Article de recherche sur les débuts du métier de publicitaire en France

Transcription

Article de recherche sur les débuts du métier de publicitaire en France
Marine
MOATI
TC.3 – DEGEAD.2
2011
H.E.G. – Mémoire :
« Les débuts du métier de publicitaire en
France (Première moitié du XX° siècle) »
La publicité, Naissance d’une
profession (1900-1940)
Marie-Emmanuelle CHESSEL
CNRS Editions
« La publicité pénètre partout, tout le monde la lit, elle touchera vos clients, elle
vous en apportera de nouveaux. C’est un procédé moderne pour l’affaire moderne que doit
être la votre », tel est l’un des slogans que le journal français L’Ouest Eclair faisait apparaître
tous les matins de 1899 à 1944 au milieu de ses articles de presse et autres annonces en tout
genre.
Si l’on se projette au XXI° siècle, il est clair que la publicité fait partie intégrante de nos vies.
Mais à quel moment celle-ci s’est-elle imposée comme élément incontournable du quotidien
des français ?
La période à laquelle ce journal souligne l’arrivée fulgurante de ce nouveau phénomène, à
savoir la première moitié du XX° siècle, mérite une attention particulière. C’est en effet au
début des années 1900 qu’apparaissent les premières instances représentatives des activités
de la publicité, et que celle-ci commence alors à amorcer sa propre histoire.
Il va de soi que les dimensions de la publicité sont très étendues et que ses multiples
facettes aussi bien économique, sociale que culturelle participent à la représentation que
l’on s’en fait aujourd’hui.
Phénomène caractéristique de l’essor des sociétés de masse, c’est une profession qui s’est
construite, et surtout profondément transformée au cours du XX° siècle.
On comprend alors facilement l’importance capitale que constitue l’histoire de la publicité
pour éclairer la place qu’elle occupe actuellement.
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Pourtant, il apparait que l’histoire de la publicité n’a en réalité guère suscité un réel intérêt,
et qu’elle a plutôt fait l’objet d’ouvrages de vulgarisation que celui de véritables travaux
scientifiques. Comment expliquer un tel désintérêt des auteurs à traiter un sujet qui occupe
une place aussi importante au sein de nos sociétés industrielles ?
Certains des rares auteurs à avoir élaboré des travaux sur la publicité ont tenté de répondre
à cette question en soulevant différentes hypothèses.
Tout d’abord, la plupart des chercheurs se seraient plus concentrés sur des domaines tels
que l’histoire économique que la presse ou les médias. Ensuite, cela pourrait être le reflet du
mépris que la société française a longtemps manifesté à l’égard de la communication
marchande. Il est vrai que, contrairement aux Etats-Unis, la publicité a, en France, longtemps
été considérée comme une activité marginale et sans influence. Cela explique sans doute le
manque d’information qu’ont déploré les chercheurs ayant tenté de mener des études sur
son histoire.
Si beaucoup d’historiens ont été découragé par l’immense chantier de la question
publicitaire, certains passionnés ont, eux, fait partager leurs recherches sur ses acteurs, ses
techniques ou encore sur la construction du métier de publicitaire.
C’est notamment ce à quoi s’est entrepris Marie-Emmanuelle CHESSEL, docteur en Histoire
et chercheuse au CNRS dont les travaux portent essentiellement sur l’histoire des
consommateurs et l’enseignement de la gestion. Son œuvre, La publicité, Naissance d’une
profession 1900-1940, retrace la façon dont la publicité est parvenue à faire sa place dans
une France en pleine transformation.
Avant toute chose, une question essentielle mérite d’être posée : Qu’est ce que l’on entend
par « publicité » ?
Sujet de nombreux débats et controverses, les tentatives de définition d’un tel phénomène
ont fait couler beaucoup d’encre. Au final, si élaborer une définition à laquelle tout le monde
adhère semble difficile à obtenir, on peut néanmoins retenir l’idée suivante : la publicité est
l’ensemble des moyens de toutes sortes, destinés à faire connaître les produits du
commerce et de l’industrie au plus grand nombre de personnes possible, de façon à
suggérer le désir d’en faire l’acquisition au prix d’un sacrifice d’argent.
Aussi, si l’on se réfère à la Thèse pratique de publicité de Hémet, il est évident que ces
« moyens » varient non seulement à travers le temps, mais aussi à travers l’espace. Ils ne
sont certainement pas aujourd’hui ce qu’ils étaient il y a vingt ans, et certainement encore
moins ce qu’ils seront demain. Ce qui réussit quelque part à un moment donné, ne réussira
pas forcément ailleurs à une autre époque.
C’est certainement là le plus gros enjeu du métier de publicitaire qui se dessine peu à peu et
qui prend tout son sens au début du XX° siècle.
Le métier de publicitaire, né sous la plume d’Octave-Jacques Gérin au travers de ses cours à
l’Ecole technique de publicité, n’est pas parvenu à s’imposer sans difficultés.
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S’il a non seulement remis en cause tout le métier d’affichiste qui existait auparavant, il a
surtout fallu qu’il impose sa légitimité auprès des autres professions du monde de
l’entreprise. Démontrer sa nécessité et son efficacité, tel était le projet ambitieux des
défenseurs de la publicité.
D’autre part, si le métier a pu prétendre à une certaine forme de légitimité dans le monde
des affaires, qu’en est-il du regard de l’opinion publique ? Si l’on s’en tient à ce qu’écrivait
Edgar Morin dans La publicité. De l’instrument économique à l’institution sociale, la publicité
« consiste à transformer le produit en stupéfiant mineur, ou à lui inoculer la substance
droguante, de façon que son achat-consommation procure immédiatement l’euphoriesoulagement, et à long terme, l’asservissement ». Une position susceptible d’en effrayer plus
d’un, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, si elle est encore aujourd’hui largement
critiquée, il semble que plus personne ne remette en cause son caractère essentiel, aussi
bien dans le monde des affaires que dans la sphère publique.
L’œuvre de Marie-Emmanuelle CHESSEL prend ainsi tout son sens et nous conduit à nous
poser la question suivante : Comment le publicitaire est-il parvenu, dans la première moitié
du XX° siècle à imposer sa légitimité aussi bien dans la sphère professionnelle qu’auprès
du grand public ?
Le dossier qui suit ne prétend pas répondre à toutes les questions que pose un sujet aussi
vaste que celui de la publicité, mais il m’a semblé intéressant de traiter le sujet du point de
vue de la « légitimité » qu’a su acquérir le publicitaire au début du XX° siècle. En effet, l’objet
de notre cours cette année a trait aux différents concepts de gestion de l’entreprise, ainsi
qu’à la mise en place de la firme capitaliste et plus particulièrement à celle de sa légitimité
en tant que forme dominante du monde entrepreneurial actuel. J’ai ainsi choisi le thème de
la légitimité publicitaire car elle constitue la justification et le fondement de cette nouvelle
activité, qui a émergé et s’est développée en parallèle avec le monde capitaliste.
Nous étudierons dans un premier temps l’acquisition de la légitimité de la publicité auprès
du corps professionnel, en traitant d’une part des réticences auxquelles elle a du faire face,
puis d’autre part de l’émergence progressive de la profession. Dans un second temps, nous
nous intéresserons à l’acquisition de sa légitimité au regard de l’opinion publique en nous
penchant plus particulièrement sur les difficultés posées par le marché, ainsi qu’aux
différents mouvements, notamment artistiques, qui l’ont aidé à se mettre en place.
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Sommaire
Comment le publicitaire est-il parvenu, dans la première moitié du XX° siècle, à
imposer sa légitimité aussi bien dans la sphère professionnelle qu’auprès du grand
public ?
Introduction
I.
Acquisition
1
d’une
légitimité
dans
le
monde
des
affaires
5
A. Des réticences et des difficultés à faire reconnaître la nécessité du métier
1. Une organisation lente du métier face à des critiques virulentes
2. La création d’établissements de formation spécialisés
B. L’émergence progressive d’une profession à part entière
1. La crise des années 30 comme prise de conscience de l’importance de la publicité
2. La création du Centre de Préparation aux Affaires, un tremplin pour la publicité
3. Le prix de la « pub », ou la concurrence entre métiers engendrées par la publicité
II.
Acquisition
d’une
légitimité
au
regard
de
l’opinion
publique
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A. L’effort d’adaptation de la publicité face aux difficultés du marché
1. Une société française d’abord inadaptée à l’intrusion de ce nouveau phénomène
2. Les moyens mis en œuvre pour faire face aux limites posées par le marché
B. L’art moderne au secours de la publicité
1. Tentatives de réglementation de l’affichage au début du XX° siècle, un frein à
l’expansion de l’activité du publicitaire ?
2. L’alliance entre artistes modernes et publicitaires, deux activités en quête de
légitimité
L’exposition internationale de 1937, ou l’apogée de la légitimation de la publicité auprès
des professionnels et des consommateurs
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Conclusion
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Bibliographie
I.
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Acquisition d’une légitimité dans le monde des
affaires :
L’apparition du métier de publicitaire n’est pas indépendante du milieu environnant, et
avant de pouvoir s’imposer en tant que profession à part entière, il a fallu que les défenseurs
de la publicité légitiment leur existence et leur spécialisation, le tout face à la méfiance du
monde des professionnels.
A. Des réticences et des difficultés à faire reconnaître la nécessité du métier :
Au début du XX° siècle, c’est un véritable tournant qui s’effectue dans le milieu des affaires,
et plus exactement dans celui de l’entreprise, celle-ci prise au cœur de nombreuses
transformations.
Il faut s’adapter à l’industrialisation, l’émergence des masses, mais aussi à la concentration
des pouvoirs et surtout à la nécessite de trouver de nouveaux circuits de créativité. Avec une
France qui veut évoluer, les populations entrent dans une nouvelle ère et cherchent à
s’émanciper dans cette société devenue désormais une véritable société de consommation.
La recherche du profit dans une France désormais plus dynamique va devoir trouver de
nouvelles méthodes pour la promotion de ses produits. C’est ainsi que l’activité publicitaire
va apparaître.
Comme le montre très bien Marie-Emmanuelle CHESSEL dans son ouvrage, dès la première
moitié du XXème siècle, les défenseurs de la publicité française s’efforcent de définir leur
identité, de revendiquer des compétences spécifiques, et surtout de se différencier par
rapport aux pratiques précédentes, en somme de construire leur professionnalisme.
Mais cette volonté de reconnaissance du milieu de la publicité est un projet délicat, et
l’organisation de ces futurs publicitaires ne s’établit pas sans se heurter à de violentes
critiques de la part des autres professions.
1. Une organisation lente du métier face à des critiques virulentes :
La première étape de légitimation de la publicité passe par l’apparition de syndicats,
d’associations et de corporations qui cherchent à tout prix à défendre l’importance de leur
activité. C’est ainsi que, dès 1906, on voit apparaître la Chambre syndicale de la publicité
(CSP) qui représente alors leur toute première organisation professionnelle.
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Cependant, il convient de noter que très vite, deux conceptions concurrentes de l’activité
publicitaire apparaissent. D’un côté les partisans de la publicité comme échange d’espace au
service d’un organe de presse, et de l’autre les défenseurs d’une technique au service de
l’annonceur.
C’est cette deuxième position, défendue par Octave-Jacques Gérin, non seulement
théoricien mais aussi inventeur de la profession de publicitaire, qui permet de fonder la
Corporation des techniciens de la publicité (CTP) en1913.
Il cherche réellement à défendre la conception du publicitaire comme une pratique bien
distincte de celle des autres professions.
Cette promotion d’un métier qui se veut représenter la modernité d’une société en pleine
mutation doit faire face à de nombreuses critiques qui sont véhiculées par les autres
professions, déjà elles bien implantées dans le monde des affaires. Ainsi, la publicité est
accusée d’être un simple outil de manipulation, inutile, symbole du matérialisme, et dont le
prix très élevé imposerait aux consommateurs de faux besoins, une véritable « barbarie du
confort » (CHESSEL, 1998, p.32). Comment les défenseurs de la publicité peuvent-ils alors
imposer leur activité comme légitime s’ils ne sont pas soutenus par leurs pairs? Les
annonceurs, écrivains ou encore journalistes s’empressent de les décrédibiliser, et ce, au
sein même des entreprises.
Loin de se décourager, ils vont alors tenter de démontrer l’efficacité de leur activité comme
méthode commerciale, défendre leur projet de modernité en s’opposant à l’archaïsme des
anciennes méthodes comme la réclame, et réaffirmer le rôle économique et social de leur
activité.
A la recherche d’une reconnaissance sociale de la profession, les associations et syndicats se
multiplient, hélas sans succès. Il faudra attendre 1934 pour que la CSP modifie ses statuts
pour devenir une fédération de syndicats indépendants, la Fédération française de la
publicité.
La publicité reste une pratique très critiquée et ses représentants comprennent qu’ils ont
besoin de la légitimer autrement que par des organisations. Pour plus de crédibilité, il faut,
comme l’ont fait d’autres métiers, distinguer les professionnels des amateurs, ce qui doit
nécessairement passer par la création d’enseignements spécialisés.
2. La création d’établissements de formation spécialisés :
On connait bien à l’heure d’aujourd’hui, l’importance fondamentale accordée aux cours de
publicité et marketing qui sont enseignés dans les plus prestigieuses écoles de commerce
telles que H.E.C, l’ESSEC ou encore l’ESCP. Mais cette nécessité de l’enseignement de la
publicité est en réalité évoquée dès le tout début du XX° siècle, et ce notamment par
Vergne, secrétaire général de la Chambre syndicale de la publicité, mais aussi par le fameux
publicitaire O.-J. Gérin. Si le premier revendique l’importance de donner aux commerçants
les notions de bases de la publicité, le second, lui, cherche à former de réels professionnels.
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Quel que soit le but recherché, ils concourent dans tous les cas à renforcer la nécessité et
l’efficacité de telles formations. Pourtant les enseignements restent encore limités et on
assimile leur contenu trop souvent à ceux des cours de vente.
Il faut attendre 1927 pour qu’apparaisse l’Ecole technique de publicité (ETP) et que la
formation d’un corps de spécialistes, formés par des publicitaires sérieux, puisse enfin se
définir.
Le président fondateur de cette école, Henri Ruzé, décide de baser le contenu de ses cours
sur une compétence générale et sur l’acquisition de bases techniques, mais surtout il impose
un examen pointu et le nombre de diplômés, futurs professionnels de la publicité, est limité
à une trentaine par an. Le critère de sélection contribue alors au renforcement de crédibilité
de la profession.
L’enseignement d’une éthique, d’un esprit de groupe et l’apparition d’un titre scolaire et
donc professionnel s’accompagne dans le même temps de l’exigence d’une élaboration de
règles de conduite internes. Ainsi, si le premier Code relatif aux usages de la publicité
apparaît en 1921, c’est au cours de l’année de la création de l’Ecole technique de la publicité
qu’est mis un réel Code de pratiques communs, à savoir le Code de pratiques loyales en
1927.
Plus rigoureux dans leur façon de s’affirmer au sein de la sphère professionnelle, les
défenseurs de la publicité sont confrontés à une double exigence : se faire accepter par le
monde académique, mais aussi améliorer le fonctionnement des entreprises. En effet, il
convient de noter que l’émergence de la publicité ne peut pas être séparée des événements
qui se produisent en France à la même époque.
Or, la crise de 1929 qui correspond certainement à la plus grande dépression économique du
XX° siècle n’est évidemment pas sans conséquence sur le mode de gestion des entreprises.
Comment améliorer les canaux de distribution des produits et organiser la production dans
une telle période de crise ?
Les publicitaires, forts de leur désir de se rendre utiles, vont utiliser cette crise pour
revendiquer la place primordiale de leur activité.
B. L’émergence progressive d’une profession à part entière :
Alors qu’au lendemain de la première guerre mondiale, et ce durant les années 20, les firmes
donnent l’illusion d’une certaine prospérité, la crise de 1929 remet en question la façon dont
est gérer le monde du travail. Les entrepreneurs doivent repenser leurs marchés, on assiste
à une prise de conscience de la nécessité de rationnaliser les méthodes commerciales. Basée
sur l’exemple des Etats-Unis, les publicitaires utilisent ce besoin de rationalisation pour
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apporter des solutions à ces entreprises en crise, et font pour cela appel aux méthodes
d’organisation scientifique du travail.
1. La crise des années 30 comme prise de conscience de l’importance de la publicité :
Le principe est simple : promouvoir et mettre en place des méthodes d’organisation
scientifique du travail dans l’entreprise. On observe alors ici l’influence directe des méthodes
créées par Taylor et Fayol sur l’organisation scientifique du travail, ayant pour but
d’améliorer les rendements des entreprises.
Stade ultime de la division du travail, cette préoccupation à laquelle devaient faire face les
ingénieurs descend dans l’univers de la vente, et touche ainsi directement le milieu de la
publicité.
On assiste à une multiplication des réunions et des engagements et c’est ainsi que les
agences de publicité françaises se développent et possèdent un véritable succès, comme
c’est le cas des entreprises Damour, Publicis ou encore Synergie. Ainsi, le publicitaire
parvient à démontrer sa réelle utilité et sa nécessité pour faire vivre le marché. M-E CHESSEL
exprime cette idée en se référant directement à Yoland Mayor qui l’explique de façon très
explicite dans les Annales d’histoire économique et sociale, « La difficulté pour l’industriel
n’est pas de fabriquer des produits nouveaux, mais bien de les vendre. Elle n’est pas
technique, mais commerciale. La valeur marchande d’une spécialité pharmaceutique ne
réside pas dans l’excellence de sa formule mais dans la publicité pour la lancer […], il est plus
facile de trouver un chef de fabrication qui permette de produire dans les meilleurs
conditions techniques qu’un chef de service commercial capable de créer une clientèle »
(Mayor, 1936, p.417).
S’imposant comme les « rationnalisateurs » du marché, et s’inspirant très fortement des
techniques enseignées par le Taylorisme et le Fordisme, les publicitaires tentent d’imposer
leur légitimité par le caractère scientifique.
2. La création du Centre de Préparation aux Affaires, un tremplin pour la publicité :
Toujours dans un but de rationalisation des méthodes commerciales et publicitaires, la
Chambre de commerce de Paris crée en 1930 le Centre de Préparation aux Affaires (CPA),
une école de formation des cadres et dirigeants d’entreprise. Cet établissement s’inscrit
dans la continuité des initiatives visant à promouvoir l’organisation scientifique du travail
amorcée depuis les années 20, le tout basé en grande partie sur le modèle américain de la
« Harvard Business School ». Là encore, comme pour l’Ecole technique de publicité, l’accès à
l’enseignement et surtout l’obtention du diplôme sont relativement difficiles, ce qui légitime
encore un peu plus la formation. Il s’agit bel et bien d’une aubaine pour les publicitaires qui
cherchent à promouvoir leur activité et à former des cadres commerciaux avertis.
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Très imprégnée du modèle Fayolien, cette école a l’ambition d’enseigner une direction
rationnelle de l’entreprise qui permettrait l’adéquation des moyens aux buts, ainsi que la
séparation de la fonction administrative des autres fonctions.
On retrouve ici la célèbre théorie du PO3C introduite par Fayol : Prévoir, Organiser,
Commander, Coordonner et Contrôler.
Un nouvel enjeu se présente ensuite au CPA comme une évidence : il faut ouvrir les
enseignements sur les réalités pratiques de l’entreprise et se dégager des cours trop
théoriques. Le CPA va ainsi se charger d’expliquer comment rendre l’activité de la publicité
plus efficace. C’est notamment au travers de ses cours que l’on s’aperçoit de l’importance de
la nature du marché, et l’on prend conscience que la marque constitue un élément phare.
C’est en effet une garantie pour les consommateurs qui n’ont plus de repères, et qui sont
rassurés par la qualité du produit qu’ils vont acheter.
Ici, on peut voir l’exemple de la publicité de l’entreprise SINGER qui vise à vendre des
machines à coudre à un public bien ciblé, les maîtresses de maison. La notoriété de la
marque contribue à rassurer les consommateurs dans la qualité de leur produit.
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Parmi les enseignants du CPA, on compte notamment Léon Jonès ou encore Henri de Boissac
qui ont tous deux travaillés dans l’agence de publicité Damour. Arrêtons-nous un instant sur
celle-ci.
Fondée en 1920 par Etienne Damour, elle constitue un élément fondamental à l’émergence
de la profession du métier de publicitaire. En effet, E. Damour insista toute sa vie sur l’aspect
social bénéfique de la publicité et a fait franchir à la profession un cap décisif. Certainement
l’un des premiers théoriciens de la publicité moderne, il a collaboré avec O-J. Gérin dans
l’élaboration de l’œuvre, Le précis intégral de publicité, qui expose les notions essentielles
de techniques publicitaires et de vente, et qui restent, aujourd’hui encore, fondamentales.
C’est grâce à lui que le publicitaire est parvenu à s’imposer face au courtier et à l’affichiste,
et qu’il a fait comprendre l’insuffisance de la réclame pour mieux démontrer la nécessité de
la publicité.
Un élément que l’agence Damour s’est employé à transmettre à ses sujets était l’importance
d’étudier le produit destiné à être vendu, ainsi que son organisation dans la distribution.
Vendre quoi ? A qui ? Pour quels besoins et quels goûts de la clientèle ?
Créer directement la demande des consommateurs par une publicité intense n’est
applicable qu’à des produits de grande série, à cadence déterminée et qui permettent à
l’industriel de se soumettre à la concurrence des prix. Mais cela implique bien sûr des frais
de vente élevés, et démontre ainsi les impératifs financiers qui sont une barrière à l’entrée
dans le monde publicitaire. C’est notamment là l’un des points les plus délicats de la
profession : la publicité a un coût !
3. Le prix de la « pub », ou la concurrence entre métiers engendrée par la publicité :
Les grands magasins qui font la nouveauté du XX° siècle l’ont bien compris, la publicité a un
prix et il faut élaborer des méthodes commerciales en fonction de celui-ci.
Dans les années 20, l’augmentation des budgets accordés à la publicité et l’échec de
certaines campagnes entraine une remise en cause : Comment réduire les frais généraux et
la concurrence ? Plusieurs techniques sont lancées.
 Les grands magasins élaborent des systèmes de magasins à prix uniques (ex. des
Galeries Lafayette qui en 1932 ouvrent leurs magasins Monoprix), il s’agit de vendre
les articles les plus demandés et d’accélérer la rotation des stocks pour réduire les
frais généraux.
 C’est également l’époque des « ventes-réclames » qui visent à attirer le plus grand
nombre d’acheteurs par la promotion d’articles à petits prix. Mais toutes ces
techniques induisent trop de concurrence entre ces promoteurs et l’on décide alors
de se recentrer sur des clientèles ciblées, et surtout plus aisées.
 Chez les plus petits commerçants comme les épiciers, on cherche aussi à fidéliser une
clientèle, mais cette fois-ci populaire.
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 Les détaillants et distributeurs, quant à eux, donnent naissance à des succursales
dites multiples en vue d’une décentralisation de la vente des produits de
consommation sur l’ensemble du territoire.
Dès lors, il semple indéniable que l’utilisation des méthodes publicitaires provoquent de
nouvelles concurrences sur le marché, aussi bien entre grossistes, détaillants que grands
magasins. Petit à petit, on s’aperçoit de l’importance capitale des marques véhiculées par la
publicité grâce à la notoriété dont elles font bénéficier leurs commerçants.
Les structures de la distribution changent avec l’apparition des intermédiaires auprès des
détaillants. La concentration et l’uniformisation des produits de consommation courante
favorisent le développement de la publicité. Il devient indispensable de créer la notoriété
d’un produit nouveau pour en assurer la distribution.
Acteurs essentiels dans la transformation des méthodes publicitaires, ces intermédiaires
deviennent des éléments fondamentaux dans l’émergence de la profession, ainsi que dans
l’élaboration de nouvelles techniques sur le marché.
La période de l’entre-deux-guerres représente un tournant décisif au sein des
méthodes commerciales. On abandonne la réclame, simple article inséré dans un journal
présenté de façon élogieuse ou recommandant quelque chose à quelqu’un, pour dorénavant
utiliser la publicité, qui correspond non seulement à faire connaître un produit, mais aussi à
inciter pour le faire acheter.
Activité fortement décriée à ses débuts, le monde des affaires a pourtant accepté
progressivement la place déterminante du publicitaire au sein de l’entreprise. Celle-ci est en
effet parvenue à renforcer sa crédibilité en créant des instituts de formation spécialisés
reconnus, et en montrant l’efficacité dont elle savait faire preuve pour rentabiliser les
marchés en temps de crise. Entre le professionnel commerçant et le consommateur, tous les
intermédiaires tels que les grossistes, détaillants ou encore distributeurs ne peuvent plus se
passer d’elle et s’efforcent de vivre au rythme de ses transformations.
Cependant, si le publicitaire est parvenu, à imposer au fil des années son activité non plus
comme une simple occupation mais comme profession légitime, comment son travail est-il
perçu au regard de l’opinion publique ? Quelles représentations donne-t-il à l’extérieur ? S’il
est parvenu à s’insérer tant bien que mal dans la sphère professionnelle, le grand public s’est
lui aussi montré réticent et méfiant à l’égard de l’intrusion de cette activité dans son
quotidien.
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II.
Acquisition d’une légitimité au regard de l’opinion
publique :
« A moins de se promener dans la vie les yeux bouchés, les oreilles fermées, d’acheter sans
réflexion et sans enquête, on n’échappe pas à la publicité. ». Ces propos tenus par Jules
Arren il y a presque plus d’un siècle pourraient sans aucun doute encore s’appliquer dans
notre monde actuel. Ce journaliste français, qui fut l’un des premiers collaborateurs de la
Revue d’Action française au début du XX° siècle, écrit en 1909 un des premiers manuels sur
la publicité : La publicité lucrative et raisonnée. Son rôle dans les affaires.
Dans cette œuvre, il établit certaines analyses sur la publicité française et américaine pour
tenter d’en dégager les techniques qui en assurent l’efficacité. Au vu de ses résultats, il
conclut sur une observation intéressante : par rapport aux autres pays industrialisés, la
France a montré nettement plus de résistance à accepter l’apparition de la publicité.
C’est aussi ce constat qui est mis en avant au travers des travaux de M-E CHESSEL. En effet, si
la publicité est un concept qui attire les consommateurs, c’est aussi une innovation qui
effraie les individus. Pourquoi peut-on percevoir une telle méfiance à l’égard de ce nouveau
phénomène ? Comment la publicité parvient-elle à changer l’image qu’elle transmet au
public ?
A. L’effort d’adaptation de la publicité face aux difficultés du marché :
1. Une société française d’abord inadaptée à l’intrusion de ce nouveau phénomène :
Lorsqu’elle apparait, la publicité est pour le consommateur synonyme de changement et de
transformation de ses habitudes, auquel il n’est pas près d’adhérer. Comment expliquer
cela ?
Tout d’abord, il convient de rappeler qu’au début du XX° siècle, la France est une société
encore à dominante rurale. En 1911, près de 60% de la population vit dans les campagnes et
il faudra attendre les années 30 pour que la population urbaine dépasse les 50%.
De plus, les familles françaises disposent de faibles revenus, dont le poste alimentaire
occupe près de 60% des dépenses. Par comparaison, aux Etats-Unis à la même époque,
celui-ci n’est que 35%.
Enfin, on observe une forte inégalité dans la répartition des revenus. Il existe une forte
disparité entre les familles bourgeoises et les familles ouvrières moins aisées qui se
comportent de façon différente à l’égard des produits. Il en résulte que dans les classes les
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moins favorisées, le développement d’un commerce de masse est plus difficile. De fait, la
demande reste pendant longtemps concentrée dans les villes et demeure limitée.
La publicité ne peut se faire connaître qu’en ville, et les populations dans les campagnes
voient d’un mauvais œil cette nouvelle activité qu’ils jugent mensongère, représentante
directe de la consommation et de la normalisation capitaliste.
Ce plafonnement démographique et la faiblesse du pouvoir d’achat sont plus marqués en
France qu’aux Etats-Unis, et les classes moyennes sont encore peu développées. Or, ce sont
ces classes moyennes elles-mêmes qui sont les clients directs de la publicité ! Comment faire
face à de telles difficultés sur le marché ? Comment le publicitaire va-t-il parvenir à ne plus
subir le marché, mais à s’y imposer de façon à le transformer ?
2. Les moyens mis en œuvre pour faire face aux limites posées par le marché :
Les publicitaires sont face à des difficultés d’insertion qui ne facilitent pas leur acceptation
auprès des consommateurs. Cependant, ce cloisonnement des marchés ne signifie par pour
autant absence de publicité. Les professionnels du métier vont alors faire preuve de ruse et
d’habilité pour contourner ces difficultés.
La première chose que les publicitaires vont chercher à faire, c’est de s’adresser à un public
toujours sélectionné. Il ne s’agit pas pour eux de lancer un produit et d’attendre qu’un
individu quel qu’il soit vienne acheter ce bien, mais de cibler une clientèle qui sera
intéressée par l’objet dont il aura fait la promotion. Quels sont les outils utilisés ?
L’émergence de la presse, l’utilisation des périodiques et la multiplication des affiches sont
évidemment des facteurs qui jouent une importance capitale. Il s’agit, au travers de ces
supports, d’attirer des clients potentiels pour créer auprès d’eux l’impression d’être dans
une position privilégiée, tant sur le plan financier que sur la plan informationnel. En ce sens,
on peut dire que le client est en quelque sorte flatté, séduit et qu’il a le sentiment de détenir
une place spéciale dans le message qu’on veut lui faire passer.
C’est une publicité traditionnelle de notoriété qui a moins pour but de convaincre de
nouveaux clients, que de pousser au renouvellement d’un marché déjà existant. Elle
s’appuie sur des agents et des concessionnaires qui constituent de véritables alliés pour
l’entreprise.
Prenons pour illustrer nos propos, un secteur sur lequel notre auteur M-E CHESSEL porte une
attention particulière en raison de son utilisation accrue de la publicité : l’industrie
automobile.
La spécificité des marchés de l’automobile met en avant les différentes politiques
commerciales et publicitaires utilisées, qui sont surtout dirigées vers des consommateurs
relativement aisés. Si l’on s’intéresse plus particulièrement à la firme Peugeot, l’un des plus
gros constructeurs automobiles encore aujourd’hui, le lancement de son célèbre modèle la
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« 601 Peugeot » confirme cette analyse. Les catalogues, photographies, affiches ou encore
clichés d’annonce présentent cette voiture de luxe comme élégante et féminine et la
campagne prône divers slogans tels que « Plaisir des yeux… Le choix d’une carrosserie 601 »,
ou encore « La 601 n’est comparable qu’à des voitures deux fois plus chères ».
Autant d’accroches qui visent à atteindre une clientèle bourgeoise où élégance de la mode
et performance sportive sont les mots d’ordre.
La publicité séduit ainsi relativement facilement nos consommateurs issus des classes aisées.
Si les politiques publicitaires décrites montrent une certaine adaptation à des marchés
constitués de membres de classes moyennes et aisées, d’autres entreprises ne vont-elles pas
chercher à séduire de nouveaux consommateurs moins riches ? Les clientèles ne sont pas
toutes les mêmes, et la vraie qualité d’un bon publicitaire réside aussi dans sa capacité à
savoir s’y adapter.
Les entreprises doivent faire face à une saturation des marchés qui entraine des difficultés
financières. Elles doivent élargir leur gamme. Elles savent que l’étendue de leur clientèle
n’est pas assez large, et doivent repenser leurs cibles commerciales. Dans le même temps,
une évolution favorable semble aller à l’extension de la consommation : la hausse des
revenus et des salaires. Conséquences de l’inflation d’après-guerre, puis après 1936 des
mesures du Front populaire, on observe une sorte de concordance entre désir des firmes
d’élargir leur gamme de consommateurs et élévation du niveau de vie. Une nouvelle
catégorie de consommateurs aux revenus moyens semble apparaître, c’est l’occasion de la
saisir.
Si l’on reprend notre exemple de l’industrie automobile, l’apparition de la « Simca 5 »
produit par le constructeur automobile Fiat illustre parfaitement ce changement de stratégie
qui vise à atteindre des nouveaux consommateurs moins fortunés. Partant de l’observation
qu’il existe désormais une saturation du marché et du prix élevé des véhicules, Simca décide
de produire un véhicule économique, aussi bien par son prix d’achat que par ses
caractéristiques d’utilisation. Comment faire connaître son projet ? Une large utilisation de
la presse pour sensibiliser ces nouveaux clients est indispensable.
On observe bel et bien ce que M-E CHESSEL décrit comme étant une sorte de
« démocratisation » de la consommation. Le cloisonnement social qui existait sur le marché
semble être surmonté par l’effort des publicitaires à élaborer des stratégies plus adaptées.
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Notons enfin que parallèlement à ce cloisonnement social, il a également fallu que ces
publicitaires surmontent la difficulté d’un cloisonnement dit « géographique ».
En effet, les publicitaires perçoivent qu’au-delà des consommateurs eux-mêmes, c’est
également l’endroit où ils habitent qui va déterminer l’efficacité d’une campagne. Certes, si
le lancement en province est considéré comme étant plus facile, la publicité parisienne reste
néanmoins incontournable. De plus, vendre au niveau national représente une organisation
commerciale non seulement délicate mais aussi rigoureuse et qui possède un coût élevé.
Quelle stratégie adopter pour pallier à cette difficulté ? Pour les publicitaires, la technique
utilisée a alors été la suivante : tester une campagne sur une zone géographique restreinte,
observer ses résultats, pour ensuite s’élargir de façon plus efficace et garantir des résultats
plus sûrs.
Pour se faire accepter dans la sphère publique, convaincre les consommateurs de
leur nécessité, mais aussi de l’information dont ils les font bénéficier, les publicitaires
mettent en place diverses stratégies qui leur permettent de s’insérer doucement sur le
marché. Ils flattent le consommateur, l’éduquent et font preuve de multiples techniques
pour adapter leur activité selon la clientèle souhaitée. L’utilisation la publicité évolue avec la
conjoncture : la croissance des années 20 pousse à modifier les conditions de production,
élever les revenus et décloisonner les marchés, puis les années 30 bien qu’elles réduisent les
ressources financières, poussent en fait à chercher de nouveaux débouchés sur le marché
intérieur et à modifier les techniques de vente.
Rajoutons à cela que nos voisins de l’autre côté de l’Atlantique ne sont pas non plus sans
influence sur l’implantation du métier de publicitaire en France.
En effet, la profession étant déjà bien acceptée aux Etats-Unis, ce sont des modèles et des
techniques qui sont exportés en France, dont nos professionnels s’imprègnent tout en
sachant bien que le public n’est pas le même et qu’il va falloir faire preuve de prudence dans
leur utilisation. Cette transmission des techniques passent notamment par l’influence de la
« Harvard Business School » dont les français se gardent bien de choisir les méthodes qu’ils
vont appliquer chez eux.
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Les années 30 sont aussi celles de l’implantation des agences américaines. L’influence de
leur méthode suscite un débat dont la presse se fait l’écho, en opposant la publicité
française dite artistique à la publicité américaine considérée comme plus technique.
Cette spécificité artistique d’une publicité à la française n’est pas seulement une façon de se
différencier des autres pays, elle est également un moyen de mieux faire accepter l’activité
de la publicité dans le monde public.
B. L’art moderne au secours de la publicité :
On l’aura bien compris, le publicitaire est parvenu à imposer sa légitimité dans le milieu des
affaires ainsi que chez les consommateurs. Mais il reste une dernière catégorie d’individus
qui entrave l’émergence de la profession, celle des défenseurs du paysage et de la nature.
Critiquée par de nombreuses associations, la publicité dans la ville est apparue pour certains
comme une perversion du paysage et une atteinte au patrimoine historique français. En
effet, dès le début du XX° siècle, l’activité d’affichage est en pleine expansion, la publicité
murale et les panneaux-réclames ne cessent de se multiplier. Si les plus virulents opposants
souhaiteraient aller jusqu’à une interdiction complète de la publicité dans les rues, il va de
soi que cela semble difficile à faire admettre. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il ne faut
pas mettre en place certaines limites et des réglementations.
1. Tentatives de réglementation de l’affichage au début du XX° siècle, un frein à
l’expansion de l’activité du publicitaire ? :
La première loi relative à l’affichage date de juillet 1881, prônait une certaine liberté
d’affichage tout en posant certaines limites à la liberté d’expression politique, mais
n’abordait en aucun cas l’affichage commercial. Aussi, l’affichage publicitaire devint
inévitablement abusif de la part des commerçants qui visaient à faire connaitre leurs
produits, et de nouvelles règles devaient être mises en place.
Parmi les lois les plus importantes, on peut citer la Loi Beauquier de 1910, relative à
l’interdiction d’affichage dans certains monuments historiques et autres sites dits classés, ou
encore la Loi de finances de juillet 1912 qui aborde notamment l’idée de mettre en place un
timbre spécial annuel progressif visant à empêcher l’expansion d’un mode d’affichage
considéré comme nuisant.
L’initiative d’une plus forte réglementation provient de groupes de pression défendant les
paysages et les centres historiques de tourisme et qui sont défendus par certaines
associations telles que la Société pour la protection des paysages de France (SPPF), le
Tourning Club de France (TCF) ou encore la Société des amis des monuments parisiens. Leur
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but ? Protéger les paysages de tout signe extérieur de modernité. En effet, le passage d’une
société française profondément rurale à une société marquée par l’urbanisme effraie. Pour
ces conservateurs, la publicité constitue le symbole le de l’urbanisation, de la société de
consommation, signe de culture urbaine et de modernité.
Malgré la multiplication des réglementations, les abus continuent de se multiplier. Les lois
mises en place étant limités à certains périmètres géographiques, les publicitaires en
profitent donc pour exercer une liberté absolue dans les lieux non interdits.
On aurait pu craindre un frein à l’expansion de l’activité du publicitaire, mais en réalité
l’affichage parvient à prendre une place considérable, et ce dès les années 20. C’est en 1928
que sera enfin crée le premier groupe de parlementaires de la publicité, dont les
représentants se regroupent principalement autour de deux membres de la Chambre
syndicale de la publicité : Ernest Pezet, député démocrate-chrétien, et Louis Dumas,
républicain d’union nationale et sociale. Ensemble, ils joueront un rôle déterminant en tant
qu’intermédiaires entre demandes sociales (comme la réglementation des affiches murales)
et propositions des publicitaires.
Au-delà des débats autour de cet envahissement de la publicité opposant préservation d’un
patrimoine historique et développement des méthodes commerciales, il existe en fait un
autre débat sous-jacent, celui de l’esthétisme de la publicité.
2. L’alliance entre artistes modernes et publicitaires, deux activités en quête de
légitimité :
Au lendemain de la première guerre mondiale, un nouveau courant artistique émerge : celui
de l’art moderne. Ces nouveaux artistes du XX° siècle ont un objectif bien précis, créer un art
« pour tous ». Il s’agirait de faire descendre l’art dans la rue, de promouvoir l’utilisation de
nouveaux matériaux, et d’élaborer des créations artistiques innovantes. Cette spécificité de
l’art moderne qui défend un esthétisme presque industriel correspond tout à fait à la société
de consommation qui émerge à la même époque.
On note alors une rencontre entre artistes modernes et publicitaires, deux mouvements à la
recherche d’un soutien et d’une légitimité respective. Ils vont combattre ensemble face aux
virulents opposants de la modernité.
Grâce au soutien de l’art moderne, les publicitaires parviennent à défendre leur activité
comme s’adaptant aux transformations de la société. L’augmentation des affiches dans les
rues est ainsi moins perçue comme une « pollution urbaine » que comme étant une
« décoration nouvelle ». Comme le soulignent certains des peintres de l’époque, l’affichage
dans les villes présente de réels bienfaits pour la société. Ils vont même jusqu’à se moquer
des associations comme la SPPF en se pressant de dire que personne ne peut être tenu de
dire ce qui est beau et ce qui ne l’est pas. Pour résumer cette prise de position, M-E CHESSEL
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s’exprime de la manière suivante : « Pourquoi le paysage serait-il plus beau et les affiches au
contraire laides et nuisibles à l’esthétisme des villes ? ».
On observe ainsi une nouvelle définition de la beauté qui se dessine et dans laquelle
publicitaires et artistes modernes se retrouvent. L’éducation artistique des masses et la
démocratisation de l’art voulue par ces nouveaux artistes permet aux publicitaires de
renforcer leur légitimité auprès du grand public.
Parmi les grands acteurs de ce mouvement, on peut citer l’Union des artistes modernes,
abrégé par le sigle UAM, mouvement d’artistes décorateurs et d’architectes fondés en
France en 1929 par Robert Mallet-Stevens. Ses membres tels que Paul Colin, Etienne
Cournault, Jean Carlu ou encore A-M Cassandre, se sont employés tour à tour pendant
presque 30 à défendre les causes de la publicité.
L’iconographie publicitaire française qui se développe s’oppose totalement au réalisme des
annonces et affiches américaines. Pour illustrer cette liaison étroite entre art moderne et
publicité, on peut citer le célèbre cubiste Jean Carlu, à qui l’on doit l’affiche «Monsavon» en
1925.
Comme dans le monde des affaires, on observe bien que le publicitaire est
arrivé à imposer la légitimité de son activité dans la sphère publique. Certes, il a fallu qu’il
fasse preuve de technique et d’ingéniosité pour contourner les difficultés que lui ont posées
les plus méfiants, mais aujourd’hui, on peut conclure par ce que le journaliste Jules Arren
exprimait dans son manuel, lorsqu’il disait que « l’opinion publique, cette force insaisissable
et toute-puissante, de laquelle personne ne peut s’affranchir, est dominée par la Publicité ».
Personne ne peut y échapper, aussi bien le monde de l’entreprise que dans celui des
consommateurs, mais également l’Etat. En effet, au-delà des bénéfices qu’il retire de
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l’imposition sur celle-ci, l’Etat est lui aussi directement concerné par la publicité car il en a
directement besoin pour promouvoir toutes les activités dont il est en charge ou qui
constituent un monopole. C’est par exemple le cas pour les chemins de fer ou le tabac.
De plus, s’agissant d’un moyen direct pour sensibiliser les populations, il l’utilise également
pour le tourisme ou encore les différentes campagnes d’hygiène sociale. La publicité
propose ainsi ses compétences au service de l’Etat et s’impose comme un moyen
d’améliorer son efficacité dans ses diverses obligations.
L’exposition internationale de 1937, ou l’apogée de la légitimation de la publicité
auprès des professionnels et des consommateurs :
Pour terminer ce dossier, j’ai choisi de faire un bref aperçu sur l’un des événements
les plus importants de la publicité au XX° siècle, auquel M-E CHESSEL accorde une attention
particulière dans son ouvrage, Le pavillon de la publicité à l’Exposition internationale de
Paris en 1937.
Avec son propre pavillon autonome, la publicité impose une reconnaissance publique
comme jamais auparavant et moralise sa pratique.
La professionnalisation des publicitaires et des campagnes se trouve renforcée, mais c’est
aussi le moyen d’éduquer les producteurs et les consommateurs en légitimant la société
industrielle.
Ce pavillon au fronton duquel sont exposées des sculptures métalliques, des enseignes néon
ainsi qu’un écran lumineux où défilent des publicités en couleur, marque l’aboutissement de
la fructueuse collaboration entre artistes modernes et publicitaires.
L’Exposition apparait comme le moyen pour les publicitaires de proposer leurs services aux
différentes entreprises en montrant qu’il s’agit là d’une technique neutre capable de
« participer à l’effort collectif ». Ils expriment au travers de leur pavillon autonome leur désir
d’affirmer un certain prestige de leur profession et de démontrer que leurs méthodes visent
en réalité à défendre de nobles causes. C’est une profession nouvellement unie et légitimée
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qui se fait connaître aussi bien auprès d’entrepreneurs venus s’informer sur l’efficacité de
cette activité, qu’auprès d’un public simplement passé se distraire à l’Exposition.
Le pavillon représente l’aboutissement d’évolutions majeures apparues dans les
années qui précèdent (naissance de la profession du publicitaire, transformation des
méthodes commerciales et évolution des valeurs), mais il préfigure également les
transformations nées de la période d’après-guerre, la naissance des outils de marketing,
ainsi que l’arrivée de la société de consommation de masse.
Conclusion :
Le passage de la réclame à la publicité moderne au cours de la première moitié du
XX° siècle a éprouvé bien des difficultés. En observant de près le parcours des publicitaires,
on s’aperçoit que l’acquisition de leur légitimité, aussi bien chez les professionnels qu’auprès
du grand public, s’est heurté à de nombreux obstacles auxquels il a fallu faire face.
L’entre-deux-guerres constitue à cet égard une période fondamentale dans l’émergence du
métier de publicitaire comme profession à part entière.
Si l’on observe dès le début du siècle l’apparition d’organisations telles que la Corporation
des techniciens en 1913, ou encore la création des établissements spécialisés comme L’Ecole
technique de publicité en 1927, il faut attendre les années 30 pour que l’on reconnaisse le
caractère véritablement nécessaire et efficace de la profession.
Ce n’est qu’à la suite de la crise de 1929 que l’on observe une véritable prise de conscience
des industriels et des commerçants qui cherchent à modifier leurs stratégies sur des
marchés encore socialement et géographiquement cloisonnés. Il faut mettre en place des
politiques commerciales, étudier les marchés, et transformer les méthodes de distribution et
de vente. Le rôle de la publicité prend alors un tournant et l’on assiste à un véritable progrès
de la démarche gestionnaire.
Si la légitimité du publicitaire dans le monde des affaires semble n’être plus à faire,
l’acceptation de ces pratiques auprès de consommateurs qui n’y sont pas encore préparés
présente également des difficultés. La publicité murale donne notamment lieu à de vifs
débats concernant l’espace public, l’esthétique rurale ainsi que la préservation des identités
régionales du pays. Pour répondre à ces critiques, les publicitaires prennent pour alliés les
défenseurs de l’art moderne. Tous deux en quête de légitimité auprès de l’opinion publique
combattent pour la défense de la modernité. Ensemble, ils créent des affiches et défendent
leur conception de la société industrielle.
Progressivement, l’activité publicitaire est reconnue comme étant un élément
incontournable aux yeux de tous. La création d’un pavillon de la publicité à l’Exposition de
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1937 traduit la place déterminante qu’elle possède désormais, et son rôle aussi bien
économique que social ne se fait plus attendre.
Si la presse joue un rôle évidemment déterminant dans la promotion de la publicité, ce ne
n’est pas le seul moyen de communication auquel elle a recours pour promouvoir son
activité. En effet, bien qu’ils ne soient pas évoqués ici, l’évolution des médias comme la radio
et la télévision possèdent une importance majeure dans la naissance de la publicité, et leur
rôle prendra une importance d’autant plus grande dans la seconde moitié du siècle.
L’essor de la publicité moderne constitue un élément crucial dans l’organisation et
la gestion interne des entreprises, et la façon dont elle parvient à envahir le monde de
l’entreprise ainsi que la sphère publique n’est sans doute pas sans lien avec les
transformations du capitalisme qui ont lieu à cette époque. Cette période de l’entre-deuxguerres qui permet une véritable transition dans le monde de la communication n’est pas
non plus sans conséquence sur les transformations nées au lendemain de la Seconde guerre
mondiale. La révolution managériale qui s’amorce dans la seconde moitié du XX° siècle
préfigure l’émergence du marketing ainsi que l’arrivée de la société de consommation de
masse. Comment cette activité et l’utilisation de ces nouveaux outils seront-ils à leur tour
perçus par les autres acteurs du marché et par l’opinion publique ?
Bibliographie
Documents et revues
- L’Ouest Eclair, éd. du 24 mars 1931
- « L’enseignement de la publicité en France au XX° siècle », Le Temps des Médias, n°2, janvier 2004
Thèses et ouvrages
- Arren (Jules), La publicité lucrative et raisonnée. Son rôle dans les affaires, 1909
- Chessel (Marie-Emmanuelle), La publicité, Naissance d’une profession (1900-1940), Paris, CNRS
Editions, avril 1998
- Gérin (O-J), Précis intégral de publicité, 1926
- Hémet (D), Thèse pratique de publicité, 1922
- Mayor (Y), « Une surproduction sociale, le technicien au chômage », Annales d’histoire
économique et sociale, 1935
- Morin (E), La Publicité. De l’instrument économique à l’institution sociale, 1968
Liens internet
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Pour les publicités insérées à la fiche de lecture,
- www.lesartsdecoratifs.fr/archives
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