Catalogue Salon de Montrouge mai 2013

Transcription

Catalogue Salon de Montrouge mai 2013
Mohamed Kahouadji
par Damien Airault
1 – Break your neck, 2012.
Acrylique sur toile. 100 x 100 cm.
3 – Notorious, 2012.
2 – Frog origami, 2013.
4 – Gravel pit, 2013.
Sculpture en inox microbillé avec pliages.
30 x 70 x 70 cm.
Acrylique sur toile. 120 x 120 cm.
Acrylique sur toile. 120 x 120 cm.
5 – Here comes the hot stepper, 2012.
Acrylique sur toile. 100 x 100 cm.
Nous discutions depuis vingt minutes
de Gilles Aillaud. Lui ne pouvait s’empêcher
de relier le peintre de la figuration narrative
avec Michel-Ange, une façon particulière
de torsader les corps et de les transformer
en lignes, de passer des clairs-obscurs violents sur des musculatures, et moi de voir
dans son travail un scénographe de génie,
plus proche des architectures imaginaires de
la pré-renaissance, avec leur façon bien particulière d’être coupées d’ombres.
Quoi qu’il en soit, même avec Gilles Aillaud,
notre problème reste le même : celui d’un
genre plus réservé à des amateurs que sousdéveloppé, un genre paria, l’art animalier,
comme si 30 millions d’amis était une version métaphorique et respectueuse de
L’amour est dans le pré. On peint des animaux parce qu’on ne veut pas faire de portraits, parce que l’animal, dans sa charge
symbolique, suffit à représenter l’humain, ses
qualités et ses vices. Ce genre possède, c’est
bien connu, un potentiel de fable, en plus
d’un pouvoir sympathique évident, et il est
l’endroit où, pour faire se télescoper les
extrêmes, les meilleurs tableaux de Courbet
rejoignent la pratique artistique la plus amateur et les « lolcats ». Peinture animalière et
nécessaire, enfin, parce que notre entourage
est maintenant saturé de visages et de portraits, tous plus absurdes et grimaçants les
uns que les autres.
Mais ce qui va nous intéresser le plus est
l’attention que peut avoir Mohamed
Kahouadji pour la peinture elle-même.
Passé du graffiti à la peinture de chevalet, ses
assemblages sont autant des jeux de collages
à l’érudition obscure et aux références éclatées (où Pulp Fiction et la chirurgie gastroentérologique se rejoignent par exemple),
que des morceaux où la tache colorée lutte
avec la figuration et la ligne claire, où le
motif répétitif côtoie le coup de brosse. Son
but est alors de relier l’image à une expérience hallucinatoire et de se permettre tous
les troubles optiques, les astuces de style et
d’échelle. Et de drogue il est peut-être question, quand, dans sa forme et dans ses gestes,
par ses duplications de l’humain dans l’animal, mais aussi par un parcours personnel
dont je vous passerai les détails, Mohamed
Kahouadji met en scène des formes de schizophrénie : la diffraction en plusieurs unités
opposées, chère aux surréalistes.
Les commentateurs ne s’y trompent pas en y
voyant aussi une critique et un regard
fasciné sur la société de consommation et
son Spectacle, un goût prononcé pour le pop.
Et les images de Kahouadji nous montrent
une société où les masques et les codes prennent une place grandissante, où la réalité
devient une immense scène de théâtre et
nous titille quotidiennement de sa folie ;
l’endroit rêvé en somme pour la peinture, là
où elle peut relier environnements quotidiens, gestes personnels, micro-histoires et
mythologies.
We have been talking for twenty minutes
about Gilles Aillaud. He could not prevent
himself from linking the painter of figuration
narrative to Michelangelo, a specific way of
twisting bodies and transforming them into
lines, of passing from violent chiaroscuro in
the muscles, and to me to see in his work a
stager of genius, closer to the imaginary
architectures of the Proto-Renaissance with
their very specific way of being cut by
shadows.
Anyway, even with Gilles Aillaud, our problem stays the same: that of a genre that is
more limited to connoisseurs than underdeveloped, a pariah genre, animal art as if
30 Millions d’amis [Thirty million friends](1)
was a metaphorical and respectful version of
L’Amour est dans le Pré [Love is in the pasture](2). Animals are painted to avoid painting portraits, because an animal, with its
symbolic burden, suffices to depict the
human being, his qualities and vices. It is
well known that this genre has the potential
of fable, as well as an obviously likeable
power and it is the place where, to telescope
the extremes, Courbet’s best paintings join
the most amateur practices and lolcats.
Animal painting and necessary, finally,
because our surroundings are now saturated
with faces and portraits, all more and more
absurd and contorted.
But what interests us most of all is the interest that Mohamed Kahouadji can have for
painting itself. Having passed from graffiti to
easel painting, his assemblages are as much
collage games of obscure erudition and
widespread references (where Pulp Fiction
and gastroenterological surgery meet each
other, for example), as bits where the coloured spot struggles with figuration and the
clear line, where the repetitive motif sits with
the brush stroke. His aim is then to connect
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the image to a hallucinatory experience and
to allow himself all optical troubles, tricks of
style and scale. And it is perhaps a question
of drugs, when, in its form and gesture, by
duplications of the human in the animal, but
also by personal experience of which I will
spare you the details, Mohamed Kahouadji
portrays forms of schizophrenia: the scattering into several opposite units, dear to the
Surrealists.
Commentators are not wrong in seeing here
also a criticism and a fascinated view of
consumer society and its Spectacle, a strong
taste for pop. Kahouadji’s images show us a
society in which masks and codes occupy a
growing place, where reality becomes a vast
stage and titillates us daily with its madness;
the dreamed of place in summary for painting, where it can link quotidian environments, personal gestures, micro-histories and
mythologies.
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(1) French Foundation for the prevention of cruelty to animals that publishes
a regular magazine.
(2) French reality TV show, adapted from the British show Farmer Wants
a Wife.
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