À la Cour provinciale de l`Alberta

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À la Cour provinciale de l`Alberta
À la Cour provinciale de l’Alberta
Date: 20080702
Dossier: 040241291P1
Greffe: Edmonton
Sa Majesté la Reine
-etGilles Caron
Décision de l’honorable juge L.J. Wenden
L’accusation – La contestation constitutionnelle – Les revendications
[1]
L’accusé Gilles Caron est inculpé d’avoir violé un règlement visant le Code de la route.
[2]
La poursuite a présenté un exposé conjoint de faits que M. Caron a accepté. Les faits sont
suffisants pour prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de M. Caron.
[3]
Pour se défendre contre ces accusations, il a signifié un avis constitutionnel alléguant que
la loi pertinente n’était pas publiée en français et que ses droits constitutionnels avaient été
violés.
[4]
Il demande les mesures de redressement suivantes :
« (i) une déclaration en vertu de l’article 52 de la Loi Constitutionnelle de 1982
[l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch.11 (R.-U.)], que ladite Loi
linguistique de l’Alberta, dans la mesure où elle abolit ou diminue des droits
linguistiques qui étaient en vigueur en Alberta avant son adoption, en vertu de
l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest 1875, tel qu’amendée, est
incompatible avec la Constitution du Canada et est inopérante.
(ii) une ordonnance en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte que les
accusations contre l’accusé Gilles Caron soient radiées.
(iii) une déclaration en vertu de l’article 52 que la Législature de la province de
l’Alberta doit adopter en français et faire sanctionner toutes les lois et règlements
2008 ABPC 232 (CanLII)
Citation: R. v. Caron, 2008 ABPC 232
Référence: R. c. Caron, 2008 ABPC 232
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(iv) une déclaration en vertu de l’article 52 que toute personne à un droit
constitutionnellement garanti à des procédures en français comme en anglais en
matière pénale et civile devant tous les tribunaux de la province de l’Alberta y
compris le droit de déposer tous les documents et formulaires en français et
d’être entendu et compris en français par les tribunaux sans interprète. »
(Avis de question constitutionnelle, 15 juillet 2005)
Contexte :
[5]
Le procès représente une contestation constitutionnelle qui cible La Loi linguistique de
l’Alberta de 1988. L’Alberta a contesté d’une façon vigoureuse les redressements demandés.
[6]
Au commencement, M. Caron a fait valoir pour sa défense que ses droits constitutionnels
avaient été violés parce que la loi qu’il enfreignait n’était pas publiée en français. Il a averti le
greffier de sa défense. Il a envoyé une lettre le 4 décembre 2004 dans laquelle on pouvait lire :
« I wish to have a trial in French…. I will also plead to the effect that this ticket is
invalid as it is not in both official language of Canada. Therefore my
constitutional right are denied and Edmonton or Alberta has no right to withstand
themselves of that law.
Gilles Caron
4th December 2004 »
(Pièce 2)
[7]
Au commencement, M. Caron a éprouvé de la difficulté à obtenir son procès en français,
mais ceci n’était pas insurmontable et découlait du fait que le procureur n’était pas au courant de
la politique de la Cour provinciale de l’Alberta qui accorde un procès en français si un plaideur
le demande. À ce moment, M. Caron n’avait pas d’avocat. Par la suite, il a embauché Me
Baudais.
[8]
Toutes les procédures nécessaires pour fixer la date du procès se sont déroulées en
français. À ce moment, la Couronne était représentée par un procureur bilingue du bureau du
procureur d’Edmonton. La durée prévue pour le procès avait été fixée à cinq jours au mois
d’octobre 2005.
[9]
Quelques semaines avant le commencement du procès, le gouvernement a demandé à ce
qu’il y ait un ajournement pour pouvoir embaucher un avocat francophone. L’ajournement a été
accordé et la date du procès fixée à mars 2006. L’Alberta n’a pas embauché d’avocat avant la
mi-février 2006.
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de la Province de l’Alberta commençant par ceux requis par Gilles Caron pour
ce procès : Traffic Safety Act; Use of Highways and Rules of the Road
Regulations; Provincial Court Act; Constitutional Notice Regulation A.R. 102/99.
[10] Un problème s’est immédiatement posé relativement à la requête de l’Alberta en vue
d’obtenir les sommaires des experts de la défense. L’avocate de l’Alberta voulait les obtenir et
désirait également bénéficier d’un ajournement de plusieurs mois pour que les experts de
l’Alberta aient le temps d’étudier les sommaires. Ceux-ci ont été fournis, mais la demande
d’ajournement de plusieurs mois a été rejetée.
[11] Il n’a pas été contesté que l’Alberta n’avait pas de sommaires d’expert à échanger. La
défense n’a pas reçu les sommaires des témoignages des experts de l’Alberta avant le mois
d’août 2006.
Le procès :
[12] Le procès a débuté le 1er mars 2006. La Couronne a présenté un exposé conjoint des faits
et la preuve de la Couronne ayant trait à la violation a été close.
[13] L’accusé a présenté sa défense. Le témoignage de tous les témoins de la défense a été
conclu le 15 mars 2006 et la preuve de la défense a été close. À ce moment, il ne restait plus de
temps pour poursuivre le procès et la Cour a dû fixer la date du 23 octobre 2006 pour la reprise
du procès.
[14] Le procès a totalisé quatre-vingt neuf jours étalés sur plusieurs périodes. Au total, douze
témoins ont témoigné. Il y a eu huit experts, cinq présentés par la défense et trois présentés par
l’Alberta. Les domaines d’expertise étaient l’histoire, la sociologie, la sociolinguistique et les
sciences politiques.
[15] Quatre citoyens ont témoigné, l’accusé et trois autres. Leurs témoignages visaient les
difficultés qu’ils ont éprouvées à pouvoir « vivre en français ».
[16] Il y a 9 164 pages de transcription. Quatre-vingts treize pièces à conviction, toutes des
documents, ont été déposées au dossier. Les documents qui ont été déposés et utilisés par les
historiens provenaient des archives ou des extraits de livres ou d’écrits d’autres experts.
[17] Les autres experts ont déposé des livres ou des articles de journaux professionnels pour
appuyer leur thèse. L’authenticité des documents ayant été déposés par les experts n’a jamais été
mise en doute.
[18] La pratique adoptée durant le procès consistait à ce que les experts déposent au dossier
leurs sommaires et les documents à l’appui de leur thèse. Les sommaires ainsi que les documents
ont été utilisés par les témoins et les avocats pendant qu’ils témoignaient.
[19] Dans ce contexte, en rédigeant ma décision, j’ai utilisé non seulement les données des
experts, mais aussi d’autres documents dont ont été tirés les éléments développés par les experts.
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[21] Le procès s’est déroulé entièrement en français, à l’exception des intervenants qui étaient
unilingues, dont le témoignage était traduit simultanément en français.
[22] Plusieurs requêtes ont été déposées par les deux avocats pendant le procès. Toutes les
plaidoiries écrites et les décisions prises par la Cour l’ont été en français. Les appels qui ont été
interjetés devant la Cour du Banc de la Reine ont été effectués entièrement en français.
[23] La défense a présenté ses experts qui ont donné leur opinion relative aux événements
historiques sur lesquels reposait sa thèse.
[24] La stratégie de l’Alberta consistait à ce qu’aucun de ses experts ne présente un avis
indépendant confirmé par des recherches indépendantes. Cette position a été annoncée au
commencement du procès et a été réaffirmée à maintes reprises pendant le procès.
[25]
L’avocate pour l’Alberta a déclaré :
« Maintenant la province de l’Alberta, dans ce cas, a préparé une réponse à la
contestation constitutionnelle et les témoins experts ont préparé leur réponse
spécifiquement par rapport à la preuve, et la théorie de la cause soumise de la
part de monsieur Caron via ou par ses… témoins experts. »
(Transcription, page 4779, lignes 20-26)
[26] Pendant son contre-interrogatoire, l’expert de l’Alberta a répondu à plusieurs reprises que
l’expert de la défense n’a pas témoigné à propos d’un tel sujet.
[27] Me Baudais a posé une question concernant l’ampleur de la recherche accomplie par
l’expert de l’Alberta en préparation de son témoignage :
« Est-ce que vous avez découvert des choses nouvelles, selon vous?
PROF. MUNRO: Mais parce que ce n'était pas la recherche comme telle.
C'était... j'avais besoin de répondre à quelqu'un.
Ainsi, la recherche que j'ai fait, c'est de répondre à quelqu'un; ce n'est pas de
commencer et pousser et ouvrir d'autres portes. »
(Transcription, page 4779, lignes 20-26).
[28] L’Alberta a pu faire cela parce qu’il n’y avait aucun fardeau de preuve. En outre,
l’Alberta a disposé du témoignage des experts de la défense pendant plusieurs mois. Par
conséquent, ses experts ont pu préparer un témoignage pointu et préparer leurs sommaires.
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[20] À titre d’exemple, les avocats ont utilisé pour appuyer leur thèse le livre de George
Stanley, The birth of Western Canada. Je l’ai utilisé pour d’autres motifs.
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[29] Toute la preuve présentée par la défense avait trait aux événements qui ont eu lieu dans la
colonie de la rivière Rouge avant le transfert et ceux qui se sont produits dans les Territoires du
Nord-Ouest après le transfert au Canada.
[30] L’Alberta fait valoir que toute la preuve historique a été examinée à fond dans les arrêts
R. c. Mercure [1988] 1 R.C.S. 234, R. v. Pacquette, (1987) 38 C.C.C. (3d), et R. v. Lefebvre
(1993) A.J. 94. En outre, l’Alberta cite la décision de R. c. Rottiers [1995] S.J. 468 (Sask. Q.B.)
et [1995] S.J. No. 421 (Sask. C.A.), pour justifier sa position selon laquelle l’arrêt Mercure
interdit le témoignage historique.
[31] J’ai lu toutes les décisions évoquées par l’avocate de l’Alberta. Dans l’arrêt Mercure, le
juge La Forest a mentionné brièvement l’histoire de l’époque. Dans les causes Pacquette et
Lefebvre, il s’agissait de l’histoire législative des sections examinées. Aucun de ces jugements ne
contient la quantité de détails historiques qui ont été soulevés dans le cadre de notre procès.
[32] Dans R. c. Mercure, le juge Estey a examiné les problèmes qui peuvent être soulevés
quand il y a une contestation constitutionnelle qui n’est pas fondée sur une source de preuves
suffisante. À son avis, c’est nécessaire qu’il y ait aussi une preuve historique valide :
« 96 On constatera qu'une instance qui a débuté sous la forme de procédures
quasi criminelles devant une cour provinciale en vertu d'une loi provinciale s'est
progressivement transformée en action visant à obtenir un jugement déclaratoire
ou en renvoi informel visant à obtenir le même résultat que si le renvoi avait été
en fait présenté à cette fin en vertu d'une loi provinciale ou fédérale. C'est une
caractéristique malheureuse de ce genre de litige dont sont saisis les tribunaux de
nos jours, que le dossier des faits sur lequel la dernière procédure est fondée est,
au mieux, une source insuffisante de preuves ou de renseignements à partir
desquels cette Cour doit dégager les questions soulevées en définitive par des
parties en reprise d'instance, et rendre un jugement final en réponse à ces
questions tardives mais très importantes. La doctrine de la chose jugée devient
d'application incertaine dans de telles procédures.
…
147 Depuis que j'ai rédigé les présents motifs de jugement, j'ai eu l'occasion de
prendre connaissance de ceux de mon collègue le juge La Forest qui fait
référence à des sources historiques. On ne trouve pas ces opinions et
commentaires historiques dans le dossier dont la Cour est saisie. Les tribunaux,
particulièrement ceux du deuxième degré de juridiction d'appel, ne sont pas
autorisés à juger des questions historiques et ils n'ont pas les compétences
requises pour le faire. Les textes et les ouvrages qui traitent d'histoire locale se
contredisent parfois. Certains se limitent aux faits, d'autres formulent des
hypothèses et prêtent même délibérément à la controverse. Il y a rarement
unanimité. Même si elles peuvent être admises à bon droit à ce stade des
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La preuve :
procédures, il reste que l'histoire des migrations et la documentation
démographique concernant cette époque de pionniers sont, à mon avis, rarement
précises. Sans l'admission de cette documentation par les voies de droit
conventionnelles, sa fiabilité n'est pas démontrée. Par conséquent, je vais limiter
mes motifs au dossier, aux statistiques gouvernementales fournies par les
recensements et au hansard, qui ont été produits où invoqués par les avocats des
différentes parties.
…
154 …Malgré la présence de l'art. 23 dans la loi manitobaine, un renvoi, avec
pièces à l'appui et la participation des deux paliers de gouvernement, a été
nécessaire pour en venir à un règlement constitutionnel de la question. On ne
trouve, dans le présent dossier, aucune documentation historique ou autre
produite par les autorités publiques. Le gouvernement du Canada n'a pas
participé à l'instance. Compte tenu d'un fondement factuel très limité et d'un
fondement légal tout aussi pauvre, et en l'absence d'une disposition
constitutionnelle portant clairement sur la question maintenant soulevée, il est
extrêmement peu satisfaisant de faire d'une mesure législative concernant les
territoires du Nord-Ouest une disposition constitutionnelle touchant
fondamentalement l'organisation de ces provinces…. »
[33] Dans l’arrêt MacKay c. Manitoba [1989] 2 R.C.S. 357, le juge Cory a statué sur
l’importance fondamentale d’établir une base factuelle dans les contestations constitutionnelles.
Il a déclaré :
« 8 Les affaires relatives à la Charte porteront fréquemment sur des concepts et
des principes d'une importance fondamentale pour la société canadienne. Par
exemple, les tribunaux seront appelés à examiner des questions relatives à la
liberté de religion, à la liberté d'expression et au droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de la personne. Les décisions sur ces questions doivent être
soigneusement pesées car elles auront des incidences profondes sur la vie des
Canadiens et de tous les résidents du Canada. Compte tenu de l'importance et des
répercussions que ces décisions peuvent avoir à l'avenir, les tribunaux sont tout à
fait en droit de s'attendre et même d'exiger que l'on prépare et présente
soigneusement un fondement factuel dans la plupart des affaires relatives à la
Charte. Les faits pertinents présentés peuvent toucher une grande variété de
domaines et traiter d'aspects scientifiques, sociaux, économiques et politiques. Il
est souvent très utile pour les tribunaux de connaître l'opinion d'experts sur les
répercussions futures de la loi contestée et le résultat des décisions possibles la
concernant.
9 Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide
factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des
opinions mal motivées. La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé,
une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des
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questions relatives à la Charte. Un intimé ne peut pas, en consentant simplement
à ce que l'on se passe de contexte factuel, attendre ni exiger d'un tribunal qu'il
examine une question comme celle-ci dans un vide factuel. Les décisions relatives
à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont
été formulées par des avocats enthousiastes. »
[34] À mon avis, les deux parties on présenté assez de preuves factuelles pour répondre aux
exigences mentionnées dans Mercure et McKay.
[35] La thèse de la défense vise la preuve historique dans plusieurs domaines. Les paragraphes
deux et six du mémoire écrit de l’accusé en date du 6 juillet 2007 ne laissent aucun doute quant
au fait que la preuve historique est importante :
« 2. … Toutefois, dans ce procès l’accusé a soutenu qu’afin de décider du statut
constitutionnel de ces droits linguistiques il était important d’examiner l’origine
de ces droits et les raisons pourquoi ces droits furent inscrits à la fois dans l’art.
23 de l’Acte du Manitoba de 1870 et aussi dans l’art. 11 de la Loi sur les
Territoires du Nord-Ouest en 1876-77. »
Et :
« 6. M. Caron soutient que l’origine des droits linguistiques exprimés dans l’art.
110 est que ces droits représentent la continuité des droits qui avaient
premièrement été obtenus par les habitants francophones de l’Ouest depuis au
moins 1850, sous la gouverne par (sic) la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ces
droits avaient ensuite été reconnus comme étant des droits d’une importance
fondamentale et inscrits dans la liste des droits par une convention
constitutionnelle réunie à la Rivière Rouge en 1869-1870 pour établir les
conditions d’adhésion des territoires au Canada… »
[36] Tous les experts se sont entendus sur le fait que les domaines examinés pendant le procès
n’avaient fait l’objet d’aucune recherche approfondie.
[37] Par exemple, il n’y a pas eu de recherche concernant la langue française en tant que telle
avant 1970. Antérieurement, le français était toujours étudié dans le contexte de la religion ou de
la scolarisation.
[38] Un autre domaine n’ayant pas été examiné par les historiens est la Liste des Droits. La
liste a toujours été examinée dans le contexte des droits fonciers, des écoles confessionnelles,
etc.
[39] La Convention de 1870 n’a pas non plus été examinée en profondeur. La nature de la
convention et la portée du mandat des délégués, c’est-à-dire la question de savoir s’ils
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[40] Exception faite de la question de l’amnistie, la proclamation du 6 décembre 1869 n’a
jamais fait l’objet de recherche de la part des historiens.
[41] Par conséquent, il n’existe pas de résultats écrits de recherches, et même si les écrits des
grands historiens nous donnent le contexte et quelques détails concernant les événements, ils ne
nous procurent pas de réponses complètes aux problèmes soulevés par ce procès.
[42] Les réponses précises ont été fournies par les experts ayant témoigné. Selon le professeur
Huel, un expert quant à Louis Riel, les ouvrages des grands historiens sont d’une nature générale
et manquent de détails. En conséquence, ceci est un procès sans précédent.
[43] Dans le Proclamations Case, 77 ER 1352, (1611) 12 CoRep 74, statuant sur une cause
sans précédent, la Cour a constaté que :
« … for every precedent ought to have a commencement.
[75] To which I answered, that true it is that every precedent hath a
commencement; but when authority and precedent is wanting, there is need of
great consideration, before that anything of novelty shall be established, and to
provide that this be not against the law of the land… »
[44] En plus de la preuve historique entourant les événements qui ont précédé l’établissement
de la province du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, la défense a présenté la preuve
visant à démontrer les efforts faits pour assurer la survie de la communauté franco-albertaine.
Dans ce domaine, il y avait beaucoup de preuves disponibles et tous les experts sont d’accord sur
le fait que la communauté franco-albertaine a toujours fait des efforts pour assurer sa survie.
Témoignage relatif au contexte social :
[45] Le but du témoignage des témoins ordinaires et la preuve documentaire visaient à
démontrer les mesures que la communauté franco-albertaines a mises en oeuvre pour
sauvegarder la langue et la culture française. Les documents déposés au dossier étaient
volumineux. Leur authenticité et leur intérêt ont été acceptés sans discussion. La preuve variait
entre l’histoire de la radio francophone en Alberta et des articles de journaux concernant l’affaire
Piquette, (voir pièces 51-62). Les deux experts, c’est-à-dire le professeur Aunger et le professeur
Munro étaient du même avis. Les documents étaient des sources fiables de l’histoire de la
communauté franco-albertaine. Ils ont été largement utilisés pendant le témoignage des experts.
[46] Le professeur Munro, l’expert pour l’Alberta a admis que la communauté francoalbertaine était très impliquée dans l’enseignement du français (Transcription, pages 3116-3117,
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représentaient uniquement leurs paroisses ou les habitants de la Terre de Rupert et le NordOuest, n’a pas été examinée par les historiens.
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[47] M. Piquette a témoigné concernant ce qui s’est passé lorsqu’il a essayé de poser une
question en français à l’Assemblée législative. Le président de la chambre a interdit sa question.
À son avis, ceci était révélateur du manque d’égard du gouvernement pour la communauté
franco-albertaine. M. Bergeron a témoigné par rapport au ressentiment et à l’inquiétude que ceci
a soulevé parmi les Franco-albertains et au rassemblement qui a été organisé pour appuyer M.
Piquette.
[48] Il n’y a aucun doute que, pendant des décennies, la communauté franco-albertaine a
toujours travaillé pour la survie de sa langue et de sa culture. La lutte pour la survivance de la
langue française a été validée par les recherches du professeur Aunger qui a témoigné de
l’impact sur la communauté franco-albertaine de la dérogation de droits linguistiques depuis
1892.
[49] La compétence du professeur Denis est le rôle social du droit et des institutions
législatives et judiciaires en ce qui a trait aux minorités francophones du Canada. Il a témoigné
que le non respect des droits linguistiques a eu un impact significatif et nuisible sur la minorité
franco-albertaine. À mon avis, le fait que le professeur Fishman a contesté le témoignage du
professeur Denis ne l’a pas affaibli, parce qu’il s’agissait d’une contestation sur le plan
méthodologique. J’accepte les témoignages du professeur Denis et du professeur Aunger.
[50] Le professeur Stebbins a admis que la communauté franco-albertaine a lutté pour obtenir
des services en français. Il a donné comme exemple la lutte que la communauté a menée à
Calgary pour être capable de gérer sa scolarisation. Il a aussi admis que les efforts des bénévoles
sont nécessaires afin que la communauté progresse.
[51] Le professeur Fishman a reconnu en contre-interrogatoire que la minorité doit être
capable de fonder ses revendications sur un document quelconque (Transcription, page 5619). Il
doit y avoir une base pour justifier ses revendications.
[52] Les témoignages démontrent une continuité des efforts de la communauté francoalbertaine pour sauvegarder sa langue.
Les experts :
[53] Dans ses plaidoiries écrites, l’Alberta a soulevé l’évaluation du témoignage des experts,
ainsi que l’évaluation des experts.
[54] La compétence et les publications de tous ceux qui ont témoigné en tant qu’experts ont
été examinées durant les voir-dire qui ont eu lieu pour établir leur compétence. La preuve
démontre que chacun des experts possédait la compétence nécessaire pour témoigner comme
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lignes 25-26 et 1-8). Il a aussi admis que la communauté a lutté contre toute attente pour établir
son poste de radio.
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[55] Les experts ont témoigné pendant plusieurs jours. Je les ai observés avec soin et je les ai
écoutés attentivement. Je suis convaincu qu’ils étaient tous impartiaux. Je n’ai jamais eu le
sentiment qu’ils devenaient partisans pour ceux qui les avaient embauchés. De temps en temps,
ils ont fait preuve de passion quant à leurs opinions, mais ils n’ont jamais démontré un esprit de
parti pris. Les opinions qu’ils ont exprimées ont révélé qu’il y avait des différences doctrinales.
On s’y attendait. Mais, à mon avis, cela ne veut pas dire que les témoins ont fait preuve de
partialité.
[56]
La défense a fait témoigner cinq experts :
[57] Le professeur Aunger, titulaire d’un doctorat en sciences politiques, est expert dans le
domaine de la gouvernance linguistique au Canada et dans l’Ouest canadien, ainsi que du droit
linguistique, de la politique des langues officielles et de son impact sur la vitalité des minorités.
Il a passé trente ans à étudier les enjeux relatifs aux questions linguistiques.
[58] Le professeur Huel, titulaire d’un doctorat en histoire, est expert dans le domaine de
l'histoire de l'Ouest canadien, l'histoire des Métis, Louis Riel, l'histoire du Canada français et
l'histoire des missionnaires Oblats dans l'Ouest canadien.
[59] La professeure Champagne, titulaire d’un doctorat en histoire, est experte dans le
domaine de l'histoire du Canada français dans l'Ouest canadien, avec une spécialisation dans le
commerce des fourrures, les Autochtones, les voyageurs canadiens et les Métis, le catholicisme,
la colonisation, et le patrimoine qui est issu de la minorité franco-albertaine.
[60] Le professeur Dennis, titulaire d’un doctorat en sociologie, est expert dans le rôle social
du droit et des institutions législatives et judiciaires, y compris les origines systématiques et le
fonctionnement des désavantages sociaux et culturels subis par les minorités francophones du
Canada. Il a passé vingt ans à étudier cette question.
[61] Le professeur Landry, titulaire d’un doctorat en psychologie de l’éducation, a étudié le
bilinguisme pendant trente ans. Il est expert dans le domaine de la vitalité ethnolinguistique ainsi
que de la socialisation langagière et culturelle.
[62]
L’Alberta a fait témoigner trois experts :
[63] Le professeur Munro, titulaire d’un doctorat en histoire, est expert dans le domaine de
l’histoire des Canadiens-français et les Franco-albertains. Il a publié plusieurs œuvres concernant
les Canadiens-français.
[64] Le professeur Stebbins, titulaire d’un doctorat en sociologie, a étudié la communauté
franco-calgarienne durant plusieurs années.
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expert. Les domaines de compétence, à savoir l’histoire, les sciences politiques, la sociologie et
la sociolinguistique existent depuis plusieurs années.
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Le professeur Fishman, sociolinguiste renommé, détient un doctorat dans son domaine.
La preuve historique :
[66] L’emploi de la preuve historique n’est pas nouveau. Au fil des années, la Cour suprême
ainsi que les autres cours du Canada ont statué sur des revendications territoriales des
Autochtones. Les cours ont accepté que dans de tels procès, la preuve soit faite en utilisant des
documents qui proviennent des archives, des journaux de l’époque et du témoignage des
historiens. Alors les cours comprennent les difficultés inhérentes à une telle preuve.
[67]
Dans l’arrêt R. c. Marshall [1999] J.C.S. No. 55, le juge Binnie a dit :
« (ii) La preuve d’expert
36 Les tribunaux ont fait l’objet de certaines critiques par des historiens
professionnels qui leur reprochent une tendance occasionnelle à assembler une
version de l’histoire de type “coupé-collé”: …
37 Bien que le ton de certaines de ces critiques paraisse immodérées aux yeux de
l’historien non professionnel, la critique fondamentale, si je comprends bien, est
que le choix des faits et des citations de la part des juges ne respecte pas toujours
la norme exigée de l’historien professionnel, que l’ont dit plus nuancée. Les
experts, prétend-on, sont formés pour interpréter les divers documents historiques
avec l’avantage d’une étude approfondie de l’époque et d’une appréciation des
lacunes des diverses sources. Le droit donne à l’interprétation des événements
historiques un caractère définitif, alors que, selon l’historien professionnel, cela
n’est pas possible. Évidemment, la réalité est que les tribunaux sont saisis de
litiges dont la résolution requiert qu’ils tirent des conclusions sur certains faits
historiques. Les parties à ces litiges ne peuvent pas attendre qu’il se dégage
éventuellement un consensus stable parmi les chercheurs. Le processus judiciaire
doit faire de son mieux…. »
[68] Et dans le jugement de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. v. Marshall 2002
NSSC 57, le juge Scanlon a dit :
« 16 … there is a division of labor between historians and courts in aboriginal
rights litigation. The courts are very much dependant on the work of historians
and anthropologists and the materials presented to the court by experts working
in those areas.
...
Courts make findings of fact based on the evidence before the court. In cases
which involve historical findings of fact the court must be cautious, keeping in
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[65]
mind that the experts then before the court may not have the final word as to the
materials available to them and upon which they formulate their opinions. In that
sense findings of historical fact must be recognized as being fluid, not frozen in
time.
17 Justice must be based on truths as revealed by the evidence not as predetermined by cases that have gone before. It would be an injustice for the court
to deny a historical fact simply because a court had on a prior occasion decided
an issue based on incomplete evidence. History is not frozen in time. Historians
are constantly revisiting issues based on new discoveries. Courts do not possess
any special wisdom which allows the trier of facts to see beyond the evidence.
They rely on the expert historians and anthropologists and the limits of their
knowledge. If courts were to refuse to revisit issues based on current information
it would be to suggest that historical facts are only those as determined in a court
of law. In cases such as now before the court, time alone will reveal that courts
do not make history they only seek to find the truth and apply the law.
18 It is implicit in any decision that involves historical findings of fact, that the
finding is based on the evidence then before the court. … There is no rule of
law… which requires a court to ignore or exclude evidence so as to be consistent
with an earlier case which may have been decided on incomplete historical
evidence. No rule of law would suggest that the trier of fact must be blind as to
the evidence. If historical evidence satisfies the court that a particular historical
fact has been proven then the court must decide the issue based on the evidence
before it…. »
[69] Les universitaires ont aussi fait leurs observations. Dans Ghosts in Court: Jonathan
Belcher and the Proclamation of 1762, Eric Adams (Fall 2004) 27 Dalhousie L.J. 321, l’auteur a
dit :
« Courts are still coming to grips with the theoretical and practical dilemmas of
an historical focus in aboriginal rights litigation, including the difficulties of
navigating through hundreds, if not thousands, of archival documents and
adjudicating between the sometimes conflicting interpretation of those documents
by historical witnesses. Although in theory expert historical witnesses offer
neutral and objective historical analysis, in practical terms, litigants -- the Crown
and the aboriginal community supporting the rights claim -- hire historians who
will present an historical interpretation that accords with their particular legal
interests. Accordingly, the past that is presented in court is often contested rather
than certain, complicated rather than clear. Nevertheless, the law requires, as
Binnie J. points out, "the finding of certain historical facts. The litigating parties
cannot await the possibility of a stable academic consensus. The judicial process
must do as best it can." This, then, is the difficult, sometimes impossible, task
faced by courts: finding "historical facts" in a distant past, or as Binnie J. A. puts
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it in Marshall, seeing "through a glass, darkly." The court accomplishes this task,
for better or for worse, through analysis that is neither purely legal nor strictly
historical, but an amalgam of the two. … the interpretation of treaties and legal
instruments in aboriginal rights litigation involves a complicated and inextricable
weave of history and law. In this sui generis area of law, legal interpretation and
historical interpretation are intertwined. As a result, there is a need for
historians, and perhaps especially legal historians, to critically engage with the
historical figures, moments and legal instruments that appear in constitutional
aboriginal rights cases. »
[70] Bien que ces observations et avertissements concernant l’emploi de l’histoire aient été
émis dans le contexte de procès concernant les droits des Autochtones, on peut toutefois les
appliquer dans notre cas.
[71] Il y a beaucoup de similarités entre les causes relatives aux Autochtones et celle qui nous
occupe ici. Dans les causes autochtones, la preuve documentaire est abondante. Dans cette cause,
les experts ont fait référence aux documents.
[72] Les preuves documentaires qui ont été présentées provenaient des archives nationales,
des archives provinciales, ou bien des archives des institutions religieuses ou commerciales. Les
écrits provenaient de grands historiens ou des publications de témoins comme les professeurs
Munro, Aunger, ou bien de la recherche sur un sujet spécifique comme l’ouvrage de Marcel
Giraud sur les Métis. De plus, il y avait des copies du Hansard ayant trait aux questions en litige.
[73] Dans ce procès, M. Caron fait valoir que la proclamation du gouverneur général du 6
décembre 1869 est un document constitutionnel dans lequel ses droits linguistiques sont garantis.
La proclamation de 1763 utilisée dans des causes autochtones est un document très important.
[74] Une autre ressemblance avec ce procès et les procès concernant les Autochtones réside
dans le fait qu’une grande partie de la preuve cible la vie quotidienne des Métis.
[75] L’Alberta n’a pas présenté une théorie radicalement différente de celle de l’accusé. Mais
elle a plutôt préparé une réponse à la théorie de la cause soumise par la défense. Ce que l’Alberta
a fait consiste à identifier, selon ses experts, des aspects clés du témoignage des experts de la
défense, c’est-à-dire ces aspects qui, pris ensemble, constituent la théorie de l’accusé, et à
présenter des éléments de preuve qui affaibliraient la force probante de ces témoignages clés des
experts de la défense.
[76] L’accusé et l’Alberta ont déposé de nombreuses preuves documentaires. En évaluant la
preuve présentée pour appuyer ou pour affaiblir la thèse de l’accusé, je me suis référé aux
documents pour découvrir si la thèse ou l’antithèse étaient soutenues par la recherche. De temps
en temps il n’y avait pas de preuve suffisante pour régler la question que la cour avait à trancher.
Dans des telles situations, la cour a été obligée de combler les lacunes en cherchant des
documents supplémentaires.
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[77] La défense, dont la thèse vise les années 1846 à 1877, prétend que la langue française a
été utilisée dans les tribunaux et au sein du conseil du district d’Assiniboia durant plusieurs
années avant le transfert de la Terre de Rupert au Canada.
[78] En outre, l’emploi de la langue était bien établi et n’avait jamais été contesté. Les juges
(recorders) étaient bilingues et il y avait des jurés francophones. Le conseil du district
comprenait des conseillers francophones.
[79] Le transfert au Canada visait la Terre de Rupert et le Nord-Ouest. Les droits figurant dans
la Liste des Droits s’appliquaient aux deux territoires. La création de la province du Manitoba
n’était pas prévue.
[80] Selon la défense, les événements importants ayant eu lieu avant le transfert sont les
mémoires que les Métis francophones et les Sang-Mêlés anglophones ont envoyés au secrétaire
des Colonies en 1846, le procès Sayer en 1849, et l’emploi du français par le gouvernement du
district d’Assiniboia.
[81] En ce qui concerne le premier événement, les mémoires sont importants parce qu’ils
démontrent le commencement du pacte qui, selon la défense, s’est manifesté par la Liste des
Droits.
[82] Le second et le troisième événement, le procès Sayer et l’emploi du français par le
gouvernement sont importants parce qu’ils représentent le commencement du bilinguisme
officiel.
[83] La convention de janvier-février 1870 a eu lieu pour discuter des conditions auxquelles
les habitants de la Terre de Rupert entreraient dans la Confédération. Selon la défense, il
s’agissait d’une convention constitutionnelle au sens strict du terme. Après de nombreux débats,
une liste de droits ayant obtenue le consentement universel des délégués a été rédigée. La liste
représentait les points de vue des délégués francophones et anglophones.
[84] La question de la portée du mandat des délégués est un aspect très significatif de la thèse
de la défense, selon laquelle les délégués à la convention représentaient tous les habitants de la
Terre de Rupert et du Nord-Ouest. En outre, les négociateurs qui se sont rendus à Ottawa pour
négocier avec John A. Macdonald et George-Étienne Cartier représentaient les habitants de la
Terre de Rupert et du Nord-Ouest. Leur mandat n’était pas limité aux frontières de la colonie de
la rivière Rouge ou du district d’Assiniboia.
[85] La proclamation de 6 décembre 1869 est le point culminant de la thèse de la défense.
C’est ce document qui garantit les droits linguistiques.
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Thèse de la défense (Gilles Caron) :
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Les événements antérieurs au transfert :
[87] La colonie de la rivière Rouge était le plus grand centre de population dans la Terre de
Rupert et le Nord-Ouest. La population se composait de gens d’origine française et autochtone
(Métis) et d’origine anglaise et autochtone (Sang-Mêlés). Il y avait d’autres groupes, mais les
Métis et les Sang-Mêlés représentaient la majorité de la population.
[88] L’omniprésence du français dans la région a été reconnue par sir Georges Simpson, le
gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
[89]
Dans une lettre adressée à Adam Thom que Simpson avait rédigée le 5 janvier 1838 et
dans laquelle il lui offrait le poste de recorder, il a indiqué qu’il supposait que Thom s’exprimait
parfaitement en français qui pouvait être considéré comme la langue d’usage de la contrée :
« In saying that I should have much pleasure in recommending you to the
situation in question I presume you are qualified to express yourself with perfect
facility in the French Language as that may in a great measure be considered the
Language of the Country and without which you would not be adapted for the
situation. » (Pièce 84, T. 1, onglet 16)
[90] Les relations entre la Compagnie de la Baie d’Hudson et les Métis et les Sang-Mêlés
étaient fragiles. Le problème avait deux composantes.
[91] Premièrement, la Compagnie détenait le monopole de la traite des fourrures, l’activité
principale dans la Terre de Rupert. Deuxièmement, bien que la Compagnie ait été responsable de
gouverner la Terre de Rupert, ceci n’était pas sa raison d’être et, en conséquence, la gouvernance
ne répondait pas aux besoins du peuple.
Les mémoires de 1847 :
[92] Les Métis et les Sang-Mêlés ont essayé de résoudre leur problème avec la Compagnie en
faisant appel au secrétaire d’État pour les Colonies du Royaume-Uni.
[93] En 1847, deux mémoires ont été rédigés ; l’un en français et l’autre en anglais. Le
mémoire en français était rédigé en faveur des Métis et l’autre mémoire, en anglais, en faveur
des Sang-Mêlés.
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[86] Finalement, la thèse est axée sur ce qui est devenu les Territoires du Nord-Ouest et
l’emploi du français antérieurement et postérieurement au 5 juillet 1870.
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[95] Le mémoire en anglais a été signé par les cinq hommes qui ont remis les deux mémoires
à Londres. Ces hommes étaient tous impliqués dans la vie politique de la colonie de la rivière
Rouge.
[96] Quand les mémoires sont examinés ensemble, il devient évident qu’ils exposaient les
problèmes auxquels les habitants de la Terre de Rupert faisaient face à cause du monopole dont
la compagnie jouissait dans la Terre de Rupert et le Nord-Ouest.
[97] L’expert de la défense, la professeure Champagne, fait valoir que les mémoires doivent
être lus comme s’ils constituaient un seul document. Ceux qui ont signé les mémoires, et en
particulier le mémoire en français, avaient vécu presque toute leur vie hors de la colonie et ils ont
pris leur retraite dans la colonie à l’insistance de la Compagnie.
[98] Selon Mme Champagne, les mémoires ont attiré l’attention du secrétaire d’État pour les
Colonies, qui a enquêté sur les problèmes identifiés dans les mémoires.
[99] Elle a cité London Correspondence, Inward from Eden Colville, between 1849 and 1852
dans laquelle l’auteur constate que :
« The leader who was the resolute and reserved Sinclair disposed not only like
McDermott to seek revenge, but also to defend the claims of his own people, the
Half-breeds and the Métis.
And a third leader had been added: Reverend G.A. Belcourt of the Church of Rome.
Belcourt had founded the mission to the Sauteaux at Baie St-Paul.
[…]
And for whatever his reason, Belcourt assumed the leadership of the agitated
Métis with Louis Riel and Sinclair. »
[…]
...urging them on to assert their Native rights in Rupert's Land and the Northwest.
Rights, it was asserted, which the Charter did not limit or destroy.
[…]
But he also insisted that they employ only constitutional means, and in the
circumstances to do so was a public service. »
(Transcription, pages 7514-7515, linges 2-15, 18-22, 26-27, 1-4)
[100] L’enquête a disculpé la Compagnie de toutes les accusations soulevées dans les
mémoires.
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[94] Le mémoire français comportait 977 signatures. La liste des signataires est perdue, mais
il est raisonnable de conclure qu’ils étaient des Métis étant donné que le mémoire a été rédigé en
français.
[101] L’Alberta était d’avis que chacun des mémoires devait être lu séparément. Le témoignage
de l’expert de l’Alberta, le professeur Munro ciblait presque uniquement le mémoire en français.
J’ai lu soigneusement ce qu’il a dit et ses observations sont inéluctables. Le mémoire français est
insignifiant et injustifié du point de vue historique. (Transcription, pages 2509-2511)
[102] Le mémoire en français se composait d’un préambule de trois paragraphes et de trois
points principaux.
[103] Le premier point était une plainte significative concernant le système de justice. L’expert
a fourni très peu d’analyse par rapport à ce point sauf pour mentionner que les Métis voulaient
avoir un juge qui comprenne la situation dans la colonie. (Transcription, page 2510, linges 1214)
[104] Il a seulement mentionné le second et le troisième points et n’a pas fourni d’analyse. Le
seul objectif qu’il avait au sujet des mémoires consistait à souligner que celui en français ne
visait pas les droits linguistiques. Il n’y avait aucune référence concernant l’emploi du français
ou les droits linguistiques. (Transcription, page 2510, lignes 12-14). L’expert a dit que les Métis
voulaient être plus impliqués dans le gouvernement de la colonie.
[105] La seule observation qu’il a faite à propos du mémoire en anglais était que les
mémorialistes parlaient seulement de la colonie de la rivière Rouge (« … residing in and near
the colony of the Red River … » et « … the pernicious state of public peace … particularly in
and about the colony of the Red River. ») (Pièce 89, onglet 38)
[106] L’avocate de l’Alberta lui a posé une question concernant l’importance des mémoires. Il
n’a jamais répondu. Cependant, il est clair que, selon l’opinion de l’expert de l’Alberta, les
mémoires n’ont aucune valeur. (Transcription, pages 2508 – 2514)
[107] Son témoignage s’est limité au fait que le mémoire en français ne mentionnait pas le
français et que les problèmes soulevés dans le mémoire anglais étaient limités à la colonie de la
rivière Rouge.
[108] Après avoir lu les mémoires, je suis d’accord avec les observations de la professeure
Champagne selon lesquelles ils doivent être lus comme un mémoire unique.
[109] Les mémoires ont été rédigés en collaboration et, lus ensemble, ils représentent les
revendications et les préoccupations des Métis et des Sang-Mêlés.
[110] Ceci a été reconnu par Colville quand il a dit que le dirigeant, Sinclair, un homme résolu
et réservé, était disposé à défendre les revendications de son propre peuple, les Sang-Mêlés et les
Métis : (« The leader … was the resolute and reserved Sinclair disposed … to defend the claims
of his own people, the Half-breeds and the Métis. ») (Soulignement ajouté)
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[111] Le mémoire en anglais est adressé au secrétaire d’État pour les Colonies (« The Right
Honourable Secretary of State for the Colonies ») et est décrit comme l’humble mémoire des
députés soussignés des natifs de la Terre de Rupert en Amérique du Nord (« The humble
Memorial of the undersigned Deputies from the Natives of Rupert’s Land, North America »).
[112] Au second paragraphe du mémoire se trouve une plainte concernant la dureté de
l’administration de la Compagnie de la Baie d’Hudson (« harsh administration of the Hudson’s
Bay Company ») et indiquant que le mécontentement et la misère règnent parmi les natifs de la
Terre de Rupert (« discontent and misery prevail amongst the natives of Rupert’s Land »)
(Soulignement ajouté). Ceci représente un territoire plus grand que la simple colonie de la rivière
Rouge.
[113] Les plaintes relatives aux conséquences néfastes du monopole de la Compagnie
englobent la Terre de Rupert et ne se limitent pas à la colonie de la rivière Rouge.
[114] Il y a aussi des plaintes très spécifiques :
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
(7)
La politique de la Compagnie a eu comme résultat que les Indiens ont une
existence nomade et qu’ils sont enfermés dans le paganisme le plus obscur
(« darkest heathenism »).
La Compagnie n’a pas établi une seule école, une seule église ou un seul autre
établissement destiné à la religion ou à l’instruction générale des Indiens sur
l’ensemble de ses vastes territoires (« a single Indian school, church, or other
establishment for the religious and general instruction, established by Company
throughout the whole of their extensive territories »). (Soulignement ajoutée)
La Compagnie a réintroduit la pratique de fournir de l’alcool aux Autochtones
malgré les conséquences nuisibles qu’elle n’ignorait pas.
La chasse et la trappe dans le district du Nord ont réduit le gibier à tel point
qu’une source de nourriture a presque disparu et que les gens qui habitent cette
région suivent un régime draconien de sorte que, si le gouvernement de cette
région ne fait rien pour aider les Indiens du district du Nord, il y aura une famine.
(Soulignement ajouté)
Le seul but des agents dans le pays est le plus grand profit qui peut en être tiré; ils
ne sont pas responsables devant la législature de notre pays et leurs opérations
dans la région éloignée sur laquelle s’exerce leur juridiction sont pratiquement
hors d’atteinte de l’opinion publique (« accountability to the Legislature of this
country, and as regards their operations in the distant region over which they
exercise jurisdiction, are practically beyond the reach of public opinion »)
(soulignement ajouté).
Rien n’a été fait pour développer les ressources agricoles du pays.
Les tribunaux locaux du pays (« local courts of the country ») ne rendent pas la
justice. (soulignement ajouté)
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[116] Le mémoire français se concentre sur le manque de gouvernement dans la colonie. Il
contient une plainte ayant trait aux systèmes judiciaire et administratif. Le juge et la majorité des
conseillers étaient nommés par la Compagnie. Selon les mémorialistes, la Compagnie était
toujours favorisée dans n’importe quel conflit.
[117] Les mémorialistes voulaient que la justice soit administrée par des juges de paix ou des
magistrats choisis parmi ceux qui sont respectés et que la population considère comme justes,
aidés de jurés (« justices of the peace or magistrates chosen from among those whom the people
respect and are considered just, aided by juries would be a method of justice that could serve for
some time »).
[118] L’emploi de jurys composés de Métis et de Sang-Mêlés était la pratique en ce temps-là.
Si les candidats devaient être des personnes respectées au sein de la communauté, cela impliquait
ceux qui parlaient français. À mon avis, ceci est une revendication en vue de disposer de juges
pouvant parler français. L’expert de l’Alberta a dit que la seule chose que le peuple voulait était
« [s]implement les juges qui comprennent la situation dans la colonie » (Transcription, page
2510, lignes 10-14). Je n’accepte pas cette observation. On voulait avoir des juges qui parlaient
le français.
[119] Lus ensemble, les mémoires prouvent le fait que les Métis et les Sang-Mêlés étaient
capables de travailler ensemble pour atteindre un objectif commun.
Le procès Sayer :
[120] La signification du procès Sayer a été très contestée par les parties. La défense fait valoir
que le procès implique des droits linguistiques. L’Alberta prétend que la seule affaire qui y ait
été réglée était celle du libre-échange.
Le procès Sayer – Témoignage de la défense :
[121] L’expert de la défense, le professeur Aunger, a affirmé que le procès Sayer est toujours
vu par les grands historiens dans le contexte du libre-échange. Selon lui, le procès implique
l’usage du français. D’après lui, le juge (recorder) n’a pas accordé la permission de parler
français au tribunal et cela était un enjeu du procès. Il n’a pas développé cette thèse, en disant
que Sayer était poursuivi pour avoir traité des fourrures avec les Américains.
[122] Il n’a rien évoqué eu égard à une liste de revendications qui a été présentée à la cour par
Sinclair. Son témoignage concernant les revendications des Métis a indiqué que la liste a été
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[115] À mon avis, le mémoire anglais englobe la Terre de Rupert et pas seulement la colonie de
la rivière Rouge. Il vise la condition des Indiens et des autres habitants de la Terre de Rupert à
cause du manque d’intérêt de la Compagnie.
présentée au conseil d’Assiniboia quelques jours après le procès. Selon le professeur Aunger, il y
avait trois revendications visant le français :
C
que le recorder Thom soit banni de la colonie;
C
que soient nommés des juges qui s’exprimeraient en français;
C
qu’ils aient des sièges au conseil.
[123] Il n’a jamais expliqué comment le conseil a eu connaissance des revendications des
Métis.
Le procès Sayer – Témoignage de l’Alberta :
[124] L’expert de l’Alberta a fait valoir que le procès visait uniquement le libre-échange.
Durant le procès, personne n’a mentionné le français. Il a répété ceci à plusieurs reprises.
[125] L’expert a dit que le procès visait le libre-échange avec les États-Unis et que Sayer a été
condamné parce qu’il avait vendu des fourrures aux Américains. Il a affirmé que le fils de Sayer
a témoigné pour la défense.
[126] Il ne savait pas si les membres du conseil siégeaient au procès. Il pensait que la Cour était
composée du recorder, du jury, du président du jury et de l’accusé, mais il n’en était pas tout à
fait certain.
[127] Il ne savait rien à propos du document que Sinclair avait remis au greffier pour le
présenter au recorder. À son avis, la liste des revendications dont le conseil a tenu compte par la
suite a été rédigée hors de la salle d’audience et n’a jamais été présentée à la cour.
[128] Quant aux trois revendications qui, selon le professeur Aunger, étaient des revendications
linguistiques, le professeur Munro a déclaré que la première avait une composante linguistique,
mais que, selon lui, c’était plus culturel; la seconde était linguistique, mais pas la troisième.
[129] Durant son contre-interrogatoire, il a été questionné par rapport à un livre intitulé « Four
Recorders of Rupert’s Land, par Roy St. George Stubbs, Peguis Publishing, Winnipeg,
Manitoba. »
[130] Le professeur Munro a répondu qu’il en possédait un exemplaire, et qu’à son avis c’était
une source de recherche valable. Le livre, bien documenté, fait la chronique des quatre hommes
qui ont agi en tant que recorders de la Terre de Rupert.
[131] Une partie du chapitre concernant Thom a bien expliqué le procès Sayer. Les citations
que j’utilise sont extraites de ce chapitre. L’extrait est long mais à mon avis nécessaire pour
comprendre les thèses qui ont été développées par les deux parties. L’auteur décrit ainsi les
événements du procès et ses conséquences. Sayer a comparu devant la General Quarterly Court
le 17 mai 1849. Les membres de la cour étaient le major Caldwell, gouverneur d’Assiniboia,
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« After some delay,... the trial began. Sayer was called to answer to the charge of
trading in furs in the Hudson’s Bay Company’s territories without a license.
He was being carefully guarded by a group of Metis and did not answer to his
name. Sheriff Ross stepped down from the bench to go to look for him. He
returned without Sayer. In the accused’s place, there came to the bar James
Sinclair, Peter Garrioch and several others …. Sinclair, acting as spokesman,
gave to the Clerk of the Court a paper, in which the Metis outlined their
grievances, to hand to the Governor.
Recorder Thom, who had remained calm and undismayed in the face of threats of
violence, asked Sinclair in what capacity he appeared in Court. “As Delegates of
the people,” replied Sinclair.
With admirable control and patience, Thom explained that they could not be
received in a court of law in that capacity. He referred to the Royal Charter
which gave the Hudson’s Bay Company the exclusive right of trade, and told the
so-called delegates that until this Charter was changed by an Act of Parliament
any person who engaged in private trading was transgressing the law. Sinclair
had come prepared for this argument. He stepped forward with a copy of The
Times of London for August, 1848, which contained a report which stated that
many eminent members of the House of Commons had grave doubts as to the
validity of the Charter.
After a discussion which had no fruitful results, Thom offered a compromise. He
said that the Court would permit Sinclair to represent Sayer, or that Sinclair
might sit as Foreman of the jury, with Garrioch also a member.
Sinclair left the Court and returned with Sayer. He elected to act as his
representative.
The jurors who had been sitting on the previous case were still in the box.
Sinclair objected to five of them, and to eleven others on the panel, before a jury
was finally empanelled. »
[132] Après l’audition de tous les témoins, le juge a résumé le témoignage.
« “After some time”, reads the Court record, “the jury returned with a verdict:
That Pierre Guilleaum Sayer is guilty of Trading Furs.”
Two weeks after the Sayer trial, Major Caldwell, Governor of Assiniboia, called
the Council together, “for the purpose of considering what measures ought to be
devised for the prevention of such unlawful assemblages of the people as
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Adam Thom, recorder, Alexander Ross, John Bunn et Cuthbert Grant, conseillers d’Assiniboia
et juges de paix. Le procureur était John Ballenden.
occurred (during the trial) and for the restoration of the tranquillity of the
Settlement.”
The Council agreed that the disturbance had arisen from the desire of the
Canadian and Half-Breed population to obtain the following five objects:
“1. The immediate removal of Mr. Recorder Thom from the Settlement.
“2. The conducting of all judicial business through the medium of a judge who
would address the Court in the French as well as in the English language.
“3. The rescinding of the existing law respecting all imports from the United
States of America.
“4. The infusion into the Council of Assiniboia of a certain proportion of
Canadian and Half-breed members.
“5. A free trade in furs.”
“The Council … decided that, since Thom was perfectly competent to conduct the
judicial business in French as well as in English, he should retain his office.”
The wording of the second of the five objects desired by the colonists at Red River
is significant. It makes use of the word “would” and not “could” address the
Court in French.
It was generally understood in the colony that Thom could not speak French. For
example, Alexander Ross, who sat with him day after day, on the General
Quarterly Court, says categorically: “Others, again, objected to Mr. Thom on the
ground that he could not speak French, which, nevertheless, was the language
spoken by the majority of the population.”
It appears from the minute of the Council Meeting, held after the Sayer trial, that
Thom could speak French.
“With respect to the second (object),” read these minutes, “that Mr. Thom having
at the commencement of the proceedings, expressed his willingness, in future, to
address the Court in both languages, in all cases involving either Canadian or
Half-breed interests, such a line of procedure should be hereafter adopted. »
(Four Recorders of Rupert’s Land, p. 27-31)
[133] Les membres du conseil étaient ceux qui avaient siégé en tant que juges pendant le
procès, sauf M. Ballenden qui était le procureur au procès et John Black.
[134] D’autres auteurs ont fait des observations concernant l’affaire du document que Sinclair
avait remis au greffier. Dans le livre Substantial Justice, Law and Lawyers in Manitoba 16701970, Dale and Lee Gibson, Peguis Publishers, 1972, les auteurs observent à la page 37 :
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« He presented the Court with a document listing the grievances of the Métis and
Half-breed population. The demands included, in addition to free trade and an
end of restrictions on American imports, the appointment of Métis and Half-breed
members to the Council of Assiniboia, and the “immediate removal of Mr.
Recorder Thom from the settlement, and his replacement by someone who would
address the Court in both French and English.”
After reading the document, Adam Thom asked Sinclair in what capacity he
appeared before the Court. …Sinclair replied that he and his colleagues were
“delegates of the people,…” »
[135] Et, dans un exposé oral, le juge E.K. Williams a dit :
« James Sinclair handed a paper to the court, and after it had been read by the
members of the bench, the recorder asked him in what capacity he and his
associates appeared. The answer was, “As delegates of the people.”» (p. 51)
(Papers Read Before the Historical and Scientific Society of Manitoba, Series III,
Number 4. Edited by W. L. Morton and J. A. Jackson Advocate Printers Ltd.,
Winnipeg. 1947-48 Aspect of The Legal History of Manitoba par E. K. Williams)
[136] Dans la transcription du procès Sayer, le sténographe judiciaire a observé que James
Sinclair a tendu au greffier un document destiné au gouverneur une fois que les membres de la
magistrature l’avaient lu : (« James Sinclair handed a paper through the Clerk of the Court to
the Governor after the Members of the Bench had read the paper. ») (The Hon. Hudson’s Bay
Company v. Pierre Guilleaum Sayer; 17th May 1849).
[137] Alors, il est clair que le document contenant les revendications a été présenté à la cour
pendant le procès. À mon avis, ce qui s’est passé dans la salle d’audience après l’entrée du shérif
avec Sinclair et les autres était planifié. L’absence de Sayer a fourni l’occasion de présenter les
revendications à la cour. Il était bien connu que les membres du conseil et les membres de la
cour ne faisaient qu’un.
[138] Sinclair a dit que le groupe était composé de délégués du peuple (« delegates of the
people »). L’échange entre Thom et Sinclair pendant lequel Sinclair a produit une copie du
Times of London de 1848 où se trouvait un article qui mettait en doute la légalité de la charte que
la Compagnie de la Baie d’Hudson avait reçue est un autre indice de planification.
[139] La seule preuve directe contre Sayer fut donnée par son fils qui a dit que son père faisait
la traite des fourrures avec des Sang-Mêlés. Il n’y eut aucun témoignage concernant ni les
Américains, ni l’emploi du français dans les tribunaux.
[140] L’expert de l’Alberta a témoigné que les revendications avaient été rédigées hors de la
salle d’audience simultanément au déroulement du procès et que les revendications avaient été
présentées au conseil deux semaines plus tard. Je n’accepte pas ce témoignage. Les
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[141] Il est significatif que le sténographe judiciaire ait pris le temps de noter ce qui s’est passé
avant la comparution de Sayer. Le tout a été noté : la présentation de la liste, l’échange entre
Thom et Sinclair, l’édition du Times of London.
[142] À mon avis, ceci fait partie du procès et peut être pris en compte pour parvenir à une
décision concernant la valeur symbolique du procès Sayer. Tout a été planifié et le but était
d’obtenir certains droits, parmi lesquels celui ayant trait à un juge parlant français.
[143] Le professeur Aunger n’a jamais dit que le procès Sayer ciblait uniquement l’emploi du
français dans les tribunaux. Il a plutôt déclaré que le cas avait une composante autre
qu’économique, c’est-à-dire linguistique et le procès visait l’emploi du français devant la cour.
J’accepte cette thèse.
Juridiction de la Cour de recorder :
[144] Bien que les parties n’aient pas soulevé la juridiction de la Cour de recorder comme un
point important, celui-ci a été soulevé par l’avocat de la défense pendant le contre-interrogatoire
du professeur Munro.
[145] L’avocat a posé une question hypothétique : Si un Métis violait une des lois de la
Compagnie quand il se trouvait hors du district d’Assiniboia, la Cour possédait-elle la juridiction
de le traduire en justice dans la Cour de recorder quand il revenait dans la colonie de la rivière
Rouge et que les autorités avaient connaissance de la violation?
[146] Le témoin a répondu qu’il n’avait aucun renseignement à ce sujet et qu’il ne savait pas ce
qui serait arrivé dans une telle situation.
[147] La réponse à la question a été donnée par sir George Simpson, gouverneur de la
Compagnie de la Baie d’Hudson, qui a témoigné en 1857 devant le Select Committee On The
Hudson’s Bay Company de la Chambre des communes (R.-U.).
[148] Le président a posé les questions suivantes :
« 1018 In what way is justice administered in that country which is under your
control? – As nearly as possible according to the laws of England; we have a
very competent legal officer, who fills the office of recorder at Red River
Settlement.
1019 Supposing an outrage takes place in a distant part of the country, what
happens? – The case would be tried probably at Red River or at Norway House.
2008 ABPC 232 (CanLII)
revendications ont été présentées à la cour au commencement du procès avant que les témoins ne
soient entendus. Une des revendications concernait un juge parlant français
…
1021 I suppose in very distant parts of the country you administer justice as best
you may? – In many instances we have brought cases to Red River, where the
parties have been regularly tried by jury. »
Et :
« 1189 Is there a recorder independent of the Governor? -- Yes
1190 At the Red River and Norway House also? – No; the recorder of Red River
goes to Norway House. »
(Minutes of Evidence Taken Before the Select Committee on the Hudson’s Bay
Company, pages 59 et 66)
[149] Dans le livre Four Recorders of Rupert’s Land, l’auteur Stubbs a donné plusieurs
exemples de ce que Simpson a dit. À la page 12, il dit qu’Adam Thom interprétait sa juridiction
de la façon la plus libérale et la plus étendue : (« Adam Thom took the most liberal and extended
view of his jurisdiction ... »)
[150] En 1848, Thom a rédigé une décision dans laquelle il a statué que la Cour avait
juridiction concernant un meurtre commis par James Caulder dans le district de rivière de la
Paix. La décision a été approuvée par le juge Killam dans le cas Sinclair v. Mulligan.
(Four Recorders of Rupert’s Land, p. 13)
[151] Un autre exemple de l’étendue de la juridiction est fourni par le recorder Johnson qui a
remplacé Thom au mois de février 1854. En 1857, l’agent de Norway House avait mis en état
d’arrestation un individu qui se préparait à faire la traite des fourrures avec les Autochtones.
L’individu a été envoyé à la rivière Rouge en détention, mais le recorder l’a libéré
immédiatement. (Four Recorders of Rupert’s Land, p. 56)
[152] En 1868, le recorder John Black a siégé à Portage la Prairie, qui est situé à l’extérieur de
la colonie, pour présider à un cas d’homicide involontaire contre Alex McLean. (Four Recorders
of Rupert’s Land, p. 161)
[153] La cause McLean a été examinée dans le livre Attorney for the Frontier Enos Stutsman
de Dale Gibson, The University of Manitoba Press, 1983.
[154] L’auteur a dit qu’un jury de douze hommes a été constitué, comprenant, tel que c’était
l’usage depuis de nombreuses années dans la communauté, ses deux éléments ethniques, soit six
membres principalement francophones et six membres d’origine anglaise ou écossaise : « A
twelve-man jury was empanelled, consisting, as had been the practice for many years in the
ethnically bifurcated community, of six who were primarily French speaking, and six who had
English or Scottish backgrounds. » (page 85)
[155] Et, à la requête de l’avocat, le juge a demandé à un magistrat francophone de requérir le
retrait des membres du jury qui n’avaient pas compris les observations de l’avocat : « the
2008 ABPC 232 (CanLII)
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[156] Étant donné que certains des témoignages allaient probablement être en français, il fallut
recourir à un interprète pour ceux qui ne comprenaient pas français (« Since some of the
testimony would probably be in French » an interpreter was required « for those... who did not
understand French ») (page 86).
[157] Quand j’examine le témoignage du gouverneur Simpson et ce que les auteurs Stubbs et
Gibson ont dit, il n’y a aucune doute que selon les recorders, il avait une juridiction qui
englobait la Terre de Rupert et que, en cas de nécessité, le procès se déroulait en français.
L’emploi du français au conseil :
[158] Le français était utilisé au conseil d’Assiniboia pour publier et diffuser les ordonnances et
règlements du conseil.
[159] À une réunion du conseil, le 19 juin 1845, le compte rendu constatait :
« the publication and explanation of these resolutions are highly expedient, it is
Resolved 33rd “”…that copies in both languages be read aloud and explained at
the meetings of the General Court in November and February of each year and at
such other meetings of the same as the Governor may select for that purpose; »
(Pièce 84, T. 1, onglet 23, page 326)
[160] À une réunion du conseil, le 27 novembre 1851, Adam Thom a lu une lettre qu’il avait
rédigée l’année précédente concernant l’achat d’une presse d’imprimerie. Dans sa lettre, il a
indiqué que, comme tout devait être imprimé en français et en anglais, il était nécessaire d’avoir
des accents et des cédilles.
[…]
« 6 As everything must be printed in French as well as English, we require a
supply of accents and cedillas […]
7 With reference to the use of two languages, we need as many capitals of the size
aforesaid of “Amazon” over and above those required in my fourth entry as may
express “Rivière Rouge” and “District d’Assiniboine.” »
(Pièce 84, T. 1, onglet 24, pages 367-368)
[161] Dans un rapport envoyé au gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson, à Londres,
concernant les lois que le gouverneur et le conseil d’Assiniboia avaient adoptées le 13 juillet
1852, le conseil a insisté sur le fait que les lois étaient en anglais et en français. (Pièce 84, T. 1,
onglet 25, page 1317)
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judge… asked a French-speaking magistrate to request any members of the jury who had not
understood the lawyer’s remarks to withdraw. »
Page: 27
[163] La totalité de cette preuve me convainc que l’emploi du français dans les affaires du
conseil et dans les tribunaux était accepté et que le français avait la même position que l’anglais
dans ces domaines.
[164] Le terme « langue officielle » a été utilisé par le professeur Aunger pour décrire le statut
de la langue française dans le conseil d’Assiniboia et dans les tribunaux.
[165] Dans le contre-interrogatoire du professeur Munro, l’avocat de la défense a suggéré ce
qui suit comme définition de « langue officielle » :
« The term "official language" has been used frequently in this report and is
current in legal and political discussions of the language question in Canada. To
our knowledge it has never been properly defined. We ourselves have used the
following working definition. An official language is a language in which all or
some of the public affairs of a particular jurisdiction are or can be conducted
either by law or custom. We take public affairs to comprise the Parliamentary
and legislative process, administrative regulation, the rendering of justice, all
quasi-judicial activities and the overall day-to-day administration. »
(The Law of Languages in Canada, par Claude-Armand Sheppard, chapitre 10, The
Studies of the Royal Commission on Bilingualism and Biculturalism. (Transcription,
pages 3362-3363, lignes 14-27 et 1-12))
[166] Le professeur Munro était d’accord que, selon cette définition, le français avait un statut
officiel dans le conseil d’Assiniboia et dans les tribunaux pendant plusieurs années avant le
transfert au Canada de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest.
(Transcription, pages 3365-3370)
[167] J’accepte cette définition. Après avoir évalué la preuve, à mon avis, la langue française
avait un statut officiel dans le conseil d’Assiniboia ainsi que dans les tribunaux.
Contexte :
[168] Il est nécessaire d’avoir un contexte pour comprendre la raison pour laquelle les
conventions ont existé. La Terre de Rupert et le Nord-Ouest sont restés sous la tutelle de la
Compagnie de la Baie d’Hudson pendant des décennies.
[169] En 1868-69, la Compagnie a pris la décision de céder sa charte à la Couronne. Celle-ci
avait consenti à transférer la Terre de Rupert et le Nord-Ouest au Canada après la réalisation de
certaines conditions.
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[162] Les assignations au petit jury se faisaient en anglais et en français. Stubbs, à la page 155
de son livre, constate que les plaidoiries s’effectuaient en anglais et en français et que les jurys
étaient entièrement anglais, entièrement français ou mixtes.
[170] La colonie de la rivière Rouge se situait en Terre de Rupert. La majorité de la population
vivait dans la colonie et il n’y avait pas d’autres colonies de même dimension. C’était la
résidence du gouverneur de la colonie, où étaient situés un centre administratif de la Compagnie,
le conseil d’Assiniboia et la Cour de recorder.
[171] Dans son livre The Struggle For Responsible Government in the North-West Territories
1870-97 l’auteur Lewis Herbert Thomas constate que la colonie de la rivière Rouge était la
capitale de l’ancien empire de la traite des fourrures, dont les postes isolés étaient disséminés le
long des cours d’eaux peu fréquentés du Nord-Ouest, de la frontière internationale à l’océan
Arctique et du lac Winnipeg jusqu’aux Rocheuses : « The Red River Settlement was the
“capital” of the ancient fur trade empire, whose isolated outposts were scattered along the
lonely waterways of the North-West, from the international boundary to the Arctic Ocean and
from Lake Winnipeg to the Rockies. » (p. 21, (second edition) University of Toronto Press 1978)
[172] La colonie était le point de départ et de retour pour les Métis d’origine française et les
Sang-Mêlés anglophones qui travaillaient pour la compagnie à un titre ou un autre, faisaient la
chasse au bison ou étaient des trappeurs sur les terres qui avaient été désignées comme devant
être transférées au Canada. En réalité, la population de la colonie de la rivière Rouge était la
population de la Terre de Rupert.
[173] La décision de céder le territoire à la Couronne britannique et de le transférer au Canada
pour qu’il entre dans la Confédération avait été prise par la Compagnie de la Baie d’Hudson, le
Parlement de la Grande-Bretagne et le Parlement du Canada. Personne d’autre n’avait été
consulté.
[174] Ce manque de consultation a eu pour résultat que les habitants de la colonie de la rivière
Rouge et des environs se sont unis pour être capables de participer au transfert. À cette époque,
la population de la colonie de la rivière Rouge était composée pour moitié de Métis et pour
moitié de Sang-Mêlés.
[175] Le professeur Aunger prétend que ce sont les Métis qui ont pris la tête pour répondre à la
décision prise par le gouvernement du Canada eu égard au transfert. Leurs réponses furent
concrétisées par les deux conventions. L’une au mois de décembre 1869 et l’autre de janvier à
février 1870.
La convention de décembre 1869 :
[176] En ce qui concerne la convention de 1869, le professeur Aunger a dit que les Métis ont
envoyé un avis public aux habitants de la Terre de Rupert (« public notice to the inhabitants of
Rupert’s Land ») de la part de la population francophone de la Terre de Rupert au Conseil (« …
French speaking population of Rupert’s Land in Council ») de se joindre à eux afin d’examiner
la situation politique actuelle de notre pays et d’adopter les mesures jugées les meilleures pour
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[177] Les Sang-Mêlés ont élu et envoyé douze délégués à la convention. Parmi ces délégués, il
s’en trouvait deux qui représentaient la paroisse de Sainte-Marie et Sainte-Margaret et celle de
Sainte-Anne. Ces deux paroisses étaient hors des limites de la colonie de la rivière Rouge. (Pièce
84, T. 1, onglet 42, pages 88-91)
[178] Le journal The New Nation a dit que les délégués des paroisses anglophones ont suggéré
la modération et le recours aux modalités constitutionnelles de réparation à condition que leurs
droits en common law soient garantis («… to resort to the constitutional means of redress
providing any of their legal rights were entrenched upon ») et que les délégués anglais ont
promis de faire leurs plus grands efforts de manière constitutionnelle pour réparer les griefs
susceptibles d’être présentés par les francophones (« to use their utmost endeavors in a
constitutional manner for the redress of any grievances which the French people might happen
to labor under »). (Pièce 84, T. 1, onglet 41)
[179] Cette convention a donné naissance à la première liste de droits. Les droits linguistiques
faisaient partie des revendications. Ils exigeaient l’emploi courant des deux langues à
l’Assemblée législative ainsi que dans les tribunaux : (« the English and French languages be
common in the Legislature and the Courts, and that all Public Documents and Acts of the
Legislature be published in both languages,… ») et que les juges de la Cour suprême parlent les
deux langues : (« the Judge of the Supreme Court speak the English and French languages. »)
(Pièce 84, T. 1, onglet 45)
[180] Une note en bas de page de la Liste des Droits énonçait que tous les articles
susmentionnés avaient fait l’objet de discussions et avaient été adoptés par les représentants
francophones et anglophones sans dissension comme conditions selon lesquelles les habitants de
la Terre de Rupert entraient dans la Confédération : (« All the above Articles have been severally
discussed and adopted by the French and Eeglish (sic) Representatives without a dissenting
voice, as the conditions upon which the people of Rupert’s Land enter into Confederation. »)
(Pièce 84, T. 1, onglet 45)
La convention de janvier-février 1870 :
[181] La deuxième convention a eu lieu à Fort Garry, du 25 janvier au 10 février 1870. Il y
avait quarante délégués, vingt provenant des paroisses francophones, et vingt provenant des
paroisses anglophones. Selon l’expert de la défense, le professeur Aunger, il y avait six délégués
venant de l’extérieur du district d’Assiniboia.
[182] Il a indiqué que les délégués s’étaient réunis pour rédiger une constitution. À son avis, les
délégués ressemblaient aux pères de la Confédération. Il a également dit que George-Étienne
2008 ABPC 232 (CanLII)
l’avenir de ce dernier (« to consider the present political state of this Country, and to adopt such
measures as may be deemed best for the future welfare of the same »). L’avis datait du 5
novembre 1869. (Pièce 84, T. 1, onglet 40)
Page: 30
[183] À la convention, les délégués ont discuté des droits figurant dans la Liste des Droits. Un
des droits revendiqué concernait les droits linguistiques; c'est-à-dire le droit de parler français à
l’assemblée législative, que les débats et les ordonnances soient publiés en français comme en
anglais; que les juges de la Cour suprême soient capables de parler anglais et français.
[184] Le professeur Aunger a dit que la Liste des Droits était la preuve d’un pacte entre les
Métis francophones et les Sang-Mêlés anglophones pour assurer le bilinguisme officiel dans
l’Ouest.
[185] Selon lui, le bilinguisme officiel a été enchâssé, pour le Manitoba, par l’article 23 de la
Loi sur le Manitoba, et a été promis aux Territoires du Nord-Ouest parce que les territoires
avaient le même gouverneur que le Manitoba.
[186] Le professeur Munro, l’expert de l’Alberta, est en désaccord avec les opinions du
professeur Aunger pour plusieurs raisons.
[187] Premièrement, les discussions entre la Compagnie de la Baie d’Hudson, la Couronne
britannique et le Parlement du Canada avaient déjà eu lieu. Les conditions d’adhésion étaient
fixées et ce n’était pas possible de les changer.
[188] Un autre raison pour laquelle, selon son jugement, la conférence n’était pas une
convention constitutionnelle était un manque de discussion ou de débat sur les grandes idées. À
son avis, les délégués avaient rédigé une liste de requêtes, de concessions qu’ils voulaient
obtenir avant le transfert au Canada.
[189] Selon l’expert, pour qu’une convention soit reconnue comme une convention
constitutionnelle, il faut qu’un document soit signé. Il n’acceptait pas que la Liste des Droits, un
consensus d’opinions des délégués, puisse remplacer un document qui a été signé, même si la
liste représente les droits que les habitants voulaient voir garantis avant l’entrée dans la
Confédération. Pour l’expert de l’Alberta, il était nécessaire que les délégués signent un
document avant qu’on puisse dire que la convention était une convention constitutionnelle.
[190] Il était également en désaccord avec la thèse du professeur Aunger selon laquelle la Liste
des Droits représentait un pacte entre les deux groupes linguistiques. Premièrement, il a dit qu’il
ne savait pas ce que le mot pacte signifiait. Il a ajouté que les délégués n’étaient pas tous
d’accord concernant divers droits dans la liste et qu’il y avait de la discorde entre les
francophones et les anglophones.
[191] Il est clair qu’il y a un grand désaccord entre l’opinion de l’expert de la défense et celle
de l’expert de l’Alberta.
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Cartier avait constaté que la convention de 1870 était semblable à la convention de 1864 qui
avait donné lieu à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
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« The mass meetings of the 19th and 20th were, however, a complete vindication of
Smith’s policy … upwards of a thousand people gathered to hear what Canada
had to offer them. French métis, English half-breeds, and Scotch settlers, each
with a common interest in the welfare of the Red River Settlement, but differing in
language, education and political outlook, stood for five hours in the biting wind
and conducted their open air meeting with a respect for constitutional procedure
surprising in a frontier community. On the motion of Louis Riel, seconded by
Pierre Léveillé, Thomas Bunn, an English half-breed, was called to the chair,…
Judge Black, the Recorder of Assiniboia, was appointed secretary. »
[193] Le représentant du Canada Donald Smith a lu ses documents officiels à la foule et la
réunion a été ajournée.
« At noon the following day a still larger assembly gathered at Fort Garry to hear
the Commissioner complete the reading of his papers. …Business being resumed,
Louis Riel, seconded by A.G.B. Bannatyne, moved that twenty representatives
should be elected by the English-speaking parishes to meet twenty representatives
chosen from the French, “with the object of considering the subject of Mr.
Smith’s commission and to decide what would be best for the welfare of the
country.” Dans un discours dans The New Nation Riel a dit “ we joined in
demanding what our English fellow subjects in common with us believe to be our
just rights. I am not afraid to say ‘our’ rights for we all have rights. …Those
rights will be set forth by our representatives,… » (George Stanley, The birth of
Western Canada, University of Toronto Press, 1970 Edition, pages 92-93)
[194] L’évêque de la Terre de Rupert, l’évêque Machray, s’est adressé à la foule. The New
Nation a rapporté son discours : « The rights of all present were the same, and on all reasonable
propositions there could not be very much difference of opinion. » (Correspondence Relative to
the Recent Disturbances in the Red River Settlement. Pièce 84, T. 1, onglet 37, page 103)
[195] Le journal a aussi fait un reportage sur l’observation du président de la convention,
Thomas Bunn, selon qui, il s’agissait de la réunion la plus importante jamais organisée dans la
communauté, qu’elle concernait des intérêts vitaux et qu’il espérait que l’ordre et la bonne
humeur prévaudraient (« expressed it as his opinion that this was the most important meeting
ever held in the Settlement. The most vital interests were at stake, and he therefore hoped that
the utmost order and good humour would prevail »). (Correspondence Relative to the Recent
Disturbances in The Red River Settlement. Pièce 84, T. 1, onglet 37, page 99)
[196] Dans son livre The Struggle for Responsible Government in the North-West Territories
1870-97, l’auteur a fourni son évaluation de la convention :
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[192] Dans son livre The birth of Western Canada, l’historien George Stanley a décrit ainsi les
réunions qui avaient eu lieu les 19 et 20 janvier 1870 :
« At the mass meetings at Fort Garry on January 19 and 20, 1870, it was decided
to elect what was, in effect, a constitutional convention, which meet from January
25 to February 10 at Fort Garry. Composed of twenty English-speaking and
twenty French-speaking delegates elected by the several parishes, it was the first
truly representative body to meet in the North-West to consider political
matters. » (supra p. 40)
[197] Les débats des conventions ont été rapportés chaque jour dans The New Nation. Pour les
habitants de la colonie et des environs, ce qui se déroulait pendant la convention était très
important.
[198] Un examen des reportages qui paraissaient tous les jours dans The New Nation démontre
que le respect pour le processus constitutionnel qui fut observable durant les réunions des 19-20
janvier s’est poursuivi.
[199] La convention a débuté d’une manière très organisée et très démocratique. Un président,
un secrétaire et des interprètes ont été nommés. Les délégués se sont penchés sur le problème des
élections d’un ou deux délégués, et la question de savoir si le public devrait être admis dans la
salle où les débats avaient lieu.
[200] Après que les questions administratives ont été réglées, Donald Smith a commencé à lire
les documents qu’il avait reçus du gouvernement du Canada et qui expliquaient la politique du
gouvernement canadien concernant le transfert. C’est à ce stade qu’il a fait mention de la
proclamation du 6 décembre 1869.
[201] Le troisième jour, un délégué, M. Gunn, a suggéré qu’une nouvelle liste des droits soit
rédigée. Un comité a été nommé, comprenant trois membres Métis et trois membres Sang-Mêlés.
Deux des membres du comité étaient Louis Riel et Charles Nolin.
[202] Le comité a présenté la liste aux délégués le 29 janvier. Selon le secrétaire du comité, la
liste indiquait :
« The document was one containing a list of demands in the event of the country
entering the dominion as a Territory. »
(The New Nation, January 29th 1870, the 5th day of the convention, 10 o’clock.)
[203] Chaque revendication de la liste a été examinée et a fait l’objet de discussions. Pour
certaines des revendications, il n’y avait pas beaucoup de discussions. Pour d’autres, le débat
était long et détaillé et révélait une connaissance des procédures démocratiques et des principes
constitutionnels.
[204] Par exemple, pendant le débat concernant le droit de légiférer nonobstant le veto du
lieutenant gouverneur, il était évident que les délégués connaissaient les implications
constitutionnelles de cette revendication.
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[206] Par contre, lorsque la revendication concernant les droits linguistiques a été introduite, il
n’y eut aucun débat. Tous les délégués ont accepté les revendications linguistiques sans
discussion. Il était tenu pour acquis que les doits linguistiques étaient acceptés.
[207] Quand je considère la manière dont la convention s’est déroulée, le reportage dans The
New Nation et les observations des historiens, je suis convaincu que la convention de janvierfévrier était une convention constitutionnelle.
Listes des Droits :
[208] En fait, il y avait trois listes intitulées « Liste des Droits ».
[209] La première liste a été rédigée par la convention de 1869. Elle a été adoptée le 1er
décembre 1869. Les délégués voulaient la présenter au lieutenant-gouverneur, mais ceci n’a pas
été fait.
[210] La seconde liste était celle de la convention de janvier-février 1870. Tous les délégués
ont eu l’occasion de discuter des revendications qui apparaissaient dans la liste et ils étaient
d’accord à leur sujet.
[211] La troisième liste a été rédigée par la direction du gouvernement provisoire. La seule
différence entre cette liste et la liste rédigée par la convention était la demande d’entrée dans la
Confédération comme province ainsi qu’une demande d’amnistie.
[212] Chacune des listes est associée à un lieu spécifique.
C
C
C
C
La première Liste des Droits de 1869 regroupait les termes des habitants de la
Terre de Rupert;
La seconde Liste des Droits, rédigée par les délégués de la convention, annonçait
que la liste englobait le Nord-Ouest;
La troisième Liste des Droits, rédigée par les responsables du gouvernement
provisoire, annonçait que la liste englobait la Terre de Rupert et le Nord-Ouest.
Il n’y avait pas de liste annonçant que la Liste des Droits visait uniquement la
colonie de la rivière Rouge ou le district d’Assiniboia.
[213] L’historien Stanley a suggéré qu’il y avait une quatrième liste identique à la troisième
liste mais contenant en plus une demande pour obtenir des écoles confessionnelles.
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[205] Un autre exemple est le débat visant le droit de vote. Ce débat a démontré que les
délégués comprenaient les principes démocratiques qui étaient à la base de ce droit.
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[215] Il a accepté le fait que les délégués eux-mêmes aient utilisé le terme Liste des Droits et
que le terme soit aussi employé par des historiens. Bien qu’il soit d’accord que les revendications
linguistiques sont vraiment des droits, il constate que la liste de la convention était si
alambiquée, avec des demandes concernant des articles qui ne sont pas traditionnellement
associés à des droits, que la liste ne peut pas être reconnue comme une liste de droits.
[216] Je n’accepte pas cette opinion. Un comité spécial a été nommé par la convention pour
rédiger une autre liste. Les revendications linguistiques, c'est-à-dire une demande en vue
d’obtenir le droit de parler français à l’Assemblée législative, la publication des débats et
ordonnances en français, ainsi qu’un juge de la Cour suprême bilingue n’étaient pas les seules
revendications. Il y en avait d’autres. Elles visaient le nombre de députés qu’il devrait y avoir à
la Chambre des communes et au Sénat, le droit de vote, le service militaire, le droit de légiférer
nonobstant le véto du lieutenant-gouverneur, et la question de savoir si la Terre de Rupert et le
Nord-Ouest devaient entrer dans la Confédération comme province ou territoire, etc.
[217] Les délégués ont passé plusieurs jours à discuter de la liste. Le reportage paru dans The
New Nation révèle que les délégués savaient que les affaires dont ils discutaient auraient des
conséquences sérieuses pour l’avenir.
[218] Un des délégués était le recorder John Black, un homme avec une formation en droit.
Sans nul doute, il connaissait la différence entre des droits et des souhaits.
[219] The New Nation a parlé de déclaration des droits dans ses gros titres en décrivant la
convention comme telle : « Very Important Debates -- THE BILL OF RIGHTS »
[220] Pour accepter l’opinion de l’expert de l’Alberta, il serait nécessaire d’accepter que les
délégués à la convention se sont trompés et en réalité qu’ils ne comprenaient pas ce dont ils
discutaient.
[221] Il serait aussi nécessaire d’accepter que le Commissaire du Canada, Donald Smith, un
homme d’affaires très intelligent, s’est trompé. Il a rendu ses observations sur la Liste des Droits
qui lui ont été présentées le 7 février 1870.
[222] Il a décrit les revendications individuelles de la liste comme des articles. Selon Donald
Smith, les demandes une, sept et dix-huit étaient des articles. Il a dit de l’article sept qu’il
soulevait des considérations d’ordre constitutionnel : « This Article brings up some
constitutional considerations,…»
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[214] L’expert de l’Alberta a exprimé l’opinion selon laquelle toutes les listes qui ont été
rédigées, soit par les délégués, soit par la direction du gouvernement provisoire, ne
revendiquaient pas des droits. À son avis, il s’agissait plutôt de souhaits.
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[224] À mon avis, Smith savait que la Liste des Droits était un document légal avec des
conséquences constitutionnelles.
[225] Les historiens s’accordent sur le fait que la liste était une Liste de Droits. Aux pages 110113 de son livre The birth of Western Canada, Stanley reproduit la liste rédigée par les
responsables du gouvernement provisoire et constate que les différences essentielles existant
entre cette liste et celle adoptée par la Convention étaient la première clause, la demande pour le
statut de province et la dix-neuvième clause, la demande d’amnistie. Quant aux autres clauses,
elles étaient pour la plupart identiques à celles évoquées pour Smith (« for the most part similar
to those drawn up for Smith,… »).
[226] Et, à la page 114, il dit que, dans l’ensemble, la troisième Liste des Droits n’était pas un
document irréalisable (« on the whole the third list of rights was not an impracticable document
»). Étant donné que la population n’était pas trop répandue, il y avait des revendications
déraisonnables, mais les termes de la liste démontraient de façon étonnante la compréhension
politique de Louis Riel et de ses associés Sang-Mêlés (« nevertheless the terms of the list were
astonishing evidence of the political understanding of Louis Riel and his half-breed associates
»).
[227] Dans Manitoba: The Birth of a Province Volume 1 Manitoba Record Society
Publications 1965, à la page xiv de son avant-propos, l’auteur W.L. Morton dit que « The
debates of the Convention, and its elaboration of the second “Bill of Rights,” as the terms of
union were called, are recorded in the columns of The New Nation ».
[228] Et à la page xxv : « The legal draftsmen began putting in the terms of the “Bill of Rights”
and the agreements reached through negotiations into legal terminology as a bill to be
introduced into Parliament ».
[229] L’historien Thomas a décrit la première liste de droits comme possédant plusieurs
caractéristiques intéressantes et significatives (« exhibit(ing) several interesting and significant
features »). Il constate les influences américaine, britannique et française.
[230] À son avis, une ou deux demandes étaient étrangères aux pratiques constitutionnelles
prédominantes (« foreign to prevailing constitutional practices in Canada,… »). Néanmoins, la
première Liste des Droits était un exemple frappant du mélange des idées politiques américaines,
britanniques et candiennes-françaises (« a striking example of the mingling of American, British,
and French Canadian political ideas … ») et ses auteurs n’avaient pas à rougir d’un résultat à
l’esprit si démocratique (« its authors had no reason to be ashamed of a product so thoroughly
democratic in its spirit »). (The Struggle for Responsible Government in the North-West
Territories 1870-97 supra, page 37)
2008 ABPC 232 (CanLII)
[223] Et après avoir passé la liste en revue, il a dit avoir examiné les articles : « Having gone
through the Articles,… » (Correspondence Relative to the Recent Disturbances in the Red River
Settlement. “List of Rights.” Pièce 84, T. 1, onglet 46, pages 157-59)
[231] La Liste des Droits issue de la convention de janvier-février 1870 faisait preuve de plus
de discernement et de réalisme que la précédente et la plupart de ses conditions s’inscrivaient
dans la pensée politique britannique (« […] exhibited much greater discernment and realism
then its predecessor. American influence was less in evidence, with the result that most of the
terms were consistent with British political usage ») (page 40).
Et :
« On the whole this second List was a well-considered and reasonable
presentation of popular rights and legitimate local interests. » (page 41)
[232] Les observations des historiens sont significatives. Leurs opinions énoncent que les
Listes des Droits ont résulté d’une procédure démocratique ayant été employée pour rédiger la
Loi de 1870 sur le Manitoba. À mon avis, les revendications de la liste sont des « droits » au
sens propre du terme.
La portée du mandat des délégués :
[233] La portée du mandat des délégués a été remise en question. La défense fait valoir que le
mandat conféré aux délégués par l’électorat leur donnait l’autorité de parler au nom de tous les
habitants de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest. L’Alberta prétend que les délégués
représentaient seulement les habitants de la rivière Rouge.
[234] Les négociations entre la Compagnie de la Baie d’Hudson, le parlement du Royaume-Uni
et le parlement du Canada portaient sur le transfert de la Terre de Rupert et le Nord-Ouest. Il n’a
jamais été question que la colonie de la rivière Rouge entre dans la Confédération comme une
entité indépendante.
[235] Quand les délégués sont allés à Ottawa pour négocier, la Liste des Droits dont ils étaient
munis prévoyait que la Terre de Rupert et le Nord-Ouest entrent dans la Confédération comme la
province d’Assiniboia. Le Manitoba était un compromis.
[236] Il est important de se rappeler ce fait. Plusieurs historiens sont de l’opinion que, du fait
que le Manitoba était le résultat des négociations entre les délégués du Nord-Ouest et les
représentants du Canada, les négociations étaient dès le commencement des négociations portant
sur le Manitoba. Alors le résultat est devenu le processus, c’est-à-dire que les résultats des
négociations entre les délégués et les représentants d’Ottawa étaient le Manitoba. Ainsi, les
négociations ciblaient le Manitoba et les délégués représentaient seulement ceux qui habitaient la
région qui est devenue le Manitoba.
[237] Ce n’est pas une thèse nouvelle. Le premier ministre Wilfred Laurier a exprimé ce
sentiment durant les débats à la Chambre des communes concernant la création des provinces de
l’Alberta et de la Saskatchewan.
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[238] Il était de l’avis que les délégués qui sont allés à Ottawa représentaient uniquement les
habitants de la rivière Rouge puisque c’était la seule concentration de « blancs » dans la région
(« […] only the people of the Red River valley, because - and I submit this also as a matter of
history - there were no white people then except in the valley of the Red River. There were no
white people in the valley of the Saskatchewan. I doubt even if there were any, except a few
isolated individuals, anywhere else outside of the valley of the Red River. ») (Debates of the
House of Commons 1905, first session – tenth parliament, Vol. LXXII, colonne 8572)
[239] L’expert de l’Alberta a témoigné que les « blancs » selon Laurier étaient uniquement les
Anglais, et qu’il excluait les Français, les Métis et les Sang-Mêlés.
[240] Je fais cette observation : s’il n y avait pas d’autres « blancs » dans la Terre de Rupert
excepté ceux qui habitaient la colonie de la rivière Rouge et si, selon Laurier, uniquement les
« blancs » étaient impliqués dans les négociations, alors les habitants de la colonie de la rivière
Rouge étaient aussi les habitants de la Terre de Rupert. Et si tel est le cas, il n’y a aucune
justification pour dire que les délégués représentaient seulement les habitants de la colonie de la
rivière Rouge.
[241] Ce point de vue est renforcé par les paroles du père Ritchot, un des délégués, qui a
comparé l’acte du Manitoba avec les revendications de la liste et s’est déclaré satisfait du
résultat.
[242] C’est la thèse proposée par le professeur Munro, l’expert de l’Alberta qui a dit : « mais la
chose qui est claire, c'est que le Canada accepte l'entrée du Manitoba, c'est-à-dire le Territoire
d'Assiniboia... l'ancien territoire d'Assiniboia de la Rivière Rouge comme une province dans la
Confédération, une province bilingue, mais il n'a pas accepté le reste de la Terre de Rupert et
les Territoires du Nord-Ouest comme province, comme territoire et il n'était pas bilingue. »
(Transcription, page 3975, lignes 14-21)
[243] Le professeur Munro a témoigné que tous les délégués envoyés à la convention venaient
des paroisses situées à l’intérieur de la colonie de la rivière Rouge. Il n’y en avait pas d’autres
provenant de l’extérieur. Les colonies de Métis dans le Nord-Ouest n’ont pas envoyé de
délégués. En outre, les Métis et les Sang-Mêlés qui vivaient hors de la colonie n’avaient aucune
connaissance des événements qui se déroulaient dans la colonie de la rivière Rouge durant les
mois de décembre 1869 et janvier-février 1870.
[244] Durant le contre-interrogatoire du professeur Munro, l’avocat de la défense a suggéré
qu’avec tout le va-et-vient entre la colonie de la rivière Rouge et les autres endroits dans la Terre
de Rupert et le Nord-Ouest, les nouvelles des événements dans la colonie étaient connues.
L’expert était d’accord mais a ajouté que les habitants n’étaient pas très intéressés par les
événements se déroulant dans la colonie de la rivière Rouge.
[245] Eu égard aux documents qui portaient les termes Terre de Rupert (« Rupert’s Land ») ou
Nord-Ouest (« North-West »), l’expert de l’Alberta a dit qu’ils étaient utilisés de façon
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[246] Il a décrit un des documents du gouvernement provisoire intitulé « The Address to the
Inhabitants of the North and the North West » (7 avril 1870) comme une publicité pour le
gouvernement ayant pour but de convaincre le peuple vivant à l’extérieur de la colonie de
soutenir ce qui avait été fait par le gouvernement provisoire.
[247] La thèse de la défense prétend que les délégués parlaient au nom de tous les habitants de
la Terre de Rupert et du Nord-Ouest, et que la Liste des Droits avait la même portée.
[248] Le professeur Huel a témoigné qu’il n’a pas été effectué de recherche ciblant la question
de la portée du mandat des délégués. Les historiens ont écrit des histoires qui se sont
généralisées, mais le problème de la « portée » n’a jamais été abordé.
[249] Selon le professeur Huel, la raison pour laquelle il n’y a pas d’histoire rédigée par les
Métis eux-mêmes provient du fait qu’ils voyageaient beaucoup et qu’ils n’avaient ni le temps, ni
les outils nécessaires pour enregistrer leurs pensées. C’était plutôt une société ayant une tradition
orale.
[250] À son avis, Riel et les délégués représentaient leurs compatriotes habitant hors de la
colonie de la rivière Rouge.
[251] Premièrement, l’idée de communauté était plus importante que celle d’individu. Les
Métis agissaient collectivement et se considéraient comme un groupe distinct. Le professeur
Huel a fourni comme exemple la chasse aux bisons. Selon lui, la chasse était une réaction
communautaire à une nécessité économique. Il y a toujours eu un marché pour la nourriture.
[252] Deuxièmement, bien que les Métis voyageaient beaucoup et habitaient des endroits
comme Montagne de Bois, Batoche et Lac la Biche, ils conservaient leurs liens avec la colonie
de la rivière Rouge. Les liens étaient ceux de la famille, de la chasse et du commerce.
[253] Troisièmement, l’avènement des missionnaires a renforcé les liens entre les Métis. Les
missionnaires parlaient français et voyageaient beaucoup. Ils pouvaient emporter les nouvelles
de ce qui se passait dans la colonie. En plus, les Métis étaient habitués à partager les
renseignements et à se consulter.
[254] Quatrièmement, en 1867, les habitants de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest savaient
que le Canada voulait que les territoires soient admis dans la Confédération et ils étaient inquiets
pour leur avenir.
[255] Le professeur Huel n’est pas surpris que le soulèvement se soit produit dans la colonie.
C’était le plus grand centre de population dans la Terre de Rupert et le Nord-Ouest. À son avis,
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interchangeable avec le terme colonie de la rivière Rouge (« Red River Settlement »). Il n’y a eu
aucun document ou extrait déposé pour appuyer une telle opinion.
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[256] L’absence de délégués provenant de l’extérieur de la colonie de la rivière Rouge était due
à la difficulté de voyager. Cela prenait beaucoup de temps et était soumis aux saisons. Étant
donné que le transfert était imminent, le professeur Huel n’est pas surpris que Riel ait agi de la
manière dont il a agi. À son avis, ce dernier n’avait pas d’autre choix.
[257] Lorsque l’on examine la preuve documentaire, il devient évident que les délégués
représentaient d’autres personnes que les habitants de la colonie de la rivière Rouge.
[258] Les reportages dans The New Nation démontrent que les délégués prenaient en compte
plus que la colonie. Le mot « territoire » a été employé maintes fois pendant les débats. Les
discussions des délégués révèlent que ceux-ci connaissaient la différence et faisaient une
distinction entre la colonie de la rivière Rouge et le restant de la Terre de Rupert et du NordOuest.
[259] Par exemple : Le sixième jour de la convention (31 janvier 1870) pendant la discussion
de l’article neuf : « That while the North-West remains a Territory, the sum of $15,000 a year be
appropriated for schools, roads and bridges. »
[260] Cette question a été posée :
« Rev. Cochrane - Does that article merely refer to the Settlement or the country
in general?
Mr. Riel - The whole country. I see one objection to the adoption of the article. It
is not enough.»
[261] Le neuvième jour de la convention, le délégué Ross a constaté :
« I am certain that what I have proposed is for the benefit of the present people of
Red River. A great many of the claims we make, may, if granted, do good to the
country. But is it certain that they are all going to do good to the present
population of the Settlement? »
[262] Et pendant la discussion concernant l’article seize : « That we have 3 or 4 representatives
in the Dominion Parliament », la discussion suivante a eu lieu :
« “Mr. Ross - But I do not look on it as a question which ought to be decided
according to population. We have a vast country and are in a position to treat.
Mr. Flett - I think the country ought to have 3 or 4 members at least. The NorthWest is a rich and extensive country, and we ought to have a large representation.
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Riel était un leader né; il était scolarisé, il provenait d’une bonne famille et il pouvait exprimer
clairement le malaise des Métis.
Mr. Geo Gunn urged that in providing for the representatives of the country the
claims of the interior should not be overlooked. He pointed out that there were
considerable settlements scattered here and there, such as at White Fish Lake,
Lac La Biche, Victoria and Fort Pitt. Many freemen who lived by hunting were
settled around these parts and some one conversant with the interests of that
whole region ought to represent them. A judicious expenditure of money in roads,
etc. in these quarters, would be of great service. Mr. D. Gunn also alluded to the
fact that at Moose Factory, York Factory, Oxford House and Mackenzie’s River
were there many civilized men stationed. »
[263] Ce que les MM. Gunns ont dit est important parce qu’à mon avis c’est une preuve
convaincante que les délégués parlaient au nom de tous les habitants de la Terre de Rupert et du
Nord-Ouest.
[264] Il y a des documents qui, selon moi, rendent clair que les références à la « Terre de
Rupert » et au « Nord-Ouest » ne peuvent pas être prises comme des références à la « colonie de
la rivière Rouge » ou au « district d’Assiniboia ».
[265] Le document le plus significatif est une lettre adressée par l’archevêque Taché à
Georges-Étienne Cartier, dans laquelle il se plaint des gens qui sont censés gérer le Nord-Ouest.
Cette lettre a été rédigée le 7 octobre 1869.
[266] Il dit au commencement qu’il écrit la lettre parce que tous les administrateurs sont anglais
à l’exception d’un seul. Il est déçu qu’ils soient déjà dans la colonie.
[267] À la deuxième page, il dit que « [l]’ élément français est trop considérable dans le NordOuest pour qu’il soit juste de la représenter si faiblement. La langue française aussi »
Et :
« La langue française est non seulement la langue d’une grande partie des
habitants du N.-O. elle est de plus elle aussi langue officielle et pourtant la
plupart des membres de la nouvelle administration ne parlent pas cette langue. »
(Pièce 50)
[268] Il dit qu’il a toujours douté de l’entrée du Nord-Ouest dans la Confédération. Il en appelle
à ce que d’autres francophones-catholiques soient nommés dans l’administration.
[269] Il est très clair que la lettre vise le Nord-Ouest. La rivière Rouge est mentionnée
seulement dans le contexte du fait que les administrateurs sont déjà dans la colonie.
[270] En ce qui concerne les listes de droits, je vais répéter ce que j’ai déjà dit. La première
Liste des Droits de décembre 1869 contenait une note de bas de page annonçant que tous les
articles qui la composaient ont fait l’objet de discussions entre les délégués francophones et
anglophones, qu’ils ont été adoptés sans dissension comme conditions d’entrée des habitants de
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la Terre de Rupert dans la Confédération : (« All the above articles have been severally discussed
and adopted by the French and Eeglish (sic) Representatives without a dissenting voice, as the
conditions upon which the people of Rupert’s Land enter into Confederation. »)
[271] La seconde Liste des Droits rédigée par les délégués de la convention de janvier-février
1870 annonce l’entrée du Nord-Ouest dans la Confédération.
[272] La troisième Liste des Droits rédigée par la direction du gouvernement provisoire
annonce que la liste est [r]evendiques (sic) par le peuple de la Terre de Rupert et du NordOuest, et conditions sous lesquelles ce peuple consentirait à entrer dans la Confederation (sic)
Canadienne. (Pièce 84, T. 1, onglet 48). (soulignement ajouté)
[273] Chaque liste contenait toujours les revendications linguistiques visant l’Assemblée
législative, la publication des débats et des ordonnances, ainsi que les juges bilingues.
[274] Les demandes concernant les droits linguistiques étaient obligatoires pour les
négociateurs. (Pièce 84, onglet 53, page 475-476)
[275] Il est évident qu’il n’y a aucune mention ni de la colonie de la rivière Rouge ni du district
d’Assiniboia. Si les délégués avaient voulu que la Liste des Droits soit limitée à la colonie, on
penserait que les délégués auraient mentionné ce fait quelque part.
[276] Les documents officiels de cette époque démontrent l’emploi des trois termes, c’est-àdire colonie de la rivière Rouge, Terre de Rupert et Nord-Ouest. Cependant, si on les lit
soigneusement, il est évident que les auteurs employaient les termes géographiquement dans une
certaine mesure et non pas comme synonymes.
[277] Dans une lettre du gouverneur-général John Young à Donald Smith, il observe que :
« I learn that… you are proceeding to Red River …»
« I have sent them copies of the message received by telegraph from Her
Majesty’s Secretary of State, which forms the staple of the Proclamation I have
addressed to Her Majesty’s faithful subjects in the North-West. »
«… to act otherwise, than in perfect good faith towards the inhabitants of the Red
River and of the North-West. » (Pièce, 84, T. 1, onglet 34) (soulignement ajouté)
[278] Il n’y avait aucune confusion. La destination de Donald Smith était la rivière Rouge, les
messages étaient destinés aux gens du Nord-Ouest.
[279] À la convention, les délégués ont discuté du statut qu’ils voulaient obtenir, province ou
territoire. Riel voulait que la Terre de Rupert et le Nord-Ouest entrent dans la Confédération
comme la province d’Assiniboia, vu que comme une province contrôle les terres publiques, les
ressources naturelles resteraient sous le contrôle de la province.
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[280] Les discussions ont soulevé beaucoup d’objections. La population était insuffisante,
l’infrastructure manquait, il n’y avait pas assez de chemins ou de bâtiments publics, ni de
capacité à se procurer les fonds. Certains des délégués pensaient qu’ils devraient entrer dans la
Confédération comme territoire et, plus tard, accéder au statut de province.
[281] Personne n’a soulevé l’objection que les délégués n’avaient pas le mandat de discuter du
sujet parce que c’était hors de leur juridiction. Ils ont plutôt agi comme s’ils avaient la
juridiction.
[282] En outre, il est clair que, dans leurs discussions, ils parlaient de la Terre de Rupert et du
Nord-Ouest, et pas de la colonie de la rivière Rouge.
[283] Quand les négociateurs, le père Ritchot, le juge Black et M.Scott se sont présentés à
Ottawa pour négocier, le gouvernement ne voulait pas les reconnaître comme des délégués du
gouvernement provisoire de peur que ce soit pris comme une reconnaissance officielle du
gouvernement provisoire.
[284] L’historien W.L. Morton a observé :
« To receive the delegates as formally accredited the government had never
intended, for it had no intention of recognizing the Provisional Government. Even
to receive them openly would be much more than would be politically prudent. On
the other hand, Granville insisted that they be heard, even if only by the Governor
General. Macdonald and Cartier, the members of the Dominion Cabinet
appointed to confer with the delegates, therefore had no choice but to meet them,
(sic) They could only insist that they were delegates of the people of the North
West, not the Provisional Government. » (soulignement ajouté) (Manitoba: The
Birth Of A Province. Introduction page xxi, Volume I, Manitoba Record Society
Publications, Canada, première édition 1965)
[285] Le secrétaire d’État pour les provinces, Joseph Howe a envoyé la lettre suivante aux
délégués :
« Ottawa, April 26 th, 1870.
Gentlemen---I have to acknowledge receipt of your letter of the
22 instant, stating that as delegates from the North-West to the Government of the
Dominion of Canada, you are desirous of having an early audience with the
Government, and am to inform you in reply that the Hon. Sir John A. Macdonald
and Sir Geo. Et. Cartier have been authorized by the Government to confer with
you on the subject of your mission and will be ready to receive you at eleven
o’clock. I have the honour to be
“Gentlemen,
“Your most obdt. servant,
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“(Signed) Joseph Howe.”
“To the Revd. N. J. Ritchot, Ptr.,
“J. Black, Esq.,
Alfred Scott, Esq. »
(The birth of Western Canada, p. 118) (soulignement ajouté)
[286] Quand j’examine l’ensemble de la preuve, à mon avis, les délégués à la convention
représentaient les habitants la Terre de Rupert et du Nord-Ouest. Dans leur esprit, il n’y avait pas
de confusion avec la colonie de la rivière Rouge. Ils employaient les termes correctement. Le
gouvernement du Canada a reconnu les négociateurs comme représentant les peuples du NordOuest, une reconnaissance qui implique beaucoup plus que la colonie de la rivière Rouge.
Le pacte :
[287] Selon la thèse du professeur Aunger, la Liste des Droits représente un pacte ou une
entente entre les délégués anglophones et francophones concernant les droits linguistiques
revendiqués par ces derniers.
[288] Le pacte reconnaît le fait que les deux langues étaient employées dans les tribunaux, dans
le conseil et pour la publication des ordonnances du conseil. Le français a été employé dans les
tribunaux en 1849 et 1851 pour la publication des ordonnances.
[289] Selon le témoin, il y avait aussi un pacte entre les délégués et le gouvernement pour que
les droits linguistiques français figurant dans la Liste des Droits soient enchâssés dans la
Constitution. C’était une condition d’admission de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest dans la
Confédération. Il était entendu que les droits linguistiques s’appliqueraient à la Terre de Rupert
et au Nord-Ouest. La preuve en est que l’administration du Manitoba et des Territoires du NordOuest était conjointe.
[290] L’expert de l’Alberta est en désaccord avec cette thèse. Premièrement, il dit que le
professeur Aunger n’a pas donné de définition, donc il ne peut pas dire ce que signifie le mot
« pacte ».
[291] Deuxièmement, il a indiqué qu’il y avait désaccord entre les délégués et que, dans de
telles circonstances, ce n’était pas possible d’avoir un pacte. La troisième objection est que la
liste n’était pas une liste de droits, mais une liste de « souhaits », par conséquent il n’y avait pas
de base pour un pacte.
[292] Le dictionnaire Vocabulaire juridique, donne cette définition pour le mot « pacte » :
« Espèce de convention; terme surtout employé dans des expressions consacrées désignant des
opérations d’une certaine solennité qui, en général, établissent un ordre durable... ou engagent
gravement l’avenir. » (page 639, Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, 7e édition mise à jours
« Quadrige », 2005 juin, Presses Universitaires de France, 1987 Grands dictionnaires, Paris)
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[293] J’accepte cette définition. À mon avis, elle décrit parfaitement les réunions et les débats
de la convention qui ont produit la Liste des Droits. Les débats étaient soutenus et les objectifs
qu’ils voulaient atteindre étaient importants pour l’avenir des territoires. Il y avait beaucoup de
discussions portant sur certaines revendications et moins sur d’autres.
[294] L’importance des droits linguistiques a été reconnue par le président quand il a annoncé :
« What I apprehend our French friends peculiarly desire is assurances respecting
the cardinal points – the great principle of a full representation in the direction of
the affairs of the country, for instance, and other important points. »
(The New Nation, January 27th 1870, the 3rd day of the Convention at 4 p.m.)
[295] Quand à la discussion concernant les droits linguistiques, The New Nation écrit ce qui
suit :
« Article 13 was then put: “13. That the English and French languages be
common in the Legislature and the Courts, and that all public documents and acts
of the Legislature, be published in both languages.”
The Chairman seconded by Mr. Bunn, proposed this article, which was carried.
“14. That the Judge of the Supreme Court speaks the French and the English
languages.” – Carried. »
(The New Nation, February 1st 1870, the 7th day of the Convention at 3 p.m.)
[296] Il n’y a pas eu de discussion concernant les droits linguistiques. Personne n’a soulevé
d’objection aux deux demandes linguistiques. Il n’y avait rien de nouveau. C’était tenu pour
acquis. Les demandes reflétaient une situation qui existait depuis vingt ans.
[297] Le fait qu’il y ait eu des dissensions parmi les délégués pendant la convention n’était pas
significatif. Les Métis et les Sang-Mêlés avaient toujours coopéré. Les mémoires de 1846 et le
procès Sayer prouvent cette coopération.
[298] Les rapports entre les Métis et les Sang-Mêlés ont été soulignés durant les discussions sur
le service militaire :
« Article 12 was put from the chair:“12. That the military force required in this country be composed of natives of the
country during four years.”
Mr. Fraser – I have several objections to this article. I claim to be a native of the
country, but I have not much desire to be a soldier. Go through the length and
breadth of the Settlement and you will find the people forming a long link of
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family connection. In this state of affairs, should any disturbance arise in any part
of the Settlement, how could I feel disposed, if a military man, to fight cousins or
other relatives to the right or the left of me? How could I answer a call which
might compel me to fight my own father, brother or son? I could not do it.
Mr. Riel, in French, as translated by Mr. Ross, said – Mr. Fraser tells us that the
Settlement is related from end to end. That very fact, I say, strengthens our
present position. Had it not been for the relationship existing between the people
of this Settlement there would, in all probability, have been very serious trouble
within the last few months. The very relationship of which Mr. Fraser speaks, was
then our safeguard, and it will be our safeguard in the future.
Mr. Flett […] but for ourselves we have lived together for fifty years as brothers,
and would not like to raise our hands against each other. »
(The New Nation, February 1st 1870, the 7th day of the Convention at 10 a.m.)
[299] Et un autre délégué, M. Bunn, a dit :
« We are very much obliged to Mr. Riel. But we are very strongly opposed to
anything like a division between the French and the English people. »
(The New Nation, February 2nd 1870, the 8th day of the Convention at 3 p.m.)
[300] Pour résumer la preuve, il existait des antécédents de grande amitié entre les Métis et les
Sang-Mêlés. Ceci a été démontré durant les années par les mémoires de 1846 et l’affaire Sayer
de 1849. Les délégués l’ont expliqué lors de la convention. Il n’y a pas eu d’opposition aux
droits linguistiques. Cela était tenu pour acquis. À mon avis, la Liste des Droits représentait un
pacte entre les deux groupes, francophones et anglophones.
[301] La défense prétend qu’il y avait un pacte entre les négociateurs du Nord-Ouest et
Macdonald et Cartier, qui représentaient le Canada. La preuve selon l’expert est l’article 23 de la
Loi sur le Manitoba et le fait que l’administration du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest
était conjointe. Ceci a démontré un engagement du gouvernement du Canada de poursuivre le
bilinguisme dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le français dans les Territoires du Nord-Ouest :
[302] La défense prétend que ce n’est pas seulement les événements qui ont précédé la création
de la province du Manitoba qui sont importants pour établir les droits linguistiques. On doit
considérer aussi le reste du pays. Elle prétend que les Métis étaient bien établis dans la Terre de
Rupert et le Nord-Ouest avant 1870. Ils étaient aussi employés par la Compagnie de la Baie
d’Hudson, et parlaient le français dans leur emploi et ils servaient d’interprètes avec les
Autochtones.
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[303] La preuve concernant la présence des Métis dans le Nord-Ouest et l’emploi du français a
été donnée par la professeure Champagne. Elle a dit qu’il y avait des communautés métisses à
Lac la Biche, Rivière la Paix, St-Albert et le Petit lac des Esclaves. À son avis, il s’agissait de
communautés bien organisées et dynamiques qui avaient été fondées avant les événements de
1869-70. Elle a dit que des familles métisses comme Dumont, Brousseau, Beaulieu et Desjarlais
ont vécu à ces endroits pendant des années.
[304] Cependant, bien qu’ils aient habité le Nord-Ouest, ils n’ont pas cessé toute relation avec
la rivière Rouge. Ils continuaient à s’y rendre et les liens familiaux restaient forts. La
communauté et la famille étaient appréciées plus que l’individualité.
[305] Ceci est l’opinion du professeur Huel, un autre expert. Il a dit que les Métis voyageaient
beaucoup pour faire la chasse aux bisons, la traite des fourrures ou le commerce, et ils
hivernaient à divers endroits du Nord-Ouest. Cependant les liens communautaires restaient forts.
[306] L’appui pour les opinions de Champagne et de Huel se trouve dans l’œuvre magistrale de
Marcel Giraud, Le Métis Canadien. À mon avis, c’est une œuvre approfondie et très détaillée.
[307] Aux pages 1135-1136, il écrit :
« L’Exode vers L’Ouest
Depuis plusieurs années déjà, un lent mouvement d’immigration acheminait vers
les plaines de l’Ouest une partie de la population métisse. En dehors des départs
périodiques que déterminait l’usage de l’hivernage et qui aboutissaient parfois à
des absences de plusieurs années, les aléas du climat et la misère qui en résultait
avaient, bien avant 1870, provoqué un premier exode parmi les métis de la
Rivière Rouge. Beaucoup avaient gagné la mission de Saint-Laurent (Lac
Manitoba), dans l’espoir d’y échapper aux dévastations des sauterelles. Une
quinzaine de familles s’étaient rendues dans la vallée de la White Mud River
(Rivière Blanche), où elles avaient érigé des demeures et fixé leur nouvelle
résidence. D’autres s’étaient acheminées vers les bouches de la rivière Winnipeg.
Le plus grand nombre s’étaient rendus dans le secteur du Fort Edmonton, où les
attiraient les agglomérations déjà existantes : en 1863, la sécheresse ayant
gravement compromis les récoltes dans la colonie, plusieurs jetèrent leur dévolu
sur le lac Sainte-Anne. En 1865, en 1866 surtout, les métis se rendirent en grand
nombre à Saint-Albert, au lac Sainte-Anne, et accrurent l’importance des noyaux
de population qui s’y étaient constitués. D’autres enfin partirent pour tenter leur
chance parmi les chercheurs d’or de la Saskatchewan.
Les événements qui succédèrent à l’insurrection amplifièrent cet exode, sans en
modifier les caractères. Comme par le passé, deux groupes d’émigrants quittèrent
la Rivière Rouge et les avant-postes de l’Assiniboine ou de la rivière Pembina.
Un groupe se dirigea vers les agglomérations qui grandissaient lentement autour
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des missions de l’Ouest. Une deuxième catégorie, particulièrement nombreuse,
grossit les rangs des hivernants, qui, dépourvus de point d’attache, se déplaçaient
au gré des possibilités de subsistance qu’ils trouvaient. Entre ces deux catégories,
il n’y avait pas en fait de démarcation profonde. L’une et l’autre menaient une
existence nomade, permanente pour les uns, simplement interrompue, pour les
autres, de séjours plus ou moins prolongés dans les demeures qu’ils érigeaient
soit autour des anciennes missions, soit dans les nouvelles agglomérations qui se
formaient alors dans la Prairie. » (Le Métis Canadien, T.2, Institut d’ethnologie,
Université de Paris 1945. Les éditions du Blé, Saint-Boniface (Manitoba), 1984,
pages 1135-1136)
[308] Et dans l’œuvre La petite histoire des francophones dans les Territoires du Nord-Ouest,
les auteurs constatent :
« Il est utile de mentionner que les trappeurs et les « traiteurs » de la Compagnie
du Nord-Ouest furent de ceux qui poussèrent le plus au nord leurs explorations et
exploitations. Cette compagnie fondit des postes de traite au delà du Grand lac
des Esclaves aux abords du Grand lac de l’Ours, à l’Extrême Nord de la baie
d’Hudson (dans le Keewatin et dans I’ île de Baffin en pays inuit).
…
L’instruction a été introduite par les religieux en 1867, l’année de la
« Confédération » (Fédération) canadienne, date à laquelle les Sœurs Grises
firent construire un pensionnat à Fort Providence, mission que Mgr Grandin
avait déjà fondée depuis 1861. Pendant plus d’un siècle, dans la vallée du
Mackenzie, l’enseignement allait relever des institutions religieuses et
principalement de l’église catholique francophone.
…
L’évêque Taché fut le premier Oblat de Marie-Immaculée à prêcher aux Déné et,
en 1852, il envoya le Père Faraud au Fort Résolution sur le Grand lac des
Esclaves. Non seulement l’enseignement mais aussi les services sociaux, tells que
les orphelinats et les hôpitaux, relevaient des Églises chrétiennes, transformant
ainsi à jamais la vie des Amérindiens et des Inuit. » (La petite histoire des
francophones dans les Territoires du Nord-Ouest, Denis Perreault et Huguette
Leger, Collection « Francophones du Nord » no 1, Les Edition F.F.T.,
Yellowknife 1989, pages 27, 29-30)
[309] La présence des Métis dans la Terre de Rupert et le Nord-Ouest n’a pas été
vigoureusement contestée. J’accepte le fait que les Métis vivaient dans le Nord-Ouest et étaient
bien représentés bien avant les événements de 1869-1870.
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[311] La défense a prétendu que le français était la « langue officielle » de la Compagnie de la
Baie d’Hudson pour le fonctionnement quotidien de l’entreprise. Une autre phrase suggérée par
la professeure Champagne était que le français était la lingua franca de la traite des fourrures.
[312] Pour appuyer sa thèse, elle a dit qu’il y avait un Métis, Charles Brisebois, qui était le
commis responsable de trois postes de la Compagnie de la Baie d’Hudson : Fort Bonne
Espérance, Fort Liard et Fort Norman. Les responsables de ce poste étaient obligés de maintenir
un journal intitulé le « Post Journal » dans lequel ils enregistraient les événements quotidiens.
Tous ces journaux (d’une épaisseur d’environ 8 cm) étaient rédigés en français.
[313] Un autre exemple est l’emploi des mots français dans la correspondance anglaise. Elle a
fourni des exemples qui venaient de l’Edmonton House Journal, des mots comme « parolls » et
« tour bien fait ». La liste des salariés d’Edmonton House Journal contenait beaucoup de noms
français. Ces personnes n’étaient pas des directeurs mais plutôt des ouvriers qualifiés avec les
compétences requises pour le fonctionnement quotidien de la compagnie.
[314] Elle était aussi d’avis que beaucoup des administrateurs parlaient français parce que la
connaissance de la langue française était une compétence que le gouverneur avait recommandée.
[315] L’expert de l’Alberta a fait valoir que la Compagnie de la Baie d’Hudson était une
entreprise anglaise dont le siège social était à Londres. Tous les directeurs étaient anglais. Tous
les commandants de postes de traite (chief factors) et agents principaux (chief traders)
provenaient d’Angleterre ou d’Écosse. Le poste de commis était le rang le plus bas de la
hiérarchie professionnelle. Même s’il y avait des Métis qui occupaient le poste de commis, la
grande majorité des commis étaient anglophones.
[316] La défense n’a pas fourni de définition pour « langue officielle » ou « lingua franca ». La
définition fournie par Sheppard ne s’applique pas parce que la Compagnie de la Baie d’Hudson
était une entreprise commerciale, et gouverner était d’importance secondaire par rapport au
commerce.
[317] Quant à la thèse de la défense selon laquelle le français était la lingua franca de la traite
des fourrures, à mon avis, il n’y a pas assez de preuves pour trancher cette question.
[318] Je n’accepte pas la thèse de la défense selon laquelle le français était la « langue
officielle » ou la « lingua franca » de la traite des fourrures. La seule chose qu’on peut dire avec
certitude est que l’anglais était la langue de la gestion de la Compagnie, y compris des commis,
et que le français était parlé par les ouvriers qualifiés.
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[310] La question de la langue utilisée dans la traite des fourrures a été soulevée. La
professeure Champagne a témoigné que les historiens n’ont fait aucune recherche dans ce
domaine.
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« … la colonie de la Rivière Rouge pouvait en fournir un important contingent, et
c’est dans sa population que la Compagnie recruta de plus en plus les équipages
de ses bateaux ou de ses canots.
… c’est aux métis canadiens qu’elle s’adressa de préférence, … A partir de
1830, l’usage se répandit d’engager chaque année dans la colonie d’Assiniboia
un certain nombre de « gouvernails », d’ « avants » et de « milieux ». … En 1834,
Simpson décida de s’en remettre plus largement aux métis de la Rivière Rouge. Il
leur reconnaissait des qualités d’endurance, d’activité, et, jusqu’à un certain
point, de bonne humeur, qui rappelaient celles des voyages, et il les déclarait bien
adaptés au genre de travail qu’on leur demandait. » (Giraud supra p. 971)
[320] Giraud a aussi fait des observations concernant l’emploi des Métis dans les postes :
« 4. Les Métis dans les Postes de Commerce
Les mêmes raisons expliquent que la Compagnie ait recruté de préférence dans la
colonie de la Rivière Rouge les métis qu’elle destinait au service régulier des
forts de traite.
Là encore, les difficultés croissantes qu’elle éprouvait à se procurer un personnel
européen devaient aboutir, comme dans la navigation, à l’utilisation d’un nombre
de métis de plus élevé.
…
Jugeant la main-d’œuvre métisse moins onéreuse que la main-d’œuvre
européenne, il envisageait … son recrutement comme une mesure d’économie.
Simpson s’était conformé à la politique de Pelly : en 1860, par suite, beaucoup de
métis figuraient dans le personnel des forts de traite, … Simpson les avait aussi
placés en grand nombre tête de postes peu importants et dont la direction
répondait à leurs aptitudes particulières. En 1857 encore, il écrivait au Comité
qu’il devait, dans certains districts, désigner essentiellement des métis de la
Rivière Rouge comme « managers of posts ». Dans les secteurs limitrophes du
territoire américain, où la lutte contre les négociants de l’Union exigeait
d’étroites relations aves les indigènes, on faisait souvent appel à eux. »
« [Simpson] A la fin de sa carrière (1860), n’étant plus tenu par les instructions
de Pelly, […] fit preuve d’une sévérité accrue, il n’hésita pas, lorsque deux
candidats d’égale instruction étaient en présence, à éliminer le métis au profit du
Blanc. Après les avoir libéralement accueillis dans le « Fur Trade », il refusa
d’admettre les jeune métis à l’exercice des fonctions de « clerc », à moins qu’ils
ne pussent justifier d’une instruction particulièrement solide, acquise en
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[319] La contribution des Métis au développement de la vie économique de l’Ouest a été notée
par l’écrivain Giraud. Concernant la substitution des Métis aux voyageurs canadiens, il a dit :
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Moins bien protégés par leurs origines et par leur rang social, moins solidement
instruits, les métis canadiens figuraient surtout dans les emplois subalternes : soit
en qualité d’interprètes, soit en qualité de « runners », appelés à visiter les tribus
indigènes ou les camps d’hivernants pour en réunir les pelleteries, soit enfin sans
spécialité définie, à titre de « general servants », autant d’emplois que les métis
de la Rivière Rouge pouvaient exercer dans les postes les plus éloignés,
concurremment avec les métis de l’Ouest, bien qu’on eût plus fréquemment
recours aux métis d’Assiniboia en raison de leur niveau plus élevé. Certains
étaient parvenus au grade de « postmaster » : tel Augustin Nolin qui, malgré sa
faible instruction, avait reçu la direction du poste de Moose Lake (lac
d’Original). Simpson appréciait les services de ces métis canadiens, dont le
personnel s’était graduellement substitué à celui des hommes du Bas-Pays. »
(Le Métis Canadien, pages 986-987 et 988)
[321] Et dans La petite histoire des francophones dans les Territoires du Nord-ouest, on peut
lire :
« Entretemps, la Compagnie de la Baie d’Hudson s’évertuait à contrecarrer les
entreprisses de sa rivale en attirant à ses comptoirs les commis et les voyageurs
de langue française qui, par leurs relations avec des autochtones, faisaient la
force de la Compagnie du Nord-ouest. » (supra, page 27)
[322] Il est incontestable que les Métis étaient fortement présents dans le Nord-Ouest et dans la
traite des fourrures.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest :
[323] La création de la province du Manitoba a exigé deux administrations, une pour le
Manitoba et l’autre pour les Territoires du Nord-Ouest. La défense allègue qu’en pratique les
deux administrations étaient les mêmes et que cela a été fait pour poursuivre le bilinguisme dans
la province du Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest.
[324] Cette thèse est appuyée par :
(1)
(2)
(3)
(4)
La Loi :
des articles de la Loi de 1870 sur le Manitoba,
le cadre administratif,
les membres du conseil du Territoire du Nord-Ouest,
la politique du conseil du Territoire du Nord-Ouest.
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Angleterre ou au Canada, susceptible de les conduire aux emplois supérieurs
dont le grade de clerc ouvrait généralement l’accès.
[325] Selon la défense, le préambule de la Loi de 1870 sur le Manitoba a comme objet la
constitution d’un gouvernement pour la province du Manitoba, et « … qu’il importe également
de prévoir la constitution en province d’une partie des mêmes territoires et l’organisation de son
gouvernement ainsi que de prendre des mesures relatives au gouvernement civil de la partie
restante non comprise dans la province » (Loi de 1870 sur le Manitoba).
[326] L’article 23 garantit l’anglais ou le français « dans toutes les affaires dont sont saisis les
tribunaux du Canada établis sous le régime de la Loi de 1867 sur l'Amérique du Nord
britannique ou ceux de la province et dans tous les actes de procédure qui en découlent ». La
cour générale était la Cour suprême du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest.
[327] L’article 26 prévoit que les dépenses occasionnées par les fonctionnaires comme les
juges, les douaniers et autres qui travaillent en même temps pour le Manitoba et les Territoires
du Nord-Ouest seront prises en charge par le gouvernement fédéral.
[328] L’article 27 de la Loi de 1870 sur le Manitoba interdit une augmentation des droits de
douanes déjà établis dans la terre de Rupert pendant trois ans. Cependant, en 1871, le
gouvernement a amendé les droits de douanes « les mêmes droits de douane qui […] sont
exigibles dans la province de Manitoba, le seront sur les articles importés dans toute partie des
Territoires du Nord-Ouest » (« The same duties of Customs which,… are chargeable in the
Province of Manitoba, shall be chargeable on goods imported into any part of the North Western
Territory »). (Pièce 84, T. 2, onglet 64)
[329] L’article 35 de la Loi de 1870 sur le Manitoba stipule que le lieutenant-gouverneur du
Manitoba sera aussi le lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest.
L’administration :
[330] Bien d’autres personnes impliquées dans le gouvernement du Manitoba étaient à la fois
impliquées dans le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.
[331] Francis Johnson était juge-en-chef (recorder) pour le Manitoba ainsi que les Territoires
du Nord-Ouest. Il a été nommé en septembre 1870.
[332] Le conseiller juridique pour le lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest était
le procureur général du Manitoba.
[333] Les membres du conseil du Territoire du Nord-Ouest étaient des membres de
l’Assemblée législative du Manitoba.
[334] Beaucoup de dépenses ont été défrayées à partir d’un seul compte, celui du « Territoire
du Nord-Ouest ». Selon le professeur Aunger, « tous les coûts du Manitoba et des Territoires du
Nord-Ouest ne sont pas facturés séparément, Manitoba, Nord-Ouest, sont facturés ensemble
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[335] Il a donné plusieurs exemples :
« Civil government. For services translating documents connected with Manitoba
Bill.
[…]
L'Acte du Manitoba, c'est payé de quel budget? C'est payé du budget des
Territoires du Nord-Ouest.
[…]
Amount advanced for outfit, et cetera, of Lieutenant-Governor. Engraving seal
for Province of Manitoba with press and dye. »
(Transcription, page 6467, lignes 6-9, 15-17 et 22-27)
« Honourable F.G. Johnson, the new Recorder. Travelling expenses to Fort
Garry in service connected with organizing the judiciary of Manitoba. »
« Honourable A.J. Archibald, his contingent expenses connected with the
assumption of Government of Manitoba. » (Transcription, page 6468, lignes 2-10,
et 22-26)
« Honourable F.G. Johnson. To defray expenses of the several commissions
entrusted to him.
[…]
Honourable A.J. Archibald. Balance of travelling expenses in proceeding to
Manitoba to assume duties of government. » (Transcription, page 6469, lignes 2-5
et 9-17)
[336] Selon l’expert, les frais encourus par le lieutenant-gouverneur du Manitoba et le
lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest sont toujours facturés au budget des
Territoires du Nord-Ouest.
[337] La politique du jour concernant l’administration des Territoires du Nord-Ouest a été
révélée durant les débats sur les amendements de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, le 9 avril
1877.
[338] Un des sénateurs, M. Kaulbach, répondait aux propositions que M. Giraud avait faites
concernant les amendements à l’Acte. Il a fait valoir que la somme d’argent que le gouvernement
avait dépensée depuis 1875 pour gérer les Territoires du Nord-Ouest était énorme.
[339] À la page 320 des débats, il a déclaré en substance que ce vaste territoire aurait bien pu
rester sous l’administration du gouvernement du Manitoba, ce qui aurait épargné des dépenses au
pays : « That vast and yet undefined, territory might well have been left for years to come under
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comme s'il s'agissait du même territoire avec un même gouvernement. » (Transcription 6466,
lignes 17-21)
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[340] Un autre sénateur, M. Campbell, a exprimé les mêmes sentiments immédiatement après
que M. Kaulbach eut finit ses observations : « … he rose to make a remark or two in the sense in
which the honourable gentleman who had proceeded him had spoken. For ten or twelve years to
come the North West Territories could be governed, as it had in the past, by the Lieut. Governor
of Manitoba. » (Debates of the Senate of the Dominion of Canada, Fourth Session –Third
Parliament 1877. Pièce 84, T. 2, onglet 87)
Le conseil des Territoires du Nord-Ouest :
[341] Un autre indice du pacte selon le professeur Aunger était la manière dont le conseil était
composé et la politique d’Archibald en tant que lieutenant-gouverneur des Territoires du NordOuest.
[342]
L’historien Thomas a expliqué sa politique ainsi :
« His policy as Lieutenant-Governor was forecast in an eloquent speech on the
Manitoba bill. In discussing the causes of the insurrection he declared, “I can not
say I am astonished that under the circumstances in which these men were
placed, and with the fears they entertained, just such things should occur as have
occurred.” There was now “a stern duty” to “vindicate the supremacy of the
national flag.” “But the readiest mode of doing so,” he continued, “is, at the
same time, to show these people that their fears are unfounded, that their rights
shall be guaranteed, their property held sacred, and that they shall be secured in
all the privileges and advantages which belong to them, as Britons and as
freemen.” From this it may be gathered that, in appointing Archibald, the
government was determined that conciliation should be the order of the day. »
(Lewis Herbert Thomas, The Struggle for Responsible Government in the NorthWest Territories 1870-97, Supra pages 48-49)
[343] Archibald a aussi exprimé ses sentiments positifs concernant la loyauté des Métis :
« There is also one other thing that very much helps us : In the country at this
moment there are no more loyal subjects to the Crown than our fellow citizens of
French descent.
[…]
And in this respect the half-breeds of French origin in the Territory reflect the
loyalty which they inherit from both races. »
(Transcription, pages 6484-6485, lignes 19-25 et 1-6)
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the local Government of Manitoba, and the expense of this little army of office holders been
saved to the country. »
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[345] Quand il a nommé son premier conseil, ce qu’il n’avait pas la compétence de faire, il a
choisi Donald Smith, F. W. Johnson et Pascal Bréland. Tous les trois étaient bilingues.
[346] Il a dit que le conseil représentait de manière équitable les trois grands intérêts présents
dans l’Ouest, à savoir les Anglais, les Français et la Compagnie de la Baie d’Hudson (« … gives
a fair representation of the three great interests in the West, the English, the French and the
Hudson's Bay interest »). (Transcription, page 6487, lignes 18-23)
[347] Le 28 décembre, le gouverneur-général, qui avait la juridiction pour le faire, a nommé au
conseil Marc Girard, Donald Smith, Pascal Bréland, Henry Clarke, Alfred Boyd, Dr. John
Schultz, Joseph Dubuc, Andrew Bannatyne, William Fraser, Robert Hamilton et William
Christie.
[348] L’expert a affirmé que les conseillers n’étaient pas payés car ils étaient presque tous
députés à l'Assemblée législative du Manitoba. Il n'y en avait que deux ne résidant pas au
Manitoba.
[349] Archibald avait fait des recommandations concernant les candidats au conseil des
Territoires du Nord-Ouest.
[350] Thomas a constaté que « Archibald’s final recommendations included three Hudson’s
Bay employees, because, he argued, of the “enormous influence” of the Company “on which we
require to count for the Good Government of the Country.” The Company’s officers, he
reported, “have got on well, not only with the Native Indians, but with the French Half Breeds
who constitute a large portion of the partially civilized population of the Saskatchewan, and to
some extent may be considered as representatives to them. »
Et :
« While the French and Catholic element was not represented in proportion to
their numbers in the North-West, they possessed four competent and influential
spokesmen in Girard, who had been designated by the government as the senior
member of the Council, Clarke, Breland, and Dubuc. »
…
« Macdonald had not been unmoved by the criticisms which had been leveled at
his first appointments, and in the autumn of 1873 five new members were added
to the Council: Pierre Delorme, James McKay, Joseph Royal, Dr. W. R. Bown,
and Wm. N. Kennedy. As in the previous instance the government received
representations from various sources and the Lieutenant-Governor was
consulted. The first three were Roman Catholics and in sympathy with the
French-speaking element of the population. » (Thomas, supra pages 53-55-56)
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[344] Le lieutenant-gouverneur Archibald était bilingue. Il a nommé le recorder du Manitoba,
F.W. Johnson, comme recorder des Territoires du Nord-Ouest. Johnson aussi était bilingue.
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[351] Le premier conseil des Territoires du Nord-Ouest a adopté trois lois. Deux de ces lois
étaient le Liquor Control Act (adoptée le 22 octobre 1870) et le Poison Control Act (adoptée en
mars 1871). Les deux ont été imprimées en anglais et en français en colonnes parallèles.
[352] Et dans le compte rendu d’une réunion le 16 mars 1874 :
« ...the Council recommend that a manual containing all such acts and orders.…
Resolved ...in the view of the fact that the gentlemen commissioned as justice of
the peace in the Northwest Territories had no opportunity of becoming
acquainted with the laws that should now apply to Northwest, the Council
recommend that a manual containing all such acts and orders of Council as
relate to the Government of the Northwest Territories together with all acts of
the Dominion of Canada whether relating to the criminal laws or otherwise
which apply to the Northwest Territories and all acts passed by this Council shall
be prepared and the number printed in both French and English for use of said
justices of the peace and other officials. » (Transcription, pages 6513-6514,
lignes 1-27 et 1-8)
[353] Et dans un autre compte rendu en date du 2 juin 1871 :
« The Committee appointed to consider the case of Indian children attending
schools in the Northwest reported two bills through the Chairman, Honourable
Mr. Dubuc. The bills referred back with instructions to the Secretary of the
Council to enlarge the preambles and have copies of the bills printed in English
and French for the use of members. » (Transcription, page 6514, lignes 6-12 et
16-23)
[354] Après avoir réfléchi sur l’ensemble de la preuve, j’accepte l’argument selon lequel le
gouvernement du Manitoba et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest étaient jumelés,
que le conseil des Territoires du Nord-Ouest était bilingue et que ceci fait preuve de l’existence
du pacte entre les négociateurs des habitants du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada.
L’amendement linguistique de 1877 :
[355] Concernant l’amendement de 1877 ayant entraîné l’introduction de l’article visant les
droits linguistiques, le professeur Aunger a fait référence aux Debates of the Senate of the
Dominion of Canada.
[356] Les débats sont détaillés et fournissent un contexte pour comprendre l’histoire de
l’amendement. C’est le sénateur Marc Girard qui a suggéré l’amendement. Il était ancien
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La pratique au conseil des Territoires du Nord-Ouest :
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[357] Le gouvernement de l’époque voulait amender l’Acte des Territoires du Nord-Ouest. Le
9 avril, le Sénat a examiné les amendements. Selon le sénateur Girard, il y avait de nombreuses
lacunes dans les amendements qui ne répondaient pas au besoin des habitants des Territoires du
Nord-Ouest.
[358] L’absence de droits linguistiques dans les amendements n’était pas la seule lacune.
•
•
•
•
•
Il voulait qu’il y ait des nominations au conseil garanties pour les habitants des
Territoires du Nord-Ouest connaissant les problèmes.
Il était de l’avis que le lieutenant-gouverneur ne devait pas faire partie intégrante
du conseil.
Il s’est opposé à l’amendement qui interdisait le Grand jury dans les Territoires
du Nord-Ouest.
Il a suggéré que le gouvernement fédéral transfère le contrôle des Indiens au
conseil des Territoires du Nord-Ouest.
Il a aussi soulevé le malaise que les habitants éprouvaient parce que les
administrateurs n’étaient pas des habitants des Territoires du Nord-Ouest.
[359] On a répondu à chacune de ses observations sauf à deux : le contrôle des Indiens et
l’absence du français dans les amendements.
[360] Le 19 avril 1877, le Sénat s’est réuni en comité plénier pour effectuer les changements à
l’Acte des Territoires du Nord-Ouest.
[361] Girard a proposé l’amendement stipulant que seuls les habitants ayant résidé pendant
cinq ans dans les Territoires soient nommés au conseil.
[362] Un sénateur, M. Scott, a dit que ce n’était pas juste d’imposer une telle limite. Il y eut
quelques discussions à ce sujet et l’amendement fut retiré.
[363] Un autre amendement suggéré par Girard était que l’administration des Indiens soit
transférée au conseil des Territoires du Nord-Ouest. Il y eut encore des discussions et Girard a
retiré l’amendement.
[364] L’amendement visant les droits linguistiques a été soulevé par Girard. À la page 437 des
Debates :
« On the 10th clause, Hon. Mr. GIRARD moved to amend the clause by inserting
the following provision:
“Either the English or the French language may be used by any
person in the debates of the said Council, and both those
languages shall be used in the records and journals of the said
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membre du conseil des Territoires du Nord-Ouest et était très intéressé par les affaires de ces
derniers.
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[365] À mon avis, ce qui est révélateur est le fait qu’il n’y ait eu aucune discussion concernant
l’amendement linguistique. Comme lors de la convention de 1870, les droits linguistiques étaient
considérés comme acquis, ce n’était donc pas nécessaire d’en discuter. Tous les sénateurs étaient
d’accord à l’égard des droits linguistiques.
[366] Les commentaires que M. Mills avait faits le 27 avril 1877 concernant l’amendement
linguistique doivent être perçus selon le contexte dans lequel l’amendement a été fait. Girard
avait évoqué tôt l’absence du français. Aucune objection n’a été soulevée ni le 9 avril, ni le 19
avril.
[367] L’objection soulevée par Mills ciblait la dépense occasionnée par cette démarche. S’il
l’avait voulu, le gouvernement aurait pu rejeter l’amendement. L’histoire démontre que le
gouvernement avait fait preuve de mauvaise volonté à l’égard des Territoires du Nord-Ouest. Il
n’est pas sincère de prétendre qu’il était nécessaire d’accepter l’amendement linguistique parce
que le gouvernement voulait que les autres amendements soient acceptés.
Intention de Donald Smith par rapport à la proclamation :
[368] La proclamation est le point culminant du cas présenté par la défense. Elle est importante
parce qu’un des paragraphes énonce :
« By Her Majesty’s authority I do therefore assure you, that on the Union with
Canada all your civil and religious rights and privileges will be respected, your
properties secured to you, and that your Country will be governed, as in the past,
under British laws, and in the spirit of British justice. » (soulignement ajouté)
[369] C’est la partie soulignée qui, selon la défense, garantit les droits linguistiques. La
garantie s’applique à la Terre de Rupert et au Nord-Ouest. La défense prétend qu’il faut la
considérer comme « terme et condition d’entrée » dans le sens où ces mots sont compris dans
l’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
[370] L’Alberta fait valoir que la proclamation concernait seulement l’amnistie et invoque ce
qui suit :
« And I do lastly inform you, that in case of your immediate and peaceable
obedience and dispersion, I shall order that no legal proceedings be taken
against any parties implicated in these unfortunate breaches of the law. »
2008 ABPC 232 (CanLII)
Council, and the ordinances of the said Council shall be printed in
both those languages, and in the proceedings before the courts.”
The amendment was agreed to. » (soulignement ajouté)
[371] L’expert de l’Alberta a reconnu que la proclamation visait tous les habitants du NordOuest, mais il a insisté sur le fait que, comme l’émeute a eu lieu dans la colonie de la rivière
Rouge, c’est là que plus d’accent devait être mis. Il souligne que seule la colonie connaissait des
troubles, alors que le reste de la Terre de Rupert et le Nord-Ouest étaient paisibles.
[372] Il a accepté le fait que les historiens se soient concentrés sur l’amnistie et n’aient pas
examiné le reste de la proclamation surtout la phrase « all your civil and religious rights and
privileges … ».
[373] Il convient que cette phrase s’applique à la Terre de Rupert et au Nord-Ouest.
(Transcription, pages 3495-3496)
[374] Il a dit :
« Cette proclamation ... qui était gardée en secret et la première fois qu'on a fait
connaissance de cette proclamation, c'était au mois de mars, dans la résidence de
Mgr. Taché. Louis Riel était au courant à ce moment-là. »
(Transcription, page 3488, lignes 11-15)
[375] Selon l’expert, la non-divulgation était due au changement des conditions régnant dans la
colonie de la rivière Rouge et à la perte de validité des conditions ayant justifié la proclamation.
C’est le gouvernement du Canada qui a décidé de ne pas émettre la proclamation. Mais, Donald
Smith a convaincu Riel de convoquer une convention.
[376] Il a dit :
« Me BAUDAIS :
PROF. MUNRO :
Me BAUDAIS :
PROF. MUNRO :
Me BAUDAIS :
PROF. MUNRO :
Me BAUDAIS :
PROF. MUNRO :
Vous avez dit que cette proclamation avait (sic) restée
secrète jusqu'au mois de mars? Pourquoi?
Il y avait une difficulté avec... de la part du gouvernement
canadien.
...
Et le Canada avait changé ses idées et a décidé d'envoyer
Smith, Donald Smith et d'autres ... c'était prématuré de
faire la proclamation
Mais cette proclamation avait été approuvée?
Elle... Mais pour d'autres conditions.
Pour d'autres conditions?
Des conditions du mois d'octobre,…
Mais cette proclamation provenait, était autorisée directement…
.Sa Majesté en Grande-Bretagne?
Oui ... oui. Mais les événements ont suivi l'un après l'autre très vite
et c'était pour une occasion avant que le Canada a (sic) pris ...
Ainsi, ce n'était pas... je ne sais pas. C'était -- on a gardé, à cause
des événements dans la colonie, il a semblé que les gens du
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 58
Canada avaient décidé de ne pas mettre la proclamation au (sic)
jour. Je ne sais pas pourquoi.
Me BAUDAIS :
Est-ce que c'est le gouvernement du Canada qui a décidé
ça?
...
PROF. MUNRO :
Oui, parce que c'était eux qui, avec les représentants qui
étaient envoyés avec cette proclamation de la part du
gouvernement de la Grande-Bretagne.
Me BAUDAIS :
Oui. Qui a apporté cette proclamation à la rivière Rouge?
PROF. MUNRO :
Je pense que c'était Smith lui-même. »
(Transcription, pages 3491-3492, lignes 2-27 et 2-25)
…
« ... Et c'était mieux... c'est à ce moment-là, au lieu de faire la... de mettre la
proclamation à la lumière de la population, Smith a encouragé Riel à convoquer
une convention. » (Transcription, page 3491, lignes 7-10). L’expert a dit que la
proclamation n’avait pas été révoquée (Transcription, page 3493).
[377] Sa thèse selon laquelle la proclamation a été tenue secrète est réfutée par la preuve
documentaire. La pièce 84, T. 1, onglet 37 se compose de sept pages de Correspondence
Relative to the Recent Disturbances in the Red River Settlement. The Red River Mass Meetings
Official Documents. Il s’agit d’un document officiel publié par l’Imprimerie nationale et utilisé
par la Chambre des communes britannique.
[378] En lisant ces documents, il devient clair que l’existence de la proclamation a été révélée
dans les réunions tenues pour accueillir Donald Smith, le représentant du Canada, et écouter ce
que le gouvernement du Canada avait à dire. Il a lu à haute voix les correspondances
gouvernementales qu’il avait reçues ou que le gouvernement lui avait confiées. Plusieurs des
documents que Smith a lus mentionnaient la proclamation.
[379] Dans une lettre de Joseph Howe, secrétaire d’État pour les Provinces, à Smith, en date du
10 décembre 1869, Howe dit que : « Also a copy of a further letter to Mr. McDougall, dated the
7th inst., and a copy of the Proclamation issued by His Excellency the Governor-General,
addressed to the inhabitants of the North-West Territory by command of Her Majesty. »
(soulignement ajouté.) La lettre a été traduite en français par Riel.
[380] Dans une lettre du gouverneur-général John Young à Smith en date du 12 décembre
1869, il écrit qu’il a envoyé à certaines personnes la copie d’un message du secrétaire d’État qui
forme l’élément principal de la Proclamation adressée aux sujets de Sa Majesté dans le Territoire
du Nord-Ouest (« which forms the staple of the Proclamation addressed to her subjects in the
North-West Territory. ») (soulignement ajouté)
[381] Il a continué : « You will observe that it calls upon all who have any complaints to make
or wishes to express, to address themselves to me as Her Majesty’s representative. »
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 59
Et :
« The people may rely upon it that respect and protection will be extended to the
different religious persuasions, that titles to every description of property will be
perfectly guarded, and that all franchises which have existed, or which the people
may prove themselves qualified to exercise, shall be duly continued or liberally
conferred. » La lettre a été traduite en français par Riel.
[382] À un moment donné, avant de continuer la lecture de la correspondance, Smith a dit :
« The paper that I want is a Proclamation from the Governor-General, copies of
which came into the Settlement, but where they are I do not know. »
(soulignement ajouté)
[383] Smith a aussi lu une longue lettre du gouverneur-général John Young à McTavish en date
du 6 décembre 1869 dans laquelle Young affirmait :
« I have the honour to address you in my capacity as Representative of the Queen
and Governor-General of Her Majesty’s British North American possessions, and
enclose, for your information, a Copy of the Message I received from Earl
Granville, in reply to the account which I sent officially of the events occurring in
the Red River Settlement. The Message conveys the matured opinion of the
Imperial Cabinet. The Proclamation I have issued is based on it; and you will
observe it refers to all who have desires to express, or complaints to make, to me,
as invested with authority on behalf of the British Government. And the
inhabitants of Rupert’s Land, of all classes and persuasions may rest assured
Her Majesty’s Government has no intention of interfering with, or setting aside,
or allowing others to interfere with, the religion, the rights, or the franchise
hitherto enjoyed, or to which they may hereafter prove themselves equal. »
(soulignement ajouté)
[384] Le message, un télégramme, était le suivant :
« Make what use you think best of what follows:
The Queen has heard with surprise and regret that certain misguided persons
have banded together to oppose by force the entry of the future LieutenantGovernor into our Territory in Red River. Her Majesty does not distrust the
loyalty of her subjects in that Settlement; and can only ascribe to
misunderstanding, or misrepresentation, their opposition to a change planned for
their advantage.
She relies on your Government to use every effort to explain whatever
misunderstandings may have arisen, - to ascertain their wants, and conciliate the
good-will of the people of Red River Settlement. But, in the meantime, she
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 60
authorizes you to testify to them the sorrow and displeasure with which she views
the unreasonable and lawless proceedings which have taken place, and her
expectation that if any parties have desires to express or complaints to make
respecting their condition and prospects, they will address themselves to the
Governor-General of Canada.
The Queen expects from Her Representative that, as he will be always ready to
receive well founded grievances, so will he exercise all the power and authority
she entrusted to him, in the support of order, and the suppression of unlawful
disturbance.
(Signed) Granville »
[385] Smith a lu une lettre de Joseph Howe à McDougall en date du 7 décembre 1869, dans
laquelle il constate :
« “You will now be in a position to assure the residents of the North-West
Territories:
“1. That all their civil and religious liberties will be sacredly respected.
“2. That all their properties, rights, and privileges of every kind, as enjoyed
under the Government of the Hudson’s Bay Company, will be continued.” »
(Correspondence Relative to the Recent Disturbances in the Red River
Settlement. The Red River Mass Meetings. Official Documents. Pièce 84, T. 2,
onglet 37)
[386] La proclamation a été mentionnée lors de la convention :
« Mr. Ross …desired to call attention to the fact that one document, referred to in
Mr. Smith’s Commission, had never yet been before the people of Red River. It
was a proclamation issued by the Governor-General to the inhabitants of the
North-West, by command of Her Majesty and from all he could gather was based
on a telegram from Earl Granville of the 26th November.
…
Mr. Riel … If he has a proclamation, let him proclaim. »
(The New Nation, January 27th 1870, 3rd day of the convention at 11:30 a.m.)
[387] En 1874, une enquête parlementaire a été menée pour s’informer à propos de l’amnistie.
Un des témoins, Donald Smith, a témoigné que « …that is the amnesty mentioned in the
proclamation of 6th December, 1869. I received a copy of… the proclamation (…at Ottawa).
Copies of the proclamation were taken into the territory by Father Thibault and Colonel
DeSalaberry. I endeavored to have them at the mass meeting to read to the people, but could not
read them then. » (Report of the Select Committee on the Cause of the Difficulties in the North-
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Page: 62
[388] L’ensemble de la preuve documentaire rend clair le fait que l’existence de la
proclamation a été révélée à la population tôt, et le contenu de la proclamation a été révélé dans
une certaine correspondance.
[389] La divulgation de la proclamation dès le début est un indice que le gouvernement
canadien voulait l’invoquer.
[390] Il s’agit de l’opinion exprimée par John A. Macdonald dans Copy of the Report of a
Committee of the Honorable the Privy Council, en date du 16 décembre 1869 envoyé au
gouvernement britannique. Le rapport essayait d’expliquer la raison de la situation ayant entrainé
le soulèvement des Métis. À son avis, il voulait que le transfert soit retardé jusqu’au moment où
la colonie de la rivière Rouge ait retrouvé la paix.
[391] Au fin du rapport, il a constaté :
« On a review of the whole circumstances, the Committee would recommend that
your Excellency should urge upon Her Majesty’s Government the expediency of
allowing matters to remain as they are until quiet is restored, or, in case of
failure of all effort (indecipherable) so, the time should have arrived when it is
possible to enter the Country in force, and compel obedience to Her Majesty’s
Proclamation and authority. ...”
(Signed,)
John A. Macdonald.
16th December, 1869. »
(Sessional Papers Volume V. Third Session of the First Parliament of the
Dominion of Canada. Session 1870. Pièce 89, onglet 47, pages 141, 143-144.)
[392] À mon avis, il n’y avait qu’une proclamation qui forçait à l’obéissance et c’était la
proclamation du 6 décembre 1869.
[393] La question visant la légalité de la proclamation a été soulevée. La défense fait valoir que
la proclamation est un document légal. L’Alberta prétend que la proclamation n’a pas force de
loi.
[394] Il y a aussi la question de la juridiction et de savoir si la proclamation s’applique au
Canada, étant donné la décision dans Campbell v. Hall (1774), 98 E.R. 1045, I Cowp. 204 p. 257
(K.B).
[395] L’Alberta prétend que la décision Campbell v. Hall est une réponse complète et que la
proclamation du 6 décembre 1869 n’a pas force de loi. La défense fait valoir qu’on doit donner
une interprétation plus nuancée et que les principes énoncés ne s’appliquent pas dans ce cas.
2008 ABPC 232 (CanLII)
West Territory in 1869-70. Printed by Order of Parliament. 29th April, 1874, 37 Victoria.
Appendix (No. 6). A. 1874)
[396] La proclamation est brève (sept paragraphes). Elle a été émise pour résoudre une impasse
qui s’est présentée entre la population de la Terre de Rupert, le gouvernement canadien et le
gouvernement du Royaume-Uni. Elle visait un événement unique, à savoir l’entrée de la Terre de
Rupert et du Nord-Ouest dans la Confédération. La proclamation répondait à des problèmes qui
avaient été identifiés et suggérait des réponses.
La validité légale de la proclamation :
[397] Les deux parties ont argumenté au sujet des proclamations en général et de leur
applicabilité à cette cause.
[398] L’Alberta fait valoir que les proclamations ne peuvent pas avoir été utilisées pour
légiférer. Seul le Parlement est habilité à légiférer. En outre, une proclamation royale n’est pas
une promulgation du Parlement. L’Alberta cite Warren Newman’s « The Principles of Rule of
Law and Parliamentary Sovereignty in Constitutional Theory and Litigation » (2004-2005) 16
N.J.C.L. 175 aux pages 196, 197 et 222.
[399] Selon l’Alberta, la proclamation n’octroie ou ne crée pas de droits linguistiques en
français; elle n’a pas force de loi et ne peut modifier les termes et conditions énoncés dans la
première adresse et l’ordonnance du 23 juin 1870 (« the Proclamation does not grant or create
French linguistic rights. It does not have the force of law, and further, cannot alter the “terms
and conditions” set out in the first Parliamentary Address and the June 23, 1870 Order »)
[Mémoire de sa Majesté la Reine, 6 juillet 2007, paragraphe 150].
[400] La défense est d’accord que le Case of Proclamations (1610), 77 ER 1352 interdit au
souverain de promulguer des lois nouvelles ou de contredire les lois existantes. Cependant, dans
les colonies, une proclamation a un effet différent.
[401] La décision de Campbell v. Hall (1774), 98 E.R. 1045 a eu comme résultat que le
souverain ne pouvait légiférer par proclamation quand la colonie a acquis une assemblée
législative. Dans Campbell v. Hall, la Cour a tranché sur la portée de la proclamation de 1763.
[402] Selon la défense, la Terre de Rupert ne se trouvait pas à l’intérieur des limites
géographiques décrites au paragraphe un de la proclamation de 1763. À l’appui, elle cite la thèse
de doctorat rédigée par Brian Slattery en 1979 The Land Rights of Indigenous Canadian People
as Affected by the Crown’s Acquisition of Their Territories, University of Oxford, Trinity term
1979, pages 268 – 349; 370-388 (Mémoire de l’accusé, 6 juillet 2007, paragraphes 125-128).
[403] Les questions soulevées par l’applicabilité d’une proclamation ont été tranchées par la
juge-en-chef McLachlin dans l’arrêt R. c. Marshall/R. c. Bernard [2005] 2 R.C.S. 220. Au
paragraphe 87, elle constate :
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 63
« Il faut se demander en premier lieu si la Proclamation royale s'applique à
l'ancienne colonie de la Nouvelle-Écosse. La Proclamation royale énonce qu'elle
s'applique à "Nos autres colonies ou [...] Nos autres plantations en Amérique", et
elle annexe, au début, l'île du Cap-Breton et l'Île-du-Prince-Édouard à la
Nouvelle-Écosse. D'autres éléments de preuve, dont de la correspondance
échangée entre Londres et la Nouvelle-Écosse, indiquent que l'on considérait, à
l'époque, que la Proclamation royale s'appliquait à la Nouvelle-Écosse
(Marshall, décision de première instance, par. 112). Interprétant libéralement la
Proclamation royale et résolvant les doutes en faveur des Autochtones, je
poursuis mon analyse en tenant pour acquis qu'elle s'appliquait à l'ancienne
colonie de la Nouvelle-Écosse. »
[404] Alors, à mon avis, on peut avoir recours à l’échange de correspondance entre Londres, le
gouvernement du Canada et le gouverneur-général, et d’autres documents de l’époque en
tranchant la question de la validité de la proclamation du 6 décembre 1869.
[405] Donc, la réponse à la question de savoir si la proclamation était un document légal doit
être examinée dans divers contextes; les événements qui ont précédé la proclamation, l’opinion
des participants au moment où les événements se déroulaient, ou après, quand l’amnistie a été
demandée.
[406] L’expert de l’Alberta n’a jamais remis en question la validité de la proclamation mais
plutôt sa portée, c'est-à-dire qu’elle s’appliquait seulement à la colonie de la rivière Rouge et pas
au Nord-Ouest. De plus, il a dit que la proclamation se limitait à l’amnistie, et c’était la raison
pour laquelle la proclamation avait été émise. Les experts de la défense n’ont jamais été contreinterrogés quant à la validité de la proclamation.
[407] Les événements qui se déroulaient dans la colonie de la rivière Rouge et le Nord-Ouest
avaient l’attention du gouvernement du Canada, du gouverneur-général et du conseil privé du
gouverneur-général, outre le secrétaire d’État pour les Colonies et le cabinet britannique. Tous
étaient bien informés de la situation telle qu’elle existait et de l’obligation que le transfert
s‘effectue d’une manière légale.
[408] Ils connaissaient tous le préjudice susceptible de résulter d’un usage impropre d’une
proclamation. Il y avait la malheureuse proclamation émise le 1er décembre 1869 par le
lieutenant-gouverneur McDougall au nom de la Reine, dans laquelle il avait annoncé que le
transfert était accompli et qu’il était le lieutenant-gouverneur. L’historien Stanley a qualifié ce
que McDougall avait fait de faute très grave du point de vue canadien (« a very serious blunder
from the Canadian standpoint » (Stanley p. 76)).
[409] Le télégramme de Granville, selon Young, communiquait l’opinion mûrie du Cabinet
impérial (« conveys the matured opinion of the Imperial Cabinet »). À mon avis, celle-ci
implique une connaissance des nuances juridiques qui étaient en jeu.
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 64
[410] Le télégramme a fourni le point de départ de la proclamation de 6 décembre 1869. Il
commençait avec l’instruction : « Make what use you think best of what follows:… » (faites ce
que vous pensez être le meilleur usage de ce qui suit). Une telle instruction donne au
gouverneur-général un pouvoir discrétionnaire. De plus, le 10 décembre 1869, Granville avait
envoyé un télégramme à Young dans lequel il accordait à Smith la permission de publier la
proclamation.
[411] Faute de contre-preuve, on peut tenir pour acquis le fait que le Cabinet impérial
connaissait sa jurisprudence concernant les proclamations et particulièrement The Proclamations
Case et Campbell v. Hall qui étaient des jugements anglais.
[412] Le gouvernement du Canada avait accepté la proclamation et avait fait des démarches
pour qu’elle soit émise. Ceci a été confirmé par une lettre de Joseph Howe au révérend Thibault,
grand vicaire d’Ottawa, en date du 6 décembre 1869 :
« Sir, --- Herewith you will receive 500 copies of a proclamation, signed by the
Queen’s representative, for distribution in the North West; and 100 copies of the
instructions given to the Hon. William McDougall on the 28th of September. Of
these you may make any use which may appear to you judicious. …
You … will not distribute the proclamations until you get to Pembina, and after
consultation with Mr. McDougall. »
(Report of the Select Committee on the Cause of the Difficulties in the NorthWest Territory in 1869-70. Printed by Order of Parliament. Ottawa, p. 17)
[413] Alors, dans les jours précédant la convention, plusieurs des responsables ont voulu
émettre la proclamation. Le télégramme de Granville était une autorisation de rédiger la
proclamation. Granville avait signalé que Smith pouvait l’émettre, Smith voulait la lire à la foule
qui s’était réunie pour la lecture des correspondances officielles, et Macdonald voulait qu’elle
soit émise pour obtenir l’obéissance des habitants de la colonie. À mon avis, ceci constitue
suffisamment de preuves pour me convaincre que, selon les responsables, la proclamation avait
force de loi.
[414] La thèse de l’Alberta soutient que personne ne s’est fié à la proclamation pour établir un
droit quelconque.
[415] Quand la question de l’amnistie a été soulevée, le gouvernement a eu recours à la
proclamation. Les débats rendent clair le fait que la proclamation a été traitée comme un
document ayant force de loi et représentait davantage qu’une déclaration de principe.
[416] L’historien Stanley dit que quand Taché a soulevé auprès du gouvernement canadien la
question de l’amnistie « The proclamation of the Governor-General was given to the Bishop as
official proof of the intentions of the Canadian Government and he was assured that it would
2008 ABPC 232 (CanLII)
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Et :
« In company with Sir George, Bishop Taché proceeded to Niagara where the
Governor-General [Sir John Young] was staying. … Taché once more drew the
Governor’s attention to the necessity of an amnesty, whereupon the latter pointed
to his proclamation of December 6th, which lay upon the table, and said, “Here
is my proclamation; it covers the whole case…. » (Stanley, supra p. 153)
[417] Selon le gouverneur-général et le gouvernement canadien, la proclamation avait une
force légale capable de régler la question épineuse de l’amnistie soulevée par l’archevêque
Taché.
[418] Une autre preuve concernant la force légale de la proclamation était l’enquête du
Parlement canadien. En avril 1874, la Chambre des communes a constitué une commission
d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les difficultés ayant retardé l’accord de
l’amnistie annoncée dans la proclamation émise par sir John Young (« enquire into… the
difficulties … which have retarded the granting of the amnesty announced in the Proclamation
issued by the late Governor General of Canada, Sir John Young;… »). (Report of the Select
Committee on the Cause of the Difficulties in the North-West Territory in 1869-70. Order of
Reference. Appendix (No.6). Printed by Order of Parliament. Ottawa)
[419] Quatre des témoins avaient participé aux événements de 1869-1870. Il s’agissait de
Donald Smith, John A. Macdonald, le révérend père Ritchot et l’archevêque Taché. Tous les
quatre ont agi sur la base que la proclamation était un document qui avait force de loi. Ils n’ont
jamais suggéré autre chose. Tous les témoins étaient prêts à agir seulement sur la base de la
proclamation.
[420] Donald Smith voulait que la proclamation soit lue à haute voix devant la foule.
[421] John A. Macdonald a témoigné qu’il n’existait aucun obstacle à aucun moment à l’accord
d’une amnistie en vertu de la proclamation après l’arrivée du gouverneur-général Archibald à
Fort Garry : « no difficulty existed at any time as to granting an amnesty pursuant to the
proclamation, after the arrival of Governor Archibald at Fort Garry. » La proclamation dont il
parlait était celle du 6 décembre 1869.
[422] Et la proclamation a été imprimée en anglais, en français et en cri (« printed in English,
French and Cree,… »).
Et :
« The phrase in my letter “not only will there be a general amnesty granted” had
reference to the amnesty promised in the proclamation. » (Report of the Select
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have, from the date of his arrival at Red River, all the force that it had on the day of issue. »
(Soulignement ajouté) (Stanley, supra, p. 147).
Page: 67
[423] Le révérend Ritchot a été informé par le gouverneur-général que la proclamation n’avait
pas été abrogée et que donc elle s’appliquait dans tous ses effets : « […] had not been revoked,
and consequently it would have all its effect. » (Report of the Select Committee on the Cause of
the Difficulties in the North-West Territory in 1869-70, p 73). L’archevêque Taché a aussi reçu
des assurances que la proclamation accorderait l’amnistie.
[424] Quand je considère l’ensemble de la preuve, j’accepte la thèse de la défense selon
laquelle le gouverneur-général avait la capacité et l’autorisation d’émettre la proclamation et que
celle-ci avait force de loi.
La proclamation du 6 décembre 1869 :
[425] Les deux avocats ont cité des extraits de la décision R. v. Marshall qui expliquent
comment une proclamation doit être interprétée.
[426] L’Alberta a cité la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse :
« The [1763] Proclamation, therefore, should be interpreted “… liberally… and
doubtful expression resolved in favour of the Indians.” [….] This does not mean,
however, that a particular construction should be adopted simply because it
favours aboriginal people. The wording, context and purpose of the
Proclamation must be considered in order to arrive at an interpretation that, to
the greatest extent, harmonizes the grammatical and ordinary sense of the words,
read in their entire context, with the scheme and objects of the Proclamation
[….]» (R. v. Marshall, 2003 NSCA 105 au paragraphe 203)
[427] La défense prétend que :
« 152. Dans l’arrêt R. c. Marshall/R. c. Bernard, [2005] 2. R.C.S. 220, la Cour
suprême aborde la Proclamation royale de 1763 de la façon suivante :
86 La Proclamation royale doit recevoir une interprétation
libérale, et tout doute doit se résoudre en faveur des peuples
autochtones : Nowegijick c. La Reine, 1983 CanLII 18 (C.S.C.),
[1983] 1 R.C.S. 29, p. 36. Il faut en outre l’interpréter en tenant
compte de son statut de « Magna Carta » des droits indiens en
Amérique du Nord et de « Déclaration des droits » des Indiens : R.
c. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs,
[1982] 1 Q.B. 892 (C.A.), p. 912. J’aborde cette question en me
fondant sur ces principes.
2008 ABPC 232 (CanLII)
Committee on the Cause of the Difficulties in the North-West Territory in 186970. Pages 100-101)
153. Nous soutenons que la proclamation royale de 1869 mérite une
interprétation telle que la Cour suprême a suggérée dans le paragraphe 86 de
l’arrêt R. c. Marshall, précité. » (Mémoire de l’accusé, 6 juillet 2007)
PROCLAMATION
V. R.
By His Excellency the Right Honourable SIR JOHN YOUNG, Baronet, a Member
of Her Majesty’s Most Honourable Privy Council, Knight Grand Cross of The
Most Honourable Order of the Bath, Knight Grand Cross of The Most
Distinguished Order of St. Michael and St. George, Governor General of Canada.
To all and every the Loyal Subjects of Her Majesty the Queen, and to all to whom
these Presents shall come
Greetings:
(1) THE QUEEN has charged me, as Her Representative, to inform you that
certain misguided persons in Her Settlements on the Red River, have banded
themselves together to oppose by force the entry into Her North-Western
Territories of the Officer selected to administer, in her name, the Government,
when the Territories are united to the Dominion of Canada, under the authority of
the late Act of the Parliament of the United Kingdom; and that those parties have
also forcibly, and with violence, prevented others of Her loyal Subjects from
ingress into the Country.
(2) Her Majesty feels assured that She may rely upon the loyalty of Her Subjects
in the North-West, and believes those men who have thus illegally joined together,
have done so from some misrepresentation.
(3) The Queen is convinced that in sanctioning the Union of the North-West
Territories with Canada, She is promoting the best interests of the residents, and
at the same time strengthening and consolidating Her North American
Possessions as part of the British Empire. You may judge then of the sorrow and
displeasure with which the Queen views the unreasonable and lawless
proceedings which have occurred.
(4) Her Majesty commands me to state to you, that She will always be ready
through me as Her Representative, to redress all well founded grievances, and
that She has instructed me to hear and consider any complaints that may be
made, or desires that may be expressed to me as Governor-General. At the same
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Page: 69
(5) By Her Majesty’s authority I do therefore assure you, that on the Union with
Canada all your civil and religious rights and privileges will be respected, your
properties secured to you, and that your Country will be governed, as in the past,
under British laws, and in the spirit of British justice.
(6) I do, further, under Her authority, entrust and command those of you who are
still assembled and banded together, in defiance of law, peaceably to disperse
and return to your homes, under the penalties of the law in case of disobediences.
(7) And I do lastly inform you, that in case of your immediate and peaceable
obedience and dispersions, I shall order that no legal proceedings be taken
against any parties implicated in these unfortunate breaches of the law.
Given under my Hand and Seal at Arms at Ottawa, this Sixth day of December, in
the year of our Lord One Thousand Eight Hundred and Sixty-Nine, and in the
Thirty-second year of Her Majesty’s Reign.
By Command,
JOHN YOUNG
H. L. LANGEVIN, Secretary of State.
[428] Excluant les destinataires et le paragraphe contenant la date, la proclamation comporte
sept paragraphes qui ne sont pas numérotés dans la proclamation et que j’ai numérotés pour
faciliter la référence.
La portée de la proclamation :
[429] On ne trouve rien dans la proclamation qui suggère qu’elle vise uniquement la colonie de
la rivière Rouge. Bien au contraire, la proclamation est adressée à tous les loyaux sujets de Sa
Majesté la Reine et à tous ceux à qui les présentes parviennent (« To all and every the Loyal
Subjects of Her Majesty the Queen and to all to whom these Presents shall come »).
[430] Cela ne laisse aucun doute que la proclamation englobe plus que la seule population de la
colonie de la rivière Rouge.
[431] La proclamation mentionne : « (paragraphe 1)…Her North-Western Territories »,
« (paragraphe 2)…the loyalty of Her subjects in the North-West » et « (paragraphe 3) …
sanctioning the Union of the North-West Territories with Canada,… ».
2008 ABPC 232 (CanLII)
time She has charged me to exercise all the powers and authority with which She
has intrusted me in the support of order, and the suppression of unlawful
disturbances.
[432] La raison d’être de la proclamation est que certaines personnes de la colonie de la rivière
Rouge se sont fourvoyées et se sont opposées non seulement à l’entrée dans les Territoires du
Nord-Ouest de l’agent désigné pour les administrer, mais ont aussi recouru à la violence pour en
empêcher l’accès à d’autres de ses loyaux sujets : « certain misguided persons in Her
Settlements on the Red River, have banded themselves together to oppose by force the entry into
Her North-Western Territories of the Officer selected to administer, … » et « that those parties
have also forcibly, and with violence, prevented others of Her loyal Subjects from ingress into
the Country. » (paragraphe 1). Ces violations se sont produites en dehors des limites de la
colonie de la rivière Rouge.
[433] L’expert de l’Alberta avait dit au départ que, comme tous les événements se sont
déroulés dans la colonie de la rivière Rouge, la proclamation se limitait nécessairement à la
colonie. Les extraits cités ci-après démentissent cette affirmation. En outre, d’un point de vue
raisonnable, il est difficile d’accepter que le Canada et le Royaume-Uni courent le risque que des
troubles éclatent ailleurs dans la Terre de Rupert ou le Nord-Ouest après avoir rétabli la paix
dans la colonie.
[434] Je suis satisfait que la proclamation vise la Terre de Rupert et le Nord-Ouest.
[435] Il n’y a aucun doute que la proclamation provient de la Reine :
paragraphe 1 « THE QUEEN has charged me, as Her Representative,… »,
paragraphe 2 « Her Majesty feels assured »,
paragraphe 4 « Her Majesty commands me », « She has
instructed me … » et « She has charged me »,
paragraphe 5 « By Her Majesty’s authority … »,
paragraphe 6 « I do, further, under Her authority, … ».
[436] Dans la décision R. v. Marshall, 2003 NSCA 105, au paragraphe 216, le juge Cromwell
explique la façon d’identifier le dispositif d’une proclamation :
« The phrase on which the appellants rely referring to lands as "...not having
been ceded to, or purchased by Us... are reserved... [for the several nations or
tribes of Indians]..." appears initially in a recital clause which is consistent with
a statement of an objective, not with the creation of vast reserves of land.
Throughout the proclamation, the operative clauses generally begin with
expressions such as "We do therefore, with the Advice of our Privy Council,
declare it to be our Royal Will and Pleasure that..." or "We have thought fit, with
the Advice of Our Privy Council..." or "We do hereby command...". This directory
language may be contrasted with the language of recital clauses which generally
begin with "Whereas" or "And whereas". This supports the view that the phrase
refers to a pre-existing state of affairs and is not a new or independent
direction. »
2008 ABPC 232 (CanLII)
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Page: 71
[438] Le deuxième paragraphe suggère que les conspirateurs ont agi en raison de la
déformation de la réalité.
[439] Le troisième paragraphe réaffirme la conviction de la Reine que l’union des Territoires
du Nord-Ouest avec le Canada bénéficiera à tout le monde et qu’elle est déprimée par ces
événements.
[440] Les paragraphes quatre à sept sont le dispositif de la proclamation :
paragraphe
paragraphe
paragraphe
paragraphe
4
5
6
7
« Her Majesty commands me… »,
« By Her Majesty’s authority… »,
« I do, further, under Her authority,… »,
« And I do lastly inform you, … I shall order that… ».
Il s’agit du « directory language » correspondant aux mots employés par le juge Cromwell.
[441] Le quatrième paragraphe exprime deux idées. Il y a la bonne volonté du gouverneurgénéral de réparer tous les griefs fondés (« to redress all well founded grievances, ») et de tenir
compte de toute plainte ou de tout désir exprimés (« consider any complaints that may be made,
or desires that may be expressed… »).
[442] En même temps, il est tout à fait clair que le gouverneur-général utilisera tous les
pouvoirs et l’autorité (« all the powers and authority ») pour maintenir l’ordre et réprimer les
troubles illégaux (« the support of order, and the suppression of unlawful disturbances. »).
[443] Le paragraphe est aussi concentré sur des événements du passé (griefs fondés qui seront
réparés et plaintes ou désirs qui seront pris en compte). Cependant, il est très clair que le
gouvernement ne tolérera pas de troubles pendant que les plaintes seront résolues.
[444] Le cinquième paragraphe est le pivot de la thèse de la défense. Selon cette dernière, ce
paragraphe reconnaît le fait que les habitants de la Terre de Rupert avaient une vie
communautaire bien organisée avant l’union avec le Canada. Ils avaient acquis des droits et des
privilèges civils et religieux et le cinquième paragraphe assurait la reconnaissance et le respect
constant des droits et privilèges de l’union avec le Canada :
« (5) By Her Majesty’s authority I do therefore assure you, that on the Union with
Canada all your civil and religions rights and privileges will be respected, your
properties secured to you, and that your Country will be governed, as in the past,
under British laws, and in the spirit of British justice. »
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[437] Le premier paragraphe donne la raison d’être de la proclamation, c'est-à-dire que le
représentant de la Reine s’est vu refuser l’entrée du Territoire.
[445] À mon avis, il est nécessaire d’éplucher ce paragraphe. Ce qui sera fait l’est au nom de
l’autorité de Sa Majesté qui donne une garantie (« By Her Majesty’s authority I do therefore
assure you,… ») d’où le langage péremptoire (directory language). Cela veut dire que la Reine
donne sa garantie. À mon avis, cela servait à dissiper les craintes que les habitants de la Terre de
Rupert éprouvaient concernant leurs droits après l’union avec le Canada. Ils voulaient que leurs
droits restent intacts.
[446] Les habitants ont été assurés que, sous l'union avec le Canada, tous leurs droits et
privilèges civils et religieux seraient respectés : (« …on the Union with Canada all your civil and
religious rights and privileges will be respected, your properties secured to you,… »)
[447] Le paragraphe mentionne plusieurs domaines qui seront respectés. Cependant, ce sont les
droits civils, « …all your civil …rights … will be respected,… » qui sont importants selon la
défense.
[448] Selon moi, le mot « droits » (rights) ne peut pas être interprété seul, c’est-à-dire sans les
mots « tous vos » (all your). Ce ne sont pas les droits au sens abstrait qui sont garantis. Les mots
« tous vos » nuancent le mot « droits », et reconnaissent « tous vos droits civils » obtenus et
exercés par les habitants avant l’union avec le Canada.
[449] À mon avis, je dois décider si les droits linguistiques sont inclus dans le terme tous vos
droits civils (« all your civil … rights »).
[450] L’avocate de l’Alberta prétend que les mots « all your civil … rights » ont la même
signification que « property and civil rights ». Dans le mémoire qui a été soumis, le 6 juillet
2007 au paragraphe 141, elle constate :
« À l’époque, " civil and religious rights" signifiait "l’ensemble des droit
gouvernant les relations entre individus". Peter Hogg décrit comment les Pères
de la Confédération comprenaient le terme " property and civil rights in the
province”:
... it is clear that the framers of the Constitution Act understood the familiar
phrase … as a compendious description of the entire body of private law which
governs the relationships between subject and subject, as opposed to the law
which governs the relationships between the subject and the institutions of
government. (Constitutional Law of Canada, à la section 21.2) »
[451] L’avocat de la défense fait valoir que :
« Rien dans le libellé de la Proclamation favorise une telle interprétation
restrictive et rien ne nous autorise de conclure que celle-ci fait exclusivement
allusion aux droits prives des résidents ou aux droits qui seraient laissés a la
compétence des gouvernements provinciaux éventuels. D’abord une telle
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interprétation va a l’encontre du fait que le gouvernement fédéral n’avait
évidemment pas l’intention en décembre 1869 de former une ou plusieurs
provinces à partir de ces nouveaux territoires… »
(Mémoire en réplique de l’accusé, 20 juillet 2007, page 7, paragraphe 10a.)
Et :
« … la promesse faite dans la Proclamation concernant les droits était clair
(sic): de rassurer immédiatement…les résidents du Nord-Ouest que leurs droits
seraient respectés après l’adhésion. Ainsi la Proclamation promet sans ambiguïté
que les droits existants (i.e. les droits existants sous la gouverne de la Compagnie
de la Baie d’Hudson) seraient continués et respecté (sic). Cet engagement a pour
but de permettre aux gouvernements canadiens (sic) et du Royaume-Uni de
conclure le processus constitutionnel d’adhésion qui était désormais en
suspens. »
(Mémoire en réplique de l’accusé, 20 juillet 2007, page 7, paragraphe 10b.)
[452] Je ne peux pas accepter l’interprétation suggérée par l’Alberta. Premièrement, la phrase
est « …all your civil and religious rights and privileges… ». Cette phrase n’a pas la même
signification que « property and civil rights in the province ». De plus, à ce moment- là, le
Canada visait l’entrée de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest comme territoire et pas comme
province.
[453] Deuxièmement, les mots « all your » nuancent les mots « civil … rights ». C’est-à-dire
que ce sont des droits particuliers – tous les droits qui appartenaient aux habitants des territoires
du Nord-Ouest avant l’union avec le Canada et dont ils jouissaient. Il ne s’agit pas de droits
abstraits.
[454] La proclamation avait comme objectif d’apaiser les craintes des habitants du Nord-Ouest
et de la Terre de Rupert, concernant leurs droits civils et religieux après l’union avec le Canada.
Parmi les droits civils dont ils jouissaient figurait la comparution devant des juges bilingues et
l’obtention des services gouvernementaux en français. La demande visant les droits linguistiques
se retrouvait dans toutes les Listes de Droits qui ont été rédigées. À mon avis, la phrase «…all
your civil … rights … » renferme les droits linguistiques.
[455] Mon interprétation est cohérente avec ce que le juge La Forest a dit dans l’arrêt R. c.
Mercure [1988] R.C.S. 234. À la page 249, il a constaté :
« Les habitants des Territoires, dont la plupart vivaient dans la région de la
rivière Rouge … ne voyaient pas d’un bon œil ces changements imminents. Un
bon nombre d’entre eux étaient francophones et avaient été habitués à recevoir
dans leur propre langue maints services gouvernementaux de la part de la part
du conseil d’Assiniboia, qui exerçait les fonctions gouvernementales … et de la
part des tribunaux. Vers 1835, le conseil d’Assiniboia a commencé à publier ses
résolutions en les lisant à haute voix en français et en anglais (Sheppard, op. cit.,
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73 à 76), et vers 1855 la représentation locale au conseil était à peu près égale
entre les francophones et les anglophones (voir Mason Wade, The French
Canadians 1760 – 1967 (rev. ed. 1968), vol 1, à la p. 397). De même, les
tribunaux comptaient un certain nombre de juges bilingues. »
[456] Le paragraphe six ordonne aux citoyens de cesser leurs activités illégales et de regagner
leurs foyers. Le septième paragraphe aborde la question de l’amnistie.
Contexte et but de la Proclamation :
[457] Dans R. v. Marshall 2003 NSCA 105, le juge Cromwell a remarqué que « 227 The rich
record at trial provides extensive historical context for the Proclamation and sheds light on its
purposes. »
Et :
« 231 Throughout the policy discussion leading up to the Proclamation, relations
with aboriginal peoples were considered as an aspect of the future security of the
colonies. There were two main concerns about potential conflict with the Indian
population. One related to the friction likely to result from the movement of
settlers into the "Indian territory". This was addressed by putting settlement in
that territory on hold. The second was concerned with the potentially dangerous
situations arising from the twin evils of disregard of existing Indian treaty rights
and abusive land transactions with the Indian population. The latter concern was
relevant to varying degrees in the existing colonies which included Nova Scotia,
but it would seem from the historical record at trial that the problems that put this
matter on the policy agenda were not related to, and did not originate in, Nova
Scotia. »
[458] Donc le « contexte » exige une prise en compte des événements menant à la
proclamation. Le problème ayant suscité la proclamation était que la procédure de transfert au
Canada de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest a été entravée par les habitants de la Terre de
Rupert qui étaient mécontents parce qu’ils n’avaient pas été consultés à propos du transfert.
[459] Le transfert de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest a été prévu par l’article 146 de l’Acte
de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Victoria, c. 3. (R.-U.). Le transfert pourrait se
faire « aux termes et conditions, dans chaque cas, qui seront exprimés dans les adresses et que
la Reine jugera convenable d'approuver ».
[460] Le 19 novembre 1869, la Compagnie de la Baie d’Hudson avait cédé la Terre de Rupert à
la Couronne qui avait la responsabilité de la gestion.
[461] Il y avait eu un échange continuel d’information concernant la situation dans le NordOuest entre McDougall, l’homme qui avait été choisi pour devenir le lieutenant-gouverneur est
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le gouverneur-général John Young. Ce dernier avait transmis cette information au comte
Granville, le secrétaire d’État pour les Colonies. Tous ceux qui étaient impliqués étaient au
courant de ce qui se déroulait dans le Nord-Ouest. (Correspondence Relative to The Recent
Disturbances in The Red River Settlement. Dispatches from the Governor. Pages 1-35 et 170180)
[462] Le gouvernement canadien ne voulait pas accepter le transfert de territoire à cause de la
situation instable qui existait dans la colonie de la rivière Rouge.
[463] Le 26 novembre 1869, Young a envoyé un télégramme à Granville :
« On surrender by Company to the Queen, the Government of Company ceases.
The responsibility of administration of affairs will then rest on Imperial
Government. Canada cannot accept transfer unless quiet possession can be given.
Anarchy will follow. … My advisers think Proclamation should be postponed.
Mr. McDougall will remain near Frontier, waiting favorable opportunity for
peaceable ingress. » (Pièce 89, onglet 47, page 139)
[464] L’historien Stanley constate que Macdonald avait envoyé une lettre à McDougall dans
laquelle il disait que la responsabilité avait été rejetée sur le gouvernement impérial : « We have
thrown the responsibility on the Imperial Government. » (Stanley, supra, p. 78)
[465] Le secrétaire d’État pour les Colonies, le comte Granville, ne voulait pas donner son
consentement. Il avait obtenu des conseils juridiques l’avisant qu’aussitôt que l’acte de cession
aurait été accepté par la Couronne, le Canada serait obligé d’accepter le transfert.
[466] Une missive a été envoyée à Young, dans laquelle Granville passait en revue les
événements qui expliquaient le désir du gouvernement canadien d’obtenir la Terre de Rupert et
le Nord-Ouest. Il était très clair que le gouvernement britannique ne favoriserait pas le désir du
Canada que le transfert soit accepté seulement si le Canada pouvait avoir une possession
paisible.
[467] Et, Granville terminait en lui donnant pour instruction de bien faire comprendre à ses
ministres le désir pressant du gouvernement de Sa Majesté de mettre à leur disposition le soutien
de l’autorité de la Reine : « and I have to instruct you to impress strongly upon your Ministers,
the anxious desire of Her Majesty’s Government to make the authority of the Queen available in
their support. » (Pièce 89, onglet 47, page 139-141)
[468] Le gouvernement du Royaume-Uni a maintenu catégoriquement que le transfert se
poursuivrait tel que prévu. Un télégramme a été envoyé par le comte Granville au gouverneurgénéral Young. C’était ce télégramme que Young avait pris comme point de départ pour la
proclamation. Le télégramme était joint à une lettre que Young avait envoyée à McTavish. Le
message était clair. La Reine était mécontente des événements dans le Nord-Ouest et voulait que
cela soit réglé. Il y avait une urgence dans le télégramme et il était nécessaire de délier la
situation.
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[469] Dans un télégramme que Granville avait envoyé à Young le 9 décembre 1869, il lui
donnait la liberté d’autoriser Donald Smith à promulguer selon l’ordre de la Reine tout ou partie
de la proclamation qu’il lui avait télégraphiée (« you are at liberty to authorize Donald Smith to
promulgate, as by order of the Queen, the whole or any part of the Proclamation I telegraphed
to you. »). (Correspondence, Dispatches from the Governor, page 172)
[470] Alors, dans l’esprit de Granville, le texte de son télégramme représentait la proclamation
et il tenait beaucoup à ce que cela soit promulgué. La proclamation que le gouverneur-général a
émise n’était pas le télégramme mot-à-mot. Ceci n’a pas beaucoup d’importance. Granville avait
dit d’en faire l’usage qu’il pensait être le meilleur : «Make what use you think best of what
follows:… ». En outre, j’ai examiné les deux documents et je suis satisfait que la proclamation
que Young a émise soit une reproduction fidèle du télégramme de Granville.
[471] Je suis satisfait que, du point de vue des gouvernements britannique et canadien, la
proclamation était le moyen de sortir de l’impasse. La proclamation disposait du soutien de
l’autorité de la Reine (« authority of the Queen available in … support »).
[472] La proclamation identifiait le problème et proposait une solution.
[473] Selon les Métis, le problème était le changement dans leur vie. En décembre 1869, les
Métis exerçaient des droits linguistiques dans les tribunaux et dans le conseil d’Assiniboia. Les
lois étaient publiées en anglais et en français. La lutte pour obtenir ces droits est décrite cidessous.
[474] La reconnaissance que les droits existaient n’a jamais été remise en question. Le
gouvernement du Canada était toujours sensible aux préoccupations des Métis.
[475] Le 31 octobre 1869, McDougall a envoyé une lettre à Joseph Howe, secrétaire d’État
pour les provinces. Dans cette lettre, il informe le secrétaire qu’il a envoyé M. Provencher à Fort
Garry pour rencontrer les Métis. Il a reçu pour instructions de les assurer de la détermination du
gouvernement de traiter toutes les classes de manière juste et de respecter les droits existants
sans considération de race ou de religion : « He was instructed to assure them of the
determination of the Government to deal justly with all classes, and to respect existing rights
without reference to race or religion. » (Correspondance, Dispatches from the Governor, page 4)
[476] M. Provencher a exécuté ces consignes. Il a envoyé une lettre à McDougall le 3
novembre 1869 dans laquelle il a écrit que le nouveau gouvernement, une fois établi,
représenterait la Couronne d’Angleterre et le gouvernement du Canada mais que le Canada ne
pourrait ou ne voudrait interférer dans les droits privés ou religieux des citoyens :
« I insisted that the new Government, when established… would represent the
Crown of England and the Government of Canada; but that Canada … could not
or would not interfere with the religious or private rights of the citizens. »
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[477] Dans une lettre de Howe à McDougall, le 7 décembre 1869, l’auteur a déclaré que ce
dernier était désormais en position d’assurer les habitants des Territoires du Nord-Ouest que
leurs libertés civiles et religieuses seraient respectées religieusement, et que toutes les propriétés,
les droits et les privilèges de toute nature dont ils jouissaient sous le gouvernement de la
Compagnie de la Baie d’Hudson seraient maintenus :
«You will now be in a position,…with the residents of the North-West, to assure
them:
1. That all their civil and religious liberties and privileges will be sacredly
respected.
2. That all their properties, rights, and equities of every kind, as enjoyed under
the Government of the Hudson’s Bay Company will be continued to them. »
(Correspondance, Dispatches from the Governor, page 35)
[478] Dans une lettre que le gouverneur-général a envoyée à Donald Smith, le 12 décembre
1869, il mentionne :
« the Proclamation I have addressed to Her Majesty’s faithful subjects in the
North-West. » et que « The people may rely that respect and attention will be
extended to the different religious persuasions, that title to every description of
property will be carefully guarded, and that all franchises which have subsisted,
or which the people may prove themselves qualified to exercise, shall be duly
continued…. » (Correspondance, Dispatches from the Governor, page 58)
[479] Le 7 février 1870, Donald Smith avait dit aux délégués de la convention que l’emploi du
français dans les tribunaux et à l’Assemblée législative, ainsi que la publication des débats et des
ordonnances étaient si évidents qu’ils seraient prévus : « As to this, I have to say that its
propriety is so evident that it will unquestionably be provided for. » (Transcription, page 6401,
lignes 6-10)
[480] Le secrétaire d’État pour les Colonies a continué d’être impliqué dans le transfert et dans
les réponses du gouvernement canadien aux droits revendiqués par les habitants de la Terre de
Rupert. Dans un télégramme laconique, le comte Granville a recommandé au gouverneurgénéral :
« 5th March, 1870.
Her Majesty’s Government will give proposed military assistance, provided
reasonable terms are granted Red River Settlers, and provided your Government
enable Her Majesty’s Government to proclaim the transfer of the Territory
simultaneously with the movement of the Force. »
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(Correspondance, Dispatches from the Governor, page 20)
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(Correspondance, Dispatches from the Governor, page 175)
« 23rd April, 1870.
On the following conditions Troops may advance:
1. Rose to be authorized to pay 300,000l. at once, and Her Majesty’s
Government to be at liberty to make transfer before end of June.
…
3. Canadian Government to accept decision of Her Majesty’s Government on all
disputed points of the Settlers’ Bill of Rights. »
(Soulignement ajouté). (Correspondance, Dispatches from the Governor, page 177)
[482] Les télégrammes sont importants car ils démontrent que les problèmes des trois
protagonistes étaient liés :
C
C
C
les Métis, qui voulaient que leurs droits soient garantis;
le gouvernement britannique, qui voulait mener à bien le transfert selon le
Rupert’s Land Act, 1868, 31-32 Victoria, c. 105 (R.-U.) [31 juillet 1868];
le gouvernement canadien, parce que les troupes britanniques assuraient une
possession paisible.
[483] Les télégrammes donnent un contexte à la proclamation nonobstant qu’ils ont
été envoyés plusieurs mois après la proclamation. Les télégrammes ciblaient les problèmes qui
ont mené à la proclamation, c’est-à-dire les droits des Métis, le transfert et la possession paisible.
[484] Tous ceux qui ont exprimé une opinion concernant les droits des Métis ont tous donné la
même promesse, à savoir que les droits que les Métis avaient avant l’entrée dans la
Confédération seraient respectés après l’entrée dans la Confédération.
[485] Le gouvernement britannique savait bien que c’était les Métis qui étaient à l’origine de la
résistance parce qu’ils n’avaient pas été consultés. Il savait aussi que les Métis avaient peur de
perdre leurs droits. Alors un transfert couronné de succès était lié à une garantie après l’entrée
dans la Confédération du maintien des droits que les Métis avaient antérieurement.
[486] Parmi ces droits dont les Métis jouissaient avant la Confédération se trouvaient les droits
linguistiques. Ils figuraient toujours dans les listes qui avaient été rédigées par les délégués. À
mon avis, le paragraphe cinq de la proclamation était la garantie des droits linguistiques.
[487] La revendication des droits linguistiques n’était pas une demande capricieuse sans
fondement. Ces droits avaient été acquis bien avant la Confédération. Ils ont été acceptés par les
délégués de la convention et Donald Smith sans aucune discussion.
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[481] Et six semaines plus tard :
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Résumé de l’ensemble de la preuve :
[489] J’ai considéré l’ensemble de la preuve présentée par la défense à l’appui de sa thèse. À
mon avis, la défense a fait la preuve sur une prépondérance de probabilité dans tous les domaines
sauf deux. Je n’accepte pas que le français fût la langue officielle de la Compagnie de la Baie
d’Hudson, ou que le français fût la lingua franca de la traite des fourrures.
L’importance constitutionnelle de la Proclamation :
[490] La défense a fait valoir que l’honneur de la Couronne est pertinent dans ce dossier.
Quoique la jurisprudence concernant l’honneur de la Couronne se trouve dans le contexte des
Autochtones, rien n’interdit son application dans ce cas-ci. La défense a cité Nation Haïda c.
Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) [2004] 3 R.C.S. 511, paras. 16 – 20.
[491] À mon avis, l’arrêt Nation Haïda démontre que les Autochtones sont vus en tant que
peuple souverain ou de société unique, c’est-à-dire les peuples autochtones ou la souveraineté
autochtone préexistante. En d’autres mots, un peuple indépendant. Cela n’était pas le cas en
1869 avec les Métis. Ils n’étaient pas considérés comme un peuple souverain avec une
souveraineté préexistante. Selon moi, l’honneur de la Couronne n’est pas un concept qui peut
être utilisé dans cette cause.
[492] La thèse de M. Caron consiste à affirmer que la proclamation du 6 décembre 1869 est une
reconnaissance du fait que les Métis avaient des droits linguistiques. Il fait valoir que le
Parlement canadien a garanti des droits dans l’Adresse du Sénat et de la Chambre des communes
(1867).
« 139. Le gouvernement et le Parlement du Canada sont également disposés, si le
gouvernement de Votre Majesté accepte de transférer au Canada toute autorité sur
la région en cause, à faire respecter les droits des personnes physiques ou morales
qui y sont installées et placer ces droits sous la protection des tribunaux
compétents. » (soulignement ajouté)
…
« 141. Comme l’indique le dernier paragraphe de l’Adresse, le Parlement et le
gouvernement étaient « disposés » dès 1867 « à faire respecter les droits des
personnes physiques » installées dans la terre de Rupert. À cet égard, la
proclamation de 1869 réitère de façon plus explicite l’engagement qu’avait pris
le gouvernement canadien dès 1867 de respecter les droits civils et religieux des
habitants de la terre de Rupert. »
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[488] À mon avis, la proclamation reconnaissait les droits linguistiques et garantissait leur
existence postérieurement à l’entrée dans la Confédération.
Page: 80
(Mémoires de l’accusé, 6 juillet 2007, paragraphes 139 et 141)
« [l]’engagement de respecter les droits des résidents des territoires en question
devrait donc être interprété comme une nouvelle condition qui serait respectée
dans le processus constitutionnel d’adhésion. ». (Mémoire en réplique de
l’accusé, 20 juillet 2007, page 8, paragraphe 11b.)
[494] L’Alberta prétend que :
« La première Adresse indique que le gouvernement est responsable " …à faire
respecter les droits […] et placer ces droits sous la protection des tribunaux
compétents”. Selon l’Alberta, le Parlement et la Couronne britannique référaient
clairement aux droits existants reconnus en loi et qui pouvaient être exécutés par
les tribunaux. » (Mémoire de Sa Majesté La Reine, 6 juillet 2007, paragraphe
124)
[495] Selon l’Alberta, cette thèse est appuyé par Ex Parte Renaud (1873), 14 N.B.R. 273; 1873,
CarswellNB 17 (C.S.N.B.) :
« Para 20 Surely the rights contemplated [by the Fathers of Confederation] must
have been legal rights: in other words, rights secured by law, or which they had
under the law at the time of the Union. If any such existed, they must have been
capable of being clearly and legally defined, and there must have existed legal
means for their enforcement, or legal remedies for their infringement, for it is a
clear maxim of law, that ubi jus, ibi remedium. »
[496] À mon avis, il est nécessaire d’examiner les débats parlementaires entourant l’adoption
des résolutions ayant constitué la première Adresse. La teneur de l’Adresse a été débattue à la
Chambre des communes pendant plusieurs jours. Elle a été caractérisée comme présentant des
résolutions distinctes.
[497] C’est dans l’avant-dernier paragraphe de la première Adresse que se présente la phrase
« à faire respecter les droits des personnes physiques ou morales qui y sont installées » (« that
the legal rights of any corporation, company, or individual, within the same shall be
respected… »).
[498] Originellement, la sixième résolution se lisait comme suit :
« 6. That in the event of the Imperial Government agreeing to transfer to Canada
the jurisdiction and control over this region, it would be expedient to provide,
that the legal rights of any Corporation, Company or individual with the same,
will be respected, and that in case of difference of opinion as to the extent, nature,
2008 ABPC 232 (CanLII)
[493] Selon l’accusé, la proclamation est un terme du transfert et :
and value of these rights, the same shall be submitted to judicial decision, or be
determined by mutual agreement between the Government of Canada and the
parties interested. » (House of Commons Debates. First Session, First Parliament.
29 novembre 1867, page 159)
[499] Les discussions visaient la Compagnie de la Baie d’Hudson et la question de savoir si
elle avait un droit légal sur le territoire.
[500] Un député, M. Bodwell, a dit que le bon sens semblait indiquer que la Compagnie n’avait
aucun droit légal et il s’en remettait aux autorités dans le but de démontrer que la charte de la
Compagnie de la Baie d’Hudson octroyée par Charles II sans le consentement du Parlement était
de fait invalide :
« common sense seemed to indicate that they had no legal right, and he referred
to authorities with the object of showing that the charter of the Hudson’s Bay
Company being granted by Charles II without the consent of Parliament, was
therefore void. » (Commons Debates, 4 décembre 1867, page 183)
[501] Il ne pouvait pas accepter la résolution telle qu’elle était rédigée.
[502] Un autre député, M. Gray, fit allusion aux sérieux doutes existant quant au droit légal de
la Compagnie de la Baie d’Hudson sur le territoire qu’elle occupait et a avancé l’opinion que ses
droits devraient être décidés par une opinion judiciaire plutôt que par un compromis :
« … alluded to the very serious doubts which existed as to the legal right of the
Hudson’s Bay Company to the territory it occupied, and pressed the opinion that
its right should be decided by a judicial decision, in preference to the question
being settled by a compromise. » (Commons Debates, 4 décembre 1867, page
186)
[503] La résolution a été amendée le 8 décembre 1876, en supprimant tous les mots suivant
« respected ».
[504] Il a été observé que :
« The Government thought that, in the event of this great territory being
transferred to Canada, we would respect the rights of all parties; and if the
Imperial Government was asked to hand over the territory to us, we would
receive it subject to any legal claims which British subjects might have upon it;
and, inasmuch as the territory, when so handed over to us, would be without
government and the protection of the law until established there by Canada, it
would be proper for this Government to see that proper and competent Courts of
Jurisdiction were established. The character of these courts, their jurisdiction,
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[505] Et sir J. A. Macdonald a dit qu’il était affirmé dans la sixième résolution que les droits
légaux seraient respectés mais on a évité tout arbitrage à leur égard en les plaçant sous la
protection des tribunaux (« said it was asserted in the sixth resolution that legal rights would be
respected, but they avoided any arbitration with respect to those rights by placing them under
the protection of the courts. ») (Commons Debates, 9 décembre 1867, page 224)
[506] Le parlement canadien considérait les droits légaux dans un sens très général. Ceci est
clair lorsque l’on examine les mots qui ont été utilisés pour décrire les droits : « in case of
difference of opinion as to the extent, nature, and value of these rights,… », « the rights of all
parties », « any legal claims », « legal rights » et « those rights ».
[507] À mon avis, « legal rights » dans l’Adresse n’est ni plus ni moins qu’une reconnaissance
qu’il existait des droits, mais ces droits n’étaient ni précisés, ni reconnus à ce moment. En outre,
il n’y avait pas des tribunaux établis. Il ne s’agissait pas d’une reconnaissance tel que suggéré
par l’Alberta, c'est-à-dire des droits connus, précisés.
[508] Curieusement il y avait mention de la langue française, mais pas dans le contexte des
discussions concernant la sixième résolution. Pendant les débats sur la question de l’annexion
des « Western Territories », l’honorable M. Langevin a dit que « French Canadians always
fought for their institutions, their rights, their language, and now they cannot refuse to favour
our extension, our political progress, and our future liberties. We must respect everybody’s
rights as we have done for our seigniories. » (Commons Debates, 5 décembre 1867, page 194)
[509] Les politiciens ont toujours reconnu que des droits existaient, même s’ils ne pouvaient
pas les préciser. M.Savary, un député, a fait cette observation. « Quant aux Territoires du NordOuest, il existe sans doute des malentendus quant aux raisons pour lesquelles le Canada
cherche à les acquérir. … Il est contraire aux principes fondamentaux de nos institutions de ne
pas reconnaître les droits des populations vivant sur chaque partie de la Puissance, si petites
fussent-elles. Qu’il s’agisse d’un petit ou d’un grand pays, les droits des populations sont les
mêmes,… » (Chambre des Communes, Débats des Communes, le jeudi 17 février 1870, page 13)
[510] Une autre objection soulevée par l’Alberta était que la proclamation n’avait pas la
capacité de créer des droits constitutionnels. À mon avis, l’objection signifie que la proclamation
n’avait pas de statut constitutionnel alors les droits que la proclamation reconnaissaient et
garantissaient ne bénéficiaient d’aucune protection constitutionnelle.
[511] Dans son Mémoire de réplique du 20 juillet 2007, l’Alberta prétend :
« 43. Les rédacteurs de l’article 146 de la Loi de 1868 sur la Terre de Rupert
auraient pu inclure une disposition pour de la consultation ou un processus de
grief pour aborder toute préoccupation des résidents avant l’annexion. Au
2008 ABPC 232 (CanLII)
and number was left to the direction of Parliament when the time came for
dealing with the question. » (Commons Debates, 9 décembre 1867, page 222)
contraire, de telles dispositions n’ont pas été incluses. Ni l’art. 146 ni la Loi de
1868 sur la Terre de Rupert, qui définissent l’autorité et le processus juridique
pour l’annexion, font provision pour la participation de La Terre de Rupert et du
Nord-Ouest au processus.
44. L’Alberta prétend que parce que la Proclamation n’est pas une Loi du
Parlement britannique et qu’elle n’a pas été prévue par l’art. 146 ou la Loi de
1868 sur la Terre de Rupert, elle ne peut pas avoir de reconnaissance
constitutionnelle ni créer des droits garantis. Ceci est appuyé par le fait que :
(a) Les termes de la Première Adresse au Parlement sont clairs et
limités aux « legal rights ».
(b) Ni le terme « civil rights » ni la Proclamation n’est mentionné
dans le Décret du 23 juin 1870, ni dans aucune de ses Annexes. »
Statut constitutionnel de la proclamation :
[512] Pour arriver à une conclusion concernant le statut de la proclamation, on doit examiner la
loi qui a permis l‘adhésion de la Terre de Rupert et du Nord-ouest à la Confédération.
[513] Le paragraphe 146 de la Loi de 1867 sur l'Amérique du Nord britannique stipule ce qui
suit :
« La Reine est habilitée, sur l'avis du très honorable Conseil privé de Sa Majesté
et sur adresse des chambres du Parlement du Canada et des législatures
respectives de Terre-Neuve, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la ColombieBritannique, à accepter l'adhésion à l'Union de ces colonies ou provinces, et sur
adresse des chambres du Parlement du Canada, à accepter celle de la terre de
Rupert et du Territoire du Nord-Ouest, aux conditions fixées dans les adresses et
approuvées par elle, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout
décret en conseil pris à cet égard valant décision du Parlement du Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d'Irlande. »
[514] Alors l’adhésion exigeait des conditions fixées dans les adresses à la Reine
[515] En 1867, l’Adresse de la Chambre des communes a été envoyée à la Reine. Dans l’avantdernier paragraphe de l’Adresse, le Parlement a décrété :
« Le gouvernement et le Parlement du Canada sont également disposés, si le
gouvernement de Votre Majesté accepte de transférer au Canada toute autorité
sur la région en cause, à faire respecter les droits des personnes physiques ou
morales qui y sont installées et placer ces droits sous la protection des tribunaux
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[516] La signification de « legal rights » a été analysée ci-dessus.
[517] Le 31 juillet 1868, la Terre de Rupert était transférée au Royaume-Uni par la Loi de
1868 sur la Terre de Rupert, 31-32 Victoria, c. 105 (R.-U.).
[518] L’article trois envisageait ce qui suit :
« 3. It shall be competent for the said Governor and Company to surrender to Her
Majesty, and for Her Majesty by any Instrument under Her Sign Manual and
Signet to accept a Surrender of all or any of the Lands, Territories, Rights,
Privileges, Liberties, Franchises, Powers, and Authorities whatsoever granted or
purported to be granted by the said Letters Patent to the said Governor and
Company within Rupert's Land, upon such Terms and Conditions as shall be
agreed upon by and between Her Majesty and the said Governor and Company;
provided, however, that such Surrender shall not be accepted by Her Majesty
until the Terms and Conditions upon which Rupert's Land shall be admitted into
the said Dominion of Canada shall have been approved of by Her Majesty, and
embodied in an Address to Her Majesty from both the Houses of the Parliament
of Canada in pursuance of the One hundred and forty-sixth Section of the British
North America Act, 1867; and that the said Surrender and Acceptance thereof
shall be null and void unless within a Month from the Date of Such Acceptance
Her Majesty does by Order in Council under the Provisions of the said last
recited Act admit Rupert's Land into the said Dominion; provided further, that no
Charge shall be imposed by such Terms upon the Consolidated Fund of the
United Kingdom. » (Soulignement ajouté)
[519] Selon les termes de la loi, la Couronne disposait d’un mois depuis la date de la cession
jusqu’à ce que la Terre de Rupert soit transférée au Canada.
[520] Le 28 mai 1869, la Chambre des communes avait fait voter des résolutions concernant les
conditions fixées du transfert du territoire au Canada. La dernière résolution ordonnait qu’« il est
résolu d'habiliter le gouverneur en conseil à prendre toute mesure nécessaire à l'exécution de
l'accord. »
[521] Une Adresse à Sa Très Excellente Majesté la Reine a été faite le 31 mai 1869. Elle
réaffirmait les conditions fixées du transfert et indiquait : « [e]nfin, nous habilitons le
gouverneur en conseil à prendre toute mesure nécessaire à l'exécution de l'accord. »
[522] À mon avis, le gouverneur en conseil a reçu des pouvoirs absolus de la Chambre des
communes pour « prendre toute mesure nécessaire à l'exécution de l'accord ». Ceci était un
pouvoir inconditionnel.
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compétents. » (Sénat, mardi 17 décembre 1867, Chambre des communes, lundi 16
décembre 1867)
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« Sa Majesté, sur l'avis du Conseil privé et au titre des pouvoirs dont elle est
investie par les lois en cause, décrète réalisée le 15 juillet 1870 l'adhésion au
dominion du Canada, d'une part, du Territoire du Nord-Ouest, aux conditions de
l'adresse mentionnée en premier lieu, le Parlement ayant dès lors le pouvoir plein
et entier de légiférer pour la prospérité et le bon gouvernement futurs de ce
territoire, d'autre part, sans préjudice des obligations découlant de l'approbation
du rapport cité plus haut, de la terre de Rupert, aux conditions ci-après qui,
parmi celles de la seconde adresse du Parlement du Canada, restent à exécuter et
ont été approuvées par Sa Majesté : » (Soulignement ajouté).
[524] Le décret en conseil comportait quinze conditions fixes. La majorité des conditions
traitaient des exigences du transfert sauf la condition quinze :
«15. Le gouverneur en conseil est habilité à prendre toute mesure nécessaire à
l'exécution des conditions énoncées ci-dessus. Le très honorable comte Granville,
un des premiers secrétaires d'État de Sa Majesté, est chargé de donner les
instructions qui s'imposent en l'occurrence. »
[525] La condition quinze est la même que celle contenue dans la deuxième Adresse à Sa
Majesté avec le comte Granville comme responsable de diriger les affaires.
[526] La condition quinze est très spécifique. Elle doit être utilisée « à l'exécution des
conditions » nécessaires pour transférer la Terre de Rupert et le Nord-Ouest au Canada. Cela
donne au gouverneur en conseil et au comte Granville l’obligation et le pouvoir de garantir que
le transfert soit un succès. Étant donné que le gouverneur en conseil « est habilité à prendre
toute mesure nécessaire », à mon avis, le pouvoir s’étend au-delà des conditions qui sont
précisées dans le décret en conseil.
Considération contextuelle :
[527] La procédure légale nécessaire pour effectuer le transfert de la Terre de Rupert et du
Nord-Ouest était interrompue par les événements qui avaient eu lieu dans la colonie de la rivière
Rouge en octobre et en novembre 1869.
[528] Vers la fin du mois de novembre 1869, le gouverneur-général John Young avait envoyé
un télégramme au comte Granville. Le télégramme annonçait que le Canada n’accepterait pas le
transfert s’il ne pouvait pas garantir une possession paisible. Le Canada voulait que le transfert
soit remis à plus tard.
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[523] Le dernier document que l’on doit considérer est le Décret en conseil portant adhésion à
l'Union de la terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest, daté du 23 juin 1870.
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[530] En déclarant que le Canada n’accepterait pas le transfert de la Terre de Rupert et du
Nord-Ouest sans possession paisible, on a créé une situation où il n’était pas possible de réaliser
l'exécution des conditions. Si rien n’était fait pour apaiser les Métis, les troubles continueraient.
Le Royaume-Uni avait seulement un mois selon les termes de la Loi sur la Terre de Rupert pour
transférer les terres au Canada. La proclamation fut la réponse qui traitait les problèmes étant la
cause des troubles.
Analyse :
[531] Selon moi, la proclamation correspond aux critères de la condition quinze qui énonce que
« [l]e gouverneur en conseil est habilité à prendre toute mesure nécessaire à l'exécution des
conditions énoncées ci-dessus. Le très honorable comte Granville, un des premiers secrétaires
d'État de Sa Majesté, est chargé de donner les instructions qui s'imposent en l'occurrence ».
[532] Les questions que je dois trancher sont :
(1)
(2)
Est-ce qu’un document émis en vertu de la condition quinze du Décret en conseil
portant adhésion à l'Union de la terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest
devint une condition dudit décret?
Est-ce qu’un document émis en vertu dudit décret en conseil acquiert un statut
constitutionnel?
[533] Dans l’arrêt Le Procureur général du Canada, Appelant; c. Le Procureur général de la
Colombie-Britannique, [1994] 2 R.C.S. 41, la Cour suprême a tranché une question semblable.
Le point controversé consistait à savoir si la condition onze du Décret en conseil portant
adhésion à l'Union de la Colombie-Britannique portait une obligation constitutionnelle du
Canada de garantir l'exploitation du service de trains.
Document constitutionnel :
[534]
Le juge Iacobucci a rendu le jugement de la majorité. Au paragraphe 55, il a statué :
« Les obligations en matière de chemin de fer qui sont imposées au Canada et qui
ont ainsi force constitutionnelle sont énoncées surtout dans le premier
paragraphe de l'art. 11, que je reproduis :
11. Le gouvernement de la Puissance s'engage à faire commencer
simultanément, dans les deux années de la date de l'Union, la
2008 ABPC 232 (CanLII)
[529] Le comte Granville a envoyé une dépêche dans laquelle il a indiqué que le Royaume-Uni
ne voulait pas attendre jusqu’à ce que la possession paisible puisse être garantie. Il a aussi
envoyé le télégramme sur lequel est fondée la proclamation.
construction d'un chemin de fer du Pacifique aux MontagnesRocheuses, et du point qui pourra être choisi, à l'est des
Montagnes-Rocheuses, jusqu'au Pacifique, pour relier la côte
maritime de la Colombie-Britannique au réseau des chemins de fer
canadiens, -- et de plus à faire achever ce chemin de fer dans les
dix années de la date de l'Union.
Je dois souligner, au départ, que l'art. 11 ne fait nullement état d'exploitation de
chemin de fer continue, perpétuelle ou autre. »
[535] Et au paragraphe 66 :
« Cependant, même cette application inutilement élargie du principe de l'arbre
susceptible de croître possède à l'art. 11 une assise que j'ai déjà mentionnée:
l'art. 11 envisage une cession de terres. Cependant, l'art. 11 ne prévoit aucune
obligation d'exploiter le chemin de fer. »
[536] Et au paragraphe 67 :
« Toutefois, comme je vais l'analyser, bien que les arrangements de 1883 aient
constitué une façon importante de donner un sens précis à l'art. 11, les parties ne
pouvaient pas "clarifier" ce qui n'est pas compris dans l'art. 11, savoir
l'obligation d'exploiter le chemin de fer. »
[537] Et au paragraphe 68 :
« On ne peut soutenir que le Canada ou la Colombie-Britannique ignorait, en
1871, la distinction qui existe entre la construction et l'exploitation d'un chemin
de fer. »
[538] Et au paragraphe 72 :
« De même, j'estime qu'on peut assez facilement répondre à l'argument avancé
par la Colombie-Britannique. L'article 11 est clair à première vue: il impose au
Canada une obligation de construire et non une obligation d'exploiter. »
(Soulignement ajouté)
[539] Il est clair que le problème était qu’il n’y avait aucune mention ou même la suggestion
dans l’article 11 que le Canada avait une obligation d'exploiter le chemin de fer. L’article 11 était
très spécifique à l’égard de l’obligation constitutionnelle du Canada.
[540] La condition quinze dans le décret en Conseil est ouverte dans la mesure où elle envisage
expressément qu’il y aura des détails manquants à compléter. La condition quinze prévoyait qu’il
serait nécessaire d’ajouter d’autres détails pour que les conditions soient réalisées.
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 87
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[542] Au paragraphe 70, le juge Iacobucci a constaté que :
« [l]e processus d'interprétation proposé par la Colombie-Britannique rejette le
principe simple selon lequel il faut d'abord tenir compte du texte de la disposition
à interpréter … J'ai déjà fait remarquer que l'art. 11 n'est "sommaire" que dans
un sens fort limité. Mais, même si une conception plus large était acceptable, ce
que la Colombie-Britannique nous invite à faire est d'aller au-delà du texte de
l'art. 11 de la Convention fédérale-provinciale de 1883, pour examiner la Loi
fédérale et ensuite la convention Dunsmuir dans laquelle on finit par trouver une
obligation d'exploiter. »
[543] Dans cette cause, ce qui est envisagé provient du décret en conseil. C’est un argument
fondé sur la Constitution, qui … repose …sur le texte même de la Constitution (paragraphe 81).
Les règles d’interprétation des documents constitutionnels :
[544] Selon le juge Iacobucci pour interpréter des documents constitutionnels, on doit
considérer ce qui suit :
« 69 Bien que les dispositions constitutionnelles doivent être susceptibles
d'évoluer, l'interprétation en la matière doit néanmoins commencer par l'examen
du texte de la loi ou de la disposition constitutionnelle en cause. Dès 1883, dans
l'arrêt Attorney-General of Ontario c. Mercer (1883), 8 App. Cas. 767 (C.P.),
prononcé par le lord chancelier (le comte de Selborne), à la p. 778, on avait
reconnu, en interprétant l'art. 109 de la Loi constitutionnelle de 1867, que :
« [Traduction] Il est bien établi en droit que chaque terme devrait,
à première vue, être interprété dans son sens primaire et naturel,
sauf si la matière ou le contexte nécessite qu'on lui attribue un
sens secondaire ou plus restreint.
De même, parallèlement au développement de l'interprétation constitutionnelle
par analogie à l'"arbre susceptible de croître" dans l'arrêt Edwards c. AttorneyGeneral for Canada, précité, on a aussi affirmé qu' [Traduction] "il s'agit de
savoir non pas ce qu'on a supposément voulu dire, mais bien ce qu'on a dit" (le
lord chancelier Sankey, à la p. 137).
…
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[541] Une autre préoccupation de la Cour était la nécessité de consulter plusieurs documents
avant d’arriver à l’obligation d’exploiter le chemin de fer.
Page: 89
[545] Selon moi la condition fixe quinze peut être interprétée simplement en lisant le texte. Il
n’y a rien dans la matière qui « nécessite qu'on lui attribue un sens secondaire ou plus
restreint ».
[546] La différence entre la matière dans Le Procureur général du Canada, Appelant; c. Le
Procureur général de la Colombie-Britannique et notre cause est évident.
[547] Dans la première cause, il n’y avait pas même la suggestion que le Canada aurait la
responsabilité d’exploiter un chemin de fer. En outre, il était nécessaire de fonder cet
engagement sur un document qui n’avait pas de statut constitutionnel. Il fut nécessaire de
consulter plusieurs documents avant d’arriver au document qui était pertinent, selon la
Colombie-Britannique.
[548] Dans la cause présente, la condition quinze fait partie du décret en Conseil de juin 1870,
qui est un document constitutionnel se trouvant dans l’annexe des documents constitutionnels. Il
est évident que la raison d’être de la condition quinze était de fournir un mécanisme qui exclurait
tout empêchement au transfert. Il n’y avait aucune nécessité de consulter un autre document.
[549] Dans cette cause, le libellé « prendre toute mesure nécessaire » confère des pouvoirs
considérables au gouverneur-général. Il y a deux avertissements :
(1)
(2)
Le comte Granville « est chargé de donner les instructions qui s'imposent en
l'occurrence ».
Le pouvoir doit être employé « à l'exécution des conditions énoncées ci-dessus ».
[550] La latitude que permet ce pouvoir tient compte des détails qui ne sont pas précisés dans
les conditions fixes, mais qui sont indispensables à la réussite du processus d’intégration des
territoires à la Confédération.
[551] Les politiciens ne pouvaient pas prévoir absolument tous les détails interférant avec le
transfert de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest au Canada. C’est la raison pour laquelle un
pouvoir si grand a été octroyé au gouverneur en conseil et au comte Granville. À mon avis, le
pouvoir avait suffisamment d’ampleur pour comprendre une situation où le transfert serait
compromis parce que les Métis n’étaient pas consultés et leurs droits étaient menacés.
[552] La proclamation était indispensable. Les mesures nécessaires figuraient dans le
paragraphe cinq de la proclamation, en particulier les droits civils. La proclamation était un
document d’une grande portée. Elle a été émise par le gouverneur-général du Canada avec l’avis
et le consentement du Cabinet britannique. Les Métis avaient une tradition de services en
2008 ABPC 232 (CanLII)
70 Le processus d'interprétation proposé par la Colombie-Britannique rejette le
principe simple selon lequel il faut d'abord tenir compte du texte de la disposition
à interpréter. »
Page: 90
[553] Selon moi, étant donné l’importance du problème que la proclamation a résolu, c’est-à dire les droits civils, les mesures sont devenues une partie de la condition quinze.
La Proclamation - Solution constitutionnelle ou actes de création d’un pays :
[554] Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Procureur général), le juge a constaté qu’une
solution politique ne doit pas être confondue avec une solution constitutionnelle.
«75 Je souligne, en particulier, que l'Assemblée législative de la ColombieBritannique avait demandé en 1878 le droit de [Traduction] "se retirer de
l'Union" (Carnarvon Papers, no 198) dans l'éventualité où la proposition soumise
par lord Carnarvon en 1874 ne permettrait pas de répondre aux récriminations
de la Colombie-Britannique.
76 Je ne fais pas abstraction de l'affirmation maintes fois répétée dans les motifs
de la Cour d'appel, savoir que les arrangements de 1883 étaient l'aboutissement
d'efforts de création d'un pays. Toutefois, je dois carrément affirmer que ces
arrangements ne pouvaient créer des obligations de nature constitutionnelle, sauf
si elles étaient déjà spécifiquement envisagées par le texte de l'art. 11. Prétendre
le contraire revient à soutenir que la Colombie-Britannique et le Canada
pouvaient, en 1883, s'entendre unilatéralement sur une modification de la
Constitution et la mettre à exécution.
…
78 Comme je l'ai déjà fait remarquer, je ne doute aucunement de l'importance de
la Convention fédérale-provinciale de 1883 dans le processus de création du
pays. … Toutes les modifications constitutionnelles peuvent forcément être
considérées comme des actes de création d'un pays. Cependant, tous les actes de
création d'un pays n'acquièrent pas forcément un statut constitutionnel.
79 En fait, si je comprends bien, les arrangements de 1883 ont réglé un différend
en matière constitutionnelle, mais ce règlement était en partie de nature
constitutionnelle et en partie de nature politique. On a déjà examiné le volet
constitutionnel principal, c'est-à-dire la mise à exécution des obligations prévues
à l'art. 11 par le règlement des questions de concession de terres. Le volet
politique comprend tout simplement tout ce qui n'est pas spécifiquement envisagé
par l'art. 11 des Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique. …
80 Je conclus donc que si le Canada avait, en 1883, l'obligation d'exploiter la
ligne de chemin de fer de l'île de Vancouver, cette obligation émanait seulement
d'un compromis politique destiné à résoudre une impasse constitutionnelle. Cela
2008 ABPC 232 (CanLII)
français de la part du gouvernement, il était donc sous-entendu que la langue française serait
utilisée.
ne veut pas dire que les arrangements de 1883 manquaient de stabilité ou
d'importance. On n'a qu'à examiner les ententes en matière de perception d'impôt
qui ont existé et qui continuent d'exister entre le gouvernement fédéral et les
provinces canadiennes pour se rendre compte que, parfois, des arrangements
politiques très stables n'ont pas de statut constitutionnel.
81 En d'autres termes, je n'accorde aucune valeur à un argument fondé sur la
Constitution, qui ne repose pas sur le texte même de la Constitution. Ce serait
élargir considérablement la portée du droit constitutionnel que d'affirmer qu'en
résolvant l'impasse constitutionnelle qui existait en 1883, la ColombieBritannique et le Canada ne pouvaient que réagir à ce texte. Comme l'a reconnu
le professeur Hogg dans Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), à la p. 9 :
[Traduction] La définition de l'expression "Constitution du Canada" au par.
52(2) est précédée du terme "comprend". En général, dans les lois canadiennes,
le terme "comprend" indique que la définition n'est pas exhaustive. Le terme
"désigne" précède habituellement une définition exhaustive. Cependant, compte
tenu de la spécificité de la liste des textes législatifs et décrets, et des graves
conséquences (savoir la primauté et la constitutionnalisation . . .) de l'inclusion
d'autres instruments, il est certain qu'aucun tribunal n'aurait l'audace de faire
des ajouts à la liste des 30 instruments énoncés dans l'annexe. En conséquence, il
semble seulement réaliste de considérer la définition comme exhaustive, même si
elle omet de nombreux instruments importants pour le gouvernement fédéral ou
les gouvernements provinciaux. Par exemple, la définition ne mentionne pas les
instruments antérieurs à 1867 qui régissaient le territoire qui fait maintenant
partie de l'Ontario et du Québec: la Proclamation royale de 1763, l'Acte de
Québec de 1774, la Loi constitutionnelle de 1791 et l'Acte d'Union de 1840. Sont
également exclus des instruments antérieurs à 1867, toujours en vigueur: les
constitutions de la Nouvelle-Écosse (1749), de l'Île-du-Prince-Édouard (1769),
du Nouveau-Brunswick (1784), de Terre-Neuve (1832) et de la ColombieBritannique (1866).
82 L'argument de la Colombie-Britannique va à l'encontre de la notion de bon
sens formulée par le professeur Hogg. Puisque le texte des Conditions de
l'adhésion ne laisse aucunement entendre que le Canada a une obligation
constitutionnelle continue d'exploiter la ligne ferroviaire de l'Île, la ColombieBritannique ne saurait soutenir qu'une telle obligation, formulée dans un autre
instrument qui n'est pas lui-même constitutionnel, a d'une manière ou d'une autre
acquis un statut constitutionnel. Il n'est certes pas nécessaire d'écarter
complètement la possibilité que des documents non énumérés au par. 52(2) de la
Loi constitutionnelle de 1982 puissent quand même être considérés comme
constitutionnels dans certains contextes. Cette question n'a pas à être tranchée en
l'espèce. » (Soulignement ajouté)
2008 ABPC 232 (CanLII)
Page: 91
[555] Selon le juge Iacobucci, pour être capable de distinguer entre les actes de création d'un
pays et les actes ayant un statut constitutionnel, une question fondamentale est de savoir si les
actes étaient expressément prévus dans la condition ou si le texte suggère une telle activité. En
outre, la thèse doit être fondée sur la condition de la Constitution. En l’espèce, la thèse de M.
Caron est fondée sur la Constitution parce que le pouvoir d’émettre la proclamation provient de
la condition quinze (le télégramme de Granville à Young et la proclamation fondée sur le
télégramme).
[556] Ce sont les mesures qui sont autorisées par la condition quinze, et pas le résultat. En
l’espèce, il n’y avait aucun doute que le Canada et le Royaume-Uni étaient engagés dans la
création d’un pays. Le Canada obtiendrait une immense étendue de terre. La question de
l’acquisition de la terre était quelque chose qui occupait le Parlement du Canada depuis 1867.
[557] La résistance des Métis n’a pas été prévue. À cause de cette résistance, le Canada voulait
que le transfert soit retardé jusqu’à ce qu’il puisse y avoir possession paisible, quelque chose qui
n’obéissait pas à un calendrier établi. Le Royaume-Uni, selon les conditions de la cession, avait
un mois pour transférer la terre au Canada.
[558] Sans doute y avait-il des aspects de la proclamation qui étaient politiques. La promesse
de tenir compte des plaintes, l’ordonnance de cesser l’atteinte à l’ordre publique, la promesse
d’une amnistie étaient d’ordre politique. Cependant, la promesse qui n’était pas politique était la
promesse que sous l'union avec le Canada tous les droits et privilèges civils et religieux seraient
respectés (« I … assure you, that on the Union with Canada all your civil … rights … will be
respected … »). Il s’agit d’une promesse engageant l’avenir, ce qui est implicite dans les mots («
I … assure you, that on the Union with Canada … »).
[559] La résistance des Métis vers la fin de 1869 et en 1870 était le résultat d’un manque de
communication des responsables avec ceux-ci concernant leurs droits. La convention de 1870 a
entrainé la Liste des Droits dans laquelle il y avait notamment les droits linguistiques. Il était
nécessaire d’avoir une garantie constitutionnelle que les droits linguistiques seraient respectés.
[560] Une garantie politique n’aurait pas été adéquate parce que cela ne donnait pas la certitude
voulue par les Métis. Ceux-ci voulaient que leurs droits linguistiques soient garantis pour les
générations futures.
[561] En conséquence, à mon avis, il était nécessaire que la proclamation soit constitutionnelle
pour apaiser les Métis, en leur donnant plus de certitude. Une garantie politique peut être annulée
plus facilement qu’une garantie constitutionnelle. Avec la conciliation des Métis, la possession
paisible exigée par le Canada devenait possible. Tous les dispositifs visaient à assurer le succès
du processus de transfert. Selon moi, étant donné le contexte historique, la proclamation est un
document constitutionnel. Par conséquent « all your civil … rights » mentionnés dans la
proclamation bénéficient d’une protection constitutionnelle. J’ai déjà statué que, en se fondant
sur la preuve historique, « civil rights » était une expression assez large pour comprendre les
droits linguistiques, donc les droits linguistiques jouissent de la même protection.
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[562] Les mesures de redressement que l’accusé a demandées ont été insérées au
commencement de ma décision.
[563] Brièvement, l’accuse demande :
(1)
(2)
(3)
(4)
Une déclaration en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi Constitutionnelle de 1982
que la Loi Linguistique de l’Alberta est inopérante;
Une ordonnance en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte;
Une déclaration en vertu du paragraphe 52(1) que la législature de la province
doit adopter en français tous les lois et règlements de la province de l’Alberta;
Une déclaration en vertu du paragraphe 52(1) pour avoir des procédures en
français comme en anglais dans les tribunaux.
[564] En ce qui concerne les déclarations générales en vertu de l’article 52 de la Loi
Constitutionnelle de 1982, et ceux qui ont le pouvoir de les octroyer, la loi est claire.
[565] Dans la décision Alberta v. K.B. 2000 ABQB 976, le juge Rooke a déclaré :
« 33 As a statutory court, the Provincial Court is limited to interpreting or
applying the law necessary to deal with issues before it, and cannot grant a
formal declaration of invalidity, which is a remedy exercisable only by a superior
court (Cuddy Chicks, supra, at 17; and Shewchuk v. Ricard, [1986] 4 W.W.R. 289
(B.C.C.A.), at 298, cited with approval in Douglas/Kwantlen Faculty Association
v. Douglas College, [1990] 3 S.C.R. 570, at 591). While the Provincial Court has
the power to determine whether the law it is authorized to interpret is
constitutional, the Charter cannot clothe courts and tribunals with jurisdiction
they would not other wise enjoy (R. v. Mills, [1986] 1 S.C.R. 863; and Cuddy
Chicks, at 13 and 14). The Provincial Court is not, of course, incompetent to deal
with Charter issues where the jurisdiction to do so exists. However, a statutory
court can only apply the Charter to determine that a particular provision of an
act which is relevant to the outcome of the proceedings before it is of no force or
effect (Cuddy Chicks, at 15-16; Douglas/Kwantlen, at 595; Tétreault-Gadoury v.
Canada, [1991] 2 S.C.R. 22, at 31; Shewchuk; and Hogg, Constitutional Law of
Canada, Vol. 2 (Looseleaf Edition) (Toronto: Carswell, 1992), at 37-2).
34 There is no inherent jurisdiction in the Provincial Court to issue general
declarations of invalidity. That Court is limited to ruling on the precise legal
questions which are properly before it (Shewchuck)(sic). For example, in R. v. H.
(R.J.)(2000), 186 D.L.R. (4th) 468, the Alberta Court of Appeal considered the
jurisdiction of a Provincial Court judge to order that the government pay for
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La compétence d’octroyer une déclaration générale en vertu du paragraphe 52(1) :
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The Provincial Court is a creature of statute and possesses no inherent power. It
has long been accepted in Canadian law that the powers and functions of
Provincial Court judges are “circumscribed by the provisions of the statute and
must be found to have been thereby conferred either expressly or by necessary
implication.” [Citations omitted.] »
[566] Et dans R. v. McPherson [1994] M.J. No. 750, le juge Schulman à dit au paragraphe 11 :
« 1. Judges of the Provincial Court do not have the jurisdiction, on the trial of an
accused person, to make an order against the crown.
It is well established that the powers and functions of a Provincial Court Judge
lack the inherent jurisdiction of superior courts and must be found either
expressly or by necessary implication in the statute or statutes conferring
jurisdiction over the matter or person in question: Doyle v. The Queen, [1977] 1
S.C.R. 597, at 602 and Mills v. The Queen (1986), 26 C.C.C.(3d) 481. By virtue of
the Summary Convictions Act, C.C.S.M., c. S230, s. 804 of the Criminal Code
spells out the powers of the Provincial Court in a prosecution under the Wildlife
Act, supplemented by the further powers contained in s. 7 of the Summary
Convictions Act, C.C.S.M., c. S230. There is nothing contained in these sections
which would permit a Provincial Court Judge to make declarations of suspended
invalidity, nor to make orders directed at the Government of Manitoba. Under
these provisions, the powers of the Provincial Court Judge are limited to
convicting, making an order against a defendant, reprimanding, fining,
suspending sentence in connection with, or discharging, in addition to making a
finding that a particular law is unconstitutional and of no force and effect where
such finding is necessary to the proper fulfillment of his function of determining
guilt or innocence of an accused. »
[567] Et dans P. (C.) v. Alberta (Director of Child Welfare) 2003 ABPC 98, 333 A.R. 361, le
juge Helmer a dit :
« 15 A Statutory Court may consider a constitutional question in the course if
(sic) exercising its statutory mandate despite the fact that it has no authority to
make a formal declaration of invalidity because this is a totally different function
from a formal declaration of invalidity, a matter which falls solely within the
jurisdiction of a federal court. Ref. Cuddy Chicks Ltd. v. Ontario (Labour
Relations Board), [1991] 2 S.C.R. 5 (S.C.C.). »
[568] Donc, en tant que juge de la Cour provinciale, je n’ai pas la juridiction d’octroyer des
déclarations générales en vertu de l’article 52 de la Loi Constitutionnelle de 1982.
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specific treatment programs as a disposition under the Young Offenders Act. At
474, Fruman J.A. stated:
[569] Dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, la Cour suprême a statué
sur le paragraphe 24(1) de la Charte dans le contexte où il y a une contestation basée sur
l’inconstitutionnalité d’une loi.
[570] Le juge Dickson a dit :
« 37. Le paragraphe 24(1) prévoit un redressement pour les personnes, aussi bien
physiques que morales, qui ont été victimes d'une atteinte aux droits qui leurs
sont garantis par la Charte. Toutefois, il ne s'agit pas là du seul recours qui
s'offre face à une loi inconstitutionnelle. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce,
la contestation est fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas
nécessaire de recourir à l'art. 24 et l'effet particulier qu'elle a sur l'auteur de la
contestation est sans importance.
…
39. Tout accusé, que ce soit une personne morale ou une personne physique, peut
contester une accusation criminelle en faisant valoir que la loi en vertu de
laquelle l'accusation est portée est inconstitutionnelle. Big M soutient que la loi
en vertu de laquelle elle est accusée est incompatible avec l'al. 2a) de la Charte et
qu'elle est inopérante en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
…
46 L'appelante ne tient pas compte du fait que les cours provinciales ont toujours
eu la possibilité de déclarer une loi invalide dans des affaires criminelles. Nul ne
peut être reconnu coupable d'infraction à une loi invalide. »
[571] Selon moi, j’ai la compétence pour rendre une déclaration limitée que le Traffic Safety
Act est inopérant relativement aux infractions alléguées à cette Loi et aux Use of Highways and
Rules of the Road Regulations qui sont actuellement devant la Cour.
[572] La Loi linguistique chapitre. L-6 des Lois révisées de l’Alberta 2000 déclare :
« 1 Dans la présente loi
Règlements désigne les règlements, décrets, arrêts, règlements administratifs ou
les règles édictés en application d’une loi ou d’une ordonnance.
Langues des lois et règlements
3 Les lois et règlements peuvent être édictés imprimés et publiés en anglais. »
[573] À mon avis, l’article trois empiète sur les droits linguistiques de l’accusé M. Caron. Sa
langue maternelle est le français, il est francophone. Par conséquent, ses droits linguistiques ont
été violés.
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[574] Alors le paragraphe 34(2) des Use of Highways and Rules of The Road Regulations du
Traffic Safety Act relatif à l’infraction actuellement devant cette Cour est inopérant.
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[575] Je déclare M. Caron non-coupable.
Fait à Edmonton (Alberta), le 2 juillet 2008.
L.J. Wenden
Juge de la Cour provinciale de l’Alberta
Comparutions :
Procureure de la Couronne :
Me Haykowsky
Avocat de la Défense :
Me R. Baudais