Avionneurs russes: bilan des réformes et perspectives d`avenir

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Avionneurs russes: bilan des réformes et perspectives d`avenir
Avionneurs russes:
bilan des réformes et
perspectives d’avenir
Konstantin Makienko Note de l’Observatoire franco-russe, no3, Juin 2013
Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
Auteur
Konstantin Makienko
Diplômé de la chaire d’études orientales de la faculté de relations
internationales du MGIMO et du mastère franco-russe en sciences politiques et
relations internationales. En 1996-1997, Konstantin Makienko dirige le programme
« Armements conventionnels » du Centre d’études politiques en Russie (PIRCenter). Depuis 1997, il est directeur-adjoint du Centre d’analyse des stratégies
et technologies (CAST), centre de recherche de référence à Moscou sur les
questions aéronautiques et de défense. Auteur de nombreuses publications sur les
exportations d’armes russes.
Observatoire franco-russe
Créé en mars 2012 à l’initiative du Conseil économique de la Chambre de
commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR), l’Observatoire a pour vocation de
produire une expertise approfondie sur la Russie, ainsi que de promouvoir une
meilleure connaissance des réalités françaises auprès des élites politiques et
économiques russes. Il publie des notes thématiques et un rapport annuel sur la
Russie. Il organise également des manifestations (colloques, séminaires, conférences
de presse) à Paris, à Moscou et dans les régions russes. L’Observatoire franco-russe
s’est doté d’un conseil scientifique réunissant une quinzaine d’universitaires et
experts (Alain Blum, Pascal Boniface, Isabelle Facon, Pierre Kopp, Jean Radvanyi,
Marie-Pierre Rey, Georges Sokoloff, Evgueni Gavrilenkov, Natalia Lapina, Fiodor
Loukianov, Sergueï Karaganov, Rouslan Poukhov, Konstantin Simonov, Tatiana
Stanovaïa) qui participent activement à ses travaux.
Note de l’Observatoire franco-russe, no3, Juin 2013
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Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
Sommaire
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Auteur / Observatoire franco-russe
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Sommaire 4
Les premières tentatives de réformes 6
2000-2005 : des projets concurrents
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OAK, ou la création d’un « champion national »
11 Bilan de la restructuration : réussites et échecs
14 A la recherche des « courants faibles »
Note de l’Observatoire franco-russe, no3, Juin 2013
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Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
Années 1990: les premières tentatives de réformes
Après la dissolution de l’URSS et la liquidation du ministère soviétique de
l’Industrie aéronautique, la consolidation de ce secteur est toujours apparue
comme une nécessité dans la Russie post-soviétique. Les premières tentatives en
ce sens sont lancées dès le milieu des années 1990. Dans un contexte marqué par
l’absence de commandes de l’État faute de moyens et par l’effondrement de la
demande d’avions commerciaux, les réformes concernent avant tout les bureaux
d’études et usines impliqués dans des programmes d’exportation. A l’époque, ce
sont les groupes bancaires et industriels contrôlés par des oligarques qui jouent un
rôle moteur dans ces processus.
L’avionneur « MiG » est le premier concerné par la restructuration. En juin 1994,
il signe avec la Malaisie un contrat historique de plus d’un demi-milliard de dollars
portant sur la vente de 18 avions de chasse MiG-29N. Dès 1995 est créée MAPO
« MiG », entité qui réunit le bureau d’études Mikoïan (concepteur des avions de
chasse MiG-29) et l’usine de construction en série N°30. En 1996, cette compagnie
intègre des fournisseurs de systèmes et de composants des chasseurs MiG-29, en
particulier des motoristes, ainsi que des concepteurs et fabricants d’avionique. En
outre, la nouvelle compagnie intègre le bureau d’études de l’hélicoptériste Kamov.
On considère généralement que la direction de MAPO « MiG » - VPK « MAPO »
appartenait à la sphère d’influence du conseiller du président pour les questions
relatives à la coopération militaro-technique, Boris Kouzyk, lui-même lié à la
banque ONEXIM. En dépit des rentrées d’argent - considérables pour le milieu des
années 1990 – générées par le contrat malaisien, MAPO « MiG »/ VPK « MAPO »
n’a pas su, ou n’a pas eu le temps de concevoir de nouvelles versions modernisées
en profondeur du chasseur MiG-29, ni de proposer au marché d’autres produits
arrivés à maturité, que ce soit dans le segment des avions d’entraînement ou dans
celui des hélicoptères. Le programme de fabrication du chasseur de cinquième
génération MFI 1.44 n’a pas, lui non plus, connu de développements significatifs.
En 1997, après un changement de direction à la tête de « MiG » et son passage
sous le contrôle informel de Iakov Ourinson (vice-Premier ministre de mars 1997
à avril 1998) et d’Evguéni Ananiev (directeur général de l’agence d’exportation
d’armement Rosvooroujenié), sur fond de recul des positions d’ONEXIM dans
l’industrie militaire, le niveau d’intégration des entités composant VPK « MAPO »
faiblit. L’autonomie juridique et économique du bureau d’études et des usines de
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production en série est rétablie, si bien qu’en 1998-1999, le système mis en place
antérieurement a disparu.
La deuxième expérience de consolidation des actifs aéronautiques au milieu
des années 1990 est la création d’AVPK « Soukhoï », qui est composé du bureau
d’études « Soukhoï » et de trois sites industriels impliqués dans la fabrication
des chasseurs Su-27/30. L’initiateur de cette consolidation est IAPO (Union
industrielle aéronautique d’Irkoutsk), que dirige Alexeï Fedorov. De même
que pour « MiG », des liens existaient entre IAPO et la banque ONEXIM. Cette
tentative de consolidation sous l’égide de l’usine d’Irkoutsk suscite une résistance
acharnée et efficace de la part des deux autres sites inclus dans la nouvelle entité,
et avant tout de la part de l’usine de Komsomolsk-sur-l’Amour. Cette dernière
dispose de ressources importantes du fait de son contrat de licence signé avec
la Chine et dépend alors étroitement des élites locales, y compris criminelles. En
mars 1998, la direction d’AVPK « Soukhoï » change, et l’alliance Irkoutsk-ONEXIM
perd le contrôle de la compagnie. C’est alors que s’esquissent les contours
d’un nouvel ensemble réunissant les actifs de « Soukhoï », sans toutefois IAPO.
Les premières tentatives de consolidation des avionneurs russes sont donc
éphémères. Les entreprises du milieu des années 1990 s’avèrent incapables de
proposer de nouveaux produits et de décrocher de nouveaux contrats d’exportation.
Elles connaissent une instabilité interne permanente, sont confrontées à une
résistance opiniâtre des entités appelées à y être intégrées et évoluent dans un
environnement économique et politique hostile. Les processus de consolidation du
secteur aéronautique sont impulsés par la banque ONEXIM qui, à l’époque, est l’un
des groupes financiers et industriels les plus agressifs du pays. La perte d’influence
de ce groupe, consécutive au départ, en mars 1997, de Vladimir Potanine du poste de
premier vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, entraîne l’effondrement
de VPK « MAPO » et un remaniement à la tête d’AVPK « Soukhoï ».
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2000-2005 : des projets concurrents
Le renforcement global de l’État, et notamment l’intensification de son
intervention dans l’économie au cours de la première moitié des années 2000, a
des répercussions sur les avionneurs. Dès le début de la décennie, des compagnies
publiques de seconde génération — RSK « MiG » et AKhK « Soukhoï » — voient
le jour. Si « Soukhoï » reste une holding dont la compagnie de tête détient une
participation majoritaire dans les entités la composant, RSK « MiG » est, d’emblée,
une compagnie intégrée.
Disposant de moyens financiers et de capacités d’innovation largement
inférieurs à « Soukhoï », « MiG » réussit cependant à devancer une nouvelle fois
son concurrent en termes de réorganisation. Il convient de souligner que l’idée
de créer ces corporations est née du temps du gouvernement de Primakov, en
1998-1999, à l’initiative du vice-Premier ministre Maslioukov. Le vice-Premier
ministre Ilia Klebanov, qui hérite du dossier aéronautique au début des années
2000, maintient le cap. De ce point de vue, on peut parler d’une continuité entre
la politique industrielle appliquée à la fin de l’ère eltsinienne et au début de la
présidence Poutine. Les processus de restructuration concernent avant tout les
fabricants d’avions de chasse détenant des contrats d’exportation plus ou moins
importants, tandis que le secteur des avions de transport militaire et des avions
civils reste cantonné à la périphérie des processus de consolidation.
C’est à cette époque qu’émerge l’idée de créer, autour des avionneurs
militaires, des unions industrielles polyvalentes regroupant fabricants d’avions et
d’hélicoptères. La première de ces entités (SVSK-1) devait intégrer « Soukhoï »,
« Iliouchine » et « Mil », la seconde « MiG », « Tupolev » et « Kamov ». Si cette idée avait
été mise en œuvre, la Russie aurait été dotée d’une industrie aéronautique bipolaire
marquée par une forte intégration managériale, financière et technologique. Mais
ce modèle ne prenait pas en compte un phénomène particulièrement notable de la
première moitié des années 2000 : la montée en puissance du groupe privé « Irkout ».
Après avoir échoué à prendre la tête de la constellation « Soukhoï » dans
son intégralité, les principaux actionnaires d’IAPO créent, sur la base de l’usine
d’Irkoutsk, la compagnie publique de construction aéronautique « Irkout ». En
2004, cette compagnie réussit son introduction en bourse ; l’année suivante, le
géant européen de l’aéronautique EADS entre dans son capital. Les activités
d’« Irkout » reposant avant tout sur un programme à long terme de fabrication
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de chasseurs-bombardiers Su-30 MKI destinés à l’Inde, l’entreprise souhaite
absolument se diversifier. Elle commence donc à travailler dans les secteurs de
l’aviation commerciale, de la fabrication de composants pour Airbus, de l’aviation
amphibie, des drones et même des autogyres. « Irkout » se développant sur la base
d’une usine de production en série, sa direction accorde une attention particulière
à l’acquisition de moyens permettant de réaliser des études indépendamment de
« Soukhoï ». L’achat du groupe « Avionique russe », l’entrée au capital de TANTK
Beriev et, surtout, la fusion avec le bureau d’études Iakovlev permettent à « Irkout
» de se doter d’un potentiel de recherche en propre. Dans le même temps, la
compagnie lance deux projets prometteurs : l’avion d’entraînement et de combat
Iak-130 et le moyen-courrier MS-21.
Parallèlement, « Irkout » conduit une politique agressive visant à accroître
son influence dans l’industrie aéronautique nationale. En 2004, le président et
principal actionnaire d’« Irkout », Alexeï Fedorov, prend la tête de la RSK« MiG »,
créant ainsi de fait une alliance entre les deux avionneurs. Le groupe d’Irkoutsk
prend également le contrôle du radariste « Phazotron » et établit une coopération
avec le bureau d’études « Iliouchine ». En 2005-2006, il semblait qu’« Irkout »
avait vocation à intégrer l’ensemble des avionneurs russes, y compris « Soukhoï ».
Globalement, l’émergence d’un avionneur privé disposant d’une gamme d’activités
relativement étendue et impliqué dans des coopérations internationales
développées demeurera, sans aucun doute, une page marquante de l’histoire de
l’industrie aéronautique post-soviétique. Mais, au milieu des années 2000, l’État
prend la décision de créer une série de « champions nationaux » — de grandes
holdings consolidant la quasi-totalité des actifs de chaque secteur et entièrement
contrôlées par la puissance publique. Malheureusement, cette ligne ne laissait
aucune place à « Irkout », pas plus qu’à son alter ego chez les motoristes, « Saturn ».
La première moitié des années 2000 peut être considérée comme l’époque
d’une concurrence relativement ouverte entre divers modèles de restructuration
des avionneurs russes. Certains de ces modèles, comme le schéma bipolaire
de holdings diversifiées cher à Ilia Klebanov, sont restés à l’état de projets ; en
revanche, les corporations étatiques de seconde génération RSK « MiG » et AKhK
« Soukhoï », de même que la compagnie privée « Irkout », très active en matière
de coopération internationale, ont, elles, vu le jour.
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Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
A posteriori, il apparaît que ces deux modèles bipolaires — le schéma
« Klebanov », qui prévoyait la création des systèmes SVSK-1 et SVSK-2, et le
format effectivement mis en œuvre où AKhK « Soukhoï » fait face à « Irkout » —
représentaient une forme d’organisation du secteur plus souple, aussi bien du point
de vue du maintien d’une concurrence intérieure que de la formation d’alliances
stratégiques internationales incluant des industriels russes.
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Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
OAK, ou la création d’un « champion national »
Au milieu des années 2000, l’État arrête définitivement son choix quant à la
forme que doit prendre la consolidation des actifs stratégiques dans le secteur
des constructions mécaniques de précision. Le cap est mis sur la création de
monopoles entièrement contrôlés par l’État. C’est ainsi que, dès le début des
années 2000, est notamment créé « Almaz-Anteï » (systèmes antiaériens). À partir
du milieu des années 2000, on assiste à la formation d’une série de corporations
« unifiées » — chez les avionneurs (OAK), les motoristes (ODK) ou bien encore
les hélicoptéristes (« Hélicoptères de Russie »). Ce processus s’accompagne d’une
nationalisation plus ou moins conflictuelle des actifs et d’une baisse (mais non pas
d’une disparition totale) de la concurrence intérieure. Globalement, l’idéologie
sous-tendant les réformes lancées par l’Etat russe est claire et compréhensible,
bien que pas forcément consensuelle. Elle repose sur l’idée que la Russie ne peut
se permettre d’avoir plus d’une entité dans chacun des secteurs précédemment
cités, et que le maintien d’un environnement concurrentiel peut être assuré grâce
à la participation à la compétition économique internationale. Le gouvernement,
qui prévoyait d’effectuer à l’avenir des investissements significatifs dans la
modernisation des secteurs stratégiques et de passer d’importantes commandes,
a jugé préférable de traiter avec des entreprises publiques et non pas privées.
Notons que la création d’OAK s’est déroulée de façon relativement
apaisée, du moins s’il l’on compare avec les motoristes (le propriétaire de
« Saturn », Iouri Lastotchkine, s’est en effet opposé avec acharnement, plus d’un
an durant, à la nationalisation de sa compagnie). Mieux : c’est précisément le
« groupe d’Irkoutsk », via Alexeï Fedorov et Valéry Bezverkhny, qui a porté OAK
sur les fonts baptismaux. Cela témoigne de la souplesse des dirigeants d’Irkoutsk,
qui ont compris qu’il était inutile de s’opposer aux orientations fondamentales
de la politique économique de l’État. Mais il existe une autre explication possible
à ce pragmatisme : compte tenu l’importance des dettes contractées par la
compagnie au début des années 2000, les propriétaires d’« Irkout » auraient
agi selon le principe « privatisation des revenus, mutualisation des pertes ».
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Avec la création, en 2006, d’OAK se cristallise le modèle russe de réforme de
l’industrie aéronautique : la création « par en haut », impulsée et contrôlée par
l’Etat, d’une holding publique qui, au moins dans un premier temps, se caractérise
par un niveau d’intégration interne relativement bas. Il est probable que le choix
de ce modèle était inévitable dans un contexte général de renforcement du rôle de
l’Etat. Mais il apparaît que si les tendances à l’œuvre chez les avionneurs au début
des années 2000 s’étaient prolongées, l’on aurait abouti à une configuration plus
souple et plus dynamique de ce secteur. L’expansion du « groupe d’Irkoutsk » aurait
probablement conduit à la consolidation de la majeure partie de l’industrie et à la
création d’une vaste alliance comprenant « Irkout » et « MiG », les bureaux d’études
Iakovlev, Iliouchine et Beriev, ainsi qu’au moins un site industriel de la Volga, sans
doute l’usine d’Oulianovsk. En développant harmonieusement ses liens avec EADS,
une telle alliance aurait progressivement accru sa coopération internationale — de
la fabrication de composants pour les avions Airbus à la participation, en tant que
partenaire financier, à divers nouveaux projets européens, comme par exemple
l’Airbus A-350 XWB. Les activités du groupe auraient continué de reposer au
premier chef sur le programme Su-30MKI et sur l’exportation des divers modèles
de MiG-29. Progressivement, il se serait diversifié, grâce au programme Iak-130 et,
surtout, grâce à son entrée sur le marché de l’aviation commerciale.
D’un autre côté, AKhK « Soukhoï » se serait trouvé à la base d’un pôle purement
national, travaillant essentiellement dans l’intérêt de l’armée de l’Air russe et
exportant des chasseurs-bombardiers Su-30/35. Le pôle « Soukhoï » aurait sans
doute attiré dans son orbite « Tupolev » et son savoir-faire en matière d’aviation
stratégique — domaine qui, bien entendu, relèvera toujours de la souveraineté
nationale. Une telle structure binaire aurait permis, d’une part, de conserver
une autonomie nationale dans le secteur de l’aviation militaire et, d’autre part,
d’accroître l’ampleur et la qualité de la coopération internationale. Ces deux
objectifs seront probablement atteints dans le cadre d’OAK ; mais il est tout à fait
évident que la nationalisation d’« Irkout » est l’une des raisons principales (mais
pas la seule) de l’essoufflement du tumultueux processus de rapprochement entre
l’industrie aéronautique russe et EADS.
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Bilan de la restructuration : réussites et échecs
De notre point de vue, les principaux succès enregistrés par les avionneurs
russes et l’Etat, principal moteur, nous l’avons vu, des restructurations récentes
sont :
1. La préservation physique et le relatif assainissement financier du secteur lors
de la crise de 2009 et au cours des années suivantes. Au début de l’intervention
massive de l’État dans l’industrie aéronautique, seuls « Irkout » et, dans une moindre
mesure, « Soukhoï » pouvaient se prévaloir d’une situation financière plus ou moins
solide. Au plus fort de la crise, la plupart des entreprises du secteur, lestées de
dettes, se sont retrouvées au bord de la faillite. Ce sont les injections massives de
capitaux effectuées par l’État ou par des institutions quasi-étatiques qui ont permis
de sauver « MiG », ainsi et les usines de Voronej (VASO) et d’Oulianovsk (Aviastar).
2. Les commandes publiques aux avionneurs. Depuis décembre 2008, date à
laquelle le ministère russe de la Défense a signé son premier contrat significatif,
les forces aériennes nationales ont commandé au total 306 avions de combat1,
66 avions d’entraînement et de combat et 39 avions de transport militaire. La
production d’avions de ligne Tu-204 ne se maintient que grâce aux commandes
publiques. En tout, le programme d’armement prévoit, d’ici à 2020, l’acquisition
d’au moins 600 avions tactiques. De ce point de vue, on est passé d’un modèle
basé sur les exportations à un modèle plus traditionnel, où dominent les achats
domestiques. D’un autre côté, on ne note pas de véritables progrès dans le
segment de la production d’avions civils. C’est l’ampleur des commandes publiques
qui explique la hausse des volumes de production d’OAK, passés de 80 milliards
de roubles en 2007 à 180 milliards de roubles en 2012. La production d’avions est
quant à elle passée de 53 unités en 2008 à 102 appareils en 2012.
3. L’intégration au sein d’OAK progresse lentement mais sûrement. AKhK
« Soukhoï » a été véritablement unifié ; l’intégration de RSK « MiG » et de l’usine
« Sokol » est imminente ; un Centre de compétences dédié à l’aviation de transport
1
124 Su-34, 60 Su-30SМ, 48 Su-35S, 34 MiG-29SMT/UBT, 24 MiG-29К,12 Su-27SМ3, 4 Su-30М2. En outre un contrat d’achat de 24 MiG-35S est attendu à court terme.
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militaire - OAK-TS - a été établi sur la base d’« Iliouchine ». Cette intégration
s’accompagne d’une optimisation certes conservatrice mais néanmoins réelle de la
production. Des pôles de compétences se distinguent, notamment ceux spécialisés
dans la production de matériaux composites ; sur certains sites, comme à Voronej,
Komsomolsk-sur-l’Amour ou Irkoutsk, on constate une amélioration de l’efficacité
énergétique et de la productivité.
D’un autre côté, deux problèmes fondamentaux (liés l’un à l’autre) demeurent.
Premièrement, la Russie est toujours absente du marché mondial de l’aviation
commerciale. Pis : au cours des cinq-sept dernières années, les compagnies
aériennes russes se sont presque entièrement réorientées vers l’acquisition
d’appareils étrangers. La seule exception est l’avion régional SSJ-100, mais sa
production annuelle dépasse à peine la dizaine d’unités, et sa mise en service
s’accompagne de nombreuses difficultés. Les explications à cet état de fait sont
multiples. Signalons seulement que la situation est, dans une large mesure, une
conséquence du paradigme soviétique de développement de l’aviation : à l’époque,
la priorité était donnée aux appareils militaires. Ce n’est que dans les dernières
années de l’URSS qu’ont été entrepris des efforts plus ou moins sérieux visant
à créer des avions efficaces d’un point de vue commercial (et optimisés pour le
marché domestique), comme l’Il-86 ou le Tu-204. La production nationale d’avions
de ligne a également souffert de la suppression des droits de douane prohibitifs
précédemment en vigueur et de la politique anti-iranienne à courte vue conduite
par l’ex-président Medvedev, qui a empêché une transaction portant sur la vente à
ce pays d’une cinquantaine de Tu-204.
Deuxièmement, la question de la création d’alliances stratégiques
internationales n’a toujours pas été résolue. On peut affirmer que la Russie a laissé
échapper pour longtemps, si ce n’est pour toujours, la possibilité de devenir un
acteur indépendant de premier plan sur le marché de l’aviation commerciale.
Aujourd’hui, elle accuse même un retard important sur les acteurs de second rang
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Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
comme le Brésil et le Canada. Or la concurrence se renforce, du fait notamment de
l’apparition de nouvelles puissances aéronautiques, parmi lesquelles la Chine et
le Japon. Dans ce contexte, la seule stratégie qui permettrait à la Russie de rester
présente sur le marché de l’aviation commerciale est la coopération internationale.
Mais à ce jour, ses succès demeurent fort modestes. Il semble que la participation
italienne au projet SSJ-100 n’ait pas apporté à ce programme les avantages attendus.
Le plus regrettable est le ralentissement du rapprochement entre la Russie et l’UE.
Les raisons de ce phénomène mériteraient une étude à part, mais nous avons déjà
évoqué l’une d’elles, peut-être la principale : la nationalisation d’« Irkout », qui a
entraîné la sortie d’EADS du capital d’OAK. Enfin, notons que même la coopération
russo-ukrainienne se déroule dans un climat de crise permanente.
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Avionneurs russes : bilan des réformes et perspectives d’avenir
A la recherche des « courants faibles »
Les tendances lourdes qui seront à l’œuvre chez les avionneurs russes au cours
des cinq-sept prochaines années sont évidentes. Fort des commandes garanties de
l’État pour des centaines d’avions de combat et des dizaines d’avions d’entraînement
et de transport militaire, OAK cherchera à développer sa production civile. Le succès
ou l’échec d’OAK dans ce domaine sera décisif pour les perspectives de l’industrie
aéronautique nationale au-delà de 2020.
La Russie aurait le plus grand intérêt à rechercher les « courants faibles »
générés par les entités économiques demeurées au-delà du périmètre d’OAK. Il
ne faut guère s’attendre à quelque percée révolutionnaire de la part de l’usine
de Samara, qui a misé sur le projet - voué à l’échec (comme tous les programmes
ukrainiens post-soviétiques) - An-140. Mais il faut relever les tentatives visant à
localiser en Russie la production d’avions occidentaux de taille modeste. Le dernier
exemple de ce type en date est l’annonce d’une possible production sous licence
en Russie, à l’usine UZGA, contrôlée par la corporation publique Rostekh, d’avions
autrichiens de 9-19 places Diamond Aircraft.
Une reconfiguration majeure des avionneurs russes peut également résulter
de la révolution technologique liée au développement des drones. A ce jour, ce
segment est relativement marginal par rapport au volume d’affaires d’OAK. Les
choses pourraient cependant évoluer au cours des 10-15 prochaines années. Et il
n’est pas certain qu’OAK soit mieux préparé à cette révolution que des sociétés de
taille moindre mais particulièrement dynamiques, telle Tranzas. Ces projets, situés
hors du « mainstream », liés aux drones et à l’aviation légère, sont susceptibles de
donner lieu à des partenariats inattendus avec des entreprises étrangères et de
produire des effets considérables.
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