Une industrie méconnue - Association forestière du sud du Québec
Transcription
Une industrie méconnue - Association forestière du sud du Québec
transformation du bois Une industrie méconnue : la fabrication des bardeaux de cèdre au Québec Le bardeau de cèdre est un produit qui a marqué la colonisation du Québec et qui valorise une ressource forestière ayant des caractéristiques uniques. Par ailleurs, il existe peu de documents qui traitent de l’évolution de cette industrie. C’est ce qui explique l’intérêt de consacrer une recherche à ce secteur d’activité qui est présent sur le territoire québécois depuis plus de 400 ans. Dossier bois Par Jean-Paul Gilbert et François Rouleau Le cèdre blanc de l’Est ou le thuya est présent principalement au sud du 48 e parallèle dans des peuplements mélangés, avec quelques concentrations ici et là dans les régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie, de Chaudière-Appalaches, de l’Estrie, de l’Outaouais et de l’Abitibi-Témiscamingue. Les approvisionnements des fabricants de bardeaux, qui provenaient essentiellement des terres de défrichement au début de la colonie, sont maintenant issus en bonne partie de forêts publiques québécoises et des États-Unis. Le bardeau de cèdre est une fine planchette rectangulaire coupée dans le sens du fil du bois et dont l’épaisseur diminue graduellement. Il est utilisé comme tuile pour le recouvrement des toits et le parement des murs. Il s’agit d’un produit qui a de l’histoire. En effet, cette application remonterait aussi loin que deux-mille ans avant notre ère dans les pays scandinaves et en Russie. Ce matériau et les techniques artisanales de fabrication étaient donc connus des premiers colons qui se sont établis en Nouvelle-France. Au début de la colonie, le bardeau de cèdre a été tellement en demande qu’à compter du XVIIIe siècle, les seigneurs de l’ile Jésus se réservaient tout le bois de cèdre. Vers le milieu du même siècle, des seigneurs vont jusqu’à revendiquer le droit de monopole sur les moulins à scie et les moulins à bardeaux, même si ce droit n’était pas soumis à la banalité. Toutefois, ils exerçaient indirectement ce droit par le contrôle de la force hydraulique. C’est donc dire combien cette essence était déjà grandement prisée. Même jusqu’au milieu du XXe siècle les cultivateurs du Bas-SaintLaurent prenaient un soin jaloux des quelques cèdres qui croissaient sur leurs terres. Ils ne les abattaient que pour répondre à des besoins essentiels tels que le remplacement de piquets et perches de clôtures. L’arrivée des scies circulaires vers 1850 a permis de mécaniser la fabrication de bardeaux, alors que l’avènement des scies à ruban a facilité la fabrication de bardeaux décoratifs. L’abolition du régime seigneurial en 1854 a donné un accès à l’énergie hydraulique nécessaire pour actionner les scies. Ces deux évènements ont ouvert grande la voie à l’implantation de nombreux moulins à bardeaux au Québec. La fabrication artisanale du bardeau par refente manuelle débuta au début de la colonie et celle du bardeau scié vers le milieu du XIXe siècle avec l’arrivée de la scie circulaire et l’accès généralisé à l’énergie hydraulique. Par la suite, l’avènement de la machine à bardeaux en « L », la vapeur et l’électricité ont propulsé les moulins à bardeau vers une production industrielle, plusieurs d’entre eux exploitent, maintenant, plus de dix machines à bardeaux chacun. automne 2013 Progrès 36 Forestier Le nombre de moulins a varié considérablement depuis le début de l’industrialisation. Ainsi, on en dénombrait près de 400 en 1871, 86 en 1913 et seulement quatre en 1960. En 2012, une dizaine d’usines sont en exploitation. Évolution des recouvrements Le chaume et la planche chevauchée étaient également utilisés pour le recouvrement des résidences, mais au début du XIXe siècle, on abandonne le chaume, car ce matériau était peu adapté à notre climat. Dès lors, le bardeau de cèdre occupera presque tout le marché des toitures résidentielles. De l’écorce de bouleau était posée en feuilles sous le bardeau afin de couper les infiltrations d’air. Le papier saturé de goudron et ultérieurement d’asphalte prendra définitivement la relève de l’écorce de bouleau vers la fin du XIXe siècle. Le style architectural « Shingle », adapté à la technique du bardeau de cèdre, a pris son envol au Canada et aux États-Unis dans les années 1880 popularisant ce matériau pour les résidences suburbaines et les maisons de campagne, principalement dans les régions côtières. Ces bâtiments aux toits pentus ont leurs toitures et murs recouverts de bardeaux de cèdre. Il s’avère que le bardeau de cèdre est un des seuls matériaux à résister aux embruns Les substituts au cèdre Recouvrement des toitures Le principal compétiteur du bardeau de cèdre de l’Est est le bardeau de cèdre rouge de l’Ouest fabriqué en Colombie-Britannique. C’est ainsi que pour l’ensemble du Canada, le cèdre rouge représente 90 % des bardeaux produits et le cèdre de l’Est, 10 %. Le Québec et le Nouveau-Brunswick sont les deux provinces d’où provient le bardeau de l’Est. La pose des bardeaux demande beaucoup de précision et de manutention …bardeau par bardeau… ça prend beaucoup de temps comparé à des matériaux de grande surface et qui plus est, les poseurs ne sont pas légions. Tout cela se reflète sur la compétitivité de ce matériau et ouvre indirectement la porte à des produits substituts. Les recouvrements de toitures en rouleau à base d’asphalte apparus sur le marché vers 1890 et les bardeaux d’asphalte, vers 1915, ont remplacé graduellement les bardeaux de cèdre sur les toits. Si bien qu’au cours des années 19601970, le Québec a compté jusqu’à quatre usines de bardeaux d’asphalte : Bishop Asphalt Papers Limited à Portneuf Station, Building Products of Canada Limited à La Salle, Canadian Gypsum Company à Montréal et Domtar Construction Materials à Lachine. Une autre entreprise soit IKO Industries a même implanté en 1976 une usine près de la frontière du Québec plus précisément à Hawkesbury, Ontario. La popularité des toits mansardés dans les années 1960-1970 a dopé la demande pour les bardeaux d’asphalte. Au Canada, 90 % de la construction résidentielle fait appel au recouvrement à base d’asphalte et 1 % aux tuiles d’argile et de ciment. Les produits substituts ne se comptent plus tellement ils sont nombreux : acier galvanisé, tuiles de polymère, tuiles d’ardoise, tuiles de terre cuite, tuiles de béton, bardeaux d’aluminium, bardeaux d’acier, imitations de bardeaux de cèdre fabriqué à partir de caoutchouc recyclé et de polymères, etc. milieu urbain. Sa production se termina vers la fin des années 1960. Depuis longtemps, les matériaux de parement se sont bousculés sur les marchés. Outre la brique et la pierre qui sont des matériaux plus nobles, voici des exemples : le classique stuc texturé, le bardeau d’amiante disponible vers 1920 jusque dans les années 1960, les fausses pierres en béton vers 1940, le clin en aluminium et en vinyle vers la fin des années 1950, le clin en fibre de bois et ciment. Plus récemment, les imitations de bardeaux de cèdre en fibres de bois reconstitué, en polymère, en vinyle viennent directement concurrencer le bardeau en bois naturel. Toutefois depuis une dizaine d’années on constate un regain de popularité du clin en bois reconstitué et en bois solide prépeints. Parements de murs Le papier brique qui imite la brique a livré une très forte compétition aux bardeaux de cèdre à partir des années 1930. Sa fabrication est semblable à celle des bardeaux d’asphalte. Toutefois sa production aurait débutée au début du XXe siècle selon un article tiré du journal la Gazette de 1911 de Montréal. Ce papier brique lorsque laminé en usine sur un panneau isolant en fibre de bois jouait alors un double rôle : apparence et isolation. Ce produit était communément appelé « Insulbrick ». Il fut très populaire dans les régions rurales mais aussi assez utilisé en Maison des patriotes marins. Le bardeau de cèdre est si performant qu’il protège même l’enveloppe du bâtiment contre l’humidité. Il faut cependant s’assurer d’une pose adéquate, notamment concernant la ventilation entre les bardeaux et le toit ou le mur. À cette même époque, les risques d’incendie très élevés amènent plusieurs municipalités à interdire ce matériau, ce qui restreint l’emploi des bardeaux de cèdre au milieu rural. La domination de ce matériau prendra fin au cours de la première demie du XXe siècle au profit des bardeaux d’asphalte, du papier brique et plus tard par une gamme étendue d’autres produits. automne 2013 Progrès 37 Forestier Conclusion et perspectives Du début de la colonisation à aujourd’hui, la fabrication artisanale et ensuite les moulins à bardeaux ont été d’un apport économique dans plusieurs régions ressources du Québec. Cette industrie à l’exemple de plusieurs autres se consolide face à une raréfaction des approvisionnements et une compétition accrue des autres matériaux. Rappelons que par le passé de grandes décisions gouvernementales ont donné des élans successifs à cette industrie : l’abolition du régime seigneurial en 1854, les politiques de colonisation dirigées dont celles des années 1930 et la rétrocession des concessions forestières initiée dans les années 1970. Si le passé est garant de l’avenir, alors il semble prévisible que l’apport des gouvernements soit nécessaire. Cette industrie a occupé un grand nombre de personnes au Québec, à travers les ans. Selon le Recensement de 1881, près de 850 personnes étaient employées par cette industrie. Ce nombre a chuté à 217 en 1980 puis à 464 en 2003. L’avenir passe par un maintien de la régénération naturelle du thuya afin d’approvisionner les usines. La dépendance croissante des approvisionnements en provenance de l’extérieur de la province pourrait amener une certaine insécurité. Il y a lieu d’espérer que cette tendance puisse être inversée un jour ou l’autre. La réduction des couts de fabrication est également un incontournable pour faire face à la compétition des autres matériaux dont la pose constitue un avantage par rapport au bardeau de cèdre. Une perte relative de la compétitivité pourrait même mener à une marginalisation du produit, soit vers des marchés de haut de gamme. Les nouvelles technologies faisant appel, à titre d’exemple, à la vision artificielle et à l’automatisation des procédés permettraient d’augmenter la productivité en usine et de faire face à des pénuries éventuelles de main-d’œuvre. Toutefois les couts d’expérimentation peuvent être très onéreux pour des petites entreprises sans l’apport d’un soutien extérieur. Enfin, il y a tout lieu de croire que le bardeau de cèdre demeurera une valeur sure pour les architectes, constructeurs et promoteurs qui recherchent l’authenticité et l’aspect naturel d’un matériau, mais pour qui le cout de l’œuvre ne constitue pas une contrainte majeure. Le présent article est une version abrégée du document publié par la Société d’histoire forestière du Québec : Gilbert, J-P et Rouleau, F, 2013. Une industrie méconnue : la fabrication des bardeaux de cèdre au Québec. SHFQ, 37 p. Pourquoi le cèdre Cette essence, se travaillant facilement, a été préférée à la pruche et au mélèze pour la production de bardeaux, puisque ces essences fendillent en séchant et peuvent ainsi laisser passer l’eau. Le cèdre fait preuve d’une toxicité élevée envers les insectes et les champignons, responsables de la pourriture du bois. Nul besoin de traitement chimique sous pression ni de torréfaction pour leur assurer une longévité. Qui plus est, ils vieillissent en prenant un lustre argenté qui fait la beauté de ce matériau. Les cupréssacées, cet ordre dont fait partie le cèdre, produisent des composés organiques cycliques de la famille des tropolones qui sont très stables et exceptionnellement résistants à la biodégradation. Le cèdre dégage une odeur aromatique agréable. Il possède d’excellentes capacités isolantes, insonorisantes et de machinage. Pour en savoir plus Communiquez avec la Société d’histoire forestière du Québec - www.shfq.ca automne 2013 Progrès 38 Forestier