Une vie qui nous inspire - Claude Chauchetière, S.J.
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Une vie qui nous inspire - Claude Chauchetière, S.J.
Une vie qui nous inspire par le père Claude Chauchetière (Extraits) jeunes gens l’auraient davantage recherchée et qu’elle aurait fait comme les autres filles qui optent pour ce mode de vie dans le pays des Iroquois. VERS LE BAPTÊME Quand Catherine eut persévéré quelque temps à aller à la prière comme catéchumène, le père de Lamberville pensa à la baptiser. Pour procéder en cette affaire, le baptême d’une adulte étant de conséquence au pays des Iroquois, le père modéra le désir qu’il avait de la baptiser. Mais la voyant si fervente et douée de qualités propres à faire une excellente chrétienne, il ne voulait pas différer trop longtemps ce baptême, de crainte de priver Dieu d’une âme qui lui était si chère. Ce père fit une recherche approfondie pendant quelques jours de la vie et des mœurs de cette fille. Tous ceux de la cabane de Catherine en dirent du bien et tous ceux du village dirent la même chose. Tous les chrétiens se réjouirent donc de ce qu’enfin le père était résolu de baptiser Catherine. Elle-même entra dans une joie extraordinaire quand la nouvelle de son baptême lui fut apportée. SON ENFANCE La mère de Kateri était une bonne chrétienne algonquine dont les Iroquois, ou Agniers, s’étaient emparés aux Trois Rivières. Elle fut mariée à un des leurs; de ce mariage naquit Catherine. Dans son enfance, elle vécut donc au pays des Agniers. La petite vérole ravagea son village et enleva petits et grands, ce qui obligea peut-être les Iroquois à faire la paix avec les Français. La mère de Catherine mourut et laissa deux petits enfants avec ce seul regret de les abandonner sans baptême. Un enfant mourut et il ne resta plus que Catherine qui pensa mourir à l’âge de quatre ans parce qu’elle fut attaquée de la petite vérole, laquelle, à succession de temps, lui a procuré le bien de sa virginité. Son visage, qui était bien fait auparavant, en fut tout gâté. Il s’en fallut de peu qu’elle ne perdît la vue et ses yeux furent gâtés de ce mal en telle sorte qu’elle ne pouvait souffrir une grande lumière, ce qui l’obligeait à se tenir toujours enveloppée en sa couverte. Cela a favorisé le désir qu’elle avait de vivre inconnue. Elle remercia souvent notre Seigneur de cette grâce, appelant une grâce cette incommodité, d’autant que si elle eût eu bonne mine les Elle avait appris pour cela les prières avec une promptitude et une avidité merveilleuse de peur que ce baptême ne lui fût différé sous prétexte qu’elle n’était pas assez instruite. 18 Le père choisit le jour de Pâques pour faire un baptême si solennel et le lieu où elle fut baptisée fut la chapelle de la mission. Ce baptême fut fait avec toutes les cérémonies de l’Église. Avec elle, furent baptisées deux autres personnes. On lui donna le nom de Catherine. Le Saint Esprit entrant en Catherine dans le baptême en fit sa chère épouse et la mit au rang des âmes d’élite ; il l’éleva en quatre ans à une haute sainteté. LES PERSÉCUTIONS Il ne faut pas croire que cette fille vécut comme elle le fit simplement de par ses qualités naturelles. Elle eut pendant deux ans, les deux premières années de son christianisme, un noviciat bien rude où elle fit paraître de grandes vertus. Car, sitôt après son baptême, les persécutions ne manquèrent pas. Sa cabane commença à la persécuter disant que, depuis qu’elle était chrétienne, elle était devenue paresseuse parce qu’elle ne participait pas au travail des champs les dimanches. Ils la reprenaient de cette négligence prétendue et ensuite la maltrai taient en diverses façons. Catherine témoigna une fermeté d’esprit extraordinaire contre les insultes quand les enfants la montraient du doigt, quand on ne l’appelait plus par son nom sauvage, mais qu’on l’appelait par le nom de chrétienne, en dérision comme qui aurait voulu dire une chienne. Ce qui dura si longtemps qu’on avait oublié son nom ne lui en donnant point d’autre que « la chrétienne », parce qu’il n’y avait qu’elle de baptisée dans sa cabane. Bien loin de s’affliger de ces mépris qu’on faisait d’elle, elle s’estimait heureuse d’avoir perdu son nom. VERS LA MISSION DU SAULT (Saint-François-Xavier) C’est en compagnie d’un catholique fervent qu’elle quitta un jour le pays iroquois pour rejoindre la Mission du Sault. Il se nommait Louis Garonhiagué et communément, en français, on l’appelait la poudre chaude. Il était en réputation parmi les sauvages puisqu’il était un des chefs de son village. (…) Voilà quel fut l’homme que Dieu avait choisi pour aller chercher Catherine aux Iroquois, laquelle pensait à se retirer du pays de Sodome pour servir Dieu en paix à la Mission du Sault. Louis, la poudre chaude, était d’abord venu chez les Agniers parce qu’il ne fit que se joindre au beaufrère de Catherine et à un autre sauvage de Lorette où est la mission huronne. Ceux-ci, tout comme la poudre chaude, avaient fait le voyage à dessein d’emmener quelqu’un de ceux que Dieu aurait prédestinés. Aussitôt qu’ils furent arrivés, ils commencèrent leur visite par la prière qu’ils allèrent faire, selon la coutume, dans l’église. Le père de Lamberville, qui aimait beaucoup ces sortes de visites et qui considérait ces chrétiens venus du Sault comme des anges venus du ciel, reçut ces trois personnes chez lui. On voyait l’esprit du christianisme et la mortification des passions dépeintes sur les visages de ces nouveaux apôtres. Mais la nouveauté attira encore plus de monde que tout ce qu’on voyait. Les anciens furent les premiers à se rendre chez le père pour voir ces visiteurs venus de Montréal. (…) Personne n’en profita alors davantage que Catherine. 19 Catherine ne put se séparer de ces nouveaux venus. Elle témoigna au père qu’il fallait qu’elle s’en allât quand il devrait lui en coûter la vie. Le père de Lamberville en parla à la poudre chaude et à ses compagnons. La poudre chaude dit qu’il y aurait place pour elle dans le canot puisqu’il avait dessein de passer par toutes les nations iroquoises en prêchant la foi. La résolution ne fut pas plutôt prise qu’elle fut exécutée et les deux compagnons de la poudre chaude embarquèrent Catherine en cachette. (…) Elle arriva donc au Sault à l’automne de 1677 et fut logée avec son beau-frère qui en prit soin jusqu’à sa mort pour ce qui regardait son vivre et son vêtir. Une partie de l’entretien lui était facile parce qu’elle était bonne travailleuse et fournissait assez de son côté pour vivre. SA VIE À LA MISSION Sa devise était « Qui est-ce qui m’apprendra ce qu’il y a de plus agréable à Dieu afin que je le fasse ? » Elle se plaignait quelquefois du père, soupçonnant qu’il lui cachait quelque chose qu’il faisait pratiquer aux autres et de ce qu’il ne l’allait pas voir pour lui apprendre ce qu’il fallait faire pour plaire à Dieu. Elle se plaignait aussi de son institutrice parce qu’elle insistait trop pour qu’elle se marie. Elle lui répondit un jour, se voyant trop pressée, lui proposant qu’elle se mariât elle-même si elle aimait tant le mariage. Si on lui eût dit que l’état de mariage était nécessaire au salut, elle l’aurait embrassé. Mais elle se doutait bien qu’il y avait quelque chose de plus parfait et de plus héroïque quand elle réfléchissait à la vie que menaient les missionnaires parmi eux et à celle que les religieuses menaient parmi les Français. Et l’opposition de la vie qu’elle avait vu mener aux Iroquois et de celle qu’elle voyait qu’on menait au Sault lui augmentait la crainte de tomber dans les désordres de son pays et lui donnait plus de courage pour continuer dans les pratiques qu’elle venait d’entreprendre comme chrétienne. SA DERNIÈRE MALADIE Quoique sa vie ait été une maladie continuelle depuis sa petite enfance, elle ne comptait pas pour incommodité un mal qu’elle avait aux yeux depuis l’âge de quatre ans, un mal de tête presque continuel, un mal d’estomac qu’elle eut la dernière année de sa vie, enfin une fièvre lente. Le désir qu’elle avait d’apprendre à servir Dieu et les consolations célestes dont Dieu la comblait aussi quelquefois détournaient entièrement sa pensée des incommodités qu’elle pouvait avoir. L’assiduité qu’elle avait au travail lui faisait trouver les jours fort courts. Avec tout cela, elle avait un visage gai et riant qui faisait croire qu’elle ne souffrait pas au plus fort de ses maux. (…) On peut aussi ajouter que Dieu ne voulait pas qu’elle mourût dans le bois et que nous fussions privés des grands exemples de vertu qu’elle donna à tout le village en mourant. Ce fut l’an 1680, au mois d’avril, qu’elle quitta la terre pour aller au ciel. (…) Un accident la confirma dans toutes ces pensées. Elle abattait un jour un arbre pour faire du bois de chauffage. En tombant, l’arbre la frappa si rudement d’une de ses branches qu’il la jeta par terre et l’étourdit en telle façon qu’on crut qu’elle était morte. En revenant à soi, elle dit : « Mon Jésus, je vous remercie de m’avoir conservée dans cet accident. » Elle se leva aussitôt et, reprenant sa hache, voulut travailler. Mais on l’arrêta et on la fit reposer. Elle ajouta que Dieu lui prêtait encore la vie pour faire pénitence et qu’il fallait qu’elle employât bien son temps. Le matin du Mercredi Saint, elle baissa et sa compagne croyant qu’elle allait rendre l’âme demeura auprès d’elle sans pouvoir s’en séparer. Mais Catherine l’assura qu’elle pouvait aller travailler dans son champ et lui promit de l’envoyer chercher quand il serait temps. Ce qui arriva comme elle avait promis. Vers les dix heures du matin, Marie Thérèse Tegaiaguenta arriva dans la cabane peu de temps avant qu’on donnât l’extrême-onction. « Je te quitte, dit Catherine, je m’en vais mourir. Souviens-toi toujours de ce que nous avons fait ensemble depuis que nous nous connaissons. Je t’aimerai dans le ciel ; je prierai pour toi, je t’aiderai. » Catherine avait le visage tourné vers le ciel et sa compagne l’embrassait d’une main, ayant l’autre appuyée sur la joue de Catherine. Elle écoutait avec attention 20 les dernières paroles de Catherine mourante. Cette bienheureuse fille, en disant à sa compagne « Je t’aimerai dans le ciel », perdit la parole. Il y avait longtemps qu’elle avait fermé les yeux aux choses créées. (…) Le père Choleneck, qui lui conféra les derniers sacrements, la loua hautement après qu’elle eût expiré. Le père Chauchetière, qui était aussi présent, eut une confiance toute particulière en ses prières et est allé prier à son tombeau dès le jour qu’elle fut enterrée. Tous les pères missionnaires qui ont passé au Sault ont admiré cette merveille et ont avoué que c’était l’Esprit de Dieu qui la conduisait. [Adaptation de Joseph Amédée Payeur, S.J.] ■ ILLUSTRATIONS : En première page, on trouve un portrait de Kateri dessiné par le P. Claude Chauchetière lui-même. Les autres illustrations sont de l’artiste Paul Coze, dans l’ouvrage de Robert Rumilly intitulé Kateri Tekakwitha. Le Lys de la Mohawk. La Fleur du SaintLaurent, Paris, Bouasse-Jeune et Cie., 1934.