Ultrasons, anges ou démons pour le traitement des lombalgies ?
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Ultrasons, anges ou démons pour le traitement des lombalgies ?
Kinesither Rev 2014;14(156):28–31 Pratique / Tuons les mythes Ultrasons, anges ou démons pour le traitement des lombalgies ? Ultrasound, angels or devils for the treatment of low back pain? Bernard Joly CSMK, 22, rue des Jonquilles, 68000 Colmar, France RÉSUMÉ Pour un auteur français, en raison de risques majeurs, les ultrasons ne devraient pas être utilisés dans le traitement des rachialgies. Nous avons étudié les 2 références citées par l'auteur pour justifier sa position. Une référence concerne un travail clinique limité à 2 cas et l'autre un travail de recherche in vitro. Nous avons trouvé un travail clinique de 73 cas qui s'oppose à la référence citée et un travail in vivo qui apporte des éléments complémentaires au travail de recherche cité. Après avoir analysé ces différents travaux nous n'avons pas retrouvé d'arguments suffisants pour justifier des contre-indications sévères à l'application des ultrasons (US) lors du traitement des lombalgies en particulier et des rachialgies en général. Niveau de preuve. – Niveau IV. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés Contre-indications Effets thermiques Lombalgie Ultrasons Keywords Contra-indications Thermal effects Low back pain Ultrasound SUMMARY For a French author, because of main risks, the ultrasound should not be used in the treatment of the pain column. We studied the 2 references quoted by the author to justify this position. A reference relates to a clinical work limited to 2 cases and the other an in vitro research. We found a clinical work of 73 cases, which is opposed to the quoted reference, and a work in vivo, which brings elements complementary to the research quoted. After having analyzed the various works we did not find sufficient arguments to justify severe contra-indications with the application of ultrasound during the treatment of the low back pain in particular and the pain column in general. Level of evidence. – Level IV. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. INTRODUCTION En 1998, la conférence de consensus sur la prise en charge kinésithérapique du lombalgique [1] considérait dans ses recommandations « que l'utilisation des ultrasons (US), en respectant les contre-indications habituelles et les règles d'application, ne présentait pas de risque formellement documenté ». Pourtant en 2005 [2], un auteur français se référant à un article datant de 2000 [3] considérait que « vu les contre-indications sévères des US et les risques majeurs qui en résultent l'application des US est contre-indiquée sur la tête et le tronc ». En ce qui concerne la tête, il n'apparaît pas dans son article d'éléments à charge et encore moins de références. D'autre part, il rajoute « par ailleurs et de surcroît, concernant les rachialgies, vu les aggravations qu'ils peuvent entraîner, vu les risques organiques sur le thorax et l'abdomen, vu l'absence d'expérimentation mettant clairement en évidence leur efficacité dans le traitement des lombalgies, des dorsalgies ou des cervicalgies nous estimons que les US ne doivent pas être utilisés dans le traitement des rachialgies » [2]. Les US seraient-ils vraiment démoniaques pour le traitement de la lombalgie ? Il nous Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2014.09.034 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 28 Kinesither Rev 2014;14(156):28–31 a semblé important d'étudier les références citées par l'auteur pour justifier sa position qui est restée identique au cours de différents articles successifs [4–6]. Ses références sont limitées, en fait, à 2 articles [7,8] relativement anciens. Nous leur opposons 2 articles aux conclusions différentes. ARTICLE DE GNATZ SM [7] CITÉ EN RÉFÉRENCE Dans le résumé, il écrit : « Les US thérapeutiques sont généralement considérés sans danger et constituent une technique efficace dans un nombre de conditions à l'origine de lombalgies sauf s'il n'existe pas de contre-indications. Toutefois, 2 cas sont rapportés de patients avec hernies discales où l'application d'US sur la région para spinale lombaire a provoqué une augmentation de la douleur radiculaire. En dépit de sa nature passagère cette réaction défavorable peut représenter une relative contre-indication à l'utilisation des US chez des patients avec hernies discales ». L'article rapporte donc l'histoire de 2 patientes. La première, « âgée de 37 ans présentait des lombalgies depuis un mois, semble-t-il, sur un terrain d'obésité légère (sans précisions) avec réduction de la force des muscles (sans précisions) dépendants de la racine S1. Une IRM révélait une protrusion discale entre L5 et S1. L'intervention chirurgicale était récusée suite à des problèmes osseux et une infection des tissus mous au niveau du pied ». La prescription médicale de rééducation comportait : compresses chaudes, ultrasons et massage doux, sans exercices. Le traitement a consisté en application d'US sur une surface de 8 cm 15 cm au niveau de la région paraspinale lombaire gauche. Puissance utilisée 1,5 W/cm2 en mouvements circulaires. Après approximativement 3 minutes de traitement, la patiente s'est plainte d'une augmentation de la douleur au niveau de la jambe et du pied gauche. Le traitement a été arrêté et le médecin appelé. À l'arrivée du médecin la patiente a renouvelé sa plainte d'une douleur plus intense qu'avant le traitement par US mais a reconnu que la douleur commençait à diminuer. Le traitement par US a été arrêté définitivement et une initiation aux exercices a débuté. La deuxième patiente, « âgée de 36 ans souffrait de lombalgies depuis 7 ans et présentait une lombalgie chronique et des douleurs depuis la hanche jusqu'au pied. Elle ne reconnaissait pas de faiblesse au membre inférieur. À l'examen, c'est le dermatome L5 qui semblait concerné. À l'EMG, des signes neurologiques étaient notés avec une activité motrice spontanée, des potentiels polyphasiques et un recrutement diminué. IRM et scanner montraient une hernie postéro-latérale du disque L5. Enfin une myélographie confirmait une irritation de la dure-mère au niveau de la hernie. La patiente avait refusé une laminectomie ». La prescription médicale comportait : chaleur superficielle et profonde, TENS et massage. Les US étaient appliqués selon le même protocole que pour le cas précédent sauf que la puissance utilisée était fixée à 1,75 W/cm2. Après quelques minutes de traitement la patiente s'est plainte d'une augmentation de la douleur dans le dermatome L5. De même que pour le cas précédent, les symptômes se sont résorbés à l'arrêt du traitement. Pratique / Tuons les mythes ARTICLE EN RELATIVE OPPOSITION À GNATZ SM [7] En 1983, soit 6 ans plus tôt, Nwuga [9] avait conclu que la thérapie par US était significativement effective dans le traitement de la lombalgie après hernie discale lombaire. Son travail avait porté sur 73 patients divisés en 3 groupes : traitement par US, placebo et contrôle. L'appréciation des effets significatifs des US concernait l'amplitude de flexion-extension de la colonne lombaire, le signe de Lasègue et la douleur. Chaque sujet du groupe US recevait 100 de traitement avec un dosage des US compris entre 1 et 2 W/cm2 selon la tolérance du patient. ARTICLE DE SOLASSOL ET AL. [8] CITÉ EN RÉFÉRENCE Les expérimentations étaient effectuées sur des pièces anatomiques prélevées sur des rachis adultes. Fréquence de 3 MHz en continu (permanent), puissance de 0,45 W/cm2. Mais aucune information sur le mode de déplacement de la tête : dynamique ou statique ? La tête émettrice était de 24 mm. Les auteurs émettent les remarques suivantes : « Lorsque le faisceau est centré sur le ligament inter-épineux il existe une progression préférentielle de la thermogenèse. Après 20 3000 d'application, il y a échauffement des structures du canal rachidien, mais pas d'échauffement significatif des corps vertébraux ou des disques intervertébraux. Cet échauffement atteindrait +3 à +4 8C au bout de 100 . Lorsque le faisceau est centré sur l'apophyse épineuse, la progression du champ thermique est limitée et n'atteint pas le canal médullaire. Si, lors du traitement la sonde est inclinée de 308 alors l'apophyse épineuse est évitée, mais les lames et les massifs articulaires postérieurs sont atteints au bout de 100 par le front thermique. Le canal rachidien ne subit, quant à lui, aucun échauffement significatif ». Même dans ses articles plus récents [4–6] l'auteur français semble ignorer le travail de Morisette et al. [10], qui ont recherché, in vivo, les effets thermiques des US sur les tissus périarticulaires au niveau lombaire. TRAVAIL DE MORISETTE ET AL. [10] Sur 6 hommes volontaires en bonne santé (moyenne d'âge de 25,8 ans) ils ont mesuré la température en degrés Celsius (par l'intermédiaire d'un thermo-couple) au niveau des facettes articulaires postérieures de L4-L5. Fréquence utilisée 1 MHz en permanent (continu) avec 2 puissances différentes de 1,5 et 2 W/cm2. Application effectuée en mode dynamique avec l'aide d'un métronome (pour le rythme des mouvements céphalo-caudal) sur une surface de 10 5 cm. La tête émettrice avait une surface de radiation effective de 8 cm2 et un BNR de 6:1. Ils ont constaté pendant les 3 premières minutes une augmentation de température de 36,2 8C à 37 8C qui est identique avec 1,5 et 2 W/cm2. Puis la température augmente progressivement pendant les 7 minutes restantes jusqu'à 38,18C avec 1,5 W/cm2 et 39,3 8C avec 2 W/cm2. En conclusion de ce travail, Morisette et al. [10] remarquent qu'à la 29 B. Joly Pratique / Tuons les mythes fréquence de 1 MHz en mode permanent et dynamique, il se produit une élévation thermique des facettes articulaires en 100 . Il y a une différence significative entre les 2 puissances utilisées. Toutefois une puissance supérieure à 1,5 W/cm2 n'apporte pas d'effet supérieur sur le plan thermique pendant les 3 premières minutes d'application. DISCUSSIONS Dans l'article de Gnatz [7], nous ne retrouvons aucune mention sur la fréquence ainsi que sur le mode permanent ou pulsé. Des effets algiques aussi rapides (30 pour le premier cas) peuvent laisser supposer un mode permanent et donc des effets thermiques. Dans les 2 cas, la douleur a été réversible à l'arrêt du traitement. Donc, sans dommages pour les patientes. Il semble s'agir plus de sciatalgies que de lombalgies. Le fait d'aggraver la douleur confirme que lors des applications il y avait bien des effets sur les racines S1 pour le premier cas et L5 pour le second. Cette aggravation semble être la conséquence des effets thermiques qui pour ces deux cas étaient manifestement contre-indiqués. Nous nous interrogeons sur l'opportunité de rechercher une chaleur profonde alors qu'il existe une irritation de la dure-mère. Il apparaît, donc, à l'analyse de cet article qu'il s'agit plus d'une erreur de prescription qui sous-estime les effets thermiques liés à la puissance utilisée. Cette constatation est flagrante pour le deuxième cas. Nous nous interrogeons également sur le fait qu'une contreindication relative pour 2 cas [7] devienne bizarrement une contre-indication absolue [2]. Cette interrogation est d'autant plus forte que dans le chapitre discussion de son article, Gnatz [7] signale qu'aucun patient du groupe traité par US dans l'étude de Nwuga [9] n'avait présenté d'aggravation de la douleur. En ce qui concerne l'article de Nwuga [9] nous regrettons également l'absence d'informations sur la fréquence ainsi que sur le mode d'application, permanent ou pulsé. L'auteur reconnaissait, toutefois, que les patients avaient été recrutés selon certains critères (non précisés) pour un maximum d'homogénéité et que le groupe témoin n'avait reçu aucun traitement physique autre que repos au lit et analgésiques. Les résultats des différents tests étaient statistiquement significatifs par rapport aux groupes placebo et contrôle. EN CE QUI CONCERNE LE TRAVAIL DE SOLASSOL ET AL. [8] Ce travail expérimental sur pièces anatomiques avait eu le mérite d'attirer l'attention sur les effets thermiques des US au niveau des vertèbres lombaires notamment au niveau du ligament inter-épineux par lequel il est possible de provoquer l'échauffement des structures du canal rachidien. Il aurait été intéressant de connaître avec précision l'évolution minute par minute des différents échauffements. Mais les auteurs ont reconnu que cet échauffement peut être minimisé par les transferts convectifs sanguins. Ils avaient émis l'hypothèse qu'il pouvait y avoir une relation entre l'augmentation des symptômes radiculaires constatés par Gnatz [7] et leurs constatations expérimentales. Malgré nos recherches nous n'avons pas retrouvé de travaux qui ont confirmé cette hypothèse. Il ne peut pas, toutefois, constituer un argument décisif 30 pour contre-indiquer formellement l'utilisation des US dans les rachialgies car ses paramètres sont trop restreints : une seule fréquence (3 MHz), une seule puissance (0,45 W/cm2), un seul mode (permanent) et une inconnue majeure demeure : le type d'application. En revanche, il est intéressant de prendre en compte les constats de Solassol et al. [8] et ceux de Morisette et al. [10] qui concernent les facettes articulaires postérieures qui présentent une élévation thermique dépendante de différents paramètres : avec 3 MHz le temps d'application nécessaire semble être de 100 avec une puissance de 0,45 W/cm2. Mais la température atteinte n'est pas précisée ; avec 1 MHz en 30 la température augmente de 0,8 8C avec 1,5 ou 2 W/cm2. En 50 l'augmentation de la température est pratiquement identique +1,2 8C et +1,5 8C respectivement. Mais pour les 50 suivantes, il y a une différence de +1,2 8C en faveur de 2 W/cm2. CONCLUSION Dans l'étude des références citées par l'auteur français, il n'y a pas d'éléments suffisants qui justifient que leur application soit contre-indiquée sur la tête et le tronc et qu'ils ne soient pas utilisés dans le traitement des rachialgies. Il n'est pas acceptable qu'une contre-indication relative devienne un argument pour une contreindication absolue. Nous l'affirmons d'autant plus fortement que les 2 cas présentés ne peuvent prétendre représenter l'ensemble des lombalgies traitées par les masseurskinésithérapeutes. Surtout que les paramètres utilisés sont à la fois incomplets et inadaptés aux cas précités. Joud [11] rappelle que les US permanents thermiques sont contre-indiqués sur les foyers inflammatoires. Ce qui pourrait parfaitement s'appliquer aux 2 cas de Gnatz [7]. Nous aurions préféré que cet auteur français se contente d'attirer l'attention de ses confrères sur une zone restreinte à risque (le ligament inter-épineux) sans pour autant rendre les US démoniaques pour les rachialgies. Mais, s'ils ne sont pas démoniaques, les US sont-ils pour autant des anges pour les lombalgies ? À suivre. . . Déclaration d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] AFREK. Prise en charge kinésithérapique du lombalgique. Conférence de consensus (1998). Ann Kinesither 1999;26(1):12–27. [2] Crépon F. Ultrasons. 2. Indications et contre-indications (2e partie). Kinesither Sci 2005;456:55–7. Kinesither Rev 2014;14(156):28–31 [3] Crépon F. Physiothérapie du lombalgique : agents physiques antalgiques. In: AFREK. Prise en charge kinésithérapique du lombalgique. Conférence de consensus (1998). Paris: SPEK; 2000;135–41. [4] Crépon F, Darlas Y. Electrothérapie. 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