développement, économie sociale et solidaire et démocratie

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développement, économie sociale et solidaire et démocratie
DÉVELOPPEMENT, ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE ET
DÉMOCRATIE POLITIQUE
Par Lucile MANOURY et Maurice PARODI1
RÉSUMÉ2
Les auteurs font d’abord le constat, à partir d’un historique du développement, de la possible
jonction de l’économique au social consacré au Sommet de Copenhague en 1995 où l’on
introduisit la nécessité du partage de la richesse et du développement social. Ils affirment aussi
que le développement économique ne peut se faire sans démocratie politique. Tandis qu’au Nord,
c’est la reconnaissance et la visibilité de l’économie sociale qui est visée, au Sud, ce même type
d’économie pourrait devenir facteur de démocratisation à partir de certains de ses principes
organisationnels : liberté d’adhésion, gestion démocratique, éducation coopérative ou nonlucrativité. Plus largement, l’économie sociale et solidaire pourrait devenir créatrice de
nouveaux espaces de participation qui favoriserait la démocratisation plus globale des diverses
sociétés.
DE QUOI PARLE T’ON ?
On prendra économie solidaire dans un sens large : économie sociale instituée (coopératives,
mutuelles, associations, fondations) et économie solidaire instituante ou « nouvelle économie
sociale », telle qu’elle a pu être caractérisée par de nombreux travaux3.
1
Lucile Manoury est politologue et charg e d tudes en conomie sociale et solidaire au Coll ge coop ratif
de Provences-Alpes-M dit rann e et Maurice Parodi est conomiste au Coll ge coop ratif d Aix en
Provence (France).
2
Cet article est aussi disponible en version anglaise et espagnole.
3
DEFOURNY Jacques, FAVREAU Louis, LAVILLE Jean-Louis (1998). Insertion et nouvelle conomie
sociale, un bilan international, Descl e de Brouwer; DEFOURNY Jacques, DEVELTERE Patrick, et
B n dicte FONTENEAU (1999). L conomie sociale au Nord et au Sud , De Boeck Universit .
DÉMOCRATISATION DU DÉVELOPPEMENT
Le processus de démocratisation du développement renvoie pour sa part à deux concepts clés,
développement et démocratie, qu’on s’attachera à clarifier.
Sans rentrer dans le détail des différentes approches du développement (Rostow et l’analyse du
sous-développement comme retard, l’analyse marxiste du sous-développement comme blocage,
etc.), on s’appuiera sur des approches comme celles de Lebret ou de Perroux qui ouvrent une voie
de réflexion sur ce que peut être un « développement solidaire ».
François Perroux, dans les années 1950, avait mis « la couverture des coûts de l’homme » au
cœur de ses définitions du développement. On dirait aujourd’hui la satisfaction des « besoins
essentiels » ( fundamental needs ) ce qui renvoie à la définition du « développement humain »
selon le PNUD4 :
Le développement humain est un processus qui conduit à l’élargissement des
possibilités offertes à chacun. Vivre longtemps, en bonne santé, être instruit et avoir
les ressources nécessaires pour jouir d’un niveau de vie convenable sont les plus
importantes. S’y ajoutent la liberté politique, la jouissance des droits de l’homme et
le respect de soi…
Il faut souligner qu’il a fallu attendre les années 1980, avec des économistes comme Hirschman,
pour que l’appréhension de la pauvreté, dont l’élimination constitue une cible centrale des
démarches de développement, ne se fasse plus sous le seul angle de la pauvreté (collective) des
nations, mais en tenant également compte des dimensions individuelles de la pauvreté. Ainsi la
Banque Mondiale publie depuis 1978 un rapport sur le développement dans le monde reposant
sur un vaste ensemble d’indicateurs économiques et sociaux. L’enjeu était, cependant, selon le
président MacNamara de « veiller à ce que les pauvres ne pâtissent pas indûment de l’adaptation
c’est à dire des Plans d’Ajustement Structurels (en préparation) ». Vingt ans plus tard, les experts
du PNUD ont renversé l’analyse. Le message central des experts du PNUD est simple : « si la
croissance du produit national brut (PNB) est indispensable pour atteindre tous les objectifs
humains essentiels, l’important est d’analyser comment cette croissance se traduit, ou ne se
traduit pas, en développement humain dans les diverses sociétés »; d’où la mise au point d’un
indicateur de développement humain, IDH, auquel ont, d’ailleurs, largement contribué des
économistes du Sud comme Amartya Sen.
Jusqu’à ce stade fort récent, il faut prendre acte du fait que si les indicateurs de la Banque
mondiale ont fourni une connaissance fine des profils de pauvreté, un des effets en a été une
absorption globale des crédits dans des programmes massifs de mesures statistiques de la
pauvreté, qui ont différé la mise en œuvre de projets concrets tels que l’accès à l’eau ou la
création d’activités économiques pour et avec les groupes les plus défavorisés.
F.Perroux ajoutait que le développement passe par « une modification des comportements qui
rend une population apte à entretenir durablement la croissance », ce qui évoque la capacité
(les « capabilities » selon Amartya Sen5), l’autonomie, c’est à dire, la participation des
membres de cette population (des « acteurs ») au processus de développement endogène (choix
des finalités et des objectifs, mise en œuvre, suivi). Mais le développement implique encore une
« répartition convenable (équitable) des fruits de la croissance ». Cette dimension du
développement a été particulièrement mise en valeur depuis le sommet de Copenhague sur le
développement social (1995). Si les individus sont la véritable richesse d’une nation (finalité
humaine du développement), alors on ne peut parler de développement si celui-ci ne
s’accompagne pas d’une réduction des inégalités et de la pauvreté monétaire ainsi que de la
pauvreté humaine.
Il n’est pas inutile, à cet égard, de rappeler les nouveaux indicateurs de pauvreté monétaire et de
pauvreté humaine du PNUD6. L’indicateur composite de développement humain (IDH) est
4
PNUD, Rapport mondial sur le d veloppement humain, 1997.
SEN, Amartya,(1999). Commodities and capabilities, United States, Oxford University Press, 102 p.
6
PARODI, Maurice (2002). ˙˚La pauvret dans les pays riches et dans les pays en d veloppement˚¨, paru
dans un ouvrage collectif en hommage Bernard Rosier au Presses Universitaires de France (P. Dock s et
al., Ordre et d sordre dans l conomie-monde.
5
mesuré à partir de quatre indicateurs pondérés : l’espérance de vie à la naissance, le taux
d’alphabétisation des adultes, la moyenne d’années d’étude, le PIB réel par habitant ajusté. Cet
indicateur fournit une information plus précise du niveau de développement d’un pays que le seul
PIB par tête en PPA. Cet indicateur ne tient cependant pas compte des progrès accomplis en
terme de développement, et l’importance de la pauvreté humaine résiduelle amène à préciser un
indicateur de pauvreté humaine (IPH). L’IPH résulte d’une approche par les manques. Il repose
sur une mesure du pourcentage d’adultes risquant de décéder avant 40 ans, du pourcentage
d’adultes analphabètes et de pourcentage de personnes n’ayant pas accès aux services essentiels
(ainsi, on compte le pourcentage d’individus n’ayant pas accès aux soins de santés et à l’eau
potable, le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition, etc.). On
remarquera que ces indicateurs ne témoignent pas, cependant, d’éléments fondamentaux pour les
processus de développement tels que la liberté politique ou encore l’impossibilité de prendre part
à la vie de la communauté...
Lors du sommet de Copenhague, le forum des ONG avait clairement dénoncé l’incompatibilité
entre le système économique dominant et les exigences du développement social :
[…] Nous, représentants de la société civile, appelons gouvernements et dirigeants
politiques à reconnaître que le système existant a ouvert la brèche la plus
dangereuse de l’histoire de l’humanité entre une minorité excessivement riche et
sur- consommatrice et une majorité des êtres humains qui s’appauvrit, au Sud mais
aussi, de plus en plus, au Nord. Aucune nation divisée de façon aussi dramatique
n’est restée stable très longtemps; aucune frontière ni aucune force ne peut contenir
le désespoir et le ressentiment qu’un système en faillite génère actuellement de
façon si intense.
En résumé, aujourd’hui, après un demi-siècle de développement ou de non-développement des
pays du tiers monde, mais aussi des pays riches du « club » de l’OCDE, certains attributs du
développement ou qualificatifs qui le caractérisent semblent faire plus ou moins consensus :
endogène, participatif (donc forcément décentralisé), humain ou social, équitable.
Ces attributs du développement envahissent aujourd’hui les discours des institutions
internationales. On est cependant en droit de se demander si ces notions, notamment celle du
développement participatif, sont suffisamment intégrées par les différentes parties intéressées au
développement ou si elles ne cautionnent pas le déploiement d’un capitalisme débridé à l’échelle
mondiale.
Par delà cette interrogation, un seul qualificatif peut sans doute résumer ces attributs : celui de
démocratique. On parlera ainsi de processus démocratique de développement ou de
développement démocratique. Démocratie économique et démocratie politique sont donc
intrinsèquement liés, ainsi que K. Polanyi le soulignait dès 19447. Il ne saurait y avoir processus
démocratique de développement sans une organisation démocratique de la société.
Qu’est-ce donc que la démocratie ou un régime politique démocratique ?
DE LA DÉMOCRATIE
On peut décliner le mot démocratie dans trois sphères ou champs :
-
démocratie politique,
-
démocratie économique,
-
démocratie sociale
La démocratie politique est évidemment première, elle renvoie :
-
à l’existence d’un État de droit, c’est à dire qui soit à même de garantir par sa
constitution, ses instances et l’organisation de la séparation des pouvoirs, le respect des
droits individuels et collectifs des citoyens et des composantes de la société politique
(pluralité des partis) et de la société civile (droit d’association, libertés syndicales, etc.).
7
Date de la premi re dition. POLANYI, Karl, (1983˚: r dition 1996). La grande transformation, aux
origines politiques et conomiques de notre temps, France, ditions Gallimard, 419 p.
-
à la souveraineté du peuple et aux moyens et droits propres à l’exercice du suffrage
universel (non censitaire), ce qui donne dans un premier temps le modèle de la
démocratie représentative, souvent qualifiée de démocratie formelle. La crise de la
démocratie représentative qui se manifeste depuis longtemps, en particulier par une crise
de la « participation conventionnelle » (abstention aux élections), a suscité l’émergence
de formes de démocratie plus participative dans la plupart des démocraties occidentales.
Dans des États fortement centralisés comme la France (où c’est l’État qui a fait la nation
et non l’inverse comme dans les États fédéraux), cette crise a poussé à la
décentralisation qui peut favoriser une réconciliation entre démocratie représentative et
démocratie participative.
En France, ancrée dans la tradition jacobine où souveraineté du peuple et unité de la nation sont
intrinsèquement liées (d’où l’interdiction des corporations ou des corps intermédiaires en 1791 et
le centralisme républicain avec son principe clé d’égalité, le chemin de la démocratie
participative a été particulièrement long et difficile. Les premières formes de participation
conventionnelle ont été recherchées après la guerre dans des instances elles-mêmes centralisées
comme le Conseil économique et social ou les commissions du Plan… Au début des années 1980,
la décentralisation a pu apparaître aussi comme un mode de réponse à la crise de la démocratie
représentative8.
On constate ainsi qu’avec la décentralisation, on a démultiplié ces formes de participation
conventionnelle au niveau des collectivités territoriales elles-mêmes (Conseil économique et
social régional, comités ou conseils consultatifs multiples à l’échelon des territoires, etc.).
Cependant, au cours des vingt dernières années, ont continué à se manifester des crises de
participation citoyenne et de nouvelles formes d’actions collectives « non conventionnelles » telle
que « grèves sauvages », manifestation, bref des formes de « participation contestataires ».
8
Dans certains pays africains comme le Mali, la d centralisation est un des l ments du processus m me de
d mocratisation.
Par ailleurs, on se rend compte depuis les années 1980 que ni les droits civiques ni les droits
sociaux formels (qui se sont multipliés dans le cadre des États-Providence après la guerre :
protection sociale, aides sociales, minima sociaux, etc.) ne suffisent à prévenir le risque d’une
rupture sociale qui pourrait être fatale à la démocratie.
Enfin, dans le même temps (depuis les années 1980), l’impuissance des politiques
macroéconomiques de régulation, devant les manifestions de la crise, du chômage de masse, de la
mondialisation libérale débridée, etc., contribue fortement à saper la légitimité sociale de la
démocratie (pas de démocratie ni de pacte républicain sans cohésion sociale) sous ses formes
classiques ou modernes.
D’où de nouvelles aspirations, de nouvelles manifestations à la base, de nouvelles « visions » en
faveur de la démocratie à la base, du développement social ou communautaire à l’échelle des
territoires et de leurs groupes sociaux ou communautés. D’où également une plus grande attention
aux droits réels, c’est-à-dire, à l’accessibilité aux droits et à l’égalité des chances et pas
seulement aux droits formels.
Ces quelques constats incitent à souligner que la démocratisation est un processus inachevé, au
Nord, et plus encore, au Sud. D’où l’intérêt de la question relative au rôle que l’économie
solidaire peut jouer dans la démocratisation du développement.
POURQUOI ET COMMENT L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE PEUT-ELLE CONTRIBUER
À LA DÉMOCRATISATION DU DÉVELOPPEMENT ?
La problématique est la même au Nord et au Sud mais les contextes politiques (régimes
démocratiques souvent inexistants ou fragiles au Sud), économique (niveaux de développement
très inégaux) et sociaux (structures sociales, inégalités sociales) sont tellement différents que l’on
ne peut raisonner « toutes choses étant égales par ailleurs ».
Ainsi, dans les pays du Nord, il faut partir d’une définition extensive de l’économie sociale et
solidaire, car un impact significatif des organismes, des entreprises de l’économie solidaire sur la
démocratisation du développement suppose une convergence suffisante des stratégies des acteurs
de l’économie sociale instituée et de l’économie sociale instituante (ou de l’économie solidaire)
dans le grand ensemble d’une « économie plurielle ». L’enjeu majeur est aujourd’hui celui d’une
mise en visibilité de l’entité « économie sociale et solidaire », qui ne peut se suffire de la seule
reconnaissance institutionnelle telle qu’elle peut émerger dans les pays de l’Union européenne
tout particulièrement.
Dans les pays du Sud et notamment dans les pays en développement peu avancés, ce sont les
actions et initiatives émergentes des acteurs de l’économie solidaire qui pourront plus directement
contribuer à une démocratisation des projets de développement. L’économie sociale a pu être
parfois discréditée, notamment en Afrique, avec la captation par les pouvoirs publics de formes
coopératives qui ont donné lieu, en des temps pas si éloignés, à un vaste secteur parastatal au
mépris des principes coopératifs originels. Cependant, ces principes se retrouvent aussi dans des
initiatives dites d’économie populaire et/ou d’économie informelle. La prise en compte de
l’économie informelle et populaire, de son impact social et économique, peut constituer sous
certaines conditions un vecteur contributif du processus de démocratisation. À l’inverse,
l’économie informelle peut véhiculer les ferments de la corruption et d’organisation mafieuse
antinomique de l’État9.
9
LAUTIER Bruno (1995). ˙˚L conomie informelle, son r le social et la d mocratisation˚¨,
Fran ais, n¡270, Les tiers mondes, mars-avril.
Cahiers
LA CONTRIBUTION DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE À UNE
DÉMOCRATISATION DU DÉVELOPPEMENT À PARTIR DE SON HISTOIRE, DE
SES PRINCIPES ET DE SON SYSTÈME DE RÈGLES
L’invention de l’économie sociale dans les pays capitalistes, au début du XIXe siècle, s’est
réalisée dans des régimes politiques non démocratiques. Le modèle de l’économie sociale (de
« l’associativisme ouvrier » en France ou du modèle de Rochdale en Angleterre) se veut à la fois
modèle d’organisation économique (modèle coopératif) et modèle d’organisation sociale ou
politique précisément démocratique … d’où son caractère souvent « utopique ». Ce n’est pas par
hasard si Beluze fondera en 1878 un « parti coopérativiste » sans grand lendemain (voir encore
les Icaries de cabet, le phalanstère de Fourier, la République Coopérative de Gide ou le
familistère de Guise de Gaudin, etc.)
Mais qui peut dire si la multiplication de ces projets utopiques ou des réalisations et expériences
de « l’associativisme ouvrier » tout au long du XIXe siècle n’ont pas contribué à l’avènement de
la « république sociale » ou de la démocratie sociale en France ou ailleurs10. De là à semer les
germes d’une démocratisation du développement lui-même …
Les principes et le système de règles des formes d’organisation coopérative, mutualiste et
associative qui en découlent sont démocratiques par essence. Au-delà de l’approche juridicoinstitutionnelle – les trois composantes statutaires peu significatives au Sud –, l’attention est à
porter à l’approche normative et au référentiel éthique qu’elle suppose, pour envisager la question
de l’impact des initiatives d’économie sociale et solidaire sur la démocratisation du
développement. C’est une condition nécessaire mais cependant insuffisante… On les rappellera :
-
Le principe de la liberté d’adhésion (libre entrée, libre sortie) était tout à fait
antinomique du système d’enrôlement forcé des paysans ou des ouvriers dans les
kolkhozes soviétiques, coopératives socialistes yougoslaves ou des pays africains après
10
Plusieurs auteurs se sont employ s le montrer˚: cf. Andr GUESLIN, Maurice AGHULAR, Marcel
DAVID, Michel BORGETTO et Robert LAFORE, Charles GIDE, Henri DESROCHE, etc.
les indépendances, ou des domaines « autogérés » algériens. Ce principe est fondamental
et repose sur la liberté des personnes, leur autonomie et leur capacité d’action
individuelle.
-
Le principe de gestion démocratique (un homme, une voix) en vigueur dans toutes les
formes d’organisation de l’économie sociale instituée ou de l’économie solidaire
émergente (même les plus informelles) est radicalement opposé à celui de la répartition
du pouvoir au prorata du capital détenu dans toute entreprise capitaliste renforcé par le
principe de gouvernance (recherche de création « de valeur » ou de la profitabilité
maximale des capitaux investis au bénéfice exclusif des actionnaires). Bien sûr
l’application de ce principe est délicate surtout dans les grandes organisations de
l’économie sociale où peut toujours se manifester le risque de confiscation du pouvoir par
un président autocratique ou par un directeur technocratique. Les petites structures
elles-mêmes n'étant pas à l’abri d’une captation du pouvoir par un président-fondateur
charismatique ou simplement rusé11.
-
Le principe de double qualité d’adhérent et d’usager, ou du double rapport de
sociétariat et d’activité qui implique non seulement l’adhésion à l’objet et au projet de
l’association, de la coopérative, de la mutuelle mais aussi une participation effective à ses
activités. Cette double qualité doit logiquement entraîner la responsabilité et la
responsabilisation de l’adhérent-usager et non pas un comportement de « passager
clandestin ».
-
Le principe de la non-lucrativité ou de la lucrativité limitée qui démarque
fondamentalement toute organisation ou entreprise de l’économie sociale du principe de
gouvernance d’une entreprise capitaliste et qui se traduit concrètement par deux règles
d’une grande portée sous l’angle du modèle de développement :
o
la constitution d’un capital collectif durable (qui est une garantie de pérennisation
de l’activité et de l’entreprise…),
11
PARODI Maurice, ˙˚Quand les associations entrent en conomie˚¨, Projet, n¡264, 2000 et PARODI
Maurice. (2000). ˙˚La d mocratie, le principe fondateur de la mutualit encore porteur d avenir˚¨,
Mut- cho, mars.
o
une règle de répartition des excédents au prorata de l’activité ou du travail et non
du capital détenu (pour les coopératives).
-
Le principe d’une éducation coopérative des membres, adhérents (éducation aux
principes mutualistes ou coopératifs), combiné à celui de la gestion démocratique et du la
double qualité doit faciliter non seulement l’apprentissage de la démocratie interne
mais aussi celui d’une citoyenneté (droits et devoirs). Ce principe renvoie à la notion
d’externalités sociétales et politiques12.
-
Le principe de l’inter coopération entre entreprises et organisations de l’économie
sociale et solidaire (pas souvent respecté, il est vrai) devrait faciliter le réseautage des
réseaux, les synergies entre acteurs et les stratégies de coopération nécessaires dans toute
dynamique de développement local ou de développement communautaire.
LES EXPÉRIENCES D’ÉCONOMIE SOLIDAIRE ET LA CONTRIBUTION DE SES
ACTEURS À LA DÉMOCRATISATION DU DÉVELOPPEMENT
Les expériences qui se développent au Nord comme au Sud, les stratégies coopératives ou
associatives qui les animent, la logique de solidarité qui les sous-tend se traduisent concrètement
par :
-
Une meilleure accessibilité aux droits (aux droits sociaux ou « droits créances » chers
aux familles socialistes aussi bien qu’aux « droits libertés » chers aux libéraux) et donc
une captation plus efficace des ressources du pôle public (au moins dans les pays
développés), là où des droits sociaux existent formellement.
-
Une meilleure accessibilité aux ressources rares qui conditionnent l’entrée sur le
marché du travail ou la création d’activité (c’est à dire le droit au travail, ou le droit
d’entreprendre) : formation, crédit solidaire, capital collectif, organisation, débouchés
commerciaux, information, etc. On peut évoquer ici des exemples de promotion, de
12
MANOURY Lucile (2001). ˙˚L opportunit d un nouveau type de soci t vocation sociale˚: la soci t
coop rative d int r t collectif˚¨, RECMA, n¡ 281, juillet.
restauration de l’autonomie des personnes et de leurs « capabilities », grâce à
l’intermédiation de « tiers intervenants » associatifs13.
-
Une meilleure participation au choix des finalités, des objectifs, des projets du
développement et des modalités de mise en œuvre et de suivi :
o
par une implication directe dans les associations, comités locaux ou de quartiers,
o
par une médiation entre les populations les plus éloignées de la décision politique
et les pouvoirs publics assurée par les réseaux de l’économie sociale et solidaire.
On citera, au Nord, l’exemple des démarches entreprises par une association comme Voisins et
Citoyens en Méditerranée (Marseille, France) expérimentant des CASEL, des Contrats d’action
solidaire et économique local14 ou encore l’action de S.O.S paysans pour contribuer à la
participation de personnes bénéficiant du Revenu minimum d’insertion aux Cellules locales
d’insertion.
On citera, au Sud, l’exemple du programme Comunidades à Fortaleza (Brésil) ou encore du
programme Fourmi mené sur différentes villes du Cameroun dont un des axes structurants est la
création même de ces espaces de concertation. Demeure la question du mode de participation à la
maîtrise d’œuvre et/ou à la maîtrise d’ouvrage collective.
On doit souligner un certain nombre d’écueils, qui peuvent avoir une résonance tant pour le Sud
que pour le Nord.
La mise en œuvre des principes que nous avons rappelés est une condition nécessaire mais non
suffisante. Les exemples extrêmes des coopératives d’État, mais également d’expériences
13
GU RIN Isabelle (1998). Pratiques mon taires et financi res des femmes en situation de pr carit .
Entre autonomie et d pendance, Th se en Sciences conomiques, Universit Lumi re Lyon 2. VALLAT
David (1999). Exclusion et liens financiers de proximit (financement de micro-activit s), Th se en
Sciences conomiques, Universit Lumi re Lyon 2.
14
Ces CASEL sont des contrats engageant des acteurs publics, les associations et les populations concern s
autour d un objectif d une ˙˚entr e dans le droit commun˚¨ partir de constats partag s sur les limites
r glementaires et concurrentielles au d veloppement des initiatives.
réussies15 permettent de souligner combien le contexte politique et institutionnel apparaît comme
une condition nécessaire à un réel impact des initiatives d’économie solidaire sur la
démocratisation du développement;
Relativement au contexte d’émergence, il s’agit de souligner l’importance de compromis
institutionnalisés et de comprendre comment ils permettent ou non aux initiatives d’économie
solidaire de contribuer à cette démocratisation :
-
Le cadre réglementaire préétabli est-il favorable ou obsolète ?
-
Qu’en est-il, au Nord comme au Sud, de la qualité et de l’achèvement des processus de
décentralisation, condition sine qua non de l’expression des micro initiatives ?
Au Sud comme au Nord peut se poser à cet égard la question de l’influence des jeux de pouvoir
locaux et du « sacre des notables »…
On rappellera que si, dans les pays développés, l’économie sociale s’est enracinée dans un
contexte d’économie de marché, au Sud et en Afrique en particulier, les finalités de l’appui de la
puissance publique au développement de l’économie solidaire peuvent être questionnées au
regard des volontés politiques de développement de l’économie de marché. Une question centrale
est ainsi de savoir si ces initiatives favorisent plutôt la reproduction des classes moyennes ou bien
participent de la lutte contre la pauvreté des plus pauvres.
Ainsi on s’interrogera sur les stratégies de captation de la ressource publique au regard de la
démultiplication de formes associatives au Sud, témoin d’un « marché de la solidarité »…. On
constate, en Afrique notamment, la très grande disparité des initiatives d’économie solidaire,
l’absence d’évaluation, la difficulté de s’y retrouver entre des expériences tout azimut et la
15
COLLOMBON Jean-Marie, MANOURY Lucile et Maurice PARODI. (2000). ˙˚Le croisement du
d veloppement local et de l conomie solidaire Fortaleza au Br sil˚¨, conomie et solidarit s, volume 31,
n¡2. FAVREAU Louis et Lucie FR CHETTE. (1999). ˙D veloppement communautaire et conomie
solidaire˚¨, RECMA, n¡271-272.
capacité à se fédérer autours d’objectifs clairs de développement et de chartes d’économie sociale
et solidaire…
Parfois, y compris dans le champ de la solidarité, l’offre peut créer la demande : faut-il en passer
par un certain nombre de compromis pour que les efforts de « démocratisation » portent enfin
leurs fruits ? !