Tomboy de Céline Sciamma
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Tomboy de Céline Sciamma
Tomboy De Céline Sciamma Collège au cinéma 53 Niveau 4e / 3e Par Yannick Lemarié Coordonnateur académique / rectorat de Nantes Page |2 Sommaire 1- Garçon manqué : personnage de la littérature p.3 2- Un film en couleurs p.6 3- L’éducation : le rôle des parents p.9 4- Les rapports au monde p.12 5- Le jeu p.15 6- Entre-deux p.16 7- Les limites et la liberté p.21 Page |3 1- Garçon manqué : un personnage de la littérature Pour évoquer le cas de Laure et le titre Tomboy, on peut proposer (avant ou après la projection) quelques extraits de romans par exemple celui de Nina Bouraoui, Garçon manqué ou un extrait de Germinal de Zola. Nina Bouraoui, Garçon manqué, Stock, 2000. Fille d’une mère bretonne et d’un père algérien, Nina Bouraoui passe les premières années de sa vie en Algérie. Dans son ouvrage, Garçon manqué, elle évoque sa difficulté pour se situer dans une société qu’elle ne connaît pas, dont elle ne maîtrise pas la langue et qui retient les femmes à la maison. Pour s’intégrer, elle décide de s’habiller comme un garçon. Je prends un autre prénom, Ahmed. Je jette mes robes. Je coupe mes cheveux. Je me fais disparaître. J’intègre le pays des hommes. Je suis effrontée. Je soutiens leur regard. Je vole leurs manières. J’apprends vite. Je casse ma voix. Je n’ai pas peur des hommes de Zéralda. Ils occupent la plage entière. Ils plongent dans l’eau d’un coup, sans mouiller la nuque, le ventre, les chevilles. Ils sont résistants. Ils prennent la mer. Par leurs cris. Par leurs gestes. Par leurs corps massés et nombreux. Ils sont violents. Ils sont en vie. J’ajuste mon maillot, une éponge bleue. Je marche les jambes ouvertes. Je suis fascinée. Amine m’aime comme un garçon. Nous restons à la plage jusqu’aux limites de la nuit. Les dernières heures sont roses et sans temps, lentes et pleines du souvenir du soleil, un feu qui quitte le sable, la peau, la forêt de pins cachés. Nous jouons encore. Contre la nuit qui vient. Je joue vite. Je suis précise. Je garde le ballon longtemps, avec ma tête, mon torse et mes pieds nus, avec mon corps sans peur. Je cours avec le bruit de la mer. Les vagues sont des voix. La sirène des cargos appelle les hommes de Zeralda. Ils viennent. La sirène rassemble. Tous ces corps qui s’ennuient. Je sens la tendresse des hommes de Zeralda. Leur intérêt. Leur indulgence. Ils m’applaudissent. J’apprends à être devant eux. J’apprends à me montrer ainsi, changée. Ils me regardent. Seul mon corps captive. Je dis mon mensonge. Par mes gestes rapides. Par mon attitude agressive. Par ma voix cassée. Je deviens leur fils. Je suis la seule fille qui joue au football. Ici, je suis l’enfant qui ment. Toute ma vie consistera à restituer ce mensonge. À le remettre. À l’effacer. À me faire pardonner. À être une femme. À le devenir enfin. Toute ma vie reposera sur la perte du regard doux des hommes de Zeralda, une méprise sur ma personne. Questions 1- Ce récit est autobiographique. Relevez dans le texte les éléments qui le prouvent. 2- Quels changements la narratrice subit-elle ? Quel mot suggère qu’il existe des mondes différents pour les hommes et pour les femmes ? 3- Étudiez le cadre spatio-temporel. Comment la sensualité du paysage est-elle rendue ? 4- Que représente la sirène dans cet extrait ? 5- Quel jugement la narratrice porte-t-elle sur son changement ? 6- Quels rapprochements pouvez-vous faire entre cet extrait et le film de Céline Sciamma ? Réponses possibles Page |4 1- Récit autobiographique : nombreux je [affirmation d’une personnalité / pouvoir de décision], souvenir [présent de narration], prolepse [« tout ma vie consistera à restituer ce mensonge »]. 2- La narratrice parle d’une intégration dans le pays des hommes. [→ de même qu’elle se situe entre la France et l’Algérie, elle est entre le pays des femmes et le pays des hommes]. Son intégration passe par : • Des changements physiques [cheveux courts, vêtements masculins] • Des changements de comportements [façon de marcher, regard effronté, attitude agressive…] / rapprochement avec les comportements des hommes. Cette intégration est possible car le regard des autres change : « je deviens leur fils » 3- Sensualité : eau, feu, terre / passage du temps / vue [couleur : rose], ouïe… / importance du corps [champ lexical] 4- Sirène : créature de la mer dont le chant attire les hommes / ici, les sirènes des bateaux invitent au départ, à l’ailleurs [exil] 5- Impression d’un effacement + sentiment de mentir aux autres [→ besoin de se faire pardonner] 6- À voir avec les élèves. 2- Emile Zola, Germinal, 1885 Étienne Lantier vient d’arriver dans le nord de la France pour y chercher du travail. L’extrait nous raconte sa première descente dans la mine avec Maheu et Catherine qu’il prend pour un garçon. Enfin, une secousse l'ébranla, et tout sombra; les objets autour de lui s'envolèrent, tandis qu'il éprouvait un vertige anxieux de chute, qui lui tirait les entrailles. Cela dura tant qu'il fut au jour, franchissant les deux étages des recettes, au milieu de la fuite tournoyante des charpentes. Puis, tombé dans le noir de la fosse, il resta étourdi, n'ayant plus la perception nette de ses sensations. - Nous voilà partis, dit paisiblement Maheu. Tous étaient à l'aise. Lui, par moments, se demandait s'il descendait ou s'il montait. Il y avait comme des immobilités, quand la cage filait droit, sans toucher aux guides; et de brusques trépidations se produisaient ensuite, une sorte de dansement dans les madriers, qui lui donnait la peur d'une catastrophe. Du reste, il ne pouvait distinguer les parois du puits, derrière le grillage où il collait sa face. Les lampes éclairaient mal le tassement des corps, à ses pieds. Seule, la lampe à feu libre du porion, dans la berline voisine, brillait comme un phare. - Celui-ci a quatre mètres de diamètre, continuait Maheu, pour l'instruire. Le cuvelage aurait bon besoin d'être refait, car l'eau filtre de tous côtés... Tenez! nous arrivons au niveau, entendez-vous? Etienne se demandait justement quel était ce bruit d'averse. Quelques grosses gouttes avaient d'abord sonné sur le toit de la cage, comme au début d'une ondée; et, maintenant, la pluie augmentait, ruisselait, se changeait en un véritable déluge. Sans doute, la toiture était trouée, car un filet d'eau, coulant sur son épaule, le trempait jusqu'à la chair. Le froid devenait glacial, on enfonçait dans une humidité noire, lorsqu'on traversa un rapide éblouissement, la vision d'une caverne où des hommes s'agitaient, à la lueur d'un éclair. Déjà, on retombait au néant. Maheu disait: - C'est le premier accrochage. Nous sommes à trois cent vingt mètres. Regardez la vitesse. Levant sa lampe, il éclaira un madrier des guides, qui filait ainsi qu'un rail sous un train lancé à toute vapeur; et, au-delà, on ne voyait toujours rien. Trois autres accrochages passèrent, dans un envolement de clartés. La pluie assourdissante battait les ténèbres. Page |5 - Comme c'est profond! murmura Etienne. Cette chute devait durer depuis des heures. Il souffrait de la fausse position qu'il avait prise, n'osant bouger, torturé surtout par le coude de Catherine. Elle ne prononçait pas un mot, il la sentait seulement contre lui, qui le réchauffait. Lorsque la cage, enfin, s'arrêta au fond, à cinq cent cinquante-quatre mètres, il s'étonna d'apprendre que la descente avait duré juste une minute. Mais le bruit des verrous qui se fixaient, la sensation sous lui de cette solidité, l'égaya brusquement; et ce fut en plaisantant qu'il tutoya Catherine. - Qu'as-tu sous la peau, à être chaud comme ça?... J'ai ton coude dans le ventre, bien sûr. Alors, elle éclata aussi. Etait-il bête, de la prendre encore pour un garçon! Il avait donc les yeux bouchés? - C'est dans l'œil que tu l'as, mon coude, répondit-elle, au milieu d'une tempête de rires, que le jeune homme, surpris, ne s'expliqua point. La cage se vidait, les ouvriers traversèrent la salle de l'accrochage, une salle taillée dans le roc, voûtée en maçonnerie, et que trois grosses lampes à feu libre éclairaient. Sur les dalles de fonte, les chargeurs roulaient violemment des berlines pleines. Une odeur de cave suintait des murs, une fraîcheur salpêtrée où passaient des souffles chauds, venus de l'écurie voisine. Quatre galeries s'ouvraient là, béantes. - Par ici, dit Maheu à Etienne. Vous n'y êtes pas, nous avons à faire deux bons kilomètres. Questions 1- Quelles découvertes Etienne fait-il durant cette descente ? 2- Montrez que le regard joue un rôle essentiel dans cet extrait. 3- Montrez que cette descente est l’occasion pour le romancier de nous faire découvrir la mine. Page |6 2- Un film en couleurs L’étude de la couleur dans un film est rarement prise en compte. Ici, le film s’y prête particulièrement bien, notamment grâce à la simplicité des choix opérés par Céline Sciamma. Étudier l’utilisation du bleu et du rouge permettra de faire comprendre aux élèves qu’un plan, au cinéma, est affaire de cadrage, d’axe de caméra, mais également de lumière et de couleurs. Pour cela on s’arrêtera sur le générique et on étendra l’analyse à l’ensemble du film. Questions 1- Quelles sont les fonctions du générique ? Etudier les couleurs dans le générique. 2- Etudier les couleurs (bleu et rouge) dans le film ? 3- Quelle couleur est utilisée pour les parents ? Pour quelle(s) raison(s) ? 1- Étude du générique a) Rappel : le générique a deux fonctions essentielles ici : • Il présente les équipes technique et artistique. • Il indique, d’une façon ou d’une autre, le contenu du film. Ici, le titre peut paraître énigmatique : Tomboy (= garçon manqué). Qui est ce « garçon manqué » ? qui est cette jeune fille (un garçon manqué est une fille) ? Pourquoi un titre en anglais ? Les premières images nous donnent une réponse puisque la caméra dévoile le personnage principal. Insistons également sur la place du générique : il est donné avant la première séquence, au milieu de l’histoire voire à la fin. Ici, il est au début mais se prolonge après les premiers plans sur Laure : d’une certaine façon, le mot Tomboy s’insinue dans la vie de Laure. C’est le monde des garçons qui entrent dans la vie de Laure. b) Le titre (et le film) joue également sur le code couleurs : rouge et bleu. Ainsi les noms de l’équipe technique et de l’équipe artistique sontils présentés alternativement en bleu et en rouge sur fond noir. Quant au titre, qui arrive au cœur de la première séquence, il s’inscrit d’abord en bleu puis en rouge avant d’être en bleu ET en rouge. Ce jeu avec les couleurs montre alors une dualité (Laure/Mickaël) que le titre anglais suggère. On pourra remarquer, en complément, que le générique et la première séquence (celle dans la voiture) s’amusent avec les formes duelles : vue de dos puis de face de Laure / visage du père dans l’ombre et dans la lumière / extérieur et intérieur de la voiture / image mouvante et carton fixe du générique… 2- Le film Cette présence des deux couleurs primaires se retrouvera dans tout le film : une barrette bleue pour retenir les cheveux et une robe rose pour Jeanne, un tee-shirt bleu et un short rouge pour Laure, tee-shirt rouge pour un garçon et bleu pour son voisin, etc. Céline Sciamma multiplie les plans dans lesquels le rouge et le bleu (avec des nuances) se retrouvent côté à côté. Elle n’hésite pas à jouer sur les deux couleurs, non seulement avec les vêtements, mais également avec les éléments du décor : un objet rouge se retrouve dans la chambre bleue ; un tabouret rouge est posé devant un drap bleu… Page |7 En procédant ainsi, la réalisatrice n’assigne pas une couleur particulière aux garçons ou aux filles. Au contraire. Elle montre que le code couleur est aléatoire, relatif et qu’il ne renseigne en rien le masculin ou le féminin. 4- Autres couleurs Ne réduisons pas cependant le film à un bi-chromatisme trop simpliste. Il arrive que Céline Sciamma abandonne les deux couleurs primaires. 9 Vert : la nature. Il s’oppose au blanc/gris des murs de la cité. Notons la tapisserie verte (avec motifs floraux) dans l’appartement de l’enfant battu. Il suggère également la fraîcheur, le « vert paradis des amours enfantines » (Baudelaire). 9 Jaune : couleur du nouveau-né. Dernière couleur primaire (jamais utilisée jusque là). C’est une façon de rompre avec la règle chromatique que Céline Sciamma s’est imposée jusque là et d’amener le film à sa conclusion. 9 Noir ou au gris, notamment quand la réalisatrice présente les parents et les enfants (cf. scène de Laure et Jeanne avec leurs parents / scène de la voisine avec son fils). Page |8 Pourquoi ce choix ? On peut émettre plusieurs hypothèses : a- C’est une façon de montrer l’amour fusionnel. Dans la famille de Laure, par exemple, les quatre membres se retrouvent dans la chambre sur le lit ; ils portent tous des vêtements noirs/gris, ce qui donne l’impression d’une tribu soudée. Cela est vrai également pour la mère et l’enfant battu. b- C’est une façon également de distinguer deux espaces : celui coloré des enfants ; celui plus terne, plus gris de la famille. c- 3e hypothèse : l’enfant est considéré comme un enfant (les parents aiment une/un enfant de la même façon qu’il soit garçon ou fille). Le gris neutralise la question du sexe de l’enfant. d- On notera un (léger) désaccord de couleur : lorsque la mère de Laure (chemisier noir) conduit sa fille (robe bleue) chez Lisa. Page |9 3- L’éducation : le rôle des parents Cette représentation de la famille est d’autant plus importante que Céline Sciamma pose la question de l’éducation. Dès les premières images, la réalisatrice s’interroge sur les rapports entre enfants et parents ainsi que sur le rôle de ces derniers vis-à-vis de leur progéniture. Questions a- Quels sont les parents dans le film ? b- Quelle relation les parents de Laure entretiennent-ils avec leurs enfants ? c- Quels rôles le film donne-t-il aux parents ? 1- Les parents Les parents sont relativement peu présents car le film s’applique à suivre la vie des enfants et leur quotidien. Pour autant, ils ne sont pas absents totalement. On trouve : • les parents de Laure (cf. livret) • La mère de l’enfant battu (elle vient uniquement pour se plaindre du comportement de Mickaël) • La mère de Lisa (elle ouvre la porte de l’appartement et reçoit Laure et sa mère ; la conversation est off : les explications sont inutiles pour le spectateur et cela dramatise la situation de Laure qui entend le murmure des mères sans savoir ce qu’elles disent exactement). 2- Fonctions des parents a b c1 c2 d e a- Des parents nourriciers La fonction première des parents est donnée quasiment dès le début du film : ils assurent le gîte et le couvert de leurs enfants. Le père de Laure conduit ainsi sa fille dans leur nouveau logement et nous voyons, plusieurs fois, la famille autour d’une table en train de manger. b1-2- Des parents-soutiens Les parents soutiennent également leur enfant. Ce n’est pas un hasard si la première image du père nous le montre en train de tenir la jambe de sa fille debout sur la banquette arrière. Certes, on pourrait reprocher au père un certain laxisme (après tout, il devrait obliger son enfant à se tenir assis avec une ceinture de sécurité !), mais il semble plus intéressant de souligner ici son geste protecteur (cf.d). P a g e | 10 c- des parents-éducateurs C’est sans doute la raison pour laquelle Laure est vue sur les genoux de son père en train de conduire la voiture dans la première séquence. Rappelons en effet que l’éducateur est, si l’on reprend l’étymologie, celui qui conduit (ducere) hors de (e/ex) : conduire hors de son lieu habituel (la famille emménage dans une nouvelle ville) ; conduire Laure hors du monde de l’enfance. Pour cela, non seulement le père donne des conseils (« à droite »), mais il reprend parfois la direction des opérations afin de remettre l’enfant sur la bonne voie ou afin de l’aider. Les parents établissent la loi et la modifient en fonction de l’âge de l’enfant : ainsi la mère donne-t-elle à Laure les clés de l’appartement afin qu’elle puisse entrer et sortir quand elle veut, tandis que le père l’autorise pour la première fois à boire de la bière (jusque là, c’était interdit). d- des parents protecteurs Ce rôle de protection est assumé, notamment, par la mère de l’enfant battu qui vient se plaindre des coups reçus (« il m’a dit que c’est votre fils qui a fait cela »). e- des parents qui sanctionnent Le rôle des parents est aussi de punir : « je vais faire ce qu’il faut, je vais le punir », dit la mère avant de demander à Laure de s’excuser (→ la scène repose sur une succession de champs/contrechamps qui accentuent la tension de la scène). La sanction n’est pas évidemment ici considérée comme une brutalité inexcusable (même si la mère donne une gifle), mais comme un moyen de retisser le lien avec le monde. [On peut rappeler, à ce propos, que le mot sanction a la même étymologie que le mot saint.] Ce tissage oblige la mère à sortir de l’appartement (ce le seul moment où nous la voyons en dehors de l’appartement) et à aller chez les différents parents (cf. la partie sur le mensonge) 1) De quel verbe latin le mot sanction vient-il ? À quelle conjugaison ce verbe latin appartient-il ? Quels sont les deux sens du verbe sanctionner en Français ? 2) Décomposez le verbe sanctifier. Donnez le sens des deux éléments. Formez quatre autres verbes avec –fier. 3) Recherchez la définition de sacrement ? 4) Recherchez la définition du mot français sacrilège ? Quel mot latin reconnaissez-vous ? 5) Recherchez la définition de sacerdoce. 6) De quel verbe latin les mots adorer et pérorer viennent-ils ? Quel est le sens de chacune des prépositions utilisées pour composer ces verbes. Précisez le sens du verbe pérorer. Dans quelle partie d’un discours la péroraison se trouve-t-elle ? 7) Qu’appelle-t-on une oraison funèbre ? 8) Comment est composé le nom abomination ? De quel mot latin vient-il ? Notez la définition du mot français puis retrouvez un adjectif de la même famille. Réponses : 1) Sancio, is, ere, sanxi, sanctum : 3ème conjugaison mixte [consacrer, rendre irrévocable → sanctionner – le Brevet des collèges sanctionnent la fin des études- ; interdire → punir) 2) Sanct-fier = sanctus + fio, is, fieri, factus sum : être fait, devenir / magnifier, purifier, chosifier, densifier, planifier, réifier, glorifier, 3) Sacrement : signe sacré ou cérémonie sacrée P a g e | 11 4) Sacrilège : action impie envers un lieu sacré, une personne sacrée. / sacer 5) Sacerdoce : fonction de ceux qui ont une activité sacrée / -doce = do, das, dare 6) Oro / ad = vers ; per → accomplissement : peroro : parler de bout en bout / pérorer = discourir longuement avec emphase, souvent avec prétention (péjoratif) 7) Oraison funèbre : discours prononcé lors d’un enterrement 8) Abomination : horreur quasi sacrée qu’inspire ce qui est monstrueux ; action monstrueuse [en latin : quelque chose qu’on repousse ; dont on se détourne comme sinistre présage] P a g e | 12 4- Les rapports au monde Dans le film, Laure se situe par rapport à ses parents, mais également par rapport au monde. Elle découvre de nouveaux camarades, son nouvel environnement et le monde qui l’entoure. D’où l’importance des éléments et de la sensualité dans l’œuvre de Céline Sciamma. Questions Comment les quatre éléments (air, eau, feu, terre) sont-ils représentés dans le film ? Pourquoi la réalisatrice insiste-t-elle sur cet aspect du réel ? Quels sens sont privilégiés ? 1- Un monde sensuel Le monde tel qu’il est décrit par la réalisatrice est un monde où les quatre éléments sont, plus ou moins, convoqués et c’est un monde qui sollicite tous les sens : a- Eau, terre, feu et air Air Eau Terre Feu présence du vent dès les premières images / vent dans les cheveux, vent sur la main Bain, baignade : l’eau est liée au jeu, au bien-être, au danger La forêt. Le lieu s’oppose à l’appartement. Soleil Attardons-nous sur deux éléments particulièrement bien représentés : Eau : comme souvent, elle a une riche symbolique. Féminine dans la théorie bachelardienne, elle est amoureuse (cf. Narcisse, Diane… / le premier baiser est donné par Lisa devant la rivière). Elle est utilitaire (bain, dans le film), espace de jeu (bain, baignade, bataille d’eau), mais également elle représente un lieu dangereux (→ elle peut révéler le mensonge de Laure et trahir la jeune fille), parfois marqué par la mort (cf. Ophélie)… et la renaissance. Ce qui ressort de l’étude de l’eau par Bachelard, c’est son ambigüité fondamentale. Air : Il est montré par le mouvement des feuilles dans les arbres, par la main qui dépasse de la voiture ou par la bande-son. Bachelard (comme la réalisatrice) insiste sur le schème ascensionnel (→ liberté, croissance, imagination, dynamisme). On peut distinguer deux aspects particuliers de cet élément : le vent et l’arbre aérien. o Le vent est symbole de liberté (cf. scène de la voiture) ; il est également le symbole de la colère : « Le vent s'excite et se décourage. Il crie et il se plaint. Il passe de la violence à la détresse. Le caractère même des souffles heurtés et inutiles peut donner une image d'une mélancolie anxieuse bien différente de la mélancolie accablée » [Bachelard, L’air et les songes, Corti, 1943, pp.264]. P a g e | 13 o L’arbre aérien : Les arbres ont des formes si diverses ! Ils ont des branches si multiples, si divergentes ! D'autant plus frappante paraîtra leur unité d'être et ce qui est, au fond, leur unité de mouvement, leur port. Cette unité d'être vient sans doute, à première vue, de leur tronc isolé. Mais l'imagination ne se satisfait pas de cette unité d'isolement, de cette unité formelle et externe. Laissons-la proliférer, laissons-la vivre, et peu à peu nous allons sentir en nousmêmes que l'arbre, être statique par excellence, reçoit de notre imagination une vie dynamique merveilleuse. Sourde, lente, invincible poussée ! Conquête de légèreté, fabrication de choses volantes, de feuilles aériennes et frémissantes ! Comme l'imagination dynamique l'adore, cet être toujours droit, cet être qui ne se couche jamais ! « L'arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l'homme. » L'arbre est un modèle constant d'héroïque droiture : « Quels Épictète que ces pins... Quels enragés de vie que ces maigres esclaves, et comme ils ont l'air, dans leur détresse, d'être satisfaits de leur sort ! ». [Bachelard, L’air et les songes, Corti, 1943, pp.238-239). On pourra rapprocher cet extrait du moment où, seule dans la forêt, Laure regarde vers le haut des arbres (→ utilisation de la contre-plongée). Le vent exprime alors la colère de Laure, ses tourments intérieurs, son agitation, mais également son héroïsme, sa droiture. On opposera ce plan à celui où Laure se retrouve prostrée au pied d’un arbre, après la scène d’humiliation. Notons toutefois que ce plan est immédiatement suivi de celui du nourrisson (idée de re-naissance ?). b- Sens privilégiés • Le corps Céline Sciamma ne cesse dans le film de montrer le corps de ses personnages en action et les réactions corporelles : o Essoufflement lors des parties de football ; o Fatigue après une activité physique ; o Tremblement après le bain pour indiquer le froid ; o Pleurs. o Envie d’uriner / manger - boire • Le regard Notre rapport au monde et aux autres passe d’abord par le regard. C’est pourquoi le film montre plusieurs fois un personnage qui pose les yeux sur un autre personnage ou un groupe. Ainsi Laure observe-t-elle les garçons jouer au football ; Lisa observe de son côté Laure etc… C’est d’ailleurs parce que Lisa voit Laure comme un garçon (Mickaël) qu’elle ose l’embrasser. Une fois la vérité révélée, Laure doit passer devant ses camarades pour être vue avec des vêtements de fille : la réalisatrice insiste sur le mouvement des yeux. Les personnages, comme les spectateurs, doivent convertir leur regard pour ne plus voir Laure comme un garçon, mais comme une fille. Ne pas regarder… Regarder… Croiser le regard : conversion du regard / voir ce qu’on ne voyait pas. On notera le motif floral derrière le garçon (→ lien avec la forêt / là où Laure jouait au garçon) P a g e | 14 On n’oubliera pas de signaler que le regard peut être également réflexif. D’où le miroir dans lequel Laure se regarde plusieurs fois afin de se découvrir. • Le toucher Le toucher est l’autre sens privilégié dans le film. Dès les premières minutes, nous voyons Laure tendre la main à l’extérieur de la voiture afin de sentir le vent entre ses doigts. Plus tard, les deux fillettes (Laure et Lisa) se tiendront par la main. • L’ouïe Elle est sollicitée notamment par la bande-son. Dès la première scène, on entend le vent dans les arbres. Ensuite nous entendrons les oiseaux, l’eau… Remarquons que les conversations entre les mères ne sont perçues qu’en off. P a g e | 15 5- Le jeu Le film est centré sur le monde des enfants : d’où l’importance des jeux. Quels jeux sont utilisés dans le film ? Quels sont les rôles des jeux ? L’importance du jeu dans la vie des hommes est telle que beaucoup de scientifiques ont tenté une classification. Ainsi on trouve : • selon Caillois : jeu de compétition (âgon : compétition avec l’idée de gagner), jeu de hasard (alea : on ne peut agir sur le déroulement), jeu de simulacre (mimicry : on fait semblant), jeu de vertige (ilinx : on recherche les sensations fortes, une forme d’ivress). Caillois ajoute un autre axe : les jeux avec règles, les jeux sans règles. • selon Piaget : jeu d’exercice (on joue avec les mouvements), jeu symbolique (de représentation, de fiction), jeu à règles (qui exigent de respecter des règles). Inutile de rentrer dans les détails avec les élèves. Pourtant, on peut essayer avec eux de repérer tous les jeux auxquels les personnages se livrent et essayer de voir s’ils entrent dans une classification du type de celle de Caillois. • • • Objectif : Faire découvrir les différents types de jeu. Faire découvrir le rôle important des jeux dans la vie personnelle et sociale. S’intéresser au filmage de ces moments-là. 1- Types de jeux Nous nous appuyons principalement sur la classification de Caillois. a- Jeux d’imitation • le père lors du petit déjeuner imite le fonctionnement d’une machine quand il fait glisser une nouille dans sa bouche tout en tirant son oreille. • Jeanne fait semblant de dormir quand sa sœur entre pour la première fois dans la chambre • Jeanne et Laure font semblant d’être à la radio. • Laure imite les comportements des garçons (elle crache comme eux par exemple). b- Jeux de vertige • Laure se tient debout sur la banquette arrière et passe la tête à travers le toit ouvrant. • Balancer les jambes en haut d’un balcon. c- Jeux de compétition • Jeu du béret • Partie de football d- Jeux de hasard • Jouer à cache-cache [se laisser surprendre / découvrir les hasards de l’existence] • Jeu de cartes / jeu des sept familles e- Jeu de la vérité • Questions-réponses (Laure n’a pas respecté la règle du jeu lorsqu’elle n’a pas donné son vrai nom) P a g e | 16 2- Rôle de ces jeux ? • Occuper le temps : le film se passe pendant les vacances • Expérimenter de nouvelles sensations • Franchir des frontières ou ses propres frontières • Vie sociale : le mode d’intégration de l’enfant dans le groupe passe par le jeu (cf. la scène du foulard dans la forêt) 3- Filmage des jeux Lors des scènes de jeux, Sciamma choisit : 1. Une alternance de plans serrés et des plans plus larges : ce choix permet de passer de l’individu à la collectivité. Le jeu est souvent un moment de la vie en société ; il construit des rapports sociaux. En faisant cela, Sciamma montre également le rôle d’intégration. 2. Un montage dynamique : les plans brefs permettent d’insuffler une dynamique à des moments qui sont parfois statiques (le jeu de questions-réponses maintient les personnages assis / le montage permet de suivre la dynamique de la parole). P a g e | 17 6- Entre deux : une forme inspirée du fond Céline Sciamma place son film dans un entre-deux. Certes, il s’agit de montrer la situation de Laure (un garçon manqué / la fille qu’elle est et le garçon qu’elle prétend être), mais également de jouer sur les frontières de l’espace, du temps et celles, plus floues, des genres narratifs. En effet, le film ressemble à la fois à un film naturaliste, à un conte et à un film à suspense. Questions 1- Quels plans ouvrent et ferment le récit de l’amitié entre Lisa et Laure ? Justifiez ce choix. 2- Étude des lieux 3- Étude des temps 4-En quoi ce film est-il à la fois un film réaliste et un conte ? 5- En quoi ce film s’apparente-t-il à un film d’Hitchcock ? On s’appuiera pour cette question sur le commentaire d’Hitchcock et la différence qu’il établit entre suspense et surprise. 1- Entre deux plans Considérant le film dans son ensemble, on peut dire que l’histoire de Laure/Mickaël se tient entre deux plans (quasi identiques) qui se répondent et se font face : Je m’appelle Mickaël Je m’appelle Laure Les différentes péripéties semblent prises dans une parenthèse : le premier plan ouvre le film et le second le ferme. Entre les deux, Laure a vécu une tranche de vie. Le positionnement de l’actrice dans les deux plans crée un effet miroir. 2- Entre deux espaces Laure est depuis longtemps entre deux déménagements. Elle passe d’un logement à un autre. D’ailleurs dès le début du film, elle passe d’une pièce à une autre. Laure vit également entre l’appartement de ses parents et la forêt où elle retrouve la bande de copains. Même dans la forêt, elle est dans un espace qui est à la fois domestiqué et sauvage. 3- Entre deux temps a- Entre deux états • Enfance et monde adulte. Dans la même scène, Laure suce son pouce comme une enfant et boit de la bière comme une jeune adulte. Son corps est encore celui d’une enfant et déjà celui d’une jeune adolescente. • Laure et Mickaël : la jeune fille se comporte comme une fille chez elle et comme un garçon avec ses copains. P a g e | 18 b- Entre deux moments de la vie familiale : • La famille est constituée de 4 membres, mais la mère est enceinte. La période de grossesse est un moment particulier où la famille est sur le point de s’agrandir. c- Entre deux périodes scolaires • Le film se situe dans une période intermédiaire : celle des vacances. Les vacances sont un entre-deux : l’école est finie mais déjà la rentrée s’annonce (les listes des élèves sont établies…) 4- Entre différents genres narratifs a- Film naturaliste vs conte Film naturaliste 1. 2. 3. 4. Conte HLM Vie moderne / école Monde dominé par les adultes Lieu de la civilité (Laure s’excuse auprès des voisins) 1. 2. 3. 4. Forêt Vie primitive / absence de contraintes Univers des enfants Lieu de la violence primitive (Laure est traquée comme une bête) On prolongera la réflexion en montrant que le film est aussi un conte initiatique où Laure expérimente les « premières fois » : 9 Elle découvre son nouvel appartement (entre pour la première fois dans les différentes pièces et notamment dans les chambres) ; 9 Elle boit pour la première fois de la bière (jusque là, elle n’avait pas le droit) 9 Elle parle pour la première fois à Lisa. 9 Elle reçoit pour la première fois les clés de l’appartement. 9 Elle embrasse pour la première fois une fille ( 9 Etc… Elle s’initie également aux comportements masculins : crache, se bat, s’habille comme les garçons. Le conte est propice à la versatilité des corps. L’initiation s’achève (provisoirement) quand, à la fin du film, elle donne son vrai prénom [écho de la scène initiale]. La traque primitive b- Récit réaliste vs suspens à la Hitchcock P a g e | 19 Rappel de la citation d’Alfred Hitchcock : “There is a distinct difference between "suspense" and "surprise," and yet many pictures continually confuse the two. I'll explain what I mean. We are now having a very innocent little chat. Let's suppose that there is a bomb underneath this table between us. Nothing happens, and then all of a sudden, "Boom!" There is an explosion. The public is surprised, but prior to this surprise, it has seen an absolutely ordinary scene, of no special consequence. Now, let us take a suspense situation. The bomb is underneath the table and the public knows it, probably because they have seen the anarchist place it there. The public is aware the bomb is going to explode at one o'clock and there is a clock in the decor. The public can see that it is a quarter to one. In these conditions, the same innocuous conversation becomes fascinating because the public is participating in the scene. The audience is longing to warn the characters on the screen: "You shouldn't be talking about such trivial matters. There is a bomb beneath you and it is about to explode!" In the first case we have given the public fifteen seconds of surprise at the moment of the explosion. In the second we have provided them with fifteen minutes of suspense. The conclusion is that whenever possible the public must be informed. Except when the surprise is a twist, that is, when the unexpected ending is, in itself, the highlight of the story.” "La différence entre le suspense et la surprise est très simple et de nombreux films confondent les deux. Je vais vous expliquer. Nous avons une conversation très ordinaire. Supposons qu’il y ait une bombe sous cette table, il ne se passe rien de spécial, et tout d'un coup, « boum ! », explosion. Le public est surpris, mais avant cette surprise, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d'intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu'il a vu l'anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu'il est une heure moins le quart - il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène. Le public désire prévenir les personnages sur l’écran : « vous ne devriez pas tenir des propos aussi banals. Il y a une bombe vos pieds et elle va exploser ! Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l'explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense. La conclusion est que, toutes les fois où c’est possible, le public doit être informé. Une seule exception : quand la surprise est un coup de théâtre, c’est-à-dire quand la fin inattendue est, en elle-même, le point fort de l’histoire" Dans le cas de Tomboy, la fin est déjà connue : la vraie identité de Laure sera dévoilée. Son mensonge ne peut perdurer. La seule question qui importe, c’est quand et par quel moyen. C’est la raison pour laquelle, Céline Sciamma veille à entretenir le suspense : • Épisode au cours de laquelle Laure va faire ses besoins dans le bois et qu’elle est presque surprise. • Les visites inattendues de Lisa à l’appartement. • La liste des élèves de l’école. • Jeanne découvre la vérité (va-t-elle la dire aux parents lors du repas du soir ?) P a g e | 20 Il sera facile de demander aux élèves de retrouver les différents moments où la fillette pourrait être trahie. P a g e | 21 7- Les limites et la liberté Le film insiste sur les limites, les frontières. De nombreux plans placent ainsi les personnages à la frontière du champ et du hors-champ ou montrent des barrières. Dès lors une question se pose : faut-il ou non franchir les limites ? quel en est le prix à payer ? Partant de là, le film pose la question de la loi. Questions 1- Comment sont représentées les frontières ? Quelles sont les frontières dans le film ? 2- Réflexion sur le secret (niveau 3e / discours argumentatif) 1- Représentation de la frontière Il existe plusieurs moyens de représenter la frontière ou les limites dans le film : • la position bord-cadre du personnage. Laure est montrée plusieurs fois entre deux lieux : o : à l’extérieur et à l’intérieur de la voiture ; o sur le balcon et en dehors du balcon • la porte de l’appartement • le grillage ou la grille : o une grille de protection o le grillage qui ceint une partie de la forêt ou délimite un terrain public et un terrain privé / le monde des adultes (pelouse bien coupée, arbres parfaitement taillés) ; le monde des enfants (herbes folles, arbres de la forêt). Personnage au bord du cadre Grillage-frontière Grillage-frontière Le seuil de la porte 2- La loi • Relativité de la loi Le film pose la question de la loi. Il dit ce qui est interdit et ce qui autorisé ; il montre également en quoi une loi n’est pas gravée dans le marbre, en quoi elle est relative. Ainsi les parents interdisent-ils à leur fille de ne pas boire de la bière jusqu’à un certain âge : il suffit que le père prenne acte de l’âge de son enfant pour qu’il lève l’interdit et l’autorise à prendre une gorgée. De même la mère accepte de remettre à sa fille les clés de l’appartement (→ on ajoutera que Jeanne, en revanche, ne peut pas sortir). P a g e | 22 On ne voit presque rien de juste ou d’injuste, qui ne change de qualité, en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du Pôle renversent toute la Jurisprudence. Un Méridien décide de la vérité, ou peu d’années de possession. Les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques. Plaisante justice qu’une rivière ou une montagne borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Pascal, Pensées, « Faiblesse de l’homme », 1670 Vous croyez à tout, moi je ne crois à rien. Gardez vos illusions, si vous le pouvez. Je vais vous faire le décompte de la vie. Soit que vous voyagiez, soit que vous restiez au coin de votre cheminée et de votre femme, il arrive toujours un âge auquel la vie n’est plus qu’une habitude exercée dans un certain milieu préféré. Le bonheur consiste alors dans l’exercice de nos facultés appliquées à des réalités. Hors ces deux préceptes, tout est faux. Mes principes ont varié comme ceux des hommes, j’en ai dû changer à chaque latitude. Ce que l’Europe admire, l’Asie le punit. Ce qui est un vice à Paris, est une nécessité quand on a passé les Açores. Rien n’est fixe ici-bas, il n’y existe que des conventions qui se modifient suivant les climats. Pour qui s’est jeté forcément dans tous les moules sociaux, les convictions et les morales ne sont plus que des mots sans valeur. Reste en nous le seul sentiment vrai que la nature y ait mis : l’instinct de notre conservation. Dans vos sociétés européennes, cet instinct se nomme intérêt personnel. Si vous aviez vécu autant que moi vous sauriez qu’il n’est qu’une seule chose matérielle dont la valeur soit assez certaine pour qu’un homme s’en occupe. Cette chose... c’est L’OR. L’or représente toutes les forces humaines. J’ai voyagé, j’ai vu qu’il y avait partout des plaines ou des montagnes : les plaines ennuient, les montagnes fatiguent ; les lieux ne signifient donc rien. Quant aux mœurs, l’homme est le même partout : partout le combat entre le pauvre et le riche est établi, partout il est inévitable ; il vaut donc mieux être l’exploitant que d’être l’exploité ; partout il se rencontre des gens musculeux qui travaillent et des gens lymphatiques qui se tourmentent ; partout les plaisirs sont les mêmes, car partout les sens s’épuisent, et il ne leur survit qu’un seul sentiment, la vanité ! La vanité, c’est toujours le moi. La vanité ne se satisfait que par des flots d’or. Nos fantaisies veulent du temps, des moyens physiques ou des soins. Eh ! bien, l’or contient tout en germe, et donne tout en réalité. Balzac, Gobseck 3- Le secret Le film est l’occasion pour les élèves de mener une réflexion sur le secret et le mensonge. Quelques pistes de réflexion : 1- Le secret est lié au temps : peut-on garder un secret longtemps ? un secret est-il plus long à garder au fur et à mesure que le temps passe ? 2- le poids du secret. 3- le secret et ses conséquences : un secret peut-il être sans conséquence ? quelles sont les conséquences du secret quand il est dévoilé, sur soi-même et sur les autres ? 4- le secret et l’autre : peut-on partager un secret ? est-il facile de recevoir un secret ? le secret est-il utile à la vie sociale ? à la vie affective ? 5- secret et loyauté : peut-on trahir un secret ? peut-on obéir à un ami qui veut savoir notre secret ? P a g e | 23 6- peut-on forcer quelqu’un à garder un secret ? Le mensonge est d’abord un choix personnel de la part de Laure : elle ne veut pas dire son nom et invente celui de Mickaël (on notera toutefois que Mickaël laisse entendre à la fin le pronom elle. Ce n’est donc qu’un demi-mensonge [Mi-kaël]). Ce mensonge a priori ne prête pas à conséquence. Toutefois, Céline Sciamma en montre les conséquences : • Sur soi o Il oblige Laure à conformer son attitude à ce qu’elle a dit ; o Il oblige Laure à se cacher o Il oblige Laure à fuir (« il faut qu’on s’en aille s’il te plaît », implore Laure devant son père) • Sur les autres o Jeanne est obligée de mentir à son tour aux voisins et à ses parents o Lisa croit embrasser un garçon • Le secret est lourd : Laure est obligée de parler à l’enfant dans le ventre de sa mère. [on pourra faire le rapprochement avec l’histoire de Midas / Laure parle dans le nombril de sa mère] On raconte aussi que Midas ayant préféré la flûte de Pan à la lyre d'Apollon, le dieu irrité orna sa tête d'une magnifique paire d'oreilles d'âne. Midas cachait à tous cette difformité, quand son barbier, qui avait découvert le secret et qui ne pouvait le garder, le confia à la terre après y avoir creusé un trou qu'il se hâta de combler ; mais à cette place poussèrent des roseaux qui, au moindre souffle du vent, répétaient à tous : "le roi Midas a des oreilles d'âne ... le roi Midas a des oreilles d'âne ... "