can, RTD Eur, 1973, p.477. 62 J. GUYÉNOT, L’affaire Continental Can, Gaz. Pal, 1973, p. 352. 29 mission qui lui est assignée par le Traité, et plus précisément par son article 3 f)63, à savoir le maintien d’une concurrence non faussée dans le marché commun. L’auteur considère qu’en faisant de l’ex-article 86 TCE un instrument de contrôle à priori des concentrations, la Commission « a fait une œuvre intelligente dans l’intérêt bien compris des entreprises ». 74. - L’explication fournie par ces auteurs revient à considérer qu’en présence d’un texte ne correspondant plus aux réalités économiques, la Cour peut s’octroyer le droit de venir « combler » ces lacunes. Il est clair qu’en l’espèce la Commission a utilisé la notion d’abus de structure afin de pouvoir sanctionner l’opération de concentration réalisée par Continental Can64. 75. - Le Professeur Catherine PRIETO65 justifie quant à elle le raisonnement de la Commission en expliquant que cette dernière entendait faire pression sur les Etats membres de l’Union Européenne : en effet, ces derniers étaient réticents à adopter un texte mettant en place un contrôle des concentrations. La Commission entendait donc faire pression sur eux afin qu’ils abandonnent leur hostilité à l’adoption d’un tel texte. Les rédacteurs du Traité de Rome66, en outre, n’avaient de plus pas jugé opportun de reprendre les dispositions du Traité de Paris67, lequel instituait pourtant un contrôle des concentrations. Ces derniers souhaitaient en effet encourager des restructurations d’entreprises pour que se dégagent des opérateurs économiques à la taille du vaste marché qu’ils souhaitent créer. Avec la prise de contrôle opérée par Continental Can sur une entreprise européenne, la Commission a donc logiquement été amenée à utiliser la prohibition de l’abus de position dominante pour une opération de concentration. 63 Préc. note 48. Dans ce sens : J-B BLAISE, Rép. Com, Abus de position dominante, 2005, n° 201 ; D. BRAULT, Politique et pratique du droit de la concurrence en France, LGDJ, 2004, p. 407 ; R. BLASSELLE, Traité de droit européen de la concurrence, t 1, PUBLISUD, 2002, p. 298 ; A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2008, n°279. 65 C. PRIETO, Abus de position dominante, J-CL Europe, Fasc. 1423, n°3, 2010. 66 Préc., note 39. 67 Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, signé à Paris le 18 avril 1951, Art. 66. 64 30 Il est vrai que la Cour était surtout amenée à travailler avec l’ex-article 85 TCE : mais en l’espèce, il était difficile de remplir les conditions posées par cet article68. Utiliser l’ex-article 86 TCE était donc la seule alternative qui s’offrait à elle. 76. - L’arrêt Continental Can marque donc un tournant dans l’approche et l’interprétation de l’ex-article 86 TCE. Non seulement il consacre une notion, l’abus de structure, laquelle reflète une conception objective de l’abus de position dominante69, mais il se trouve en outre à l’origine d’une évolution dans le contrôle des opérations de concentration. A la suite de cet arrêt, la Commission présentera un projet de texte instaurant un véritable contrôle de ces opérations de concentration70. 77. - Cet arrêt a suscité de nombreuses réactions, de nombreuses critiques : il lui était reproché de ne prendre en considération que l’atteinte à la concurrence et insuffisamment le comportement mis en œuvre par l’entreprise. La jurisprudence postérieure va venir compléter et atténuer l’apport de cet arrêt, en définissant clairement la notion de position dominante et en tempérant la définition de l’abus. La portée de la notion « d’abus de structure » s’en trouvera affinée. Chapitre 2/ Les précisions apportées à la notion d’abus de structure 78. - La notion de position dominante n’est pas définie par les textes. L’ex-article 86 TCE condamne ainsi l’exploitation abusive d’une position dominante mais sans préciser le contenu de cette notion. C’est donc la jurisprudence qui va progressivement affiner cette définition : elle sera précisée par la Cour de justice dans son arrêt United Brands C/ Commission71 du 14 février 1978 (Section 1). La jurisprudence interviendra peu de temps après pour définir l’abus de position dominante, notion également non 68 Ce dernier étant en effet relatif aux ententes, il n’y avait en l’espèce aucune pratique concertée, mais une prise de contrôle par une entreprise dominante. 69 V. Supra. 70 Propositions de règlement (CEE) de la Commission, transmis au Conseil, sur le contrôle des concentrations du 20 juillet 1973, JOCE n° C 92 du 31 octobre 1973, p. 1. 71 CJCE, United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission, 14 février 1978, aff 22/76, Rec p.207. 31 définie par les textes : c’est l’arrêt Hoffmann-La Roche C/ Commission72 du 13 février 1979 qui énoncera une définition (Section 2). Section 1/ La définition de la notion de position dominante : l’arrêt United Brands C/ Commission du 14 février 1978 79. - Suite aux critiques adressées à l’égard de l’arrêt Europemballage et Continental Can73, il fut nécessaire de définir les contours dans lesquels cet arrêt devait s’appliquer, notamment en précisant les notions auxquelles la Cour faisait référence. La jurisprudence va donc opérer ce travail avec l’arrêt United Brands Company : un exposé des circonstances de l’espèce (Section 1) s’avère nécessaire afin de mieux appréhender l’apport de cet arrêt qui, sans conteste, apparait comme fondateur de la notion de position dominante (Section 2). Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt United Brands 80. - La société United Brands Company est une société newyorkaise (ci-après dénommée UBC), créée en 1970 suite à la fusion de la United Fruit Company et de la Americain Seal Kap Corporation. Elle constitue, en 1978, le groupe le plus important au monde sur le marché de la banane. Sa filiale, la société United Brands Continentaal BV (ci-après dénommée UBCBV), dont le siège se situe à Rotterdam, assure la coordination des ventes de bananes dans tous les Etats membres de l’Union Européenne. 81. - Les sociétés Th. Olesen (située au Danemark), Tropical Fruit Co et Jack Dolan Ltd (situées à Dublin) ainsi que l’entreprise Banana Importers (située en Irlande) ont déposé une plainte, en février et mai 1974, auprès de la Commission, contre la société UBCBV. Cette plainte avait pour objet la violation de l’ex-article 86 TCE. 72 CJCE, Hoffmann-La Roche contre Commission, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461. 73 CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p.215. 32 En avril 1975, la Commission informe la société UBCBV qu’à son avis elle commet un abus de position dominante, et ce pour plusieurs raisons : - Tout d’abord, UBCBV oblige ses distributeurs mûrisseurs à ne pas vendre de bananes vertes ; - Ensuite, elle adresse à ses distributeurs mûrisseurs, dans divers Etats membres, des prix nettement différents (sans justification, pour des bananes de même qualité alors que les conditions de marché étaient virtuellement les mêmes) ; les différences de prix peuvent même aller jusqu’à 138% ; - Enfin, elle refuse d’approvisionner la société Olesen en bananes de la marque Chiquita, au motif que cette dernière aurait pris part à une campagne publicitaire pour une marque rivale. Les sociétés UBC et UBCBV vont répondre à la Commission en présentant leur point de vue. 82. - Suite à la procédure engagée, la Commission rend une décision en date du 17 décembre 197574. La Commission précise, concernant le marché mondial de la banane, que la société United Fruit Company a fait preuve d’innovation en mettant en place une politique particulière de commercialisation des bananes : cette dernière, en effet, effectue un marquage de chaque banane dans les pays de production pour la vente de ses bananes sous la marque « Chiquita ». 83. - Après avoir présenté les différents concurrents d’UBC et analysé le comportement de cette dernière, la Commission va donner sa définition de la position dominante. Elle l’avait déjà fait auparavant dans un mémorandum du 1er décembre 1971 en considérant que la position dominante se définissait comme « le pouvoir économique, c’est-à-dire la faculté d’exercer sur le fonctionnement du marché une influence notable et, en principe, prévisible pour l’entreprise dominante75 ». Elle va, dans sa décision, affiner cette définition pour déclarer que « des entreprises bénéficient d’une telle position, lorsqu’elles ont une possibilité de comportements indépendants qui les met en mesure d’agir sans tenir compte des 74 75 La décision « IV/26.699, Chiquita », JO L n° 95 du 9 avril 1976. RTD Eur, 1966, p. 675. 33 concurrents, des acheteurs ou des fournisseurs ; qu’il en est ainsi lorsque […] elles ont la possibilité de déterminer les prix ou de contrôler la production ou la distribution pour une partie significative des produits en cause76 ». 84. - La Commission démontre ensuite que la société UBC est en situation de position dominante sur le marché des bananes77 et conclu en affirmant que la société UBCBV a abusé de sa position dominante, pour les motifs exposés précédemment. La société UBC et sa filiale forment alors un recours à l’encontre de la décision rendue par la Commission en mars 1976. C’est donc à la Cour de Justice des Communautés Européennes qu’il revient de trancher le différent qui oppose les deux parties. En tranchant ce litige, la Cour conférera à cet arrêt un caractère fondateur. Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt United Brands 85. - La Cour de Justice va rejeter le recours formé par la société UBC et sa filiale en considérant que la société UBCBV a bien exploité abusivement sa position dominante. 86. - L’apport principal de cet arrêt, et c’est d’ailleurs ce qui lui confère son caractère fondateur, réside dans la définition de la position dominante posée par la Cour. Cette dernière va en effet considérer que « la position dominante visée par cet article [l’ex-article 86 TCE] concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrence, de ses clients, et au final des consommateurs78 ». 76 Arrêt United Brands Company, Préc., note 71. Qui est, selon la Commission, un marché distinct du marché des fruits en général du fait, entre autre, de leur caractère hautement périssable. 78 Arrêt United Brands Company, Préc., n°71. 77 34 Par cette définition, l’objectif est de viser toutes les formes de dominations susceptibles de déséquilibrer la concurrence sur le marché. La finalité est de préserver la concurrence au bénéfice des consommateurs et non de veiller à protéger des concurrents. 87. - Au vu de cette définition, trois éléments doivent être rassemblés : « le constat qu’une entreprise ou un qu’un groupe d’entreprises est, sur un marché pertinent, en situation de domination79 ». 88. - Plusieurs éléments sont ici fondamentaux : tout d’abord, la Cour attache une grande importance à l’obstacle, qui peut être mis en place, au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause. On constate en effet que cette exigence n’apparait ni dans la première définition qui avait été donnée par la Commission dans son mémorandum de 1971, ni dans la décision de la Commission de 197580. Il s’agit donc de prendre en considération l’atteinte qui peut être portée à la concurrence ; la protection des autres concurrents n’est plus le seul objectif. Ce raisonnement se trouve ainsi dans la droite lignée de l’analyse adoptée par la Cour dans l’arrêt Europemballage et Continental Can81 Ensuite, il y a l’idée de comportement indépendant, vis-à-vis des concurrents, des clients et au final des consommateurs. L’entreprise en situation de domination doit donc posséder une importante puissance économique lui permettant d’imposer certaines conditions à ses concurrents, voire de les obliger à s’aligner sur elle. 89. - La Cour va également apporter une précision sur les possibilités qui sont offertes à une entreprise se trouvant en situation de position dominante pour « se défendre » vis-à-vis de ses concurrents. Elle précise que « s’il est exact, comme le fait remarquer la requérante, que l’existence d’une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu’il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de 79 M. DEPINCE, D. MAINGUY, J.-L. REPAUD, Droit de la concurrence, LITEC, 1ère Ed, 2010, n°338, p.285. 80 Déc. Com, Chiquita, 17 décembre 1975, JO L n°95, 9 avril 1976. 81 Préc. note 73. 35 protéger ses dits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser82 ». On retrouve ici l’idée, déjà présente dans l’arrêt Europemballage et Continental Can, du renforcement d’une position dominante qui devient abusif. L’entreprise dominante conserve une marge de manœuvre pour se protéger de ses concurrents, mais en aucun cas cette faculté ne doit être utilisée pour renforcer une position dominante ou en abuser. 90. - La définition posée dans cet arrêt n’a depuis pas été remise en cause. Cet arrêt se combine de plus parfaitement avec l’arrêt de 1973 : en effet ce dernier ne définissait pas la notion de position dominante. Or, cet arrêt United Brands, en apportant une telle définition, complète ainsi l’arrêt Continental Can. Mais, une notion essentielle n’a toujours pas été définie : la notion d’abus de position dominante. Celle-ci sera précisée, un an plus tard, par la Cour de Justice, dans l’arrêt Hoffmann-La Roche. Section 2/ La définition de l’abus de position dominante : l’arrêt Hoffmann-La Roche du 13 février 197983 91. - La définition de l’abus de position dominante devait nécessairement être donnée par la Cour de Justice, et ce peu de temps après l’arrêt United Brands Company, afin de parfaire le système de contrôle des abus de position dominante. Après une étude des circonstances (Section 1) de cet arrêt, lui aussi fondateur, il conviendra d’en analyser les apports (Section 2). Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt Hoffmann-La Roche 92. - La société Hoffmann-La Roche est située à Bâle, en Suisse. Elle est, au niveau mondial ainsi qu’à l’intérieur du marché européen, le fabricant le plus important et celui 82 83 Arrêt United Brands, Préc. note 71, n°189. CJCE, Hoffmann-La Roche, Préc, note 72. 36 dont la production s’étend au plus grand nombre de groupes de vitamines non conditionnées. 93. - Elle a conclu, depuis 1964, des contrats dits « contrats de fidélité » (26 au total) avec 22 entreprises exerçant dans le marché commun une activité de production et/ou de vente de vitamines en vue de leur utilisation, soit par l’industrie pharmaceutique, soit pour l’alimentation humaine, soit comme additif pour l’alimentation animale. Ces contrats, qui lui assuraient l’exclusivité ou la préférence des clients, contenaient les dispositions suivantes : - Les acheteurs s’approvisionneront auprès de la société Hoffmann-La Roche pour la totalité ou pour l’essentiel de leurs besoins en vitamines ; - La société Hoffmann-La Roche livrera aux meilleurs prix en vigueur sur le marché national du client ; - Les clients ayant couvert la totalité ou l’essentiel de leurs besoins auprès de la société Hoffman-La Roche bénéficieront d’un rabais annuel ou semestriel calculé sur la base de l’ensemble des achats. Ce rabais varierait de 1% à 5%, sauf pour un client pour lequel il serait de 12,5% à 20%. - Une « clause anglaise » prévoira que les clients informeront la société Hoffmann-La Roche des prix inférieurs à ceux pratiqués par cette dernière qui leur seraient proposés par d’autres fabricants « réputés ». Si la société Hoffmann-La Roche ne diminue pas ses prix, ces acheteurs seront libres de s’approvisionner chez les dits autres fabricants, sans pour autant perdre le rabais de fidélité pour les achats effectués auprès de la société Hoffmann-La Roche. 94. - La Commission va, par une décision du 9 juin 197684, constater que la société Hoffmann-La Roche a commis une infraction à l’ex-article 86 TCE (article 102 TFUE) : cette infraction est en effet réalisée par la conclusion de contrats qui incitent les acheteurs, soit par le biais d’une obligation, soit par le biais de primes de fidélité, à réserver une exclusivité à la société Hoffmann-La Roche pour la couverture de la totalité de leurs besoins en vitamines. 84 Déc. Com. Des Communautés Européennes, JO L N° 223 du 16 août 1976, p.27. 37 95. - Dans sa décision, la Commission va reprendre la définition de la position dominante qui avait été posée dans l’arrêt United Brands Company : elle considère en effet que la société Hoffmann-La Roche est en position dominante sur 7 marchés relatifs à la vente de vitamines. Cette position dominante repose sur « le degré d’indépendance globale de comportement dont elle disposerait et qui la mettrait en mesure de faire obstacle à une concurrence effective à l’intérieur du marché commune ». 96. - La commission va considérer, au surplus, que la société suisse a abusé de sa position dominante car son comportement « serait de nature à porter atteinte à la liberté de choix et d’égalité de traitement des acheteurs ainsi qu’à restreindre la concurrence entre producteurs de vitamines non conditionnées dans le marché commun et serait susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres ». La société se voit infliger par la Commission une amende s’élevant à 1 098 000 marks allemands. 97. - La société Hoffmann-La Roche va former un recours contre cette décision en demandant son annulation. Elle invoque comme premier moyen le fait que les notions de position dominante et d’exploitation abusive de la position dominante doivent être considérées comme des notions indéterminées en droit communautaire, comme dans les droits nationaux. Elle estime alors que la Commission ne peut infliger de sanction sur ce fondement sans que ces deux notions ne soient explicitées et clarifiées au préalable, soit par la pratique administrative, soit par la jurisprudence. C’est donc à la Cour de Justice des Communautés Européennes qu’il revient de trancher ce litige. Elle devra nécessairement se prononcer sur le caractère indéterminé des notions de position dominante ainsi que celle d’abus de position dominante. C’est relativement à cette seconde notion que l’arrêt Hoffmann-La Roche, rendu par la Cour, constitue un arrêt fondateur de la construction communautaire du régime des abus de position dominante. 38 Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt Hoffmann-La Roche 98. - La Cour va rendre sa décision le 13 février 1979. Sur l’existence d’une position dominante, la Cour va rappeler que l’ex-article 86 TCE transcrit l’objectif général contenu à l’article 3, f) du Traité 85, à savoir l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun. 99. - Sur ce, elle va, comme elle devait nécessairement le faire, répondre au moyen avancé par la société Hoffmann-La Roche sur l’indétermination de la notion de position dominante. Pour se faire, elle va tout simplement reprendre la définition de la position dominante qu’elle avait préalablement posée dans l’arrêt United Brands Company86. Elle rappelle donc que « la position dominante ainsi visée concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs87 ». La Cour conclut sur ce point en affirmant que la société Hoffmann-La Roche est bien en situation de position dominante sur plusieurs marchés relatifs aux vitamines non conditionnées. 100. - Sur la seconde notion indéterminée invoquée par la requérante, à savoir la notion d’abus de position dominante, la Cour va également répondre en posant une définition claire et précise. Elle considère que « la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont 85 Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu'il est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ». 86 Préc. note 71. 87 Arrêt Hoffmann-La Roche, Préc. note 72, n°38. 39 pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale de produits ou services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence88 ». La Cour pose donc une définition de l’exploitation abusive d’une position dominante qui ne sera dès lors plus contestée, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence postérieure. 101. - Elle se réfère, dans celle-ci, à une « compétition normale » : il est traditionnellement admis que cette « compétition normale » renvoi à la « concurrence par les mérites89 ». Deux auteurs, les Professeurs DECOCQ90 déduisent de ce raisonnement qu’une entreprise en position dominante peut donc maintenir et développer sa position : mais l’entreprise ne peut le faire qu’en essayant d’être meilleure que les autres, c’est-à-dire en proposant un meilleur rapport qualité/prix aux consommateurs. De ce fait, des moyens différents de conquérir ou de conserver des parts de marché peuvent être licites lorsqu’ils émanent de toutes entreprises, mais seront refusés à une entreprise en position dominante. Ces auteurs illustrent cette situation par un adage : « position dominante oblige ». Cette explication fournie par les auteurs correspond précisément à la définition de l’abus de structure, à savoir que des comportements qui seraient admis pour une entreprise se trouvant en situation de concurrence normale, seront interdits à une entreprise se trouvant en situation de position dominante. 102. - Cependant, à la différence de l’arrêt Europemballage et Continental Can, l’arrêt Hoffmann-La Roche introduit une condition supplémentaire pour que l’abus soit constaté. Comme il a été expliqué précédemment, la Cour de Justice dans l’arrêt Continental Can constate l’abus lorsqu’il y avait une atteinte à la concurrence, peu 88 Arrêt Hoffmann-La Roche, Préc. note 72, n°91. Il n’existe pas de définition claire et précise de la notion de « concurrence par les mérites », ni dans les textes, ni dans la jurisprudence. On peut cependant supposer que cette notion renvoi à une concurrence normale, c’est-à-dire une concurrence dans laquelle chaque acteur économique exerce loyalement et sans contraintes directes imposées par des concurrents son activité. Cette concurrence « par les mérites » renvoi à l’idée selon laquelle chaque opérateur doit avoir sa chance dans le marché ; pour cela, seuls des moyens normaux, n’ayant pas un effet anticoncurrentiel doivent être utilisés par les différents opérateurs. 90 A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2010, n°273, p.389. 89 40 importe les moyens utilisés. Or, dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, la Cour introduit une condition de comportement91 : il doit désormais y avoir nécessairement recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale de produits ou de services92. La Cour revient donc ici à plus de subjectivisme. Les autorités de concurrence devront alors désormais se prononcer sur la légitimité du comportement adopté par rapport aux intérêts de l’entreprise et sur la proportionnalité des moyens adoptés par rapport au but poursuivi. 103. - Pour M. Rémy BOUSCANT93, il y a désormais deux composantes de l’exploitation abusive : l’abus est constitué lorsque les comportements d’une entreprise en position dominante influencent la structure d’un marché où à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question le degré de concurrence est déjà affaibli (1ère composante), et lorsque ces comportements ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits sur la base des prestation des opérateurs économiques au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché (2ème composante). Ici, clairement, l’accent est mis sur le comportement de l’entreprise dominante. 104. - Au final, La Cour va rejeter le recours formé par la société Hoffmann-La Roche et réduire le montant de son amende. Cet arrêt marque donc, lui aussi, incontestablement, une avancée majeure dans l’évolution de l’utilisation de l’ex-article 86 TCE. Si au premier abord cet arrêt semble être en contradiction avec l’arrêt Continental Can, il n’en est rien en réalité : en effet, les critiques adressées à l’arrêt de 1973 ont permis de faire évoluer la jurisprudence. 91 Selon M. MALAURIE-VIGNAL (Droit de la concurrence, ARMAND COLIN, 2ème Ed, 2003, p. 189, n°381) et S. BELMONT (Dictionnaire juridique de l’Union européenne, Abus de position dominante, Sous la direction d’A. BARAV et C. PHILIP, Université Lyon III), la Cour de Justice s’est employée à ne pas se laisser enfermer dans le « mouvement structuraliste » présent dans l’arrêt Continental Can. 92 C’est-à-dire nécessairement un comportement anormal. 93 R.BOUSCANT, La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit européen, RTD Eur, 2000, p.67. Pour l’auteur, la définition posée dans l’arrêt Hoffmann-La Roche concerne l’abus de structure. 41 105. - Conclusion du Titre 1 : La naissance de la théorie de l’abus de structure s’est donc faite progressivement, mais de façon cependant structurée et construite. Apparue en doctrine, elle sera d’abord réceptionnée, puis précisée par la jurisprudence. Fondée, au départ, sur son opposition à l’abus de comportement, la théorie de l’abus de structure va petit à petit se distinguer clairement dans la jurisprudence – pour rencontrer cependant un infléchissement avec l’arrêt Hoffmann-La Roche. Les trois arrêts94 ont donc contribué à faire de l’atteinte à la concurrence un réel motif de sanction, et chaque entreprise bénéficiant d’une position forte sur un marché doit impérativement tenir compte de cette évolution. Cependant, au vu des circonstances dans lesquelles a été rendu l’arrêt Continental Can, à savoir une opération de concentration, certains auteurs considèrent donc que cette jurisprudence reste une jurisprudence de circonstance qui a vocation à disparaitre avec l’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des opérations de concentration95. Titre 2/ Le développement de la notion « d’abus de structure » 106. - L’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des opérations de concentration entre entreprises96 va-t-il entrainer la disparition de la théorie de l’abus de structure ? Va-t-elle conserver sa pleine et entière application ? Va-t-il simplement avoir pour conséquence une diminution de son utilisation ? L’étude de ce règlement, qui est susceptible de constituer un tournant dans l’application de la notion d’abus de structure (Chapitre 1) permettra de constater que la notion d’abus de structure n’a pas perdu de sa pertinence, malgré l’utilisation variée faite par les autorités européennes et françaises de concurrence (Chapitre 2). 94 L’arrêt Continental Can, l’arrêt United Brands et l’arrêt Hoffmann-La Roche. V. notamment, S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL ConcurrenceConsommation, n °8, 2003 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT, p.211. 96 Règlement n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, Relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JO L n° 395 du 30 décembre 1989, p.1 à 12. 95 42 Chapitre 1/ 1989 : un tournant dans l’application de la notion « d’abus de structure » ? 107. - Cette interrogation – la disparition ou non de la notion d’abus de structure – est née d’une part du fait des circonstances de l’arrêt Continental Can, et d’autre part car cette notion, comme son nom l’indique, permet un contrôle des structures. Or, le règlement sur le contrôle des opérations de concentrations est lui aussi un texte sur le contrôle des structures (Section 1). De ce fait, les champs d’application de l’abus de structure et du règlement de 1989 sont relativement proches (Section 2). Section 1/ Le règlement n°4064/89 sur le contrôle des opérations de concentrations 108. - Avant la promulgation de ce règlement, il n’existait aucun contrôle communautaire des concentrations97. De ce fait, une étude du champ d’application du règlement (Paragraphe 1) ainsi que celle de ses modalités d’application de ce règlement (Paragraphe 2) s’imposent. Paragraphe 1/ Le champ d’application du règlement 109. - Un véritable contrôle des opérations de concentration entre entreprises est ici instauré. Le Conseil, dans les propos préliminaires, fait référence en tout premier lieu à l’article 3, f) du Traité98, qui, rappelons le, assigne comme objectif à la Communauté « l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun ». C’est également en invoquant cet article que la Cour avait, dans 97 Sauf à considérer que l’arrêt Continental Can avait pour objectif d’instaurer un contrôle jurisprudentiel des concentrations. 98 Préc., note 85. 43 l’arrêt Hoffmann-La Roche99, défini la notion d’abus de position dominante, et, avait consacré la notion d’abus de structure dans l’arrêt Continental Can100. Il précise ensuite que toute opération de restructuration n’entraine pas nécessairement un préjudice à la concurrence101 ; par conséquent le droit communautaire doit se doter de dispositions applicables aux opérations de concentration susceptibles d’entraver de manière significative la concurrence dans le marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci. Enfin, le Conseil reconnait que les ex-articles 85 et 86 TCE, même s’ils sont applicables aux opérations de concentration d’entreprises, ne permettent pas d’appréhender tous les comportements dans ce domaine qui risqueraient de se révéler incompatibles avec un régime de concurrence non faussée dans le marché commun. 110. - Le Conseil a donc à cette occasion pris conscience des lacunes de la législation européenne dans ce domaine. Il était de ce fait contraint d’adopter un tel règlement. Même si le délai d’adoption de ce règlement s’est avéré relativement long (16 ans après l’arrêt Continental Can), ce dernier constitue immanquablement une avancée considérable dans le droit communautaire de la concurrence. 111. - Concernant le champ d’application de ce règlement, l’article 1er précise que ce dernier est applicable aux opérations de concentration de dimension communautaire. Une telle opération atteint cette dimension lorsque : - « le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par toutes les entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’écus, et - Le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’écus, à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même État membre ». 99 Préc., note 72. Préc., note 73. 101 Point 5 du règlement : « considérant qu’il faut toutefois assurer que le processus de restructuration n’entraine pas un préjudice durable pour la concurrence […] ». 100 44 112. - Puis, vient la définition d’une opération de concentration102 : celle-ci est réalisée lorsque : - « une ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent, ou - Lorsqu’une ou plusieurs entreprises acquièrent directement ou indirectement, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrats ou tout autre moyen, le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises ». Une troisième hypothèse constitue une opération de concentration : celle de la création d’une entreprise commune qui exerce, de manière durable, toutes les fonctions d’une entité économique autonome ; cette dernière ne doit cependant pas aboutir à une coordination des comportements, soit entre les entreprises fondatrices, soit entre cellesci et l’entreprise commune. 113. - Toute opération de concentration qui renforcerait une position dominante sur un marché, et qui de ce fait entraverait substantiellement la concurrence effective dans le marché commun, serait déclarée incompatible avec celui-ci. Les circonstances de l’arrêt Continental Can entrent bien dans ce champ d’application, puisque cette dernière acquiert indirectement le contrôle de deux autres sociétés. De plus, la dimension communautaire était présente : il est ici, en effet, aisé de supposer que les seuils étaient atteints étant donné que la société Continental Can Inc. était le leader mondial dans le secteur des emballages. Le champ d’application de ce règlement semble donc bien combler les lacunes qui avaient été mises en évidence suite à l’arrêt de 1973. De plus, le présent règlement instaure une procédure particulière de contrôle des ces opérations. Paragraphe 2/ Les modalités d’application du règlement 114. - Ce règlement met en place un système de notification préalable des opérations de concentration entre entreprises (article 4). 102 Préc. note 96, article 3. 45 Cela signifie que toute entreprise qui entend réaliser une telle opération doit la notifier à la Commission, dans un délai d’une semaine avant la conclusion de l’accord réalisant l’opération, ou de la publication de l’offre d’achat ou d’échange, ou de l’acquisition d’une participation de contrôle. En cas de fusion d’entreprises, la notification doit être conjointes, c'est-à-dire être effectuée par les deux parties à l’opération. 115. - Ensuite, dès que la Commission reçoit la notification, elle l’examine et peut alors prendre plusieurs décisions : - Si la Commission considère que l’opération de concentration ne remplit pas les conditions posées par le règlement, elle le fait savoir aux parties. - Si elle considère que l’opération ne soulève pas de doute sérieux quand à son incompatibilité avec le marché commun, elle l’autorise. - Mais, si elle considère que l’opération soulève des doutes sérieux, alors elle engage une procédure. L’opération de concentration est alors suspendue. 116. - A la fin de la procédure, la Commission rend une décision, qui peut prendre plusieurs directions : - Soit elle constate que l’opération, après modifications apportées par les entreprises, ne crée pas ou ne renforce pas une position dominante, et de ce fait n’entrave pas substantiellement la concurrence effective : dans ce cas, elle la déclare compatible avec le marché commun. - Soit, à l’inverse, elle constate que l’opération crée ou renforce une position dominante, et de ce fait entrave substantiellement la concurrence effective: dans ce cas elle la déclare incompatible avec le marché commun. Le contrôle de ces opérations de concentration est donc entièrement opéré par la Commission des Communautés Européennes, ce qui décharge de façon complète la Cour de Justice qui n’aura donc plus à intervenir dans ce domaine. 46 117. - Ce règlement fut modifié par un autre règlement, édicté en 2004103. Il apporte quelques modifications. Désormais, le délai de notification d’une semaine avant la conclusion de l’acte réalisant l’opération est supprimée : les entreprises peuvent notifier quand elles le désirent, la notification devant cependant intervenir avant la réalisation de l’opération. Ensuite, les entreprises ne sont plus contraintes de notifier un accord contraignant, c'est-à-dire un accord liant irrémédiablement les parties. Ces dernières peuvent simplement notifier un projet de transaction. Les entreprises devront cependant établir de bonne foi leur intention de conclure un accord futur. Ceci permet aux entreprises de conclure l’accord dans un délai plus court, car dans l’hypothèse ou le projet de transaction serait validé par la Commission, la signature de l’accord définitif pourra intervenir plus rapidement. Puis, les seuils de contrôle n’ont quand à eux pas été modifiés. Cependant, il faut à présent tenir compte de l’élargissement du marché commun (27 pays aujourd’hui) dans le calcul du chiffre d’affaires. 118. - Le critère de la création ou du renforcement de la position dominante n’est plus le seul à prendre en compte : la Commission doit également tenir compte de l’atteinte à la concurrence effective qui est portée. Même si ce dernier reste toutefois un critère fondé sur la domination, la prise en compte de cette atteinte abouti à un critère mixte. Il élargit alors le champ d’application du règlement. Enfin, les informations que doit contenir le formulaire de notification sont étendues104. 119. - Au vu de toutes ces descriptions, il est difficile de ne pas faire de lien avec la théorie de l’abus de structure. L’idée de création ou de renforcement d’une position dominante, présente dans le règlement, correspond aux les termes exacts employés dans 103 Règlement n°4064/89, remplacé par le Règlement n° 139/2004, du Conseil, du 20 janvier 2004, Relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO L n°24 du 29 janvier 2004. 104 Ce règlement sur le contrôle des opérations de concentration entre entreprises de 2004 prévoit également la prise en compte des « gains d’efficience » : cette dernière permettra de déterminer l’effet d’une concentration sur la structure de la concurrence dans le marché commun. Ces gains d’efficacité peuvent contre balancer les effets sur la concurrence, et notamment le préjudice potentiel causé aux consommateurs. 47 l’arrêt Continental Can. De plus, cette théorie avait été utilisée dans l’arrêt de 1973 comme palliatif à l’absence de contrôle des concentrations. Section 2/ Les liens entre « abus de structure » et règlement sur le contrôle des opérations de concentration 120. - Ces liens, au vu de tout ce qui précède, s’opèrent naturellement dans l’esprit des lecteurs, et ce en vertu de plusieurs facteurs. Le champ d’application de la théorie de l’abus de structure et celui du règlement, en effet, sont relativement proches (Paragraphe 1). C’est pourquoi, dès l’entrée en vigueur du règlement n°4064/89, les conséquences de son application sur la notion d’abus de structure avaient été envisagées (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ Des champs d’application similaires 121. - Le point de départ de ces liens correspond sans aucun doute aux circonstances dans lesquelles a été rendu l’arrêt Europemballage et Continental Can105, en 1973. Appliquer l’ex-article 86 TCE, par le biais de la théorie de l’abus de structure, à une opération de concentration était, en effet, inattendu. 122. - La distinction initiale, telle qu’elle apparu en doctrine106, se présentait ainsi : d’un coté, l’abus de comportement permettait de sanctionner le comportement d’une entreprise dominante envers un concurrent ou un partenaire commercial. De l’autre coté, l’abus de structure permettait de sanctionner le comportement d’une entreprise dominante, notamment la modification de la structure de l’entreprise, qui portait atteinte à la concurrence. 105 CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p.215. 106 R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, n°4, p.679, 1969. 48 De ce fait, dès le départ, la théorie de l’abus de structure renvoyait à une modification de la structure des entreprises, s’apparentant donc à un contrôle des structures. 123. - Or, le règlement sur le contrôle des opérations de concentration a également pour objectif un contrôle des structures, puisqu’il s’agit ici de contrôler, et éventuellement d’interdire, la modification structurelle d’une ou plusieurs entreprises qui porterait atteinte à la concurrence107. 124. - Il y a donc ici une similitude de termes (« structure ») qui entraine presque naturellement une confusion entre les objectifs de ces deux instruments : car en effet, le contrôle des structures n’est pas nécessairement l’objectif principal poursuivi par la théorie de l’abus de structure. Cette notion, il est vrai, présente aussi comme objectif un contrôle de l’atteinte à la concurrence. Cette atteinte résulte de l’abus de la position dominante, réalisé lorsque cette position est créée ou renforcée108. Or, une opération de concentration porte avant tout atteinte à la concurrence. Il y a ici aussi une similitude d’objectifs. 125. - Les termes utilisés dans le règlement sur les concentrations sont, de surcroit, également à même de créer une confusion. En effet, ses articles 2) et 3), se réfèrent à « la création ou du renforcement d'une position dominante », termes précisément utilisés dans l’arrêt de 1973109. On trouve ici l’idée inhérente à l’ex-article 86 TCE, à savoir que seul l’abus de position dominante est sanctionné, et non pas sa seule détention110. 126. - Cependant, le règlement va venir limiter les effets découlant de ces références à l’ex-article 86 TCE. Il va en effet proclamer, dans ses propos 107 La modification structurelle correspond soit à la fusion de deux ou plusieurs entreprises, ou parties d’entreprises, soit à l’acquisition du contrôle direct ou indirect d’une ou plusieurs entreprises ou parties d’entreprises. 108 CJCE, Europemballage et Continental Can, Préc. note 105. 109 Préc. note 105, n° 26. 110 Du moins à ce stade de la démonstration. 49 préliminaires111, que même si les ex articles 81 et 82 (articles 101 et 102 TFUE) du Traité d’Amsterdam sont applicables, selon la jurisprudence communautaire, à certaines concentrations, le présent règlement doit demeurer le seul instrument applicable à ce type d’opération, afin de pouvoir les appréhender efficacement dans leur ensemble. Les rédacteurs ne souhaitent donc plus que les articles du Traité soient encore utilisés dans le cadre d’une opération de concentration. 127. - Cela étant, une autre approche n’est pas à exclure. Une partie de la doctrine, en effet, défend au contraire la complémentarité des textes du règlement et du Traité. M. Dirk STAUDENMAYER112, prône ainsi une application conjointe des articles du Traité et du règlement sur les concentrations. M. Arnaud BIGARÉ113, quant à lui, va même jusqu’à considérer que le contrôle des opérations de concentration constitue un développement particulier de l’ex-article 82 (article 102 TFUE). Cette indéniable proximité a donc divisé la doctrine lors de l’entrée en vigueur du règlement sur les concentrations. Une partie de celle-ci tiendra un discours selon lequel la notion d’abus de structure à même vocation à disparaitre114. Paragraphe 2/ Les conséquences de l’entrée en vigueur du règlement sur l’application de la théorie de « l’abus de structure » 128. - La considération selon laquelle la théorie de l’abus de structure pourrait ne plus être utilisée suite à l’entrée en vigueur du règlement sur les concentrations se justifie si l’on s’en tient uniquement aux circonstances de l’arrêt Continental Can115. 111 Points 7 et 8. D. STAUDENMAYER, Les relations entre les articles 85 et 86 du traité CE et le règlement communautaire de contrôle des concentrations, Cah. Dr. Eur n°3-4, 1994, pp. 380 – 397. 113 A. BIGARÉ, L’aspect transversal de la notion d’abus de position dominante en droit communautaire de la concurrence, Université Jean Moulin, Lyon III, 1999, p. 28. 114 Entre autres, S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL ConcurrenceConsommation, 2003 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT, p.211. 115 Préc. note 105. 112 50 A cette occasion, la Cour a utilisé la notion d’abus de structure pour sanctionner une opération de concentration. Dès lors qu’un texte sanctionne les opérations de concentration, l’utilisation de cette notion n’aurait donc plus de raisons d’être. Ce raisonnement a été retenu par un certain nombre d’auteurs116. Ces derniers considèrent, en effet, que dans l’arrêt Continental Can, la théorie de l’abus de structure a uniquement été utilisée afin de pallier à l’absence d’un contrôle des opérations de concentration. 129. - Cette vision, toutefois, semble quelque peu restrictive. Il parait, en effet, réducteur de n’observer la décision Continental Can rendue en 1973 qu’à la lumière des circonstances de l’espèce. Car si cet arrêt revêt une telle portée, ce n’est pas seulement au vue de ses circonstances, mais également en raison du fait de sa contribution majeure dans l’interprétation de l’ex-article 86 TCE. L’arrêt Continental Can peut désormais servir de base à des arrêts rendus par les autorités de concurrence, dans des domaines autres que celui d’un contrôle des concentrations. Cela est possible grâce l’interprétation extensive117 de l’ex-article 86 TCE qui a été faite118. L’arrêt Continental Can, renforcé par l’arrêt Hoffmann-La Roche, permet par ailleurs de sanctionner une atteinte à la structure de la concurrence. Or cette sanction n’est nullement prévue dans les textes (sauf dans l’article 3, f)119, qui prévoit l’établissement d’un régime de concurrence non faussée dans le marché commun120). Cet arrêt, de part cet apport majeur, ne peut donc pas disparaitre du fait de l’entrée en vigueur d’un règlement contrôlant les opérations de concentration, même si les circonstances de l’arrêt relevaient d’une opération de concentration121 116 M-A. FRISON-ROCHE, M.-S. PAYET, Droit de la concurrence, DALLOZ, Précis, 1ère Ed, 2006, p 218 ; S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL Concurrence-Consommation, 2003, n°8 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT, p.211. 117 J. BOULOUIS, R.-M. CHEVALLIER, D. FASQUELLE, M. BLANQUET, Les grands arrêts de la jurisprudence communautaire, DALLOZ, t 2, 5ème Ed, 2002. 118 En effet, l’ex-article 86 TCE ne prévoyait, dans ses exemples, que des pratiques pouvant être mises en œuvre à l’égard des concurrents. L’atteinte à la concurrence n’était pas expressément envisagée. C’est pourquoi la Cour de Justice est allée au-delà du texte du Traité. 119 Préc. note 96. 120 Sur ce point, l’atteinte à la structure de la concurrence n’est pas expressément prévue dans les textes. C’est par une interprétation téléologique que l’on considère que l’objectif de ces textes est de sanctionner l’atteinte portée à la structure de la concurrence. 121 V. J.-B. BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°201, 2010. 51 130. - MM. les Professeurs DECOCQ122 relèvent ainsi très justement que « la notion de modification de la structure concurrentielle du marché ne se réduit pas à celle de concentration ». De ce fait, « l’arrêt Continental Can conserve donc sa force de précédent, en tant qu’il concerne cette notion dans sa généralité ». Ils ajoutent, en outre, que « cet arrêt justifie l’inclusion des abus de structure dans les abus prohibés par l’article 102 par un raisonnement audacieux, mais habile ». On retrouve ici l’idée d’interprétation extensive de l’ex-article 86 qui avait été opérée par les juges de la Cour de Justice. Du fait de cette prise en compte globale de la notion d’atteinte à la structure concurrentielle du marché, cet arrêt fut invoqué comme fondement dans des décisions ultérieures, dans différents domaines ne relevant pas nécessairement d’une opération de concentration123. Chapitre 2/ L’utilisation variée de la notion « d’abus de structure » 131. - La notion d’abus de structure n’a nullement disparue suite à l’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des concentrations. Elle sera en effet utilisée à plusieurs reprises par les juridictions et autorités en charge d’appliquer le droit de la concurrence, tant en droit communautaire (Section 1) qu’en droit interne (Section 2). Section 1/ L’utilisation diversifiée de la notion « d’abus de structure » en droit communautaire 132. - L’utilisation de la notion d’abus de structure va en effet être « diversifiée » en ce qu’un recours à cette notion sera intenté dans plusieurs domaines : lors d’opérations de concentration (Paragraphe 1) ainsi que dans différentes autres disciplines du droit (Paragraphe 2). 122 A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2010, n°273, p.385. V. entre autres : Arrêt British Airways, cf. infra, point 57 de la décision ; Arrêt CJCE, NV L’Oréal et SA L’Oréal C/ PVBA « De nieuwe AMCK », Point 25, Aff. 31/80, Rec. 1980, p.3775. 123 52 Paragraphe 1/ L’utilisation de la notion « d’abus de structure » pour des opérations de concentrations 133. - Cette utilisation va avoir lieu au travers de la décision de la Commission dans l’affaire Gillette124. La société suédoise Stora Kopparbergs Bergslags AB constitue la plus grande entreprise européenne en matière d’exploitation forestière, mais a diversifié ses activités par l’achat d’une société (la société Swedish Match AB) qui fabrique essentiellement des produits de rasage mécanique (vendus sous la marque Wilkinson Sword). Cette dernière va vendre les activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage mécanique à la société néerlandaise Eemland Holdings NV (ci-après dénommée Eemland) pour la Communauté et les Etats-Unis. Elle vend ces activités au groupe Gillette125 pour le reste du monde. Cette vente s’accompagne de la conclusion d’accords entre le groupe Gillette et la société Emland ainsi que de la réalisation d’importants investissements du groupe Gillette dans cette société. La société Eemland vend, en fait, les activités de Wilkinson Sword au groupe Gillette pour les produits de rasage, pour l’extérieur de la Communauté ainsi que pour les Etats-Unis. 134. - Le 12 février 1990, la Commission reçoit une plainte de la Warner-Lambert Company concernant la vente des activités de Wilkinson Sword. La société Warner soutient que ces transactions constituent une infraction à l’ex-article 85§1 TCE ainsi qu’une infraction à l’ex-article 86 TCE de la part de Gillette. Le 14 mars 1990, une seconde plainte est déposée par la société BIC SA. 135. - La Commission, dans sa décision, va considérer que le groupe Gillette est en situation de position dominante dans l’ensemble de la Communauté Européenne, ainsi que dans chaque Etat membre. 124 Déc. Com. Warner-Lambert C/ Gillette et autres, N° 93.352 du 10 novembre 1992, JOCE L 116, 12 mai 1993, pp.21-32. 125 The Gillette Company, maison mère du groupe Gillette, qui est un groupe implanté au niveau mondial. 53 Elle va ensuite rappeler les termes de l’arrêt Hoffmann-La Roche126 selon lesquels la notion d’exploitation abusive « vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure du marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle (…) au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence ». Elle considère que la participation du groupe Gillette à l’accord global modifie la structure du marché des produits de rasage mécanique127. Cette modification aura pour conséquence d’affecter la concurrence sur ce marché dans la Communauté. Elle en conclut que le comportement du groupe Gillette est constitutif d’un abus de position dominante. 136. - En effet, le groupe Gillette est devenu un important actionnaire (il rachète 22% des parts) de la société Eemland ainsi que son principal créancier, le groupe Gillette détenant des obligations convertibles). La société Eemland devra donc nécessairement tenir compte de la position du groupe Gillette, ce qui influencera son comportement dans ses prises de décisions. Elle conclut en considérant que l’ensemble des accords constitue une stratégie du groupe Gillette afin d’affaiblir la position concurrentielle d’Eemland et par voie de conséquence de renforcer la sienne. 137. - Or, dans cette affaire, il était question de la vente des activités d’une entreprise par secteur géographique ; de plus, une entreprise en situation de position dominante sera détentrice d’une influence déterminante sur l’un de ses concurrents. Pourtant, la Commission va traiter cette affaire comme un abus de position dominante, alors qu’elle va considérer qu’il s’agit d’une prise de contrôle indirecte d’une entreprise par une autre. De plus, l’affectation du marché communautaire était ici réalisée puisque Gillette est en situation de position dominante dans tous les Etats membres. 126 CJCE, Hoffmann-La Roche contre Commission, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461. 127 Ce qui renvoie nécessairement à la notion d’abus de structure. 54 138. - La commission aboutit donc ici clairement à la sanction d’un abus de position dominante afin d’anticiper les effets futurs d’une opération de concentration. Cette décision prouve donc que l’ex-article 86 TCE est encore utilisé dans le cadre d’opérations de concentration malgré l’entrée en vigueur du règlement de 1989. Car en l’espèce, les conditions posées par le règlement étaient, il semblerait, remplies : il y avait prise de contrôle indirect, et on peut aisément supposer que les seuils étaient atteint du fait de l’importance des sociétés parties à l’opération. L’abus de structure n’a donc nullement perdu de son utilité en 1989. Il sera même utilisé dans d’autres domaines, ce qui tend à prouver que l’arrêt Continental Can ne devait pas être analysé à la seule lumière de ses circonstances. Paragraphe 2/ L’utilisation pluridisciplinaire de la notion « d’abus de structure » 139. - Une fois encore, il s’agit de démontrer l’utilité persistante de la notion d’abus de structure. Deux arrêts vont ici servir à cette démonstration : l’arrêt Tetra Pak128 ainsi que la décision de la Commission dans l’affaire Trans-Atlantic Conference Agreement129. 140. - Tout d’abord, concernant l’arrêt Tetra Pak : il s’agit d’une application de la théorie de l’abus de structure dans le cadre des droits de propriété intellectuelle. La société Tetra Pak, société Tetra Pak Rausing Sa, dont le siège social se situe en Suisse, coordonne la politique d’un groupe d’envergure mondiale, spécialisé dans les équipements utilisés principalement pour le conditionnement du lait dans des emballages cartons. Cette société acquiert en 1986, par le biais du rachat du groupe Liquipak – de nationalité américaine – l’exclusivité de la licence de brevet : cette dernière porte sur un nouveau procédé UHT de conditionnement du lait à longue conservation, fondée sur l’utilisation de rayons ultraviolets. 128 TPICE, Tetra Pak contre Commission, 10 juillet 1990, aff. T-51/89, Rec. P. II-309. Déc. Com, Trans-Atlantic Conference Agreement, du 16 septembre 1998, aff IV/35.134, JO L 95 du 9 avril 1999. 129 55 La Commission, dans une décision du 26 juillet 1988, va considérer que la société Tetra Pak a enfreint l’ex-article 86 TCE. 141. - Le Tribunal, dans son arrêt, va citer la définition de l’abus de position dominante précédemment posée dans l’arrêt Hoffmann-La Roche130. Il va ensuite poursuivre en énonçant que la simple acquisition d’une licence exclusive par une entreprise en position dominante n’est en soit constitutive d’un abus au sens de l’exarticle 86 TCE. Pour que cet article soit applicable, il convient de prendre en considération les circonstances entourant cette acquisition. En l’espèce, ce n’est pas la licence exclusive en tant que telle qui est incriminée, mais l’effet anticoncurrentiel que produit son acquisition. Cette acquisition a renforcé la position dominante de la société Tetra Pak et a retardé l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché, marché sur lequel la concurrence est déjà très fortement réduite. 142. - Elle conclut en édictant que « l’élément décisif dans la constatation du caractère abusif de l’acquisition de la licence exclusive résidait donc spécifiquement dans la position de la société requérante sur le marché en cause ». De ce fait, la société Tetra Pak fut condamnée. Il apparait donc clairement ici que c’est à cause de la position qu’occupe Tetra Pak sur le marché qu’elle fut condamnée, circonstance correspondant bien à la définition de l’abus de structure. L’arrêt, de plus, prend en considération l’atteinte à la concurrence qui est faite. On peut en conclure que si la société Tetra Pak n’avait pas été en situation de position dominante, elle n’aurait pas été condamnée pour avoir acquis cette licence. L’abus de structure est donc clairement utilisé ici. 143. - Puis vient l’affaire Trans-Atlantic. Il s’agit de plusieurs sociétés, opérant dans le secteur du transport maritime, qui ont conclu un accord entre elles : le TransAtlantic Conference Agreement, ci-après dénommé TACA. Ce dernier vient remplacer un ancien accord qui avait été signé, le Trans-Atlantic Agreement (TAA). Les anciennes parties au TAA sont toutes parties au TACA. Après plusieurs échanges entre la 130 Préc. note 126. 56 Commission et les membres de la conférence, l’accord est modifié à plusieurs reprises. Une procédure est engagée par la Commission à l’encontre de ce TACA. 144. - La Commission, après avoir repris la définition de la position dominante donnée par l’arrêt Hoffmann-La Roche, considère que les membres du TACA ont détenu une position dominante collective131 durant trois années consécutives. Elle ajoute que les membres du TACA ont abusé de leur position dominante : ces membres ont, en effet, imposé des restrictions à l’accès aux contrats de services et à leur contenu. Ils ont également modifié la structure concurrentielle du marché de manière à renforcer la position dominante du TACA. La Commission va admettre ici que « l’élimination de la concurrence potentielle peut, dans certains circonstances, avoir un impact économique plus fort que l’élimination de la concurrence effective 132 ». Elle ajoute qu’ « il ressort des points c) et d) de l’article 86 [article 102 TFUE], paragraphe 2, cette disposition ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective ». 145. - Ici se retrouve l’idée d’atteinte à une concurrence effective, d’un abus de position dominante caractérisé alors que les circonstances n’étaient pas directement mentionnés dans l’ex-article 86 TCE. L’abus de structure est une nouvelle fois utilisé ici, dans un contexte différent d’une opération de concentration. Cette notion a donc été utilisée postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement sur les concentrations, ce qui renforce l’idée d’une utilisation persistante. De plus, cette notion continuera à être utilisée en droit interne. 131 Plusieurs entreprises indépendantes détiennent ensemble une position dominante sur le marché en cause ; ces entreprises doivent être unies par des liens économiques. V. notamment CJCE, Gemeente Almelo et autres C/ Enerjiebedrijf Ljsselmij NV, 27 avril 1994, aff. C-393/92, Rec. 1994, p.I-1477, points 42 et 43 des motifs. 132 Point 560 de la décision. 57 Section 2/ L’utilisation multipliée de la notion « d’abus de structure » en droit interne 146. - Le Conseil de la concurrence, désormais Autorité de la concurrence, a, dans un certain nombre de rapports, précisé la manière dont les textes devaient être interprétés et appliqués en théorie133 (Paragraphe 1). Ces rapports sont ensuite censés être suivis dans la pratique (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ L’utilisation théorique de l’abus de structure 147. - Avant 1989, c’est-à-dire avant la rédaction du règlement sur les concentrations, le Conseil de la concurrence était relativement hésitant sur l’application de l’abus de position dominante. En 1987134, le Conseil ne parlait pas d’exploitation abusive, ne caractérisait pas cet abus. Cette absence de définition apparait également en 1988135. 148. - Ce n’est qu’en 1989136 que le Conseil va poser deux conditions afin qu’une pratique soit contraire à l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986137: premièrement, la pratique doit être anticoncurrentielle, c’est-à-dire qu’elle doit limiter le jeu de la concurrence sur un marché situé en aval dudit marché. Deuxièmement, la pratique doit être abusive. Il précise alors qu’ « il peut s’agir de pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’éliminer des concurrents, ou des comportement qu’une entreprise ne pourrait adopter sans compromettre son propre intérêt sur un marché concurrentiel, ou si elle ne disposait pas d’une puissance de domination de marché ». La première partie de cette définition, relative à l’élimination des 133 Notamment l’article L 420-2 du Code de commerce relatif à l’abus de position dominante. Rapport Conseil de la concurrence, 1987, page XIX. 135 Rapport Conseil de la concurrence, 1988, page XXXVII. 136 Rapport Conseil de la concurrence, 1989, p. XXXV. 137 Article disposant qu’ « est prohibée, dans les mêmes conditions, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises : 1. D’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ; […] Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires aisi que dans la rupture des relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. » 134 58 concurrents, renvoie à l’abus de structure, et se trouve donc en opposition avec la seconde partie de la phrase, relative à l’obtention d’avantages injustifiés émanant d’autres entreprises au bénéfice de l’entreprise dominante, et renvoyant à la notion d’abus de comportement. 149. - En 1990138, le Conseil réitère les deux conditions posées précédemment. Il illustre ses propos en prenant l’exemple d’une décision139, décision relative au marché des tuiles et briques en Alsace, dans laquelle il a condamné la pratique mise en œuvre par les sociétés du groupe Sturm, car celle-ci avait pour conséquence de fermer l’accès au marché140. Ces dernières disposaient d’une position dominante et attribuaient aux négociants des remises « de fidélité ». Ces remises avaient pour effet de procurer un avantage financier substantiel aux négociants qui s’engageaient à ne pas commercialiser de produits de substitution. Par cette pratique, les sociétés du groupe Sturm n’obtenaient qu’indirectement un avantage : mais surtout, cette pratique entravait considérablement l’accès au marché pour d’autres concurrents. Le seul objectif des sociétés n’était pas d’obtenir des avantages de la part d’entreprises, mais de clôturer le marché. 150. - Après l’entrée en vigueur du règlement sur les concentrations, la politique du Conseil de la concurrence n’a pas été modifiée, ce qui tend une fois de plus à prouver que l’entrée en vigueur de ce règlement n’a pas eu un effet dévastateur sur l’application de la notion d’abus de structure. 151. - Dans son rapport annuel de 2001, le Conseil précise que les pratiques qui sont généralement qualifiées d’abusives visent à restreindre l’accès de concurrents au marché, ou à exclure des concurrents. Il ajoute que les cas d’abus d’exploitation, c’està-dire les pratiques par lesquelles une entreprise utilise sa position dominante pour pratiquer des prix excessifs, ou refuser d’alimenter des clients sont beaucoup plus rares. 138 Rapport Conseil de la concurrence, 1990, p.XXXVII. Déc. Cons. Conc, n°90-D-27, Relative au marché des tuiles et briques en Alsace, 11 septembre 1990, annexe n°34 p.87. 140 L’illustration de la première partie de la définition est ainsi faite. 139 59 Une fois de plus, la distinction entre abus de structure et abus de comportement est ici faite. Le Conseil reconnait ici l’importance des abus de structure, qu’il sanctionne plus fréquemment que les abus de comportement. 152. - Le conseil va cependant s’atteler, dans son rapport, à lister les pratiques de prix qui ont été qualifiées d’abusives, ainsi que les pratiques de prix n’ayant pas été qualifiées d’abusives. Concernant cette seconde liste, le Conseil considère que le dépôt d’un brevet ainsi que la défense en justice des droits y afférents ne sont pas en euxmêmes abusifs. Mais il émet une réserve pour l’hypothèse dans laquelle les brevets déposés ne seraient pas exploités, ce qui démontrerait que ces derniers n’ont été déposés que pour empêcher les concurrents d’entrer sur le marché141 Le Conseil réalise donc lui aussi la distinction entre abus de comportement et abus de structure, sans nommément la désigner. Cette distinction fut effectivement reprise dans la pratique par les juridictions nationales. Paragraphe 2/ L’utilisation pratique de la théorie de l’abus de structure 153. - Cette distinction apparait d’abord clairement dans la classification des différentes décisions rendues par les juridictions nationales142. 154. - Dans la catégorie des abus de comportement, sont englobées des pratiques telles que la cessation d’approvisionnement, le refus de vente, le refus d’accorder un droit exclusif, l’augmentation des tarifs, conditions de vente discriminatoires etc. Par contre, et il conviendra de revenir sur ce point ultérieurement, est insérée dans cette catégorie des abus de comportement, l’action en justice exercée par une entreprise dominante : or, cette pratique semble plutôt entrer dans le cadre de l’abus de structure. 141 Déc. Cons. Conc., n°01-D-57, Relative à une saisine et demande de mesures conservatoires de la société Advanced Mass Memories à l’encontre des sociétés Iomega Corporation et Iomega internaitonal, 21 septembre 2001. . 142 Sous l’article L420-2 du Code de commerce. 60 Les pratiques visées correspondent donc à des comportements permettant à l’entreprise dominante d’obtenir des avantages de la part d’une autre entreprise, ce qui correspond parfaitement à la notion d’abus de comportement. 155. - Dans la catégorie des abus de structure, ensuite, la liste des pratiques s’avère être plus conséquente. La logique de la définition de l’abus de structure, qui rappelons le, se réfère à « un comportement objectif émanant d’une entreprise dominante qui porte atteinte à la concurrence, qui serait admis de la part d’une entreprise en situation de concurrence normale, mais qui se trouve sanctionné lorsqu’il est le fait d’une entreprise en situation de position dominante143 », est ici respectée. En effet, est insérée dans cette catégorie la pratique de la rétention d’informations. Or, il est évident, dans la pratique, que des entreprises se trouvant en situation de concurrence normale se livrent à ce type de pratique, sans pour autant être sanctionnées. Or, lorsqu’une entreprise en situation de domination se livre à cette pratique, ce sont tous les concurrents ainsi que la structure de la concurrence qui se trouvent atteints, puisque du fait de ce comportement, il devient quasiment impossible d’accéder au marché en cause. La rétention d’informations concernait ici la société France Télécom, qui fut condamnée par la Cour d’appel de Paris, pour s’être réservé l’information concernant les abonnés au détriment de concurrents souhaitant éditer des annuaires professionnels144. Sont ensuite englobées dans cet abus de structure les clauses d’exclusivité : l’insertion de clauses d’exclusivité dans différents contrats est une pratique courante, qui n’est sanctionnée que lorsque cette clause manque de proportionnalité ou de justification. Or, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a sanctionné un engagement d’exclusivité, pourtant limité à un an, avec reconduction tacite mais faculté 143 M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2ème Ed, p. 189, 2003 ; L. VOGEL, G. RIPERT, R. ROBLOT, M. GERMAIN, Traité de Droit Commercial, t 1, Volume 1, LGDJ, 18ème Ed, 2001, n°866 ; J-B BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°200 ; C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, JCP Com., 2003, n°98. ; P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats – Distribution, 2010, n°172 ; M-C GUERIN, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois Pénales Spéciales, 2008, n°61 ; D MAINGUY, M DEPINCE, JL REPAUD, Droit de la concurrence, LITEC, 2010, n°273, p.285. 144 Paris, 7 février 1994, Gaz. Pal ; 1994. 2. 492. 61 de résiliation, sur le fondement d’un abus de position dominante, au motif que le débiteur de la clause était dissuadé de rompre la convention faute d’offre concurrente, l’entrée sur le marché étant rendue impossible145. Or, une fois de plus, l’insertion de la clause d’exclusivité a ici été sanctionnée parce qu’elle émanait d’une entreprise en situation de position dominante, l’insertion de cette clause n’étant pas sanctionnée automatiquement en situation de concurrence normale. Une autre pratique, illustrant cet abus de structure, se rapporte aux délais de livraison. Le Conseil de la Concurrence a en effet considéré qu’un installateur (en l’espèce de presses à fromage), qui du fait d’un brevet se voit conférer l’exclusivité de fourniture de ce type d’appareil, et qui se livre à des manœuvres dilatoires afin de retarder la livraison du matériel à un concurrent, fait une exploitation abusive de sa position dominante en empêchant ce concurrent d’entrer sur le marché146. Dans les faits, ce genre de pratique est également courant et n’est pas sanctionné par les autorités de concurrence. La situation de l’entreprise sur le marché et l’atteinte à la concurrence entrainent une sanction. La réalité décrite ci-dessus se trouve étayée par l’affirmation du Conseil de la concurrence, dans ses différents rapports annuels147. 156. - Le caractère récent des décisions citées en exemple renforce une fois de plus l’hypothèse selon laquelle cette théorie de l’abus de structure est toujours appliquée, après l’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des opérations de concentration d’entreprises. 157. - Conclusion du Titre 2 – La notion d’abus de structure n’a pas perdu de sa vigueur, et sa disparition annoncée lors de l’entrée en vigueur des textes relatifs au contrôle des opérations de concentration n’a pas eu lieu. Utilisée non seulement dans le cadre d’opérations de concentration, mais aussi dans d’autres domaines, cette notion s’est donc considérablement développée et renforcée depuis les années 1980. 145 Com, 12 février 2002, CCC 2002, n°109, obs. MALAURIE-VIGNAL. Cons. Conc, n°97-D-16, Relative aux pratiques de la société Chalôn-Mégard sur le marché de l’installation de fromageries fabricant du fromage reblochon, 11 mars 1997, BOCC 8 juillet 1997. 147 Affirmation selon laquelle les abus de structure se trouvent être en plus grand nombre que les abus de comportement. 146 62 L’année 1989 n’a donc pas constituée un tournant, pris dans l’optique d’un changement radical d’orientation, dans l’application de la notion d’abus de structure, et a même favorisé et permis son extension. Suite à cette stabilisation, la notion d’abus de structure a continué de s’affiner et de se développer jusqu’à devenir une notion incontournable dans le traitement des abus de position dominante. 158. - Conclusion de la Partie 1 – Apparue sous la plume de la doctrine, confirmée, puis affinée par une jurisprudence fondatrice du droit communautaire de la concurrence, la notion d’abus de structure a survécu à sa mort programmée. Cette notion, relativement simple dans son principe, mais complexe quant à sa distinction avec l’abus de comportement, a su au cours du temps s’affirmer pour être considérée à sa juste valeur. Si les textes, et plus précisément l’ex-article 86 TCE, considéraient comme constituant l’exploitation abusive d’une position dominante la mise en œuvre de comportements à l’égard de concurrents, la notion d’abus de structure a, par une interprétation extensive de cet article, permis la sanction de comportements portant directement atteinte à la concurrence. L’appréhension ainsi que la sanction de cette atteinte s’avérant essentielles, le scepticisme affiché par une partie de la doctrine ne semble pas justifié. Mais le développement initié dans les années 1980 ne va pas s’essouffler au cours des années postérieures. Actuellement, la notion d’abus de structure continue de s’affiner, de s’étendre à d’autres domaines, et les critiques tenant à considérer que sa seule existence est liée au contrôle des opérations de concentrations semblent considérablement se réduire. 63 PARTIE 2/ L’utilisation actuelle de la notion « d’abus de structure » 159. - Si la notion d’abus de structure s’est affinée, elle continue cependant d’évoluer. Indépendamment de tout lien avec le contrôle des opérations de concentration, c’est par l’imposition de nouveaux critères d’application (Titre 1) que la jurisprudence redessine les modalités de son application. Ces importantes évolutions l’ont dotée d’une portée nouvelle, ce qui tend à rendre son maintien inévitable (Titre 2). Titre 1/ La redéfinition des critères d’application de la notion « d’abus de structure » 160. - La notion d’abus de structure, afin d’être en harmonie avec les évolutions de la pratique et de maintenir sa légitimité, a du évoluer. Cette évolution apparait au travers d’une définition plus complète de la notion (Chapitre 1), voire d’un enrichissement de cette dernière, et dont il conviendra d’examiner l’impact lors de l’application de la notion (Chapitre 2). Chapitre 1/ Une définition plus complète de la notion « d’abus de structure » 161. - La définition de l’abus de structure va s’enrichir à deux égards : d’abord, la condition de « comportement anormal » qui avait été introduite par l’arrêt Hoffmann-La Roche148 fait l’objet d’incertitudes (Section 1). Ensuite, les entreprises en situation de position dominante se voient chargées d’une obligation particulière, celle de ne pas porter atteinte à la structure de la concurrence (Section 2). 148 Préc. note 126. 64 Section 1/ Les incertitudes quant à la condition de « comportement anormal » 162. - La notion d’abus de structure est-elle toujours appliquée dans la lignée de l’arrêt Hoffmann-La Roche ? La nécessité d’un comportement anormal de l’entreprise comme critère de l’abus est-elle toujours exigée ? L’arrêt rendu par le Tribunal de Première Instance des Communautés Européenne, ITT Promedia C/ Commission149, ainsi que l’arrêt British Airways Plc C/ Commission150 offrent une grille de lecture de la notion telle qu’elle a été affinée par la jurisprudence. Il conviendra donc d’en rappeler le contexte (Paragraphe 1) et la portée (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ Le contexte des arrêts ITT Promedia et British Airways 163. - Tout d’abord, l’arrêt ITT Promedia. La société ITT Promedia NV est une société de droit belge. Ses principales activités sont relatives à l’édition d’annuaires téléphoniques commerciaux, en Belgique. Par une loi belge, de 1930, la Régie des télégraphes et téléphones (RTT) s’est vu octroyer le droit exclusif de gestion des télécommunications, incluant la publication d’annuaires téléphoniques ; elle avait également la possibilité d’autoriser des tiers à publier des annuaires, toujours en Belgique. RTT fut ensuite transformée en entreprise publique autonome, Belgacom. Le droit exclusif attribué anciennement à la RTT fut supprimé en 1994. Désormais, toute entreprise qui souhaitait éditer des annuaires devait recevoir une habilitation de la part de l’Institut Belge des services Postaux et des Télécommunications (IBPT). 164. - Un premier accord avait été conclu, en 1969, entre la RTT et NV Promedia. La RTT lui conférait le droit exclusif de publier des annuaires sur la base de données qu’elle lui fournirait151. Après plusieurs échecs de négociations, Belgacom décide de mettre un terme, en 1994, à sa coopération avec ITT Promedia. Entre temps, ITT 149 TPICE, ITT Promedia C/ Commission, 17 juillet 1998, aff. T-111/96, Rec. p. II-2937. CJCE, British Airways C/ Commission, 15 mars 2007, aff. C-95/04 P, Rec. TPICE 2003, II, 5917. 151 Cet accord fut renouvelé en 1985, attribuant l’exclusivité pour une période de 10 ans. 150 65 Promedia avait introduit un recours tendant à l’annulation de l’article 45 de la loi belge de 1993152. Après un certain nombre d’épisodes judiciaires, Belgacom et ITT Promedia concluent un nouvel accord portant sur la fourniture des données-abonnés : cette dernière obtient une habilitation provisoire qui aura vocation à devenir définitive dès lors que des conditions financières équitables, raisonnables et non discriminatoires seraient appliquées. 165. - La société ITT Promedia va cependant déposer plainte auprès de la Commission, contre Belgacom, pour violation de l’ex-article 86 TCE. Cette dernière estimait que Belgacom avait abusé de sa position dominante153. La Commission, dans sa décision du 21 mai 1996, a considéré que les différentes actions en justice intentées par Belgacom l’avaient été uniquement dans l’objectif de faire valoir ses droits. Le Tribunal rejette le recours et se rallie donc à la solution de la Commission, selon laquelle le fait d’intenter une action en justice n’est pas abusif en soi, mais peut le devenir dans des circonstances exceptionnelles. Celles-ci renvoient à l’hypothèse où « une entreprise en position dominante intente des actions en justice i) qui ne peuvent pas être raisonnablement considérées comme visant à faire valoir ses droits, et ne peuvent dès lors servir qu'à harceler l'opposant, et ii) qui sont conçues dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence». Il conviendra de discuter de cette solution ultérieurement. 166. - Ensuite, l’arrêt British Airways154. BA est la plus grande compagnie aérienne du Royaume-Uni. Cette dernière a conclu avec les agents de voyage établis sur ce territoire des accords ouvrant droit à une commission de base sur les billets de transport, sur les vols organisés par BA et traités par ces agents. Ces commissions comprenaient 152 Article instituant le système d’habilitation. Entre autres, en communiquant aux clients actuels ou potentiels d’ITT Promedia des fausses informations (trompeuses et diffamatoires), en refusant de lui fournir des conditions équitables, en imposant des prix excessifs pour les ventes des données-abonnés, ainsi qu’en engageant des procédures contre elle à des fins vexatoires. 154 Voir à ce sujet, L. GRARD, Abus de position dominante : récompenser l’agent de voyage sans évincer le concurrent, Revue de Droit des transports n°4, mai 2007, Comm.87. 153 66 également trois systèmes de primes de résultat. Ces accords permettaient à certains agents de voyage de recevoir des gratifications en plus de la commission de base155. 167. - En 1998, Virgin Atlantic Airways Ltd saisit la Commission d’une plainte concernant ces accords commerciaux et visant plus particulièrement un troisième système de prime de résultat. En 1999, la Commission rend la décision litigieuse et considère que BA a abusé de sa position dominante sur le marché des services des agences de voyages aériens. Ces pratiques de fidélité auraient pour conséquence d’évincer les concurrents de BA au Royaume-Uni. BA introduit alors un recours, en 1999, contre cette décision. La Cour de Justice rejette le pourvoi et considère, entre autre, que les avantages attribués aux agents de voyage ne reposent pas sur une prestation économique les justifiant, qu’ils restreignent leurs possibilités de vendre leurs services aux compagnies aériennes de leur choix, ce qui entrave nécessairement l’accès des autres compagnies aériennes au marché des services de voyage. Ces deux arrêts semblent dénoter avec la condition de comportement anormal qui avait été posée. C’est pourquoi ils amènent à se questionner quant à cette condition et plus précisément quant à son existence. Paragraphe 2/ La portée des arrêts ITT Promedia et British Airways quant à la condition de « comportement anormal » 168. - Les deux arrêts précédemment étudiés, les arrêts ITT Promedia et British Airways, condamnaient un abus de structure. En effet, dans l’arrêt ITT Promedia, fut considéré comme abusif le fait, pour une entreprise en situation de domination, d’intenter une action en justice contre un concurrent. Dans l’arrêt British Airways, cette dernière fut condamnée pour avoir octroyé à des agents de voyage des primes de fidélité156. 155 Notamment une prime de résultat calculée selon un barème progressif fixé en fonction de l’évolution des recettes. 156 Il convient de préciser que ce système de rémunération n’est absolument pas interdit pas les textes. 67 Dans les deux cas, il était question d’un comportement, mis en œuvre par une entreprise en situation de domination ; or, ces comportements sont considérés comme totalement licites lorsqu’ils émanent d’une entreprise en situation de concurrence normale. La possibilité d’intenter une action en justice, en effet, logiquement, constitue un droit, et le système de rémunération des agents commerciaux se fait traditionnellement par voie de commissions157. De ce fait, ils correspondent bien à la définition de l’abus de structure. 169. - A la lecture de ces arrêts, une interrogation apparait : à quoi renvoie la condition de « comportement anormal » posée dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, et qu’elle est son utilité ? 170. - Il est traditionnellement admis que le comportement anormal désigne un moyen disproportionné par rapport à la satisfaction légitime des intérêts de l'entreprise en position dominante158. Or, l’abus de structure n’est pas sanctionné subjectivement, en regard des éléments intrinsèques de l’entreprise, mais bien par rapport à l’atteinte qui est portée à la concurrence, c’est-à-dire à l’effet du comportement. Si la conséquence du recours à la théorie de l’abus de structure est que certains comportements, admis lorsqu’ils émanent d’entreprise en situation de concurrence normale, sont sanctionnés parce qu’ils émanent d’une entreprise dominante, qu’elle est l’utilité de cette condition de comportement anormal ? 171. - Au regard des arrêts cités plus haut, doit-on considérer alors que les comportements mis en œuvre par les entreprises étaient anormaux ? Est-ce anormal d’intenter une action en justice ? Il semblerait que non. En revanche, il n’est pas normal d’intenter une action en justice dans le but de nuire. Est-ce anormal de rémunérer des 157 V. notamment article L134-1 et s. du Code de commerce. Entre autres, v. R. BOUSCANT, La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit européen, RTD Eur, 2000, p. 67 ; B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN, L. VOGEL, Droit commercial européen, DALLOZ, Précis, 1994, p.442. En ce sens, CJCE, Akzo Chemie BV c/ Commission, Rec. P.I-3455, dans lequel la Cour indique qu’une entreprise en position dominante n’a aucun intérêt à pratiquer des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, si ce n’est celui d’éliminer ses concurrence, puisque chaque vente entraine pour elle une perte (attendu 71). 158 68 agents de voyage par des commissions ? Il semblerait que non, et ici BA ne fut sanctionnée que parce qu’elle se trouvait en situation de position dominante. Il peut aussi être fait référence à l’arrêt Tetra Pak159. En effet, cette société avait été sanctionnée, du fait de l’acquisition d’une licence exclusive, uniquement du fait de sa position dominante. Pourtant, acquérir une licence exclusive n’est pas un acte anormal. 172. - Alors, faut-il considérer que l’acte est anormal simplement parce qu’il émane d’une entreprise en situation de domination ? Ce ne sont pas les termes de l’arrêt Hoffmann-La Roche, qui renvoyait à des « moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale ». Mais dans les trois arrêts cités, ne faut-il pas considérer que les entreprises sanctionnées n’avaient pas eu recours à des moyens différents de ceux gouvernant une compétition – action en justice, acquisition d’une licence exclusive, rémunération d’agents de voyage ? 173. - Au vu de ce qui vient d’être exposé, il parait donc légitime de s’interroger sur le point de savoir où se trouve l’anormalité du comportement. Une entreprise en situation de position dominante doit nécessairement garder une certaine marge de manœuvre, car après tout, elle est une entreprise presque comme les autres, et elle doit agir en vue de maintenir son activité. Il peut donc être raisonnablement envisagé que l’application de la notion d’abus de structure ne se fasse plus nécessairement dans la lignée de l’arrêt Hoffmann-La Roche. Cette condition de « comportement anormal » n’apparait pas clairement, et ce dans différents arrêts. Le caractère plus complet de la définition de l’abus de structure va également trouver sa source dans une obligation mise à la charge des entreprises dominantes. 159 Préc., note 128. 69 Section 2/ La « responsabilité particulière » pour l’entreprise dominante de ne pas porter atteinte à une concurrence effective 174. - Cette « responsabilité particulière » va être dégagée par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans l’arrêt Michelin160 (Paragraphe 1). L’instauration de cette responsabilité semble correspondre en définitive à ce qui est sous-entendu dans la théorie de l’abus de structure : elle semble donc refléter une conception objective de l’abus (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ L’étude de l’arrêt Michelin 175. - La société NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin (NBIM), située aux Pays-Bas, est une filiale de la Compagnie générale des établissements Michelin, située en France. Elle a pour activité l’écoulement des pneumatiques Michelin aux Pays-Bas. 176. - En juillet 1977, la Banden-Groothandel Friescheburg BV, revendeur de pneumatiques, dépose une plainte, auprès de la Commission, contre la NBIM. Elle demande à ce que cette dernière soit condamnée pour abus de position dominante161. En novembre 1978, la Commission informe la NBIM qu’elle continue son enquête sur les comportements qu’elle met en œuvre en matière de remises et de bonus. Après avoir auditionné la société NBIM, la Commission adopte une décision, le 7 octobre 1981162 dans laquelle elle considère que la NBIM a abusé de sa position dominante sur le marché des pneus neufs et de remplacement. En décembre 1981, la NBIM introduit un recours afin d’obtenir l’annulation de la décision rendue par la Commission. 160 CJCE, NV Nederlandsche Banden Industrie Michelin C/ Commission des Communautés européennes, 9 novembre 1983, aff. 322/81, Rec. 1983 p. 3461. 161 Il lui été reproché d’une part, la prise de contrôle de la société Actor Nv, revendeur de pneus, et d’autre part certains comportements de la NBIM à l’encontre de revendeurs, notamment en matière de remises et de bonus. 162 Affaire 322/81, Michelin C/ Commission, Rec. 1983, P. 3461. 70 177. - La Cour de justice rend donc sa décision en novembre 1983 : elle annule l’article 1er de la décision de la Commission, mais rejette le recours en ce qui concerne tous les autres fondements. Elle condamne également la requérante au paiement d’une amende s’élevant à 300 000 euros. Elle affirme dans sa décision que la NBIM est en situation de position dominante aux Pays-Bas. La Cour va expressément citer et se référer à l’arrêt Hoffmann-La Roche163, arrêt qui considère que l’ex-article 86 TCE (article 102 TFUE) est l’expression de l’objectif général assigné par l’article 3, f), du Traité 164, à savoir l’établissement d’un régime assurant une concurrence non faussé dans le marché commun. 178. - L’apport essentiel de cet arrêt se situe au point 57 de la décision : la Cour précise qu’ « en effet, la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, mais signifie seulement qu’il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à un concurrence effective et non faussée dans le marché commun ». Quant à l’abus de position dominante de la société NBIM, il sera caractérisé par la Cour du fait de pratiques de remises et de bonus. 179. - Mais c’est ce point 57 de la décision qui a attiré l’attention. La Cour commence simplement par rappeler que ce n’est pas la position dominante en soi qui est sanctionnée, mais bien l’abus qui en est fait. Ce principe est contenu dans l’article 102 TFUE lui-même, puisqu’il ne sanctionne que « l’exploitation abusive d’une position dominante ». Elle va ensuite en déduire un principe, une responsabilité du fait de cette position dominante. Puisque celle-ci n’est pas sanctionnable ni sanctionnée en ellemême, les entreprises se voient alors attribuer une « responsabilité particulière ». 163 Point 29 de la décision. Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu'il est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ». 164 71 C’est la première fois, en jurisprudence165, que de tels termes sont utilisés. Cependant, nul besoin de considérer ces termes comme une évolution majeure dans le traitement des abus de position dominante : ils ne correspondent en effet qu’à ce qui est sous-entendu dans la notion d’abus de structure. Paragraphe 2/ La portée de l’arrêt Michelin : une conception objective de l’abus 180. - Cette « nouvelle166 » « responsabilité particulière » ne constitue pas un changement majeur dans le traitement des abus de position dominante. Il convient de rappeler que l’abus de structure vise un comportement, admis lorsqu’il émane d’une entreprise en situation de concurrence normale, mais sanctionné lorsqu’il est le fait d’une entreprise en situation de position dominante. Ce comportement porte nécessairement atteinte à la concurrence puisque c’est la raison même de sa sanction, sachant qu’il est considéré comme abusif dès lors qu’il émane d’une entreprise en situation de domination. Les termes de « responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective » ne sont donc que l’expression de la théorie de l’abus de structure. 181. - Cela rejoint la vision exprimée par le Professeur Catherine PRIETO167. L’auteur considère en effet que du fait de cette décision, « la conception objective de l’abus a été éclairée par la Cour ». L’auteur poursuit en précisant que des pratiques, banales en temps normal, prennent une dimension particulière lorsque, sur le marché en cause, la concurrence n’est plus aussi ouverte. De ce fait, l’entreprise dominante se doit de laisser un degré suffisant de concurrence afin que celle-ci soit efficace. 165 Ce principe de « responsabilité particulière » n’est pas non plus évoqué dans les textes. Seul le terme de « responsabilité » semble être nouveau, l’idée dégagée dans l’arrêt n’étant elle pas nouvelle. 167 C. PRIETO, Abus de position dominante, J-CL Eur, Fasc. 1423, n°6, 2010. 166 72 On pourrait considérer, il est vrai, que cette « responsabilité particulière » mise à la charge des entreprises dominantes constitue la contre partie de leur position dominante. Ce n’est pas la position dominante en elle-même qui est sanctionnée. Celleci est en effet tolérée et admise ; et c’est parce que les textes tolèrent qu’une entreprise soit en situation de domination que cette dernière doit assumer cette responsabilité. Dès lors que l’entreprise se dédouane de cette responsabilité, elle est sanctionnée. Cependant, on l’a vu168, les entreprises dominantes sont sanctionnées, même lorsqu’elles adoptent un comportement tout à fait normal. Les comportements des entreprises dominantes sont donc quasiment sanctionnés per se. 182. - Aussi, comment une entreprise en situation de domination pourrait-elle ne pas porter atteinte à une concurrence effective ? Sur ce point, il a d’ailleurs été reproché aux autorités communautaires de provoquer une insécurité juridique à l’encontre des entreprises dominantes qui ne savaient plus quel comportement adopter169. 183. - Les termes de l’arrêt Michelin ont cependant été repris par la suite, et ce à plusieurs reprises. Tout d’abord, ils seront repris dans l’arrêt Gillette170 : « une entreprise en position dominante a une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun ». Puis, c’est l’arrêt Compagnie maritime belge de transport171 qui les reprendra également par la suite172. Enfin, le Conseil de la concurrence (désormais Autorité de la concurrence), réitère ces termes dans l’une de ses décisions173. 168 2ème partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, Paragraphe 2. V. C. PRIETO, Préc. note 167, n°7. 170 Préc., note 124, point 23. 171 CJCE, Compagnie maritime belge de transport, 16 mars 2000, Aff. Jointes C-395/96 et C-396/96 P, Rec. 2000, p. 1365, point 37. 172 Voir aussi : TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar C/ Commission, point 112 ; TPICE, 30 septembre 2003, aff. T-203/01, Michelin C/ Commission, point 97, Rec. CJCE 2003, II, p. 4071 ; TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft C/ Commission, point 299, Rec. CJCE 2007, II, p. 3601 ; TPICE, 30 janvier 2007, aff. T-340/03, France Télécom, point 59 ; TPICE, 10 avril 2008, aff. T-271/01, Deutsch Telekom, point 122, Rec. CJCE 2008, II, p. 477. 173 Décis. Cons. conc. no 03-D-09 du 14 févr. 2003. 169 73 Cette idée de « responsabilité particulière » n’apporte donc pas une grande nouveauté ; elle vient même « réactiver » la notion d’abus de structure. La définition de l’abus de structure se donc trouve affinée et précisée. Quelles sont alors les conséquences, dans l’application pratique de la notion d’abus de structure, d’une telle définition ? Chapitre 2/ Les conséquences dans l’application pratique de la notion « d’abus de structure » 184. - L’enrichissement de la notion d’abus de structure conduit nécessairement à s’interroger sur sa réception par la jurisprudence et sur ses conséquences dans l’appréciation de l’abus en droit de la concurrence. Quels sont les critères utilisés par les autorités de concurrence ? Comment appréhendent-elles cette notion (Section 1) ? Les évolutions qu’a connues la notion ne risquent-elles pas, à terme, d’aboutir à une sanction quasi-automatique de la position dominante (section 2). Section 1/ Les critères d’application de la notion « d’abus de structure » par les autorités de concurrence 185. - La notion d’abus de structure évolue, son application doit donc nécessairement évoluer. Il est cependant regrettable que l’atteinte aux consommateurs ne soit pas prise en compte par les autorités de concurrence. Même si dans l’arrêt United brands174, le mot « consommateur » était inscrit, le dommage aux consommateurs n’a que très peu été pris en compte de façon directe par la suite lors du contrôle des abus de position dominante (Paragraphe 1). Par ailleurs, la Commission, dans sa récente orientation aux fins d’application de l’ex-article 82 TCE175, est venue « renouveler » la notion d’abus. 174 CJCE, United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission, 14 février 1978, aff 22/76, Rec p.207. 175 Communication de la Commission : Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du Traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominante, JO C 45 du 24 février 2009, p.7-20. 74 Paragraphe 1/ L’absence de prise en compte directe du dommage causé aux consommateurs 186. - Le terme de « consommateurs » apparait dans l’arrêt United Brands176. Il n’est au surplus que très peu utilisé dans les décisions rendues par les autorités de concurrence. Cette absence de référence aux consommateurs se comprend aisément au vu de la définition de la notion d’abus de structure ainsi que de l’objectif de la sanction des abus de position dominante. 187. - En effet, il n’est plus à prouver ni à expliquer que les comportements abusifs ne trouvent pas d’autre justification que l’élimination des concurrents effectifs ou potentiels177, ni que l’abus de position dominante s’apprécie au regard de l’atteinte à une structure de concurrence effective178. 188. - L’accent est donc mis, comme étudié précédemment, sur l’atteinte à la structure de la concurrence, l’atteinte à une concurrence effective, l’élimination des concurrents actuels ou potentiels ainsi que sur des comportements faussant le jeu de la concurrence. C’est également le cas à la lecture des textes179, car aucun des exemples de pratiques abusives mentionnées ne fait référence aux consommateurs, la liste n’étant certes pas exhaustive. Il aurait donc été inadapté que de faire sans cesse référence au dommage causé par la pratique aux consommateurs. 189. - Deux conceptions sont ici envisageables : soit, le dommage aux consommateurs n’est nullement pris en compte par les autorités de concurrence, soit il est effectivement pris en compte mais simplement non mentionné dans les différents arrêts. 176 Préc. note 174. C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., Fasc. 260, n°99, 2003. 178 C. PRIERO, Abus de position dominante, J-CL Europe, Fasc. 1423, n°4, 2011. 179 Article 102 TFUE et L420-2 du Code du commerce. 177 75 La première conception semble devoir être écartée : en effet, le dommage aux consommateurs est nécessairement pris en compte, car il découle de l’atteinte qui est faite aux concurrents. 190. - La situation de domination d’une entreprise touche plusieurs opérateurs : en premier lieu, elle touche les concurrents, qu’ils soient actuels ou potentiels, car ils peuvent de ce fait éprouver des difficultés à se maintenir sur le marché en cause, ou encore éprouver des difficultés en entrer sur le marché en cause. Dans un second temps, la situation de domination touche les consommateurs. Au final, ce sont bien les consommateurs qui souffrent de cette situation puisque l’absence de diversification de l’offre réduit leurs possibilités de choix lors des achats qu’ils effectuent. Les consommateurs sont donc nécessairement « impactés », que ce soit au niveau de la réduction des offres ou au niveau des tarifs pratiqués par les entreprises. Car une entreprise dominante, seule sur un marché en cause, n’a aucun intérêt à baisser ses tarifs dans un premier temps. Elle va probablement ensuite le faire lorsqu’un concurrent tentera d’entrer et de se maintenir sur le marché : ce dernier, supportant des coûts importants du fait du commencement de son activité, ne sera pas à même de s’aligner sur les tarifs extrêmement faibles que pourraient réaliser l’entreprise dominante. 191. - Aussi, étant donné l’impact inévitable de la situation concurrentielle sur les consommateurs, pourquoi ne pas y faire plus ample référence dans les arrêts ? D’autant plus que, comme le souligne très justement M. Catherine GRYNFOGEL, « c’est en ce sens que des comportements parfaitement légitimes en eux-mêmes et ne causant aucun préjudice aux autres opérateurs économique évoluant sur le même marché, clients et fournisseurs, peuvent être constitutifs d’un abus de structure180 ». 192. - Outre la question récurrente de savoir pourquoi sanctionner une entreprise si aucun préjudice n’est causé à aucun opérateur, il convient de savoir pourquoi il n’y a pas de sanction sur le fondement d’une atteinte aux consommateurs ? 180 C. GRYNFOGEL, Abus de position dominante, J-CL Com, Fasc 268, n° 94, 2002. 76 L’atteinte à la structure de la concurrence, à une concurrence effective, ainsi que l’atteinte aux consommateurs se complètent. Pourtant, il pourrait être opérée une référence directement au dommage causé aux consommateurs. Ce n’est visiblement pas la voie qui a été choisie par les autorités de concurrence. La récente communication de la Commission semble persévérer dans la voie d’une prise en compte unique des concurrents. Paragraphe 2/ Le renouvellement de la notion « d’abus de structure » par la Commission Européenne 193. - Par une communication de 2009181, la Commission a rendu publique ses orientations sur l’application de l’ex-article 82 CE aux pratiques d’éviction. 194. - En ce qui concerne l’absence de prise en compte du dommage aux consommateurs soulevée précédemment, Mme. Anne-Sophie CHONÉ la relève précisément, dans son article182 : « Pourtant, si des notions controversées comme la « concurrence par les mérites » ou le « bien-être du consommateur », sont conservées et rappelées dès les propos introductifs, on s'étonnera de ne guère les retrouver par la suite. Leur respect est censé être assuré par les critères posés ensuite pour chacune des pratiques d'éviction. Il n'est donc jamais concrètement vérifié ». L’auteur considère ensuite que la Commission vient « renouveler la notion d’abus ». 195. - La Commission, par sa communication, semble adopter définitivement « l’approche par les effets183 », consistant à qualifier l’abus par l’examen concret de l’effet anticoncurrentiel issu de cette pratique. Cette approche évite de sanctionner une pratique qui ne produit, dans les faits, aucun effet néfaste sur le jeu de la concurrence. Elle implique toutefois des analyses économiques complexes, donc coûteuses. 181 Préc., note 175. Anne-Sophie CHONÉ, Premiers regards sur les orientations de la commission, Europe, n°3-2009, étude 3. 183 Qui s’oppose à « l’approche par la forme », dite encore « approche per se », consistant à réputer abusives les pratiques adoptant une certaines forme. 182 77 La Commission décide que la qualification d’abus découlera donc désormais de l’effet d’éviction produit. La pratique ne sera donc sanctionnée que si elle exclut un concurrent du marché, ou empêche un concurrent d’y entrer. L’importance ainsi que la durée de la pratique seront prises en compte, et la Commission, conformément à la conception objective de l’abus, précise qu’il n’est nullement besoin de rapporter la preuve d’une intention anticoncurrentielle, mais simplement la preuve d’un plan d’élimination des concurrents. 196. - Dans la recherche d’effets, la Commission précise également que devra être prise en compte la concurrence simplement potentielle. Elle souhaite que l’éviction soit caractérisée de manière concrète afin d’éviter tout retour à une approche classique per se, c’est-à-dire fondée sur une présomption d’effets. Par l’adoption de cette approche, la Commission clarifie les objectifs de la politique de concurrence en exprimant son intention de privilégier la fluidité concurrentielle afin d’aboutir à une variété de l’offre, à une recherche du prix le plus bas ainsi qu’à une meilleure qualité des produits. Est ici visé le bien être des consommateurs : cependant, comme Mme. Anne-Sophie CHONÉ l’a précisé, la référence y est faite dans des termes généraux et la prise en compte d’une possible atteinte à leur égard se fera au travers de critères posés pour chaque type de pratiques. Un contrôle particulier ne leur est donc pas destiné. 197. - Afin de prendre en compte le bien être des consommateurs, la Commission opte pour le « test du concurrent au moins aussi efficace », mais uniquement pour les pratiques basées sur les prix. Ce test repose sur la présomption irréfragable selon laquelle seule l’éviction de concurrents au moins aussi efficaces nuit aux consommateurs. Ce « renouvellement » de la notion d’abus ne touche donc nullement, ou très partiellement, les consommateurs. Une fois encore, l’ensemble du contrôle est réalisé en fonction des concurrents. Ces critères d’application de l’abus de structure, ainsi que l’esprit et l’évolution de la notion d’abus de structure aboutissent à un résultat qui s’avère insatisfaisant : une sanction systématique de la position dominante. 78 Section 2/ Vers une sanction systématique de la position dominante ? 198. - Il apparait clairement désormais que les entreprises en situation de position dominante sont de plus en plus sanctionnées sur des fondements inattendus. De ce fait, la démonstration qui est faite par les autorités de concurrence du lien de causalité entre la position dominante et l’abus semble perdre de sa pertinence (Paragraphe 1). La volonté affichée par les différentes autorités est celle d’une protection de la concurrence : il semble donc intéressant de se positionner du coté des concurrents de l’entreprise dominante, afin de savoir si ce renforcement des sanctions a abouti à plus de protection (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ La démonstration du lien de causalité entre la position dominante et l’abus encore nécessaire ? 199. - Pour plusieurs auteurs, la démonstration qui est faite par les autorités de concurrence du lien entre la position dominante et l’abus de position dominante n’est pas pertinente s’agissant de l’abus de structure184. En effet, ils considèrent que lorsqu’il s’agit de l’abus de structure, le lien de causalité doit être fait entre la position dominante et l’effet anticoncurrentiel. 200. - Or, paradoxalement, le Conseil de la concurrence recherche, dans toutes les hypothèses, si l’entreprise en cause a « utilisé » la position dominante pour éliminer un concurrent ou l’empêcher d’entrer sur le marché. Il a de plus affirmé que « de tels abus ne sont prohibés [...] que pour autant […] qu’ils ont un lien de causalité direct avec [le] pouvoir de domination185 ». La position de ces auteurs est logique : l’abus de structure vise à sanctionner des pratiques mises en œuvre par des entreprises en situation de domination alors même que 184 V. C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., 2033, Fasc 260, n°101 ; R. BLASSELLE, Traité de droit européen de la concurrence, t I, PUBLISUD, 2002, p.251 ; M. Germain et L. Vogel, Traité de droit commercial, LGDJ, 1998, n° 835, p. 656. 185 Rapport Cons. Conc, 1993, p.6. 79 ces pratiques seraient admises si elles émanaient d’entreprises en situation de concurrence normale. De ce fait, le lien entre la position dominante et l’abus, les moyens utilisés, n’est pas pertinente puisque l’abus est quasiment automatique dès lors que la pratique émane d’une entreprise dominante. Si l’effet engendré par le comportement de l’entreprise dominante est donc pris en compte, les autorités de concurrence l’examinent toujours par rapport à la position dominante. 201. - Mme. Catherine GRYNFOGEL a ainsi pu constater, à juste titre, que « des comportements parfaitement légitimes en eux-mêmes et ne causant aucun préjudice aux autres opérateurs économiques évoluant sur le même marché, clients et fournisseurs, peuvent être constitutifs d’un abus de structure186 ». Si le lien de causalité entre la position dominante et l’effet anticoncurrentiel avait été recherché, ce type de sanction, qui aboutit presque à une sanction per se des comportements mis en œuvre par une entreprise dominante, ne serait prononcé que très rarement, voire jamais. Certes, par le contrôle de l’abus en relation avec à la position dominante, le contrôle des effets est aussi effectué ; mais les effets anticoncurrentiels ne sont considérés que comme la conséquence de l’abus, ce qui ne peut être contesté puisque c’est seulement l’abus de la position dominante qui est sanctionné, et non pas la position en elle-même. 202. - Dès lors, il pourrait être opposé à ces auteurs que si le lien de causalité est recherché entre la position dominante et l’effet anticoncurrentiel, cela reviendrait à laisser de coté l’abus pour sanctionner directement la position dominante. Une telle approche est pourtant contraire aux textes, lesquels ne prohibent que « l’exploitation abusive d’une position dominante187 ». Il apparait donc nécessaire de prendre en considération l’abus ainsi que ses effets. Par ce raisonnement, il s’opère cependant un retour au problème initial car si la 186 CHONÉ Anne-Sophie, Premiers regards sur les orientations de la commission, Europe, n°3-2009, étude 3. 187 Article 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce. 80 pratique est mise en œuvre par une entreprise dominante, elle sera nécessairement considérée comme abusive, et il en découlera obligatoirement, pour les autorités de concurrence, un effet anticoncurrentiel188. L’application de la théorie de l’abus de structure par les autorités de concurrence n’est donc pas chose facile, mais cela n’empêche nullement ces autorités de le sanctionner. La question qui se pose désormais consiste à savoir si, conformément aux objectifs fixés par les autorités, les concurrents se trouvent davantage protégés. Paragraphe 2/ Une plus grande protection des entreprises concurrentes ? 203. - Les entreprises concurrentes sont les premières touchées par l’abus qui peut être fait d’une position dominante. D’autant plus que l’ensemble des pratiques citées en exemple dans les différents textes se réfèrent à des comportements pouvant être mis en œuvre à leur encontre. 204. - Lorsqu’une entreprise se trouve être en situation de position dominante sur un marché, les entreprises concurrentes sont confrontées à différents problèmes. Tout d’abord, elles peuvent éprouver de grandes difficultés à entrer sur le marché en cause, du fait notamment des pratiques tarifaires mises en œuvre par l’entreprise dominante. Cet accès au marché peut aussi être rendu difficile par la difficulté que les entreprises concurrentes éprouveront à trouver des partenaires commerciaux : ces derniers obtiendront des conditions plus favorables s’ils traitent avec l’entreprise dominante. Puis, lorsque ces entreprises auront réussi à entrer sur le marché189, elles pourront éprouver des difficultés à se maintenir sur le marché en cause. L’entreprise dominante peut nécessairement adopter des comportements qui sont plus favorables pour les consommateurs, notamment en termes de prix190. 188 Ainsi le problème des sanctions relatives à une pratique n’ayant aucun effet néfaste est toujours présent. 189 Ou lorsqu’elles s’y trouvaient à l’origine. 190 Sans aller cependant jusqu’à abuser de cette position dominante. 81 205. - A ce titre, une double protection est offerte aux concurrents, en théorie. Premièrement, les entreprises concurrentes qui seraient lésées du fait d’un abus de position dominante ont la possibilité de demander à ce que soit sanctionné ce comportement. C’est donc un moyen qui leur est offert afin de faire cesser tout préjudice. Deuxièmement, comme vu précédemment, l’évolution dans le traitement de l’abus de structure aboutit quasiment à une sanction systématique des comportements mis en œuvre par une entreprise concurrence, peu importe l’effet produit et peu importe les moyens mis en œuvre. Par voie de conséquence, caractériser l’abus devient plus aisé. Les recours formés par les entreprises concurrentes ont plus de chance d’aboutir, ce a pour conséquence d’augmenter leur protection. Aboutir à une plus grande protection des concurrents est évidemment l’un des objectifs de la notion d’abus de structure, tout comme la protection de la concurrence. Cette protection se trouve être, au surplus, essentielle au maintien d’une concurrence effective et non faussée dans le marché commun, objectif assigné par l’article 3, f) TCE191. 206. - Conclusion du Titre 1 – Après étude de la redéfinition de la notion d’abus de structure, il ressort que les entreprises dominantes sont de plus en plus sanctionnées, plus nécessairement sur la base du caractère abusif de leur comportement, mais plutôt du fait de leur position dominante en elle-même, ce qui n’est guère satisfaisant. La condition d’un « comportement anormal » semble disparaitre, voire s’estomper, et les entreprises dominantes voient la charge qui pèse sur elles s’alourdir. Cependant, cette redéfinition de la notion d’abus de position dominante n’a pas pour effet d’enlever toute utilité ni légitimité à la notion d’abus de structure. D’abord, elle permet de sanctionner des comportements qui ne sont pas sanctionnables sur un autre fondement. Cette constante évolution aboutit ensuite à plus d’efficacité dans 191 Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu'il est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ». 82 l’application de la notion, ce qui amène donc de l’efficacité dans la protection de la concurrence. Le maintien de la notion d’abus de structure est donc fortement souhaitable et semble même inévitable. Titre 2/ L’inévitable maintien de la notion d’abus de structure 207. - La théorie de l’abus de structure a trouvé, depuis l’année 1992, un souffle nouveau. En étant son « nouvel avatar192 », la théorie des facilités essentielles fait désormais partie intégrante de la notion d’abus de structure (Chapitre 1). Au demeurant, une telle réception n’accrédite pas à elle seule la nécessité de maintenir la notion. Il conviendra donc de vérifier cette hypothèse, en discutant de l’opportunité de son maintien (Chapitre 2). Chapitre 1/ La théorie des infrastructures essentielles : « nouvel avatar » de « l’abus de structure » 208. - La théorie des facilités essentielles est désormais une notion bien connue et couramment utilisée par la jurisprudence, tant nationale que communautaire. La qualification de « nouvel avatar de l’abus de structure » reflète l’insertion de cet abus dans la théorie des facilités essentielles. Cette dernière apparait distinctement dans deux situations. Tout d’abord, une entreprise dominante peut refuser l’accès à une infrastructure essentielle, un tel comportement étant bien évidemment sanctionné (Section 1). Puis, si l’entreprise dominante autorise l’accès à cette infrastructure, elle peut le faire en mettant en œuvre une pratique dite de « ciseau tarifaire », pratique elle aussi sanctionnée (Section 2). 192 L. VOGEL, Droit français de la concurrence, JCP E, n°3, 15 Janvier 1998, p. 73. Définition « d’avatar » : Métamorphose, transformation ; Source Le nouveau petit Robert de la langue française, 2010. 83 Section 1/ Le refus de mise à disposition d’une infrastructure essentielle par une entreprise dominante 209. - La théorie des facilités essentielles – ou essential facilities – est une notion récente et constitue aujourd’hui la principale application de la notion d’abus de structure. C’est pourquoi, une présentation de cette théorie s’avère essentielle (Paragraphe 1) afin de comprendre son application actuelle (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ Présentation de la théorie des facilités essentielles 210. - Cette théorie, empruntée au droit américain, apparait en droit communautaire en 1992 à l’occasion de la décision Sealink193 rendue par la Commission, et de façon plus convaincante en 1993, dans l’affaire Port de Rodby194, dans laquelle la Commission définit une facilité essentielle comme étant « une installation ou une infrastructure sans laquelle des concurrents ne peuvent pas fournir de services à leur clients ». 211. - Cette théorie apparait ensuite en droit français avec l’affaire Héli-Inter Assistance195 : dans cette affaire, la société Héli-Inter Assistance détenait un monopole sur le marché de l’exploitation d’une hélistation. Une société concurrente de cette dernière s’est vu attribuer le marché de fourniture de transport sanitaire héliporté par le centre hospitalier de Narbonne. L’appareil de la société concurrente, la société Jet Systems, devait rester à disposition du centre hospitalier, conformément à l’accord qui avait été signé entre eux. La société Jet Systems était donc dépendante de la société Héli-Inter Assistance pour le stationnement de l’appareil ainsi que pour l’ensemble des services y afférents. La société Héli-Inter Assistance communique à la société Jet Systems des tarifs d’utilisation des services de l’héliport excessifs. 193 Déc. Com. CE., Sealink contre B&I, 21 décembre 1993, JO L 15 du 18 janvier 1994, p. 8-19, 123 final, point 41. 194 Déc. Com. CE, Port de Rodby, 21 décembre 1993, JOCE n°L 55, 26 février 1994, p. 52-57. 195 Décision Cons. Conc., SARL Héli-Inter Assistance, n°96-D-51, 3 septembre 1996, BOCC 8 janvier 1997, p.3. 84 Le Conseil de la concurrence va alors considérer que la société Héli-Inter Assistance abuse de sa position dominante sur le marché de l’exploitation de l’hélistation dans la mesure où « lorsque l’exploitant monopolistique d’une infrastructure essentielle est en même temps le concurrent potentiel d’une entreprise offrant un service exigeant le recours à cette facilité, cet exploitant peut restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval du service en abusant de sa position dominante […] en établissant un prix d’accès injustifié à cette facilité ». Il considère donc que « constituerait une pratique […] prohibée par l’article 8 […] le fait, pour l’exploitant d’une structure essentielle, de refuser de façon injustifiée l’accès à cette dernière à ses concurrents ou de ne permettre cet accès qu’à un prix abusif, non proportionné à la nature et à l’importance des services demandés, non orientés vers les coûts de ces services et non transparent, leur interdisant ainsi de faire des offres ou de réaliser des marchés dans des conditions compétitives avec les siennes ; que, de même, constituerait une pratique anticoncurrentielle le fait pour l’opérateur d’une structure essentielle de mettre en œuvre une discrimination de prix visant à s’imputer des charges d’accès à la structure qu’il gère moindre que celles qu’il tarifie à ses concurrents ». 212. - Cette théorie fait l’objet d’une importante application dans le secteur des télécommunications, du fait de la présence non négligeable d’infrastructures lourdes et coûteuses qu’il est difficile de dupliquer. Il est évident que la sanction du refus d’accès à une facilité essentielle remet en cause le droit de propriété196. De ce fait, en raison du caractère exorbitant de ce droit d’accès, la qualification de ressource essentielle est encadrée par des conditions197. 196 V. P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Conditions de validité au regard du droit de la concurrence, JCL Contrats – Distribution, Fasc 1030, n° 180, 2010. 197 CJCE, Oscar Bronner, 26 novembre 1998, aff. C-7/97 ; CJCE, IMS Health, 29 avril 2004, aff. C418/01, CCC 2004, Comm. 128. Conditions : l’infrastructure doit être détenue par une entreprise dominante ; il ne doit pas exister sur le marché d’autres produits ou d’autres services pouvant être substitués à cette infrastructure (absence de solutions alternatives) ; les concurrents de l’entreprise dominante ne doivent pas disposer de solutions équivalentes dans des conditions économiquement raisonnables, même si elles sont moins avantageuses ; il doit exister des « obstacles techniques, règlementaires ou économiques de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute autre entreprise entendant opérer sur ledit marché de créer éventuellement en collaboration avec d’autres opérateurs, des produits ou services alternatifs » (voir CJCE, Oscar Bronner, Préc.). 85 Cette théorie des facilités essentielles fait bien évidemment partie intégrante de la théorie de l’abus de structure198 en ce qu’un refus injustifié d’accès à cette infrastructure, de la part d’une entreprise dominante, constitue un abus de position dominante. Un tel refus d’accès fausse le jeu de la concurrence en ce que de nouveaux opérateurs entrants sur le marché ne peuvent pas convenablement exercer leur activité199. Cette théorie fut appliquée de nombreuses fois, jusqu’à très récemment, et ce dans des domaines très différents. Paragraphe 2/ L’application de la théorie des facilités essentielles 213. - La théorie des facilités essentielles repose sur plusieurs conditions : tout d’abord, l’existence d’une facilité essentielle200. En pratique, ce sont des installations portuaires, des installations de transport ferroviaires201, grands équipements de télécommunications, communications d’interfaces en matière de logiciels informatiques202. Cette facilité essentielle doit être indispensable. Ensuite, l’entreprise concernée doit être en position dominante sur un marché primaire203. Enfin, l’entreprise dominante doit abuser de sa situation. L’abus résulte de la restriction de concurrence sur un marché corolaire du précédent. Deux pratiques sont susceptibles d’être constitutives d’un abus : un refus d’accès non justifié ainsi que des conditions d’accès à des tarifs discriminatoires. 198 V. D.MAINGUY, La discrimination par les prix, RLC, Perspective, Colloque DGTPEConcurrence, 2005. 199 Cette facilité essentielle est en effet essentielle à l’exercice de leur activité pour les concurrents. 200 Celles-ci sont définies en droit de la concurrence comme étant « des installations ou des équipements indispensables pour assurer la liaison avec des clients et/ou permettre à des concurrents d’exercer leurs activités et qu’il serait impossible de reproduire par des moyens raisonnables » ; V. Paris, 9 septembre 1997, Héli-Inter Assistance, Préc. note 195 ; Décision Cons. Conc. n°96-D-80, 10 décembre 1996, à propos d’EDF. 201 Décision Com. CE, 27 aout 2003, n° 2004/33/CE, GVGcFS. 202 TPICE, Microsoft Contre Commission, 15 octobre 2007, aff. T-201/04 : Comm. Com électr. 2007, Comm 67, note M. CHAGNY. 203 Marché sur lequel l’infrastructure essentielle est identifiée. 86 214. - Trois exemples vont ici venir illustrer des applications récentes de la théorie des facilités essentielles, exemples dans lesquels un abus de structure a également été condamné. Le premier arrêt, du 8 février 2000204, a été rendu par la Cour d’appel de Paris. Le contexte était le suivant : aéroport de Paris a conclu avec les hôteliers de la plateforme des contrats de concession dont il retire une redevance dépendant du chiffre d’affaires205. Par la suite, ADP refuse alors l’accès aux infrastructures destinées à informer les passagers aux hôtels de la périphérie. Ces infrastructures correspondaient à des panneaux indiquant les différents hôtels situés aux alentours de l’aéroport. ADP est incontestablement en situation de position dominante sur le marché de l’accès à ces infrastructures essentielles. Concernant l’abus de cette position, il est en l’espèce constitué par le fait qu’ADP offre une prestation de signalisation uniquement aux hôteliers de la plateforme. Or, ces facilités essentielles s’avèrent non substituables et déterminantes pour l’exercice d’une telle activité. ADP s’est donc rendu coupable d’un abus de structure en modifiant les conditions de la concurrence pouvant s’établir entre les hôteliers de la plateforme et ceux de la périphérie. Il fut condamné au paiement d’une amende, et son recours devant la Cour de cassation fur rejeté en 2004. La théorie des facilités essentielles s’accorde donc parfaitement bien avec celle de l’abus de structure : cet arrêt en est l’exemple même. 215. - Le deuxième est une décision rendue par le Conseil de la concurrence, en date du 5 février 2009 : il s’agit de l’arrêt Voyage-sncf206. La SNCF, afin de développer son système de vente de billets de voyage sur internet, a fait appel à une société américaine, la société Expedia. Cette dernière détient l’accès à tous les fichiers clients de la SNCF ainsi que l’exclusivité des ventes promotionnelles. Or, les sites concurrents, d’afin d’obtenir ces informations, devaient obligatoirement acquérir une licence, la licence « Ravel », vendue par la SNCF à un prix élevé. La SNCF et Expedia furent 204 Paris, 8 février 2000, Aéroport de Paris C Association du parc hôtelier de la périphérie de l’aéroport de Paris, Jurisdata 2000-129389. V. M. MALAURIE-VIGNAL et N. REBOUL, Droit de la concurrence, chronique n°VI, LPA, Juillet 2000, n°146, p.5. 205 Aéroport de Paris trouve donc un intérêt dans l’augmentation du chiffre d’affaires réalisé par ces hôtels. 206 Décision Cons. Conc., n°09-D-06 du 5 février 2009, Relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne. 87 condamnées pour abus de position dominante, l’acquisition obligatoire de cette licence pour les sites concurrents créant une distorsion de concurrence. M. Frédéric MARTY207 relève que le Conseil de la concurrence a fait ici usage de la théorie des infrastructures essentielles, sans la nommer expressément. C’est ici le système Résarail qui est considéré comme une infrastructure essentielle, système qui divulgue les informations relatives au trafic ferroviaire et nécessitant donc l’acquisition de la licence « Ravel ». 216. - Le troisième arrêt a été rendu récemment par le Tribunal de Première instance des Communautés Européennes208. Les théories d’abus de structure et de facilités essentielles ont été utilisées dans un contexte inattendu. L’abus de position dominante a été ici appliqué au domaine de la compensation des titres et valeurs mobilières. C’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt de cet arrêt. Le marché en cause était ici celui des services de compensation et de règlement rendus aux dépositaires centraux par des sociétés comme Clearstream. Le tribunal approuve ici la Commission d’avoir décidé qu’il n’existait aucune substituabilité aux services rendus aux dépositaires centraux. Il était en effet reproché à Clearstream un refus discriminatoire de prestation de compensation et de règlement à un dépositaire international, la société Euroclear Bank. Le refus portait sur l’accès direct à un système informatisé209. Deux auteurs210 relèvent qu’est réaffirmé dans cet arrêt le principe selon lequel « il résulte de la nature des obligations imposées par l’article 82 CE [article 102 TFUE] que, dans des circonstances spécifiques, les entreprises en position dominante peuvent être privées du droit d’adopter des comportements, ou d’accomplir des actes, qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient même non condamnables s’ils étaient adoptés, ou accomplis, par des entreprises non dominantes211 ». 207 F. MARTY, L’application de la théorie des facilités essentielles dans la décision « voyagessncf.com » : une analyse économique, RLC, 2009, n°19. 208 TPICE, Clearstream contre Commission, 9 septembre 2009, aff. T-301/04, JO C 256 du 24 octobre 2009, p. 21. 209 Le refus était ici caractérisé par la lenteur de Clearstream dans les négociations en cours. 210 J-B. BLAISE, L. IDOT, Droit européen de la concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, RTD Eur, 2010, p. 647. 211 Point 133 de l’arrêt. 88 Ces termes correspondent précisément à la définition de l’abus de structure. Ici, le système informatisé auquel l’accès à été refusé fut considéré comme étant une facilité essentielle. Le refus ayant été refusé, Clearstream fut condamnée. Une fois de plus, théorie des facilités essentielles et abus de structure se complètent parfaitement. Dans le cadre toujours de ces facilités essentielles, l’entreprise dominante détenant cette infrastructure peut mettre en œuvre une pratique dite de « ciseau tarifaire » à l’égard d’une entreprise souhaitant accéder à cette infrastructure. Section 2/ La pratique dite de « ciseau tarifaire212 » 217. - Cette pratique constitue une pratique tarifaire mise en œuvre par un opérateur verticalement intégré en position dominante sur des marchés de biens intermédiaires. Afin d’éclaircir cette brève définition, une présentation de cette pratique (Paragraphe 1) sera nécessaire. Elle débouchera ensuite sur l’étude de l’utilisation actuelle de la pratique de « ciseau tarifaire », pratique constitutive d’un abus de position dominante (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ Présentation de la pratique dite de « ciseau tarifaire » 218. - La notion de ciseau tarifaire se situe au croisement de plusieurs notions : les prix prédateurs, les prix excessifs et éventuellement le refus de vente. Les autorités de concurrence veillent à ce qu’un opérateur dominant, détenant un bien intermédiaire nécessaire à l’exercice de la concurrence, ne profite pas de sa position en amont pour 212 V. sur ce point : Etude thématique sur les pratiques de ciseau tarifaire, Rapport annuel 2008 de l’Autorité de la concurrence, p. 65 ; D. MAINGUY, M. DEPINCÉ, J.-L. RESPAUD, Droit de la concurrence, LITEC, n°437, p.286, 2010 ; P. ARHEL, Transparence tarifaire et pratiques restrictives, Rép. Com, n°214, 2010 ; Mémento Francis Lefevbre, Concurrence – Consommation, n°1399, p.410, 207-2008 ; P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Conditions de validité au regard du droit de la concurrence, J-CL contrats – distribution, Fasc. 1030, n°177, 2010 ; G. DECOCQ, Ciseau tarifaire, perte subie et existence d’une solution d’approvisionnement alternative, CCC n°5, Comm. 142, Mai 2009 ; C. PRIETO, Généralisation de l’analyse fondée sur les effets, LPA, n°36, p.8, Novembre 2007. 89 augmenter les coûts des concurrents non intégrés, et ainsi les empêcher d’entrer ou de se développer sur le marché aval. 219. - Le fondement juridique de cette pratique est, en droit interne, l’article L420-2 du Code de commerce : la référence y est indirecte puisque cet article vise la discrimination et le refus de vente. En droit communautaire, c’est l’ex-article 82, a), CE : il précise que « ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : a) : imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction inéquitables ». Afin d’apprécier l’effet d’éviction d’une telle pratique, les autorités de concurrence ont recours à un test : le « test de ciseau tarifaire ». 220. - Historiquement, le premier cas de ciseau tarifaire ayant aboutit à une condamnation par la Commission Européenne apparait en 1988213. Mais c’est la décision Deutsche Telekom, rendue par la Commission214, qui définira le mieux l’effet de ciseau tarifaire : « on peut conclure à l’existence d’un effet de ciseau abusif lorsque la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l’opérateur dominante pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché aval ». Cette décision, en se fondant sur les arrêts Hoffmann-La Roche et Tetra pak II215, indique également qu’ « avec la démonstration par la Commission de l’existence d’un effet de ciseau, l’abus de position dominante est donc suffisamment démontré ». 221. - En 2001, le Conseil de la concurrence sanctionne pour la première fois une entreprise en position dominante pour une pratique de ciseau tarifaire216. Le Conseil constate que les tarifs de téléphonie fixe de France Télécom, proposés à Renault, pour 213 Déc. Com, Napier Brown – British Sugar, n°88/518/CEE, 18 juillet 1988, JO L 284 du 19 octobre 1988, pp. 41-59. 214 Déc. Com, Deutsche Telekom, n°2003/707/CE, 21 mai 2003, JO L 263 du 14 octobre 2003, p.9-41. 215 CJCE, Hoffmann-La Roche, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec.1979, p.461, point 91 des motifs ; TPICE, Tetra Pak II, aff. T-83/91, Rec.1994, point 114 des motifs. 216 Déc. Cons. Conc., n°01-D-46, 23 juillet 2001, Relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Telecom à l’occasion d’une offre sur mesure conclue en 1999. 90 les appels à destination de son réseau mobile étaient inférieurs à la charge qu’il facturait aux autres opérateurs pour terminer les appels sur ce même réseau. Il considère alors que l’effet de ciseau tarifaire produit empêche les concurrents de proposer une offre équivalente à celle de France Télécom. 222. - Cette pratique de ciseau tarifaire rend difficile l’entrée et le développement de concurrents sur les marché aval, ce qui a pour conséquence d’ériger des barrières à l’entrée de ce marché. Il y a une éviction des concurrents, et c’est en quoi cette pratique tarifaire constitue un abus de structure. Un opérateur intégré contrôle l’accès à une prestation intermédiaire : même si la jurisprudence n’utilise pas expressément le terme « d’infrastructure essentielle », cela y renvoie nécessairement. 223. - Pour qu’une pratique de ciseau tarifaire soit contraire au droit de la concurrence, il ne suffit pas que le test de ciseau donne un résultat négatif. Il faut également que plusieurs conditions relatives à l’entreprise et à la structure du marché soient remplies. Tout d’abord, l’entreprise doit être en position dominante sur le marché amont. Ensuite, le bien intermédiaire doit être objectivement nécessaire aux opérateurs pour qu’ils exercent une concurrence effective sur le marché aval. Enfin, l’entreprise dominante doit être verticalement intégrée. 224. - Lorsque ces conditions sont remplies, les autorités n’ont plus à démontrer l’existence d’effets réels : l’effet d’exclusion est en effet présumé et la pratique est alors considérée comme abusive. Dans l’affaire Tenor217, la Cour de cassation indique qu’ « une pratique de « ciseau tarifaire » a un effet anticoncurrentiel si un concurrent potentiel aussi efficace que l’entreprise dominante verticalement intégrée auteur de la pratique ne peut entrer sur le marché aval qu’en subissant des pertes ; qu’un tel effet peut être présumé seulement lorsque les prestations fournies à ses concurrents par 217 Déc. Cons. Conc., n° 04-D-48, 14 octobre 2004, Relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom, SFR, Cegetel et Bouygues Telecom. Arrêts de la cour d’appel de Paris du 12 avril 2005 et du 2 avril 2008. Arrêts de la Cour de cassation du 10 mai 2006 et du 3 mars 2009. 91 l’entreprise auteur du « ciseau tarifaire » leurs sont indispensables pour le concurrencer sur le marché aval ». Cette pratique, complexe en apparence, constitutive d’un abus de structure, a été utilisée dans de nombreux secteurs et à plusieurs reprises. Paragraphe 2/ L’utilisation actuelle de la pratique de « ciseau tarifaire » constitutive d’un abus de positon dominante 225. - Quatre arrêts vont ici venir illustrer l’application de cette pratique de ciseau tarifaire. Tout d’abord, la décision Connect ATM218 rendue par le Conseil de la concurrence. Dans cette affaire, le ciseau tarifaire faisait suite à un refus de vente. Connect ATM avait sollicité l’accès à un point de branchement auprès de la société France Télécom. Cette dernière n’avait pas donné suite à la demande. Le Conseil relève qu’il était question en l’espèce d’une infrastructure essentielle219. Afin d’établir ceci, il avait observé que les conditions relatives à la qualification de cette infrastructure étaient remplies220. Le Conseil avait alors sanctionné la société France Telecom. 226. - Ensuite, la Commission, dans un arrêt Telefonica221, condamne cette dernière pour abus de position dominante, après qu’elle ait mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire. La société Telefonica contrôle l’ensemble de la chaine de distribution de l’ADSL en Espagne, principale technologie utilisée pour la fourniture d’accès internet à large bande. Son réseau d’accès local ne pouvant pas être dupliqué, les autres opérateurs souhaitant fournir des services de détail d’accès internet doivent acheter des produit d’accès en gros qui tous s’appuient sur le réseau de Telefonica. En 2003, Wanadoo España va adresser une plainte à la Commission lui rapportant que la société Telefonica comprime les marges sur les marchés espagnols d’accès à internet. Telefonica va être 218 Déc. Cons. Conc., Connect ATM, n°00-MD-01, 18 février 2000. Une référence expresse y est ici faite. 220 L’infrastructure doit être possédée par une entreprise dominante ; l’accès à cette infrastructure doit être strictement nécessaire à l’exercice d’une activité concurrente ; l’infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiquement raisonnables ; l’accès à l’infrastructure est possible. 221 Déc. Com, Wanadoo España C/ Telefonica, 4 juillet 2007, JO C 83 du 2 avril 2008. 219 92 condamnée au paiement d’une amende sur le fondement d’un abus de position dominante. En effet, la Commission va considérer que Telefonica a abusé de sa position dominante : « la marge entre les prix de détail de Telefonica et les prix de gros pour l’accès à large bande tant au niveau régional que national était insuffisante pour couvrir les coûts qu’un opérateur aussi efficace que Telefonica devrait supporter pour fournir des services de détail d’accès à large bande ». Une fois encore, le réseau dont disposait Telefonica peut être qualifié d’infrastructure essentielle. Le lien entre abus de structure et théorie des infrastructures essentielles, au travers de la pratique de ciseau tarifaire, est nouvelle fois réalisé. 227. - Le troisième arrêt permettant, entre autres, d’illustrer cette pratique a été rendu par la Cour d’appel de Paris222. L’affaire concernait la tarification appliquée par les deux sociétés à des entreprises, pour leurs appels depuis leur installation de téléphonie fixe vers les réseaux de téléphonie mobile dépendant de France Telecom et Cegetel. France Telecom et SFR furent condamnées au paiement d’une amende pour abus de position dominante. La Cour d’appel considère que ces entreprises avaient mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire anticoncurrentielle sur le trafic fixe vers SFR des entreprises moyennes ainsi que des grands comptes. Elle ajoute que cette pratique a eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés des appels fixes et mobiles. 228. - Enfin, encore plus récemment, l’utilisation de cette pratique fut réitérée, toujours en relation avec l’abus de structure, dans un arrêt rendu par la Cour de Justice223. La Cour va en effet rappeler que « en l’absence de toute justification objective, est susceptible de constituer un abus au sens de l’article 102 TFUE le fait pour une entreprise verticalement intégrée, détenant une position dominante sur un marché de gros de prestations de raccordement numérique asymétrique intermédiaires, d’appliquer une pratique tarifaire telle que l’écart entre les prix pratiqués sur ce marché et ceux appliqués sur le marché de détail des prestations de connexion à haut 222 CA Paris, SFR et France Telecom, 27 janvier 2011, n°2010/08945. CJCE, Konkurrensverket C/ TeliaSonera AB, 17 février 2011, aff. C-52/09, JO C 103, du 2 avril 2011, p.3-4. 223 93 débit aux clients finals n’est pas suffisant pour couvrir les coûts spécifiques que cette même entreprise doit supporter afin d’accéder à ce dernier marché ». La pratique de ciseau tarifaire est ici directement reliée à l’abus de position dominante, donc à l’abus de structure. 229. - Cette théorie des infrastructures essentielles semble donc parfaitement s’intégrer à celle d’abus de structure. De plus, la pratique de ciseau tarifaire reste relativement difficile à mettre en œuvre pour une entreprise ne se trouvant pas en situation de domination. Il est donc aisé de constater que la notion d’abus de structure est encore pleinement appliquée aujourd’hui. C’est pourquoi, son maintien apparait comme inévitable. Chapitre 2/ L’opportunité du maintien de la notion « d’abus de structure » 230. - Si la notion d’abus de structure est aujourd’hui toujours en vigueur, le recours qui y est fait par les autorités de concurrence n’apparait pas toujours opportun. Il conviendra d’étudier dans un premier temps les avantages liés au maintien d’une telle notion (Section 1) pour, dans un second temps, en étudier les limites (Section 2). Section 1/ Les avantages liés au maintien de la notion « d’abus de structure » 231. - Les avantages de ce maintien s’expriment principalement à l’égard du pouvoir conféré aux autorités de concurrence. Tout d’abord, le recours à cette notion a considérablement accru le pouvoir de contrôle qu’elles détiennent sur les entreprises (Paragraphe 1). De plus, cette notion, comme vu précédemment224, ne cesse de s’étendre à des nouveaux domaines (Paragraphe 2). 224 V. Supra, Partie 1, Titre 2, Chapitre 2 et Partie 2, Titre 2. 94 Paragraphe 1/ Le pouvoir des autorités de concurrence sur le contrôle des entreprises 232. - Avant l’apparition de cette notion, consacrée en 1973 par la jurisprudence avec l’arrêt Continental Can225, il n’existait aucun contrôle des concentrations d’entreprises. Les autorités de concurrence ne se trouvaient donc pas en mesure de pouvoir sanctionner, ni même contrôler des regroupements entre entreprises, alors même que ceux-ci s’avéraient extrêmement néfaste pour la concurrence. Les autorités de concurrence étaient donc dépourvues de tout moyen d’action efficace. 233. - En 1973, lors de la première utilisation de la notion d’abus de structure, et après que celle-ci ait été réitérée dans des arrêts postérieurs, les autorités de concurrence disposent d’un moyen de contrôle et de sanction sur ces opérations de concentration. Les entreprises ne peuvent donc plus impunément se regrouper et ainsi porter atteinte à la structure de la concurrence. 234. - En 1989, lors de l’apparition du règlement sur le contrôle des concentrations226, les autorités de contrôle conservent ce pouvoir, et peuvent ainsi utiliser l’abus de structure dans d’autres domaines. Leur pouvoir est donc conservé. Mais surtout, en dehors de toute opération de concentration, les autorités de concurrence peuvent sanctionner toute atteinte qui est portée à la structure de la concurrence, toute pratique susceptible d’évincer des concurrents ou encore de les empêcher d’entrer sur le marché. 235. - Progressivement, en étendant le domaine d’application de l’abus de structure, elles acquièrent un pouvoir de contrôle de plus en plus grand. Désormais, nul besoin de prouver le comportement anormal requis par la jurisprudence antérieure227. De ce fait, leur pouvoir de sanction sur les entreprises dominantes augmente, puisqu’il est plus facile pour elles de les sanctionner. 225 CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p.215. 226 Règlement n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, Relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JO L n° 395 du 30 décembre 1989, p.1 à 12. 227 CJCE, Hoffmann-La Roche contre Commission, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461. 95 Les entreprises ont donc intérêt à exercer avec justesse leurs activités, sans mettre en œuvre le moindre comportement qui serait susceptible de constituer un abus de structure. En effet, la notion d’atteinte à la concurrence est une notion vaste, qui peut donc être utilisée à l’encontre de nombreux comportements. Les entreprises en position dominante doivent donc faire preuve de diligence ainsi que de bonne foi, non seulement à l’égard des concurrents, qu’ils soient actuels ou potentiels, mais aussi à l’égard des autorités de concurrence elles mêmes. D’autant plus que la notion de structure, de part son caractère général, est préférée à l’abus de comportement par les autorités de concurrence. Ces dernières n’hésitent pas d’ailleurs à utiliser ce caractère général, qui rend nécessairement la notion plus malléable, en ayant recours à l’abus de structure dans des domaines totalement inattendus. Paragraphe 2/ L’extension continue de l’abus de structure à des domaines variés 236. - C’est désormais une évidence : l’objet de l‘abus de structure, tel qu’il était lors de sa création, c’est-à-dire le contrôle des structures, n’est plus du tout le même qu’aujourd’hui. L’évolution de sa définition lui permet d’être utilisée dans des domaines très variés, et les exemples sont nombreux. 237. - Certains ont été précédemment étudiés, comme par exemple la condamnation pour abus de structure d’une entreprise ayant intenté une action en justice228 ou encore la condamnation d’une entreprise, toujours pour abus de structure, ayant rémunéré des agents de voyage229. Un autre exemple, récent et extrêmement surprenant fut également étudié : l’affaire Cleastream230. Dans cette affaire, l’interdiction de l’abus de position dominante, et plus précisément de l’abus de structure, a été appliquée dans le domaine 228 TPICE, ITT Promedia C/ Commission, 17 juillet 1998, aff. T-111/96, Rec. p. II-2937. CJCE, British Airways C/ Commission, 15 mars 2007, aff. C-95/04 P, Rec. TPICE 2003, II, 5917. 230 Préc. note 208. 229 96 de la compensation des titres et valeurs mobilières. Mais en plus d’avoir eu recours à l’abus de structure231, le Tribunal qualifie ces services rendus aux dépositaires centraux d’infrastructures essentielles. Il serait presque envisageable de considérer que l’abus de structure a été doublement qualifié et identifié. 238. - Un avocat, M. Jean-Paul TRAN-THIET232, va faire une proposition aussi surprenante qu’intéressante. Dans l’un de ses articles, il explore la possibilité de transposer la régulation des réseaux233 dans le domaine des relations industriecommerce. Les principaux réseaux soumis à une telle régulation sont ceux de la télécommunication, de l’énergie, des services postaux ainsi que des transports. Cette transposition permettrait en effet de pallier, selon lui, à l’inadaptation des règles de concurrence dans ce domaine. Il va alors se questionner, entre autre, sur la possibilité pour la grande distribution de relever de la régulation des réseaux. Il fait sur ce point une observation tout à fait intéressante. Il va en effet se demander pourquoi l’on ne considérerait pas que les équipements de la grande distribution, c’est-à-dire les linéaires, comme des installations essentielles. Dans la mesure où les distributeurs les utilisent également pour leurs propres besoins, ils doivent assurer une tarification transparente, non discriminatoire et proportionnée aux coûts exposés. Afin que cette hypothèse soit viable, il faut d’abord démontrer que le total des réductions de prix234 ainsi que des redevances exigées au titre de la coopération 231 Que le TPICE a clairement identifié en rappelant qu’ « il résulte de la nature des obligations imposées par l’article 82 CE [article 102 TFUE] que, dans des circonstances spécifiques, les entreprises en position dominante peuvent être privées du droit d’adopter des comportements, ou d’accomplir des actes, qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient non condamnables s’ils étaient adoptés, ou accomplis par des entreprises non dominantes » (point 133 de la décision). 232 J.-P. TRAN THIET, La régulation des réseaux et les relations industrie-commerce, CCC, 1998, n°10, chronique n°11, p.4. 233 La régulation peut être définie ici comme l’ensemble des règles juridiques qui ont été mises en œuvre, au sein de l’Union européenne comme dans plusieurs autres pays, les principaux étant USA, Canada et Australie, pour favoriser l’ouverture à la concurrence d’activités dans lesquelles la possession d’un réseau, indispensable pour assurer la liaison avec les utilisateurs, est considérée comme un avantage si important et si dangereux pour l’équilibre économique qu’il justifie le respect de règles spécifiques destinées, pour protéger l’intérêts final des consommateurs, à permettre l’émergence d’un minimum de concurrence. 234 Rabais, remise, ristourne. 97 commerciale, excède la compensation des coûts supportés par les distributeurs, même assortis d’une marge raisonnable. Il faut de plus mettre en évidence que les marques de distributeurs (MDD) bénéficient d’une situation privilégiée du fait qu’elles ne supportent pas ce type de coûts. Il pourrait lui être rétorqué que les producteurs disposent d’autres alternatives afin de distribuer leurs produits, d’autant plus que l’on compte huit grands distributeurs en France : ce à quoi l’avocat répondra que la mise en place de solutions alternatives à ces huit grands distributeurs parait utopique. 239. - Reste cependant un problème non négligeable. Etant donné la présence de huit grands distributeurs, qu’en est-il de la position dominante ? M. Jean-Paul TRAN THIET considère sur ce point que la position de ces grands distributeurs pourrait être qualifiée de position dominante collective. En effet, au vu des huit grands acteurs majeurs, de la doctrine de la Commission européenne pour la définition du marché pertinent235, et dans la mesure où ces huit grands distributeurs gèrent avec un certain parallélisme leurs relations avec les fournisseurs, la situation n’est pas très éloignée de celle de position dominante collective. Dans ce cas, nous serions en présence d’installations fournies essentiellement par un nombre limité de fournisseurs et qu’il apparait difficile de remplacer pour des raisons économiques ou techniques. 240. - De ce fait, rien n’interdit de considérer comme anticoncurrentiel le fait, pour un distributeur, de ne pas répartir équitablement les coûts d’accès aux linéaires, entre les produits qu’il distribue sous sa marque et ceux de ses fournisseurs. Cette extension de la théorie des facilités essentielles permettrait donc d’étendre la notion d’abus de structure dans un domaine où il est malheureusement difficile pour les autorités de concurrence d’avoir une action efficace. Le maintien de la notion d’abus de structure ainsi que son extension présentent donc des avantages non négligeables. Mais ceux-ci ne doivent pas faire oublier les inconvénients qui entourent l’application de la notion. 235 V. Déc. Com. CE, Kesku contre TUKO, n°97/277, 20 novembre 1996. 98 Section 2/ Les limites au maintien de la notion d’abus de structure 241. - Les limites au maintien de la notion d’abus de structure dans le contrôle des abus de position dominante se révèlent à deux égards. D’abord, force est de constater que les entreprises dominantes ne disposent plus d’une marge de manœuvre satisfaisante pour protéger leur activité (Paragraphe 1). Ensuite, la notion d’abus de structure, de part son caractère général, est nécessairement malléable (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ Les limites liées aux stratégies des entreprises dominantes 242. - Il est indéniable que les entreprises dominantes font l’objet aujourd’hui d’un encadrement toujours plus important. Ceci peut légitimement s’expliquer de par leur position sur le marché, qui laisse nécessairement craindre qu’un abus soit commis. 243. - Cependant, dans l’hypothèse où une entreprise aurait acquis cette position dominante de façon « légitime », sans comportement répréhensible, autant de méfiance à son égard n’est peut être pas justifié. Car en effet, même si l’entreprise est en situation de domination sur un marché identifié, elle n’en reste pas moins, dans son mode de fonctionnement, une entreprise presque comme les autres. Une entreprise dominante doit nécessairement adapter ses produits aux besoins et attentes des consommateurs, anticiper l’entrée de nouveau concurrents sur le marché, continuer à promouvoir sa marque ainsi que mettre en place des stratégies commerciales. 244. - Or, suite à de nombreux arrêts étudiés précédemment, on constate que les entreprises dominantes sont de plus en plus sanctionnées sur des fondements étonnants ; nombre de leurs comportements, apparaissant comme normaux et légitimes, leurs sont reprochés236. 236 V. notamment les arrêts ITT Promedia et British Airways, Préc. note 228 et 229. 99 Au surplus, il est constamment admis qu’une entreprise, même dominante, est en droit de défendre ou de développer sa part de marché lorsqu’elle est confrontée à l’arrivée d’un nouveau concurrent, de maintenir sa position sur le marché, de défendre ses intérêts commerciaux lorsque ceux-ci sont menacés237. Les autorités de concurrence, tant internes que communautaire, ont admis ce droit, en considérant que « confrontée à l’arrivée d’un concurrent [une entreprise dominante] est en droit de défendre ou de développer sa part de marché pourvu qu’elle demeure dans les limites d’un comportement compétitif normal et d’une concurrence légitime238 ». Cette défense de part de marché doit bien évidemment se faire dans les limites d’un comportement loyal et légitime. L’entreprise peut réagir pour ce qui est nécessaire, mais pas au-delà. Est utilisé ici le principe de proportionnalité. L’entreprise doit accomplir des actes strictement nécessaires à la protection de ses intérêts, mais pas au-delà. 245. - Sur ce point, on retrouve très clairement l’idée de l’abus de structure. L’entreprise dominante doit agir d’une manière raisonnable, ce qui l’a distingue des autres opérateurs économiques qui eux ne se voient pas imposer cette limite de proportionnalité. On revient donc toujours à la même idée selon laquelle les comportements qui émanent d’une entreprise dominante peuvent être sanctionnés, alors qu’ils ne le seraient pas s’ils émanaient d’une entreprise se trouvant en situation de concurrence normale. La marge de manœuvre des entreprises dominante semble donc être constamment réduite sous couvert d’une atteinte à la concurrence. 246. - Désormais, chaque comportement émanant d’une entreprise dominante, même le plus banal qu’il soit, est susceptible d’être sanctionné. 237 J.-B. BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com., n°163, Octobre 2005 ; C. GRYNFOGEL, Abus de position dominante, J-CL Commercial, Fasc. 268, n°92, Juin 2002 ; P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Conditions de validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats-Distribution, Fasc. 1030, n°173, Février 2010. 238 CJCE, Akzo, 3 juillet 1991, Aff. C-62/86, Rec. CJCE I, p.3359 ; CA Paris, Labinal contre Mors, 19 mai 1993, inédit ; Déc. Cons. Conc, France Télécom et Office d’annonces, 20 février 1996, n°96-D10. 100 Ceci peut s’expliquer par plusieurs facteurs : volonté croissante des autorités de développer la concurrence dans plusieurs secteurs, mais aussi le fait que la notion d’abus de structure est une notion générale, donc adaptable aux besoins des autorités de concurrence. C’est donc une notion susceptible d’être en perpétuelle évolution. Paragraphe 2/ Les limites liées au caractère malléable de la notion 247. - Cette constante évolution apparait déjà clairement lorsqu’on étudie l’abus de structure en 1973 et l’abus de structure en 2011. Sa définition, ses modalités et critères d’application ont évolué. 248. - De ce fait, l’utilisation de la notion qui peut être faite par les autorités de concurrence dans les prochains mois est incertaine. Ainsi que cela a été exposé239, les entreprises dominantes bénéficient d’une marge de manœuvre de plus en plus réduite : l’évolution incertaine de la notion d’abus de structure renforce ce sentiment puisque ces dernières ne sont pas en mesure, ou du moins pas totalement, de prévoir quel sera le prochain comportement « normal » émanant d’une entreprise dominante qui sera sanctionné. Il n’est pas exclu, par ailleurs, qu’au fil des années l’appréhension de l’atteinte a la concurrence puisse évoluer en fonction de plusieurs facteurs : structure du marché, comportements des entreprises, perception de la notion de concurrence effective, volonté d’intervenir sur le marché pour les autorités de concurrence etc. 249. - L’abus de structure n’est pas une notion figée dans le temps. Si son objectif reste le même, les moyens pour y parvenir peuvent différer. Sans aller jusqu’à l’insécurité juridique, les entreprises dominantes sont dans l’incertitude quant aux comportements qu’elles peuvent adopter sans risquer d’être sanctionnées. Elles doivent donc anticiper tout reproche qui pourrait leur être adressé. L’entreprise la plus prévoyante sera la moins sanctionnée. 239 V. Supra, Partie 2, Titre 2, Chapitre 2, Section 2. 101 L’extension de la notion d’abus de structure à d’autres domaines, d’autres comportements est tout à fait envisageable, comme par exemple s’agissant des linéaires de la grande distribution240. 250. - La notion d’abus de comportement est quant à elle moins extensive, du fait de sa définition précise qui renvoie à des « avantages » que l’entreprise dominante tenterait d’obtenir de la part d’autres entreprises. Le terme « avantages » est relativement précis, contrairement au terme « d’atteinte à la structure de la concurrence » et de « comportement ». 251. - Cette évolution possible ne sera satisfaisante que si elle se positionne dans le juste milieu entre un excès de contraintes imposées aux entreprises dominantes et excès de liberté qui pourrait leur être laissé. Ce caractère, en quelques sortes malléable de la notion d’abus de structure, peut être un avantage pour les autorités de concurrence, puisque cela rend leur outil de sanction plus adaptable aux comportements des entreprises, mais apparait comme un inconvénient lorsqu’on se place du coté des entreprises dominantes. La notion d’abus de structure est donc susceptible d’évoluer dans son application lors des prochaines années. Il est possible d’imaginer que les autorités de concurrence adapteront l’utilisation de cette notion aux espèces auxquelles elles seront confrontées afin de sanctionner tout comportement qui leur semblerait abusif. 252. - Conclusion du Titre 2 – Le maintien de la notion d’abus de structure semble inévitable. La théorie des facilités essentielles, couplée avec celle d’abus de position dominante, a renforcé son existence jusqu’à la rendre presque indispensable. Cette alliance, en outre, a étendu le champ d’application de l’article 102 TFUE. A ceux qui souhaitaient sa disparition241, il convient de leur opposer ces exemples. La preuve étant de plus en plus facile à apporter, l’utilisation de la notion d’abus de structure est plus aisée. 240 V. J.-P. TRAN THIET, Préc. note 232. 102 Malgré les limites, non contestables, au maintien de cette notion, elles ne semblent pas masquer les avantages que procure un tel maintien. Car en effet, la prise en compte de l’atteinte à la concurrence, entrainant une concurrence faussée sur le marché, semble plus pertinente que l’atteinte à la marge de manœuvre des entreprises dominantes. 253. - Conclusion de la Partie 2 - Après avoir survécue à sa mort programmée, la notion d’abus de structure, comme il l’a été démontré au cours de cette seconde partie, continue d’être utilisée aujourd’hui. Afin de parvenir à ce résultat, la notion d’abus de structure a du évoluer pour rester en cohésion avec la pratique. C’est donc grâce à une redéfinition des critères d’application de l’abus de structure ainsi que par une définition qui s’est complétée que cette notion est devenue essentielle dans l’appréhension et la sanction des abus de position dominante. L’abus de structure s’est vu renforcé par l’intégration de la théorie des infrastructures essentielles, ce qui rend désormais son maintien inévitable. Cependant, le maintien de cette notion ne présente pas que des avantages. Mais il serait opportun d’aller au-delà de ces limites afin de maintenir une notion qui n’a plus à démontrer son utilité ni sa légitimité. 241 V. notamment, S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL ConcurrenceConsommation, n °8, 2003 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT, p.211. 103 CONCLUSION GENERALE 254. - Répondre à la question de savoir si la notion d’abus de structure fait toujours partie intégrante du droit de la concurrence, tant interne que communautaire, a nécessité une approche tout d’abord historique de la notion, puis actuelle. Il est apparu, à l’issu de cette étude, que la notion d’abus de structure fait bien toujours partie intégrante du droit de la concurrence. En effet, son utilisation actuelle ne fait plus aucun doute. 255. - Depuis sa naissance sous la plume du Professeur JOLIET242, son développement n’a cessé de progresser. Par une consécration doctrinale unanimement reconnue243, la notion d’abus de structure s’est au fil du temps affinée, complétée, affirmée. Malgré une période de doute lors de l’entrée en vigueur du règlement communautaire relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises244, cette notion n’en a pas pour autant perdu de sa pertinence et de son utilité. Son application a même été étendue à des domaines étrangers aux opérations de concentration. 256. - Toutefois, la persistance de son utilisation n’a pu être rendue possible que grâce à une amélioration de sa définition par la jurisprudence245. Cette dernière a, en effet, modelé et amélioré la notion d’abus de structure afin de la rendre parfaitement en harmonie avec les exigences qu’imposait un contrôle efficace des abus de position dominante. Cette amélioration de la notion a aussi permis aux autorités de concurrence d’avoir à leur disposition un outil efficace afin de sanctionner tout comportement émanant d’une entreprise dominante qui leur semblerait porter atteinte à la structure de la concurrence. 242 R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, 1969, p.645. CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p.215. 244 Règlement n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, Relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JO L n° 395 du 30 décembre 1989, p.1 à 12. 245 V. supra. 243 104 Cette utilisation actuelle est aujourd’hui, entre autre, parfaitement illustrée par la théorie des facilités essentielles. 257. - Le reproche selon lequel la marge de manœuvre laissée aux entreprises dominantes a été fortement réduite, jusqu’à peut être se trouver quasiment inexistante aujourd’hui, ne doit pas occulter l’impératif selon lequel un régime de concurrence non faussée doit impérativement être maintenu dans le marché intérieur. 258. - Si la notion d’abus de structure peut apparaitre comme une notion ancienne, voire poussiéreuse, sa disparition créerait de toute évidence une lacune dans l’appréhension et le traitement des abus de position dominante, tant en droit interne qu’en droit communautaire. 105 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE I/ Ouvrages généraux II/ Ouvrages spéciaux III/ Thèses et mémoires IV/ Rapports V/ Articles VI/ Dictionnaires VII/ Jurisprudence nationale VIII/ Jurisprudence communautaire 1. Arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés Européennes 2. Arrêt rendus par le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes 3. Décisions rendues par la Commission IX/ Dispositions législatives et règlementaires X/ Sources électroniques 106 I/ OUVRAGES GENERAUX : - AFFOLTER Simon, GILLIERON Hubert, MACH Olivier et MERCIER Pierre, Grands principes du droit de la concurrence, Droit communautaire Droit suisse, HELBING & LICHTENHAHN BRUYLANT, 1999. - BERLIN Dominique, Contrôle des concentrations, Editions de l’Université de Bruxelles, Institut d’Etudes Européennes, 2009. - BIENAYME Alain, Principes de concurrence, ECONOMICA, 1998. - BLAISE Jean-Bernard, Droit des affaires, LGDJ, 5ème édition, 2009. - BLAISE Jean-Bernard, LE TALLEC Georges, SCHAPIRA Jean, Droit européen des affaires, PUF, THEMIS Droit privé, 1994. - BLASSELLE Richard, Traité de droit européen de la concurrence, Tome I, PUBLISUD, 2002. - BOULOUIS Jean, CHEVALLIER Roger-Michel, FASQUELLE Daniel, BLANQUET Marc, Les grands arrêts de la jurisprudence communautaire, DALLOZ, Tome 2, 5ème édition, 2002. - BRAULT Dominique : o Droit et politique de la concurrence, ECONOMICA, 1994. o Politique et pratique du droit de la concurrence en France, LGDJ, 2004. - BURST Jean-Jacques, KOVAR Robert, Droit de la concurrence, Economica, 1981. - COMBE Emmanuel, Economie et politique de la concurrence, DALLOZ, Précis, 1ère édition, 2005. 107 - DECOCQ André et Georges, Droit de la concurrence, LGDJ, Coll Manuel, 3ème édition, 2008 et 2010. - DEPINCE Malo, MAINGUY Daniel, RESPAUD Jean-Louis, Droit de la concurrence, LITEC, coll MANUEL, 2010. - FRISON-ROCHE Marie-Anne, PAYET Marie-Stéphane, Droit de la concurrence, DALLOZ, Précis, 1ère édition, 2006. - GAVALDA Christian et PARLEANI Gilbert : o Traité de droit communautaire des affaires, LITEC, 1992. o Droit des affaires de l’Union européenne, JURISCLASSEUR, Manuel, 4ème édition, 2002. - GERMAIN Michel, RIPERT Georges, ROBLOT René, VOGEL Louis, Traité de droit commercial, Tome 1 volume 1, LGDJ, 18ème éd, 2001. - GOLDMAN Berthold, LYON-CAEN Antoine, VOGEL Louis, Droit commercial européen, DALLOZ, Précis, 1994. - GUEDJ Alain, Pratique du droit de la concurrence national et communautaire, LITEC, Affaires et Finances, 2ème édition, 2000. - GRYNFOGEL Catherine, Droit communautaire de la concurrence, LGDJ, Systèmes, 2008. - LEGEAIS Dominique, Droit commercial et des affaires, SIREY Université, 2010. - LIGNEUL Nicolas et TAMBOU Olivia, Droit européen du marché, ELLIPSES, Universités DROIT, 2006. 108 - LUCAS DE LEYSSAC Claude et PARLEANI Gilbert, Droit du marché, PUF, Coll. THEMIS, 2002. - MALAURIE-VIGNAL Marie : o Droit de la concurrence, ARMAND COLIN, 2eme éd, 2003. o Droit de la concurrence interne et communautaire, SIREY Université, 4ème éd, 2008. - NICOLAS-VULLIERME Laurence, Droit de la concurrence, VUIBERT, Coll DYNA’SUP DROIT, 2008, 2011. - NOURISSAT Cyril, Droit des affaires de l’Union Européenne, DALLOZ, Hypercours, 3ème édition, 2010. - RIPERT Georges, ROBLOT René, VOGEL Louis, Traité de droit des affaires, LGDJ, Tome 1, 19ème édition, 2010. - TERCINET Anne, Droit européen de la concurrence, Opportunités et menaces, MONTCHRESTIEN, Gualino Editeur, 2000. - VOGEL Louis : o Droit français de la concurrence, LawLex, JURISCIENCE, 2008. o Droit des ententes et abus de domination, LawLex, JURIBASES, 2008. - ZACHMANN Jacques, Le contrôle communautaire des concentrations, LGDJ, 1994. - Mémento Francis LEFEBVRE, Ententes, abus de position dominante, concentrations économiques, Droit communautaire Droit français, 2004. - Mémento Francis LEFEVBRE, Concurrence et Consommation, 2007-2008. 109 II/ OUVRAGES SPECIAUX : - COT Jean-Mathieu et DE LA LAURENCIE Jean-Patrice, Le contrôle français des concentrations, LGDJ, 2ème édition, 2003. - DEBROZY Guillaume, La théorie des facilités essentielles, Essentialité et droit communautaire de la concurrence, LGDJ, Lextenso Edition, 2009. - DUBOIS Jean-Pierre, La position dominante et son abus, LITEC, Librairies Techniques, 1968. - GALÈNE Renée, Le droit de la concurrence appliqué aux pratiques anticoncurrentielles, EFE, 1995. - GLAIS Michel, Concentration des entreprises et Droit de la concurrence, ECONOMICA, 2010. - IDOT Laurence, Droit communautaire de la concurrence, Le nouveau système communautaire de mise en œuvre des articles 81 et 82 CE, BRUYLANT, Feduci, 2004. - LIANOS Ionnis, La transformation du droit de la concurrence par le recours à l’analyse économique, BUYLANT, 2007. - MALAURIE-VIGNAL Marie, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2003. - STOFFEL-MUNCK Philippe, L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie, LGDJ, 2000. - VALLINDAS Georges, Essai sur la rationalité du droit communautaire des concentrations, Travaux du CERIC, 2009. 110 III/ THESES ET MEMOIRES : - BIGARÉ Arnaud, L’aspect transversal de la notion d’abus de position dominante en droit communautaire de la concurrence, Université Jean Moulin, Lyon III, 1999. - MARÉCHAL Camille, Concurrence et propriété intellectuelle, Thèse Panthéon-Assas, LITEC, 2008. - NADAUD Frédéric, Réflexion sur la spécificité du droit des concentrations, Thèse Montpellier I, 17 décembre 2009. - RAJA Caroline, Droit de la concurrence et droit de la santé, Etude d’un entrecroisement normatif, Thèse Montpellier I, 18 novembre 2010. IV/ RAPPORTS : - Rapport du Conseil de la concurrence de 1987, Journal officiel de la République Française, Edition des documents administratifs du 15 juin 1988, page XIX. - Rapport du Conseil de la concurrence de 1988, Journal officiel de la République Française, Edition des documents administratifs, 1989, page - Rapport du Conseil de la concurrence de 1989, Journal Officiel de la République Française, Edition des documents administratifs du 25 mai 1990, page XXXV. - Rapport du Conseil de la concurrence de 1990, Journal Officiel de la République Française, Edition des documents administratifs du 6 juin 1991, page XXXVII. - Rapport du Conseil de la concurrence de 2001. 111 - Rapport du Conseil de la concurrence de 2002. V/ ARTICLES : - ALBERINI Adrien, KELLEZI Pranvera, Arrêt British Airways : confirmation des critères d’analyse du caractère abusif des rabais d’objectif, Université de Genève, Centre d’études juridiques européennes, 20 mars 2007. - ARHEL Pierre, Transparence tarifaire et pratiques restrictives, Rép. Com., Mai 2009 (Mise à jour octobre 2010). - BELMONT Sophie, J-CL Concurrence - Consommation, Abus de position dominante collective, Fasc. 562, 2003, Date de fraîcheur 01 Septembre 2003. - BENOIT Olivier, Dossier, Le droit de la concurrence est un droit de l’abus : brèves observations, Droit du patrimoine n°83, Juin 2000. - BLAISE Jean-Bernard : o Chronique de droit communautaire de la concurrence, RTD Eur 2002, p. 555. o Abus de position dominante, Rép. Com, n°163, Octobre 2005, Mise à jour mars 2010. - BLAISE Jean-Bernard, IDOT Laurence, Droit européen de la concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, RTD Eur, 2010, page 647. - BOSCO David : o SNCF : cap sur la concurrence… en ligne ! CCC, Avril 2009, n°4, p. 24. o La cour de cassation suit la cour d’appel de Paris dans l’affaire Glaxo, CCC, Mai 2009, n°5, p. 38. 112 - BOUSCANT Rémy, La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit européen, RTD Eur, 2000, p.67. - BOUTARD-LABARDE Marie-Chantal, Droit communautaire, JCP G, n°52, 23 Décembre 1998, I, 189, n°2. - CHONÉ Anne-Sophie, Premiers regards sur les orientations de la commission, Europe, n°3-2009, étude 3. - CHRISTIN-BELMONT Sophie, De l'affaire Irish Sugar à une doctrine Irish Sugar, D., 2000 p. 412. - COURIVAUD Henri ; o Droit de la concurrence et entreprises publiques, J-CL Concurrence – Consommation, Fasc. 121, 2009. o Droit de la concurrence et entreprises publiques, J-CL Concurrence – Consommation, Fasc. 122, 2009. - DECOCQ Georges : o Droit de la concurrence interne et communautaire, JCP E, n°10, Mars 2008, 1314. o Ciseau tarifaire, perte subie et existence d’une solution d’approvisionnement alternative, CCC, Mai 2009, n°5, p.38. - FABRE Régis, Modification du contrôle des concentrations : la bonne idée du rapport CANIVET, RLDA, N°80, Tribune, Mars 2005. - GUERIN Marie-Cécile, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois Pénales Spéciales, Fasc. 20, 2008 113 - GRARD Loïc, Abus de position dominante : récompenser l’agent de voyage sans évincer le concurrent, RD Transp., n° 4, Mai 2007. - GRYNFOGEL Catherine : o Droit français des abus de domination, J-CL Com, Fasc. 260, 2003. o Abus de position dominante, abus, J-CL Com, Fasc. 268, 2002. - GUYENOT Jean, L’affaire « Continental Can », Gaz. Pal, 19 mai 1973, Doctrine, Page 352. - JOLIET René, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, n°4, 1969, p. 645. - LAURENT Philippe, Un abus est un abus, CCC, Chronique, Février 1991. - LEBRETON-DERRIEN Sylvie, Distribution Généralités, J-CL Concurrence Consommation, Fasc. 600, Septembre 2004. - LE TOURNEAU Philippe, ZOIA Michel, Conditions de validité, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats – Distribution, Fasc. 1030, Février 2010. - MALAURIE-VIGNAL Marie, La cour de cassation condamne la théorie de l’abus de structure, CCC, n°7-8, Juillet 1999. - MALAURIE-VIGNAL Marie et REBOUL Nadège, Droit de la concurrence : chronique n° VI (suite et fin), LPA, n° 146, p. 5, Juillet 2000. - MAINGUY Daniel, La discrimination par les prix, RLC, 2005, Perspective, colloque DGTPE-concurrence. - MAINGUY Daniel et BERTHAULT Franck, télécommunications, Cah. Dr. Entr., Fasc 5, p.1, 2001. 114 Concurrence et - MARTY Frédéric, L’application de la théorie des facilités essentielles dans la décision « voyages-sncf.com » : une analyse économique, RLC, n°19, Actualités, Avril 2009. - PRIETO Catherine : o Abus de position dominante, J-CL Europe - Traité, Fasc. 1423, Juillet 2010. o La généralisation de l’analyse fondée sur les effets, LPA, n°239, p.8, Novembre 2007. o Influence du droit communautaire et originalité du droit français de la concurrence, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, n°1, p.50, 1998. - DE RICHEMONT Jean, Concentrations et abus de positions dominantes, Article 86 du Traité de Rome, Affaire Continental Can, RTD Eur, n°3, p.463, Juillet-Septembre 1973. - SCHMIDT-SZALEWSKI Joanna, Brevet, Rép. Com, Octobre 2010. - SELINSKY Véronique, Stratégies de conquête du marché dans les secteurs à haute technologie et mesures correctives appropriées, RLC, Actualité, 2005. - SCHAEFFER Eugène, L’abus dans le droit de la concurrence, Gaz. Pal, Doctrine page 401, 1981. - STAUDENMAYER Dirk, Les relations entre les articles 85 et 86 du traité CE et le règlement communautaire de contrôle des concentrations, Cah. Dr. Eur., 34, p. 380 – 397, 1994. - TRAN-THIET Jean-Paul, La régulation des réseaux et les relations industriecommerce, CCC, n°10, Chronique n°11, 1998. 115 - VOGEL Louis, Droit français de la concurrence, JCP E, n°3, p.73, Janvier 1998. VI/ DICTIONNAIRES : - BELMONT Sophie, Dictionnaire juridique de l’Union européenne, Abus de position dominante, Sous la direction d’Ami BARAV et Christian PHILIP, Université Lyon III. - CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, PUF, 2007. - Le petit Larousse en couleurs, Ed Larousse, 1988. - Le nouveau petit Robert de la langue française, Ed Le Robert, 2010. VII/ JURISPRUDENCE NATIONALE : - Déc. Cons. Conc, n°90-D-27, Relative au marché des tuiles et briques en Alsace, 11 Septembre 1990, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence. - Déc. Cons. Conc, n°96-D-51, SARL Héli-Inter Assistance, 3 Septembre 1996, BOCC 8 Janvier 1997. - Déc. Cons. Conc, n°97-D-16, Relative aux pratiques de la société ChâlonMégard sur le marché de l’installation de fromageries fabricant du fromage reblochon, 11 mars 1997, BOCC 8 Juillet 1997. - Déc. Cons. Conc, n°00-MD-01, Connect ATM, 18 Février 2000, Disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence. 116 - Déc. Cons. Conc, n°01-D-46, Relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom à l’occasion d’une offre sur mesure conclue en 1999, 23 Juillet 2001, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence. - Déc. Cons. Conc., n°01-D-57, Relative à une saisine et une demande de mesures conservatoires de la société Advanced Mass Memories à l’encontre des sociétés Iomega Corporation et Iomega International, du 21 Septembre 2001, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence. - Déc. Cons. Conc., n°09-D-06, Relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. Dans le secteur de la vente de voyage en ligne, 5 Février 2009, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence. - CA Paris, Aéroport de Paris contre Association du parc hôtelier de la périphérie de l’aéroport de Paris, 8 Février 2000, Jurisdata 2000-129389. - CA Paris, SFR et France Télécom, 27 Janvier 2011, Jurisdata 2010-08945. X/ JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE : - 1. Arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés Européennes : o Arrêt Europemballage et Continental Can Contre Commission, 21 Février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p. 215. o Arrêt United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission, 14 Février 1978, Aff. 22/76, Rec. 1978, p. 207. o Arrêt Hoffmann-La Roche, 13 Février 1979, Aff. 85/76, Rec CJCE 1979, p.461. 117 o Arrêt NV Nederlandsche Banden Industrie Michelin contre Commission, 9 Novembre 1983, Aff. 322/81, Rec. 1983, p.3461. o Arrêt Gemeente Almelo et autres contre Enerjiebedriij Ljsselmij NV, 27 Avril 1994, Aff. C-393/92, Rec. 1994, p. I-1477. o Arrêt Compagnie Maritime Belge de Transport, 16 Mars 2000, Aff. Jointes C-385/96 et C-396/96, Rec. 2000, p. 1365. o Arrêt British Airways contre Commission, 15 Mars 2007, Aff. C-95/04 P, Rec. CJCE, p. I-2331. - 2. Arrêt rendus par le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes : o Arrêt Tetra Pak contre Commission, 10 Juillet 1990, Aff. T-51/89, Rec. P II-309. o Arrêt ITT Promedia contre Commission, 17 Juillet 1998, Aff. 111/96, Rec. II-2937. o Arrêt Cleastream contre Commission, 9 Septembre 2009, Aff. T-301/04, JO C 256 du 24 Octobre 2009, p.21. - 3. Décisions rendues par la Commission : o Déc. Com. Continental Can, 9 Décembre 1971, n°72621 IV, JOCE L 8 Janvier 1972. o Déc. Com. Chiquita, 17 Décembre 1975, JO L n°95, 9 Avril 1976. 118 o Déc. Com. Hoffmann-La Roche, 9 Juin 1976, JO L n°233, 16 Aout 1976, p.27. o Déc. Com. Warner-Lambert contre Gillette et autres, 10 Novembre 1992, JOCE L 116, 12 Mai 1993, p.21-32. o Déc. Com. Sealink contre B&I, 21 Décembre 1993, JO L 15 du 18 Janvier 1994, p.8-19. o Déc. Com Port de Rodby, 21 Décembre 1993, JO L 55 du 26 Février 1994, p.52-57. o Déc. Com. Trans-Atlantic Conference Agreement, 16 Septembre 1998, JO L 95 du 9 Avril 1999. o Déc. Com. Deutsche Telekom, 21 Mai 2003, JO L 263 du 14 Octobre 2003, p.9-41. o Déc. Com. Wanadoo España contre Telefonica, 4 Juillet 2007, JO C 83 du 2 Avril 2008. VIII/ DISPOSITIONS LEGISLATIVES ET REGLEMENTAIRES : - Communication de la Commission : Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, JO C 45, du 24 Février 2009, p. 7-20. - Règlement du Conseil, n°4064/89, Relatif au contrôle des opérations de concentrations entre entreprises, du 21 Décembre 1989. 119 - Règlement du Conseil, n°139/2004, Relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, du 20 Janvier 2004. - Traité de Paris instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, signé à Paris le 18 Avril 1951. - Traité créant la Communauté Economique Européenne, signé à Rome le 25 Mars 1957 (TCE). - Traité d’Amsterdam, signé à Amsterdam le 2 Octobre 1997 (Traité CE). - Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, signé à Lisbonne le 13 Décembre 2007. XI/ SOURCES ELECTRONIQUES : - http://www.autoritedelaconcurrence.fr - http://bu.dalloz.fr/ - http://curia.europa.eu - http://europa.eu - http://eur-lex.europa.eu - http://www.lamyline.fr - http://www.legifrance.gouv.fr - http://www.lexisnexis.fr/ 120 INDEX ALPHABÉTIQUE Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphe A– Abus de comportement : 32, 58, 151, 154, 250 O– Opérations de concentration : 55, 72, 102, 114, 126 Contrôle : 33 Règlement 4064/89 : 108, 234 Règlement n°139/2004 : 117 Abus de position dominante : 23, 28, 47, 100, 103, 179, 187, 195, 199, 211 Abus de structure : 31, 41, 57, 67, 124, 151, 180, 201, 214, 236, 245 Ordonnance du 1er/12/1986 : 17 P– C– Position dominante : 24, 78, 83, 86, 99, Ciseau tarifaire : 217 et s.202, 243 Principe de libre concurrence : Etats-Unis : 8 France : 21 Communication Commission : 193 Comportement : Anormal : 35, 102, 169, 206 Des entreprises : 89, 101, 182, 198, 235, 242, 244, 248 R– Responsabilité particulière : 174 et s. Arrêt Michelin : 175, 183 Conseil de la concurrence : 19, 146, 200 S– Consommateurs : 186, 194 Arrêt Continental Can : 34, 61, 76, 129 Sherman Antitrust Act : 4, 6, 51 D– T– Théorie civiliste de l’abus de droit : 26 Droit de la concurrence, objectifs : Aux Etats-Unis : 4, 43 En Europe : 10, 44, 196 En France : 16 Théorie des facilités essentielles : 209 et s., 238 Traité de Paris : 11 H– Traité de Rome : 12, 24 Article 86 : 46, 49, 52, 138 Article 3 f) : 54, 73, 109 Arrêt Héli-Inter Assistance : 211 U– Arrêt Hoffmann-La Roche : 91, 135, 141, 177 Arrêt United Brands : 79, 95, 99, 186 121 TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS .......................................................................................................3 SOMMAIRE ....................................................................................................................4 LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ..........................................................5 INTRODUCTION ...........................................................................................................7 PARTIE 1/ L’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » ................18 Titre 1/ Les fondements de la notion « d’abus de structure » ........................................... 18 Chapitre 1/ Les prémices de la notion « d’abus de structure »........................................... 19 Section 1/ L’émergence doctrinale de la notion d’ « abus de structure »........................ 19 Paragraphe 1/ L’approche subjective de l’abus : « l’abus de comportement » ........... 19 Paragraphe 2/ L’approche objective de l’abus : « l’abus de structure » ...................... 23 Section 2/ La consécration jurisprudentielle de la notion « d’abus de structure » .......... 25 Paragraphe 1/ L’apparition de la notion « d’abus de structure » dans la décision Europemballage et Continental Can C/ Commission ................................................. 26 Paragraphe 2/ L’instrumentalisation de la notion d’abus de structure par la Cour de justice : un palliatif à l’absence de contrôle des opérations de concentration ............. 29 Chapitre 2/ Les précisions apportées à la notion d’abus de structure................................ 31 Section 1/ La définition de la notion de position dominante : l’arrêt United Brands C/ Commission du 14 février 1978 ...................................................................................... 32 Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt United Brands.......................................... 32 Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt United Brands .................................. 34 122 Section 2/ La définition de l’abus de position dominante : l’arrêt Hoffmann-La Roche du 13 février 1979 ................................................................................................................ 36 Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt Hoffmann-La Roche................................. 36 Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt Hoffmann-La Roche ......................... 39 Titre 2/ Le développement de la notion « d’abus de structure » ....................................... 42 Chapitre 1/ 1989 : un tournant dans l’application de la notion « d’abus de structure » ? 43 Section 1/ Le règlement n°4064/89 sur le contrôle des opérations de concentrations .... 43 Paragraphe 1/ Le champ d’application du règlement .................................................. 43 Paragraphe 2/ Les modalités d’application du règlement............................................ 45 Section 2/ Les liens entre « abus de structure » et règlement sur le contrôle des opérations de concentration ............................................................................................. 48 Paragraphe 1/ Des champs d’application similaires .................................................... 48 Paragraphe 2/ Les conséquences de l’entrée en vigueur du règlement sur l’application de la théorie de « l’abus de structure » ........................................................................ 50 Chapitre 2/ L’utilisation variée de la notion « d’abus de structure » ................................. 52 Section 1/ L’utilisation diversifiée de la notion « d’abus de structure » en droit communautaire ................................................................................................................ 52 Paragraphe 1/ L’utilisation de la notion « d’abus de structure » pour des opérations de concentrations ............................................................................................................. 53 Paragraphe 2/ L’utilisation pluridisciplinaire de la notion « d’abus de structure »..... 55 Section 2/ L’utilisation multipliée de la notion « d’abus de structure » en droit interne 58 Paragraphe 1/ L’utilisation théorique de l’abus de structure ....................................... 58 Paragraphe 2/ L’utilisation pratique de la théorie de l’abus de structure .................... 60 123 PARTIE 2/ L’utilisation actuelle de la notion « d’abus de structure » ....................64 Titre 1/ La redéfinition des critères d’application de la notion « d’abus de structure » 64 Chapitre 1/ Une définition plus complète de la notion « d’abus de structure ».................. 64 Section 1/ Les incertitudes quant à la condition de « comportement anormal » ............. 65 Paragraphe 1/ Le contexte des arrêts ITT Promedia et British Airways...................... 65 Paragraphe 2/ La portée des arrêts ITT Promedia et British Airways quant à la condition de « comportement anormal » ..................................................................... 67 Section 2/ La « responsabilité particulière » pour l’entreprise dominante de ne pas porter atteinte à une concurrence effective ................................................................................ 70 Paragraphe 1/ L’étude de l’arrêt Michelin................................................................... 70 Paragraphe 2/ La portée de l’arrêt Michelin : une conception objective de l’abus ..... 72 Chapitre 2/ Les conséquences dans l’application pratique de la notion « d’abus de structure » ........................................................................................................................... 74 Section 1/ Les critères d’application de la notion « d’abus de structure » par les autorités de concurrence................................................................................................................. 74 Paragraphe 1/ L’absence de prise en compte directe du dommage causé aux consommateurs ............................................................................................................ 75 Paragraphe 2/ Le renouvellement de la notion « d’abus de structure » par la Commission Européenne............................................................................................. 77 Section 2/ Vers une sanction systématique de la position dominante ? .......................... 79 Paragraphe 1/ La démonstration du lien de causalité entre la position dominante et l’abus encore nécessaire ? ........................................................................................... 79 Paragraphe 2/ Une plus grande protection des entreprises concurrentes ? .................. 81 124 Titre 2/ L’inévitable maintien de la notion d’abus de structure ....................................... 83 Chapitre 1/ La théorie des infrastructures essentielles : « nouvel avatar » de « l’abus de structure » ........................................................................................................................... 83 Section 1/ Le refus de mise à disposition d’une infrastructure essentielle par une entreprise dominante ....................................................................................................... 84 Paragraphe 1/ Présentation de la théorie des facilités essentielles .............................. 84 Paragraphe 2/ L’application de la théorie des facilités essentielles ............................ 86 Section 2/ La pratique dite de « ciseau tarifaire » ........................................................... 89 Paragraphe 1/ Présentation de la pratique dite de « ciseau tarifaire » ......................... 89 Paragraphe 2/ L’utilisation actuelle de la pratique de « ciseau tarifaire » constitutive d’un abus de positon dominante .................................................................................. 92 Chapitre 2/ L’opportunité du maintien de la notion « d’abus de structure » ..................... 94 Section 1/ Les avantages liés au maintien de la notion « d’abus de structure » .............. 94 Paragraphe 1/ Le pouvoir des autorités de concurrence sur le contrôle des entreprises ..................................................................................................................................... 95 Paragraphe 2/ L’extension continue de l’abus de structure à des domaines variés ..... 96 Section 2/ Les limites au maintien de la notion d’abus de structure ............................... 99 Paragraphe 1/ Les limites liées aux stratégies des entreprises dominantes ................. 99 Paragraphe 2/ Les limites liées au caractère malléable de la notion ......................... 101 CONCLCUSION GÉNÉRALE ..................................................................................104 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................106 INDEX ALPHABÉTIQUE .........................................................................................121 125