160512Hausse salaires Asie

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160512Hausse salaires Asie
Note de veille, 16 mai 2012
Hausse des salaires en Asie : vers une nouvelle donne ?
Depuis quelques années déjà, les entreprises installées en Chine doivent faire face à une
hausse rapide des salaires des travailleurs 1. Cette inflation concerne désormais plusieurs
pays asiatiques, et pourrait se poursuivre à l’avenir. Elle pourrait avoir des conséquences
importantes sur les coûts de production.
En janvier 2012, le gouvernement chinois a augmenté le salaire mensuel minimum de 8,6 %,
pour l’amener à 150 euros nets (1 260 yuans). En 2011, les salaires chinois ont augmenté de
15 %, contre 13 % en 2010 2. Cette progression résulte notamment des protestations de
travailleurs en 2011, mais aussi depuis peu de la volonté du gouvernement de limiter les
tensions sociales et d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs, et donc la consommation
interne.
La hausse des salaires chinois semble désormais contagieuse : si, pendant longtemps, les
autres pays en développement d’Asie du Sud-Est s’efforçaient de bloquer les salaires pour
rester compétitifs, ils suivent désormais l’exemple de la Chine 3. En 2011, les salaires des
pays d’Asie du Sud ont augmenté de 11 %, et de 5 % en Asie du Sud et du Sud-Est, contre
3 % dans les pays de l’Union européenne 4. L’écart salarial entre les régions tend donc
lentement à se réduire.
En Thaïlande, une hausse du salaire minimum de 40 % a été instaurée en avril par le
gouvernement. En Malaisie, le gouvernement veut créer le premier salaire minimum de
l’histoire du pays. Il pourrait atteindre 800 à 900 ringgit (200 à 250 euros), contre 500 à 600
en moyenne aujourd’hui 5. En Indonésie, des protestations de travailleurs ont abouti à des
hausses des salaires minimums allant jusqu’à 20 % dans certaines régions.
Au Cambodge, des salariés de l’industrie du textile réclament eux aussi des augmentations.
Enfin, en Birmanie, une loi autorise désormais les regroupements et les grèves de travailleurs
pour obtenir de meilleurs salaires. Et des syndicats de travailleurs réclament également des
revalorisations salariales au Cambodge, au Sri Lanka et au Bangladesh.
1
Voir DESAUNAY Cécile, « Délocalisations : plus de services et moins d’industrie ? », note de veille, 7
septembre 2011 ; et « La Chine de plus en plus hostile pour les entreprises étrangères ? », note de
veille, 2 février 2011, Futuribles International.
2
LEMOINE Françoise, « Chine : la hausse des salaires ne menace pas la compétitivité », Le blog du
CEPII, 5 avril 2012. URL : http://www.cepii.fr/francgraph/blog/post.asp?IDcommunique=75
3
ROUSSEAU Yann, « Forte poussée des salaires dans toute l’Asie », Les Échos, 21 mars 2012. URL :
http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201959952031-forte-poussee-des-salairesdans-toute-l-asie-304064.php
4
« Salary Increase Budgets Projected to Rise in 2012 », Culpepper eBulletin Newsletter, septembre
2011. URL : http://www.culpepper.com/eBulletin/2011/SalaryBudgets0911.asp
5
HOOKWAY James, BARTA Patrick, MATTIOLI Dana, « China’s Wage Hikes Ripple Accross Asia »,
The
Wall
Street
Journal,
13
mars
2012.
URL :
http://online.wsj.com/article/SB10001424052702304450004577279111724105828.html
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1
Désormais, à l’exception de Singapour, tous les pays d’Asie du Sud-Est disposent d’un salaire
minimum. Toutes ces hausses salariales répondent à des objectifs similaires : il s’agit avant
tout d’éviter les protestations, de réduire les inégalités, mais aussi d’accélérer le
développement national en améliorant les conditions de vie des travailleurs. Ces pays espèrent
dynamiser leur demande interne, alors que celle des pays occidentaux reste morose.
De plus, ces augmentations semblent inévitables dans un contexte d’inflation forte et de
hausse de la productivité des travailleurs. Selon Edgardo Torija Zane, économiste chez
Natixis, dans les pays d’Asie du Sud-Est, hors Chine, les salaires augmentent en moyenne de
4 % à 5 % par an, un rythme soutenu mais qui intègre la hausse de la productivité des
travailleurs ainsi que l’inflation 6. Ainsi, au Viêt-Nam, les salaires ont crû d’environ 26 % en
2011, mais l’inflation a atteint presque 20 %.
Mais la hausse des salaires minimums concerne avant tout les secteurs les plus dépendants du
coût de la main-d’œuvre, et pour lesquels la valeur ajoutée est faible, comme le textile ou la
chaussure. En conséquence, des groupes américains du textile (Esprit, Coach), mais aussi de
l’électronique (Coach) ont annoncé leur intention de diminuer la part de leur production
réalisée en Chine 7.
La hausse des salaires a aussi des impacts pour les entreprises asiatiques, qui pourraient avoir
des difficultés à assumer ces coûts supplémentaires, et être incitées à délocaliser elles-mêmes
dans des zones moins chères. C’est ce que font déjà certains groupes chinois, qui installent
des usines dans les régions centrales du pays, où les salaires sont plus faibles, mais aussi dans
des pays voisins, comme le Viêt-Nam.
La hausse progressive des salaires asiatiques conduit aussi certains analystes à envisager des
relocalisations d’entreprises occidentales dans leur pays d’origine.
Le BCG (Boston Consulting Group) notamment, réalise régulièrement des études sur ce
thème. Selon la dernière en date, réalisée auprès de 106 entreprises américaines réalisant plus
d’un million de dollars US de chiffres d’affaires, 37 % d’entre elles ont prévu ou envisagent
de relocaliser leur production aux États-Unis 8. La moitié des entreprises réalisant plus de 10
millions de dollars US de chiffres d’affaires sont concernées, principalement dans les secteurs
des transports, des plastiques, de l’électronique et de l’informatique. La hausse des salaires
constitue le premier motif de relocalisation, pour 57 % des entreprises ; 92 % considèrent que
cette hausse va se poursuivre à l’avenir.
Selon le BCG, en 2015, le salaire minimum horaire en Chine pourrait être de six dollars US,
soit encore très loin des 26 dollars prévus pour les États-Unis, et la productivité des
travailleurs américains serait toujours plus de trois fois supérieure à celle des chinois. Selon
l’institut, d’ici 2020, cette évolution serait suffisante pour que 10 % à 30 % des produits
importés de Chine par les États-Unis dans les secteurs cités soient de nouveau produits outreAtlantique d’ici 2020. Deux à trois millions d’emplois seraient ainsi créés aux États-Unis.
6
« Il faut relativiser ces hausses », interview d’Edgardo Torija Zane, Les Échos, 21 mars 2012. URL :
http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201960300704-il-faut-relativiser-ceshausses-304012.php
7
GRESILLON Gabriel, « La Chine face à la fin du very low cost », Les Échos, 21 mars 2012. Url :
http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201960188546-la-chine-face-a-la-fin-duvery-low-cost-304079.php
8
« More than a Third of Large Manufacturers are Considering Reshoring from China to the U.S. »,
communiqué
de
presse
BCG,
20
avril
2012.
URL :
http://www.bcg.com/media/PressReleaseDetails.aspx?id=tcm:12-104216
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2
Cependant, la relocalisation n’est pas la seule alternative. La plupart des entreprises installées
en Asie, notamment en Chine, pourraient en effet y rester pour profiter des réseaux de soustraitants et d’infrastructures locales, mais aussi d’une main-d’œuvre de plus en plus
productive et qualifiée, et des débouchés croissants des marchés locaux.
Si certaines entreprises choisissent de quitter les pays jugés trop chers, ce sera sans doute pour
s’installer dans un autre pays asiatique où la main-d’œuvre reste très abordable : Viêt-Nam,
Cambodge, Indonésie… 9
Enfin, certaines entreprises occidentales envisageront peut-être de réduire leurs marges pour
intégrer la hausse du coût du travail : selon The Economist, le coût de la main-d’œuvre ne
représente pour l’instant que 7 % du prix de revient de la tablette iPad d’Apple (2 % pour le
travail effectué en Chine, 5 % pour celui réalisé ailleurs) 10.
Cécile Désaunay
Champ de veille : Économie et finances
Mots clefs : Chine / Asie du Sud-Est / Pays en développement / Salaires
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HOOKWAY James, BARTA Patrick, MATTIOLI Dana, op. cit.
« iPadded: The trade gap between America and China is much exaggerated », The Economist, 21
janvier 2012. URL : http://www.economist.com/node/21543174
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© Futuribles, Système Vigie, 16 mai 2012
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