L`abus de structure

Transcription

L`abus de structure
UNIVERSITÉ MONTPELLIER 1
FACULTÉ DE DROIT
CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHÉ
Master II Recherche Droit du Marché
« L’abus de structure »
Pérennité et légitimité d’une conception objective de
l’abus en droit de la concurrence
Sous la direction de Mademoiselle Caroline RAJA,
Docteur en Droit
Mémoire présenté et soutenu dans le but de l’obtention du Master II
Par Marion FERRANT
Année 2010 - 2011
Á mes parents
Á Benjamin
Á mes grands – parents
Á ma Tatie
Á Clémentine et Romain
2
REMERCIEMENTS
Je tiens, en premier lieu, à remercier tout particulièrement ma directrice de
mémoire, Mademoiselle Caroline RAJA, qui a très généreusement pris de son temps
afin de me guider, de m’accompagner et de m’encourager dans la rédaction de ce
mémoire. Ses conseils m’ont été fort bénéfiques et sa présence tout au long de ce travail
a été un soutien très précieux.
Je tiens ensuite à remercier Monsieur le Professeur Daniel MAINGUY, qui par
la qualité de son Master et de ses enseignements a rendu cette année d’étude
extrêmement enrichissante.
Je remercie également Monsieur Malo DEPINCÉ, Mademoiselle Brunelle
FESSARD, Monsieur Vincent CRAPONNE, ainsi que Mademoiselle Fleur DUBOISLAMBERT, qui, membres de l’équipe pédagogique, ont, par leurs conseils avisés,
contribué à la réalisation de ce mémoire.
Puis, mes remerciements vont vers l’ensemble des personnes qui m’ont soutenu
et aidé dans la rédaction de ce mémoire, et plus particulièrement à Monsieur Benjamin
BERENGUER qui par sa présence a rempli de bonheur chaque journée de travail.
Enfin, je remercie la promotion 2010 – 2011 du Master II Droit du Marché, avec
laquelle des instants de joie ont été partagés.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION ...........................................................................................................7
PARTIE 1/ L’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » ................18
Titre 1/ Les fondements de la notion « d’abus de structure » ..................................... 18
Chapitre 1/ Les prémices de la notion « d’abus de structure » .............................. 19
Chapitre 2/ Les précisions apportées à la notion d’abus de structure ................... 31
Titre 2/ Le développement de la notion « d’abus de structure »................................. 42
Chapitre 1/ 1989 : un tournant dans l’application de la notion « d’abus de
structure » ? ............................................................................................................ 43
Chapitre 2/ L’utilisation variée de la notion « d’abus de structure »..................... 52
PARTIE 2/ L’utilisation actuelle de la notion « d’abus de structure » ....................64
Titre 1/ La redéfinition des critères d’application de la notion « d’abus de structure »
.................................................................................................................................... 64
Chapitre 1/ Une définition plus complète de la notion « d’abus de structure » ..... 64
Chapitre 2/ Les conséquences dans l’application pratique de la notion « d’abus de
structure » ............................................................................................................... 74
Titre 2/ L’inévitable maintien de la notion d’abus de structure .................................. 83
Chapitre 1/ La théorie des infrastructures essentielles : « nouvel avatar » de
« l’abus de structure » ............................................................................................. 83
Chapitre 2/ L’opportunité du maintien de la notion « d’abus de structure » ......... 94
CONCLUSION GÉNÉRALE.....................................................................................104
4
LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
BOCC. –
Bulletin Officiel de la Concurrence, de la Consommation, et de la
répression des fraudes.
CA –
Cour d’Appel
Cah. Dr. Entr. –
Cahier du Droit de l’Entreprise
Cah. Dr. Eur. –
Cahier de Droit Européen
CCC. –
Contrats, Concurrence, Consommation
CJCE –
Cour de Justice des Communautés Européennes (jusqu’au 1er
décembre 2009)
Comm. –
Commentaire
D. –
Recueil Dalloz
Déc. Com. –
Décision de la Commission
Déc. Cons. Conc. –
Décision du Conseil de la Concurrence
Gaz. Pal. –
Gazette du Palais
Infra. –
Ci-dessous
J-CL. –
Jurisclasseur
JCP. Com. –
Jurisclasseur
Périodique
(la
Semaine
Juridique),
Édition
Commerce et industrie
JCP. E. –
Jurisclasseur Périodique, Édition entreprise
JCP. G. –
Jurisclasseur Périodique, Édition générale
JOCE –
Journal Officiel des Communautés Européennes (avant 1992)
5
J.O. –
Journal Officiel
LPA –
Les Petites Affiches
N°. –
Numéro
P. –
Page
Préc. –
Précité
Rec. –
Recueil
RD Transp. –
Revue de Droit des Transports
Rép. Com. –
Répertoire de Droit Commercial Dalloz
RLC –
Revue Lamy Concurrence
RLDA –
Revue Lamy Droit des Affaires
RTD Eur. –
Revue Trimestrielle de Droit Européen
Supra –
Ci-dessus
t. –
Tome
TFUE –
Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ex Traité
instituant les Communautés Européennes)
TPICE –
Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes
V. –
Voir
6
INTRODUCTION
« Seul un concurrent mort n’est pas dangereux1 »
1. - Telle pourrait bien être la philosophie de nombre d’opérateurs économiques
présents sur le marché.
Comme le soulignait le Professeur SCHAEFFER, « affaiblir ou éliminer un
concurrent fait partie du jeu de la concurrence et sera bien souvent le résultat de la
volonté d’un des partenaires de gagner dans la compétition commerciale2 ».
2. - Le droit de la concurrence est un droit récent et complexe, c’est pourquoi une
étude des objectifs du droit de la concurrence semble nécessaire (I). L’analyse menée,
par la suite, portera sur un aspect particulier du droit de la concurrence, à savoir l’abus
en droit de la concurrence (II), et plus précisément sur la notion « d’abus de structure »
(III). Enfin, un exposé de l’approche retenue pour la réalisation de cette étude sera
effectué (IV).
I – Les objectifs du droit de la concurrence
3. - Si le droit de la concurrence est un droit récent, il n’est cependant pas apparu
durant la même période dans les différents systèmes juridiques, et l’objectif poursuivit
diffère selon ces systèmes. Trois d’entre eux seront ici analysés : tout d’abord le droit de
la concurrence aux Etats-Unis (A), puis le droit communautaire de la concurrence (B) et
enfin le droit français de la concurrence (C).
1
2
John Davison ROCKEFELLER.
E. SCHAEFFER, L’abus dans le droit de la concurrence, Gaz. Pal., Doctrine p. 401, 1981.
7
A – Le droit de la concurrence aux Etats-Unis
4. - Le droit de la concurrence apparait, pour la première fois, aux Etats-Unis, avec
le Sherman Antitrust Act3. Ce dernier constitue la première tentative du gouvernement
américain afin de limiter les comportements anticoncurrentiels des entreprises.
Le Sherman Act, adopté par le parlement américain, avait été proposé par le
sénateur de l’Ohio, John SHERMAN, afin de mettre fin aux pratiques mises en œuvre
par la société Standard Oil, société créée et appartenant à John ROCKEFELLER4.
5. - Le sénateur John SHERMAN avait déclaré, lors de la proposition du texte, « si
nous refusons qu’un Roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un Roi
gouverne notre production, nos transport ou la vente de nos produits ».
6. - La
section
2
du
Sherman
Act
s’attèlera
donc
à
interdire
les
monopolisations : « Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or
combine or conspire with any other person or persons, to monopolize any part of the
trade or commerce among the several States, or with foreign nations, shall be deemed
guilty of a felony, and on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding $
10,000,000 if a corporation, or, if any other person, $350,000, or by imprisonment not
exceeding three years, or by both said punishments, in the discretion of the court5”.
7. - Dans l’hypothèse d’un pouvoir de monopole acquis à la suite d’une entente ou
d’une concentration, l’illégalité est automatique : c’est l’entente ou la concentration qui
constituent en elles mêmes le comportement abusif6. Dans les deux cas, c’est à la
concurrence que ces pratiques portent atteinte.
3
The Sherman Antitrust Act, 2 juillet 1890.
Cette société procédait par intégration horizontale et verticale à travers l’ensemble des Etats-Unis
afin de devenir la plus grande société américaine de pétrole.
5
Cette section peut être traduite de la façon suivante : « toute personne qui monopolisera ou tentera
de monopoliser, ou s’associera ou conspirera avec une autre personne ou d’autres personnes, afin
de monopoliser une partie de l’industrie ou le commerce entre les divers Etats ou avec des Etats
étrangers, est considérée comme coupable d’un crime ».
6
R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, n°4, p.679, 1969.
4
8
8. - L’économiste EDWARDS7, a déclaré au sujet des monopoles et de leur
contrôle que « depuis quelques années, mon opinion est que l’on peut s’attaquer au
problème de la firme puissante de deux manières. Ou bien l’on peut maintenir le
pouvoir à un niveau auquel on pense qu’il sera suffisamment contenu par la
concurrence, ou bien l’on peut établir un certain contrôle qui empêche que le pouvoir
ne soit utilisé d’une façon que l’on n’aime pas. Les européens, étant parfaitement
disposés à accepter beaucoup plus de contrôle que nous ne l’avons été historiquement,
ont adopté la technique du contrôle ».
9. - Dans la conception américaine, le principe de libre concurrence est perçu
comme une condition indispensable du progrès et du bon fonctionnement de
l’économie. D’où la sévérité des sanctions prononcées dans le cadre d’une atteinte à ce
principe de libre concurrence.
10. - Le droit « antitrust » qui a été mis en place prohibe toute atteinte à la
concurrence. Les années 70-80 voient l’apparition de l’approche néolibérale8 du droit de
la concurrence, laquelle s’écroulera avec la crise de 2008. A l’heure actuelle, le
Président Barack OBAMA lutte contre les concentrations néfastes pour le bien être des
consommateurs, et la tendance est à un rapprochement entre les droits américains et
européens de la concurrence.
B – Le droit de la communautaire de la concurrence
11. - La construction du droit communautaire de la concurrence s’effectue
quasiment 60 ans après la construction américaine.
12. - Cette construction se réalise, dans un premier temps, avec le Traité de Paris 9.
L’objectif de ce traité était la création d’un marché unique sur la production et la
consommation du charbon et de l’acier entre les pays membres. Les règles contenues
7
C. EDWARDS, International aspects of antitrust, p.311.
Laquelle considère que les mécanismes du libre marché portent en eux-mêmes les remèdes à toutes
les imperfections du marché. Seule l’efficacité compte.
9
Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), signé à Paris le 18
avril 1951.
8
9
dans ce traité prohibaient les ententes restrictives de concurrence ainsi que les
opérations de concentration10.
13. - Le Traité de Rome11, quant à lui, posera les bases plus complètes d’un droit
communautaire de la concurrence.
14. - Ce dernier, dans son développement, du fait du processus de construction
européenne, est attaché aux concepts de marché commun et de marché intérieur. C’est
pourquoi il a comme mission de maintenir une concurrence saine dans ce marché
intérieur12. L’objectif du droit de la concurrence est ici le bien-être économique.
15. - Les objectifs politiques du droit communautaire de la concurrence sont donc
la protection des consommateurs, la protection des petites et moyennes entreprises, mais
aussi la libre concurrence à l’intérieur de l’Union Européenne.
Le droit communautaire comprend dès lors des règles applicables aux
entreprises, par le contrôle des ententes et des abus de position dominante, ainsi que des
règles applicables aux Etats membres, par l’encadrement des aides d’Etat notamment.
16. - Dans la conception communautaire du droit de la concurrence, et à la
différence de la conception américaine, ce n’est pas la position de l’entreprise en soi qui
est sanctionnée. Ce que l’on sanctionne est une utilisation préjudiciable pour les autres
entreprises et pour les consommateurs de cette position. C’est pourquoi il prône une
intervention des institutions communautaires, et plus particulièrement de la Commission
Européenne, afin de sanctionner tout comportement d’une entreprise qui fausserait la
concurrence dans le marché intérieur.
Cette conception sera reprise par le droit français de la concurrence.
10
Articles 65 et 66 du Traité.
Traité créant la Communauté Economique Européenne, signé à Rome le 25 mars 1957.
12
A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence interne et communautaire, LGDJ, n°10, p.33, 2010.
11
10
C – Le droit de la concurrence en France
17. - A la différence du droit communautaire de la concurrence, le droit français de
la concurrence n’a pas réussi à former un ensemble homogène dans ses premières
années d’existence.
18. - C’est, en effet, seulement depuis l’ordonnance du 1er décembre 198613 que les
règles du droit de la concurrence forment un ensemble, contenu dans un texte unique, le
Code de commerce.
19. - Les premiers éléments de droit de la concurrence apparaissent avec un décret
de 195314, auquel se substituera un décret de 195815. Mais c’est avec l’ordonnance de
1986, traduisant la volonté du gouvernement d’entrer dans l’économie de marché, que
se construira un véritable droit de la concurrence.
L’objectif était, déjà à cette époque, d’opérer un rapprochement entre les règles
internes et communautaires de concurrence.
20. - Aussi, la mise en place d’une autorité de contrôle veillant au respect de ces
règles de concurrence était nécessaire. Ce sera chose faite, dès 197716 : cette autorité
avait alors en charge de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, pratiques portant
atteinte à la concurrence et correspondant aux ententes, abus de position dominante et
abus de dépendance économique.
21. - D’un autre coté, sont sanctionnées par le droit de la concurrence les pratiques
restrictives de concurrence, pratiques consistant en des comportements individuels,
prohibés en soi.
13
Ordonnance n°86-1243, Relative à la liberté des prix et de la concurrence, JO, 9 décembre 1986.
Décret du 9 aout 1953, n°53-704.
15
Décret du 24 juin 1958, n°58-545.
16
Loi du 19 juillet 1977, n°77-806 qui créée la Commission de la concurrence. Celle-ci sera
remplacée par le Conseil de la concurrence, mis en place par l’ordonnance du 1 er décembre 1986,
Préc. L’Autorité de la concurrence remplace désormais le Conseil de la concurrence depuis le 13
janvier 2009, date d’entrée en vigueur de la loi de Modernisation de l’Economie du 4 aout 2008,
n°2008-776.
14
11
22. - Le droit français de la concurrence comprend pour l’essentiel des règles
applicables aux entreprises, qui sont sur le fond, dans une large mesure semblables à
celles du droit communautaire17. Le droit interne considère donc lui aussi que la libre
concurrence constitue le moyen le plus efficace au service du bien-être de l’économie.
Il convient de préciser que, dans cette étude, il sera question uniquement de
l’analyse du droit communautaire ainsi que du droit interne de la concurrence.
Si le respect des normes concurrentielles est contrôlé, il n’en reste pas moins que
des abus peuvent être commis.
II – L’abus en droit de la concurrence
23. - L’un des abus pouvant être mis en œuvre, sanctionné par le droit de la
concurrence, est celui de l’abus de position dominante.
24. - La notion de position dominante n’est nullement définie par les textes, tant
nationaux que communautaires. C’est donc la pratique qui est venue poser une
définition18, et c’est par l’article 86 du Traité de Rome19 que viendra la sanction de ces
abus de position dominante en droit communautaire.
25. - Les abus de position dominante ont été appréhendés, en France, par une loi du
2 juillet 196320, loi qui introduit l’article 59 bis de l’ordonnance du 30 juin 194521. Cet
ancien article 59 bis dispose que « sont prohibés dans les mêmes conditions que les
ententes, les activités d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises occupant sur le
marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, une position dominante
caractérisée par une situation de monopole ou par une concentration manifeste de la
17
A. et G. DECOCQ, Préc. note 12.
V. infra.
19
Traité créant la Communauté Economique Européenne, signé à Rome le 25 mars 1957 : « est
incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats
membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de
façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de
celui-ci. […] ».
20
Loi de finance n° 63-628 rectificative pour 1963 : J.O. du 3 juillet 1963, p. 5915.
21
Ord. n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix : J.O. du 8 juillet 1945, p. 4150. Codifiée au titre
IV du Code de commerce : Art. L. 410-1 et s.
18
12
puissance économique, lorsque ces acticités ont pour objet ou peuvent avoir pour effet
d’entraver le fonctionnement normal du marché ».
Par cette appréhension, les abus de position dominante constituent une catégorie
très particulière dans la mesure où il s’agit autant de sanctionner une atteinte au marché
que de punir un comportement qui aurait pu l’être par des mécanismes de droit civil22.
26. - S’il n’est pas nécessaire, à ce stade de l’étude, d’en donner la définition, il
convient toutefois, afin de marquer son originalité, de tenter de replacer la notion d’abus
de position dominante, telle qu’elle est appréhendée en droit de la concurrence, au cœur
de la théorie civiliste de l’abus de droit.
Le Professeur SCHAEFFER considère que, dans la théorie civiliste classique,
« l’abus de droit consiste en l’exercice malicieux de celui-ci, c’est-à-dire avec
l’intention de nuire à autrui. Dans une interprétation plus large, il suffit, pour qu’il y ait
abus, que l’exercice du droit ait causé un préjudicie à autrui, même sans intention de
nuire de la par de l’auteur, si son exercice était sans profit pour lui23 ».
Selon cet auteur, en droit de la concurrence, l’abus ne se détermine pas en
fonction du droit ou de la liberté qui est invoqué pour son exercice, mais en fonction du
droit ou de la liberté qui lui est opposé. De ce fait, du point de vue juridique, un abus de
droit est constaté lorsque ce droit entre en conflit avec un autre droit et que le juge ou le
législateur fait prévaloir le second sur le premier.
27. - Sur ce point l’abus de position dominante se distingue de l’abus de droit,
puisqu’il ne s’agit pas d’abuser d’un droit. L’abus de position dominante correspond à
un abus de fait, puisqu’une entreprise abuse de sa situation sur le marché.
28. - L’appréhension de l’abus de position dominante vise à sanctionner une
entreprise qui, du fait de sa position sur le marché, adopte des comportements qui
empêchent toute autre entreprise d’entrer sur le marché, ou comportement qui obligent
toute autre entreprise à se conformer à la volonté de l’entreprise dominante.
22
Le droit de la responsabilité notamment : M. DEPINCE, D. MAINGUY et J.-L. REPAUD, Droit de
la concurrence, LITEC, p.284, n°366, 2010.
23
E. SCHAEFFER, L’abus dans le droit de la concurrence, Gaz. Pal, II, p. 405, n°44, 1981.
13
Cette sanction des abus de position dominante est présente dans tous les traités :
l’article 86 du TCE deviendra l’article 82 du Traité d’Amsterdam (Traité CE). Le Traité
sur le fonctionnement de l’Union Européenne reprendra cette prohibition dans son
article 102.
Dans l’ensemble de ces dispositions, c’est donc bien l’exploitation effective,
abusive, de la position dominante qui est sanctionnée.
Cet abus de position dominante se scinde en deux catégories d’abus 24 : l’ « abus
de structure » et l’ « abus de comportement ».
III – L’ « abus de structure »
29. - Seul l’ « abus de structure » sera l’objet de la présente étude. Mais il
conviendra au préalable de l’étudier dans sa distinction avec l’ « abus de
comportement » (A) pour ensuite exposer l’intérêt d’une étude portant sur cet « abus de
structure ».
A – « Abus de structure » et « abus de comportement »
30. - La notion d’abus de position dominante a fait l’objet de discussions au sein de
la doctrine25. Un auteur, le Professeur JOLIET, a ainsi offert une distinction, au sein
même de cette notion. Il va en effet distinguer les notions « d’abus de comportement »
et « d’abus de structure »26.
31. - L’abus de structure vise les comportements d’une entreprise portant atteinte à
la concurrence. Ces comportements seraient toutefois admis s’ils étaient le fait d’une
entreprise se trouvant en situation de concurrence normale, mais sont sanctionnés car
émanant d’une entreprise dominante. Cette notion englobe la considération large qu’est
l’atteinte à la structure de la concurrence : le comportement de l’entreprise est
24
V. R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur n°4, 1969, p.645.
B. GOLDMAN, Droit commercial européen, DALLOZ, 1971 ; R. JOLIET, Monopolisation et abus
de position dominante, RTD Eur, 1969, p.645.
26
V. infra.
25
14
sanctionné en fonction de cette atteinte, et c’est en quoi ce type d’abus reflète une
conception objective de l’abus.
32. - L’abus de comportement, quant à lui, vise les comportements qui sont mis en
œuvre par une entreprise dominante, à l’égard d’autres entreprises. De par sa position
sur le marché, l’entreprise dominante cherche à obtenir un avantage de cette autre
entreprise. Les comportements de l’entreprise sont donc appréhendés en fonction d’un
autre opérateur ainsi qu’en fonction des avantages indument recherchés, et c’est en quoi
ce type d’abus reflète une conception subjective de l’abus.
33. - A travers l’établissement de cette distinction, le Professeur JOLIET va prôner
la mise en place d’un contrôle des structures, c’est-à-dire la mise en place d’un contrôle
des opérations de concentration entre entreprises. Ce contrôle, en effet, avait été prévu,
dans le Traité de Paris27, mais les rédacteurs du Traité de Rome, cependant, n’avaient
pas jugé utile de reprendre ces dispositions28. Ce dernier interviendra en 1989, par
l’adoption d’un règlement29, lequel sera modifié en 200430.
34. - La notion d’abus de structure, dégagée par la doctrine, a également fait l’objet
de vives discussions et critiques. Grâce aux divergences d’opinion, la notion, qui sera
consacrée en jurisprudence par l’arrêt Continental Can31, fera toutefois l’objet
d’importantes évolutions.32.
35. - Au demeurant, cette notion aurait pu être oubliée du fait de la jurisprudence.
Celle-ci, en effet, dans un arrêt de 197933, va introduire une part de subjectivisme dans
le contrôle des abus de position dominante, avec l’insertion d’une condition de
« comportement anormal ». Il ne s’agit pas cependant, à ce stade de l’étude, d’expliquer
de façon plus approfondie cette évolution jurisprudentielle.
27
Préc. note 8.
C. PRIETO, L’abus de position dominante, J-CL Europe, Fasc. 1423, n°3, 2010.
29
Règlement du Conseil, n°4064/89, Relatif au contrôle des opérations de concentrations entre
entreprises, du 21 Décembre 1989.
30
Règlement du Conseil, n°139/2004, Relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, du 20
Janvier 2004.
31
Arrêt Europemballage et Continental Can Contre Commission, 21 Février 1973, Aff. 6/72, Rec.
1973, p. 215.
32
V. infra.
33
Arrêt Hoffmann-La Roche, 13 Février 1979, Aff. 85/76, Rec CJCE 1979, p.461.
28
15
Apparue sous la plume de la doctrine, puis réceptionnée et adoptée par la
jurisprudence, cette notion, toujours en évolution, conduit à s’interroger sur sa pérennité
et sa légitimité en droit de la concurrence. La notion d’abus de structure est-elle
toujours utilisée dans l’appréciation de l’abus de position dominante ?
B - Intérêt d’une étude portant sur la notion « d’abus de structure »
36. - Cette question s’avère être fondamentale du point de vue de l’appréhension
des abus de position dominante.
Deux possibilités de sanction peuvent être envisagées. L’entreprise abusant de sa
position dominante peut n’être sanctionnée que du fait de son comportement envers une
autre entreprise, comportement qui lui cause directement un préjudice. L’entreprise,
toutefois, peut également être sanctionnée du fait de l’atteinte qu’elle porte à la structure
de la concurrence : son comportement peut causer un préjudice à l’ensemble de la
structure concurrentielle.
37. - Les deux conceptions ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais la seconde
permet une sanction plus large des comportements de l’entreprise dominante, la notion
de « structure de la concurrence » pouvant renvoyer à de nombreux comportements.
Les autorités de concurrence doivent donc prendre en compte l’atteinte portée à
la concurrence, et pas seulement le préjudice direct causé à une autre entreprise.
C’est pourquoi, analyser la pérennité de cette notion permet de comprendre la
politique de sanction des abus de position dominante mise en place par les autorités de
concurrence, ainsi que les évolutions de cette politique.
IV – Approche retenue et plan
38. - Afin de déterminer si la notion d’abus de structure est pérenne en droit de la
concurrence, une approche chronologique de l’utilisation de cette notion a été
privilégiée. Il apparaitra que, critiquée lors de son apparition et dans ses applications
postérieures, son existence a été remise en cause lors de la mise en place d’un contrôle
sur les opérations de concentration entre entreprises.
16
Une approche dichotomique classique, fondée sur la distinction droit interne /
droit communautaire n’aurait pas permis d’analyser clairement l’évolution de la notion
« d’abus de structure ».
L’étude, chronologique, se veut donc pour objectif d’exposer, dans un premier
temps, l’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » (Partie 1), pour, dans
un second temps, expliquer son utilisation actuelle (Partie 2).
17
PARTIE 1/ L’utilisation historique de la notion « d’abus de
structure »
39. - La naissance et la construction de la notion d’abus de structure ne se sont pas
faites de façon simultanée.
La notion, en effet, naîtra en doctrine et sera consacrée par la jurisprudence.
C’est une notion complexe, difficile à appréhender dans sa distinction avec
l’abus de comportement et qui nait dans les années 1970, années pendant lesquelles les
différentes notions du droit de la concurrence n’en étaient qu’à leurs prémices.
Une étude approfondie des fondements de cette notion (Titre 1) s’avère
essentielle. Celle-ci permettra en effet de saisir efficacement l’intégralité des évolutions
de cette notion, son développement (Titre 2), les raisons de son développement ainsi
que les critiques qui ont pu être formulées à son encontre.
Titre 1/ Les fondements de la notion « d’abus de structure »
40. - Les fondements de la notion d’abus de structure se sont construits de façon
progressive.
Lorsque cette notion apparait en doctrine, en effet, elle n’en est qu’à ses
prémices (Chapitre 1). Ce n’est que grâce à la jurisprudence, de par les précisions
qu’elle y apporte (Chapitre 2), que cette notion se construira.
18
Chapitre 1/ Les prémices de la notion « d’abus de structure »
41. - L’abus de structure est une notion relativement « récente » et elle arbore la
particularité d’être le fruit de la doctrine. Cette notion, plus précisément, est le fruit du
travail d’un auteur : Monsieur le Professeur JOLIET34. Ce dernier, en 1969, procède à
une distinction, dans l’un de ses articles, qui n’a encore jamais été faite, ni par la
doctrine, ni en jurisprudence. Il distingue en effet « l’abus de comportement » et
« l’abus de structure ». Cette distinction, toute nouvelle, trouvera un écho en
jurisprudence avec l’arrêt Europemballage et Continental Can C/ Commission35.
L’émergence doctrinale de la notion « d’abus de structure » (Section 1) sera ainsi
consacrée par la jurisprudence (Section 2).
Section 1/ L’émergence doctrinale de la notion d’ « abus de
structure »
42. - Les notions d’ « abus de comportement » (Paragraphe 1) et d’ « abus de
structure » (Paragraphe 2) vont clairement être distinguées par le Professeur JOLIET.
Cette distinction, qui repose sur une divergence d’approches de l’abus, tantôt subjective,
tantôt objective, ne sera pas remise en cause par le reste de la doctrine.
Paragraphe
1/
L’approche
subjective
de
l’abus :
« l’abus
de
comportement »
43. - La législation américaine de la concurrence envisage la monopolisation
comme résultant de la possession du pouvoir de monopole36 associée à l’intention
34
Préc. note 6.
CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec.
1973, p.215.
36
Hypothèse où une entreprise dispose d’une marge discrétionnaire substantielle dans la
détermination de ses prix et de sa production.
35
19
d’exercer ce pouvoir37 : la monopolisation constitue un comportement plutôt qu’une
situation de marché donnée. L’entreprise sera sanctionnée dans trois hypothèses : si elle
a recours à des méthodes abusives, si elle a recours à des méthodes déloyales, ou
lorsqu’elle a recours à des choix politiques qui aboutissent à la création d’un pouvoir de
monopole.
44. - Dans la législation européenne de la concurrence, c’est l’exploitation effective
de la position dominante qui est sanctionnée. L’entreprise doit donc avoir réellement
utilisé les possibilités que lui confère la domination du marché et avoir retiré des
avantages de l’exercice de cette domination.
45. - Dans son article, le Professeur JOLIET, à l’origine, avait pour objectif de
comparer le Sherman Act38 avec l’ex-article 86 du Traité de Rome39 (art. 82 CE, 102
TFUE) afin de comprendre la façon dont les deux systèmes juridiques - le système
américain et le système français - appréhendaient les abus de position dominante.
46. - Aux termes de l’ex-article 86 TCE « est incompatible avec le marché commun
et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être
affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une
position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) Imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou
d’autres conditions de transaction non équitables,
b) Limiter la production, les débouchés ou le développement technique au
préjudice des consommateurs,
c) Appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à
des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage
dans la concurrence,
37
Préc. note 6, p.663.
Préc. note 3..
39
Traité sur la Communauté Européenne, du 25 Mars 1957.
38
20
d) Subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires,
de prestations supplémentaires, qui, par leur nature ou selon les usages
commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »
47. - C’est à l’appui de la définition de l’abus40, telle qu’elle avait été donnée par
les experts, que le Professeur JOLIET mènera son analyse. Aux termes de cette
définition : « il y a exploitation abusive d’une position dominante lorsque le détenteur
de cette position utilise les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages
qu’il n’obtiendrait pas en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace »41.
Le Professeur JOLIET va alors considérer, que, selon cette définition, l’abus est
une notion qui doit s’apprécier objectivement. De ce fait, il y a exploitation abusive
lorsque le comportement de l’entreprise constitue objectivement un comportement fautif
au regard des dispositions du traité.
48. - Le caractère équivoque de la définition va toutefois l’amener à s’interroger
quant au critère de détermination de l’abus : « L’abus au sens du traité de Rome
consiste-t-il dans un certain type de comportement à l’égard de la concurrence ou dans
une certaine attitude à l’égard des fournisseurs ou utilisateurs (l’autre coté du
marché) ? Le critère de l’abus est-il l’exploitation effective du pouvoir de marché au
détriment des utilisateurs ou bien l’acquisition et la perpétuation de ce pouvoir selon
des méthodes « déloyales » qui portent atteinte à la concurrence42 ?
Cette interrogation, fondamentale, se trouvera au cœur de la distinction opérée
par l’auteur entre les notions d’abus de structure et d’abus de comportement. Deux
sortes d’atteinte – d’abus – peuvent, en effet, être caractérisées.
49. - L’auteur relève que les termes de l’ex-article 86 TCE43 visent en réalité à
veiller à ce que la domination du marché ne soit pas utilisée au préjudice des utilisateurs
ou des consommateurs. Les exemples qu’il évoque se rapportent ainsi à des cas
d’exercice du pouvoir, à des pratiques par lesquelles l’entreprise tire parti de son
40
La Commission des Communautés Européennes avait chargé certains experts d’effectuer une étude
sur les moyens offerts de l’article 86 du Traité de Rome.
41
Mémorandum sur la concentration, p.22.
42
Préc., note 6, p.681.
43
Préc., note 39.
21
pouvoir sur le marché, c’est-à-dire l’exploite. Il démontre cette analyse à travers chaque
pratique citée. En ce qui concerne d’abord la fixation unilatérale de prix inéquitables et
la limitation de la production au préjudice des consommateurs, il considère que c’est un
moyen pour l’entreprise d’exploiter son pouvoir de marché. Concernant ensuite les
pratiques discriminatoires, il apparait clairement pour l’auteur que cela vise à assurer
l’égalité de la concurrence entre acheteurs de l’entreprise dominante. Enfin, les clauses
liées ou jumelées sont pour l’entreprise dominante une façon de tirer parti de l’avantage
que lui donne son pouvoir.
50. - Toutes ces pratiques se réfèrent au comportement qu’une entreprise en
situation de position dominante peut avoir à l’égard des concurrents et de ses partenaires
commerciaux. L’entreprise dominante adopte directement un comportement envers une
autre entreprise dans le dessein de profiter du pouvoir que lui confère sa position
dominante. C’est d’ailleurs la définition classique de l’abus de comportement qui sera
retenue. Il est en effet possible de le définir de la façon suivante : « il consiste à profiter
de sa position pour obtenir des avantages de ses clients ou fournisseurs qu’une
concurrence effective ne lui aurait pas permis44 »
Le Professeur JOLIET va critiquer la position prise par les rédacteurs du traité
en considérant qu’ « à la différence de l’article 2 [du Sherman Act], l’article 86 ne
permet pas de redresser un comportement abusif à l’égard de la concurrence45 » car les
termes de cet article ne visent que des comportements mis en œuvre à l’égard
d’entreprises. Or, pour l’auteur, il est également indispensable de sanctionner des
comportements abusifs qui portent atteinte à la structure de la concurrence.
44
M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2ème Ed, p. 189,
2003 ; L. VOGEL, G. RIPERT, R. ROBLOT, M. GERMAIN, Traité de Droit Commercial, t 1, Vol.
1, LGDJ, 18ème Ed, 2001, n°66 ; J-B BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°200 ; C.
GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., Fasc. 260, n°98, 2003. ; P. LE
TOURNEAU, M. ZOIA, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats –
Distribution, 2010, n°172 ; M-C GUERIN, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois
Pénales Spéciales, 2008, n°61.
45
Préc., note 6, p.689.
22
Paragraphe 2/ L’approche objective de l’abus : « l’abus de structure »
51. - La comparaison entre le Sherman Antitrust Act46 et l’ex-article 86 du Traité de
Rome, menée par le Professeur JOLIET, le conduira à relever que l’article 2 du
Sherman Act définit la notion d’abus comme un comportement agressif ou déloyal à
l’égard de la concurrence. Il poursuit en expliquant qu’il s’agit de « pratiques inspirées
par le seul désir d’anéantir la concurrence ou de pratiques qui, sans présenter un
caractère coercitif, n’en ont pas moins pour effet et pour objectif d’ériger des barrières
artificielles au jeu de la concurrence ».
52. - L’opposition entre ces deux textes est donc claire : l’ex-article 86 du TCE
définit l’abus de position dominante comme l’exploitation effective du pouvoir de
monopole au détriment des utilisateurs et des concurrents. Comme expliqué
précédemment, seules sont données en exemple des pratiques portant atteinte aux
concurrents et aux partenaires commerciaux de l’entreprise en situation dominante.
53. - Il regrette que cet article ne permette pas de sanctionner une pratique abusive à
l’égard de la concurrence, à l’égard de la structure de la concurrence en elle-même, mais
seulement à l’égard des entreprises directement. L’atteinte à la concurrence est une
atteinte plus globale, pouvant par exemple dissuader un concurrent potentiel d’entrer sur
le marché. Cet article ne permet pas, par exemple, de corriger un excès de publicité qui
viserait au maintien de la domination par l’exclusion de concurrents potentiels ; or, des
dépenses publicitaires excessives risquent de constituer une force de dissuasion à
l’égard des entreprises nouvelles désireuses de s’introduire dans le marché 47. Par contre,
il ajoute que de par sa nature même, le système de l’ex-article 86 justifie le recours à un
contrôle direct des prix et de la production. Les autorités européennes seront contraintes
d’intervenir dans la gestion des entreprises puisque l’ex-article 86 ne leur permet d’agir
sur les structures en elles mêmes.
Il y a nécessairement un lien entre la définition donnée à la notion d’abus et les
remèdes qui seront mis en place pour sanctionner les infractions.
46
47
Préc., note 3.
Cela ressort clairement de la sentence rendue par la Cour Suprême dans l’arrêt American Tobacco :
US., 328. U.S. 781.797 (1946).
23
54. - Le Professeur JOLIET se réfère à l’ex-article 3, f) TCE48, qui précise que
« aux fins énoncées à l’article précédent, l’action de la Communauté comporte, dans les
conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité […] l’établissement d’un
régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans la marché commun ». Il
constate qu’en dépit de la proclamation de cet article, l’article 86 TCE ne permet pas
aux institutions de garantir la survie des mécanismes concurrentiels.
55. - Afin de démontrer son hypothèse, il prendra appui sur le droit des
concentrations et se servira plus particulièrement de la vision exprimée par la
Commission49 : celle-ci soutient en effet que la création d’un monopole risque
d’entraîner une limitation artificielle de la production et que pour cette raison,
l’élimination complète de la concurrence par voie de concentration serait illicite. Mais
pour l’auteur, ce danger n’est pas particulier au monopole et serait déjà implicitement
exprimé à l’ex-article 86 : en effet, il serait implicitement présent dans toute position
dominante, une position dominante limitant nécessairement la production. De ce fait, si
les deux situations entrainent les mêmes conséquences, pourquoi ne pas les traiter avec
les mêmes instruments ?
56. - L’auteur prône alors la mise en place d’un contrôle des concentrations
puisqu’au vu des termes de l’ex-article 86 TCE et de l’interprétation qui en est faite par
les autorités de concurrence, ces concentrations n’entrent pas dans le champ de cet
article relatif aux abus de position dominante. L’auteur souhaite, en réalité, un contrôle
de toute pratique d’une entreprise qui porte atteinte à la concurrence ; or, une opération
de concentration porte atteinte à la concurrence puisqu’il devient alors plus difficile
pour les concurrents d’entrer sur le marché et d’y rester durablement.
57. - Et c’est ainsi que va être définit l’abus de structure : ce dernier est « objectif
est vise toute pratique d’une entreprise dominante qui porte atteinte à la concurrence,
48
Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu'il
est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que la
concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le
cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union
Européenne ».
49
Dans son Mémorandum sur la Concentration, p.25.
24
ce qui conduit à interdire per se certaines pratiques au seul motif qu’elles faussent la
concurrence50 ».
58. - C’est donc par cet article qu’apparait la distinction entre abus de
comportement et abus de structure. Cette distinction est essentielle en ce qu’elle permet,
par l’intermédiaire de l’ex-article 86, de sanctionner une atteinte à la concurrence : il
s’agit de prendre en compte les effets du comportement de l’entreprise. L’abus de
comportement, quant à lui, s’opère directement à l’égard d’une entreprise et l’abus
apparait de façon évidente. L’abus de structure est quand à lui plus subtil en ce qu’il
interdit à une entreprise en situation de position dominante d’avoir un comportement
qui serait admis s’il émanait d’une entreprise en situation de concurrence normale.
59. - Désormais, deux types d’abus sont donc identifiés : l’un, l’abus de
comportement, est relatif à un comportement mis en œuvre à l’égard d’une autre
entreprise. L’autre, l’abus de structure, vise un comportement qui porte atteinte à la
concurrence et qui est sanctionné parce qu’il est le fait d’une entreprise dominante.
Cette nouvelle distinction sera reprise et consacrée quatre ans plus tard par la
jurisprudence. C’est en effet la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans le
célèbre arrêt Europemballage et Continental Can C/ Commission du 21 Février 197351,
qui opérera cette consécration.
Section 2/ La consécration jurisprudentielle de la notion « d’abus de
structure »
60. - Dévoilée sous la plume du Professeur JOLIER, et retenue par la doctrine, la
distinction entre l’abus de structure et l’abus de comportement a également été adoptée
50
M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2ème Ed, p. 189
2003 ; L. VOGEL, G. RIPERT, R. ROBLOT, M. GERMAIN, Traité de Droit Commercial, t 1, Vol.
1, LGDJ, 18ème Ed, 2001, n°866 ; J-B BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°200 ; C.
GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., Fasc. 260, 2003, n°98. ; P. LE
TOURNEAU, M. ZOIA, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats –
Distribution, 2010, n°172 ; M-C GUERIN, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois
Pénales Spéciales, 2008, n°61.
51
Préc. note 35.
25
par la jurisprudence. La notion d’abus de structure est apparue, dès 1973, dans la
décision Europemballage et Continental Can C/ Commission de la Cour de Justice des
Communautés Européennes (Paragraphe 1). Au demeurant, la réception de la notion par
la Cour de Justice s’est largement trouvée induite par les circonstances de l‘espèce.
Instrumentalisée par la Cour, la notion d’abus de structure a permis d’offrir un palliatif à
l’absence, à l’époque, de contrôle communautaire des opérations de concentration
(Paragraphe 2)
Paragraphe 1/ L’apparition de la notion « d’abus de structure » dans la
décision Europemballage et Continental Can C/ Commission
61. - La doctrine considère cet arrêt comme ayant très largement contribué à
l’interprétation de l’ex-article 86 TCE (art. 102 TFUE) relatif à l’abus de position
dominante52.
62. - Avant d’entrer dans le détail de la décision rendue par la Cour de Justice, il
convient de faire un bref rappel des faits de l’espèce. La société Continental Can Inc,
société américaine de droit newyorkais, est le plus grand producteur mondial
d’emballages métalliques, emballages légers, boites de conserves et matériel de
bouchage. Depuis le début de l’année 1969, Continental Can contrôle le plus grand
producteur allemand de ces mêmes produits disposant d’une position dominante sur le
marché des emballages (TDV53).
63. - Un accord est signé le 16 février 1970 entre Continental Can et T.D.V aux
termes duquel Continental Can s’engage à créer, au Delawara (USA) une société
holding54 à laquelle elle transférera ses intérêts actuels dans S.L.W55 et sa participation
minoritaire dans T.D.V.
52
J. BOULOUIS, R-M. CHEVALLIER, D. FASQUELLE, M. BLANQUET, Les grands arrêts de la
jurisprudence communautaire, DALLOZ, t 2, 5ème Ed, 2002, p.310 ; A. et G. DECOCQ, Droit de la
concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2008, n°275, p.390.
53
La société Thomassen & Drijver-Verblifa N.V.
54
Ultérieurement appelée Europemballage Corporation.
26
En définitive, ces opérations devraient permettre à Continental Can de contrôler,
par l’intermédiaire d’Europemballage, qu’elle contrôlerait à 100%, les deux groupes :
l’allemand S.L.W et le néerlandais T.D.V.
64. - La Commission décide toutefois d’intervenir et mène son enquête : elle rend
une décision le, 9 décembre 197156, aux termes de laquelle elle constate que Continental
Can, qui détient une position dans une partie substantielle du marché commun sur le
marché des emballages légers a exploité abusivement cette position dominante.
65. - La Cour de Justice rend alors un arrêt en date du 21 Février 197357. L’avocat
général, Monsieur Karl ROEMER, dans ses conclusions58, commence par relever que
c’est la première fois que la Cour doit se prononcer sur la base de l’ex-article 86 TCE.
L’avocat général considère que la question qui se pose en l’espèce est la suivante : estce que « l'article 86 joue également lorsqu'une entreprise jouissant d'une position
dominante renforce tellement sa position sur le marché en absorbant une autre
entreprise qu'il ne subsiste pratiquement plus de concurrence » ? L’avocat répondra par
la négative en considérant que la Commission opère une interprétation extensive de
l’ex-article 86 alors que le texte doit être interprété strictement. L’avocat ROEMER
conclut en considérant que la décision de la Commission doit donc être annulée.
La Cour de Justice va suivre les conclusions de l’avocat général et ainsi annuler
la décision rendue par la Commission.
66. - Son raisonnement va être de considérer qu’il faut envisager l’esprit,
l’économie et les termes de l’ex-article 86 TCE. Elle considère que les ex-articles 85 et
86 du TCE poursuivent le même objectif ; de ce fait, la puissance de domination qui
serait atteinte par des entreprises grâce à la mise en place d’une unité organique doit être
sanctionnée de la même façon que les associations d’entreprises altérant la concurrence
et prohibaient par l’article 85 du TCE.
55
La société Schmalbach Lubeca Werke AG, société se trouvant en situation de position dominante en
Allemagne.
56
Déc. Com, Continental Can, 9 décembre 1971 n°72621 IV, 26.811, JOCE L 8 janvier 1972.
57
Préc. note 35.
58
Conclusions de l’avocat général ROEMER, présentées le 21 novembre 1972, Rec. 1973, p. 215.
27
67. - La cour conclut, et c’est ici l’apport majeur de cet arrêt, en considérant
« qu'est dès lors susceptible de constituer un abus le fait, par une entreprise en position
dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint
entraverait substantiellement la concurrence, c'est-à-dire ne laisserait subsister que des
entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l'entreprise dominante ; […] le
problème, évoqué par les requérantes, du lien de causalité qui, à leur avis, devrait
exister entre la position dominante et son exploitation abusive, ne revêt pas d'intérêt, le
renforcement de la position détenue par l'entreprise pouvant être abusif et interdit par
l'article 86 du traité, quels que soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet59
[…] ».
La Cour accepte le raisonnement de la Commission : la prise de contrôle total
par une entreprise dominante de son seul concurrent sur le marché en cause tombe sous
le coup de l’article 86 (article 102 TFUE) du TCE.
68. - Cet arrêt consacre de ce fait la notion d’abus de structure. La Cour, en effet,
admet que le simple fait que le marché soit substantiellement entravé suffit à
caractériser l’abus, quels que soient les moyens utilisés. L’abus est constitué en dehors
des éléments intrinsèques de l’entreprise. Désormais, comme le Professeur JOLIET le
souhaitait60, c’est l’atteinte à la concurrence, et non plus seulement aux concurrents, qui
est prise en considération. C’est donc une interprétation extensive de l’ex-article 86 du
TCE qui a permis cette consécration, puisque cette hypothèse de la prise de contrôle
d’un concurrent ou d’une atteinte à la concurrence n’était nullement prévue dans le
texte. La Cour a proclamé cette atteinte en se détachant de la lettre du texte, en
envisageant l’esprit de ce texte.
69. - Mais cette décision intervient dans le contexte particulier d’une prise de
contrôle total, d’une opération de concentration. C’est pourquoi il est possible de
considérer que la notion d’abus de structure a été utilisée par la Commission comme
palliatif à l’absence de contrôle communautaire des opérations de concentration.
59
60
Préc. note 35, point 26.
V. supra.
28
Paragraphe 2/ L’instrumentalisation de la notion d’abus de structure par
la Cour de justice : un palliatif à l’absence de contrôle des opérations de
concentration
70. - En 1973, lorsque l’arrêt est rendu, il n’existe aucun contrôle communautaire
des opérations de concentration. Ce constat accrédite l’idée selon laquelle la notion
d’abus de structure est ici utilisée comme palliatif à cette absence. Il convient de
rappeler, en effet, que l’arrêt de la Commission a été annulé par la Cour car cette
dernière considérait que la décision manquait de motivation concernant la définition du
marché en cause: le raisonnement fondé sur l’ex-article 86 du TCE, selon lequel est
prohibée toute exploitation abusive d’une position dominante, a donc été approuvé par
la Cour.
71. - Une partie de la doctrine a favorablement accueilli ce raisonnement. M. Jean
De RICHEMONT61 considère ainsi que, par le biais de son arrêt, la Cour « institue un
contrôle préalable des concentrations ». Pris à la lettre, l’ex-article 86 TCE ne permet
pourtant qu’un contrôle et une sanction à postériori d’un abus de position dominante.
72. - En considérant, cependant, que le renforcement d’une position dominante par
le biais d’une opération de concentration constitue un abus de position dominante
lorsque le marché est substantiellement entravé, la Cour s’autorise un contrôle à priori
de toute opération de concentration qui entraverait substantiellement le marché, donc
qui entraverait substantiellement la concurrence.
Dès lors, toute entreprise qui a recours à une opération de concentration peut
craindre une sanction de la Cour lorsque cette opération aura une incidence sur un
marché déterminé.
73. - Un autre auteur62, lui aussi favorable à cette analyse, justifie le raisonnement
de la Cour par le fait que celle-ci met un point d’honneur à exécuter et à respecter la
61
J. De RICHEMONT, Concentrations et abus de positions dominantes, Article 86 du Traité de Rome,
Affaire Continental Can, RTD Eur, 1973, p.477.
62
J. GUYÉNOT, L’affaire Continental Can, Gaz. Pal, 1973, p. 352.
29
mission qui lui est assignée par le Traité, et plus précisément par son article 3 f)63, à
savoir le maintien d’une concurrence non faussée dans le marché commun. L’auteur
considère qu’en faisant de l’ex-article 86 TCE un instrument de contrôle à priori des
concentrations, la Commission « a fait une œuvre intelligente dans l’intérêt bien
compris des entreprises ».
74. - L’explication fournie par ces auteurs revient à considérer qu’en présence d’un
texte ne correspondant plus aux réalités économiques, la Cour peut s’octroyer le droit de
venir « combler » ces lacunes.
Il est clair qu’en l’espèce la Commission a utilisé la notion d’abus de structure
afin de pouvoir sanctionner l’opération de concentration réalisée par Continental Can64.
75. - Le Professeur Catherine PRIETO65 justifie quant à elle le raisonnement de la
Commission en expliquant que cette dernière entendait faire pression sur les Etats
membres de l’Union Européenne : en effet, ces derniers étaient réticents à adopter un
texte mettant en place un contrôle des concentrations. La Commission entendait donc
faire pression sur eux afin qu’ils abandonnent leur hostilité à l’adoption d’un tel texte.
Les rédacteurs du Traité de Rome66, en outre, n’avaient de plus pas jugé opportun de
reprendre les dispositions du Traité de Paris67, lequel instituait pourtant un contrôle des
concentrations. Ces derniers souhaitaient en effet encourager des restructurations
d’entreprises pour que se dégagent des opérateurs économiques à la taille du vaste
marché qu’ils souhaitent créer. Avec la prise de contrôle opérée par Continental Can sur
une entreprise européenne, la Commission a donc logiquement été amenée à utiliser la
prohibition de l’abus de position dominante pour une opération de concentration.
63
Préc. note 48.
Dans ce sens : J-B BLAISE, Rép. Com, Abus de position dominante, 2005, n° 201 ; D. BRAULT,
Politique et pratique du droit de la concurrence en France, LGDJ, 2004, p. 407 ; R. BLASSELLE,
Traité de droit européen de la concurrence, t 1, PUBLISUD, 2002, p. 298 ; A. et G. DECOCQ,
Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2008, n°279.
65
C. PRIETO, Abus de position dominante, J-CL Europe, Fasc. 1423, n°3, 2010.
66
Préc., note 39.
67
Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, signé à Paris le 18 avril
1951, Art. 66.
64
30
Il est vrai que la Cour était surtout amenée à travailler avec l’ex-article 85 TCE :
mais en l’espèce, il était difficile de remplir les conditions posées par cet article68.
Utiliser l’ex-article 86 TCE était donc la seule alternative qui s’offrait à elle.
76. - L’arrêt Continental Can marque donc un tournant dans l’approche et
l’interprétation de l’ex-article 86 TCE. Non seulement il consacre une notion, l’abus de
structure, laquelle reflète une conception objective de l’abus de position dominante69,
mais il se trouve en outre à l’origine d’une évolution dans le contrôle des opérations de
concentration. A la suite de cet arrêt, la Commission présentera un projet de texte
instaurant un véritable contrôle de ces opérations de concentration70.
77. - Cet arrêt a suscité de nombreuses réactions, de nombreuses critiques : il lui
était reproché de ne prendre en considération que l’atteinte à la concurrence et
insuffisamment le comportement mis en œuvre par l’entreprise. La jurisprudence
postérieure va venir compléter et atténuer l’apport de cet arrêt, en définissant clairement
la notion de position dominante et en tempérant la définition de l’abus. La portée de la
notion « d’abus de structure » s’en trouvera affinée.
Chapitre 2/ Les précisions apportées à la notion d’abus de structure
78. - La notion de position dominante n’est pas définie par les textes. L’ex-article
86 TCE condamne ainsi l’exploitation abusive d’une position dominante mais sans
préciser le contenu de cette notion. C’est donc la jurisprudence qui va progressivement
affiner cette définition : elle sera précisée par la Cour de justice dans son arrêt United
Brands C/ Commission71 du 14 février 1978 (Section 1). La jurisprudence interviendra
peu de temps après pour définir l’abus de position dominante, notion également non
68
Ce dernier étant en effet relatif aux ententes, il n’y avait en l’espèce aucune pratique concertée, mais
une prise de contrôle par une entreprise dominante.
69
V. Supra.
70
Propositions de règlement (CEE) de la Commission, transmis au Conseil, sur le contrôle des
concentrations du 20 juillet 1973, JOCE n° C 92 du 31 octobre 1973, p. 1.
71
CJCE, United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission, 14 février
1978, aff 22/76, Rec p.207.
31
définie par les textes : c’est l’arrêt Hoffmann-La Roche C/ Commission72 du 13 février
1979 qui énoncera une définition (Section 2).
Section 1/ La définition de la notion de position dominante : l’arrêt
United Brands C/ Commission du 14 février 1978
79. - Suite aux critiques adressées à l’égard de l’arrêt Europemballage et
Continental Can73, il fut nécessaire de définir les contours dans lesquels cet arrêt devait
s’appliquer, notamment en précisant les notions auxquelles la Cour faisait référence. La
jurisprudence va donc opérer ce travail avec l’arrêt United Brands Company : un exposé
des circonstances de l’espèce (Section 1) s’avère nécessaire afin de mieux appréhender
l’apport de cet arrêt qui, sans conteste, apparait comme fondateur de la notion de
position dominante (Section 2).
Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt United Brands
80. - La société United Brands Company est une société newyorkaise (ci-après
dénommée UBC), créée en 1970 suite à la fusion de la United Fruit Company et de la
Americain Seal Kap Corporation. Elle constitue, en 1978, le groupe le plus important au
monde sur le marché de la banane. Sa filiale, la société United Brands Continentaal BV
(ci-après dénommée UBCBV), dont le siège se situe à Rotterdam, assure la coordination
des ventes de bananes dans tous les Etats membres de l’Union Européenne.
81. - Les sociétés Th. Olesen (située au Danemark), Tropical Fruit Co et Jack Dolan
Ltd (situées à Dublin) ainsi que l’entreprise Banana Importers (située en Irlande) ont
déposé une plainte, en février et mai 1974, auprès de la Commission, contre la société
UBCBV. Cette plainte avait pour objet la violation de l’ex-article 86 TCE.
72
CJCE, Hoffmann-La Roche contre Commission, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979,
p. 461.
73
CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec.
1973, p.215.
32
En avril 1975, la Commission informe la société UBCBV qu’à son avis elle
commet un abus de position dominante, et ce pour plusieurs raisons :
-
Tout d’abord, UBCBV oblige ses distributeurs mûrisseurs à ne pas vendre de
bananes vertes ;
-
Ensuite, elle adresse à ses distributeurs mûrisseurs, dans divers Etats membres,
des prix nettement différents (sans justification, pour des bananes de même qualité alors
que les conditions de marché étaient virtuellement les mêmes) ; les différences de prix
peuvent même aller jusqu’à 138% ;
-
Enfin, elle refuse d’approvisionner la société Olesen en bananes de la marque
Chiquita, au motif que cette dernière aurait pris part à une campagne publicitaire pour
une marque rivale.
Les sociétés UBC et UBCBV vont répondre à la Commission en présentant leur
point de vue.
82. - Suite à la procédure engagée, la Commission rend une décision en date du 17
décembre 197574.
La Commission précise, concernant le marché mondial de la banane, que la
société United Fruit Company a fait preuve d’innovation en mettant en place une
politique particulière de commercialisation des bananes : cette dernière, en effet,
effectue un marquage de chaque banane dans les pays de production pour la vente de
ses bananes sous la marque « Chiquita ».
83. - Après avoir présenté les différents concurrents d’UBC et analysé le
comportement de cette dernière, la Commission va donner sa définition de la position
dominante. Elle l’avait déjà fait auparavant dans un mémorandum du 1er décembre 1971
en considérant que la position dominante se définissait comme « le pouvoir
économique, c’est-à-dire la faculté d’exercer sur le fonctionnement du marché une
influence notable et, en principe, prévisible pour l’entreprise dominante75 ».
Elle va, dans sa décision, affiner cette définition pour déclarer que « des
entreprises bénéficient d’une telle position, lorsqu’elles ont une possibilité de
comportements indépendants qui les met en mesure d’agir sans tenir compte des
74
75
La décision « IV/26.699, Chiquita », JO L n° 95 du 9 avril 1976.
RTD Eur, 1966, p. 675.
33
concurrents, des acheteurs ou des fournisseurs ; qu’il en est ainsi lorsque […] elles ont
la possibilité de déterminer les prix ou de contrôler la production ou la distribution
pour une partie significative des produits en cause76 ».
84. - La Commission démontre ensuite que la société UBC est en situation de
position dominante sur le marché des bananes77 et conclu en affirmant que la société
UBCBV a abusé de sa position dominante, pour les motifs exposés précédemment.
La société UBC et sa filiale forment alors un recours à l’encontre de la décision
rendue par la Commission en mars 1976.
C’est donc à la Cour de Justice des Communautés Européennes qu’il revient de
trancher le différent qui oppose les deux parties. En tranchant ce litige, la Cour
conférera à cet arrêt un caractère fondateur.
Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt United Brands
85. - La Cour de Justice va rejeter le recours formé par la société UBC et sa filiale
en considérant que la société UBCBV a bien exploité abusivement sa position
dominante.
86. - L’apport principal de cet arrêt, et c’est d’ailleurs ce qui lui confère son
caractère fondateur, réside dans la définition de la position dominante posée par la Cour.
Cette dernière va en effet considérer que « la position dominante visée par cet article
[l’ex-article 86 TCE] concerne une position de puissance économique détenue par une
entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence
effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements
indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrence, de ses clients,
et au final des consommateurs78 ».
76
Arrêt United Brands Company, Préc., note 71.
Qui est, selon la Commission, un marché distinct du marché des fruits en général du fait, entre
autre, de leur caractère hautement périssable.
78
Arrêt United Brands Company, Préc., n°71.
77
34
Par cette définition, l’objectif est de viser toutes les formes de dominations
susceptibles de déséquilibrer la concurrence sur le marché. La finalité est de préserver la
concurrence au bénéfice des consommateurs et non de veiller à protéger des
concurrents.
87. - Au vu de cette définition, trois éléments doivent être rassemblés : « le constat
qu’une entreprise ou un qu’un groupe d’entreprises est, sur un marché pertinent, en
situation de domination79 ».
88. - Plusieurs éléments sont ici fondamentaux : tout d’abord, la Cour attache une
grande importance à l’obstacle, qui peut être mis en place, au maintien d’une
concurrence effective sur le marché en cause. On constate en effet que cette exigence
n’apparait ni dans la première définition qui avait été donnée par la Commission dans
son mémorandum de 1971, ni dans la décision de la Commission de 197580.
Il s’agit donc de prendre en considération l’atteinte qui peut être portée à la
concurrence ; la protection des autres concurrents n’est plus le seul objectif. Ce
raisonnement se trouve ainsi dans la droite lignée de l’analyse adoptée par la Cour dans
l’arrêt Europemballage et Continental Can81
Ensuite, il y a l’idée de comportement indépendant, vis-à-vis des concurrents,
des clients et au final des consommateurs. L’entreprise en situation de domination doit
donc posséder une importante puissance économique lui permettant d’imposer certaines
conditions à ses concurrents, voire de les obliger à s’aligner sur elle.
89. - La Cour va également apporter une précision sur les possibilités qui sont
offertes à une entreprise se trouvant en situation de position dominante pour « se
défendre » vis-à-vis de ses concurrents. Elle précise que « s’il est exact, comme le fait
remarquer la requérante, que l’existence d’une position dominante ne saurait priver
une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres
intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu’il faut lui accorder, dans une
mesure raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de
79
M. DEPINCE, D. MAINGUY, J.-L. REPAUD, Droit de la concurrence, LITEC, 1ère Ed, 2010,
n°338, p.285.
80
Déc. Com, Chiquita, 17 décembre 1975, JO L n°95, 9 avril 1976.
81
Préc. note 73.
35
protéger ses dits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu’ils ont
précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser82 ».
On retrouve ici l’idée, déjà présente dans l’arrêt Europemballage et Continental
Can, du renforcement d’une position dominante qui devient abusif. L’entreprise
dominante conserve une marge de manœuvre pour se protéger de ses concurrents, mais
en aucun cas cette faculté ne doit être utilisée pour renforcer une position dominante ou
en abuser.
90. - La définition posée dans cet arrêt n’a depuis pas été remise en cause. Cet arrêt
se combine de plus parfaitement avec l’arrêt de 1973 : en effet ce dernier ne définissait
pas la notion de position dominante. Or, cet arrêt United Brands, en apportant une telle
définition, complète ainsi l’arrêt Continental Can.
Mais, une notion essentielle n’a toujours pas été définie : la notion d’abus de
position dominante. Celle-ci sera précisée, un an plus tard, par la Cour de Justice, dans
l’arrêt Hoffmann-La Roche.
Section 2/ La définition de l’abus de position dominante : l’arrêt
Hoffmann-La Roche du 13 février 197983
91. - La définition de l’abus de position dominante devait nécessairement être
donnée par la Cour de Justice, et ce peu de temps après l’arrêt United Brands Company,
afin de parfaire le système de contrôle des abus de position dominante. Après une étude
des circonstances (Section 1) de cet arrêt, lui aussi fondateur, il conviendra d’en
analyser les apports (Section 2).
Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt Hoffmann-La Roche
92. - La société Hoffmann-La Roche est située à Bâle, en Suisse. Elle est, au niveau
mondial ainsi qu’à l’intérieur du marché européen, le fabricant le plus important et celui
82
83
Arrêt United Brands, Préc. note 71, n°189.
CJCE, Hoffmann-La Roche, Préc, note 72.
36
dont la production s’étend au plus grand nombre de groupes de vitamines non
conditionnées.
93. - Elle a conclu, depuis 1964, des contrats dits « contrats de fidélité » (26 au
total) avec 22 entreprises exerçant dans le marché commun une activité de production
et/ou de vente
de vitamines en vue de leur utilisation, soit par l’industrie
pharmaceutique, soit pour l’alimentation humaine, soit comme additif pour
l’alimentation animale.
Ces contrats, qui lui assuraient l’exclusivité ou la préférence des clients,
contenaient les dispositions suivantes :
-
Les acheteurs s’approvisionneront auprès de la société Hoffmann-La Roche pour
la totalité ou pour l’essentiel de leurs besoins en vitamines ;
-
La société Hoffmann-La Roche livrera aux meilleurs prix en vigueur sur le
marché national du client ;
-
Les clients ayant couvert la totalité ou l’essentiel de leurs besoins auprès de la
société Hoffman-La Roche bénéficieront d’un rabais annuel ou semestriel calculé sur la
base de l’ensemble des achats. Ce rabais varierait de 1% à 5%, sauf pour un client pour
lequel il serait de 12,5% à 20%.
-
Une « clause anglaise » prévoira que les clients informeront la société
Hoffmann-La Roche des prix inférieurs à ceux pratiqués par cette dernière qui leur
seraient proposés par d’autres fabricants « réputés ». Si la société Hoffmann-La Roche
ne diminue pas ses prix, ces acheteurs seront libres de s’approvisionner chez les dits
autres fabricants, sans pour autant perdre le rabais de fidélité pour les achats effectués
auprès de la société Hoffmann-La Roche.
94. - La Commission va, par une décision du 9 juin 197684, constater que la société
Hoffmann-La Roche a commis une infraction à l’ex-article 86 TCE (article 102 TFUE) :
cette infraction est en effet réalisée par la conclusion de contrats qui incitent les
acheteurs, soit par le biais d’une obligation, soit par le biais de primes de fidélité, à
réserver une exclusivité à la société Hoffmann-La Roche pour la couverture de la
totalité de leurs besoins en vitamines.
84
Déc. Com. Des Communautés Européennes, JO L N° 223 du 16 août 1976, p.27.
37
95. - Dans sa décision, la Commission va reprendre la définition de la position
dominante qui avait été posée dans l’arrêt United Brands Company : elle considère en
effet que la société Hoffmann-La Roche est en position dominante sur 7 marchés relatifs
à la vente de vitamines. Cette position dominante repose sur « le degré d’indépendance
globale de comportement dont elle disposerait et qui la mettrait en mesure de faire
obstacle à une concurrence effective à l’intérieur du marché commune ».
96. - La commission va considérer, au surplus, que la société suisse a abusé de sa
position dominante car son comportement « serait de nature à porter atteinte à la
liberté de choix et d’égalité de traitement des acheteurs ainsi qu’à restreindre la
concurrence entre producteurs de vitamines non conditionnées dans le marché commun
et serait susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres ».
La société se voit infliger par la Commission une amende s’élevant à 1 098 000
marks allemands.
97. - La société Hoffmann-La Roche va former un recours contre cette décision en
demandant son annulation. Elle invoque comme premier moyen le fait que les notions
de position dominante et d’exploitation abusive de la position dominante doivent être
considérées comme des notions indéterminées en droit communautaire, comme dans les
droits nationaux. Elle estime alors que la Commission ne peut infliger de sanction sur ce
fondement sans que ces deux notions ne soient explicitées et clarifiées au préalable, soit
par la pratique administrative, soit par la jurisprudence.
C’est donc à la Cour de Justice des Communautés Européennes qu’il revient de
trancher ce litige. Elle devra nécessairement se prononcer sur le caractère indéterminé
des notions de position dominante ainsi que celle d’abus de position dominante. C’est
relativement à cette seconde notion que l’arrêt Hoffmann-La Roche, rendu par la Cour,
constitue un arrêt fondateur de la construction communautaire du régime des abus de
position dominante.
38
Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt Hoffmann-La Roche
98. - La Cour va rendre sa décision le 13 février 1979.
Sur l’existence d’une position dominante, la Cour va rappeler que l’ex-article 86
TCE transcrit l’objectif général contenu à l’article 3, f) du Traité 85, à savoir
l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le
marché commun.
99. - Sur ce, elle va, comme elle devait nécessairement le faire, répondre au moyen
avancé par la société Hoffmann-La Roche sur l’indétermination de la notion de position
dominante.
Pour se faire, elle va tout simplement reprendre la définition de la position
dominante qu’elle avait préalablement posée dans l’arrêt United Brands Company86.
Elle rappelle donc que « la position dominante ainsi visée concerne une situation de
puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire
obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui
fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable
vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs87 ».
La Cour conclut sur ce point en affirmant que la société Hoffmann-La Roche est
bien en situation de position dominante sur plusieurs marchés relatifs aux vitamines non
conditionnées.
100. - Sur la seconde notion indéterminée invoquée par la requérante, à savoir la
notion d’abus de position dominante, la Cour va également répondre en posant une
définition claire et précise. Elle considère que « la notion d’exploitation abusive est une
notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui
sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la
présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont
85
Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu'il
est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que la
concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le
cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union
Européenne ».
86
Préc. note 71.
87
Arrêt Hoffmann-La Roche, Préc. note 72, n°38.
39
pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui
gouvernent une compétition normale de produits ou services sur la base de prestations
des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur
le marché ou au développement de cette concurrence88 ».
La Cour pose donc une définition de l’exploitation abusive d’une position
dominante qui ne sera dès lors plus contestée, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence
postérieure.
101. - Elle se réfère, dans celle-ci, à une « compétition normale » : il est
traditionnellement admis que cette « compétition normale » renvoi à la « concurrence
par les mérites89 ».
Deux auteurs, les Professeurs DECOCQ90 déduisent de ce
raisonnement qu’une entreprise en position dominante peut donc maintenir et
développer sa position : mais l’entreprise ne peut le faire qu’en essayant d’être
meilleure que les autres, c’est-à-dire en proposant un meilleur rapport qualité/prix aux
consommateurs. De ce fait, des moyens différents de conquérir ou de conserver des
parts de marché peuvent être licites lorsqu’ils émanent de toutes entreprises, mais seront
refusés à une entreprise en position dominante. Ces auteurs illustrent cette situation par
un adage : « position dominante oblige ».
Cette explication fournie par les auteurs correspond précisément à la définition
de l’abus de structure, à savoir que des comportements qui seraient admis pour une
entreprise se trouvant en situation de concurrence normale, seront interdits à une
entreprise se trouvant en situation de position dominante.
102. - Cependant, à la différence de l’arrêt Europemballage et Continental Can,
l’arrêt Hoffmann-La Roche introduit une condition supplémentaire pour que l’abus soit
constaté. Comme il a été expliqué précédemment, la Cour de Justice dans l’arrêt
Continental Can constate l’abus lorsqu’il y avait une atteinte à la concurrence, peu
88
Arrêt Hoffmann-La Roche, Préc. note 72, n°91.
Il n’existe pas de définition claire et précise de la notion de « concurrence par les mérites », ni dans
les textes, ni dans la jurisprudence. On peut cependant supposer que cette notion renvoi à une
concurrence normale, c’est-à-dire une concurrence dans laquelle chaque acteur économique exerce
loyalement et sans contraintes directes imposées par des concurrents son activité. Cette concurrence
« par les mérites » renvoi à l’idée selon laquelle chaque opérateur doit avoir sa chance dans le
marché ; pour cela, seuls des moyens normaux, n’ayant pas un effet anticoncurrentiel doivent être
utilisés par les différents opérateurs.
90
A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2010, n°273, p.389.
89
40
importe les moyens utilisés. Or, dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, la Cour introduit une
condition de comportement91 : il doit désormais y avoir nécessairement recours à des
moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale de produits ou de
services92.
La Cour revient donc ici à plus de subjectivisme. Les autorités de concurrence
devront alors désormais se prononcer sur la légitimité du comportement adopté par
rapport aux intérêts de l’entreprise et sur la proportionnalité des moyens adoptés par
rapport au but poursuivi.
103. - Pour M. Rémy BOUSCANT93, il y a désormais deux composantes de
l’exploitation abusive : l’abus est constitué lorsque les comportements d’une entreprise
en position dominante influencent la structure d’un marché où à la suite précisément de
la présence de l’entreprise en question le degré de concurrence est déjà affaibli (1ère
composante), et lorsque ces comportements ont pour effet de faire obstacle, par le
recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des
produits sur la base des prestation des opérateurs économiques au maintien du degré de
concurrence existant encore sur le marché (2ème composante).
Ici, clairement, l’accent est mis sur le comportement de l’entreprise dominante.
104. - Au final, La Cour va rejeter le recours formé par la société Hoffmann-La
Roche et réduire le montant de son amende.
Cet arrêt marque donc, lui aussi, incontestablement, une avancée majeure dans
l’évolution de l’utilisation de l’ex-article 86 TCE. Si au premier abord cet arrêt semble
être en contradiction avec l’arrêt Continental Can, il n’en est rien en réalité : en effet,
les critiques adressées à l’arrêt de 1973 ont permis de faire évoluer la jurisprudence.
91
Selon M. MALAURIE-VIGNAL (Droit de la concurrence, ARMAND COLIN, 2ème Ed, 2003, p.
189, n°381) et S. BELMONT (Dictionnaire juridique de l’Union européenne, Abus de position
dominante, Sous la direction d’A. BARAV et C. PHILIP, Université Lyon III), la Cour de Justice
s’est employée à ne pas se laisser enfermer dans le « mouvement structuraliste » présent dans l’arrêt
Continental Can.
92
C’est-à-dire nécessairement un comportement anormal.
93
R.BOUSCANT, La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit européen, RTD
Eur, 2000, p.67. Pour l’auteur, la définition posée dans l’arrêt Hoffmann-La Roche concerne l’abus
de structure.
41
105. - Conclusion du Titre 1 : La naissance de la théorie de l’abus de structure
s’est donc faite progressivement, mais de façon cependant structurée et construite.
Apparue en doctrine, elle sera d’abord réceptionnée, puis précisée par la jurisprudence.
Fondée, au départ, sur son opposition à l’abus de comportement, la théorie de l’abus de
structure va petit à petit se distinguer clairement dans la jurisprudence – pour rencontrer
cependant un infléchissement avec l’arrêt Hoffmann-La Roche. Les trois arrêts94 ont
donc contribué à faire de l’atteinte à la concurrence un réel motif de sanction, et chaque
entreprise bénéficiant d’une position forte sur un marché doit impérativement tenir
compte de cette évolution.
Cependant, au vu des circonstances dans lesquelles a été rendu l’arrêt
Continental Can, à savoir une opération de concentration, certains auteurs considèrent
donc que cette jurisprudence reste une jurisprudence de circonstance qui a vocation à
disparaitre avec l’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des opérations de
concentration95.
Titre 2/ Le développement de la notion « d’abus de structure »
106. - L’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des opérations de
concentration entre entreprises96 va-t-il entrainer la disparition de la théorie de l’abus de
structure ? Va-t-elle conserver sa pleine et entière application ? Va-t-il simplement avoir
pour conséquence une diminution de son utilisation ?
L’étude de ce règlement, qui est susceptible de constituer un tournant dans
l’application de la notion d’abus de structure (Chapitre 1) permettra de constater que la
notion d’abus de structure n’a pas perdu de sa pertinence, malgré l’utilisation variée
faite par les autorités européennes et françaises de concurrence (Chapitre 2).
94
L’arrêt Continental Can, l’arrêt United Brands et l’arrêt Hoffmann-La Roche.
V. notamment, S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL ConcurrenceConsommation, n °8, 2003 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT,
p.211.
96
Règlement n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, Relatif au contrôle des opérations de
concentration entre entreprises, JO L n° 395 du 30 décembre 1989, p.1 à 12.
95
42
Chapitre 1/ 1989 : un tournant dans l’application de la notion « d’abus de
structure » ?
107. - Cette interrogation – la disparition ou non de la notion d’abus de structure –
est née d’une part du fait des circonstances de l’arrêt Continental Can, et d’autre part
car cette notion, comme son nom l’indique, permet un contrôle des structures. Or, le
règlement sur le contrôle des opérations de concentrations est lui aussi un texte sur le
contrôle des structures (Section 1). De ce fait, les champs d’application de l’abus de
structure et du règlement de 1989 sont relativement proches (Section 2).
Section 1/ Le règlement n°4064/89 sur le contrôle des opérations de
concentrations
108. - Avant la promulgation de ce règlement, il n’existait aucun contrôle
communautaire des concentrations97. De ce fait, une étude du champ d’application du
règlement (Paragraphe 1) ainsi que celle de ses modalités d’application de ce règlement
(Paragraphe 2) s’imposent.
Paragraphe 1/ Le champ d’application du règlement
109. - Un véritable contrôle des opérations de concentration entre entreprises est ici
instauré.
Le Conseil, dans les propos préliminaires, fait référence en tout premier lieu à
l’article 3, f) du Traité98, qui, rappelons le, assigne comme objectif à la Communauté
« l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le
marché commun ». C’est également en invoquant cet article que la Cour avait, dans
97
Sauf à considérer que l’arrêt Continental Can avait pour objectif d’instaurer un contrôle
jurisprudentiel des concentrations.
98
Préc., note 85.
43
l’arrêt Hoffmann-La Roche99, défini la notion d’abus de position dominante, et, avait
consacré la notion d’abus de structure dans l’arrêt Continental Can100.
Il précise ensuite que toute opération de restructuration n’entraine pas
nécessairement un préjudice à la concurrence101 ; par conséquent le droit
communautaire doit se doter de dispositions applicables aux opérations de concentration
susceptibles d’entraver de manière significative la concurrence dans le marché commun,
ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Enfin, le Conseil reconnait que les ex-articles 85 et 86 TCE, même s’ils sont
applicables aux opérations de concentration d’entreprises, ne permettent pas
d’appréhender tous les comportements dans ce domaine qui risqueraient de se révéler
incompatibles avec un régime de concurrence non faussée dans le marché commun.
110. - Le Conseil a donc à cette occasion pris conscience des lacunes de la
législation européenne dans ce domaine. Il était de ce fait contraint d’adopter un tel
règlement. Même si le délai d’adoption de ce règlement s’est avéré relativement long
(16 ans après l’arrêt Continental Can), ce dernier constitue immanquablement une
avancée considérable dans le droit communautaire de la concurrence.
111. - Concernant le champ d’application de ce règlement, l’article 1er précise que
ce dernier est applicable aux opérations de concentration de dimension communautaire.
Une telle opération atteint cette dimension lorsque :
-
« le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par toutes les entreprises
concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’écus, et
-
Le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au
moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions
d’écus, à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de
son chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même État
membre ».
99
Préc., note 72.
Préc., note 73.
101
Point 5 du règlement : « considérant qu’il faut toutefois assurer que le processus de restructuration
n’entraine pas un préjudice durable pour la concurrence […] ».
100
44
112. - Puis, vient la définition d’une opération de concentration102 : celle-ci est
réalisée lorsque :
-
« une ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent, ou
-
Lorsqu’une ou plusieurs entreprises acquièrent directement ou indirectement,
que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrats
ou tout autre moyen, le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs
autres entreprises ».
Une troisième hypothèse constitue une opération de concentration : celle de la
création d’une entreprise commune qui exerce, de manière durable, toutes les fonctions
d’une entité économique autonome ; cette dernière ne doit cependant pas aboutir à une
coordination des comportements, soit entre les entreprises fondatrices, soit entre cellesci et l’entreprise commune.
113. - Toute opération de concentration qui renforcerait une position dominante sur
un marché, et qui de ce fait entraverait substantiellement la concurrence effective dans
le marché commun, serait déclarée incompatible avec celui-ci. Les circonstances de
l’arrêt Continental Can entrent bien dans ce champ d’application, puisque cette dernière
acquiert indirectement le contrôle de deux autres sociétés. De plus, la dimension
communautaire était présente : il est ici, en effet, aisé de supposer que les seuils étaient
atteints étant donné que la société Continental Can Inc. était le leader mondial dans le
secteur des emballages.
Le champ d’application de ce règlement semble donc bien combler les lacunes
qui avaient été mises en évidence suite à l’arrêt de 1973. De plus, le présent règlement
instaure une procédure particulière de contrôle des ces opérations.
Paragraphe 2/ Les modalités d’application du règlement
114. - Ce règlement met en place un système de notification préalable des
opérations de concentration entre entreprises (article 4).
102
Préc. note 96, article 3.
45
Cela signifie que toute entreprise qui entend réaliser une telle opération doit la
notifier à la Commission, dans un délai d’une semaine avant la conclusion de l’accord
réalisant l’opération, ou de la publication de l’offre d’achat ou d’échange, ou de
l’acquisition d’une participation de contrôle. En cas de fusion d’entreprises, la
notification doit être conjointes, c'est-à-dire être effectuée par les deux parties à
l’opération.
115. - Ensuite, dès que la Commission reçoit la notification, elle l’examine et peut
alors prendre plusieurs décisions :
-
Si la Commission considère que l’opération de concentration ne remplit pas les
conditions posées par le règlement, elle le fait savoir aux parties.
-
Si elle considère que l’opération ne soulève pas de doute sérieux quand à son
incompatibilité avec le marché commun, elle l’autorise.
-
Mais, si elle considère que l’opération soulève des doutes sérieux, alors elle
engage une procédure.
L’opération de concentration est alors suspendue.
116. - A la fin de la procédure, la Commission rend une décision, qui peut prendre
plusieurs directions :
-
Soit elle constate que l’opération, après modifications apportées par les
entreprises, ne crée pas ou ne renforce pas une position dominante, et de ce fait
n’entrave pas substantiellement la concurrence effective : dans ce cas, elle la déclare
compatible avec le marché commun.
-
Soit, à l’inverse, elle constate que l’opération crée ou renforce une position
dominante, et de ce fait entrave substantiellement la concurrence effective: dans ce cas
elle la déclare incompatible avec le marché commun.
Le contrôle de ces opérations de concentration est donc entièrement opéré par la
Commission des Communautés Européennes, ce qui décharge de façon complète la
Cour de Justice qui n’aura donc plus à intervenir dans ce domaine.
46
117. - Ce règlement fut modifié par un autre règlement, édicté en 2004103. Il apporte
quelques modifications. Désormais, le délai de notification d’une semaine avant la
conclusion de l’acte réalisant l’opération est supprimée : les entreprises peuvent notifier
quand elles le désirent, la notification devant cependant intervenir avant la réalisation de
l’opération.
Ensuite, les entreprises ne sont plus contraintes de notifier un accord
contraignant, c'est-à-dire un accord liant irrémédiablement les parties. Ces dernières
peuvent simplement notifier un projet de transaction. Les entreprises devront cependant
établir de bonne foi leur intention de conclure un accord futur. Ceci permet aux
entreprises de conclure l’accord dans un délai plus court, car dans l’hypothèse ou le
projet de transaction serait validé par la Commission, la signature de l’accord définitif
pourra intervenir plus rapidement.
Puis, les seuils de contrôle n’ont quand à eux pas été modifiés. Cependant, il faut
à présent tenir compte de l’élargissement du marché commun (27 pays aujourd’hui)
dans le calcul du chiffre d’affaires.
118. - Le critère de la création ou du renforcement de la position dominante n’est
plus le seul à prendre en compte : la Commission doit également tenir compte de
l’atteinte à la concurrence effective qui est portée. Même si ce dernier reste toutefois un
critère fondé sur la domination, la prise en compte de cette atteinte abouti à un critère
mixte. Il élargit alors le champ d’application du règlement.
Enfin, les informations que doit contenir le formulaire de notification sont
étendues104.
119. - Au vu de toutes ces descriptions, il est difficile de ne pas faire de lien avec la
théorie de l’abus de structure. L’idée de création ou de renforcement d’une position
dominante, présente dans le règlement, correspond aux les termes exacts employés dans
103
Règlement n°4064/89, remplacé par le Règlement n° 139/2004, du Conseil, du 20 janvier 2004,
Relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO L n°24 du 29 janvier 2004.
104
Ce règlement sur le contrôle des opérations de concentration entre entreprises de 2004 prévoit
également la prise en compte des « gains d’efficience » : cette dernière permettra de déterminer
l’effet d’une concentration sur la structure de la concurrence dans le marché commun. Ces gains
d’efficacité peuvent contre balancer les effets sur la concurrence, et notamment le préjudice
potentiel causé aux consommateurs.
47
l’arrêt Continental Can. De plus, cette théorie avait été utilisée dans l’arrêt de 1973
comme palliatif à l’absence de contrôle des concentrations.
Section 2/ Les liens entre « abus de structure » et règlement sur le
contrôle des opérations de concentration
120. - Ces liens, au vu de tout ce qui précède, s’opèrent naturellement dans l’esprit
des lecteurs, et ce en vertu de plusieurs facteurs. Le champ d’application de la théorie de
l’abus de structure et celui du règlement, en effet, sont relativement proches (Paragraphe
1). C’est pourquoi, dès l’entrée en vigueur du règlement n°4064/89, les conséquences de
son application sur la notion d’abus de structure avaient été envisagées (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ Des champs d’application similaires
121. - Le point de départ de ces liens correspond sans aucun doute aux
circonstances dans lesquelles a été rendu l’arrêt Europemballage et Continental Can105,
en 1973. Appliquer l’ex-article 86 TCE, par le biais de la théorie de l’abus de structure,
à une opération de concentration était, en effet, inattendu.
122. - La distinction initiale, telle qu’elle apparu en doctrine106, se présentait ainsi :
d’un coté, l’abus de comportement permettait de sanctionner le comportement d’une
entreprise dominante envers un concurrent ou un partenaire commercial. De l’autre
coté, l’abus de structure permettait de sanctionner le comportement d’une entreprise
dominante, notamment la modification de la structure de l’entreprise, qui portait atteinte
à la concurrence.
105
CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec.
1973, p.215.
106
R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, n°4, p.679, 1969.
48
De ce fait, dès le départ, la théorie de l’abus de structure renvoyait à une
modification de la structure des entreprises, s’apparentant donc à un contrôle des
structures.
123. - Or, le règlement sur le contrôle des opérations de concentration a également
pour objectif un contrôle des structures, puisqu’il s’agit ici de contrôler, et
éventuellement d’interdire, la modification structurelle d’une ou plusieurs entreprises
qui porterait atteinte à la concurrence107.
124. - Il y a donc ici une similitude de termes (« structure ») qui entraine presque
naturellement une confusion entre les objectifs de ces deux instruments : car en effet, le
contrôle des structures n’est pas nécessairement l’objectif principal poursuivi par la
théorie de l’abus de structure.
Cette notion, il est vrai, présente aussi comme objectif un contrôle de l’atteinte à
la concurrence. Cette atteinte résulte de l’abus de la position dominante, réalisé lorsque
cette position est créée ou renforcée108. Or, une opération de concentration porte avant
tout atteinte à la concurrence. Il y a ici aussi une similitude d’objectifs.
125. - Les termes utilisés dans le règlement sur les concentrations sont, de surcroit,
également à même de créer une confusion.
En effet, ses articles 2) et 3), se réfèrent à « la création ou du renforcement d'une
position dominante », termes précisément utilisés dans l’arrêt de 1973109.
On trouve ici l’idée inhérente à l’ex-article 86 TCE, à savoir que seul l’abus de
position dominante est sanctionné, et non pas sa seule détention110.
126. - Cependant, le règlement va venir limiter les effets découlant de ces
références à l’ex-article 86 TCE. Il va en effet proclamer, dans ses propos
107
La modification structurelle correspond soit à la fusion de deux ou plusieurs entreprises, ou parties
d’entreprises, soit à l’acquisition du contrôle direct ou indirect d’une ou plusieurs entreprises ou
parties d’entreprises.
108
CJCE, Europemballage et Continental Can, Préc. note 105.
109
Préc. note 105, n° 26.
110
Du moins à ce stade de la démonstration.
49
préliminaires111, que même si les ex articles 81 et 82 (articles 101 et 102 TFUE) du
Traité d’Amsterdam sont applicables, selon la jurisprudence communautaire, à certaines
concentrations, le présent règlement doit demeurer le seul instrument applicable à ce
type d’opération, afin de pouvoir les appréhender efficacement dans leur ensemble. Les
rédacteurs ne souhaitent donc plus que les articles du Traité soient encore utilisés dans
le cadre d’une opération de concentration.
127. - Cela étant, une autre approche n’est pas à exclure. Une partie de la doctrine,
en effet, défend au contraire la complémentarité des textes du règlement et du Traité. M.
Dirk STAUDENMAYER112, prône ainsi une application conjointe des articles du Traité
et du règlement sur les concentrations.
M. Arnaud BIGARÉ113, quant à lui, va même jusqu’à considérer que le contrôle
des opérations de concentration constitue un développement particulier de l’ex-article
82 (article 102 TFUE).
Cette indéniable proximité a donc divisé la doctrine lors de l’entrée en vigueur
du règlement sur les concentrations. Une partie de celle-ci tiendra un discours selon
lequel la notion d’abus de structure à même vocation à disparaitre114.
Paragraphe 2/ Les conséquences de l’entrée en vigueur du règlement sur
l’application de la théorie de « l’abus de structure »
128. - La considération selon laquelle la théorie de l’abus de structure pourrait ne
plus être utilisée suite à l’entrée en vigueur du règlement sur les concentrations se
justifie si l’on s’en tient uniquement aux circonstances de l’arrêt Continental Can115.
111
Points 7 et 8.
D. STAUDENMAYER, Les relations entre les articles 85 et 86 du traité CE et le règlement
communautaire de contrôle des concentrations, Cah. Dr. Eur n°3-4, 1994, pp. 380 – 397.
113
A. BIGARÉ, L’aspect transversal de la notion d’abus de position dominante en droit
communautaire de la concurrence, Université Jean Moulin, Lyon III, 1999, p. 28.
114
Entre autres, S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL ConcurrenceConsommation, 2003 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT, p.211.
115
Préc. note 105.
112
50
A cette occasion, la Cour a utilisé la notion d’abus de structure pour sanctionner
une opération de concentration. Dès lors qu’un texte sanctionne les opérations de
concentration, l’utilisation de cette notion n’aurait donc plus de raisons d’être.
Ce raisonnement a été retenu par un certain nombre d’auteurs116. Ces derniers
considèrent, en effet, que dans l’arrêt Continental Can, la théorie de l’abus de structure
a uniquement été utilisée afin de pallier à l’absence d’un contrôle des opérations de
concentration.
129. - Cette vision, toutefois, semble quelque peu restrictive.
Il parait, en effet, réducteur de n’observer la décision Continental Can rendue en
1973 qu’à la lumière des circonstances de l’espèce. Car si cet arrêt revêt une telle
portée, ce n’est pas seulement au vue de ses circonstances, mais également en raison du
fait de sa contribution majeure dans l’interprétation de l’ex-article 86 TCE.
L’arrêt Continental Can peut désormais servir de base à des arrêts rendus par les
autorités de concurrence, dans des domaines autres que celui d’un contrôle des
concentrations. Cela est possible grâce l’interprétation extensive117 de l’ex-article 86
TCE qui a été faite118.
L’arrêt Continental Can, renforcé par l’arrêt Hoffmann-La Roche, permet par
ailleurs de sanctionner une atteinte à la structure de la concurrence. Or cette sanction
n’est nullement prévue dans les textes (sauf dans l’article 3, f)119, qui prévoit
l’établissement d’un régime de concurrence non faussée dans le marché commun120).
Cet arrêt, de part cet apport majeur, ne peut donc pas disparaitre du fait de
l’entrée en vigueur d’un règlement contrôlant les opérations de concentration, même si
les circonstances de l’arrêt relevaient d’une opération de concentration121
116
M-A. FRISON-ROCHE, M.-S. PAYET, Droit de la concurrence, DALLOZ, Précis, 1ère Ed, 2006,
p 218 ; S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL Concurrence-Consommation,
2003, n°8 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT, p.211.
117
J. BOULOUIS, R.-M. CHEVALLIER, D. FASQUELLE, M. BLANQUET, Les grands arrêts de la
jurisprudence communautaire, DALLOZ, t 2, 5ème Ed, 2002.
118
En effet, l’ex-article 86 TCE ne prévoyait, dans ses exemples, que des pratiques pouvant être mises
en œuvre à l’égard des concurrents. L’atteinte à la concurrence n’était pas expressément envisagée.
C’est pourquoi la Cour de Justice est allée au-delà du texte du Traité.
119
Préc. note 96.
120
Sur ce point, l’atteinte à la structure de la concurrence n’est pas expressément prévue dans les
textes. C’est par une interprétation téléologique que l’on considère que l’objectif de ces textes est de
sanctionner l’atteinte portée à la structure de la concurrence.
121
V. J.-B. BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com, n°201, 2010.
51
130. - MM. les Professeurs DECOCQ122 relèvent ainsi très justement que « la
notion de modification de la structure concurrentielle du marché ne se réduit pas à
celle de concentration ». De ce fait, « l’arrêt Continental Can conserve donc sa force
de précédent, en tant qu’il concerne cette notion dans sa généralité ». Ils ajoutent, en
outre, que « cet arrêt justifie l’inclusion des abus de structure dans les abus prohibés
par l’article 102 par un raisonnement audacieux, mais habile ». On retrouve ici l’idée
d’interprétation extensive de l’ex-article 86 qui avait été opérée par les juges de la Cour
de Justice.
Du fait de cette prise en compte globale de la notion d’atteinte à la structure
concurrentielle du marché, cet arrêt fut invoqué comme fondement dans des décisions
ultérieures, dans différents domaines ne relevant pas nécessairement d’une opération de
concentration123.
Chapitre 2/ L’utilisation variée de la notion « d’abus de structure »
131. - La notion d’abus de structure n’a nullement disparue suite à l’entrée en
vigueur du règlement sur le contrôle des concentrations. Elle sera en effet utilisée à
plusieurs reprises par les juridictions et autorités en charge d’appliquer le droit de la
concurrence, tant en droit communautaire (Section 1) qu’en droit interne (Section 2).
Section 1/ L’utilisation diversifiée de la notion « d’abus de
structure » en droit communautaire
132. - L’utilisation de la notion d’abus de structure va en effet être « diversifiée »
en ce qu’un recours à cette notion sera intenté dans plusieurs domaines : lors
d’opérations de concentration (Paragraphe 1) ainsi que dans différentes autres
disciplines du droit (Paragraphe 2).
122
A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence, LGDJ, 3ème Ed, 2010, n°273, p.385.
V. entre autres : Arrêt British Airways, cf. infra, point 57 de la décision ; Arrêt CJCE, NV L’Oréal
et SA L’Oréal C/ PVBA « De nieuwe AMCK », Point 25, Aff. 31/80, Rec. 1980, p.3775.
123
52
Paragraphe 1/ L’utilisation de la notion « d’abus de structure » pour des
opérations de concentrations
133. - Cette utilisation va avoir lieu au travers de la décision de la Commission
dans l’affaire Gillette124.
La société suédoise Stora Kopparbergs Bergslags AB constitue la plus grande
entreprise européenne en matière d’exploitation forestière, mais a diversifié ses activités
par l’achat d’une société (la société Swedish Match AB) qui fabrique essentiellement
des produits de rasage mécanique (vendus sous la marque Wilkinson Sword). Cette
dernière va vendre les activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de
rasage mécanique à la société néerlandaise Eemland Holdings NV (ci-après dénommée
Eemland) pour la Communauté et les Etats-Unis.
Elle vend ces activités au groupe Gillette125 pour le reste du monde. Cette vente
s’accompagne de la conclusion d’accords entre le groupe Gillette et la société Emland
ainsi que de la réalisation d’importants investissements du groupe Gillette dans cette
société. La société Eemland vend, en fait, les activités de Wilkinson Sword au groupe
Gillette pour les produits de rasage, pour l’extérieur de la Communauté ainsi que pour
les Etats-Unis.
134. - Le 12 février 1990, la Commission reçoit une plainte de la Warner-Lambert
Company concernant la vente des activités de Wilkinson Sword. La société Warner
soutient que ces transactions constituent une infraction à l’ex-article 85§1 TCE ainsi
qu’une infraction à l’ex-article 86 TCE de la part de Gillette. Le 14 mars 1990, une
seconde plainte est déposée par la société BIC SA.
135. - La Commission, dans sa décision, va considérer que le groupe Gillette est en
situation de position dominante dans l’ensemble de la Communauté Européenne, ainsi
que dans chaque Etat membre.
124
Déc. Com. Warner-Lambert C/ Gillette et autres, N° 93.352 du 10 novembre 1992, JOCE L 116,
12 mai 1993, pp.21-32.
125
The Gillette Company, maison mère du groupe Gillette, qui est un groupe implanté au niveau
mondial.
53
Elle va ensuite rappeler les termes de l’arrêt Hoffmann-La Roche126 selon
lesquels la notion d’exploitation abusive « vise les comportements d’une entreprise en
position dominante qui sont de nature à influencer la structure du marché où, à la suite
précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà
affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle (…) au maintien du degré de concurrence
existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence ».
Elle considère que la participation du groupe Gillette à l’accord global modifie
la structure du marché des produits de rasage mécanique127. Cette modification aura
pour conséquence d’affecter la concurrence sur ce marché dans la Communauté. Elle en
conclut que le comportement du groupe Gillette est constitutif d’un abus de position
dominante.
136. - En effet, le groupe Gillette est devenu un important actionnaire (il rachète
22% des parts) de la société Eemland ainsi que son principal créancier, le groupe
Gillette détenant des obligations convertibles). La société Eemland devra donc
nécessairement tenir compte de la position du groupe Gillette, ce qui influencera son
comportement dans ses prises de décisions.
Elle conclut en considérant que l’ensemble des accords constitue une stratégie
du groupe Gillette afin d’affaiblir la position concurrentielle d’Eemland et par voie de
conséquence de renforcer la sienne.
137. - Or, dans cette affaire, il était question de la vente des activités d’une
entreprise par secteur géographique ; de plus, une entreprise en situation de position
dominante sera détentrice d’une influence déterminante sur l’un de ses concurrents.
Pourtant, la Commission va traiter cette affaire comme un abus de position dominante,
alors qu’elle va considérer qu’il s’agit d’une prise de contrôle indirecte d’une entreprise
par une autre. De plus, l’affectation du marché communautaire était ici réalisée puisque
Gillette est en situation de position dominante dans tous les Etats membres.
126
CJCE, Hoffmann-La Roche contre Commission, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979,
p. 461.
127
Ce qui renvoie nécessairement à la notion d’abus de structure.
54
138. - La commission aboutit donc ici clairement à la sanction d’un abus de
position dominante afin d’anticiper les effets futurs d’une opération de concentration.
Cette décision prouve donc que l’ex-article 86 TCE est encore utilisé dans le
cadre d’opérations de concentration malgré l’entrée en vigueur du règlement de 1989.
Car en l’espèce, les conditions posées par le règlement étaient, il semblerait, remplies :
il y avait prise de contrôle indirect, et on peut aisément supposer que les seuils étaient
atteint du fait de l’importance des sociétés parties à l’opération.
L’abus de structure n’a donc nullement perdu de son utilité en 1989. Il sera
même utilisé dans d’autres domaines, ce qui tend à prouver que l’arrêt Continental Can
ne devait pas être analysé à la seule lumière de ses circonstances.
Paragraphe 2/ L’utilisation pluridisciplinaire de la notion « d’abus de
structure »
139. - Une fois encore, il s’agit de démontrer l’utilité persistante de la notion d’abus
de structure.
Deux arrêts vont ici servir à cette démonstration : l’arrêt Tetra Pak128 ainsi que
la décision de la Commission dans l’affaire Trans-Atlantic Conference Agreement129.
140. - Tout d’abord, concernant l’arrêt Tetra Pak : il s’agit d’une application de la
théorie de l’abus de structure dans le cadre des droits de propriété intellectuelle. La
société Tetra Pak, société Tetra Pak Rausing Sa, dont le siège social se situe en Suisse,
coordonne la politique d’un groupe d’envergure mondiale, spécialisé dans les
équipements utilisés principalement pour le conditionnement du lait dans des
emballages cartons. Cette société acquiert en 1986, par le biais du rachat du groupe
Liquipak – de nationalité américaine – l’exclusivité de la licence de brevet : cette
dernière porte sur un nouveau procédé UHT de conditionnement du lait à longue
conservation, fondée sur l’utilisation de rayons ultraviolets.
128
TPICE, Tetra Pak contre Commission, 10 juillet 1990, aff. T-51/89, Rec. P. II-309.
Déc. Com, Trans-Atlantic Conference Agreement, du 16 septembre 1998, aff IV/35.134, JO L 95
du 9 avril 1999.
129
55
La Commission, dans une décision du 26 juillet 1988, va considérer que la
société Tetra Pak a enfreint l’ex-article 86 TCE.
141. - Le Tribunal, dans son arrêt, va citer la définition de l’abus de position
dominante précédemment posée dans l’arrêt Hoffmann-La Roche130. Il va ensuite
poursuivre en énonçant que la simple acquisition d’une licence exclusive par une
entreprise en position dominante n’est en soit constitutive d’un abus au sens de l’exarticle 86 TCE. Pour que cet article soit applicable, il convient de prendre en
considération les circonstances entourant cette acquisition. En l’espèce, ce n’est pas la
licence exclusive en tant que telle qui est incriminée, mais l’effet anticoncurrentiel que
produit son acquisition. Cette acquisition a renforcé la position dominante de la société
Tetra Pak et a retardé l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché, marché sur lequel
la concurrence est déjà très fortement réduite.
142. - Elle conclut en édictant que « l’élément décisif dans la constatation du
caractère abusif de l’acquisition de la licence exclusive résidait donc spécifiquement
dans la position de la société requérante sur le marché en cause ».
De ce fait, la société Tetra Pak fut condamnée. Il apparait donc clairement ici
que c’est à cause de la position qu’occupe Tetra Pak sur le marché qu’elle fut
condamnée, circonstance correspondant bien à la définition de l’abus de structure.
L’arrêt, de plus, prend en considération l’atteinte à la concurrence qui est faite. On peut
en conclure que si la société Tetra Pak n’avait pas été en situation de position
dominante, elle n’aurait pas été condamnée pour avoir acquis cette licence. L’abus de
structure est donc clairement utilisé ici.
143. - Puis vient l’affaire Trans-Atlantic. Il s’agit de plusieurs sociétés, opérant
dans le secteur du transport maritime, qui ont conclu un accord entre elles : le TransAtlantic Conference Agreement, ci-après dénommé TACA. Ce dernier vient remplacer
un ancien accord qui avait été signé, le Trans-Atlantic Agreement (TAA). Les anciennes
parties au TAA sont toutes parties au TACA. Après plusieurs échanges entre la
130
Préc. note 126.
56
Commission et les membres de la conférence, l’accord est modifié à plusieurs reprises.
Une procédure est engagée par la Commission à l’encontre de ce TACA.
144. - La Commission, après avoir repris la définition de la position dominante
donnée par l’arrêt Hoffmann-La Roche, considère que les membres du TACA ont
détenu une position dominante collective131 durant trois années consécutives.
Elle ajoute que les membres du TACA ont abusé de leur position dominante :
ces membres ont, en effet, imposé des restrictions à l’accès aux contrats de services et à
leur contenu. Ils ont également modifié la structure concurrentielle du marché de
manière à renforcer la position dominante du TACA. La Commission va admettre ici
que « l’élimination de la concurrence potentielle peut, dans certains circonstances,
avoir un impact économique plus fort que l’élimination de la concurrence effective 132 ».
Elle ajoute qu’ « il ressort des points c) et d) de l’article 86 [article 102 TFUE],
paragraphe 2, cette disposition ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de
causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur
causent un préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective ».
145. - Ici se retrouve l’idée d’atteinte à une concurrence effective, d’un abus de
position dominante caractérisé alors que les circonstances n’étaient pas directement
mentionnés dans l’ex-article 86 TCE.
L’abus de structure est une nouvelle fois utilisé ici, dans un contexte différent
d’une opération de concentration.
Cette notion a donc été utilisée postérieurement à l’entrée en vigueur du
règlement sur les concentrations, ce qui renforce l’idée d’une utilisation persistante. De
plus, cette notion continuera à être utilisée en droit interne.
131
Plusieurs entreprises indépendantes détiennent ensemble une position dominante sur le marché en
cause ; ces entreprises doivent être unies par des liens économiques. V. notamment CJCE, Gemeente
Almelo et autres C/ Enerjiebedrijf Ljsselmij NV, 27 avril 1994, aff. C-393/92, Rec. 1994, p.I-1477,
points 42 et 43 des motifs.
132
Point 560 de la décision.
57
Section 2/ L’utilisation multipliée de la notion « d’abus de
structure » en droit interne
146. - Le Conseil de la concurrence, désormais Autorité de la concurrence, a, dans
un certain nombre de rapports, précisé la manière dont les textes devaient être
interprétés et appliqués en théorie133 (Paragraphe 1). Ces rapports sont ensuite censés
être suivis dans la pratique (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ L’utilisation théorique de l’abus de structure
147. - Avant 1989, c’est-à-dire avant la rédaction du règlement sur les
concentrations, le Conseil de la concurrence était relativement hésitant sur l’application
de l’abus de position dominante.
En 1987134, le Conseil ne parlait pas d’exploitation abusive, ne caractérisait pas
cet abus. Cette absence de définition apparait également en 1988135.
148. - Ce n’est qu’en 1989136 que le Conseil va poser deux conditions afin qu’une
pratique soit contraire à l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986137:
premièrement, la pratique doit être anticoncurrentielle, c’est-à-dire qu’elle doit limiter le
jeu de la concurrence sur un marché situé en aval dudit marché. Deuxièmement, la
pratique doit être abusive. Il précise alors qu’ « il peut s’agir de pratiques ayant pour
objet ou pouvant avoir pour effet d’éliminer des concurrents, ou des comportement
qu’une entreprise ne pourrait adopter sans compromettre son propre intérêt sur un
marché concurrentiel, ou si elle ne disposait pas d’une puissance de domination de
marché ». La première partie de cette définition, relative à l’élimination des
133
Notamment l’article L 420-2 du Code de commerce relatif à l’abus de position dominante.
Rapport Conseil de la concurrence, 1987, page XIX.
135
Rapport Conseil de la concurrence, 1988, page XXXVII.
136
Rapport Conseil de la concurrence, 1989, p. XXXV.
137
Article disposant qu’ « est prohibée, dans les mêmes conditions, l’exploitation abusive par une
entreprise ou un groupe d’entreprises : 1. D’une position dominante sur le marché intérieur ou une
partie substantielle de celui-ci ; […] Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en
ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires aisi que dans la rupture des relations
commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions
commerciales injustifiées. »
134
58
concurrents, renvoie à l’abus de structure, et se trouve donc en opposition avec la
seconde partie de la phrase, relative à l’obtention d’avantages injustifiés émanant
d’autres entreprises au bénéfice de l’entreprise dominante, et renvoyant à la notion
d’abus de comportement.
149. - En 1990138, le Conseil réitère les deux conditions posées précédemment. Il
illustre ses propos en prenant l’exemple d’une décision139, décision relative au marché
des tuiles et briques en Alsace, dans laquelle il a condamné la pratique mise en œuvre
par les sociétés du groupe Sturm, car celle-ci avait pour conséquence de fermer l’accès
au marché140. Ces dernières disposaient d’une position dominante et attribuaient aux
négociants des remises « de fidélité ». Ces remises avaient pour effet de procurer un
avantage financier substantiel aux négociants qui s’engageaient à ne pas commercialiser
de produits de substitution.
Par cette pratique, les sociétés du groupe Sturm n’obtenaient qu’indirectement
un avantage : mais surtout, cette pratique entravait considérablement l’accès au marché
pour d’autres concurrents. Le seul objectif des sociétés n’était pas d’obtenir des
avantages de la part d’entreprises, mais de clôturer le marché.
150. - Après l’entrée en vigueur du règlement sur les concentrations, la politique du
Conseil de la concurrence n’a pas été modifiée, ce qui tend une fois de plus à prouver
que l’entrée en vigueur de ce règlement n’a pas eu un effet dévastateur sur l’application
de la notion d’abus de structure.
151. - Dans son rapport annuel de 2001, le Conseil précise que les pratiques qui
sont généralement qualifiées d’abusives visent à restreindre l’accès de concurrents au
marché, ou à exclure des concurrents. Il ajoute que les cas d’abus d’exploitation, c’està-dire les pratiques par lesquelles une entreprise utilise sa position dominante pour
pratiquer des prix excessifs, ou refuser d’alimenter des clients sont beaucoup plus rares.
138
Rapport Conseil de la concurrence, 1990, p.XXXVII.
Déc. Cons. Conc, n°90-D-27, Relative au marché des tuiles et briques en Alsace, 11 septembre
1990, annexe n°34 p.87.
140
L’illustration de la première partie de la définition est ainsi faite.
139
59
Une fois de plus, la distinction entre abus de structure et abus de comportement
est ici faite. Le Conseil reconnait ici l’importance des abus de structure, qu’il sanctionne
plus fréquemment que les abus de comportement.
152. - Le conseil va cependant s’atteler, dans son rapport, à lister les pratiques de
prix qui ont été qualifiées d’abusives, ainsi que les pratiques de prix n’ayant pas été
qualifiées d’abusives. Concernant cette seconde liste, le Conseil considère que le dépôt
d’un brevet ainsi que la défense en justice des droits y afférents ne sont pas en euxmêmes abusifs. Mais il émet une réserve pour l’hypothèse dans laquelle les brevets
déposés ne seraient pas exploités, ce qui démontrerait que ces derniers n’ont été déposés
que pour empêcher les concurrents d’entrer sur le marché141
Le Conseil réalise donc lui aussi la distinction entre abus de comportement et
abus de structure, sans nommément la désigner.
Cette distinction fut effectivement reprise dans la pratique par les juridictions
nationales.
Paragraphe 2/ L’utilisation pratique de la théorie de l’abus de structure
153. - Cette distinction apparait d’abord clairement dans la classification des
différentes décisions rendues par les juridictions nationales142.
154. - Dans la catégorie des abus de comportement, sont englobées des pratiques
telles que la cessation d’approvisionnement, le refus de vente, le refus d’accorder un
droit exclusif, l’augmentation des tarifs, conditions de vente discriminatoires etc. Par
contre, et il conviendra de revenir sur ce point ultérieurement, est insérée dans cette
catégorie des abus de comportement, l’action en justice exercée par une entreprise
dominante : or, cette pratique semble plutôt entrer dans le cadre de l’abus de structure.
141
Déc. Cons. Conc., n°01-D-57, Relative à une saisine et demande de mesures conservatoires de la
société Advanced Mass Memories à l’encontre des sociétés Iomega Corporation et Iomega
internaitonal, 21 septembre 2001.
.
142
Sous l’article L420-2 du Code de commerce.
60
Les pratiques visées correspondent donc à des comportements permettant à
l’entreprise dominante d’obtenir des avantages de la part d’une autre entreprise, ce qui
correspond parfaitement à la notion d’abus de comportement.
155. - Dans la catégorie des abus de structure, ensuite, la liste des pratiques s’avère
être plus conséquente.
La logique de la définition de l’abus de structure, qui rappelons le, se réfère à
« un comportement objectif émanant d’une entreprise dominante qui porte atteinte à la
concurrence, qui serait admis de la part d’une entreprise en situation de concurrence
normale, mais qui se trouve sanctionné lorsqu’il est le fait d’une entreprise en situation
de position dominante143 », est ici respectée.
En effet, est insérée dans cette catégorie la pratique de la rétention
d’informations. Or, il est évident, dans la pratique, que des entreprises se trouvant en
situation de concurrence normale se livrent à ce type de pratique, sans pour autant être
sanctionnées. Or, lorsqu’une entreprise en situation de domination se livre à cette
pratique, ce sont tous les concurrents ainsi que la structure de la concurrence qui se
trouvent atteints, puisque du fait de ce comportement, il devient quasiment impossible
d’accéder au marché en cause. La rétention d’informations concernait ici la société
France Télécom, qui fut condamnée par la Cour d’appel de Paris, pour s’être réservé
l’information concernant les abonnés au détriment de concurrents souhaitant éditer des
annuaires professionnels144.
Sont ensuite englobées dans cet abus de structure les clauses d’exclusivité :
l’insertion de clauses d’exclusivité dans différents contrats est une pratique courante,
qui n’est sanctionnée que lorsque cette clause manque de proportionnalité ou de
justification. Or, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a sanctionné un
engagement d’exclusivité, pourtant limité à un an, avec reconduction tacite mais faculté
143
M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, LGDJ, Système droit, 2ème Ed, p. 189,
2003 ; L. VOGEL, G. RIPERT, R. ROBLOT, M. GERMAIN, Traité de Droit Commercial, t 1,
Volume 1, LGDJ, 18ème Ed, 2001, n°866 ; J-B BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com,
n°200 ; C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, JCP Com., 2003, n°98. ; P. LE
TOURNEAU, M. ZOIA, Validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats –
Distribution, 2010, n°172 ; M-C GUERIN, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, J-CL Lois
Pénales Spéciales, 2008, n°61 ; D MAINGUY, M DEPINCE, JL REPAUD, Droit de la
concurrence, LITEC, 2010, n°273, p.285.
144
Paris, 7 février 1994, Gaz. Pal ; 1994. 2. 492.
61
de résiliation, sur le fondement d’un abus de position dominante, au motif que le
débiteur de la clause était dissuadé de rompre la convention faute d’offre concurrente,
l’entrée sur le marché étant rendue impossible145. Or, une fois de plus, l’insertion de la
clause d’exclusivité a ici été sanctionnée parce qu’elle émanait d’une entreprise en
situation de position dominante, l’insertion de cette clause n’étant pas sanctionnée
automatiquement en situation de concurrence normale.
Une autre pratique, illustrant cet abus de structure, se rapporte aux délais de
livraison. Le Conseil de la Concurrence a en effet considéré qu’un installateur (en
l’espèce de presses à fromage), qui du fait d’un brevet se voit conférer l’exclusivité de
fourniture de ce type d’appareil, et qui se livre à des manœuvres dilatoires afin de
retarder la livraison du matériel à un concurrent, fait une exploitation abusive de sa
position dominante en empêchant ce concurrent d’entrer sur le marché146. Dans les faits,
ce genre de pratique est également courant et n’est pas sanctionné par les autorités de
concurrence. La situation de l’entreprise sur le marché et l’atteinte à la concurrence
entrainent une sanction.
La réalité décrite ci-dessus se trouve étayée par l’affirmation du Conseil de la
concurrence, dans ses différents rapports annuels147.
156. - Le caractère récent des décisions citées en exemple renforce une fois de plus
l’hypothèse selon laquelle cette théorie de l’abus de structure est toujours appliquée,
après l’entrée en vigueur du règlement sur le contrôle des opérations de concentration
d’entreprises.
157. - Conclusion du Titre 2 – La notion d’abus de structure n’a pas perdu de sa
vigueur, et sa disparition annoncée lors de l’entrée en vigueur des textes relatifs au
contrôle des opérations de concentration n’a pas eu lieu.
Utilisée non seulement dans le cadre d’opérations de concentration, mais aussi
dans d’autres domaines, cette notion s’est donc considérablement développée et
renforcée depuis les années 1980.
145
Com, 12 février 2002, CCC 2002, n°109, obs. MALAURIE-VIGNAL.
Cons. Conc, n°97-D-16, Relative aux pratiques de la société Chalôn-Mégard sur le marché de
l’installation de fromageries fabricant du fromage reblochon, 11 mars 1997, BOCC 8 juillet 1997.
147
Affirmation selon laquelle les abus de structure se trouvent être en plus grand nombre que les abus
de comportement.
146
62
L’année 1989 n’a donc pas constituée un tournant, pris dans l’optique d’un
changement radical d’orientation, dans l’application de la notion d’abus de structure, et
a même favorisé et permis son extension.
Suite à cette stabilisation, la notion d’abus de structure a continué de s’affiner et
de se développer jusqu’à devenir une notion incontournable dans le traitement des abus
de position dominante.
158. - Conclusion de la Partie 1 – Apparue sous la plume de la doctrine,
confirmée, puis affinée par une jurisprudence fondatrice du droit communautaire de la
concurrence, la notion d’abus de structure a survécu à sa mort programmée.
Cette notion, relativement simple dans son principe, mais complexe quant à sa
distinction avec l’abus de comportement, a su au cours du temps s’affirmer pour être
considérée à sa juste valeur. Si les textes, et plus précisément l’ex-article 86 TCE,
considéraient comme constituant l’exploitation abusive d’une position dominante la
mise en œuvre de comportements à l’égard de concurrents, la notion d’abus de structure
a, par une interprétation extensive de cet article, permis la sanction de comportements
portant directement atteinte à la concurrence.
L’appréhension ainsi que la sanction de cette atteinte s’avérant essentielles, le
scepticisme affiché par une partie de la doctrine ne semble pas justifié.
Mais le développement initié dans les années 1980 ne va pas s’essouffler au
cours des années postérieures.
Actuellement, la notion d’abus de structure continue de s’affiner, de s’étendre à
d’autres domaines, et les critiques tenant à considérer que sa seule existence est liée au
contrôle des opérations de concentrations semblent considérablement se réduire.
63
PARTIE 2/ L’utilisation actuelle de la notion « d’abus de
structure »
159. - Si la notion d’abus de structure s’est affinée, elle continue cependant
d’évoluer.
Indépendamment de tout lien avec le contrôle des opérations de concentration,
c’est par l’imposition de nouveaux critères d’application (Titre 1) que la jurisprudence
redessine les modalités de son application.
Ces importantes évolutions l’ont dotée d’une portée nouvelle, ce qui tend à
rendre son maintien inévitable (Titre 2).
Titre 1/ La redéfinition des critères d’application de la notion
« d’abus de structure »
160. - La notion d’abus de structure, afin d’être en harmonie avec les évolutions de
la pratique et de maintenir sa légitimité, a du évoluer.
Cette évolution apparait au travers d’une définition plus complète de la notion
(Chapitre 1), voire d’un enrichissement de cette dernière, et dont il conviendra
d’examiner l’impact lors de l’application de la notion (Chapitre 2).
Chapitre 1/ Une définition plus complète de la notion « d’abus de
structure »
161. - La définition de l’abus de structure va s’enrichir à deux égards : d’abord, la
condition de « comportement anormal » qui avait été introduite par l’arrêt Hoffmann-La
Roche148 fait l’objet d’incertitudes (Section 1). Ensuite, les entreprises en situation de
position dominante se voient chargées d’une obligation particulière, celle de ne pas
porter atteinte à la structure de la concurrence (Section 2).
148
Préc. note 126.
64
Section 1/ Les incertitudes quant à la condition de « comportement
anormal »
162. - La notion d’abus de structure est-elle toujours appliquée dans la lignée de
l’arrêt Hoffmann-La Roche ? La nécessité d’un comportement anormal de l’entreprise
comme critère de l’abus est-elle toujours exigée ? L’arrêt rendu par le Tribunal de
Première Instance des Communautés Européenne, ITT Promedia C/ Commission149,
ainsi que l’arrêt British Airways Plc C/ Commission150 offrent une grille de lecture de la
notion telle qu’elle a été affinée par la jurisprudence. Il conviendra donc d’en rappeler le
contexte (Paragraphe 1) et la portée (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ Le contexte des arrêts ITT Promedia et British Airways
163. - Tout d’abord, l’arrêt ITT Promedia. La société ITT Promedia NV est une
société de droit belge. Ses principales activités sont relatives à l’édition d’annuaires
téléphoniques commerciaux, en Belgique. Par une loi belge, de 1930, la Régie des
télégraphes et téléphones (RTT) s’est vu octroyer le droit exclusif de gestion des
télécommunications, incluant la publication d’annuaires téléphoniques ; elle avait
également la possibilité d’autoriser des tiers à publier des annuaires, toujours en
Belgique. RTT fut ensuite transformée en entreprise publique autonome, Belgacom. Le
droit exclusif attribué anciennement à la RTT fut supprimé en 1994. Désormais, toute
entreprise qui souhaitait éditer des annuaires devait recevoir une habilitation de la part
de l’Institut Belge des services Postaux et des Télécommunications (IBPT).
164. - Un premier accord avait été conclu, en 1969, entre la RTT et NV Promedia.
La RTT lui conférait le droit exclusif de publier des annuaires sur la base de données
qu’elle lui fournirait151. Après plusieurs échecs de négociations, Belgacom décide de
mettre un terme, en 1994, à sa coopération avec ITT Promedia. Entre temps, ITT
149
TPICE, ITT Promedia C/ Commission, 17 juillet 1998, aff. T-111/96, Rec. p. II-2937.
CJCE, British Airways C/ Commission, 15 mars 2007, aff. C-95/04 P, Rec. TPICE 2003, II, 5917.
151
Cet accord fut renouvelé en 1985, attribuant l’exclusivité pour une période de 10 ans.
150
65
Promedia avait introduit un recours tendant à l’annulation de l’article 45 de la loi belge
de 1993152.
Après un certain nombre d’épisodes judiciaires, Belgacom et ITT Promedia
concluent un nouvel accord portant sur la fourniture des données-abonnés : cette
dernière obtient une habilitation provisoire qui aura vocation à devenir définitive dès
lors que des conditions financières équitables, raisonnables et non discriminatoires
seraient appliquées.
165. - La société ITT Promedia va cependant déposer plainte auprès de la
Commission, contre Belgacom, pour violation de l’ex-article 86 TCE. Cette dernière
estimait que Belgacom avait abusé de sa position dominante153.
La Commission, dans sa décision du 21 mai 1996, a considéré que les différentes
actions en justice intentées par Belgacom l’avaient été uniquement dans l’objectif de
faire valoir ses droits. Le Tribunal rejette le recours et se rallie donc à la solution de la
Commission, selon laquelle le fait d’intenter une action en justice n’est pas abusif en
soi, mais peut le devenir dans des circonstances exceptionnelles. Celles-ci renvoient à
l’hypothèse où « une entreprise en position dominante intente des actions en justice i)
qui ne peuvent pas être raisonnablement considérées comme visant à faire valoir ses
droits, et ne peuvent dès lors servir qu'à harceler l'opposant, et ii) qui sont conçues
dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence». Il conviendra de
discuter de cette solution ultérieurement.
166. - Ensuite, l’arrêt British Airways154. BA est la plus grande compagnie aérienne
du Royaume-Uni. Cette dernière a conclu avec les agents de voyage établis sur ce
territoire des accords ouvrant droit à une commission de base sur les billets de transport,
sur les vols organisés par BA et traités par ces agents. Ces commissions comprenaient
152
Article instituant le système d’habilitation.
Entre autres, en communiquant aux clients actuels ou potentiels d’ITT Promedia des fausses
informations (trompeuses et diffamatoires), en refusant de lui fournir des conditions équitables, en
imposant des prix excessifs pour les ventes des données-abonnés, ainsi qu’en engageant des
procédures contre elle à des fins vexatoires.
154
Voir à ce sujet, L. GRARD, Abus de position dominante : récompenser l’agent de voyage sans
évincer le concurrent, Revue de Droit des transports n°4, mai 2007, Comm.87.
153
66
également trois systèmes de primes de résultat. Ces accords permettaient à certains
agents de voyage de recevoir des gratifications en plus de la commission de base155.
167. - En 1998, Virgin Atlantic Airways Ltd saisit la Commission d’une plainte
concernant ces accords commerciaux et visant plus particulièrement un troisième
système de prime de résultat. En 1999, la Commission rend la décision litigieuse et
considère que BA a abusé de sa position dominante sur le marché des services des
agences de voyages aériens. Ces pratiques de fidélité auraient pour conséquence
d’évincer les concurrents de BA au Royaume-Uni.
BA introduit alors un recours, en 1999, contre cette décision. La Cour de Justice
rejette le pourvoi et considère, entre autre, que les avantages attribués aux agents de
voyage ne reposent pas sur une prestation économique les justifiant, qu’ils restreignent
leurs possibilités de vendre leurs services aux compagnies aériennes de leur choix, ce
qui entrave nécessairement l’accès des autres compagnies aériennes au marché des
services de voyage.
Ces deux arrêts semblent dénoter avec la condition de comportement anormal
qui avait été posée. C’est pourquoi ils amènent à se questionner quant à cette condition
et plus précisément quant à son existence.
Paragraphe 2/ La portée des arrêts ITT Promedia et British Airways quant
à la condition de « comportement anormal »
168. - Les deux arrêts précédemment étudiés, les arrêts ITT Promedia et British
Airways, condamnaient un abus de structure.
En effet, dans l’arrêt ITT Promedia, fut considéré comme abusif le fait, pour une
entreprise en situation de domination, d’intenter une action en justice contre un
concurrent. Dans l’arrêt British Airways, cette dernière fut condamnée pour avoir
octroyé à des agents de voyage des primes de fidélité156.
155
Notamment une prime de résultat calculée selon un barème progressif fixé en fonction de
l’évolution des recettes.
156
Il convient de préciser que ce système de rémunération n’est absolument pas interdit pas les textes.
67
Dans les deux cas, il était question d’un comportement, mis en œuvre par une
entreprise en situation de domination ; or, ces comportements sont considérés comme
totalement licites lorsqu’ils émanent d’une entreprise en situation de concurrence
normale. La possibilité d’intenter une action en justice, en effet, logiquement, constitue
un droit, et le système de rémunération des agents commerciaux se fait
traditionnellement par voie de commissions157. De ce fait, ils correspondent bien à la
définition de l’abus de structure.
169. - A la lecture de ces arrêts, une interrogation apparait : à quoi renvoie la
condition de « comportement anormal » posée dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, et
qu’elle est son utilité ?
170. - Il est traditionnellement admis que le comportement anormal désigne un
moyen disproportionné par rapport à la satisfaction légitime des intérêts de l'entreprise
en position dominante158.
Or, l’abus de structure n’est pas sanctionné subjectivement, en regard des
éléments intrinsèques de l’entreprise, mais bien par rapport à l’atteinte qui est portée à
la concurrence, c’est-à-dire à l’effet du comportement. Si la conséquence du recours à la
théorie de l’abus de structure est que certains comportements, admis lorsqu’ils émanent
d’entreprise en situation de concurrence normale, sont sanctionnés parce qu’ils émanent
d’une entreprise dominante, qu’elle est l’utilité de cette condition de comportement
anormal ?
171. - Au regard des arrêts cités plus haut, doit-on considérer alors que les
comportements mis en œuvre par les entreprises étaient anormaux ? Est-ce anormal
d’intenter une action en justice ? Il semblerait que non. En revanche, il n’est pas normal
d’intenter une action en justice dans le but de nuire. Est-ce anormal de rémunérer des
157
V. notamment article L134-1 et s. du Code de commerce.
Entre autres, v. R. BOUSCANT, La faute dans les infractions aux règles de concurrence en droit
européen, RTD Eur, 2000, p. 67 ; B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN, L. VOGEL, Droit commercial
européen, DALLOZ, Précis, 1994, p.442. En ce sens, CJCE, Akzo Chemie BV c/ Commission, Rec.
P.I-3455, dans lequel la Cour indique qu’une entreprise en position dominante n’a aucun intérêt à
pratiquer des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, si ce n’est celui d’éliminer ses
concurrence, puisque chaque vente entraine pour elle une perte (attendu 71).
158
68
agents de voyage par des commissions ? Il semblerait que non, et ici BA ne fut
sanctionnée que parce qu’elle se trouvait en situation de position dominante.
Il peut aussi être fait référence à l’arrêt Tetra Pak159. En effet, cette société avait
été sanctionnée, du fait de l’acquisition d’une licence exclusive, uniquement du fait de
sa position dominante. Pourtant, acquérir une licence exclusive n’est pas un acte
anormal.
172. - Alors, faut-il considérer que l’acte est anormal simplement parce qu’il émane
d’une entreprise en situation de domination ? Ce ne sont pas les termes de l’arrêt
Hoffmann-La Roche, qui renvoyait à des « moyens différents de ceux qui gouvernent
une compétition normale ». Mais dans les trois arrêts cités, ne faut-il pas considérer que
les entreprises sanctionnées n’avaient pas eu recours à des moyens différents de ceux
gouvernant une compétition – action en justice, acquisition d’une licence exclusive,
rémunération d’agents de voyage ?
173. - Au vu de ce qui vient d’être exposé, il parait donc légitime de s’interroger
sur le point de savoir où se trouve l’anormalité du comportement. Une entreprise en
situation de position dominante doit nécessairement garder une certaine marge de
manœuvre, car après tout, elle est une entreprise presque comme les autres, et elle doit
agir en vue de maintenir son activité.
Il peut donc être raisonnablement envisagé que l’application de la notion d’abus
de structure ne se fasse plus nécessairement dans la lignée de l’arrêt Hoffmann-La
Roche.
Cette condition de « comportement anormal » n’apparait pas clairement, et ce
dans différents arrêts.
Le caractère plus complet de la définition de l’abus de structure va également
trouver sa source dans une obligation mise à la charge des entreprises dominantes.
159
Préc., note 128.
69
Section 2/ La « responsabilité particulière » pour l’entreprise
dominante de ne pas porter atteinte à une concurrence effective
174. - Cette « responsabilité particulière » va être dégagée par la Cour de Justice
des Communautés Européennes dans l’arrêt Michelin160 (Paragraphe 1). L’instauration
de cette responsabilité semble correspondre en définitive à ce qui est sous-entendu dans
la théorie de l’abus de structure : elle semble donc refléter une conception objective de
l’abus (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ L’étude de l’arrêt Michelin
175. - La société NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin (NBIM), située
aux Pays-Bas, est une filiale de la Compagnie générale des établissements Michelin,
située en France. Elle a pour activité l’écoulement des pneumatiques Michelin aux
Pays-Bas.
176. - En juillet 1977, la Banden-Groothandel Friescheburg BV, revendeur de
pneumatiques, dépose une plainte, auprès de la Commission, contre la NBIM. Elle
demande à ce que cette dernière soit condamnée pour abus de position dominante161. En
novembre 1978, la Commission informe la NBIM qu’elle continue son enquête sur les
comportements qu’elle met en œuvre en matière de remises et de bonus.
Après avoir auditionné la société NBIM, la Commission adopte une décision, le
7 octobre 1981162 dans laquelle elle considère que la NBIM a abusé de sa position
dominante sur le marché des pneus neufs et de remplacement.
En décembre 1981, la NBIM introduit un recours afin d’obtenir l’annulation de
la décision rendue par la Commission.
160
CJCE, NV Nederlandsche Banden Industrie Michelin C/ Commission des Communautés
européennes, 9 novembre 1983, aff. 322/81, Rec. 1983 p. 3461.
161
Il lui été reproché d’une part, la prise de contrôle de la société Actor Nv, revendeur de pneus, et
d’autre part certains comportements de la NBIM à l’encontre de revendeurs, notamment en matière
de remises et de bonus.
162
Affaire 322/81, Michelin C/ Commission, Rec. 1983, P. 3461.
70
177. - La Cour de justice rend donc sa décision en novembre 1983 : elle annule
l’article 1er de la décision de la Commission, mais rejette le recours en ce qui concerne
tous les autres fondements. Elle condamne également la requérante au paiement d’une
amende s’élevant à 300 000 euros.
Elle affirme dans sa décision que la NBIM est en situation de position dominante
aux Pays-Bas. La Cour va expressément citer et se référer à l’arrêt Hoffmann-La
Roche163, arrêt qui considère que l’ex-article 86 TCE (article 102 TFUE) est
l’expression de l’objectif général assigné par l’article 3, f), du Traité 164, à savoir
l’établissement d’un régime assurant une concurrence non faussé dans le marché
commun.
178. - L’apport essentiel de cet arrêt se situe au point 57 de la décision : la Cour
précise qu’ « en effet, la constatation de l’existence d’une position dominante
n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, mais signifie
seulement qu’il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d’une telle position,
une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à un
concurrence effective et non faussée dans le marché commun ».
Quant à l’abus de position dominante de la société NBIM, il sera caractérisé par
la Cour du fait de pratiques de remises et de bonus.
179. - Mais c’est ce point 57 de la décision qui a attiré l’attention. La Cour
commence simplement par rappeler que ce n’est pas la position dominante en soi qui est
sanctionnée, mais bien l’abus qui en est fait. Ce principe est contenu dans l’article 102
TFUE lui-même, puisqu’il ne sanctionne que « l’exploitation abusive d’une position
dominante ».
Elle va ensuite en déduire un principe, une responsabilité du fait de cette
position dominante. Puisque celle-ci n’est pas sanctionnable ni sanctionnée en ellemême, les entreprises se voient alors attribuer une « responsabilité particulière ».
163
Point 29 de la décision.
Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel
qu'il est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que
la concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le
cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne ».
164
71
C’est la première fois, en jurisprudence165, que de tels termes sont utilisés.
Cependant, nul besoin de considérer ces termes comme une évolution majeure dans le
traitement des abus de position dominante : ils ne correspondent en effet qu’à ce qui est
sous-entendu dans la notion d’abus de structure.
Paragraphe 2/ La portée de l’arrêt Michelin : une conception objective de
l’abus
180. - Cette « nouvelle166 » « responsabilité particulière » ne constitue pas un
changement majeur dans le traitement des abus de position dominante.
Il convient de rappeler que l’abus de structure vise un comportement, admis
lorsqu’il émane d’une entreprise en situation de concurrence normale, mais sanctionné
lorsqu’il est le fait d’une entreprise en situation de position dominante. Ce
comportement porte nécessairement atteinte à la concurrence puisque c’est la raison
même de sa sanction, sachant qu’il est considéré comme abusif dès lors qu’il émane
d’une entreprise en situation de domination.
Les termes de « responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une
concurrence effective » ne sont donc que l’expression de la théorie de l’abus de
structure.
181. - Cela rejoint la vision exprimée par le Professeur Catherine PRIETO167.
L’auteur considère en effet que du fait de cette décision, « la conception objective de
l’abus a été éclairée par la Cour ».
L’auteur poursuit en précisant que des pratiques, banales en temps normal,
prennent une dimension particulière lorsque, sur le marché en cause, la concurrence
n’est plus aussi ouverte. De ce fait, l’entreprise dominante se doit de laisser un degré
suffisant de concurrence afin que celle-ci soit efficace.
165
Ce principe de « responsabilité particulière » n’est pas non plus évoqué dans les textes.
Seul le terme de « responsabilité » semble être nouveau, l’idée dégagée dans l’arrêt n’étant elle pas
nouvelle.
167
C. PRIETO, Abus de position dominante, J-CL Eur, Fasc. 1423, n°6, 2010.
166
72
On pourrait considérer, il est vrai, que cette « responsabilité particulière » mise
à la charge des entreprises dominantes constitue la contre partie de leur position
dominante. Ce n’est pas la position dominante en elle-même qui est sanctionnée. Celleci est en effet tolérée et admise ; et c’est parce que les textes tolèrent qu’une entreprise
soit en situation de domination que cette dernière doit assumer cette responsabilité. Dès
lors que l’entreprise se dédouane de cette responsabilité, elle est sanctionnée.
Cependant, on l’a vu168, les entreprises dominantes sont sanctionnées, même
lorsqu’elles adoptent un comportement tout à fait normal. Les comportements des
entreprises dominantes sont donc quasiment sanctionnés per se.
182. - Aussi, comment une entreprise en situation de domination pourrait-elle ne
pas porter atteinte à une concurrence effective ?
Sur ce point, il a d’ailleurs été reproché aux autorités communautaires de
provoquer une insécurité juridique à l’encontre des entreprises dominantes qui ne
savaient plus quel comportement adopter169.
183. - Les termes de l’arrêt Michelin ont cependant été repris par la suite, et ce à
plusieurs reprises.
Tout d’abord, ils seront repris dans l’arrêt Gillette170 : « une entreprise en
position dominante a une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son
comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun ».
Puis, c’est l’arrêt Compagnie maritime belge de transport171 qui les reprendra
également par la suite172.
Enfin, le Conseil de la concurrence (désormais Autorité de la concurrence),
réitère ces termes dans l’une de ses décisions173.
168
2ème partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, Paragraphe 2.
V. C. PRIETO, Préc. note 167, n°7.
170
Préc., note 124, point 23.
171
CJCE, Compagnie maritime belge de transport, 16 mars 2000, Aff. Jointes C-395/96 et C-396/96
P, Rec. 2000, p. 1365, point 37.
172
Voir aussi : TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar C/ Commission, point 112 ; TPICE, 30 septembre
2003, aff. T-203/01, Michelin C/ Commission, point 97, Rec. CJCE 2003, II, p. 4071 ; TPICE,
17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft C/ Commission, point 299, Rec. CJCE 2007, II,
p. 3601 ; TPICE, 30 janvier 2007, aff. T-340/03, France Télécom, point 59 ; TPICE, 10 avril 2008,
aff. T-271/01, Deutsch Telekom, point 122, Rec. CJCE 2008, II, p. 477.
173
Décis. Cons. conc. no 03-D-09 du 14 févr. 2003.
169
73
Cette idée de « responsabilité particulière » n’apporte donc pas une grande
nouveauté ; elle vient même « réactiver » la notion d’abus de structure.
La définition de l’abus de structure se donc trouve affinée et précisée. Quelles
sont alors les conséquences, dans l’application pratique de la notion d’abus de structure,
d’une telle définition ?
Chapitre 2/ Les conséquences dans l’application pratique de la notion
« d’abus de structure »
184. - L’enrichissement de la notion d’abus de structure conduit nécessairement à
s’interroger sur sa réception par la jurisprudence et sur ses conséquences dans
l’appréciation de l’abus en droit de la concurrence. Quels sont les critères utilisés par les
autorités de concurrence ? Comment appréhendent-elles cette notion (Section 1) ? Les
évolutions qu’a connues la notion ne risquent-elles pas, à terme, d’aboutir à une
sanction quasi-automatique de la position dominante (section 2).
Section 1/ Les critères d’application de la notion « d’abus de
structure » par les autorités de concurrence
185. - La notion d’abus de structure évolue, son application doit donc
nécessairement évoluer. Il est cependant regrettable que l’atteinte aux consommateurs
ne soit pas prise en compte par les autorités de concurrence. Même si dans l’arrêt United
brands174, le mot « consommateur » était inscrit, le dommage aux consommateurs n’a
que très peu été pris en compte de façon directe par la suite lors du contrôle des abus de
position dominante (Paragraphe 1).
Par ailleurs, la Commission, dans sa récente orientation aux fins d’application de
l’ex-article 82 TCE175, est venue « renouveler » la notion d’abus.
174
CJCE, United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission, 14 février
1978, aff 22/76, Rec p.207.
175
Communication de la Commission : Orientations sur les priorités retenues par la Commission
pour l’application de l’article 82 du Traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises
dominante, JO C 45 du 24 février 2009, p.7-20.
74
Paragraphe 1/ L’absence de prise en compte directe du dommage causé
aux consommateurs
186. - Le terme de « consommateurs » apparait dans l’arrêt United Brands176. Il
n’est au surplus que très peu utilisé dans les décisions rendues par les autorités de
concurrence.
Cette absence de référence aux consommateurs se comprend aisément au vu de
la définition de la notion d’abus de structure ainsi que de l’objectif de la sanction des
abus de position dominante.
187. - En effet, il n’est plus à prouver ni à expliquer que les comportements abusifs
ne trouvent pas d’autre justification que l’élimination des concurrents effectifs ou
potentiels177, ni que l’abus de position dominante s’apprécie au regard de l’atteinte à une
structure de concurrence effective178.
188. - L’accent est donc mis, comme étudié précédemment, sur l’atteinte à la
structure de la concurrence, l’atteinte à une concurrence effective, l’élimination des
concurrents actuels ou potentiels ainsi que sur des comportements faussant le jeu de la
concurrence.
C’est également le cas à la lecture des textes179, car aucun des exemples de
pratiques abusives mentionnées ne fait référence aux consommateurs, la liste n’étant
certes pas exhaustive.
Il aurait donc été inadapté que de faire sans cesse référence au dommage causé
par la pratique aux consommateurs.
189. - Deux conceptions sont ici envisageables : soit, le dommage aux
consommateurs n’est nullement pris en compte par les autorités de concurrence, soit il
est effectivement pris en compte mais simplement non mentionné dans les différents
arrêts.
176
Préc. note 174.
C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., Fasc. 260, n°99, 2003.
178
C. PRIERO, Abus de position dominante, J-CL Europe, Fasc. 1423, n°4, 2011.
179
Article 102 TFUE et L420-2 du Code du commerce.
177
75
La première conception semble devoir être écartée : en effet, le dommage aux
consommateurs est nécessairement pris en compte, car il découle de l’atteinte qui est
faite aux concurrents.
190. - La situation de domination d’une entreprise touche plusieurs opérateurs : en
premier lieu, elle touche les concurrents, qu’ils soient actuels ou potentiels, car ils
peuvent de ce fait éprouver des difficultés à se maintenir sur le marché en cause, ou
encore éprouver des difficultés en entrer sur le marché en cause. Dans un second temps,
la situation de domination touche les consommateurs. Au final, ce sont bien les
consommateurs qui souffrent de cette situation puisque l’absence de diversification de
l’offre réduit leurs possibilités de choix lors des achats qu’ils effectuent.
Les consommateurs sont donc nécessairement « impactés », que ce soit au
niveau de la réduction des offres ou au niveau des tarifs pratiqués par les entreprises.
Car une entreprise dominante, seule sur un marché en cause, n’a aucun intérêt à baisser
ses tarifs dans un premier temps. Elle va probablement ensuite le faire lorsqu’un
concurrent tentera d’entrer et de se maintenir sur le marché : ce dernier, supportant des
coûts importants du fait du commencement de son activité, ne sera pas à même de
s’aligner sur les tarifs extrêmement faibles que pourraient réaliser l’entreprise
dominante.
191. - Aussi, étant donné l’impact inévitable de la situation concurrentielle sur les
consommateurs, pourquoi ne pas y faire plus ample référence dans les arrêts ?
D’autant plus que, comme le souligne très justement M. Catherine
GRYNFOGEL, « c’est en ce sens que des comportements parfaitement légitimes en
eux-mêmes et ne causant aucun préjudice aux autres opérateurs économique évoluant
sur le même marché, clients et fournisseurs, peuvent être constitutifs d’un abus de
structure180 ».
192. - Outre la question récurrente de savoir pourquoi sanctionner une entreprise si
aucun préjudice n’est causé à aucun opérateur, il convient de savoir pourquoi il n’y a
pas de sanction sur le fondement d’une atteinte aux consommateurs ?
180
C. GRYNFOGEL, Abus de position dominante, J-CL Com, Fasc 268, n° 94, 2002.
76
L’atteinte à la structure de la concurrence, à une concurrence effective, ainsi que
l’atteinte aux consommateurs se complètent. Pourtant, il pourrait être opérée une
référence directement au dommage causé aux consommateurs.
Ce n’est visiblement pas la voie qui a été choisie par les autorités de
concurrence. La récente communication de la Commission semble persévérer dans la
voie d’une prise en compte unique des concurrents.
Paragraphe 2/ Le renouvellement de la notion « d’abus de structure » par
la Commission Européenne
193. - Par une communication de 2009181, la Commission a rendu publique ses
orientations sur l’application de l’ex-article 82 CE aux pratiques d’éviction.
194. - En ce qui concerne l’absence de prise en compte du dommage aux
consommateurs soulevée précédemment, Mme. Anne-Sophie CHONÉ la relève
précisément, dans son article182 : « Pourtant, si des notions controversées comme la
« concurrence par les mérites » ou le « bien-être du consommateur », sont conservées
et rappelées dès les propos introductifs, on s'étonnera de ne guère les retrouver par la
suite. Leur respect est censé être assuré par les critères posés ensuite pour chacune des
pratiques d'éviction. Il n'est donc jamais concrètement vérifié ».
L’auteur considère ensuite que la Commission vient « renouveler la notion
d’abus ».
195. - La Commission, par sa communication, semble adopter définitivement
« l’approche par les effets183 », consistant à qualifier l’abus par l’examen concret de
l’effet anticoncurrentiel issu de cette pratique. Cette approche évite de sanctionner une
pratique qui ne produit, dans les faits, aucun effet néfaste sur le jeu de la concurrence.
Elle implique toutefois des analyses économiques complexes, donc coûteuses.
181
Préc., note 175.
Anne-Sophie CHONÉ, Premiers regards sur les orientations de la commission, Europe, n°3-2009,
étude 3.
183
Qui s’oppose à « l’approche par la forme », dite encore « approche per se », consistant à réputer
abusives les pratiques adoptant une certaines forme.
182
77
La Commission décide que la qualification d’abus découlera donc désormais de
l’effet d’éviction produit. La pratique ne sera donc sanctionnée que si elle exclut un
concurrent du marché, ou empêche un concurrent d’y entrer. L’importance ainsi que la
durée de la pratique seront prises en compte, et la Commission, conformément à la
conception objective de l’abus, précise qu’il n’est nullement besoin de rapporter la
preuve d’une intention anticoncurrentielle, mais simplement la preuve d’un plan
d’élimination des concurrents.
196. - Dans la recherche d’effets, la Commission précise également que devra être
prise en compte la concurrence simplement potentielle. Elle souhaite que l’éviction soit
caractérisée de manière concrète afin d’éviter tout retour à une approche classique per
se, c’est-à-dire fondée sur une présomption d’effets.
Par l’adoption de cette approche, la Commission clarifie les objectifs de la
politique de concurrence en exprimant son intention de privilégier la fluidité
concurrentielle afin d’aboutir à une variété de l’offre, à une recherche du prix le plus bas
ainsi qu’à une meilleure qualité des produits. Est ici visé le bien être des
consommateurs : cependant, comme Mme. Anne-Sophie CHONÉ l’a précisé, la
référence y est faite dans des termes généraux et la prise en compte d’une possible
atteinte à leur égard se fera au travers de critères posés pour chaque type de pratiques.
Un contrôle particulier ne leur est donc pas destiné.
197. - Afin de prendre en compte le bien être des consommateurs, la Commission
opte pour le « test du concurrent au moins aussi efficace », mais uniquement pour les
pratiques basées sur les prix. Ce test repose sur la présomption irréfragable selon
laquelle seule l’éviction de concurrents au moins aussi efficaces nuit aux
consommateurs.
Ce « renouvellement » de la notion d’abus ne touche donc nullement, ou très
partiellement, les consommateurs. Une fois encore, l’ensemble du contrôle est réalisé en
fonction des concurrents.
Ces critères d’application de l’abus de structure, ainsi que l’esprit et l’évolution
de la notion d’abus de structure aboutissent à un résultat qui s’avère insatisfaisant : une
sanction systématique de la position dominante.
78
Section 2/ Vers une sanction systématique de la position dominante ?
198. - Il apparait clairement désormais que les entreprises en situation de position
dominante sont de plus en plus sanctionnées sur des fondements inattendus. De ce fait,
la démonstration qui est faite par les autorités de concurrence du lien de causalité entre
la position dominante et l’abus semble perdre de sa pertinence (Paragraphe 1). La
volonté affichée par les différentes autorités est celle d’une protection de la
concurrence : il semble donc intéressant de se positionner du coté des concurrents de
l’entreprise dominante, afin de savoir si ce renforcement des sanctions a abouti à plus de
protection (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ La démonstration du lien de causalité entre la position
dominante et l’abus encore nécessaire ?
199. - Pour plusieurs auteurs, la démonstration qui est faite par les autorités de
concurrence du lien entre la position dominante et l’abus de position dominante n’est
pas pertinente s’agissant de l’abus de structure184.
En effet, ils considèrent que lorsqu’il s’agit de l’abus de structure, le lien de
causalité doit être fait entre la position dominante et l’effet anticoncurrentiel.
200. - Or, paradoxalement, le Conseil de la concurrence recherche, dans toutes les
hypothèses, si l’entreprise en cause a « utilisé » la position dominante pour éliminer un
concurrent ou l’empêcher d’entrer sur le marché. Il a de plus affirmé que « de tels abus
ne sont prohibés [...] que pour autant […] qu’ils ont un lien de causalité direct avec [le]
pouvoir de domination185 ».
La position de ces auteurs est logique : l’abus de structure vise à sanctionner des
pratiques mises en œuvre par des entreprises en situation de domination alors même que
184
V. C. GRYNFOGEL, Droit français des abus de domination, J-CL Com., 2033, Fasc 260, n°101 ;
R. BLASSELLE, Traité de droit européen de la concurrence, t I, PUBLISUD, 2002, p.251 ;
M. Germain et L. Vogel, Traité de droit commercial, LGDJ, 1998, n° 835, p. 656.
185
Rapport Cons. Conc, 1993, p.6.
79
ces pratiques seraient admises si elles émanaient d’entreprises en situation de
concurrence normale.
De ce fait, le lien entre la position dominante et l’abus, les moyens utilisés, n’est
pas pertinente puisque l’abus est quasiment automatique dès lors que la pratique émane
d’une entreprise dominante.
Si l’effet engendré par le comportement de l’entreprise dominante est donc pris
en compte, les autorités de concurrence l’examinent toujours par rapport à la position
dominante.
201. - Mme. Catherine GRYNFOGEL a ainsi pu constater, à juste titre, que « des
comportements parfaitement légitimes en eux-mêmes et ne causant aucun préjudice aux
autres opérateurs économiques évoluant sur le même marché, clients et fournisseurs,
peuvent être constitutifs d’un abus de structure186 ».
Si le lien de causalité entre la position dominante et l’effet anticoncurrentiel
avait été recherché, ce type de sanction, qui aboutit presque à une sanction per se des
comportements mis en œuvre par une entreprise dominante, ne serait prononcé que très
rarement, voire jamais.
Certes, par le contrôle de l’abus en relation avec à la position dominante, le
contrôle des effets est aussi effectué ; mais les effets anticoncurrentiels ne sont
considérés que comme la conséquence de l’abus, ce qui ne peut être contesté puisque
c’est seulement l’abus de la position dominante qui est sanctionné, et non pas la position
en elle-même.
202. - Dès lors, il pourrait être opposé à ces auteurs que si le lien de causalité est
recherché entre la position dominante et l’effet anticoncurrentiel, cela reviendrait à
laisser de coté l’abus pour sanctionner directement la position dominante. Une telle
approche est pourtant contraire aux textes, lesquels ne prohibent que « l’exploitation
abusive d’une position dominante187 ».
Il apparait donc nécessaire de prendre en considération l’abus ainsi que ses
effets. Par ce raisonnement, il s’opère cependant un retour au problème initial car si la
186
CHONÉ Anne-Sophie, Premiers regards sur les orientations de la commission, Europe, n°3-2009,
étude 3.
187
Article 102 TFUE et L 420-2 du Code de commerce.
80
pratique est mise en œuvre par une entreprise dominante, elle sera nécessairement
considérée comme abusive, et il en découlera obligatoirement, pour les autorités de
concurrence, un effet anticoncurrentiel188.
L’application de la théorie de l’abus de structure par les autorités de concurrence
n’est donc pas chose facile, mais cela n’empêche nullement ces autorités de le
sanctionner. La question qui se pose désormais consiste à savoir si, conformément aux
objectifs fixés par les autorités, les concurrents se trouvent davantage protégés.
Paragraphe 2/ Une plus grande protection des entreprises concurrentes ?
203. - Les entreprises concurrentes sont les premières touchées par l’abus qui peut
être fait d’une position dominante. D’autant plus que l’ensemble des pratiques citées en
exemple dans les différents textes se réfèrent à des comportements pouvant être mis en
œuvre à leur encontre.
204. - Lorsqu’une entreprise se trouve être en situation de position dominante sur
un marché, les entreprises concurrentes sont confrontées à différents problèmes.
Tout d’abord, elles peuvent éprouver de grandes difficultés à entrer sur le
marché en cause, du fait notamment des pratiques tarifaires mises en œuvre par
l’entreprise dominante. Cet accès au marché peut aussi être rendu difficile par la
difficulté que les entreprises concurrentes éprouveront à trouver des partenaires
commerciaux : ces derniers obtiendront des conditions plus favorables s’ils traitent avec
l’entreprise dominante.
Puis, lorsque ces entreprises auront réussi à entrer sur le marché189, elles
pourront éprouver des difficultés à se maintenir sur le marché en cause. L’entreprise
dominante peut nécessairement adopter des comportements qui sont plus favorables
pour les consommateurs, notamment en termes de prix190.
188
Ainsi le problème des sanctions relatives à une pratique n’ayant aucun effet néfaste est toujours
présent.
189
Ou lorsqu’elles s’y trouvaient à l’origine.
190
Sans aller cependant jusqu’à abuser de cette position dominante.
81
205. - A ce titre, une double protection est offerte aux concurrents, en théorie.
Premièrement, les entreprises concurrentes qui seraient lésées du fait d’un abus
de position dominante ont la possibilité de demander à ce que soit sanctionné ce
comportement. C’est donc un moyen qui leur est offert afin de faire cesser tout
préjudice.
Deuxièmement, comme vu précédemment, l’évolution dans le traitement de
l’abus de structure aboutit quasiment à une sanction systématique des comportements
mis en œuvre par une entreprise concurrence, peu importe l’effet produit et peu importe
les moyens mis en œuvre. Par voie de conséquence, caractériser l’abus devient plus aisé.
Les recours formés par les entreprises concurrentes ont plus de chance d’aboutir, ce a
pour conséquence d’augmenter leur protection.
Aboutir à une plus grande protection des concurrents est évidemment l’un des
objectifs de la notion d’abus de structure, tout comme la protection de la concurrence.
Cette protection se trouve être, au surplus, essentielle au maintien d’une concurrence
effective et non faussée dans le marché commun, objectif assigné par l’article 3, f)
TCE191.
206. - Conclusion du Titre 1 – Après étude de la redéfinition de la notion d’abus
de structure, il ressort que les entreprises dominantes sont de plus en plus sanctionnées,
plus nécessairement sur la base du caractère abusif de leur comportement, mais plutôt
du fait de leur position dominante en elle-même, ce qui n’est guère satisfaisant.
La condition d’un « comportement anormal » semble disparaitre, voire
s’estomper, et les entreprises dominantes voient la charge qui pèse sur elles s’alourdir.
Cependant, cette redéfinition de la notion d’abus de position dominante n’a pas
pour effet d’enlever toute utilité ni légitimité à la notion d’abus de structure. D’abord,
elle permet de sanctionner des comportements qui ne sont pas sanctionnables sur un
autre fondement. Cette constante évolution aboutit ensuite à plus d’efficacité dans
191
Désormais Protocole n°27, annexé au TFUE : « Compte tenu du fait que le marché intérieur tel
qu'il est défini à l'article 3 du traité sur l'Union européenne comprend un système garantissant que
la concurrence n'est pas faussée, […] à cet effet, l'Union prend, si nécessaire, des mesures dans le
cadre des dispositions des traités, y compris l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne ».
82
l’application de la notion, ce qui amène donc de l’efficacité dans la protection de la
concurrence.
Le maintien de la notion d’abus de structure est donc fortement souhaitable et
semble même inévitable.
Titre 2/ L’inévitable maintien de la notion d’abus de structure
207. - La théorie de l’abus de structure a trouvé, depuis l’année 1992, un souffle
nouveau. En étant son « nouvel avatar192 », la théorie des facilités essentielles fait
désormais partie intégrante de la notion d’abus de structure (Chapitre 1).
Au demeurant, une telle réception n’accrédite pas à elle seule la nécessité de
maintenir la notion. Il conviendra donc de vérifier cette hypothèse, en discutant de
l’opportunité de son maintien (Chapitre 2).
Chapitre 1/ La théorie des infrastructures essentielles : « nouvel avatar »
de « l’abus de structure »
208. - La théorie des facilités essentielles est désormais une notion bien connue et
couramment utilisée par la jurisprudence, tant nationale que communautaire.
La qualification de « nouvel avatar de l’abus de structure » reflète l’insertion de
cet abus dans la théorie des facilités essentielles. Cette dernière apparait distinctement
dans deux situations. Tout d’abord, une entreprise dominante peut refuser l’accès à une
infrastructure essentielle, un tel comportement étant bien évidemment sanctionné
(Section 1). Puis, si l’entreprise dominante autorise l’accès à cette infrastructure, elle
peut le faire en mettant en œuvre une pratique dite de « ciseau tarifaire », pratique elle
aussi sanctionnée (Section 2).
192
L. VOGEL, Droit français de la concurrence, JCP E, n°3, 15 Janvier 1998, p. 73.
Définition « d’avatar » : Métamorphose, transformation ; Source Le nouveau petit Robert de la
langue française, 2010.
83
Section 1/ Le refus de mise à disposition d’une infrastructure
essentielle par une entreprise dominante
209. - La théorie des facilités essentielles – ou essential facilities – est une notion
récente et constitue aujourd’hui la principale application de la notion d’abus de
structure. C’est pourquoi, une présentation de cette théorie s’avère essentielle
(Paragraphe 1) afin de comprendre son application actuelle (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ Présentation de la théorie des facilités essentielles
210. - Cette théorie, empruntée au droit américain, apparait en droit communautaire
en 1992 à l’occasion de la décision Sealink193 rendue par la Commission, et de façon
plus convaincante en 1993, dans l’affaire Port de Rodby194, dans laquelle la
Commission définit une facilité essentielle comme étant « une installation ou une
infrastructure sans laquelle des concurrents ne peuvent pas fournir de services à leur
clients ».
211. - Cette théorie apparait ensuite en droit français avec l’affaire Héli-Inter
Assistance195 : dans cette affaire, la société Héli-Inter Assistance détenait un monopole
sur le marché de l’exploitation d’une hélistation. Une société concurrente de cette
dernière s’est vu attribuer le marché de fourniture de transport sanitaire héliporté par le
centre hospitalier de Narbonne. L’appareil de la société concurrente, la société Jet
Systems, devait rester à disposition du centre hospitalier, conformément à l’accord qui
avait été signé entre eux. La société Jet Systems était donc dépendante de la société
Héli-Inter Assistance pour le stationnement de l’appareil ainsi que pour l’ensemble des
services y afférents. La société Héli-Inter Assistance communique à la société Jet
Systems des tarifs d’utilisation des services de l’héliport excessifs.
193
Déc. Com. CE., Sealink contre B&I, 21 décembre 1993, JO L 15 du 18 janvier 1994, p. 8-19, 123
final, point 41.
194
Déc. Com. CE, Port de Rodby, 21 décembre 1993, JOCE n°L 55, 26 février 1994, p. 52-57.
195
Décision Cons. Conc., SARL Héli-Inter Assistance, n°96-D-51, 3 septembre 1996, BOCC 8 janvier
1997, p.3.
84
Le Conseil de la concurrence va alors considérer que la société Héli-Inter
Assistance abuse de sa position dominante sur le marché de l’exploitation de
l’hélistation dans la mesure où « lorsque l’exploitant monopolistique d’une
infrastructure essentielle est en même temps le concurrent potentiel d’une entreprise
offrant un service exigeant le recours à cette facilité, cet exploitant peut restreindre ou
fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval du service en abusant de sa position
dominante […] en établissant un prix d’accès injustifié à cette facilité ».
Il considère donc que « constituerait une pratique […] prohibée par l’article 8
[…] le fait, pour l’exploitant d’une structure essentielle, de refuser de façon injustifiée
l’accès à cette dernière à ses concurrents ou de ne permettre cet accès qu’à un prix
abusif, non proportionné à la nature et à l’importance des services demandés, non
orientés vers les coûts de ces services et non transparent, leur interdisant ainsi de faire
des offres ou de réaliser des marchés dans des conditions compétitives avec les
siennes ; que, de même, constituerait une pratique anticoncurrentielle le fait pour
l’opérateur d’une structure essentielle de mettre en œuvre une discrimination de prix
visant à s’imputer des charges d’accès à la structure qu’il gère moindre que celles qu’il
tarifie à ses concurrents ».
212. - Cette théorie fait l’objet d’une importante application dans le secteur des
télécommunications, du fait de la présence non négligeable d’infrastructures lourdes et
coûteuses qu’il est difficile de dupliquer.
Il est évident que la sanction du refus d’accès à une facilité essentielle remet en
cause le droit de propriété196. De ce fait, en raison du caractère exorbitant de ce droit
d’accès, la qualification de ressource essentielle est encadrée par des conditions197.
196
V. P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Conditions de validité au regard du droit de la concurrence, JCL Contrats – Distribution, Fasc 1030, n° 180, 2010.
197
CJCE, Oscar Bronner, 26 novembre 1998, aff. C-7/97 ; CJCE, IMS Health, 29 avril 2004, aff. C418/01, CCC 2004, Comm. 128.
Conditions : l’infrastructure doit être détenue par une entreprise dominante ; il ne doit pas exister sur
le marché d’autres produits ou d’autres services pouvant être substitués à cette infrastructure
(absence de solutions alternatives) ; les concurrents de l’entreprise dominante ne doivent pas
disposer de solutions équivalentes dans des conditions économiquement raisonnables, même si elles
sont moins avantageuses ; il doit exister des « obstacles techniques, règlementaires ou économiques
de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute autre entreprise
entendant opérer sur ledit marché de créer éventuellement en collaboration avec d’autres opérateurs,
des produits ou services alternatifs » (voir CJCE, Oscar Bronner, Préc.).
85
Cette théorie des facilités essentielles fait bien évidemment partie intégrante de
la théorie de l’abus de structure198 en ce qu’un refus injustifié d’accès à cette
infrastructure, de la part d’une entreprise dominante, constitue un abus de position
dominante. Un tel refus d’accès fausse le jeu de la concurrence en ce que de nouveaux
opérateurs entrants sur le marché ne peuvent pas convenablement exercer leur
activité199.
Cette théorie fut appliquée de nombreuses fois, jusqu’à très récemment, et ce
dans des domaines très différents.
Paragraphe 2/ L’application de la théorie des facilités essentielles
213. - La théorie des facilités essentielles repose sur plusieurs conditions : tout
d’abord, l’existence d’une facilité essentielle200. En pratique, ce sont des installations
portuaires, des installations de transport ferroviaires201, grands équipements de
télécommunications,
communications
d’interfaces
en
matière
de
logiciels
informatiques202. Cette facilité essentielle doit être indispensable.
Ensuite, l’entreprise concernée doit être en position dominante sur un marché
primaire203.
Enfin, l’entreprise dominante doit abuser de sa situation. L’abus résulte de la
restriction de concurrence sur un marché corolaire du précédent. Deux pratiques sont
susceptibles d’être constitutives d’un abus : un refus d’accès non justifié ainsi que des
conditions d’accès à des tarifs discriminatoires.
198
V. D.MAINGUY, La discrimination par les prix, RLC, Perspective, Colloque DGTPEConcurrence, 2005.
199
Cette facilité essentielle est en effet essentielle à l’exercice de leur activité pour les concurrents.
200
Celles-ci sont définies en droit de la concurrence comme étant « des installations ou des
équipements indispensables pour assurer la liaison avec des clients et/ou permettre à des
concurrents d’exercer leurs activités et qu’il serait impossible de reproduire par des moyens
raisonnables » ; V. Paris, 9 septembre 1997, Héli-Inter Assistance, Préc. note 195 ; Décision Cons.
Conc. n°96-D-80, 10 décembre 1996, à propos d’EDF.
201
Décision Com. CE, 27 aout 2003, n° 2004/33/CE, GVGcFS.
202
TPICE, Microsoft Contre Commission, 15 octobre 2007, aff. T-201/04 : Comm. Com électr. 2007,
Comm 67, note M. CHAGNY.
203
Marché sur lequel l’infrastructure essentielle est identifiée.
86
214. - Trois exemples vont ici venir illustrer des applications récentes de la théorie
des facilités essentielles, exemples dans lesquels un abus de structure a également été
condamné.
Le premier arrêt, du 8 février 2000204, a été rendu par la Cour d’appel de Paris.
Le contexte était le suivant : aéroport de Paris a conclu avec les hôteliers de la
plateforme des contrats de concession dont il retire une redevance dépendant du chiffre
d’affaires205. Par la suite, ADP refuse alors l’accès aux infrastructures destinées à
informer les passagers aux hôtels de la périphérie. Ces infrastructures correspondaient à
des panneaux indiquant les différents hôtels situés aux alentours de l’aéroport.
ADP est incontestablement en situation de position dominante sur le marché de
l’accès à ces infrastructures essentielles. Concernant l’abus de cette position, il est en
l’espèce constitué par le fait qu’ADP offre une prestation de signalisation uniquement
aux hôteliers de la plateforme. Or, ces facilités essentielles s’avèrent non substituables
et déterminantes pour l’exercice d’une telle activité.
ADP s’est donc rendu coupable d’un abus de structure en modifiant les
conditions de la concurrence pouvant s’établir entre les hôteliers de la plateforme et
ceux de la périphérie. Il fut condamné au paiement d’une amende, et son recours devant
la Cour de cassation fur rejeté en 2004.
La théorie des facilités essentielles s’accorde donc parfaitement bien avec celle
de l’abus de structure : cet arrêt en est l’exemple même.
215. - Le deuxième est une décision rendue par le Conseil de la concurrence, en
date du 5 février 2009 : il s’agit de l’arrêt Voyage-sncf206. La SNCF, afin de développer
son système de vente de billets de voyage sur internet, a fait appel à une société
américaine, la société Expedia. Cette dernière détient l’accès à tous les fichiers clients
de la SNCF ainsi que l’exclusivité des ventes promotionnelles. Or, les sites concurrents,
d’afin d’obtenir ces informations, devaient obligatoirement acquérir une licence, la
licence « Ravel », vendue par la SNCF à un prix élevé. La SNCF et Expedia furent
204
Paris, 8 février 2000, Aéroport de Paris C Association du parc hôtelier de la périphérie de
l’aéroport de Paris, Jurisdata 2000-129389. V. M. MALAURIE-VIGNAL et N. REBOUL, Droit de
la concurrence, chronique n°VI, LPA, Juillet 2000, n°146, p.5.
205
Aéroport de Paris trouve donc un intérêt dans l’augmentation du chiffre d’affaires réalisé par ces
hôtels.
206
Décision Cons. Conc., n°09-D-06 du 5 février 2009, Relative à des pratiques mises en œuvre par la
SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne.
87
condamnées pour abus de position dominante, l’acquisition obligatoire de cette licence
pour les sites concurrents créant une distorsion de concurrence. M. Frédéric MARTY207
relève que le Conseil de la concurrence a fait ici usage de la théorie des infrastructures
essentielles, sans la nommer expressément. C’est ici le système Résarail qui est
considéré comme une infrastructure essentielle, système qui divulgue les informations
relatives au trafic ferroviaire et nécessitant donc l’acquisition de la licence « Ravel ».
216. - Le troisième arrêt a été rendu récemment par le Tribunal de Première
instance des Communautés Européennes208. Les théories d’abus de structure et de
facilités essentielles ont été utilisées dans un contexte inattendu. L’abus de position
dominante a été ici appliqué au domaine de la compensation des titres et valeurs
mobilières. C’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt de cet arrêt. Le marché en cause était ici
celui des services de compensation et de règlement rendus aux dépositaires centraux par
des sociétés comme Clearstream. Le tribunal approuve ici la Commission d’avoir
décidé qu’il n’existait aucune substituabilité aux services rendus aux dépositaires
centraux.
Il était en effet reproché à Clearstream un refus discriminatoire de prestation de
compensation et de règlement à un dépositaire international, la société Euroclear Bank.
Le refus portait sur l’accès direct à un système informatisé209.
Deux auteurs210 relèvent qu’est réaffirmé dans cet arrêt le principe selon lequel
« il résulte de la nature des obligations imposées par l’article 82 CE [article 102 TFUE]
que, dans des circonstances spécifiques, les entreprises en position dominante peuvent
être privées du droit d’adopter des comportements, ou d’accomplir des actes, qui ne
sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient même non condamnables s’ils étaient
adoptés, ou accomplis, par des entreprises non dominantes211 ».
207
F. MARTY, L’application de la théorie des facilités essentielles dans la décision « voyagessncf.com » : une analyse économique, RLC, 2009, n°19.
208
TPICE, Clearstream contre Commission, 9 septembre 2009, aff. T-301/04, JO C 256 du 24 octobre
2009, p. 21.
209
Le refus était ici caractérisé par la lenteur de Clearstream dans les négociations en cours.
210
J-B. BLAISE, L. IDOT, Droit européen de la concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, RTD
Eur, 2010, p. 647.
211
Point 133 de l’arrêt.
88
Ces termes correspondent précisément à la définition de l’abus de structure. Ici,
le système informatisé auquel l’accès à été refusé fut considéré comme étant une facilité
essentielle. Le refus ayant été refusé, Clearstream fut condamnée.
Une fois de plus, théorie des facilités essentielles et abus de structure se
complètent parfaitement.
Dans le cadre toujours de ces facilités essentielles, l’entreprise dominante
détenant cette infrastructure peut mettre en œuvre une pratique dite de « ciseau
tarifaire » à l’égard d’une entreprise souhaitant accéder à cette infrastructure.
Section 2/ La pratique dite de « ciseau tarifaire212 »
217. - Cette pratique constitue une pratique tarifaire mise en œuvre par un opérateur
verticalement intégré en position dominante sur des marchés de biens intermédiaires.
Afin d’éclaircir cette brève définition, une présentation de cette pratique (Paragraphe 1)
sera nécessaire. Elle débouchera ensuite sur l’étude de l’utilisation actuelle de la
pratique de « ciseau tarifaire », pratique constitutive d’un abus de position dominante
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ Présentation de la pratique dite de « ciseau tarifaire »
218. - La notion de ciseau tarifaire se situe au croisement de plusieurs notions : les
prix prédateurs, les prix excessifs et éventuellement le refus de vente. Les autorités de
concurrence veillent à ce qu’un opérateur dominant, détenant un bien intermédiaire
nécessaire à l’exercice de la concurrence, ne profite pas de sa position en amont pour
212
V. sur ce point : Etude thématique sur les pratiques de ciseau tarifaire, Rapport annuel 2008 de
l’Autorité de la concurrence, p. 65 ; D. MAINGUY, M. DEPINCÉ, J.-L. RESPAUD, Droit de la
concurrence, LITEC, n°437, p.286, 2010 ; P. ARHEL, Transparence tarifaire et pratiques
restrictives, Rép. Com, n°214, 2010 ; Mémento Francis Lefevbre, Concurrence – Consommation,
n°1399, p.410, 207-2008 ; P. LE TOURNEAU, M. ZOIA, Conditions de validité au regard du droit
de la concurrence, J-CL contrats – distribution, Fasc. 1030, n°177, 2010 ; G. DECOCQ, Ciseau
tarifaire, perte subie et existence d’une solution d’approvisionnement alternative, CCC n°5, Comm.
142, Mai 2009 ; C. PRIETO, Généralisation de l’analyse fondée sur les effets, LPA, n°36, p.8,
Novembre 2007.
89
augmenter les coûts des concurrents non intégrés, et ainsi les empêcher d’entrer ou de se
développer sur le marché aval.
219. - Le fondement juridique de cette pratique est, en droit interne, l’article L420-2
du Code de commerce : la référence y est indirecte puisque cet article vise la
discrimination et le refus de vente. En droit communautaire, c’est l’ex-article 82, a),
CE : il précise que « ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : a) :
imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres
conditions de transaction inéquitables ».
Afin d’apprécier l’effet d’éviction d’une telle pratique, les autorités de
concurrence ont recours à un test : le « test de ciseau tarifaire ».
220. - Historiquement, le premier cas de ciseau tarifaire ayant aboutit à une
condamnation par la Commission Européenne apparait en 1988213. Mais c’est la
décision Deutsche Telekom, rendue par la Commission214, qui définira le mieux l’effet
de ciseau tarifaire : « on peut conclure à l’existence d’un effet de ciseau abusif lorsque
la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif
des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est
soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de
l’opérateur dominante pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le
marché aval ». Cette décision, en se fondant sur les arrêts Hoffmann-La Roche et Tetra
pak II215, indique également qu’ « avec la démonstration par la Commission de
l’existence d’un effet de ciseau, l’abus de position dominante est donc suffisamment
démontré ».
221. - En 2001, le Conseil de la concurrence sanctionne pour la première fois une
entreprise en position dominante pour une pratique de ciseau tarifaire216. Le Conseil
constate que les tarifs de téléphonie fixe de France Télécom, proposés à Renault, pour
213
Déc. Com, Napier Brown – British Sugar, n°88/518/CEE, 18 juillet 1988, JO L 284 du 19 octobre
1988, pp. 41-59.
214
Déc. Com, Deutsche Telekom, n°2003/707/CE, 21 mai 2003, JO L 263 du 14 octobre 2003, p.9-41.
215
CJCE, Hoffmann-La Roche, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec.1979, p.461, point 91 des motifs ;
TPICE, Tetra Pak II, aff. T-83/91, Rec.1994, point 114 des motifs.
216
Déc. Cons. Conc., n°01-D-46, 23 juillet 2001, Relative à des pratiques mises en œuvre par la
société France Telecom à l’occasion d’une offre sur mesure conclue en 1999.
90
les appels à destination de son réseau mobile étaient inférieurs à la charge qu’il facturait
aux autres opérateurs pour terminer les appels sur ce même réseau. Il considère alors
que l’effet de ciseau tarifaire produit empêche les concurrents de proposer une offre
équivalente à celle de France Télécom.
222. - Cette pratique de ciseau tarifaire rend difficile l’entrée et le développement
de concurrents sur les marché aval, ce qui a pour conséquence d’ériger des barrières à
l’entrée de ce marché. Il y a une éviction des concurrents, et c’est en quoi cette pratique
tarifaire constitue un abus de structure.
Un opérateur intégré contrôle l’accès à une prestation intermédiaire : même si la
jurisprudence n’utilise pas expressément le terme « d’infrastructure essentielle », cela y
renvoie nécessairement.
223. - Pour qu’une pratique de ciseau tarifaire soit contraire au droit de la
concurrence, il ne suffit pas que le test de ciseau donne un résultat négatif. Il faut
également que plusieurs conditions relatives à l’entreprise et à la structure du marché
soient remplies.
Tout d’abord, l’entreprise doit être en position dominante sur le marché amont.
Ensuite, le bien intermédiaire doit être objectivement nécessaire aux opérateurs pour
qu’ils exercent une concurrence effective sur le marché aval.
Enfin, l’entreprise dominante doit être verticalement intégrée.
224. - Lorsque ces conditions sont remplies, les autorités n’ont plus à démontrer
l’existence d’effets réels : l’effet d’exclusion est en effet présumé et la pratique est alors
considérée comme abusive. Dans l’affaire Tenor217, la Cour de cassation indique qu’
« une pratique de « ciseau tarifaire » a un effet anticoncurrentiel si un concurrent
potentiel aussi efficace que l’entreprise dominante verticalement intégrée auteur de la
pratique ne peut entrer sur le marché aval qu’en subissant des pertes ; qu’un tel effet
peut être présumé seulement lorsque les prestations fournies à ses concurrents par
217
Déc. Cons. Conc., n° 04-D-48, 14 octobre 2004, Relative à des pratiques mises en œuvre par
France Télécom, SFR, Cegetel et Bouygues Telecom. Arrêts de la cour d’appel de Paris du 12 avril
2005 et du 2 avril 2008. Arrêts de la Cour de cassation du 10 mai 2006 et du 3 mars 2009.
91
l’entreprise auteur du « ciseau tarifaire » leurs sont indispensables pour le
concurrencer sur le marché aval ».
Cette pratique, complexe en apparence, constitutive d’un abus de structure, a été
utilisée dans de nombreux secteurs et à plusieurs reprises.
Paragraphe 2/ L’utilisation actuelle de la pratique de « ciseau
tarifaire » constitutive d’un abus de positon dominante
225. - Quatre arrêts vont ici venir illustrer l’application de cette pratique de ciseau
tarifaire.
Tout d’abord, la décision Connect ATM218 rendue par le Conseil de la
concurrence. Dans cette affaire, le ciseau tarifaire faisait suite à un refus de vente.
Connect ATM avait sollicité l’accès à un point de branchement auprès de la société
France Télécom. Cette dernière n’avait pas donné suite à la demande. Le Conseil relève
qu’il était question en l’espèce d’une infrastructure essentielle219. Afin d’établir ceci, il
avait observé que les conditions relatives à la qualification de cette infrastructure étaient
remplies220. Le Conseil avait alors sanctionné la société France Telecom.
226. - Ensuite, la Commission, dans un arrêt Telefonica221, condamne cette dernière
pour abus de position dominante, après qu’elle ait mis en œuvre une pratique de ciseau
tarifaire. La société Telefonica contrôle l’ensemble de la chaine de distribution de
l’ADSL en Espagne, principale technologie utilisée pour la fourniture d’accès internet à
large bande. Son réseau d’accès local ne pouvant pas être dupliqué, les autres opérateurs
souhaitant fournir des services de détail d’accès internet doivent acheter des produit
d’accès en gros qui tous s’appuient sur le réseau de Telefonica. En 2003, Wanadoo
España va adresser une plainte à la Commission lui rapportant que la société Telefonica
comprime les marges sur les marchés espagnols d’accès à internet. Telefonica va être
218
Déc. Cons. Conc., Connect ATM, n°00-MD-01, 18 février 2000.
Une référence expresse y est ici faite.
220
L’infrastructure doit être possédée par une entreprise dominante ; l’accès à cette infrastructure doit
être strictement nécessaire à l’exercice d’une activité concurrente ; l’infrastructure ne peut être
reproduite dans des conditions économiquement raisonnables ; l’accès à l’infrastructure est possible.
221
Déc. Com, Wanadoo España C/ Telefonica, 4 juillet 2007, JO C 83 du 2 avril 2008.
219
92
condamnée au paiement d’une amende sur le fondement d’un abus de position
dominante.
En effet, la Commission va considérer que Telefonica a abusé de sa position
dominante : « la marge entre les prix de détail de Telefonica et les prix de gros pour
l’accès à large bande tant au niveau régional que national était insuffisante pour
couvrir les coûts qu’un opérateur aussi efficace que Telefonica devrait supporter pour
fournir des services de détail d’accès à large bande ».
Une fois encore, le réseau dont disposait Telefonica peut être qualifié
d’infrastructure essentielle. Le lien entre abus de structure et théorie des infrastructures
essentielles, au travers de la pratique de ciseau tarifaire, est nouvelle fois réalisé.
227. - Le troisième arrêt permettant, entre autres, d’illustrer cette pratique a été
rendu par la Cour d’appel de Paris222. L’affaire concernait la tarification appliquée par
les deux sociétés à des entreprises, pour leurs appels depuis leur installation de
téléphonie fixe vers les réseaux de téléphonie mobile dépendant de France Telecom et
Cegetel. France Telecom et SFR furent condamnées au paiement d’une amende pour
abus de position dominante. La Cour d’appel considère que ces entreprises avaient mis
en œuvre une pratique de ciseau tarifaire anticoncurrentielle sur le trafic fixe vers SFR
des entreprises moyennes ainsi que des grands comptes. Elle ajoute que cette pratique a
eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés des appels fixes et
mobiles.
228. - Enfin, encore plus récemment, l’utilisation de cette pratique fut réitérée,
toujours en relation avec l’abus de structure, dans un arrêt rendu par la Cour de
Justice223. La Cour va en effet rappeler que « en l’absence de toute justification
objective, est susceptible de constituer un abus au sens de l’article 102 TFUE le fait
pour une entreprise verticalement intégrée, détenant une position dominante sur un
marché de gros de prestations de raccordement numérique asymétrique intermédiaires,
d’appliquer une pratique tarifaire telle que l’écart entre les prix pratiqués sur ce
marché et ceux appliqués sur le marché de détail des prestations de connexion à haut
222
CA Paris, SFR et France Telecom, 27 janvier 2011, n°2010/08945.
CJCE, Konkurrensverket C/ TeliaSonera AB, 17 février 2011, aff. C-52/09, JO C 103, du 2 avril
2011, p.3-4.
223
93
débit aux clients finals n’est pas suffisant pour couvrir les coûts spécifiques que cette
même entreprise doit supporter afin d’accéder à ce dernier marché ».
La pratique de ciseau tarifaire est ici directement reliée à l’abus de position
dominante, donc à l’abus de structure.
229. - Cette théorie des infrastructures essentielles semble donc parfaitement
s’intégrer à celle d’abus de structure. De plus, la pratique de ciseau tarifaire reste
relativement difficile à mettre en œuvre pour une entreprise ne se trouvant pas en
situation de domination.
Il est donc aisé de constater que la notion d’abus de structure est encore
pleinement appliquée aujourd’hui. C’est pourquoi, son maintien apparait comme
inévitable.
Chapitre 2/ L’opportunité du maintien de la notion « d’abus de structure »
230. - Si la notion d’abus de structure est aujourd’hui toujours en vigueur, le
recours qui y est fait par les autorités de concurrence n’apparait pas toujours opportun.
Il conviendra d’étudier dans un premier temps les avantages liés au maintien d’une telle
notion (Section 1) pour, dans un second temps, en étudier les limites (Section 2).
Section 1/ Les avantages liés au maintien de la notion « d’abus de
structure »
231. - Les avantages de ce maintien s’expriment principalement à l’égard du
pouvoir conféré aux autorités de concurrence. Tout d’abord, le recours à cette notion a
considérablement accru le pouvoir de contrôle qu’elles détiennent sur les entreprises
(Paragraphe 1). De plus, cette notion, comme vu précédemment224, ne cesse de s’étendre
à des nouveaux domaines (Paragraphe 2).
224
V. Supra, Partie 1, Titre 2, Chapitre 2 et Partie 2, Titre 2.
94
Paragraphe 1/ Le pouvoir des autorités de concurrence sur le contrôle des
entreprises
232. - Avant l’apparition de cette notion, consacrée en 1973 par la jurisprudence
avec l’arrêt Continental Can225, il n’existait aucun contrôle des concentrations
d’entreprises. Les autorités de concurrence ne se trouvaient donc pas en mesure de
pouvoir sanctionner, ni même contrôler des regroupements entre entreprises, alors
même que ceux-ci s’avéraient extrêmement néfaste pour la concurrence. Les autorités
de concurrence étaient donc dépourvues de tout moyen d’action efficace.
233. - En 1973, lors de la première utilisation de la notion d’abus de structure, et
après que celle-ci ait été réitérée dans des arrêts postérieurs, les autorités de concurrence
disposent d’un moyen de contrôle et de sanction sur ces opérations de concentration.
Les entreprises ne peuvent donc plus impunément se regrouper et ainsi porter atteinte à
la structure de la concurrence.
234. - En 1989, lors de l’apparition du règlement sur le contrôle des
concentrations226, les autorités de contrôle conservent ce pouvoir, et peuvent ainsi
utiliser l’abus de structure dans d’autres domaines. Leur pouvoir est donc conservé.
Mais surtout, en dehors de toute opération de concentration, les autorités de
concurrence peuvent sanctionner toute atteinte qui est portée à la structure de la
concurrence, toute pratique susceptible d’évincer des concurrents ou encore de les
empêcher d’entrer sur le marché.
235. - Progressivement, en étendant le domaine d’application de l’abus de structure,
elles acquièrent un pouvoir de contrôle de plus en plus grand. Désormais, nul besoin de
prouver le comportement anormal requis par la jurisprudence antérieure227. De ce fait,
leur pouvoir de sanction sur les entreprises dominantes augmente, puisqu’il est plus
facile pour elles de les sanctionner.
225
CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec.
1973, p.215.
226
Règlement n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, Relatif au contrôle des opérations de
concentration entre entreprises, JO L n° 395 du 30 décembre 1989, p.1 à 12.
227
CJCE, Hoffmann-La Roche contre Commission, 13 février 1979, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979,
p. 461.
95
Les entreprises ont donc intérêt à exercer avec justesse leurs activités, sans
mettre en œuvre le moindre comportement qui serait susceptible de constituer un abus
de structure. En effet, la notion d’atteinte à la concurrence est une notion vaste, qui peut
donc être utilisée à l’encontre de nombreux comportements.
Les entreprises en position dominante doivent donc faire preuve de diligence
ainsi que de bonne foi, non seulement à l’égard des concurrents, qu’ils soient actuels ou
potentiels, mais aussi à l’égard des autorités de concurrence elles mêmes.
D’autant plus que la notion de structure, de part son caractère général, est
préférée à l’abus de comportement par les autorités de concurrence. Ces dernières
n’hésitent pas d’ailleurs à utiliser ce caractère général, qui rend nécessairement la notion
plus malléable, en ayant recours à l’abus de structure dans des domaines totalement
inattendus.
Paragraphe 2/ L’extension continue de l’abus de structure à des domaines
variés
236. - C’est désormais une évidence : l’objet de l‘abus de structure, tel qu’il était
lors de sa création, c’est-à-dire le contrôle des structures, n’est plus du tout le même
qu’aujourd’hui.
L’évolution de sa définition lui permet d’être utilisée dans des domaines très
variés, et les exemples sont nombreux.
237. - Certains ont été précédemment étudiés, comme par exemple la condamnation
pour abus de structure d’une entreprise ayant intenté une action en justice228 ou encore
la condamnation d’une entreprise, toujours pour abus de structure, ayant rémunéré des
agents de voyage229.
Un autre exemple, récent et extrêmement surprenant fut également étudié :
l’affaire Cleastream230. Dans cette affaire, l’interdiction de l’abus de position
dominante, et plus précisément de l’abus de structure, a été appliquée dans le domaine
228
TPICE, ITT Promedia C/ Commission, 17 juillet 1998, aff. T-111/96, Rec. p. II-2937.
CJCE, British Airways C/ Commission, 15 mars 2007, aff. C-95/04 P, Rec. TPICE 2003, II, 5917.
230
Préc. note 208.
229
96
de la compensation des titres et valeurs mobilières. Mais en plus d’avoir eu recours à
l’abus de structure231, le Tribunal qualifie ces services rendus aux dépositaires centraux
d’infrastructures essentielles.
Il serait presque envisageable de considérer que l’abus de structure a été
doublement qualifié et identifié.
238. - Un avocat, M. Jean-Paul TRAN-THIET232, va faire une proposition aussi
surprenante qu’intéressante. Dans l’un de ses articles, il explore la possibilité de
transposer la régulation des réseaux233 dans le domaine des relations industriecommerce. Les principaux réseaux soumis à une telle régulation sont ceux de la
télécommunication, de l’énergie, des services postaux ainsi que des transports. Cette
transposition permettrait en effet de pallier, selon lui, à l’inadaptation des règles de
concurrence dans ce domaine.
Il va alors se questionner, entre autre, sur la possibilité pour la grande
distribution de relever de la régulation des réseaux.
Il fait sur ce point une observation tout à fait intéressante. Il va en effet se
demander pourquoi l’on ne considérerait pas que les équipements de la grande
distribution, c’est-à-dire les linéaires, comme des installations essentielles. Dans la
mesure où les distributeurs les utilisent également pour leurs propres besoins, ils doivent
assurer une tarification transparente, non discriminatoire et proportionnée aux coûts
exposés.
Afin que cette hypothèse soit viable, il faut d’abord démontrer que le total des
réductions de prix234 ainsi que des redevances exigées au titre de la coopération
231
Que le TPICE a clairement identifié en rappelant qu’ « il résulte de la nature des obligations
imposées par l’article 82 CE [article 102 TFUE] que, dans des circonstances spécifiques, les
entreprises en position dominante peuvent être privées du droit d’adopter des comportements, ou
d’accomplir des actes, qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient non condamnables s’ils
étaient adoptés, ou accomplis par des entreprises non dominantes » (point 133 de la décision).
232
J.-P. TRAN THIET, La régulation des réseaux et les relations industrie-commerce, CCC, 1998,
n°10, chronique n°11, p.4.
233
La régulation peut être définie ici comme l’ensemble des règles juridiques qui ont été mises en
œuvre, au sein de l’Union européenne comme dans plusieurs autres pays, les principaux étant USA,
Canada et Australie, pour favoriser l’ouverture à la concurrence d’activités dans lesquelles la
possession d’un réseau, indispensable pour assurer la liaison avec les utilisateurs, est considérée
comme un avantage si important et si dangereux pour l’équilibre économique qu’il justifie le respect
de règles spécifiques destinées, pour protéger l’intérêts final des consommateurs, à permettre
l’émergence d’un minimum de concurrence.
234
Rabais, remise, ristourne.
97
commerciale, excède la compensation des coûts supportés par les distributeurs, même
assortis d’une marge raisonnable. Il faut de plus mettre en évidence que les marques de
distributeurs (MDD) bénéficient d’une situation privilégiée du fait qu’elles ne
supportent pas ce type de coûts.
Il pourrait lui être rétorqué que les producteurs disposent d’autres alternatives
afin de distribuer leurs produits, d’autant plus que l’on compte huit grands distributeurs
en France : ce à quoi l’avocat répondra que la mise en place de solutions alternatives à
ces huit grands distributeurs parait utopique.
239. - Reste cependant un problème non négligeable. Etant donné la présence de
huit grands distributeurs, qu’en est-il de la position dominante ? M. Jean-Paul TRAN
THIET considère sur ce point que la position de ces grands distributeurs pourrait être
qualifiée de position dominante collective. En effet, au vu des huit grands acteurs
majeurs, de la doctrine de la Commission européenne pour la définition du marché
pertinent235, et dans la mesure où ces huit grands distributeurs gèrent avec un certain
parallélisme leurs relations avec les fournisseurs, la situation n’est pas très éloignée de
celle de position dominante collective.
Dans ce cas, nous serions en présence d’installations fournies essentiellement
par un nombre limité de fournisseurs et qu’il apparait difficile de remplacer pour des
raisons économiques ou techniques.
240. - De ce fait, rien n’interdit de considérer comme anticoncurrentiel le fait, pour
un distributeur, de ne pas répartir équitablement les coûts d’accès aux linéaires, entre les
produits qu’il distribue sous sa marque et ceux de ses fournisseurs.
Cette extension de la théorie des facilités essentielles permettrait donc d’étendre
la notion d’abus de structure dans un domaine où il est malheureusement difficile pour
les autorités de concurrence d’avoir une action efficace.
Le maintien de la notion d’abus de structure ainsi que son extension présentent
donc des avantages non négligeables. Mais ceux-ci ne doivent pas faire oublier les
inconvénients qui entourent l’application de la notion.
235
V. Déc. Com. CE, Kesku contre TUKO, n°97/277, 20 novembre 1996.
98
Section 2/ Les limites au maintien de la notion d’abus de structure
241. - Les limites au maintien de la notion d’abus de structure dans le contrôle des
abus de position dominante se révèlent à deux égards. D’abord, force est de constater
que les entreprises dominantes ne disposent plus d’une marge de manœuvre
satisfaisante pour protéger leur activité (Paragraphe 1). Ensuite, la notion d’abus de
structure, de part son caractère général, est nécessairement malléable (Paragraphe 2).
Paragraphe 1/ Les limites liées aux stratégies des entreprises dominantes
242. - Il est indéniable que les entreprises dominantes font l’objet aujourd’hui d’un
encadrement toujours plus important.
Ceci peut légitimement s’expliquer de par leur position sur le marché, qui laisse
nécessairement craindre qu’un abus soit commis.
243. - Cependant, dans l’hypothèse où une entreprise aurait acquis cette position
dominante de façon « légitime », sans comportement répréhensible, autant de méfiance
à son égard n’est peut être pas justifié.
Car en effet, même si l’entreprise est en situation de domination sur un marché
identifié, elle n’en reste pas moins, dans son mode de fonctionnement, une entreprise
presque comme les autres.
Une entreprise dominante doit nécessairement adapter ses produits aux besoins
et attentes des consommateurs, anticiper l’entrée de nouveau concurrents sur le marché,
continuer à promouvoir sa marque ainsi que mettre en place des stratégies
commerciales.
244. - Or, suite à de nombreux arrêts étudiés précédemment, on constate que les
entreprises dominantes sont de plus en plus sanctionnées sur des fondements étonnants ;
nombre de leurs comportements, apparaissant comme normaux et légitimes, leurs sont
reprochés236.
236
V. notamment les arrêts ITT Promedia et British Airways, Préc. note 228 et 229.
99
Au surplus, il est constamment admis qu’une entreprise, même dominante, est en
droit de défendre ou de développer sa part de marché lorsqu’elle est confrontée à
l’arrivée d’un nouveau concurrent, de maintenir sa position sur le marché, de défendre
ses intérêts commerciaux lorsque ceux-ci sont menacés237.
Les autorités de concurrence, tant internes que communautaire, ont admis ce
droit, en considérant que « confrontée à l’arrivée d’un concurrent [une entreprise
dominante] est en droit de défendre ou de développer sa part de marché pourvu qu’elle
demeure dans les limites d’un comportement compétitif normal et d’une concurrence
légitime238 ».
Cette défense de part de marché doit bien évidemment se faire dans les limites
d’un comportement loyal et légitime.
L’entreprise peut réagir pour ce qui est nécessaire, mais pas au-delà. Est utilisé
ici le principe de proportionnalité. L’entreprise doit accomplir des actes strictement
nécessaires à la protection de ses intérêts, mais pas au-delà.
245. - Sur ce point, on retrouve très clairement l’idée de l’abus de structure.
L’entreprise dominante doit agir d’une manière raisonnable, ce qui l’a distingue des
autres opérateurs économiques qui eux ne se voient pas imposer cette limite de
proportionnalité.
On revient donc toujours à la même idée selon laquelle les comportements qui
émanent d’une entreprise dominante peuvent être sanctionnés, alors qu’ils ne le seraient
pas s’ils émanaient d’une entreprise se trouvant en situation de concurrence normale.
La marge de manœuvre des entreprises dominante semble donc être
constamment réduite sous couvert d’une atteinte à la concurrence.
246. - Désormais, chaque comportement émanant d’une entreprise dominante,
même le plus banal qu’il soit, est susceptible d’être sanctionné.
237
J.-B. BLAISE, Abus de position dominante, Rép. Com., n°163, Octobre 2005 ; C. GRYNFOGEL,
Abus de position dominante, J-CL Commercial, Fasc. 268, n°92, Juin 2002 ; P. LE TOURNEAU,
M. ZOIA, Conditions de validité au regard du droit de la concurrence, J-CL Contrats-Distribution,
Fasc. 1030, n°173, Février 2010.
238
CJCE, Akzo, 3 juillet 1991, Aff. C-62/86, Rec. CJCE I, p.3359 ; CA Paris, Labinal contre Mors, 19
mai 1993, inédit ; Déc. Cons. Conc, France Télécom et Office d’annonces, 20 février 1996, n°96-D10.
100
Ceci peut s’expliquer par plusieurs facteurs : volonté croissante des autorités de
développer la concurrence dans plusieurs secteurs, mais aussi le fait que la notion
d’abus de structure est une notion générale, donc adaptable aux besoins des autorités de
concurrence. C’est donc une notion susceptible d’être en perpétuelle évolution.
Paragraphe 2/ Les limites liées au caractère malléable de la notion
247. - Cette constante évolution apparait déjà clairement lorsqu’on étudie l’abus de
structure en 1973 et l’abus de structure en 2011.
Sa définition, ses modalités et critères d’application ont évolué.
248. - De ce fait, l’utilisation de la notion qui peut être faite par les autorités de
concurrence dans les prochains mois est incertaine. Ainsi que cela a été exposé239, les
entreprises dominantes bénéficient d’une marge de manœuvre de plus en plus réduite :
l’évolution incertaine de la notion d’abus de structure renforce ce sentiment puisque ces
dernières ne sont pas en mesure, ou du moins pas totalement, de prévoir quel sera le
prochain comportement « normal » émanant d’une entreprise dominante qui sera
sanctionné.
Il n’est pas exclu, par ailleurs, qu’au fil des années l’appréhension de l’atteinte a
la concurrence puisse évoluer en fonction de plusieurs facteurs : structure du marché,
comportements des entreprises, perception de la notion de concurrence effective,
volonté d’intervenir sur le marché pour les autorités de concurrence etc.
249. - L’abus de structure n’est pas une notion figée dans le temps. Si son objectif
reste le même, les moyens pour y parvenir peuvent différer.
Sans aller jusqu’à l’insécurité juridique, les entreprises dominantes sont dans
l’incertitude quant aux comportements qu’elles peuvent adopter sans risquer d’être
sanctionnées.
Elles doivent donc anticiper tout reproche qui pourrait leur être adressé.
L’entreprise la plus prévoyante sera la moins sanctionnée.
239
V. Supra, Partie 2, Titre 2, Chapitre 2, Section 2.
101
L’extension de la notion d’abus de structure à d’autres domaines, d’autres
comportements est tout à fait envisageable, comme par exemple s’agissant des linéaires
de la grande distribution240.
250. - La notion d’abus de comportement est quant à elle moins extensive, du fait
de sa définition précise qui renvoie à des « avantages » que l’entreprise dominante
tenterait d’obtenir de la part d’autres entreprises. Le terme « avantages » est
relativement précis, contrairement au terme « d’atteinte à la structure de la
concurrence » et de « comportement ».
251. - Cette évolution possible ne sera satisfaisante que si elle se positionne dans le
juste milieu entre un excès de contraintes imposées aux entreprises dominantes et excès
de liberté qui pourrait leur être laissé.
Ce caractère, en quelques sortes malléable de la notion d’abus de structure, peut
être un avantage pour les autorités de concurrence, puisque cela rend leur outil de
sanction plus adaptable aux comportements des entreprises, mais apparait comme un
inconvénient lorsqu’on se place du coté des entreprises dominantes.
La notion d’abus de structure est donc susceptible d’évoluer dans son application
lors des prochaines années. Il est possible d’imaginer que les autorités de concurrence
adapteront l’utilisation de cette notion aux espèces auxquelles elles seront confrontées
afin de sanctionner tout comportement qui leur semblerait abusif.
252. - Conclusion du Titre 2 – Le maintien de la notion d’abus de structure semble
inévitable.
La théorie des facilités essentielles, couplée avec celle d’abus de position
dominante, a renforcé son existence jusqu’à la rendre presque indispensable. Cette
alliance, en outre, a étendu le champ d’application de l’article 102 TFUE.
A ceux qui souhaitaient sa disparition241, il convient de leur opposer ces
exemples. La preuve étant de plus en plus facile à apporter, l’utilisation de la notion
d’abus de structure est plus aisée.
240
V. J.-P. TRAN THIET, Préc. note 232.
102
Malgré les limites, non contestables, au maintien de cette notion, elles ne
semblent pas masquer les avantages que procure un tel maintien. Car en effet, la prise
en compte de l’atteinte à la concurrence, entrainant une concurrence faussée sur le
marché, semble plus pertinente que l’atteinte à la marge de manœuvre des entreprises
dominantes.
253. - Conclusion de la Partie 2 - Après avoir survécue à sa mort programmée, la
notion d’abus de structure, comme il l’a été démontré au cours de cette seconde partie,
continue d’être utilisée aujourd’hui.
Afin de parvenir à ce résultat, la notion d’abus de structure a du évoluer pour
rester en cohésion avec la pratique.
C’est donc grâce à une redéfinition des critères d’application de l’abus de
structure ainsi que par une définition qui s’est complétée que cette notion est devenue
essentielle dans l’appréhension et la sanction des abus de position dominante.
L’abus de structure s’est vu renforcé par l’intégration de la théorie des
infrastructures essentielles, ce qui rend désormais son maintien inévitable.
Cependant, le maintien de cette notion ne présente pas que des avantages. Mais
il serait opportun d’aller au-delà de ces limites afin de maintenir une notion qui n’a plus
à démontrer son utilité ni sa légitimité.
241
V. notamment, S. BELMONT, Abus de position dominante collective, J-CL ConcurrenceConsommation, n °8, 2003 ; L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, VUIBERT,
p.211.
103
CONCLUSION GENERALE
254. - Répondre à la question de savoir si la notion d’abus de structure fait toujours
partie intégrante du droit de la concurrence, tant interne que communautaire, a nécessité
une approche tout d’abord historique de la notion, puis actuelle.
Il est apparu, à l’issu de cette étude, que la notion d’abus de structure fait bien
toujours partie intégrante du droit de la concurrence. En effet, son utilisation actuelle ne
fait plus aucun doute.
255. - Depuis sa naissance sous la plume du Professeur JOLIET242, son
développement n’a cessé de progresser.
Par une consécration doctrinale unanimement reconnue243, la notion d’abus de
structure s’est au fil du temps affinée, complétée, affirmée.
Malgré une période de doute lors de l’entrée en vigueur du règlement
communautaire relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises244,
cette notion n’en a pas pour autant perdu de sa pertinence et de son utilité. Son
application a même été étendue à des domaines étrangers aux opérations de
concentration.
256. - Toutefois, la persistance de son utilisation n’a pu être rendue possible que
grâce à une amélioration de sa définition par la jurisprudence245. Cette dernière a, en
effet, modelé et amélioré la notion d’abus de structure afin de la rendre parfaitement en
harmonie avec les exigences qu’imposait un contrôle efficace des abus de position
dominante. Cette amélioration de la notion a aussi permis aux autorités de concurrence
d’avoir à leur disposition un outil efficace afin de sanctionner tout comportement
émanant d’une entreprise dominante qui leur semblerait porter atteinte à la structure de
la concurrence.
242
R. JOLIET, Monopolisation et abus de position dominante, RTD Eur, 1969, p.645.
CJCE Europemballage et Continental Can C/ Commission, du 21 février 1973, Aff. 6/72, Rec.
1973, p.215.
244
Règlement n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, Relatif au contrôle des opérations de
concentration entre entreprises, JO L n° 395 du 30 décembre 1989, p.1 à 12.
245
V. supra.
243
104
Cette utilisation actuelle est aujourd’hui, entre autre, parfaitement illustrée par la
théorie des facilités essentielles.
257. - Le reproche selon lequel la marge de manœuvre laissée aux entreprises
dominantes a été fortement réduite, jusqu’à peut être se trouver quasiment inexistante
aujourd’hui, ne doit pas occulter l’impératif selon lequel un régime de concurrence non
faussée doit impérativement être maintenu dans le marché intérieur.
258. - Si la notion d’abus de structure peut apparaitre comme une notion ancienne,
voire poussiéreuse, sa disparition créerait de toute évidence une lacune dans
l’appréhension et le traitement des abus de position dominante, tant en droit interne
qu’en droit communautaire.
105
BIBLIOGRAPHIE
SOMMAIRE
I/ Ouvrages généraux
II/ Ouvrages spéciaux
III/ Thèses et mémoires
IV/ Rapports
V/ Articles
VI/ Dictionnaires
VII/ Jurisprudence nationale
VIII/ Jurisprudence communautaire
1. Arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés Européennes
2. Arrêt rendus par le Tribunal de Première Instance des Communautés
Européennes
3. Décisions rendues par la Commission
IX/ Dispositions législatives et règlementaires
X/ Sources électroniques
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X/ JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE :
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Février 1973, Aff. 6/72, Rec. 1973, p. 215.
o Arrêt United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre
Commission, 14 Février 1978, Aff. 22/76, Rec. 1978, p. 207.
o Arrêt Hoffmann-La Roche, 13 Février 1979, Aff. 85/76, Rec CJCE 1979,
p.461.
117
o Arrêt NV Nederlandsche Banden Industrie Michelin contre Commission,
9 Novembre 1983, Aff. 322/81, Rec. 1983, p.3461.
o Arrêt Gemeente Almelo et autres contre Enerjiebedriij Ljsselmij NV, 27
Avril 1994, Aff. C-393/92, Rec. 1994, p. I-1477.
o Arrêt Compagnie Maritime Belge de Transport, 16 Mars 2000, Aff.
Jointes C-385/96 et C-396/96, Rec. 2000, p. 1365.
o Arrêt British Airways contre Commission, 15 Mars 2007, Aff. C-95/04 P,
Rec. CJCE, p. I-2331.
-
2. Arrêt rendus par le Tribunal de Première Instance des Communautés
Européennes :
o Arrêt Tetra Pak contre Commission, 10 Juillet 1990, Aff. T-51/89, Rec.
P II-309.
o Arrêt ITT Promedia contre Commission, 17 Juillet 1998, Aff. 111/96,
Rec. II-2937.
o Arrêt Cleastream contre Commission, 9 Septembre 2009, Aff. T-301/04,
JO C 256 du 24 Octobre 2009, p.21.
-
3. Décisions rendues par la Commission :
o
Déc. Com. Continental Can, 9 Décembre 1971, n°72621 IV, JOCE L 8
Janvier 1972.
o Déc. Com. Chiquita, 17 Décembre 1975, JO L n°95, 9 Avril 1976.
118
o Déc. Com. Hoffmann-La Roche, 9 Juin 1976, JO L n°233, 16 Aout 1976,
p.27.
o Déc. Com. Warner-Lambert contre Gillette et autres, 10 Novembre
1992, JOCE L 116, 12 Mai 1993, p.21-32.
o Déc. Com. Sealink contre B&I, 21 Décembre 1993, JO L 15 du 18
Janvier 1994, p.8-19.
o Déc. Com Port de Rodby, 21 Décembre 1993, JO L 55 du 26 Février
1994, p.52-57.
o Déc. Com. Trans-Atlantic Conference Agreement, 16 Septembre 1998,
JO L 95 du 9 Avril 1999.
o Déc. Com. Deutsche Telekom, 21 Mai 2003, JO L 263 du 14 Octobre
2003, p.9-41.
o Déc. Com. Wanadoo España contre Telefonica, 4 Juillet 2007, JO C 83
du 2 Avril 2008.
VIII/ DISPOSITIONS LEGISLATIVES ET REGLEMENTAIRES :
-
Communication de la Commission : Orientations sur les priorités retenues par la
Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques
d’éviction abusives des entreprises dominantes, JO C 45, du 24 Février 2009, p.
7-20.
-
Règlement du Conseil, n°4064/89, Relatif au contrôle des opérations de
concentrations entre entreprises, du 21 Décembre 1989.
119
-
Règlement du Conseil, n°139/2004, Relatif au contrôle des concentrations entre
entreprises, du 20 Janvier 2004.
-
Traité de Paris instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier,
signé à Paris le 18 Avril 1951.
-
Traité créant la Communauté Economique Européenne, signé à Rome le 25
Mars 1957 (TCE).
-
Traité d’Amsterdam, signé à Amsterdam le 2 Octobre 1997 (Traité CE).
-
Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, signé à Lisbonne le 13
Décembre 2007.
XI/ SOURCES ELECTRONIQUES :
-
http://www.autoritedelaconcurrence.fr
-
http://bu.dalloz.fr/
-
http://curia.europa.eu
-
http://europa.eu
-
http://eur-lex.europa.eu
-
http://www.lamyline.fr
-
http://www.legifrance.gouv.fr
-
http://www.lexisnexis.fr/
120
INDEX ALPHABÉTIQUE
Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphe
A–
Abus de comportement : 32, 58, 151, 154, 250
O–
Opérations de concentration : 55, 72, 102,
114, 126
Contrôle : 33
Règlement 4064/89 : 108, 234
Règlement n°139/2004 : 117
Abus de position dominante : 23, 28, 47, 100,
103, 179, 187, 195, 199, 211
Abus de structure : 31, 41, 57, 67, 124, 151, 180,
201, 214, 236, 245
Ordonnance du 1er/12/1986 : 17
P–
C–
Position dominante : 24, 78, 83, 86, 99,
Ciseau tarifaire : 217 et s.202, 243
Principe de libre concurrence :
Etats-Unis : 8
France : 21
Communication Commission : 193
Comportement :
Anormal : 35, 102, 169, 206
Des entreprises : 89, 101, 182, 198, 235,
242, 244, 248
R–
Responsabilité particulière : 174 et s.
Arrêt Michelin : 175, 183
Conseil de la concurrence : 19, 146, 200
S–
Consommateurs : 186, 194
Arrêt Continental Can : 34, 61, 76, 129
Sherman Antitrust Act : 4, 6, 51
D–
T–
Théorie civiliste de l’abus de droit : 26
Droit de la concurrence, objectifs :
Aux Etats-Unis : 4, 43
En Europe : 10, 44, 196
En France : 16
Théorie des facilités essentielles : 209 et
s., 238
Traité de Paris : 11
H–
Traité de Rome : 12, 24
Article 86 : 46, 49, 52, 138
Article 3 f) : 54, 73, 109
Arrêt Héli-Inter Assistance : 211
U–
Arrêt Hoffmann-La Roche : 91, 135, 141, 177
Arrêt United Brands : 79, 95, 99, 186
121
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS .......................................................................................................3
SOMMAIRE ....................................................................................................................4
LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ..........................................................5
INTRODUCTION ...........................................................................................................7
PARTIE 1/ L’utilisation historique de la notion « d’abus de structure » ................18
Titre 1/ Les fondements de la notion « d’abus de structure » ........................................... 18
Chapitre 1/ Les prémices de la notion « d’abus de structure »........................................... 19
Section 1/ L’émergence doctrinale de la notion d’ « abus de structure »........................ 19
Paragraphe 1/ L’approche subjective de l’abus : « l’abus de comportement » ........... 19
Paragraphe 2/ L’approche objective de l’abus : « l’abus de structure » ...................... 23
Section 2/ La consécration jurisprudentielle de la notion « d’abus de structure » .......... 25
Paragraphe 1/ L’apparition de la notion « d’abus de structure » dans la décision
Europemballage et Continental Can C/ Commission ................................................. 26
Paragraphe 2/ L’instrumentalisation de la notion d’abus de structure par la Cour de
justice : un palliatif à l’absence de contrôle des opérations de concentration ............. 29
Chapitre 2/ Les précisions apportées à la notion d’abus de structure................................ 31
Section 1/ La définition de la notion de position dominante : l’arrêt United Brands C/
Commission du 14 février 1978 ...................................................................................... 32
Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt United Brands.......................................... 32
Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt United Brands .................................. 34
122
Section 2/ La définition de l’abus de position dominante : l’arrêt Hoffmann-La Roche du
13 février 1979 ................................................................................................................ 36
Paragraphe 1/ Les circonstances de l’arrêt Hoffmann-La Roche................................. 36
Paragraphe 2/ Le caractère fondateur de l’arrêt Hoffmann-La Roche ......................... 39
Titre 2/ Le développement de la notion « d’abus de structure » ....................................... 42
Chapitre 1/ 1989 : un tournant dans l’application de la notion « d’abus de structure » ? 43
Section 1/ Le règlement n°4064/89 sur le contrôle des opérations de concentrations .... 43
Paragraphe 1/ Le champ d’application du règlement .................................................. 43
Paragraphe 2/ Les modalités d’application du règlement............................................ 45
Section 2/ Les liens entre « abus de structure » et règlement sur le contrôle des
opérations de concentration ............................................................................................. 48
Paragraphe 1/ Des champs d’application similaires .................................................... 48
Paragraphe 2/ Les conséquences de l’entrée en vigueur du règlement sur l’application
de la théorie de « l’abus de structure » ........................................................................ 50
Chapitre 2/ L’utilisation variée de la notion « d’abus de structure » ................................. 52
Section 1/ L’utilisation diversifiée de la notion « d’abus de structure » en droit
communautaire ................................................................................................................ 52
Paragraphe 1/ L’utilisation de la notion « d’abus de structure » pour des opérations de
concentrations ............................................................................................................. 53
Paragraphe 2/ L’utilisation pluridisciplinaire de la notion « d’abus de structure »..... 55
Section 2/ L’utilisation multipliée de la notion « d’abus de structure » en droit interne 58
Paragraphe 1/ L’utilisation théorique de l’abus de structure ....................................... 58
Paragraphe 2/ L’utilisation pratique de la théorie de l’abus de structure .................... 60
123
PARTIE 2/ L’utilisation actuelle de la notion « d’abus de structure » ....................64
Titre 1/ La redéfinition des critères d’application de la notion « d’abus de structure » 64
Chapitre 1/ Une définition plus complète de la notion « d’abus de structure ».................. 64
Section 1/ Les incertitudes quant à la condition de « comportement anormal » ............. 65
Paragraphe 1/ Le contexte des arrêts ITT Promedia et British Airways...................... 65
Paragraphe 2/ La portée des arrêts ITT Promedia et British Airways quant à la
condition de « comportement anormal » ..................................................................... 67
Section 2/ La « responsabilité particulière » pour l’entreprise dominante de ne pas porter
atteinte à une concurrence effective ................................................................................ 70
Paragraphe 1/ L’étude de l’arrêt Michelin................................................................... 70
Paragraphe 2/ La portée de l’arrêt Michelin : une conception objective de l’abus ..... 72
Chapitre 2/ Les conséquences dans l’application pratique de la notion « d’abus de
structure » ........................................................................................................................... 74
Section 1/ Les critères d’application de la notion « d’abus de structure » par les autorités
de concurrence................................................................................................................. 74
Paragraphe 1/ L’absence de prise en compte directe du dommage causé aux
consommateurs ............................................................................................................ 75
Paragraphe 2/ Le renouvellement de la notion « d’abus de structure » par la
Commission Européenne............................................................................................. 77
Section 2/ Vers une sanction systématique de la position dominante ? .......................... 79
Paragraphe 1/ La démonstration du lien de causalité entre la position dominante et
l’abus encore nécessaire ? ........................................................................................... 79
Paragraphe 2/ Une plus grande protection des entreprises concurrentes ? .................. 81
124
Titre 2/ L’inévitable maintien de la notion d’abus de structure ....................................... 83
Chapitre 1/ La théorie des infrastructures essentielles : « nouvel avatar » de « l’abus de
structure » ........................................................................................................................... 83
Section 1/ Le refus de mise à disposition d’une infrastructure essentielle par une
entreprise dominante ....................................................................................................... 84
Paragraphe 1/ Présentation de la théorie des facilités essentielles .............................. 84
Paragraphe 2/ L’application de la théorie des facilités essentielles ............................ 86
Section 2/ La pratique dite de « ciseau tarifaire » ........................................................... 89
Paragraphe 1/ Présentation de la pratique dite de « ciseau tarifaire » ......................... 89
Paragraphe 2/ L’utilisation actuelle de la pratique de « ciseau tarifaire » constitutive
d’un abus de positon dominante .................................................................................. 92
Chapitre 2/ L’opportunité du maintien de la notion « d’abus de structure » ..................... 94
Section 1/ Les avantages liés au maintien de la notion « d’abus de structure » .............. 94
Paragraphe 1/ Le pouvoir des autorités de concurrence sur le contrôle des entreprises
..................................................................................................................................... 95
Paragraphe 2/ L’extension continue de l’abus de structure à des domaines variés ..... 96
Section 2/ Les limites au maintien de la notion d’abus de structure ............................... 99
Paragraphe 1/ Les limites liées aux stratégies des entreprises dominantes ................. 99
Paragraphe 2/ Les limites liées au caractère malléable de la notion ......................... 101
CONCLCUSION GÉNÉRALE ..................................................................................104
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................106
INDEX ALPHABÉTIQUE .........................................................................................121
125