Le packing avec l`enfant IV
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Le packing avec l`enfant IV
Le packing avec l'enfant IV - Quelques repèrages théoriques pour une pratique du packing Pierre DELION "Le pare-excitation (FREUD), la peau psychique (BICK) le manteau (MELTZER), le contenant (BION), ne sont pas une barrière physique externe que la mère procure au bébé pour filtrer les stimuli mais une certaine organisation-cohésion interne de la consensualité réunie dans et par "la rêverie maternelle" organisant les premières perceptions en même temps que les premières émotions, éliminant de ce fait la multiplicité des stimuli dispersants et diminuant le recours autistique à "l'agrippement" sur l'une ou l'autre des modalités sensorielles ou motrices, lequel n'est, selon les termes d'Esther BICK, qu'un "moyen de survivre" en l'absence d'une organisation du self autour d'expériences répétitivement satisfaisantes et unifiantes avec un objet externe, puis interne. La toute première introjection serait donc celle de cette fonction contenante sans laquelle l'acte auto-érotique ne peut se concentrer sur l'entretien de la relation avec un objet interne." Geneviève HAAG. Nous allons envisager les quelques repérages théoriques qui nous ont servi dans l'élaboration de ce travail autour du PACKING. Plutôt que de les "prendre" d'une façon abstraite il nous a paru intéressant de les articuler chronologiquement en suivant le développement de l'enfant, en notant à chacune des occurrences ce qui nous a questionné et comment ces moments logiques particuliers ont contribué à étayer notre approche et notre compréhension de la psychopathologie en général et de celle des patients en packing en particulier. Il nous est ainsi apparu progressivement après coup que cette mise en perspective psychopathologique était de nature à coroborer les fondations d'une prise en charge complexe. Cette dialectique théoricopratique est d'ailleurs à la base de ce qui a permis la mise en place de soins adéquats à chaque sujet souffrant dans le cadre du dispositif de la psychiatrie de secteur et plus précisément de celui de la psychiatrie infantojuvénile. Dans la mesure où l'enfant psychotique présente des grandes fragilités au niveau de son "image du corps" il nous a semblé important de commencer par situer les concept différents de schéma corporel et d'image du corps avant de voir comment celle-ci s'articule avec le fantasme du corps imaginé puis avec la réalité de l'enfant qui naît et grandit. "La soignante se doit d'être le garant symbolique de la continuité spatiotemporelle de l'enfant dont elle a la responsabilité. En accompagnant l'enfant dans des lieux différents, de la maison au dispensaire, du dispensaire à l'école, en partageant avec lui des activités diverses, un jeu, un goûter, mais en traversant ces changements sans que la relation en soit modifiée, elle exerce une influence unifiante qui peut être comparée à la caresse maternelle lorsqu'elle totalise l'image du corps du nourrisson et contribue à l'investissement de la peau. Comme la mère, elle a pour mission d'écarter les excitations insoutenables et de créer autour de l'enfant une aura de calme qui protège les bons moments passés ensemble contre les perturbations extérieures et les tempêtes internes." Cette longue citation d'un des meilleurs spécialistes actuels du traitement des enfants psychotiques permet non seulement de situer la prise en charge d'un enfant psychotique dans le cadre d'un transfert basé sur un sentiment continu d'exister, mais également de mettre l'accent sur les quelques points essentiels à partir desquels elle peut advenir : La fonction maternelle, l'image du corps, l'investissement de la peau. Il est devenu classique de séparer deux notions qui jusqu'à présent étaient souvent confondues : le schéma corporel et l'image du corps. Divers auteurs ont approfondi cette notion depuis Freud et en ont tiré des théorisations à propos de leurs pratiques qui ont beaucoup influencé les chercheurs et leurs équipes sur le terrain de la psychiatrie. Pour ne citer que trois exemples illustres, GRODDECK, SCHILDER, et PANKOW ont ainsi marqué profondément les recherches sur le plan psychosomatique. Mais c'est DOLTO qui ces dernières années a le mieux séparé ces deux concepts et les a rendus opératoires dans notre champ spécifique de la psychopathologie. "Le schéma corporel spécifie l'individu en tant que représentant de l'espèce, quels que soient le lieu, l'époque ou les conditions dans lesquelles il vit. C'est lui, ce schéma corporel, qui sera l'interprète actif ou passif de l'image du corps en ce sens qu'il permet l'objectivation d'une intersubjectivité, d'une relation libidinale langagière avec les autres qui, sans lui, sans le support qu'il représente, resterait à jamais fantasme non communicable". Il s'agit en quelque sorte de la représentation que se fait le sujet, de l'étendue de ses possibilités fonctionnelles corporelles ainsi que de la mécanique de ce fonctionnement. C'est ce qui explique que le schéma corporel est principalement conscient et aussi quelque peu préconscient et inconscient. Par contre "l'image du corps est propre à chacun, elle est liée au sujet et à son histoire (...) Elle est la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles : interhumaines répétitivement vécues à travers les sensations érogènes électives, archaïques et actuelles. Elle peut être considérée comme l'incarnation symbolique inconsciente du sujet désirant, et ce avant même que l'individu en question soit capable de se désigner par le pronom personnel 'je'." Pour DOLTO il est bien clair que le schéma corporel représente la machinerie corporelle sans rapport structurel avec le langage, tandis que l'image du corps est en quelque sorte un instrument particulier de la communication langagière avec autrui. "Le schéma corporel réfère le corps actuel dans l'espace à l'expérience immédiate (...) l'image du corps réfère le sujet du désir à son jouir, médiatisé par le langage mémorisé de la communication entre sujets." Un exemple clinique qui permet de bien comprendre cette distinction entre les deux concepts est celui de l'énurésie secondaire. Un enfant de 4 ans a déjà été continent et à l'occasion de la naissance d'un frère, il se remet à faire pipi au lit. Nous pouvons penser que son schéma corporel, ayant "appris" la continence, continue à la "savoir", tandis que son image du corps est entraînée dans un processus d'identification à cet enfant qui arrive et le "replonge" dans un état, que Freud qualifiait de régression, d'avant l'acquisition de la propreté urétrale. "Si le lieu, source des pulsions, est le schéma corporel, le lieu de leur représentation est l'image du corps." L'image du corps est donc comme un palimpseste actualisé à chaque nouvelle aventure du corps qui s'historialise dans la relation avec autrui. On comprend mieux que son étude sera importante en ce qui concerne l'abord de la psychose de l'enfant, dont la problématique est justement de présenter une difficulté particulière dans l'articulation entre les sensations qui surgissent dans son appareil psychique en train de se former, et les représentations de mots que la mère et le père associent aux émois supposés de leur progéniture. Nous pourrions dire en forçant un peu que l'enfant psychotique présente une dissociation entre son schéma corporel et son image du corps. En effet, le lieu, source de ses pulsions, qu'est le schéma corporel émet des messages qui ne sont le plus souvent pas perçus par l'entourage et qui, quand ils le sont, ne sont pas décodés par lui. Nous sommes dans la situation d'un naufragé qui envoie des bouteilles à la mèr(e) et qui n'a pas de réponse à ses S.O.S. Il va remplir ce vide de réponse par un discours intérieur qui ne va pas avoir d'effet sur sa réalité. Pour l'enfant, ses sensations n'étant pas articulées avec des mots, vont rester "étranges" et constituer des scories qui vont bientôt l'empêcher de communiquer ses sensations avec l'autre. Le schéma corporel va tourner en rond parce qu'il ne va pas être articulé par les mots nécessaires avec les autres. L'image du corps va donc rester très archaïque et cette énergie entropique va contribuer à dé-narcissiser le sujet et donc diminuer sa capacité à ex-primer ses pulsions de vie. Dans bon nombre de cas, le psychotique présente un déséquilibre énergétique au détriment de l'image du corps. J'ai le souvenir d'un malade schizophrène pour lequel la tâche épuisante quotidienne était de vérifier que son corps fonctionnel était opérant. Son image du corps était restée en chemin à un moment où sa conscience lui avait "révélé" que son corps était "complet". Inconsciemment, il agissait le fantasme maternel d'être le petit athlète tant désiré... et il passait ses journées en incessants dodécathlons, travaux d'Hercule fantasmatiques qu'il avait à son insu mission d'accomplir. Nous voyons bien que si le schéma corporel est à la charnière du somatique et du pulsionnel et donc en prise directe sur le physiologique par le biais du support fonctionnel du corps, l'image du corps elle, est l'héritière directe, à mon sens, de ce que P. AULAGNIER a nommé le "fantasme du corps imaginé". Il s'agit d'un fantasme spécifique à la mère qui attend un bébé. Ce fantasme est déjà à l'oeuvre dans l'appareil psychique maternel dès lors qu'il articule le désir maternel à son objet, en l'occurrence l'enfant qui commence à exister physiologiquement dès sa conception, mais qui par le biais de ce fantasme maternel particulier peut lui préexister en désir. Ce corps imaginé va être pour les parents et notamment pour la mère, un support à leur fantasmatisation. Comme tout fantasme, seul rejeton conscient du processus primaire en dehors des formations de l'inconscient décrites par Freud dès le début de son oeuvre (lapsus, actes manqués, rêves...), le fantasme du corps imaginé reste très marqué par le principe de plaisir/déplaisir. Il va donc s'y attacher une grande quantité d'énergie libidinale qui sera en quelque sorte la base narcissique sur laquelle l'enfant, une fois né construira son propre narcissisme. L'image du corps de l'enfant à venir s'articule donc directement avec le fantasme du corps imaginé de la mère. Mais si ce fantasme est nécessaire au travail de la naissance dans la mesure où la mère devra être suffisamment-bonne pour perdre l'enfant idéal au fur et à mesure de la réalisation de son enfant-sujet, il peut devenir une réalité psychique fortement teintée d'idéalisation qui conférera à l'enfant le statut d'objet du désir maternel avec tout ce que cela comporte d'aliénation future de son processus de subjectivation. Quand nous travaillons en consultation avec les familles des enfants, sur les généalogies historiales, il arrive fréquemment que la mère de l'enfant soit elle-même encore "prise" dans la série des fantasmes du corps imaginé de sa propre mère. Lorsqu'elles évoquent leur désir d'enfant, sa conception et leur grossesse, elles décrivent souvent avec beaucoup de détails, l'importance de l'accord fondamental avec leurs mères comme si l'objet du désir n'avait pu être détourné du triangle, voire de la dyade familiale, et que la satisfaction du désir maternel continuait à être la tâche principale à accomplir. Dans différentes situations, le "simple" fait d'en parler ensemble a suffi à donner une distance critique minimale de nature à enrayer un processus d'aliénation à l'oeuvre chez l'enfant et ce dans la mesure où la mère pouvait en reparler elle-même avec sa mère ; par contre dans d'autres histoires dans lesquelles les grand-mères maternelles étaient décédées, ce travail qui portait non plus sur un dialogue transgénérationnel réel mais sur un travail fantasmatique intérieur de la seule mère, s'est avéré beaucoup plus problématique. L'image du corps d'un sujet s'enracine donc dans l'histoire familiale de chacun de ses géniteurs et dans les cas psychopathologiques, il est important d'en tenir le plus grand compte. Un autre élément d'un tout autre ordre se met en place dans le ventre maternel, c'est la première inscription des sensations enregistrées in utéro par les organes sensoriels du foetus. Un des premiers à fonctionner pendant cette période d'apesanteur relative semble être la cénesthésie au niveau cutané et la sensibilité profonde au niveau des postures. Après la naissance, ces sensations vont changer dans la mesure où la pesanteur va désormais s'imposer : "notre relation à la terre, à la pesanteur, est un facteur dominant des mécanismes du mouvement et la perception de l'image du corps". La position de repliement foetal, le dos collé à la face interne de l'utérus, va constituer autour et au long de la colonne vertébrale une surface de contact et de soutainement qui préfigure l'importance du futur "objet d'arrière plan" (GROTSTEIN) et donc tout ce qu'il en est de la notion de holding (WINNICOTT), une fois l'enfant arrivé dans un monde de pesanteur gravitationnelle dans lequel le regard trouvera une valeur d'échange souvent méconnue dans les premières structurations de l'enfant. Cette prévalence des premières matrices posturales va être à l'origine d'un mécanisme très important du début de la vie, l'identité adhésive. Au moment de la naissance, il y a un brusque passage de l'enfant du milieu hydrique au milieu aérique et aussitôt après avoir commencé par crier, les poumons de l'enfant s'oxygènent et permettent son indépendance circulatoire sanguine. Le cordon ombilical est coupé et l'enfant est posé sur le ventre maternel, au sein déjà, ou dans les bras du père. Pour survivre, il doit être porté et enveloppé. Tout ceux qui ont aidé les mères à accoucher ont fantasmé que l'enfant pouvait tomber et/ou qu'il pouvait avoir froid. Ces sensations projetées par les adultes autour de lui sont des matérialisations des fonctions nécessaires à assurer à l'enfant dès sa naissance. Et ce qui va tenir l'enfant ex utéro comme il a été tenu in utéro, c'est l'objet d'arrière plan qui change de présentation. L'utérus porteur est remplacé par le bras porteur. Du fait de la prématurité de l'enfant qui naît pas-fini, la fonction maternelle va comporter une grande part de contact porteur et enveloppant comme complément indispensable, comme cadre au nourrissage sur fond d'échanges d'autres sensations (odeur, chaleur, regards...). Nous avons donc au début de la vie de l'enfant deux grandes fonctions complémentaires qui préfigurent la future dialectique contenant/contenu : - la fonction contenante que nous allons détailler parce qu'elle détermine les rapports à venir de l'enfant avec le monde et notamment sa capacité à sortir de la période de dépendance en prenant progressivement en main lui-même son destin ; - et les contenus qui sont d'abord des choses essentielles aux besoins vitaux (l'air, le lait, etc...) et qui vont rapidement être couplées, du fait du bain de langage environnemental, à des mots. Les choses et les mots, dans leur matérialité, vont être associés par l'appareil psychique en voie de constitution à des représentations de choses et de mots qui, elles, peuvent franchir la frontière de la "mémoire" et ainsi constituer le lieu de l'expérience de l'enfant. Freud en déduira ses deux systèmes topiques conscient/préconscient/inconscient puis ça/moi/surmoi. C'est dire que cette phase d'oralité prévalente est d'importance primordiale pour l'orga-nisation psychique de l'enfant. Mais si Freud et ses élèves ont beaucoup insisté sur cet aspect des choses, des psychanalystes principalement d'inspiration Kleinienne ont eu le mérite d'étudier les conditions et le cadre de ce tropisme oral. Et, c'est l'intérêt qu'ils ont porté à la fonction contenante qui nous retient ici, dans la mesure où il ressort maintenant assez clairement de ces très nombreuses contributions que c'est cette fonction qui est "touchée" dans la psychose. L'intériorisation progressive de cette fonction porteuse puis contenante permettra à l'enfant d'être autonome et in-dépendant... un jour. Une étape déterminante sera d'ailleurs celle du sevrage oral dont DOLTO dit qu'il est le résultat de la castration orale qu'elle assortit de l'"acquisition" de l'interdit du cannibalisme. Mais au début de la vie, cette fonction reste extérieure à l'enfant, ce qui explique l'importance primordiale de cette fonction maternelle spécifique. "Vous acquérez une identité si vous collez. C'est une identité adhésive parce qu'il n'y a pas de second objet. Il y a seulement quelque chose à quoi vous vous agrippez, à quoi vous collez, et quand vous ne pouvez pas, vous tombez en morceaux." Cette identité adhésive que D. MELTZER situe dans la bidimensionnalité pour l'opposer à la tridimensionnalité introduite par le phénomène de l'identification projective est ce par quoi le bébé éprouve l'unité de son moi archaïque qui jusqu'à présent est dissocié en différentes "surfaces de sensation" sans liens organisés entre elles. L'identité adhésive est un mode de défense contre les angoisses très primitives de tomber, glisser, être en morceaux. Contre cette angoisse innommable, le bébé va éprouver qu'il est tenu et ce point d'arrêt à la chute, il va se l'approprier en s'agrippant à l'aide de ses sens, soit la peau comme éprouvé de l'être tenu par la mère, soit le regard auquel il s'accroche comme à un foyer central de sa tenue, soit les autres sens qui peuvent fonctionner de cette manière. La fonction de contenir le bébé va donc lui permettre de lier la surface de contact - sa peau - à cette sensation de sécurité et donc par contiguité le bébé créera un véritable "moi-peau" matrice de la future fonction contenante intégrée à son moi Nous voyons là que d'une part le bébé pas assez tenu par une mère déprimée aura une propension à se tenir lui-même par la mise en tension de sa musculature sous la peau et sans doute pouvons-nous voir là une des origines des difficultés à se détendre des enfants hypertoniques. Il s'agit de ce que E. BICK a nommé la seconde peau musculaire La musculature est habituellement mobilisée dans le cadre de ce que WINNICOTT appelle le HANDLING. D'autre part, la seule peau contenante et limitante ne suffit pas à faire "vivre avec" le bébé. En effet, c'est bien l'association de cette fonction représentée par la peau comme enveloppement suffisamment porteur et tenant ensemble les parties du corps, avec la dialectique des regards qui va introduire à ce monde à trois dimensions dont nous parlions plus haut. Il est bien connu maintenant que le nourrisson au sein communique avec la mère beaucoup par ses yeux et que le regard échangé avec elle lui permet d'envelopper d'une façon plus hétérogène à ses affects, ceux qu'il est en train d'éprouver au sein. A la dissymétrie entre la bouche du bébé et le mamelon de la mère répond la symétrie de leurs regards, ce qui va ouvrir à la possibilité de communiquer des expériences différentes avec le même langage de référence. Progressivement les différentes sensations de l'enfant vont ainsi être référées par l'entourage familial au langage et sa "cavité primitive" (SPITZ) va ainsi s'enrichir de nombreux soussystèmes différenciés qui vont à terme servir de frayage à l'enfant dans la découverte progressive de son corps comme "unité plurifonctionnelle", et ainsi complexifier l'architectonie de son image du corps. Déjà en 1929 BERNFELD proposait l'existence dans la zone orale d'un noyau de l'image du corps : la tête, les bras, les mains, le tronc, les jambes et les pieds sont chacun pendant leur croissance reliés séparément à ce noyau. C'est ainsi que l'appareil psychique va se constituer autour des articulations entre représentations de choses et représentations de mots. Ces articulations plus ou moins stables vont être déterminantes pour le travail d'intégration de la fonction contenante dont nous avons parlé plus haut. Nous retrouvons là sur un plan clinique l'intérêt de ce long accompagnement de l'enfant au cours de son développement infantile archaïque. Dans le cas d'un enfant qui marche résolument vers la séparation et l'assomption réussie de son indépendance, le lien entre la représentation de chose et la représentation de mot est stable. La fonction contenante est intégrée à son Moi ; elle est intériorisée. Mais dans le cas d'un enfant psychotique, ce lien entre les deux représentations est instable , soumis qu'il est au règne despotique de la pulsion de mort. La fonction contenante parmi d'autres qualités intégrées par le Moi, est elle-même instable et l'enfant présente les symptômes d'une fonction contenante trop prise "au pied de la lettre" et qui fonctionne comme fortification autour d'un moi en péril ancré sur la seule identité adhésive - c'est là une description assertive de l'autisme - soit ceux d'une fonction contenante perméable aux flux pulsionnels et soumise aux aléas de l'iden-tification projective pathologique et ce sont les troubles du comportement de la psychose infantile et des dysharmonies évolutives de structure psychotique. Or chez l'enfant psychotique, si cette association entre représentation de chose et représentation de mot est peu stable, nous pouvons penser que le cadre dans lequel elle va se réaliser ne l'est pas suffisamment lui-même dans la mesure où les fondations qui pourraient en étayer la solidité, trop inégales en préoccupation maternelle primaire (WINNICOTT) sont l'objet d'avatars, parmi lesquels la dépression primaire de la mère (et également autres formes d'hospitalisme qui devraient avoir disparu aujourd'hui...) est un des plus souvent retrouvés. C'est en partie ce que BION dans son étude des processus de pensée, a essayé de théoriser avec ses objets bêta bizarres. Pour W.R. BION, ce sont les enjeux de l'iden-tification projective ; ce ne sont ni des affects, ni des représentations; c'est la fonction alpha qui leur donne vie psychique en les filtrant et les purifiant par le passage dans le pré-conscient maternel qu'il appelle encore "appareil à penser les pensées". Or dans le processus décrit plus haut, cette fonction est justement peu opérante chez la mère de l'enfant psychotique, si bien que ce mode maternel extérieur à l'enfant qui est habi-tuellement progressivement intériorisé par son appareil psychique grâce au système des représentations n'est pas mis "à sa portée". C'est ainsi que le sujet psychotique ne dispose pas complètement de l'appareil à discriminer les représentations de choses des représentations de mots. Le monde dans lequel il vit est fait en partie d'objets bizarres -extérieurs et intérieurs - instables dans leurs relations avec le sujet et soumis principalement aux mécanismes de l'identification projective pathologique avec la force de destruction que Mélanie KLEIN lui a reconnue. "L'identification projective est utilisée dans des buts multiples, elle peut être dirigée vers l'objet idéal afin d'éviter la séparation ou vers le mauvais objet pour acquérir un contrôle sur cette source de danger. Plusieurs parties du soi peuvent être projetées dans divers buts : les parties mauvaises pour l'en débarrasser et aussi pour attaquer et détruire l'objet ; les parties bonnes peuvent être projetées pour éviter la séparation ou pour être tenues à l'abri des mauvaises choses internes, ou encore pour améliorer l'objet externe à travers un espace de réparation projective primitive. L'identification projective commence lorsque la position paranoïde-schizoïde s'établit d'abord par rapport au sein, mais elle persiste et très souvent s'intensifie lorsque la mère est perçue comme un objet total et que son corps tout entier est pénétré par l'identification projective." Parmi les mécanismes qui nous intéressent dans la compréhension clinique et psychopathologique de certains enfants qui sont traités par des packing, nous retrouvons également les défenses maniaques. Pour M. KLEIN, dans le cas où le nourrisson éprouve des sensations de perte ou de destruction de la mère, son moi archaïque se sert de deux mécanismes de défense : la réparation et les défenses maniaques. Souvent la souffrance en question ne laisse pas assez d'énergie au moi pour engager un processus de réparation fiable et ce sont les défenses maniaques qui protègent l'enfant du désespoir complet. Quand éventuellement la souffrance et la menace diminuent, les défenses maniaques peuvent progressivement céder à la réparation. Par contre lorsque ces défenses maniaques deviennent trop prégnantes et par là pathologiques, elles vont devenir l'objet de ce que FREUD a qualifié de fixation libidinale et pourront ainsi déterminer un mode futur de décompensation. Or, dans la position dépressive, l'organisation de ces défenses maniaques subsume les mécanismes de défenses déjà utilisés dans la position paranoïde-schizoïde : le clivage, l'idéalisation, l'identification projective et le déni principalement. Mais ces défenses sont maintenant plus organisées car le moi tient davantage compte du principe de réalité ; et l'angoisse paranoïde précédente se transforme progressivement en angoisse dépressive avec l'apparition de la culpabilité. L'enfant est alors en proie à une crainte de sa mère dont il reste encore très dépendant malgré un début d'ambivalence. C'est contre cette sensation d'angoisse dépressive qu'est dirigée la défense maniaque. "Puisque la position dépressive se lie à la sensation de dépendance de l'objet, les défenses maniaques viseront tout sentiment de dépendance, qui sera alors évité, dénié ou inversé. Puisque les angoisses dépressives se rattachent à l'ambivalence, c'est de celle-ci que le nourrisson se défendra en renouvelant le clivage de l'objet et du moi." M. KLEIN nous apporte encore un élément très important dans cette compréhension puisqu'elle présente les défenses maniaques comme étant une fuite de la réalité du monde intérieur et de ses objets internes et elle indique que la cible de ces défenses est la réalité psychique. C'est dire qu'il y a un antagonisme entre ces défenses maniaques et le but de la psychothérapie qui est précisément de travailler sur cette réalité psychique comme étant de nature à changer une quelconque réalité. Mais si M. KLEIN a beaucoup étudié l'identification projective et les défenses maniaques dans leurs rapports avec la psychose, elle a également approfondi la notion très importante du sadisme infantile. Pour elle, la frustration introduite par le sevrage de l'enfant est un révélateur qui déclenche le sadisme oral, premier maillon d'un ensemble convergent de pulsions sadiques orales, anales et urétrales qui aboutiront au sadisme proprement dit, dont la finalité pour l'enfant est d'anéantir par tous les moyens, les "parents combinés". Ce fantasme des "parents combinés" autre énoncé de celui de scène primitive, est dans beaucoup de cas connoté par l'enfant d'un sadisme très fort du père vis-à-vis de la mère. L'identification de l'enfant à tel ou tel de ses parents va indiquer son penchant structural pour le sadisme ou le masochisme. Dans moultes situations, les parents viennent en consultation avec leur enfant en difficulté parce qu'il présente certes des signes qui les inquiètent mais aussi parce qu'ils ont l'impression d'être vidés et anéantis par lui et qu'ils n'ont plus la force, eux et/ou les enseignants, de restaurer les limites à ce débordement, effet d'un mécanisme d'identification projective pathologique et des pulsions partielles sadiques. Dans le même type de fonctionnement repris progressivement par l'enfant dans le cadre des interactions instaurées depuis le début de son existence, se met en place, grâce à cette musculature qui peut à son apogée fonctionnelle, conduire à un sadisme exacerbé, la possibilité pour le sujet désirant de se mouvoir d'abord de lui-même sur le plan psychomoteur en rampant, marchant à quatre pattes, puis à l'aide de différents appuis, et enfin en marchant sur ses deux jambes de plus en plus facilement, puis sur un autre plan, la possibilité de se mouvoir psychiquement grâce à son langage. La première fonction peut être comprise comme l'intégration progressive de la fonction de portage, holding de la mère (fonction phorique) tandis que la deuxième est davantage la possibilité de représenter les choses par des mots et donc d'en intérioriser la représentation représentante sans pour autant disposer de "la chose" (fonction méta-phorique). C'est ainsi que l'enfant va progressivement se tenir debout avec ses muscles contre la pesanteur... et le sadisme d'autrui, puis se déplacer et enfin contrôler ses "sphincters striés" volontairement. Nous retrouvons le schéma corporel qui autorise un certain nombre de fonctions pour le corps tandis que l'image du corps les rend possibles ou non en fonction de la trajectoire historiale du sujet désirant. Il apparaît ainsi plus clairement que cette phase anale conclue par ce que DOLTO nomme la castration anale - déjà déjà SCHILDER parlait de complexe de castration orale en 1935... - et dont le résultat est l'intériorisation de la maîtrise du sadisme et de "l'interdit du meurtre", logiquement consécutive à la phase orale, est davantage une étape au cours de laquelle l'enfant va utiliser les moyens qu'il a à sa disposition pour se dé-prendre au fur et à mesure de ceux dont il était dé-pendant, et ce, avec un corps de plus en plus autonome. Les intégrations progressives de la fonction contenante qui vont avoir lieu dans son corps vont être pour l'enfant comme autant de points organisateurs de sa vie psychique sur lesquels il va pouvoir s'appuyer pour être-au-monde. De cette constatation découlent deux voies qui représentent comme nous l'avons vu deux formes principales des psychoses de l'enfant : d'une part les syndromes autistiques avec leurs évolutions autistiques avérées et d'autre part les psychoses de l'enfant. Les premières pourraient être comprises comme des intériorisations "trop tôt" de la fonction contenante qui dès lors est plutôt une force envahissante ; à ce sujet, il est intéressant de se rapporter aux travaux de STEINER et FELTON qui évoquent l'idée d'un "débordement osmotique" comme première sensation de cette force envahissante contre laquelle l'enfant à l'intérieur du ventre maternel, a à se défendre. Ils y voient la préfiguration de la carapace autistique, véritable barrage contre un extérieur intrusif hypertonique. "FELTON (1985) ayant, pendant plus de dix ans, travaillé intensément avec des enfants autistes et leurs mères, découvrit qu'il existe un processus qu'elle décrit comme "débordement osmotique" par lequel des sentiments, des expériences et des souvenirs, qui existent dans la mère, mais qui la perturbent de manière insupportable, qu'elle veut cacher et dont elle ne veut rien savoir sont activés durant la grossesse par la présence du foetus et subissent une pression.. A l'insu de la mère, ces facteurs perturbants "débordent le foetus". Pour l'observateur, il est troublant de constater que l'enfant a été profondément affecté et submergé par ces processus (...) STEINER (1982) est convaincu que les formes d'identification projective les plus primitives sont en réalité les restes du système osmotique de communication in utéro." L'investissement de l'enfant, au niveau de ses défenses prévalentes se fait sur ses surfaces de contact avec le monde et son moyen priviligié de lutte contre l'angoisse archaïque est l'identité adhésive. Les secondes elles, pourraient davantage être interprétées comme des intégrations mal articulées de la fonction contenante dans ses divers aspects et notamment un pare-excitation extrêmement poreux à l'identification projective, dont nous venons de voir qu'elle "infiltrait" dès avant la naissance le système protomental des sensations in utéro. Cette identification projective corrélée à des pulsions partielles sadiques a tôt fait de mettre en difficulté la relation à l'autre et tend à se "stabiliser" sur un mode sadomasochiste.