Communication écrite
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Les sportifs bioniques : entre logique réparatrice et tentation transgressive. Perspectives normatives (Colloque L’Humain Augmenté. État des lieux et perspectives critiques, Institut des Sciences de la Communication du CNRS, Paris, vendredi 14 décembre 2012) Jean-Paul Callède, GEMASS (Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne) [email protected] Résumé : Le « sportif bionique », entendu souvent au sens de « sportif d’exception », correspond à une variante plus récente que d'autres figures de l'homme bionique, dans la mesure où le sport est surtout un domaine d'activités secondaire et de loisir. Rappelons aussi que la reconnaissance sociale du sport des personnes handicapées ne s'est faite que progressivement, de façon tardive et en surmontant bien des résistances psychologiques et institutionnelles. Pour autant, le sport constitue un domaine intéressant, au sein duquel des avancées scientifiques et technologiques peuvent être réalisées, transposées, réappropriées, parfois avec des solutions innovantes supplémentaires et couronnées de réussite. Conjointement, dans ce même contexte, le sport donne matière à bien des détournements et des déviations par rapport aux règles préservant l'égalité des chances dans le cadre de la compétition. Considérer la restauration ou la suppléance technologique (l’individu équipé d'une prothèse, de plusieurs prothèses), considérer également l'augmentation ou la suppléance invasive, à savoir qu'une assistance technologique puisse être incorporée (installée à l'intérieur du corps ou à son contact immédiat, à des fins d'optimisation de la performance sportive : mini appareillage, capteur, puce électronique...), sont deux axes d'investigation privilégiés dans l’étude. Introduction Si l'on s'en tient au domaine considéré par les spécialistes, l'homme bionique, par ses capacités, est situé à l'articulation du vivant, en tant qu'être doué de conscience, du biologique, avec des fonctions à restaurer, à suppléer ou à augmenter, de la mécanique, voire de l'électronique destinées l'une et l'autre à l'optimisation des fonctions indiquées, qu'elles soient physiques, mentales ou adaptatives. Le « sportif bionique », entendu souvent au sens de sportif d’exception, correspond à une variante plus récente que d'autres figures de l'homme bionique, dans la mesure où le sport est surtout un domaine d'activités secondaire et de loisir. L’expression (« sportif bionique ») déborde largement le domaine du sport dit « adapté » (pratiqué par des sportifs handicapés physiques) autant que celui qui rassemble les sportifs valides. Rappelons aussi que la reconnaissance du sport des personnes handicapée ne s'est faite que progressivement, de façon tardive et en surmontant bien des résistances psychologiques et institutionnelles. C’est particulièrement vrai pour la France. Pour autant, le sport constitue un domaine intéressant, au sein duquel des avancées scientifiques et technologiques peuvent être réalisées, transposées, réappropriées, parfois avec des solutions innovantes supplémentaires et couronnées de réussite. La diversité des situations observables, selon le type et le niveau de handicap, par exemple, oblige à utiliser le pluriel (les sportifs…). En outre, le sport favorise dans certains cas la réalisation d’une espérance, d’un espoir, la concrétisation d’une anticipation. Conjointement, le sport donne matière à bien des détournements et des déviations par rapport aux règles préservant l'égalité des chances dans le cadre de la compétition. Le sport bionique est sur le point d’ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire du sport et du droit sportif, auquel le tribunal arbitral du sport doit déjà et devra apporter des réponses précises. D’autres aspects ne trouveront pas des garanties éthiques suffisantes dans les limites de l’institution sportive. La question des équipements techniques adaptés à des sportifs non valides, la même question appliquée à des sportifs valides, l’élaboration des catégories de handicap, la préservation de « l’égalité des chances » s’inscrivent dans un processus social complexe en pleine évolution. Dès lors, une série de questions ne manque pas de surgir. On peut ramener celles-ci à trois ou quatre principales : Le « sport bionique » est-il le prolongement logique, d'une certaine façon, du sport de haut niveau axé sur l'amélioration quasi obsessionnelle des performances et le progrès des techniques ? S'agissant des personnes handicapées et du « handisport », le principe d'un corps réparé ou d'un corps – d'athlète non valide – augmenté dans les limites d'une intégrité individuelle restaurée n’illustre-t-il pas la réalisation d'une aspiration logique de l'humanité ? Cependant, s'agissant des sportifs équipés de prothèses, la restauration d'une intégrité individuelle ne risque-t-elle pas de transgresser le principe de l' « homme réparé » en imposant l'image de l' « homme augmenté » ?1 En outre, le « sport bionique » ne peut-il pas engendrer un dévoiement ou susciter un risque de dévoiement du « sport », en particulier chez les sportifs valides, avec ou sans la complicité des agents opérant dans l’environnement du sport ? Considérer la suppléance technologique ou la réparation technologique (l’individu équipé d'une prothèse, voire de plusieurs prothèses), considérer également l'augmentation ou la suppléance invasive, à savoir qu'une assistance technologique puisse être incorporée (installée à l'intérieur du corps ou à son contact immédiat, à des fins d'optimisation de la performance sportive : mini appareillage, capteur, puce électronique...), seront deux des trois axes d'investigation privilégiés dans la présente étude. Dans un premier temps, nous poserons quelques jalons historiques relatifs à la perception du handicap. Aujourd’hui, des lignes de forces, de tensions et d'oppositions traversent la communauté du sport et les institutions qui l’ont en charge, tout particulièrement à l’occasion des grands rendezvous internationaux (Jeux olympiques, Jeux paralympiques…). Oscar Pistorius, amputé des pieds et jambes (né avec une agénésie des péronés), équipé de lames en fibres de carbone, dispute des épreuves de course à pied parmi les athlètes valides aux JO de Londres, 2012. Il est l'auteur de Courir après un rêve (2010), ouvrage initialement publié en 2009 dans lequel il relate son obstination à surmonter son handicap et à rejoindre l'univers des sportifs d'excellence2. La question se présente différemment lorsqu'il s'agit d'authentiques exploits sportifs individuels, à l'exemple des défis réussis par le nageur Philippe Croizon à l'aide de « prothèses palmées ultra perfectionnées »3. Dans ce cas, le défi à soi-même qui se double d’une aventure personnelle ne s’inscrit pas dans une compétition collective régie par l’organisation fédérale et conformément à un règlement précis. Si l'athlète, handicapé de naissance ou du fait d'un accident, accède par la pratique sportive et grâce au progrès technologique à la « communauté du sport », c'est incontestablement une avancée dans la réalisation de l'humanité à laquelle la grande majorité des hommes participent. S'il s'agit d'inventer un sport post-humain, dans le sens où les tenants de l’idéologie dite 1 Nous faisons allusion ici à la Conférence « Homme réparé et homme augmenté », du cycle Dialogues. Des clés pour comprendre, organisé en 2009-2010 par le Musée des arts et métiers et l’ISCC (25 mars 2010). Elle s’appuyait sur les interventions de Jean-Pierre Ternaux et de Gilles Boëtsch. 2 PISTORIUS Oscar, Courir après un rêve. L’homme aux jambes de carbone (trad. Joseph Antoine du livre Blade Runner. My Story, Virgin Books, 2009), Editions l’Archipel, 2010 (192 p.). 3 Thalassa, « L’exploit surhumain d’un nageur amputé des 4 membres », France 3, vendredi 30 novembre 2012. Le reportage narre le « défi fou » que s’est lancé le nageur, « de relier les cinq continents à la nage ». Un premier exploit avait fait le tour des journaux télévisés, en septembre 2010, lorsqu’il avait traversé la Manche à la nage. Voir son ouvrage : Philippe CROIZON, J’ai traversé la Manche à la nage, Editions J.-C. Gawsewitch, 2012 (288 p.). L’auteur a rédigé son premier livre : J’ai décidé de vivre, paru en 2006, chez le même éditeur, à l’aide d’un appareil de reconnaissance vocale. « transhumaniste » considèrent qu'il est dans la logique d'utiliser certaines technologies, des hybridations, des ressources électroniques, etc., à des prétendues fins d'amélioration de la condition humaine, c'est, de toute évidence, mettre en péril la « communauté sportive », par désagrégation, et abaisser chez l'individu sa part d'humanité. Telles sont les principes qui éclaireront notre démarche. I. Le paradigme ancien du handicap physique : de la condamnation de l'individu diminué à sa pleine acceptation sociale. Quelques jalons socio-historiques Brossons rapidement l'évolution qu'a pu connaître la personne handicapée au fil du temps : de la condamnation implacable, dans les sociétés élémentaires, à son acceptation sociale, du droit au travail au droit au sport, tout récemment, sachant qu'elle le doit d'abord à son obstination personnelle... A. Se donner la peine de revisiter l’histoire et la mythologie antiques Le « paradigme », qui définit le statut de la personne handicapée et sa place au sein de la société, a sans nul doute varié au fil des siècles. L’œuvre d’un auteur classique peut être considérée comme une bonne entrée. Le sociologue Alfred Espinas, avec ses travaux fondateurs sur la « praxéologie » (ou science de l’action), encore appelée « technologie générale », propose une approche intéressante, publiée dans les années 1890, par sa façon de concevoir l’évolution conjointe des « techniques » et des « doctrines »4, par sa connaissance de l’histoire ancienne et de la mythologie gréco-latine, et jusqu’à son intérêt soutenu porté à l’observation des jeux et des sports modernes. On peut regretter qu’il s’agisse là, dans l’œuvre de l’auteur, d’un programme quelque peu « inachevé » mais il est particulièrement suggestif. « Il faut doubler cette histoire des techniques d’une histoire des doctrines », insiste Espinas, un peu comme si les doctrines étaient le reflet plus ou moins idéalisé des propres ambitions de l’Homme et la projection qui stimule l’évolution des techniques et du savoir faire pratique. Les gymnastiques en vigueur dans la Grèce ancienne, par exemple, sont liées à des modèles spécifiques d’éducation. Autant qu’une légitimité accrue de l’exercice physique technique, la doctrine apporte une volonté de parfaire celui-ci. Le paradigme ancien du handicap se donne à lire, en filigrane, dans la mythologie grecque et on peut, sans extrapoler, suivre la démarche définie par Alfred Espinas. Elle est en cohérence avec la division du travail social exposée, entre autres, par le sociologue Émile Durkheim. Il est cependant fort regrettable que la sociologie de ce dernier et des siens ait triomphé en France de la praxéologie et de la sociologie développées par Espinas. Tout le monde sait que Héphaïstos (ou Vulcain, son équivalent chez les Romains) est un dieu boiteux. Déchu de l’Olympe ? Sans doute, mais désormais placé au contact des hommes, il leur apprend la maîtrise des métaux, l’art de la forge et on le vénère comme le dieu des forgerons. Sa compétence technologique l’a rendu indispensable dans la société des hommes. On pourrait aussi rappeler qu’Artémis, la Diane chasseresse des Romains, possède dans son carquois des flèches aux pointes en argent, qui ont été façonnées par des sortes de cyclopes. Le principe explicatif est le même. L’usage d’un œil unique, la perte de l’œil directeur ne permettent pas d’être efficace au tir à l’arc, pour la chasse, à la guerre… La compétence technologique, qui se double d’un handicap physique surmonté, permet à ces cyclopes de petite taille, passés maîtres dans l’art de forger, d’être pleinement utiles. Les mythologies, les handicaps qui y sont signalés (boiter, être privé de la vue ou de la vision stéréoscopique, d’un ou de plusieurs membres) racontent des choses très importantes auxquelles on ne prête pas toujours l’attention nécessaire. L’enrichissement technologique de la vie en société s’appuie pour partie sur la compétence dans l’art de la métallurgie et l’habileté manuelle de créatures handicapées. Il faudrait s’intéresser également à un ou deux centaures (créatures 4 ESPINAS Alfred, « Les origines de la technologie », Revue philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXX, 1890, p. 113-135, vol. XXXI, 1891, p. 295-314. ESPINAS Alfred, Les Origines de la Technologie, Paris, Félix Alcan, 1897. hybrides) lorsqu’ils prodiguent des enseignements et sont porteurs de sagesse, à l’exemple de Chiron (dont l’étymologie dérive du mot kheir qui signifie « main », indissociable de la notion d’habileté). Ainsi, apparaissent et s’imposent progressivement, au sein de la société en progrès, certaines évolutions majeures liées à la spécialisation des techniques5. Bien entendu ce type de démarche ne peut se concevoir sans précaution. Il ne s’agit pas de produire des inexactitudes, voire des erreurs épistémologiques par déformation du monde ancien. B. « Handicap » : le signe du hasard revu et corrigé par le sport… Sautons les siècles. Le mot « handicap », d’origine anglaise, s’applique au XVIIe siècle à une transaction autour de l’échange d’objets ou de biens qui nécessite de tirer au hasard un des billets placés dans un chapeau (« hand in cap »). Vers la fin du XIXe siècle, les sports athlétiques, qui empruntent beaucoup, à leurs débuts, aux sports hippiques, ont défini tout un ensemble de critères de « handicap », c'est-à-dire d’avantages ou de désavantages attribués à des compétiteurs pour les épreuves de course à pied. Il s'agissait d'athlètes valides, engagés dans des compétitions sportives qui devaient garder entière l'issue incertaine de la confrontation ludique et de la victoire. La prestation des athlètes était ramenée, d’une certaine façon, à une course de chevaux. Leur tenue était semblable à celle des jockeys… Il était même passé dans les mœurs de parier sur la victoire de tel ou tel coureur à pied avant que l’institution sportive naissante n’interdise ces usages. Ces emprunts aux sports hippiques vont être rapidement abandonnés. C. L’incidence des grands conflits armés Il faudra attendre longtemps avant que les personnes handicapées, jeunes gens et jeunes filles, adultes, soient intégrés dans le monde sportif… Au lendemain de la Grande Guerre, le ministère de la Guerre, qui abrite la prestigieuse École de Joinville, s'emploie à considérer le problème des jeunes gens démobilisés ou des militaires d’active devenus invalides. Le Projet de règlement général d'Education physique, mis en chantier dès 1919, prévoit dans sa IVe partie, au titre des Adaptations professionnelles, un titre II : Rééducation physique militaire. Vient s'ajouter un fascicule annexe : Instructions sur le rôle du médecin dans l'éducation et la rééducation physiques, qui paraît en 1921. Pour autant, la reconnaissance sociale du handicap n’est pas à la mesure du sacrifice consenti. La démarche décisive viendra d'outre-Manche. En 1944, à Stoke Mandeville, près de Londres, Sir Ludwig Guttmann, médecin chef, est chargé par le gouvernement de fonder le Centre national des blessés médullaires. Il a l'idée de faire jouer des blessés de guerre de l'aviation britannique, en fauteuil, à quelques sports (tir à l'arc, netball, basket-ball) à des fins de rééducation à la vie sociale et pour mettre fin à des suicides. Une compétition – Les Jeux de Stoke Mandeville - est même organisée là, la veille de l'ouverture des Jeux olympiques de Londres (28 juillet 1948). Dans notre pays, l'association sportive des mutilés de France voit le jour en 1954, sous l'impulsion de Philippe Berthe. Les premiers Jeux paralympiques se déroulent à Rome, en 1960. En France, le chemin de la reconnaissance sociale du « handisport » est long, tracé par l'obstination de ses dirigeants, jusqu'à l'actuelle fédération Française Handisport (FFH)6, qui bénéficie du soutien ministériel du Pôle ressources national Sport et Handicaps installé depuis 2003 au CREPS de Bourges. II. La suppléance technologique : une logique réparatrice. Du corps stigmatisé à l’intégrité (retrouvée) du corps sportif. 5 Cahiers de l’Université Sportive d’Été, Handicaps, Sport, Intégration. Le défi des clubs, Pessac, éditions de la MSHA, 2007 (synthèse de l’USE, p. 161 et suiv.). 6 AUBERGER André, Un fauteuil pour la vie. De la guerre d'Algérie à l'idéal olympique, Paris, Le Cherche Midi, 2009 (189 p.). Les progrès biomécaniques ont permis aux handicapés d’intégrer la « communauté des sportifs ». La réalité est cependant complexe. Essayons de dégager quelques aspects majeurs. A. Le domaine du sport adapté et ses caractéristiques Tous les sportifs handicapés n'ont pas besoin d'être appareillés pour disputer des compétitions fédérales. C’est le cas des sourds ou mal entendants, des aveugles ou mal voyants, par exemple. La préservation de la justice et de l'égalité des chances sportives est garantie par le règlement. Il existe une classification des athlètes en fonction de leur handicap. Depuis les Jeux paralympiques de Vancouver (Canada), une classification simplifiée est en vigueur : a) les athlètes concourant « debout », avec une invalidité d'un ou des deux membres supérieurs et/ou inférieurs (regroupant les classes LW1 à LW9) ; b) les athlètes concourant « assis », avec une invalidité des membres inférieurs, aucun ou faible équilibre fonctionnel en position debout, amputation des membres inférieurs (regroupant les classes LW10, LW11 et LW12) ; les athlètes déficients visuels, non voyants ou mal voyants, concourant avec un guide (regroupant les classes B1, B2 et B3. Chaque compétiteur se voit attribuer un pourcentage calculé en fonction de son degré de handicap. L'autre aspect majeur concerne le matériel utilisé. Trois types de matériels sont requis : les fauteuils roulant de compétition, adaptés aux nécessités des sports pratiqués (athlétisme, basketball, tennis, escrime...), les skis et les luges, les prothèses, dont les plus utilisées le sont par les amputés des membres inférieurs7. Pour les besoins de la présente étude, nous avons examiné le contenu des trois dernières années de la revue officielle de la FFH: Handisport Magazine. Mis à part de rares encarts publicitaires, du n° 138 au n°149, le matériel ne fait pas l'objet d'articles ni de notes documentaires. Une seule étude traite du sujet, développée par Emily Martineau, responsable de la cellule recherche au sein de la fédération : « Amputation et appareillage ». Les prothèses de remplacement des membres inférieurs sont munies d'un pied dit à restitution d'énergie. Ces lames de course, réalisées en matériaux composites permettent, « grâce à leur élasticité, d'emmagasiner l'énergie au début de la période d'appui et de la restituer à la fin »8. Le fabriquant de prothèses islandais Ossur fait figure de leader mondial. Il équipe Oscar Pistorius. Ce même fabriquant, sollicité par la marque Nike, et avec l'aide de la triathlète handisports Sarah Reinertsen (née sans fémur, elle a été amputée à l’âge de sept ans), a également mis au point une semelle qui permet d'accroître la stabilité et de normaliser la longueur du pas. « Le sport de compétition se révèle ainsi un puissant moteur de l'innovation dans le handisport pratiqué par les amateurs », souligne la journaliste Marie Lepesant9. Il existe d'autres types de prothèse, par exemple celles qui permettent d'éviter la dissymétrie des deux bras. Didier Pradon, biomécanicien du Laboratoire d'analyse du mouvement de Garches, avec ses collaborateurs Alice Bonnefoy et Jean Slawinski, a travaillé à l'élaboration de la prothèse de bras de l'athlète paralympique Arnaud Assoumani, qui dispose de ses membres inférieurs. Il s’agit d’une prothèse passive. Mentionnons aussi la mise au point d’une prothèse de jambe permettant de concilier la marche et la baignade, mise au point par Frédéric Rauch, lauréat du concours national 2011 d’aide à la création de technologies innovantes organisé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. D’autres types de prothèses de membres (myo-électriques, mécaniques, esthétiques) n’ont pas, à notre connaissance, d’utilisation sportive. B. Athlète réparé, athlète augmenté ? 7 NOËL Jean-Philippe, Sports et handicaps, Actes Sud, Agence de l'éducation par le sport, 2012 (101 p.). Voir chap. 8, p. 77 et suiv. 8 MARTINEAU Emily, « Amputation des membres inférieurs. Repartir d'un bon pied, Handisport Magazine, n°146, décembre-février 2012, p. 42-43. 9 LEPESANT Marie, « La compétition révolutionne le matériel pour les handicapés », Le Parisien « dossier Économie », lundi 4 juin 2012, dossier p. 10. L’athlète sud-africain Oscar Pistorius est un exemple majeur de cette logique réparatrice réussie. Aux championnats du monde d'athlétisme, en 2011, il peut se mesurer aux athlètes valides, lui-même étant équipé de lames prothétiques conçues par le fabriquant Ossur. Cette innovation décisive ne laisse pas indifférent. On s’interroge au sein du monde sportif. La question est reprise dans l’éditorial du rédacteur en chef de la revue TDC consacrée au thème Science et sport. Lorsque Pistorius se hisse jusqu’en demi finale aux championnats du monde d’athlétisme, l’exploit « suscite une pluie de rapports contradictoires d’experts sollicités pour dire si – et dans quelle mesure – son handicap ne serait pas devenu un… avantage ! »10 L’année qui suit, aux Jeux olympiques de Londres (août 2012), Oscar Pistorius est présent, de même que, quelques semaines plus tard, aux Jeux paralympiques. Sa prestation sportive aux Jeux de Londres a été l’occasion de remettre à l’ordre du jour des questions d’expertise, de normes, de règles indispensables à la préservation de l’équité dans la compétition sportive. N'est-il pas avantagé par ses lames flexibles quand il affronte des athlètes valides ? À l'issue des compétitions paralympiques, le sprinter sud-africain laisse sous-entendre que certaines prothèses utilisées par ses adversaires ne sont pas aux normes et qu'elles ont pu avantager leurs utilisateurs... Athlètes augmentés plutôt qu'athlètes réparés ? La question est ainsi posée à nouveau. Le possible bénéficiaire d’hier pourrait être le principal lésé d’aujourd’hui11. Cependant, les réponses fournies opposent un ferme démenti. Selon le directeur médical du Comité international paralympique (CIP), Peter Van Der Vliet, « le système est le meilleur possible »12. Il n'empêche que la question des équipements de la personne, de même que l'élaboration des catégories de handicap restent récurrentes car associées à un processus complexe, en évolution constante. C. Les sportifs infirmes moteurs cérébraux Bientôt sans doute, des avancées bio-électroniques permettront à d’autres handicapés, souffrant de déficits plus lourds encore que les sportifs appareillés simplement, de mobiliser des capacités dont ils sont actuellement privés. Les infirmes moteurs cérébraux, qui ont un handicap d'origine neurologique centrale, représentent 18 % des 26 000 licenciés de la FFH. Il s'agit d'un handicap complexe qui associe le plus souvent au problème moteur des troubles de la posture et du mouvement ainsi que des troubles spécifiques des fonctions supérieures (praxiques, visuo-spatiaux, cognitifs, sensoriels). Ce handicap est parfois confondu a tort avec le handicap mental. Or l'intelligence de la personne est cependant tout à fait normale13. Il est encore trop tôt pour faire valoir des résultats significatifs dans le domaine de l'activité sportive mais on peut penser que les technologies nouvelles qui contribuent à la restauration de processus physiologiques et de fonctions comme la marche, etc. (la rééducation motrice ou psychomotrice des accidentés de la route, par exemple), permettront d'ouvrir de nouvelles voies de progrès. Pour autant, la part devra être faite entre d’une part une logique d’activation et d’amélioration 10 Revue TDC, Sciences et sport, n°1034, 15 avril 2012. Cit. p. 3. Voir l’article d’introduction de Bertrand DURING, « Sciences et sport. Un apport réciproque », p. 8-13. 11 Le Monde fr avec AFP, « Les lames de la discorde », 5 septembre 2012. 12 Lorsque les deux membres inférieurs sont amputés, il faut pouvoir définir une règle précise. « La taille maximale des prothèses est calculée grâce à une formule mathématique, fondée sur la longueur de l’avant-bras du sportif et sur la distance qui sépare la poitrine (sternum) de l’extrémité des moignons. Le résultat est majoré de 3,5%, de façon à compenser le fait que l’athlète amputé n’utilise pas ses orteils pour courir (…). Ce système a été mis au point en concertation avec les athlètes, les entraîneurs et les fédérations, avant d’être soumis à la direction du CID », rappelle Peter Van Der Vliet dans l’article cité. 13 MAINGUY Marie, MARTINEAU Emily, « Infirmes moteurs cérébraux. La théorie des multiples », Handisport Magazine, n°147, mars-mai 2012, p. 24-26. des fonctions propres à la personne, visant à restaurer la potentialité de ses capacités et, d’autre part, une intrusion technologique qui pourrait perturber l’identité de la personne. III. Tentation transgressive et augmentation invasive chez des sportifs/sportives valides ou non valides La tentation transgressive autant que l’augmentation invasive sont susceptibles de devenir deux tendances observables prochainement dans le prolongement des deux modalités de compensation-réparation qui viennent d'être examinées. A. Le risque de tentation transgressive Dans diverses formes de pratique sportive, non compétitives, marquées par l’exploit individuel ou en petit groupe, il n’est pas impossible de penser que des prothèses de restauration d’une intégrité corporelle et de simple compensation (des lames en fibres de carbone pour les deux membres inférieurs, par exemple) ne soient détournées de leur fonction initiale par des « utilisateurs » et/ou des « techniciens » donnant « naissance » à des individus aux capacités physiques et « sportives » augmentées (du fait de l’allongement des lames, par exemple) et à des corps quasi hybridés14. C'est l'adaptation au corps de ces appareils (membres supérieurs, membres inférieurs) qui pose ou posera de sérieuses questions. Toutefois, dans la mesure où il s’agira de prothèses détachables et amovibles, leur utilisation ponctuelle et réversible lèvera bien des critiques et des objections. Rapporté au domaine des activités sportives, c'est probablement dans les pratiques dites « nouvelles » et non institutionnalisées (à l'inverse du mouvement sportif fédéralisé), à l'image des exploits solitaires sur fond d’aventure, s'appuyant sur une petite équipe, que ces pratiques émergentes feront leur apparition. Elle sont potentiellement déjà présentes dans les considérations suscitées par le « cas » Pistorius, directement ou indirectement, à propos des qualités physiques augmentées... En d’autres termes, des prothèses de membres peuvent être efficaces en étant conformes aux lois de la biomécanique, et cette efficacité ne se limite pas aux conditions règlementaires posées dans le cadre de la compétition sportive fédérale. On peut aujourd'hui considérer que ces logiques transgressives, liées au matériel technique et technologique, sont encore une pure fiction. Mais le comportement humain réserve bien des surprises et la réalité rejoint parfois la fiction. Les champions, les sportifs plus anonymes, les vétérans qui se trouvent aux limites du surentraînement, confrontés à l'échec, au déclin des aptitudes, s'échinent jusqu’aux limites de l'épuisement, espérant pouvoir faire un come back. Si une amélioration significative ne suit pas, le doute s'installe, puis l'angoisse. « Les représentations ne faisant plus « corps » avec son réel organique, elles renvoient au sportif sa condition de mortel. Dès lors, les pulsions de mort peuvent se manifester avec force et mener parfois à des actes d'autodestruction », précise le psychanalyste Patrick Bauche15 dans un chapitre intitulé « Plutôt mort que vieux ». B. Des tensions intergénérationnelles en perspective ? 14 Elles s'apparentent, d'une certaine façon, à diverses techniques de déplacements mis au point par les anciens: échasses (celles utilisées par les bergers landais, ayant même donné lieu à des courses, au tout début du XXe siècle), paires de ski ou de raquettes mises au point par les populations ayant à composer avec la neige, avant de devenir des activités sportives et de loisir... La fiction s’est emparée de la chose. Plusieurs séries télévisées mettent en scène des héros et héroïnes « réparé(e)s », anciens et anciennes stars du sport, aux capacités désormais supra-naturelles. Citons le personnage de Jaime Sommers (« The Bionic Woman »), dans les années 1976-1977. 15 BAUCHE Patrick, Les héros sont fatigués. Sport, narcissisme et dépression, Paris, Payot, 2004 (190 p.). Cit. p. 130. La génération actuelle des champions et championnes handicapé(e)s appartient à une génération de « défricheurs », au regard des progrès récents accomplis dans le domaine de l’innovation technologique. Comment vont-ils réagir, confrontés au déclin de leurs performances sportives individuelles ? Le sport de haut niveau, le sport spectacle des sportifs valides fourmillent d’exemples similaires. Les sciences de l’homme et de la société étudient ces aspects. En sera-t-il de même pour le sport adapté ? La pression économique, l’influence de l’entourage et de l’environnement sportif (entraîneur, sponsor, fédération, parents, médias…) vont-elles affecter ces athlètes d’excellence ? Les jeunes hommes seront-ils plus exposés que les jeunes femmes ? Des conflits d’intérêt économique vont-ils apparaître et ajouter à la complexité des situations vécues ? Par ailleurs, le renouvellement des générations sportives va-t-il s’amorcer bientôt dès le plus jeune âge, par exemple à partir des catégories de cadets ou de juniors ? Ces jeunes appareillés vontils s’exposer à des risques accrus pour la préservation de leur santé ? La vigilance éthique et règlementaire devra-t-elle être redoublée ? Si tel est le cas, cette éthique devra être protectrice de la vulnérabilité des sportifs et des sportives. C. Le risque d’augmentation invasive, pour le meilleur et pour le pire L'autre modalité de transformation de l’individu se rapporte au risque d’augmentation invasive. La mise au point de micro-technologies (appareillages divers, capteurs, puces…), que celles-ci soient incorporées, portées ou épousent le corps, est susceptible de bouleverser le rapport de l’individu à la pratique sportive, ou encore le rapport du sportif à son environnement spécifique. C'est également à ce type d'avancée technologique, de mise au point de biotechnologies, avec une possibilité de commande par les ondes cérébrales, que nous faisions allusion précédemment, afin de venir prochainement en aide aux sportifs infirmes moteurs cérébraux. Ces micro-technologies sont quelquefois assimilées à un dopage numérique (digital doping). Dans le domaine du sport, c'est à notre connaissance Colin Higgs qui a problématisé la question avec pertinence. L'auteur est professeur en sciences du sport dans une université canadienne. C'est un spécialiste des domaines de la biomécanique des sports pratiqués par les athlètes handicapés et il s'intéresse aux applications numériques relatives au sport16. Jusqu’à présent, les micro-technologies sont refusées et sanctionnées dans le sport de compétition, au nom de l’égalité des chances et sans doute du maintien réel ou supposé d’un rapport du sport et du sportif à la « nature », y compris dans l’exécution du « geste naturel ». Une part d’idéologie recouvre ce point de vue. D’ailleurs, cette assistance est tolérée, autorisée, voire recommandée dans des activités « sportives » en situation extrêmes : haute altitude, montagne, profondeurs marines, espaces souterrains… Elle a son utilité. En effet, avec le développement d’un sport de masse simplement récréatif (un groupe de randonneurs pédestres) ou celui qui s’accompagne d’épreuves compétitives « démesurées » (ultratrails, ultra-marathons, « Ironman », 100 kilomètres de…, etc.), est-il logique d’interdire toute application numérique, à l’exemple des capteurs portés, capables d’informer sur des variables physiologiques, médicales (indicateur d’hydratation, niveau de glucose sanguin, alerte de seuil de lactate…) ? Ce n’est pas certain, et ceci afin d’éviter que le sportif, la sportive ne se mettent en situation de danger. Interdire ces technologies « incorporées », précisément à fleur de peau, en s'appuyant sur des règlements sportifs, c'est ou ce sera peut-être inciter un certain nombre de compétiteurs à les dissimuler à l'intérieur même de leur corps, afin de disposer d'un atout ou d'un avantage non négligeable par rapport à leurs adversaires. Bien qu’étant interdits par un règlement, si ces micro équipements s’avèrent être d’un gain décisif à l’usage, des sportifs opteront pour une implantation supposant une acte chirurgical (endoprothèse non détachable, à l’obsolescence plus ou moins 16 Voir par exemple le chapitre de Colin HIGGS, Dopage numérique », dans le livre de NICOLLEAU Franck (dir.), Où va le sportif d'élite ? Les risques du star system, Paris, Dalloz (Institut PRESAJE) (269 p.), p. 201-216. programmée…). L’institution sportive devra-t-elle alors installer des portiques de détection très sensibles, sous lesquels les compétiteurs devront nécessairement passer avant d’entrer en lice ? Il est évident que ce qui se présente initialement comme une garantie technologique du contrôle de l'effort sportif de l’athlète risque fort de dégénérer en un suréquipement pour « bête » de performance, véritable machine bio-technique au service de l’exploit et du sensationnel17. Conclusion Le domaine du sport est à l'évidence un bon terrain d'observation et d'analyse. Il est également le terrain favorable à certaines anticipations technologiques. Plusieurs plans ont été distingués. Retenons, pour finir, trois aspects. La société tend à transformer les représentations collectives du handicap lorsque la victoire sportive s'accompagne d'images de beauté et/ou d'énergie. Les publicitaires ne s'y trompent pas. Le groupe L'Oréal (groupe industriel de produits cosmétiques) a dévoilé en février 2011 l'identité de sa nouvelle égérie, l'athlète championne paralympique et mannequin américaine Aimee Mullins (amputée des deux jambes à l'âge d'un an à cause d'une hémimélie fibulaire. Elle était née sans péroné). Dans le milieu de la mode, on la considère comme « l'une des cinquante plus belles femmes de la planète ». Quant au créateur Thierry Mugler, il a choisi « l'homme aux jambes d'argent », Oscar Pistorius, pour incarner l'image de son nouveau parfum A*Men. Ici, le traitement iconographique combine fiction, ambiance futuriste et réalité sportive. La sémiologie, les sciences de la communication disposent là d’un véritable terrain d’étude, la mise en « valeur » du handicap jouant du franchissement d’une étape supplémentaire dans le processus de valorisation sociale des êtres d’exception, à des fins d’investissement et de promotion d’une gamme d’objets de consommation. « Cette homologie du corps et de l’objet introduit aux mécanismes profonds de la consommation dirigée », notait déjà Jean Baudrillard en 1970 dans un livre fameux18. De même, la logique marchande se saisit de la promotion de certains équipements de la personne. Des matériels expérimentés par les sportifs d'exception ou par des institutions prestigieuses (à l'exemple de la NASA) sont appelés à devenir accessibles à un public élargi. Le groupe textile Bayen et le groupe électronicien Éolane entendent fabriquer des « vêtements intelligents » expérimentés actuellement sur des sportifs de haut niveau. Cette seconde « peau », textile, qui colle au corps, sera mise sur le marché de la consommation ordinaire à l’horizon 201519. La commercialisation des combinaisons de natation (hydrodynamisme, modélisation du textile, flottabilité…), des vêtements de sport X bionic, (alpinisme extrême), des équipements électroniques portatifs, etc., concourent à la transfiguration sportive de l'homme ordinaire. Un « scientisme ambiant », qui met en valeur l’Humain sportif augmenté, peut faire de chacun l’égal d’un dieu20. Le 17 ANDRIEU Bernard, BOËTSCH Gilles (dir.), Dictionnaire du corps, Paris, CNRS éditions, 2008 (369 p.). Voir l’article de B. ANDRIEU : « Hybride », p. 174-176. 18 BAUDRILLARD Jean, La société de consommation (1970), Paris, Idées/Gallimard, 1974. « Le plus bel objet de consommation : le corps », p. 199 et suiv. Cit. p. 210. 19 Les rugbymen du Stade Toulousain participent à l’élaboration de vêtements « connectés », grâce à des capteurs, qui transmettent en direct des données liées à leur effort physique. Le programme industriel Smart Sensing est porté par un consortium d’entreprises financé en grande partie par OSEO. Armelle PARION, « Le Stade Toulousain s’habille intelligemment », Sud-Ouest du 11 décembre 2012 (dossier « La Région », p. 10). 20 Ce mécanisme nous renvoie sans doute à l’histoire ancienne. La possibilité qu’un mortel puisse ressembler momentanément à un dieu est fréquente dans la littérature de l’antiquité grecque. En évoquant avec notre collègue Guillaume Flamerie de Lachapelle, qui enseigne les Lettres latines à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, la tenue du présent colloque, ce dernier a mentionné la figure d’Auguste. Pour « Auguste », « l’étymologie venant du verbe ‘augeo’, ‘augmenté’, n’est que l’une des possibilités (Auguste = ‘augmenté’) : Suétone, par exemple, rattache le mot à ‘augur’ (‘sacré’) – au demeurant, ‘augur’ et ‘augeo’ sont sans doute de la même famille ». processus psychologique n’a plus grand-chose à voir avec le principe ordinaire du dépassement de soi dans/par l’effort sportif. Le sport adapté, les sportifs bioniques tendent à susciter une référence obligée à des perspectives normatives qui suppose l’exercice d’une vigilance méthodique. Des enjeux éthiques et sociétaux se dessinent, liés à l’implication croissante de la science dans le sport. Or le sport moderne ne constitue probablement qu’un nouveau terrain de manifestation d’une tendance séculaire21. S’agissant de la pratique sportive des personnes handicapées physiques, il est évident que la légitimation des progrès accomplis ou en cours d’accomplissement risque d’engendrer des prolongements d’applications mal contrôlées. Existe-t-il actuellement, dans le domaine du sport, une ou des instances capables de définir des normes, des règles et de réaffirmer des valeurs et une éthique sans lesquelles la communauté sportive ne saurait exister en tant que telle ? Où sont les repères ? Où sont les limites ? Et comment les fixer ? Ces quelques questions renvoient à un horizon plus large : la défense de l’humanité dans l’humain. Or l’impérialisme technologique se réalise dans et par le marché. Sa puissance n’est pas inéluctable si les pouvoirs en place sont en mesure de procéder à des évaluations sociales de qualité, faisant en sorte que la technique ne soit jamais tyrannique et structurée comme un système auto-entretenu22. 21 FINOT Jean, La Philosophie de la longévité, Paris, Félix Alcan, 1906 (11e éd. définitive, complétée et considérablement augmentée, V-358 p.). Voir le chapitre VII : « La vie comme création artificielle. 1. Les homuncules d’hier et d’après-demain », p. 285 et suiv. « L’humanité continuera-t-elle ses rêves de création artificielle, ou y renoncera-t-elle définitivement ? Question d’autant plus délicate que la science moderne, sans lui prêter plus d’importance qu’elle ne comporte, s’achemine cependant lentement vers sa solution ! Elle se préoccupe sans cesse des homuncules, bien qu’elle n’en parle jamais. » (p. 299). 22 On retrouve à ce propos une mise en garde formulée dans un ouvrage connu. ELLUL Jacques, Le Système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977.