Master Thesis Title

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Master Thesis Title
Master of Science HES-SO en Business Administration
Orientation :
Management et Ingénierie des Services
DESIGN DE SERVICE POUR UNE MONNAIE COMPLÉMENTAIRE :
UNE APPROCHE GÉNÉRALE
Travail de Master réalisé par
Cédric Chervaz
Sous la direction de
Jean-Pierre Meynard
Francesco Moresino
Présenté devant l’expertise de
Christophe Place
Genève, septembre 2014
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
ii
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Le seul intérêt de l’argent est son emploi.
Benjamin Franklin
If you want to know when a society vanishes...watch money.
Whenever destroyers appear among men, they start by destroying money, for money is men's protection and the base
of moral existence.
Destroyers seize gold and leave to its owner a counterfeit pile of papers.
Ayn Rand
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
iii
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Résumé managérial
Les crises systémiques que nous rencontrons ont un impact sur les individus, qui s’interrogent sur la monnaie. Preuve
en sont les différents projets d’initiatives populaires déposés en Suisse (initiative sur l’or de la BNS, initiative sur la
monnaie pleine), les débats et les divers projets de monnaies complémentaires, qu’elles soient locales, commerciales
ou virtuelles qui font régulièrement l’actualité. De fait, l’utilisation d’une monnaie complémentaire est, parmi cinq options
possibles, la meilleure chose à faire en cas de crise selon Lietaer. C’est là son caractère : elle complète un système
monétaire défaillant et fait surtout office de monnaie de nécessité.
Mais qu’en est-il de la perception des avantages et des risques perçus dans une population qui n’est pas forcément
acquise à la cause de la complémentarité des monnaies, et qui se trouve dans une situation politico-économique saine ?
Nous tenterons de savoir ce qu’est la monnaie et quels sont nos liens avec elle. Puis, nous nous interrogerons sur les
risques et les attributs saillants tout au long du processus d’utilisation d’une monnaie complémentaire, ce qui nous
mènera naturellement à l’élaboration d’un design de service macroscopique.
Pour répondre à cette question de recherche, nous avons utilisé le principe de la triangulation des méthodes (mixed
methods) ; cela nous permet de réduire certains biais et d’avoir une vue plus large, ce qui est nécessaire pour notre
design de service. Nous avons donc réalisé une recherche documentaire pour traiter de la monnaie en général et de
ses aspects fiduciaires et anthropologiques. Nous avons mené une étude qualitative sur un échantillon empiriste par
quotas de 15 personnes pour vérifier le positionnement du public sur la monnaie conventionnelle d’une part et sur la
monnaie complémentaire d’autre part. Nous avons ensuite poursuivi nos recherches par des observations sur le terrain
d’un projet de monnaie complémentaire en construction, à savoir la Monnaie Grand Genève. Le travail, de type
transversal et non expérimental, sera divisé en quatre parties. Les trois premières traitent exclusivement de la monnaie
conventionnelle : elles sont d’ordre descriptif et rétrospectif. La dernière s’attache aux monnaies complémentaires ; elle
est prospective et exploratoire.
Quelques limites nous restreignent dans notre étude. Tout d’abord, l’ampleur du travail ne nous permet pas de traiter de
tous les thèmes intéressants de ce sujet. Nous avons également dû nous focaliser sur une approche occidentale de la
monnaie. Enfin, il ne s’agit ni d’une critique politique, ni d’une critique économique. Nos conclusions porteront donc
uniquement sur les risques et avantages liés aux monnaies complémentaires.
La monnaie est difficile à définir simplement, et chaque auteur en a sa propre définition. Outre ses trois fonctions
classiques (unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur) la monnaie a une fonction sociologique
forte. Elle est un service, comme l’application du modèle IHIP le montre. Ce point vaut également pour la monnaie
complémentaire : en tant que service, elle devra présenter un avantage perceptible pour le consommateur. Nous
remarquons enfin un certain point de friction entre la fonction « intermédiaire des échanges » et « réserve de valeur »,
qui peut être un élément de défaillance.
Nous remarquons que la monnaie est un fait universel et que son histoire est plurielle ; ainsi il n’existerait pas de société
qui n’ait pas connu la monnaie. De même, l’histoire monétaire est propre à chacune de ces sociétés : notre rapport à la
monnaie s’est construit tout au long de l’Histoire, au gré de la religion, de la philosophie et du droit. Chaque évolution
philosophique s’est accompagnée de réflexion sur la valeur et sur la source de la création de la valeur.
La monnaie est un « capital culturel » et trouverait son fondement dans la « dette de vie ». Il y a donc un lien inconscient
presque divin à l’argent. Mais la monnaie ne fait pas la cohésion : elle en est la représentation. Elle peut être, en outre,
un instrument politique d’asservissement, une arme ou un instrument politique de fédération.
L’utilisation des monnaies complémentaire est cyclique dans l’histoire de l’humanité. Mais, chez le grand public, elle se
rapproche de la notion de monnaie de nécessité. C’est pourquoi les individus ne la juge de manière générale ni crédible
ni utile lorsque la situation économico-politique est stable.
La monnaie complémentaire doit avoir un avantage pour le consommateur. Or, nous avons remarqué que les attributs
mis en avant chez la Monnaie Grand Genève ne correspondent pas aux besoins identifiés chez l’échantillon. Il convient
donc de réaliser une étude de marché et de faisabilité, ainsi que d’initier une Theory of Change. Ces deux simples
recommandations permettent de minimiser les risques identifiés dans notre design de service. Bien entendu, le contexte
régional devra être pris en compte et une étude longitudinale ainsi qu’un benchmark des best practices pourront être
intéressants pour rendre compte de l’évolution de l’attrait des monnaies complémentaires.
Mots clés : monnaie, monnaie complémentaire, design de service, fiduciaire, anthropologie, Grand Genève, économie,
confiance monétaire.
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Avant-propos et remerciements
La monnaie est plurielle et universelle ; au cours de son histoire, d’ailleurs, de nombreux cas de monnaies
complémentaires ont émergé. Actuellement, ces monnaies connaissent un regain d’intérêt, même où les conditions
externes ne le nécessitent pas. Ces projets extrêmement divers apportent paradoxalement plusieurs confusions dans le
grand public, qui connaît finalement peu le concept de complémentarité des monnaies. En outre, certains projets
correspondent mal à la réalité dans laquelle ils tentent de s’ancrer et ne parviennent pas à fédérer la population
initialement visée.
Le but de ce travail est de réaliser un design de service macroscopique pour une monnaie complémentaire, afin d’en
relever les risques et les attributs saillants. Ce travail, non-professionnalisant, devait donc obéir à une certaine logique
dans sa méthodologie, basée sur les mixed-methods, et dans ses articulations :
1ère partie –
Avant de s’avancer sur le thème des monnaies complémentaires, il était nécessaire de se pencher sur
la monnaie en général, pour en déterminer quelles sont ses définitions et ses fonctions, si la monnaie
est un service, ainsi que son fonctionnement et les éléments importants. Cela mènera à l’élaboration
d’un design de service pour la monnaie conventionnelle.
Méthodologie utilisée : recherche documentaire
2ème partie –
Une fois les principes de base de la monnaie posés, nous voulions aborder plus précisément la monnaie
fiduciaire, pour en voir son évolution selon plusieurs angles. Cela était nécessaire pour se rendre compte
de quoi s’accompagnent les évolutions de la monnaie et dans quelles sociétés la monnaie est – ou a été
– utilisée.
Méthodologie utilisée : recherche documentaire
3ème partie –
Comme la méthodologie du design de service fait intervenir le facteur humain, il était logique de
s’intéresser à la monnaie sur un angle plus anthropologique afin de pouvoir identifier ce que représente
la monnaie dans la société.
Méthodologie utilisée : recherche documentaire
4ème partie –
Enfin, une fois les aspects théoriques de la monnaie posés, nous pouvions aborder la notion des
monnaies complémentaires. Il s’agissait principalement de définir ce qu’est une monnaie
complémentaire pour en faire un design de service initial.
Le design de service initial a été complété, par le biais d’observations sur le terrain et d’une enquête
qualitative, donnant ainsi naissance à un design de service final où nous avons souligné les attributs
saillants et les risques. Ce livrable – d’ordre général – s’accompagne de recommandations.
Méthodologie utilisée : recherche documentaire, observations de terrain, enquête qualitative (entretiens)
La première difficulté est inhérente à la nature de ce travail. Nous n’avons réalisé, dans notre cursus, que des travaux
pratiques spécifiques à des cas particuliers ou réels ; or, ce travail prend le contre-pied de ce que nous avons accompli
jusque-là en s’axant sur un travail sans mandant et d’ordre général (les livrables ne sont pas applicables à un cas en
particulier). Cela a été source d’insécurité lors de la rédaction de ce rapport.
De même, n’étant pas issu du milieu des monnaies complémentaires, ce travail a nécessité un important effort quant à
l’apprentissage des aspects liés à la monnaie, thème extraordinairement vaste s’il en fût. Il a ainsi fallu, tout en tentant
d’engranger les connaissances nécessaires, se restreindre dans le rendu final. À cela, deux raisons : tout d’abord les
directives de la HEG stipulaient un nombre maximal de pages. Ensuite, il fallait trier les informations pour pouvoir traiter
des éléments qui nous semblaient les plus importants sans devoir trop les survoler. Ainsi, le lecteur pourra s’étonner de
la brièveté de certaines parties ou de ce que certains sujets ne figurent pas dans ce travail ; ces choix ont été effectués
de manière minutieuse afin de ne pas trop éluder le but premier de ce rapport. Ainsi, par exemple, nous avons fortement
orienté la troisième partie sur un axe occidental. La deuxième partie, quant à elle, n’a été écrite qu’en élaguant
conséquemment le sujet et en n’abordant que succinctement les aspects de valeur et de rôle de la monnaie dans l’angle
philosophique et l’angle religieux. Cette difficulté représente la plus grande limite de ce travail.
Enfin, le groupe de travail de la Monnaie Grand Genève, en la personne de sa coordinatrice, a montré un intérêt marqué
à ce que nous réalisions un mémoire en observant le projet. Cependant, comme le présent travail n’est pas spécifique
à la Monnaie Grand Genève, nous avons dû voir notre participation aux séances à la baisse, comme le groupe n’a pas
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jugé notre travail utile. Nous avons néanmoins pu surmonter cette difficulté en participant à deux séances importantes
(une séance de coordination et une séance plénière d’une journée), et en ayant accès à tous les procès-verbaux et
documents internes du groupe. En outre, nous avons tissé un lien avec l’un des participants, qui, lors de rencontres
informelles, nous faisait un compte-rendu circonstancié des discussions n’apparaissant pas dans les procès-verbaux.
Nous tenons enfin à remercier sincèrement – nommément ou non – les personnes suivantes :
Jean-Pierre Meynard, conseiller au travail, pour sa disponibilité et son érudition, à la base de pistes judicieuses.
Nos rencontres et ses cours furent source de grande satisfaction personnelle ;
Christophe Place, assistant à la HEG et expert de ce travail, pour les contacts qui nous ont permis d’entrer en
lien avec la MGG ;
Tim Anderson, Danièle Warynski ainsi que tout le groupe de la MGG, pour leur accueil et à leur ouverture pour
que nous ayons accès à leur documentation interne ;
Antonin Calderone, récemment entré dans le groupe MGG, pour nos échanges informels enrichissants et pour
le suivi de certaines rencontres de la MGG ;
Jennifer Schöpf et Sabrina Ianniello, pour avoir eu l’obligeance de relire ce travail ;
Toutes les personnes ayant pris du temps pour participer à notre étude qualitative.
Nous adressons un remerciement particulier à :
Notre groupe de travail régulier pendant nos études de Master – Pierrick, Laurent et Julien, avec qui nous avons
pu étudier de manière efficace et plaisante ;
Virginie Bochatay, pour son soutien appréciable durant la totalité de nos études HES.
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Abréviations
B2B
Business to business (modèle d’affaire où les relations commerciales se font entre entreprises)
B2B2C
Business to business to consumer (modèle d’affaire où les relations commerciales se font (a) entre
individus avec un intermédiaire ou (b) entre professionnels en incluant ensuite les individus)
B2C
Business to consumer (modèle d’affaire traditionnel où les individus sont les clients d’entreprises)
BCE
Banque Centrale Européenne
C2B
Consumer to business (modèle d’affaire où les entreprises sont les clients d’individus)
C2C
Consumer to consumer (modèle d’affaire où les relations commerciales se font entre individus et sans
intermédiaire)
BNS
Banque Nationale Suisse
CF
Conseil fédéral
CP
Code pénal
CYQ
Cycle de la qualité
DD
Développement Durable
DFF
Département fédéral des finances
ESS
Économie Sociale et Solidaire. Il s’agit également d’une association, dont le nom complet est Chambre de
l’Économie Sociale et Solidaire, APRES-GE
HEG
Haute École de Gestion, sise à Genève
KPI
Key Performance Indicator (indicateur clé de performance)
LBA
Loi sur le blanchiment d’argent
LETS
Local Exchange Trading System
MC
Monnaie Complémentaire
MCG
Mouvement Citoyen Genevois
MGG
Monnaie Grand Genève
MN
Monnaie nationale
MP
Monnaie principale
PIB
Produit Intérieur Brut
PLR
Parti Libéral Radical
PME
Petite(s) et Moyenne(s) Entreprise(s)
PS
Parti socialiste
PVL
Parti Vert’libéral
RI
Révolution Industrielle
SA
Société anonyme
SEL
Système d’Échange Local
SMART
Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporellement défini
ToC
Theory of Change (Théorie du changement)
VD
Canton de Vaud
ZU
Canton de Zürich
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Tables des matières
RÉSUMÉ MANAGÉRIAL
IV
AVANT-PROPOS ET REMERCIEMENTS
V
ABRÉVIATIONS
VII
LISTE DES FIGURES
XI
LISTE DES TABLEAUX
XII
1.
INTRODUCTION
1
1.1
1.2
PRÉSENTATION DU PROJET MONNAIE GRAND GENÈVE
PROBLÉMATIQUE D’ÉCONOMIE D’ENTREPRISE
1
2
2.
REVUE DE LA LITTÉRATURE ET QUESTION DE RECHERCHE
3
2.1
2.2
2.3
2.4
QUESTIONNEMENT PRÉLIMINAIRE ET ÉTAT DE L’ART
CONTEXTE ACTUEL
QUESTION DE RECHERCHE, OBJECTIFS, HYPOTHÈSES ET LIVRABLES
STUDY DESIGN, MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE ET LIMITES
3
5
5
6
PARTIE I - D'UNE APPROCHE GÉNÉRALE DE LA MONNAIE
3.
CE QU’EST LA MONNAIE
10
3.1
3.2
DÉFINITIONS PRÉLIMINAIRES
DÉFINITION PAR LES FONCTIONS
10
10
4.
LES DIFFÉRENTES FORMES ACTUELLES DE LA MONNAIE
12
4.1
4.2
LA MONNAIE NUMÉRAIRE
LA MONNAIE SCRIPTURALE
12
13
5.
LA MONNAIE EST-ELLE UN SERVICE ?
14
5.1
5.2
LA NOTION DE SERVICE
LE PARADIGME IHIP
14
14
6.
DESIGN DE SERVICE MACROSCOPIQUE
16
6.1 COMMENT LA MONNAIE EST-ELLE CRÉÉE OU DÉTRUITE ?
6.2 ÉLÉMENTS NOTABLES DE LA MONNAIE TRADITIONNELLE
6.2.1 LA CONFIANCE
6.2.2 LA DETTE
6.2.3 LE TAUX D’INTÉRÊT
6.3 DESIGN DE SERVICE
16
17
17
18
19
20
PARTIE II - DES ASPECTS FIDUCIAIRES DE LA MONNAIE
7.
ANGLES HISTORIQUE ET PHILOSOPHIQUE
7.1 LA CRÉATION DE LA MONNAIE
7.1.1 LES PROTO-MONNAIES
7.1.2 L’APPARITION DE LA MONNAIE MÉTALLIQUE
7.2 L’ANTIQUITÉ CLASSIQUE : UNE VISION ARISTOTÉLICIENNE
23
23
23
24
25
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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7.3
7.4
7.5
DU XVÈME AU XVIIIÈME SIÈCLE : MERCANTILISME ET MONNAIE-PAPIER
DU XVIIIÈME AU XIXÈME SIÈCLE : LES PHYSIOCRATES ET LES CLASSIQUES
LES MODÈLES DU XIX-XXÈME SIÈCLE
25
26
27
8.
ANGLE RELIGIEUX
31
8.1
8.2
8.3
LE CHRISTIANISME
LE JUDAÏSME
L’ISLAM
31
32
33
9.
ANGLE JURIDIQUE
34
PARTIE III - D'UNE APPROCHE PLUS ANTHROPOLOGIQUE DE LA MONNAIE
10. LA MONNAIE COMME FAIT SOCIAL QUASI-UNIVERSEL
37
10.1
10.2
10.3
37
37
39
L’UNIVERSALITÉ DE LA MONNAIE
LA MONNAIE COMME ÉLÉMENT DE COHÉSION
LA MONNAIE COMME ÉLÉMENT D’ASSERVISSEMENT OU DE POUVOIR
11. L’EXEMPLE SUISSE
40
11.1
11.2
11.3
40
41
42
L’UNIFICATION DU FRANC SUISSE
LES PIÈCES
LES BILLETS
PARTIE IV - DE L'ÉLABORATION D'UN DESIGN DE SERVICE POUR UNE MONNAIE COMPLÉMENTAIRE
12. DESIGN DE SERVICE INITIAL
45
12.1 LA NOTION DE MONNAIE COMPLÉMENTAIRE
12.1.1 LES FORMES DE MONNAIES COMPLÉMENTAIRES
12.1.2 LES MONNAIES COMPLÉMENTAIRES LOCALES ET SOCIALES
12.1.3 BUTS POURSUIVIS
12.2 DESIGNS DE SERVICES INITIAUX
12.2.1 DESIGN DE SERVICE : MONNAIE COMPLÉMENTAIRE PASSÉE
12.2.2 DESIGN DE SERVICE : MONNAIE COMPLÉMENTAIRE LOCALE ACTUELLE
45
45
48
51
53
53
56
13. DESIGN DE SERVICE FINAL
58
13.1 ÉTUDE QUALITATIVE
13.1.1 MODALITÉS DE L’ÉTUDE
13.1.2 PROFIL DES RÉPONDANTS
13.1.3 ANALYSE DE L’AXE 1 : LA SIGNIFICATION DE LA MONNAIE
13.1.4 ANALYSE DE L’AXE 2 : LA FINALITÉ DE LA MONNAIE
13.1.5 ANALYSE DE L’AXE 3 : POSITIONNEMENT SUR LES MONNAIES COMPLÉMENTAIRES
13.2 OBSERVATION DE LA MONNAIE GRAND GENÈVE
13.2.1 MÉTHODOLOGIE DES OBSERVATIONS
13.2.2 CONTEXTE DU PROJET
13.2.3 MODALITÉS, FORME ET SPÉCIFICITÉS
13.2.4 DÉFIS À RELEVER
13.3 SYNTHÈSE DES ÉLÉMENTS REMARQUABLES
13.3.1 VALIDATION DES HYPOTHÈSES
13.3.2 AUTRES ÉLÉMENTS
13.4 ÉLABORATION D’UN DESIGN DE SERVICE FINAL
13.4.1 DESIGN DE SERVICE MACROSCOPIQUE FINAL
13.4.2 ATTRIBUTS SAILLANTS ET RISQUES
58
59
60
61
64
65
68
68
68
69
72
73
73
77
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79
83
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14. RECOMMANDATIONS
84
14.1
14.2
85
87
AVANT DE DÉBUTER UN PROJET MC
THEORY OF CHANGE
15. CONCLUSION
93
ATTESTATION
94
BIBLIOGRAPHIE
95
ANNEXES
102
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Liste des figures
Figure 1 : Externalités positives liées à l’utilisation d’une monnaie complémentaire ........................................................ 2
Figure 2 : Axes des réflexions au début de la phase d’observation .................................................................................. 2
Figure 3 : Gestion des opérations ..................................................................................................................................... 3
Figure 4 : Mixed-methods utilisées ................................................................................................................................... 7
Figure 5 : Articulation des axes méthodologiques dans l’élaboration des livrables .......................................................... 8
Figure 6 : Circulation des billets en Suisse en 2012 ....................................................................................................... 13
Figure 7 : Rapport entre billets en circulation et PIB ....................................................................................................... 13
Figure 8 : Le paradigme IHIP : comparaison entre produit et service ............................................................................. 16
Figure 9 : La croissance dans l’économie de marché ..................................................................................................... 19
Figure 10 : Design de service macroscopique pour la monnaie conventionnelle ........................................................... 22
Figure 11 : Série actuelle de billets de banque suisses .................................................................................................. 44
Figure 12 : Évolution du nombre de bitcoins ................................................................................................................... 46
Figure 13 : Évolution du cours du bitcoin (BTC) par rapport au franc Suisse (CHF) ...................................................... 47
Figure 14 : Triangle culinaire simplifié............................................................................................................................. 53
Figure 15 : Design de service macroscopique initial pour une monnaie complémentaire passée (vue partielle) ........... 55
Figure 16 : Design de service macroscopique initial pour une monnaie complémentaire actuelle (vue partielle) .......... 57
Figure 17 : Cycle de la qualité (modèle CYQ)................................................................................................................. 58
Figure 18 : Contexte général de la MGG ........................................................................................................................ 69
Figure 19 : Parties prenantes du projet MGG ................................................................................................................. 70
Figure 20 : Évolution du taux de pauvreté en Suisse (2007-2012) ................................................................................. 78
Figure 21 : Évolution du taux de privation matérielle en Suisse (2007-2012) ................................................................. 78
Figure 22 : Prix à la consommation................................................................................................................................. 78
Figure 23 : Design de service final (vue macroscopique comparée), partie 1 ................................................................ 81
Figure 24 : Design de service final (vue macroscopique comparée), partie 2 ................................................................ 82
Figure 25 : Éléments mis en avant pour une MC crédible .............................................................................................. 83
Figure 26 : Nombre de citations par genre de MC .......................................................................................................... 84
Figure 27 : Les gaps dans la création des services ........................................................................................................ 85
Figure 28 : Transition d’une matrice SWOT à une matrice TOWS ................................................................................. 86
Figure 29 : ToC, phase 1 ................................................................................................................................................ 88
Figure 30 : ToC, phase 2 ................................................................................................................................................ 89
Figure 31 : Feedforward control ...................................................................................................................................... 90
Figure 32 : Éléments généralement constitutifs du feedforward control ......................................................................... 90
Figure 33 : ToC, phase 4 ................................................................................................................................................ 91
Figure 34 : Série actuelle de pièces de monnaie suisses ............................................................................................. 103
Figure 35 : Éléments de sécurité des billets de banque suisses .................................................................................. 104
Figure 36 : Neuvième série de billets, horizon 2015 ..................................................................................................... 104
Figure 37 : Région du Grand Genève ........................................................................................................................... 142
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Figure 38 : Charte de la MGG ....................................................................................................................................... 142
Figure 39 : Organisation de la MGG ............................................................................................................................. 144
Figure 40 : Radar citoyen.............................................................................................................................................. 144
Liste des tableaux
Tableau 1 : Régulation des formes de monnaie ............................................................................................................. 35
Tableau 2 : Modalités possibles des monnaies complémentaires .................................................................................. 49
Tableau 3 : Classification des MC par rapport à leur convertibilité ................................................................................. 50
Tableau 4 : Les quatre rationalités des monnaies complémentaires .............................................................................. 50
Tableau 5 : Synopsis des profils-types de monnaies complémentaires.......................................................................... 51
Tableau 6 : Les quatre générations de monnaies locales............................................................................................... 53
Tableau 7 : Profil des répondants ................................................................................................................................... 61
Tableau 8 : Synthèse des résultats à la question d’introduction ..................................................................................... 61
Tableau 9 : Étude qualitative - Synthèse des résultats de l'axe 1 ................................................................................... 63
Tableau 10 : Étude qualitative - Synthèse des résultats de l'axe 2 ................................................................................. 64
Tableau 11 : Étude qualitative - Synthèse des résultats de l’axe 3 ................................................................................. 66
Tableau 12 : Exemples de besoins et attentes des parties prenantes de la MGG ......................................................... 71
Tableau 13 : Résumé des modalités de la MGG. ........................................................................................................... 72
Tableau 14 : Axes de l’étude de faisabilité de la MGG ................................................................................................... 73
Tableau 15 : Synthèse des principaux courants de pensée économique ....................................................................... 74
Tableau 16 : La qualité dans les services ....................................................................................................................... 83
Tableau 17 : Exemple d’objectifs SMART....................................................................................................................... 86
Tableau 18 : Description des pièces de monnaie suisses actuelles ............................................................................. 103
Tableau 19 : Description de la sixième série de billets ................................................................................................. 103
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1.
Introduction
Ce travail a été réalisé dans le cadre du Master of Science HES-SO en Business Administration ; il ponctue plus
particulièrement mes études dans l’orientation Management et ingénierie des services, dispensées à la HEG de Genève.
En effet, le quatrième semestre du Master est exclusivement dédié à ce travail de mémoire, étape cruciale pour
l’obtention du diplôme. Cette orientation m’a permis de me spécialiser dans le thème des services, en abordant ses
diverses problématiques. Les outils fournis et les concepts novateurs appris – comme le design de service – étaient
extrêmement intéressants : j’étais donc désireux de les mettre en pratique dans un travail de large ampleur.
Le sujet de la monnaie a toujours suscité chez moi un grand attrait : la monnaie comme outil, bien sûr, mais aussi la
monnaie comme symbole, comme élément de confiance, comme art, comme arme. Tenir un billet ou une pièce s’est
souvent accompagné de questions ou de considérations diverses. C’est donc naturellement que je me suis tourné vers
ce vaste thème.
Si la monnaie est un service – nous répondrons à cela dans le présent travail, de quelle nature est-il ? De plus, étudiant
à Genève, j’ai découvert un projet de monnaie complémentaire : la Monnaie Grand Genève. Si des individus mettent sur
pied une monnaie complémentaire, c’est que la monnaie traditionnelle ne suffit pas. Dans ce cas, pourquoi ? Et comment
mettre sur pied une telle monnaie parallèle ? Comment designer ce service ? À quoi pourrait ressembler la monnaie de
demain ? Ce sont ces questions qui m’ont poussé à choisir le sujet plus spécifique des monnaies complémentaires.
Ce travail de Master se situe dans la continuité de celui de Maria Prisca Mbuilu Nginamau, qui avait comme objectif de
rendre compte de la faisabilité de la mise en œuvre d’une monnaie complémentaire au sein d’un réseau de parties
prenantes sensibilisées par le domaine du développement durable, et qui a été soutenu en septembre 2013. Suite aux
conclusions dudit travail, il était nécessaire de traiter de la problématique en abordant des aspects plus anthropologiques
pour comprendre les forces et les réticences liées à de tels projets de monnaies complémentaires : c’est ce à quoi tente
de répondre mon travail de Master.
La période de travail s’est déroulée du 17.02.2014 au 31.08.2014, date de remise du présent rapport.
1.1
Présentation du projet Monnaie Grand Genève
Ce travail de Master est orienté sur un axe plus académique et général. Au contraire d’une thèse professionnalisante, il
n’a donc pas de mandant. En effet, un mandant doit être une personne morale dictant une problématique au sein de son
entreprise ou de son organisation, et que l’étudiant doit élucider. Nous avons voulu, dans notre cas, proposer une
problématique sans implémentation au sein d’une quelconque entreprise.
En revanche, ce travail peut être un point de départ à certaines réflexions pour des projets de monnaies locales. C’est
le cas de la Monnaie Grand Genève (ci-après MGG), que nous observerons pour notre étude. Les résultats obtenus se
baseront donc sur une observation de la MGG. Maria Nginamau (2013) avait également observé ce projet de monnaie,
sur des aspects plus techniques, afin de déterminer la faisabilité du projet transfrontalier genevois. L’axe que nous avons
choisi pour ce travail ne nous permet toutefois pas d’étudier, sur le terrain, d’autres projets de MC.
Constitution du projet
La MGG est un projet de monnaie locale, dont l’horizon de conception est encore incertain : l’année 2015 est toutefois
avancée par les personnes impliquées. Nous trouvons intéressant d’observer une monnaie qui n’est pas encore en
circulation. En effet, l’élaboration d’un design de service pourrait être plus utile d’une part, et il pourra être nourri par les
réflexions actuelles d’autre part.
Selon ses intentions, la monnaie du Grand Genève pourrait toucher 211 communes entre la France et la Suisse, ce qui
représente un bassin versant relativement important.
Selon un communiqué de presse (MGG, 2013), le projet de monnaie complémentaire dans le Grand Genève a émergé
en 2011 et se calque sur des initiatives déjà existantes, comme le SOL ou l’Eco ; il a cependant pris un air plus concret
lorsque le processus a débuté de manière participative en septembre 2013. Le projet est soutenu par la Chambre de
l’économie sociale et solidaire (ESS), APRES-GE, qui promeut une « économie locale au service des personnes » (ESS,
APRES-GE, s.d.) et compte plus de 250 organisations et 130 membres individuels dans son réseau. Fort de ce soutien,
une « association pour la création d’une communauté de payement en monnaie complémentaire pour le bassin de vie
genevois transfontalier », la SASFERA, est créée, dont le but est la constitution de ladite communauté de payement
(SASFERA, 2014).
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
1
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Le but de cette monnaie locale est d’accroître les échanges locaux, entre les agents économiques qui s’engagent à
respecter les valeurs communes que sont la solidarité et l’écologie (Le Courrier, 2014). Plus qu’un simple outil
économique, cette monnaie complémentaire est un vecteur de développement durable : selon Maria Nginamau (2013,
p. 53), les externalités positives à l’utilisation d’une MC touchent les trois piliers du développement durable, bien que
nous émettons des réserves quant à la pertinence de ces observations :
Figure 1 : Externalités positives liées à l’utilisation d’une monnaie complémentaire. Source : Maria Nginamau (2013).
Plus d’une septantaine de personnes sont actuellement impliquées dans le projet et travaillent sur le concept de cette
monnaie. Les prochaines thématiques qui devront être abordées sont les questions fiscales et juridiques, le budget de
fonctionnement, le plan de financement, une étude d’impact, ou encore la communication (Saez, 2014).
Difficultés et état actuel du projet MGG et articulation du travail de Master dans le projet MGG
Les difficultés principales sont évidentes. Danièle Warynski explique, dans le journal Hebdo.01 (Saez, 2014), qu’une
masse critique de 100 entreprises et 500 particuliers doit absolument être constituée. Pour atteindre cet objectif, il faut
pouvoir mettre l’accent sur la communication et le démarchage. C’est un point capital, puisque si l’économie réelle ne
suit pas, la monnaie ne prendra pas.
D’autres difficultés sont relevées lors des différentes séances : il s’agit des problèmes juridiques, des problèmes de
fiscalité et de support de la monnaie.
Les réflexions, au début de la phase d’observation1, étaient donc réparties sur quatre axes, tous comportant divers
enjeux :
Figure 2 : Axes des réflexions au début de la phase d’observation. Élaboration propre.
Les enjeux et thèmes de réflexion importants seront abordés de manière synthétique dans la partie IV, ch. 13.2, pp 68
ss. Notons que le présent travail de Master s’intègrera dans un axe de communication en répondant de manière
macroscopique à la question : qu’est-ce que cette monnaie peut apporter aux gens, et quels peuvent être les risques ?
Mais ne s’agissant pas d’un mandat, il ne poursuit pas le but de servir la MGG spécifiquement.
Nous avons vu que le travail de Maria Nginamau était plus axé sur les commerçants, puisqu’elle s’attachait à faire une
étude de faisabilité. La question posée par le groupe lors de notre première séance de coordination, quant à elle,
s’attachait plus à savoir comment intégrer les individus dans le projet. Les individus, s’ils veulent être amenés à utiliser
la MC, doivent en percevoir la valeur ajoutée. Cette perception de valeur ajoutée et d’identification des risques est le but
d’un design de service. C’est donc, indirectement, un des buts de notre travail.
1.2
Problématique d’économie d’entreprise
La problématique2 que nous traiterons s’inscrit bel et bien dans ce cursus de Master en Business Administration, et
principalement à son orientation Management et ingénierie des services.
En effet, nous allons traiter d’un sujet indirectement en lien avec la gestion de projet, la communication, l’économie. Mais
surtout, il s’agit d’une problématique de gestion des opérations et de design de service.
1
2
Séance de coordination n°5, à l’EHTS de Genève, le 10.04.2014.
La problématique est donnée au chapitre 2.3, p. 5.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
2
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
La gestion des opérations consiste en effet à concevoir et à superviser le processus de création (système de production),
qu’il s’agisse d’un bien ou d’un service. Il s’agit donc de s’assurer de l’efficacité du processus qui convertit les entrées
(input) en sorties (output).
Figure 3 : Gestion des opérations. Source : Emmanuel Fragnière (2013), adapté
Lorsqu’il s’agit de concevoir un produit, la valeur ajoutée est visible par le client, et est relativement facile à concevoir si
la technique le permet. Cependant, pour un service, la valeur ajoutée est moins visible car elle est intangible. Le défi
consiste donc à déterminer où se fait la création de valeur et à la « tangibiliser » pour que le client la perçoive. Cela nous
amène à la problématique de design de service. C’est cela qui nous permettra, suivant une méthodologie élaborée par
le Service Lab de la HEG de Genève, de relever les points importants du processus de création de valeur (attributs
saillants), de prévoir les risques éventuels et de « tangibiliser » le service pour le client.
Les concepts théoriques seront expliqués de manière synthétique lorsque nous y aurons recours tout au long du présent
travail.
2.
Revue de la littérature et question de recherche
Le but de cette partie est de poser les questions fondamentales qui sous-tendent le présent travail. Elle donne un état
de l’art indicatif ainsi qu’un contexte actuel, qui se veulent être un point de départ à des réflexions plus profondes au
sujet des monnaies complémentaires ; de là découlent notre question de recherche et nos hypothèses. Finalement, le
design de l’étude sera abordé avec la méthodologie utilisée, de même que ses limites.
2.1
Questionnement préliminaire et état de l’art
À la suite, peut-être, des crises financières systémiques que nous rencontrons, les monnaies complémentaires suscitent
un regain d’intérêt et des débats. De fait, nous constatons qu’il existe des milliers de projets de monnaies
complémentaires, en Europe ou ailleurs dans le monde, qu’elles soient locales, régionales, virtuelles ou commerciales.
Le grand public découvre quant à lui, actualité oblige, que plusieurs monnaies peuvent être utilisées simultanément,
chacune ayant ses propres caractéristiques et ses propres règles.
Ces monnaies parallèles pourraient permettre de contrer certains aspects déficients de la monnaie traditionnelle et
redynamiser l’économie à des niveaux locaux. Mais l’élaboration d’une telle monnaie ne se fait pas sans difficultés et, à
cette fin, il serait intéressant de savoir comment designer, à un niveau macroscopique, une monnaie complémentaire.
Plusieurs interrogations sont à la base de notre problématique. À quoi sert la monnaie ? Est-elle un service ? Dans
quelles limites pouvons-nous construire une monnaie parallèle ? Une telle monnaie a-t-elle une réelle utilité ? Quels sont
les aspects à prendre en compte et les biais ou facteurs de réussite à ne pas négliger pour en faire le design de service ?
Partant, nous pouvons légitimement nous questionner sur l’évolution de la monnaie au cours du temps et imaginer un
futur incluant les monnaies complémentaires.
Si la monnaie a fait l’objet de nombreux traités et de nombreuses publications, l’étude des monnaies complémentaires
en est à ses balbutiements. Il s’agit là encore d’un sujet de niche, malgré l’expérimentation –fructueuse ou non – de
plusieurs milliers de projets à travers le monde. Il convient de se demander ce qu’est la monnaie. Elle est un outil
permettant de faciliter les échanges ; c’est donc un moyen de paiement et de mesure et non une fin en soi. C’est Aristote,
dans Éthique à Nicomaque (pp. 246-252) et La politique qui donna le premier une définition plus complète de la monnaie
en la définissant par ses trois fonctions principales : unité de compte (mesure la valeur des biens), intermédiaire des
échanges (moyen de paiement) et réserve des valeurs (thésaurisation des richesses). Or, la principale critique que font
les initiateurs des monnaies complémentaires est qu’une monnaie unique ne peut pas regrouper de manière pertinente
ces trois fonctions, pour beaucoup antinomiques. En effet, pour qu’une région soit économiquement dynamique, il faut
que l’argent circule entre les différents agents ; or pour stocker la richesse, il faut la faire aller où le rendement est
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
3
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maximal. Cela est vrai surtout si – l’écart croissant entre riches et pauvres tend à le démontrer3 – l’on cherche à
accumuler la richesse, ce qui fait que la monnaie devient une fin en soi. Cette critique contre la monnaie va dans le sens
de la loi de Goodhart, du nom du banquier éponyme : « When a measure becomes a target, it ceases to be a good
measure »4 (Goodhart, 1975). De fait, l’Institut Veblen pour les réformes économiques considère trois problèmes à
l’utilisation d’une seule monnaie traditionnelle : (i) la monnaie est efficace mais très peu résiliente5 et est pro-cyclique,
ce qui participe à gonfler les bulles spéculatives et à plonger dans la récession lorsqu’elles éclatent ; (ii) les ressources
ne sont pas canalisées où il le faudrait par manque de rentabilité ; (iii) il n’y a pas de lien entre économie et communauté,
ce qui peut amener au délaissement de certaines régions (Kalinowski, 2012).
Wojtek Kalinowski indique donc qu’une complémentarité des monnaies, où une monnaie complémentaire serait utilisée
uniquement pour les échanges locaux, est nécessaire et permettrait d’avoir un système plus résilient aux crises, parce
qu’elle pourrait endosser des objectifs que la monnaie traditionnelle ne peut que difficilement atteindre (i.e. objectifs
sociaux, écologiques, locaux, etc.). L’utilisation d’une monnaie parallèle permet plus de résilience, car elle est anticyclique et permet des échanges diversifiés qui n’auraient pas eu lieu sans elle6.
Bernard Lietaer & al. (2009) jugent eux aussi que la monnaie conventionnelle, si elle est efficace, n’est pas résiliente.
En effet, ce sont les banques qui créent la monnaie7. Or, une crise bancaire signifie que les banques sont en mauvaise
situation financière ; moins de prêts sont donc possibles, ce qui implique une récession. Cette situation pèse donc
davantage sur la situation financière des banques. Ce cercle vicieux est connu sous le terme de second wave crisis8.
Sachant cela, Lietaer & al. (2009) indiquent cinq réactions possibles à une crise bancaire systémique9 : (1) ne rien faire,
ce qui est désastreux pour toutes les parties, entraînant conséquemment un effet boule de neige ; (2) nationaliser les
problèmes, ce qui est catastrophique pour le gouvernement central et pour la deuxième vague, mais bénéfique pour les
banques puisqu’il s’agit d’un plan de renflouement des banques commerciales par l’État ; (3) nationaliser les banques,
ce qui est mauvais pour toutes les parties puisque les banques perdent leur autonomie et que rien n’est entrepris sur les
causes systémiques ; (4) nationaliser la création monétaire, ce qui est mauvais pour les banques puisque cela signerait
la fin de leur business model actuel, mais bon pour le gouvernement central et pour la deuxième vague (encore que cela
n’agit pas sur les causes systémiques et serait sans doute désastreux sur le long terme) ; et enfin (5) utiliser des
monnaies complémentaires.
Cette dernière solution est jugée la meilleure selon l’article, puisqu’elle permet une solution à court et à moyen terme, et
qu’elle est la seule à agir sur la cause systémique. En revanche, cela signifierait, selon lui, la fin du monopole de création
de monnaie par les banques10.
Nous le voyons, une complémentarité des monnaies permettrait a priori une plus grande robustesse du système.
D’autant que bon nombre de monnaies complémentaires, selon leur orientation, ont un rôle social clair, participant au
développement d’une économie solidaire. Certains vont plus loin, comme Sabine Panet (2013, pp. 23-27), et pensent
même que les monnaies complémentaires sont des instruments d’émancipation pour les communautés défavorisées et
économiquement étouffées.
Notons encore que l’idée d’avoir recours à des monnaies complémentaires n’a rien d’utopique : si Wojtek Kalinowski
(2012) reconnaît qu’il nous est très difficile de nous défaire de l’idée qu’un pays ne doit avoir qu’une monnaie, l’histoire
foisonne d’exemples fructueux où la complémentarité des monnaies avait cours.
Dans les pays occidentaux, le revenu moyen du décile le plus riche de la population est environ neuf fois plus élevé que le revenu moyen
du décile le plus pauvre (écart 9:1). On remarque un creusement au cours des années, et l’écart dans les pays plus pauvres et encore plus
élevé : il dépasse le rapport 25:1 au Chili et au Mexique (OCDE, 2011).
4 Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure.
5 Quelque chose ou quelqu’un est dit résilient s’il est résistant aux chocs, aux épreuves.
6 Kalinowski prend l’exemple suisse du WIR : existant depuis 1934, cette monnaie compte plus de 60'000 PME dans ses parties prenantes
pour un montant échangé atteignant plus de 1.7 milliard de francs par an (Alpes Solidaires, 2010). Elle aurait notamment permis aux
entreprises suisses de mieux résister aux crises de l’époque.
7 Si les Banques centrales ont le monopole d’émission de monnaie (impression des billets et frappage des pièces), la grande majorité de la
masse monétaire (env. 90%) est créée par les banques commerciales (privées), par le biais des crédits. À ce propos, citons Jean-Luc Bailly
& al (2006, p. 58) : « la monnaie n’est finalement qu’une dette de banque qui circule, un élément du passif bancaire accepté comme moyen
de paiement. »
8 Deuxième vague de crise, ou réplique.
9 Pour chaque option, Lietaer & al. jugent le degré de préférence pour 5 points de vue : les banquiers, le gouvernement central, les
gouvernement locaux, la deuxième vague (second wave crisis) et l’effet sur la cause systémique.
10 Notons que le monopole d’émission de monnaie numéraire est étatique. Les banques commerciales ne peuvent émettre que de la monnaie
scripturale, qui représente tout de même, grâce à l’effet multiplicateur, près de 90% de la masse monétaire en circulation.
3
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
4
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2.2
Contexte actuel
La problématique s’inscrit donc dans un contexte récurrent puisque systémique : la non-résilience d’un système fondé
sur une seule monnaie, essayant de couvrir trois fonctions de base difficilement conciliables. Cette non-résilience est
grave, puisqu’elle accentue les effets négatifs des crises : non seulement l’aspect pro-cyclique accentue les crises, mais
il en crée même d’autres (second wave crisis). Bernard Lietaer & al. (2009) donnent pour preuve du bien-fondé des
monnaies complémentaires plusieurs exemples. Tout d’abord, le WIR (monnaie complémentaire B2B), créé pour aider
les petites et moyennes entreprises suisses à lutter contre les effets de la crise de 1929. Mais également les périodes
de forte prospérité qu’ont connues l’Égypte ancienne et le Moyen-Âge, utilisant également des monnaies parallèles : ces
monnaies circulaient rapidement étant donné qu’elles n’avaient aucune valeur intrinsèque, ce qui décourageait toute
thésaurisation abusive par une certaine caste de privilégiés (Lietaer, 2013).
Pour tout cela, les monnaies parallèles connaissent un succès certain : en 2013 il en existait environ 3'418 dans le
monde, dont 68% en Europe (Seyfang & Longhurst, 2013). Les objectifs de ces monnaies, eux, varient selon les
différents penseurs et chercheurs : social et commercial pour Margrit Kennedy et Bernard Lietaer ; communauté, territoire
et économique pour Jérôme Blanc ; orienté vers les autres/vers soi pour Jens Martignoni ; solidarité locale, réutilisation
et liquidité pour Gill Seyfang et Noel Longhurst (Place & Bindewald, 2013). L’objectif principal demeure de combler la
non-résilience de la monnaie conventionnelle.
Nous remarquons donc que si relativement peu d’études portent sur le sujet, de nombreux projets ont lieu sur le terrain.
Cependant, la faisabilité de tels projets est sujette à beaucoup d’interrogations. Maria Nginamau (2013), par exemple, a
observé la Monnaie Grand Genève et s’est appliquée à juger de la faisabilité de la mise en place de cette monnaie
complémentaire. Son enquête se révèle favorable au lancement de la Monnaie Grand Genève, puisque ce service est
« perçu comme un accélérateur de richesse et une innovation à forte valeur ajoutée » (Nginamau, p. 13). De manière
générale, un projet de monnaie complémentaire est jugé faisable si les coûts pour les parties prenantes sont inférieurs
aux bénéfices nets perçus.
Cette étude est l’une des rares à avoir conçu un flux monétaire avec une monnaie complémentaire. Elle indique comme
principaux risques (Nginamau, p. 113) (i) le peu de confiance envers le système, (ii) un système perçu comme peu fiable
et contraignant, (iii) l’absence d’identification de la région à la monnaie, (iv) un possible boycott ou une potentielle
interdiction des banques et des pouvoirs publics et finalement (v) peu de diversité au sein du réseau. Elle indique par
ailleurs un risque de coût émotionnel fort, comme par exemple la résistance au changement.
Partant de ces observations, nous aborderons le thème de la monnaie sous un angle anthropologique. Dominique
Lacoue-Labarthe (Analyse monétaire, 1980, pp. 10-12) indique d’ailleurs qu’une approche anthropologique de
l’économie est mieux à même d’expliquer le développement de la monnaie, plutôt qu’une pure approche historique,
restrictive et moderniste. Comprendre les liens que nous entretenons avec la monnaie permettra d’appréhender les
risques relevés de manière plus pertinente. Cela mènera à la réalisation d’un design de service macroscopique, indiquant
les risques et les attributs saillants tout au long du flux monétaire.
2.3
Question de recherche, objectifs, hypothèses et livrables
Si la monnaie est un service, sa tangibilité n’est qu’artificielle. Comme les précédentes études ont démontré l’importance
de la confiance et de l’aspect fédérateur de la monnaie, il est fondamental de rendre compte des risques potentiels et
des attributs saillants à ne pas négliger, cela afin de définir à quoi devrait ressembler une monnaie locale. Cela ne peut
se faire de but en blanc, et doit faire l’objet d’un cheminement logique.
Ainsi, notre question de recherche pourrait s’articuler comme suit : quel lien avons-nous avec la monnaie et comment
l’utiliser pour concevoir – à un niveau macroscopique – une monnaie complémentaire pour qu’elle soit pertinente ?
L’hypothèse de départ est : l’aspect fédérateur de la monnaie joue un rôle important et la monnaie complémentaire doit
amener ses parties prenantes à avoir confiance en elle.
De cette question de recherche découlent plusieurs objectifs, chacun amenant son hypothèse. Ces points feront chacun
l’objet d’une partie dédiée ; la partie Analyse du travail de Master sera donc séparée en quatre :
I
D’une approche générale de la monnaie
Objectif : comprendre ce qu’est la monnaie de manière générale
Hypothèse : (i) la monnaie est un service (ii) qui souffre de devoir cumuler des fonctions
incompatibles entre elles
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
5
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II
III
IV
Des aspects fiduciaires de la monnaie
Objectif : définir les aspects fiduciaires de la monnaie sous diverses approches
Hypothèse : (i) notre rapport à la monnaie s’est construit tout au long de notre civilisation et a suivi
l’évolution (ii) de la philosophie, (iii) de la religion et (iv) du droit en général
D’une approche plus anthropologique de la monnaie
Objectif : définir les aspects anthropologiques de la monnaie
Hypothèse : les aspects de confiance et de sentiment d’appartenance jouent un rôle crucial et la
tangibilisation artificielle de la monnaie sert ce rôle
De l’élaboration d’un design de service pour une monnaie complémentaire
Objectif : (i) observation du concept actuel de monnaie complémentaire et (ii) élaboration d’un
design de service macroscopique pour une monnaie complémentaire, servant une comparaison
avec l’utilisation d’une seule monnaie traditionnelle
Hypothèse : (i) l’utilisation des monnaies complémentaires est cyclique dans l’histoire de notre
civilisation ; (ii) elle doit s’accompagner d’outils favorisant sa mise sur pied et (iii) doit respecter le
rôle fédérateur que devrait avoir chaque monnaie, qui est un attribut saillant capital
Afin d’atteindre ces différents objectifs et de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses, plusieurs livrables sont nécessaires
pour cibler la problématique. Ceux-ci sont répartis distinctivement dans les quatre parties citées ci-dessus.
Pour le premier chapitre – D’une approche générale de la monnaie – l’objet premier est une définition de la monnaie. Ce
livrable permettra de savoir ce que nous entendons à l’heure actuelle par « monnaie », au travers de ses fonctions et de
ses différents éléments constitutifs. Nous verrons ensuite quelles sont les différentes formes de la monnaie, ce qui inclura
les différentes formes de monnaies complémentaires. Nous répondrons également à la question de savoir si la monnaie
est un service et nous élaborerons un design de service pour la monnaie traditionnelle.
Le deuxième chapitre aura trois livrables, ayant tous comme but d’étudier les aspects fiduciaires. Ils seront traités sous
l’angle philosophique, religieux et juridique.
La troisième partie, qui sera une approche plus anthropologique, s’appuiera à définir ce qu’est, pour l’Homme, la
monnaie. Cela passe également par l’étude des liens affectifs et symboliques que nous entretenons avec elle. Pour cela,
nous nous appuierons plus spécifiquement sur l’exemple suisse et nous en étudierons les aspects fédérateurs.
Les livrables de la quatrième et dernière partie seront divers. Tout d’abord, il s’agira d’une observation empirique d’un
exemple de projet réel de monnaie complémentaire. Nous donnerons ensuite les outils nécessaires à la mise sur pied
d’un tel projet. Le livrable final consiste en l’élaboration du design de service macroscopique, comparant l’évolution des
monnaies en trois points (antiquité, monnaie traditionnelle depuis la révolution industrielle, redécouverte des monnaies
complémentaires).
La contribution de ce travail réside d’une part dans l’importante recherche scientifique, axée non pas sur des aspects
techniques ou de théories de politique économique, mais sur des aspects humains. Ce sujet reste pour l’instant –
rappelons-le – un sujet de niche : cependant les précédentes études semblent indiquer qu’une recherche sur cet axe
paraît importante. D’autre part, un design de service macroscopique pour une monnaie complémentaire et comparé aux
systèmes traditionnels et antiques apporte une contribution appréciable.
2.4
Study design, méthodologie générale et limites
En Suisse, le Service Lab de la Haute École de Gestion de Genève a largement développé le concept de design de
service. Selon Emmanuel Fragnière et Giuseppe Catenazzo (La gestion des services, 2008), le design de service permet
d’identifier les attributs saillants d’un service et de déterminer où se situe la création de valeur perçue pour le client. Pour
atteindre cela, un blueprint11 est utilisé, qui permet de poser les bonnes questions : à quelle étape se situe la création
de valeur ? Quel est l’objectif poursuivi ? Quelle est la mesure des objectifs et les actions correctrices possibles ? En un
mot, cela permet de « tangibiliser » la production d’un service (Barbieri, Fragnière, & Junod, 2011). La méthodologie du
design de service, très appropriée pour notre étude, sera utilisée.
Mais nous avons vu plus haut, selon Lacoue-Labarthe, que l’approche humaine n’est pas à négliger pour traiter de
l’économie et de la monnaie. Le Service Lab de la HEG Genève indique d’ailleurs que le facteur humain n’est pas, de
Un blueprint est un plan détaillé, représentant les détails d’un objet, les étapes pour élaborer un produit ou un processus, ou, dans le cas
présent, pour mettre sur pied un service.
11
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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manière générale, à négliger lors de l’élaboration d’un design de service, ce qui implique et légitime d’autant plus une
approche anthropologique. Il indique en outre que la méthode idéale pour une telle élaboration se rapproche d’un
diagnostic médical (Barbieri, Fragnière, Sitten, & Zambrano, 2013) : (1) l’anamnèse, où le docteur consulte l’historique
de son patient ainsi que ses symptômes (interviews, observations, recherches), (2) le diagnostic, où le docteur utilise
les preuves pour identifier la maladie (blueprinting) et enfin (3) la prescription, où le docteur accompagne le patient vers
un traitement spécifique. Cette démarche sera donc la structure utilisée pour ce travail de Master : les trois premières
parties sont l’anamnèse, où nous traiterons des aspects « historiques » de la monnaie et des problèmes qui y sont liés ;
la première moitié de la quatrième partie se rattache à une forme de diagnostic, où nous ferons part des problèmes qui
peuvent être rencontrés par une monnaie complémentaire, et enfin la seconde moitié s’apparente à la prescription.
Study design et méthodologie générale
Koners et Goffin (2007) indiquent que, lors des études qualitatives, une triangulation des méthodes (i.e. mixed-methods)
peut être utilisée pour réduire les biais et donc accroître la fiabilité de l’étude. Il s’agit par exemple d’utiliser, en même
temps, une enquête (recherche), de procéder à des entretiens et de faire des observations sur le terrain. Une telle
triangulation sera effectuée pour ce travail. Ainsi, comme l’indique le schéma ci-dessous, la recherche occupera les
parties I, II et III, tandis que la quatrième fera l’objet d’observations sur le terrain et d’entretiens.
Figure 4 : Mixed-methods utilisées. Élaboration propre.
Ce travail de Master reposera donc sur deux types de méthodologies distinctes. La première consiste en une recherche
académique : elle regroupera les trois premières parties du travail. Ces trois parties, non expérimentales, s’attacheront
à décrire, à la lumière de différentes approches (techniques, philosophiques, religieuses, juridiques ou
anthropologiques), le fonctionnement et le rôle de la monnaie, mais aussi le rapport plus intime que nous entretenons
avec elle. Il s’agira donc de parties d’ordre descriptif et rétrospectif.
Les sources utilisées pour les enquêtes seront des sources primaires et secondaires, puisque des travaux ont été
réalisés sur des thèmes similaires et peuvent donner des pistes intéressantes. Lorsque des études sont nombreuses à
traiter d’un aspect de notre sujet, nous choisirons de nous concentrer sur celle qui coïncide le plus avec notre recherche
et qui est la plus exhaustive, afin de donner un aperçu plus large en un minimum de place.
Le deuxième bloc méthodologique consiste en une observation d’une monnaie complémentaire (la Monnaie Grand
Genève) sur le terrain. Elle concerne la quatrième partie du présent rapport et elle sera l’objet d’une étude transversale,
puisque nos observations feront état d’une situation à un moment donné. À ce sujet, aucune relation de cause à effet
ne pourra donc être établie, puisque nous risquons un biais : les éléments récoltés dépendront certainement du contexte
au moment précis de l’étude.
Consacrée à l’observation sur le terrain et à l’élaboration du design de service, cette quatrième partie sera d’ordre
prospectif et exploratoire. Les différentes parties du travail ne sont pas hermétiques entre elles et une corrélation devra
bien entendu être faite entre les premières parties et la dernière : en effet, la construction du design de service
macroscopique sera nourrie par les éléments découverts tout au long du travail.
Une grande part de ce travail consistera également en une enquête qualitative, afin de confirmer les conclusions d’études
précédentes et de vérifier notre hypothèse de départ. Elle permettra également d’entrevoir les aspects importants à ne
pas négliger dans l’élaboration du design de services, comme les facteurs humains. En effet, nous voulons que les
personnes interrogées se positionnent clairement au sujet de la monnaie, respectivement au sujet des monnaies
complémentaires.
Concernant l’élaboration de l’enquête qualitative, Fragnière & al. (2013) ainsi que Hervé Dumez (2013) donnent de
précieuses indications : nous nous en servirons pour concevoir notre enquête et éviter les biais. De plus, Les entretiens,
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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semi-directifs, se feront idéalement de visu, et la population choisie sera un échantillon empirique de personnes qui ne
seront pas forcément acquises à la cause des monnaies complémentaires.
Le schéma ci-après indique l’articulation des trois grands axes méthodologiques dans l’élaboration des livrables. En
effet, nous avons vu plus haut que l’utilisation de plusieurs méthodes diminuait les biais dans les études qualitatives ;
en outre nous avons pris connaissance de la méthodologie la mieux adaptée pour répondre à la question de recherche,
respectivement pour élaborer un design de service. Il s’agit donc d’un cheminement logique pour couvrir le champ de
notre problématique.
Figure 5 : Articulation des axes méthodologiques (bleu foncé)
dans l’élaboration des livrables (bleu clair). Élaboration propre.
Ainsi, la recherche académique va, à terme, permettre d’élaborer un blueprint initial. Celui-ci sera affiné par une enquête
qualitative et par l’observation de la Monnaie Grand Genève afin d’en extraire les attributs saillants. Pour construire
l’enquête, nous allons bien entendu nous servir des éléments découverts précédemment, soit par la recherche et les
observations. Il y aura en effet des éléments mis à jour par ces moyens qu’il conviendra d’approfondir.
Lorsque les attributs saillants auront été déterminés, nous pourrons produire un blueprint final, et apporter une
comparaison macroscopique, accompagnée de recommandations.
Cadre générale de l’enquête qualitative
Comme nous cherchons à expliquer et à analyser les actions et intentions des possibles acteurs de la MGG, une enquête
qualitative prend véritablement tout son sens. Elle est utilisée comme un outil de recueil de données complémentaires
(Barbillon & Le Roy, 2012), afin d’affiner les résultats de nos observations. Nous voulons que les gens interrogés se
positionnent clairement au sujet de la monnaie, et sur la monnaie complémentaire en particulier. Cette enquête
qualitative aura donc pour utilité et finalité de confirmer les données de nos recherches et de nos observations ou encore
d’approfondir et compléter certains points.
Pour que cette démarche compréhensive soit pertinente, il faut s’attacher à ne pas omettre la description et la narration
lors de notre analyse (Dumez, 2013, pp. 12-14). En effet, la description est au cœur de la recherche qualitative ; cela
dit, des questions d’objectivité et de jugement de valeur sont inhérents à ce type d’études. Sans les nier, Dumez (2013,
pp. 99-119) conclut toutefois qu’ils ne doivent pas être exclus des recherches scientifiques. Les différentes modalités de
l’étude qualitative sont expliquées plus précisément au chapitre 13.1.1 (p. 59).
Cadre général pour les autres entretiens
Les entretiens n’entrant pas dans le cadre de l’étude qualitative à proprement dit, feront l’objet d’une prise de notes afin
de garder trace des éléments importants. Les éventuelles décisions ou actions à poursuivre qui découlent de ces
entretiens seront misent en évidence.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Limites
La première limite de ce travail réside dans des impératifs de temps et des impératifs quantitatifs. N’ayant en effet qu’un
court semestre à temps partiel pour la réalisation de cette étude et étant limité quant au nombre de pages, nous ne
pourrons explorer que les pistes qui nous paraissent les plus pertinentes et les plus directement utiles pour nos livrables,
délaissant ainsi une certaine exhaustivité. Les directives édictées par la HEG Genève concernant l’étendue du travail
impliquent d’être succinct dans nos apports et d’opérer une sélection dans ce qui peut servir directement nos propos.
Dans ce but, les sources secondaires ayant étudié le plus de pistes seront souvent utilisées, ce qui nous amènera à
citer régulièrement les auteurs les plus prolixes sur le sujet.
De par le temps imparti et de par le cadre général du travail, aucune implémentation ne sera opérée sur le terrain. Nos
recherches déboucheront sur la réponse à notre question de recherche d’une part, et d’autre part sur des
recommandations d’ordre général pouvant être utiles à l’élaboration d’une monnaie complémentaire. Il ne nous
appartiendra en revanche pas de tester a posteriori les recommandations apportées. Ce travail n’est en outre pas
spécifique à une monnaie complémentaire, que ce soit la MGG ou une autre.
Ce travail ne se veut pas être une critique politique ; une telle orientation du sujet d’étude aurait nécessité une thèse
entièrement dédiée, qui risquerait d’être fortement politisée. Aussi, nous n’aborderons pas ce qui touche à l’organisation
de l’État, ses différentes formes et son degré d’intervention (étatisme, libéralisme, minarchisme, libertarianisme, etc.)12,
et certaines thèses allant dans ce sens, quoiqu’intéressantes, ne seront pas mentionnées dans ce travail. Nous
aborderons les courants de pensées économiques dans la partie II : il ne sera fait mention que des plus grands courants
ayant eu un rapport particulier à la monnaie. Toutes les branches ou courants qui découlent des pensées abordées ne
seront donc pas mentionnés. De plus, les courants cités seront abordés de manière schématique, afin de ne pas
digresser et de servir directement notre but.
Il ne s’agit pas non plus d’une critique économique ou d’une remise en question du système actuel. Nous parlons en
effet de monnaies complémentaires et non pas de monnaies alternatives13. Il est donc exclu de mener ce travail sur une
réflexion de monnaie alternative – visant à remplacer la monnaie traditionnelle. Le cas échéant, cela sortirait largement
du champ de ce travail et mènerait alors à une critique politique, source potentielle de nombreux biais. Les monnaies
complémentaires ne seront pas non plus traitées comme un premier pas vers la société post-argent, comme le
soutiennent les thèses de Jean-François Noubel14.
Cependant, au vu des remarques formulées par certains tiers lors de ce travail, nous pensons qu’il est important de
souligner quelques points. Considérant le compas politique selon la méthode d’Hans Eysenck15, il convient de renoncer
à classer l’utilisation d’une monnaie complémentaire à gauche ou à droite de l’échiquier politique. La monnaie n’est en
effet qu’un outil servant à atteindre un but (vision) ; la vision de l’économie et les buts à atteindre dépendent
spécifiquement de chaque monnaie et de ses modalités propres : il n’est donc pas pertinent de vouloir à tout prix classer
l’usage des monnaies complémentaires dans leur ensemble à gauche ou à droite. Concernant l’axe vertical, nous
classerons l’usage des monnaies complémentaires comme plutôt libéral, dans le sens où ces monnaies partent
d’initiatives privées et tentent de contrer le monopole public, si nous omettons toutefois que bon nombre de ces monnaies
ont besoin de la manne de l’État pour subsister.
Une telle critique sort du champ de la monnaie comme valeur fiduciaire à proprement parler et nécessiterait une grande partie historique
et philosophique traitant de ces différentes doctrines et philosophies politiques
13 Une monnaie complémentaire ou parallèle vise à compléter les aspects déficients d’une monnaie traditionnelle, sans la remettre en
question. Une telle monnaie est proposée en complément à une monnaie traditionnelle. Une monnaie alternative, quant à elle, est en
opposition au système en vigueur et vise à se substituer à une monnaie traditionnelle.
14 « Je n’investis personnellement aucun effort dans les monnaies complémentaires. Leur nom nous dit tout : elles complémentent le
système, tout comme les compléments alimentaires complémentent votre nourriture du fait de ses déficiences inhérentes. Les compléments
alimentaires et les monnaies complémentaires existent à cause du système en place. D’un point de vue positif, on peut voir les monnaies
complémentaires comme une première étape vers un protocole ouvert, global et interopérable […]. » (Noubel, 2013).
15 Le compas politique d’Hans Eysenck comporte deux axes. L’axe horizontal (gauche/droite) est celui de la liberté économique, la gauche
étant la collectivisation et la droite étant la libéralisation du marché. L’axe vertical (autoritaire/libertaire) est l’axe définissant la liberté
individuelle et le degré d’intervention de l’État.
12
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Partie I
D’une approche générale de la monnaie
La monnaie a ceci de particulier que tout le monde, de par son usage quotidien, sait ce qu’elle est alors qu’il nous est
difficile d’en donner une définition simple et complète. Cette première partie va donc nous servir à poser les bases de
ce qu’est actuellement, de manière générale, simple et dans une optique de design de service, la monnaie.
3.
Ce qu’est la monnaie
La monnaie est difficile à définir. Elle est, en effet, perçue généralement comme un unique moyen de paiement. C’est
pourquoi il convient non pas de la définir uniquement comme tel, mais d’y ajouter une définition élargie, englobant ses
fonctions.
3.1
Définitions préliminaires
De prime abord, il convient de dire que la monnaie n’est pas une chose naturelle : elle a été construite par l’Homme et
fait l’objet de conventions. Aristote l’indique dans l’Éthique à Nicomaque (p. 249) : elle est le fruit d’une institution légale,
soit imposée par la loi. C’est pour cela, d’ailleurs, que le mot monnaie qualifie la monnaie : en grec, loi se dit nomos et
monnaie se dit nomisma. La valeur de la monnaie ou son usage ne tient donc qu’à notre volonté seule de maintenir les
conventions qui la soutiennent.
Cela va dans le sens de Milton Friedman et Anna Schwartz, cités par Dominique Lacoue-Labarthe (1980, p. 8), qui
indiquent que « [l]a monnaie est la chose à laquelle nous décidons d’attribuer une valeur en procédant à un certain
nombre d’opérations déterminées. Ce n’est pas quelque chose qui existe déjà a priori et peut être découvert […] ».
Dominique Lacoue-Labarthe cite également d’autres auteurs, qui mettent en avant la fonction de moyen de paiement
dans leur définition de la monnaie. Ainsi, pour Irving Fisher, la monnaie est un droit de propriété qui est accepté pour
des échanges ; pour Charles Goodhart, il s’agit d’un moyen de paiement spécialisé qui permet de résoudre un certain
nombre de problèmes liés à des échanges potentiellement inégaux. D’autres auteurs cités indiquent, en lien avec la
création monétaire par les banques commerciales, que la monnaie n’est qu’une dette qui circule : un franc émis est donc
un franc dû autre part.
3.2
Définition par les fonctions
Aristote a le premier donné, dans son Éthique à Nicomaque, les trois fonctions principales qui définissent la monnaie :
intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Ces trois fonctions classiques sont toujours
d’actualité. D’autres auteurs en ajoutent, qui sont moins pertinentes dans notre travail16. Toutefois, nous le verrons plus
bas, une fonction supplémentaire nous semble intéressante : la fonction socio-économique.
Relevons encore que la monnaie a un pouvoir libératoire : c’est un instrument de paiement pour se libérer de ses dettes
et de les éteindre. Ce pouvoir libératoire est général, ce qui signifie que tous les agents doivent obligatoirement accepter
la monnaie ayant légalement cours sur le territoire donné comme moyen d’extinction de dette.
Unité de compte
La monnaie sert d’unité de compte, soit de mesure des valeurs. Cette fonction est, selon certains auteurs, la première
logiquement et historiquement17. Elle sert donc à mesurer tout ce qui est susceptible d’être échangé ainsi que la richesse
détenue par chaque individu. En effet, comment juger qu’un produit A vaut plus ou moins qu’un produit B ? La question
devient encore plus périlleuse si nous tentons de prendre en compte la qualité des biens échangés, qui varie selon la
technique de fabrication s’il s’agit de biens manufacturés ou marchands et selon la région s’il s’agit de ressources
Il en est par exemple ainsi des fonctions d’instrument de politique économiques ou des fonctions d’alimentation et de financement du
circuit économique.
17 Voir partie II, p. 23 ss.
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naturelles. La monnaie permet donc, comme instrument de mesure (Aristote parle d’étalon, ce qui est très significatif),
de fixer un prix à chaque chose, condition sine qua none pour que les échanges puissent exister. Le fait de pouvoir
mesurer la valeur des biens permet en outre de les comparer, même s’ils sont très différents. Le vendeur et l’acheteur
potentiels détiennent alors une information très utile, permettant la comparaison, ce qui facilite grandement l’échange.
Des économistes, à l’instar de Ludwig von Mises (2011), que cette fonction est quelque peu fallacieuse, puisque la valeur
d’une chose dépend de l’utilité marginale : cette valeur, subjective, peut être hiérarchisable, mais pas quantifiable.
Intermédiaire des échanges
La monnaie est un moyen d’échange instantané. Les échanges sont facilités et permettent des économies diverses de
coûts, de temps et de recherche (Bialès, 2001). Le plus grand avantage de cette fonction est de supprimer la condition
de double coïncidence des besoins que supposait le troc. La monnaie permet donc les échanges indirects, qui sont
inhérents aux sociétés basées sur la division du travail et sur la propriété privée (qu’il s’agisse des biens de
consommation ou des biens de production).
En effet, le troc posait divers problèmes lors de la spécialisation du travail. Un individu A, travaillant à la culture d’un
champ de blé, pouvait combler lui-même une partie de ses besoins vitaux, comme la nourriture. Mais pour combler
d’autres besoins – besoins de viande ou d’habits – il devait échanger une partie du surplus de sa production contre une
partie de la surproduction d’un individu B (Delaplace, 2013). Ainsi, l’individu A doit trouver un autre individu qui non
seulement est demandeur du blé que propose A (première coïncidence des désirs), mais qui souhaite également les
échanger contre un bien que A aimerait, par exemple un mouton (deuxième coïncidence des désirs). Si l’une des deux
parties n’a pas le bon besoin (mettons que B ne veuille pas de blé, mais qu’il veuille du maïs), l’échange ne se fera pas.
Ainsi, la monnaie permet de passer outre ce problème délicat. Je ne vends pas un produit A contre un produit B, mais
je vends un produit A contre de la monnaie qui me servira, plus tard, à acquérir un produit D, plus conforme à mes
besoins (Cuillerai, 2007). Toutefois, le troc tel que présenté est un mythe, que nous aborderons en deuxième partie (ch.
7.1, p. 23 ss).
Ludwig von Mises (2011) indique malicieusement que la seule fonction pertinente de la monnaie est celle d’intermédiaire
des échanges18. Les autres fonctions ne sont, pour lui, que des sous-fonctions qui découlent directement de celle-ci. La
facilitation des crédits, ou la transmission de la valeur dans le temps ne sont en effet que des échanges de biens présents
contre des biens futurs.
Réserve de valeur
La réserve de valeur constitue la troisième fonction classique de la monnaie. Cette fonction d’épargne permet de
thésauriser, donc de transférer son pouvoir d’achat dans le temps et de différer son utilisation. Cette fonction trouve une
limite en cas d’inflation, puisqu’en cas d’augmentation des prix, la somme thésaurisée permettra d’acheter moins de
biens.
Cette fonction est intéressante car elle apporte un paradoxe. La thésaurisation est vue par Karl Marx (Vadée, 2000)
comme une « recherche de la richesse pour la richesse » et la monnaie ainsi capitalisée revêt un caractère réel, alors
que les deux premières fonctions de la monnaie sont plus symboliques. Or, le fait de stopper la circulation – ce que
suppose l’acte de thésauriser – implique que l’argent stocké ne circule plus : « la thésaurisation de monnaie […] atrophie
la circulation monétaire et donc le cycle vital de la société » (Théret, 2008/4). Quant à l’épargne, elle est dirigée, selon
certains penseurs, où elle rapporterait le plus, délaissant ainsi les régions économiquement moins dynamiques : il
s’agirait donc, pour ces régions, d’un enfermement dans un cercle vicieux. Nuançons ce point ; ce n’est pas parce que
la monnaie ne va pas où certains le voudraient qu’elle ne remplit pas ses fonctions.
De nombreux auteurs – de toutes obédiences – critiquent donc vertement cette fonction qui n’est pas, selon eux,
spécifiquement monétaire. Elle serait même, toujours selon eux, un instrument peu efficace pour remplir cette fonction
(Théret, 2008/4, p. 819). Ces usages très variés de la monnaie sont dangereux : ces fonctions sont « contradictoires »
et sont « sources latentes de crises monétaires », surtout en ce qui concerne cette fonction de réserve de valeur,
puisqu’elle « menace directement la continuité des paiements » (Théret, 2008/4, p. 820). Gardons toutefois un regard
circonspect sur ces assertions qui découlent selon nous d’une vision dirigiste de la monnaie.
«Many investigators imagine that insufficient attention is devoted to the remarkable part played by monney in economic life if it is merely
credited with the function of being a medium of exchange; they do not think that due regard has been paid to the significance of money until
they have enumerated half a dozen further “functions” – as if, in an economic order founded on the exchange of goods, there could be a
more important function than that of the common medium of exchange. » (von Mises, 2011, p. 12).
18
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Une fonction socio-économique : la monnaie comme instrument d’ordre social
Il ne suffit pas de définir la monnaie sous les seules fonctions classiques. Christian Bialès (Bialès, 2001) va plus loin en
lui attribuant une fonction sociale, anthropologique. En effet, pour lui, la monnaie est un point de rencontre entre l’autorité
de l’État, le fonctionnement des institutions financières, les croyances collectives et les comportements individuels.
Christian Bialès (2001) indique que toute monnaie est fiduciaire puisqu’elle est une règle sociale, soit une convention et
une institution. Elle est donc fondée sur la confiance et possède un vrai rôle social, voire un rôle d’ordre social quand
elle sert de normalisation et de socialisation. Par ce principe de normalisation et de socialisation, Christian Bialès indique
qu’elle est un exorcisme à la violence puisqu’elle substitue l’échange à la capture. Remarquons que ce postulat contredit
Karl Marx, pour qui la monnaie – par le biais du salaire – est génératrice de tensions sociales et est un outil
d’asservissement (cf. part. II, ch. 7.5, p. 27).
Il est amusant de constater ce rôle d’exorcisme dans la monnaie et dans les échanges, et cela dans des cultures fort
diverses. Ainsi, donnons à titre d’exemple, le potlatch, en vigueur au XIXème siècle au Nord-Ouest de l’Amérique du Nord.
Il s’agissait d’une cérémonie festive où des personnes voire des clans échangeaient – ou détruisaient – des biens – ou
cadeaux – lors de diverses occasions : entre autres s’il s’agissait d’humilier un adversaire, de sceller la paix entre clans
rivaux ou de réintégrer socialement un individu exclu (Meillassoux, 1990). La particularité résidait dans ce que la partie
qui recevait le cadeau devait rendre, à son tour, un bien de valeur supérieure. Bien des interprétations ont été faites sur
ce système de dons échangés, qui font intervenir tour à tour les notions de fait social total (Marcel Mauss), de crédit
inhérent à ce système d’échange de dons et d’honneur (B. Malinowski et R. W. Firth) ou encore de compétition à
tendance mégalomaniaque (Ruth Benedict). Mais ces explications ne sont pas crédibles19 et il faut aussi voir dans ces
potlatch un moyen de redistribution des richesses, de « désamorceur » de tensions et de « publicité » à un clan
(Meillassoux, 1990).
De manière détournée, nous pourrions faire un parallèle avec le principe actuel des indemnités : le fait de racheter ses
méfaits par un « don » (légalement, de l’argent) relèverait, toute proportion gardée, de la même volonté, sans qu’il n’y
ait toutefois le retour du bien par le lésé.
Jérôme Blanc (2008) indique que la monnaie intervient dans un univers symbolique fort, qui est à la base des normes
orientant et délimitant nos usages de la monnaie : elle n’est donc pas qu’un « outil » rationnel et économique. Elle est
ce que Mauss appelle un « fait social total »20 (Blanc, 1998) puisqu’elle lie les individus d’une société par le truchement
des dettes et des paiements entre eux. Aglietta et Orléan (Fouarge, 2010) parlent de la monnaie comme médiateur entre
les individus, car un individu A ayant une dette est dépendant de la société, mais c’est par cette même société que
l’individu A obtiendra une reconnaissance sociale. Il y a donc bel et bien une relation entre les individus via la monnaie,
même si elle demeure impersonnelle.
Bruno Théret (Théret, 2008/4, p. 814) indique quant à lui que la monnaie a trois états qu’il convient d’étudier
simultanément : « elle est à la fois système de signes (langage), système d’objets (matérialité) et système de règles
(institution) ». Pour lui, elle est donc un vecteur d’appartenance sociale et elle sert de « médiation dans les échanges
sociaux les plus divers au sein desquels elle opère comme un représentant de la totalité sociale » (Théret, 2008/4, p.
814). C’est aussi pour cela qu’il valide l’assertion disant qu’il n’existe pas – et qu’il n’a pas existé – de société qui ne
connaisse pas la monnaie, sous quelque forme que ce soit : la monnaie, comme fait social total, est universelle.
4.
Les différentes formes actuelles de la monnaie
La monnaie a connu, au travers de son histoire, bien des formes. Dans le présent travail, nous ne nous intéresserons
qu’à ses formes actuelles, qui sont au nombre de trois : la monnaie divisionnaire et la monnaie fiduciaire pour les
monnaies « matérielles » ou numéraires, et la monnaie scripturale.
4.1
La monnaie numéraire
La monnaie dite matérielle est respectivement composée de la monnaie divisionnaire et de la monnaie fiduciaire. La
monnaie divisionnaire comprend les pièces frappées, tandis que la monnaie fiduciaire comprend les billets de banque.
Le droit de battre monnaie échoit depuis 1848 à la Confédération21 et le frappage est effectué par Swissmint, une société
publique dépendant du Département fédéral des Finances. La quantité de pièces frappées est déterminée par le besoin
Le potlatch a moins pour but de créer un statut que de sanctionner. Il n’y a pas d’obligation de rendre un cadeau (Meillassoux, 1990).
Un fait social total est un fait qui exalte toute la société et ses institutions ou une grande partie de celles-ci (Blanc, 2009).
21 La Constitution fédérale indique (art. 99 al. 1) : « La monnaie relève de la compétence de la Confédération; le droit de battre monnaie et
celui d'émettre des billets de banque appartiennent exclusivement à la Confédération. » (Confédération suisse, 2013).
19
20
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vu que le montant est trop faible pour en tenir compte dans le calcul de la masse monétaire (Swissmint, s.d.), bien que
représentant une valeur nominale de 2.8 milliards de francs en 2012, ce qui correspond à près de 5 milliards de pièces
(BNS, 2014). C’est la Banque Nationale Suisse qui calcule le besoin en pièces ; la proposition est ensuite soumise au
Département fédéral des Finances, dont le Chef accepte ou non le programme de frappe (Swissmint, s.d.). In fine, c’est
le DFF qui a la compétence pour émettre de la monnaie.
La BNS détient, par contre, la compétence d’émettre les billets de banque et elle en a le monopole depuis le transfert
de ce droit par la Confédération22. En 2012, il y avait quelque 358 millions de coupures en circulation, pour une valeur
de 54.8 milliards de francs.
Figure 6 : Circulation des billets en Suisse en 2012. * Ces billets appartiennent encore à la sixième série de billets. Source : BNS.
Nous le voyons, si les pièces servent de moyen de paiement pour les petits montants, les billets servent également de
moyen de thésaurisation. C’est ce que nous indique la part importante du nombre de grosses coupures émises. Cela
est également flagrant si l’on observe le ratio des billets en circulation par rapport au PIB :
Figure 7 : Rapport entre billets en circulation et PIB. Source : BNS.
Nous voyons sur ce graphique la baisse du rapport entre billets émis et PIB : cela est principalement dû aux progrès
permettant de se délaisser du numéraire (monnaie matérielle). A contrario, la nette progression durant la première moitié
du siècle provient de ce que, d’une part, les billets ont remplacé la monnaie pour les paiements (ce qui est plus pratique
pour les montants importants) et d’autre part par ce que les gens ont fortement thésaurisé à cause de l’insécurité au
sortir de la première Guerre Mondiale et de la crise des années trente (BNS, 2014). Nous remarquons que la
thésaurisation reprend depuis 2008, année de la crise des subprimes.
Aujourd’hui, par convention, le terme de monnaie fiduciaire englobe aussi bien les pièces que les billets de banque.
C’est cette monnaie qui, avec les avoirs à vue en francs auprès de la Banque Nationale Suisse, est un moyen de
paiement ayant cours légal (Assemblée fédérale de la Confédération suisse, 2007)23. Seuls ces moyens de paiement
sont soumis à l’obligation d’accepter.
4.2
La monnaie scripturale
La monnaie scripturale (du latin scriptura, « écriture ») est de la monnaie créée ou échangée par un simple jeu d’écritures
comptables et détenue sur des comptes bancaires ou postaux (BNS, s.d.). Elle représente environ 90% de la masse
monétaire.
L’article 4 de la Loi fédérale sur la Banque nationale suisse indique en effet : « La Banque nationale a le droit exclusif d’émettre les billets
de banque suisses. » (Assemblée fédérale de la Confédération suisse, 2012). La BNS est une SA dont les actionnaires sont les cantons,
les banques cantonales et les privés. La Confédération n’est pas actionnaire.
23 L’article 2 de la LUMMP indique en effet : « Les moyens de paiement légaux sont: a. les espèces métalliques émises par la Confédération ;
b. Les billets de banque émis par la Banque nationale suisse ; c. les avoirs à vue en francs auprès de la Banque nationale suisse. »
(Assemblée fédérale de la Confédération suisse, 2007)
22
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Il convient de ne pas confondre la monnaie scripturale elle-même (l’écriture comptable) avec les instruments qui
permettent sa circulation : chèque, virement bancaire, carte bancaire, porte-monnaie électronique, etc.
La monnaie scripturale est particulière quoique largement acceptée : dans sa réponse à l’interpellation du Conseiller
national Geri Mueller, le Conseil fédéral (Parlement suisse, 2014) indique que les dépôts à vue24 dans les banques
commerciales n’ont pas les mêmes caractéristiques que les dépôts dans la banque centrale ; la monnaie scripturale
n’est donc pas un moyen de paiement légal, puisque « nul n'est tenu d'accepter la monnaie scripturale des banques, à
moins qu'un tel moyen de paiement ait été convenu par contrat, ou que les circonstances (l'usage) ou une disposition
légale particulière l'exigent » et que « [l]'argent au sens du droit constitutionnel ne comprend pas la monnaie scripturale
des banques qui, contrairement aux avoirs à vue auprès de la BNS, connaît un risque d'insolvabilité » (Parlement suisse,
2014).
En d’autres termes, les avoirs en monnaie scripturale ne sont pas garantis par la BNS (ceci bien que l’État garantisse
implicitement la solvabilité des grandes banques systémiques), vu qu’ils ne sont pas considérés comme moyen de
paiement ayant cours légal ; cela explique peut-être la consommation en hausse des billets de banque à des fins de
thésaurisation lors de périodes peu ou prou troublées.
5.
La monnaie est-elle un service ?
Avant de réaliser un design de service pour la monnaie, il nous semble évident de nous interroger sur la monnaie en
tant que service. C’est le but de cette partie fondamentale.
5.1
La notion de service
La plupart de ce que nous consommons est clairement identifiable comme produit ou comme service. Mais certaines
fois, la frontière est plus floue qu’elle n’y paraît, car certains services peuvent être articulés autour d’un bien.
Un service est « la mise à disposition d’une capacité technique ou intellectuelle » (Insee, s.d.) : on ne parle donc pas de
quelque chose de tangible ou de transformation industrielle, comme pour un produit. Emmanuel Fragnière (2013) donne
la définition de The Economist : un service concerne « toute chose vendue dans le commerce et que l’on ne peut faire
tomber sur son pied ».
Ces définitions, pourtant simples, rendent la classification un peu confuse. Prenons un exemple : quand nous vendons
un logiciel, vend-on le CD ou vend-on la possibilité technique de traiter des données ? Dans un cas, il s’agit d’un produit,
dans l’autre d’un service. Il en va de même pour la monnaie : possède-t-on des pièces et des billets, ou possède-t-on, à
travers la monnaie, un service, symboliquement représentée de manière tangible par des espèces ?
Catenazzo (Catenazzo & Fragnière, 2008, p. 13) indique deux idées principales à retenir dans la notion de service : un
service n’est ni issu de l’agriculture ni un produit issu de l’industrie ; et les gens n’achètent pas des produits, mais des
avantages. Pour imager ces idées clefs, il donne, fort à propos, l’exemple d’une banque. Il s’agit d’une entreprise de
services, qui, à partir d’éléments concrets (coffre, billets déposés, etc.), propose des avantages à ses clients, comme la
sûreté ou l’épargne.
5.2
Le paradigme IHIP
La monnaie, qui est comme nous l’avons vu plus haut un moyen de paiement et d’échange, est-elle donc réellement un
service ? Pour répondre à cette question, nous utiliserons le modèle IHIP, qui est l’outil principal pour définir un service
(Catenazzo & Fragnière, 2008).
« IHIP » est l’acronyme d’Intangibilité, Hétérogénéité, Instantanéité et Périssabilité. Ces quatre points constituent les
caractéristiques d’un service.
Intangibilité
Un service est intangible : on entend par là qu’il n’a aucune dimension physique, qu’il n’est pas palpable. Cela étant, il
est difficile d’en juger la qualité, qui n’est pas objective mais dépend de la perception subjective des individus, en prenant
en compte leur niveau d’utilité ressentie.
Emmanuel Fragnière (Catenazzo & Fragnière, 2008) précise que si le service est souvent affecté à un produit (le lit pour
une nuit d’hôtel, une carte bancaire pour l’épargne, ou un ticket d’entrée pour un concert) la prestation ou le bien final,
Un dépôt à vue – ou un avoir à vue – est un avoir qui peut être immédiatement et sans limitation être viré sur un autre compte ou converti
en numéraire.
24
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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lui, est bien intangible. Ainsi, nous pouvons affirmer que la monnaie est intangible. Elle permet la prestation de service
d’épargne ou de paiement et sa tangibilité, artificielle, se retrouve dans les billets, pièces ou cartes bancaires que nous
utilisons. Cela est d’autant plus vrai que la monnaie n’est plus étalonnée par des métaux précieux (or ou argent) et
qu’elle est inconvertible, ce qui dispense les banques d’échanger les billets avec de l’or (on parle alors de cours forcé ;
la valeur nominale fait foi et n’a aucun lien avec la valeur métallique) (Blumberg, 2014). Pour Frédéric Bastiat (Maudit
argent), elle est une représentation des services échangés dans la société, chaque service rendu quelque part est un
service dû autre part. Il part en effet du principe que les services s’échangent contre des services (ce qui rejoint les écrits
de Jean-Baptiste Say, pour qui on achète des biens avec des biens).
Cet aspect d’intangibilité est particulièrement intéressant, puisque le service est donc, par définition, abstrait. Il est
nécessaire d’être, dans le cas d’une monnaie complémentaire, très concret dans le message à faire passer aux
utilisateurs potentiels, pour tangibiliser au plus le service. Il faudra être en mesure de montrer l’avantage que l’utilisateur
aurait en plus lorsqu’il choisit d’opter pour une monnaie complémentaire.
Hétérogénéité
Un service est ce que Catenazzo (2008) décrit comme une « expérience individuelle ». Une prestation ne sera pas la
même s’il s’agit de protagonistes différents et elle dépendra des actions du « livreur ». En effet, le consommateur peut
se renseigner de manière exhaustive sur la prestation qu’il souhaite acquérir : ces connaissances formelles, codifiées,
sont les connaissances explicites. Mais cela ne constitue qu’une partie du service : l’autre part repose sur les
connaissances tacites25 du livreur (Catenazzo & Fragnière, 2008). Ces deux aspects des connaissances permettent une
prestation individualisée.
Il en va donc de la même manière pour la monnaie : les conditions d’épargne, de placement, ou encore les
discriminations par les prix la rendent hétérogène. Nous verrons en outre, dans la deuxième partie, le point de vue des
marginalistes, des néo-marginalistes, et surtout de l’École autrichienne, pour qui la valeur d’un bien passe par son utilité
– voire par son utilité marginale. Or, cette utilité est subjective ; pour l’École autrichienne, elle n’est que hiérarchisable
et non quantifiable. Cette subjectivité inhérente à chaque individu abonde dans le sens de l’hétérogénéité de la monnaie.
Instantanéité
La production et la consommation d’un service sont instantanées. Le client est actif dans la livraison de la prestation, qui
ne peut se faire que lorsqu’il a explicité ses besoins au prestataire. La transaction a lieu seulement lors de l’échange
d’information entre les deux parties : c’est pourquoi le client est coproducteur d’un service.
Dans la monnaie comme moyen de paiement ou comme moyen d’épargne, le consommateur a une influence sur la
transaction. Le consommateur A se met d’accord de concert avec le vendeur B pour la vente d’un bien. Le transfert de
propriété est instantané du moment que les deux parties sont tombées d’accord, et il ne dure que l’instant de la
transaction. Nous le comprenons bien, le consommateur A a dû expliciter ses besoins même tacitement (acquérir l’objet
X aux conditions spécifiées) et il devient donc participant à la transaction.
Nous irons jusqu’à dire que même la fonction d’unité de compte de la monnaie correspond à la caractéristique
d’instantanéité du paradigme IHIP, en évoquant Frédéric Bastiat (Maudit argent, pp. 227-228) pour qui cette fonction est
une illusion. En effet, la monnaie ne donne la valeur d’un bien ou d’un service qu’à un instant t, les mécanismes d’offre
et de demande rendant toute fixité des prix impossible. Même, indique-t-il, la monnaie fiat26 rend cette instantanéité
encore plus flagrante, puisque non seulement les prix des biens varient, mais l’intermédiaire qu’est la monnaie varie luimême.
Périssabilité
Les services sont des biens immatériels : il est donc impossible de les stocker, de les revendre ou de les échanger
(Catenazzo & Fragnière, 2008). Une fois le service consommé, il est « mort » : c’est le cas pour un voyage en avion.
C’est là le point le plus spécieux et où il convient d’être circonspect. Il faut distinguer le service en lui-même de
l’instrument qui permet de le consommer. Nous pouvons parfaitement stocker ou revendre un billet d’avion, qui est
l’instrument sur lequel se concrétise le service-transport. Mais ce service-transport lui-même, lorsque nous l’avons
consommé, ne peut plus être retourné ou revendu puisqu’il s’est éteint avec sa consommation.
Ces connaissances tacites sont par exemple l’empathie, le savoir-faire, ou encore une attitude prompte à aider le consommateur
(Fragnière, 2013).
26 Une monnaie-fiat est une monnaie décrétée par l’État (du latin fiat, « qu’il en soit ainsi ») sur le territoire. Elle n’a aucune valeur intrinsèque
et est qualifiée de « néant habillé en monnaie » par certains critiques comme Jacques Rueff (Wikiberal, 2014).
25
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
15
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
La monnaie produit la même chose : nous pouvons stocker l’instrument-monnaie27 (c’est la thésaurisation), mais nous
ne pouvons pas stocker le service-moyen d’échange. Une fois que le transfert de propriété est effectué, il ne peut plus
être stocké, ni être échangé, ni être retourné, à moins de faire l’objet d’un nouveau transfert de propriété, ce qui est,
dans l’absolu, un nouveau service.
Même si nous achetons le même bien au même producteur, l’expérience d’achat sera unique et fera intervenir, par
exemple, une attente différente, un état d’esprit autre, etc. (Catenazzo & Fragnière, 2008). C’est en ce sens que le
service et sa consommation sont une expérience unique et individualisée.
Figure 8 : Le paradigme IHIP : comparaison entre produit et service. Source : Catenazzo & Fragnière (2008).
Selon ce qui précède, nous pouvons affirmer que la monnaie est bien, selon le modèle IHIP et les définitions données,
un service. En effet, son utilisation, comme moyen d’échange, est intangible malgré une représentation concrète,
hétérogène, instantanée et périssable. Cela est d’autant plus vrai que nos monnaies modernes sont fiat ; n’ayant
aucune valeur intrinsèque, la notion de bien est encore moins soutenable28. Nous pouvons toutefois observer deux
exceptions. La première concerne les anciennes monnaies échangées par les numismates, il s’agit de marchandises
dont la valeur est déterminée par le marché. La seconde peut englober l’avarice, où l’argent est accumulé pour luimême, et non en vue de transférer un pouvoir d’achat dans le temps.
6.
Design de service macroscopique
6.1
Comment la monnaie est-elle créée ou détruite ?
Les banques commerciales, auprès de qui nous avons nos comptes, doivent également disposer de leur propre compte
de virement afin de procéder à leurs paiements et à ceux de leurs clients. Ce compte, elles le détiennent à la BNS29 :
c’est grâce à leurs avoirs à vue à la BNS que les banques commerciales peuvent se procurer les billets dont elles ont
besoin. C’est par ces mêmes comptes que la Banque centrale approvisionne l’économie (par l’intermédiaire des banques
commerciales) en liquidités. En effet, la BNS crée de la monnaie en octroyant des prêts aux banques : elle prête de la
monnaie nationale aux banques contre des titres ou des monnaies étrangères. Lorsque l’échange est conclu, le montant
correspondant est inscrit à l’actif du compte de virement de la banque commerciale, ce qui fait entrer la monnaie ainsi
créée dans le circuit. C’est par le biais des crédits que la BNS peut gérer la quantité de masse monétaire30 : lorsqu’elle
veut abaisser la masse monétaire elle renchérit les crédits en augmentant ses taux d’intérêt ; lorsqu’elle veut augmenter
la masse monétaire elle abaisse les intérêts, ce qui rend les crédits plus avantageux.
L’instrument de la monnaie est ici le billet de banque (ou les pièces, ou la carte bancaire), de même que le ticket d’avion est l’instrument
du transport.
28 Si la monnaie est en métal précieux, la frontière entre bien et service est plus floue. J.-B Say qualifiait en effet la monnaie de bien.
29 Indiquons ici que la BNS – banque centrale indépendante – a le mandat de définir la politique monétaire de la Suisse. Elle est, en quelque
sorte, le gardien de l’évolution de l’économie, en accordant sa priorité à l’intérêt général du pays et à la stabilité des prix et du système
financier (Banque nationale suisse, 2014).
30 La BNS peut agir au travers des intérêts, des crédits, de la consommation et des investissements. Par exemple, si l’inflation prévue
dépasse les 2%, la BNS va réduire la masse monétaire. Pour ce faire, elle demandera des intérêts plus élevés aux banques et relèvera la
marge de fluctuation assignée au Libor (BNS, 2006). Les banques empruntent donc moins à la BNS et demandent plus d’intérêts à leurs
propres clients : l’offre de monnaie baisse, ce qui la remet à la hauteur des biens et services échangés, freinant ainsi l’inflation. S’il y a une
déflation trop importante, la BNS agira de manière inverse.
27
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Mais la BNS – la « banque des banques » – n’est pas la seule à créer de la monnaie ; cela échoit également aux banques
commerciales, par le biais des crédits. En effet, une banque est un intermédiaire financier, qui achemine l’argent là où il
est utile et qui sert de garantie entre ceux qui n’ont pas besoin de l’argent immédiatement (les épargnants) et ceux qui
en ont une forte utilité (les emprunteurs). La banque prête une partie de l’argent déposé par les épargnants : cela donne
naissance à une écriture comptable (à l’actif du compte de la banque et au passif du compte du débiteur), ce qui crée
de la monnaie scripturale et augmente donc la masse monétaire disponible. La banque demande, en plus du montant
du crédit, un prix qui couvre le risque du prêt et sa prestation : l’intérêt.
La monnaie se crée donc par le crédit. Imaginons un épargnant A qui dépose sur son compte CHF 100’000 à la banque
X. La banque va, par exemple, garder en réserve CHF 20'000 et prêter à l’emprunteur B CHF 80'000. L’épargnant A
possède toujours CHF 100’000 sur son compte ; mais CHF 80'000 ont été créés par le prêt accordé à l’emprunteur B.
(BNS, 2006)
Précisons encore que, si nous avons dit plus haut que la monnaie scripturale n’était pas – en sa qualité de substitut
monétaire – garantie par l'État, des dispositions légales assurent néanmoins la protection de l’épargne. Il s’agit par
exemple de la Loi sur les banques qui les oblige à détenir suffisamment de réserves31, et du rôle de la FINMA (l’Autorité
fédérale de surveillance des marchés financiers) qui « surveille les banques et veille à ce qu’elles restent dignes de
confiance » (BNS, 2006).
6.2
Éléments notables de la monnaie traditionnelle
Alexia Fouarge (Fouarge, 2010) relève trois caractéristiques de la monnaie traditionnelle : elle est tout d’abord unique
puisqu’elle ne relève que d’une autorité centrale, qui est souvent l’État. Elle est ensuite exclusive : on ne peut participer
aux échanges sans la monnaie puisqu’elle seule confère un pouvoir d’achat aux personnes. Enfin, elle est propre au
territoire étatique sur laquelle elle circule. Alexia Fouarge (2010) relève donc trois facteurs, indissociables de la monnaie,
qui sont la raison de la viabilité ou de la perte de la monnaie et qui soulèvent parfois des critiques : la confiance, la dette
et le taux d’intérêt.
6.2.1 La confiance
Toute monnaie est fiduciaire
Pour se convaincre de ce que la monnaie actuelle repose sur la confiance, il convient de jeter un rapide coup d’œil sur
les quatre grandes évolutions de cette dernière.
Le bimétallisme, tout d’abord, consistait en un système reposant sur l’or et sur l’argent. La valeur faciale des pièces
correspondait à la valeur intrinsèque des pièces. Or c’est là une erreur fondamentale de ce système : l’or et l’argent n’ont
pas constamment le même rapport de valeur. Si un des métaux devient plus rare et gagne en valeur, les gens vont le
thésauriser et la monnaie frappée en métal plus abondant – donc ayant moins de valeur intrinsèque – circulera plus vite
car les gens vont vouloir s’en débarrasser (Thomas, 2011). Ce phénomène est expliqué par la loi de Gresham : « la
mauvaise monnaie chasse la bonne ». C’est ce qui est arrivé au milieu du XIXème siècle, suite à des découvertes
massives d’or : l’argent sera démonétisé au profit du monométallisme-or.
Le système basé sur l’étalon-or permettait de convertir la monnaie en or, puisqu’elle était basée sur ce métal. Cela évitait
les émissions de billets trop généreuses, puisque le pays devait avoir, physiquement, la couverture-or pour émettre sa
monnaie. La première Guerre Mondiale supprima la convertibilité or du billet : à partir des années 1920, la monnaie
n’était plus indexée à l’or, mais à la livre et au dollar ; la valeur de la création monétaire dépassait, à cause de la grande
inflation qui suivit la guerre, très largement les stocks d’or (Encyclopaedia Universalis, 1990, p. 692).
La crise des années 1930 ainsi que l’inflation due à la seconde Guerre Mondiale virent la conclusion des accords de
Bretton Woods en 1944, qui donna vie au système d’étalon de change-or (Encyclopaedia Universalis, 1990). Les ÉtatsUnis étaient en effet détenteurs à hauteur de 80% des réserves mondiales d’or et l’Europe devait se reconstruire. Les
accords stipulent que le dollar est seul convertible en or et que chaque monnaie est convertible en dollar32. S’ensuit les
Trentes Glorieuses, période fort prospère. Mais dans les années 1960, les États-Unis émettent trop d’argent pour tenter
de financer leur déficit extérieur ainsi que la guerre du Vietnam. La France, excédée, demanda le remboursement en or
plutôt qu’en dollars. Elle fut suivie par l’Allemagne, qui exigea la convertibilité de ses dollars excédentaires en or. Nixon
met fin aux accords de Bretton Woods en 1971, pour éviter la fuite des stocks d’or US (Créquy, 2008).
Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne : Chapitre III – Fonds propres, liquidité et autres règles de gestion ; Chapitre V –
Banques d’importance systémiques (Assemblée fédérale, 2013).
32 Le FMI est alors créé pour encadrer ce système.
31
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L’abandon des taux de change fixes donne ensuite naissance au système des taux flottants, encore en vigueur
aujourd’hui. La monnaie n’est pas étalonnée, mais elle se base sur un taux de change variable, sur le marché des
changes. La valeur de la monnaie est donc fixée par la loi de l’offre et de la demande.
Nous voyons que nos monnaies actuelles sont toutes des monnaies fiduciaires (du latin fiducia, « confiance »), qui ont
perdu au fil du temps leur attache à un métal précieux, donc à une valeur « tangible ». Elles ne reposent plus sur des
éléments palpables (métaux précieux) et leur valeur n’est plus que fiduciaire (la monnaie n’a plus de valeur intrinsèque,
elle n’a qu’une valeur faciale) ; la monnaie repose donc tout entier et par convention sur la confiance que nous lui
accordons.
Les aspects de la confiance
Nous l’avons vu, la monnaie ne repose plus sur des valeurs tangibles et objectivables, comme les métaux précieux.
Quand bien-même, André Orléan (1991) indique que la convertibilité or n’est pas ce qui donne la valeur à la monnaie,
même lorsque celle-ci reposait sur un système d’étalon-or. La monnaie moderne (ou fiat money) est inconvertible et n’a
pas d’utilité intrinsèque. Alors pourquoi l’accepte-t-on ? André Orléan (1991) cite divers auteurs incluant la notion de
confiance :
« C'est ce que soulignent maints auteurs lorsqu'ils analysent l'acceptation monétaire comme résultant de l'action de
certaines formes sociales, comme la confiance, l'habitude ou la foi, dont la spécificité réside précisément dans le fait
que s'y trouve cristallisé le "consentement universel des hommes". R. Barre insiste sur la notion de confiance,
"inséparable de la notion de communauté de paiement". F. Simiand souligne que "toute monnaie implique une
croyance et une foi sociales". F. von Wieser met l'accent sur la notion d'"habitude" qu'on trouve à la base de
"l'acceptation massive" de la monnaie. Dès lors que ces objets sociaux sont présents, l'acceptation de la monnaie ne
pose plus aucun problème. Leur seule présence conduit chaque agent à accepter la monnaie. Comme tous les agents
agissent de même, les croyances qui ont permis ce choix se trouvent validées : l'acceptation généralisée qu'elle
présupposait se réalise effectivement. » (Orléan, 1991).
Christian Bialès (Bialès, 2001) accrédite les thèses de Michel Aglietta et d’André Orléan, qui fondent cette confiance en
la monnaie sur trois aspects s’imbriquant de manière complémentaire : la confiance méthodique, la confiance
hiérarchique et la confiance éthique.
La confiance méthodique repose sur la sécurité des paiements. La monnaie, exclusive, est garantie comme moyen de
paiement et nous sommes assurés que tout le monde l’accepte. Nous expérimentons cette confiance tous les jours de
manière empirique : la confiance naît de ce qu’un acte de paiement est devenu on ne peut plus routinier. La confiance
hiérarchique est une confiance liée aux institutions : les banques sont chapeautées par une banque centrale, elle-même
constitutionnellement garante de la stabilité financière du pays. En outre, les banques doivent être en conformité aux
exigences légales, et sont surveillées par des institutions ad hoc. Finalement, la confiance éthique repose sur le respect
du cadre imposé par les autorités monétaires, dans l’intérêt général du pays. Cela implique qu’il n’y ait pas d’abus de
leur pouvoir monétaire.
Bruno Théret accrédite, dans ses recherches, ces trois aspects nécessaires de la confiance. Il conclut en citant
l’historien numismate François Thierry : « [d]ans une société où fonctionne un système monétaire fiduciaire, le problème
de la confiance est le problème fondamental » (Théret, 2008/4, p. 817). Mais ces trois aspects ne se suffisent pas à euxmêmes. Pour avoir individuellement confiance en la monnaie, il faut qu’elle soit collectivement acceptée : en d’autres
termes, « [m]oi, j’accepte la monnaie si le tout, l’ensemble des échangistes, accepte la monnaie » (Orléan, 1991)33. C’est
le principe d’autoréférentialité : l’individu agit de manière « égoïste » pour arriver à ses fins ; mais pour qu’il y arrive, il
faut que son comportement soit accepté collectivement, « universellement » et que la monnaie doit être légitimée par
tous. Alexia Fouarge (2010, p. 15) conclut ainsi :
« […] si l’acceptation de la monnaie est le fruit de la société toute entière, mais que cette dernière est composée de la
somme des individus, chacun s’oblige à l’accepter sous le couvert d’une garantie dont il est lui-même l’auteur. La
confiance est donc l’élément principal qui unit la monnaie à la communauté marchande. »
6.2.2 La dette
La monnaie est une dette qui circule. Cette phrase lapidaire résume en quelques mots le fonctionnement de la création
monétaire. Nous l’avons vu plus haut, la masse monétaire d’un pays est régulée par la Banque centrale, via les taux
d’intérêt qui influent sur les crédits auprès des banques commerciales. Les banques commerciales, elles, créent de la
33
C’est le paradoxe de P. Samuelson qu’André Orléan image ici : « la monnaie est acceptée parce qu’elle est acceptée » (Orléan, 1991).
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monnaie scripturale par les crédits. Reprenons notre exemple : A dépose sur son compte CHF 100’000 à la banque X.
La banque garde en réserve CHF 20'000 et prête à B CHF 80'000. L’argent sort donc virtuellement du compte de A.
Lorsque B rembourse son crédit (plus un intérêt), l’argent retourne sur le compte de A, ce qui va permettre d’accorder
de nouveaux crédits. Mais ils ne seront pas à hauteur de CHF 100’000, vu que la banque X doit garder un certain
montant en réserve. Le système se base donc sur des crédits illimités : un franc prêté d’une part est un franc dû d’autre
part. En cas de non-remboursement des emprunts, le système pourrait être fortement troublé. Ce point fait dire à
certaines critiques que le système actuel n’est qu’une gigantesque chaîne de Ponzi34.
La figure ci-après montre l’importance du crédit dans le système actuel. Les entreprises consomment du capital et du
travail pour produire des biens et des services. Les ménages consomment lesdits biens et services et obtiennent un
salaire pour leur travail. Avec leurs revenus, les ménages consomment d’autres biens et épargnent. Cette épargne est
prêtée aux entreprises et aux autres individus. Les entreprises doivent augmenter leurs marges (réduire les coûts ou
augmenter les prix) pour rembourser leur premier crédit, ce qui creuse les inégalités sociales. Cette croissance « infinie »
est alors vivement critiquée. De même, selon ces critiques, l’investissement va souvent où il rapporte le plus, donc fuit
les régions peu dynamiques, les précarisant encore plus.
Cette figure interpelle également si nous imaginons qu’une diminution de crédit devait subvenir : si des banques font
faillite, il en résultera une forte diminution du crédit, donc un déficit de monnaie pour la société.
Figure 9 : La croissance dans l’économie de marché. Source : Jackson.
6.2.3 Le taux d’intérêt
Il existe actuellement trois sortes d’intérêts : l’intérêt négatif, l’intérêt nul et l’intérêt positif.
L’intérêt négatif est le contraire de l’intérêt positif, et a été proposé par Silvio Gesell. Il réfutait la loi de Say35 qui stipulait
qu’il ne pouvait y avoir que des déséquilibres sectoriels et donc passagers entre l’offre et la demande. Jean-Baptiste
Say expliquait qu’il y a un équilibre global entre l’offre et la demande et lesdits déséquilibres sont régulés – naturellement
Une chaîne de Ponzi est une arnaque de type pyramidale, où les gains des individus sont rémunérés par l’argent des nouveaux entrants.
La pyramide s’effondre si les montants des nouveaux participants ne couvrent plus les gains des anciens et si le système est découvert.
35 La loi de Say est aussi appelée loi des débouchés, et elle peut se résumer ainsi : « C’est la production qui ouvre des débouchés aux
produits », « l’achat d’un produit ne peut être fait qu’avec la valeur d’un autre » et « un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à
d’autres produits pour tout le montant de sa valeur ». Elle peut être expliquée « du fait de la division du travail [ :] chaque agent économique
ne produit pas toutes les marchandises et tous les services qui lui sont nécessaires ; mais le type de bien ou de service qu'il produit dépasse
en quantité ses besoins ; il échange le surplus contre des marchandises et des services produits par d'autres [pour autant que ceux-ci soient
désirables : le marché indique qu’un produit est désirable par le profit que sa vente génère.]. J.-B. Say en déduit que plus l'homme atteint
une production excédentaire, plus il peut acquérir les marchandises qu'il ne produit pas et dont il éprouve le besoin. L'offre crée ainsi sa
propre demande. Pour J.-B. Say, une crise générale de surproduction est exclue, puisque la grande masse de la population manque des
produits nécessaires et que si les ressources sont limitées, les besoins potentiels des hommes sont infinis] ; seules des crises partielles de
surproduction risquent de survenir si l'on produit ce qui ne convient pas aux consommateurs. La loi des débouchés justifie la non-intervention
de l'État dans l'activité économique » (Larousse, s.d.). Cette loi sera contredite par Keynes, lui-même contredit par les monétaristes.
34
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– par les prix sur le marché si les biens proposés sont désirables pour le demandeur. Une création de masse monétaire
serait donc néfaste pour l’économie réelle, induisant de l’inflation. Cependant, Silvio Gesell relève une asymétrie entre
les détenteurs de biens et les détenteurs de monnaie : l’offreur veut vendre car l’entrepôt des marchandises coûte cher
et que ces dernières peuvent se détériorer avec le temps ; or rien ne pousse le demandeur (le détenteur de monnaie) à
acheter, du moins si l’épargne ne coûte rien36. Surtout, ils ne dépenseront que si ce qu’ils achètent pourra être revendu
plus cher ou dégage un profit : c’est le cas lors d’un taux d’intérêt positif si l’argent est prêté ou lors d’inflation. Silvio
Gesell a donc l’idée d’un taux d’intérêt négatif (il avançait le chiffre de 1‰ chaque semaine), qui n’est autre qu’une taxe
sur l’épargne et qui décourage la thésaurisation oisive. Cette monnaie fondante37 favoriserait la circulation d’argent, et
créerait donc plus de travail (Clerc & Finckh, 1998).
Dans le cas d’un intérêt nul, l’intérêt n’existe tout simplement pas. Il est peu usité de nos jours, sauf dans certains cas.
Nous y reviendrons dans le chapitre consacré à l’angle religieux de la monnaie fiduciaire (ch. 8.3, p. 33).
Enfin, l’intérêt positif est celui que nous rencontrons habituellement. Il rémunère les intermédiaires financiers comme les
banques, qui prêtent de l’argent. Il s’agit de payer ce service et le risque lié au prêt. Un taux d’intérêt élevé favorise
l’épargne, et permet d’octroyer des crédits à d’autres individus ou d’investir.
Ce taux d’intérêt positif est générateur d’inégalités sociales qui se creusent, puisque l’emprunteur rembourse non
seulement le crédit mais paie en plus un intérêt aux détenteurs de capitaux. L’argent va de ce fait toujours plus à l’argent,
et concentre la monnaie. Margrit Kennedy (2006) avance que le système des intérêts ne profite qu’à ceux qui possèdent
un capital élevé à la base38 : les banques, les assurances, les multinationales, les riches. Et de dire que l’intérêt n’est
pas une charge juste : en Allemagne, 80% des ménages paient le double de ce qu’ils reçoivent39, et 10% de la population
seulement reçoit ce que les autres perdent (Kennedy, 2006, p. 102). Nous voyons cela à une échelle microéconomique,
mais également à une échelle macroéconomique : les pays du Tiers-Monde paient plus d’intérêts que de dettes. Une
faille du système apparaît : les banques ont intérêt à ce que les débiteurs ne remboursent pas leurs dettes, puisqu’ils
continueront de payer des intérêts élevés.
Le taux d’intérêt fait toutefois partie, avec le crédit, de la création de monnaie. Il est nécessaire pour faire circuler la
monnaie par l’épargne et l’investissement, et doit permettre que la monnaie garde sa valeur face à l’inflation. Des
critiques sont à émettre, comme pour les crédits : ce système ne peut fonctionner que si l’on considère que nous sommes
dans une économie « infinie ».
Nous souhaitons enfin donner le point de vue de Frédéric Bastiat sur l’intérêt (Capital et rente, p. 191ss) : les services
s’échangent contre des services (ou les biens s’échangent contre des biens). Or, la monnaie n’est qu’un intermédiaire
pour faciliter cet échange. Comme prêter de la monnaie est un service, il faut bien qu’il y ait une contrepartie : l’intérêt.
Sinon, une des deux parties sera lésée : l’emprunteur jouira d’un capital, tandis que le prêteur subira une perte liée à la
non-jouissance de celui-ci. L’intérêt rétablit donc la mutualité des services (service donné contre service rendu), même
si nous pouvons imaginer qu’il soit remplacé par un coût fixe.
6.3
Design de service
Pour conclure ce chapitre, nous avons élaboré un design de service macroscopique pour la monnaie conventionnelle.
Ce niveau de granularité a été volontairement choisi pour bénéficier d’une vue d’ensemble schématique. La durée du
service de la monnaie est séparée en trois parties : la pré-transaction, la transaction et la post-transaction.
La pré-transaction concerne d’une part la création de masse monétaire par la Banque centrale, dont le fonctionnement
est expliqué au chapitre 6.1, page 16. D’autre part elle concerne le revenu principal de A, à savoir le revenu du travail
(salaire).
La transaction regroupe le crédit obtenu par A auprès d’une banque commerciale (nous avons émis l’hypothèse que cet
individu ne touchait ses revenus que du salaire et du crédit, et avons ignoré pour plus de clarté les revenus de biens
immobiliers, d’assurances sociales, les dividendes, ou d’autres revenus possibles.), la consommation et l’épargne. Avec
ses revenus (salaire et crédit), l’individu A peut consommer ou épargner. En cas de consommation, il achète à un tiers
des biens ou services (loyer, nourriture, habits ou autres). Une fois ses achats effectués, il lui reste une part nonC’est le principe de « trappe à liquidités » de Keynes : on thésaurisera la monnaie si les taux d’intérêt sont si bas que tout placement est
découragé au profit de la thésaurisation (Clerc & Finckh, 1998).
37 Du fait de son taux d’intérêt négatif, une monnaie fondante perd de la valeur : sa valeur « fond » en quelque sorte avec le temps, d’où
cette appellation.
38 Kennedy parle d’actifs d’une valeur minimale de 500'000 euros.
39 Revenus et paiements liés aux intérêts.
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consommée : c’est l’épargne. Il peut choisir soit de la placer sur un compte qui rémunère des intérêts, soit de la garder
dans son porte-monnaie ou chez lui (bas-de-laine). S’il la garde chez lui, il pourra acheter plus tard, et recommencer
ainsi un nouveau cycle de consommation.
La post-transaction signifie le versement de l’intérêt sur l’épargne de l’individu A et/ou le remboursement de la dette, qui
s’éteint. Bien entendu, un nouveau crédit peut être contracté, ce qui n’a pas été indiqué schématiquement à des fins de
clarté. Avec une partie de l’épargne de A, la banque va pouvoir prêter à B, C, et ainsi de suite pour qu’ils consomment
et/ou produisent. Le schéma reprend donc pour B, C, etc. à partir de la phase du crédit.
Les attributs saillants et les risques relevés tout au long de cette première partie sont placés aux différentes étapes et
cités sur le schéma ci-après.
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Figure 10 : Design de service macroscopique pour la monnaie conventionnelle. Élaboration propre.
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Partie II
Des aspects fiduciaires de la monnaie
Cette partie n’a pas la prétention d’être exhaustive et de retracer complètement l’histoire de la monnaie et les courants
philosophiques et religieux associés. En effet, une thèse pourrait être entièrement dédiée à chaque auteur ou courant
cité, ce qui sortirait du cadre du présent travail. Nous souhaitons simplement, par cette partie, vérifier notre hypothèse
et déterminer que la monnaie n’est pas un concept figé et qu’elle a évolué dans le temps, au gré des différents courants.
7.
Angles historique et philosophique
Cette partie traite d’une part d’un angle historique, soit l’histoire de la monnaie de sa création à nos jours, et d’autre part
d’un angle philosophique, soit les écoles de pensée qui entourent la monnaie ainsi que les questions qui en découlent
(qu’est-ce qui crée la richesse, qu’est-ce que la monnaie, etc.). Le contexte jouant un grand rôle et différant selon les
régions, nous aurons une approche exclusivement occidentale. Cette approche nous interdit d’étudier certains aspects
comme les questions ayant trait à l’universalité du fait monétaire (Servet, Théret, & Yildirim, 2008), mais il est nécessaire,
dans ce travail, de nous restreindre pour ne pas perdre de vue notre but principal. Nous ne pourrons pas aborder, non
plus, toutes les écoles de pensée et leurs branches ; nous ne mentionnerons que celles que nous croyons pertinent
d’aborder, parce qu’ayant eu un rapport particulier à la monnaie. Nous le ferons en outre de manière schématique pour
n’aborder que les points de vue des courants sur la valeur et sur la signification de la monnaie. Le lecteur pourra toutefois,
si sa curiosité le lui dicte, se rapporter aux ouvrages des auteurs principaux, mentionnés dans le tableau récapitulatif
(tableau n°15, p. 74).
7.1
La création de la monnaie
L’apparition de la monnaie au sens large est extrêmement difficile à dater. Les anthropologues actuels s’accordent de
plus en plus à dire qu’il n’existe pas de société n’ayant pas connu la monnaie ; même les sociétés dont on pensait
qu’elles ignoraient le fait monétaire – par exemple la société Inca – utilisaient des biens précieux (métaux, feuilles de
coca, etc.). Ainsi, le troc tel qu’il fut longtemps présenté ne serait qu’un mythe : il est communément admis que « [s]eules
les sociétés de chasseurs-cueilleurs qui ne cherchaient pas à maîtriser la nature et ne connaissaient pas de rites
sacrificiels40 seraient sans monnaie » (Théret, 2008, p. 814).
7.1.1 Les proto-monnaies
Il serait maladroit de réduire l’histoire de la monnaie à la seule histoire de la monnaie numéraire. En effet, la monnaie,
sous sa forme primitive (ou proto-monnaie) semble indissociable de l’histoire de l’humanité pour certains auteurs,
puisque, d’après eux, toutes les sociétés ont eu besoin de comptabiliser leurs biens (fonction « unité de compte ») et,
plus tard, de les échanger (fonction « intermédiaire des échanges »). Pour d’autres – dont Adam Smith – c’est la
révolution néolithique41 qui est à l’origine de la création de la monnaie comme moyen d’échange. En effet, les sociétés
plus anciennes étaient des sociétés de chasseurs-cueilleurs qui n’avaient, semble-t-il, pas de rites sacrificiels. Or, le
Néolithique amène entre autres la sédentarisation, l’agriculture et la division du travail (Cauvin & Cauvin, 1990). La
division du travail implique que l’individu se spécialise dans la production d’un bien et, par conséquent, ait des besoins
insatisfaits. S’il produit des biens issus de l’agriculture, il faudra qu’il échange son surplus de production contre de la
viande, ou des outils. Le Néolithique coïncide donc avec l’assertion de Bruno Théret donnée au paragraphe précédent.
La quasi-universalité de la monnaie, d’abord comme unité de compte puis comme moyen d’échange, implique des
formes extrêmement variées d’outils monétaires. Avant d’en donner la nature, il convient d’être prudent sur certains
présupposés. Il ne faut pas imaginer que ces monnaies dites primitives, voire pour certains auteurs « sauvages », sont
en totale rupture avec nos monnaies conventionnelles modernes, même si elles sont « radicalement différentes »
(Hénaff, cité par Servet & al., 2008). En effet, elles fonctionnent toutes « comme unités de compte et moyens de
40
41
À ce sujet, voir la partie III, pp. 37 ss.
Le Néolithique s’étend de -5500 à -1800 av. J.-C. en Occident (Cauvin & Cauvin, 1990).
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paiement, même si la nature de ce qu’elles comptent et de ce qu’elles payent peut être très différente » (Blanc, 2000).
Ainsi,
« [e]lles ont en commun d’être des instruments de quantification, de mise en circulation et de totalisation de ce qui est
reconnu comme valeur dans une société. Elles transforment ici et là des obligations en dettes et des droits en créances.
La monnaie n’a donc pas d’histoire, elle a des histoires multiples s’inscrivant dans des cultures et des trajectoires
temporelles plus ou moins diversifiées, mais qui ont en commun, à un haut niveau d’abstraction, de partager le fait
que la socialité […] y a une forme monétaire première et incontournable, renvoyant à une caractéristique générale de
l’intelligence humaine, sa capacité à manipuler des signes dont les nombres et à les utiliser pour se représenter la
société comme un tout. » (Servet, Théret, & Yildirim, 2008)
Critères de choix pour une monnaie
Le troc, précédant l’usage de la monnaie, posait quelques difficultés. Nous avons vu précédemment le problème de la
double coïncidence des désirs. Mais cela posait également des problèmes d’arbitrage : les arbitragistes jouent avec les
différences de prix dans l’espace géographique42. Par exemple, une vache pouvait être troquée contre deux moutons
en Valais, mais elle pouvait être troquée contre quatre moutons sur le canton de Vaud. Les monnaies marchandes
tendent à nuancer ce problème, mais elles en posent d’autres : l’homogénéité (la marchandise utilisée comme monnaie
n’a pas partout la même qualité donc la même valeur), la divisibilité (il n’est pas possible de diviser certaines monnaies
marchandes, comme les animaux sans perdre de valeur. Combien, donc, payer un bien qui vaut un demi-mouton ?) et
la conservation dans le temps (Praz, 2010). Les monnaies utilisées devaient le plus possible éviter ces problèmes.
Exemples de proto-monnaies
Les monnaies étaient de quatre sortes : humaine (esclaves), agricole (ou de cueillette, comme le bétail, feuilles de coca
ou de tabac, fèves de cacao, etc.), artisanale (tissus et anneaux en Égypte, petites haches en Bretagne, coquillages
décorés, disques de pierre de l’île de Yap, etc.) et naturelle. Les monnaies en matière naturelle sont les plus connues
du grand public puisqu’il s’agit de pierres, de coquillages, de sel43, d’épices diverses, etc. Ces monnaies dites
« naturelles » consistent également en des métaux plus ou moins précieux : l’or et l’argent se sont rapidement imposés.
En effet, ces métaux ont plusieurs avantages : ils sont homogènes et divisibles, ils se conservent très bien dans le temps,
ils sont suffisamment rares pour avoir une valeur importante avec peu de poids (ce qui est pratique pour les manipuler),
et leur abondance est suffisante pour en faire des lingots, puis, plus tard, des pièces frappées (Praz, 2010).
7.1.2 L’apparition de la monnaie métallique
L’apparition de la monnaie numéraire (pièces) est attribuée à la Lydie, royaume situé sur la mer Égée. Il faut savoir que
sur tout le pourtour méditerranéen, les métaux précieux – dont l’or – étaient fortement sacralisés. Selon le dicton
égyptien, l’or est le sang des dieux : il sert d’offrande pour s’attirer les faveurs des divinités et ne circulait donc pas. Peu
à peu, les marchands commencent à payer leurs marchandises avec de petits lingots d’or. Or la Lydie est extrêmement
riche, de par ses ressources minières : le fleuve Pactole regorge d’électrum, un alliage naturel d’or et d’argent. C’est la
dynastie des Mermnades qui est à l’origine de la monnaie, lorsque le roi Gygès (qui régna de 685 à 644 av. J.-C.) décida
d’utiliser non plus les lingots d’or comme paiement44, mais d’utiliser de petits morceaux d’électrum, de poids invariable.
Plus tard, le roi Alyatte II (qui régna de 610 à 561 av. J.-C.), pour, dit-on, satisfaire son égo, frappa des pièces d’électrum
avec son emblème, soit une tête de lion (Castillon, 2014). On put alors échanger ces pièces contre d’autres biens : la
monnaie moderne était née. Cela permit de désacraliser l’or et de se démarquer de la religion. Les pièces étaient alors
frappées à l’effigie des cités dans lesquelles elles avaient cours, pour que la population ait confiance en leur valeur. Le
fils d’Alyatte II, Crésus (qui régna de 561 à 547 av. J.-C.), est connu, outre pour ses richesses incommensurables, pour
avoir mis sur pied un système bimétallique, rendu techniquement possible par la découverte d’un procédé permettant
de séparer l’or et l’argent de l’électrum (Castillon, 2014).
Au IIIème siècle av. J.-C., les Romains frappaient leurs pièces au Capitole, près du temple de Junon Moneta. Le terme
« monnaie » apparaîtra peu après, découlant du nom de ce temple (moneta, du latin « celle qui donne l’alerte ») (Praz,
2010). Les Romains connaîtront alors une large période trimétallique, alliant or, argent et bronze.
À ne pas confondre avec les spéculateurs, qui jouent avec les différences de prix dans le temps.
Le sel (en latin sal) est à la base du mot « salaire » (en latin salarium). Le salarium désignait la ration de sel – puis l’indemnité pour la
nourriture – versée aux légionnaires romains (Historia, 2013). Notons aussi que « pécule » vient du latin pecus, « petit bétail ».
44 Des morceaux d’électrum – soit des lingots – étaient en effet utilisés par les marchands, qui ne tardèrent pas à les marquer de leur sceau
respectif. Les lingots comportant la marque d’un marchand reconnu remportaient la confiance des utilisateurs (Selgin & White, 1985).
42
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7.2
L’Antiquité classique : une vision aristotélicienne45
Très tôt, les penseurs ont réfléchi à l’économie et à ce qu’elle était. L’économie était perçue comme « l’art de gouverner
sa maison ou celle d’un autre » (Xénophon, s.d.) ; mais cette science seule ne suffit pas pour être un « bon père de
famille ». Pour lui, la richesse semble se trouver dans les choses de la terre et dans l’agriculture ; ses écrits sont en effet
largement consacrés à la gestion d’exploitations agricoles et aux éléments associés, comme les esclaves.
L’argent était vu de différente manière selon ses buts. Ainsi, on parlait d’économie quand la monnaie n’était considérée
que comme un moyen de circulation ; on parlait de chrématistique quand on considérait l’argent comme un moyen
d’accumulation des richesses (Vadée, 2000). Si l’économie (du grec oïkos, « maison ») est l’art de gérer sa maison –
donc son patrimoine, la chrématistique (du grec chrèmata, « richesse ») est donc l’art d’accumuler les richesses. Aristote
distingue fort bien les deux notions : « [o]n peut se demander si l'art d'acquérir la richesse est identique à l'art
économique, ou s'il en est une partie ou l'auxiliaire. […] On voit clairement que l'économique n'est pas identique à la
chrématistique » (Aristote, La politique, pp. I, 8-9, 1256a 3-5).
Mais Aristote distingue deux types de chrématistiques (Potier, 2007). Il y a tout d’abord la chrématistique naturelle –
branche de l’économique – qui consiste à obtenir les moyens de subsistance nécessaires au bien-être et à la
consommation de la famille. Vu que l’autosuffisance est difficile à maintenir pour chacun, Aristote admet que les familles
ont intérêt à échanger et commercer : la monnaie sert donc de moyen d’échange, mais il ne saurait y avoir de profit.
L’autre chrématistique est dite « chrématistique commerciale », où le but est l’enrichissement illimité, atteint grâce au
commerce. Pour Aristote cette accumulation est contre-nature ; de fait il condamne également le prêt à intérêt, puisque
« la monnaie a été inventée en vue de l’échange, tandis que l’intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-même »
(Aristote, La politique, pp. 65-66). Jean-Pierre Potier (2007) indique justement que pour Aristote « l’argent ne doit pas
faire de petits ». Et d’ajouter que tokos, en grec, « désigne aussi bien l’intérêt que l’enfant ».
Ainsi donc, le discours d’Aristote met en évidence les dangers de la monnaie. Dans Éthique à Nicomaque, il appuie les
fonctions d’unité de compte et de réserve de valeur de la monnaie ; dans Politique il met en avant la fonction de moyen
d’échange : mais la possibilité d’accumuler la monnaie de manière illimitée peut être, selon lui, un déclencheur de
désordre dans la Cité.
7.3
Du XVème au XVIIIème siècle : mercantilisme et monnaie-papier
Le courant mercantiliste va de pair avec l’accroissement du commerce : la découverte de l’Amérique ainsi que de la
route des Indes permet des échanges extérieurs qui engendrent de grandes richesses. Pour ce courant, l’accumulation
de ces métaux précieux par l’État constitue la richesse d’une nation, et est à la base de son prestige. Le but est donc de
l’accroître par le biais du commerce extérieur, ce qui, dans la vision de l’époque, se fait forcément aux dépens des autres
nations, le mercantilisme stipulant en effet que l’économie est un jeu à somme nulle (Maillet, 1990).
L’État espagnol, désireux d’augmenter sa puissance, c’est-à-dire sa richesse, donc ses stocks de métaux précieux, va
empêcher que l’or ne sorte du pays : l’or ainsi thésaurisé ne cessait de croître, menant à une inflation générale. Ladite
inflation bénéficiait aux importations, qu’il fallait payer en or. L’Espagne mit donc en place des mesures protectionnistes
pour éviter la fuite des réserves d’or.
L’inflation et ces mesures de protection menèrent à un appauvrissement du pays et à des disettes : toute l’activité tournait
autour de l’or en provenance de l’Amérique du Sud, au détriment de l’agriculture et de l’industrie (PH Ludwigsburg, s.d.).
L’erreur fut de traiter l’or différemment des autres marchandises : sa rareté est en effet constitutive de sa valeur et son
prix est déterminé par le marché. En d’autres termes, les stocks ne font pas la richesse d’une économie, ce sont les flux
qui la font. De plus, l’économie n’est pas un jeu à somme nulle où l’accumulation doit se faire au détriment d’un autre ;
au contraire, les exportateurs et les importateurs gagnent tous deux lors des échanges, comme l’ont démontré plus tard
Adam Smith et David Ricardo (Université Omar Bongo, 2010).
L’important afflux de métaux précieux d’Amérique implique une forte inflation46. Ce lien a été démontré par Jean Bodin,
précurseur de la théorie quantitative de la monnaie. La quantité de monnaie en circulation a une incidence directe sur le
pouvoir d’achat : quand la monnaie est trop abondante, elle se déprécie, et s’il y a plus de monnaie que ce que l’activité
économique nécessite, les prix augmentent (PH Ludwigsburg, s.d.).
Du VIIème siècle av. J.-C au IVème siècle ap. J.-C.
C’est exactement le contraire du Moyen-Âge, où une pénurie de la monnaie est survenue : le troc était redevenu chose courante, et les
pièces frappées contenaient moins d’or mais avaient une même valeur faciale. Les gens cherchaient donc à s’en débarrasser : ils utilisaient
la « mauvaise » monnaie et thésaurisaient la « bonne ». Ce phénomène est expliqué par Thomas Gresham (XVIème siècle) : « la mauvaise
monnaie chasse la bonne ». L’utilisation du mot « argent » dans le langage courant vient probablement de ce que l’argent était plus présent
que l’or dans les pièces sous Charlemagne.
45
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Pour favoriser l’activité économique française, Jean-Baptiste Colbert – entre autres contrôleur général des finances et
principal ministre de Louis XIV – poussera le mercantilisme jusqu’à ses limites. Colbert savait la nécessité d’échanger
pour faire venir l’argent dans le pays : pour lui, la quantité d’argent ou d’or qui circule en Europe est toujours égale, sauf,
périodiquement quand elle est augmentée par les métaux précieux venus des Indes. Ainsi, « [il] est certain que pour
augmenter les 150 millions qui roulent dans le public de 20, 30 et 50 millions, il faut bien qu’on le prenne aux États
voisins […] et qu’il n’y a que le commerce seul, et tout ce qui en dépend, qui puisse produire ce grand effet » (Imbert,
1990). Il convient donc d’attirer les métaux à l’intérieur du pays et de les conserver. Il va ainsi développer le mercantilisme
à la française – qui deviendra le colbertisme - en définissant une politique commerciale et industrielle dirigiste,
protectionniste et interventionniste. Il s’agissait donc au niveau commercial d’imposer des droits de douane maximaux
pour les importations qui ne servaient pas directement les manufactures du royaume, de diminuer les droits
d’exportations, de créer des compagnies spécifiques aux différentes branches pour commercer avec le monde et
d’exploiter le potentiel des colonies tout en n’oubliant pas de les peupler. Au niveau industriel, Colbert devait développer
l’industrie pour éviter d’importer de l’étranger : cela passe par l’établissement de manufactures d’État, l’organisation de
monopoles, l’octroi de subventions et de privilèges, et une stricte règlementation des manufactures (Imbert, 1990). Sous
son activité, l’État sera omniprésent et interviendra dans de nombreux domaines : l’économie bien sûr, mais aussi la
culture par la création de diverses académies (Herodote.net, 2010).
Au milieu du XVIIème siècle, plusieurs éléments concourent à l’avènement de la monnaie papier. Des questions de
praticité étaient évidentes : voyager avec son or ou ses bijoux était potentiellement dangereux. Une solution émergea
alors : déposer les pièces en or chez les joailliers contre une quittance, appelée « billet représentatif » et contre une
somme modique (Praz, 2010). Le joailler n’était qu’une sorte de consigne où les biens se trouvaient en sécurité : le billet
représentatif indiquait la nature des biens déposés. L’artisanat a donc joué un rôle crucial dans l’histoire moderne de la
monnaie.
L’activité devint rentable et les joailliers ne mentionnèrent bientôt plus que la valeur des biens détenus sur le billet, et
non plus la nature de ceux-ci. Les billets deviennent au porteur (toute personne qui le détient peut l’encaisser, ce qui
implique l’anonymat du détenteur), et ont une valeur « ronde » : cela permet aux individus de l’utiliser comme moyen de
paiement. L’individu A remet un billet comme paiement à l’individu B, qui peut lui-même l’utiliser pour payer l’individu C
ou demander les espèces en or correspondantes. On parle alors de « billet convertible » (Praz, 2010).
Bientôt, ces joaillers, devenus des banques de dépôt, constatèrent que les gens, ayant confiance, ne retiraient jamais
tous en même temps leur or. Il était donc possible de prêter une partie des avoirs détenus à d’autres personnes, vu que
les orfèvres n’avaient pas besoin d’avoir une couverture complète : ils vont remettre ces billets convertibles non
seulement contre un dépôt d’or, mais également en échange d’une créance (Praz, 2010). Les dérives du papier furent
cependant catastrophiques : l’Europe nous donne deux exemples flagrants avec le système de John Law et celui des
assignats.
7.4
Du XVIIIème au XIXème siècle : les physiocrates et les classiques
À l’échec du mercantilisme succède le courant de la physiocratie47 qui est considéré, par certains, comme la « première
manifestation de la pensée scientifique libérale » (Poitrineau, 1990). Ce courant se veut être une science qui regroupe
les hommes et les choses : il y a la volonté de dépasser les concepts politiques et économiques partisans pour arriver
à une science dite « naturelle », plus vraie et plus à même d’expliquer les choses (Rosanvallon, 1999). La physiocratie
se base sur trois idées fondamentales (Larousse, s.d.) : (1) Le droit naturel est à la base de toute chose : il est absolu
et universel. Le gouvernement doit s’employer à les faire respecter, soit à garantir la propriété (qui est d’ordre divin) et
la liberté, deux notions au centre du droit naturel. (2) La liberté du commerce (libre jeu des initiatives individuelles) est
un principe de politique économique fondamental48. (3) La richesse provient du travail et la seule activité productive est
le travail de la terre, soit l’agriculture.
Les physiocrates considéraient ainsi trois classes dans la société, qui faisaient office d’agents économiques : la classe
des paysans et agriculteurs, la classe des propriétaires fonciers et la classe des marchands et des industriels, appelée
classe stérile. Partant de l’idée que seule la terre est créatrice et productive (elle offre un produit net, qui est la seule
vraie richesse), la seule classe productive est celle des paysans, de concert avec celle des propriétaires : l’industrie est
Étymologiquement « gouvernement de la nature ».
Cette philosophie est en rupture avec le mercantilisme. Alors que le mercantilisme voyait la richesse d’un pays dans l’accumulation de
métal précieux du seul État, les physiocrates conçoivent la richesse d’un pays au travers de la richesse des habitants qui le composent. La
logique libérale est reprise par la fameuse formule : « laissez faire [les hommes], laissez passer [les marchandises] » (Murphy & Bertrand,
1986).
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stérile car elle ne fait que de transformer et d’échanger les produits issus de la terre (Poitrineau, 1990). La monnaie ne
sert donc qu’à échanger et doit circuler le plus rapidement possible.
À la croisée du mercantilisme et de la physiocratie, le mouvement des classiques voit le jour avec Adam Smith, considéré
comme le père de l’économie moderne. Dans La richesse des Nations, Adam Smith étudie le mécanisme de la
croissance, ainsi que diverses notions. Ainsi il définit les facteurs de production travail (rémunéré par un salaire, sa
spécialisation engendre un accroissement de la productivité), sol (dont le propriétaire reçoit une rente) et capital (qui
produit un profit et naît de l’épargne, donc du revenu des individus). Ainsi, « le montant du produit est fonction de la
quantité et de la qualité du travail mis en œuvre par le capital, que le coût de production d’un bien est formé de salaires,
de profit et de rente […] ; la richesse se définit comme une puissance d’achat ; l’utilité d’un objet est sa valeur d’usage,
et son pouvoir d’acheter, sa valeur d’échange » (Wolff, 1990). Adam Smith nie par conséquent les thèses des
mercantilistes – la thésaurisation d’or et d’argent ne constitue pas la vraie richesse et les restrictions commerciales
créent des distorsions et une mauvaise répartition du capital – (Wolff, 1990) et des physiocrates – la terre ne crée pas
de valeur elle-même (Darmangeat, Les théories de la valeur, s.d.).
Politiquement, Adam Smith et les classiques revendiquent deux principes. Premièrement, ils plaident pour le laissezfaire : les individus doivent être libres d’agir selon leur propre intérêt, ce qui mènera inévitablement à la poursuite de
l’intérêt général. C’est là l’une des plus grandes intuitions d’Adam Smith, en rupture avec le courant mercantiliste :
l’économie n’est pas un jeu à somme nulle. Ainsi, en suivant leur propre intérêt, les différents agents peuvent tous retirer
un bénéfice de l’échange49. Puis, la taille de l’État doit être réduite au minimum, ses interventions doivent se limiter aux
tâches régaliennes50 et les impôts doivent être diminués en conséquence, pour laisser plus de moyens aux individus
(Wolff, 1990).
Pour les classiques, la monnaie est surtout un moyen d’échange, sans valeur réelle. Pour Jean-Baptiste Say et sa loi
des débouchés51, un produit sera échangé contre un autre produit et la monnaie ne fait que faciliter ce passage. La
monnaie, on le voit, n’a que peu d’importance (Desmedt, 2008/1) ; les modèles des classiques et, plus tard, des
néoclassiques sont d’ailleurs pour la plupart réels, ce qui signifie que la monnaie n’est pas représentée. Ainsi, et vu
qu’une hausse de la quantité de monnaie n’a pas d’effet sur la production, la « monnaie n’est qu’un voile » jeté sur
l’économie. Malgré cela, la monnaie n’est pas totalement considérée comme neutre, du moins sur le court terme. Si
l’économie réelle s’adapte sur le long terme à la quantité de monnaie disponible, l’inflation ou la déflation (donc la
variation de la valeur de la monnaie, voire la variation de la quantité de la monnaie) n’est pas homogène et se répand
progressivement, secteur par secteur à toute l’économie (Vodarevski, 2011). Les prix sont conséquemment distordus et
impliquent des comportements faussés de la part des individus ou des entreprises : c’est l’effet Cantillon – qui stipule
l’hétérogénéité de l’injection de monnaie et les troubles qui en découlent, encore vérifié de nos jours52.
7.5
Les modèles du XIX-XXème siècle
Suite aux classiques, les XIXème et XXème siècles furent extrêmement féconds en matière de courants de pensée
économique. Les courants donnèrent eux-mêmes naissance à d’autres branches, voire à d’autres courants puissants.
C’est le cas avec l’école classique, qui donna vie à deux courants : l’école néoclassique et l’école marxiste, ces deux
écoles donnant à leur tour plusieurs courants. Nous n’allons pas aborder toutes ces pensées, puisqu’elles n’ont pas
toutes un intérêt direct pour notre travail.
Le marxisme est hérité de l’école classique, puisqu’il s’appuie sur la théorie de la valeur-travail53, ou encore sur le
concept des classes. Pour comprendre ce qu’est la monnaie pour le marxisme, deux éléments nous semblent
nécessaires : la lutte des classes et la notion de valeur.
Le concept des classes sociales existe en effet depuis les classiques ; elles sont généralement divisées en trois, selon
la provenance des revenus de ceux qui les occupent : les rentes pour les propriétaires, le profit pour les industriels et le
Ceci contredit les thèses des courants précédents, pour lesquelles l’on s’enrichit forcément aux dépens des autres. Ce principe, qui est
celui de la main invisible, est brillamment expliqué par Leonard Read et son exemple : « moi, le crayon » (Read, 1958).
50 Pour Adam Smith, les tâches régaliennes sont l’armée, la justice et les infrastructures ayant une utilité publique que les individus ne
peuvent raisonnablement financer, comme les institutions d’enseignement (Wolff, 1990).
51 Voir note de bas de page 34, p. 19.
52 Vladimir Vodarevski explique la pertinence de ce principe en expliquant, avec l’effet Cantillon, la crise des subprimes.
53 Pour les classiques comme pour les marxistes, la valeur d’un bien ou d’un service est déterminée par le travail. Pour Adam Smith, le
travail est à la base de la richesse des nations : la valeur d’un bien est fonction de la quantité de travail qu’il peut acheter ; pour David Ricardo
la valeur d’un bien est fonction de la quantité de travail que sa fabrication a, directement ou indirectement, demandé.
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salaire pour les travailleurs. Mais Marx introduit la notion de lutte dès l’incipit du Manifeste du Parti Communiste :
« [l]’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes », et la société « se divise de plus en
plus en deux vaste (sic) camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le
prolétariat » (Marx & Engels, 1848, pp. 20-21). L’accumulation de richesses par la bourgeoisie est possible grâce au
capital, lui-même rendu possible par le prolétariat. Karl Marx écrira que l’existence des classes est liée au développement
de la production, que « la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat » et que cette dictature
n’est qu’une phase de transition vers une société sans classes (Balibar & Macherey, 1990). Il peut être intéressant
d’effectuer un rapprochement entre Marx et Aristote : tous deux ont des vues similaires sur les rapports sociaux et les
rapports de servitude, tous deux condamnent l’accumulation d’argent et l’usure dans une certaine mesure, et tous deux
ont une certaine vision de la valeur-travail54 (Vadée, 2000, pp. 326-335).
Nous avons vu ce qu’était la notion de valeur-travail pour les classiques. Marx critiquera ce terme de « valeur-travail »,
puisque le travail est, pour lui, à l’origine-même de la valeur des biens. Or pour les classiques le travail est un bien
comme un autre : la valeur d’un bien est liée, donc, à un salaire et à un profit (Balibar & Macherey, 1990, p. 654). Le
salaire est, pour Marx, le prix du louage de la force de travail des travailleurs : c’est là que commence l’exploitation.
L’industriel, en ne payant que cette location, prive le prolétaire de la plus-value engendrée par la mise en branle de leur
force de travail. Cela contraint « le travailleur à dépenser sa force de travail au-delà des nécessités de sa propre
reproduction, du fait qu’il ne dispose pas lui-même des moyens de production nécessaires » : c’est le sur-travail (Balibar
& Macherey, 1990, p. 652)55.
La vision aristotélicienne qu’a Marx du travail (le travail fait partie de l’homme, il fait partie de son être) lui fait dire que la
monnaie, puisqu’elle tend à se substituer aux relations humaines (achat du travail, monnaie comme médiation entre les
hommes56), est un moyen d’oppression et d’avilissement de la classe prolétaire par la classe bourgeoise par le
truchement des salaires tronqués de leur plus-value ; de même la morale est annihilée par la monnaie, puisqu’elle permet
d’acheter du travail humain – qui n’est qu’une marchandise, donc des hommes, comme Marx l’indique, cité par Balibar
& Macherey (1990, p. 653) :
« Au point de vue social, la classe ouvrière est donc, comme tout autre instrument de travail, une appartenance du capital dont le
procès de reproduction implique, dans certaines limites, même la consommation individuelle des travailleurs […]. Une chaîne
retenait l’esclave romain, ce sont des fils invisibles qui rivent le salarié à son propriétaire. Seulement ce propriétaire, ce n’est pas le
capitaliste individuel, mais la classe capitaliste ».
Pour éviter un tel asservissement, le marxisme préconise que l’outil de production (le capital) doit être détenu par les
travailleurs, ce qui mènera à une économie planifiée. Nous voyons donc poindre toute une série de mesures générales
pour parvenir à cet objectif : interdiction de la propriété foncière et « affectation de la rente foncière aux dépenses de
l’État » ; « impôt lourd progressif », « abolition de l’héritage » puisqu’intimement lié à la propriété privée ; « confiscation
des biens de tous les émigrés et rebelles » ; « centralisation du crédit entre les mains de l’État », ce qui se fera par le
truchement d’une Banque nationale étatisée ; « multiplication des manufactures nationales et des instruments de
production […] d’après un plan d’ensemble » ; « organisation d’armées industrielles » ayant pour but de rendre le travail
obligatoire pour tous « particulièrement pour l’agriculture » ; faire « disparaître la distinction entre la ville et la campagne »
en combinant le travail agricole et le travail industriel ; « éducation publique et gratuite pour tous les enfants » et
« abolition du travail des enfants dans les fabriques » (Marx & Engels, 1848, pp. 45-47). Notons toutefois que ces points
ne constituent pas un programme clé en mains pour le passage du capitalisme au communisme : Marx, qui a beaucoup
étudié et écrit sur le capitalisme, pensait que ce système allait s’effondrer de lui-même et, s’il s’est employé à produire
une critique peu ou prou pertinente du système capitaliste et à élargir la vision qu’en avaient les gens, il n’a pas dessiné
les contours concrets d’une république socialiste – ou de ce qui pouvait émerger après la chute supposée du capitalisme :
cette absence de concrétude a sans doute permis de mener aux dérives de l’Histoire que nous connaissons.
À la deuxième moitié du XIXème siècle, Jevons, Menger et Walras sont à la base de la « révolution marginaliste ». En
totale rupture avec la théorie de la valeur-travail des classiques et de Marx, les marginalistes affirment que c’est l’utilité
qui explique la valeur. De même, les marginalistes remettent la demande au centre des préoccupations (Etner, 2004/5).
Plusieurs thèses sont avancées pour expliquer le succès des marginalistes : le progrès des connaissances (les
économistes auraient préféré ce courant à l’ancienne école classique puisque plus complet, plus réaliste et plus vrai),
les explications historico-matérialistes (nouvelles conditions de la lutte des classes, volonté d’avoir une loi économique
Aristote aurait donc une vision un peu différente de son époque, puisqu’il semblerait que l’Antiquité n’ait pas valorisé le travail, allant
jusqu’à le mépriser (Bastiat, Baccalauréat et socialisme, p. 262).
55 Nous pouvons résumer ainsi : valeur d’un bien = valeur des moyens de production consommés (matières premières, outils…) + valeur du
travail payé (salaire) + plus-value subtilisée au travailleur par le propriétaire (Balibar & Macherey, 1990).
56 Nous avions vu, dans le chapitre 3.2 (pp. 10 à 12), qu’une fonction de la monnaie était la cohésion sociale par le biais d’une médiation
entre les individus. C’est cette médiation par l’argent que conspue ici Karl Marx.
54
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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qui soit plus universelle et atemporelle – pour s’affranchir de l’école historique – afin d’éviter la propagation du marxisme,
passage d’un capitalisme industriel à un capitalisme financier qui place le consommateur comme agent principal) et les
explications historico-philosophiques (l’explication de la valeur par l’utilité, subjective, est en phase avec l’utilitarisme de
l’époque) (Etner, 2004/5).
La demande étant au centre, c’est l’importance subjective que les acheteurs donnent à un bien qui explique sa valeur
(soit son utilité). Cette utilité était de deux sortes : utilité générale (aptitude des gens à reconnaître qu’un bien
corresponde à leurs désirs) et utilité subjective (importance qu’un individu accorde à un bien disponible en quantité
limitée). Il y a donc deux sortes de biens selon Menger : les biens économiques (les biens en quantité limitée, comme
un verre d’eau au milieu du désert) et les biens libres, qui n’ont qu’une utilité générale (eau d’une source) (Benetti, 1990).
L’utilité d’un bien est donc l’importance attribuée à ce même bien.
Quant à la monnaie, si elle semble être plutôt neutre, les marginalistes lui étendent le principe d’utilité, ce qui implique
une valeur subjective de la monnaie (Lelarte, 1964). La valeur subjective de la monnaie comme moyen d’échange est
« la valeur subjective des biens qu’elle permet d’acheter » (Lelarte, 1964, p. 131), mais il ne saurait y avoir une évaluation
de la monnaie-même. Les marginalistes semblent conclure, en effet, que ce n’est pas la monnaie elle-même qui est
jugée pour son utilité, mais le revenu : « la valeur de chaque unité monétaire pour tout individu dépend donc de l’intensité
du besoin que, par l’échange, la dernière unité de revenu lui permet de satisfaire », ce qui n’est pas mesurable mais
seulement hiérarchisable (Lelarte, 1964, p. 131). La valeur objective de la monnaie, elle, permet « à la monnaie de
remplir une fonction et […] lui confère une utilité » (Lelarte, 1964, p. 132). La valeur subjective de la monnaie a pris le
pas sur l’ancienne conception d’une valeur objective (les physiocrates avec la terre, les classiques avec la valeur-travail),
ce qui a marqué un changement de paradigme important de la conception de l’économie.
Trois écoles vont émerger du marginalisme : l’École de Lausanne et l’École de Cambridge (qui vont aboutir à l’École
néoclassique) et l’École autrichienne.
L’École néoclassique, née donc du marginalisme, comporte plusieurs branches, dont il serait ici superflu d’en donner
tous les tenants et aboutissants. De manière générale, les néoclassiques tentent une approche pragmatique et
rationnelle. Un des courants est d’ailleurs celui de l’École de Lausanne (Walras), qui, bien que se basant quelque peu
sur l’empirisme, construira des modèles abstraits qui tenteront de « scientifiser » l’économie : des critiques s’élevèrent
alors pour dénoncer que « ces auteurs cessent d’être des économistes pour n’être plus que des mathématiciens »
(Bridel, 2010). Le néoclassicisme s’emploie à étudier le marché et le consommateur ; de là découlent plusieurs points
fondamentaux : par exemple, l’entreprise, au contraire des classiques, n’est plus centrale dans les modèles, mais elle
est un agent économique comme les autres (Eymard-Duvernay, 2004). Les théoriciens du néoclassicisme fondent
également leur théorie de la valeur sur l’utilité. Mais la conception d’utilité va plus loin que celle des marginalistes (du
moins pour certains de leurs courants) : elle généralise le concept d’utilité marginale, qui est « l’utilité retirée de la
dernière unité acquise et consommée, […] qui est de moins en moins forte (et éventuellement négative après le seuil de
satiété » (Garello, 2012). Le concept d’utilité marginale résout, allié avec celui de rareté, le paradoxe du diamant et du
verre d’eau posé par les classiques : pourquoi le diamant – a priori inutile – vaut si cher, alors que l’eau – pourtant
indispensable – ne coûte rien ? Tout d’abord, indiquons qu’un diamant (ou que tout autre bien similaire) n’est pas inutile ;
rappelons les écrits de Dupuit :
« L’utilité, c’est la propriété de satisfaire un besoin, réel ou factice, permanent ou passager, physique ou intellectuel,
peu importe. D’où vient la valeur du diamant ? De l’intensité et de la vivacité du besoin que le diamant satisfait. Il est
une marque de distinction, un signe de richesse, un moyen d’embellissement. Le diamant a une valeur en échange
proportionnée au service qu’il est censé rendre à la personne qui le possède, c’est à dire à la valeur en usage. »
(Diemer, 2001)
Sur le marché ce n’est pas l’utilité même du verre d’eau ou du diamant qui est débattue, mais c’est bien l’utilité de la
dernière unité de verre d’eau ou de diamant consommée : or, un deuxième diamant aura sans doute plus d’utilité (donc
de valeur) qu’un centième verre d’eau (Darmangeat, s.d.). Cette théorie implique un optimum de satisfaction pour le
consommateur qui correspond à une répartition subjectivement optimale de ses dépenses. Cet optimum ne peut être
atteint que dans un marché concurrentiel parfait, ce qui amène les individus à adopter un comportement rationnel pour
qu’ils consomment ce qui leur procure la plus grande utilité marginale. C’est ce comportement rationnel poussé à
l’extrême, ainsi que la mathématisation de l’économie pour en faire une science pure qui sera à la base de plusieurs
critiques.
Si les néoclassiques se sont beaucoup penchés sur la question de la valeur, il n’en va pas de même de la monnaie.
Comme nous l’avions dit plus haut, la plupart des modèles néoclassiques sont réels (sans monnaie) : c’est la
mathématisation abstraite de l’économie voulue par ce courant. La monnaie n’influe ainsi que peu l’économie. De plus,
si l’on en injecte, elle se répand partout – dans tous les secteurs – de la même manière : elle est donc relativement
neutre.
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Le néoclassicisme perdurera jusqu’à la crise des années 1930, où le keynésianisme prendra son essor. Dans son
ouvrage fondateur, The general theory of employment, interest and money, John Maynard Keynes écrira qu’aucun
mécanisme naturel ne mène au plein emploi. Ainsi une économie peut être en croissance même en subissant un haut
taux de chômage. Vu que le plein emploi n’est pas possible naturellement – ce à quoi l’époque troublée semblait donner
raison – il faut une intervention extérieure, donc une intervention étatique. Keynes – père de la macroéconomie – réfute
que la monnaie est neutre : elle engendre des conséquences sur l’économie et l’État ne doit pas « faire un peu mieux
ou un peu plus mal ce que les individus font déjà, mais […] faire ce qui actuellement n’est pas fait du tout » (Dostaler &
Vignolles, 2009/3). Ainsi, l’État peut baisser les impôts, relever les minimas sociaux (prestations sociales, salaire
minimal, etc.) et baisser les taux d’intérêts : pour Keynes il faut donc intervenir sur la demande, de manière anticyclique,
contredisant ainsi Say et les classiques.
Alan Blinder (2008) relève trois points économiques importants, tout en indiquant que les différentes mouvances
keynésiennes ne sont pas toutes en accord avec ceux-ci : la demande ne réagit pas toujours de manière cohérente ; les
variations de la demande ont un effet plus prononcé sur l’emploi et sur la production que sur les prix à court-terme ; les
prix (y compris les salaires, qui sont le prix du travail) réagissent lentement au marché, ce qui produit régulièrement des
surplus ou des pénuries.
L’intervention étatique permet d’agir sur le court-terme, point important pour Keynes57. Pour les adversaires du
keynésianisme, ne pas se pencher sur le long terme est une erreur. De plus, certaines critiques pointent que Keynes
trompe son monde en confondant épargne et thésaurisation, et arguent que l’intervention de l’État crée des distorsions
sur les marchés, induisant en erreur les agents économiques.
En réponse à Keynes, le monétarisme est revenu sur le devant de la scène à partir de la deuxième moitié du XXème
siècle grâce à, notamment, Milton Friedman (École de Chicago), qui reprend la théorie quantitative de la monnaie.
Friedman part en effet du principe que l’État doit moins dépenser et émettre moins de monnaie s’il veut combattre
l’inflation, due à un surplus de monnaie. Pour Friedman, l’augmentation de la masse monétaire doit être régulière et
constante (le chiffre de 3% est souvent avancé) puisque la demande de monnaie (donc sa vitesse de circulation) est
stable (Simonnot & Le Lien, 2013) : ce principe d’augmentation monétaire devrait même être inscrite dans la Constitution.
Les Banques centrales doivent donc injecter de la liquidité ; c’est ce qu’a fait, plus proche de nous, la FED lors de la
crise des subprimes.
Les critiques tendent à traiter Friedman de keynésien sur les questions monétaires : la banque centrale doit injecter des
liquidités pour aider l’économie ; ainsi, s’il est très libertaire (liberté individuelle, libre marché, etc.), Friedman n’en
demeure pas moins qu’il l’est beaucoup moins pour ce qui concerne les questions monétaires (Masse, 2012). Ces
critiques viennent principalement de l’École autrichienne, pour qui le rôle de la Banque centrale est abusif (création
monétaire ex nihilo)58. Friedrich von Hayek, par exemple, condamne fermement toute politique économique visant à
intervenir sur les marchés, ce qui comprend évidemment l’injection de monnaie dans l’économie (Encyclopaedia
Universalis, 1990). Des critiques actuelles se font d’ailleurs virulentes contre cette politique. Ainsi, Ben Bernanke, alors
à la tête de la FED, décida – bien que d’obédience keynésienne – d’injecter des liquidités pour rassurer les marchés et
combattre la déflation, ce qui fut préconisé par Friedman : ces mesures, ignorant l’effet Cantillon, lui valurent le surnom
d’ « Helicopter Ben » (Bernanke, 2002)59.
Les auteurs autrichiens considèrent que la monnaie n’est pas neutre et que tout interventionnisme (y compris la création
de monnaie) est dangereux et perturbe le système. La monnaie doit être considérée comme une « marchandise utile »
et donc s’échanger comme telle sur le marché, pour cesser d’être un produit de l’État (Paul, 1984, p. 13). Pour éviter les
crises induites par les politiques économiques des Banques centrales, les Autrichiens recommandent, en sus des taux
de change flottants soit un retour à l’étalon-or, soit un retour au free-banking.
Concernant la nature de la valeur dans la vision de l’École autrichienne, elle trouve sa source dans « l’utilité-préférence ».
Ces économistes considèrent en effet que « les utilités individuelles ne sont ni comparables, ni susceptibles de mesure.
L’utilité est ordinale et non cardinale » (Benetti, 1990, p. 538). C’est la signification du mot préférence : on considère
l’utilité comme une grandeur hiérarchisable, mais non quantifiable. Cette évolution sur le concept d’utilité vaut parfois à
ces auteurs d’être appelés « néo-marginalistes ». Ainsi, vu que toute marchandise puise sa valeur dans l’utilité marginale
Il répétait à ses détracteurs dénonçant ces bricolages court-termistes et leur inefficacité à long terme : « In the long run, we are all dead »
(À long terme, nous sommes tous morts.) (Blinder, 2008).
58 Friedman plaidait pour une monnaie nationale et excluait donc les monnaies privées, au contraire de certains économistes de l’École
autrichienne, désireux de supprimer la Banque centrale et de voir émerger des systèmes basés sur l’or ou les monnaies privées.
59 Selon les néoclassiques ou les monétaristes, l’injection de liquidités se fait uniformément dans tous les secteurs puisqu’ils considèrent
que la vitesse de circulation de la monnaie est homogène : de manière imagée, l’argent se répand partout comme s’il était largué d’un
hélicoptère.
57
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– subjective – la monnaie n’est pas en reste : elle doit avoir une « qualité » et le consommateur doit pouvoir être amené
à avoir confiance en elle (Paul, 1984, p. 14). Entre les Autrichiens, défenseurs de la théorie subjective de la valeur, et
les monétaristes, qui la rejettent, les dissensions sont nombreuses :
« Par sa nature elle-même, un décret gouvernemental ne peut pas créer quoi que ce soit qui n’ait déjà été créé. Seuls
les inflationnistes naïfs peuvent croire que l’État peut enrichir l’humanité par la monnaie de papier. L’État ne peut pas
créer quoi que ce soit ; ses ordres ne peuvent même pas retirer quoi que ce soit du monde de la réalité, mais ils
peuvent le retirer du monde des possibles. L’État ne peut pas rendre l’homme plus riche, mais il peut le rendre plus
pauvre » Ludwig von Mises, cité par Ron Paul (1984, p. 15).
8.
Angle religieux
L’angle religieux peut être intéressant pour quelques questions liées à la monnaie. Tout d’abord parce que la religion fait
partie de la culture, puis parce qu’elle forme des pensées, faites de dogmes, qui forgent une vision commune de la
monnaie. Nous verrons donc quelques points de morale abordant ces questions. Il existe un nombre considérable de
religions, de sectes ou de courants religieux. Pour ce travail, où il est nécessaire d’avoir une vision plus restreinte, nous
n’aborderons que les religions monothéistes (christianisme, judaïsme et islam), puisque nous désirons rester sur une
analyse européo-centrée. Il est à relever encore que nous n’aborderons pas des points de numismatique et de leur
symbolique, ni de l’historique des pensées et des pratiques religieuses liées à la monnaie.
8.1
Le christianisme
Comme toutes les religions révélées60, la terre et tout ce qu’elle contient appartient à Dieu, y compris l’argent (Agée 2:8,
p. 1618)61.
Pour les chrétiens, l’argent n’est pas mauvais en soi ; par contre, c’est son amour qui est péché, puisqu’il s’agit de
l’avarice. Ainsi, il est considéré comme la « racine de tous les maux », appelant des tourments sans fin pour l’avaricieux
(Timothée 6:10, p. 1989). L’avarice mène à l’accumulation des richesses pour soi. Cela est condamné en beaucoup
d‘endroits dans les Écritures, que nous ne pourrons pas relever ici. Toutefois, jusqu’au IIème siècle av. J.-C.62, la richesse
était considérée comme une bénédiction divine, puisqu’il ne semblait pas y avoir de croyance en une vie après la mort :
le malheur ou le bonheur divin devait donc s’opérer sur Terre ; c’est Job qui brisera cette croyance en ce que la richesse
d’un homme était causée par sa moralité (Debergé, s.d.), ayant observé bien des riches avaricieux et immoraux. Cette
condamnation de l’avarice va de pair avec l’aumône : « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Actes 20:35,
p.1874). La pauvreté n’est pas non plus hissée sur un piédestal : il s’agit de vivre humblement dans les limites de ses
moyens. Ainsi, le crédit est considéré comme mauvais, puisque « le riche domine les pauvres, du créancier l’emprunteur
est esclave » (Proverbes 22:7, p.1033).
L’argent peut être une arme, également, suivant son usage : la Bible relate l’impôt asservissant que devaient payer les
occupés à César. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Luc 20 :25, p. 1765) : selon les
interprétations, Jésus invite ici à ce que chacun prenne ses responsabilités. Pour d’autres, tout ce qui est sur la Terre
appartient à Dieu, y compris l’argent de César, qui ne lui appartient donc pas. Oresme dira d’ailleurs au XIVème siècle
que l’argent n’appartient pas au prince, même si, par utilité publique, c’est lui qui le frappe.
Au Moyen-Âge la scolastique prend un grand essor avec Thomas d’Aquin (1224-1274). Cette philosophie, basée sur
l’étude de la Bible mais aussi de la philosophie grecque, a colonisé la pensée chrétienne, encore jusqu’à aujourd’hui.
Nous ne nous étonnerons donc pas de ce que le christianisme ait une dimension aristotélicienne (Potier, 2007). Le travail
(divisé en deux catégories : les artes possessivae, qui sont à la base des richesses naturelles, et les artes pecuniativae,
qui sont à la base des richesses artificielles) est valorisé, et la division d’Aristote entre l’Économique et la Chrématistique
est conservée. Toutefois, le profit est jugé acceptable s’il poursuit un but moral : « le profit peut être assimilé à une sorte
de salaire qui récompense la peine » (Potier, 2007).
Les religions révélées sont celles qui tirent leurs connaissances d’une révélation divine.
Nous citons la Bible de Jérusalem, des Éditions du Cerf, en Pocket (1998).
62 Le christianisme « primitif » se base sur la Septante, qui est la traduction grecque de la Bible hébraïque. Si les juifs resteront fidèles à la
version hébraïque, les chrétiens « primitifs » se baseront sur cette traduction grecque (le Livre de Job ayant été traduit vers -150), ajoutant
également d’autres livres que ceux du judaïsme pour en faire l’Ancien Testament des chrétiens (l’Ancien Testament regroupe les écrits
d’avant la venue de Jésus, et le Nouveau Testament regroupe les écrits relatifs à sa vie). Chez les chrétiens, ces livres supplémentaires par
rapport à la Bible hébraïque sont appelés deutérocanoniques, et sont considérés comme apocryphes par les protestants.
60
61
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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L’usure, comme chez Aristote, est condamnée y compris si elle découle de prêts : « prêtez sans rien attendre en retour »
(Luc 6:35, p.1739). Le fait que la monnaie soit considérée comme un bien fongible (l’usage est inséparable de sa
propriété) fait dire à Thomas d’Aquin que le prêt à intérêt est injuste car se basant sur une double compensation, « la
restitution d’une même quantité d’argent et le prix de son usage » (Potier, 2007). L’intérêt permet l’oppression et
l’oisiveté. La réaffirmation de la prohibition de l’usure – quel que soit le taux – est faite en 1745 dans l’encyclique Vix
pervenit (Lavigne, 2005/1). Dans les années 1830, la pratique de l’intérêt est tolérée ; mais ce n’est qu’en 1917 qu’à lieu
un premier changement dans le droit canon : l’intérêt modéré pour les biens fongibles est accepté. Le nouveau droit
canon de 1983 légitime quant à lui l’intérêt, indiquant qu’il fait partie de la bonne gestion des affaires ; notons enfin que
les réflexions sont toujours d’actualité dans une Église qui, selon certains, ne défend plus les pauvres (Lavigne, 2005/1).
La dimension temporelle de l’intérêt prend également une importance : l’usure rapporte davantage à mesure que le
temps s’écoule. Or le temps n’appartient qu’à Dieu : rémunérer le temps s’apparente à voler Dieu.
La scolastique est décriée par les protestants, lors de la Réforme au XVIème siècle. Les protestants – pour qui l’homme
a la gestion du patrimoine de Dieu et se doit de le faire fructifier – se détachent de quelques principes, dont la pratique
de l’intérêt. Calvin, dans cette ligne, est célèbre pour avoir légitimé cette pratique, toutefois dans certaines limites. Calvin
considère la monnaie comme une marchandise : elle n’est stérile que si elle « dort ». Mais lorsqu’elle est investie, elle
peut générer un surplus, à la base de l’intérêt. Mais il conçoit que l’intérêt doit être légitime pour être perçu, donc qu’il
doit poursuivre un but d’investissement qui générera de la richesse et des bénéfices (Houriez, 2013).
Les textes sacrés, pour Calvin, ne renferment pas toute la vérité économique, et ce qui est juste doit dépendre de la
charité et de l’équité : la spéculation et la recherche effrénée du profit individuel sont délétères car la monnaie doit
bénéficier à la communauté dans son ensemble. Le commerce est réhabilité, tout comme le profit tant qu’il sert la
communauté. Calvin a donc permis cette pratique, en rupture avec les catholiques. Sa pensée a permis aux banques
d’émerger dans la région genevoise, bien qu’il semble que faire métier de l’intérêt était relativement éloigné de sa
doctrine. Houriez cite à ce propos le banquier genevois Pictet, pour qui la banque a pu se développer grâce au calvinisme
:
« Il ne faut pas oublier que l’attitude du ‘calviniste’ est certainement déterminante vis-à-vis des banques, du commerce
de l’argent, des prêts à intérêt. Nos banques sont issues directement de la doctrine de Calvin, qui, contrairement à
l’Église catholique, permettait le prêt à intérêt et a levé un certain interdit qui régnait sur ces questions économiques
et financières, et qui sont à l’origine de nos maisons. (...) Il y a un impact, une tradition (...). Si ma famille s’est dirigée
de ce côté-là c’est en partie à cause de l’influence de Calvin sur ces problèmes purement matériels. » (Houriez, 2013).
8.2
Le judaïsme
La Bible hébraïque est divisée en trois parties, toutes issues de l’Ancien Testament : La Loi (le Pentateuque), Les
Prophètes et Les Écrits. Ceci est important à souligner, puisque comme l’indique Alain Houziaux (L'argent et le profit
dans la tradition biblique, 1993, pp. 50-51), si le Nouveau Testament condamne fermement la richesse, l’Ancien
Testament ne la blâme pas sévèrement : être riche est d’ailleurs vu comme « le signe d’une bénédiction ». Toutefois, il
faut savoir raison garder et se garder de devenir avide : « […] Qu’il ne multiplie pas à l’excès son argent et son or »
(Deutéronome, 17:17, p. 263).
Alain Houziaux (1993, pp. 51-52) relève que les Juifs, dans l’Exode, reçoivent la bénédiction de dépouiller les Égyptiens :
« les hommes de Dieu ont ainsi pour vocation d’exploiter la richesse de ceux qui sont païens ». Cet argent sera comme
purifié avant d’être redistribué aux pauvres ou en offrande à Dieu.
Une certaine solidarité règne dans le peuple juif. Ainsi, la dîme est prélevée (10% au minimum et 20% au maximum, afin
de ne pas se dépouiller soi-même) pour être redistribuée aux pauvres de la communauté : « la troisième année, année
de la dîme, lorsque tu auras achevé de prendre la dîme de tous tes revenus et que tu l’auras donnée au lévite, à
l’étranger, à la veuve et à l’orphelin […] » (Deutéronome 26:12, p. 272).
De même, la Bible serait individualiste – dans le sens que chaque homme est une représentation de toute la société –
et anti-utilitariste : l’évangile narrant l’anecdote du Bon Berger montre que le bien que tirent les nonante-neuf brebis est
illicite si une seule d’entre elle subit un mal (Houziaux, 1993, p. 54). De même, aucune exploitation d’un membre de la
communauté n’est permise : « tu n’exploiteras pas ton prochain et ne le spolieras pas : le salaire de l’ouvrier ne
demeurera pas avec toi jusqu’au lendemain matin » (Lévitique 19:13, p. 172). Cela rappelle quelque peu Karl Marx63 :
pour lui comme pour la Bible, le dépouillement des riches au profit des moins riches est légitimé, et la spoliation des
travailleurs par le salaire est conspuée.
Notons que Karl Marx était juif, ce qui peut expliquer une partie de sa vision. Au sujet du marxisme, voir « Les modèles monétaristes du
XIX-XXème siècle », p. 27.
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Il y aurait trois racines pour les mots désignant l’argent en hébreu (Houziaux, 1993, p. 52) : (1) avidité et désir, (2) flux64
et (3) amour. Mais l’amour dans l’acception hébraïque réside dans la reconnaissance envers quelqu’un et dans la
conscience de la dette que nous avons envers lui : plus on est riche, plus on se doit de compenser la pauvreté de l’autre.
L’intérêt est autorisé avec les non-juifs ; il est par contre interdit entre juifs, car contraire à la notion de solidarité qui
prévaut au sein de la communauté :
« Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu’il s’agisse d’un prêt d’argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on
exige un intérêt. À l’étranger tu pourras prêter à intérêt, mais tu prêteras sans intérêt à ton frère, afin que Yahvé ton
Dieu te bénisse en tous tes travaux, au pays où tu vas entrer pour en prendre possession. » (Deutéronome 23:20-21,
p. 269).
Cette règle est reprise en divers endroits, notamment :
« Si tu prêtes de l’argent à un compatriote, à l’indigent qui est chez toi, tu ne te comporteras pas envers lui comme un
prêteur à gages, vous ne lui imposerez pas d’intérêts » (Exode 22:24, p. 122).
« Tu ne lui [ton frère] donneras pas d’argent pour en tirer du profit ni de la nourriture pour en percevoir des intérêts »
(Lévitique 25:37, p. 181).
« Tu pourras exploiter l’étranger, mais tu libéreras ton frère de ton droit sur lui [et sur la remise d’un bien ou d’un
intérêt] » (Deutéronome 15:3, p. 260).
Il y a trois raisons à la justification du prêt à intérêt dans le judaïsme (Houziaux, 1993, p. 53) :
La première concerne la justification naturelle, rejoignant peu ou prou la conception des protestants qui considèrent qu’il
appartient aux hommes de faire fructifier l’héritage de Dieu : de même que le blé pousse de lui-même, nous permettant
de nous nourrir, l’argent peut également « pousser » moyennant un travail humain, engendrant un intérêt récompensant
le labeur des hommes.
La deuxième justification trouve ses racines dans le risque que prend le prêteur. Les païens ne sont pas tenus devant
Dieu de rembourser ; or les juifs doivent obéissance aux textes bibliques, les sommant de s’acquitter de leurs dettes.
C’est aussi pour cela, plus que par solidarité, que l’intérêt n’a pas cours entre juifs.
La troisième raison, enfin, réside dans l’immobilisation de l’argent : le prêteur, en prêtant une partie de son argent, n’en
a pas la jouissance, ce qu’il convient de compenser.
8.3
L’islam
Les premiers versets du Coran65 à traiter des questions monétaires interviennent rapidement – dès la deuxième sourate
(la sourate de la vache) – preuve que l’argent est un sujet extrêmement important.
La richesse de ce qui se trouve sur terre – y compris l’argent – appartient en réalité à Dieu : les hommes n’en ont que la
« lieutenance » (Coran 57:7, p. 787), donc la gestion. La richesse, si elle est licite, est plus perçue comme une tentation
à surmonter ou comme une épreuve : « […] écoutez, obéissez et faites des largesses. Ce sera un bien pour vous. Et
quiconque a été protégé contre sa propre avidité… ceux-là sont ceux qui réussissent » (Coran 64:16, p. 815).
Nous le voyons, la générosité est prescrite et l’accumulation de richesses est mal vue. D’ailleurs, l’aumône (zakat),
également présente dans les autres monothéismes, est le troisième pilier de l’islam66 ; c’est même la première obligation
financière (Bendjilali, 2001, p. 393). L’aumône est due – à titre de purification (Coran 92 :18, p. 894) – aux nécessiteux
par tous les croyants qui en ont la capacité. Cette purification obligatoire (Coran 9:103, p. 275 et 73:20, p.846)67, outre
la solidarité entre les individus du peuple musulman, permet de se rappeler que Dieu récompensera ceux qui se seront
montrés justes : « Quiconque fait à Allah un prêt sincère, Allah le lui multiplie, et il aura une généreuse récompense »
(Coran 57:11, p. 787).
Cette aumône permet également de prévenir l’avarice, très décriée. L’argent thésaurisé est stérile et il vaut bien mieux
le faire circuler de manière à être solidaire, ainsi que le prescrit Dieu : « […] A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne
L’argent est un flux et doit donc circuler pour irriguer toute la société.
Comme source primaire, nous utiliserons Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets et la transcription en
caractères latins de l’édition al-Bouraq (2009).
66 Les cinq piliers, outre la zakat, sont de professer que seul Dieu peut être adoré et que Mouhammad est son Prophète, de s’exécuter de
la prière, de jeûner pendant le Ramadan et d’effectuer le pèlerinage à la Mecque.
67 Nous n’indiquons ici que deux versets ; toutefois ceux qui concernent la zakat se comptent en dizaines.
64
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les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux. » (Coran 9:34, p. 261-262). Le montant de
la zakat représente 2.5% du montant économisé annuellement.
Dans les questions liées à la monnaie, l’intérêt usuraire (riba), lequel est fermement prohibé, occupe une bonne place.
Ainsi, il est dit :
« Ceux qui mangent [pratiquent] de l'intérêt usuraire ne se tiennent (au jour du Jugement dernier) que comme se
tient le possédé sous les attouchements de Satan. Cela, parce qu'ils disent : "Le commerce est tout à fait comme
l'usure" Alors que Dieu a rendu licite le commerce, et illicite l'usure. Celui, donc, qui cesse dès que lui est venue une
exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant; et son affaire dépend de Dieu. Mais
quiconque récidive... alors les voilà, les gens du Feu ! Ils y demeureront éternellement. Dieu anéantit l'intérêt usuraire
et fait fructifier les aumônes. Dieu tient en aversion tout dénégateur endurci et les pécheurs incorrigibles. […] O les
croyants ! Craignez Dieu; et renoncez au reliquat de l'intérêt usuraire, si vous êtes croyants. » (Coran 2:275-278,
p.67-68).
Les paroles du Prophète (les Hadiths) donnent également de telles interdictions sur l’intérêt usuraire, sous peine de
graves punitions, divines ou non, et d’autres passages traitent de ce thème. Certains commentateurs placent également
sous le nom riba toutes les ventes illicites, soit les ventes fictives (ignorance des prix, ignorance des délais, incertitude
dans une promesse de vente, etc.). Mais le riba à proprement parler ne concerne que les ventes usuraires, qui sont de
deux sortes : « l’usure par supplément de valeur, l’usure de temporisation et tout ce qui se rattache à ces deux types
comme l’usure de la vue détournée » (Bendjilali, 2001, pp. 155-159). En effet, l’usure par supplément de valeur augmente
l’inflation et, de par l’instabilité provoquée, précarise les plus pauvres. L’usure de temporisation renvoie à la spéculation,
qui est une forme d’exploitation – un des deux éléments de l’échange est retardé – et qui pourrait mener à la perversion
des esprits. L’usure de vue détournée consiste à proposer, de manière rusée, de payer un bien tout de suite pour moins
cher que le même bien payable plus tard pour plus cher.
Le crédit, lui, semble tout à fait licite. Les points d’achoppement semblent ne porter que sur l’intérêt du crédit : certains
auteurs le justifient, tandis que d’autres le jugent abusifs et contraire à l’esprit de solidarité et de développement
(Bendjilali, 2001, pp. 235-240). Cela va donc dans le sens de l’intérêt nul, que nous avons abordé dans la première
partie de ce travail. Toutefois, notons bien que le Coran (2:282, p. 69-70) enjoint fortement les croyants à prendre leurs
responsabilités quand il s’agit de dettes, et à les rembourser toutes.
L’acquittement de la zakat et la prohibition du riba permettent de faire circuler la monnaie et d’obtenir une meilleure
répartition des richesses entre les croyants68, ce qui sert le but de solidarité poursuivi.
9.
Angle juridique
Nous remarquerons que certains mots de l’argent proviennent du champ lexical de la confiance : fiduciaire (de la racine
fiducia, « confiance), crédit (de la racine credere, « croire »), etc. Mais si la confiance est bien entendu, nous l’avons vu,
un principe fort présent dans la monnaie, il n’en est pas le seul et la monnaie est régie par la loi.
La loi s’est très tôt occupée de la monnaie. Les rois de Lydie furent les premiers à rendre la monnaie monopole d’État,
et nous constaterons par la suite que la monnaie est très souvent du fait du prince ou de l’autorité territoriale.
Si l’étatisation de la monnaie peut être vue par certains comme découlant d’un monopole naturel69 et comme une solution
aux problèmes privés induits (pertes de confiance en certaines monnaies, falsification de la valeur, etc.), il semblerait
que ces monopoles d’État aient été instaurés pour des raisons de prestige, de profit et de volonté de légiférer de plus
en plus sur la vie quotidienne (Selgin & White, 1985, p. 5). En effet, lorsque le souverain frappe monnaie, il assoit le
symbole de son pouvoir et récolte les profits liés à son monopole. Ainsi, il est rare que la monnaie ne relève pas de la
souveraineté territoriale, qu’il s’agisse de la nation, de cantons, de villes, d’évêchés, etc. : les exemples modernes d’un
tel détachement entre l’État et la monnaie relèvent du free banking (voir partie IV, p. 45).
Notons que la finance se doit également de respecter des règles, comme le partage des risques, la tangibilité des échanges (ce qui évite
la spéculation), ou encore l’interdiction d’investir dans des domaines interdits par la Charia (pornographie, armement, alcool, tabac,
charcuterie, etc.).
69 Un monopole naturel intervient lorsque la présence d’une entreprise apporte de grandes économies d’échelle et une plus grande
compétitivité que s’il y avait eu plusieurs concurrents. Cette situation implique une exclusion d’usage en rapport avec les prix (certains
individus n’ont pas accès à la consommation du bien) et une non-rivalité de consommation (l’utilisation du bien par un individu ne diminue
pas l’usage de ce bien). C’est le cas selon certains du rail, d’une route à péage dégagée, de la TV par câble, etc. (Barbey, Cours de
microéconomie (2ème année), 2010). Notons que les économistes autrichiens, pour beaucoup, nient la notion de monopole naturel.
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De nos jours, la monnaie, ainsi que l’indique la Banque Centrale Européenne (2012, p. 11), est fortement régulée.
Comme indiqué sur le schéma ci-dessous, seuls certains types de monnaies locales et la monnaie virtuelle ne tombent
pas sous le coup de la loi :
Tableau 1 : Régulation des formes de monnaie. Source : BCE (2012), adapté
Nous avons vu dans la première partie que le droit de battre monnaie revient à Swissmint, entreprise publique
dépendante du Département fédéral des Finances ; le monopole d’émission de la monnaie revient à la BNS. Le
numéraire est, et ce dans tous les pays, fortement réglementé. L’émission de monnaie par un autre organisme que les
institutions étatiques légalement autorisées et sa contrefaçon constituent un crime extrêmement grave.
Ainsi, par exemple, la Constitution des États-Unis ne mentionne que trois crimes fédéraux (le 21ème amendement ayant
supprimé la prohibition) : la trahison (art. III sect. 3 et art. IV sect. 2), la piraterie (art. I sect. 8) et la « contrefaçon des
effets et de la monnaie en cours aux États-Unis » (art. I sect. 8).
La France, elle, indiquait sur les billets que le Code pénal protège les billets de banque (dont la falsification, peut-on lire
sur d’ancien billets, allait jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité). La dernière série de billets avant l’introduction de
l’Euro indiquait au verso :
« La contrefaçon ou la falsification des billets de banque et la mise en circulation des billets contrefaits ou falsifiés sont
punies par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal de peines pouvant aller jusqu’à trente ans de réclusion criminelle
et trois millions de francs d’amende. » (détail d’un billet de banque français, dernière série)
En Suisse, la Loi fédérale sur l’unité monétaire et les moyens de paiement (art. 11) punit d’une peine privative de liberté
de trois ans au plus (ou d’une peine pécuniaire) toute personne qui émet de la monnaie en francs suisses au mépris du
monopole de la BNS.
Le Code pénal (art. 240 ss) punit la contrefaçon de monnaie70 d’une peine privative de liberté d’un an au moins (de trois
ans au plus pour les cas de faible gravité) ; la falsification de monnaie71 est quant à elle punie d’une peine privative de
liberté de cinq ans au plus (de trois ans au plus pour les cas de faible gravité). Notons que le fait de participer à la
circulation de la fausse monnaie ou la simple imitation de monnaie sont également punies pénalement.
Ce sont seulement les monnaies numéraire et fiduciaire qui ont cours légal, avec les avoirs déposés à la BNS, ainsi que
nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, et qui peuvent conséquemment servir de moyen d’extinction de
dette. Le dollar américain comporte d’ailleurs une célèbre inscription sur son recto : « this note is legal tender for all
debts, public and private »72. La monnaie fiduciaire est également contrôlée, même si elle n’est pas un moyen de
paiement légal. Or, outre les trois fonctions classiques de la monnaie et les moyens de paiement sur lesquels sont
tangibilisées ces fonctions, c’est cette légalité de la monnaie qui est nécessaire pour en donner la définition juridique.
En Suisse, nous l’avons dit, la Constitution, la Loi fédérale sur la Banque nationale suisse et la Loi fédérale sur l’unité
monétaire et les moyens de paiement légifèrent sur cette légalité : seul le franc suisse est considéré comme monnaie
sur le territoire.
En France, la seule monnaie autorisée est l’euro (Code monétaire et financier, art. 111.1)73. Une monnaie ne remplissant
pas les trois fonctions classiques et n’ayant pas cours légal n’a pas le statut juridique de la monnaie, à l’instar des
monnaies complémentaires. Toutefois, l’évolution dans ce domaine est à observer, notamment avec les discussions
autour du Bitcoin : plusieurs pays tendent à l’interdire, tandis que d’autres, à l’instar de l’Allemagne, lui accordent le
statut de monnaie privée ; ce statut permet à l’État de prélever des taxes sur tous les échanges payés en bitcoin.
La contrefaçon de monnaie est le fait de fabriquer des pièces ou des billets et de les faire passer pour authentiques.
La falsification de monnaie est le fait de modifier des pièces ou des billets pour faire croire à une valeur supérieure.
72 Ce billet a cours légal pour toutes les créances, publiques et privées.
73 Notons qu’en France la monnaie fiduciaire est considérée comme un « bien meuble d’une nature particulière » puisque n’ayant « aucune
valeur intrinsèque autre que numismatique » (Banque de France, 1999, pp. 49-50).
70
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Cependant, en juillet 2014, l’Assemblée Nationale a adopté un projet de loi rectifié par la Commission mixte paritaire
concernant les monnaies complémentaires. La version adoptée de l’article 10 quater du Chapitre V de la loi ESS relatif
aux monnaies locales complémentaires indique :
« Le chapitre Ier du titre Ier du livre III du code monétaire et financier est complété par une section 4 ainsi rédigée :
" Section 4
" Les titres de monnaies locales complémentaires
" Art. L. 311-5. – Les titres de monnaies locales complémentaires peuvent être émis et gérés par une des personnes
mentionnées à l’article 1er de la loi n°___ du ___ relative à l’économie sociale et solidaire dont c’est l’unique objet
social.
" Art. L. 311-6. – Les émetteurs et gestionnaires de titres de monnaies locales complémentaires sont soumis au titre Ier
du livre V lorsque l’émission ou la gestion de ces titres relèvent des services bancaires de paiement mentionnés à
l’article L. 311-1, ou au titre II du même livre lorsqu’elles relèvent des services de paiement au sens du II de l’article
L. 314-1 ou de la monnaie électronique au sens de l’article L. 315-1. » (Assemblée nationale, 2014)
Une fois le texte signé par le Président de la République, la loi sera promulguée, faisant entrer les monnaies
complémentaires dans la loi, pour autant que le Conseil constitutionnel donne un avis favorable.
Pour la Suisse, le Conseil fédéral (2014) a émis au mois de juin 2014 un rapport sur les monnaies virtuelles, suite aux
postulats des Conseillers nationaux Jean-Christophe Schwaab (PS/VD) et Thomas Weibel (PVL/ZU). Ce rapport indique
que si le bitcoin remplit les trois fonctions de la monnaie, « sa grande volatilité empêche qu’il puisse les remplir
pleinement » (Conseil fédéral, 2014, p. 10) ; ainsi, il n’acquerra qu’une importance très faible comparativement au franc.
Les monnaies virtuelles sont négociables, ne sont pas un moyen de paiement légal et ne sont adossées à aucune
monnaie ayant cours légal. C’est pourquoi le Conseil fédéral classe les monnaies virtuelles comme le bitcoin parmi les
valeurs patrimoniales (Conseil fédéral, 2014, p. 8). En tant que telles, elles sont régies par le Code pénal pour tout ce
qui touche les infractions contre le patrimoine. Le Conseil fédéral (2014, p. 11) indique quelles sont ces infractions contre
le patrimoine (art. 137 ss CP) : abus de confiance, escroquerie, utilisation sans droit de valeurs patrimoniales, extorsion,
chantage, soustraction de données, détérioration de données, utilisation frauduleuse d’un ordinateur et vol simple. En
ce qui concerne le bitcoin en tant que moyen de paiement, le droit suisse considère que les parties ont dû, pour
s’acquitter d’un paiement en bitcoins, manifester de manière concordante et réciproque leur volonté, « remplissant ainsi
la condition à laquelle un contrat est réputé parfait, conformément à l’art. 1 du Code des obligations (CO) » (Conseil
fédéral, 2014, p. 11). Enfin, la simple utilisation de bitcoins comme moyen de paiement ne tombe pas sous le coup du
droit des marchés financiers. Par contre,
« [l]’achat et la vente de bitcoins à titre professionnel tombent par contre sous le coup de la loi sur le blanchiment
d’argent. Il en va de même de l’exploitation de plates-formes de négoce de bitcoins qui transmettent des fonds ou des
bitcoins des usagers de la plate-forme à d’autres utilisateurs. Pour exercer de telles activités, il faut donc respecter les
obligations de diligence applicables en vertu de la LBA, notamment la vérification de l’identité du cocontractant et
l’identification de l’ayant droit économique » (Conseil fédéral, 2014, p. 18).
Le Conseil fédéral cite enfin plusieurs risques liés à ces monnaies virtuelles, notamment les utilisations frauduleuses de
ce type de monnaies et les crises de confiance. Notons que les usages illégaux non-liés à la technologie (vol,
blanchiment d’argent, achat de biens et services illégaux, escroquerie) sont possibles avec de la monnaie
conventionnelle. En outre, les délits en lien avec la technologie (phishing et toute utilisation frauduleuse d’un ordinateur)
tombent sous le coup de la loi.
Le Conseil fédéral conclut que le bitcoin n’est pas dans une zone de non-droit et que la criminalité liée est marginale. Il
regrette par ailleurs le manque d’interlocuteurs en cas de délit, en raison de la décentralisation du bitcoin, ce qui rend
les poursuites pénales difficiles. S’il suivra de près l’évolution, le CF juge pour l’instant inutile de légiférer, indiquant que
« la responsabilité de l’utilisation du bitcoin incombe donc principalement aux utilisateurs eux-mêmes » (Conseil fédéral,
2014, p. 3).
L’émission d’une monnaie complémentaire physique pourrait donc se heurter à quelques difficultés. Il semblerait que
l’émission de numéraire pour une telle monnaie attire de lourdes complications juridiques, outre son prix élevé.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Partie III
D’une approche plus anthropologique de la
monnaie
En préambule de cette petite partie, nous souhaitons nuancer fortement le terme « anthropologique » présent dans le
titre. Il ne s’agit pas d’une étude anthropologique à proprement parler – ce qui sortirait du cadre de notre sujet et de nos
compétences –, mais il s’agit de percevoir ce qu’est et ce qu’a pu être la monnaie sous un aspect plus humain. Nous
souhaitons ainsi voir quelles peuvent être les attaches qui nous lient en tant qu’Homme à la monnaie.
10. La monnaie comme fait social quasi-universel
La monnaie est entourée de grands mythes, encore très présents dans l’imaginaire collectif et ce malgré de nombreux
travaux académiques. En effet, certains faits péremptoires semblent ne pas être aussi fondés que nous le pensions. Ces
découvertes ont été rendues possibles par l’appropriation de la monnaie non plus par les seuls économistes, mais par
les sociologues et par les anthropologues, principalement lors de la deuxième moitié du XXème siècle. Nous attirons
l’attention du lecteur sur le fait que ces sciences sociales sont en constante évolution ; ne s’agissant pas de sciences
dures – où les résultats ne sont pas sujet à interprétations ou à controverses et peuvent être démontrés – ce qui suit
dans cette partie est sujet à caution. En effet, chaque découverte est critiquée, donnant lieu à d’autres interprétations et
théories. Nous présenterons toutefois quelques concepts qui nous semblent les plus pertinents.
10.1 L’universalité de la monnaie
Le premier de ces mythes est qu’il y a un « avant-monnaie » marqué et précis, coïncidant avec la création des premières
pièces en électrum, en Lydie. La monnaie était pourtant bien présente, sous les formes vues en deuxième partie de ce
travail, longtemps avant la création du numéraire. D’ailleurs Jean-Michel Servet, spécialiste de la question, préfère parler
de paléomonnaie : ainsi, il n’y a pas de prédécesseur à la monnaie moderne, mais ce langage indique simplement que
la monnaie a évolué selon son milieu, son époque et les besoins de la société qui l’utilisait. Pour lui, en effet, la monnaie
est « un phénomène pratiquement universel, [alors] qu’il existe une diversité considérable d’instruments, d’usages et de
représentations monétaires, sans qu’il y ait nécessairement continuité au sein de cette diversité » (Servet, Théret, &
Yildirim, 2008).
Bruno Théret (2008/4) approuve, ajoutant que la monnaie était présente dans « la plupart des sociétés, quel que soit
leur mode de constitution et d’organisation, qu’elles se soient dotées ou non d’un État ». Avec l’appui des travaux de
Philippe Rospabé, il soutient l’universalité du fait monétaire : pratiquement toutes les sociétés ont connu la monnaie,
sous quelle que forme que ce soit. Pour être exact, il soutient la quasi-universalité de la monnaie, laquelle « est fondée
dans sa nature d’opérateur de l’appartenance sociale, de médiation dans les échanges sociaux les plus divers au sein
desquels elle opère comme un représentant de la totalité sociale […] » (Théret, 2008/4, p. 814). Il conclura qu’une
« monnaie n’a de valeur que dans le contexte sociétal où elle fonctionne comme ‘capital culturel’ » (Théret, 2008/4, p.
813).
10.2 La monnaie comme élément de cohésion
L’autre mythe fondateur découle directement du premier et stipule que le troc précédait l’avant-monnaie. Adam Smith
était le père de cette idée et prétendait que la monnaie était apparue justement pour simplifier les échanges de troc74. Il
est aujourd’hui acquis que les choses ne se sont guère déroulées comme cela. Certes, la monnaie sert de base aux
échanges marchands. Mais si l’échange entre individus – ou entre groupes d’individus – procède de l’horizontalité des
échanges, la monnaie – ou plutôt la paléomonnaie – tire son existence d’échanges plus verticaux, à savoir des rites
Jean-Michel Servet (2001) indique que ce mythe poursuivait deux buts : introduire une nouvelle relation d’échange dans lequel il est
horizontal et non hiérarchique – ce qui implique l’égalité entre les individus (p. 24 ss) – et donner la preuve d’un « processus de socialisation
indépendamment de la monnaie et indépendamment du Prince » (p. 27 ss).
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sacrificiels, par lesquels les hommes payaient leurs dettes aux divinités (Servet, Théret, & Yildirim, Universalité du fait
monétaire et pluralité des monnaies : de la confrontation coloniale à la rencontre des sciences sociales, 2008). Les
sacrifices comme origine de la monnaie : c’est cela même qui permet de nuancer l’universalité de la monnaie, puisque
toutes les sociétés n’ont pas connu ces rites. Servet (2008) reprend Henaff, qui indiquait que les rites sacrificiels sont
apparus avec les sociétés qui tentaient de maîtriser la nature. En effet, en voulant se domestiquer, donc maîtriser la vie,
ces sociétés faisaient concurrence aux puissances divines : elles contractaient donc une dette à leur égard. Ainsi même,
ces « considérations autorisent à penser que les formes modernes et archaïques de monnaie partagent une nature
commune, celle d’être dans une relation immédiate à la dette de vie et à la souveraineté » (Servet, Théret, & Yildirim,
Universalité du fait monétaire et pluralité des monnaies : de la confrontation coloniale à la rencontre des sciences
sociales, 2008).
Bruno Théret (Théret, 2009/2) appelle cette forme première de monnaie « dette de vie ». Les humains reçoivent la vie :
de ce don découle un capital-vie (symbolisé par le sang et par l’honneur), qui a plus ou moins de valeur selon le statut
social de la personne et qui peut faire l’objet d’échanges, donc de dettes (le capital-vie ne peut être consommé sans
qu’il n’y ait de compensation). Or, tout le monde meurt. Pour que la société soit pérenne malgré la mort de ses membres,
il est nécessaire que les dettes de vie se transmettent entre les générations et que le capital-vie soit renfloué. C’est le
but de ces rituels, liant les hommes entre eux, mais surtout les reliant aux divinités. Ainsi,
« la monnaie trouve dans cette perspective théorique son origine dans les paiements sacrificiels - comme substitut
aux victimes vivantes -, mais aussi dans les paiements de compensation de déficit de capital de vie entre groupes
créés par les échanges de femmes [dots] ou les meurtres [wergeld75], et dans les paiements fiscaux qui apparaissent
avec l'émergence de pouvoirs politiques centralisés assis sur un Trésor monétisable, tous paiements relatifs à
différentes formes de dettes de vie » (Théret, 2009/2).
Il s’agit ici de quelque chose d’extrêmement fort. Ces « remboursements » ne permettent jamais de se libérer de la dette
originelle. Ces dettes de vie rappellent aux hommes que la société n’est pas une chose impérissable et qu’il convient de
l’entretenir, favorisant la cohésion de la communauté par le truchement des rites sacrificiels, ou des offrandes. La
monnaie est donc un artifice, un médium entre les dieux et les hommes (sacrifices), entre les hommes et les femmes
(mariage), etc.
Cette théorie soulève toutefois des critiques : Théret (2009/2) cite celles de Sylvain Piron, qui rejette totalement la théorie,
et celle d’Alain Caillé, pour qui la dette découle du don (« obligation de donner, recevoir et rendre les présents ») – ce
qui présuppose une horizontalité et un certain contractualisme –, et celle de Stéphane Breton. Pour ce dernier, il y a une
diagonalité en plus dans la dette : l’interdit symbolique76. Ainsi les dettes verticales et diagonales (hommes-divinités et
hommes-tout social) sont garantes de la perpétuation de la dette dans la société sur le long terme, alors que les dettes
horizontales (hommes-hommes) sont indirectement liées – et sur le court terme – à sa perpétuation.
Nous le voyons, la monnaie a quelque chose de divin ; elle est du reste un élément de cohésion face à la société entière
et face aux divinités. Jean-Michel Servet (Servet, Théret, & Yildirim, Universalité du fait monétaire et pluralité des
monnaies : de la confrontation coloniale à la rencontre des sciences sociales, 2008) cite en ce sens Simiand, déclarant
que la monnaie, « en tant qu’elle est croyance collective, ‘foi sociale’, […] quasi religieuse, ne procède pas du contrat,
pas plus que de l’État, mais de la société en tant que totalité et de sa cohésion sociale », et cela pour toute monnaie,
qu’il s’agisse d’une monnaie moderne ou d’une paléomonnaie. C’est cela, aussi, que le mythe du troc s’évertuait à
effacer.
Notons encore que chaque société construit sa propre conception de la monnaie (Servet, Théret, & Yildirim, 2008, p.
30) : s’agissant d’un « arbitraire culturel », les aspects de confiance sont inhérents à chaque société de manière
spécifique. Si on parle bien d’universalité du fait monétaire, la construction de la confiance ne connait donc pas quant à
elle de « recette universelle », puisqu’elle repose sur une symbolique et sur une éthique propre.
Le wergeld était le montant de la compensation que devait payer le coupable d’un meurtre pour éviter la vengeance de la famille. Le
montant variait selon le statut social de la victime, son âge ou encore son sexe.
76 « Il semble d’ailleurs judicieux de reprendre cette idée de diagonalité, mais pour qualifier non pas la dette vis-à-vis des puissances
souveraines qui est bien, quant à elle, strictement verticale, mais celle inscrite dans les structures de parenté et engendrée par le tabou de
l’inceste. Celle-ci combine en effet étroitement la dimension horizontale de l’alliance matrimoniale avec celle verticale de la filiation (la
résultante d’un vecteur vertical et d’un vecteur horizontal est un vecteur diagonal).En introduisant cette troisième modalité de la dette, on
obtient une structure triadique et non plus dyadique, la dette ‘sociale’ étant dédoublée en dette de vie entre entités humaines (personnes
et/ou groupes) et dette de vie entre humains et puissances souveraines. Ces deux formes de dette de vie ont en commun d’être des dettes
dont on ne peut pas se libérer sauf par la mort […], ce en quoi elles s’opposent ensemble à la dette horizontale privée qui a une source
contractuelle et dont on peut se libérer dans le cours de la vie humaine. » (Théret, 2009/2).
75
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Cela dit, même au sein des sociétés des tensions persistent, du fait de la pluralité des unités de compte. Jean-Michel
Servet (Servet, Théret, & Yildirim, 2008, p. 26) indique plusieurs cas où diverses unités de compte se côtoient. Ainsi la
Chine impériale du XXème siècle possède deux unités de compte (le liang pour les lingots d’argent et le wen pour les
pièces de cuivre) : de plus, leur valeur respective différait selon les régions et selon les marchandises échangées. Le
Nigeria est également un exemple marquant, où la monnaie coloniale britannique mais aussi les monnaies artisanales
étaient utilisées.
Mais, pour Jean-Michel Servet (2008, pp. 26-27), la pluralité des unités de compte existe aussi dans nos contrées
occidentales modernes. C’est le cas – même si une unité apparente régnait grâce à un ratio fixe – avec le bimétallisme.
La loi de Gresham a pu se vérifier : si le rapport marchand entre les étalons diffère du rapport officiel, il y a une dualisation
des unités de compte, où l’unité de compte de réserve de valeur (fixée par le marché des métaux) et différente de l’unité
de compte des moyens de circulation (fixée officiellement). Cette pluralité des unités de compte existe également par la
« fragmentation de la société en sphère d’échange dans lesquelles un même bien peut être différemment évalué » (pp.
27-28). Les différentes populations d’une société cloisonnent l’usage de la monnaie (les diverses origines des
transactions ou des dettes impliquent de les comptabiliser différemment. On le voit également dans les comptes publics
et les comptes des entreprises : la production et la consommation de biens ou de services ne sont pas évaluées de la
même manière.
Pour diminuer ces tensions, il convient d’homogénéiser les unités de compte (Servet, Théret, & Yildirim, 2008, p. 28) :
c’est ce vers quoi tend la monnaie nationale. En effet, cette unité de compte nationale s’emploie à uniformiser toutes les
dettes, quelles que soient les sphères d’échanges, au travers, par exemple, de taux de change paritaires. C’est ce qui
permet d’indiquer sur les dollars US la mention « This note is legal tender for all debts, public and private ».
Servet, Théret et Yildririm (2008, p. 36) émettent l’hypothèse que l’unité de la monnaie repose sur le fait que les individus
sont tous potentiellement égaux devant la puissance monétaire émettrice (le prince, le souverain, les divinités, etc.),
même si par ailleurs la monnaie est un élément de reconnaissance des différences77. La monnaie, en outre, transcende
les castes et les religions. Jean-Michel Servet (2008, pp. 37-38) donne l’exemple de l’Inde, où la monnaie soutient la
« tension entre égalité et hiérarchie ». La monnaie permet d’affirmer des différences, mais permet également de se
rapprocher.
Une monnaie doit, malgré tout, être elle-même pérenne pour pouvoir opérer comme représentant d’un fait social total
(Théret, 2008/4, p. 833). Elle doit donc être institutionnalisée et obéir à des règles, elles-mêmes suivies par tous les
agents. Cela peut rappeler, plus près de nous, les déclarations d’Angela Merkel qui appelait à suivre les règles fixées
dans la zone euro, auquel cas « sans la cohésion nécessaire, tôt ou tard, la monnaie explosera » (Ricard, 2013).
De tout cela, nous voyons poindre un élément extrêmement important : ce n’est pas la monnaie qui fait la cohésion ;
c’est la cohésion qui fait la monnaie. La monnaie n’est qu’une représentation de la cohésion et de l’appartenance : ce
n’en est pas l’outil même. Indiquons entre autres l’exemple concret des piastres, émis par la Banque de l’Indochine.
Cette banque privée, qui avait le monopole d’émission de la piastre, était presque considérée comme deuxième Banque
de France ; dans les colonies françaises, la monnaie doit véhiculer le message politique du « rapport harmonieux entre
les différentes cultures et la métropole » (Kirsner, 2012). Mais la monnaie en tant qu’élément tangible n’est pas la source
de la cohésion : elle n’est que la représentation de la cohésion voulue par la France entre elle et ses colonies.
10.3 La monnaie comme élément d’asservissement ou de pouvoir
La monnaie n’est cependant pas qu’un élément fédérateur. Elle peut également être une arme, un outil
d’asservissement.
Nous avons vu dans la deuxième partie de ce travail la vision marxiste de la monnaie. Elle est, pour Marx un outil
d’oppression des prolétaires par la classe bourgeoise. Cette classe aisée peut asseoir son pouvoir par la monnaie : il
est ainsi impossible pour la classe ouvrière de s’élever ou de sortir du joug des capitalistes.
Nous avons également remarqué que d’aucuns indiquent qu’actuellement la monnaie représente également une
servitude, par le biais du crédit et des intérêts. Les classes dominantes et les banques ont intérêt à ce que les
emprunteurs ne remboursent pas, pouvant ainsi demander de forts intérêts.
Mais la monnaie peut être une arme à l’encontre d’un peuple. Ainsi, dans l’époque moderne, les nazis rendirent
obligatoire le Reichsmark dans les pays occupés en 1940 : « L’autorité allemande fait connaître que, seuls, les billets
allemands libellés en Reichsmarks émis par la Reichskreditkassen […] doivent être acceptés en paiement, tant par les
Un des exemples donnés mentionne que des non-musulmans dans un État musulman peuvent avoir une activité économique dans la
même monnaie que tout le monde, moyennant un impôt.
77
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
particuliers que par les caisses publiques » (Ministère de la Culture et de la Communication, s.d.). Les taux de change
sont annoncés au grand public par voie d’affichage. Toujours concernant les nazis, Michel Beuret (2011) indique que la
monnaie peut même servir d’arme de guerre : l’opération Bernhard visait en effet à introduire de grandes quantités de
fausses livres sterling afin de dévaluer brutalement la monnaie de l’Angleterre ennemie.
On retrouve, bien entendu, l’utilisation de la monnaie comme un outil de servitude à l’encontre des peuples dans la
plupart des cas d’occupation, dont les colonies. Ainsi, l’Empire romain utilisait la monnaie pour souligner « le caractère
romain de la colonie et sa fidélité à l’empereur » (Krzyanowska, 1968, p. 290). Mais cette romanisation des colonies par
la monnaie n’était pas systématique : chaque ville de l’Empire faisait l’objet d’une considération sur sa situation politique
avant d’y introduire de la monnaie romaine.
Nous pouvons également soulever le cas du franc CFA (autrefois franc des Colonies Françaises d’Afrique ; actuellement
franc de la Communauté Française d’Afrique), mis sur pied par Charles de Gaulle en décembre 1945 pour réaffirmer
l’autorité monétaire de la France dans ces pays. Le franc CFA était lié au franc français ; il l’est maintenant à l’euro. Des
critiques se font virulentes contre le franc CFA : Nicolas Agbohou a d’ailleurs écrit que cela avait permis à la France de
piller l’Afrique (Camerounvoice.com, 2014), la rendant extrêmement dépendante de la France, et profitant de la
dévaluation du franc français78. Pour se défaire de cette emprise, notons pour notre travail que certaines régions ont mis
sur pied des monnaies locales, à l’instar du réseau Doole au Sénégal, créé en 1998. Ce réseau permet aux habitants,
« au lieu de dépenser les quelques CFA que leurs activités leur permettent de gagner, [d’utiliser] une monnaie propre à
l’association » (Diallo, Moï-Yopaang, & Dicko, 2009), qui sont des bons d’échange libellés en heures.
La monnaie étant une représentation du pouvoir, cela peut parfois mener à des situations cocasses. Nous avons tous
en tête l’exemple de la Birmanie (Maynmar), où la junte militaire au pouvoir a mis en circulation, pour des raisons de
croyances astrologiques, des coupures particulières de 15, 25, 35, 45, 75 et 90 kyats. La junte a rapidement dû faire
marche arrière et revenir à des coupures plus traditionnelles (5, 10, 20, 50, 100, 200, 500, 1000 et 5000 kyats) depuis
les années 1970, ce qui permet de nouveau une division par 100 du kyat. Notons toutefois que les pièces ne circulent
plus et que cette monnaie est inconvertible à l’extérieur du pays (elle ne s’échange pas sur le marché). En outre, le
gouvernement en place émet régulièrement de nouvelles coupures au cours forcé, pour éviter la thésaurisation et pour
profiter, par le biais des taux de change, à la junte.
Ainsi que nous l’avons répété, la monnaie légale est dans la plupart des cas du fait de l’État, soit, auparavant, du
souverain (roi, prince, etc.). Le faux-monnayage était donc un crime de lèse-majesté ; le Moyen-Âge le punissait
d’ébouillantage. Puis, dans beaucoup de pays jusqu’au XXème siècle, les faussaires encouraient une peine de réclusion
criminelle à perpétuité, voire la peine de mort. Notons que si le principe de « crime contre la nation » demeure, les peines
sont nettement moins élevées actuellement. Michel Beuret (2011) cite Christophe Champod : « la stabilité économique
d’un pays repose en partie sur la confiance dans sa monnaie, une fonction régalienne de l’État. S’y attaquer revient à
s’en prendre à sa sécurité ».
Pour la Suisse, les faussaires sont en majorité des particuliers et les billets de banque sont jugés très sûrs : ils
contiennent quelque 17 éléments de sécurité. Cela permet d’avoir très peu de fausse monnaie en circulation : le ratio
est de 10 copies par million de vrais billets (soit 4000 billets saisis par an, pour un total de CHF 570'000), tandis qu’il est
de 50 contre 1 million pour l’euro, de 100 contre 1 million pour le dollar, et jusqu’à 300 contre 1 million pour la livre
sterling (Beuret, 2011).
11. L’exemple suisse
Ce chapitre a pour but d’amener un aperçu de la monnaie suisse comme représentation de la cohésion nationale. Il
s’attardera donc plus sur des aspects numismatiques, les aspects de confiance étant du fait de l’étude qualitative de la
partie IV.
11.1 L’unification du franc suisse
La Suisse était, à ses débuts, une confédération, soit une réunification d’États indépendants, lesquels États se sont mis
ensemble petit à petit depuis 1291. De fait, la monnaie n’était pas gérée de manière centralisée : les cantons, les villes,
La création monétaire était exclusivement du fait de la Banque de France. Lorsque le franc français perdait de la valeur, les dettes
africaines en dollar s’alourdissaient et les exportations africaines, composées de produits de base (donc subissant une demande inélastique)
profitaient surtout à la France, qui les achetait pour un prix peu élevé, ou en imprimant des francs CFA.
78
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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les abbayes, les évêchés émettaient de la monnaie, sans compter que la monnaie étrangère, amenée par les
mercenaires, avait également cours. On trouvait ainsi, dans le pays (Fleury, 2009) :



79 autorités monétaires ayant droit d’émission, suisses ou étrangères ;
860 sortes de monnaie ;
8000 effigies ou variétés différentes.
Lorsque la République Helvétique est proclamée en 1798, le frappage de la monnaie devient l’apanage de l’État central
(Fleury, 2009). Cela devait permettre de résoudre le gigantesque amphigouri que représentait l’utilisation de toutes ces
monnaies. C’est ainsi que fut créée, pour la première fois dans l’histoire de la Suisse, une monnaie unique : le franc
suisse. Le franc, en argent, était divisé en 10 batz, eux-mêmes divisés en 10 rappes.
Cela dit, la République Helvétique ne dura pas : en 1803, par l’Acte de médiation, Napoléon Bonaparte dota la Suisse
d’une nouvelle Constitution basée sur un modèle confédéral. La monnaie n’était alors plus du fait de l’État central.
La Suisse devint un État fédéral en 1848. La nouvelle Constitution ancra le franc suisse comme unité monétaire, basé
sur un étalon-argent (Swissmint, 2012). En 1850, la première Loi fédérale sur la monnaie fut édictée, qui détaillait le
frappage de la monnaie. Selon Patrick Halbeisen, cité dans Le Temps (Garessus, 2011), le but était de faciliter les
échanges intercommunaux avec un système peu onéreux.
Chaque banque avait alors le droit d’émettre de la monnaie : c’est le free banking. Mais ce free banking n’était pas si
libre que cela, et portait en lui des éléments pernicieux. Les banques devaient en effet demander l’autorisation au canton
avant d’émettre de la monnaie. Or, un impôt sur la monnaie était prélevé. Ledit impôt n’était pas calculé sur la quantité
de monnaie émise, mais sur la quantité de monnaie que le canton autorisait à émettre (Garessus, 2011), ce qui est une
incitation, pour les banques, à émettre le maximum autorisé.
L’entrée de la Suisse dans l’Union monétaire latine (1865-1926) poussa le pays à frapper des pièces en or. L’Union,
regroupant également la France, la Belgique, l’Italie puis la Grèce, fut créée pour faciliter les échanges commerciaux
entre les différents pays. Cet accord spécifiait
« de façon détaillée le poids, le titre, la forme et le cours des monnaies d’or et d’argent, et qui contingentait pour chaque
pays les frappes en fonction de la population. En 1866, le gouvernement fédéral déclarait: ‘’Le Conseil fédéral
considère l’égalité des monnaies en argent des quatre pays comme un premier pas vers la concrétisation de l’idée de
système monétaire universel’’ » (Swissmint, s.d.)
Jusqu’à la fin de cet accord, favorisé par la parité entre le franc suisse et le franc français, les monnaies des pays de
l’Union avaient cours dans les pays concernés.
En 1907, la Banque Nationale Suisse est finalement créée, mettant un terme aux débats, certains souhaitant une Banque
centrale proche de l’État afin de le financer, d’autres voulant un Institut répondant aux besoins de l’économie réelle.
Depuis lors, la BNS détient le monopole de l’émission de monnaie.
11.2 Les pièces
Le droit de battre monnaie revient à la Confédération, comme l’indique l’article 99 de la Constitution ; le Département
fédéral des Finances décide du programme de frappe, et c’est l’entreprise publique Swissmint qui exécute cette tâche.
L’auteur du présent travail tient à remercier le Service numismatique de Swissmint pour nous avoir aiguillé sur les
informations pertinentes qui vont suivre.
Les pièces frappées sont décidées par le Conseil fédéral : elles sont de CHF 5, CHF 2, CHF 1, CHF 0.50, CHF 0.20,
CHF 0.10 et CHF 0.05. C’est également le Conseil fédéral qui a la compétence de décider des motifs des pièces. Les
caractéristiques visuelles des pièces se trouvent dans les annexes (annexe I)79.
De manière générale, l’élément le plus frappant de ces pièces est la neutralité de la langue. L’espace étant restreint, il
n’est pas possible, en effet, d’indiquer les éléments dans les quatre langues nationales. Le latin est donc utilisé. Cela se
remarque même dans le code de notre monnaie (CHF) : CH indique les initiales de Confoederatio Helvetica et F reprend
le franc, la première lettre de ce mot étant identique dans les quatre langues (Franken en allemand, Franc en français
et en romanche, et Franco en italien).
Notons que les pièces sont dans un alliage de cuivre et de nickel (de cupronickel pour la pièce de 5 centimes). Nous ne donnerons pas
d’aspects techniques, car ceux-ci ne servent pas notre travail.
79
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Les pièces ont peu évolué depuis leur création : c’est pourquoi il y a des reliquats d’anciennes modes. Ainsi, la devise
« Dominus Providebit » (Dieu y pourvoira) figure encore sur la tranche de la pièce de CHF 5 (Genèse 22:8, p. 54). Nous
pourrions imaginer, selon le texte biblique, que l’argent (ou le bélier en offrande, dans le texte biblique) est le fait de
Dieu. Les étoiles, sur la tranche, n’ont d’après Swissmint aucune signification symbolique.
De même, la présence d’Helvétie et de Libertas relève d’une mode très en vogue au XVIIIème siècle, qui était de
représenter des concepts ou des principes par des allégories (Swissmint, s.d.). Ainsi, Helvétie est l’allégorie de la Suisse,
tandis que Libertas est l’allégorie de la liberté (indiquons avec amusement que Fédor Dostoïevski eut dit que la monnaie
est de la liberté frappée). Les 23 étoiles présentes depuis 1983 sur la face des pièces de CHF 2, CHF 1 et CHF 0.50 ne
représentent pas les cantons (au nombre de 26), mais les « États ».
Les cannelures (ou les étoiles) sur les tranches des pièces sont également une relique du temps où les pièces étaient
frappées en métal précieux : il fallait un « cordeau » pour protéger l’usure du métal, et donc la perte de valeur. Cela
évitait également qu’un malintentionné ne racle les bords de la pièce pour en retirer quelque avantage. Aujourd’hui, ces
cannelures rendent le faux-monnayage plus difficile.
Les évolutions dans les pièces ont été fort peu nombreuses. Le principal changement réside dans les différents alliages
utilisés80. Seule la pièce de CHF 5 a changé, avec l’introduction du berger sur sa face (contrairement à une croyance
relativement répandue, il ne s’agit pas de Guillaume Tell). De même, les pièces de 50 centimes à CHF 2 représentaient
une Helvétia assise. La pièce de deux centimes a été abandonnée en 1978. La pièce d’un centime a quant à elle été
mise hors cours en 2007.
Cette faible évolution dans les pièces représente sans aucun doute la stabilité politique et économique de notre pays.
Les changements opérés sont, du reste, dus à un pragmatisme certain : pénuries de métaux et hausse des prix pour les
différences d’alliage, et coûts de production élevés comparativement à leur utilisation pour l’abandon des pièces.
11.3 Les billets
L’émission des billets est un monopole de la BNS, depuis le transfert de ce droit de la Confédération, en vertu de l’article
4 de la Loi fédérale sur la Banque nationale suisse. L’auteur du présent travail tient à remercier le Service à la clientèle
de la BNS pour nous avoir aiguillés sur les informations pertinentes qui vont suivre.
Exigences
Les exigences pour l’émission d’une série de billets de banques reposent sur trois principes fondamentaux : le billet doit
permettre une sécurité élevée, ils doivent répondre aux besoins des utilisateurs (robustesse, praticité) et ils doivent être
esthétiques.
De fait, de nombreuses réflexions sont menées avant de décider l’émission d’un nouveau billet (Tornare, 2005). Le
format doit être pratique et permettre un stockage optimal. Les proportions entre les billets de différente valeur sont
toutefois les mêmes. Les valeurs nominales sont également étudiées en fonction de leur utilisation. Ainsi, le billet de
CHF 500, peu utilisé, n’a pas été reconduit dans la série actuelle. De même, le billet de CHF 200, qui a fait son apparition
dans la série actuelle, sera conservé dans la prochaine série, puisque la demande est au rendez-vous. La couleur, enfin,
est étudiée pour permettre une identification rapide : ainsi, le billet de CHF 20, autrefois bleu clair, a pris une teinte rouge
dans la série actuelle pour éviter la confusion avec la coupure de CHF 100. D’une manière générale, les billets de
banque tendent à conserver une certaine continuité, ce qui permet de ne pas troubler l’utilisateur.
Le dessin des billets de banque fait l’objet d’un concours entre différents artistes. Les dix membres du jury sélectionnent
les projets les plus intéressants : les lauréats doivent ensuite réaliser une coupure de CHF 50 de A à Z. Le Comité de
Banque de la BNS décide enfin quel artiste sera choisi pour la conception de la nouvelle série, devant répondre à toutes
les exigences de sécurité et de praticité (BNS, 2014).
Rétrospective des anciennes séries
Quand la BNS fut fondée en 1907 sous forme de SA, le délai pour créer de toute pièce de nouveaux billets de banques
innovants était trop court. On créa donc une série de billets (CHF 50, CHF 100, CHF 500 et CHF 1000) du même modèle
que ceux émis par les anciennes banques, flanqués de la croix fédérale. Tous les billets étaient du même design, soit
figurés par Helvétie, mis à part les couleurs qui sont restées les mêmes jusqu’à nos jours : vert pour la coupure de CHF
L’argent a cessé d’être utilisé pour les pièces en 1967 (CHF 5, 2, 1 et 0.50), au profit du cupronickel (alliage de cuivre et de nickel). En
effet, suite à une hausse de la valeur de l’argent, les pièces étaient thésaurisées ou fondues, obligeant le Conseil fédéral à retirer l’argent
des pièces de monnaie pour prévenir cet usage abusif (Swissmint, 2012) qui vérifie encore une fois la loi de Gresham.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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50, bleu pour celle de CHF 100, verte pour celle de CHF 500 (bien que disparue aujourd’hui) et violet pour celle de CHF
1000.
La deuxième série a eu la période de vie la plus longue : émise dans les années 1911-1914, elle n’a été remplacée que
dans les années 1956-1957 pour être finalement rappelée que dans les années 1980. Elle donne lieu à quelques
particularités : tout d’abord l’introduction du billet de CHF 5 a été décidée pour éviter la thésaurisation des pièces de
CHF 5 en argent, dans les temps troublés comme la guerre. On introduisit également les billets de CHF 10, de CHF 20
et de CHF 4081. Les rectos comportaient des médaillons où figuraient des représentations de personnes (Guillaume Tell,
une Neuchâteloise, un Vreneli82, Winkelried ou encore diverses têtes de femmes). Les versos étaient basiques pour les
coupures de CHF 40 et moins et consistaient en de simples ornements. Par contre, les coupures de plus fortes valeurs
sont encore célèbres. Le bûcheron (CHF 50), le faucheur (CHF 100), les brodeuses (CHF 500) et la fonderie (CHF 1000)
firent véritablement entrer l’art sur les billets de banque.
La troisième série fut émise entre 1918 et 1930, sur le même modèle que la série précédente : des médaillons
représentant une fribourgeoise (CHF 20 de réserve), Pestalozzi (penseur suisse, CHF 20) et Guillaume Tell (billets de
CHF 100). Il y eut différentes versions de coupures, dont seule une fut mise en circulation.
La quatrième série (1938) n’a pas été émise et demeure une série de réserve83 ; nous n’en parlerons donc pas ici.
La cinquième série (1957) fut la première fois où le billet de CHF 10 fut mis en circulation et où les grosses coupures
(CHF 50, CHF 100, CHF 500 et CHF 1000) respectaient un thème, à savoir les têtes. Les rectos représentaient en effet
des visages de femmes, de filles ou de garçons. Les versos consistaient en des vignettes basées sur le même modèle
de graphisme (« cueillette des pommes » pour le billet de CHF 20 ; « Saint Martin » pour celui de CHF 100 ; « Fontaine
de Jouvence » pour celui de CHF 500 et « Danse des morts » pour celui de CHF 1000).
La sixième série de billets de banque (1976) marqua une étape cruciale : les billets seront désormais pensés et réalisés
du début à la fin par la BNS qui assurera l’entièreté du projet. En effet, bon nombre de coupures étaient auparavant
imprimées à Londres, et leur conception déléguée. C’est à partir de cette série que les thèmes des billets seront unifiés
et repensés. Pour celle-ci, le thème était les personnages historiques : leur portrait figurait au recto, tandis que le verso
dépeignait une image en rapport avec le personnage84. Cette série, rappelée en mai 2000, sera sans valeur en mai
2020.
La septième série (1984) a été conçue par les gagnants du concours de la sixième série ; cette septième série n’a jamais
été mise en circulation et reste une série de réserve.
Série actuelle
La série actuelle est la 8ème série : elle a été émise entre 1995 et 1998. Les particularités de cette série résident dans le
fait que le billet de CHF 500 a été abandonné, que le billet de CHF 200 a été introduit, et que le billet de CHF 20 a
changé de couleur, passant du bleu clair au rouge.
Comme nous pouvons le voir sur l’illustration suivante, les portraits de personnalités sont le thème de la série. Sur le
recto, nous trouvons le portrait de la personne et, dans le coin en haut à gauche, nous trouvons la personne dans une
pose de travail. Au verso, nous trouvons diverses illustrations ayant rapport à la personnalité choisie.
Nous pouvons remarquer – et la BNS le souligne d’ailleurs – que l’accent a été mis sur une représentativité tant au
niveau des arts qu’au niveau des régions linguistiques. Nous trouvons en effet, sur les billets de banque, des arts divers
(architecture, littérature, musique, peinture, sculpture, histoire de l’art) ; mais les personnalités représentées proviennent
également des quatre régions qui composent la Suisse : la Romandie avec Le Corbusier et Charles Ferdinand Ramuz ;
la Suisse allemande avec Arthur Honegger et Jacob Burckhardt ; la partie romanche avec Sophie Taeuber-Arp ; et la
partie italienne avec Alberto Giacometti. Voyons également la présence des quatre langues nationales sur les billets de
banque : il s’agit d’un cas fort rare, où un billet affiche autant de langues sur son design et tend à couvrir toutes les
régions linguistiques de son territoire.
Nous remarquons que les billets actuels, s’ils ne font pas la culture, sont une représentation diversifiée de celle-ci ; les
billets font donc, pour ainsi dire, partie de notre culture et tissent des ponts entre les différentes régions de Suisse.
Ces billets de banque sont les premiers, en Suisse, à être designés en orientation verticale. Cela en fait une particularité
mondiale : selon notre revue des monnaies de tous les pays, il n’y a que deux autres billets qui sont verticaux : l’escudo
Les billets de CHF 10 et de CHF 40 ne furent toutefois pas mis en circulation et faisaient office de billets de réserve.
Le Vreneli était le nom donné à la pièce de 20 francs en or ; cette image figurait d’ailleurs sur le billet de CHF 20 qui le remplaça.
83 Une série de réserve est émise si la série ayant cours subit trop de falsifications.
84 Les caractéristiques visuelles des coupures de la sixième série se trouvent dans les annexes (annexe I).
81
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du Cap-Vert et le shekel d’Israël. Notons toutefois que le real du Brésil est également vertical, mais seulement sur le
revers.
CHF 10
Le Corbusier (architecte, urbaniste)
Palais de justice de Chandigarth, Façade du secrétariat, Le Modulor,
Bâtiment du secrétariat
CHF 20
Arthur Honegger (compositeur)
Œuvre orchestrale, Locomotive “Pacific 231”, partition, instrument de
travail
CHF 50
Sophie Taeuber-Arp (peintre, sculptrice)
“Relief rectangulaire“, “Tête Dada“, Composition “Aubette“, “Lignes
ouvertes“
CHF 100
Alberto Giacometti (sculpteur, peintre)
“Lotar II“, “Homme qui marche“, la relation temps-espace
CHF 200
Charles Ferdinand Ramuz (écrivain)
Les montagnes, le lac, fac-similé
CHF 1000
Jacob Burckhardt (historien de la culture et de l’art)
L’Antiquité, l’architecture de l’Antiquité, la Renaissance, la façon de penser
l’histoire
Figure 11 : Série actuelle de billets de banque suisses. Source : BNS (adapté).
Le franc suisse est une valeur jugée sûre, puisqu’elle fait office de monnaie refuge. Mais les billets de banque euxmêmes sont extrêmement sécurisés. Les éléments de sécurité sont innovants, par le fait qu’ils sont désormais visibles
à l’œil nu85. On s’évertuait en effet, auparavant, à les dissimuler le plus possible par crainte de permettre une
reproduction trop facile.
La fabrication de ces billets de haute qualité a un coût non négligeable. Sachant qu’un billet de banque a une durée de
vie moyenne de trois ans, le coût annuel de fabrication s’élève à 10 centimes par billet. Il faut ajouter à cela le coût
annuel de traitement des billets ; chaque billet en circulation coûte donc annuellement, en moyenne, 30 centimes (BNS,
2014).
Horizon 2015
En 2005, la BNS annonçait une émission d’une nouvelle série de billets de banque. Des soucis techniques rendront
l’émission possible de la neuvième série qu’à partir de 2015, voire 2016. Leur conception sera attribuée à Manuela
Pfrunder, deuxième du concours auquel plus d’une dizaine d’artistes ont participé. Comme le veut le processus, les trois
finalistes ont développé leur projet, et le Comité a choisi celui qui se prêtait le mieux à la réalisation.
Le billet de banque suisse est donc – et a été – une représentation de la sécurité du franc et de la culture helvétique,
rappelant lors de chaque échange que de la richesse est créée dans notre société diversifiée, et que nous y appartenons
tous. Remarquons que cela est de plus en plus vrai, au gré des séries : le billet s’est de plus en plus fait le reflet de notre
culture, ne se contentant pas de placer la croix fédérale ou l’allégorie d’Helvétie.
Il fait en outre preuve de continuité, tout comme pour les pièces, ce qui peut, par cette représentation de la stabilité, être
un élément de confiance supplémentaire pour le grand public.
Ces trois parties que nous venons d’aborder ont leur utilité. En effet, nous pouvons voir que de nombreux éléments –
qui peuvent déconcerter de par leur caractère non technique et subjectif – sont cruciaux dans la monnaie. Ainsi, nous
pouvons désormais aborder le chapitre des monnaies complémentaires, où lesdits éléments seront non seulement
transposables, mais exacerbés. En effet, la monnaie conventionnelle est exclusive : elle a donc l’avantage de
l’autoréférentialité. Une monnaie complémentaire étant privée d’autoréférentialité, du moins à ses débuts, les aspects
subjectifs et les aspects de confiance prennent une importance plus cruciale pour la pérennité d’un projet de monnaie
complémentaire.
85
Cf. Annexe I.
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Partie IV
De l’élaboration d’un design de service pour
une monnaie complémentaire
Cette partie consiste en l’élaboration d’un design de service pour une monnaie complémentaire. Comme indiqué dans
la méthodologie générale (p. 6), elle doit répondre à deux objectifs : l’observation d’une monnaie complémentaire sur le
terrain d’une part, et l’élaboration d’un design de service macroscopique général servant une comparaison d’autre part.
Conformément à la méthodologie du Service Lab de la HEG, nous allons, dans un premier temps, élaborer un design
de service initial. Ce premier design sera la conséquence de nos recherches académiques. Dans un deuxième temps,
nous nous servirons d’une étude qualitative ainsi que de nos observations de la MGG pour affiner nos résultats, identifier
les attributs saillants et les risques, ce qui nous amènera à l’élaboration d’un design de service final.
Nous comparerons un système – toujours avec une vue macroscopique – avec monnaie complémentaire et sans
monnaie complémentaire.
12. Design de service initial
Pour élaborer notre design de service initial, nous avons préalablement besoin de connaître plusieurs éléments. Tout
d’abord nous devons être familiers avec la notion de monnaie complémentaire. Cela peut paraître basique, mais nous
nous sommes aperçus – au travers de divers entretiens – que l’idée n’allait pas de soi pour les gens. Nous procèderons
également à des observations sur un projet en construction : la Monnaie Grand Genève. Ces deux éléments doivent
nous mener à l’élaboration d’un design de service initial macroscopique pour un système utilisant une monnaie
complémentaire sur son territoire.
12.1 La notion de monnaie complémentaire
Cette partie s’attache à définir le concept de monnaie complémentaire. Or, nous avons vu que définir la monnaie n’est
pas chose aisée ; elle l’est tout autant quand il s’agit des monnaies complémentaires. En effet, elles recouvrent tant de
formes, de définitions, d’appellations différentes que l’emploi de la notion de monnaie complémentaire est – nous l’avons
constaté auprès du public – souvent chaotique. Nous nous emploierons donc à définir clairement cette notion, en
donnant également un aperçu des différentes formes de monnaies complémentaires. Pour plus de clarté, nous
analyserons quelques études de cas, puis nous donnerons une idée générale du fonctionnement d’une monnaie
complémentaire locale, puisque c’est elle qui nous intéresse le plus dans le présent travail.
Notons que les États voient en général d’un œil méfiant les monnaies complémentaires (que ce soit les crypto-monnaies
comme le bitcoin ou les monnaies locales) qui permettent de se soustraire au monopole étatique.
12.1.1
Les formes de monnaies complémentaires
Les formes de monnaies complémentaires sont très variées. Elles sont tour à tour appelées monnaies complémentaires,
monnaies sociales, monnaies locales, monnaies communautaires, etc. Si nous devons parler de manière générale,
comme c’est le cas ici, nous choisirons d’appeler ces monnaies des monnaies complémentaires. Ainsi, les monnaies
dont nous parlons ne sont pas restreintes par leur but ou par leur forme. Cette appellation permet également de mettre
en exergue la volonté de « compléter » un système existant, à savoir la monnaie conventionnelle.
Ces monnaies peuvent avoir des formes extrêmement diverses, quant à leur taille, à leur forme monétaire, à leur
gouvernance, au public visé, aux modalités d’émission, à leur convertibilité, etc. (Blanc, 2006). Jérôme Blanc indique
d’ailleurs cinq profils-types de monnaies sociales : « entraide et convivialité », « couverture des besoins de
consommation », « valorisation des compétences », « stimulation de pratiques solidaires » et « développement local
solidaire ». C’est selon ces cinq types de monnaies locales que les modalités pourront être décidées pour répondre au
mieux aux buts fixés.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
45
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Les MC commerciales
Ces monnaies peuvent être de type B2B ou de type B2C. L’exemple le plus connu de monnaie complémentaire B2B est
le WIR, en Suisse. Cette monnaie fait souvent l’objet d’études de cas. Elle a émergé en 1934 : à cause de la crise de
1929, les banques, dont la santé périclitait, n’accordaient plus de crédits. Cela pouvait mettre en grand danger les
entreprises helvétiques. En effet, la société A a besoin d’argent pour acheter les biens de la société B, qui a besoin
d’argent pour se fournir chez la société C. C’est ainsi qu’une vingtaine d’entrepreneurs se sont mis ensemble pour créer
un système de crédit mutuel entre eux. Aujourd’hui près de 60'000 entreprises utilisent ce système, qui permet de passer
outre certaines crises. En étudiant l’historique des transactions depuis les débuts de ce système, l’économiste américain
James Stodder a démontré que lorsque l’économie suisse est en récession, le volume d’activité du WIR augmente :
cette monnaie permet de produire de manière anticyclique sans avoir recours aux prêts bancaires (Herlin, 2013).
Les monnaies complémentaires B2C consistent en des monnaies d’entreprises à l’intention des usagers, comme, par
exemple, les chèques Reka, les bons, les miles des compagnies aériennes, ou les cartes de fidélité des magasins
permettant la collecte de points.
Les MC virtuelles et les cryptomonnaies86
Les monnaies complémentaires virtuelles se veulent une alternative au système bancaire actuel. Ces acteurs nonbancaires émergent grâce au progrès technologique, qui permet le mobile banking ou le peer-to-peer. Certaines banques
tentent de se mettre à cette technologie, mais d’autres acteurs les devancent (Delaye, Vakaridis, & Zaki, 2014). Dans la
multitude d’outils, le Bitcoin87 est le plus largement connu du grand public, malgré l’émergence d’autres acteurs.
Le Bitcoin est un réseau peer-to-peer, qui n’est géré par aucune autorité centrale ce qui implique qu’il n’existe pas
d’autorité centrale d’émission. Les bitcoins sont en effet émis de manière mathématique, chaque dix minutes. Il est à
noter que le nombre total de bitcoins qui sera in fine émis est connu : il sera de 21 millions dans les années 2030 (The
Bitcoin Foundation, 2014)88. Cela n’est nullement un obstacle, puisque le bitcoin est divisible jusqu’à 8 décimales et peut
potentiellement être subdivisé en unités plus petites si besoin.
Figure 12 : Évolution du nombre de bitcoins. Source : bitcoin.org89.
Le réseau est extrêmement transparent puisque le livre de compte est accessible à tous : le réseau n’est donc pas
anonyme. Cela va à l’encontre des rumeurs des contempteurs de cette monnaie, qui craignent que le bitcoin ne serve
des activités illégales (vente de drogue, recel, trafic d’armes, trafic humain, etc.). En effet, l’historique de chaque bitcoin
est traçable, chacun peut avoir accès au livre de compte. Pour procéder à des activités illégales, il faudrait que les
malfrats fonctionnent en cercle fermé ; cela ne permettrait donc pas de dépenser le profit de leurs activités autre part
Lorsqu’aucune source n’est indiquée, nous nous référons à l’entretien que nous avons eu avec Alexis Roussel – président du Parti Pirate
genevois et vice-président de l’Association Bitcoin Suisse – dans le cadre de la séance plénière de la MGG du 14.06.2014.
87 Nous parlons de bitcoin (avec une minuscule) lorsqu’il s’agit de l’unité de compte, et de Bitcoin (avec une majuscule) lorsqu’il s’agit du
système sur lequel les bitcoins circulent.
88 Voir annexe I, p. 98.
89 L’évolution de nombre de bitcoins est connue à l’avance : il sera de 21 millions dans les années 2030. À l’heure d’émettre son rapport, le
Conseil fédéral (2014, p. 8) estime à 12.7 millions le nombre de bitcoins en circulation. 65 entreprises (surtout issues du domaine des
services) déclarent accepter, en Suisse, les bitcoins (4266 dans le monde) ; environ 1.1% des transactions en bitcoins se font en Suisse, ce
qui classe le pays au treizième rang des utilisateurs (Conseil fédéral, 2014, p. 10).
86
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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que dans ce cercle intime. Ainsi, l’utilisation d’une monnaie nationale (par exemple le dollar) rend l’exercice de l’illégalité
bien plus facile qu’avec des bitcoins : les billets de banque sont intraçables et le scélérat peut utiliser le profit de ses
activités pour consommer des services.
Le Bitcoin présente un autre avantage sur la monnaie scripturale : au contraire des banques commerciales, Bitcoin ne
prélève d’infimes frais que sur les transactions, et non sur le compte lui-même. Enfin, au niveau sécuritaire, le principal
point faible du Bitcoin réside dans le stockage : un bitcoin est un code. Or, si le support où est stocké ce code est détruit
(clé USB, disque dur, etc.), les bitcoins ne sont pas récupérables. Les transactions sont sécurisées : « les informations
que vous donnez au vendeur sont uniquement une référence et vous acceptez au final la transaction avec votre code
privé qui ne circule pas en ligne. Ce qui permet aussi au vendeur de savoir exactement qui a payé » (Frick, 2014). Cela
n’est pas le cas avec l’argent scriptural traditionnel.
Comme le code source est ouvert, la technologie utilisée peut être modifiée pour créer une autre crypto-monnaie, ce qui
peut servir tout projet de monnaie complémentaire.
Figure 13 : Évolution du cours du bitcoin (BTC) par rapport au franc Suisse (CHF). Source : Conseil fédéral (2014).
Nous le voyons sur le graphique ci-dessus, le bitcoin est extrêmement volatile : valant moins de CHF 13 au début 2013,
il a dépassé les CHF 1000 à la fin de l’année 2013. Ayant poursuivi ses fluctuations, il vaut CHF 460 en juin 2014. Cette
volatilité a urgé le Conseil fédéral à alerter le public quant à ces monnaies. Comme nous pouvons évidemment nous en
douter, les banques et instituts similaires s’y opposent plus catégoriquement. Ainsi, l’European Banking Authority (2014)
a récemment publié son avis sur la question, désapprouvant sans surprise ces monnaies virtuelles. L’EBA liste, pour
corroborer son opinion défavorable, quelque septante risques. Cependant, ceux-ci sont largement liés à son statut de
valeur patrimoniale, seule la monnaie nationale étant exclusive (ces risques concernent ce qui pourrait être couvert par
les trois types de confiance vus plus haut). De plus, comme l’a relevé le Conseil fédéral (voir p. 35), ces risques sont
également possibles avec la monnaie traditionnelle et tombent sous le coup de la loi. Enfin, d’autres risques, comme la
probabilité d’être face à un schéma de Ponzi (risque classé médium), outre le fait qu’ils peuvent également être associés
à la monnaie fiat, peuvent surprendre.
Un cas poussé de complémentarité des monnaies : le free banking
Le free banking est une idée qui revient régulièrement sur le devant de la scène – particulièrement lorsque des crises
surviennent – et qui est défendue par certains libéraux, au sens politique mais aussi économique du terme.
Il y a plusieurs systèmes possibles de free banking, qui impliquent soit une multitude de banques locales indépendantes
(exemple : USA) soit un nombre plus restreint de banques avec de nombreuses succursales (exemple : Canada), selon
les économies et les besoins de la population (Banque du Canada, s.d.). À l’époque largement répandu dans le monde
(plus d’une centaine de pays entre le XIXème et le XXème siècle), ce système ne fait intervenir aucun régulateur central :
ni Banque centrale, ni gouvernement, ni aucune autre institution ; ce sont les banques commerciales qui sont les
autorités d’émission. Ce système a prouvé son efficacité – et surtout sa résilience – dans de nombreux cas, notamment
aux USA, en Écosse et au Canada. Les banques, livrées au laissez-faire financier et à la libre concurrence, ont pu mettre
sur pied des réseaux et des collaborations hors du commun : c’est sans doute grâce à ce système de banques libres et
à ses réseaux que le Canada ne fut pas trop touché par la crise des années 1930, où aucune faillite bancaire ne fut
enregistrée (Banque du Canada, s.d.).
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Malgré cela, les Banques centrales commencèrent à émerger entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle,
principalement pour financer les gouvernements et pour que la politique ait un droit de regard – qui a évolué en monopole
– sur le fait monétaire.
Disons-le, ce système n’est pas à proprement parler une monnaie complémentaire : il est un système à part entière et
non un élément visant à compléter un autre système. En effet, ces monnaies privées ne complètent par une monnaie
nationale ; elles existent en tant que tel, comme un service propre, soumis à la libre concurrence. Nous poussons donc
au paroxysme la pensée disant que la monnaie n’est qu’une marchandise permettant d’en acquérir d’autres. Il existe
encore, bien entendu, des monnaies privées, même si le système du free banking n’existe plus en vertu du monopole
des Banques centrales. Il s’agit de toutes les monnaies qui n’entrent pas dans le monopole de l’État et qui ne sont
couvertes par aucune garantie étatique : ce système très libéral inclut les systèmes d’échanges locaux (SEL), le bitcoin,
et toutes les monnaies complémentaires en général qui n’ont de monnaie, d’un point de vue juridique, que le nom.
Aussi, nous pensons que l’aboutissement ultime du concept de monnaie complémentaire serait un retour à la monnaie
libre et au free banking. Nous remarquons que les défenseurs des monnaies complémentaires disent œuvrer, à l’instar
de divers intervenants lors des séances de la Monnaie Grand Genève, « contre le libéralisme économique nocif ». En
effet, le mot libéralisme pour définir un monopole d’État – fût-ce la monnaie – est un abus de langage. Vouloir une
réappropriation de l’économie et de la monnaie par les individus et les privés fait que les utilisateurs de ces monnaies
sont des libéraux invétérés90.
Cette classification nous semble valide même si l’efficacité économique est délaissée au profit d’échanges plus locaux
et solidaires. Malgré cela, tout service livré à la concurrence – ce qui est le cas des monnaies complémentaires, en
concurrence avec la monnaie nationale et les autres monnaies complémentaires – doit avoir une certaine efficacité pour
rencontrer, sur le marché, le succès escompté. Il s’agit d’efficacité liée intrinsèquement au service (le service proposé
doit répondre au mieux à son objectif) et d’efficacité liée à sa désirabilité sur le marché (au sens de J.-B. Say). Une étude
de faisabilité, mais également une étude de marché pour sonder la communauté visée nous semblent donc
indispensables pour lancer tout projet de monnaie complémentaire.
Un cas naturel de complémentarité des monnaies : la monnaie de nécessité
Nous disons ici que la monnaie de nécessité est un cas naturel de complémentarité des monnaies, en ce sens qu’elle
naît lors de troubles graves (guerres, pénurie de métaux, crises économiques ou politiques graves) qui impliquent une
pénurie des moyens de paiement et une forte inflation. Elle est donc naturellement nécessaire pour que les échanges
continuent à avoir lieu.
Ces monnaies d’urgence remontent à l’Antiquité et ont connu des épisodes modernes très nombreux. En France, deux
exemples sont parlants : la Révolution de 1789 ainsi que la première Guerre Mondiale, où circulaient près de 15'000
monnaies différentes, prenant la forme de médailles, de bons, de timbres ou autres (Hède, s.d.). Malgré cela, les
monnaies complémentaires ne sont pas forcément des monnaies de nécessité : certaines ont émergé lors de périodes
stables et ont périclité lors de crises.
12.1.2
Les monnaies complémentaires locales et sociales
Définition
Jérôme Blanc (2002, p. 347) donne une définition précise de ce qu’il nomme le localisme monétaire : il s’agit de
l’ « organisation d’une localisation des échanges au sein d’un espace spécifique au moyen d’une adaptation du système
monétaire existant ou de la construction d’un système monétaire ad hoc ». Il y a en outre une gradation dans les formes
de complémentarités de monnaies. Ainsi,
« [d]ans sa forme la plus légère, le localisme monétaire consiste à introduire des moyens de paiement locaux, soit aux
côtés des moyens de paiement existants […], soit en substitution de certains d’entre eux. Ce localisme monétaire ne
produit donc pas de déconnexion avec le système monétaire national mais a pour but de le compléter, l’ajuster,
l’adapter. Il ne s’accompagne pas non plus de velléités de souveraineté monétaire locale » (Blanc, 2002, p. 348).
La forme la plus avancée est quant à elle à rapprocher des exemples d’États souhaitant obtenir leur indépendance, ce
qui nécessite de construire un système monétaire propre.
Pour notre travail, les monnaies complémentaires locales se rapprochent de la forme dite légère et ont cours dans une
région, une commune, une localité donnée. Elles peuvent être basées sur des modalités très différentes et recouvrir des
Les libéraux (principalement ceux de l’École autrichienne) critiquant le système monétaire actuel réclament pour une partie d’entre eux
un retour au free banking, et pour l’autre un retour à l’étalon-or, ce qui permettrait de retirer un pouvoir de nuisance des mains étatiques.
90
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formes diverses. Elles peuvent être de type C2C – où l’accent est porté sur l’entraide et les rapports sociaux – ou de
type C2B – où l’on va mettre l’accent sur une consommation locale (Fouarge, 2010, pp. 24-25).
Formes des monnaies complémentaires et modalités possibles
Les exemples de monnaies complémentaires sont extrêmement nombreux et revêtent des formes variées. Jérôme Blanc
(2002, pp. 350-351) distingue trois niveaux de complémentarité des monnaies.
Il y a tout d’abord le « localisme monétaire territorial étatique », qui consiste pour un État à quitter une zone et à mettre
sur pied sa propre monnaie. À un niveau inférieur, le localisme monétaire peut ne s’étendre qu’à une région, à une
commune, ou toute autre parcelle d’État : c’est le « localisme monétaire territorial infraétatique »91. Le dernier niveau
quitte les préoccupations territoriales, puisqu’il s’agit du « localisme communautaire ». Ce localisme monétaire ne prend
pas racine dans un territoire, mais plutôt dans l’ « espace social des adhérents du cercle » (Blanc, 2002, p. 350).
Dans son article intitulé « Choix organisationnels et orientation des dispositifs de monnaies sociales » (Blanc, 2006),
une revue des différentes modalités des monnaies complémentaires a été réalisée. Nous en donnons ci-après la teneur :
Adhérents
Particuliers seulement
Masse critique réduite (30-40 personnes au minimum).
Exemple des SEL.
Forme monétaire
Forme scripturale
Coûts liés à la tenue centralisée des comptes (gestion et
comptabilisation des échanges) ; lourdeur administrative
Évolution de la masse monétaire
Monnaie multilatérale
La monnaie est simultanée à l’échange (jeu à somme
nulle). Exemple des SEL.
Particuliers et professionnels
Masse critique importante requise. Les acteurs doivent être
variés. L’exemple Palmas (Brésil) a montré qu’une
quarantaine d’entreprises n’avaient pas suffi.
Forme fiduciaire
Coûts liés à l’émission de billets ; risques de falsification
Émission monétaire à l’adhésion
Réception d’un montant forfaitaire en monnaie interne à
l’adhésion. Pas de moyen de régulation ; a prouvé son
échec
Taux d’intérêt négatif
La masse monétaire ne peut plus s’accumuler, ce qui évite les problèmes de l’émission monétaire à l’adhésion en
favorisant les échanges
Convertibilité des avoirs
Monnaie multilatérale
Inconvertibilité des avoirs
Impossible de faire entrer ou sortir de la monnaie
Usage interne seulement : localisation et dynamisation des
échanges, mais coût d’opportunité élevé.
Convertibilité des avoirs
Peut être à sens unique (à l’entrée) ou dans les deux sens. La convertibilité à la sortie peut être taxée, mais elle implique
une grande couverture des avoirs en monnaie conventionnelle.
Accès à la monnaie
Système fermé
Système ouvert
L’adhésion est filtrée (reconnaissance des valeurs Pas d’allégeance aux valeurs, mais diffusion plus importante
propagées par la monnaie complémentaire). Nécessite
une forme scritpurale
Gouvernance
Gouvernance interne
Gouvernance externe
Risque de tyrannie. Élaboration de chartes nécessaire, Gouvernance participative. Nécessité de laisser les
et priorité à la liberté de parole ainsi qu’à l’appropriation institutions à l’écart du projet (échecs répétés en France)
Tableau 2 : Modalités possibles des monnaies complémentaires. Source : Blanc (2006), adapté.
L’exemple helvétique, abordé en troisième partie, est un bon exemple de localisme monétaire territorial infraétatique, lorsque le droit
d’émettre la monnaie incombait aux cantons, aux villes ou aux évêchés.
91
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Le point concernant la convertibilité des avoirs reprend la classification de Schraven, cité par Alexia Fouarge (2010, p.
25) :
Inconvertibilité des avoirs
« Fiat currency »
Monnaie créée ex nihilo. N’est couverte par aucune monnaie conventionnelle, ni par aucun bien ou service. Une grande
confiance est requise pour utiliser cette monnaie (exemple : Ithaco-hours92)
Convertibilité des avoirs
« Backed currency »
Monnaie couverte par de la monnaie conventionnelle ou par des biens. La confiance est plus aisée (exemple : Banco
Palma)
Monnaie multilatérale
« Mutual credit system currency »
Chaque adhérent reçoit des unités de crédit. Ce système utilise la forme scripturale. Il s’agit d’un jeu à somme nulle (les
crédits des uns comblent les débits des autres).
Tableau 3 : Classification des MC par rapport à leur convertibilité. Source : Fouarge (2010), adapté.
Le système de crédit mutuel reprend au pied de la lettre l’assertion de Frédéric Bastiat indiquant que, dans une société,
chaque service dû d’une part est un service rendu d’autre part. Cela dit, ce système exclut que de la création de valeur
ne se fasse autrement qu’au détriment d’une autre personne, si ce n’est au moment de l’adhésion, ce qui est une
aberration simplement expliquée par l’article I, Pencil (Read, 1958). Il est à relever que Jérôme Blanc fait, dans ses
articles, une différence entre le système de crédit mutuel et les monnaies complémentaires à proprement parler.
Notons que la convertibilité des avoirs est réellement l’un des points cruciaux, faisant directement appel à la confiance
des utilisateurs.
Dans son article sur « les formes et rationalités du localisme monétaire » (2002, pp. 357-363), Jérôme Blanc indique
quatre rationalités, chacune dictant la construction de la monnaie complémentaire. Bien sûr, une combinaison des
rationalités est souvent la norme93.
Captation de revenus : seigneuriage et financement
L’organisation émettrice de monnaie capte les revenus (seigneuriage) pour son profit, généralement pour financer son fonctionnement
Protection de l’espace local
Protectionnisme de l’espace contre les perturbations extérieures. Cherche à maîtriser la fuite des revenus (par la fiscalité et une
nouvelle organisation de la production, localement ancrée au contraire des grands groupes) et le système monétaire (lutter contre les
pénuries de moyen de paiement94 ou l’inflation élevée)
Dynamisation locale : internalisation des activités et accélération des échanges
En raison du caractère plus restreint, les échanges sont effectués vers les acteurs qui acceptent la monnaie ; les échanges sont
internalisés et sont accélérés si les modalités de la monnaie interne le permettent, surtout en cas d’inflation de la monnaie nationale
Transformation qualitative des échanges
Surtout pour les SEL ; concept de prosommateur (personne à la fois consommateur et producteur). Vise à transformer les relations de
clientèle (échanges conviviaux qui ne s’éteignent pas lors de la transaction) ; cherche à annihiler certains aspects des échanges
marchands traditionnels (refus de l’intérêt individuel au profit d’une réciprocité multilatérale, refus du capitalisme et du profit, refus de
la monnaie qui ne doit être vue que comme un outil)
Tableau 4 : Les quatre rationalités des monnaies complémentaires. Source : Blanc (2002), adapté.
Nous le voyons, les modalités et les formes sont nombreuses et il convient de réfléchir précautionneusement sur ces
points lors de l’élaboration d’une telle monnaie.
92
Cette monnaie fixe les prix par rapport aux heures de travail (USD 10 = 1 Ithaca-Hours).
93 Ainsi, le Wir est de forme communautaire, dont la rationalité principale est la dynamisation, et les rationalités secondaires sont la protection,
la captation et la transformation. Les LETS (de forme communautaire) répond à une rationalité principale de transformation et de
dynamisation, et à une rationalité secondaire de protection (Blanc, 2002, p. 364).
94 Les pénuries de monnaie peuvent intervenir lors de forte déflation (USA, 1930’), d’hyperinflation (Allemagne, 1922-1924 ; Argentine, 19881989), de retrait des espèces de la circulation sans émission d’équivalents (Italie, 1977-1978), de thésaurisation massive (France, 19141924) (Blanc, 2002, p. 359). Nous remarquons l’émergence d’une multitude de monnaies complémentaires lors de ces épisodes, qui
prennent le nom de monnaie de nécessité.
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12.1.3
Buts poursuivis
Jérôme Blanc (2006) établit cinq profils-types de monnaies complémentaires, chacun faisant intervenir divers objectifs.
Cette partie poursuit le but d’expliciter de manière très succincte ces cinq profils.
Idéalement, une telle partie serait accompagnée d’un exposé détaillé des MC correspondantes pour en avoir un exemple
concret et d’une étude d’impact pour chaque projet. Cela dit, une étude cherchant à mesurer l’impact de ces monnaies
nécessiterait un travail entièrement dédié, ce qui sort bien entendu des limites de notre rapport. Cependant, indiquons
que nous pourrions notamment nous questionner sur :



L’impact économique (quelle part de l’accroissement du dynamisme économique est spécifiquement due à la
MC ? Quelle est la corrélation entre MC et accroissement des échanges à valeur ajoutée ? Quelle est la part
des personnes ayant pu augmenter leur accès à l’échange exclusivement grâce à la MC ?)
L’impact DD (quel est l’impact réel sur l’environnement ? Sur la localité des échanges ? Sur les tensions
sociales ?)
L’impact en termes de coûts perçus par l’utilisateur (quels sont les coûts/bénéfices réels et perçus par
l’utilisateur ? Quelle est la complication d’un tel système ? Quid de la cohésion sociale ?)
Le tableau ci-après est un résumé des deux articles précités de Jérôme Blanc. Il est à remarquer que l’objectif poursuivi
dicte les modalités, et non l’inverse :
Profil 1
Profil 2
Profil 3
Profil 4
Profil 5
Objectif
Échange et lien
social
Couverture étendue
des besoins
Concept de
prosommateur
Dynamiser des
activités spécifiques
Développement d’un
tissu local de microentrepreneurs
Base de la
solidarité
Échanges
réciproques
Satisfaction des
besoins réciproque
Compétences de
chacun valorisées
Développement
d’activités collectives
et solidaires
Développement
local
Usagers
Particuliers
Particuliers et
professionnels
exogènes
intervenant à
l’interne
Particuliers et semiprofessionnels
endogènes
Particuliers,
professionnels et
collectivités
publiques
Particuliers,
professionnels endo/exogènes voulant
se développer à
l’externe/interne
Variété/taille
minimale
Faible
Moyenne à forte
Moyenne à forte
Forte à très forte
Forte
Spécialisation
productive
Faible
Faible (particuliers)
et forte
(professionnels)
Forte
Très forte
Très forte
Salaire en MC
Impossible
Impossible
Non (pas
d’entreprises
collectives)
Oui, mais comme
partie marginale du
salaire
Oui, mais comme
partie seulement
d’un salaire en MN
Émission
automatique
consubstantielle à
l’échange (crédit
personnel)
Aucune réserve ;
cohésion du groupe
Multilatérale
(scripturale non
bancaire)
Émission
automatique
consubstantielle à
l’échange (crédit
personnel)
Aucune réserve ;
cohésion du groupe
Multilatérale
(scripturale non
bancaire)
Émission centralisée
(crédit à l’adhésion)
Émission sous forme
de récompense ou
de crédit
Proportionnée aux
crédits et aux
demandes de
conversion
Monnaies
utilisables
MC
Convertibilité
Inconvertibilité totale
Mode
d’émission
Mode de
garantie
Forme
privilégiée
Aucune réserve ;
cohésion du groupe
Monnaie
complémentaire
manuelle
Couverture partielle
ou totale
MC + MN
MC
MC + MN
MC + MN
Inconvertibilité totale
Inconvertibilité
Conversion possible,
mais taxée
Conversion possible,
mais taxée
MC scripturale
Couverture partielle
ou totale
MC manuelle avec
possibilité de MC
scripturale bancaire
Tableau 5 : Synopsis des profils-types de monnaies complémentaires (MC : Monnaie Complémentaire ; MN : Monnaie Nationale). Source :
Blanc (2006), adapté.
(1) Le premier profil concerne l’ « entraide et convivialité », qui est une monnaie multilatérale, visant à instituer les
échanges dans le lien social et la solidarité. Les SEL en sont l’exemple le plus probant. Ces projets sont populaires en
France, où il en existe près de 600. Il en existe également en Suisse, à l’Instar du SEL du Lac de Genève, comptant un
peu plus de 160 membres (0.08% de la population). Généralement, du temps est échangé dans les SEL, sans tenir
compte de la nature de la prestation. Si A donne une heure de cours de français à B, B donne 1 unité (ou 60 unité si la
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monnaie est divisée en minutes) à A. A va pouvoir ensuite acheter une heure de jardinage à C. La création monétaire
est donc consubstantielle à l’échange, basé sur la mutualité des services : pour pouvoir profiter, il a fallu donner. Notons
que dans le système du SEL du Lac, nous pouvons échanger des services mais aussi des biens, dont le prix est libellé
en « grains de sel ».
(2) Le profil « couverture des besoins de consommation » est également de type multilatéral, visant la socialisation,
l’entraide, la convivialité, mais également l’accès à des biens et services supplémentaires, car étant accessible à des
professionnels exogènes. C’est sur ce point que le premier profil et celui-ci divergent ; ce dernier favorisant la satisfaction
de biens de consommation. Les LETS anglo-saxons, cousins des SEL européens, entrent dans ce profil.
(3) Le profil « valorisation des compétences » transforme le consommateur (les particuliers) en semi-professionnels
endogènes (concept de prosommateur), dans un système fermé. Le trueque argentin en est un des exemples les plus
remarquables.
(4) Le profil « stimulation des pratiques solidaires » poursuit un objectif de dynamisation de pratiques spécifiques, par
détournement d’une partie du circuit monétaire classique. Le principe est qu’un certain montant en monnaie
complémentaire est distribué à des bénéficiaires filtrés (charte, critères, etc.). Le Sol, en France, est un bon exemple.
(5) Enfin, le profil « développement local solidaire » est, au contraire du profil n°3 un système ouvert. C’est le principe
utilisé au Brésil par Palma. Un autre système célèbre est celui de l’Ithaca Hours95, actif depuis 1991 et fonctionnant avec
une monnaie physique. On s’échange des Hours, qui valent une heure (les hours sont divisées en ½, ¼ et 1/8 pour
faciliter les plus petites transactions. Faisant appel également aux entreprises (monnaies B2B2C), la masse critique est
un peu plus importante que pour les SEL traditionnels. À Ithaca, plus de 1'500 utilisateurs et 500 commerces acceptent
les Ithaca Hours pour des prestations variées : cinéma, docteur, services, etc. (presque 3% de la population, y compris
celle attirée par l’Université de la région). Le système fonctionne ainsi : A produit un meuble qu’il vend USD 50. Comme
un taux de change a été fixé (1 Hours = USD 10)96, il peut le vendre pour 5 Hours. Avec cela, il peut faire appel à un
menuisier, s’acheter une place de cinéma, aller au restaurant, etc. pour le montant correspondant. L’autorité d’émission,
la librairie Autumn Leaves, permet l’émission d’Hours au taux de change indiqué plus haut, ce qui augmente la masse
monétaire. Par contre, la « conversion inverse, qui se traduirait par une réduction de la masse monétaire interne, n’est
en revanche pas possible » (Blanc, 2006, p. 182).
Il s’agit bien entendu de profils d’ordre généraux, où les différentes modalités peuvent être discutées. Nous remarquons
que, malgré le grand nombre de monnaies complémentaires en circulation, relativement peu d’objectifs différents sont
poursuivis. Mais c’est l’objectif principal qui fixe péremptoirement de nombreuses dispositions. Ainsi, il sera par exemple
impossible de vouloir dynamiser des activités localement (profil n°4) sans avoir une grande diversité et un grand nombre
d’acteurs.
L’objectif poursuivi doit en outre répondre à un besoin et trouver un écho au sein de la localité où prendra racine la
monnaie. En effet, sans la masse critique nécessaire – fût-elle faible – le projet ira inexorablement vers un échec. Sans
le nombre d’utilisateurs nécessaire, le projet pourra peut-être atteindre l’un de ses buts (par exemple, la création de liens
dans une communauté), mais finira par s’essouffler. S’ensuivra alors une perte de soutien, qu’il soit humain ou
économique.
Enfin, Fouarge (2010) remarque, dans son travail sur la Banco Bem au Brésil, que la situation économique est corrélée
à l’acceptation de la monnaie complémentaire locale (80% des commerces de la zone l’acceptent), et que les trois
aspects de la confiance (méthodique, hiérarchique et éthique) sont applicables pour l’acceptation de la monnaie locale
par la population.
Ces monnaies complémentaires, dont le but est de favoriser les échanges au sein d’une région et de participer à son
dynamisme économique, ne sont pas sans rappeler, toutes proportions gardées, au triangle culinaire de Claude LéviStrauss (Lévi-Strauss, 2009) :
95
96
« Le système d’Ithaca Hour se rapproche aussi de ce profil, sans cependant en avoir l’ampleur et l’ambition » (Blanc, 2006, p. 192).
C’est en moyenne le taux horaire traditionnel dans cette région.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Figure 14 : Triangle culinaire simplifié. Source : Claude Lévi-Strauss (adapté).
Sur ce schéma simplifié (nous n’avons représenté ni les éléments – air, eau – ni les étapes intermédiaires – rôti, fumé,
bouilli – à dessein), nous voyons que la nourriture part de son état naturel, le « cru ». La nourriture se dégrade
naturellement et pourrit. Mais lors de son évolution culturelle, l’homme a appris à transformer sa nourriture, et à la cuire
(ou la fumer). Mais le bénéfice apporté par la cuisson des aliments diminue graduellement avec le temps, pour pourrir
si la nourriture est conservée trop longtemps.
Il s’agit, pour les défenseurs d’une monnaie complémentaire ayant la dimension gésellienne de perte de valeur, du même
principe pour la monnaie. La monnaie « pourrit » lorsqu’elle est thésaurisée, puisqu’elle ne participe plus, selon eux, au
dynamisme des échanges locaux. C’est la fameuse antinomie des fonctions « intermédiaire des échanges » et « transfert
du pouvoir d’achat dans le temps ». La perte de valeur gésellienne des MC, en favorisant la consommation, tente de
prévenir cette « pourriture » de la monnaie thésaurisée97.
12.2 Designs de services initiaux
Ce qui précède peut nous amener à élaborer un design de service initial, pour se rendre compte du fonctionnement de
ces monnaies complémentaires. Nous en établirons deux : le premier concerne les monnaies complémentaires passées.
Le deuxième concerne les monnaies complémentaires actuelles. Ces designs de service sont d’ordre général – ils ne
s’appliquent pas à une monnaie spécifique – et sont macroscopiques.
12.2.1 Design de service : monnaie complémentaire passée
Des documents internes à la MGG identifient quatre générations de monnaies locales :
Années
1980
1987 - 1990
1991 - 2000
2000 - …
Quid
Monnaies inconvertibles, peu de partenaires économiques, distance avec les
pouvoirs publics, basé sur le crédit mutuel
Monnaie-temps inconvertibles
Monnaies convertibles, partenariats plus nombreux, objectifs économiques
locaux. Relations entre agents plus efficaces
Les collectivités locales ont un rôle central. Dimension environnementale
Exemples
Lets, sel
Times Banks, Banche del tempo
Ithaca Hour, Regiogeld, Banco
Palmas
Sol
Tableau 6 : Les quatre générations de monnaies locales. Source : documents internes de la MGG (adapté).
Cependant, ces monnaies complémentaires sont modernes et concernent donc le point suivant. Par monnaie
complémentaire passée, nous entendons les monnaies d’avant la Révolution Industrielle98. En effet, Wojtek Kalinowski
(2012) indique que le monopole monétaire a pris un essor considérable lors de l’industrialisation de l’économie, faisant
apparaître ce qu’il appelle le « capitalisme industriel ». Nous remarquons qu’après la Révolution industrielle, la monnaie
est devenue de plus en plus du monopole de l’État central, alors qu’auparavant elle était souvent du fait des collectivités,
et que beaucoup de monnaies circulaient parallèlement à la monnaie principale.
Pour notre travail, nous constatons trois sortes de complémentarité des monnaies99 :
Le lecteur se rappellera de la différence entre l’épargne et la thésaurisation, vue plus haut.
Nous datons la Révolution industrielle depuis la fin du XVIIIème siècle jusqu’à la fin du XIXème pour la première période et au début du
XXème siècle pour la deuxième.
99 Ces monnaies pouvaient être d’usage varié, localement, au même titre que la monnaie ayant cours légal. Mais elles pouvaient également
revêtir des usages plus spécifiques. Certaines monnaies avaient en outre une utilité plus cocasse, comme les monnaies érotiques de
97
98
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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


la monnaie principale et les monnaies complémentaires n’ont aucune valeur intrinsèque. C’est, par exemple,
le cas des paléomonnaies, à l’exception des métaux précieux ;
la monnaie principale et les monnaies complémentaires ont une valeur intrinsèque. Avant la RI, le système
était basé sur le bimétallisme : il s’agit donc d’un système où les monnaies complémentaires étaient également
composées d’argent ou d’or ;
la monnaie principale a une valeur intrinsèque, au contraire des monnaies complémentaires. Avant la RI, le
système était basé sur le bimétallisme : il s’agit donc d’un système où les monnaies complémentaires étaient
composées de métaux non précieux, comme le cuivre, le nickel, etc.
Notons que la monnaie peut être du fait du prince, mais qu’elle n’est pas toujours centralisée. Kalinowski (2012) parle
d’ailleurs de « monnaie principale » plutôt que de monnaie officielle.
La circulation du numéraire correspond la loi de Gresham : si les MC n’ont pas de valeur intrinsèque, elles s’échangeaient
rapidement et le numéraire principal était thésaurisé, car comportant des métaux précieux. Si les deux sortes de
monnaies ont ou n’ont pas de valeur intrinsèque, la monnaie principale est celle où la confiance est la plus aboutie : la
MC circule donc toujours plus vite, tandis que la monnaie principale, rassurante, est thésaurisée.
Les acteurs représentés sont les individus et les entreprises. L’association MC peut être, par exemple, un regroupement
de marchands, ou toute autre collectivité. Les partenaires sont les orfèvres. Notons qu’une vente peut être l’œuvre d’une
société ou d’un individu. Pour cette vue partielle, trois étapes sont représentées :
1.
La pré-transaction
Cette étape concerne le préambule à l’utilisation de la monnaie complémentaire. Il s’agit pour l’individu de
générer un revenu, pour l’entreprise de générer une production désirable sur le marché. L’association MC
décide quant à elle d’une quantité définie de monnaie à émettre, qui sera frappée par les orfèvres et injectée
dans l’économie réelle.
2.
La transaction
La transaction est elle-même divisée en 3 étapes :
a. L’adhésion au réseau MC
L’adhésion à une communauté de paiement complémentaire se fait simplement par réception de MC.
Il n’y a en général pas d’inscription à un quelconque réseau, comme il se fait dans certaines monnaies
locales actuelles.
3.
b.
La consommation
Cette étape est la pierre angulaire du concept de la monnaie complémentaire, qui vise à dynamiser
les échanges locaux au sein d’une région donnée. Les individus consomment des biens et des
services en MC dans les entreprises les acceptant.
Nous remarquons que la confiance réside, semble-t-il, dans l’autoréférentialité. L’avantage de pouvoir
épargner la monnaie principale tout en favorisant les échanges est indéniable.
c.
L’épargne
L’épargne est encouragée en monnaie principale, qui a soit une confiance plus grande soit une valeur
intrinsèque plus importante que la MC. La MC circule donc plus rapidement que la MP, favorisant les
échanges, sans avoir la notion de monnaie fondante.
La post-transaction
La post-transaction consiste, pour ceux qui ne restent pas dans le circuit de la MC, à sortir du réseau. Cela se
fait de manière très simple, soit en changeant la MC contre de la MP, soit en se débarrassant des MC lors
d’une vente par exemple.
l’Antiquité, qui permettaient aux âmes esseulées d’acheter de la compagnie dans les maisons de joie d’une région donnée. Nous
n’aborderons pas ces cas spéciaux et resterons sur un exemple plus général.
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Figure 15 : Design de service macroscopique initial pour une monnaie complémentaire passée (vue partielle). Élaboration propre.
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12.2.2 Design de service : monnaie complémentaire locale actuelle
Le design de service initial qui suit représente une vue partielle du fonctionnement générique d’une monnaie
complémentaire locale. Les deux systèmes principaux (crédit mutuel et monnaie locale) ne fonctionnent pas de la même
manière ; cependant, la vue macroscopique utilisée nous permet de les représenter sur le même schéma, en utilisant
toutefois des couleurs spécifiques.
Les acteurs représentés sont les entreprises appartenant au réseau de la MC, les individus, l’association de la MC, et
ses partenaires (par exemple, la banque dans laquelle le fonds de garantie, s’il y en a un, sera créé). Notons qu’une
vente peut être l’œuvre d’une société ou d’un individu. Pour cette vue partielle trois étapes sont représentées :
1. La pré-transaction
Cette étape concerne le préambule à l’utilisation de la monnaie complémentaire. Il s’agit pour l’individu de
générer un revenu, pour l’entreprise de générer une production désirable sur le marché et pour l’association
MC de créer un fonds de garantie chez son partenaire (bien entendu, la constitution de l’association – ou de
toute autre forme – n’est pas représentée sur le schéma, par souci de clarté). Pour une monnaie fiat ou pour
un système de crédit mutuel, aucun fonds de garantie n’est bien sûr créé.
2.
3.
La transaction
La transaction est elle-même divisée en 3 étapes :
a. L’adhésion au réseau MC
Dans cette étape, les sociétés et les individus veulent rejoindre le réseau de MC. Pour cela, ils
échangent de la monnaie nationale – qui ira alimenter le fonds de garantie – contre de la monnaie
complémentaire. Pour le système de crédit mutuel, il n’y a pas de change.
Nous formulons l’hypothèse que l’un des attributs saillants intervient à ce moment : un avantage doit
être perçu par les entreprises et par les individus pour qu’ils décident de rejoindre le réseau.
b.
La consommation
Cette étape est la pierre angulaire du concept de la monnaie complémentaire, qui vise à dynamiser
les échanges locaux et solidaires au sein d’une région donnée. Les individus consomment des biens
et des services en MC dans les entreprises appartenant au réseau.
Nous formulons l’hypothèse que l’autre attribut saillant doit intervenir à cette étape. Pour que la
monnaie complémentaire soit utilisée, il faut qu’elle soit désirable sur le marché, donc qu’elle réponde
à un besoin. N’oublions en effet pas qu’en achetant un service, on achète un avantage. Les questions
de confiance interviennent également à ce moment de la vie du service.
c.
L’épargne
L’épargne est découragée car, de manière générale, la monnaie complémentaire est fondante. Ainsi,
pour ne pas perdre de valeur, l’individu sera plus enclin à consommer.
Concernant les crédits mutuels, la valeur n’est pas fondante. Mais comme le système est basé sur la
réciprocité ainsi que sur la non-convertibilité, l’individu sera également incité à consommer.
La post-transaction
La post-transaction consiste, pour ceux qui ne restent pas dans le circuit de la MC, à sortir du réseau. Les
monnaies complémentaires sont à nouveau échangées contre de la monnaie nationale (excepté pour la
monnaie fiat ou pour le système de crédit mutuel). Comme la monnaie nationale a cours légal, les individus et
les entreprises, après leur abandon de la MC, se retrouvent dans le schéma classique de la monnaie
conventionnelle (cf. design de service pour la monnaie conventionnelle, pp. 20-21).
Notons que l’individu A est tantôt l’acheteur, tantôt le vendeur. Cela est particulièrement vérifiable avec le crédit mutuel
ou avec les MC en système fermé : le seul moyen de gagner des MC est de vendre un bien ou un service, vu qu’il s’agit
d’un jeu à sommes nulles.
Le cycle de consommation doit donc se répéter dans les deux sens (mutualité des services) pour que l’individu conserve
un pouvoir d’achat.
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Figure 16 : Design de service macroscopique initial pour une monnaie complémentaire actuelle (vue partielle). Élaboration propre.
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13. Design de service final
Partant du design de service initial, il nous faut affiner les hypothèses pour parvenir à un design de service final,
regroupant les risques et les attributs saillants d’une monnaie complémentaire locale. Pour cela, nous nous servirons
d’une étude qualitative, puis des observations de la Monnaie Grand Genève. Nous rappellerons ensuite les points
importants relevés dans ce travail, ainsi que d’autres éléments externes.
13.1 Étude qualitative
Nous avons choisi de réaliser une étude qualitative afin de vérifier et affiner nos hypothèses. D’aucuns pourraient nous
reprocher de ne pas avoir voulu faire d’étude quantitative : nous avons fait ce choix pour trois raisons.
Tout d’abord, nous ne voulions pas extrapoler nos résultats à un niveau national et il n’était donc pas pertinent de
connaître les proportions. Deuxièmement, une telle étude, en plus de l’étude qualitative, aurait largement dépassé les
moyens dont nous disposons (en termes de temps et de ressources). Dernièrement, une étude quantitative nous aurait
donné une proportion de gens en faveur ou non d’une monnaie complémentaire. Elle nous aurait donné le combien,
alors que nous souhaitons connaître le pourquoi d’une utilisation de monnaie complémentaire. Cela est bien plus utile
dans l’élaboration d’un design de service, vu qu’il s’agit de déterminer les bénéfices perçus par l’utilisateur de ce service.
C’est donc bien une étude qualitative qui est la plus pertinente pour affiner et vérifier nos hypothèses. Il est évident que
nous aurions également dû procéder à une étude quantitative si nous avions voulu faire une étude de faisabilité, laquelle
étude aurait dû porter sur un projet de monnaie précis et non sur une réflexion macroscopique comme il en est ici
question.
Cette étude qualitative peut nous permettre de définir le premier temps du modèle CYQ (cycle de la qualité), qui en
compte quatre (Emad, 2013) :
Figure 17 : Cycle de la qualité (modèle CYQ). Source : Emad (2013), adapté.
L’étape « Attendu » désigne ce que le client attend du service : ce qu’il souhaite en retirer, pour quel prix, pour quels
avantages. Pour notre travail, il s’agit de comprendre comment les utilisateurs potentiels, qui ne connaissent pas
forcément les monnaies complémentaires, se positionnent face à la monnaie et de définir où se situent leurs sensibilités
ou leurs réticences à l’encontre des monnaies complémentaires.
L’étape « Conçu » est le service tel que décidé par l’entreprise. Ici, il s’agira des modalités retenues par chaque
association de MC spécifique pour sa monnaie ; cette étape dépasse les limites du présent travail puisqu’il s’agit de
l’implémentation du service. Il est nécessaire, pour la satisfaction du client – et donc pour la réussite du service – que
ce qui soit conçu respecte le plus possible ce qui est attendu par l’utilisateur.
L’étape « Réalisé » consiste en ce qui est effectivement réalisé sur le terrain, et en la manière dont il est vécu par le
client.
Enfin, l’étape « Perçu » est la perception qu’a l’utilisateur de notre service. Tous les aspects de confiance entrent
typiquement dans cette étape, extrêmement subjective et qui est clé dans la satisfaction – ou non – de l’utilisateur.
Il est à noter que chaque étape est la source d’un gap potentiel (symbolisé par les ruptures de flèches), diminuant la
valeur perçue du service.
Dans un premier temps, nous effectuerons un bref aperçu des modalités de l’étude. Nous analyserons ensuite les
résultats obtenus selon les trois axes de l’étude. Pour ces trois axes, nous indiquerons les réflexions relatives, les
résultats succincts et leurs interprétations. Les interviews sont annexées, de même qu’un résumé et que le
questionnaire : les questions (y compris celles de relance) et le but de chaque question sont indiqués.
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Comme cette étude qualitative a pour but de confirmer ou d’infirmer certaines hypothèses, nous avons pris le parti de
présenter les résultats sous forme de tableau contenant les hypothèses que nous avons imaginées pour chaque
question. Les points de couleur indiquent quelles hypothèses le répondant confirme. Ces tableaux sont bien sûr
complétés par une courte narration expliquant de manière plus détaillée les réponses des intervenants, ainsi que le
conseille la méthode HEG. Dans les analyses, les répondants seront appelés par leur numéro (I1 à I15) afin de garantir
l’anonymat des participants.
13.1.1 Modalités de l’étude
Les enquêtes qualitatives peuvent être sujettes à de nombreux biais. Afin de les éviter, nous suivrons une méthodologie
éprouvée pour l’élaboration du questionnaire et pour le déroulement des entretiens. Ce qui suit donne, de manière
adaptée, les points qui doivent nous interpeler.
Utilité et axes de l’enquête
Cette étude qualitative est utilisée comme un outil complémentaire de recueil de données, puisqu’elle a lieu après la
recherche documentaire et les observations de terrain (Blanchet & Gotman, 2007). Son but est d’apporter un éclairage
sur les résultats que nous avons obtenus plus haut et de les affiner. En effet, nous avons besoin de comprendre le
rapport des gens à la monnaie, dans une optique de positionnement sur la monnaie complémentaire. Or, nous n’avons
pas d’étude déjà existante pour nous apporter des réponses plus claires et plus spécifiques à notre région.
Afin de parvenir à identifier le rapport des gens à la monnaie, mais aussi d’identifier les attributs saillants pour une
monnaie complémentaire en général, nous avons imaginé trois axes sur lesquels notre étude devrait se baser : (1) la
signification de la monnaie, (2) la finalité de la monnaie et (3) le positionnement sur les monnaies complémentaires.
Dans le traitement de ces axes, nous ne devons bien entendu pas perdre de vue notre question de recherche ainsi que
l’hypothèse formulée, à savoir que l’aspect fédérateur est crucial. Ce point va dans le sens de Jeanne Le Roy et de
Marjorie Pierrette (2012, p. 16) qui indiquent que la formulation d’une hypothèse doit être générale et réfutable.
Échantillon
La population prise en compte comprend les potentiels utilisateurs d’une monnaie complémentaire, mais qui ne sont pas
forcément acquis à leur cause. Les impératifs de temps et de moyens ne nous permettent pas d’analyser un échantillon
aléatoire, plus représentatif mais devant obéir à des techniques probabilistes strictes (Le Roy & Pierrette, 2012, p. 18
ss). Nous avons donc construit notre échantillon de manière empirique, puisque non-probabiliste.
Afin de diminuer au plus les biais de représentativité, nous utiliserons une technique d’échantillonnage empiriste par
quotas100. Cette technique permet d’être plus représentatif que d’autres méthodes empiriques, mais elle implique de
choisir les critères de sélection avec circonspection en tenant compte de la répartition des critères au sein de la
population (Le Roy & Pierrette, 2012, p. 25) Cette méthode est la plus indiquée compte tenu des impératifs, puisque
nous voulions avoir un échantillon varié101. En effet, le critère utilisé pour nos quotas est la catégorie professionnelle.
Ces personnes ne sont pas entendues comme professionnels de leur branche respective, mais comme des utilisateurs
individuels potentiels ayant un regard critique, de par leur activité professionnelle, sur l’argent. Nous souhaitons varier
cet échantillon en interrogeant des banquiers, des étudiants, des commerçants, des avocats, etc. Notons que nous
souhaitons couvrir tous les âges.
Enfin, Bryan Marshall & al (2013) indiquent qu’un échantillonnage trop large lors des études qualitatives nuit à l’analyse
et provoque une saturation des données : au-delà de 30 personnes – pour le même type d’études que la nôtre –
l’échantillon est jugé trop vaste. L’idéal serait un échantillonnage d’une douzaine à une quinzaine de personnes, selon
ce même article. C’est ce à quoi nous avons essayé de tendre.
Questionnaire et trame
Nos entretiens sont d’ordre directif : c’est la forme recommandée pour confirmer ou affiner des connaissances préalables
sur un sujet (Barbillon & Le Roy, 2012). Le cadre de l’entretien est standardisé par des questions ouvertes. Elles
permettent en effet un niveau de détail plus élevé, et une profondeur de réponse plus large (Le Roy & Pierrette, 2012).
De plus, les questions sont directes (pour forcer l’interviewé à prendre position), mais aussi indirectes : ce genre de
«Ces échantillons respectent la composition de la population sur certains critères. Les personnes interrogées sont sélectionnées en
fonction de caractéristiques les identifiant (ex. être âgé entre 25 et 40 ans). […] L’échantillon n’est pas constitué à partir de l’ensemble de la
population mais à partir de l’ensemble de la population accessible au chercheur. » (Le Roy & Pierrette, 2012, p. 25).
101 Nous voulions avoir l’avis de personnes venant d’horizons professionnels différents, et avoir des personnes proches des milieux
concernés par la monnaie ou par les échanges (entretien du 27.03.2014, Jean-Pierre Meynard et Cédric Chervaz).
100
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questions, plus larges, permet – et la problématique nous le recommande – de se positionner sans cadre trop
contraignant, ce qui pourrait mettre mal à l’aise le répondant sur certains thèmes. Ce choix peut toutefois impliquer des
biais dans l’élaboration du questionnaire, comme des erreurs (intentionnelles ou non), des influences de la part du
chercheurs, des altérations, ou autres (Barbillon & Le Roy, 2012, p. 26).
Il convient de prendre en compte ces biais dans la construction du questionnaire. De plus, afin de s’assurer de sa fiabilité,
il a été testé sur un groupe de personnes compétentes avant d’être utilisé sur le véritable échantillon. Jeanne Le Roy et
Marjorie Pierrette (2012, pp. 45-50) donne une idée de la trame idéale que devrait avoir le questionnaire. Celui-ci devrai
être composé, dans l’ordre, de :
1.
La présentation
Il s’agit de préciser le contexte de l’étude, son but. C’est ici, d’emblée, qu’il convient d’assurer le répondant
sur l’anonymat et la confidentialité de sa participation.
2.
La question introductive
Elle doit permettre de détendre et de briser la glace. Elle sera générale et « innocente ».
3.
Les questions proprement liées à l’étude sur trois axes
Elles doivent avoir un ordre logique, pour garder une certaine cohérence et éviter l’effet halo102. Nous les
classerons en trois thématiques, comme cité plus haut.
4.
Les questions signalétiques
Ce sont les questions liées à l’identité du répondant. Nous relèverons particulièrement la catégorie
professionnelle des interviewés.
5.
La conclusion
Il s’agit des remerciements au répondant, et d’un temps où il pourra répondre à ses questions sur l’étude.
Le questionnaire a été testé sur un échantillon de trois économistes d’entreprise HES (dont deux sont étudiants en
MScBA MIS à la HEG de Genève) afin de vérifier les biais éventuels et la pertinence des questions, et d’une personne
externe pour vérifier la compréhension des questions.
Entretiens
Les entretiens sont plus productifs s’ils se déroulent dans un bon cadre spatio-temporel : un lieu calme a été utilisé lors
des entrevues. Celles-ci ne sont pas trop longues (entre quinze et vingt minutes), afin que l’interviewé ait du temps à se
ménager pour nous recevoir et nous répondre. Les entretiens se sont fait dans la mesure du possible de visu et c’est
l’auteur du présent travail qui a lu les questions et qui a rempli le questionnaire, dans le cas où le répondant n’autorise
pas l’enregistrement de l’entretien. Certains répondants ont demandé à ce que nous leur transmettions le questionnaire
pour qu’ils y répondent seuls ; leur agenda ne leur permettait en effet pas de nous recevoir. Nous leur avons donc
transmis un questionnaire quelque peu modifié, dans la mesure où nous devions inclure certaines questions de relance
dans l’énoncé de la question.
Les entretiens sont, si le répondant l’autorise, enregistrés. Les interviewés sont assurés de la confidentialité de ces
enregistrements : les résultats sont retranscrits de manière codée, et les enregistrements détruits à la fin de ce
processus. Cela permet une analyse plus intéressante, tout en suivant l’entrevue sans être embarrassé d’une prise de
notes excessive. Dans les faits, peu d’interviews ont été enregistrées, les personnes interrogées préférant ne pas l’être
ou désirant répondre au questionnaire seules.
13.1.2 Profil des répondants



I15
I13

I14
I12

I11
I9

Homme     






Femme
I10
I8
I7
I6
I5
I4
I3
I2
I1
L’échantillon ayant pris part à l’étude se compose comme suit103 :
Sexe


Effet de « contagion » des questions, où la question A influe sur la réponse de la question B.
Nous n’indiquons pas, dans les tableaux qui suivent, le total de réponses par question. Ne s’agissant pas d’une étude quantitative, nous
voulons éviter toute tentation d’extrapoler les résultats à l’ensemble de la population.
102
103
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
60
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Profession
Apprenti ou étudiant  


Milieu bancaire

Indépendant






Profession du droit

Mandat politique

Autre











Tranche d'âge
<21 
21-30

31-40
 


41-50



51-60





>60

Nationalité
Suisse  
Français
    






Tableau 7 : Profil des répondants. Élaboration propre.
Le profil des répondants indique que nous avons pu couvrir tous les âges ainsi que tous les métiers voulus, ce qui était
l’objectif premier.
Notons quelques particularités dans le profil des répondants :
Une personne fait désormais partie du projet de la MGG, convaincu du bien-fondé des monnaies complémentaires ; il
s’agit de I11.
Quatre personnes ont actuellement des mandats politiques. I4 est ancien député au Grand Conseil de son canton ; il est
actuellement Conseiller général dans sa commune et président de la section communale de son parti. I6 est députéesuppléante au Grand Conseil de son canton et vient de quitter la vice-présidence de la jeunesse cantonale de son parti.
I13 est député-suppléant au Grand Conseil de son canton et Conseiller général dans sa commune. I15 est député au
Grand Conseil de son canton et vice-président de sa commune. Ces quatre personnes ne sont pas issues des mêmes
courants politiques : I4, I6 et I13 sont de droite, tandis que I15 est de gauche.
13.1.3 Analyse de l’axe 1 : la signification de la monnaie
Réflexions et buts de l’axe
Cet axe doit permettre à la personne de se positionner sur une définition de la monnaie. Nous souhaitons en effet que
le répondant nous indique de manière spontanée ce que signifie pour lui la monnaie, et ce qu’elle représente.
Que ressent-elle lorsqu’elle a un billet entre les mains, sachant que le billet tangibilise le service qu’est la monnaie ?
Nous cherchons également à connaître les aspects de la confiance qu’il porte ou non à la monnaie. Sont-ils liés à la
monnaie physique ? Nous souhaitons également vérifier si la confiance en la monnaie scripturale repose sur la
supposition en ce qu’elle soit garantie par la BNS et sur l’obligation d’accepter.
I13
I14
I15
I12
I11
I10
I9
I8
I7
I6
I5
I4
I3
I2
I1
Résultats
La première question est hors-axe. Toutefois, il est important d’en prendre connaissance : elle indique si les personnes
interrogées connaissent préalablement la notion de monnaie complémentaire.



Q1 : connaissance du concept de MC
Oui, je sais ce que c'est
  
Non, je ne sais pas ce que c'est 

  





Tableau 8 : Synthèse des résultats à la question d’introduction. Élaboration propre.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
61
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Nous remarquons que seulement la moitié des personnes interrogées connaissent le concept de monnaie
complémentaire.
De plus, spontanément, les personnes ne nous indiquent presque aucune monnaie complémentaire locale. Seul I11 a
su expliquer le concept de monnaie complémentaire locale, et a pu donner quelques exemples. Soulignons toutefois
que I11 est largement documenté en la matière, puisqu’il fait partie depuis peu du groupe travaillant à l’élaboration de la
Monnaie Grand Genève.
Pour les autres, la majorité des répondants, à l’instar de I3, I8, I12 et I13 ont cité le bitcoin, actualité oblige. Notons que
pour I3 le bitcoin a une forte image négative, puisqu’il le lie à la mafia. En deuxième position, le WIR est cité comme
monnaie complémentaire (I7, I8 et I14), et le Reka obtient deux citations (I2 et I7). Les monnaies commerciales en
général ferment la marche (I8). Seule I14 a explicitement indiqué utiliser une monnaie complémentaire (le WIR) car ses
clients l’utilisent.
Ce concept, pourtant fédérateur de plusieurs milliers de projets à travers le monde, ne fait pas parler de lui outre mesure
parmi l’échantillon interrogé. Cela rejoint quelque peu les dires d’I1, indiquant d’un air coupable qu’il était mal informé.
Après l’entrevue, il a déclaré ne jamais avoir entendu parler de cette notion, alors qu’il lit pourtant régulièrement les
journaux. Quant à lui, I15 a déclaré qu’il « n’était pas du milieu », faisant ainsi part de sa peur de répondre « à côté » et
de « n’être pas assez informé ». Cela doit préoccuper les initiatives de monnaies complémentaires locales telles que la
MGG : la communication doit être un élément clé du projet, d’autant qu’un réseau doit, pour subsister, attirer une masse
critique d’utilisateurs relativement large. Or, il semblerait que l’idée d’accepter d’utiliser une monnaie complémentaire
doive parcourir un chemin relativement long chez l’utilisateur, entre débats d’opinions et confiance à rasséréner. Il est
donc nécessaire d’en parler dès l’aube d’un nouveau projet, d’être clair sur le message, et de briser la croyance qu’il
faut nécessairement faire partie d’un cercle d’initiés pour agir.
I8
I9
I10
I11
I12
I13
I14
I15
 







I7
I6
I5
I4
I3
I2
I1
La première série de questions concerne ce que la monnaie représente pour les gens et leur attachement à la monnaie
fiduciaire, qui tangibilise la monnaie.
Q2 : représentation de la monnaie
Intermédiaire des échanges
  



Unité de compte
Garant de la valeur dans le temps

Dimension sociale
˜
  
Autre





Q3 : valeur perçue des formes de monnaie
Valeur accordée à la monnaie physique  
  


Valeur accordée à la monnaie scripturale
Pas de distinction

 


 





Q4 : si la monnaie physique disparaissait…
… peu importe
… j'aurais du mal (concrétude)
 


… j'aurais du mal (lien émotionnel)

  
… j’aurais du mal (autre)








Q5a : quid de la confiance en la monnaie
J'ai confiance  
Je n'ai pas - ou peu - confiance
    








Q5b : sur quoi faire reposer la confiance
Confiance méthodique


Confiance hiérarchique
Confiance éthique



  


Autoréférentialité   
Autre


 











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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Q6 : la monnaie scripturale et sa garantie
Oui, les avoirs scripturaux sont garantis (BNS) 
Non, ils ne sont pas garantis par la BNS
Oui, la monnaie scripturale a cours obligatoire
Non, nous ne sommes pas obligés de l'accepter
  











 
 
 









Tableau 9 : Étude qualitative - Synthèse des résultats de l'axe 1. Élaboration propre.
Analyse
La première fonction identifiée par les répondants est celle d’intermédiaire des échanges, qui est, avec l’unité de compte
(dixit I5, la monnaie permet de « mettre une valeur sur les choses, de quantifier la valeur d’un bien »), la fonction
historiquement et logiquement primordiale. À l’instar de I1, tous indiquent plus ou moins clairement que « ce qu’on achète
avec de l’argent c’est des biens, et l’argent c’est juste l’outil qui nous permet d’avoir ces biens », paraphrasant ainsi J.B. Say. I7 précise toutefois que la monnaie [physique] sert de moyen de paiement « pour les petits achats », opérant
déjà une distinction entre les différentes formes de monnaie.
Il n’y a que I8, travaillant dans une banque, qui a identifié la fonction de transfert du pouvoir d’achat dans le temps. Après
les entretiens, lors d’une discussion informelle, les interviewés ont cependant reconnu que la monnaie pouvait servir à
consommer, que ce soit immédiatement ou plus tard, par exemple pour acheter un bien immobilier (investissement).
Lors de ces discussions, la notion d’investissement pour de gros achats ainsi que l’épargne à des fins sécuritaires se
partageaient la fonction de garant de la valeur dans le temps104. Enfin, I8 a mis en avant une fonction d’outil de politique
économique de la monnaie, ce qui n’a pas été abordé – à dessein – dans ce travail.
La monnaie n’est cependant pas réduite aux fonctions classiques. La monnaie est un symbole liant notre société, un
élément de prestige (I6), que ce soit au travers de sa fonction de représentation du pouvoir d’achat. En ce sens, elle
représente un pays (I2). Faisant écho à Dostoïevski105, I4 dira que la monnaie représente pour lui « la liberté de pouvoir
choisir ce que l’on veut faire de ses revenus ».
La forme de la monnaie fait débat : 8 personnes ne font pas de distinction entre les formes scripturales et numéraires,
tandis que 7 personnes indiquent accorder plus de valeur à la monnaie physique. La monnaie scripturale n’est jamais
mise en avant, sauf peut-être par I8, qui précise que la monnaie physique perd de l’importance de jour en jour dans les
transactions. Les répondants accordant plus de valeur à la monnaie numéraire arguent de ce que les billets sont un
symbole culturel et identitaire (I5, I13), qu’ils tangibilisent l’échange et le pouvoir d’achat (I6, I12), qu’un système
entièrement fiduciaire ne serait pas adéquat pour la confiance (I5).
Trois personnes ressentiraient un mal-être si la monnaie disparaissait, alors qu’elles ont indiqué ne pas accorder de
valeur particulière au numéraire. Ainsi, I10 aime avoir de l’argent liquide dans son porte-monnaie sans toutefois parvenir
à expliquer pourquoi ; I11 pour qui les échanges spontanés sont menacés (échanges entre particuliers, artistes de rue,
petits achats compulsifs), ce qui rejoint I7 ; I14 indique enfin que l’apprentissage de la valeur des choses serait plus
compliqué sans argent physique.
Si certains indiquent sur un ton fataliste que nous arriverons sans doute à une société scripturale (I3), l’ensemble de
l’échantillon semble rejeter l’idée d’un système soit uniquement numéraire, soit uniquement scriptural, chacune des
formes ayant ses propres avantages et défauts.
L’échantillon, à l’exception de I3106, a confiance en la monnaie nationale. Les hypothèses basées sur les trois aspects
de la confiance d’Orléan (confiance méthodique, hiérarchique et éthique) ainsi que l’autoréférentialité sont vérifiées. Ces
termes n’ont bien entendu jamais été cités tel quel, mais les explications fournies par les interviewés reflètent clairement
ces aspects. La confiance méthodique et l’autoréférentialité sont les deux aspects qui ont fait bégayer le plus les
répondants, puisqu’il s’agit d’éléments si basiques qu’on n’y pense que peu. I1 conclut presque gêné qu’il « l’utilise tous
les jours et que tout le monde l’utilise aussi », tandis que I11 martèle que « la confiance de l’ensemble de la société […]
lui confère une stabilité certaine ».
D’ailleurs, pour beaucoup, « c’est le seul système [qu’ils ont] toujours connu » (I8), et il est difficile d’avoir le recul
nécessaire pour décider de sa confiance ou non. Plus que sur l’aspect méthodique, elle repose également sur
l’argumentum ad veterum, à l’image des dires de I9, déclarant simplement qu’ « elle existe depuis longtemps, je suis
Pour I3, le concours des fonctions réserve de valeur (surtout vue à des fins d’investissements) et d’intermédiaire des échanges est
antinomique et en fait un « système défaillant ».
105 Fedor Dostoïevski écrivit : « la monnaie est de la liberté frappée ».
106 I3 regrette les prises d’intérêt et le manque de transparence du système actuel.
104
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née avec, mes grands-parents l’utilisaient bien avant moi ». La confiance hiérarchique est présente, avec notamment I6
et I8, parlant de la BNS et des institutions œuvrant à la stabilité du franc suisse dans le cadre légal (confiance éthique
en filigrane). Cette stabilité est reconnue par une large part de l’échantillon : le franc suisse, stable car peu d’inflation,
est une valeur refuge.
Ces aspects de confiance extrinsèques à la monnaie même107 sont rappelés par deux personnes. Pour I14, la monnaie
n’est que le reflet de la politique économique d’un pays : elle ne peut donc pas répondre clairement sur la confiance « en
la monnaie ». Cette assertion est on ne pourrait plus exacte, dans notre système basé sur les changes flottants. I5 va
plus loin : pour elle, la confiance en la monnaie n’est pas seulement due à la politique économique d’un pays, mais, plus
largement, à sa situation économique et politique.
Pour finir, peu de personnes ont su dire que l’argent scriptural n’est pas garanti par la BNS. Constatons que ceux qui
ont trouvé la bonne réponse n’indiquent pas – sauf une personne – de confiance hiérarchique. Précisions encore que la
monnaie scripturale n’est pas garantie par la Banque centrale (voir partie I), mais la garantie des dépôts est une notion
inscrite au chapitre 13 de la Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne (Assemblée fédérale, 2013, p. 28 ss)
par le truchement de dispositions réglementant les liquidités en réserve et d’un fonds de garantie.
Les deux-tiers des répondants savent – ou supposent – par contre que nous ne sommes pas obligés d’accepter la
monnaie scripturale comme moyen de paiement légal, ce qui n’entache apparemment pas la confiance liée à l’aspect
méthodique et à l’autoréférentialité, alors même que cette forme de monnaie est de plus en plus utilisée. La monnaie
scripturale est utilisée en raison des avantages et des services qu’elle permet de réaliser.
13.1.4 Analyse de l’axe 2 : la finalité de la monnaie
Réflexions et buts de l’axe
Cet axe pourrait rejoindre le premier : la personne doit se positionner sur le but que poursuit la monnaie. Doit-elle circuler,
doit-elle permettre de stocker des richesses ? Est-elle un outil au service des communautés ou est-elle autre chose ?
Nous souhaitons que l’échantillon indique quels sont ses styles ou critères de consommation, et s’il s’identifie à la
monnaie nationale.
I12
I13
I14
I15

I11
I9
 
Consommation (rationnelle) 
Consommation (impulsive)      
I10
I8
I7
I6
I5
I4
I3
I2
I1
Résultats
Cet axe comporte deux questions : l’une se penche sur les aspects de consommation, l’autre sur le côté culturel de la
monnaie.





Q7 : la finalité de la monnaie
  
Épargne 
   
Sensible à la consommation locale
Sensible à l'ESS
  

























Q8 : la monnaie comme élément culturel
Oui, c'est un symbole d'appartenance 
Oui, c'est un élément de cohésion  
Oui, autre
Non
  
 







Tableau 10 : Étude qualitative - Synthèse des résultats de l'axe 2. Élaboration propre.
Analyse
La monnaie a une finalité de consommation pour tout l’échantillon à l’exception de I10. Avec 8 personnes sur 15,
l’épargne est également une des finalités de la monnaie. L’épargne est vue de manière plutôt négative par I3 et I11. En
effet, I3 vitupère que l’épargne est déjà en soi une dérive de la monnaie, car « rien ne rapporte plus d’argent que d’avoir
107
Rappelons que la monnaie est une convention et qu’elle n’a aucune valeur intrinsèque.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
64
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de l’argent ». Il est rejoint par I11 : « la monnaie a de facto pour fonction supplémentaire de créer de l’argent
supplémentaire et d’accroître les inégalités à travers l’intérêt ».
Outre ces deux réponses, l’épargne est principalement vue comme une possibilité future de consommation et comme
un filet de sécurité. I1 (« si on épargne c’est pour pouvoir dépenser plus tard. Pour être en sécurité ») et I6 (« l’épargne
permet de dépenser plus tard. Mais elle permet d’être une sorte de garantie […] ») résument bien cette hypothèse.
Notons que I6 trouve une autre finalité à la monnaie. De manière confuse, elle voit dans la monnaie une possibilité de
distinction des classes sociales, en fonction du capital détenu par les individus.
La forme de la monnaie peut jouer un rôle, chez certains, sur son utilisation : I13 utilise la monnaie scripturale comme
épargne, et utilise le numéraire pour sa consommation. Cela permet d’avoir la concrétude des échanges vu dans l’axe
1 du questionnaire.
L’échantillon interrogé a une manière de consommer rationnelle : seules trois personnes consomment impulsivement.
Dans ces trois personnes, I12 indique consommer impulsivement que lorsqu’il fait des cadeaux, ce qui rend la
consommation de l’ensemble rationnelle. Les interviewés sont plutôt exigeants : ils consomment des produits locaux
quand ils en ont l’occasion (11 personnes sur 15), mais seulement si la qualité est au rendez-vous et que le prix n’est
pas surfait. Si tel n’est pas le cas, les interviewés n’hésiteront pas, de manière générale, à consommer des produits
venus de l’étranger. De fait, l’avis est partagé chez les personnes consommant localement. Si certains disent qu’ils
s’exaspèrent de ne pas pouvoir acheter des marchandises de la région (I5), et que d’autres ont de vagues critères sur
la production des biens (boycott des produits contenant de l’huile de palme pour I2), l’autre tendance est surtout de faire
passer les prix et la qualité avant tout. I1, entre autres, avoue d’un air presque coupable qu’il pourrait faire attention à
l’origine des produits, mais qu’ « on ne pense jamais à ça quand on s’achète quelque chose ». Pour sa part, I2, qui avait
indiqué avoir quelques critères d’achats plus solidaires, ne se soucie absolument pas des labels : « ce n’est pas parce
que c’est du fair trade que je vais acheter de la m****. Et puis ce n’est pas parce que c’est le produit le plus cher du
rayon que je vais l’acheter non plus ».
Personne ne nie que la monnaie est un élément culturel. Elle est un symbole de notre cohésion (« notre monnaie est un
moyen d’unification ») et d’appartenance (« quand je repasse la frontière et que j’ai de nouveau des francs suisses, je
me dis que je suis chez moi »). Le numéraire fait se sentir « citoyen du pays » (I8). Mais plus encore, en Suisse, la
monnaie physique « raconte une histoire » (I8), au même titre que l’hymne national ou que le drapeau (I11). Elle véhicule
le symbole du pays, sa stabilité politique et économique et sa force. Mais I5 indique que la monnaie ne fait pas tout :
encore faut-il une cohésion sociale, pour que la cohésion économique soit achevée.
13.1.5 Analyse de l’axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
Réflexions et buts de l’axe
Dans ce dernier axe, la personne doit clairement se positionner sur le sujet de la complémentarité des monnaies.
Qu’entend-elle par monnaie complémentaire ? À quoi est-elle sensible dans ce concept ? Quelles sont les raisons qui
la pousseraient à l’utiliser ou à l’éviter ?
Nous rappelons qu’il ne s’agit pas d’une étude de faisabilité : nous cherchons à cerner les réticences et les forces que
des personnes n’étant pas forcément acquises à ce concept de monnaies complémentaires peuvent percevoir.
I15
I14
I13
I12
I11
I10
I9
I8
I7
I6
I5
I4
I3
I2
I1
Résultats
Cet axe questionne sur l’échantillon sur la crédibilité des monnaies complémentaires, sur les éléments importants et
rédhibitoires de tels projets, sur leur comportement face à une telle monnaie et sur l’importance de la forme monétaire :
Q9 : crédibilité des MC



Oui, une MC me paraît crédible dans l'idée   
 
  
Non, une MC ne me paraît pas crédible     
Q10 : éléments importants pour une MC
Externe : mauvaise situation
   
 

économique/politique


Poursuite d'un but d'ESS       










Avantages (économiques) pour les parties
Gouvernance décentralisée      
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Circulation de la monnaie favorisée
Autre
Q11 : éléments rédhibitoires pour une MC
But de la MC
Consommation restreinte
Pas d'avantage économique
Gouvernance décentralisée
Complexité
Ne voit pas l'utilité
Autre
Q12 : quelle utilisation pour une MC
Ne l'utiliserait pas
L'utiliserait par obligation ou à certaines
conditions
L'utiliserait volontiers
S'en débarrasserait
NSP
Q13 : l'importance de la forme pour une MC
Elle doit être physique
Elle doit être scripturale
Peu importe
NSP
     

   
    
 
  
 

 

 



      
 


 
  
 
  

  
  
 
 



      
 
 
 
  






 



 




  
  

 
  
   

Tableau 11 : Étude qualitative - Synthèse des résultats de l’axe 3. Élaboration propre.
Analyse
La crédibilité des monnaies complémentaires est très contrastée : un peu plus de la moitié de l’échantillon se montre
sceptique.
Les personnes favorables sont d’avis qu’ « un pays peut avoir plusieurs monnaies, comme une monnaie peut avoir
plusieurs pays » (I3), tant que la monnaie complémentaire ne reproduit pas les mêmes erreurs que la monnaie nationale.
Il peut s’agir d’un « outil très puissant pour une économie locale ou ciblée » (I3) et pour les dynamiser (I8) si la monnaie
est construite de telle sorte qu’il n’y ait pas de castes ou de privilégiés (I4). Ces monnaies, malgré la crainte d’une
utilisation restreinte, peuvent être crédibles pour des projets à vocation sociale (I15). Quoi qu’il en soit, nous remarquons
que la crainte d’une complexification est palpable, comme l’indique I5 : si l’idée d’une monnaie complémentaire peut être
crédible, il faut qu’une seule monnaie ayant cours légal, sinon, « au niveau de la gestion c’est ingérable ». Cela est
justifié, puisque la multiplicité des devises officielles engendre de grandes complications (voir partie III) ; notons toutefois
que le but d’une monnaie complémentaire n’est pas d’avoir cours légal, mais est de complémenter la monnaie légale.
Un autre but paraît hautement utopique.
Pour les autres, un élément inattendu est ressorti de cette enquête. Alors qu’une monnaie complémentaire a pour objectif
de fédérer une région et de dynamiser son économie, deux personnes ont trouvé qu’une monnaie complémentaire est
un « élément d’exclusion » (I6). En effet, I1 se montre ferme dans le rejet du but de fédération d’une région : « une
monnaie nationale ça ressemble tout le pays. Une monnaie complémentaire ça n’est que dans un village ou ville, ça
n’appartient qu’à eux ». À son sens, il s’agit plus d’exacerber les régionalismes et d’exclure les autres plutôt que de
rassembler les siens. Ces deux personnes, sur le sujet de la MGG, ont indiqué, après l’entretien, que Genève
serait encore une fois vu comme le canton « qui ne fait pas les choses comme les autres » et « qui devrait se séparer
de la Suisse si vraiment il en a envie ». Ces assertions sont sans doute exagérées puisque dites sur le ton de l’humour.
Cependant cela peut être très révélateur.
Les aspects de complexification des échanges est un point ayant également soulevé les craintes des interviewés. L’unité
monétaire a permis une grande simplification des échanges. I12 indique en effet que le franc suisse est le symbole de
cette unité monétaire et que l’attaquer pourrait s’avérer dangereux. I13 se questionne enfin sur l’efficacité d’un tel
système.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
66
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Les éléments importants pour une monnaie complémentaire sont intéressants à relever. En anticipant sur le chapitre
suivant (observation de la MGG), nous pouvons dire que les éléments les moins cités par les répondants sont ceux mis
en avant par la MGG, à savoir un but d’ESS et une gouvernance participative et citoyenne108.
L’élément primordial qui pourrait amener l’échantillon à utiliser une monnaie complémentaire est un élément externe et
donc incontrôlable pour la gouvernance des projets MC : une détérioration rapide est extrêmement violente de notre
situation politique ou économique, voire comme l’indique I2 en riant que « le franc suisse ne soit plus reconnu en Suisse,
ce qui serait quand-même étonnant ». Pour ces personnes, une monnaie complémentaire est une monnaie de
nécessité : I8 cite d’ailleurs la crise de 1929. C’est pourquoi ces personnes ne voient actuellement aucune utilité à ces
monnaies. Rappelons ici que la monnaie est un service ; en achetant un service, on achète un avantage. Si la situation
économique est catastrophique, l’avantage d’une monnaie complémentaire est directement perceptible. En cas de
bonne situation économique comme c’est le cas aujourd’hui, l’avantage est difficile à percevoir s’il n’y a pas d’avantages
économiques. Cela nous amène directement au deuxième point le plus cité, à l’instar de I2, I5 ou I9, qui souhaitent « de
réels avantages » économiques : taux de change intéressants, etc.
I11 conteste cette vision de monnaie de nécessité et insiste sur le fait qu’il faut profiter de la bonne situation économique
pour « ouvrir la voie ». Cela passe par la défense de certaines valeurs éthiques, sociales et locales (I3, I11 et I15) et par
un taux d’intérêt négatif servant à favoriser la consommation (I6, I11 et I13).
I8 juge qu’un fonds de garantie est indispensable pour s’attirer la confiance des utilisateurs. Certaines personnes ont
péremptoirement indiqué que les critères sociaux et locaux ne les intéressaient absolument pas et qu’ils n’utiliseraient
aucune monnaie complémentaire quelles que soient les modalités. I8 tempèrent avec une touche d’optimisme : « il
existera toujours une tranche de la population qui sera prête à payer plus pour consommer local, ce marché n’est donc
pas condamné ».
Afin de compléter la question précédente et pour vérifier si le répondant identifie des avantages à l’utilisation d’une
monnaie complémentaire, nous avons posé la question inverse, à savoir quels sont les éléments rédhibitoires d’une
monnaie complémentaire.
Beaucoup indiquent qu’une telle monnaie n’est pas utile et qu’elle n’apporte rien de plus que ce que la monnaie
traditionnelle peut apporter (6 citations). Cela d’autant plus que nous sommes dans une bonne situation économique et
politique. Pour compenser ce manque d’utilité, il est nécessaire que la monnaie complémentaire apporte des avantages
au moins d’ordre économique.
Une organisation crédible (3 citations) poursuivant des buts clairs (2 citations) est également importante. Les buts sont
à définir de manière très circonspecte et ne doivent pas être politiquement marqués, ce qui peut être rédhibitoire109. Il
en va de même pour l’organisation, qui doit être solide, crédible et pérenne à long terme. Là encore, l’organisation doit
se montrer la plus neutre possible sur le plan politique, pour ne pas essuyer des refus de principe évidents ; I5 va même
jusqu’à dire de manière vindicative qu’il faut maintenir les figures politiques hors de la gouvernance du projet. En outre,
il convient de réfléchir sur la manière d’organiser le projet. La MGG vante sa gouvernance participative ; ce point déplaît
fortement à I1110.
Outre les aspects d’avantages, les notions de confiance (gestion des risques, fonds de garantie, confiance méthodique,
etc.) et de complication des échanges sont à prendre en compte. Finalement, I15 s’inquiète de ce que la liberté de
consommation soit atteinte si les choix sont trop restreints. Il faut que la monnaie complémentaire touche suffisamment
de personnes pour qu’elle soit intéressante.
Faisant preuve de congruence avec ce qu’ils ont avancé plus haut, les personnes interrogées sont très minoritaires à
supposer qu’elles utiliseraient sans restriction de la monnaie complémentaire si elles en avaient dans leur porte-monnaie.
Beaucoup l’utiliseraient mais ne resteraient pas dans le circuit. Certains, comme I1, ne la prendrait pas au sérieux et la
garderait comme une curiosité, à la manière des devises étrangères que l’on garde en revenant de vacances. D’autres
la dépenseraient par peur qu’elle ne perde de sa valeur ; ils ne resteraient pas dans le circuit. Les éléments que les
personnes indiquent pour rester dans le système sont la motivation citoyenne, la confiance, et la facilité d’usage.
Pour certains, il doit y avoir la possibilité de sortir du système et donc de changer sa MC contre des francs suisses. Pour
d’autres, cette possibilité ne doit pas exister, puisque dépend d’un acte citoyen.
Enfin, pour la plupart des personnes interrogées, la forme monétaire importe peu. Si beaucoup de gens verraient d’un
mauvais œil la disparition du numéraire pour la monnaie nationale, la monnaie physique n’est pas indispensable pour
I1 a même déclaré que cet aspect était pour lui un élément rédhibitoire.
Ce point devra éveiller la conscience de certains membres de la MGG.
110 Notons que les cryptomonnaies rencontrent un succès grandissant, alors qu’elles ne fonctionnent pas de manière participative.
108
109
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
67
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
une MC. Au contraire, la tendance est à demander au moins une forme scripturale, pour plus de praticité. Mais la forme
de la monnaie n’est pas un point d’achoppement ; le ressenti est pour beaucoup le même, peu importe qu’il s’agisse de
billets ou de carte : « ce n’est pas du vrai argent ».
13.2 Observation de la Monnaie Grand Genève
Les observations interviennent dans notre méthodologie pour deux choses : élaborer un design de service initial et
identifier les questions en suspens afin d’élaborer une étude qualitative. Pour cela, nous devions observer et connaître
comment fonctionne une monnaie complémentaire locale (en l’occurrence la MGG), connaître ses modalités et les axes
de réflexion qui entourent sa conception111.
13.2.1 Méthodologie des observations
Les observations ont consisté en une immersion dans le projet de Monnaie Grand Genève. Le but était de connaître les
réflexions sur la conception de cette monnaie et d’avoir une idée des problématiques débattues. Pour cela, nous nous
sommes plongés dans les documents internes de la MGG (PV, statuts, charte, etc.) et nous avons participé à différentes
séances du projet. Nous avons, pour passer outre les difficultés liées à notre présence au sein du groupe, limité notre
participation à deux séances importantes ; nous avons également pu tisser des liens avec l’un des participants, qui nous
tenait informé des avancées de manière régulière, lors d’entretiens informels.
Les documents internes de la MGG ont été mis à notre disposition dans leur ensemble, ce qui a été très appréciable.
Les séances ont fait l’objet d’un PV interne (rédigé par un secrétaire désigné lors de chaque séance) ; cependant l’auteur
a également rédigé ses propres PV afin de compléter les pistes officiellement consignées. Nous avons ainsi pu voir
quelles étaient les pistes de réflexion, les thématiques retenues, les articulations du projet, les difficultés, etc.
13.2.2 Contexte du projet
Comme indiqué dans la partie introductive (p. 1 ss), la MGG, dont l’horizon de mise en circulation probable sera en 2015,
tente de mettre sur pied une monnaie complémentaire locale, dont l’objectif est la poursuite d’une économie sociale,
locale et solidaire. Cette monnaie a pour ambition de regrouper tout le « bassin de vie genevois », soit 211 communes
entre la France et la Suisse.
La MGG souhaite que la monnaie soit réappropriée par le citoyen et qu’elle corresponde à un ensemble de valeurs112.
En effet, le groupement a identifié plusieurs dysfonctionnements dans la monnaie conventionnelle. Nous rencontrons de
fait des crises systémiques ; selon la MGG, l’argent des riches se crée sur la pauvreté des autres. C’est l’idée que le
capital engendre toujours plus de capital pour certains au détriment du reste de la population. Cela engendre un fossé
entre riches et pauvres et génère des tensions sociales de plus en plus grandes, lesquelles tensions peuvent mener à
d’importants désordres sociaux voire à la guerre. Certaines personnes du groupe MGG indiquent ainsi qu’il faudrait
acheter des terres : c’est en effet la terre qui sera la monnaie réelle lorsque les guerres se déclencheront. Cela n’est pas
sans rappeler le courant physiocrate. Des critiques s’élèvent également contre ce que la monnaie provenant de l’épargne
ne soit pas suffisamment investie ni localement ni socialement. La Monnaie Grand Genève a donc pour ambition de
fédérer des entreprises et des individus autour d’échanges inscrits dans certaines valeurs (MGG parle de valeurs
citoyennes), ce qui en fait une monnaie B2B2C (business to business to consumer).
Michel Bosqué, cofondateur du Sol-violette à Toulouse, participe aux séances plénières de la MGG en qualité d’expert.
Il a relevé les clés pour mettre sur pied une monnaie complémentaire :
« 1. Relocaliser l’épargne,
2. affecter le crédit à la préservation et au renouvellement du bien commun,
3. faire circuler la monnaie plus vite pour compenser sa rareté dans l’économie réelle,
4. distinguer prioritairement une production locale et respectueuse des humains et de la nature et enfin
5. organiser les conditions réelles d’une rappropriation citoyenne de la création monétaire, de sa circulation et de son
épargne. » (Bosqué, s.d., p. 26)
En parlant avec certains membres du groupe, nous avons pu découvrir une autre motivation que purement citoyenne :
la détestation des « capitalistes » et des « libéraux ». Bâtir la cohésion des uns sur la haine des autres nous paraît,
Les éléments apportés dans ce chapitre qui ne sont pas adossés à une source proviennent de la documentation interne de la MGG et
de nos participations aux séances ou entretiens.
112 Le groupe a édicté une charte, visible à l’annexe XIX.
111
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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ironiquement, bien peu citoyen. Lors d’une séance, alors que la possibilité de créer une cryptomonnaie était discutée,
certains ont réprouvé que ceux qui peuvent créer de la monnaie soient « ceux qui disposent d’un ordinateur, et que plus
on a un ordinateur puissant, mieux ça vaut, ce qui est encore une fois récompenser les capitalistes ». Un des membres
a écrit, lors d’une communication électronique à tout le groupe : « Soyons informé (sic) et organisons la lute (sic) contre
les multinationnales (sic) tueuse (sic) de planète ».
Michel Bosqué indique pourtant clairement que c’est là une attitude dangereuse :
« Si la monnaie que vous créez devient la monnaie d’une personne, d’un groupe, d’un camp, d’une idéologie, alors
vous tomberez dans la caverne de l’ego ! Votre monnaie circulera entre vos amis les plus proches et jamais elle ne
s’étendra au-delà. Pour réussir à transformer l’économie réelle, votre monnaie doit être la monnaie de tous pas d’un
seul ! » (Bosqué, s.d., p. 131)113
Nous avons vu, dans l’étude qualitative, mais aussi dans des rencontres informelles, que les gens seraient peu enclins
à entrer dans un tel projet s’il est trop marqué politiquement, surtout s’il profère des propos aussi vindicatifs.
Figure 18 : Contexte général de la MGG. Élaboration propre.
13.2.3 Modalités, forme et spécificités
La gouvernance s’inscrit dans une démarche participative et citoyenne : chacun peut prendre part au projet et, à ce jour,
une cinquantaine de citoyens travaillent à ce concept novateur pour la région genevoise. Le groupe est composé de
diverses commissions thématiques, à savoir Concept de la monnaie, Loi, Support et impact, Gouvernance,
Communication. Il y a également une commission de pilotage et un comité de coordination. Le comité de coordination
coordonne le travail entre les différentes commissions, grâce aux porte-paroles respectifs. Tout est mis en commun lors
des séances plénières.
Chaque point est ouvert au débat, et les séances sont réglées par le responsable de la commission, appuyé d’un
animateur – qui donne la parole aux membres – et par un gardien du temps – qui veille au temps imparti pour chaque
débat. Le système fonctionne plutôt bien, hormis quelques frustrations dans la prise de certaines décisions.
Nous avons abordé plus haut les buts de la monnaie : localisme des échanges. Ceux-ci ont clairement un objectif social,
solidaire et éthique : en un mot, une « économie plus saine ». Le projet « lutte contre la spéculation, et développe une
maîtrise collective de la monnaie comme outil de maîtrise sociale de la production, de la consommation, et de la
distribution ». Le groupe poursuit également un but d’éducation des citoyens à ce qu’est la monnaie.
Pour répondre à ces points, le groupe s’est doté d’une charte éthique. Les entreprises devront également, pour entrer
dans le réseau, répondre à un questionnaire. Ce questionnaire permettra, avec un système de notes, de réaliser ce que
le groupe MGG appelle un « radar citoyen »114, qui définit le degré de correspondance de l’entreprise aux valeurs de la
MGG.
Les questions posées aux entreprises permettent de dresser le radar sur huit axes : participation au mouvement,
gouvernance, finance éthique, proximité géographique, intérêt collectif, vie de l’organisation, prix juste et empreinte
écologique. Ces axes reprennent bien sûr la charte éthique du groupe MGG.
113
114
Les risques liés à l’établissement d’une monnaie locale identifiés par Michel Bosqué se trouvent à l’annexe XIX.
Le radar citoyen est présenté à l’annexe XIX.
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Sur le schéma suivant, nous pouvons avoir un bref aperçu des parties prenantes au projet :
Figure 19 : Parties prenantes du projet MGG. Élaboration propre.
En bleu figurent les parties prenantes qui ne seront pas expressément utilisateurs de la monnaie locale ; en mauve sont
représentés les « clients » de la future monnaie. Ce schéma n’est pas exhaustif : d’autres parties prenantes devront être
rajoutées à mesure que des collaborations se tisseront. Nous pensons par exemple à l’entente possible avec
l’association Bitcoin suisse, à des experts qui interviendront lors de l’étude de faisabilité, ou à des experts informatiques
au cas où la réalisation d’une monnaie virtuelle le nécessiterait.
Nous identifions quatre groupes de parties prenantes – qui sont de réels acteurs du projet, à savoir :
1. Plusieurs intervenants (coachs et citoyens) et experts participent à la construction de la MGG : c’est par exemple
le cas de Michel Bosqué, et d’autres experts qui seront contactés pour l’étude de faisabilité. Des associations
soutiennent également le projet, financièrement ou par la mise à disposition de conseillers. Les collectivités
publiques ne sont pas en reste, et plusieurs ont marqué leur intérêt.
2. Les associations ESS, qui participent de près ou de loin au projet, que ce soit par le biais de financement ou de
conseil.
3. Les collectivités publiques, par leur soutien de conseil, de financement, ou d’infrastructures.
4. Enfin, le public-cible, que sont les entreprises et les individus. Sur ce schéma simplifié, nous pouvons avoir un
aperçu de la complexité des échanges. C’est pourquoi une analyse de flux sera réalisée, à l’aide d’un logiciel ad
hoc, en septembre sur un échantillon potentiel d’une cinquantaine d’entreprises. Cette étude permettra d’analyser
la communauté de paiement : comment se tissent les flux et où la monnaie pourrait rester bloquée. Selon une
estimation, elle resterait immobilisée à la deuxième ceinture. Le noyau comprend les individus et entreprises
membres. La première ceinture ajoute au noyau les entreprises et individus non-membres et les fournisseurs.
La deuxième ceinture inclut enfin les individus et entreprises à l’extérieur de la zone. Cette deuxième ceinture
est déjà atteinte avec 130 entreprises. Or, la masse critique pour démarrer le projet a été estimée à 100
entreprises et 500 individus. Pour le groupe MGG, une évidence s’impose : un fonds de garantie est nécessaire
pour ne pas se fermer les entreprises qui doivent fonctionner avec des fournisseurs de la première ou de la
deuxième ceinture. Elles pourraient ainsi changer leur monnaie citoyenne en monnaie nationale pour traiter avec
leurs fournisseurs.
Les parties prenantes, comme leur nom l’indique, sont importantes pour le bon déroulement et la pérennité du projet115.
Il convient donc d’identifier les besoins et attentes afin de vérifier que le produit soit désirable, et par conséquent réponde
à un besoin réel. Le groupe aura soin de ne pas perdre de vue que les clients sont la partie prenante qui décidera de la
viabilité à long terme de la monnaie locale.
Les parties prenantes sont les « individus ou groupes qui dépendent de l’organisation pour atteindre leurs propres buts et dont
l’organisation en dépend également » (Fauchart, 2012).
115
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Intervenants
Besoins
Participation à un projet de société
ESS
Reconnaissance du travail
Relation de confiance
Collectivités
Relation de confiance
Clients
Liberté de consommation
Confiance dans le nouvel outil
Efficacité de l’outil
Attentes
Gouvernance participative et démocratique
Compétence et polyvalence du groupe
Responsabilité
Construction démocratique
Collaboration win-win
Relation de long terme
Collaboration win-win
Relation de long terme
Respect du cadre légal
Respect des impératifs financiers
Choix varié de consommation/vente dans la communauté de paiement
Modalités instituant la confiance
Assurance de pouvoir écouler sa MC (autoréférentialité) et de ne pas perdre
sa mise (fonds de garantie)
Égalité de traitement entre les membres
Communication claire des avantages et de l’utilité
Projet affiché comme politiquement neutre
Déficiences de la MP comblées
Coûts (économiques, émotionnels, temporels) faibles
Avantage économique
Tableau 12 : Exemples de besoins et attentes des parties prenantes de la MGG. Élaboration propre.
Sur le tableau ci-dessus, nous avons esquissé quelques besoins et attentes des parties prenantes. Bien entendu, une
étude de marché et une étude de faisabilité permettra, une fois que la forme du projet aura pris son contour définitif, de
les préciser.
Les modalités de la monnaie ne sont pas toutes définies, ce qui ne nous permet pas de réaliser le profil précis de cette
monnaie. Cependant, le modèle retenu mêlerait crédit mutuel, nantissement et fonds de garantie. Les particuliers
amènent des biens à une banque éthique qui, en échange de monnaie nationale, leur versera de la monnaie locale
(nantissement). La banque éthique gardera une couverture à définir (fonds de garantie) pour favoriser la confiance des
agents visés et permettre aux entreprises de dépasser les ceintures. À leur entrée dans le réseau, les membres reçoivent
une quantité définie de MC, si possible répondant aux besoins de l’économie réelle. La création de valeur est
concomitante à l’échange, vu qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle. Le groupe MGG semble montrer que, dans le système
traditionnel, la création de valeur se fait en amont, par la création de monnaie. Or, la création de valeur n’est pas la
création monétaire : elle est, même en monnaie nationale, relative à la production et à l’échange.
La résilience du système est tout de même mise en avant. Les risques sont partagés par tous les acteurs. Si un agent
fait faillite, son crédit ou son déficit disparaîtra avec lui. Par contre, les crédits sur les comptes des autres agents ayant
échangés avec l’entreprise déchue resteront sur les comptes.
La forme n’est pas définie. Il semblerait que le groupe envisage une cryptomonnaie (Bitcoin) suite à la présentation
d’Alexis Roussel.
En effet, il est possible de modifier certains éléments dans la programmation. Ainsi, il est envisageable de lier, sur un
registre, un nom avec un numéro de compte, ce qui permet d’exclure de la communauté ceux qui n’ont pas adhéré à la
charte. Il est également possible, si le groupe le décide, de créer une monnaie fondante en taxant le stock de monnaie,
au contraire du bitcoin qui taxe les transactions.
Le groupe de projet va reprendre contact avec l’association Bitcoin suisse, pour envisager une collaboration, d’ici le mois
d’octobre.
Sans pouvoir définir plus précisément le profil de la MGG, les modalités suivantes selon Blanc (2006) s’appliquent :
Adhérents
Forme monétaire
Évolution de la masse
monétaire
Convertibilité des avoirs










Particuliers seulement
Particuliers et professionnels
Forme scripturale
Forme fiduciaire
Monnaie multilatérale
Émission monétaire à l’adhésion
Taux d’intérêt négatif
Monnaie multilatérale
Inconvertibilité des avoirs
Convertibilité des avoirs
Masse critique : 100 entreprises et 500 individus
Forme en cours de discussion ; élément non
définitivement adopté
Le taux d’intérêt négatif n’a pas encore été décidé
Système de crédit mutuel avec nantissement et
fonds de garantie
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Accès à la monnaie
Gouvernance




Système fermé
Système ouvert
Gouvernance interne
Gouvernance externe
Adhésion aux valeurs citoyennes (radar)
Charte déjà rédigée
Tableau 13 : Résumé des modalités de la MGG. Élaboration propre.
13.2.4 Défis à relever
Plusieurs défis sont identifiés et sont en débat au sein du groupe. Le lancement de la monnaie est prévu pour coïncider
avec celui de l’Alternatiba116 à Genève en septembre 2015 : beaucoup de choses sont à faire d’ici là, notamment :
Financement
À ce jour, aucun partenaire financier n’a donné son accord. De fait, le groupe a procédé à des demandes de dons auprès
d’une trentaine de communes, aussi bien suisses que françaises, pour un montant espéré se situant entre CHF 40'000
et CHF 70'000 pour le lancement de la monnaie locale.
Le maire d’Annemasse117 a annoncé que des fonds pour un montant de CHF 1'000'000 sont disponibles par le biais du
programme transfrontalier INTERREG118. La demande, nécessitant la réalisation d’un dossier extrêmement fouillé et
documenté, a été déposée tardivement. Le groupe ne s’attend pas à bénéficier d’un financement pour cette période,
mais pense le décrocher pour la période 2016-2019. La réponse sera donnée en octobre 2015. Quelle qu’elle soit, elle
clarifiera les mandats des études nécessaires.
Partenariats
Le groupe a présenté le projet à la mairie d’Annemasse le 13 juin 2014, avec des représentants de tout le bassin de vie
genevois (une moitié suisse et l’autre française). Il s’agissait d’une séance d’information visant à démontrer la dynamique
commune. Le but est de décrocher un partenariat avec les communes, y compris financièrement. Pour cela, le groupe
va se calquer sur le calendrier politique : la prise de pouvoir des personnes élues en mars 2015 se fera en juin, ce qui
laisse une marge de manœuvre pour le lancement en septembre, pour un « retour d’ascenseur aux Suisses qui se sont
investis ».
La MGG va devoir associer les partenaires suivants : banques, société civile et politique. Pour cela, il faut que ces
entités soient de vrais partenaires (besoins/attentes) : cela signifie qu’ils doivent être inclus dans le projet au lieu d’en
être de simples observateurs et que le groupe ne « garde pas son projet pour lui ». Il en va de même pour les clients,
qui doivent s’approprier le projet ; le risque est que la MGG s’institutionnalise et que l’utilisateur ne soit qu’un
consommateur lambda au lieu d’être une réelle partie prenante.
Aspects juridiques
L’autorité de surveillance française, par délégation de la BCE, va se pencher sur le projet, car la MGG, par les modalités
prévues, serait considérée comme une banque en droit. Elle n’a pour l’instant donné aucune conclusion. Le groupe doit
également définir les frontières légales à ne pas franchir, particulièrement pour la France, dont l’inflation législative est
bien connue. Des contrôles sont également attendus du côté helvétique.
Modalités et forme
L’appellation de la monnaie sera : monnaie complémentaire et citoyenne. Elle prendra forme dans ce qui est appelé le
« bassin de vie genevois », afin de donner une dimension humaine et de gommer les frontières. Mais faire abstraction
des frontières ne signifie pas qu’elles ont disparu : le problème de taux de change entre MC-EUR et MC-CHF demeure,
en raison des différences significatives de pouvoir d’achat entre les deux pays et de la différence des coûts de production.
À ce jour, aucune solution n’a été définitivement arrêtée
La forme définitive sera discutée lorsque les contacts avec l’association Bitcoin suisse auront été établis. Pour l’instant,
une forme virtuelle est pratiquement de mise, sans plus de détails.
Alternatiba est un « village des alternatives », présentant des conférences et ateliers en lien avec le DD.
Précisons que l’Eco d’Annemasse, projet de monnaie complémentaire, a rejoint la SASFERA, association créée pour le lancement de la
MGG.
118 « Le programme INTERREG IV France-Suisse soutient des projets transfrontaliers entre un porteur de projet français (avec
éventuellement d’autres partenaires français) et un porteur de projet suisse (avec éventuellement d’autres partenaires suisses). Le Fonds
Européen de Développement Régional (FEDER) intervient dans le financement de la partie française du projet, les crédits fédéraux et/ou
cantonaux dans le financement de la partie suisse. » (Interreg France-Suisse, s.d.)
116
117
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Le radar citoyen devra également être testé pour vérifier la pertinence des points traités et pour démontrer l’intérêt
commercial et social pour les entreprises et les individus. Il sera testé dans le courant de l’été 2014.
Un des problèmes est la masse critique à atteindre pour la viabilité du projet (communication et démarchage) et les
ceintures. Pour cela, une analyse des flux (septembre 2014) auprès d’une cinquantaine d’entreprises tentera de définir
les nœuds d’étranglement de la monnaie. Il faudra toutefois tenter de ne pas solliciter les entreprises trop souvent pour
éviter de les lasser alors que le groupe n’a rien de concret à présenter.
Pour tenter d’apporter une réponse à tous ces points, une étude de faisabilité sera menée d’ici juin 2015. Elle comportera
quatre axes :
1.
Axes
Légalité
2.
Types et formes de monnaie
3.
Étude de marché
4.
Coordination
Points à traiter
Aspect monétaire et bancaire
Aspect fiscal
Libre concurrence
Principe de création
Crédit mutuel, nantissement et fonds de garantie
Pour l’émission : banque partenaire ou association ?
Éthique, valeurs
Éthique transfrontalière (profits dus au change)
Développement de la capacité d’échanges :
- Développer les compétences
- Mettre les individus et les commerces en réseau de manière créative
Pilotage stratégique de l’étude
Communication
Réseaux sociaux
Stratégie médiatique
Stratégie de communication
Fiduciaire
Tableau 14 : Axes de l’étude de faisabilité de la MGG. Source : documents internes de la MGG (adapté).
Nous ne pouvons que rappeler le modèle CYQ (figure 15, p. 57) qui indique que le client attend un certain produit
répondant à ses besoins, que l’entreprise va façonner pour que ce qui est perçu par le client corresponde le plus possible
à ses attentes. Il convient donc de réaliser l’étude de marché en premier lieu, auprès des individus et des commerces.
Les axes « légalité » et « types et formes de monnaie » interviennent dans le deuxième (voire dans le troisième) temps
du modèle CYQ, en s’appuyant logiquement sur les attentes des clients.
13.3 Synthèse des éléments remarquables
Avant de procéder à l’élaboration du design de service final, il convient de faire la synthèse des parties précédentes pour
valider ou non nos hypothèses de départ. Il est en effet nécessaire de se rappeler ce qui ressort de nos recherches.
Nous ajouterons également quelques éléments, à savoir quelles sont les critiques qui peuvent peser sur les monnaies
complémentaires.
13.3.1 Validation des hypothèses
Partie I
La première partie de ce travail nous a permis de poser des principes de base et de comprendre ce qu’est la monnaie
de manière générale, en développant, en sus des trois fonctions classiques, une fonction plus sociologique. Nous avons
abordé les formes de la monnaie et quels étaient les moyens légaux de paiement. Nous avons vu par quel mécanisme
la monnaie est créée et quels sont les éléments qui interviennent en ligne de compte (la confiance, la dette et l’intérêt).
Nous concluons que la monnaie est effectivement un service, rendant possible la désignation d’une valeur sur un bien
et permettant l’échange de celui-ci. Il n’en va pas de même, peut-être, pour la monnaie lorsqu’elle est échangée pour
elle-même, dans le cas des numismates, de la spéculation ou d’une thésaurisation avaricieuse.
Les fonctions classiques de la monnaie (unité de compte, intermédiaire des échanges, réserves de valeur) peuvent
sembler contradictoires. De fait, certains économistes jugent qu’elle est une mauvaise réserve de valeur. Les fonctions
sociales sont également à prendre en compte, puisqu’elles jouent un rôle extrêmement important dans la cohésion de
la société et dans le rapport que nous avons avec elle. Les aspects de confiance qui en découlent, même s’ils peuvent
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paraître moins nécessaires puisque moins techniques, sont primordiaux : ce sont eux qui conditionnent notre utilisation
d’une monnaie (rappelons que la monnaie est une convention sociétale, et non un fait naturel).
De fait, les risques identifiés dans notre blueprint font la part belle aux risques de perte de confiance. D’autres risques
font intervenir la perte de lien avec l’économie locale et l’inflation.
Nous confirmons donc notre première hypothèse : (i) la monnaie est un service (ii) qui souffre de devoir cumuler des
fonctions incompatibles entre elles.
Partie II
Conformément à notre objectif, la partie II s’est attachée aux aspects fiduciaires de la monnaie sous trois aspects :
historico-philosophique, religieux et juridique.
Concernant l’aspect historico-philosophique, nous pouvons affirmer que, malgré notre étude centrée sur l’Occident,
l’histoire de la monnaie est plurielle : elle concerne toutes les sociétés et raconter son histoire revient à raconter l’histoire
de l’humanité, suivant la formule consacrée. La forme de la monnaie n’est pas définitive et est certainement appelée à
changer. Dans le tableau suivant, nous avons résumé les principaux courants vus dans ce travail, avec leur point de vue
sur la valeur et la monnaie.
Courant
Aristote
(-IIIème)
Source de la
richesse ou de
la valeur
Quid de la monnaie ?
Pourquoi ?
Le commerce
Elle est un moyen d’échange pour
subvenir aux besoins de la famille
Le profit est contre-nature
Mercantilisme
(XVème-XVIIIème)
Colbert, Bodin,
Botero,
Montchrestien
Les stocks de
métaux précieux
de l’État
Elle est un instrument de commerce
et de mesure des valeurs
L’économie est un jeu à somme nulle.
La richesse se trouve dans l’abondance
d’or et d’argent
Physiocratie
(XVIème)
Quesnay,
Turgot,
Gournay
Le produit net de
la terre
Elle est une marchandise qui doit
circuler rapidement pour favoriser les
échanges
Seule la terre crée des biens du néant
et la valeur de la monnaie dépend des
réserves (or ou argent) qui la
garantissent
Classiques
(XVIIème-XIXème)
Smith, Malthus,
Ricardo, Mill,
Say
Le travail, la
production de
biens/services
« La monnaie n’est qu’un voile » et
ne joue aucun rôle dans l’économie
Thèses centrées sur l’offre. La monnaie
n’est qu’un moyen d’échange
Marx, Engels
Le travail (notion
de valeur-travail)
Elle est un instrument d’aliénation
des prolétaires par la classe
bourgeoise et d’annihilation de sa
morale
La monnaie détruit les relations entre
les hommes et elle devient elle-même
médiation entre eux.
Menger,
Walras,
Jevons, Pareto,
Bastiat
L’utilité et la
rareté
La monnaie est neutre
Plus un bien est rare, plus sa valeur
augmente ; plus un bien est utile pour
un individu, plus sa valeur augmente à
ses yeux
Marshall, Pigou
L’utilité
marginale
La monnaie ne sert qu’à déterminer
le niveau des prix. Elle n’a qu’une
faible incidence sur l’économie (elle
est neutre), mais elle peut être à la
base de déséquilibres
La valeur d’un bien se fonde sur son
utilité marginale, dégressive. Des
déséquilibres sont possibles, car la
quantité de monnaie est déterminée
hors du cycle réel (par l’État).
Keynes,
Mankiw, Stiglitz
-
Elle est un outil de politique
économique (elle est active)
Thèses mettant l’importance sur la
consommation. État-providence :
interventions étatiques si la demande
est insuffisante
Hayek, von
Mises,
Rothbard
L’utilité,
l’intensité du
désir que l’on a
pour un bien
La monnaie n’est pas neutre
La création de monnaie crée des
distorsions sur le marché
-
La quantité de monnaie a une
influence sur les prix ; elle doit être
au service de l’économie. Elle joue
un rôle important.
Reprise de la théorie quantitative de la
monnaie. Le contrôle de la masse
monétaire contrôle l’inflation. De la
monnaie doit être injectée en cas de
perte de vitesse, vu que l’inflation sera
de toute façon régulée
Marxisme
(XIXème-XXème)
Marginalistes
(XIXème-XXème)
Néoclassiques
(XIXème-XXème)
Keynésiens
(XXème)
École
autrichienne
(XXème)
Monétaristes
(XXème)
Friedman,
Bodin, Hume
Tableau 15 : Synthèse des principaux courants de pensée économique. Élaboration propre.
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Nous voyons qu’en général, une réflexion sur ce qu’est la monnaie s’accompagne – ou est précédée – d’une réflexion
sur ce qu’est la valeur des choses et la richesse. Ces réflexions sont d’une incroyable diversité. Bien entendu, nous
n’avons cité que les courants qui nous apparaissaient comme principaux ; bien des écoles ont été ignorées dans ce
travail. Relevons une injustice : ces courants ne sont pas apparus soudainement, mais ont bénéficié du travail et des
recherches de quantité de personnes. Dans le cadre d’une future réflexion sur la monnaie en générale ou sur les
monnaies complémentaires en particulier, cette méthode des petits pas est nécessaire. Une telle réflexion nous apparaît
comme saine et dans la continuité de l’histoire de la monnaie.
Nous avons déterminé que l’enseignement religieux a un impact sur la perception de l’argent et sur son usage. Ces
réflexions sur la valeur, sur la monnaie, sur la richesse, sur l’intérêt ont évolué au gré des croyances. Cela a un impact
fort sur l’usage quotidien, eût égard au pouvoir des religions à leur âge d’or.
Ainsi, le christianisme a fait évoluer sa perception de la richesse suivant que la croyance en l’existence d’une vie après
la mort ait été établie. De même, après la Réforme, la vision des protestants sur la monnaie s’est détachée de celle des
catholiques : du moment que l’Homme est le vicaire du patrimoine divin, il nous appartient de le faire fructifier ; l’intérêt
a donc une légitimation dans le protestantisme, ce qu’elle n’a pas chez les catholiques. L’Église n’a bien entendu plus
l’autorité qu’elle détenait avant et n’a plus l’influence d’autrefois sur la population ; malgré cela – et malgré la légitimation
de l’intérêt dans les années 1980 – les problématiques liées à la pauvreté (dont l’usure, les dettes, la spéculation) sont
toujours d’actualité chez les fidèles. Le judaïsme, à l’instar des protestants, autorise l’intérêt, excepté entre juifs. Il n’est
donc pas étonnant de remarquer que les juifs ont une longue tradition bancaire derrière eux, et de noter que les
premières banques à Genève sont juives (Rothschild) et protestantes (Pictet). L’islam interdit quant à lui l’intérêt et prône
la solidarité entre les musulmans. Notons que la finance islamique régit encore la vie économique des communautés
musulmanes. Enfin, certains points philosophiques sont repris par les religions : par exemple, la différence entre la
libéralité et la prodigalité des chrétiens peut faire écho à la différence entre l’économique et la chrématistique chez
Aristote.
La monnaie, fait de l’État, est fortement régie par le droit. Que la monnaie soit frappée par le Prince, qu’elle soit frappée
par diverses régions ou évêchés, qu’elle soit émise par les banques commerciales ou qu’elle soit du monopole d’une
banque centrale, la monnaie est – et a souvent été – régulée. Nous remarquons que les politiques s’intéressent
actuellement de plus en plus aux monnaies privées, même si leur statut pourrait permettre une non-régulation : c’est le
cas du bitcoin. Nous en avons pour preuve les divers rapports émis en Suisse (questions de politiciens, rapport du
Conseil fédéral, etc.) ; la France n’est pas en reste : depuis le début de la rédaction de ce travail, nous avons constaté
l’émergence de plusieurs lois ou projets de lois, jurisprudences, rapports, circulaires ou autres concernant les monnaies
virtuelles et les monnaies complémentaires. Le droit ne fait pas que modeler le cadre de la monnaie ; il suit également
l’évolution de celle-ci119.
Nous confirmons et complétons donc notre deuxième hypothèse : (i) notre rapport à la monnaie s’est construit tout au
long de notre civilisation et a suivi l’évolution de la philosophie, de la religion et du droit en général (i bis) de manière
non-cloisonnée ; (i ter) le droit, la religion et la philosophie façonnent la monnaie (monopole d’État, unification monétaire,
etc.), mais la monnaie façonne également le droit et la philosophie (évolution des monnaies virtuelles, réflexions sur la
valeur, la richesse, etc.).
Partie III
Nous l’avons vu, il n’existerait pas de société qui n’ait pas connu la monnaie : c’est l’universalité du fait monétaire, qui
est, à ses débuts, presque d’ordre divin. En effet, toutes les sociétés avaient besoin de mettre une valeur sur les biens,
et d’avoir la possibilité de les échanger (que ce soit entre les hommes, ou entre les dieux et les hommes) ; or le troc
primitif n’est qu’un mythe. La monnaie fonctionne comme « capital culturel » inhérent à chaque société de manière
spécifique, et est un élément de cohésion, ainsi que d’apaisement des tensions sociales et des différences.
Mais, par ailleurs, la monnaie n’est qu’un outil, voire qu’une représentation : si la cohésion n’est pas déjà présente dans
la société où elle fonctionne, la monnaie ne pourra pas la construire ex nihilo. Elle doit en outre obéir à des règles,
acceptées et suivies par tous les agents, sous peine d’imploser.
L’exemple suisse tend à prouver cela. La République Helvétique était un échec, et ce n’est pas l’unification de la monnaie
qui a pu rapprocher les cantons au sein d’une république, malgré sa centralisation. Par contre, lors de la nouvelle
Constitution de 1848, qui convenait bien mieux aux cantons, le franc suisse a pu se faire la représentation de la cohésion
nationale, représentation renforcée pour certains depuis 1907, lors de la création de la Banque Nationale Suisse,
Dans un registre proche, les notions de dilapidation des richesses sont présentes depuis l’Antiquité, et perdureront durant tout le MoyenÂge, sous l’égide de la religion chrétienne. La dilapidation est très mal vue, et l’antinomie entre prodigalité et libéralité était déjà présente
sous Cicéron et dans le droit romain. Durant le Moyen-Âge, l’Église prendra des mesures contre la dilapidation au Concile de l’an 502 : la
notion de simonie apparaît. Sur la dilapidation, voir l’excellent ouvrage de Bruno Lemesle (2014).
119
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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désormais seule autorité monétaire ayant droit de frapper monnaie. Ainsi, si le franc suisse fédère autant, c’est d’abord
parce qu’il représente des institutions politiques et économiques faisant montre d’une stabilité rarement égalée en
Europe et dans le monde.
Nous confirmons donc notre troisième hypothèse de départ : les aspects de confiance et de sentiment d’appartenance
jouent un rôle crucial et la tangibilisation artificielle de la monnaie sert ce rôle
Partie IV
Nous avons vu les différentes formes de complémentarité des monnaies, et appris que les monnaies complémentaires
locales – dont nous avons abordé les différents profils – ne sont pas nouvelles puisqu’elles semblent être aussi vieilles
que la monnaie elle-même. Les buts poursuivis dictent les modalités et non l’inverse. En outre, les conditions
environnementales (pauvreté, situation économiques) semblent avoir une réelle importance, de même que les aspects
de confiance, pour l’acceptation de la part des individus.
En résumé de l’étude qualitative, la monnaie est surtout un moyen d’échange ; cependant l’échange n’est que rarement
vu comme un fait immédiat : c’est pourquoi la stabilité de la monnaie est un aspect de confiance très important. La
confiance réside également de manière prépondérante dans l’autoréférentialité et l’aspect méthodique cité par Orléan.
L’environnement politique et économique a aussi un fort impact sur la confiance en la monnaie nationale. La forme
monétaire ne semble pas jouer un rôle incommensurable, mais un système ne peut en aucun cas être basé que sur une
seule forme. Pour une monnaie complémentaire (physique ou non), l’aspect pratique doit être privilégié vu que nous
trouvons les deux possibilités dans le système traditionnel. En effet, si une monnaie complémentaire représente trop de
complications, les gens, lucides sur ce que sont les moyens de paiement légaux (question 6), s’en détourneront.
Les questionnés ne sont pas aussi partagés que nous aurions pu le penser entre l’épargne et la consommation ;
l’épargne est vue comme une opportunité future de consommation. La plupart des gens consomment de manière
rationnelle, en accordant de l’importance sur les prix, la qualité et le local plutôt que sur l’aspect ESS du produit. Tous
sont d’avis que la monnaie est un élément culturel, et qu’elle est symbole de cohésion, d’appartenance, et de la force
du pays. Elle n’en est toutefois que la représentation, et n’en est pas l’outil même.
Les personnes interrogées sont très partagées sur la crédibilité des monnaies complémentaires, qui soulève beaucoup
de scepticisme en raison de leur inutilité perçue, de la complexification des échanges, de l’exacerbation des
régionalismes et du peu d’efficacité d’un tel système. Les éléments les moins importants pour les répondants sont ceux
qui sont mis en avant par le groupe de la MGG, ce qui peut soulever de réelles interrogations concernant leur analyse
des besoins de la population ciblée. Les points qui pourraient attirer les personnes sont dans l’ordre : une catastrophe
économique et/ou politique (6 citations), un avantage économique directement perceptible (6 citations), un système de
valeurs fondé sur le localisme des échanges (3 citations), la favorisation de la consommation par un taux négatif (3
citations) et un fonds de garantie (1 citation). Les éléments rédhibitoires consistent en ce que les répondants ne
perçoivent pas l’utilité d’une monnaie complémentaire. Les craintes quant à l’organisation, ses buts et le risque d’être
trop restreint dans la consommation supplantent les modalités jugées positives de la monnaie. La forme de la MC
n’importe que peu même si la tendance va à demander au moins une forme scripturale ; toutefois beaucoup d’efforts
sont à faire pour convaincre les potentiels utilisateurs : seules trois personnes utiliseraient la MC et resteraient dans le
circuit si elles en avaient à disposition. La symbolique de cohésion et d’appartenance est par contre totalement absente
des monnaies complémentaires, au contraire de la monnaie conventionnelle.
La MGG, monnaie complémentaire locale et citoyenne du bassin de vie genevois, émerge dans l’agglomération Grand
Genève. Le projet d’agglomération transfrontalière n’est pas nouveau et date des années 1970, s’axant dur diverses
thématiques : « Urbanisation », « Habitat », « Économie », « Mobilité », « Agriculture », « Nature et paysage », « Air,
climat, énergie », « Eau, sols, déchets », « Culture » et « Santé » (Grand Genève, s.d.). Le projet ne fait pas l’unanimité120
et nous pouvons nous questionner sur la cohésion : est-elle suffisante pour que la monnaie prenne pied, sachant que la
monnaie n’est pas source de cohésion mais la représente ?
Nous remarquons que le projet MGG a démarré sans prendre en compte les besoins des parties prenantes : l’étude de
faisabilité sera disponible sans doute pour la fin juin 2015, alors que le lancement est prévu pour septembre 2015.
Rappelons que le projet a germé en 2011 et qu’il a débuté plus concrètement en 2013.
Nous vérifions donc notre hypothèse de départ selon laquelle (i) l’utilisation des monnaies complémentaires est cyclique
dans l’histoire de notre civilisation ; (ii) elle doit s’accompagner d’outils favorisant sa mise sur pied et (iii) doit respecter
le rôle fédérateur que devrait avoir chaque monnaie, qui est un attribut saillant capital. Nuançons ce dernier point par le
Qu’il s’agisse d’individus, d’associations ou d’organisations politiques. Par exemple, le MCG, qui est le plus hostile au projet
d’agglomération, est, avec 20 sièges, le deuxième parti représenté au Grand Conseil, derrière le PLR qui en compte 24.
120
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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fait que le rôle fédérateur de la monnaie n’est que représentatif d’une cohésion déjà existante. Les aspects de confiance,
de crédibilité et d’utilité sont nécessaires. Les aspects d’échanges locaux n’occupent qu’une place secondaire, tandis
que les aspects d’ESS n’ont pas de réelle importance.
13.3.2 Autres éléments
Les monnaies complémentaires, si elles ont pour but le « bien commun », ne sont pas exemptes de critiques. Ainsi,
certains économistes (Tille, s.d.) formulent un certain scepticisme face à ces monnaies et face au projet MGG en
particulier, notamment :
- Cette monnaie est purement symbolique, et n’a aucune prise sur les tensions dans les échanges commerciaux ;
- Cette monnaie n’est pas obligatoire et peut être refusée ;
- Cette monnaie est utilisée par les membres d’une sorte de club, qui peuvent tout aussi bien acheter les mêmes
choses avec de la monnaie traditionnelle ;
- Les conditions ne sont pas réunies pour l’émergence d’une monnaie complémentaire (forte inflation ou
incapacité des banques centrales à créer de la liquidité, par exemple à cause de l’étalon-or).
Constatons que ces quatre critiques généralement émises à l’encontre des monnaies parallèles sont ressorties dans
notre étude qualitative.
Les trois premières reflètent le peu de crédibilité qu’elles rencontrent auprès du grand public. Son côté symbolique et
restreint fait qu’elle ne peut pas avoir un grand effet sur les tensions dans les échanges commerciaux. Si nous avons vu
que la monnaie est un fait social total, c’est avant tout parce qu’elle est répandue. Le franc suisse, par exemple, fédère
les helvètes parce qu’il unit tout le pays dans les échanges ; les gens l’accepte car ils lui font confiance, même s’il ne
s’agit au minimum que d’autoréférentialité. Les tensions peuvent même être engendrées dans les échanges si la
confiance n’est pas absolue.
Le second point exacerbe plus encore les aspects de confiance méthodique et d’autoréférentialité. Seule la monnaie
nationale est exclusive, obligatoire et considérée comme moyen de paiement légal. Avec une monnaie complémentaire,
nous ne sommes pas assurés a priori que l’autre partie contractante acceptera la MC comme moyen de paiement, ce
qui peut engendrer des réticences au moment d’adhérer au réseau. L’autoréférentialité, qui est le niveau de confiance
le plus bas (j’utilise la monnaie parce que les autres l’utilisent), n’est même pas atteint : la MC ne touchera qu’une fine
partie de la population visée, ce qui fait des utilisateurs une exception plutôt qu’une règle121.
La troisième critique révèle l’inutilité perçue d’une monnaie locale pour la consommation. En effet, l’avantage mis en
avant est la consommation solidaire et sociale, attachée à des valeurs éthiques ; cela concerne également la proximité
régionale des échanges. Exception faite des valeurs partagées et de la possibilité de faire partie d’une sorte de
regroupement de consom’acteurs, la monnaie locale n’apporte rien que la monnaie nationale ne pourrait amener. Pire,
le consommateur peut acheter local et dépenser son argent avec des individus ou des entreprises partageant les mêmes
valeurs, sans la complication des MC.
Ces éléments sont endogènes au concept de monnaie complémentaire. Pour contrecarrer ces menaces, il convient de
délivrer un avantage qui devrait être, d’après l’étude qualitative, d’ordre économique tout en capitalisant la confiance des
individus.
Ces avantages à communiquer sont d’autant plus vrais que les conditions ne sont pas réunies pour l’émergence d’une
monnaie complémentaire. N’ayant pas la nécessité ou le besoin, les utilisateurs ne perçoivent pas la MC comme
désirable sur le marché. En effet, la situation politique et économique est au beau fixe en Suisse, ce qui rend la MC
d’autant moins nécessaire. Ce risque exogène n’est pas maîtrisable pour les monnaies complémentaires, qui doivent
soit mieux cibler les besoins des utilisateurs, soit créer un besoin ayant un avantage compétitif. C’est là le principal point
d’achoppement qui induit notre scepticisme face à l’émergence de monnaies complémentaires locales.
En effet, l’Office fédéral de la statistique (OFS, 2014) a rendu à la mi-juillet son rapport sur la pauvreté en Suisse. Le
seuil de pauvreté (couvrant le forfait pour l’entretien, les frais de logements et les autres frais tels que les primes
d’assurances) sont fixés à (chiffres OFS) CHF 2'200 pour une personne seule, CHF 3'050 pour deux adultes, et CHF
4'050 pour deux adultes et deux enfants.
Fort de ces indications, l’office conclut à un recul important de la pauvreté en 5 ans, de l’ordre d’1,6 point :
Selon la Ville de Genève, la population du bassin de vie genevois se monte, en 2011, à 1 million de personnes. La masse critique
d’individus étant de 500 personnes, le pourcentage d’utilisateurs visés par la MGG représente 0.05% de la population.
121
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Figure 20 : Évolution du taux de pauvreté en Suisse (2007-2012). Source : OFS (2014)
Notons que par personnes active occupée, l’office entend les « personnes âgées de 18 ans et plus qui, l’année précédant
l’enquête, ont eu une activité dépendante ou indépendante durant plus de la moitié des mois ».
Les Suisses voient également un recul de leurs privations matérielles :
Figure 21 : Évolution du taux de privation matérielle en Suisse (2007-2012). Source : OFS (2014)
L’inflation est elle aussi basse, loin de provoquer la nécessité d’une monnaie complémentaire :
Figure 22 : Prix à la consommation. Source : BNS (2014)
Ces quelques éléments nous permettent donc d’affirmer que la Suisse se trouve dans une bonne situation économique,
ce qui est également confirmé par le fait que le franc suisse est perçu comme une monnaie refuge.
13.4 Élaboration d’un design de service final
Nous pouvons maintenant aborder le design de service final. Nous élaborerons en premier lieu le design de service
macroscopique en expliquant le déroulement du service, puis nous détaillerons les attributs saillants et les risques.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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13.4.1 Design de service macroscopique final
Le design de service final (pp. 78-79) groupe l’utilisation d’une monnaie complémentaire (en vert) avec celle de la
monnaie nationale (en noir). Pour les explications liées à la monnaie nationale, nous prions le lecteur de se rapporter à
la première partie.
La monnaie complémentaire figurée, rappelons-le, ne concerne aucune monnaie spécifique. Nous avons représenté le
design sous forme macroscopique, seule vue à permettre la représentation générale demandée dans le travail, eu égard
à la diversité des profils de MC et à leurs modalités respectives. Cette vue a surtout comme intérêt de :
i.
Comprendre l’imbrication d’une monnaie complémentaire dans l’usage d’une monnaie traditionnelle
ii.
Identifier et situer les risques
iii.
Identifier et situer les attributs saillants
Les acteurs sont, pour la monnaie nationale :
 Les individus et les entreprises utilisant la monnaie, consommant et vendant tour à tour des biens ou services ;
 Les banques commerciales, qui octroient des crédits et servent d’intermédiaires pour les paiements en
monnaie scripturale. Cet acteur est divisé en deux : le front office (avec qui le client a un contact) et, sous la
ligne de visibilité, le back office (avec qui le client n’a pas de contact) ;
 La FINMA, qui, sur ce design, a une fonction de surveillance du système bancaire ;
 La BNS, qui, sur ce design, a une fonction de régulation de la masse monétaire (émission/retrait de monnaie
sur le marché).
Les acteurs sont, pour la monnaie complémentaire :
 Les individus et les entreprises utilisant la monnaie, consommant et vendant tour à tour des biens ou services ;
 L’association de monnaie complémentaire, divisée en front office et en back office ;
 Les partenaires, qui vont aider l’association à créer la monnaie (plate-forme virtuelle pour une cryptomonnaie,
imprimerie pour une monnaie physique, banque éthique pour un fonds de garantie, ou autres).
De manière implicite, nous indiquons que les rentrées d’argent des individus et entreprises ne se font, pour les besoins
du design de service, que par une activité rémunératrice et par un crédit. De même, les acteurs évoluent bien entendu
dans le strict cadre juridique. En cas de modalités spécifiques de la MC (nantissement, fonds de garantie), des
partenaires doivent se rajouter et, selon les aspects définis par l’association MC, les banques deviennent partenaires.
Finalement, la consommation représentée dans le design de service se fait localement ; l’investissement des banques
suite à l’épargne en monnaie nationale des déposants n’est toutefois pas restreint à la localité : c’est l’une des critiques
principales qui motivent, justement, l’utilisation d’une monnaie complémentaire locale.
Le cheminement du service se fait en trois blocs :
1.
La pré-transaction
Cette étape concerne le préambule à l’utilisation de la monnaie, qu’elle soit nationale ou complémentaire. Il
s’agit pour la BNS de décider des taux d’intérêt, pour les banques d’emprunter à la BNS contre de la monnaie,
pour l’individu de générer un revenu, pour l’entreprise de générer une production désirable sur le marché et
pour l’association MC de créer son réseau de monnaie complémentaire selon les modalités décidées (pour
une monnaie fiat ou pour un système de crédit mutuel, aucun fonds de garantie n’est bien sûr créé).
À ce moment, les individus et entreprises possèdent de la monnaie nationale, venue en contrepartie du travail
de l’individu et de la vente des biens de l’entreprise. S’inscrivant dans le réseau, l’individu et l’entreprise
possèdent, à la fin de la pré-transaction, de la monnaie complémentaire en plus de la monnaie nationale.
2.
La transaction
La transaction est elle-même divisée en 3 étapes :
a.
Le crédit
Dans cette étape qui ne concerne que la monnaie nationale, l’individu ou l’entreprise obtient un prêt
de la part d’une banque. Notons que dans certains cas de monnaies complémentaires, des prêts sont
disponibles ; cela n’étant possible que dans des cas de figure limités (développement à l’externe),
nous ne l’avons pas représenté. Une partie de l’argent gagné (soit par crédit soit par activité
rémunératrice) ira à la consommation, l’autre allant à l’épargne.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
79
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b.
La consommation
La consommation est le cœur de la notion de monnaie complémentaire locale. Le consommateur a
deux choix :
(i)
Soit l’acheteur et le vendeur sont d’accord d’échanger en MC, auquel cas la transaction se
fait ;
(ii)
Soit l’une des deux parties n’est pas d’accord et la transaction se fait en monnaie nationale
ou ne se fait pas du tout. Si elle se fait en monnaie nationale, le paiement peut se faire
directement ou en monnaie scripturale.
c.
L’épargne
La monnaie qui n’est pas utilisée va :
(i)
En épargne (monnaie nationale). Cette épargne est investie par la banque ou prêtée à un
autre individu/entreprise. Elle rapportera un intérêt à l’épargnant.
(ii)
En thésaurisation (monnaie nationale). L’argent est stocké chez l’individu, en attente de
consommation ou en constitution d’un « matelas de sécurité ».
(iii)
En bas de laine (monnaie complémentaire). Nous appelons bas de laine le stock de
monnaie complémentaire que garde l’individu chez lui, pour ne pas confondre avec la
thésaurisation.
De manière indirecte, la MC stockée diminue généralement de valeur avec le temps
(monnaie fondante), ce qui incite à consommer dans le réseau.
Concernant les crédits mutuels, la valeur n’est pas fondante. Mais comme le système est basé sur la
réciprocité ainsi que sur la non-convertibilité, l’individu sera également incité à consommer.
À partir de ce point, trois choix sont possibles :
(i)
continuer à consommer avec l’argent stocké (MC + MP),
(ii)
rembourser le crédit et/ou toucher l’intérêt sur l’épargne (MP),
(iii)
ou sortir du réseau local (MC) : c’est la post-transaction.
3.
La post-transaction
Dans la post-transaction, nous trouvons :
(i)
MP : l’individu ou l’entreprise rembourse son crédit, éteint sa dette et touche un intérêt sur son
épargne. L’argent épargné est prêté par les banques à d’autres personnes ou entreprises, grâce à
l’effet multiplicateur. Le cycle continue donc.
(ii)
MC : l’individu ou l’entreprise souhaite sortir du réseau. Selon les modalités, il dépense toutes ses
devises en MC, ou il fait part de sa volonté de sortie à l’association MC, qui prend en compte sa
désinscription. La personne repart donc sur le schéma traditionnel de la monnaie nationale.
Grâce à la superposition des deux monnaies, nous pouvons remarquer qu’il n’y a pas, pour l’individu, de grande
complication, même si l’on considère que ce design de service est général. La simplicité est en elle-même un point de
valeur ajoutée important.
En outre, nous remarquons plusieurs points intéressants, en lien avec le blueprint macroscopique pour une monnaie
conventionnelle.
L’autoréférentialité n’a pas la même ascendance sur la monnaie complémentaire, du fait de son caractère plus restreint ;
même si la monnaie complémentaire et la monnaie nationale sont fiat, la monnaie nationale jouit, de par son exclusivité,
d’une crédibilité accrue et touche toutes les personnes du territoire. Les cas de nécessité exceptés (crises majeures,
hyperinflation), une monnaie complémentaire ne saurait, selon nous, avoir un rôle fédérateur en général. Elle pourrait
néanmoins être un élément de regroupement pour ceux qui y voient une revendication ou une idéologie politique. Ce
point, cependant, ne devra pas être mis en avant par le groupe de monnaie complémentaire et ne serait que marginal.
En revanche, la monnaie complémentaire partage avec la monnaie conventionnelle les aspects de confiance. Ces points
sont aussi importants que pour la monnaie nationale, sinon plus, justement en raison du manque d’autoréférentialité et
de sortie possible du système. En effet, il n’est pas possible de quitter pleinement le système monétaire national ; il est
par contre aisé de se détourner d’un système complémentaire. Ce point est si vrai que même les monnaies
complémentaires sont régulièrement qualifiées d’ersatz d’euro, ou d’ersatz de franc, puisqu’elles s’appuient, même
indirectement, sur la monnaie conventionnelle. Notons toutefois que nous parlons ici bien de monnaie complémentaire,
et non de monnaie alternative, bien que la volonté de renverser le système actuel se soit fait ressentir dans nos
observations de la MGG. Cette précision est nécessaire, car il convient de ne pas perdre de vue le but fixé par la monnaie
complémentaire, comme nous le verrons dans nos recommandations. C’est en effet le but final (localité des échanges,
poursuite d’un bien-être social, ou autre) qui prime sur tout le projet : une MC ne saurait poursuivre le but de renverser
le système monétaire actuel.
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Figure 23 : Design de service final (vue macroscopique comparée), partie 1. Élaboration propre.
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Figure 24 : Design de service final (vue macroscopique comparée), partie 2. Élaboration propre.
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13.4.2 Attributs saillants et risques
Nous remarquons que les risques et les attributs saillants généraux identifiés se situent tous majoritairement lors de la
construction de la monnaie complémentaire (pré-transaction) et lors de l’étape « consommation » de la transaction. Cela
s’explique par les risques et attributs identifiés.
Les attributs saillants sont ceux qui devraient au minimum être présents, selon nos observations et notre enquête
qualitative. En effet, le premier concerne l’avantage économique : quelles que soient les modalités retenues, l’individu
et l’entreprise doivent pouvoir percevoir un avantage économique. Pour l’individu, cela peut être un taux de change
monnaie nationale/monnaie complémentaire avantageux, la fidélisation par les entreprise avec des avantages (services
en plus offerts autour des biens vendus, etc.). L’entreprise peut bénéficier quant à elle de la mise en réseau de ses
activités ou l’accès à une clientèle fidélisée par les valeurs partagées. C’est également là qu’intervient un autre attribut
saillant : la MC devrait non seulement permettre un avantage économique, mais devrait également ouvrir un accès à
d’autres services ou produits pour le consommateur. En payant un bien uniquement en MC, nous pouvons imaginer que
le consommateur puisse obtenir un service autour de ce bien (dégustation, mise en service d’un appareil, cours : les
possibilités sont vastes). Le consommateur obtient ainsi plus pour son argent, et l’entreprise acquiert un marché
supplémentaire.
Les attributs saillants concernant les valeurs partagées sont à double-tranchant. En effet, plus les valeurs véhiculées
sont fortes et claires, plus l’appartenance des utilisateurs sera forte, mais plus la monnaie complémentaire se fermera
aux autres utilisateurs potentiels, surtout si ces valeurs sont idéologiquement très marquées. La localité des échanges
ne semble pas, au contraire des considérations plus sociales, être un élément cloisonnement et peut sans crainte être
mis en avant.
Avant d’aborder les risques, il convient de se questionner sur ce qu’est, dans les services, la qualité. Le tableau cidessous nous donne trois exemples pertinents :
Slack et al. (2004)
Qu’est-ce que la qualité dans les services ?
Oakland (1995)
Les éléments physiques
Fidèle application aux attentes des clients
Le service explicite
Le service implicite
Zeithaml et al. (1990)
La sécurité
La tangibilité
L’accès
La fiabilité
La communication
La réponse
La compréhension
La compétence
de la part des
La courtoisie
clients
Tableau 16 : La qualité dans les services. Source : Fragnière (2013, p. 53), adapté.
Le point le plus important est que le service qu’est la monnaie complémentaire réponde au besoin des utilisateurs. Cela
est d’autant plus capital que les personnes ne perçoivent pas d’utilité, de nécessité et de crédibilité, de manière générale,
pour les monnaies locales. La réponse au besoin doit donc être optimale et restreindre le moins possible le
consommateur, qui s’agisse de variété et d’étendue des agents (quantité et diversité des offres de biens et de services
au sein du réseu), la complication induite par le système, ou autres.
Figure 25 : Éléments mis en avant pour une MC crédible. Élaboration propre.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Le graphique ci-dessus montre ainsi bien que, sans même aborder le sujet des risques, le service de la monnaie
complémentaire doit se calquer sur un besoin. Dans le cas de la MGG, nous avons remarqué que la réponse du groupe
n’est pas adaptée aux besoins de l’échantillon122. Le service, dès sa conception, accuse un écart de qualité significatif,
qui creusera davantage le gap de la perception du service chez le client. À cela, il faut encore ajouter les risques ainsi
que, surtout, les conséquences en cas de ratage de la monnaie complémentaire : les clients sont en effet généralement
averses au risque, mais les conséquences pèsent encore plus dans leurs décisions : une conséquence importante avec
une probabilité de survenance faible sera perçue plus négativement qu’une conséquence faible avec une probabilité de
survenance importante.
Les risques identifiés peuvent avoir une réelle incidence sur la viabilité du projet. Mais certains, comme la réponse aux
besoins du bassin versant peut être minimisé, par exemple par une étude de marché.
Les éléments de confiance ont un poids extrêmement fort, à l’instar de la monnaie nationale. Cela dit, ces risques sont
majorés en raison du caractère restreint de la monnaie complémentaire : la confiance méthodique est généralement
basse, tout comme l’autoréférentialité. Ce niveau de confiance restera bas tant que la monnaie touchera une part
restreinte de la population, d’où l’importance d’atteindre et de dépasser rapidement la masse critique.
La communication est également un élément à ne pas négliger : nous avons constaté que la population n’est pas
réellement informée ni de la manière dont fonctionne concrètement la monnaie, ni de la notion de monnaie
complémentaire.
Figure 26 : Nombre de citations par genre de MC. Élaboration propre.
Le graphique ci-dessus indique que cela est particulièrement vrai pour les monnaies complémentaires locales : sur les
huit personnes qui disaient connaître la notion de complémentarité, seule un répondant a pu citer spontanément une
monnaie locale (relevons, facteur aggravant, que cet individu a rejoint le groupe MGG peu avant de participer à notre
entretien). Hormis lui, personne n’a pu même indiquer qu’il savait qu’une monnaie complémentaire pouvait être émise
localement, sans en citer une. La majorité des personnes citent les cryptomonnaies telles que le bitcoin ou le litecoin,
actualité oblige. Puis viennent les monnaies commerciales et les monnaies B2B (le WIR est la seule monnaie
spontanément citée en monnaie B2B).
S’agissant de monnaie, un sujet tabou et délicat, les personnes n’auront que peu de réserve à quitter – ou à ne pas
utiliser – une monnaie qui ne répond pas à leurs besoins et attentes, qui ne répond pas à leurs exigences de confiance
et qui ne leur apporte pas d’avantage économique.
14. Recommandations
Afin de minimiser les risques identifiés, nous pouvons indiquer nos recommandations en deux temps. Elles interviennent
tout d’abord avant de débuter la construction à proprement parler de la monnaie complémentaire : il s’agit de la réalisation
d’une étude de marché et de faisabilité pour s’assurer que les attributs saillants peuvent contrebalancer les faiblesses
de la MC, de s’assurer de la faisabilité du projet en termes techniques, juridiques ou financiers, et de contrer les risques
liés à la perception de la crédibilité, de la confiance et de l’utilité de la monnaie. Dans un deuxième temps, nous avons
Ainsi, la situation externe est capitale pour que l’échantillon reconnaisse une crédibilité à une MC, tandis que le groupe MGG n’y accorde
qu’une importance moyenne du fait qu’il juge une telle monnaie nécessaire dans notre système. Le seul point qui semble faire l’unanimité
est celui concernant la localité des échanges : nous avons remarqué que les répondants y sont souvent sensibles.
Les points ont été calculé en nombre de citations dans l’enquête qualitative pour l’échantillon, et par l’intérêt marqué par les différents thèmes
dans les séances de la MGG et sur le radar citoyen.
122
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
84
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regroupé les éléments intervenant lors du début de la construction du projet. Nous voulions aborder tous les thèmes de
cette seconde partie isolément, et traiter des KPI ou de la gestion de projet. Un expert dans le domaine nous a introduits
à la Theory of Change (ToC). Cette sérendipité nous a permis de regrouper ces points dans un seul court chapitre, dans
un enchaînement logique. Ce point permet de contrer les risques liés à la confiance, puisqu’il tente d’apporter un
changement sociétal.
Notons qu’il ne s’agit ici que de recommandations basées sur nos observations et notre étude qualitative : il ne nous
appartient pas de mettre sur pied nous-mêmes les pistes d’amélioration qui suivent, mais d’en donner l’importance ainsi
que d’en expliquer le déroulement. Le caractère générique de ce travail ne nous permet en outre ni d’établir un plan
d’action, ni d’envisager un budget, ni d’élaborer des recommandations plus concrètes, bien que nous expliciterons nos
apports à l’aide d’exemples.
14.1
Avant de débuter un projet MC
Tous les services, y compris la monnaie complémentaire, souffrent de gaps. Ces écarts se situent à tous les niveaux de
conception du service, que ce soit dans l’opérationnel (conception par l’entreprise) ou dans l’esprit du client. Il y a
notamment des divergences entre :
i.
le service tel qu’il est souhaité par la gouvernance et tel qu’il est conceptualisé par le groupe. Cet écart peut
survenir par manque de communication, par impératifs techniques ou légaux, etc.
ii.
ce que les personnes chargées de réaliser le service pensent ce que doit être la qualité et ce que le client
pense être la qualité. En effet, le client a diverses attentes, nourries par ses expériences antérieures, la
communication et l’image qu’il a du service. Ses attentes donnent une image de ce qu’est, pour lui, la qualité.
iii.
ce que le groupe a conceptualisé et ce qui est réellement délivré. Cela est inhérent à l’hétérogénéité des
services.
iv.
ce qui est objectivement délivré et l’image du service qu’en a le client.
Figure 27 : Les gaps dans la création des services. Source : Fragnière (2013, p. 52), adapté.
Tous ces écarts mènent au gap final entre ce qui était attendu par le client et ce qu’il a perçu. Cela rappelle le modèle
CYQ : l’écart entre attente et perception se creuse à mesure que des imperfections apparaissent lors de la conception
du service.
C’est pourquoi il convient, avant de commencer tout projet de monnaie complémentaire, de réaliser une étude de marché
et une étude de faisabilité. Ces éléments tombent sous le sens, mais sont, d’après nos observations, très peu utilisés :
la MGG travaille activement depuis 2013 sur le projet de monnaie locale (le concept est en réflexion depuis 2011). Or, il
a récemment été décidé qu’une étude de faisabilité serait finalement réalisée, avec livraison en juin 2015 alors que le
lancement public de la MC est prévu pour septembre 2015.
Une étude de marché qualitative et quantitative, réalisée en amont, permettrait de rendre compte des besoins, attentes
et réticences des utilisateurs cibles, ainsi qu’un ordre de grandeur de la population potentiellement intéressée dans le
bassin versant. Le groupe de projet aura ainsi des indications claires concernant les attentes, le besoin en
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communication, le message à faire passer ou encore les modalités impératives à associer à la monnaie. Rappelons en
effet que les profils de MC appellent des masses critiques différentes, qui peuvent être très faibles comme très fortes.
L’étude de faisabilité devra permettre de rendre compte de la possibilité du projet en termes financiers (partenariats…),
juridiques (avec une observation de l’évolution législative), politiques et de marché (y a-t-il une opportunité d’affaires ?).
Une matrice SWOT ainsi qu’une matrice TOWS seraient également pertinentes, afin de pouvoir juger du meilleur
scénario à adopter. La matrice SWOT rend compte des facteurs clés de succès (opportunités et menaces) et de la
capacité stratégique (forces et faiblesses) du projet. La matrice TOWS sert, dans un deuxième temps, à décider quel
scénario adopter en fonction des éléments trouvés dans la SWOT :
Figure 28 : Transition d’une matrice SWOT à une matrice TOWS. Source (Barbey, 2012), adapté.
D’après la figure ci-dessus, les stratégies qui semblent le plus pertinent sont les stratégies SO et WO, les handicaps
étant déjà fortement mis en avant pas les détracteurs de ces monnaies. Les opportunités sont inhérentes à toutes les
monnaies complémentaires potentielles, puisqu’il s’agit d’éléments externes. Cependant, pour saisir ces opportunités, il
convient soit d’utiliser les forces de la MC ou de minimiser ses faiblesses, qui sont des éléments internes. Chaque
monnaie devra donc se questionner sur les forces et les faiblesses de ses modalités.
La possibilité de s’être questionné, en amont, sur les besoins et attentes des utilisateurs finaux, mais aussi sur ceux des
autres partenaires, et d’avoir envisagé les risques et les scénarios à suivre permettra de définir des objectifs SMART
(Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporellement définis) qui soient mesurables (Amrein, 2010).
Critères
*quoi ?*
Valeurs cibles
*combien ?*
Test du radar citoyen
Test de l’analyse des
flux
Masse critique
entreprises
Financement par les
communes
Temps
*quand ?*
Outils
*avec quoi ?*
50 entreprises
Septembre 2014
Logiciel Radar
50 entreprises
Septembre 2014
Logiciel d’analyse de T.
Anderson
100
Juin 2015
Inscriptions au réseau
CHF 40’000
Octobre 2015
Accords signés
Contrôles
*qui ?*
Responsable
communication
T. Anderson
Responsable
communication
Responsable de la
commission des
finances
Tableau 17 : Exemple d’objectifs SMART. Élaboration propre.
Un plan d’action permettra d’avoir un fil conducteur menant à la réalisation de ces objectifs. Les gaps seront ainsi
minimisés dès la conceptualisation du projet, agrandissant la désirabilité du projet sur le marché.
Rappelons enfin qu’une monnaie complémentaire ne doit pas être prisonnière d’une idéologie, mais qu’elle doit inclure
les parties prenantes selon leur degré de saillance123. Les clients sont évidemment au centre des préoccupations, les
« individus [étant] plus influencés par les conséquences (dommages) que par la probabilité de survenance d’un risque »
(Fragnière, 2013, p. 92) : ce qui précède n’est donc pas à négliger et doit être réalisé avant toute chose plutôt que juste
avant le lancement, comme le prévoit la MGG.
Le degré de saillance d’une partie prenante donne son pouvoir (et donc son importance) : il convient de répondre en premier à la partie
prenante qui a le plus haut degré de saillance. Pour ce faire, il convient de lister les parties prenantes, de lister leurs requêtes respectives
envers l’entreprise et de donner une note (1 à 10) aux trois facteurs suivants et d’en faire la pondération (Fauchart, 2012) :
Pouvoir sur le projet
Légitimité et importance (le groupe de projet a-t-il un grand intérêt à répondre à la requête de la partie prenante ?)
- Insistance (la partie prenante veut-elle obtenir la réponse à sa requête rapidement ?
123
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14.2
Theory of Change
Dans ce chapitre, il ne s’agit pas d’initier une ToC pour une monnaie complémentaire spécifique, mais d’en expliquer le
fonctionnement. Cette « théorie du changement » est pertinente dans le cadre d’un projet MC qui vise un changement
dans la société, centré sur des valeurs. Dans le cas des monnaies complémentaires, le changement est de type
transformateur. Une approche flexible comme la ToC est fort bien adaptée à ce cas de figure, qui implique des
résistances au changement et des enlisements (F3E-Educasol, 2012).
Il existe diverses approches de la Theory of Change, mais certains points sont immuables. Ainsi, le but ultime – la vision
– est clarifié. Pour atteindre ce changement, plusieurs buts secondaires sont nécessaires – nous pouvons rapprocher
cela de la mission du projet. Autour de ces buts, les valeurs et hypothèses voulues par le projet sont expliquées, pour
enfin en préciser l’articulation avec la vision, les principes et la stratégie (F3E-Educasol, 2012). Ainsi, le changement, le
pourquoi du changement et le comment du changement, même s’il intervient dans un processus complexe, sont
explicités. Ainsi, l’accent est moins mis sur l’impact que sur la cause du changement et le résultat obtenu, à savoir qu’il
y a eu un changement effectif causé par l’initiative du groupe de travail.
Pour le cas des monnaies complémentaires, une ToC permet de clarifier et d’évaluer le résultat attendu, de faciliter
l’allocation de ressources et la communication auprès des parties prenantes (New Economics Foundation, 2014). La
New Economics Foundation (2014, p. 20) indique qu’une ToC peut intervenir à tout moment du projet, qu’il soit avancé
(« looking backwards to evaluate ») ou en phase de réflexion (« looking forward to plan »). Si l’importance d’évaluer ce
qui a été fait n’est plus à démontrer, nous insistons sur la nécessité d’adopter une méthodologie comme la Theory of
Change plus en amont. Cela permet de définir les ressources du groupe, les activités à mettre en place et les attentes
des parties prenantes, point capital s’il en fut.
Cinq étapes, que nous allons brièvement aborder, sont nécessaires à l’élaboration d’une ToC (Aspen Institute
Roundtable on Community Change, 2003) : l’identification des buts et des hypothèses, la cartographie à rebours et la
connexion des résultats, le développement d’indicateurs, l’identification des interventions et la rédaction d’un document
de ToC. Ces cinq étapes font l’objet d’un exemple plus concret, visible à l’annexe XXIII, p. 142. Nous attirons l’attention
du lecteur sur le fait qu’il s’agit d’un exemple fictif et non exhaustif. L’élaboration d’une ToC généraliste ne saurait être
pertinente puisque chaque MC poursuit des buts différents et met en mouvement des valeurs, des modalités et des
forces internes qui lui sont propre ; l’annexe XXIII ne saurait donc être une marche à suivre et ne devra être pris que
comme un exemple à but pédagogique.
1. Identification des buts et des hypothèses
Notons au préalable que la ToC devrait intervenir après les études préliminaires vues au chapitre précédent. Ainsi, le
groupe de travail pourra connaître les besoins du bassin versant et des parties prenantes dans l’élaboration des buts.
Le groupe identifiera son (ses) but(s) à long terme, soit le résultat visé. Puis, il reliera les conditions préalables pour
l’émergence du résultat final avec le but à long terme. Une justification de ces conditions sera bien entendu apportée.
Un exemple de but final pourrait être de dynamiser les échanges locaux au sein d’une communauté, ce qui appelle
plusieurs conditions préalables : atteindre une masse critique d’utilisateurs (individus et/ou commerces), mise sur pied
de modalités efficaces et pertinentes, ou autres.
2. Cartographie à rebours
Pour arriver aux conditions préalables à l’émergence du but ultime, le groupe effectue un mapping à rebours : pour
chaque condition, les buts secondaires sont indiqués et reliés entre eux, jusqu’à ce que tout le processus soit complet,
clair, justifié et qu’il ait emporté l’unanimité. Ainsi, le groupe peut identifier les points d’achoppement, les étapes
fondamentales, et où l’allocation de ressources est la plus urgente. Par exemple, pour atteindre une masse critique
suffisante, il est nécessaire que les individus et/ou commerces perçoivent la valeur ajoutée de la MC ; pour en percevoir
les attributs saillant, la MC doit répondre à un besoin, etc.
3. Identification des indicateurs
Une fois la cartographie effectuée, il convient d’instaurer des indicateurs, afin de mesurer l’atteinte des buts. Pour plus
de flexibilité, nous aurons à cœur d’utiliser le feedforward control, afin d’anticiper la survenance de problèmes. Chaque
indicateur est adossé à un résultat espéré et contient la variable à mesurer, la source de la mesure, le degré d’atteinte
minimal du résultat espéré, et les actions correctrices.
4. Identification des interventions
Certains résultats vont être corrélés à d’autres : l’atteinte d’un but va mener directement à l’accomplissement du second.
D’autres nécessitent une intervention de la part de l’une ou l’autre des parties prenantes : c’est donc les activités du
groupe. Cela est utile afin de vérifier les changements apportés par le groupe et la pertinence du modèle présenté. Dans
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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notre cas, pour identifier les besoins des individus/commerces, l’intervention nécessaire est la réalisation d’une étude
de marché.
5. Rédaction du document ToC
Enfin, un court document de ToC sera rédigé, qui reprendra les éléments suivants : contexte du projet et besoins
identifiés, le résultat final escompté en réponse aux besoins, les buts intermédiaires nécessaire à l’accomplissement du
but final, les hypothèses et justifications sous-jacentes à l’initiative et les interventions nécessaires. Un blueprint
accompagnera le document.
Cette méthodologie nous paraît fortement adaptée à un concept de monnaie complémentaire, comme l’a également
démontré la New Economics Foundation (2014). Fort est de constater que l’approche plus linéaire qu’ont adoptée
certains projets dont la MGG apporte son lot d’inconvénients et empêche le groupe de réfléchir en amont aux questions
cruciales, comme les besoins des utilisateurs finaux.
Exemple de ToC
Ce qui suit vise à expliquer de manière plus schématique les cinq étapes d’une ToC, d’après ActKnowledge et le Aspen
Institute Roundtable on Cummunity Change (2014)124. Cet exemple ne concerne donc pas la construction d’une monnaie
en particulier et ne saurait être ni exhaustif ni concret (rappelons qu’aucune implémentation n’est à l’ordre de ce travail).
Cette limite est obligatoire : l’élaboration complète d’une Theory of Change doit se faire sur un cas concret et nécessiterait
un travail entièrement dédié, ce qui n’est pas l’objet du présent travail de Master.
1. Identification des buts et des hypothèses
Nous partons de l’hypothèse que notre exemple fait état d’une MC dont le but serait, à long terme, d’augmenter la localité
des échanges, puisque c’est le point principal qui unit nos observations de la MGG et notre étude qualitative. Nous
aurions donc le but (« augmentation des échanges locaux au sein de la communauté ») au sommet, ainsi que les
conditions nécessaires :
Figure 29 : ToC, phase 1. Élaboration propre.
Pour le but à long terme, l’observation suivante a été établie :
A : les échanges se déroulent pour la majorité à l’extérieur de la communauté, qui peine à être économiquement
dynamique.
Si cette assertion est vérifiée et que le projet tente de répondre à la problématique, les participants y verront une valeur
perçue non négligeable.
Pour les buts secondaires, des hypothèses sont également à tracer :
B : sans un minimum de commerces et d’individus, la monnaie sera bloquée à certains endroits et peinera à fédérer les
utilisateurs en raison du caractère restreint des échanges.
C : l’autorité de la MC doit attirer la confiance en elle. Les aspects de confiance vus pour la monnaie conventionnelle
restent valables pour les monnaies complémentaires.
2. Cartographie à rebours
En partant du haut, les buts précédents sont ajoutés et reliés, comme sur la figure suivante. Comme pour la première
étape, chaque ajout est répertorié par une lettre ou un numéro et est suivi d’une hypothèse.
Cela continue jusqu’à ce que l’histoire de la monnaie complémentaire soit complète et ait rassemblé l’unanimité des
discussions du groupe. Il s’agit de ne pas omettre d’étape cruciale et de vérifier la logique du déroulement et des buts.
124
Notons qu’il existe plusieurs manières de réaliser une Theory of Change et de les présenter.
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Cela permet aussi de contrôler si un but est redondant ou inutile, car demandant trop de ressources en regard de ce
qu’il peut servir le but final.
Le schéma montre par exemple que pour remplir la condition « la MC correspond aux besoins des individus », il est
nécessaire d’avoir identifié lesdits besoins et d’avoir choisi les modalités adéquates.
Idéalement, les discussions devraient remonter jusqu’à la condition primaire identifiée, qui est le système monétaire
actuel. Comme pour toutes les autres cases, des hypothèses doivent être tracées, ce qui donne le point de départ à
l’histoire de la monnaie complémentaire en construction.
Figure 30 : ToC, phase 2. Élaboration propre.
Ce schéma simplifié donne un exemple de granularité dans l’élaboration des hypothèses de conditions. Bien entendu,
le groupe travaillant sur la MC peut modifier la granularité selon ses besoins et ses avancées. Notons que l’outil utilisé
permet la flexibilité.
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3. Identification des indicateurs
Les indicateurs doivent permettre d’évaluer l’adéquation entre les objectifs, les résultats obtenus et les moyens mis en
œuvre. Cela est crucial car, comme nous l’avons vu, cette méthodologie doit permettre d’allouer les ressources de la
manière la plus efficiente possible. Pour un service, l’élaboration d’indicateurs rencontre la difficulté liée à l’intangibilité
du livrable. Averous et Averous (2004) indiquent les caractéristiques élémentaires d’un indicateur de service :







Être orienté client
Être quantifiable
Être simple et compréhensible
Être fiable
Être sensible aux actions et aux comportements des acteurs
Être pérenne
Être non ambigu
Les indicateurs devraient être constitués de la variable à mesurer, de la source de la mesure et de l’objectif espéré
(Aspen Institute Roundtable on Community Change, 2003). Nous ajouterons à cela les actions correctives, comme le
prescrit la méthode du feedforward control.
Figure 31 : Feedforward control. Source : Graichen (2013), adapté.
En effet, le feedback ne permet de rendre compte d’un problème qu’une fois que celui-ci s’est produit. En introduisant
la notion de feedforward control, nous définissons un objectif, des éléments de mesure ainsi que des éléments
d’anticipation pouvant répondre aux problèmes potentiels définis, comme l’indique le schéma précédent et le schéma
suivant.
Figure 32 : Éléments généralement constitutifs du feedforward control. Élaboration propre.
Ces KPI peuvent intervenir pour chaque but, et sont extrêmement important lorsqu’il s’agit de mesurer le degré d’attente
des utilisateurs, la satisfaction de ceux-ci, ou les tâches effectuées. Par exemple, si nous décidons d’un KPI pour la
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satisfaction des utilisateurs (objectif), nous pouvons mesurer les flux monétaires (mesure 1), la progression des ventes
chez les commerces (mesure 2) et la progression de l’utilisation de la MC (mesure 3). La base des mesures peut être
un logiciel de mesure des flux monétaires, comme la MGG compte utiliser. Des actions correctives pourront être
entreprises, comme la modification de modalités, l’augmentation de la masse et de variété des agents, l’introduction de
nouveaux avantages ou autres (anticipation). Une fois ces actions correctrices mises en place, le taux de satisfaction
sera à nouveau mesuré (feedback).
4. Identification des interventions
De certains points découlent automatiquement d’autres conditions. Par exemple, lorsque les individus perçoivent la
valeur ajoutée de la monnaie complémentaire, elle va faire part de sa volonté d’adhérer sans une action spécifique du
groupe MC. Par contre, d’autres éléments ont besoins d’interventions pour parvenir à un niveau de résultat satisfaisant :
ces interventions consomment des ressources, comme du temps, des personnes, ou du financement. C’est pourquoi il
est nécessaire de les identifier en amont, pour pouvoir prévoir et allouer suffisamment de ressources aux bons postes
de dépenses.
Sur ce schéma simplifié, les interventions que nous pointons sont :
1. Communication dans les médias
5. Communication auprès des particuliers
2. Étude de marché
6. Démarchage
3. Étude de faisabilité
7. Analyse de flux
4. Recherche de marché chez les commerces
Figure 33 : ToC, phase 4. Elaboration propre.
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Ces actions sont les activités du groupe de projet. Elles doivent être mesurées pour juger de leur efficacité. Ainsi, si
l’étude de faisabilité (3) prend de l’avance et que l’étude de marché (2) prend un peu de retard, une ressource provenant
de l’étude de faisabilité peut être allouée à l’étude de marché.
C’est pourquoi elles doivent prendre place dans un échéancier qui indiquera, dans l’ordre des activités :
 La nature de la tâche
Par exemple : analyse de flux
 Une brève description de la tâche (but, champ, limites)
Par exemple : analyser les flux d’échanges dans 50 entreprises souhaitant adhérer au réseau MC, pour vérifier
où se font les échanges et quels sont les goulets d’étranglement.
 L’horizon temporel
Par exemple : analyse sur deux mois, de septembre à octobre 2015.
 Les ressources en finances
Par exemple : licence du logiciel : CHF X’XXX, Frais divers : CHF XXX.
 Les ressources en personnel
Par exemple : 1 responsable (qui s’occupera d’entrer en contact avec les entreprises) et 1 secrétaire (qui
entrera les données dans le logiciel)
 Les autres ressources potentielles
Par exemple : partenaires, locaux
 La mesure de l’accomplissement de la tâche
Par exemple : nombre d’entreprises visitées
5. Rédaction du document ToC
Outre le schéma, une courte narration peut s’avérer utile, à des fins de communication. Elle reprendra :
 Le contexte
Qui participe au projet, pourquoi est-il mis sur pied, à quels besoins tente-t-il de répondre ? Nous aurions ici la
notion d’un groupe de citoyens se regroupant après avoir constaté des déficiences dans la monnaie
conventionnelle qui empêcherait le renouveau du dynamisme local.

Le but à long terme
À quoi souhaite arriver le groupe ? Ici, il s’agit d’accroître le dynamisme local.

Les buts secondaires
Pourquoi ces buts secondaires sont-ils pertinents et logiques dans la construction du but ultime ? Ici, les
question de confiance et de masse critique sont cruciales et nécessitent eux-mêmes la réalisation d’autres
buts, qu’il convient d’expliquer.

Les conditions et les hypothèses
Est-ce que les buts identifiés découlent de faits, ou d’hypothèses vérifiables ? Ici, nous pouvons étayer nos
dires sur la confiance grâce à nos recherches préalables sur la monnaie. Les modalités sont également
justifiables par le but poursuivi ainsi que par les besoins identifiés chez les utilisateurs.

Les interventions
Quel est, dans les grandes lignes, le programme du projet ? Quelles sont les activités sur lesquelles le groupe
va s’appuyer ? Ici il s’agit de donner les grandes étapes dans un horizon temporel, et d’indiquer ses
articulations : étude de marché et de faisabilité, analyse des flux, etc.

La logique de projet
Par quoi est guidé le projet ? Ici, il convient de ne pas tomber dans le piège de rédiger un texte trop politisé,
ainsi que nous l’avons vu dans la conclusion.
Bénéfice attendu des recommandations
Comme nous l’avons abordé plus haut, les risques identifiés dans le design de service interviennent avant l’utilisation
de la monnaie (pré-transaction) et pendant l’échange lui-même. Aussi, ces deux recommandations permettent d’en
atténuer la majorité.
Une étude de marché et de faisabilité, outre les aspects techniques, financiers et légaux, permettent d’identifier les
besoins des utilisateurs. Cela permet de construire dès le départ un service calqué sur les attentes réelles du bassin
versant (risque R2). Ainsi, les utilisateurs potentiels y verront une utilité : la qualité perçue en sera accrue, de même que
la crédibilité de la MC (risque R1).
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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En initiant une ToC, le groupe de la monnaie complémentaire apportera un changement plus durable, ce qui permet de
contrer plus efficacement les résistances au changement. La méthodologie, les indicateurs et les interventions
permettent d’alerter et de guider le groupe pour atteindre ses buts et toucher une masse critique diversifiée (risque R4).
En outre, des risques comme la confiance éthique (risque R6), la confiance méthodique (risque R5) et la complication
des échanges (risque R3) seront également touchés, même de manière plus indirecte. Selon les modalités choisies par
une MC spécifique, les risques R3 et R5 pourront en effet être minimisés ; de même, l’organisation et la compétence
perçue du groupe MC agira contre le risque R6. Il appartiendra donc à chaque projet de monnaie complémentaire de
juger des modalités qui répondent le mieux aux besoins analysés en essayant de trouver une juste alchimie entre les
attributs saillants, les faiblesses, les risques ou les opportunités liés à la MC (voir matrices SWOT et TOWS).
Bien entendu, d’autres éléments entrent en ligne de compte dans la minimisation des risques, à l’instar de la situation
économique et de la cohésion de la communauté. L’environnement dans lequel intervient le projet de monnaie
complémentaire apporte donc une incertitude. Cette incertitude peut cependant être nuancée, puisque l’analyse de tels
éléments peut être effectuée dans l’étude de faisabilité. Ce point mérite d’être soulevé, le public ne se positionnant pas
de manière identique s’il s’agit d’une monnaie de nécessité ou d’une monnaie visant les échanges communautaires sans
contexte de crise.
15. Conclusion
Ce travail a permis d’avoir un aperçu généraliste sur la monnaie, pour arriver à un design de service macroscopique
pour une monnaie complémentaire. Notre question de recherche s’interrogeait sur notre lien à la monnaie et l’importance
de son rôle fédérateur pour l’édification d’une monnaie complémentaire.
Pour cela, plusieurs interrogations ont été vérifiées dans les différentes parties de ce rapport, mêlant recherche
documentaire, observations de terrain et enquête qualitative. La monnaie est bien un service, dont les fonctions
d’intermédiaire des échanges et de réserve de la valeur sont difficilement conciliables. Outre les trois fonctions
classiques, la monnaie a également une fonction sociale indubitable. Si la monnaie est un service, ses différentes formes
physiques servent à tangibiliser les aspects de confiance et de sentiment d’appartenance qui la sous-tendent. Nous
voulions réaliser un design de service pour une monnaie locale, afin d’en vérifier les attributs saillants, les risques, et
l’adéquation avec le rôle fédérateur de la monnaie conventionnelle. Cela a peu été fait, les études sur le sujet
s’intéressant moins à l’humain et à ses liens avec la monnaie que sur les aspects techniques ou sur les analyses
coûts/bénéfices dans la conception d’une monnaie locale.
Nous avons vu que Lietaer (2009) indiquait que l’utilisation d’une monnaie complémentaire était l’une des cinq choses
à faire – et la meilleure – en cas de crise. Cela rapproche donc les monnaies locales des monnaies de nécessité, tout
comme nous l’avons constaté dans notre étude qualitative. De fait, nous remarquons une utilisation cyclique des
monnaies complémentaires dans l’histoire monétaire. Le paradigme a toutefois changé : les monnaies complémentaires
locales n’ont, à l’instar de la monnaie nationale, plus aucune valeur intrinsèque. La vraie question est donc : que faire
lorsque nous ne sommes pas en période de crise, vu que toutes nos monnaies, nationales ou complémentaires, sont
fiat ? À ce moment, la monnaie complémentaire devient un service de facilitation des échanges qui n’a toutefois pas la
légitimité et la crédibilité d’une monnaie nationale. Or, lorsque l’on vend un service, on vend un avantage. C’est sur la
recherche de ces avantages que doit s’attarder la MC.
En effet, lors des périodes économiquement troublées, l’avantage est évident : la MC permet, malgré la pénurie de
moyens de paiement légaux, d’échanger localement des biens et des services. En période de stabilité, les MC mettent
en avant des crises futures et l’aspect d’économie sociale et solidaire. Nous avons constaté dans notre étude qualitative
que ces avantages communiqués ne correspondent en rien aux besoins des utilisateurs potentiels, qui attendent un
avantage économique. Une monnaie locale n’est en outre pas perçue comme un élément de cohésion. Cela est
surprenant, mais peut s’expliquer par le peu de crédibilité perçue et par le fait qu’une MC n’est pas considérée comme
une monnaie et encore moins comme une monnaie légitime.
La mise sur pied d’une monnaie complémentaire locale doit s’ancrer dans la réalité du terrain sur lequel elle émerge :
c’est la nature de nos recommandations. Une étude de marché et de faisabilité doit être effectuée en amont du projet,
et une Theory of Change doit être initiée le plus tôt possible. Cela permet de rendre compte de l’étendue de la tâche, de
définir les besoins des utilisateurs et le contexte (le contexte politico-économique joue un rôle important dans
l’émergence d’une monnaie complémentaire), de choisir un profil de monnaie complémentaire et les modalités
adéquates, d’allouer les ressources de manière efficace, et de juger de la faisabilité technique, légale et financière. De
plus, ces deux recommandations permettent de minimiser les risques identifiés sur notre design de service final. Notons
que la monnaie locale doit être au service des utilisateurs, et non au service d’une idéologie, ce qui nuit fortement à sa
crédibilité, comme nous l’avons remarqué.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Ainsi, notre hypothèse de départ est partiellement vérifiée : (i) l’utilisation des monnaies complémentaires est cyclique
dans l’histoire de notre civilisation ; (ii) elle doit s’accompagner d’outils favorisant sa mise sur pied mais (iii) n’a pas de
rôle fédérateur particulier, hormis à titre exceptionnel : ceci ne saurait donc être un attribut saillant capital. Les aspects
de confiance identifiés pour la monnaie conventionnelle sont par contre toujours valides pour une monnaie
complémentaire, sinon plus. La raison, malgré le caractère fiat des deux monnaies, se trouve sans doute dans la
crédibilité limitée des MC eut égard à une autoréférentialité plus restreinte.
Les limites de ce travail ne permettent pas d’approfondir des aspects plus spécifiques. Les questionnements que suscite
ce rapport entrent dans ces cas concrets. Nous avons par exemple centré nos recherches sur une approche occidentale
de la monnaie ; l’élaboration d’un design de service d’une région où les liens à la monnaie sont différents nécessiterait
d’autres recherches. Nous avons dû également opérer un choix quant à l’orientation de nos recommandations, pour des
raisons d’étendue du travail. Nous avons choisi de repérer les worst practices constatées lors de notre étude qualitative
et de nos observations, afin d’apprendre des erreurs. Mais un benchmarking d’autres monnaies pourrait être intéressant
afin de s’inspirer des best practices en matière de communication, d’identification des besoins et de leur traduction en
modalités, et de possibilités légales ou techniques. Cette combinaison des deux aspects sera bénéfique ; il sera
cependant nécessaire de prendre en compte, dans le benchmarking, les aspects de culture (en cas de monnaie non
occidentale) et de contexte économico-politique, pour éviter des biais évidents. Une étude longitudinale serait de même
intéressante à effectuer, pour vérifier l’évolution de l’état de la confiance et l’attachement dans la monnaie
conventionnelle et les monnaies complémentaires, vu que notre décennie est marquée par d’importantes crises.
De même, nous voyons que le grand public commence à s’interroger sur la monnaie conventionnelle : sur ce qu’elle est,
ce qu’elle représente, ou ce qu’elle devrait être. L’initiative sur l’or de la BNS ainsi que le projet d’initiative sur la monnaie
pleine tend à le démontrer. Outre-Atlantique, des mouvements se forment pour demander un retour à l’étalon-or et/ou à
la fin des banques centrales. Des pièces en or ou en argent sont frappées par des sociétés privées ou par des États et
stockées par des individus en prévision des catastrophes économiques. Les monnaies virtuelles et les monnaies B2B
rencontrent un succès croissant, car les cercles et milieux utilisateurs y trouvent d’importants avantages. Il ne fait donc
nul doute que les monnaies complémentaires locales participent au débat et que leurs jours ne soient pas comptés,
puisqu’elles sont utilisées de manière cyclique depuis l’Antiquité : il y a donc peu de chance de les voir disparaître, qu’il
y ait ou non des crises. Mais n’oublions pas que les monnaies locales se rapprochent, dans l’esprit du public, d’une
monnaie de nécessité et qu’elles font figure de « bricolage », ce qui n’est en soi pas tenable sur le long terme. Arguer
que des crises vont intervenir n’est pas un avantage suffisant pour que les utilisateurs l’utilisent à une grande échelle.
Outre nos recommandations, un effort devra être porté sur la communication ; rappelons toutefois qu’elle ne doit pas
véhiculer une idéologie politique trop prononcée. Cela même si les MC alimentent la réflexion, pas à pas, vers un
système monétaire plus sain, quel que celui-ci puisse-t-il être ; ou vers – ainsi que certains le pensent – une société
post-argent. Nous ne jugeons pas ici de la pertinence de ces diverses réflexions, mais rappelons qu’aucune société n’a
pas connu la monnaie : cette universalité plurielle du fait monétaire rend difficile la conception d’une utopie basée sur
l’annihilation de la monnaie ou sur une forte diminution du fait monétaire, même si la fiat money que nous connaissons
actuellement évoluera ou disparaîtra peut-être.
Attestation
Je déclare sur l’honneur que j'ai effectué ce Travail de Master seul, sans autre aide que celles dûment signalées dans
les références, et que je n'ai utilisé que les sources expressément mentionnées. Je ne donnerai aucune copie de ce
rapport à un tiers sans l'autorisation conjointe du Responsable de l’Orientation et du Professeur chargé du suivi du
Travail de Master.
Genève, le 28 août 2014.
Cédric Chervaz
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Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
101
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexes
I.
Visuel de la monnaie Suisse
Description des pièces, des billets et de leurs systèmes de sécurité actuels, visuel de la prochaine série
de billets.
II.
Guide d’entretien
“R” sous la question indique les questions de relance ; “B” sous les questions indique le but de la question.
Ces éléments ne sont pas dévoilés à l’interviewé et les questions de relance sont utilisées si la réponse
manque d’étendue sur le sujet.
III.
Entrevue I1
IV.
Entrevue I2
V.
Entrevue I3
VI.
Entrevue I4
VII.
Entrevue I5
VIII.
Entrevue I6
IX.
Entrevue I7
X.
Entrevue I8
XI.
Entrevue I9
XII.
Entrevue I10
XIII.
Entrevue I11
XIV.
Entrevue I12
XV.
Entrevue I13
XVI.
Entrevue I14
XVII.
Entrevue I15
XVIII.
Résumé des réponses de l’enquête qualitative
XIX.
Observation de la MGG
Bassin versant de la MGG, charte de l’association, risques identifiés par Michel Bosqué, organisation
schématique de la MGG et radar citoyen.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
102
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe I : visuel de la monnaie suisse
Figure 34 : Série actuelle de pièces de monnaie suisses. Source : BNS.
Pièce
CHF 5
CHF 2
CHF 1
Côté pile
Côté face
Valeur, Blason suisse, feuilles
d’edelweiss et de rhododendrons,
année de frappe
Valeur, feuilles de chêne et
rhododendrons, année de frappe
Valeur, feuilles de chêne et
rhododendrons, année de frappe
Tranche
Berger d’alpage, « Confoederatio
Helvetica »
« Dominus Providebit », 13 étoiles
Helvétia debout, 23 étoiles
Cannelures
Helvétia debout, 23 étoiles
Cannelures
CHF 0.50
Valeur, feuilles de chêne et
rhododendrons, année de frappe
Helvétia debout, 23 étoiles
Cannelures
CHF 0.20
Valeur, feuilles de rhododendrons
Libertas, « Confoederatio
Helvetica », année de frappe
Lisse
CHF 0.10
Valeur, feuilles de chêne
Libertas, « Confoederatio
Helvetica », année de frappe
Lisse
CHF 0.05
Valeur, feuilles de vigne
Libertas, « Confoederatio
Helvetica », année de frappe
Lisse
Tableau 18 : Description des pièces de monnaie suisses actuelles. Source : BNS et Swissmint, adapté.
Coupure
Recto
Verso
CHF 10
Leonhard Euler (Mathématicien)
Turbine hydraulique, système solaire, rayons
lumineux et lentilles
CHF 20
Horace-Bénédict de Saussure (géologue)
Paysage montagneux, groupe d’alpinistes
CHF 50
Konrad Gessner (savant universel)
Hibou, primevère et étoiles
CHF 100
Francesco Borromini (architecte)
CHF 500
Albrecht von Haller (Médecin, naturaliste et poète)
Coupole de l’église S. Ivo et plan
Écorché, schéma des fonctions respiratoire et
circulatoire
CHF 1000
Auguste Forel (Psychiatre, neurologue et
entomologiste)
Trois fourmis, coupe verticale d’une fourmilière
Tableau 19 : Description de la sixième série de billets. Source : BNS.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
103
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
3
1
5
6
4
C
B
A
D
E
H
G
F
7
1
9
2
7
8
A Chiffre à l’encre Iriodin (luisante)
B Chiffre en filigrane visible à contre-jour
Chiffre en taille-douce (rugueux et laisse des traces
C
d’encre s’il est frotté)
D Nombre perforé (visible à contre-jour)
E Nombre caméléon (change de teinte selon la lumière)
F Chiffre visible aux ultraviolets
G Chiffre métallisé (scintillant)
Effet bascule (le chiffre n’est visible que sous un angle
H
spécifique)
1 Repère recto-verso
2 Portrait en filigrane
Guillochis (les courbes changent de structure et de
3
couleur)
4 Kinégramme (nombre mouvant)
5 Microtexte sur la personnalité choisie (visible à la loupe)
6 Code en relief pour malvoyants
7 Numéro de série (couleurs différentes)
8 Fil métallisé
9 Microtexte sur la personnalité choisie (visible à la loupe)
Figure 35 : Éléments de sécurité des billets de banque suisses. Source : BNS (adapté).
Figure 36 : Neuvième série de billets, horizon 2015. Source : BNS.
Notons cependant que, comme l’indique la BNS, la série subira des transformations entre ce qui est présenté et ce qui
sera émis, pour y intégrer au mieux les diverses exigences de la BNS.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
104
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe II : guide d’entretien
La monnaie comme service : diverses approches et élaboration d’un design de service pour une monnaie
complémentaire
Étude qualitative
Introduction
Étudiant en Master (Business Administration, Management et ingénierie des services) à la Haute École de Gestion de
Genève, je réalise mon travail de diplôme sur les monnaies complémentaires. Ces monnaies circulent parallèlement à
la monnaie conventionnelle (franc, euro…) et poursuivent – pour les monnaies complémentaires locales – des buts liés
à l’économie solidaire, comme la consommation locale, le développement durable, etc.
Dans le but de mon travail de diplôme, je cherche à déterminer quels sont les éléments déterminants qui peuvent
pousser les gens à utiliser ce genre de monnaies locales. Cette étude qualitative va affiner et compléter les résultats
obtenus par le biais d’une recherche anthropologique et d’une observation sur le terrain.
Déclaration de confidentialité
Cette enquête est confidentielle et anonyme. Lors de la production des résultats, aucun nom et aucune indication
permettant d’identifier le répondant ne sera mentionné. Le traitement des données sera codé, ne permettant ainsi pas
de reconnaître le répondant.
Si le répondant autorise l’étudiant à enregistrer l’entrevue, les enregistrements seront détruits dès que la retranscription
codée sera effectuée. Ils ne seront utilisés que par le chercheur, dans l’unique but de pouvoir bénéficier de l’entier des
propos dans l’analyse des données.
Autorisation


Le répondant participe à l’étude qualitative et autorise l’enregistrement de l’entrevue ; l’étudiant garantit la
confidentialité et l’anonymat de la participation.
Le répondant participe à l’étude sans autoriser le chercheur à enregistrer l’entrevue ; l’étudiant garantit la
confidentialité et l’anonymat de la participation.
L’étudiant :
Le répondant :
Cédric Chervaz
Le ______/______/2014
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
105
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Question d’introduction (brise-glace)
1.
Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ? (si nécessaire, expliquer ce
qu’est une monnaie complémentaire)
Axe 1 : la signification de la monnaie
2.
Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
R Est-ce un simple outil, est-ce un élément de distinction sociale, son accumulation procure-t-elle une
satisfaction ?
B
3.
Donner une piste spontanée sur ce qu’est, pour l’interviewé, la monnaie.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
R Ou, du moins, est-ce que la valeur perçue est plus importante quand la monnaie est palpable ?
Comment explique-t-il cela ?
B
Voir si la forme de la monnaie joue un rôle et s’il a un attachement particulier à la monnaie physique.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
B Voir si la forme de la monnaie joue un rôle et s’il a un attachement particulier à la monnaie physique.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
R Sur quoi votre confiance repose-t-elle (tout le monde l’utilise, routine, monnaie étatique, etc.) ?
B
6.
Voir si la monnaie traditionnelle est de confiance, et essayer de déterminer les raisons de cette
confiance.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
B Coupler avec la question précédente : voir si la monnaie repose sur une confiance faussée ou si
l’interviewé est lucide sur la monnaie scripturale (représentant une large majorité des transactions),
comme le pense le CF.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7.
Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
R Est-un moyen d’épargner, ou un moyen pour dépenser ? Comment décidez-vous de consommer
(impulsif/rationnel, critères, penchant pour une consommation locale ou sociale…) ?
B
8.
Voir comment l’interviewé envisage la monnaie, ou s’il est partagé entre ces deux fonctions. Voir
également s’il obéit à des critères pour sa consommation.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
R Vous sentez-vous un lien spécial avec la monnaie ? Pensez-vous que la monnaie soit un élément de
cohésion ? Savez-vous combien de langues y a-t-il sur un billet de banque suisse ? Pourquoi (si oui,
la monnaie est un élément fédérateur) ?
B
Voir dans quelle mesure les gens s’identifient, culturellement, à la monnaie.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9.
Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
R Est-ce qu’une monnaie complémentaire a pour vous, de manière générale, une crédibilité ?
B
Vérifier si l’assertion moderne qu’un pays ne doit avoir forcément qu’une monnaie nationale est vraie
ou non, et tenter de savoir pourquoi (y a-t-il une raison logique, ou est-ce de l’ordre du ressenti ?).
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
R Quels avantages voulez-vous retirer d’une monnaie complémentaire pour qu’elle vous semble
intéressante ? Est-ce que l’aspect de consommation locale ou d’économie plus sociale serait un
avantage pour vous, ou cela n’entre pas en ligne de compte ?
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
106
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
B
Voir si les personnes identifient un avantage à l’utilisation d’une monnaie complémentaire en temps
qu’utilisateurs.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
R Pensez-vous qu’une monnaie complémentaire ne puisse pas vous apporter autre chose qu’une
monnaie nationale traditionnelle (mêmes achats…) ? Pensez-vous que la situation actuelle ne permet
pas à une monnaie complémentaire d’être utile (pas de forte inflation, pas de consommation en net
recul…) ?
B
Idem question précédente, mais dans l’autre sens.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
R Est-ce que vous la garderiez (pas d’envie à l’utiliser), ou est-ce que vous la dépenseriez rapidement ?
Si vous la dépenseriez, resteriez-vous « dans le circuit » (se faire rendre la monnaie en monnaie
complémentaire, par exemple, ou monnaie fondante) ?
B
Voir comment ils pourraient réagir une fois qu’ils sont en contact avec la monnaie complémentaire.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
R Est-ce que vous utiliseriez plus facilement de la monnaie « palpable » (valeur perçue du service,
accrédité par la communauté) ?
B
Recouper avec la question 3.
Questions signalétiques
14.
15.
16.
17.
Homme / Femme
Profession :
Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
Nationalité : CH ou ________________ (Recouper avec la question 8)
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
107
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Annexe III : entrevue I1
Entrevue I1 (06.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Non. [Explications par l’auteur] Ben le Bitcoin. Je ne connais pas de monnaies locales, par contre.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Ben… la monnaie c’est ce qui permet de s’acheter des choses. C’est un moyen de consommation, de payer
des choses. Je pense plutôt que l’argent ça sert justement à utiliser… que ce qu’on achète avec l’argent c’est
des biens, et l’argent c’est juste l’outil qui nous permet d’avoir ces biens.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Oui. Ben c’est quelque chose qu’on peut toucher, qu’on voit… c’est peut-être plus concret, en fait. Tu te rends
mieux compte de ce que c’est, tu te rends mieux compte quand tu dépenses.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Je pense que j’aurais un peu l’impression de… pas perdre le contrôle, mais… enfin après je pense que c’est
une question d’adaptation.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui. Je ne sais pas trop pourquoi… Parce que c’est la monnaie de notre pays, que je l’ai toujours utilisée… et
puis on dit partout que le franc c’est une monnaie forte, donc… Voilà, je l’utilise tous les jours et tout le monde
l’utilise aussi.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Euh… je ne sais pas. [Hésitations] Oui, oui. Ben oui.
Ben oui.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Ben c’est surtout d’avoir un pouvoir d’achat, de pouvoir acheter des choses. Des biens. Et puis dans un sens,
même si on épargne c’est pour pouvoir dépenser plus tard. Pour être en sécurité.
Je suis plutôt rationnel : pour un simple habit je pourrais prendre plusieurs temps avant de me décider à
acheter. Je n’ai pas vraiment de critères. Après, ben c’est surtout… j’achète les choses selon mes besoins,
vraiment, pas des choses superflues. Les autres critères c’est secondaire, quand-même. Je pourrais regarder
tout ça, les lieux d’origine, mais c’est très rare. Je décide surtout à cause du prix, de la qualité et c’est souvent
que ça que je regarde, en fait. Après on pourrait se dire de regarder si ça a été fait dans la région ou si c’est
fait en Chine, mais on ne pense jamais à ça quand on s’achète quelque chose.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Oui.
Oui. Ouais, je pense qu’il y a un lien de spécial. C’est quelque chose qui nous est propre, vraiment propre.
Avec l’Euro, par exemple, plein de pays ont la même monnaie, alors que les Suisses ils ont leur propre monnaie
et puis… et ben ça n’appartient vraiment qu’au pays. C’est à nous, ça nous regroupe.
[Question sur les langues] Ben quatre, les quatre langues nationales.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
[Un long temps] Non. Après bien sûr, dans certaines villes et tout ça, ça peut arriver, mais vraiment une seule
monnaie qui représente un pays c’est l’idéal. Ca n’a pas de crédibilité. Parce que c’est quelque chose de… qui
est sûrement apparu après la monnaie du pays, donc c’est quelque chose dont on peut se passer, qui ne rentre
pas vraiment dans nos vies, qui ne nous permet pas vraiment de… Parce que ça n’appartient qu’au village,
alors qu’une monnaie nationale ça rassemble tout le pays. Une monnaie complémentaire ça n’est que dans un
village ou ville, ça n’appartient qu’à eux. Je trouve que ça exclut un peu les gens. Au lieu de rassembler.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
108
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Franchement, là, je ne sais pas, parce que je ne pense pas que j’utiliserais une monnaie complémentaire. Je
pense que je serai toujours sur la monnaie nationale. Mais après, pour en arriver là, je pense que… faut
vraiment qu’il y ait un problème avec notre monnaie ou quelque chose comme ça. Mais je ne pense pas
qu’utiliser une autre monnaie ça va résoudre les choses.
[Question sur les avantages à avoir pour une MC] Ben… qu’elle devienne vraiment importante. Qu’elle puisse
vraiment remplacer l’autre monnaie qu’on a actuellement. [Un long temps] Mais après ça ne serait plus vraiment
une monnaie complémentaire. Non, franchement je ne sais pas.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
J’ai l’impression, mais c’est peut-être parce que je suis mal informé, que c’est quelque chose qui a peu de
crédibilité. Je trouve que c’est quelque chose qui est… Je n’ai pas trop confiance, disons. Parce que c’est
quelque chose que je n’ai jamais utilisé, et c’est sûrement que je ne suis pas assez informé. Et puis c’est une
monnaie que peu de gens utilisent, si c’est local. Le fait qu’il y ait peu de gens qui l’utilisent, ça me… ouais, je
ne suis pas très en confiance.
[Question de l’auteur : est-ce que cette notion de confiance a à voir avec le fait que pour la monnaie nationale
il y a des institutions hiérarchisées ?] Oui, exactement. Et puis avec la monnaie nationale, je l’utilise tous les
jours, avec des gens. C’est une question d’habitude, aussi. [Question de l’auteur : est-ce que le fait qu’il y ait
une gouvernance décentralisée pour une MC influerait sur la confiance ?] Oui, oui, clairement. [Question de
l’auteur : en positif ou en négatif ?] En négatif.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Déjà pour acheter des choses, bien sûr. [Un long temps] Mais après ça reste quand-même restreint, si c’est
vraiment local. Je pense que je la garderai dans le porte-monnaie, comme on fait des fois pour des euros ou
pour des billets étrangers qui n’ont pas cours ici. C’est… je ne la prendrais pas très au sérieux.
[Question de l’auteur sur le fait de rester dans le circuit] Non, je ne resterais pas. Je me ferais rendre en francs
suisses.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Non. J’aurais le même ressenti. Ce n’est pas du vrai argent.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : apprenti
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Annexe IV : entrevue I2
Entrevue I2 (08.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Non. [Explications de l’auteur] Reka, mais pas de monnaies locales.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
C’est un moyen de paiement, c’est une devise, ça permet de pouvoir identifier la valeur d’un bien tangible ou
intangible, ça permet d’identifier la valeur d’un service, d’identifier la valeur d’un bien dans différents pays, ça
permet d’observer l’évolution de cette valeur. Et puis la monnaie, c’est rattaché à un pays. Ou à une région,
disons.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Alors pour moi la monnaie scripturale elle a un côté intangible, et je ne suis pas surpris que la population soit
sensible à la monnaie physique, que ce soit pièces ou billets. Parce que tout ce qui est tangible, tu ne peux
pas dire que tu ne l’as pas. Alors que la monnaie intangible, scripturale, elle est beaucoup plus complexe dans
le sens que quand tu t’en sers tu dois signifier l’aller et le retour d’une transaction, alors que la monnaie
physique elle a cet aspect différent de dire, imaginons : on vient de prendre un repas ensemble, je te rends dix
francs sur la prestation que tu m’as faite qui vaut une autre somme. Ces dix francs sont physiques, je te les
donnes, mais ils incluent aussi la somme de ce que je te devais, de ce que j’ai remboursé une autre fois, etc.
Scripturalement, tout est écrit. Ca veut dire qu’il y a une trace pour tout. Donc dans le tangible de la monnaie
physique, il y a des transactions qui « disparaissent », et dans l’intangibilité de la monnaie scripturale, il y a
des aspects qui sont plus concrets qui permettent de voir les fluctuations de la valeur.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Ca serait très difficile pour moi de savoir combien j’ai. Par exemple, j’ouvre mon porte-feuille, je me dis : bon,
voilà il me reste cent balles. Je sais qu’avec ces cent francs je vais pouvoir acheter ou consommer un certain
nombre de produits avant de retourner au bancomat […]. Avec une carte, je ne connais pas cette information,
donc je suis assez embarrassé. Et il y aurait cet aspect socialisant, qui dit que la monnaie appartient à tout le
monde et, avec la monnaie scripturale, il y a cet avantage que chacun puise à son degré d’accès dans un pot
commun. On dirait, M. X peut avoir accès à 6000 francs dans le trésor de la Banque nationale, il y a un accès
jusqu’à cette somme mais il n’a pas besoin d’avoir un compte à la BCV ou autre.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
« Traditionnelle » étant physique ? [L’auteur corrige est précise que traditionnelle signifie la monnaie ayant
cours, comme le franc en Suisse] Je sais que mon billet de dix franc vaut à peu près 3.57 centimes par rapport
à sa valeur marchande. Donc mon billet ne vaut rien. Si pour autant sa valeur n’est pas assurée en francs-or
dans les trésors de la BNS. Frapper une pièce de deux francs… mon seul souci quand je la mets dans le
distributeur, c’est qu’elle soit reconnue. Ma pièce de deux francs, même si elle n’est pas reconnue, du moment
que tu l’as acceptée, c’est ton problème. Ce n’est plus le mien. Si je devais donner une note de confiance entre
1 et 6, je dirais 5 […].
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Techniquement oui. C’est-à-dire que du moment où la banque s’engage à gérer ton argent, elle s’engage que
dans la limite de tes biens, tu peux toujours y avoir accès. Si la banque doit taper dans ton compte, pour des
raisons de gestion propres, elle doit avoir ton accord. Elle ne peut pas techniquement vider ton compte. Ton
argent n’est jamais physiquement dans ton compte. C’est une indication scripturale qui dit que Cédric Chervaz
a tant d’argent dans son compte. Dans la limite de ton compte, la banque doit te donner les billets selon tes
besoins. Les billets et les pièces ne sont que des représentations de la valeur. [Mais est-ce que l’État garantit
les avoirs sur les comptes bancaires ?] Non, l’État ne s’en occupe pas. […]
Non, on n’est pas obligé. On peut refuser, à cause des frais, entre autres.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Je dirais que c’est tout ça. Avec la monnaie tu peux acheter, tu peux vendre, tu peux identifier la valeur de ton
bien. La valeur de la monnaie dépend de la fluctuation du franc suisse par rapport aux autres monnaies, par
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
110
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
rapport au marché. Elle a aussi un rôle d’épargne. On a souvent eu l’exemple de ses vieilles dames qui se
déclaraient pauvres et qui sont mortes sur des matelas remplis de billets de mille francs. Simplement parce
qu’elles estimaient qu’elles n’avaient pas confiance au système de l’AVS, de la gestion de leur fortune, etc.
Donc oui, la monnaie c’est aussi l’épargne […]. Et puis c’est aussi cette capacité internationale de la monnaie…
par exemple avant, en France, on savait que 25 francs suisses valaient 100 francs français, donc on savait sur
quel ratio jouer quand on allait de l’autre côté du lac [Léman]. Donc ça permet d’identifier la valeur d’un bien
entre plusieurs pays ou régions.
[Concernant les critères de consommation] Alors il faut savoir qu’il y a plusieurs aspects : environnemental,
social, solidaire, durable… Il y a évidemment les origines de production qui sont intéressantes. J’ai une femme
qui est allergique au gluten, donc je regarde toujours s’il y en a ou pas, s’il y a de l’huile de palme ou pas… […]
Et puis on a aussi cet aspect d’être au courant de ce qu’on mange. On va être sensible au fine food, on ne va
pas acheter de la malbouffe, on va essayer de dépenser son franc intelligemment. Donc oui, on est quandmême sensible. Après, environnement ou social, on n’achète pas forcément du [labellisé fair trade]. Je regarde
si le produit est bon avant tout, ce n’est pas parce que c’est du fair trade que je vais acheter de la merde. Et
puis ce n’est pas parce que c’est le produit le plus cher du rayon que je vais l’acheter non plus. Alors voilà.
C’est vraiment au cas par cas.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Alors le franc suisse fait la fierté de ses citoyens, et j’ai presque envie de dire de manière très méchante que,
à part le franc suisse, on n’a plus grand-chose en commun. Après c’est clair que quand on voit l’euro qui
regroupe l’Allemagne, la France, la Belgique, même la Finlande et d’autres pays… les Français ne sont pas
plus sensibles à l’identité nationale parce qu’ils ont l’euro, ils sont sensibles à l’identité nationale parce que leur
président se gargarise d’aller faire de l’humanitaire et de l’interventionnisme dans les pays en guerre dans le
monde plutôt que de s’occuper de son peuple. Enfin, de ses citoyens. Après c’est clair, on est très fiers d’avoir
le franc suisse, qui est une valeur refuge. Du moins jusqu’à hier vu que le secret bancaire est tombé. Mais
refuge quand-même vu que le franc suisse est stable. Bon, ça peut faire partie de l’identité, je pense. Pour une
majorité de la population, je pense que oui. Quand je vais à l’étranger et que je repasse la frontière et que j’ai
de nouveau des francs suisses, je me dis que je suis chez moi. Et puis je ne sais pas si la question est prévue,
mais l’apparence des billets fait aussi que tu t’en sers. Je veux dire, ce n’est pas parce qu’on a tous des billets
de banque entre les mains qu’ils sont obligés d’être quelconques. Les billets verts aux USA, où il faut vraiment
regarder pour voir si c’est 1, 20 ou 50 dollars… c’est unique, ils sont tous pareils, on sait que ça fait partie du
pays. On sait, chez nous, quand on a changé la couleur des billets de 10 et de 20 francs, on a fait peut-être
une erreur… les gens étaient troublés […].
Quatre. Pour la bonne raison qu’il existe quatre langue nationales, mais trois officielles.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Techniquement pas. [Mais au-delà de l’aspect légal ? Plus au niveau du ressenti, est-ce que c’est imaginable
d’avoir un pays à plusieurs monnaies ?] Ca fait trente ans que je suis dans ce bas-monde, je n’ai jamais compris
quel était le cours, l’utilisation, la justification des chèques Reka ; personne n’a été capable de m’expliquer,
même ceux qui s’en servent souvent, ce qui est maladroit. Je ne comprends pas l’avantage à utiliser une
monnaie complémentaire. C’est un réflexe très émotionnel. Les premières personnes qui feront que la monnaie
complémentaire réussisse, c’est quand-même les premiers utilisateurs. C’est ceux qui l’ont conçue. Il y a une
propagande en Suisse qui est inexistante. Alors avant de se demander si un pays peut avoir plusieurs
monnaies, je crois qu’il faut déjà que la population soit consciente qu’il en existe plusieurs […]. Je pense qu’il
y a un problème de communication. Il n’y a aucune banque qui vous expliquera comment fonctionne une
monnaie complémentaire. Le risque c’est que ça soit trop restreint, que l’on essaie d’aller chez des
commerçants et qu’on se fasse refuser. Donc si ça fait trois fois qu’on ne nous prend pas cette monnaie, on
ne va plus vouloir l’utiliser.
Et puis il faut savoir qu’en Suisse, on avait à peu près une monnaie par ville. C’est très récent l’unification du
franc suisse. Je pense que ce serait très difficile si on voulait remettre des monnaies complémentaires. Par
contre, vous avez des aspects positifs, lorsque vous allez dans les fêtes foraines, comme le Paléo, où vous
recevez des florins, qui ne sont valables que dans l’enceinte de la manifestation, ce qui réduit la tentation de
voler. Et puis la plus vieille monnaie complémentaire qui existe, c’est les bons. Mais de là à en faire une
monnaie officieuse… elle ne va pas être légale, elle va tomber dans l’officiosité et il va falloir beaucoup de
temps pour passer par-dessus la méfiance des gens.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
111
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Ben que le franc suisse ne soit plus reconnu en Suisse, ce qui serait quand-même étonnant. Mais par contre,
il existe une ville en Afrique où tu ne peux entrer dedans que si tu as la monnaie de la ville. La monnaie qui est
distribuée dans le pays n’a pas cours dans cette ville. C’est-à-dire que de manière féodale, la ville a un droit
d’autonomie qui ne lui a jamais été retiré. C’est un cas unique.
Si cette monnaie complémentaire apporte un avantage à, disons, l’artisan qui la frappe et qu’elle est paritaire
avec le franc suisse, je peux la prendre. Ca ne me dérangerait pas.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
La complication. C’est-à-dire que si l’utilisation de la monnaie complémentaire et du franc suisse est acceptée
dans la région et que la monnaie complémentaire n’apporte un avantage ni à moi ni à l’artisan, je ne vois pas
pourquoi je la prendrai. Ca rejoint que je disais avant. Si on me dit que pour aller à l’Escalade il faut avoir la
monnaie genevoise,… ça veut dire que je ne vais pas aller dans une fête genevo-genevoise alors que je ne
respecte pas les valeurs mises en avant. Mais je ne suis pas non plus un haut-savoyard qui dit : écoutez, si
vous ne votez pas à l’indépendance de la Haute-Savoie, vous ne venez pas chez moi. C’est pas ça que je dis.
Je pense qu’il faut éviter ça. On ne va pas jouer à Poutine qui refait les cartes du monde. Pour moi si la monnaie
complémentaire n’est pas un apport qui bénéficie à l’une ou l’autre des parties, je ne vois pas l’intérêt.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Ah, il y a l’aspect collection. […] Je m’en servirai. Ce n’est pas « ò mon Dieu, ça pollue mon porte-monnaie ».
Je ne pense pas que je vais m’en débarrasser parce que c’est un poison dans mon sac. Sachant qu’il faudrait
que je retourne dans la région pour le dépenser que localement. [A propos de se faire rendre la monnaie en
francs suisses ou en MC] Ca dépend, ça dépend. L’important c’est de pouvoir changer en francs suisses quand
on part de la région.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Carte, non. Parce que justement elle doit être locale. On pourrait imaginer un distributeur à florins, ou à
« genevensis ». Ca dépend de ce que je vais acheter. Si je vais à la Migros je paierais en francs suisses, si je
vais dans un petit restaurant de la vieille ville de Genève, je payerais en « genevensis ». Et il faut accepter à
ce moment de payer en liquide. Et à quelque part, les Genevois pourraient imaginer un système où si on paie
en « genevensis », on vous offre une prestation, ou un rabais. Ca rejoint l’idée d’avantage pour les deux parties.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : étudiant
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Annexe V : entrevue I3
Entrevue I3 (21.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Oui quelques bases, au niveau local en France et aussi plus récemment j'ai discuté avec une personne en
covoiturage développant le "Bitcoin" en Suisse ; le "bitcoin" a aussi fait parlé de lui au niveau journalistique et
mafia. J'ai déjà vu d'autres parutions presses sur les monnaies complémentaires.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
D'un côté, un simple outil de transaction ; d'un autre côté, un système financier mondial défaillant.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Non c'est égal, à mon niveau d'argent. À un plus haut niveau, je penserai probablement différemment, la
monnaie scripturale pouvant produire de l'argent, et non la monnaie physique. La monnaie scriptural présente
aussi certains risque liés à l'informatique et autre ; la monnaie physique a aussi des risques de vol.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Je pense qua ca arrivera un jour, pas de problème avec ce point la si le reste du système est sécurisé et
égalitaire, ce qui me semble cependant très difficile.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Je n'ai pas plus confiance en la monnaie traditionnelle que la scriptural ou la complémentaire ; qui dit système
monétaire dit beaucoup d'intérêt, de tensions, de stakeholders en jeux, et en général peu de transparence et
beaucoup de dérive. Un mal nécessaire, on dira.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
À mon avis garanti jusqu'à un certain point, selon les banques - cf. crise 2008 ou l'état à réinjecter des milliards
publiques dans des entreprises privées. À mon avis légalement on peut se passer de la monnaie scripturale
des banques, mais cela crée une très importante marginalisation du système actuel. Pas de compte en banque
= beaucoup de services de la société en moins.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
L'idée première et originel de la monnaie est pour moi l'échange de service / produits / transaction avec une
base commune permettant la valorisation de ces échanges. L'épargne est déjà une dérive du rôle primaire de
l'argent, et engendrant de nos jours des aberrations, par exemple rien ne rapporte plus d'argent que d'avoir de
l'argent, alors que ce qui devrait produire de l'argent / donc de la valeur, ce devrait être des biens ou des
services. On dira que le service" d'avoir de l'argent" est extrêmement lucratif, ce qui n'était pas le but premier
de la création de monnaie. Pour ma part, on dira "consommation raisonnée".
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
À la base la monnaie est simplement sensée rendre un service ; mais effectivement dans le système établi
mondialement, l'identité d'un pays passe aussi par sa monnaie, et la position de sa monnaie dans le monde,
clairement. La monnaie est un élément culturel et un symbole pour la majorité des pays, comme le PIB, bien
que d'autres indicateurs existent.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Un pays peut avoir plusieurs monnaies, comme une monnaie peut avoir plusieurs pays. Une monnaie
complémentaire peut clairement avoir une crédibilité si celle-ci est gérée de façon crédible, avec un réseau,
une fonctionnalité, un niveau suffisant. Ce peut même être un outil très puissant pour une économie locale ou
ciblée / sectorisée, qui, je pense, va de plus en plus se développer. À voir les résultats sur le long terme : peutêtre que chaque monnaie complémentaire sera rachetée par une banque une fois arrivée à un niveau
intéressant financièrement ! Le chien qui se mord la queue au final...
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Pour ma part, l'intérêt premier serait à l'heure actuelle de pouvoir réaliser des transactions avec des personnes
intéressées par ce modèle de fonctionnement, car c'est un sujet correspondant à mes valeurs. Mais pour cela
il faudrait que ce soit bien fonctionnel, et non contraignant. Et dans un modèle plus ambitieux, je pourrais
éventuellement m'investir dans un tel système si je sens que celui-ci est assez fiable, afin de défendre une
autre solution monétaire que le dogme actuel.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Les points importants : d'où vient cette monnaie, qui la gère, qui l'utilise, quels intérêts sert elle, pourquoi. Il
faut qu'il y ait un sens moral, avec une organisation physique, solide et crédible. Sur le long terme. À l'heure
actuelle je dirai que nous sommes dans des essais, des pilotes, des tentatives, qui pourraient déboucher sur
quelque chose. Il y a peut-être même des solutions déjà bien existante et solide, je ne m'y connais pas assez
sur le sujet actuellement. Mais il est aussi bien possible que si une monnaie parallèle prend de l'ampleur, le
système étatique et les monopoles en place interdisent ce système, tuant le projet dans l'œuf pour éviter toute
concurrence non contrôlée sur le sujet.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
L'idée d'adhérer a une monnaie complémentaire est de l'utiliser normalement et en tant que tel. Comme la
monnaie actuelle.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Du fait que je ne pourrais pas l'utiliser partout et comme je veux, elle influencerait clairement son utilisation et
le réseau qui va avec. Finalement, je dirai qu'adhérer à une monnaie, c’est adhérer à un réseau et une
philosophie. Euro pour l'Europe, CHF pour la Suisse, bitcoin pour internet, monnaie locale pour économie
locale,... si j'avais clairement le choix, et un choix crédible, j'adhérerai a la monnaie correspondant à mon
idéologie. Et ça ne serait pas les monnaies officielles et les systèmes et monopoles actuels ............. à suivre !
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : indépendant
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : Français
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
114
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe VI : entrevue I4
Entrevue I4 (27.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Pas vraiment. Les bitcoin ?!
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
La liberté de pouvoir choisir ce que l'on veut faire de ses revenus.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Pas plus de valeur, mais plus concret.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Question d'habitude, mais quand on voit briller les yeux d'un enfant qui vient de recevoir de l'argent sur sa table
de nuit parce que la petite souris est passée, difficile de s'imaginer la même scène avec de la monnaie abstraite
! Ou quand un ado va chez un commerçant se payer l'objet de ses rêves avec ce qu'il vient de gagner en petits
boulots ! les exemples sont multiples.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Confiance parce que sa valeur ne se déprécie pas (inflation faible)
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Oui en partie seulement à ma connaissance. Oui.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Pour moi la monnaie n'est qu'un moyen, pas un but en soi. Donc ses fonctions peuvent être infinies. Plutôt
rationnel, local et soucieux de développement durable dans ma consommation.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Oui, une monnaie forte est gage d'un pays stable. Quatre langues.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Pourquoi pas si cela ne contribue pas à faire des castes ou des privilégiés.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Consommer local implique de se soumettre aux conditions locales du marché. Mais c'est quand même bien
pratique quand plusieurs pays ont adopté la même monnaie, question : comparaison des prix, pas besoin de
changer plusieurs fois de monnaie, etc. Il ne faut pas que l’utilisation d’une monnaie locale rende les choses
trop compliquées.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
C'est le marché qui décide.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Si une monnaie locale peut simplifier la vie, il n'y a pas de raison de s'en priver.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Cela dépend son utilité, l'absence de forme scripturale est toutefois gênante.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : avocat-notaire, conseiller général et ancien député au Grand Conseil
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
115
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe VII : entrevue I5
Entrevue I5 (29.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Oui. Oui, j’en ai déjà entendu parler. C’est des monnaies qui ne sont pas… c’est d’autres monnaies qui sont
en circulation mais qui ne sont pas gérées par l’État, par d’autres institutions étatiques, et qui ne sont pas
reconnues internationalement.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Pour moi la monnaie ça représente un moyen d’échange, un moyen d’obtenir quelque chose : un bien ou un
service contre de l’argent. C’est la première notion. La deuxième notion c’est de mettre une valeur sur les
choses, de quantifier la valeur d’un bien. [Question de l’intervieweur : donc ce n’est qu’un moyen, pas un but ?
Son accumulation ne représente pas de satisfaction ?] Mmmh… ça dépend. Ca dépend. Certes ça procure un
plaisir. Pas un plaisir, mais un bien-être matériel. Quand on dit que l’argent ne fait pas le bonheur… en partie.
Dans le sens que les gens qui sont pauvres ne sont pas forcément heureux. L’argent, ça apporte un bien-être
qui n’est pas négligeable, après heu… je ne pense pas qu’une personne qui a 10 millions sera plus heureuse
si elle en a un de plus.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Heu… peut-être pas plus de valeur en soi, mais… mais elle a… Comme c’est physique, on se rend compte de
la quantité qu’on dépense. En d’autres termes, si une personne va faire une journée d’achat, je suis persuadée
qu’elle dépensera bien plus en monnaie virtuelle qu’en monnaie papier. La monnaie papier a l’avantage qu’on
se rend compte qu’on dépense. Parce que physiquement on voit que ça disparait.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Je serais triste. Parce que…. Je pense que… la monnaie au sens physique du terme a un côté identitaire. Je
pense que… ben juste par ce qu’il y a sur les billets ou sur les pièces, on voit que ça représente en général
l’histoire d’un pays : les gens, les monuments d’un pays… enfin pour l’euro c’est pas qu’à l’échelle d’un pays,
c’est continental. Mais je pense que… le fait de faire disparaître les billets, les pièces… en soi ça ne changerait
pas, après c’est une question de confiance, parce que… la monnaie virtuelle, ben voilà ça reste virtuelle et puis
s’il y a de gros problèmes du jour au lendemain, ça reste un truc informatique… Tu vas me dire que la monnaie
aussi, elle peut perdre de la valeur, il y a l’inflation, etc. mais c’est pas la même chose, c’est différent [ton
badin]. L’attache n’est pas la même.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Alors moi je pense que la monnaie est très corrélée avec la situation politique et économique d’un pays. En
Suisse, je dirais que la situation actuelle est telle que… en comparaison internationale on est dans une très
bonne situation économique. Depuis la deuxième Guerre Mondiale, ou à cause de la deuxième Guerre
Mondiale on dira plutôt, le franc suisse est une monnaie refuge, alors je dirais que si les choses n’évoluent
pas, s’il n’y a pas une grosse catastrophe et puis que ce concept de monnaie refuge s’effondre, je pense qu’au
niveau suisse notre monnaie nous permet d’avoir une certaine stabilité, donc une certaine confiance. Après si
on élargit au niveau européen, on a vu les conséquences de la politique européenne, de la crise de la dette et
etc. qui font que… qui font qu’une monnaie se dévalorise assez rapidement. Après il faut mettre en parallèle
que l’euro… que la politique monétaire en général c’est pour heu… d’un pays avec une monnaie… le but c’est
de réguler… c’est justement d’éviter ces effets d’inflation ou au contraire de… de… d’éviter une grosse crise
dans la façon de réguler la masse monétaire. Après l’Europe c’est une vingtaine de pays… la problématique
c’est que c’est vingt pays différents, avec des économies différentes. Et la politique qui est régie… enfin si on
fait une politique monétaire… comme la situation est différente dans chaque pays, une décision unique pour
chaque pays ne pourra pas jouer. Et au niveau de la confiance, c’est une monnaie récente, on ne peut pas
forcément se baser sur le passé. Ensuite sur un niveau plus mondial, on voit en Afrique les problèmes… ce
n’est pas une confiance en la monnaie elle-même, mais une confiance en la situation politique et économique.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Non. Je l’ai appris récemment.
Qui, « nous » ? [les différents agents économiques] Je pense que tu peux choisir. [Mais est-on obligé
d’accepter ?] Non.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
116
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Acheter ! [rires] Non la fonction de la monnaie, c’est échanger. En premier lieu, après seulement c’est épargner.
Alors je suis très pragmatique, rationnelle. Je dépense dans le nécessaire. Quand je dis que j’ai mon sac à
main depuis quatre ans, on me regarde avec des yeux comme ça [mime de gros yeux]. Enfin, j’ai pas besoin…
je ne suis pas une consommatrice impulsive. Je dépense quand j’en ai besoin, et j’ai la chance de ne pas avoir
besoin de regarder combien ça vaut. Je ne vais pas acheter non plus à outrance. Après j’ai aussi la chance de
pouvoir me faire plaisir, donc quand j’ai envie d’un truc, je ne me prive pas. Au niveau écologique, bio et tout,
je n’ai aucun critère. Après au niveau local, c’est sûr que moi j’ai grandi dans un endroit où on mangeait… toute
la viande qu’on mangeait c’était la viande de la famille, tout ce qui était fromage c’était du coin, les légumes
c’était du jardin… tout ce qu’on achetait qui venait de loin c’était des choses qui ne poussaient pas chez nous.
Donc j’étais habituée à manger local et c’est vrai que j’ai de la peine… ça m’énerve de ne pas pouvoir le faire
ici. En magasin, quand je vois de l’agneau qui vient de Nouvelle-Zélande, ça ne me donne pas envie d’acheter.
Et moi je pense que consommer local c’est le meilleur moyen pour rester en bonne santé [l’interviewée raconte
une anecdote personnelle].
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Heu…. Je ne dirais pas l’ensemble de l’identité, je ne dirais pas que c’est essentiellement la monnaie.
D’ailleurs… enfin je n’avais jamais fait attention, mais quand j’étais au Canada, ils voulaient tous que je leur
donne des pièces suisses, parce qu’avoir des pièces suisses, c’est… c’est cool. Donc je pense que ouais.
Après, moi je pense qu’en Suisse c’est encore plus marqué : on est un pays de banques, notre économie s’est
basée longtemps sur les banques ou sur l’argent en général, donc on dit « franc suisse » voilà ben ça fait partie
de l’identité. Après je ne pense pas que si tu parles à un français de la cambrousse et que tu lui demandes si
l’euro fait partie de son identité, il va dire non. Après le franc français, il aurait dit oui. La monnaie peut faire
partie de l’identité, mais ça ne fait pas tout. Je ne pense pas, dans le cas de l’euro, qu’ils se soient approprié
leur monnaie. Mais aussi pour le dollar, c’est encore différent parce que c’est vraiment identitaire. [Question
sur la cohésion] Non je ne pense pas. Je ne pense pas. Au niveau économique, oui parce qu’on veut
uniformiser. Mais au niveau social je ne pense pas. On prend l’exemple de la monnaie unique en Europe : ils
ont une monnaie commune, est-ce qu’ils sont pour autant… c’est déjà quoi la question ? [L’intervieweur repose
la question] Ben voilà, ils ne sont pas plus cohés… cohisé… ensembles pour autant. Certes elle a peut-être
un but de cohésion économique, mais elle a raté son but de cohésion sociale.
Quatre langues sur un billet… les quatre langues nationales, non ?
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Non, je pense qu’un pays peut avoir plusieurs monnaies. Mais il y aura une monnaie reconnue, avec d’autres
monnaies parallèles. Parce que sinon au niveau de la gestion, c’est ingérable.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Heu… ça dépend de la situation économique. Si la situation économique est bonne, il faut qu’il y ait un avantage
en plus. Si la situation est bonne, je ne vois pas pourquoi j’irai acheter mes carottes avec des « fendants »
plutôt qu’avec des francs suisses [l’interviewée fait allusion à la capsule 120’, titrée « le Valais indépendant ? »]
si ça ne m’apporte rien en plus. Je ne vois pas pourquoi je prendrai une autre monnaie que le franc suisse,
sachant qu’avec le franc je peux m’acheter ce que j’ai envie. Après, si la situation économique, en effet… s’il y
a une monnaie complémentaire qui permette d’échanger en cas de problème, c’est sûr que je vais avoir des
avantages à l’utiliser. Mais là non.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Les… la… les personnes ou les institutions qui la gèrent. Par exemple si c’est la fondation Franz Weber, il peut
aller se faire encu***. Mais qu’il crève ! Ce serait exclu ! Après, heu, c’est la finalité, le but poursuivi. Ou l’utilité,
aussi ; si on n’en a pas l’utilité on ne l’utilisera pas. [L’intervieweur demande si nous sommes dans une situation
où l’utilité se fait sentir] En Suisse c’est inutile, parce que le pays se porte bien.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Alors je pense que je le dépenserais si je me retrouve un jour sans argent. Par exemple, je dois manger et je
n’ai plus de francs suisses mais je n’ai que ça, je vais le dépenser. Je me ferais rendre la monnaie en francs
suisses. A moins que ça m’apporte un avantage non négligeable.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
117
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Non, je ne pense pas. Je pense que ce serait la même utilisation. Sans préférence.
Questions signalétiques
14. Sexe : femme
15. Profession : auditeur
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
118
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe VIII : entrevue I6
Entrevue I6 (29.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Dans ma tête, quand j’entends « monnaie complémentaire », c’est un peu… On a le franc suisse et l’euro, et
c’est ce qui fait la complémentarité des deux. [Explication du concept de monnaie complémentaire par
l’intervieweur et réponses aux questions de l’interrogée.]
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Elle est symbolique, pour moi. Dans le sens qu’elle représente par des chiffres, ma force de travail, par
exemple, qui est assimilable à ce que je reçois à la fin du mois. Heu… elle représente le prestige, elle
représente… le fonctionnement d’une société…
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Pour moi, elle a clairement plus d’importance. Par exemple, si je vais au restaurant et que je paie cash, pour
moi j’ai conscience qu’il y a un échange au niveau du service. Tandis que si je paie par carte bancaire, j’ai
moins conscience de ce que je vais donner, de la part de ma paie qui va partir pour ce payer ce service.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Dans une certaine mesure, je pense qu’on pourrait s’y habituer, mais par rapport à ce que je ressentirais
personnellement si la monnaie devait être amenée à disparaître au niveau physique, c’est que… enfin il y a
toute une notion d’attachement, dans le sens que quand je la tiens dans les mains, ben je sais que ça
m’appartient. Donc je pense que… ouais on devrait ré-instituer la monnaie dans notre fonctionnement social.
Pour moi… elle est nécessaire, elle est vitale. Parce que justement il y a une notion d’attachement, que si c’est
scriptural je ressens beaucoup moins cet attachement. C’est plus concret.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Confiance dans quel sens ? [intervieweur : dans le sens que tu veux bien donner] Mmh… oui, j’ai confiance.
Mais comme dit avant, si la monnaie physique disparaissait, j’aurais une perte de confiance. [Intervieweur : et
cette confiance se base sur quoi ?] Parce que d’une part je pense que la Suisse elle est plutôt… enfin je suis
beaucoup attachée au secret bancaire… par rapport au privé, les gens n’ont pas à savoir ce qu’il y a sur mon
compte. Donc au niveau suisse ça c’est… au niveau de notre pays c’est fondamental. Et puis par rapport à
notre rapport notre fonctionnement social et à notre économie libérale qu’on a, j’ai plus confiance en la monnaie
suisse qu’en la monnaie européenne. Parce qu’elle est instituée, mais elle représente la souveraineté et
l’indépendance de notre pays.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Dans quel sens ? [reformulation de la question par l’intervieweur] Du point de vue de ma banque, la BCV, vu
qu’elle est rattachée à l’État, c’est garanti jusqu’à un certain montant. Mais d’une manière générale… non, je
ne pense pas.
[L’intervieweur donne un exemple pour illustrer la question, devant l’air interdit de la répondante quant à la
deuxième partie de la question] Heu non.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Alors heu… la première fonction de la monnaie, comme dit avant, c’est de pouvoir créer un échange entre
l’offreur et le demandeur. La monnaie, elle est symbolique du moment où elle est rattachée à un pays. Par
exemple le franc est rattaché à la Suisse ; tandis que les autres pays sont rattachés à l’euro. Elle a clairement
une fonction symbolique. Et puis elle a aussi une fonction au niveau des classes sociales. Pour les gens… leur
capital sera différent selon leur classe d’origine. La monnaie sert à distinguer les classes sociales.
[L’intervieweur demande quelle est la fonction principale entre la finalité marchande et la finalité d’épargne]
Heu… si je dis les deux ? Les deux. [L’intervieweur demande pourquoi] L’épargne permet de dépenser plus
tard. Mais elle permet d’être une sorte de garantie. En cas de soucis dans la vie, si on a une sécurité financière,
ça aide. [L’intervieweur demande comment la répondante conçoit sa consommation] Pour moi… clairement,
ma consommation est plus abusive [rires] : c’est mon côté sociologue qui ressort [rires]. Heu… sinon, si je
regarde des articles ou la télévision qui me sensibilisent à ces choses-là [à la consommation locale ou
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
119
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
solidaire], c’est quelque chose qui va me sensibiliser, malheureusement je dois dire à court terme. Parce que
quand je suis dans un magasin, et que j’ai à faire à tant de produits, je ne vais plus y penser. Il n’y a plus que
cette injonction à la consommation, et j’oublie très vite tout ce côté…
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Oui, clairement ! Et si je pouvais rajouter un petit quelque chose, sans paraître anti-européenne, c’est quelque
chose qui est… Je ressens une certaine nostalgie quand par exemple : quand j’étais plus jeune on devait
changer notre monnaie, quand on allait en Espagne, en pesetas, il me semble. Ou par exemple je suis partie
en Tunisie, on a dû changer en… je ne sais plus le nom de cette monnaie. Mais clairement ça reflète l’identité
d’un pays.
[L’intervieweur pose la question de la cohésion] Oui, je pense. [L’intervieweur demande pourquoi : rires et long
moment de réflexion de la répondante] Heu comme tu l’as dit avant, à Genève ils veulent faire une monnaie
complémentaire. Et bien personnellement, c’est peut-être psychologique, mais ça m’insécu…m’insécu… ça
me mettrait dans une position d’insécurité. Parce que j’ai besoin qu’on ait vraiment cet élément symbolique de
la monnaie, qui soit intégrée au pays. Et puis qui permette de nous relier entre nous. [L’intervieweur demande
une précision : une monnaie complémentaire serait donc un moyen d’exclusion ?] Voilà, exactement. De
distinction. Plutôt que d’unification.
Quatre [langues sur un billet de banque].
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
[Long moment de réflexion] Concrètement, il pourrait, c’est faisable. Mais après j’ai de la peine à m’imaginer.
J’ai de la peine à m’imaginer au niveau de la représentation, au niveau du schème de pensée. Un pays avec
plusieurs sortes de monnaies, je verrais ça… ça me paraîtrait trop complexe. Parce que déjà entre pays ce
n’est pas toujours simple de comprendre pour nous, simples citoyens. Et puis heu… ouais, je pense qu’il
faudrait un moment d’adaptation et que ça mettrait pas mal de monde en situation d’insécurité. C’est faisable,
mais au niveau pragmatique ce serait complexe.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Heu… [long moment de réflexion] Déjà… ouais bon… au niveau du taux de change… du taux d’intérêt… il
faudrait qu’il soit négatif. Pour favoriser la consommation. Heu… elle pourrait avoir un effet rassembleur auprès
des personnes qui composent cette communauté, mais après elle aura un effet d’exclusion par rapport aux
autres régions alentours. Mais je pense que si on avait une monnaie complémentaire, on serait plus tenté de
consommer local.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Cet effet… le fait que la monnaie ne soit plus… n’aurait plus un rôle fédérateur. Au niveau suisse, hein. On
n’est plus suisse, mais on est de telle région. Toujours cette notion d’exclusion. Elle aurait un effet, je pense,
plus à rentre les individus plus ethnocentristes par rapport à leur propre monnaie. Et puis au niveau de la
représentation de cette monnaie… ben voilà on a quatre langues, admettons pour simplifier qu’on ait quatre
monnaies différentes, je pense que suivant les régions, il y a des régions qui consomment plus que d’autres…
donc une monnaie serait plus en position de déclin alors qu’une autre serait plus en position de croissance. Ça
n’aurait pas trop de crédibilité, ni d’utilité…
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
[Ricanement et moment de réflexion] Alors c’est drôle… je pense que suivant où je me déplacerais, j’aurais
moins cette attention que je porte à mon argent si je vais… Par exemple là j’ai cinquante francs dans mon
porte-monnaie, je suis plus attentionnée à cet argent-là. Parce que de un elle me permet de l’utiliser librement
dans le pays et puis elle a une certaine valeur à mes yeux. Je n’ai pas envie que mon billet se perde, je n’ai
pas envie de me le faire voler. Tandis qu’une monnaie complémentaire… ça me permettrait difficilement de
circuler dans le pays parce que je serais obligée de chaque fois la changer, et puis elle aurait moins cette…
une valeur importante à mes yeux suivant où je me déplace.
Si je me déplace beaucoup, je me ferais rendre en monnaie suisse, et puis si je reste souvent dans la région,
je me la ferais rendre en monnaie complémentaire.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
120
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Je pense que oui, mais je serais tentée à dire que pour moi il m’importerait d’avoir une monnaie… il
m’importerait que… elle aurait une importance au niveau scriptural, parce que si par exemple je veux voir mon
compte bancaire et admettons que j’ai un solde de 15'000… 15'000 écus et puis que je veux contrôler ce que
cette monnaie elle vaut au niveau des autres monnaies, pour moi elle a plus une fonction… je suis plus attachée
à cette monnaie scripturale qui me permet de contrôler, d’avoir un contrôle par rapport aux autres monnaie,
qu’à la monnaie physique.
Questions signalétiques
14. Sexe : femme
15. Profession : étudiante (Master en sociologie) et députée-suppléante au Grand Conseil
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
121
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe IX : entrevue I7
Entrevue I7 (29.05.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Réka et Wir
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Un moyen de paiement pour les petits achats.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Pas de différence. Les deux servent à la consommation.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Pas grande importance à part pour donner des bonnes mains et faire des petits achats (petits commerces).
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui, moins de peur de se faire détourne les comptes, valeur Suisse.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Oui aux deux questions.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Finalité marchande,
Impulsif et restauration, besoin du moment, consommation locale
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Oui. La monnaie représente la Suisse. Mais pas de lien spécial avec la monnaie.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Non.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Je ne sais pas. Les critères de la monnaie ne jouent pas de rôle (économie solidaire…).
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Inutile pour l’économie coût complémentaire de fabrication d’une nouvelle monnaie. Une nouvelle monnaie
n’apporte rien de nouveau au contraire une dépense inutile pour l’économie. Une nouvelle monnaie n’est pas
utile vu qu’on utilise de plus en plus l’argent plastic.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Je m’en débarrasse de suite.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Non.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : directeur d’un bureau d’ingénieur
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
122
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe X : entrevue I8
Entrevue I8 (02.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Oui, j’ai déjà entendu parler de cette notion (notamment à la HES !). En Suisse, il existe la banque Wir qui émet
sa propre monnaie. Je ne connais pas de nom exact, mais je sais qu’il en existe encore en France notamment
(monnaie physique) et plus récemment sur Internet (monnaie « virtuelle » nommée bitcoin).
Les grandes surfaces utilisent aussi un type de monnaie complémentaire (points Cumulus, Supercard,…).
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
La monnaie peut être physique ou scripturale. Elle représente pour moi un moyen d’échange rapide et pratique
qui vise à fixer des limites à la loi de l’offre et de la demande (prix des marchandises) et à maintenir,
naturellement ou artificiellement, l’économie mondiale à un certain niveau de stabilité (en injectant ou en retirant
de la monnaie). La monnaie peut également être thésaurisée, soit à des fins spéculatives ou de futurs
investissements.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Non, absolument pas. Je dirai même au contraire ! Étant donné que je travaille dans une banque (et dans le
domaine des crédits plus particulièrement), je peux vous assurer que la monnaie physique ne représente
qu’une infime partie des transactions. C’est d’ailleurs pour cette raison que les guichets sont peu à peu
supprimés de nos établissement, au profit des cartes Maestro, de crédit (Visa, Mastercard) et de l’e-banking !
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
La monnaie physique ne peut bien évidemment pas disparaître. La mentalité actuelle n’est pas assez
développée pour franchir ce cap. Cependant, de nouvelles réglementations, notamment dans le milieu
bancaire, tendent gentiment vers ce but. En effet, afin de limiter les transactions frauduleuses («au noir») et
d’augmenter la traçabilité de l’argent, des mesures importantes ont été prises récemment. Les retraits ou dépôt
d’argent trop importants au guichet sont strictement réglementés.
Pour ma part, les technologies actuelles sont tellement développées que je ne serais pas « choquée » si la
monnaie physique disparaissait. Je ne l’utilise d’ailleurs presque jamais !
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui j’ai confiance en la monnaie traditionnelle. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un aspect psychologique, étant
donné que c’est le seul système que nous ayons toujours connu. A notre échelle, la loi de l’offre et de la
demande nous a jusqu’à présent guidés dans nos décisions d’achat et de vente.
Maintenant il est vrai que si nous regardons le système à l’échelle mondiale, il ne faudrait pas porter une
confiance totale en la monnaie traditionnelle. En effet, la crise de 1929, celle de 2001 et j’en passe devraient
laisser sous-entendre que le système n’est de loin pas parfait. Il suffit d’un seul déséquilibre pour que la
monnaie se déprécie et que l’économie internationale se trouve réduite à néant (krach boursier).
De plus, la monnaie traditionnelle ne peut pas se réguler d’elle-même. La BNS par exemple, maintient
actuellement l’Euro à un taux artificiellement élevé afin que le CHF ne prenne pas trop de valeur. Je ne pense
pas que ce système soit viable sur le très long terme.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Oui, en partie il me semble, jusqu’à concurrence de Fr. 100'000.- en cas d’insolvabilité de l’institut financier.
Par contre, en ce qui concerne certaines banques cantonales (toutes sauf les banques cantonales Vaudoise
et Bernoise où il n’y a pas de garantie de l’État), les avoirs en monnaie scripturale présentent une garantie
d’État illimitée.
Non, il n’y a aucune obligation d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de paiement. Par
contre, la banque se réserve le droit de prélever des frais de traitement si le client n’accepte pas la proposition
établie (exemple : refus de l’e-banking qui pourrait remplacer les ordres papiers, retrait d’argent cash au
bancomat au lieu d’utiliser des cartes de crédit ou Maestro,….)
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
123
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Pour qu’un équilibre existe, la monnaie doit être utilisée et épargnée. C’est d’ailleurs ce qui va permettre de
fixer un cours moyen à la monnaie. Plus l’argent est épargné, moins il y aura de monnaie sur le marché, et
plus cette monnaie prendra de la valeur. A contrario, s’il y a peu d’épargne et beaucoup d’argent en circulation,
elle perdra de la valeur. Les deux extrêmes ne sont pas une bonne solution pour une économie, car le pays
s’en trouvera affaibli dans le domaine du commerce international. Cet équilibre n’est pas facile à atteindre, je
dirai même qu’il est inatteignable, vu la quantité de facteurs qui nous poussent à épargner ou non (instabilité
économique, facteurs saisonniers (ex. : cadeau de Noël, vacances estivales,…), anticipation financière,…).
Pour ma part, mes décisions d’achat se prennent surtout de manière rationnelle. Je pense que cela provient
de l’éducation reçue, de la valeur de l’argent que l’on m’a enseignée. Dans la mesure du possible, j’essaie
également de consommer de manière locale et sociale pour les produits frais, pour autant que les prix ne soient
pas exorbitants et que la qualité soit bonne. Dans les bananes par exemple, je choisis celles du commerce
équitable (Max Havelaar) parce que les prix ne sont pas beaucoup plus élevés que les autres. De même pour
les œufs, je prends des produits valaisans et dont les poules sont élevées au sol et non en batterie (la qualité
s’en fait d’ailleurs ressentir). Mais je ne vais pas m’abstenir d’acheter un produit «étranger» si j’en ai envie et
qu’il n’existe pas de substitut suisse !
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Bien entendu, chaque pays est étroitement associé à sa monnaie. Pour ma part, c’est un symbole et un
élément culturel d’un pays. Ce n’est pas pour rien qu’en Suisse, chaque billet comporte le portait d’un artiste
(compositeur, créateur, plasticien,…) qui a influencé l’histoire de pays.
Oui, les billets suisses sont pour moi une manière de me sentir citoyenne d’un pays dans lequel j’ai grandi. Ils
« racontent » une histoire.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Oui, un pays peut avoir plusieurs monnaies, c’est d’ailleurs ce qui existe aujourd’hui. Oui, une monnaie
complémentaire peut être crédible pour permettre à une économie locale de se développer, mais surtout de
subsister. En utilisant cet argent sur un petit territoire, cela permet de dynamiser les échanges et de maintenir
une économie sous « haute pression ».
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
J’ai de la peine à concevoir qu’une monnaie complémentaire soit un moyen d’échange dans le temps. Je
pense que j’aurai de la peine à faire confiance à une telle monnaie.
Le concept de monnaie fondante serait à mes yeux un concept intéressant du point de vue économique,
puisqu’il a déjà fait ses preuves, notamment lors de la crise de 29 (la vitesse de circulation de la monnaie est
grandement accentuée et permet d’éviter une stagnation de l’économie). Les fonds de garantie sont aussi un
concept primordial pour que les gens adhèrent à une monnaie (la principale question des clients lorsqu’ils
contactent la banque pour ouvrir un compte réside dans le fait de savoir si l’argent déposé est garanti en totalité
!)
La monnaie complémentaire peut être intéressante pour les raisons suivantes :
 la fidélisation des consommateurs par rapport aux entreprises qui utilisent cette monnaie,
 permettre de dynamiser une économie, puisque la monnaie complémentaire ne peut être utilisée que
dans un cercle restreint (localité, groupe,…). Cela pousse les personnes à dépenser leurs revenus
sur place,
 à une échelle plus technique, les spéculations peuvent être évitées, puisque la zone d’utilisation est
trop restreinte et mieux contrôlée.
L’aspect de consommation locale ou d’économie plus sociale ne fait pas réellement partie de mes convictions
! Je pense qu’il faut laisser les règles de base de l’économie dicter le marché. Les échanges internationaux
sont bien souvent fructueux, tant pour les producteurs que les consommateurs. De plus, il existera toujours
une tranche de la population qui sera prête à payer plus pour consommer local, le marché n’est donc pas
condamné.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Pour moi, les inconvénients d’une monnaie complémentaire sont les suivants :
 les coûts d’émission, de contrôle, de suivi de cette monnaie peuvent être conséquents,
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
124
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)

si la monnaie est convertible, il faut se veiller à ce qu’il y ait suffisamment de monnaie nationale à
disposition (si tout le monde décide en même temps de convertir sa monnaie),
 elle peut influencer grandement le système monétaire d’un pays, au cas où les fonds mis en
circulation sont importants. En cas de conversion en masse, le taux de change d’une monnaie peut
être fortement influencé,
 il faut que les gens qui possèdent cette monnaie complémentaire adhèrent au système mis en place
et aux valeurs de la communauté, sinon cette monnaie n’a pas de sens.
À l’heure actuelle, je ne pense pas qu’une monnaie complémentaire locale puisse m’apporter quelque chose
de plus que la monnaie que nous utilisons aujourd’hui. Ceci est probablement dû au fait que l’économie se
trouve dans une période assez stable. En effet, les monnaies complémentaires ont eu leur plus grand effet en
période de crises.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Comme je l’ai dit plus haut, je ne fais pas particulièrement confiance à une économie parallèle. De ce fait, je la
dépenserai assez rapidement et ne resterai pas dans le circuit…
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Non. De plus, pour qu’une monnaie complémentaire ait une forme scripturale, il faudrait que le réseau soit
étendu et que la quantité de monnaie émise soit très importante, ce qui n’est que très rarement le cas. Le
risque de thésaurisation de la monnaie serait également accru (argent dormant sur un compte) et ce n’est pas
le but visé par la monnaie complémentaire.
Questions signalétiques
14. Sexe : femme
15. Profession : assistante auprès du secteur valorisation de sa banque (aide aux entreprises en difficulté
financière)
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Annexe XI : entrevue I9
Entrevue I9 (04.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Non je ne connais pas la notion de monnaie complémentaire et je ne connais pas de monnaie complémentaire.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Pour moi la monnaie est un moyen de paiement, qui facilite les transactions et « l’échange » de biens.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
À mes yeux elles ont la même valeur, même s’il est vrai que la monnaie papier-pièces est de valeur réelle
inférieure (car il n’y a pas du papier et de l’encre pour 100.- sur un billet de 100.- mais c’est la valeur d’échange
qu’on lui octroie).
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
J’avoue que ça ne me dérangerait pas étant donné que le 80% de mes achats et paiements se font déjà par
e-banking, cartes de crédit, cartes de débits ou paypal.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui, j’ai confiance dans la monnaie traditionnelle. Honnêtement je ne saurais dire pourquoi.
Elle existe depuis longtemps, je suis née avec, mes grands-parents, parents l’utilisaient bien avant moi et
l’utilisent encore. Je pense que cette confiance repose sur le fait que la monnaie traditionnelle existe depuis
longtemps et fait partie de notre quotidien.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Non je ne le sais pas, je pense que normalement les avoirs en monnaie scripturale sont garantis par l’État mais
je n’en suis pas certaine.
Non je ne sais pas si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Pour moi la monnaie à les deux fonctions, je garde toujours une part en épargne et une part pour mes achats.
Je consomme la plupart du temps de manière rationnelle selon des critères d’utilité, de nécessité et de prix,
avec un penchant pour une consommation plus locale.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Je ne sais pas, certes la monnaie et la force économique d’un pays sont très importantes. Mais je ne pense
pas que l’identité même du pays repose sur sa monnaie plus que sur ses coutumes, etc. La monnaie est un
symbole, symbole de richesse, de stabilité pour un pays. Personnellement je n’ai aucun lien spécial avec la
monnaie.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Oui un pays peut faire le choix d’avoir plusieurs monnaie. Mais je ne suis pas vraiment favorable à cette idée.
Car il appartient au pays de décider s’il est ou non pertinent d’avoir une ou plusieurs monnaies. Mais la création
d’une ou plusieurs monnaies peut engendrer le doute par rapport à la monnaie officielle, à la stabilité du pays,
etc. et peut embrouiller le consommateur avec différentes monnaies.
Personnellement pour moi une monnaie complémentaire en Suisse n’est pas très crédible. Le pays et son
économie son stable et les chances de voir la monnaie officielle disparaitre est très minime.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
J’utiliserais une monnaie locale si elle me rapporterait plus avec un plus haut taux d’épargne, si son taux de
change était plus bas que celui de la monnaie officielle. Je voudrais qu’elle m’offre de réels avantages par
rapport à la monnaie officielle nationale existante.
Cela [les aspects sociaux et de consommation locale] n’entre pas vraiment en ligne de compte.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Un taux de change trop élevé, taux d’épargne plus égal ou plus bas, etc. Je ne pense pas qu’une monnaie
complémentaire locale puisse m’apporter plus que la monnaie nationale.
Non [à la question de savoir si la situation actuelle permet à une monnaie complémentaire d’être utile].
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Certainement pour de l’épargne, pour mettre de côté une somme important d’argent en cas de besoin. [Est-ce
que vous resterez dans le circuit ?] Non pour la dépenser je pense que je la changerais en monnaie
traditionnelle nationale.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Si la monnaie complémentaire locale scripturale est utilisée partout comme la monnaie nationale, je pense
que je l’utiliserais au même titre que la monnaie nationale pour mes transactions.
Questions signalétiques
14. Sexe : femme
15. Profession : étudiante et entrepreneur
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XII : entrevue I10
Entrevue I10 (06.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Non.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Un moyen de paiement.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
La monnaie physique n’est que du vulgaire papier.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Un léger mal-être. J’aime avoir 200 francs dans mon porte-monnaie.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui. Sur notre histoire.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Oui, jusqu’à concurrence de CHF 100'000.-.
Non.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Elle a une finalité d’épargne. Je consomme de manière rationnelle, avec une consommation sociale et locale.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Oui, oui, oui.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Non, pour des raisons de simplification. [Est-ce qu’une monnaie complémentaire aurait de manière générale
une crédibilité pour vous ?] Non, c’est trop compliqué.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Je n’utiliserai de toute façon pas de monnaie complémentaire.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Je n’utiliserai de toute façon par de monnaie complémentaire.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
NSP.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
NSP.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : cadre de banque à la retraite
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
128
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XIII : entrevue I11
Entrevue I11 (06.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Oui, il y a notamment des monnaies citoyennes comme le Sol-violette à Toulouse, ou Ithaqua aux États-Unis,
des monnaies complémentaires virtuelles comme le Bitcoin ou Litecoin, et encore des monnaies commerciales
comme les Miles ou le Wir.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Un moyen d’échange, qui simplifie les rapports marchands qui jalonnent nos existences. Cette convention nous
permet ainsi de nous acquitter de façon simple et pratique de tous les biens et services qui nous sont
nécessaires.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Je pense que les 2 ont la même valeur, et les deux présentent des risques : Un billet peut se perdre, être volé,
mais la banque où est placé notre argent sous forme scripturale pourrait aussi faire faillite. L’important est la
valeur acceptée et partagée de la monnaie, et elle me semble être la même pour les deux formes.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Nous ne pourrions plus l’échanger ou la donner facilement dans la rue, de façon improvisée (à moins que tout
le monde ait des cartes à puce intégrée, ce que je ne souhaite pas). Je pense notamment aux artistes de rue.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
J’ai une confiance en la monnaie nationale dans le sens où elle bénéficie de la confiance de l’ensemble de la
société, ce qui lui confère une stabilité certaine. Cela ne m’empêche pas d’être réticent à son mode de création
et de circulation dans notre société.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Nous sommes en effet obligés de recevoir la monnaie scripturale comme moyen de paiement, au même titre
que de la monnaie fiduciaire, sous peine de voir notre créance s’annuler. Il me semble que les avoirs en
monnaie scripturale sont garantis par l’État jusqu’à hauteur d’une certaine somme.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Les fonctions principales de la monnaie sont de permettre et simplifier l’échange de biens et services, la valeur
relative entre ces biens et services, et encore l’épargne. Dans notre système, la monnaie a de facto pour
fonction supplémentaire de créer de l’argent supplémentaire et d’accroître les inégalités à travers l’intérêt.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Nous l’avons bien vu avec l’euro, il était important que chaque pays conserve un peu de son particularisme
national au dos de chaque pièce. Je pense que depuis la naissance des Etats-nations, la monnaie, au même
titre que l’hymne ou le drapeau, est un fort symbole national. Nous sommes néanmoins dans ce monde
transnational en phase de dépassement. On ne peut notamment pas savoir dans quel pays un billet d’euro
a été imprimé.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Je pense qu’une pluralité de monnaie pour une pluralité d’échelles et de fonctions est possible et même
nécessaire. On voit par exemple que la fonte géselienne est utile pour une monnaie de consommation, mais il
serait impertinent de la faire coïncider avec une monnaie d’épargne.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Il est pour moi très important que les citoyens puissent, au travers de la monnaie complémentaire, réfléchir sur
les fonctions de la monnaie ainsi que sa création, et ainsi bien en saisir les enjeux dans notre économie. Le
fait d’attacher une charte éthique à une monnaie complémentaire est aussi potentiellement transformateur de
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
129
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
notre société, car ainsi est injecté de la monnaie et donc créé de la richesse dans un réseau dont les valeurs
promettent une économie durable. Un aspect essentiel pour moi est aussi l’absence de loyer qui peut
caractériser une monnaie complémentaire. En effet, les prêts qui sont effectués à l’intérieur du réseau ne
comprennent pas d’intérêt.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
La monnaie complémentaire a une fonction qui va au-delà du pansement. Si elle peut être utile en cas de crise
ou d’effondrement du système conventionnel, c’est sa conséquente utilisation en temps de croissance
économique comme c’est le cas aujourd’hui sur le bassin lémanique qui pourra permettre d’ouvrir une nouvelle
voie pour notre économie et notre société.
Il est néanmoins clair que l’utilisation de deux monnaies à la place d’une (ou de 3 à 4 à la place de 2 pour
Genève) implique un effort d’organisation, tout au moins au début. Il faut noter qu’une utilisation virtuelle de la
monnaie complémentaire simplifierait beaucoup ce problème.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Si je change ou acquière de la MC, c’est par motivation citoyenne (et tant mieux si je peux y trouver un intérêt
économique avec un change encourageant !). Donc il ne serait pas logique que je la rechange ensuite en
monnaie conventionnelle. En outre, je n’essayerai d’en posséder seulement la quantité que j’estime nécessaire
pour le ou les mois qui viennent. J’imagine qu’une telle monnaie, à travers les partenaires que je pourrais
trouver sur l’interface internet, me ferait découvrir des entreprises éthiques qui sont près de chez moi et dont
j’ignore même l’existence !
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Je pense qu’une monnaie scripturale serait plus dans l’air du temps, plus maniable, plus facilement
échangeable avec une carte à puce. Je pense qu’il faut miser sur la technologie et le futur pour ce moyen
d’échange paradoxalement archaïque, dans le sens où il a toujours semblé essentiel à notre société.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : étudiant et impliqué dans la MGG
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
130
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XIV : entrevue I12
Entrevue I12 (12.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Je connais juste les Bit coins, mais pour moi la définition de monnaie complémentaire n’est pas forcément très
claire et je n’arrivais pas à dire si les Bit coins se situaient dans ce cadre-là avant d’avoir su la définition.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Elle représente un moyen d’échange contre lequel il est possible d’obtenir des prestations (bien ou service).
Elle représente également le pouvoir d’achat.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Oui, inconsciemment je pense car elle est physique et tangible et qu’on voit ce qu’on dépense.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Pas une bonne idée, il faut conserver une partie de monnaie physique qui permet de rester proche de la réalité
et d’avoir une vision de ce qu’on gagne et on dépense.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui principalement d’ailleurs dans le Franc suisse. Elle est un symbole du pays et une valeur refuge.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Oui mais alors je ne sais pas quel chiffre. Il y a eu tellement d’histoire sur des chiffres qui ont été donnés à
savoir 100'000.-/habitant, 30'000.-/habitant, etc. Il n’y pas de réelle information par rapport à cet élément et
surtout de savoir si une garantie de 100'000 est vraiment possible. Dommage…
Pour la seconde question je dirais non mais sans réelle conviction… Cela m’intéresse de connaître la réponse
et s’il existe une base légale.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Les deux pour une finalité marchande et d’épargne. Plutôt pour une consommation locale et il m’arrive de
consommer très impulsivement dès qu’il me manque du temps ou lorsqu’il s’agit d’un cadeau. Pour d’autres
achats qui m’intéressent je vais être très rationnel.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Oui surtout en Suisse le Franc fait partie de notre patrimoine et il véhicule la force de notre pays.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Non je ne pense pas, un pays doit aujourd’hui garder une unité et la monnaie est un symbole de cette unité.
Les monnaies complémentaires vont à mon avis servir des marchés plus opaques qui pourraient bénéficier de
ces éléments.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Je n’utiliserai pas de la monnaie locale en raison des éléments mentionnés à la question 9.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Voir réponse à la question 9
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Je l’échangerai pour ne plus l’avoir dans mon porte-monnaie, de peur qu’elle n’ait plus de valeur par la suite.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Oui, je n’ai pas confiance en les monnaies locales.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
131
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
15. Profession : collaborateur scientifique au sein d’un institut de recherche (auparavant travaillait dans le milieu
bancaire)
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
132
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XV : entrevue I13
Entrevue I13 (16.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Oui, je connais le concept. Bitcoin, Farinet, etc.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
C’est un moyen physique d’échanger.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Oui. On prend conscience de la valeur de l’argent lorsqu’on le dépense. Il y a un attachement culturel, et la
beauté de l’objet.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Il y aurait une aseptisation des relations d’échanges, des pertes de repères. Et des angoisses en cas de
problèmes techniques.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Oui. Parce que sa réputation est bonne, qu’il n’y a pas eu de dévaluation, et que la tradition est forte, surtout
en Suisse.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Oui, jusqu’à une certaine hauteur. Anciennement c’était de CHF 100'000, maintenant je ne sais plus.
Je ne pense pas qu’il y ait une obligation à accepter autre chose que la monnaie nationale.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Pour moi, la monnaie physique sert à l’échange. Je paie peu par carte ; je vais plutôt retirer pour tenir mon
budget par la fréquence de mes retraits. Par contre, la monnaie scripturale sert donc à l’épargne.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
De prime abord, oui. Je suis fier du franc suisse, mais surtout par tradition. J’ai plus de peine à comprendre le
procès fait à l’euro pour exacerber le nationalisme par le retour à la monnaie nationale. On s’adapte à tout.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Il est important d’avoir une seule monnaie. Une valeur d’échange est plus efficace et moins complexe pour la
population et l’économie. Une monnaie complémentaire n’est pour moi que symbolique, eût égard au volume
et qu’elle ne serait utilisée que par une partie de la population.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Il faudrait qu’elle soit fondante pour l’objet et pour le symbole. Il faut des avantages supplémentaires par rapport
à la monnaie nationale. Par exemple : avantages accessoires du style Migros Cumulus, ou autres (une unité =
0,… point, 1 point ayant à son tour une valeur monétaire).
La consommation locale serait à favoriser, par tradition et par folklore.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
C’est une question d’habitude ; le fait que d’autres ne l’accepteraient pas. A mon sens, une monnaie
complémentaire locale n’apporte rien d’autre que la monnaie nationale. Il faut développer d’autres systèmes
qui valorisent la consommation (création d’épargne par la consommation : Migros Cumulus). Actuellement, une
telle monnaie n’est pas utile, à mon sens.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Je la garderais, pour l’objet et la rareté. Si je la dépensais, ce serait justement pour pallier le manque de la
monnaie ordinaire pour une certaine dépense, donc je ne resterais pas dans le circuit.
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
133
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Oui, je n’ai pas confiance dans une monnaie complémentaire scripturale. Qui plus est si elle est locale, elle ne
peut à mon sens qu’être physique. Rapport à l’utilité et à l’efficacité. Plus le marché est grand, plus la monnaie
se dématérialise.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : avocat
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
134
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XVI : entrevue I14
Entrevue I14 (23.06.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
J’en connais une qui est utilisée par mes clients, la monnaie WIR.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
La valorisation d’un moyen d’échange.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Non, c’est du identique. Par contre, les raisons pratiques d’utiliser la monnaie scripturale sont évidentes
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
L’apprentissage de la valeur de l’argent en serait lésé.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Je ne peux pas faire confiance en une monnaie en soit, elle est le reflet de la politique économique d’un pays.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Alors non, il me semble que ce n’est pas réellement l’État mais une structure dans laquelle l’État est impliqué
également.
Je serais plus encline à dire non, car on peut « exiger » un paiement cash dans certains échanges.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
La monnaie nous permet d’acquérir rapidement des biens et des services nécessaires au quotidien et
idéalement en épargner, nous permet de reporter l’acquisition pour des achats plus conséquents, futiles ou
« de luxe ».
Je consomme de manière réfléchie ou sur les actions pour le quotidien, après cela dépend du rapport
qualité/prix, mais une préférence pour les produits locaux.
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
La monnaie donne aussi une image de la santé financière et économique d’un pays.
Il est clair qu’elle représente aussi un symbole.
Tout rapport avec l’argent est un facteur liant…
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Je ne trouve pas adéquat que dans un même pays, on puisse avoir plusieurs monnaies, la perte de change
pour le consommateur reste un élément négatif.
La monnaie complémentaire est autant crédible que la monnaie de base à partir du moment où elle est utilisée
régulièrement par un réseau qui la fait fonctionner.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Franchement, je ne suis pas une adepte d’une monnaie locale, ça reste un marché trop petit et le risque de
perdre de l’argent ne me réjouis pas vraiment. Il n’est déjà pas facile d’en gagner…
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Je reprends ma réponse précédente pour cette question-là également.
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
C’est difficile à répondre sans élément complémentaire, mais je serais plus dans l’idée de la dépenser tout de
suite (comme lorsque je reçois des bons Migros) pour éviter que cela ne soit perdu jour ou l’autre.
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
Non, cela ne change pas le principe d’utilisation.
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
135
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Questions signalétiques
14. Sexe : femme
15. Profession : indépendante (comptabilité)
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
136
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XVII : entrevue I15
Entrevue I15 (14.07.2014)
Question d’introduction (brise-glace)
1. Connaissez-vous la notion de monnaie complémentaire ? En connaissez-vous ?
Assez vaguement. Il s’agit me semble-t-il d’une monnaie alternative, hors des circuits habituels et qui permet
des flux financiers « directs » et de favoriser une économie locale, sans trop d’intermédiaires (je suis peut-être
complètement à côté)…
Les chèques reka.
Axe 1 : la signification de la monnaie
2. Qu’est-ce que la monnaie représente pour vous ?
Un moyen d’échange.
3.
Est-ce que la monnaie physique (billets et pièces) a plus de valeur, à vos yeux, que la monnaie scripturale ?
Non, pas plus. J’ai rarement beaucoup de monnaie physique sur moi, je travaille par paiements.
4.
Quel serait votre sentiment si la monnaie physique disparaissait ?
Cela me serait égal.
5.
Avez-vous confiance en la monnaie traditionnelle, et pourquoi ?
Plutôt oui. La monnaie fonctionne aussi comme réserve de valeur. J’ai confiance en elle dans la mesure où
elle est stable. Si elle devient instable, la réserve de valeur n’est plus assurée.
6.
Savez-vous si les avoirs en monnaie scripturale (comptes bancaires) sont garantis par la BNS (oui/non) ?
Savez-vous si nous sommes obligés d’accepter la monnaie scripturale des banques comme moyen de
paiement, à l’instar des pièces ou des billets (oui/non) ?
Je pense que non.
Je pense que non.
Axe 2 : la finalité de la monnaie
7. Pour vous, quelles sont les fonctions de la monnaie (finalité marchande ou finalité épargne) ?
Comme c’est un moyen d’échange, la finalité est marchande. Je consomme de manière rationnelle, sur certains
critères. Critères : qualité, proximité, coût (je penche donc pour une consommation locale, dans la mesure où
les coûts ne sont pas exagérés).
8.
Diriez-vous que l’identité d’un pays passe aussi par la monnaie ? La monnaie est-elle donc un symbole, un
élément culturel ?
Plutôt non du point de vue identitaire, mais cela reste un élément culturel.
Aucun lien spécial.
Axe 3 : positionnement sur les monnaies complémentaires
9. Pour vous, un pays peut-il avoir plusieurs monnaies ? Pourquoi ?
Oui, un pays peut avoir des monnaies complémentaires. C’est très crédible pour des marchés « particuliers »,
de niche, ou pour des projets à vocation sociale.
10. Quels éléments (modalités de la monnaie [fonds de garantie, taux de change, monnaie fondante…] ou
conditions externes) seraient importants pour que vous utilisiez une monnaie complémentaire ?
Question difficile. Les critères locaux et sociaux entrent en ligne de compte.
11. A contrario, quels éléments vous rebuteraient dans l’utilisation d’une monnaie complémentaire ?
Je craindrais d’être réduit dans mes choix et inféodé à peu de produis (une perte de liberté de consommation).
Je pense que la situation actuelle permet justement à une monnaie complémentaire d’être utile au vu des
conditions actuelles et au trend du marché comme je le perçois (local-social).
12. Si vous aviez une monnaie complémentaire dans votre porte-monnaie, comment l’utiliseriez-vous ?
Je procéderais de la même manière qu’avec la monnaie traditionnelle (les 2 « portemonnaies » séparés)
Me ferais rendre la monnaie en monnaie complémentaire.
Je ne mélangerais pas les 2 à priori, mais peut-être que je ne cerne pas les aspects complémentaires entre
les 2 types).
13. Est-ce que la forme de la monnaie complémentaire (argent physique ou scriptural) influerait votre confiance en
elle et votre utilisation ?
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Non.
Questions signalétiques
14. Sexe : homme
15. Profession : indépendant
16. Tranche d’âge : <21 ; 21-30 ; 31-40 ; 41-50 ; 51-60 ; >60
17. Nationalité : CH
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
138
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XVIII : Résumé des réponses de l’enquête qualitative
I1
I2
I3
Q2
Que représente la monnaie
Outil d’échange
Moyen de paiement, unité de compte, représente un pays
Outil d’échange ; système financier défaillant
Q3
Hiérarchisation des formes de monnaie
Physique > scriptural
Physique > scriptural
Physique = scriptural (avec nuances)
I4
La liberté
Physique = scriptural. Mais physique plus concret
I5
I6
I7
Outil d’échange, unité de compte
Symbole, prestige
Moyen de paiement
Moyen de paiement, épargne (investi. Ou spécul.), outil
de politique monétaire
Physique = scriptural, mais physique plus concret
Physique > scriptural, concretise l’échange
Physique = scriptural
Physique = scriptural. Rencontre très peu de transaction
en numéraire
I9
Moyen de paiement
Physique = scriptural
I10
I11
I12
I13
I14
I15
Moyen de paiement
Moyen de paiement
Moyen d’échange, représente le pouvoir d’achat
Moyen d’échange
Valorisation d’un moyen d’échange
Moyen d’échange
Physique = scriptural. La monnaie n’est que du papier
Physique = scriptural. Les deux ont des risques
Inconsciemment : physique > scriptural, car tangible
Physique. Concret.
Physique = scriptural. Mais praticité du numéraire
Physique = scriptural
I8
Q5
Confiance ? Sur quoi repose-t-elle ?
I1
I2
I3
I4
I5
I6
I7
Oui
Oui
Peu
Oui
Oui
Oui
Oui
I8
Oui
I9
I10
Oui
Oui
Confiance méthodique et autoréférentialité
Autoréférentialité
« Confiance » méthodique et autoréférentialité
Stabilité de la monnaie nationale
Stabilité, confiance hiérarchique et éthique
Confiance hiérarchique et méthodique
Confiance hiérarchique
N’a pas connu autre chose, méthodique. Ne pense pas que la politique
monétaire soit viable sur le long terme
Confiance méthodique, autoréférentialité, existe depuis longtemps
Histoire
Q4
Si la monnaie physique disparait ?
Perte de concrétude, donc de contrôle
Difficile de se rendre compte de son pouvoir d’achat
Ca arrivera ; ne s’en émeut pas
Attachement à la monnaie physique, mais question
d’habitude
Triste, car côté identitaire de la monnaie
Attachement à la monnaie physique
Pas importance
Ne l’utilise que rarement. Ne serait pas choquée. Pense
qu’on limite de plus en plus le numéraire
Ne dérangerait pas : une très large majorité de ses
payements se fait en fiduciaire
Mal être
Certains échanges spontanés seraient menacés
Pas une bonne idée. Déconnecterait de la réalité
Perte de repères. Angoisse si problèmes techniques
Apprentissage de la valeur de l’argent difficile
Égal
Q6
Avoirs scripturaux : garantis ou non par la BNS [non] ? Monnaie scripturale et obligation
d’accepter [non] ?
Oui
Non
Jusqu’à un certain point
Oui, en partie
Oui
Non
Oui
Oui
Non
Non
Oui
Non
Non
Oui
Oui
Non
Oui
Oui jusqu’à 100’000
NSP
Non
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
I11
I12
I13
Oui
Oui
Oui
I14
Non
I15
Oui
I1
I2
I3
I4
I5
I6
I7
I8
I9
I10
I11
I12
I13
I14
I15
I1
I2
I3
I4
I5
I6
I7
Stabilité, autoréférentialité
Symbole du pays, valeur refuge
Bonne réputation, pas de dévaluation, tradition
On ne peut avoir confiance en la monnaie en soi (reflet d’une politique
économique)
Stabilité
Oui, jusqu’à un certain point
Oui
Oui, jusqu’à un certain point
Oui
Non, sans certitude
Non, ne pense pas
Non
Non
Non
Non
Q7
Finalité de la monnaie
Consommation (rationnelle, basée sur les prix) et épargne
Consommation et épargne
Consommation raisonnée. L’épargne est une dérive.
Outil. Consommation rationnelle, locale et DD
Consommation rationnelle, sensible au local
Consommation impulsive, l’épargne est une sécurité, insensible au côté ESS
Consommation (impulsive)
Les deux sont obligés. Consommation rationnelle, connait la valeur de l’argent. Essaie
de consommer local et social si pas trop cher
Les deux fonctions. Rationnel selon ses besoins, penche pour conso locale
Épargne. Consommation rationnelle, sociale et locale
Faciliter les échanges. Mais monnaie corrompue par l’intérêt
Épargne/consommation. Local. Rationnel parfois, impulsif d’autres fois
Les deux. Physique pour l’échange, scriptural pour l’épargne
Consommation (et report de consommation). Réfléchi/local
Consommation rationnelle (locale)
Q8
La monnaie comme élément culturel
Oui, élément d’appartenance, de cohésion
Oui, élément d’appartenance
Oui, alors que cela ne devrait pas être le cas
Oui, une monnaie forte est gage d’un pays stable
Oui
Oui, une monnaie est une représentation, un élément de cohésion
Oui, mais pas de lien spécial avec elle
Q10
Éléments importants pour utiliser une MC
Que la monnaie nationale s’effondre
Que la monnaie nationale ne soit plus reconnue ; que la MC apporte un avantage
important à toutes les parties
Appartenance à une ESS
Q11
Éléments rédhibitoires pour utiliser une MC
Gouvernance décentralisée ; consommation/utilisation trop restreintes
Complication du système ; pas ou peu d’avantages
Pas trop de complications
Situation économique en fort déclin
Taux d’intérêt négatif.
NSP
Oui. Elle fait se sentir citoyenne. Le numéraire raconte une histoire
Oui, mais que modestement. Symbole de stabilité et de richesse d’un pays. Pas de lien.
Oui, oui, oui
Fort symbole national
Oui. Fait partie du patrimoine et véhicule la force de notre pays
Oui, fierté, tradition.
Symbole, facteur liant, image de la santé financière du pays
Oui, mais pas du point de vue identitaire. Pas de lien spécial
Que la MC ne soit pas viable à long terme et qu’elle ne respecte par une certaine
éthique
C’est le marché qui décide
Les buts poursuivis et la gouvernance
La MC est synonyme d’exclusion
Les MC sont inutiles
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
I8
I9
I10
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I15
I1
I2
I3
I4
I5
I6
I7
I8
Fonds de garantie, monnaie fondante. Conso locale ou sociale n’est pas important. Le
marché doit seul dicter l’économie
Plus haut taux d’épargne, taux de change avantageux. Pas d’utilité spéciale pour une
MC
N’utiliserai pas de MC de toute façon
Charte éthique, pas d’intérêt, ouvrir une nouvelle voie
Néant. (A précisé par la suite que notre situation économique et politique actuelle ne
nécessite pas une MC)
Fondante, avantages supplémentaires (économiques), conso locale
Ne voudrait en utiliser de toute façon
Critères sociaux et locaux
Q9
Crédibilité des MC
Non. Élément d’exclusion
Non, à moins de grands efforts
Oui, si elle ne reproduit pas les travers de la monnaie
nationale
Oui, s’il n’y a pas de privilèges
Oui
Non : complexe et insécuritaire
Non
Oui, peut permettre à une économie locale de se
développer, de subsister
I9
Oui, mais pas favorable. Pas crédible, car pays stable.
I10
I11
Non, trop compliqué
Oui, c’est même nécessaire
Non : pays doit garder une unité. MC permettrait des
marchés opaques
I12
Pas crédible pour être garant de la valeur dans le temps. N’apporte rien de plus que la
vraie monnaie, car économie stable
L’inverse de Q10. Une MC n’est pas utile, et ne pense pas qu’elle pourrait lui apporter
qqch en plus que la vraie monnaie
N’utiliserai pas de MC de toute façon
Complication
Sert des marchés opaques, va contre l’unité du pays
Peur qu’elle ne soit pas acceptée. N’amène rien de plus.
Marché trop petit, perte d’argent liée au change
Peur de ne plus être libre dans sa consommation et restreint
Q12
Utilisation des MC
N’utiliserait pas et ne resterait pas dans le cycle
Si le cercle est assez large et que le change est possible
Q13
Forme des MC
Quelle que soit la forme, ce n’est pas du vrai argent
Elle ne doit pas être scripturale
Comme une monnaie normale
La forme ne devrait pas jouer de rôle
L’utiliserait si elle est facile à utiliser
L’utiliserait si elle en est obligée
L’utiliserait si elle est dans la région
S’en débarrasserait le plus vite possible
Dépend. Mais il devrait y avoir une forme scripturale
La forme ne joue pas de rôle
Il doit y avoir une forme scripturale
La forme ne joue pas de rôle
Dépenserait rapidement et ne resterait pas dans le circuit
Non
La garderait de côté. La changerait en francs pour
consommer
NSP
Utiliserait, resterait dans le circuit, découvrirait le réseau
Scripturale
NSP
scripturale
S’en débarrasserait de peur qu’elle perde sa valeur
Égal. Pas confiance.
I13
Non. 1 seule monnaie. Sinon trop compliqué, que
symbolique
La garderait pour l’objet. Ne dépenserait que pour qqch
que la monnaie trad. Ne peut pas apporter, et ne resterait
pas dans le circuit
Doit être physique
I14
Autant de crédibilité qu’une vraie monnaie du moment où
elle est utilisée. Mais un pays devrait avoir une monnaie
Utiliserait tout de suite
Égal.
I15
Oui, crédible pour les projets sociaux
L’utiliserait et resterait dans le circuit (2 porte-monnaies
séparés)
Non
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Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
141
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
Annexe XIX : observation de la MGG
Le bassin versant de la MGG est la région du Grand Genève :
Figure 37 : Région du Grand Genève. Source : Marie Prieur (2012)
La charte de la MGG stipule que :
Figure 38 : Charte de la MGG. Source : documents internes de la MGG.
Les risques liés à la mise en place d’une monnaie locale sont, d’après Michel Bosqué (Les monnaies citoyennes - Faites
de votre monnaie un bulletin de vote !, s.d., pp. 131-135) :
« 1. L’océan des volontaires : Au début, votre monnaie s’appuiera fortement sur eux ! Sans eux il n’y a pas de
monnaie citoyenne car il s’agit bien d’une réappropriation citoyenne de la monnaie, mais attention, un projet de
monnaie citoyenne est un projet qui demande de la régularité, des efforts, des investissements, des compétences qui
peuvent à tout moment échapper aux volontaires et du coup, ils peuvent être noyés, déçus où découragés par les
obstacles qui ne manqueront pas de surgir dans le projet. Il est donc important, de leur donner les moyens de leurs
ambitions légitimes et, un financement en partenariat avec des collectivités, des fondations d’une part et des cotisations
d’autre part seront essentielles pour dépasser le stade de la bonne volonté. Un modèle économique mixte (public/privé)
sera donc vital à trouver rapidement pour assurer la durée du projet.
2. Le marais des frustrés : une fois les citoyens réunis, le deuxième écueil, sera votre mode de décision. Si vous
décidez à une voix près au sein de votre réseau des conditions de fonctionnement de votre monnaie, vous créerez
des personnes ou des groupes frustrées par ses décisions et progressivement vous quitterez le champ d’une monnaie
citoyenne : le bien commun. Pour « faire société », renforcer la cohésion du groupe tout en gardant la diversité, viser
en permanence le consensus dans vos décisions, pas seulement entre les citoyens mais aussi entre les parties
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
142
Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
prenantes de la monnaie que sont : les citoyens, les entreprises et les collectivités. N’oubliez jamais qu’un citoyen est
aussi un commerçant, un élu ou un consommateur et que les intérêts de ses rôles sont souvent contradictoires.
3. La caverne de l’ego : Une fois établi le mode de décision, le risque suivant c’est de vous enfermer dans le groupe
tel qu’il est. Si la monnaie que vous créez devient la monnaie d’une personne, d’un groupe, d’un camp, d’une idéologie,
alors vous tomberez dans la caverne de l’ego ! Votre monnaie circulera entre vos amis les plus proches et jamais elle
ne s’étendra au-delà. Pour réussir à transformer l’économie réelle, votre monnaie doit être la monnaie de tous pas
d’un seul ! Pour cela, fixer lui un but que tout le monde peut s’approprier comme « faciliter la production et la circulation
des richesses, prioritairement locales, qui satisfont les besoins fondamentaux des citoyens de notre territoire de vie
dans le respect des humains et de la nature »
4. Le marché des illusions : Vous allez rapidement rencontrer plein de problèmes ! La réalité va résister ! Peut-être,
pour faire plus rapide ou pour faire du nombre, vous ferez circuler votre monnaie entre tous les acteurs économiques
sans aucune distinction. Si, pour accepter cette monnaie, l’agrément ne comporte aucun effort en matière de
relocalisation de l’économie, de respect des humains et de protection de l’environnement alors votre monnaie
deviendra une monnaie privée où seules les valeurs de l’argent-Roi auront cours et vous serez loin très loin des valeurs
portées par les monnaies citoyennes. Alors bientôt vous entendrez un enfant vous dire : « le roi est nu ! » et ce sera
la fin du jeu !
5. Les ruines de l’ignorance : Mais s’il suffisait d’être vertueux pour que le monde change, alors nous serions tous
au paradis depuis longtemps ! Si votre monnaie se construit sans que ceux qui la font circuler comprennent les enjeux
locaux et globaux auxquels les monnaies citoyennes répondent, peut-être serez-vous passionnés, mais vous serez
incapable de négocier avec la réalité. Car instaurer et développer une monnaie demandent du temps, de l’adaptation,
des arguments concrets pour convaincre. La richesse de votre monnaie ne se mesure pas en « vertu » ou en « volumes
échangés » mais aux changements de comportements durables que feront les acteurs de votre réseau grâce à leur
compréhension de ce qui les aliène. C’est cette compréhension profonde de ce qui se joue dans la monnaie qui
donnera du sens à leur engagement. N’oublions pas qu’une monnaie citoyenne est d’abord un outil d’éducation
populaire pour faire entrer la monnaie dans le champ politique !
6. La Cité sans loi : Plus vous comprendrez la monnaie citoyenne, plus vous mesurerez l’inadaptation de notre
système monétaire aux enjeux des temps nouveaux. Vous serez sûrement en colère, vous voudrez aller plus vite, «
taper » plus fort. Là est le nouveau danger ! Si votre monnaie ne s’inscrit pas dans le cadre strict de la loi, en particulier
celle du code monétaire et financier, alors vous remettez en cause l’aspect « citoyenneté » de votre monnaie car,
même si cela est plus long et plus difficile, la démocratie est d’abord fondé sur la loi et non sur l’arbitraire. Pour
construire un levier qui nous rassemble et dont la force nous dépasse, si nous voulons remettre la finance au service
de l’économie et l’économie au service de la vie, le respect de la loi est le garant d’une violence canalisée par le droit.
N’ayons pas peur du droit, car c’est le droit qui fait les civilisations et lui qui a rendu durable tous nos progrès.
7. Le désert des parfaits : Une fois bien campé dans votre droit, par votre compréhension et une fois l’expérimentation
lancée, vous risquer de vous tromper de route ! Tout le monde n’est pas au même niveau que vous ! Si pour utiliser
votre monnaie, un prestataire doit subir l’épreuve de la terre, de l’eau, de l’air et du feu, et sortir victorieux de mille
exigences environnementales, sociales ou économiques pour être agréé par votre réseau, bref qu’il soit parfait avant
même d’avoir pu faire un euro de vente, vous vous retrouverez avec un tout petit réseau. Jamais, votre monnaie ne
pourra transformer les pratiques de toutes ces organisations et de ces collectivités qui veulent pourtant se mettre sur
le chemin de la transition. Pour transformer la chenille
en papillon, il faut être en contact avec des chenilles, pas dans un désert de papillons !
8. Le village perché : Plus vous prendrez de la hauteur, plus vous prendrez de l’expérience, plus vous verrez
rapidement que tout est relié. Que les entreprises locales, les collectivités et les consommateurs sont reliés par un
réseau invisible d’échange bien au-delà de votre territoire de vie. Il y a peu de tomates qui poussent sur la place du
capitole ! Elles poussent dans les communes et les départements voisins. Votre monnaie citoyenne devra suivre ce
réseau sans quoi elle se coupera du monde et vous resterez tout seul dans votre territoire avec des quantités de
monnaies citoyennes inutilisées ! Si la monnaie que vous créez devient la monnaie d’un territoire de vie unique, replier
sur lui-même, sans un minimum de convertibilité avec les autres territoires qui ont les mêmes valeurs que les vôtres,
alors vous resterez tout seul comme dans un village perché sans pouvoir changer vraiment l’économie réelle tout en
bas au loin. Pour opérer des transformations profondes de notre système financier, il nous faut faire levier entre nous
et nous aurons donc besoin de toutes les monnaies citoyennes.
9. La plaine en feu : Évidemment, si vous vous reliez aux territoires de vie, aux autres monnaies citoyennes, vous
vous rendrez compte que votre monnaie ne détient pas la vérité ! elle n’a pas vocation de dominer le monde et en
particulier de se substituer ni à l’euro, notre monnaie commune, ni aux autres monnaies citoyennes, complémentaires
ou locales. Ce qui est valable dans votre projet peut ne pas l’être dans un autre, ce qui n’est pas valable sur un territoire
de vie peut-être essentiel dans un autre. Ne pratiquez pas l’exclusive ! « ma monnaie est ceci, la leur est cela ! je ne
veux pas d’eux dans mon réseau !». C’est justement de la différence de toutes nos expérimentations que sortiront
peut-être un jour les monnaies citoyennes qui se rependront dans tous nos territoires de vie et enfin rendront notre
système financier résilient, réparateur et surtout le remettront au service de la vie ! alors coopérons entre nous, c’est
l’assurance certaine de notre réussite dans la durée ! il vaut mieux un petit pas vers la transition nécessaire aux temps
nouveaux qu’un grand nombre de pas en sens inverse ! inspirons nous de la permaculture !
Travail de Master, MSc HES-SO in Business Administration, Orientation Management et ingénierie des services
Design de service pour une monnaie complémentaire : une approche générale
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Cédric Chervaz, MScBA (MIS)
10. L’usine à gaz : Après toutes ces épreuves, si votre monnaie circule toujours et s’étend, attention à ne pas
reproduire ce pour quoi vous vous êtes tous battus ! Vous embaucherez sûrement des permanents, vos financements
augmenteront et sûrement vous devrez investir dans des outils pour faire face à la croissance des transactions, à leur
importance et à leur volume ? se cachera alors ici un nouveau risque : l’institutionnalisation de votre monnaie ! vous
perdrez alors son âme initiale qui a allumé le feu de joie citoyen responsable de sa fondation ! Veillez en permanence
à associer les volontaires aux décisions, aux réunions, aux choix stratégiques, à ne pas laisser le quotidien des taches
asphyxier la spontanéité des volontaires et leur envie de participer car le contrecoup sera la perte de vos adhérents et
un fonctionnement qu’entre soi qui finira avec la fin des financements et le départ des salariés. On n’y pense jamais
assez tôt ! »
L’organisation du groupe MGG fonctionne ainsi :
Figure 39 : Organisation de la MGG. Source : documents internes de la MGG.
Figure 40 : Radar citoyen. Source : documents internes de la MGG.
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