économie - Gabon Magazine

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économie - Gabon Magazine
ÉCONOMIE
Au
travail
Quand on parle
de privatisation, le
Gabon est en tête
dans la région subsaharienne. Dix ans
après le déclenchement du processus,
les entreprises d’État
ont laissé la place à des
sociétés dynamiques
bénéficiant d’un afflux
de capitaux étrangers.
12 GABON . HIVER 2006
CHRIS GILVAN CARTWRIGHT
L
’AFFAIRE du gouvernement, c’est de
gouverner et non pas de faire des
affaires… On entend cette maxime dans le
monde entier. La privatisation est considérée depuis longtemps comme le remède
miracle pour les problèmes économiques
de l’Afrique, ce qui explique pourquoi, depuis maintenant plus d’une décennie, dans presque tous les pays
du continent, l’État a pour politique de se retirer des
entreprises publiques. En conséquence, l’esprit d’entreprise privée se répand dans de nombreux pays
africains, là où il y a moins de 20 ans, la plupart des
sociétés appartenaient à l’État dans pratiquement
tous les secteurs.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international sont principalement à l’origine de cette motivation. Ces institutions créées par les accords de Bretton
Woods sont à l’origine d’une stratégie de réduction de
la pauvreté par la vente des entreprises publiques inefficaces. Elles sont convaincues que ces entreprises
souvent criblées de dettes et mal gérées revivront
grâce aux sociétés dynamiques qui leur apporteront les
compétences étrangères et les investissements en
argent frais indispensables. Les résultats sont variés et
ne sont pas toujours populaires dans certains pays, en
Afrique du Sud notamment, où ce processus fait l’objet d’un débat national.
En 1990, la Côte d’Ivoire a été le premier pays à
privatiser un service public clé. Sa compagnie d’électricité appartient aujourd’hui à un consortium d’États,
Saur, groupe français de gestion des eaux, Électricité
de France, fournisseur d’électricité, et des investisseurs
privés. Ce consortium détient une concession sur 15 ans
pour faire fonctionner les systèmes de transmission et
de distribution. Depuis la privatisation, le nombre
d’abonnés a doublé. Il est passé de 400 000 en 1991 à
750 000 en 2001, avec le maintien des tarifs à un
niveau raisonnable.
Cependant, au Ghana voisin, l’expérience de la privatisation est controversée dans le secteur de l’eau.
L’agitation sociale a éclaté à la suite des prévisions
d’augmentation de 10 à 15 % des tarifs tous les mois.
En 2005, le Ghana a entamé une privatisation partielle
de sa compagnie déficitaire des eaux, avec un prêt de
82 millions d’euros de la Banque mondiale.
Au Gabon, la privatisation est depuis dix ans au cœur
de la politique économique et personne ne réclame un
retour en arrière. Depuis 1996, date à laquelle le plan
de dessaisissement a démarré avec le soutien de la
Banque mondiale et du FMI, le paysage économique a
changé radicalement. Le secteur public a perdu une
ÉCONOMIE
«
»
Sur cette double
page, dans le sens
des aiguilles d’une
montre : les
partenariats
entre le public
et le privé vont
dynamiser le
secteur hôtelier
au Gabon ; le
ministère gabonais
de l’Économie,
des Finances, du
Budget et de la
Privatisation ;
d’ici 2010, la
nouvelle société
d’exploitation du
Transgabonais va
investir 76 millions
d’euros dans la
ligne de chemin
de fer ; la poste
gabonaise est
en pleine restructuration ; aujourd’hui immobilisée,
Air Gabon espère
reprendre ses vols
avec l’aide de
Royal Air Maroc.
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SARAH MONAGHAN, PHILIPPE GSTALDER
DEPUIS DIX ANS, LA PRIVATISATION EST AU
CŒUR DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE.
LES FINANCES REPOSENT SUR UNE BASE SOLIDE.
trentaine de compagnies, faisant place à de
nouvelles sociétés décidées à tirer le maximum du potentiel de l’approvisionnement en
eau, électricité, télécommunications, services
postaux et logistique. Même les hôpitaux ont
opté pour la privatisation. Les finances
publiques sont aujourd’hui plus saines et le
Gabon est capable de se rallier aux marchés
libres et de s’atteler à la réduction de la
pauvreté. Débarrassé de ses entreprises
publiques déficitaires, l’État peut désormais se
concentrer sur la réduction du chômage et la
protection des consommateurs. « Oui ! le
processus de privatisation est presque
terminé. La dernière grande entreprise sur
notre liste est Gabon Télécom », indique
Fidèle Magouangou, secrétaire du Comité de
privatisation. « L’autre projet est celui de la
poste ; il est principalement d’ordre structurel.
Tout devrait être terminé fin 2006. »
« Nous avons fait des progrès importants
depuis que le gouvernement a entrepris de se
désengager des organismes de services publics
afin de pouvoir se concentrer davantage sur
son rôle de supervision et de développement
social avec, pour priorité, la création d’une
infrastructure cruciale pour l’éducation et la
formation et d’un environnement commercial
favorable », dit Alexandre Barro Chambrier,
ministre délégué chargé de l’Économie, des
Finances, du Budget et de la Privatisation.
Le Gabon s’est dessaisi des trois quarts de
sa base de production, sans compter les
entreprises où l’État était minoritaire. En
2004, on estimait à 50 millions d’euros les
recettes des ventes, et les coûts de restructuration à 32 millions d’euros. « Cela a
entraîné des conséquences sérieuses dans le
domaine social, avec les licenciements
habituels, dus au passage des entreprises du
secteur public au secteur privé », constate
M. Magouangou. « Réinsérer les sans-travail
dans la vie active est un de nos grands défis ».
Mais le gouvernement examine la question
de près, reconnaissant que l’actif public en
question a pu être affecté par des années
d’abus, accompagnées d’un excès de maind’œuvre et d’un passif excessif – ce qui signifie que des changements désagréables iront
de pair avec la privatisation. « Les bénéfices
sont à long terme, dit M. Barro Chambrier.
Une fois recapitalisée, une entreprise stratégique redevient compétitive et peut reprendre sa politique d’embauche sur une base
plus solide. » Et d’ajouter que pour lui, le
processus de privatisation n’est pas une question de pertes et profits : « Ce n’est pas une
question d’arithmétique. La rétribution n’est
pas évidente immédiatement. »
La régulation des divers secteurs est un
défi. Les entreprises privées ont hérité de
vastes monopoles d’État dans des secteurs
clés : réseaux d’électricité et de téléphone par
exemple. Il est difficile de faire respecter les
directives régulatrices. Pour l’eau et l’électri
cité, le ministère de l’Énergie a assumé son
rôle de contrôle. « Nous avons aujourd’hui
deux agences de régulation : l’Agence de
régulation des postes (ARP) et l’Agence de
régulation des télécommunications (ARTEL),
dit M. Magouangou. M. Barro Chambrier
ajoute qu’une structure de régulation plus
vaste est en cours. « Nous voulons nous
assurer que les obligations sont respectées
par l’État et les investisseurs privés grâce à des
règles clairement définies. »
Changement radical
Dans le domaine de la privatisation, le Gabon
est un véritable novateur dans la région Subsaharienne. La première entreprise à être
cédée, a été la Société d’énergie et d’eau du
Gabon, concédée au groupe français Véolia
(anciennement Vivendi), à hauteur de 51 %
du capital. Elle a été suivie par la Société des
ciments du Gabon, vendue à la société
norvégienne, Scancem International. Puis la
Société sucrière du Haut Ogooué (SOSUHO)
est allée au groupe français de boissons
gazeuses, Castel BGI en 1998. L’agroalimentaire a suivi avec la vente d’Agrogabon (huile
de palme), Hévégab (caoutchouc) et Sogabel
(élevage de bétail). Toutes trois ont été
acquises par la société belge SIAT, partenaire
clé dans le secteur agroindustriel au Nigeria et
au Kenya.
La privatisation de la compagnie Air Gabon
est sans nul doute celle qui a provoqué le plus
de remous. Elle n’a pas été couronnée de
succès comme beaucoup d’autres compagnies aériennes d’État de la région, ce qui
explique pourquoi de plus en plus d’opérateurs privés les remplacent. L’échec d’Air
Afrique résulte de son inefficacité et des problèmes de concurrence entre États actionnaires. Cela dit, les compagnies nationales
South African Airways, Kenya Airways,
Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc (RAM),
Egypt Air et Air Mauritius enregistrent de gros
bénéfices grâce à une économie prospère, un
tourisme fort et de solides accords commerciaux. Virgin Nigeria a succédé à la compagnie
nationale nigériane défunte, 49 % des parts
sont détenus par le groupe britannique Virgin
et 51 % par des investisseurs nigérians qui
recherchent l’image jeune des autres compagnies du groupe Virgin.
En 2002, l’État est devenu le seul actionnaire d’Air Gabon, après qu’Air France eut
décidé de reprendre ses 20 %. Lufthansa
Consulting est venu à bord, pour faire l’audit
de la compagnie et offrir des conseils techniques sur le processus de restructuration,
mais Air Gabon a disparu en février 2006, à
cause des pertes de fonctionnement et du
manque de vols intérieurs. L’État a repris
l’espoir de créer une compagnie nationale
avec une plate-forme de correspondances en
Europe, à Dubaï et en Afrique du Sud. L’espoir
a rejailli début 2006, avec l’annonce que RAM
reprendrait la direction de la société rebaptisée Air Gabon International, avec 51 % des
parts. Le gouvernement gabonais a voulu
suivre le succès de RAM en 2001, avec sa
prise de participation à 51 % d’Air Sénégal,
RAM est devenue l’une des principales
compagnies aériennes de la région.
L’amitié entre le président gabonais, sa
famille et la famille royale marocaine était le
catalyseur dans cette offre de rachat.
Cependant, les négociations semblent être au
point mort pour le moment. « C’est aux
Marocains de nous dire s’ils sont toujours
intéressés car nous sommes déjà en retard sur
le calendrier », a dit M. Barro Chambrier.
Le secteur des télécommunications en
Afrique est devenu depuis peu la cible de la
privatisation, en raison de la demande croissante en téléphonie mobile et en services
Internet. Dans sa recherche d’acquéreurs
pour Gabon Télécom, le gouvernement tient
à trouver un opérateur réputé dans la technologie et avec assez de capitaux pour une
GABON . HIVER 2006 15
➔
ÉCONOMIE
sont essentiels en matière de logistique
transatlantique pour en assurer l’exportation.
« Les ports maritimes sont un sujet sensible,
dit M. Barro Chambrier. Nous avons une
façade maritime très importante avec les
ports en eaux profondes de Libreville et de
Port-Gentil et la possibilité d’un port à sec à
Franceville. » Une offre de concession pour
l’organisme portuaire, la Société des ports et
rades du Gabon (OPRAG), a été rendue
publique en 2003. Elle a été remportée par
Progosa Investment, un conglomérat espagnol.
Rebaptisée SIGEPRAG, la société a débuté son
activité commerciale dans les ports de Libreville
et de Port-Gentil en 2004 avec une concession
de 25 ans. Les investisseurs ont promis d’engager 82 millions d’euros dans ces ports au
cours des 15 prochaines années.
Les partenariats Public-Privé (PPP) semblent
être la solution pour remédier à l’inefficacité
acquisition dans le secteur des télécommunications où le Gabon a un avantage comparatif. La compagnie possède à 100 % la filiale
Libertis, qui assure 40 % de la téléphonie
mobile au Gabon. Un appel d’offres à hauteur
de 50 % a été lancé en octobre 2004, sous
réserve que le monopole de Gabon Télécom
dans les lignes fixes reste en place pour cinq
ans supplémentaires. Sous la recommandation du FMI, le gouvernement a toutefois
décidé de relever à 51 % la prise de participation, la banque HSBC gère les transactions.
« On ne prend pas la privatisation d’un
secteur clé à la légère. L’intention du
gouvernement est d’obtenir la meilleure offre
qui renforcera le rôle des capitaux privés », a
déclaré M. Barro Chambrier .
GETTY
En route pour le progrès
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GABON . HIVER 2006
En ce qui concerne le Transgabonais, le tout
puissant chemin de fer national du Gabon, la
Société d’exploitation du Transgabonais
(SETRAG), filiale de la compagnie minière
gabonaise COMILOG, a obtenu en 2005 une
concession de 30 ans. Elle s’est déjà engagée à
investir 76 millions d’euros entre aujourd’hui et
2010 pour remplacer les voies ferrées, construire de nouvelles gares, et former le personnel. Ce réseau de plus de 800 km de rails est
l’épine dorsale du pays. Construit en 1973, il
relie Libreville à Franceville et transporte
marchandises (pétrole, manganèse, bois de
construction) et passagers. La nouvelle direction est déjà rentable avec des résultats qui ont
augmenté de 4 % entre 2005 et 2006. « Notre
société tient la route jusque-là… Le bilan est
globalement positif », a déclaré Marcel Abéké,
directeur général de SETRAG.
Les exportations de pétrole, de minerais et
de bois d’œuvre engendrent la plus grosse
part du PIB gabonnais et des ports compétitifs
d’utiliser les compétences des deux sociétés.
Elle a établi un accord particulier, permettant à
Hospitalia-Vamed, responsable des soins de
santé et de la gestion hospitalière, de travailler
avec la SOGEC, dont les compétences concernent la maintenance hospitalière, avec un
contrat de cinq ans qui a démarré en 2004.
Globalement, La privatisation a pu engendrer des douleurs de croissance (qui
perdurent), mais les résultats qui commencent
à se faire sentir sont très positifs. Il en résulte
une économie ouverte et libérale plus apte à
répondre à la demande occasionnée par les
tendances de la mondialisation. « Nous devons
ouvrir nos marchés aux capitaux étrangers
parce que c’est comme cela que cela fonctionne, affirme M. Barro Chambrier.
C’est la véritable économie mondiale. »
Paul de Zardain
LES TURBINES TOURNENT
L
A SOCIÉTÉ d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG), privatisée en
1997, est une grande réussite. La SEEG était une société de
services déficitaire dans les années 90 et un casse-tête pour
le gouvernement central. Elle a été vendue en juin 1997 à la
Compagnie générale des eaux Vivendi, groupe français appelé
aujourd’hui Véolia. Les investisseurs français ont reçu 51 % des
parts et, en échange, ils se sont engagés à investir 457 millions
d’euros sur 20 ans et à électrifier 21 nouveaux secteurs. Dans les
clauses du contrat, Véolia s’engageait aussi à apporter l’eau
potable dans 30 villes et villages nouveaux et d’effectuer une
baisse de 17,5 % des tarifs. Pour protéger les intérêts de la nation,
l’État restait minoritaire. La concession de Véolia prend fin en
2017.
D’après un rapport ministériel : Privatisation dans la Zone
Franc, publié à Libreville en avril 2006, les résultats 9 ans plus tard
sont très satisfaisants. Plus de 80 % du Gabon ont accès à l’électricité générée par des stations thermiques et hydroélectriques
(le potentiel hydroélectrique du Gabon est un des plus élevé en
Afrique). En janvier 2005, les tarifs pour l’eau et l’électricité
étaient toujours inférieurs aux tarifs de 1997, avant la privatisation de la SEEG. La SEEG a financé plus de la moitié des investissements dans l’infrastructure avec ses propres fonds ; il est clair
qu’au Gabon où 48 % des zones isolées n’ont pas accès à l’eau
potable, la base de clients va continuer de s’étendre. En 2005, le
nombre d’abonnés à l’électricité a augmenté de 54 % pour passer
à 150 000.
Quant à ses compétences, la direction de la SEEG est au top
niveau : la société respecte ses engagements vis-à-vis des consommateurs et dans son comportement sur le plan social. Elle a
instauré un système d’enquête pour améliorer ses services et elle
effectue des campagnes de prévention contre le VIH-SIDA. Tout
cela s’est traduit par de résultats remarquables sur le marché des
capitaux et il n’est pas surprenant que, lorsque la société a été
cotée en bourse en 1997, les investisseurs gabonais aient souscrit
une fois et demi de plus. Pour la période allant de 1998 à 2004
l’action a rapporté 22 % et sa valeur en bourse a augmenté en
raison de ses résultats performants depuis le début.
Vraiment des résultats très encourageants…
SARAH MONAGHAN
Sur cette page,
de gauche à droite
: de solides
fondations – la
compagnie
gabonaise de
production de
ciment a été
vendue au groupe
norvégien Scancem
International ;
sucre produit
par la Société
sucrière du Haut
Ogooué (SOSUHO)
achetée par le
producteur français
de boissons
gazeuses Castel
BGI, qui satisfait
aujourd’hui 98 %
de la demande
gabonaise ; les
ports en eaux
profondes de
Libreville et PortGentil sont dirigés
par Progosa
Investment, un
conglomérat
espagnol ayant
des intérêts dans
les ports de
plusieurs pays
africains voisins.
hôtelière au Gabon. Des chaînes internationales pourraient prendre la direction des
opérations dans trois hôtels phares de la capitale qui appartiennent à l’heure actuelle à
l’État. Le Novotel Rapontchombo de 137
chambres sera mis sous la direction du groupe
international Accor, tandis que le Méridien Re
N’Dama de 250 chambres et l’Intercontinental
Okoumé Palace de 300 chambres attendent
toujours des offres. La rentabilité déterminera
quels hôtels continueront de fonctionner.
Le système de santé passe aussi dans le
privé. La Caisse nationale de Sécurité sociale
gabonaise (CNSS) a également lancé un appel
d’offres international pour tenter de réduire
ses dettes entraînées par les coûts de fonctionnement de trois grands hôpitaux. Le groupe
allemand Hospitalia-Vamed a fait une offre
ainsi que la SOGEC, filiale du groupe français
Bouygues, si bien que la CNSS a décidé
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