La Free Music comme mouvement et comme langage

Transcription

La Free Music comme mouvement et comme langage
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La Free Music comme mouvement
et comme langage
Thibault Walter
Classe d’esthétique de Christian Accaoui
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Avant-propos
Cette recherche s’est révélée difficile, notamment en raison du manque d’ouvrages traitant de
cette question. Les acteurs du mouvement artistique dont je parle ne sont que rarement enclins
à travailler avec des éditeurs pour des raisons que nous verrons (absence de liens avec les
institutions donc avec la recherche universitaire) ; ils se bornent généralement à expliquer leur
démarche ou leur histoire. À l’inverse, les réflexions sur l’improvisation (voir la
bibliographie) sont en général détachées de toute réalité vécue et correspondent plus à l’idée
partiale d’un artiste (souvent compositeur) imaginant des territoires à explorer qu’à l’analyse
d’événements avérés. Sur le plan de l’analyse historique notamment, aucun ouvrage de
synthèse n’existe.
Ce mouvement, malgré tout, existe, et me semble mériter qu’on en parle. Il est très difficile à
cerner, c’est pourquoi je donne souvent des points de vue contradictoires (notamment dans la
troisième partie) ; ils se contredisent parce qu’ils concernent un mouvement hétérogène qui
échappe aux généralités. Je m’efforce donc d’accompagner mes hypothèses, qui pourront
forcément être contredites, d’exemples précis.
3
Introduction
Open music, musique nouvelle, free music, improvisation pure, improvisation libre,
improvisation générative, musique libre et improvisée, musique contemporaine improvisée,
musique expérimentale. Les termes désignant cette musique sont nombreux et contradictoires,
et il n’est pas certain qu’à eux tous ils ne désignent qu’une musique. Il n’est pas non plus
certain qu’un seul d’entre eux suffise à désigner ce dont nous aller parler ici. Et surtout, après
une telle liste, on ne sait pas encore s’il s’agit d’un mouvement artistique ou de la souscatégorie d’un genre musical, ou même encore d’un pur produit conceptuel, fruit de
spéculations théoriques et détachées de toute réalité pratique (autrement dit, il n’est pas
certain que la musique puisse à proprement parler être « libre »).
L’improvisation, plus que tout autre, est un concept flou. Il peut s’agir d’abord d’une
pratique, d’un procédé, qui ne se distingue de l’écriture que par un aspect matériel et concret
mais pas par un aspect du langage : par exemple, on peut, indifféremment du point de vue du
langage, écrire une fugue ou l’improviser ; si l’on peut l’improviser on peut aussi l’écrire,
avec comme avantage d’être plus réfléchi et comme désavantage d’y passer plus de temps.
L’improvisation ici n’est donc que le court-circuitage du médium de la partition, elle est de
l’écriture en direct. Ce qui peut faire l’objet d’une étude, c’est donc sa dimension sociale :
c’est-à-dire pourquoi fait-on le choix d’écrire de la musique sans la jouer, ou de la jouer sans
l’avoir écrite, ou de l’écrire puis de l’interpréter, ou enfin de l’écrire et de l’interpréter en
direct sans être passé par la partition.
L’improvisation peut aussi être un type de travail formel, intégré à une forme écrite (le
compositeur laissant à l’interprète une marge de liberté plus ou moins large — on pense
notamment aux formes ouvertes de la musique contemporaine). Il s’agit peut-être ici plus de
l’inévitable composant d’imprévisible et de choix immédiat, inhérent à l’interprétation de
toute œuvre musicale, que d’improvisation à proprement parler. En tout cas, improvisation et
interprétation semblent ici n’être au mieux que deux degrés d’une même chose.
Mais il s’agit aussi et surtout d’un mouvement artistique : des artistes se réclament de ce
mouvement, se réunissent pour jouer, créer des concerts, des ensembles, des labels, faisant de
leur art un genre musical. On peut donc s’interroger sur l’existence d’un langage les
réunissant, puis sur la nature de ce langage. Mêle-t’il écriture et absence d’écriture, ou
oppose-t’il fondamentalement les deux pour faire le choix de l’improvisation radicale ? Cette
improvisation, radicale ou non, fait-elle référence à un système musical (est-elle
idiomatique pour reprendre l’expression de Derek Bailey) ou précisément, n’est-ce pas
l’objet de l’improvisation libre que de ne pas être idiomatique? Autrement dit, vaut-elle pour
son matériau, son vocabulaire, ou pour un vaste tissu référentiel qu’elle serait chargée de
convoquer ?
Un mouvement artistique donc, singulièrement multiforme, autant pour les horizons d’où
viennent les artistes de la free music que pour les différentes problématiques de chacun, mais
malgré tout un mouvement dont on peut approximativement dater l’éclosion et commenter les
relations avec la société dans laquelle elle a vu le jour. Après avoir vu cela, il faudra plus
profondément s’interroger sur ce que représente le fait d’improviser — sur sa spécificité
formelle ; nous le verrons en nous interrogeant sur les notions d’œuvre d’art, d’histoire, et
d’auteur. Enfin, la free music en tant que telle (son matériau) sera analysée, d’abord par
opposition à l’écriture puis d’un point de vue plus exclusif, et pour terminer en tant que
mouvement artistique.
4
I / Un mouvement multiforme
A/ Historique
• Le contexte musical
Les années 1960 marquent l’intrusion du hasard et de l’imprévu dans la musique occidentale.
Chez les compositeurs postsériels, l’extrémité de l’écriture a été atteinte ; le sérialisme
intégral de Pierre Boulez, notamment dans une pièce telle que Structure (1952), est à la fois
un aboutissement et une impasse, de l’aveu même de son auteur. L’écriture y est devenue à ce
point autoritaire et englobante que les capacités de l’interprète sont dépassées : Herma de
Iannis Xenakis (1961), difficile jusqu’à l’utopie, est un des exemples emblématiques de cette
particularité de la musique. À l’opposé du structuralisme de ces derniers, la musique concrète
(qu’on nommera plus tard électroacoustique) du GRM1 de Pierre Schaeffer se place dans une
optique phénoménologique : le son doit être d’abord entendu avant d’être utilisé ; le hasard
existe autant dans les œuvres que dans la nature qui leur sert de modèle. Mais l’œuvre sur
support exclut l’interprétation en direct (jusqu’à l’apparition dans les années 60 des
ensembles de haut-parleurs manipulés en direct par une console, et permettant au compositeur
d’interpréter l’espace sans toucher au temps2).
Par contrecoup, les compositeurs se reposent entièrement la question de la place de
l’indéterminé dans la musique écrite ; c’est-à-dire le rôle de l’interprétation et le rôle du
hasard, ces deux notions pouvant, ou pas, se confondre. Les compositeurs de l’école de
Darmstadt redistribuent les droits et les devoirs de l’interprète, octroyant à l’instrumentiste
une marge de liberté inédite sur un paramètre précis : la forme ouverte ou forme mobile
(l’interprète choisit l’ordre des parties, soit par un choix préalable, soit au moment de
l’exécution, le matériau étant donc fixe) se généralise. Le compositeur choisit donc de
renoncer à une partie de ses choix au profit de l’interprète3 : Boucourechliev défend
particulièrement ce point de vue, demandant à l’interprète de ne faire ses choix qu’au moment
de les faire ; en « improvisant », donc. À l’opposé de cette conception, John Cage, dont le
poids dans la musique contemporaine d’Europe est relativement faible, pose le hasard en tant
que tel comme composante nécessaire et l’oppose à l’expression de soi de l’artiste, qu’il
rejette. Il plaide pour une musique impersonnelle, donnant au hasard un rôle fondamental lors
de l’écriture et lors de l’exécution.4 Il ne s’agit donc là surtout pas d’improvisation. Mais
même dans le cas de la musique aléatoire européenne, il s’agit moins d’une émancipation
voulue de l’écrit que la redistribution des choix et des non-choix de l’interprète, qui reste
interprète. La forme ouverte n’est pas plus de l’improvisation que la cadence des concertos :
c’est l’allégorie de l’existence de l’improvisation dans un cadre écrit.
1
Le Groupe de Recherche de la Musique Concrète de la RTF est créé en 1951 et est remplacé par le
Groupe de Recherche Musicale (GRM), en 1958.
2
François Bayle leur donnera le nom d’acousmonium, dans les années 1970 (un des premiers
exemples connus est cependant le GMEBophone à Bourge pendant les années 1960).
3
Umberto Ecco dans L’œuvre ouverte (1962) s’appuie sur la 3e sonate pour piano de Pierre Boulez, le
Kavierstück 11 de Karlheinz Stockhausen et la sequenza pour flûte de Luciano Berio.
4
On peut citer Musique of Changes (1951).
5
Au Etats-Unis, la première révolution importante du jazz avait été le be-bop dans les années
19405. Le jazz changeait doublement de statut : il cessait d’être une musique de noirs incultes,
la musique des bas-fonds et de la pègre, et devenait d’une part un art bourgeois accepté par les
blancs (la musique des big-bands) et d’autre part un art exigeant (le be-bop), virtuose et épris
de liberté, s’adressant à un public d’initiés, avant d’être intégré par le jazz en général et d’être
lui aussi récupéré par le conformisme. Le free jazz, qui naît dans les années 1960, constitue la
seconde révolution du jazz. Deux disques sont emblématiques de cette naissance : l’album
« free jazz » (1960) d’Ornette Coleman et « Ascension » (1965) de John Coltrane. Dans les
deux cas, la musique fonctionne avec plusieurs solistes simultanés (deux sections rythmiques
et quatre soufflants pour l’album de Coleman), réunis par une pulsation et un pathos
communs. L’idée de hiérarchie entre les musiciens est (relativement) abolie, chacun peut
s’exprimer indépendamment des autres, même si bien sûr il est influencé par le contexte. Le
rythme de swing est définitivement noyé. Les modes de jeu sales font leur apparition. Les
thèmes sont réduits à une courte mélodie jouée au début et à la fin des morceaux, on renonce
à l’harmonie, les contraintes du temps sont rejetées et la durée des morceaux explose.
Dans les musiques populaires enfin, le rock progressif6 lui aussi refuse le conditionnement du
« format-radio » et préfère à la structure classique couplet - refrain de longues explorations
sonores. L’improvisation, à travers de longs solos, prend un rôle inédit. L’électronique fait
son apparition avec les synthétiseurs, les mesures composées et les formes complexes sont
introduites pour la première fois, ainsi que des textes inhabituellement sophistiqués (les
concepts-albums narrent une seule longue histoire à travers le découpage des chansons).
• Le contexte social
En France, l’onde de choc de mai 68 bouleverse la société. Mai 68 est à la fois l’expression
d’un malaise lié à une société sclérosée (d’où un « conflit des générations »), le désir de
changer le monde et son organisation sociale par la révolution marxiste ou anarchiste, et
également un bouillonnement artistique sans équivalent. En témoignent les nombreux et
célèbres slogans7, les affiches, les barricades ressemblant à des installations, etc. Mais Mai 68
n’est pas qu’un événement français, c’est aussi un climat général depuis une décennie.
5
, En réaction au conformisme de la musique des big-bands, le be-bop se caractérisait par des tempos
beaucoup plus rapides, des libertés plus grandes de la part des accompagnateurs (piano, basse,
batterie) l’utilisation libre de rythmes syncopés, une harmonie enrichie par des accords de passage. Les
inventeurs du be-bop choisirent aussi des règles vestimentaires, des attitudes provocatrices, et
inventent un langage hermétique, le jive, compris d’eux seuls.
6
Le rock progressif est plus tardif (fin des années 1960) ; on peut citer les groupes anglais Pink Floyd,
Yes, King Krimson, le groupe français Magma, le compositeur américain Frank Zappa. Viendront
ensuite Genesis et Dream Theater.
7
« Il est interdit d’interdire » « Sous les pavés la plage » « Soyez réalistes, demandez l’impossible » et
d’autres moins célèbres : « L’art est mort, ne consommez pas son cadavre » « L'action ne doit pas être
une réaction mais une création »
6
L'Internationale situationniste8 était une organisation révolutionnaire autant qu’un mouvement
artistique (en littérature et en peinture). Ses membres critiquent la société du spectacle (autant
pour la dimension sociale du spectacle que pour la marchandisation de la culture), refusent les
médiations de la communication et la représentation s’inscrivant dans la poursuite et le
dépassement des idées du marxisme, du dadaïsme, du surréalisme, du lettrisme et d’une
certaine manière du futurisme. Ils prônent la libération des conditions historiques pour une
réappropriation du réel dans tous les domaines, et en un mot le dépassement de l’art par
l’action. Deux slogans sont restés célèbres : " changer la vie " et " jouir sans entraves ".
La musique contemporaine est parfois liée à un engagement politique. C’est notamment le cas
de Luigi Nono, membre du parti communiste, qui dans son œuvre Il Canto Sospeso (1956)
met en musique les lettres des condamnés à mort de la résistance européenne. De manière
plus générale, il faut noter le rôle très fort de la politique à cette époque, où le traumatisme de
la seconde guerre mondiale est très présent ; et auquel succédera celui de la guerre du
Vietnam (1961-1975).
Le jazz, lui, a toujours été lié à la politique. L’avènement du be-bop était lié au fait que la
musique des big-band était devenue un produit de variété, habituel et standardisé, joué et
écouté par la communauté blanche. Cette récupération était d’autant plus mal vécue par les
musiciens noirs que des émeutes raciales éclatèrent violemment pendant la guerre. En effet, la
population noire, qui paya un lourd tribut à la guerre, était passée de l’esclavage au prolétariat
sans que les promesses de la démocratie ne semblent respectées. Mais dans les années 1960,
la politique en tant que telle prend une importance considérable : différents groupes de
défense des droits des noirs voient le jour, du plus pacifiste (principalement la SCLC9 de
Martin Luther King) au plus extrême (les Black Muslims10, ou les Black Panthers11, qui
s’inspirent de la guérilla sud-américaine). Le slogan « Black Panther »12 aura un grand
impact, entre autres chez les musiciens. Le free jazz naît de ces circonstances : Cecil Taylor et
Archie Shepp notamment considèrent leurs engagements politiques et artistiques sur un même
plan.
8
Créée en 1957, né d’anciens membres de l’Internationale lettriste, du Mouvement International pour
un Bauhaus Imaginiste, du Comité psychogéographique de Londres et du groupe Cobra ; elle compte
parmi ses membres Guy Debord (elle en comptera près de 80 en tout).
9
La « Southern Christian Leadership Conference » Créée à Atlanta en 1956
10
Créé dans les années 1920 par Marcus Garvey, ce mouvement de musulmans intégristes prône la
séparation en deux états, un noir et un blanc, et compte parmi ses membres Malcolm X, qui rejoindra
la mouvance marxiste en 1963
11
Fondés en 1966 à Oakland
12
Inventé par Stoke Carmichael, président du SNCC (« Student Non-violent Coordination
Commitee ») fondé en 1960 par Martin Luther King
7
• La naissance du mouvement
Derek Bailey récuse le fait que l’improvisation libre ait été inventée par quiconque, pour deux
raisons. L’une est que l’improvisation libre ne serait pas un mouvement, mais la continuité
d’une musique qui « précède toutes les autres musiques. »13 L’autre est que dès 1957, c’est-àdire avant tout le monde, il vécut une expérience d’improvisation libre, qui le laissa
« totalement confus et dérouté ».
Quoi qu’il en soit14, la musique que nous étudions est née dans le contexte que nous venons
d’étudier et a été jouée en premier par des jazzmen anglais. Un des premiers groupe fut
Joseph Holbrooke15. Le groupe, né en 1963, était composé de Gavin Bryars à la contrebasse,
Tony Oxley à la batterie et Derek Bailey à la guitare. Le groupe à l’origine jouait du jazz
traditionnel, et peu à peu (vers 1965) travailla sur l’improvisation libre et dans un premier
temps sur diverses expérimentations que leur inspirait le free jazz américain : superposer
plusieurs couches rythmiques de manière à noyer plus ou moins la pulsation, improviser sur
une grille d’accords classique, mais le soliste ayant un accord de retard sur l’accompagnateur,
puis des tentatives d’improvisation sérielle.
Le premier groupe de poids fut sans doute AMM qui fut créé en 1966 et était composé de
Cornelius Cardew (piano), Eddie Prevost (percussions), Keith Rowe (guitare) et Lou Gare
(saxophone). Puis en 1967 naît le Spontaneus Music Ensemble, composé de Trevor Watts
(saxophone) Derek Bailey (guitare) Evan Parker (saxophone) et John Stevens (batterie) et en
1968, la Music Improvisation Compagny (MIC), composée d’Evan Parker au saxophone,
Hugh Davis à l’électronique, Jamie Muir à la percussion et Derek Bailey à la guitare. Très
rapidement, de très nombreux groupes naissent en Angleterre autour d’un noyau d’artistes
venus du jazz. La musique anglaise se caractérise par des matières très fournies grâce à la
superposition de discours individuels très volubiles et subtils ; on peut la trouver bavarde ; les
modes de jeu sales ne sont encore guère utilisés. L’influence de la musique africaine est
importante, ne serait-ce que parce que des musiciens africains fuyant l’apartheid (Chris
McGregor par exemple) ou venant des Comores sont nombreux à intégrer ces groupes. AMM
cependant représente une tendance relativement tournée vers le minimalisme.
D’autres musiciens doivent êtres cités : le guitariste électrique Fred Frith, co-fondateur de
l’ensemble Henry Cow en 1968, part au début des années 1970 pour les Etats-Unis où il
mènera une importante carrière solo, le contrebassiste Barry Guy… Le mouvement s’étend
assez rapidement avec le contrebassiste Barre Phillips aux Etats-Unis, le pianiste Alex Von
Schlippenbach en Allemagne, etc. En France, le tromboniste Vinko Globokar et le
clarinettiste Michel Portal créent avec le pianiste Carlos Roque Alsina et le percussionniste
Jean-Pierre Drouet le New Phonic Art en 1969. Ces musiciens sont les seuls de ceux que j’ai
cités à venir de la musique contemporaine et pas seulement du jazz (Vinko Globokar, Michel
Portal et Jean-Pierre Drouet jouent aussi dans l’Ensemble Musique Vivante dirigé par Diego
Masson).
13
L’improvisation, sa nature et sa pratique
Nous reviendrons là-dessus dans la partie III C.
15
Du nom d’un compositeur anglais né en 1875 ou 1878 et mort en 1958 ou en 1961, après avoir écrit
quantité de musique ; on doute aujourd’hui qu’il s’agissait d’une seule personne.
14
8
B/ Les différentes problématiques
• Free jazz
On en vient rarement à l’improvisation libre directement, et bien souvent, les problématiques
des improvisateurs sont différentes selon qu’ils viennent du jazz ou de la musique
contemporaine. Ceux qui viennent du jazz pratiquent l’improvisation libre dans la continuité
de leur pratique du jazz. À la différence des musiciens qui viennent de la musique
contemporaine, l’improvisation est pour eux une démarche naturelle. En tant que telle, elle ne
s’oppose pas nécessairement à l’écrit (les chorus sont pris en note puis rejoués par les
musiciens amateurs, un simple standard n’est jamais joué sans liberté, etc.). C’est plutôt la
liberté qui est opposée à l’obéissance. L’improvisation libre comme le free jazz a donc une
raison d’être profondément idéologique. Dans un groupe d’improvisateurs, il n’y a pas un
compositeur et des exécutants, certains servant de faire-valoir (la section rythmique) ; mais
plusieurs artistes, responsables de ce qu’ils font et de rien d’autre — c’est-à-dire pas de la
cohérence de l’ensemble par exemple. Certains musiciens (par exemple les membres du
groupe AMM, Eddie Prevost, John Tillbury et Keith Rowe) militeront volontiers pour des
mouvements d’extrême gauche.
Le free jazz est par ailleurs synonyme de virtuosité — le be-bop, avec un Dizzie Gilllepsie
entre autres, avait déjà introduit cette notion. Mais si le be-bop l’était parce qu’il
correspondait à une revendication (que la musique des noirs américains n’a rien à envier aux
autres), c’est très différent pour le free jazz. L’apprentissage, le carcan de la technique
classique s’effacent devant l’engagement immédiat, le rapport concret et physique du
musicien avec le public. Les gammes, le rythme, n’ont plus d’importance face à la vitesse, à
la puissance ; les harmonies complexes et subtiles sont oubliées au profit du timbre. Le free
jazz peut souvent se résumer à une démonstration de force : jouer très fort et très vite pendant
très longtemps. Evan Parker, saxophoniste anglais issu du jazz, pionnier de la free music, est
peut-être l’incarnation de cet aspect : au saxophone soprano, il travaille uniquement en
respiration continue, alternant sans cesse entre plusieurs multiphoniques et en les faisant
varier à l’infini, de façon à ce que l’on ne comprenne pas s’il s’agit vraiment de plusieurs sons
à la fois ou bien d’arpèges tellement rapides que les notes sont perçues en même temps, s’il
s’agit d’une alternance entre plusieurs accords (on peut peut-être parler de « trilles de
multiphoniques ») ou d’un seul accord dont le spectre pourrait être modifié en profondeur.
Une improvisation d’Evan Parker peut durer jusqu’à quarante minutes sans qu’il n’y ait eu un
seul silence ni une seule note tenue à proprement parler.
John Cage a en Europe une importance beaucoup plus grande dans ce milieu musical que
dans celui de la musique contemporaine. Au point qu’un groupe anglais se nomme « For
Walls », titre d’une œuvre de Cage. Cage n’a pas forcément la même conception de la
musique que les improvisateurs ; mais sa remise en question brutale et sans concession du
statut de l’œuvre d’art, ainsi que son point de vue délibérément détaché de l’Histoire,
séduisent les improvisateurs16.
16
Voir IIA2 et IIA3
9
• Musique contemporaine improvisée
Les problématiques des improvisateurs venant de la musique écrite sont bien différentes.
C’est en France que l’on trouve leurs principaux représentants. Il y avait eu des prémices : en
1962, la série des Spontanés de Luc Ferrari jouée par l’ensemble de K. Simonovic. Mais c’est
bien le New Phonic Art qui constitue le principal exemple d’ensemble à se consacrer à
l’improvisation libre dès la fin des années 1960 — Ceci étant, Michel Portal est autant un
musicien de jazz qu’un musicien de musique contemporaine. C’est en fait bien après qu’on
verra des musiciens de musique contemporaine se tourner vers la Free Music (on peut citer le
percussionniste Lê Quan Ninh ou la harpiste Hélène Bréschand).
Pour cette musique, improviser ne va absolument pas de soi. Les compositeurs contemporains
n’ont jamais eu de mots assez forts pour condamner « l’improvisation de musique
contemporaine », parce qu’elle semble ridiculiser la complexité de leurs réflexions sur forme
et matériau ; elle semble permettre d’arriver à un résultat assez proche sans la rigueur de la
recherche écrite. Là où une fugue improvisée par Bach correspondait aux mêmes calculs
savants qu’une fugue écrite (elle était donc de l’écriture en direct), l’improvisation de
musique contemporaine n’effleure même pas ce que pourrait être la réflexion d’une pièce
écrite (par exemple en improvisant sur des séries), tout simplement parce que l’écriture s’est
considérablement complexifiée. Pierre Boulez, dans une critique célèbre, dit que
l’improvisateur ne peut que se livrer à des « manipulations de mémoire »17. Les compositeurs
n’admettent l’intérêt de l’improvisation que dans un cadre écrit : c’est le concept
d’improvisation contrôlée. Par exemple, le compositeur dit ce qu’il veut, impose la forme,
mais ne l’écrit pas avec la précision de la portée ; il donne une indication de caractère laissant
à l’instrumentiste le soin de créer sans effort la « matière » si laborieuse à écrire. En somme il
dit « Soyez libre, improvisez, mais faites ce que je veux ! »18
L’improvisateur de musique contemporaine a souvent le souci de la construction ; la présence
sur scène peut être d’importance moindre, sauf s’il s’agit de théâtre musical ; la virtuosité
pure, le jusqu’au-boutisme, la provocation n’ont pas de raison d’être. On dira d’une
improvisation réussie dont on veut faire l’éloge : « on dirait de la musique écrite ». Souvent
l’improvisateur est lui-même compositeur (Vinko Globokar, ou plus proche de nous,
Benjamin de la Fuente et Samuel Sighicelli du groupe Sphota, André Serre-Millan…) ;
l’improvisation est pour lui l’occasion de monter sur scène et la musique qu’il y joue est
généralement dans la continuité de ce qu’il écrit.
17
18
Jalons (pour une décennie), 1989
La phrase est de Vinko Globokar, critiquant ironiquement l’improvisation contrôlée.
10
• Arts plastiques, musiques populaires et traditionnelles
Si les artistes de la Free Music viennent principalement du jazz et de la musique
contemporaine, ils sont nombreux à venir d’autre part, sans doute parce que nous parlons
d’une musique qui se veut libre et ouverte, et que personne ne peut se l’approprier, et donc
exclure les attitudes incompatibles avec la sienne.
Les plasticiens explorent eux aussi la nouvelle musique. Les arts plastiques, qui remplacent
les « beaux-arts » au vingtième siècle, regroupent toutes les sortes d’expression possibles. La
multiplication des médiums et le rejet de la technique (c’est-à-dire le rejet de l’Histoire, très
présent chez les artistes américains face à l’absence d’Histoire de leur nation) ont permis
l’avènement du règne de la multidisciplinarité : on peut faire du son comme on fait de
l’image, de la vidéo, de la danse, etc. Aux Etats-Unis, le groupe Fluxus19 adopte le rejet de la
notion d’œuvre d’art et du beau comme cheval de bataille, l’humour et la provocation, comme
moyens (par exemple, « On se brosse sur scène/son avec un micro et on descend dans la salle
20
brosser les gens » ). Le public est amené à participer au spectacle. L’improvisation n’est, à
cette époque, pas une recherche en soi pour les plasticiens (on citera encore La Monte Young
avec son installation / environnement sonore, Dream House, à partir de 1969) mais le refus du
spectacle pour l’opposition entre performance et installation inspirera les improvisateurs.
Les musiciens de musiques populaires comme le rock sont aussi séduits par les enjeux de
l’improvisation libre : on citera le batteur australien Tony Buck, le groupe japonais Ground
Zero, les guitaristes électriques Andy Moor21 et Lee Ranaldo22. Du rock, ils conservent
généralement le goût pour les machines et l’électricité, l’énergie brute et les sonorités
bruiteuses, la répétition d’un même motif.
Des musiciens de musique traditionnelle, enfin, sont aussi présents : Paul Dunmall,
saxophoniste et joueur de bagpipes (cornemuse) ou France Michel Doneda (saxophone
soprano) et Beñat Achiary (chanteur d’origine basque) en sont les parfaits exemples et bien
sûr ils le font ressentir dans leur musique. La free music n’a pas de lien historique avec les
musiques traditionnelles mais un lien philosophique : la tradition orale les rassemble.
19
Créé en 1962 par Georges Maciunas, Fluxus est un regroupement d’artistes de tous continents,
marqués par John Cage, Dada, Marcel Duchamp et la philosophie zen.
20
Arm piece de Albrecht
21
Participant au groupe de rock The Ex et au groupe d’improvisation Thermal avec Thomas Lehn et
John Butcher
22
Du groupe de pop expérimentale Sonic Youth
11
II / L’improvisation et l’art
Considérons, dans cette seconde grande partie, le phénomène de l’improvisation d’un point de
vue général, sans analyser le langage des improvisateurs en tant que tel, mais en évaluant les
conséquences du fait d’improviser, de leurs points de vue.
A/ Transgression de la notion d’œuvre d’art
Entre le XVIe siècle et le milieu du XXe, les différents paramètres de la musique (modes de
jeu, nuances) ont été de plus en plus pris en charge par l’écriture. La notation, peu à peu, a
pris de plus en plus de pouvoir. Et ce qui est jeu, c’est surtout le statut de l’œuvre d’art.
L’écriture, au milieu du XXe siècle a pris le pouvoir sur l’œuvre au point de devenir l’œuvre
elle-même23. C’est le cas dans les œuvres où l’interprète n’a plus de marge d’interprétation et
celles où ses capacités sont insuffisantes pour jouer l’œuvre : on pense à certaines pièces
sérielles des années 1950 (très peu nombreuses il est vrai à réellement appartenir à cette
définition) et aux pièces électroacoustiques. Pour cette raison, on considère généralement que
pour qu’il y ait œuvre d’art il faut qu’il y ait un élément concret, tangible : partition, métal,
pierre, toile, sable… Une œuvre éphémère comporte cet aspect concret, même si c’est pour
peu de temps. L’improvisation, comme toute performance, échappe à cette définition.
En outre — par exemple pour être un univers autonome comme le plaident les romantiques
depuis le début du XIXe siècle24 —, une œuvre d’art doit être réalisée, elle doit s’accomplir,
elle ne peut pas n’être que des parties en relation les unes avec les autres : elle doit constituer
un Tout. Or l’improvisation libre se constitue et disparaît simultanément. Elle n’est jamais un
Tout, puisqu’elle n’est accomplie qu’au moment où — si on la considère comme une œuvre
éphémère — elle appartient au passé. Si elle est un art, elle semble donc échouer à produire
des œuvres, au sens où on l’entend pour les autres arts.
Il est courant, d’ailleurs, que les improvisateurs rejettent le disque ; Vinko Globokar comme
Derek Bailey considèrent qu’un disque d’improvisation ne devrait logiquement être écouté
qu’une seule fois, et jeté. On est donc bien, ici, dans une conception en faveur de l’art
éphémère, mais Vinko Globokar va plus loin25 : pour lui, « une improvisation est un tout
sonore et visuel. » Un enregistrement à la radio ou en disque est « une déviation, un produit
tronqué (…) puisqu’on n’aura pas suivi visuellement le drame personnel ou collectif ». Il ne
s’agit donc pas seulement d’un art éphémère : il s’agit surtout d’un moment à vivre, qui
dépasse les questions d’ordre musical. Et d’ailleurs la perception d’une improvisation n’est
pas perçue objectivement mais subjectivement : « la perception est surtout orientée par le
nombre de références qu’on y trouve, par le bagage culturel personnel, et je peux très bien
comprendre la personne qui me dit : “ je ne vais à un concert d’improvisation que si je
23
Au cours de son histoire, l’écriture a servi tour à tour d’aide-mémoire (les signes étaient trop
imprécis pour indiquer vraiment quoi faire mais suffisants pour servir en cas d’oubli) ; de moyen
d’écrire (ce qui étant joué étant réellement noté et constituant le moyen de communication du
compositeur à l’interprète) ; de moyen de conceptualisation (par exemple, on peut concevoir plus de
multiples contrepoints simultanés en les notant, qu’en les retenant et en les inventant simultanément) ;
d’œuvre elle-même enfin (l’œuvre devient la chose écrite avant d’être la chose ouïe).
24
Goethe par exemple, dans ses Écrits sur l’art, s’oppose au naturalisme qui définit l’œuvre artistique
en la référant à l’objet qu’elle imite, ce qui nie l’autonomie de l’œuvre qui selon lui est un organisme
au même titre que l’objet imité.
25
« Réflexions sur l’improvisation : le point de vue d’un praticien »
12
connais les personnes qui y jouent. ” (…) D’ailleurs dans une improvisation libre l’auditeur
est un témoin indirectement créatif (…) ».
Selon ce point de vue, le fait d’improviser en public serait donc une convention, un contrat
entre le public et les artistes. Il faudrait que le public soit prévenu du fait qu’il ne s’agit pas
d’une œuvre écrite, sous peine de passer à côté de l’intérêt de l’évènement. Il faudrait aussi
qu’il ait une compréhension au moins inconsciente du drame qui se joue. L’improvisation,
pour être comprise, devrait être prise en tant que telle.
B/ Transgression de la notion d’histoire
Tout cela n’implique pas qu’elle soit exclue de l’histoire. Elle peut théoriquement s’y inclure
de deux façons : en créant un style, inédit, homogène, avec ses codes et ses conventions, qui
corresponde à une forme de progrès, qui fasse avancer l’histoire ; en se reposant sur
l’hétérogénéité de l’ensemble des styles connus, sur un infini tissu référentiel, sur leur
confrontation, et en pouvant donc avoir un regard vers le passé. Ces deux attitudes (la
moderniste et la postmoderniste) sont présentes chez les compositeurs, certains se réclamant
de l’une et certains de l’autre ; les improvisateurs sont dans le même cas. On peut argumenter
en faveur du modernisme : l’improvisation serait la conséquence logique du fait qu’on ait
poussé l’écriture jusqu’à la limite de ses capacités (musique structurale et ultra-combinatoire,
musique électro-acoustique) et qu’on aurait ainsi découvert ses limites26. On peut aussi
argumenter en faveur du post-modernisme : l’interprète ne fait pas référence à un système
mais à la société qui l’entoure ; il s’approprie l’infini tissu des connaissances du public. Il
s’appuie sur le message positif de la mondialisation et son esprit d’ouverture, qui prône le
métissage.
Mais en fait, l’improvisation libre dans sa définition générale autant que du point de vue de la
plupart de ses acteurs, n’est ni moderne ni postmoderne : elle est délibérément anachronique.
Elle ne se place pas par rapport à l’histoire, elle s’en exclut, comme elle s’exclut des circuits
commerciaux et comme elle s’exclut de la création d’œuvres d’art. Elle refuse l’évolution de
la lutherie27. Enfin, elle refuse même, selon nombre de ses acteurs, d’être un mouvement
artistique, homogène, avec ses codes, son langage, son histoire.28
26
Voir la partie III A 1.
Voir la partie III A 2.
28
Ce dernier point est contradictoire avec le point de vue central de ce mémoire (que l’improvisation
libre serait un langage, et sans doute un mouvement musical) ; j’ai déjà indiqué que j’y reviendrais en
III C.
27
13
C/ Transgression de la notion d’auteur
L’artiste improvisateur a un rapport particulier au public : il ne se situe pas dans un rapport de
re-présentation (l’expression est d’Alain Savouret) : il ne montre pas un objet dont l’existence
est antérieure à sa présentation sur scène puisqu’il l’invente pour la circonstance et en
fonction d’elle. Il n’obéit ni à des signaux envoyés par un chef d’orchestre (Alain Savouret
parle d’interprète sémaphore), ni à un code obscur inscrit sur une partition. La traditionnelle
dichotomie entre auteur (qui invente) et interprète (qui transmet) vole en éclats.
L’improvisateur dont nous parlons est-il tout simplement auteur et interprète à la fois ? Quelle
est la place de l’auteur dans l’improvisation libre ? Cette notion a-t-elle une place ? La
question restera ouverte.
Pour Derek Bailey, l’identité de la musique improvisée « n’est déterminée que par l’identité
musicale des personnes qui la pratiquent.»29 Un point de vue courant est que l’improvisateur
se dévoile plus que tout autre musicien, et qu’en cela il est plus que tout autre musicien un
auteur ; que le narcissisme est constitutif du fait d’improviser, et même qu’il en est l’objet. Et
en effet, on a vu que l’improvisateur se situait généralement en dehors de l’histoire : ce qu’il
crée n’existe donc pas en rapport au temps ou au progrès, mais uniquement en rapport à la
personnalité de l’artiste. Le fait d’être original, de proposer un univers unique, est d’une
importance capitale. Le spectateur ne vient pas voir une débauche de virtuosité, les
improvisateurs ont fait voler en éclats les règles de la technique comme fruit de
l’enseignement et de la tradition. Il est possible que savoir jouer Haydn soit nécessaire pour
apprendre à jouer Schoenberg, mais pas pour avoir un univers personnel cohérent et assumé,
et rien d’autre n’est demandé à l’improvisateur, ou plutôt, rien d’autre n’est défendu par lui.
Cette conception concerne très largement les pionniers de l’improvisation libre, car elle est
historiquement le fruit d’une révolte contre la hiérarchie entre artistes et contre la toute
puissance de la tradition.
Mais les exemples allant à l’encontre de cette première conception sont nombreux chez les
improvisateurs de la jeune génération actuelle. L’exploration du moi profond est souvent
délaissée au profit de la musique de l’instant ; le musicien crée une œuvre éphémère en
fonction d’une salle, d’un public ; très vite il peut faire la musique de l’espace et de l’instant.
L’improvisation devient un moment à vivre. La Japonaise Sachiko M (ordinateur) travaille
suivant un principe générateur très simple : par exemple, jouer deux sons purs en tout et pour
tout (l’un au début, l’autre au bout de vingt minutes) durant plus d’une demi-heure ; malgré le
faible niveau sonore, l’expérience est douloureuse pour le spectateur ; il aura vécu un moment
d’une grande force émotionnelle, mais s’agit-il d’une œuvre d’art, avec un auteur ?
D’autres musiciens prônent à ce point l’expérimentation du son qu’elle en devient
expérimentation acoustique. Jean-Luc Guionnet écrit se baser sur « une suite hétéroclite de
thèmes (…) : l’épaisseur de l’air, l’écoute comme obscure à elle-même, le pidgin (langage
sans grammaire ni vocabulaire pratiqué par deux adultes sans aucune langue commune),
l’instrument de musique considéré comme automate affectif, la géométrie et l’arithmétique de
l’écoute, le son comme signature de l’espace, signature d’objets, signature de ce qu’il n’est
pas … »30 La musique est alors « un test dont l’expérience définit une nouvelle distribution de
tout le corps en le plaçant dans un environnement à la fois inconnu et artificiel, tout en le
laissant capable de penser, de compter, de faire des relations, d’entendre et de comprendre les
29
30
Op. cit.
Citation tirée d’une note de concert.
14
lieux, etc. » Il ne s’agit pas d’une considération générale applicable à toute musique ; c’est,
pour Jean-Luc Guionnet, le fondement de sa musique ; elle n’est rien de plus que cela. On est
bien loin de l’expression d’un moi profond. La neutralité devient une qualité, l’artiste s’efface
derrière le vécu immédiat de chacun et se borne à créer les conditions du partage. Il faut aussi
citer les deux musiciens français du duo Narthex (Marc Baron, saxophone, Loïc Blairon,
contrebasse) qui donnent à ce point de l’importance aux conditions acoustiques de l’espace où
ils jouent que leur musique en est totalement différente d’une salle à l’autre.
Si Derek Bailey concède que les identités cumulées des improvisateurs créent l’identité de
l’improvisation, c’est pour mieux écarter l’idée d’un langage de le free music. D’où son
expression célèbre pour la désigner : improvisation non-idiomatique. La musique qu’il
pratique n’aurait donc pas de langage propre. Elle n’aurait pas de règle. Elle pourrait faire
référence à des systèmes ou à des langages divers, mais seulement par le biais de l’identité
musicale des improvisateurs. Par ce biais là, elle peut avoir un idiome, des règles, c’est
simplement aux musiciens qui la font de les créer. Une musique sans règle est difficilement
concevable : on ne pourrait pas l’apprécier en tant que réussite ou d’échec ; elle pourrait
s’attacher à être expérimentale, mais la musique dont nous parlons n’est que rarement
expérimentale au sens strict, un musicien qui travaille dans la même direction pendant 30 ans
ne pouvant guère être considéré comme un expérimentateur ; elle pourrait ne s’attacher qu’à
son rôle social31 mais l’improvisation libre, créée brutalement au cours des années 1960 a
t’elle vraiment un rôle social qui transcende son rôle artistique ? On peut difficilement le
croire.
Si l’improvisation libre ne comporte effectivement pas de règle explicite, elle comporte des
règles implicites. Par nature, elles sont donc difficiles à nommer. Lorsque deux musiciens se
rencontrent de manière informelle, sans se connaître et sans avoir répété ensemble, la liberté
est presque totale : si l’un fait telle chose, cela n’oblige absolument pas l’autre à l’imiter ou à
se situer dans le même type d’énergie ou de mode de jeu — même si cela peut-être le premier
réflexe. En revanche il doit faire en sorte de l’écouter. Créer un univers à la fois cohérent et
original semble être la seule règle absolue de l’improvisation libre — mais n’est-elle pas la
règle de toute musique occidentale ? Si, mais la particularité de la musique non-idiomatique
est qu’elle ne comporte pas de règle explicite a priori, et que la cohérence de son propos
(surtout s’il s’agit d’être original) est donc un véritable pari.
Si l’improvisation transgresse la notion d’auteur, c’est qu’elle ne fait pas intervenir la
mémoire de manière habituelle. « On entre dans l’avenir à reculons »32 dit Paul Valery. On
peut appliquer cette phrase célèbre à l’improvisateur : il sait d’où l’on vient, mais pas où il va.
Et il ne conçoit l’avenir que par rapport au passé. On peut prendre un autre exemple : Georges
Braque fait la distinction entre les peintres qui sont des constructeurs, qui remplissent un
cadre, comme lui, alors que Cézanne est un bâtisseur, dans la mesure où il travaille des
couleurs qui créent des matières et il crée en fonction de la situation, pour finalement
composer un plateau qu’on ne découvre qu’à la fin. C’est ainsi, selon Alain Savouret33, qu’on
peut distinguer le compositeur (constructeur) de l’improvisateur (bâtisseur). L’improvisateur
crée donc bien une forme, mais il la crée peu à peu, en fonction de ce qu’il a déjà créé. Pas
une forme architecturale, comme c’est le cas pour une œuvre écrite : un compositeur peut
concevoir la forme de son œuvre en équilibrant par exemple la fin par rapport au début, créant
31
De nombreuses musiques ethniques ne sont pas jugées par leur public d’un point de vue d’une
quelconque réussite artistique ; elles valent par leur rôle social.
32
« Regards sur le monde actuel »
33
Fondateur et enseignant de la classe d’Improvisation Générative du CNSM de Paris. Voir en IIIA1.
15
une symétrie ; il le peut parce qu’il voit son œuvre d’en haut, verticalement. L’improvisateur
au contraire essaiera de ne jamais pré-voir, de ne jamais savoir ce qui va concrètement se
passer la seconde suivante. Il voit sa pièce d’en bas, horizontalement. Les jeux de la mémoire
font que mystérieusement, un passage entier peut sombrer dans l’oubli parce qu’un
événement marquant l’a effacé ; un motif présenté comme important qui n’a pas été
développé jusqu’au bout peut imposer son retour, quitte à ce que la forme soit déséquilibré ;
un long passage peut avoir son importance minimisée par la force de l’élément qui le
conclut, etc.
16
III / La free music
Nous avons vu ce qu’impliquait a priori l’improvisation, en l’étudiant sous son aspect
formel ; nous allons maintenant voir quel matériau les improvisateurs ont créé dans les faits.
Trois concepts semblent remarquables : le dépassement des capacités de l’écriture ; celui des
capacités de la lutherie classique ; le refus du contrôle absolu du son produit. Après cela, nous
verrons comment se structure la free music en tant que le langage, puis en tant que
mouvement artistique.
A/ Le dépassement des capacités de l’écriture
• La découverte de l’innotable
On l’a vu, les compositeurs du milieu du XXe siècle ont une foi immense envers les capacités
de l’écriture. C’est pourtant à cette époque que ses incapacités furent mises en évidence.
D’abord avec Pierre Schaeffer : le sillon fermé et la découverte de la boucle, du pouvoir de
métamorphose du micro puis celle, progressive, des nombreuses techniques électroacoustiques (réinsertion, micro-montage, son à l’envers), s’ils sont au début une tentative
d’élargissement des possibilités de la radiophonie34, permettent peu à peu de créer un nouveau
langage musical, composé d’articulations et d’objets sonores35. Le Traité des Objets
Musicaux (1966) constitue la théorisation de ce nouveau langage, sous un angle
phénoménologique. Pierre Schaeffer y redéfinit l’organisation des sons, sans les découper par
paramètres, un son étant au croisement de plusieurs paramètres, mais en les classant par
rapport à la perception que l’auditeur a d’eux36, ce qui semble plus adapté à la richesse des
nouveaux sons. Or une partition est organisée en paramètres (les hauteurs de bas en haut, les
durées de gauche à droite, nuances et timbres étant ajoutées par rapport aux autres).
L’œuvre d’Helmut Lachenmann est exemplaire à cet égard : dans son désir de synthèse des
techniques instrumentales et électroacoustiques (il parle de « musique concrète
instrumentale »), il explore systématiquement les différents modes de jeu instrumentaux37, et
pour cela réinvente la partition, imagine un nouveau signe pour chaque mode de jeu, ce travail
étant renouvelé à chaque nouvelle pièce. Bien sûr, il réussit dans son entreprise ; mais c’est au
prix de la reconstruction systématique d’un nouveau système d’écriture pour chaque pièce.
Fondamentalement, un compositeur, pour utiliser un mode de jeu inédit, pour l’intégrer à son
système et pour le transcrire sous la forme d’un schéma quelconque, doit le rationaliser, le
simplifier, l’isoler. L’improvisateur doit juste le comprendre physiquement. Il serait
invraisemblable de noter une improvisation d’Evan Parker, puisque tout repose sur des
ambiguïtés diverses entre multiphoniques savants, trilles, arpèges, mouvements de langues et
de doigts ; il serait tout aussi invraisemblable de noter l’improvisation de n’importe quel
guitariste électrique bricolant sa guitare (et ils sont nombreux…) ; sans parler des
improvisations d’ordinateur où le musicien a lui-même conçu son propre logiciel (avec un
outil de programmation tel que Max-MSP par exemple).
34
Études de Bruit (1948)
Etudes aux Allures et Etudes aux sons animés (1958)
36
Un bruit dont on ne perçoit pas la hauteur tonale (la “note”) n’est donc pas une somme de
fréquences au même titre qu’un son harmonique (dont l’organisation spectrale est plus ou moins basée
sur le spectre harmonique, ce qui permet d’en dégager une “note”), il est un « son complexe » se
distinguant fondamentalement d’un « son tonique ».
37
Par exemple dans temA pour flûte, voix et violoncelle (1968)
35
17
Alain Savouret défend l’idée de l’enseignement d’un nouveau solfège se basant sur les
découvertes de la phénoménologie Schaefferienne : il indique que la classe d’improvisation
générative du CNSM de Paris qu’il a créé en 1994 n’est rien d’autre qu’une classe de solfège
(c’est-à-dire de formation de l’oreille)38 : jouer de la musique improvisée n’est qu’une des
applications possibles de cette éducation de l’oreille. En somme, l’écriture classique a montré
ses limites et l’improvisation libre sert à le montrer39.
• Lutherie expérimentale
L’improvisation libre est par nature le terrain de l’expérimentation sur tous les terrains. On a
vu que cela passait en général notamment par la recherche de modes de jeu inédits et
incompatible avec l’écriture telle que nous la connaissons. Bien souvent, cela passe aussi par
l’utilisation d’instruments de musique différents de ceux de la musique écrite.
Luigi Russolo, l’inventeur de l’Art des Bruits40, n’a jamais douté que la recherche de sons
nouveaux passait par la construction de nouveaux instruments. Il construisit donc dès 1913,
avec l’aide son ami Ugo Piatti, des instruments portant le nom de bruiteurs et dont il ne nous
reste pas grand chose d’autres que des photographies. D’autres instruments suivront : en
1922, le “Rumorarmonio” ou “harmonium de bruit” ou “Russolo-Phone” qui combinait
plusieurs machines de bruit à l’aide d’un clavier rudimentaire et à base de ficelles tendues,
sans doute comme pour un orgue. Puis l’archet enharmonique, et à la fin des années 1920 le
“piano enharmonique”, ancêtre semble-t-il du piano préparé. L’ambition de Russolo n’est pas
d’improviser mais de faire écrire des pièces pour ses instruments par des compositeurs. Cela a
sans doute contribué à la non-compréhension des futuristes eux-mêmes de l’idée de Russolo,
et à l’échec relatif de son esthétique ; les rares pièces enregistrées sont des pièces “mixtes”
d’Antonio Russolo et utilisant les nouveaux instruments comme on utiliserait de la
percussion, et sans tirer la moindre conclusion stylistique de la découverte de Russolo.
Russolo ne comprit cela que très tard, puisqu’en 1927, après une improvisation réussie, il écrit
à sa femme que c’est quand il fait « le moins de musique au sens classique du terme et là où il
y a le plus d'enharmonie, [qu’il obtient] le plus de succès » et conclut qu’il doit chercher des
compositeurs qui comprennent cela ou se charger lui-même d’écrire. Mais peut-être que
l’écriture en tant que telle était incompatible avec ses instruments…
Beaucoup plus tard, notamment en Belgique41, la lutherie sauvage est la continuité de cette
recherche. L’aspect bricolé des instruments de Russolo aura sans aucun doute été aussi
l’inspirateur des travaux des frères Baschet, entre design et musique, lutherie et concept
pédagogique. La lutherie sauvage consiste à utiliser des matériaux simples et sans noblesse
38
Selon Alain Savouret, dans l’improvisation générative, c’est l’oreille qui génère la musique, alors
qu’elle est réduite au rôle “d’organe de contrôle” le reste du temps. Le terme d’Improvisation
Générative ne concerne cependant que sa classe et pas un mouvement.
39
Alain Savouret s’oppose donc à l’idée que l’improvisation libre soit un genre musical, comparable à
n’importe quel autre. Son rôle dans l’enseignement est beaucoup plus profond (et sa présence dans les
classes de formation musicale est fondamentale).
40
L’art des bruits, manifeste futuriste, 11 mars 1913
41
Avec Max Vandervorst notamment dans les années 1970.
18
(tube de PVC, sac plastique, carton) et de les assembler en instruments à anche simple,
double, à percussion, etc. Que ces instruments jouent faux et que jouer du Mozart avec relève
à la fois de la gageure et du gag n’a pas d’importance : ils proposent autre chose, et cela a plus
d’importance que tout.
Le travail que le clarinettiste Xavier Charles effectue avec les « surfaces vibrantes » est dans
cet esprit42. Il a conçu un instrument de musique composé de hauts parleurs posés sur une
table, et rayonnant vers le haut ; il leur fait jouer des basses fréquences inaudibles (quelques
Hertz seulement) et pose dans les saladiers, sur les membranes vibrantes des enceintes, des
matériaux divers tels que du sable, des graines, des copeaux, des métaux… Le bruit produit
par le frottement de ces matériaux (qui bougent à cause de la vibration) est amplifié par des
micros et transformé par divers effets. Quand la vibration est forte, les matériaux tombent,
Xavier Charles les replace ou les abandonne sur le sol, les remplace, etc.
En fait, la lutherie traditionnelle est inadaptée par essence à l’improvisation libre. Prenons
l’exemple du piano : il est d’une précision absolue pour les hauteurs, mais jouer en
tempérament égal est plus une gêne qu’un avantage pour la musique dont nous parlons. Sur le
plan des timbres, il est extrêmement limité, même si le toucher permet de grandes finesses
(impossible par exemple de faire un son bruiteux). Sur le plan dynamique enfin, il ne propose
rien d’autre que des impulsions. Bref, ce qui faisait sa valeur autrefois (grands écarts de
puissance, virtuosité pour les hauteurs) n’a plus cours. Le pianiste improvisateur détourne
souvent son instrument de sa fonction originale, et joue autant dans les cordes (avec ses
mains, des baguettes, en coinçant des objets dans les cordes) que sur le clavier. Ce
détournement par le bricolage d’un instrument classique est fréquent : le guitariste américain
Fred Frith, posant sa guitare électrique à l’horizontale sur une table et utilisant des outils
hétéroclites pour en jouer, est imité par de nombreux musiciens.
Le percussionniste Lê Quan Ninh joue de ce qu’il appelle la « grosse-caisse entourée » : il
s’agit d’une grosse-caisse d’orchestre placée à l’horizontale et posée sur un tapis ; sur ce tapis
sont également placés toutes sortes d’objets notamment de percussion, cymbales, bols,
gongs ; Lê Quan Ninh les pose sur la grosse-caisse, créant des sons continus et hybrides ;
souvent, une de ses mains entretient un son, tandis que l’autre pose un objet sur le tapis et en
prend un autre. Il ne s’agit pas vraiment d’un instrument inventé (c’est de la percussion), mais
d’une configuration extrêmement particulière, associé à un univers très personnel. Il n’y a pas
ici (pas plus au fond que chez Xavier Charles ou Fred Frith) de besoin d’enseigner l’art de cet
instrument comme on enseignerait le violon en école de musique ; c’est l’instrument que le
musicien s’est taillé sur mesure, il a appris à s’en servir en même temps qu’il l’a conçu, peu à
peu.
Peu importe que le musicien fasse appel à la technologie la plus récente ou pas. Lionel
Marchetti et Jérôme Noetinger (du groupe Metamkine) utilisent souvent des magnétophones à
bandes (Revox) avec lesquels ils font des boucles, des delay, de la réinsertion, etc. Un
ordinateur permet tout cela et beaucoup plus ; les compositeurs de musique électro-acoustique
n’utilisent plus de bande magnétique (sauf exception), parce que les avantages de
l’informatique sont évidents et immenses. Mais dans un cadre de free music, peu importe que
le matériel soit moderne ou pas. On l’a vu, c’est une musique délibérément anachronique ; ce
qui compte c’est la cohérence de l’univers du musicien, pas le fait qu’il soit en phase avec les
supposés enjeux de son temps.
42
Il utilise cet instrument entre autres avec le groupe Wiwili
19
• L’incontrôle
L’œuvre écrite implique que l’instrumentiste maîtrise ce qu’il fait. Bien sûr, il y a en tout
œuvre humaine une part d’aléatoire et d’imperfection (seule une machine peut agir avec
perfection) ; mais la musique écrite et interprétée n’inclut cette dimension
qu’inconsciemment : on ne recherche pas l’imprécision43, même quand on admet qu’elle est
là. L’improvisateur, lui, peut rechercher l’imprécision en tant que telle.
Le contrebassiste Barre Philipps défend l’idée d’un geste incontrôlé : l’improvisateur se
placerait donc dans une situation où le geste lui échapperait. Cela n’implique pas que sa
proposition ne soit pas précise ! L’imprécision donne de la vie à la proposition parce qu’elle
la complique, la rend moins simpliste. La violence de certaines improvisations (chez les
musiciens venant du free jazz) peut permettre cet incontrôle : la violence et la vitesse rendent
la maîtrise absolue impossible et placent le musicien dans une situation de danger d’où naît
une grande tension.
L’improvisateur se place ainsi parfois dans une situation d’état altéré de la conscience qui
peut faire penser à la transe : on peut comprendre que pour jouer une musique qui ne repose
sur rien a priori, il faut absolument y croire aveuglément ; on ne peut pas être neutre sans que
la musique ne le soit aussi. Pour qu’elle dégage de l’émotion, il faut donc vivre cette émotion
soi-même. Et la transe peut se définir par ces deux pôles contradictoires : état altéré de la
conscience et émotivité particulière.
Dans certains cas, c’est aussi une lutte de l’homme avec sa machine. On a parlé
précédemment du travail sur surfaces vibrantes de Xavier Charles. Dans le cadre de ce travail,
il arrive souvent que l’instrument résiste au manipulateur, que du sable tombe du saladier sans
que cela ait été voulu ; patiemment, Xavier Charles replace ou remplace l’objet tombé. Il
pourrait difficilement en être autrement : le dispositif est instable de nature. Le travail du
cinéaste expérimental Jürgen Reble peut en être rapproché : l’artiste fait une boucle avec un
morceau de pellicule qu’il fait passer dans un projecteur 16mm ; puis, pendant que le film
défile et tourne en rond, il lui fait subir divers traitements chimiques. L’émulsion se
désagrège, de la matière se reforme et disparaît… Et brusquement la boucle casse, la
performance s’arrête. Elle n’aura été qu’une lutte entre l’homme et sa machine, l’homme
forçant la machine à continuer à entraîner le film, mais en se plaçant consciemment dans une
situation intenable ; il n’a pas voulu que la boucle casse mais il savait qu’elle se casserait tôt
ou tard et qu’il ne pouvait réaliser sa performance qu’à condition de prendre ce risque. Jürgen
Reble estime savoir à 60-70% ce qui va se passer ; ce pourcentage est loin d’être insuffisant,
parce qu’il ne cherche pas à démontrer quelque chose (une propriété chimique), il crée une
situation où il sait que quelque chose de beau va se passer.
43
Des contre-exemples existent, avouons le : on peut citer le manque de précision rythmique du chef
d’orchestre Willem Furtwängler, qui n’était pas certainement une carence de technique, mais
permettait d’obtenir le résultat souhaité.
20
B/ Langage de la Free Music
• D’un point de vue étique
Une première constatation s’impose, en dépit de ce qui a pu être dit précédemment44 : on peut
tout à fait écouter un enregistrement d’improvisation libre. On peut l’écouter, le réécouter, le
plaisir n’en est pas davantage amoindri que pour l’écoute d’un enregistrement de musique
écrite. Écouter de la musique improvisée sur disque ne s’oppose pas à écouter de la musique
écrite ; Free Music et musique contemporaine n’entrent pas en concurrence, parce qu’il ne
s’agit pas de deux manières de faire la même musique mais bien de deux musiques
différentes. Or, si la Free Music est un style musical en soi, elle possède donc un langage.
Deux éléments sont constitutifs de ce langage: la rencontre et le geste. La rencontre comme
but : la mise en relation d’univers différents (par exemple Derek Bailey, qui vient du jazz,
jouant avec Joëlle Léandre, qui vient de la musique contemporaine) est très courante parce
qu’elle met en valeur les arrière-plans culturels des protagonistes. Les tics de chacun, les
choix conscients ou inconscients qu’ils ont faits au long de leur carrière en construisant leur
jeu sont les repères de l’auditeur — et que ces repères soient parfois mouvants (lorsqu’on ne
reconnaît plus la guitare de la contrebasse tant les modes de jeu sont savants) n’est bien sûr
pas un handicap. Xavier Charles dit que c’est en supprimant des éléments de son jeu, et non
pas en en ajoutant, qu’il a progressé : c’est donc que (passé un certain niveau technique), le
véritable pari du musicien improvisateur n’est pas de posséder un vocabulaire d’une immense
richesse mais d’une extrême cohérence, et que les choix adoptés sont les révélateurs de
l’univers de l’artiste. Pour être clair, la timidité de tel musicien ou l’extériorisation narcissique
d’un autre, le fait que l’un puisse zapper d’une émotion à l’autre très rapidement quand l’autre
s’approfondit dans une ambiance sonore qui lui convient particulièrement, la capacité de
certains à influer sur le groupe par instants, à jouer le rôle de moteur ou d’excitateur, ou bien à
fusionner avec le timbre de l’ensemble sont les éléments sur lesquels se focalise l’attention du
spectateur.
Le geste comme moyen : l’objet sonore schaefferien provient d’une démarche
phénoménologique, qui ignore à dessein l’origine (humaine, machinique, naturelle…) des
sons qu’elle étudie45. Dans l’improvisation libre, le fait que ce sont des êtres humains qui
jouent est fondamental : le geste, fruit de leur volonté et de leur présence, remplace objets
sonores et articulations de l’électroacoustique. La prouesse technique (entendue au sens
large : elle peut consister à faire en sorte que l’on ne reconnaît plus le son de l’instrument qui
joue, tant son utilisation est inhabituelle) revêt un sens inédit. Et la recherche de ces gestes, en
relation avec la recherche plus générale (par exemple de lutherie comme nous l’avons vu)
constitue le travail de l’improvisateur (on resonge à la réflexion de Xavier Charles).
44
Voir IIA2.
Il manque au travail de Pierre Schaeffer (il le reconnaît dans une préface tardive de son Traité des
objets musicaux) un travail sur les formes, analogue au travail effectué par lui sur les objets. Mais on
voit pourquoi ce travail ne pourrait pas provenir d’une démarche identique : les formes, les
articulations, sont d’origine humaine (et si elles sont d’origine inhumaine, le fait qu’on les considère
comme tels vient nécessairement d’une intervention humaine étique), tandis que les objets peuvent et
doivent être analysés indépendamment de leur source.
45
21
• D’un point de vue émique
Il y aurait donc bien un langage : lorsqu’un groupe se constitue, son travail est justement
d’inventer ce langage (Alain Savouret parle de patois). La forme d’expression d’un groupe
provient surtout des styles, techniques et habitudes de ses membres. Steve Lacy parle d’une
« fraternité du langage » : « chaque instrumentiste nouveau affecte le jeu commun. »46 Vinko
Globokar explique que dans son travail avec le New Phonic Art, une des règles tacites était de
ne pas commenter, de ne pas donner de point de vue sur les échecs et les réussites
personnelles, afin de permettre à chacun des musiciens de développer un « self-judgment »,
chose impossible si l’un d’entre eux a le pouvoir de dire ce qu’il faut faire et ne pas faire.
Alain Savouret développe le même point de vue appliqué à la pédagogie : seule l’analyse,
descriptive et objective, peut avoir une utilisée par le pédagogue ; bien sûr, l’objectif reste que
chacun évolue psychiquement et techniquement, mais ce chemin soit être entrepris
individuellement. Derek Bailey explique par ailleurs que le jeu en solo permet de développer
plus que le jeu en groupe un langage personnel. Le danger de l’improvisation en solo selon
Bailey est qu’en cas de manque d’inspiration, le vocabulaire devient le seul recours de
l’improvisateur, puisque les situations imprévues, liées à la présence des autres
improvisateurs, sont absentes : en somme, le jeu en solo comporte le risque de l’automatisme
et le cliché.
Le nombre d’intervenants semble être, pour nombre de musiciens, un élément constitutif du
type d’improvisation. En quelques mots, on admet généralement que le jeu en solo est celui
de l’introspection, de la cohérence, de l’exercice de style. Les groupes de deux à quatre
personnes permettent une véritable rencontre entre les intervenants. Le duo est la formation la
plus difficile et risquée si les deux musiciens ne se connaissent pas, parce qu’il est impossible
de se reposer sur l’autre et qu’en même temps il faut tenir véritablement compte de lui. À
quatre improvisateurs, il est possible de se reposer parfois sur les autres, de s’arrêter, et de ne
pas mettre le groupe en danger si l’on trace ponctuellement son propre chemin sans tenir
compte des autres. Le trio est souvent considéré comme la plus belle formation parce qu’elle
permet à la fois l’échange, l’individualisme, la fusion, et avec une grande facilité de
circulation des idées. À partir de cinq ou six musiciens, l’ensemble devient un « orchestre » :
les personnalités de chacun s’estompent, le son devient un son de groupe global et complexe ;
chacun cherche une place utile dans le groupe, l’orchestration fine y est courante.
Cependant, ces dernières généralités sont à prendre en tant que telles ; elles s’appliquent
notamment aux rencontres impromptues où les musiciens ne se connaissent pas, et lors de la
formation d’un groupe, les raisons pour lesquelles le groupe a été créé et ses parti-pris
peuvent bien sûr être très divers. Aujourd’hui, de nombreux groupes de jeunes musiciens font
un choix conscient au moment de leur création quant à la direction de leur travail : le choix du
type de langage peut tout à fait être assumé et verbalisé.
Il n’y a sans doute pas un langage de la Free Music ; elle repose précisément sur une
multitude de langages. L’interdépendance et la tolérance mutuelle, données si importantes
dans cette musique, n’a de sens que par cette multiplicité de langage. Mais tous ces langages
ont en commun la capacité de l’ouverture et la possible acceptation de l’autre en son sein, ce
qui n’est pas peu. Free Music et musique contemporaine, qui ont par ailleurs tant de points
communs (dans leurs alternatives à l’harmonie classée, au rythme régulier, au format-radio,
etc.) ont là leur grande différence.
46
Rapporté par Derek Bailey
22
C/ L’improvisation libre en tant que mouvement artistique
• Structuration du mouvement
Le mouvement artistique qu’est la Free Music, qui trouva ses principales sources d’inspiration
dans le free jazz américain et dans la musique contemporaine d’Europe continentale, s’est
propagé en quelques années depuis l’Angleterre vers le monde entier. Aujourd’hui, Londres
reste une ville où pullulent les improvisateurs : le saxophoniste John Butcher a développé un
jeu à l’opposé de ses aînés, fait de longues tenues bruiteuses et de bruits de clés amplifiés par
un micro.
Aux Etats-Unis, free music et free jazz sont à peu près synonymes : à Chicago on peut citer le
saxophoniste Antony Braxton ; à New York, le saxophoniste Ornette Coleman et le pianiste
Cecil Taylor. La génération suivante verra l’apparition du saxophoniste John Zorn, dont le
vocabulaire, bien que tiré du jazz, s’en écarte largement, notamment par l’utilisation de modes
de jeu qui n’ont plus rien à voir avec les notes. Le guitariste Fred Frith, venu d’Angleterre et
s’installant à New York, y devient l’un des musiciens important du Free, mais sa musique,
multiforme et imprévisible, échappe au classement.
En Europe, la Norvège est l’une des premières nations à accueillir la nouvelle musique ; dans
la jeune génération actuelle on peut citer le batteur Ingar Zach et le guitariste Ivar Grydeland.
La musique norvégienne se fait de trames, de longs processus fascinants ; la référence tonale
n’y est pas interdite. En Suède, le saxophoniste Matts Gustavson et en Allemagne, le joueur
de synthétiseur analogique Thomas Lehn ont beaucoup fréquenté les pionniers anglais. Le
trompettiste Axel Dörner (emblématique de l’improvisation allemande) construit avec une
rigueur impassible des sonorités bruiteuses en respiration continue. En France, de nombreux
improvisateurs voient le jour, le dynamisme des festivals47 et d’une salle permanente comme
les Instants Chavirés à Montreuil les y aidant, mais sans école de pensée artistique les
réunissant. On citera le saxophoniste Michel Doneda (influencé par le jazz), le percussionniste
Lê Quan Ninh (lié à la musique contemporaine), le clarinettiste Xavier Charles (attiré par les
musiques amplifiées), le joueur d’électronique Jérôme Noetinger, créateur du label
Metamkine (qui diffuse la musique électroacoustique).
Au Japon, musique expérimentale est presque toujours synonyme de noise. Les principaux
représentants de cette musique sont Otomo Yoshihide (du groupe de rock expérimental
Ground Zero entre autres), Keiji Haino, Masami Akita (Merzbow), Masonna, KKnull. Le
noise se caractérise par une extrême puissance, des murs de bruit blanc, de la saturation
extrême, des pulsations exténuantes, des cris, des boucles samplées, tout ceci poussant
l'auditeur dans ses derniers retranchements.
La free music existe aussi au Canada (le duo d’électronique Christophe K. Roll, le joueur de
platines québécois Martin Tétreault), en Australie (le batteur Tony Buck)... On le voit, même
si les généralisations sont parfois difficiles, et même si la résistance aux cases est une de ses
caractéristiques, la Free Music se structure en écoles de pensées qui correspondent souvent
aux pays et aux générations.
47
Comme Musique Action à Vandœuvre-les- Nancy ou les Rencontres musicales et Quotidien Sonore
d’Albi, ou Jazz à Mulhouse.
23
• Identité du mouvement
Il est plus simple de montrer la diversité de la Free Music que son unité. Mais la validité de ce
travail (définir la free music comme mouvement artistique) dépend en partie de cette notion,
et il est donc nécessaire de s’attarder là-dessus pour finir.
Sur le plan strictement musical, il n’y a sans doute rien de commun entre le noise japonais et
la musique anglaise des pionniers. Seule l’improvisation, libre et non encadrée par des
schémas formels, existe dans les deux cas ; c’est ce qui permet à deux improvisateurs venus
de deux horizons différents de jouer ensemble malgré tout. Dans l’improvisation libre, il n’y a
rien à réussir, les fautes et les incohérences à éviter sont définies par les musiciens pour euxmêmes et seulement pour eux-mêmes.
Pour Derek Bailey, l’improvisation libre n’est pas un mouvement avant tout mais surtout une
musique qui précède toutes les autres musiques. Le premier concert de l’homme, selon lui, ne
pu être que de l’improvisation libre. Mais ce point de vue est contestable : nul ne sait quel fut
le premier concert de l’homme et peut-être était-ce très organisé, très codé, et bien peu libre,
même si l’écriture n’existait pas48. En fait, ce que nous appelons improvisation libre ne peut
être défini que par des concepts actuels, inapplicables à la musique primitive.
L’improvisation libre est née d’une révolte et d’un point de vie politique. Les liens avec
l’anarchisme (Lê Quan Ninh ou Joëlle Léandre font partie des défenseurs de ce point de vue)
semblent évidents : chaque individu est libre de jouer ou de ne pas jouer, la seule règle est
l’acceptation de l’autre sur scène ; les hiérarchies entre musiciens (existantes dans la musique
savante occidentale de toutes époques) sont abolies ; le self-judgment est révélateur de cet état
d’esprit (de quel droit un musicien peut-il dire à un autre musicien quoi faire ?). Ceci a des
répercussions sur le plan économique : un art alternatif se doit d’exister par des moyens
alternatifs. Et comme il ne représente rien ou si peu sur le plan commercial, c’est tout
naturellement qu’il investit les lieux alternatifs (les squats, les friches artistiques) ; les disques
ne sont pas vendus par les grandes enseignes, mais lors des concerts ou par internet ; Lê Quan
Ninh laisse ses enregistrements en téléchargement libre mais demande aux internautes qui
font le choix de conserver ce qu’ils ont téléchargé de lui payer une petite somme…
Aujourd’hui, force est de constater que c’est un mouvement qui a acquis son histoire
personnelle. La notion de progrès (au sens d’une trajectoire d’un moins bien vers le mieux) en
est naturellement absente, mais l’évolution logique, à commenter après-coup, est bien
présente. La musique libre et improvisée est pratiquée par de nombreux musiciens qui se
reconnaissent globalement dans une optique et une sensibilité communes, quel que soit le
nom qu’il lui donne et leur théorie sur le sujet.
48
Les travaux des ethnomusicologues, qui comparent souvent les peuples primitifs (Pygmées
d’Afrique centrale par exemple) aux premiers hommes, est édifiant : la musique dite primitive n’est en
aucun cas de l’improvisation libre, et ses règles ne sont pas moins strictes que celles de notre musique
écrite.
24
Conclusion
Nous avons vu en introduction de ce travail que les termes désignant cette musique (musique
nouvelle, improvisation pure…) sont bien nombreux. Un mot revient souvent : le mot
improvisation. Il semble évident que l’improvisation est une composante essentielle de cette
musique. Mais elle l’est pour de nombreuses autres musiques (musique de l’Inde, jazz…).
Finalement, le mot improvisation est à la fois trop large (imprécis) et réducteur : il y a de
l’improvisation et de l’imprévu dans cette musique, comme dans beaucoup de musiques, mais
il y a aussi des automatismes, des organisations formelles. Dans certains cas, la réflexion
consciente des artistes sur leur musique l’éloigne de ce qu’on appelle habituellement
improvisation ; et c’est d’ailleurs le fondement d’un reproche courant. (« Vous dites que vous
improvisez, mais vous êtes pleins d’automatismes, vous trichez ! ») En réalité, le fait que
l’improvisation libre soit improvisée n’est qu’un paramètre parmi d’autres : il s’agit d’abord
d’un mouvement artistique, d’un genre musical, et d’un langage ; ou bien, si l’on préfère,
d’une multitude de langages et de mouvements. En somme, il est aussi anecdotique et
insuffisant de dire que l’improvisation libre est improvisée que de dire que la musique
contemporaine est écrite.
L’expression free music est, me semble-t’il, plus intéressante. Le mot free ou libre désigne
peut-être moins l’improvisation (libre de tout canevas harmonique par exemple) que la
musique elle-même, les gens qui la font, les contextes de concert. La liberté est réellement un
concept fondateur de cette musique, sur le plan historique comme sur le plan musical. Ne pas
savoir ce que l’on va faire dans une seconde est un profond acte de liberté, parce que tout est
potentiellement possible. Transcender les frontières entre les genres musicaux en jouant avec
quelqu’un de complètement différent, être virtuose mais sans faire appel à la technique
classique, laisser sa musique en téléchargement libre sont des actes de désobéissance vis-à-vis
de l’organisation de l’art aujourd’hui. La free music force le questionnement : à quoi cela sertil de composer ? Le jazz a-t’il fait l’objet d’une récupération ? La tradition orale peut-elle
avoir un rôle dans l’enseignement de la musique? Le disque doit-il être le mode d’écoute de
référence, et plus la scène ? Le fonctionnement des ensembles de musique contemporaine, des
groupes de jazz, des compagnies de théâtre, des orchestres, est-il en phase avec notre temps ?
À toutes ces questions, la musique libre apporte un fragment de réponse.
25
Bibliographie
• Derek Bailey
L’improvisation, sa nature et sa pratique
ed. Outre-Mesure
Ce livre fait figure de référence, notamment de par la stature de son auteur. Derek
Bailey se base en grandes parties sur des entretiens qu’il a organisé pour la radio, et se
veut exhaustif (il parle donc d’improvisation baroque, de flamenco, de musique de
l’Inde autant que de la musique qui l’a rendu célèbre). Les deux limites de cet ouvrage
sont le manque de maturité de son auteur pour certaines musiques qu’il connaît peu, et
l’aspect parfois anecdotique des témoignages ; il n’en reste pas moins incontournable.
• Pierre-Albert Castanet Tout est bruit pour qui a peur, Pour une histoire sociale du son sale
ed. Michel de Maule
C’est un très bel ouvrage qui fait référence à beaucoup de musiques à la fois, et en
mélangeant volontiers les exemples selon les nécessités du discours, de sorte qu’il est
difficile à utiliser lorsque l’on cherche à se renseigner.
• Alain Savouret La place de l’invention immédiate dans les musiques d’aujourd’hui
in Musique du 20e siècle, conférences et séminaires 1996-1998 Université de Paris-Sorbonne
Il s’agit de la transcription d’une conférence, forcément insuffisante, mais qui a le
mérite de donner un point de vue extrêmement large, pertinent et précis en quelques
pages sur l’improvisation libre et la pédagogie.
• Vinko Globokar
Réflexions sur l’improvisation : le point de vue d’un praticien
in Analyse Musicale n°14
Le point de vue très pertinent d’un pionnier de l’improvisation libre sur sa pratique
personnelle.
• Patrick Scheyder, Musique contemporaine : le droit à l’improvisation
in Analyse Musicale n°18
Un article absurde qui s’insurge contre le fait que les compositeurs n’improvisent pas.
• Lê Quan Ninh L'improvisation : une pratique libertaire
In Infos & Analyses Libertaires n° 43 - novembre 1997 et sur http://www.lequanninh.net
L’un des quelques articles de Lê Quan Ninh, ici sur l’aspect intrinsèquement politique
de la musique.
• Denis Levaillant
Improvisation musicale : essai sur la puissance du jeu
ed. Salabert
Un livre qui propose des pistes de réflexions sur l’improvisation sans s’appuyer (ou si
peu) sur les improvisateurs eux-mêmes ; les entretiens qui le composent ont souvent
lieu avec des compositeurs qui ne connaissent pas vraiment le monde de
l’improvisation mais ont malgré tout des points de vue sur ce qu’il faut faire.
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• Michel Ratté
L'Expressivité de l'oubli, essai sur le sentiment et la forme dans la
musique de la modernité
Un livre de philosophie qui a l’ambition de créer une « nouvelle herméneutique de la
musique », mais parle bien peu de musique, de sorte qu’on pourrait l’appliquer à
n’importe quel style ou parti-pris musical.
• Michel Ratté
Réinterpréter l’improvisation musicale, l’improvisation comme forme
in Musicworks ; N° 66, 1996
• Wolfgang König Vinko Globokar, Komposition und Improvisation ed. Breitkopf & Härtel
Un ouvrage d’histoire.
• Jacques Aboucaya et Jean-Pierre Peyrebelle
Du Be-Bop au Free Jazz
Presses universitaires du Mirail
Un ouvrage assez complet, qui met intelligemment en parallèle aspect social et aspect
musical.
• Max Vandervorst
Lutherie Sauvage
ed. Alternatives 1997
Un manuel de construction « d’instruments sauvages », sans ambition esthétique voire
musicale.
• Le canard
Revue publiée par l’association Emil 13
L’une des rares revues qui concerne quasiment exclusivement l’improvisation libre.
• European Free Improvisation
Le site de référence.
http://www.efi.group.shef.ac.uk/
27
Sommaire
Avant-propos
Introduction
I/ Un mouvement multiforme
A/ Historique
• Le contexte musical
• Le contexte social
• La naissance du mouvement
B/ Les différentes problématiques
• Free jazz
• Musique contemporaine improvisée
• Arts plastiques, musiques populaires et traditionnelles
II/ L’improvisation et l’art
A/ Transgression de la notion d’œuvre d’art
B/ Transgression de la notion d’histoire
C/ Transgression de la notion d’auteur
III/ La free music
A/ Le dépassement des capacités de l’écriture
• La découverte de l’innotable
• Lutherie expérimentale
• L’incontrôle
B/ Langage de la Free Music
• D’un point de vue étique
• D’un point de vue émique
C/ L’improvisation libre en tant que mouvement artistique
• Structuration du mouvement
• Identité du mouvement
Conclusion
Bibliographie