Corrigé du DS n°3 – Français

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Corrigé du DS n°3 – Français
Corrigé du DS n°3 – Français-Philosophie – BCPST1 –
SUJET :
« Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute,
beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en
si peu de temps; mais il a fallu non moins de qualités morales. » Paul Valéry, Variété, « La
Crise de l’esprit », 1919. Dans quelle mesure votre lecture des œuvres du programme vous
permet-elle de souscrire à ce jugement ?
Analyse
Cette citation de Paul Valéry évoque les destructions de la 1 ère guerre
mondiale. Elle insiste sur les destructions de masse qui ont caractérisé cette
Grande Guerre : la répétition de l’adverbe de quantité tant manifeste l’intensité
et l’ampleur du désastre, qui touche aussi bien les êtres humains que les villes ou
les biens matériels – il y a dans cette évocation quelque chose d’apocalyptique.
Cependant, toute la réflexion de Valéry s’articule autour d’un paradoxe, ou pour
mieux dire d’une tension : cette destruction massive, à grande échelle, est le fruit
certes de la violence, mais cette violence premièrement est organisée : il a fallu
beaucoup de science. Le mot science est polysémique : il peut désigner
l’ensemble des travaux ou des connaissances de nature scientifique, mais il
renvoie également au savoir-faire, à la manière habile et savante de mettre
quelque chose en œuvre. Deuxièmement, l’anéantissement total de ce qui était
une civilisation (hommes, villes, biens) ne résulte pas, comme on le dit
habituellement de la barbarie, mais au contraire, de vertus et de qualités morales
(expression soulignée par l’auteur). Le mot vertu peut être entendu ici comme
énergie morale, disposition à accomplir des actes moraux par un effort de
volonté. Il rejoint donc sémantiquement les qualités morales – virtus en latin
signifie « qualité distinctive, mérite essentiel de l’homme ». Globalement, on
comprend donc que la dévastation de la guerre est la conséquence d’une
organisation rigoureuse et d’une détermination, d’une supériorité morale dans la
conduite des belligérants.
Problématique
Comment les horreurs de la guerre peuvent-elles être le produit de savoirfaire, d’efforts de volonté et de mérites humains ? Mais l’anéantissement d’une
civilisation provoquée par une guerre de masse ne nécessite-t-elle pas également
des travers monstrueux ?
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Proposition de plan
I/ La guerre peut détruire entièrement une civilisation du fait de l’application, du
zèle, des savoirs et de la supériorité morale des hommes
A) Pour combattre avec efficacité et rapidité, en vue de l’anéantissement
de l’adversaire, il faut maîtriser ou perfectionner les outils de guerre ou
l’organisation des armées
- Les hoplites grecs peuvent vaincre les Perses pourtant plus
nombreux car ce sont « des soldats fameux par la lance » (85) et
parce qu’ils sont meilleurs stratèges sur la mer : ainsi, peuvent-ils
anéantir leur ennemi : « c’est tout entier que notre peuple [perse] a
péri sous la lance » (729).
- Clausewitz explique que « l’invention de la poudre, le
développement des armes à feu montrent suffisamment qu’en
progressant la civilisation n’a absolument pas entravé ou détourné
la tendance sur laquelle repose le concept de la guerre, celle
d’anéantir l’ennemi. » (22)
- Dans Le Feu, les progrès scientifiques mettent au service des
armées des réseaux de transports modernes (le train, l’automobile,
dans le chapitre « Embarquement », l’avion), une organisation du
ravitaillement, mais surtout des armes de plus en plus
perfectionnées et de plus en plus meurtrières : « On a vu un obus
éclater sur le sol et soulever… de la terre et des débris. On dirait, à
travers la glèbe fendue, le crachement effroyable d’un volcan qui
s’amassait dans les entrailles du monde. » (286) ; « Des rafales se
déchaînent si monstrueusement retentissantes qu’on se sent annihilé
par le seul bruit de ces averses de tonnerre » (348).
B) La discipline et le sérieux sont des qualités nécessaires pour détruire le
camp adverse
- Parmi les différentes ethnies qui composent l’armée de Xerxès, les
Perses vont au combat « sans désordre, en bonne obéissance » (374)
dans l’intention de « ravager la terre ionienne » (178). Du temps de
Darios, le Grand Roi pouvait compter sur « l’appui infatigable
d’hommes équipés pour la guerre » (900-901).
- L’organisation rationnelle des troupes, la mobilisation de masse
dans la 1ère guerre mondiale visent à rendre le combat plus efficace :
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« les embarquements s’échelonneront sur la ligne selon le lieu de
cantonnements et la date des relèves. » (157) ; « c’est bien organisé
tout d’même tout ça, y a pas à dire ! admire Lamuse » (160).
C) La guerre nécessite des qualités morales, comme le courage ou le
dépassement de soi, qui rendent les combattants plus efficaces dans la
bataille
- Le courage et la persévérance des lieutenants de Xerxès : «
Amphistreus brandissait la lance sans répit » (320-321), « le
valeureux Ariomardès » (321), « Tharybis héros admirable » (323324), « Syennésis, premier pour la vaillance » (326 ; de leur côté les
Grecs « ne sont que trop vaillants ! » (1026). Or, cette
démonstration de courage va aboutir à un désastre : « la fleur de ce
pays… par milliers d’hommes ils sont morts » (925-927).
- Clausewitz parle de diverses formes de courage, « l’audace, la
confiance en la fortune, la témérité, la hardiesse » (40), que
l’homme a naturellement en lui et qu’il développe face au danger
du combat. Ces qualités doivent servir à se battre jusqu’aux
extrémités de la violence.
- Bertrand, dans Le Feu, est un homme qui montre sans cesse son
dévouement, son sang-froid et une certaine forme de sagesse : « le
même attitude martiale et sérieuse » (311), « qui avait fait toujours
plus que son devoir » (341). Mais « il a été tué lui aussi, comme les
autres, celui qui nous dominait le plus par son énergie et sa
lucidité ! Il s’est fait tuer … à force de toujours faire son devoir. »
(352)
II/ Néanmoins ces qualités développées au combat n’empêchent pas que le
recours à l’énergie à des fins destructrices est plutôt le fait des bêtes que des
hommes et que les passions belliqueuses ne font pas partie des vertus.
A) Idée que la guerre implique une violence propre aux animaux et
indigne de l’homme : c’est un lieu commun de la philosophie de la
guerre (Cicéron, Machiavel, Grotius)
- Les Grecs eux-mêmes achèvent leurs ennemis à Salamine avec une
férocité barbare : « Les Grecs, armés de débris de rames, d’épaves,
les frappaient et les éreintaient » (425-426) ; « ils rouent de coups
les malheureux, ils les démembrent jusqu’à tant qu’ils leur aient ôté
la vie à tous » (463-464).
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- Quand l’escouade du narrateur du Feu part à l’assaut de la tranchée
ennemie, les hommes agissent avec une violence inouïe. Le caporal
Bertrand reconnaît : « nous étions tous comme des bêtes quand
nous sommes arrivés ici. » Plus loin, il parle des soldats comme d’
« ignobles bourreaux » (340).
- Bien que Clausewitz ne rattache pas la guerre à l’animalité, il la
présente comme « un acte de violence [qui] ne connaît pas de
limites » (22). Le recours à la violence implique nécessairement de
ne pas « épargner le sang » (20) quand il s’agit de « dicter… sa loi à
l’autre » (20). La guerre, par sa violence illimitée, ne peut donc être
vertueuse.
B) Les passions les plus négatives restent à l’œuvre chez les hommes qui
font la guerre avec détermination
- L’hybris de Xerxès, cet impétueux, cet « irréfléchi » (829) se
répand jusque dans son armée de « Perses orgueilleux » (533). Ce
qu’il veut, c’est « la forcer cette cité » d’Athènes et soumettre sous
son joug toute la Grèce.
- Le nationalisme et le patriotisme sont les principales motivations de
la 1ère guerre mondiale. Or, elles mènent les soldats à détruire
massivement l’ennemi avec orgueil et détermination : « C’est vrai
qu’les hommes sont fous ! … Les chauvins, c’est d’la vermine. »
(425). Or, comme l’écrit Barbusse : « Du patriotisme qui est
respectable… ils font… une espèce de cancer qui absorbe toutes les
forces vives… » : « combien de crimes dont ils ont fait des vertus,
en les appelant nationales… » (436).
- Clausewitz montre que la raison ne garantit pas une limitation de la
violence, la passion « fait nécessairement partie » de la guerre (22).
C’est pourquoi il affirme que « même les peuples civilisés peuvent
se déchaîner l’un contre l’autre, enflammés par la haine » (21). La
haine est donc bien également une passion négative à l’œuvre chez
ceux qui combattent.
C) Cet état de nature belliqueux est sans morale, donc sans vertu.
- La « folle entreprise » (719) de Xerxès contre la Grèce a mené les
Perses à saccager des lieux sacrés, à provoquer les dieux, a conduit
Xerxès lui-même, après la défaite, à abandonner ses hommes dont
« la plupart sont morts et de soif et de faim » (490-491) ; vs la
sagesse de Darios, « roi bienheureux » (632) qui, lui n’est pas
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animé par une passion destructrice ; aussi n’a-t-il « pas fait périr
tant d’hommes dans les combats » (652-653).
- L’amoralité est visible dans Le Feu quand quatre poilus, partis en
quête d’allumettes, tuent un soldat allemand rencontré fortuitement,
avec indifférence, presque avec satisfaction alors que celui-ci les a
appelés « Kamerad ». Ce n’est pas véritablement un fait de guerre
mais un crime odieux, gratuit, qui mène à un partage sordide des
maigres biens du soldat mort.
III/ Mais ne serait-il pas préférable de dépenser de l’énergie à limiter les effets
de la guerre et même à y mettre fin ?
A) Les vertus peuvent d’abord être employées à atténuer les souffrances et
les destructions engendrées par la guerre
- Le chœur dans les Perses a pour fonction de « chanter ces
souffrances, ces neuves douleurs » (943-944), de pleurer sa cité et
sa race (949) et Xerxès, redevenu raisonnable et plein de
compassion, veut que ces plaintes servent à se « remémorer » ceux
qui sont morts au combat (988-989).
- Le médecin et les infirmiers du poste de secours soignent du mieux
qu’ils peuvent, avec abnégation, tous les soldats blessés : « on dit
qu’il ne s’est pas arrêté, non plus que ses aides, de toute la nuit et de
toute la journée, et qu’il fait une besogne surhumaine. » (362)
B) Les qualités morales des individus peuvent permettre de dépasser la
barbarie à l’œuvre
- Les Athéniens sont valorisés par la tragédie d’Eschyle car s’ils se
battent avec acharnement contre les Perses, c’est pour défendre leur
système démocratique : les citoyens d’Athènes « ne peuvent être
dits esclaves, ni sujets de personne » (242). C’est pourquoi
les dieux accordent la victoire aux Grecs et « sauvegardent la cité
de Pallas » (346).
- La fraternité est constamment à l’œuvre dans Le Feu entre soldats
du même camp, quand Eudore et Mariette hébergent et nourrissent
les poilus sans toit aux dépens de leur propre intimité ; entre soldats
des camps ennemis : à la fin, les soldats de l’escouade fraternisent
avec des Allemands aussi épuisés qu’eux et aussi désespérés par la
mort de leurs camarades (416).
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C) Les qualités morales devraient être placées au service de la paix
- Darios souhaite que Zeus souffle à Xerxès « des conseils
raisonnables », pour qu’il « n’offense plus les dieux par une
témérité orgueilleuse » (829-830) et qu’il n’entreprenne plus de
guerre contre les Grecs. « Il ne faut plus mener de campagne contre
la Grèce. »
- Les horreurs de la 1ère guerre mondiale doivent, dans le dernier
chapitre du Feu, être dépassées par des sentiments pacifistes, une
volonté de faire le bien de l’humanité : « Il ne faut plus qu’il y ait
de guerre après celle-là ! » (421)
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