Avant la représentation

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Avant la représentation
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
05/03/12
―SOMMAIRE―
Première partie : avant la représentation
Présentation
…
Deuxième partie après la représentation
Activité
Activité 2
…
Annexes
…
Le texte de ____________ de ________________ est disponible aux éditions ____________.
Pièces à vivre : une série de dossiers pédagogiques conçus en partenariat par la Délégation Académique à
l’Action Culturelle de l’Académie de Caen et les structures théâtrales de l’académie à l’occasion de spectacles
accueillis ou créés en Région Basse-Normandie.
Le théâtre est vivant, il est crée, produit, accueilli souvent bien près des établissements scolaires ; les dossiers
des « Pièces à vivre », construits par des enseignants en collaboration étroite avec l’équipe de création, visent à
fournir aux professeurs des ressources pour exploiter au mieux en classe un spectacle vu. Divisés en deux parties,
destinées l’une à préparer le spectacle en amont, l’autre à analyser la représentation, ils proposent un ensemble de
pistes que les enseignants peuvent utiliser intégralement ou partiellement.
Retrouvez ce dossier, ainsi que d’autres de la même collection et des ressources pour l’enseignement du
théâtre sur le site de la Délégation Académique à l’action Culturelle de l’Académie de Caen :
http://www.discip.ac-caen.fr/aca/
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
05/03/12
―SOMMAIRE―
Première partie : avant la représentation
Crédits
De Questo buio feroce à Dopo la battaglia : présentation du spectacle
I. Après la bataille : la question du thème, le titre
La note d’intention
II-Le travail de la compagnie, parcours de Pippo Delbono
Un travail collectif pour un ensemble singulier
III-Une esthétique singulière : la description du spectacle sur le site du CDN de Caen
La réaction de la presse italienne
Une esthétique singulière : totale, postdramatique, corporelle…
IV-Matériaux du spectacle : les textes
Les photos du spectacle
Bilan et grille de lecture pour une analyse critique
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Pièces à vivre : une série de dossiers pédagogiques conçus en partenariat par la Délégation Académique à l’Action
Culturelle de l’Académie de Caen et les structures théâtrales de l’académie à l’occasion de spectacles accueillis ou créés en
Région Basse-Normandie.
Le théâtre est vivant, il est crée, produit, accueilli souvent bien près des établissements scolaires ; les dossiers Pièces à
vivre, construits par des enseignants en collaboration étroite avec l’équipe de création, visent à fournir aux professeurs des
ressources pour exploiter au mieux en classe un spectacle vu. Divisés en deux parties, destinées l’une à préparer le spectacle en
amont, l’autre à analyser la représentation, ils proposent un ensemble de pistes que les enseignants peuvent utiliser
intégralement ou partiellement.
Retrouvez ce dossier, ainsi que d’autres de la même collection et des ressources pour l’enseignement du théâtre sur le
site de la Délégation Académique à l’action Culturelle de l’Académie de Caen :
http://www.discip.ac-caen.fr/aca/
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Dopo la battaglia
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Dopo la battaglia
(Après la bataille)
conception et mise en scène Pippo Delbono
textes de Dante Alighieri, Walt Whitman, Franz Kafka, Pier Paolo Pasolini…
avec
Dolly Albertin
Gianlucà Ballarè
Bobò
Pippo Delbono
Lucia della Ferrera
Ilaria Distante
Simone Goggiano
Mario Intruglio
Nelson Lariccia
Mariga Maggipinto
Julia Morawietz
Gianni Parenti
Pepe Robledo
Grazia Spinella
et la participation exceptionnelle d’Alexander Balanescu
et de Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile à l’Opéra de Paris, pour les cinq premières
représentations
Musiques originales Alexander Balanescu
Lumières Robert John Resteghini
Scénographie Claude Santerre
Costumes Antonella Cannarozzi
Son Angelo Colonna
Lumières et vidéo Orlando Bolognesi
Régisseur général Gianlucà Bolla
Régisseur Mattia Manna
Habilleuse Elena Giampaoli
Responsable production Alessandra Vinanti
Organisation Christian Leblanc
Production Emilia Romagna teatro Fondazione
Coproduction Théâtre du Rond-Point / Le Rond-Point des tournées, Teatro di Roma,
Théâtre de la Place - Liège, Théâtre National de Bretagne
Remerciements Teatro Pubblico Pugliese et la Cinémathèque Suisse
Remerciements à Brigitte Lefèvre, directrice de la Danse de l’Opéra national de Paris
Durée 2h
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De Questo buoi feroce à Dopo la battaglia
Pour son nouveau spectacle, Pippo Delbono retrouve la réflexion sur le deuil lancée il y a plus de 10 ans par Questo
buio feroce. Aussi, une question lancée par Enrico V et qui a été prélevée dans le texte de Shakespeare pour être
répétée deux fois dans la pièce, seulement séparées par un long silence soulignant la présence pesante de morts :
« qu’est-ce que cela signifie de gagner une bataille ? », question alors peut-être moins géopolitique qu’existentielle.
Or, dans ce spectacle initialement conçu pour une commande de L’Opéra Théâtre Bellini de Catania pour célébrer
Verdi et les 150 ans de l’unité Italienne (et refusé à la raison officielle qu’il n’est pas un ballet…), Pippo Delbono,
frappé par les événements géopolitiques internationaux de l’année 2011 (Printemps arabes, Tsunami et catastrophe
de Fukushima…), semble redonner une dimension sociale, collective à cette réflexion. Toujours placé sous le signe
d’un montage hétéroclite et libérateur par son sens du téléscopage, du collage, le spectacle fait se rencontrer réflexion
sur l’unité italienne, problématique politique des subventions culturelles, évocation de l’univers asilaire et célébration
d’un membre fondamental de la compagnie – Bobo.
La compagnie de Pippo Delbono s’augmente pour ce spectacle de personnalités de renom – la danseuse étoile MarieAgnès Gillot et le violoniste Alexander Bălănescu autorisant des scènes morceaux de bravoure, ainsi lorsque Bobo se
fait maître de danse tandis que la danseuse étoile M-A Gilot travaille à la barre. Encore une fois, avec ce spectacle, la
compagnie de Pippo Delbono ne propose pas une leçon mais une danse, qui se montre et agit puissamment sur le
spectateur, avec cette foi qu’a l’auteur en le fait que si un spectacle ne peut changer le monde il peut créer de
minuscules effets qui s’enchaînent.
Pour nos élèves, se confronter au travail de Pippo Delbono, à un spectacle postdramatique, peut être un
véritable choc, auquel il faut les préparer. Ce dossier se propose d’en donner quelques moyens. Tenant compte du
temps limité réel dont un groupe dispose pour préparer la rencontre avec une œuvre, nous vous proposons un
exemple de parcours s’appuyant sur les données de ce dossier réalisable dans un temps raisonnable :
1er temps : constitution de connaissances préalables relatives à l’univers de la compagnie Pippo Delbono et à
la pièce. On s’appuie alors sur quelques éléments d’information sur l’univers de Pippo Delbono et de la pièce pour
formuler la problématique : « en quoi est-ce encore du théâtre ? »- qui amènera les élèves à un questionnement
critique soit sur leur représentation du théâtre, soit sur le spectacle (postdramatique) auquel ils auront assisté.
2e temps : formulation d’hypothèses de jeu par la pratique. A l’issue de ce premier temps, on pourra faire des
propositions de jeu : soit simple mise en voix des textes matériaux, soit tentative de constitution de tableaux/ou de
mime s’appuyant sur eux (avec souffleur, ou voix off, ou coryphée, ou chauffeur de salle, ou aède…). On donnera
comme contrainte –aux acteurs et au public- d’être attentif dans à un nombre limité d’éléments du jeu (le rythme du
jeu (continu ou variable, « naturel », soutenu, lent ?), le jeu de la voix (hauteur, intensité…), le rapport à l’espace, le
rapport aux autres acteurs, au registre…) et de consigner les propositions fortes. Les élèves acteurs pourront tenter
de justifier leur choix de jeu et le choix de leur support (quelle photo, quel texte, pourquoi les avoir rapprochés…)
3e temps : constitution d’un bilan de cette approche théorique et pratique sous forme de questionnaire pour
l’abord du spectacle : ce à quoi je dois être attentif, ce que j’ai formulé comme hypothèses : sur le style, le rythme, le
rapport à l’espace… Et une confrontation avec elles. On peut envisager que les élèves restituent leur avis sous forme
de critique de presse, à la manière de… en s’appuyant sur le dossier de presse…
Il s’agit de donner aux élèves les moyens de comprendre, autant que d’être surpris – ce qui suppose de créer
des attentes, susciter du désir. Il s'agit de présenter aux élèves des éléments extérieurs au spectacle afin de solliciter
leur imagination. A quel genre de pièce et à quel type de spectacle s'attendent-ils ? Comment se construit, à partir de
ces éléments, une idée à priori de ce à quoi l'on assistera ?
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I Après la bataille, la question du thème : le titre
L’étude du titre de la pièce s’appuiera sur les représentations, associations qu’ont les élèves de ce qu’est une bataille
et de la place que la « guerre » -laquelle ?- peut avoir au théâtre. On leur fera réfléchir à la synonymie du terme, en
travaillant les écarts de sens que le mot propose en langue en français avec ses parasynonymes (en précisant que
l’italien montre des valences très proches).
1/ Examen du titre :
après : préposition problématisant le statut temporel du moment, de l’époque où se situerait le spectacle : postériorité
non définie en soi, mais relativement à une période précédente et posant difficulté d’identification. Période
subséquente, sans identité propre, sans densité, où la bataille semble préexister sous forme de difficulté à résoudre –
qu’y a-t-il après la bataille ? Temps de transition (vers quoi ? d’autres batailles ? le deuil ? la paix ? l’oubli ? la
commémoration… pour liquider quels vestiges, fantômes…)
la : article défini qui tire le mot « bataille » vers un sens générique ou une connotation de notoriété – évidence : après
toute bataille, ou une bataille intime,
bataille : sens collectif d’affrontement entre deux armées, épisode d’une guerre, pour prendre le sens, par extension,
de toute lutte entre deux ou plusieurs individus.
2/ Qu’évoque pour vous la bataille ? Qu’y a-t-il après une bataille ?
Les évocations guerrières ou intimes pourront être retenues.
Le titre gardera cependant tout son mystère, sa force poétique, créant un temps espace solennelle, retenu, vertigineux
par sa dimension indéfinie.
3/ Bataille et ses parasynonymes pour approfondir :
Combat lutte dispute querelle bagarre affaire guerre rixe échauffourée choc affrontement duel mêlée conflit rivalité.
4/ Bataille et théâtre :
Il s’agit d’aborder la question de la représentation de la guerre, du lien de la guerre et du théâtre. Le problème de sa
représentation de ses enjeux poétiques, dramatiques, esthétiques, philosophiques…
La guerre – à ne pas confondre, certes, avec la bataille !- est – historiquement- un enjeu du théâtre (les coulisses des
épopées homériques fondent nombre de cycle des grands tragiques grecs) en même temps qu’un problème de
plateau. Dans l’histoire de la dramaturgie mondiale, la guerre, la bataille offre une limite majeure à la représentation :
on en expose les prémisses (Iphigénie à Aulis d’Euripide, La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux), les
annexes (Philoctète de Sophocle) ou les conséquences néfastes ou heureuses (la lamentation des Perses d’Eschyle
ou Saül le furieux de Jean de La Taille, la division des vainqueurs avec Ajax de Sophocle ou le triomphe du
combattant pour le Cid de Corneille). Elle est le plus souvent annoncée, racontée, décrite. Quand on a pu tenter de la
rendre sur scène, c’est sur le principe de la stylisation (Les Paravents de Genet) ou en essayant d’en saisir un
fragment, un morceau sublime ou terrible (Richard III de Shakespeare ou Incendies de Mouawad). La bataille pose
problème et intéresse.
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Le problème de la représentation de la guerre, nous l’avons évoqué, n’est pas nouveau pour Pippo Delbono : guerres
du monde entier pour Guerra, shakespearienne pour Enrico V,… « Dans un spectacle sur la guerre on ne peut pas se
contenter d’une « petite guerre », c’est-à-dire d’une transposition intellectuelle. Il faut aussi éprouver les marasmes de
la guerre, éprouver la violence, la gêne, le sentiment d’oppression qu’elle suscite » Pippo Delbono, Mon théâtre, Arles,
Actes Sud, coll. « Le Temps du théâtre », 2004, p.159.
On peut proposer un groupement diachronique offrant une réflexion sur les suites et conséquences de la bataille, son
caractère dramatique : après la guerre, la bataille court toujours…
Plus largement, on pourra proposer, en accord avec la problématique temporelle posée par la construction du titre (ce
flou du temps suspendu), un groupement marqué par un suspens « a-dramatique » à la temporalité problématique :
dans la lamentation (Les Perses d’Eschyle, Saul Le Furieux de Jean de La Taille) l’attente (En attendant Godot de
Beckett), ou la dilatation de la préparation à la guerre (Dans la solitude des champs de coton, cet « avant la bataille »
de Koltès). On lance leur étude par une réflexion sur la dimension métaphysique du titre de certaines d’entre elles,
pour observer leur rapport à la question de la temporalité : marquées par les procédés du figement, de la dilatation, du
suspens, de la redondance, du ressassement…
On lira avec profit sur le net l’article d’Anne Larue « La guerre sans qualités. Eschyle, Shakespeare, Genet »,
L'information littéraire 3/2001 (Vol. 53), p. 9-15. URL : www.cairn.info/revue-l-information-litteraire-2001-3-page-9.htm.
L’académie de Grenoble propose un dossier pertinent sur le théâtre et la guerre, par le passé au programme d’option
lourde de théâtre : http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/lettres/file/theatre_guerre.pdf
Activité : l’imaginaire théâtral de la bataille – Jouer la bataille :
On demande aux élèves de constituer des tableaux vivants ou des mimes ou des improvisations sur le thème
« après la bataille ». En troisième les élèves ont été sensibilisés à la littérature engagée (poésie, romans, lettres…)
qui pourront servir pour créer des ambiances, donner des matériaux.
Si possible, on leur demande en amont une recherche documentaire sur des batailles – guerre, lutte sociale… leur
demandant de collecter des chansons, des photographies, des anecdotes. L’actualité forte (Printemps arabes, …)
leur fournira de quoi s’appuyer et réagir.
On propose de varier les angles de réflexion : conséquences politiques, sociales, familiales… de l’après-bataille de
tous côtés (vainqueur, vaincu…).
On peut leur demander de construire scéniquement un espace post-bataille avec un certain nombre de camarades,
d’objets du quotidien en travaillant la disposition pour un tableau.
On propose sinon des mimes en leur demandant de travailler l’expression du visage, le rythme pour traduire cet
« après la bataille ».
On peut demander des improvisations brèves autour de scènes élémentaires : panser les blessés, les blessures,
honorer les disparus, célébrer les victoires, tenter la réconciliation, préparer la prochaine bataille.
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La note d’intention
Chacun de mes spectacles est une étape qui fait partie d’un voyage personnel, d’un voyage dans le temps qui est le
nôtre. Une époque troublée, une époque de contrastes, de violence, de liberté difficile à conquérir, mais aussi de
grandes révoltes, une époque en flammes.
Parfois, il me plaît de penser que nous sommes, déjà, dans un autre temps, imaginant l’autre temps, derrière nous.
Mais, parfois, je me trouve enfermé dans une cage, asphyxié, d’où il ne semble y avoir aucune issue.
Pour ce spectacle j’ai pensé à un lieu vide, comme cette pièce vide, mémoire des horreurs passées, qui, cependant,
porte encore les signes, les couleurs, les odeurs des prisons. Mais, j’ai aussi pensé à l’esprit vide, après le cri de la
passion, de l’amour, de la rage, de la douleur. Un besoin de lucidité après la folie.
Pippo Delbono, Mai 2011
Citation du spectacle accompagnant cette note d’intention dans le dossier de presse proposé par le théâtre du Rond-Point : Il y a
une grande chorégraphe allemande, Pina Bausch, disparue il y a peu de temps qui racontait une fois où elle a rencontré un
groupe de gitans qui l’a invitée à danser avec eux et qu’elle a eu peur de ne pas être capable de danser comme eux. Et une des
gitanes, s’est approchée et lui a dit : « Pina, danse, danse, sinon nous sommes perdus ».
1/ Quels sont les termes et expressions qui renvoient à la question du temps ? Quels sont les deux temps que
Pippo Delbono évoque ? Qu’est-ce qui les caractérise et les oppose ? Dans quel(s) temps se situe le
spectacle ?
Le premier paragraphe évoque notre époque comme époque de tensions sociopolitiques.
Le second glisse vers un autre temps présenté allégoriquement par un espace – une pièce vide qui serait cet après la
bataille ambivalent : espace d’enfermement dans une mémoire marquée de cette époque de bataille qu’est la nôtre et
en même temps espace de « lucidité », de vide mental après la tension.
Le spectacle semble promettre se situer dans un entrelacs de ces temporalités, de tension et de détente vide,
ambigüe.
2/ Quelles hypothèses peut-on établir à partir de ces quelques lignes quant à la scénographie, quant au jeu ?
L’espace comme pièce vide, marqué par une forme d’espace carcéral. Un jeu marqué par une forme de tension, plein
d’énergie et de calme.
3/ Quelles thématiques se dégagent de ces lignes ?
Le spectacle semble travaillé de contradictions dramatiques et fertiles : voyage/prison ; liberté/enfermement ;
cri/lucidité… Entre aliénation et révolte
Synthèse : La note d’intention permet de cerner cette articulation de l’intime et de l’universel, de la vie et de l’art, ici
dans la question de la danse et de la mort. Outre les topoï des gitans et de la danse, on fera remarquer l’articulation
entre événement singulier, biographique et drame humain sous le jour de la mort : la mort arrache l’anecdote à la
contingence temporelle pour l’élever au mythe- voir Pasolini. Et puis la formulation qui renvoie l’anecdote au conte,
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archaïque (il était, une fois, la danse, le mystère, l’inquiétude de ne pas être capable de faire aussi bien, le salut vient
par l’innocent qui a un don, ici Pina…).
Du texte au jeu et à la scénographie
Cette note d’intention offre une description précise et ouverte de l’espace scénique. Un travail de réflexion pourra
être proposé, voire un mini atelier maquette, pour les plus bricoleurs !
-On peut proposer une mise en voix dramatisée de cette note d’intention faisant ressortir les tensions, l’énergie,
les tonalités qui la travaillent.
-Comment les élèves comprennent-ils l’évocation d’ « Une époque troublée, une époque de contrastes, de
violence, de liberté difficile à conquérir, mais aussi de grandes révoltes, une époque en flammes » ? Quels
éléments scéniques ― objets, lumière, son, costumes ― en rendraient compte ?
Des discours, des vidéos, des chants, des anecdotes historiques tirées de l’actualité ou de l’environnement des
élèves pourront servir de support.
On peut leur demander à partir de ces éléments collectés des tableaux vivants permettant de mettre en scène
l’imaginaire des élèves, leur représentation de la révolte.
-Comment la cage de scène peut-elle devenir cage asphyxiante ? on propose de travailler à cette question qui
offre des possibilités de réflexions sur la scénographie ― à travers les matériaux (métal ?), les volumes (une
boîte dans la cage de scène ?), le quatrième mur (une surface plexiglas, un rideau, un voile de tulle…), les
couleurs (dégradé grisâtre), la perspective (un écrasement progressif de la cage au lointain) ― et le jeu avec des
improvisations, variations sur l’asphyxie, l’étroitesse, leur impact sur un rythme de jeu rapide, lent…
-Comment un lieu vide peut encore porter les « signes, les couleurs, les odeurs des prisons » ? Comment
suggérer les odeurs, au théâtre ? Les offrir physiquement, ou les travailler par des formes, des couleurs ? On
évoquera la question des traces, des restes, des vestiges, des résidus…
On demande aux élèves de créer des mises en espace suggérant des lieux profondément marqués par un
imaginaire olfactif : cuisine, champ, dépotoir…
-Comment jouer le cri de la passion qu’évoque Pippo ? Quels costumes se fondraient à un tel environnement ?
On proposera la première photo du spectacle donnée en annexe montrant Pippo Delbono sur scène : le jeu du
cri, le travail sur la lumière, la couleur permettront aux élèves de confronter leurs propositions avec ce jeu.
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II Le travail de la compagnie : parcours de Pippo
Delbono
Il s’agit de découvrir le parcours original de Pippo Delbono, où vie et œuvre se mêlent intimement. Cerner la
complexité de la figure de ce créateur protéiforme : auteur, metteur en scène, comédien en observant ce parcours.
Il s’agit aussi de préparer ainsi l’abord (1) d’une œuvre mêlant intimité passionnelle et biographique, engagement
politique, esthétisme recherché. ; (2) d’une œuvre mêlant les formes artistiques sur le mode du collage (esthétique
contemporaine liée à sa formation) et la suture intime (rôle de « liant » de la présence de Pippo).
Né en 1959 à Varazze en Italie, un petit village de Ligurie, Pippo Delbono est enfant de chœur et bon élève, ce qui lui
vaut les brimades de ses camarades. Le premier rôle qu’il jouera sera celui de l’enfant-Jésus. La mort de son père le
laisse blessé.
Les années lycée sont années rebelles. Il rencontre Vittorio, l’ami, l’amant des extrêmes et des fugues. Atteint du
sida, il meurt dans un accident de moto. Pippo Delbono quitte alors l’Italie.
Il apprend la technique du training au Danemark, à l’Odin Teatret d’Eugenio Barba, technique consistant à rechercher
l’énergie propre à chaque mouvement, mais dont la méthode le déroute d’abord – répéter trois minutes de gestuelle,
trois années durant… Il rencontre alors l’acteur argentin Pepe Robledo avec qui il fonde une compagnie.
En Allemagne, ils assistent au travail du TanzTheater de Pina Bausch qui l’incite rapidement à suivre sa propre voie,
de manière autonome – il crée alors le spectacle Il Tempo degli assassini.
Une tournée en orient lui fait se plonger dans le théâtre oriental, la gestuelle samouraï et la philosophie bouddhiste.
En 1989, il apprend sa séropositivité, année de la création de son nouveau spectacle, il Muro, spectacle plus positif,
malgré ce drame personnel et plus dansé que le précédent, mais éloigné de la danse traditionnelle vers une danse
des petits gestes, face à un corps affaibli. Une recherche intérieure des limites d’un nouveau corps, mais surtout de
ses potentialités artistiques, s’ouvre, préparant la voie du travail singulier de Pippo Delbono.
Travaillé par une pulsion de mort intense, autodestructrice, Pippo a connu une période de quasi clochardisation où il
avait besoin de rencontrer ceux qui entretiennent un rapport limite à la vie, à la mort. Dans cette errance, il a rencontré
des êtres chez lesquels il a tenté de trouver les virtualités artistiques, les ressources dont ils disposaient pour donner à
leur émotion une expression corporelle. Ce seront Nelson et Mr Puma, des clochards, Gianluca le trisomique, et
surtout Bobo, centre du spectacle Dopo la battaglia, plus nécessaire au spectacle encore que la danseuse étoile
Marie-Agnès Gillot selon l’auteur, microcéphale qui a passé près de 50 dans un hôpital psychiatrique. Un autre
rapport au corps s’instaure. Alors, le témoignage de l’expérience intime se fait révolte inscrite dans un travail collectif,
visant à redonner place dans l’espace social aux marginaux, parias, abandonnés (handicapés moteurs, mentaux,
clochards, malades, aliénés…)
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La bataille déjà intérieure, s’identifie comme collective : la souffrance intime est aussi liée à la manière dont la
société rejette, réprouve, occulte ces parias, et le travail artistique devient moyen de sublimer ces
pulsions
autodestructrices intérieures autant que de lutter contre le silence, l’ostracisation, la réprobation sociale en inventant
un moyen de communiquer, transmettre une force intérieure à cette même société.
Activité
On donne à lire ce parcours de Pippo Delbono aux élèves et leur proposer de relever les modèles, les maîtres, les
pratiques, les expériences marquantes et leurs relations à ses œuvres précédentes. Quels genres traditionnels sont
convoqués par ce parcours ?
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Un travail collectif pour un ensemble singulier
Nous avons déjà évoqué, dans la présentation de l’itinéraire de Pippo Delbono l’originalité de sa compagnie,
constituée d’acteurs aux parcours ― et aux corporéités ― rentrant peu dans les standards, voire les canons, de
l’actorat « classique ». On signale la présence exceptionnelle du violoniste Alexander Balanescu et précise qu’à Paris
la danseuse étoile Marie-Agnès Gilot devait apparaître, mais fut absente à cause d’une blessure. On demandera aux
élèves d’être attentif lors de la représentation à la présence du violoniste et de la danseuse (laquelle, selon eux, parmi
toutes, est une nouvelle venue ?), son intégration au collectif de la compagnie.
On veut rendre attentif les élèves à une méthode de création originale, surprenante, où le travail est collectif, fondé sur
l’improvisation, et difficilement séparable du travail de « formation » de l’acteur. On pourra rapprocher ce travail de la
commedia dell’arte. Ainsi, lors du travail de création, l’improvisation d’acteurs maîtres de leur singularité corporelle à
partir de thèmes, poèmes, costumes proposées par Pippo Delbono permet un travail de proposition collectif. Les
acteurs sont source d’inspiration, et la création collective, l’esprit de la compagnie trouvant un certain modèle chez
celles de la commedia dell’arte. Au final, Pippo Delbono met en forme ce matériau, l’organise, l’agence et le nourrit
d’apports esthétiques divers, faisant de lui, véritablement, ce que Bruno Tackels appelle un « écrivain de plateau ».
Ainsi, un style particulier s’est développé, la compagnie travaillant depuis bientôt vingt ans.
Activité
On propose ce texte en demandant préalablement les différences qu’ils font entre répétition, improvisation et
création –pour voir en quoi la méthode de la compagnie remet en cause la différence entre ces trois phases de
travail. On leur demandera ce qu’ils comprennent par l’expression « des moments de stupidité » et d’apprécier le
travail du metteur en scène et des acteurs dans le processus évoqué ici.
« Dans le processus des répétitions, les acteurs sont très intensément sollicités par Pippo Delbono, qui les invite sans
cesse à faire des « propositions », soit à partir de leurs propres désirs, soit à partir d’indications (notamment
musicales) qu’il leur donne, comme support à l’improvisation. Il n’est cependant pas dupe d’une telle méthode, qui
peut aussi tourner à vide. Et pourtant, dans ces moments de « stupidité », Pippo Delbono trouve parfois des pépites,
qu’il pourra réinjecter dans la création en cours. Mais ce statut de créateurs qu’il accorde pleinement à ses
« interprètes » excède largement les seules périodes de création. Tout au long de l’année, un travail d’atelier se mène,
sans autre but que lui-même. Le spectacle à produire n’est au fond qu’un temps de condensation, le résultat d’un long
travail souterrain. » Bruno Tackels, Pippo Delbono, Ecrivains de plateau V, p. 90, Les Solitaires Intempestifs, 2009.
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III Une esthétique singulière : la description du
spectacle sur le site de la Comédie de Caen
Metteur en scène incontournable de la scène internationale, l'italien Pippo Delbono revient à la Comédie de Caen pour
présenter sa dernière création. Avec son lyrisme si personnel, il décrit une Italie ou un état du monde à la dérive et en
proie à ses démons (le néo-fascisme parmi d'autres maux), sur un ton saisissant et émouvant. Pippo Delbono par sa
bonhomie, sa fureur, son amour de la poésie et son histoire fait le trait d'union entre les tableaux qui se succèdent et
les textes, passant de Dante à Withman, de Pasolini à Kafka. Ce collage de textes et de vidéos infuse le spectateur et
dévoile peu à peu une alchimie extraordinairement poétique et politique. La danse, le théâtre, la vidéo et la musique
sont des langages intimement mêlés tout au long de la pièce. Il s'est entouré pour se faire de deux danseuses
d'exception : Marie Agnes Gillot, danseuse-étoile de l'Opéra de Paris en alternance avec Marigia Maggipinto ancienne
danseuse de Pina Bausch. On retrouve aussi la participation du violoniste Alexander Balanescu et sa troupe d'acteurs
aux personnalités et parcours si atypiques.
Cette présentation place le travail de Pippo Delbono sous le signe de l’entremêlement, du « collage », de
l’alchimie : quels sont les éléments en tension dans ce spectacle ? Quelle place semble occupe Pippo
Delbono dans ce travail d’union ?
L’alchimie du travail de Pippo opère au plan des tonalités –entremêlement d’un lyrisme pathétique et passionné et
d’un niveau davantage épique/politique (l’Italie, un état du monde, le néo-fascisme)- et esthétique – tableaux et vidéos
alliés à des textes de poètes (Dante, Whitman, Pasolini) et romanciers (Kafka).
Pippo assure l’unité du spectacle « par sa bonhomie, sa fureur, son amour de la poésie et son histoire ». Cette
présentation insiste donc davantage sur la dimension singulière, voire personnelle de cette expérience et laisse à
s’interroger un spectateur non averti du rôle de Pippo Delbono : quelle place le metteur en scène peut occuper dans
ce spectacle pour jouer un tel rôle de trait d’union ?
La réaction de la presse italienne
Activités
En s’appuyant sur les articles proposés en annexe, on pourra aller vers la proposition de rédiger une critique du
spectacle après le spectacle…
La lecture de l’article suivant permettra aux élèves de préparer leur réception, ils pourront le discuter après
représentation.
On propose aux élèves d’observer les images du mouvement (mouvement circulaire, flux) et de rupture (interrompu,
se rompt).
On leur demande d’être attentif aux fonctions de la parole dans la pièce ― fonction d’interruption brusque : « ci et
là ») ; Pippo jette des paroles : la parole n’est pas au centre du spectacle.
Les élèves pressentent ainsi le caractère non narratif et non dialogué de la pièce.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
05/03/12
« Vulgarité et indifférence, les maladies d’aujourd’hui »
Les spectacles de Pippo Delbono et de son hétérogène compagnie, à laquelle s’ajoute, désormais, Marie Agnes Gillot,
étoile de l’Opéra de Paris, vivent d’un bouillonnement de sollicitations, souvent empreintes d’ironie et provocatrices,
parfois tendres, dissoutes dans une présence musicale interrompu ci et là de paroles de poètes.
C’est un mouvement circulaire qui chaque fois se rompt en images puis reprend son chemin et ce fil délicat, dans
Dopo la Battaglia est encore plus visible que dans les autres spectacles. C’est le fil du temps qui nous entoure, la
volonté de résister à la vulgarité et l’indifférence, graves maladies de l’esprit qui ont contaminé une entière société et
aussi l’espoir qu’après la folie arrivera la lucidité qui permet de comprendre et de se comprendre.
Et le théâtre devient un champ de bataille dans un flux d’actions qui unit danse, image vidéo, morceaux de
mélodrame, et du Requiem de Verdi à la musique de Fiorenzo Carpi pour le Pinocchio de Comencini, les paroles de
Dante « ah serva Italia » à celles de Kafka, de Alda Merini, de Pasolini, Artaud et bien d’autres, le comique final sur
pellicule, de crus documentaires des guerres d’aujourd’hui, émigration désespérée, asiles criminels.
A orchestrer cette partition, non linéaire, par des continuels rappels à l’art de Pina Bausch, il y a Delbono, en
permanence sur le plateau, micro en main qui jette des paroles.
Le spectacle est dédié à Bobò qui passe d’un travestissement à l’autre, de la grand-mère bourgeoise à la Dame de la
fin du XIXe, en habit de soirée au clown argenté.
Corriere Della Sera – 8 Mai 2011 – Magda Poli
Une esthétique singulière : totale, postdramatique,
corporelle…
Pour situer le travail sur le corps de Pippo Delbono dans l’histoire du théâtre occidental on peut proposer une
recherche sur Artaud, et un travail à partir notamment de l’extrait suivant.
Et je pose une question :
Comment se fait-il qu'au théâtre, au théâtre du moins tel que nous le connaissons en Europe, ou mieux en
Occident, tout ce qui est spécifiquement théâtral, c'est-à-dire tout ce qui n'obéit pas à l'expression par la parole, par
les mots, ou si l'on veut tout ce qui n'est pas contenu dans le dialogue (et le dialogue lui-même considéré en fonction
de ses possibilités de sonorisation sur la scène, et des exigences de cette sonorisation) soit laissé à l'arrière-plan ?
Comment se fait-il d'ailleurs que le théâtre occidental (je dis occidental car il y en a heureusement d'autres,
comme le théâtre oriental, qui ont su conserver intacte l'idée de théâtre, tandis qu'en Occident cette idée s'est, —
comme tout le reste, — prostituée), comment se fait-il que le théâtre occidental ne voie pas le théâtre sous un autre
aspect que celui du théâtre dialogué ?
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
05/03/12
Le dialogue — chose écrite et parlée — n'appartient pas spécifiquement à la scène, il appartient au livre; et la
preuve, c'est que l'on réserve dans les manuels d'histoire littéraire, une place au théâtre considéré comme une
branche accessoire de l'histoire du langage articulé.
Je dis que la scène est un lieu physique et concret qui demande qu'on le remplisse, et qu'on lui fasse parler
son langage concret.
Je dis que ce langage concret, destiné aux sens et indépendant de la parole, doit satisfaire d'abord les sens,
qu'il y a une poésie pour les sens comme il y en a une pour le langage, et que ce langage physique et concret auquel
je fais allusion n'est vraiment théâtral que dans la mesure où les pensées qu'il exprime échappent au langage articulé.
On me demandera quelles sont ces pensées que la parole ne peut exprimer et qui pourraient beaucoup mieux
que par la parole trouver leur expression idéale dans le langage concret et physique du plateau ?
Je répondrai à cette question un peu plus tard. Le plus urgent me paraît être de déterminer en quoi consiste
ce langage physique, ce langage matériel et solide par lequel le théâtre peut se différencier de la parole.
Il consiste dans tout ce qui occupe la scène, dans tout ce qui peut se manifester et s'exprimer matériellement
sur une scène, et qui s'adresse d'abord aux sens au lieu de s'adresser d'abord à l'esprit comme le langage de la
parole.
Antonin ARTAUD, « La mise en scène et la métaphysique », Le Théâtre et son double, 1938
Activités
On donne sinon aux élèves à lire ce passage du Théâtre et son double d’Antonin Artaud et on leur demande :
-Quels reproches Artaud adresse-t-il à la place du dialogue au théâtre ? Ces reproches sont-ils, selon vous,
désuets ?
-Quels théâtres oppose-t-il ?
-Qu’est-ce qui, selon Artaud, est « spécifiquement théâtral » ?
-A quelle part du spectateur doit s’adresser le théâtre, selon Artaud, et pourquoi ? Comment le spectateur doit-il
recevoir un tel théâtre selon vous ?
-Que pensez-vous de cette vision du théâtre ? Discutez-la.
-Quelles « sont ces pensées que la parole ne peut exprimer et qui pourraient beaucoup mieux que par la parole
trouver leur expression idéale dans le langage concret et physique du plateau » selon vous ?
-On peut leur proposer alors ce sujet de réflexion des plus classiques : un texte de théâtre est-il destiné à être lu ou à
être vu ?
« Dès mes premières expériences scéniques (…) ma recherche s’est basée sur les principes dramatiques qui peuvent
être exprimés par le corps. Il ne s’agit pas de la quête d’une virtuosité physique, acrobatique ou contorsionniste, mais
d’une recherche de la force interne à chaque mouvement. Cette quête est le fondement du training et de
l’échauffement que j’ai pratiqués pendant presque vingt ans. [Après avoir évoqué un travail d’échauffement et de
recherche d’inspiration orientale et qui vise à libérer l’énergie vitale de chaque partie du corps, Pippo Delbono aborde
un autre aspect central de sa méthode :] chercher dans le corps des principes dramatiques proches des principes
théâtraux. Grâce à une série d’exercices fondés sur des changements de rythme : enchaîner des mouvements,
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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changer les directions, je repère quelle différence dramatique naît de ces changements. Si je tourne la tête dans un
sens ou dans l’autre en positionnant mon bassin, vers le haut, ou vers le bas… Qu’est-ce qui se passe ? De même
pour le torse, les bras ou les jambes : comment circule mon énergie ? Y-a-t-il des différences dramaturgiques si je
coordonne ces mouvements différemment ? […] La force naît de l’arrêt brutal d’un mouvement et crée un léger
moment de suspens avant que le geste ne prenne une direction autre. C’est la base de tout principe dramatique.
« Dramatique » signifie que ces mouvements, leurs enchaînements, leurs ruptures et surtout l’énergie, la force qui les
habite, donnent à l’acteur la possibilité de créer un lien avec le public, une attention partagée. (…) Je cherche comme
un danseur et pas comme un acteur. J’œuvre à la maîtrise de mon corps pour que la parole devienne comme une
autre façon de danser. (…) Le training consiste à apprendre à jouer dans l’espace avec des mouvements simples
comme sauter, tourner, perdre l’équilibre, aller au sol. Retrouver les mouvements naturels du corps ». Pippo Delbono,
Le Corps de l’acteur ou la nécessité de trouver un autre langage, six entretiens romains avec Hervé Pons, p. 19-26,
Les Solitaires Intempestifs, 2004.
Activités
Après avoir demandé une définition de ce qu’est un drame, de l’adjectif « dramatique », et de la place qui est celle
de la parole au théâtre pour les élèves et quel type de travail et de rôle peut donner à son corps un acteur de
théâtre, on proposera lecture de cette présentation du training par Pippo Delbono et on demandera aux élèves de
relever quel sens celui-ci donne au mot « dramatique », quelle place la parole occupe et quel rôle a le corps dans
cette définition que donne Pippo Delbono au mot « dramatique ».
On amène ainsi les élèves à constater l’union du texte, du corps, de la scène : il s’agit bien, pour Pippo Delbono, de
parler d’écrivain de plateau, pour lequel tous les éléments scéniques (gestuelle, parole, sons, lumière, scénographie,
costume) concourent à part égale au spectacle.
On pourra prolonger cette approche d’un théâtre postdramatique en approfondissant l’esthétique d’Artaud. On peut
proposer d’explorer le très bon site en lien archithea proposant une synthèse accessible et riche sur les poétiques
d’Aristote, Brecht et Artaud : http://archithea.over-blog.com/article-15207059.html#artaud sinon : http://archithea.overblog.com/article-11948173.html
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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IV Les matériaux du spectacle : les textes
Etudier les textes-matériaux de la pièce permettra de :
- fournir la culture nécessaire pour entendre les résonnances, l’atmosphère des auteurs et des textes
-créer un rapport ouvert avec le texte matériau du spectacle et une pratique de l’écriture par « collage »
- favoriser une approche créative de l’œuvre
Activités
Il ne s’agit pas de travailler tous les textes, ou tous de manière aussi approfondi, évidemment. On pourra proposer
aux élèves soit une recherche préalable sur les auteurs et les œuvres dont sont extraits les textes matériaux de la
pièce de la compagnie, soit leur proposer une présentation et leur demander quelles connexions, quels points de
relation établir.
Dante Alighieri (1265, Florence – 1321, Ravenne), poète de l’amour platonique qui composa la Commedia (13071321) pour Béatrice, poète très catholique qui livre le poème synthèse médiévale et ouvrant à la Renaissance du
catholicisme, mais poète de la Renaissance déjà, qui compose en italien, fonde cette langue en littérature et inscrit
son poème en les conflits de son temps (opposant dans toute l’Europe et en Italie notamment Gibelins et Guelfes
quant à la succession au trône du Saint-Empire Germanique, notamment autour de la question d’un lien ou d’une
autonomie relative à la papauté) dont il a été victime puisqu’exilé hors de Florence alors qu’il se déclare guelfe blanc
(les blancs étant plus proches du peuple, les noirs, des nobles), livrant ses ennemis (gibelins) aux châtiments
infernaux dans l’Enfer ou déplorant, comme ici, au chant VI du Purgatoire la division de l’Italie. Marqué par le
symbolisme chrétien du chiffre 3, la Commedia se compose de 3 parties (Enfer, Purgatoire, Paradis), étapes
d’élévation progressive de Dante guidé d’abord par le poète latin Virgile, puis par Beatrice, son ange posthume. Nous
sommes au chant VI du Purgatoire, moment ici de référence vive à l’actualité politique troublée de l’Italie de son
temps, déchirée par les luttes entre Guelfes et Gibelins.
Walt Whitman (1819, Long Island – 1892, Camden) , poète américain nationaliste, fondateur du lyrisme américain,
premier des grands poètes – avec Emily Dickinson - à se débarrasser de la tutelle esthétique du vieux continent avec
l’œuvre de sa vie, le recueil de poèmes Leaves of grass (Feuilles d’herbe). Marqué d’un lyrisme intime, terrien et
cosmique puissant (il admirait Homère, Dante, et retrouve la puissance, l’ampleur, la magistralité de leur verbe), sa
plume use du vers libre et saura être une source pour les européens – le verset claudélien, par exemple, lui doit
beaucoup. Chantant le peuple, la démocratie, la nature vierge américaine, le sexe, il atteint à une ferveur quasi
religieuse pleine de sensualité, une sensualité telle qu’elle choque certains puritains qui lancent une action en justice
pour censurer le recueil, pour obscénité.
Franz Kafka (1883, Prague – 1924, Kierling), auteur essentiel du XXe siècle qui dépeignit la désolation de l’homme
du XXe siècle, en prise à des puissances supérieures – administratives voire métaphysique- incompréhensibles, peutêtre pour rendre l’homme à la responsabilité de son destin devant elles. Son œuvre ne fut que très partiellement
publiée de son vivant et fut publiée de manière posthume avec toutes les prises possibles pour une récupération
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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interprétative : existentialiste, il peindrait l’absurde de la condition humaine ; anarchiste, il dénoncerait l’emprise
aliénante du bureaucratisme naissant en Europe au début du XXe siècle ; mystique, il se lancerait dans une quête
tourmentée d’un Dieu occulte, caché, insondable à l’homme… A la fin de sa vie, il prit conscience d’un divorce
inévitable entre juifs et allemands, et devint sioniste, pratiquant le Talmud. L’œuvre proposée – Face à la loi- est une
parabole extraite d’un de ses romans inachevés Le Procès, roman évoquant les mésaventures de Joseph K., arrêté et
soumis aux rigueurs de la justice sans savoir de quoi il est accusé, le roman évoquant sa tentative de connaître son
crime... Extrait du chapitre IX, cette parabole obscure est narrée à Joseph K. par un prêtre qui lui est inconnu mais
informé de sa situation et qui semble lui suggérer par ce récit le caractère désespéré de sa situation.
Antonin Artaud (1896, Marseille – 1948, Ivry-sur-Seine). Poète, romancier, acteur, dessinateur, théoricien du théâtre
français, il partagera un temps l’aventure surréaliste, mais s’enfonce dans une nuit méditative et narcotique lui offrant
des méditations fulgurantes - il théorise le théâtre de la cruauté et invoque la nécessité pour la scène occidentale de
retrouver le sens du sacré, de ne plus laisser à la parole, à la raison, occuper le centre du théâtre- mais le menant
aussi à être interné durant neuf années, libéré deux ans avant sa mort. Il enregistre en 1947 Pour en finir avec le
jugement de Dieu, qui devait être radiodiffusé en 1948 et est censuré, dénonçant tous tabous et ordres religieux,
moraux, politiques pour une libération de la part d’ombre, sauvage de la chair humaine.
Pier Paolo Pasolini (1922, Bologne – 1975, Rome). Poète, dramaturge, cinéaste, homosexuel, communiste,
catholique – Pasolini a le génie des contradictions, de la dialectique mystique. Dans la lutte gouvernementale contre le
gauchisme terroriste italien des années 70, il est accusé, pour ses partis-pris, ses œuvres et ses relations proches de
ces groupuscules, d’apologie du crime. Son dernier film, Salo ou les 120 journées de Sodome, illustre, en adaptant
l’œuvre de Sade, les conséquences inhumaines du consumérisme, qu’il qualifie, reprenant les mots de Kant, de « Mal
absolu » : choquant, son film posthume est censuré dans de nombreux pays. Il meurt assassiné dans des conditions
encore inexpliquées.
Alejandra Pizarnik (1936, Buenos Aires – 1972, id.), poétesse argentine « maudite » : tourmentée, mystique sans
Dieu, se considérant juive errante et argentine en même temps, internée à la suite de nombreuses tentatives de
suicide, elle meurt de sa main, jeune.
Nous sommes ici face à des fondateurs de culture (de la langue Italienne pour Dante, du lyrisme américain pour
Whitman), des chantres lyriques puissants (Dante, Whitman, Pasolini) marqués par une quête ou inquiétude mystique
profonde (tous).
Exilé (Dante), parias (Whitman et Pasolini sont inquiétés pour leur homosexualité), représentants de minorités (juifs
pour Kafka ou Pizarnik), internés (Artaud et Pizarnik) ils subirent et luttèrent contre la morale, la loi, l’intolérance de
leur temps, à travers leur personne et leurs œuvres.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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Ces auteurs fondateurs de culture, en quête de sens, mystiques et « marginaux » en leur temps ont un itinéraire qui
trouve des échos dans le parcours de Pippo Delbono, favorable à leur assimilation à son travail, fait de lyrisme intime
et plein d’ardeur.
Du texte au jeu - Mise en voix et en espace
On distribue le même texte à plusieurs élèves lorsqu’il est bref, ou à des groupes pour les plus longs ou les
« polyphoniques » (Kafka, Artaud, Pasolini et les mères, les fils). On demande une mise en voix et, selon le niveau et
le temps, une mise en espace / tableau de ces textes, avec justification après coups de ces choix. La justification
s’appuiera sur les points évoqués plus haut : genre, ton, style, énonciation, enjeu… une discussion avec l’ensemble
des élèves pourra amener un rejeu variant le ton et/ou le style de jeu.
Dante :
Admonestation, invective adressée à une nation divisée ― le poète apostrophe l’Italie personnifiée, poète déchiré
dans par la tristesse (hélas) et la honte (debout infâme) de l’état dans lequel sa nation se vautre.
L’accumulation d’images de sa perte d’unité, de sens, de direction mène à une opposition dramatique entre un passé
généreux et un présent lamentable marqué par des luttes intestines.
Ce texte offre la possibilité d’un jeu vocal sur le souffle, le rythme, et d’un jeu corporel sur la posture et le regard –
comment jouer l’invective ? On peut proposer aux élèves d’accumuler des symboles contemporains de la crise
italienne tirés de l’actualité
On pourra demander aux élèves quels échos avec l’actualité politique italienne ce texte draine, et on rappellera que le
projet initial dont est né le spectacle prévoyait un hommage à Verdi (dont le patronyme même était devenu symbole
de reconnaissance entre résistants – Viva Verdi / Vittorio Emmanuelle Re D’Italia), chantre de l’Unité Italienne, inscrit
dans les célébrations du 150e anniversaire de cette unité.
Whitman :
Incantation lyrique syncopée, marquée par la portée émue de la phrase nominale, et de l’ouverture des points de
suspension, ce fragment allie microcosme biologique intime, sensuel (respiration, sang…) et univers naturel idyllique
pris tous deux dans leur chatoiements, mouvements infimes (circulation, souffles, jeux de lumière).
Le poème de Whitman offre la possibilité d’un travail sur la respiration, la sensualité, la danse. On peut demander un
travail de mime inspiré de la danse traduisant par le rythme, les postures, les gestes, toute la sensualité pancosmique
de ce poème.
Kafka :
Texte énigmatique et cruel, dans lequel on retrouve les caractéristiques fondamentales de la parabole : brièveté ;
abstraction (des personnages : un portier et un homme de la campagne, voire La Loi, qui semble autant personnifiée
qu’inconnue ; des lieux : une porte, la ville peut-être, laquelle ? ; l’époque est inconnu ; utilisation de termes
génériques, indéfinis) ; construction narrative et psychologique sommaire (caractérisation faible du portier marqué par
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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la force et de l’homme de la campagne marqué par la couardise ; une ellipse temporelle fait passer les années dans
un statisme hiératique) ; dimension tropologique interne (la dernière phrase du gardien est énigmatique et formule une
leçon) et externe (le prêtre formule un avertissement à K.).
Cette parabole permet de travailler la question du récit au théâtre et de sa mise en espace et en voix : on offre le texte
à deux acteurs, un récitant, et propose de créer d’abord un tableau vivant, puis un travail de lecture et de jeu de ce
passage. Les premières propositions seront sans doute hiératiques, figées.
On indiquera alors aux élèves, s’ils ne l’ont relevé, la présence variée de l’humour : la moquerie envers la couardise
du vieil homme, l’évocation incongrue des puces mangeant le gardien alors que le vieil se meurt, l’ironie de la chute…
et on pourra les inviter à travailler un rejeu tenant compte de ce cynisme latent.
Artaud :
Ce dialogue fictif ne pose pas de difficulté pour identifier les adversaires : la démonstration d’Artaud de la nécessité
« d’émasculer » l’homme, de désorganiser son corps (on sait la fortune du Corps sans organe, CSO, chez Deleuze)
répond à l’invective d’un interlocuteur fictif aux échos biographiques forts (Artaud sort de son séjour asilaire) – Artaud
s’adresse à l’homme à l’esprit de sérieux, de bon sens ordinaire.
Artaud veut désorganiser le corps humain pour libérer l’homme d’une dernière idole : non plus Dieu, mais l’homme. Il
s’agit ici d’un antihumanisme instruit : il y a bien concomitance historique ― et corrélation ― entre l’examen du corps
humain sur une table de dissection et crise de la religiosité. On rappellera le dogme biologique classique à l’époque de
Artaud : la fonction et l’organe sont corrélés ― désorganiser le corps, c’est le « défonctionnaliser » et ouvrir un champ
des possibles pour le souffle, le sang, le geste… On raccordera ces idées aux ambitions théâtrales, culturelles du
théâtre de la cruauté, mettant fin au logocentrisme de la scène occidentale, et on rappellera le travail de Pippo
Delbono sur le training, la place centrale donnée au corps… Il s’agit de laisser les élèves ouverts devant cette
question : vers quelle chair, quelle corporéité peut mener une « désorganisation » du corps ?
La lecture, le jeu de ce passage amène une hésitation élémentaire légitime : quelle voix sera marquée par la « folie »,
l’hystérie ? laquelle par le « bon sens » ? la parole « rigoureuse » d’un Artaud appelant à la mort du cœur de la
rationalité occidentale, l’homme, ou celle emportée de son adversaire le rangeant dans l’enfer de l’univers
logocentrique – la folie. Ce dialogue appelle donc un travail d’opposition, de conflictualité dramatique, polémique : il
faut travailler l’espace, la voix, le rythme.
On
pourra
alors
proposer
écoute
d’extraits de
« Pour
en
finir
avec
le
jugement de
Dieu »,
http://www.ubu.com/sound/artaud.html (9 - conclusion, 7’10 à 9’30) pour faire sentir le goût –ou la propensiond’Artaud pour un travail délirant, suraigu, de sa voix, en signalant que pour certains critiques, cette « performance »
radiodiffusée fut la seule réalisation « achevée » du théâtre cruel dont rêvait Artaud…
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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Pasolini :
Ce texte passionné est tissé de contradictions –dialectique dira-t-on alors, en orthodoxie marxiste, mais compliquée
par la subtilité pasolinienne. Elle offre la rencontre entre une forme médiévale marquée par la litanie, le refrain (la
ballade), vouée à la complainte personnelle, et la complainte humaine de Pasolini, confinant à la diatribe sociales aux
allusions marquées – aliénation marxisante, chute chrétienne de l’homme.
Sauf présentation limpide, on pourra proposer tout de même une lecture plus informée du texte : on demandera
d’abord aux élèves, dans cette complainte contre le Mal, quels sont les maux qui rongent les hommes, en s’arrêtant
avant la dernière strophe? La corruption, le conformisme, la lâcheté, le manque d’amour et de cœur pour le monde et
les hommes, à la servilité qui accepte l’humiliation (accepter les restes) et la trahison, à l’égoïsme bourgeois… Cette
dernière marque évoque une lecture marxiste du mal….
On demande alors quelle est la source de la complainte du poète : où se situe la responsabilité du Mal ? Chez Les
mères, les fils ? Sont-ce les mères qui voient leurs fils perdus dans un monde corrompu que le poète plaint ? Sont-ce
les fils victimes de mères leur ayant appris pour les uns la peur, d’autres la médiocrité, d’autres encore la servilité,
d’autres enfin la haine ? Ces mères, mêmes, sont-elles responsables de leur peur, médiocrité, servilité… quand le
poète les renvoie, ces vices, à l’atavisme (une peur « ancestrale »), au fait qu’elles furent elles-mêmes « petites
filles », à une « habitude séculaire »… Preuve de cette complication de la responsabilité du Mal : les mères, taxées
d’épithètes dévalorisant, sont, dans la dernière strophe, objets de compassion de la part du poète : « pauvres
mères ». Si l’avant dernière strophe avait inscrit ce texte dans une lecture économico-politique, on demandera ce qui
marque encore une telle lecture dans la dernière, mais aussi quelle expression montre que le poète s’ouvre à un autre
niveau d’interprétation. Si l’expression « pays ennemis » renvoie aux luttes nationalistes du XXe siècle, l’expression
chrétienne « vallée de larmes » renvoie au malheur de la condition humaine terrestre, vouée au mal. Ici, le mal est
bien le refus de la part des hommes de « répondre » de leur condition humaine, de leur différence… On le voit, la
« solution » du Mal est tout aussi mystérieuse que son origine, signant l’entremêlement difficile de la dialectique et du
mysticisme chez Pasolini.
L’intérêt du jeu portera ici sur le ton : véhément, pathétique ? et des incarnations de ces figures de mères et de fils.
Pizarnik : méditation poétique sur la nuit, ce poème lance une réflexion sur la douleur d’être, le sens de l’existence
devant le temps, la mort.
Synthèse : Lyrisme mystique, paraboles, goût pour la réflexion sur la condition humaine, ses limites, et leur
réinvention : ces textes offre de belles réflexions et visions du sens de la corporéité, du rapport au corps, à la Loi, au
Mal, aux ancêtres, au cosmos. Il semble s’agir de confronter l’homme à ce qui constitue les seuils critiques de son
existence – du souffle au respect de la Loi- en donnant des textes qui les distendent en les touchant.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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Les photographies du spectacle
On proposera aux élèves une analyse des images, reproduites en annexe, sur le modèle tabulaire suivant, par
exemple.
Ce que je vois. On leur demande d’être attentif :
Ce que j’en pense : impressions, sens, émotions.
-à l’espace : dimensions, positions dans l’espace,
proportions, profondeur, la texture et qualité des
matières (sol, murs…), rapport à la salle ;
-à
la
lumière :
intensité, contraste, disposition,
couleurs ;
-à l’image : le jeu de la vidéo en surimpression, en fond,
son contraste, sa netteté, son objet ;
-au jeu : la posture, le rythme, la tension.
Photo 1 : Pippo Delbono sur une scène plongée dans un C’est un non lieu physique, mais pas non plus un espace
noir profond, sur un sol éclairé par une lumière plongeante artificiel, même si l’on perçoit la texture du sol. Nous
dessinant un cercle où l’on perçoit le gris irrégulier du sol de sommes dans un espace absolu. Le geste de Pippo
scène. Pippo Delbono, agenouillé, élève une main pour Delbono est une quête de lumière ? un besoin de
saisir la lumière, tandis qu’une autre est figé dans un geste respirer, de la respirer ? l’attraper ? La tension entre la
très expressionniste (voir les affiches du film Les Mains verticalité rigide de la posture du bassin et la crispation
d’Orlac comme archétype du jeu expressionniste) semblant des mains et du visage offre une indécision : geste pris
la recueillir, tandis qu’il la regarde, nuque ployée, regard par l’affect ou liturgique ? Quelque chose d’archaïque,
grand ouvert, bouche aussi. Le jean et le costume bleu offre pris entre l’émotion et le hiératisme se joue.
peu de contraste et détachement.
Photo 2 : Trois jeunes femmes brunes, cheveux longs et La légèreté et la joie a quelque chose de naïf qui crée
déliés, courent dans un cercle de lumière venue en plongée une grâce naïve, quasi infantile : exultation de joie des
en douche –en tout cas dessinent une diagonale depuis le bras levés, jeu d’une marche en équilibre pour de faux ou
lointain côté jardin jusqu’à face côté jardin. La scène est ploiement du bras soutenant une tête s’assoupissant…
sombre, grisâtre, percée d’entrée et dispose d’une scène. Le rouge vif souligne une passion primaire, entière au
Les femmes, vêtues de robes rouges, sont frappées de joie. cœur d’un univers terne.
Leurs attitudes sont dynamiques et non naturelles : bras
levés en pleine course, suspendu comme en équilibre ou
ployé pour soutenir la tête.
Photo 3 : Une femme est suspendue en l’air, sur une Ivresse, extase, transport ? Une transe extatique se
passerelle, sans doute, dans une robe blanche, devant une dessine, soulignée par la pureté de la blancheur, la
paroi grise. Taille cambrée, nuque ployée, elle renverse sa surélévation. Le support vidéo aux motifs compliqués,
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
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tête, bras levés et mains suspendus. Une vidéo est diffusée, organiques, flous crée une tension avec ce jeu
motif sériel et irrégulier, quasi organique, blancs et noir, hiératique.
soulignant l’ombre de l’actrice.
Photo 4 : une ballerine en tutu est en relevé sur pointes, Une tension nouvelle se dégage : légèreté et grâce de la
bras tendus et mains très ouvertes, de dos. Une porte est ballerine s’oppose à l’angoissante allure dessinée par ce
ouverte sur scène côté cour, vers laquelle elle semble tunnel. La ballerine crée un suspens, un « contretemps »
regarder. Ses épaules sont éclairées en plongée.
La troublant, la force de la présence étant de son côté
projection vidéo crée un autre espace dans lequel elle devant cette présence potentiellement étouffante du
évolue, un tunnel où se trouve une voiture déjà, la vue étant tunnel, déréalisé par le grain imparfait de l’image vidéo.
penchée vers la gauche, ce qui accentue l’impression de L’art, la danse, semblent prendre une valeur de vérité et
dynamisme de la l’ensemble.
de force, une « réalité » plus grandes que la vie ordinaire
signifiée par cette vidéo.
Synthèse : un jeu non naturel, expressif, dynamique, fait de tensions (corporelles, scéniques, posturales…) et
d’émotions. Espace de tableaux très composés, plastiquement très travaillés.
Du texte au jeu : mise en voix et en espace
On peut distribuer les photos du spectacle proposées en annexe et demander de travailler les postures, les distances,
les rythmes suggérés pour les raccorder à ces textes. Il s’agira de les laisser libres de créer des rapports entre texte et
photo, tout en leur demandant de justifier leurs rapprochements. On peut varier ce jeu en suggérant un détachement
entre diction et jeu, jouant sur le complément, ou le contrepoint tonal et rythmique.
1-Les élèves devront travailler : le décor, les accessoires, le rythme et les changements de position, le ton.
2-La proposition donnera lieu à échange sur l’intérêt de la proposition et pourra permettre des suggestions offrant la
possibilité d’un rejeu tenant compte de ces suggestions.
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
05/03/12
Bilan
A la fin de ce parcours, il s’agit de construire une fiche de spectateur tenant compte des attentes provoquées par le
travail de préparation en amont au spectacle autant que des points de mire auxquels on leur demandera d’être
particulièrement attentif : la place de Pippo, les principes de contradiction, les relations entre la grande Histoire et
la/les petites, le jeu de l’acteur « marginal », la place et l’usage des textes…
Grille de lecture pour une analyse critique
Il s’agit de repérer les deux ensembles de signes : ceux du texte (la pièce, ou les textes matériaux ici) et ceux de la
représentation (espace scénique, décor, accessoires, costumes, jeu des acteurs, rapport au public, éclairages...) qui
composent le fait théâtral. Aucun de ces « signes » ne vaut en soi, mais il ne prend son sens que par rapport à cet
ensemble de signes qu’est le spectacle entier.
Comprendre le fonctionnement du spectacle, c’est percevoir comment s’articulent les éléments choisis lors de son
élaboration par l’équipe de création et les champs de signification qu’ils suscitent du point de vue du spectateur.
Pour une réception active et plurielle
On répartit les élèves en groupe en leur confiant chacun la mission de « lire » le spectacle sous un des angles
proposés, en étant attentif aux évolutions des motifs et à leur relation – de tension ou complémentarité ― avec les
autres aspects du spectacle, et en proposer une synthèse collective aux autres groupes, après le spectacle. Il s’agira
pour chaque groupe d’être attentif aux interprétations plurielles que les éléments du spectacle appellent, mais aussi à
leur impact émotionnel, à leur valeur esthétique (sens /effet). Chacun aura à cœur, face à un spectacle total, de
montrer le caractère essentiel de l’aspect auquel il aura dû être attentif.
Il sera bon que chaque groupe offre au début de son compte-rendu une reconstitution de la fable – qu’est-ce que ce
spectacle nous a raconté ? Y en a-t-il une, fable (plusieurs, aucune ?) ? Pour sentir les variations de lecture de
chacun, et termine en concluant sur une lecture engagée et motivée : suprise/surprises ? plaisir ? déception ?

SUR LE TEXTE : privilégier toujours une approche globale et simple du texte.
1 - Les thèmes : de quoi parle la pièce ? (Exemples : l’amour, la mort, l’errance, l’argent…)
2 - La fable : que raconte la pièce ? (mettre à plat les événements narratifs de la pièce)
3 - Le discours : que dit la pièce ? Qui parle ? Qui dit quoi ?

SUR LA REPRESENTATION :
1 - L’espace scénique
- Est-il l’image d’un espace de vie précis, copie exacte du réel ? D’un espace imaginaire ?
- Est-il la traduction d’un espace mental ?
- Est-il un espace, citation d’un autre univers culturel ? D’un univers pictural ?
- Comment les comédiens occupent-ils cet espace ? Sont-ils statiques ? Quel est leur type de déplacement ?
L’amplitude et les rythmes de leurs mouvements... ?
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THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Dopo la battaglia
05/03/12
-En quoi paraît-il un espace carcéral, d’après la bataille ?
2 - Le décor
- Est-ce un décor unique ? Un décor à transformation ?
- Quelles sont les matières utilisées pour le composer ? Que suggèrent-elles ?
- Est-il figuratif ? Que représente-t-il ?
-Combien y a-t-il de portes ? Quels rôles jouent-elles ?
3 - Les lumières
- Ont-elles pour fonction de délimiter l’espace scénique ? Par quels moyens ?
- Comment participent-elles à créer, recréer le décor, l’espace ?
4 - Les objets scéniques
- Quels rôles jouent les chaises ? Qui les déplace ?
- Quels rôles jouent les cannes ?
5 - La gestuelle des comédiens
-Quelle influence montre-t-elle de la danse ?
-En quoi peut-on dire que le corps des acteurs rend possible l’invention d’une forme originale de ballet ?
-Quels rapports a-t-elle avec les textes, la vidéo, la musique ?
-Quels relations les acteurs – et notamment Pippo Delbono et Bobo- entretienent-ils avec le public ?
6 - La voix et la diction
- Quels rythmes et tonalités Pippo Delbono donne-t-il à ses lectures ?
7 - Le costume
- Est-il conçu à partir des données vestimentaires d’une époque ? D’une société ? D’un groupe social ?
- Fait-il référence à un « ailleurs » historique ? Géographique ?
- Est-il une production purement imaginaire, sans référence connue ?
- A-t-il une fonction avant tout d’ordre dramaturgique (indiquer par exemple les grands mouvements du texte écrit) ?
- Sert-il à typer un personnage ?
- A-t-il une fonction symbolique par rapport au discours de la pièce ?
- A-t-il pour fonction de traduire certains aspects non dits de l’identité du personnage ?
- Quels sont les matériaux et les couleurs utilisées ? Font-ils référence à une symbolique particulière ?
- Comment habille-t-il le corps de l’acteur ? Agit-il sur sa gestuelle ?
- Son rapport au décor : Prolongement ? Fusion ? Contrepoint ? Opposition ?
8 - L’univers sonore
a - La musique
-Quel lien peut-on faire entre le premier air musical ― une aria tiré du Macbetto de Verdi ― et au premier discours de
Pippo Delbono ? Quelle est la source sonore de cette aria ? En quoi est-ce ironique ?
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Dopo la battaglia
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- Quelle est son importance dans le spectacle ?
- Qu’a-t-elle pour fonction de signifier ?
- Est-elle là comme prolongement d’une parole ? Citation ? Elément d’une atmosphère ?
- Est-ce une musique originale ?
- Est-ce une musique d’emprunt ? A quel univers culturel ? Social ? A quelle époque ?
b - Les autres éléments sonores
- Comment les sons sont-ils émis ? D’où ? Sont-ils enregistrés ?
- Ont-ils la même fonction que la musique ?
9 - La vidéo
- Quelle place l’image, fixe ou vidéo, tient-elle dans le spectacle ? Où le ou les écrans sont-ils placés dans l’espace
scénique ? Comment l’image est-elle captée (disposition des caméras, placement des micros) ? Comment l’image estelle « travaillée » esthétiquement : noir et blanc, couleur, etc. - S’agit-il d’images inédites, d’extraits de films connus,
de scènes préenregistrées ou d’images vidéo diffusées en simultané ? Quel lien existe-t-il entre ce qui vu et ce qui est
dit ?
-Quel lien pouvez-vous faire entre la première vidéo et l’apologue de Kafka ? Observez la question des portes et de la
loi.
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