Interview avec Michel Bühler

Transcription

Interview avec Michel Bühler
ex aequ
35 ans de commerce équitable
Rencontre avec un chanteur
… équitable
A quelques semaines de son concert pour les 35 ans des Magasins du Monde, ex aequo est allé à la rencontre de
Michel Bühler, le plus international des chanteurs romands. C'est autour d'un café qu'il nous parle de la vie, des
voyages, de ses chansons, avec humour, passion et humilité.
2009 est l'année des 35 ans des
Magasins du Monde, mais aussi celle de
vos 40 ans de carrière. Quel regard portez vous sur tout ce chemin parcouru ?
Je pense que j'ai eu de la chance de faire
pendant 40 ans un métier qui me plaît et qui
fait que je n'ai jamais vraiment eu le sentiment de bosser. Je travaille, c'est sûr. Mais
quand je me lève le matin et que je me mets
devant mon ordinateur, ce n'est pas comme
quelqu'un qui irait à l'usine et qui devrait
pointer. Ça m'a donné l'occasion de rencontrer des tas de gens intéressants, de voir
des pays. J'ai essayé de vivre en pensant
qu'on a qu'une vie, et de la vivre le mieux
possible avec le temps et les moyens qui
m'étaient donnés.
Est-ce qu'après 40 ans, les motivations
pour écrire sont toujours les mêmes ?
Disons que j'ai commencé à chanter et à
écrire pour deux raisons. D'abord parce que
j'avais le sentiment que tout ce que j'entendais dans le domaine de la chanson venait de
Paris, de Bruxelles, ou de je ne sais pas où. Il
n'y avait pas beaucoup de monde à l'époque
qui exprimait les gens de ce pays et ce pays
à travers des chansons. Et ça j'ai toujours
envie de le faire. La deuxième raison, c'est
que j'avais envie de porter témoignage sur le
monde et d'essayer modestement et petitement de contribuer à ce que le monde
devienne meilleur. Je n'ai pas le sentiment
qu'il soit meilleur qu'il ne l'était il y a quarante ans, donc la motivation reste toujours.
Même peut être plus forte qu'à l'époque.
Quels sont aujourd'hui les sujets qui
vous donnent envie de témoigner ?
Dans le dernier CD que j'ai sorti, il y a des
chansons qui parlent du pays et du paysage.
Mais il y en a aussi une, «Les poissons sont
des cons», qui parle de la décroissance. Je
pense que la civilisation telle qu'elle se
développe depuis une quarantaine d'années
va dans un mur. Il s'agit donc de trouver
d'autres moyens, d'autres routes pour continuer à vivre ensemble. Et la décroissance est
une de ces routes. Il y a d'autres chansons
sur les bandits, les flibustiers qui mènent
souvent l'industrie et les entreprises, et qui
mettent à la porte les ouvriers uniquement
pour gagner plus de sous et pas parce qu'il
y a un besoin économique ou pour le développement de l'entreprise. Ce sont des choses que j'ai toujours envie de dire.
Et sur une note plus positive, quels
sujets vous enthousiasment ?
Et bien la vie. Tous les matins je me réveille
en m'émerveillant d'être encore vivant et de
voir des temps et des soleils comme
aujourd'hui. Quand je suis critique vis-à-vis
de la société, ce n'est pas du tout triste! Ça
m'intéresse de voir ce qui va se passer, de
voir encore un petit bout du film.
Dans une interview, vous disiez justement vous poser la question de savoir si
l'humanité était vraiment en période de
progrès. Qu'en est-il aujourd'hui ?
C'est une interview qui date de deux à trois
ans, où lorsqu'on lisait les journaux on avait
l'impression que c'était extraordinaire: on se
développe, technologiquement c'est magnifique,… C'est vrai qu'il y a des choses
magnifiques qui se passent, mais est-ce à
dire que ce progrès technologique apporte
plus de bonheur à l'humanité en général?
On le voit avec la crise économique actuelle
que ce n'était pas vraiment du progrès et on
va voir ce qui va se passer dans les mois à
venir. D'exploiter la planète à outrance, le
fait que les riches soient de plus en plus
J'avais envie de porter témoignage
riches et les pauvres de plus en plus
sur le monde et d'essayer
pauvres, on peut nous faire croire que
modestement de contribuer à ce
c'est du progrès mais, à mon avis ça
que le monde devienne meilleur.
n'en n'est pas.
Quelle est votre vision de la Suisse et de
son évolution actuelle ?
L'actualité de ces jours, ce sont ces affaires
de secrets bancaires. Des banquiers qui
jouent les vierges effarouchées en disant:
«c'est scandaleux, les Etats-Unis ont des
méthodes de cowboys pour nous demander
n° 26 - mai 2009
ex aequ
35 ans de commerce équitable
de donner le nom de nos clients». En fait, ça
fait des années que ces banquiers ont des
méthodes de flibustiers en allant chercher
les gens pour leur dire: «planquez votre fric
chez nous, vous échapperez à l'impôt, vous
frauderez chez vous». Ça leur est retombé
sur la figure et je trouve ça moral. Moi je
paie des impôts, je déclare tout ce que je
gagne et je trouve normal que chacun paie
des impôts d'après ce qu'il gagne. La
Suisse c'est mon pays et j'ai toujours rêvé
qu'il s'améliore, qu'il soit meilleur que les
autres. Mais bon, il y a encore du travail.
Vous allez vous produire pour les
Magasins du Monde. Le commerce équitable, qu'est-ce que ça évoque pour vous ?
Je n'entretiens pas particulièrement de liens
avec le commerce équitable, mais c'est une
organisation et une notion qui m'intéresse.
Je trouve respectable qu'on paie le juste
prix aux paysans et aux producteurs sur
place. Si ce n'était pas quelque chose qui
m'intéresse et que je respecte, je n'aurais
pas accepté !
Dans plusieurs chansons vous abordez
des thèmes qui sont chers aux défenseurs du commerce équitable comme la
dignité des travailleurs ou la lutte contre
le brevetage du vivant. Comment est née
votre conscience politique ?
J'ai passé toute mon enfance ici à SainteCroix, dans le Jura vaudois. Quand j'étais
gamin, il y avait d'énormes usines. Il y avait
1500 à 2000 personnes qui travaillaient
Il y a, je pense, 90% de braves
dans ces usines juste à côté, et toute ma
gens sur la planète qui veulent
famille, mon père, mes cousins, mes
vivre en paix !
oncles, bossaient là comme ouvriers.
J'ai toujours entendu ces gens tenir un langage de gauche, de solidarité. C'est de là
que ça me vient. Depuis ma toute petite
enfance, j'ai baigné là dedans.
Comment conciliez-vous ces deux
aspects de votre personnalité et de votre
musique, à la fois local et international,
romand et universel ?
Je pense que toute existence humaine est
respectable, qu'on soit un paysan du Grosde-Vaud, un paysan haïtien ou autre. Il y a
dans la vie de tout être humain, même si on
la décrit de façon très locale, quelque chose
d'universel. Une histoire d'amour qui se
passe à Tombouctou, qui se passe aux
Philippines ou ici dans le Jura vaudois ça a
toujours quelque chose d'universel. Il n'y a
pas de contradictions à traiter des sujets
locaux et universels.
n° 26 - mai 2009
Quel voyage vous a le plus marqué ou
influencé dans votre manière d'écrire ?
Disons que ça n'a pas modifié ma façon
d'écrire, mais voyager m'a apporté des
sujets différents. J'ai notamment été en
Haïti et dans les Territoires occupés. Ça m'a
d'abord permis de me rendre compte que la
majorité des êtres humains un peu partout du moins ceux que j'ai vus - sont de braves
gens. Il y a, je pense, 90% de braves gens
sur la planète, de gens qui veulent vivre en
paix, qui veulent vivre bien entre eux et qui
n'ont pas pour ambition d'écraser leurs voisins. C'est surtout ça que le voyage m'a
apporté.
Et d'un point de vue plus personnel, quel
voyage vous a le plus touché ?
Un pays qui m'a beaucoup marqué, c'est
Haïti, où j'ai travaillé pendant quatre mois
avec des paysans et des apprentis dans un
petit bled perdu. C'était en 1991, et c'était
l'horreur. C'est-à-dire que les gens avaient
faim et on avait le sentiment que le pays
s'enfonçait de plus en plus dans la famine
et la désorganisation. Et on se disait: «c'est
pas possible, ça ne peut pas continuer». Et
bien 15 ans plus tard, ça a empiré encore et
je ne sais pas jusqu'où ira l'horreur.
Ce qui m'avait marqué dans ce pays, c'est
le côté terriblement dur de la vie quotidienne avec d'un autre côté le sourire des
gens, leur accueil, leur joie de vivre, bien
qu'ils aient une vie épouvantablement difficile. Il y avait par dessus tout ça, quelque
chose qui ressortait, qui était la gentillesse,
je dirais.
Quel serait le pays que vous n'avez pas
encore vu, mais dont vous rêvez souvent?
Il y en a des tas! Mais je n'ai quasiment
jamais été en Asie, sauf en Inde et rapidement à Singapour. Je crois que les gens y
sont très aimables et très accueillants, donc
je me verrais bien aux îles Bornéo, ou
Sumatra,… Surtout, je n'ai jamais fait le
tour du monde et j'aimerais bien le faire
avant de m'en aller ailleurs.
C'est un projet ou juste une envie ?
C'est un rêve, mais qui va je pense se réaliser. Les rêves, ça a souvent été comme ça
pour moi, ça tourne dans la tête et un beau
jour on se dit: «bon, c'est le moment! il faut
réaliser ce rêve sinon tu ne le feras jamais».
Propos recueillis par Grégoire Dessimoz