LE MUSICIEN EN MOUVEMENTS
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LE MUSICIEN EN MOUVEMENTS
CEFEDEM Bretagne - Pays de la Loire Mémoire LE MUSICIEN EN MOUVEMENTS Nom : FÉROTIN Spécialité : Violon Prénom : Camille Formation Initiale Diplôme d’État Promotion 2010-2012 Référent : Jérôme ROSSI Professeur de Musique Session Juin 2012 Qualité : Maître de Conférence à l’Université de Nantes Table des matières Préface 2 Introduction 3 I Description de trois dispositifs 4 1. L’éveil musique et danse au CRR de Nantes 4 2. Le lien musique et danse à l’association de l’Estran 6 3. Le double cursus à l’ENMD d’Annecy 8 II L’évidence musique et danse 10 1. Analyse des 3 dispositifs 10 2. Un langage commun 13 3. Qualités d’un dispositif commun 14 4. Le geste 17 III L’interdisciplinarité 19 1. « Faire le lien » 19 2. La formation des enseignants 20 3. Le maître mot 21 4. Les dispositions 22 Conclusion 26 BIBLIOGRAPHIE 27 ANNEXES 28 Préface Je tiens tout d’abord à remercier Luisella RIMOLA, danseuse à la compagnie GIOCO COSÎ, et professeur de danse à l’association de l’ESTRAN, pour le temps qu’elle m’a accordé, et l’attention avec laquelle ont été accueillies mes questions et remarques au long des différents entretiens que nous avons eus. En second, je souhaite assurer au lecteur que les propos que je vais tenir ne sont pas une remise en cause de chaque dispositif -ce qui a motivé la mise en place de celui-ci, les apports aux élèves- mais un regard critique sur ceux-ci quant à une direction de recherche centrée sur un unique aspect : le lien mouvementmusique. Les projets d’établissement tendant à créer de plus en plus de lien entre les disciplines et matières de celles-ci, je souhaite m’inscrire dans cette recherche de cohérence pour l’élève. 2 Introduction Le sujet de mon mémoire s’articule autour de plusieurs de mes expériences en tant qu’enseignante de musique, étudiante violoniste et également étudiante danseuse. Tout d’abord, je suis partie du constat général que l’être humain, en vieillissant, oublie peu à peu son naturel corporel pour des mouvements et gestes induits par son quotidien. Ainsi, nous fabriquons nos gestes-réflexes tout au long de notre vie, oubliant la raison du mouvement au profit de l’utilité de celui-ci. Plus particulièrement dans la musique, je me suis rendu compte que beaucoup d’instrumentistes, et j’en fais partie, se projettent comme l’outil d’un instrument, oubliant la nature du geste au profit du résultat de celui-ci. D’autre part, j’ai assisté à des cours d’éveil musique et danse qui me semblaient une réponse à cette réflexion et qui ont aiguillé celle-ci vers une question plus précise : pouvons-nous mettre en place des dispositifs pour inclure, dans l’enseignement de l’instrument, les expérimentations corporelles de notions qu’on associe généralement à la danse (telles que l’espace, le mouvement, le geste...) sans se limiter à un éveil ? Je vais m’asseoir sur l’observation de trois dispositifs musique et danse, en prenant le temps de mettre en perspective les points communs des deux disciplines, afin de proposer différentes manières d’aborder ce rapport corpsinstrument. 3 I Description de trois dispositifs 1. L’éveil musique et danse au CRR de Nantes Le dispositif d’éveil Ce dispositif, mis en place depuis deux ans, s’adresse aux futurs élèves de danse et de musique du Conservatoire à Rayonnement Régional. L’âge des enfants admis va de cinq à huit ans et le cycle se déroule en deux ans (quelques rares fois en un an). Faisant office de pré-cursus, l’éveil musique et danse initie aux sensations du mouvement et au ressenti de la musique. Ces cours permettent également aux élèves d’avoir conscience des aptitudes qui vont leur être demandées dans la suite du dispositif et aux formateurs de cibler les facilités et difficultés de chacun. Au bout des deux ans, les enseignants décident si les enfants ont, ou non, les aptitudes permettant l’entrée dans le cursus de leur choix. Les enseignants Les cours d’éveil sont encadrés par deux professeurs : un professeur de danse et un professeur de musique. Vanessa MORISSON, danseuse de formation, s’occupe plus particulièrement de la partie liée au mouvement. Côtoyant régulièrement des musiciens au sein de ses différentes compagnies, elle sait transmettre aux enfants toutes les subtilités des vocabulaires de musique et de danse. Pour la musique, c’est Olivier LANOT qui en est responsable. Professeur de musique poly instrumentiste, on peut le voir dans une même séance jouer du piano ; du djembé ; de l’accordéon ou encore chanter, il est le référent de Vanessa pour le lien entre le vocabulaire de danse et la corrélation musicale, et se positionne principalement comme accompagnateur de danse. C’est également lui qui s’occupe exclusivement de l’apprentissage de la musique. 4 Chaque enseignant se positionne comme personne ressource de son binôme, tant au niveau de la tenue du cours (recadrage pédagogique, disciplinaire), qu’au niveau de l’interdisciplinarité des notions abordées. Description d’un cours Les cours auxquels j’ai pu assister se sont déroulés de manière assez similaires les uns et les autres, avec une première partie importante focalisée principalement sur le mouvement, et la seconde sur les apprentissages musicaux. Le mouvement est abordé avec les enfants sous forme de sensations. Les deux intervenants font appel à l’imaginaire des élèves pour créer des mouvements. Les différentes atmosphères qui vont être proposées aux enfants sont accompagnées musicalement tout au long de la séance : un univers très chanté et legato au piano induiront une continuité et souplesse de gestes qui seront euxmêmes accompagnés d’images de peinture qu’on étale au sol avec différentes parties de son corps, et un climat rythmique sera instauré lorsqu’il s’agira de marcher tous ensemble sur une pulsation commune. L’omniprésence de l’accompagnement dans les séances est importante, et renforce ce lien qui se créé entre musique et mouvements. D’autre part, et c’est le point fort de ce cours, le lien danse-musique se fait tout au long de la séance par l’utilisation de vocabulaire propres à chaque discipline et la mise en œuvre de celui-ci dans l’autre discipline : par exemple, la résonance du piano est abordée par le mouvement sous forme d’élan allant jusqu’à l’arrêt ; les hauteurs de mélodies se voient transposées dans le mouvement par la hauteur à laquelle les enfants se meuvent, plus ou moins près du sol. Les deux intervenants prennent tour à tour la parole afin d’expliquer les notions de vocabulaire qui sont abordées lors de ce cours, chacun gardant une spécificité : Olivier, la musique, et Vanessa, la danse. Cela n’empêche pas aux deux enseignants de montrer des exemples de ce qu’ils demandent en binôme, et d’être acteurs du mouvement ensemble sur quelques parties du cours. 5 Plus généralement, la séance sur le mouvement est menée par Vanessa et Olivier s’occupe de l’accompagnement, même s’il intervient quelques fois pendant ces séances. La dernière partie du cours est encadrée par Olivier qui fait apprendre, ou répéter un chant que les enfants travaillent pendant quelques semaines. Il s’agit de chants du monde, dans des langues étrangères, et l’apprentissage se fait oralement. Accompagnés par Olivier à l’accordéon, ce qui lui permet de se déplacer et de prendre une place centrale lors de cet échange, le lien avec le mouvement se retrouve alors particulièrement dans le lien avec la structure de la musique : en cercle, les enfants avancent et reculent sur la durée d’une phrase ou le temps d’une partie. 2. Le lien musique et danse à l’association de l’Estran L’éveil musique et danse Luisella RIMOLA commence sa carrière comme chorégraphe, et poursuit des études de kinésiologie au CND. Elle se dirige petit à petit vers l’enseignement, guidée par la compagnie GIOCO COSÎ qu’elle dirige, et qui est accueillie à Saint Herblain, en échange de projets et présentations artistiques, mais également de projets pédagogiques d’enseignement de la danse. Lors de ses expériences de scène, Luisella découvre le malaise des musiciens avec leur corps, et le manque de connaissances musicales des danseurs, ce qui créé des problématiques de travail et de mise en place dans les spectacles où danseurs et musiciens se retrouvent sur scène. Les locaux de l’association de l’Estran dans lesquels réside la compagnie GIOCO COSÎ, jouxtent ceux de la Maison Des Arts (école de musique de Saint Herblain), et Luisella a proposé un partenariat afin de dispenser des cours communs aux élèves et professeurs des deux structures. C’est ainsi que le projet d’un éveil commun voit le jour, en 1994. Aujourd’hui, la structure associative de danse bénéficie encore de ce double apport dans un contexte plus large que celui d’éveil puisque les cours de danse au niveau initiation et deux premières années de technique proposent ce lien 6 avec l’intervention de Christine RACINEAUX, professeur de flûte à la MDA de Saint-Herblain. En revanche, les différences de statut entre l’école de musique et l’association de l’ESTRAN se sont posées comme une barrière à cette cohabitation, et la Maison Des Arts ne bénéficie plus de l’intervention d’un professeur de danse dans ses locaux. Voici comment se déroule habituellement une séance d’éveil : les deux enseignantes préparent le cours d’éveil autour de thèmes pouvant être explorés à la fois par la danse et la musique. Le cours commence par un échauffement corporel mené par Luisella qui va peu à peu amener le thème de la séance. Puis Christine, référent musique du dispositif, rebondit sur ce thème pour induire des bases musicales de rythme, voix ou respiration. Enfin, les élèves peuvent prendre deux directions dans la dernière partie du cours : soit aborder une nouvelle recherche, en groupe, induite par ce que les enfants ont appris dans la séance, ou mettre en forme ce qu’ils ont découvert lors de celle-ci par la création d’une phrase dansée avec un accompagnement, par exemple. La séance d’éveil dure une heure quinze et chaque intervenante se répartit la première heure, il reste alors aux élèves ¼ d’heure de recherche. Les actions culturelles avec la Maison Des Arts Le lien privilégié entre l’association de l’Estran et l’école de musique de Saint Herblain se poursuit dans d’autres contextes que le simple éveil commun. Toujours sous l’impulsion de ces deux professeurs, un programme artistique commun voit le jour chaque année. Ainsi les élèves de danse, lors de ces représentations, sont accompagnés par des musiciens présents sur scène : les élèves de musique qui, eux-mêmes, découvrent un autre aspect de la scène, voire expérimentent des mises en scène extrainstrumentales ! Par exemple, l’année 2011 a vu la classe de saxophone et une classe de danse créer un spectacle (mise en scène et musique) où l’un des musiciens se faisait porter sur scène. Le projet phare de l’année 2012-2013, pour cette collaboration, sera une création avec un orchestre de la Maison Des Arts, un groupe de danseur, et une chorale qui chantera des negro spirituals. 7 Enfin, il y a cette envie de créer un spectacle mêlant danse, musique et arts plastiques sur le thème d’« Il y a cent ans... » dont aucune date de représentation n’est encore fixée. 3. Le double cursus à l’ENMD d’Annecy J’ai eu l’opportunité, lors de mes études, de pouvoir, suivre un double cursus danse et musique pendant dix ans, c’est-à-dire de jouir de l’intégralité des apprentissages tant dans la filière danse que dans la filière musique. L’établissement L’Ecole Nationale de Musique et Danse d’Annecy était, il y a dix ans, une structure telle que le mot « conservatoire » peut le laisser entendre : un endroit de conservation de différentes cultures artistiques et d’enseignement de celles-ci. On pouvait alors apprendre à jouer des instruments dans des esthétiques classique, baroque ou jazz, et la danse classique, modern-jazz ou contemporaine. Il s’agissait de proposer, dans une unique structure publique, les enseignements d’écoles auparavant séparées. Comparativement aux projets d’établissements, la mise en avant des ensembles instrumentaux m’est apparue comme la ligne directrice de cette école. A travers une grande proposition d’orchestres à cordes, d’orchestres à vent, d’orchestre symphonique et d’ensembles de musique de chambre, l’ENMD mettait en avant son département musique en lui offrant une visibilité lors de manifestations dans différents lieux. Côté danse, le lieu d’enseignement n’était pas le conservatoire : les locaux n’étant plus adaptés au nombre d’élèves et de professeurs, le pôle danse avait été transféré dans un gymnase neuf d’un autre quartier. La direction de l’enseignement de la danse était sans doute la professionnalisation des élèves avec, suivant les cycles, de deux à trois cours de danse par semaine. 8 L’année scolaire avait pour aboutissement les passages de cycles et niveaux, et quelques spectacles de fin d’année. Un cloisonnement des apprentissages Ce que je retiens de cette expérience est une dissociation complète des enseignements de la danse et de la musique. L’enseignement de la musique se faisait exclusivement dans les locaux du conservatoire. J’ai ainsi pu avoir un enseignement culturel fourni avec des cours de musique de chambre dès le second cycle, des cours de FM plutôt que de solfège, des cours d’écriture et d’analyse, en plus des cours d’instrument. La structure intégrait très tôt les élèves à des orchestres à cordes ou orchestres d’harmonie, puis l’orchestre symphonique du troisième cycle. L’enseignement de la danse m’a semblé plus traditionnel. J’ai étudié la danse classique pendant sept ans, la danse contemporaine pendant un an et la danse modern-jazz un an également. Pour la danse classique, nous avions la chance d’avoir un pianiste accompagnateur présent au moins une fois par semaine, le professeur de danse contemporaine et modern-jazz utilisant des CD. Chaque cours de danse classique se faisait intégralement en musique. Un cours se découpait généralement en trois parties ; une première pour les échauffements sous forme d’exercices à la barre et pour cela étaient utilisés des morceaux de carrure binaire ; une seconde sous forme d’exercices techniques au milieu (sans barre) également accompagnés de morceaux binaires ; et la dernière s’attachant à l’apprentissage d’une chorégraphie, avec des carrures souvent binaires. Les cours de danse contemporaine et modern-jazz, menés par le même professeur, se présentaient sous forme de chorégraphies continues et de l’apprentissage d’un mouvement dans une globalité esthétique. Lors de mon cursus de danse, j’ai constaté que les cours de danse en étaient le seul contenu : il n’y avait pas d’histoire de la danse, pas d’analyse du mouvement, et pas d’apprentissage de notions de solfège qui auraient pu être utiles aux élèves et enseignants. 9 II L’évidence musique et danse 1. Analyse des trois dispositifs L’éveil musique et danse au CRR de Nantes Cette approche musique-danse par les deux intervenants laisse aux enfants la liberté de l’exploration de l’espace, de leur espace et de la manière de se l’approprier. Il ne s’agit pas d’avoir des mouvements « esthétiques », mais bien de découvrir les possibilités de son corps tout au long des séances. Cette recherche de mouvement m’apparaît comme un espace où l’enfant peut, à loisir, affiner ses perceptions et gestes. Les consignes sont données à l’oral, comme des sensations à trouver, et les enfants restent assez libres de trouver ce qui leur convient. L’ensemble des cours est assez directif et ne laisse pas à l’élève d’espace de verbalisation de ce qu’il a fait ou ressenti : cet espace passe par entièrement par le mouvement. Bien entendu, ce cycle d’éveil s’adresse à des enfants de cinq à huit ans, et il est difficile de leur demander de s’exprimer sur leur ressenti durant le cours, mais les enfants n’ouvrent pas la bouche de la séance, l’espace sonore étant monopolisé par l’omniprésence de la musique et les consignes de recadrage pédagogique. A l’inverse, lorsqu’un des deux enseignants voit quelque chose d’intéressant dans la gestuelle d’un enfant, il lui propose de le refaire pour tous les autres. Il s’agit alors d’ouvrir la perception des possibilités de chacun et de donner la parole gestuelle aux enfants. Pour l’apprentissage des chants, le schéma pédagogique semble assez « conventionnel » : les enfants ne connaissant pas encore l’écriture musicale, et ne sachant pas lire couramment, Olivier utilise donc une méthode d’enseignement par l’oralité sous forme de répétition des exemples qu’il donne. Lors des cours auxquels j’ai pu assister, le lien qui est fait entre la musique et la danse repose sur la longueur des phrases (« en chantant, on avance sur huit temps 10 puis on recule sur huit temps »1), mais n’est pas abordé de cette manière. A aucun moment il n’est question de phrase ou de forme, et le mouvement proposé aux élèves apparaît alors comme un prétexte à un geste sur la musique. Il n’est pas fait mention d’un caractère du chant pouvant s’apparenter à un caractère dansé. En revanche, le « cours de musique » est très imagé, et fait appel à des univers du pays d’où vient le chant : par exemple, pour un chant indien, Olivier fera appel aux images d’animaux exotiques et « emblématiques » de cette région comme le tigre ou le serpent. De plus, cette partie du cours prend vraiment une autre direction avec la mise en avant de la respiration qui « part du sol »1, et de son lien avec la pulsation du morceau. Le lien musique et danse à Saint Herblain Je ne peux pas, à proprement parler, de dispositif pouvant englober l’ensemble des liens qui sont faits entre ces deux disciplines et entre les deux structures : l’association de danse et l’école de musique. En ce qui concerne l’éveil commun, comme le souligne Luisella avec déception, ce cursus ne trouve de continuité qu’à école de danse, par la volonté commune de la direction de l’association et de Christine RACINEAUX, professeur de flûte à la MDA. Dans le cadre de l’école de musique, ce cursus ne trouve pas de résonance dans le dispositif pédagogique des études proposées. Il y a, par ailleurs, dans cette association, une volonté pouvant s’apparenter à une direction d’un projet d’établissement, de rechercher en permanence ce lien entre la musique et la danse, par l’ensemble des propositions artistiques. C’es ce qui m’apparaît comme un des enseignements les plus complets, basé sur la réflexion d’une continuité des apprentissages proposés : outre la mise en place de la pluridisciplinarité dans le cycle d’éveil, les cours de danse proposent une inclusion de cours de musique pour les cycles d’initiation et le début des cycles techniques, tant en danse classique que contemporaine. Le professeur musicien 1 Olivier LANOT lors d’un cours d’éveil 1ère année, le 28 janvier 2012. 11 intervient en binôme avec le professeur de danse dans les cours d’éveil et d’initiation sous forme d’intervention d’une demi-heure dans les cours techniques. La continuité de ce projet d’enseignement voit le jour avec les projets artistiques communs aux deux écoles. Il me semble que la profusion d’idées peut apparaître comme un frein à la pleine réalisation d’un dispositif. Il semble évident que l’association de danse n’a pas encore trouvé le dispositif qui lui convient et, à force de multiples projets, les étudiants pourraient ne pas bien en saisir les différents enjeux, chacun dans sa spécialité. En revanche, les créations communes aux deux écoles sont un atout aux deux disciplines artistiques, tant au niveau du rapport à la scène pour les musiciens que le rapport au son pour les danseurs, et c’est une vraie mise en relief de la pratique artistique qui se joue. Le double cursus Je me suis aperçue assez tôt de l’avantage de mon double cursus lors des cours de danse : les exercices et chorégraphies se faisaient (et se font encore) en musique et respectaient la plupart du temps des carrures binaires de quatre temps. Je découvrais alors l’avantage de ne pas avoir à compter pour retrouver mes pas, et retenir l’enchaînement de ceux-ci. En revanche, j’ai également pu, dans ce contexte, prendre conscience de l’ignorance du solfège de mes différents professeurs. Cela prenait une toute autre ampleur dans les cours avec le pianiste accompagnateur : il y avait une véritable ignorance quant aux différentes carrures liées un style de musique, ainsi il n’était pas rare de voir un professeur demander une valse et créer une chorégraphie sur une structure de huit ou seize temps. J’ai pu constater, dans ces cours, l’extrême adaptabilité de l’accompagnateur de danse perpétuellement en train de traduire les demandes de l’enseignant quant aux vœux de caractère. Il me semble à ce point de vue-là, que ce double cursus n’est pas une solution quant à la mise en valeur des points de rencontre des deux disciplines. 12 Par la négation des deux cursus l’un vis-à-vis de l’autre, je n’ai pas voir ce lien que je souhaite mettre en relief par cette réflexion. Il me semble qu’un élève, enfant qui plus est, peut difficilement faire le rapprochement de deux disciplines qui, elles-mêmes, ne le créé pas. C’est pour cela que le rôle des enseignants m’apparaît comme essentiel dans ces différentes approches, et qu’ils deviendront le centre de ma réflexion dans la troisième partie. 2. Un langage commun La première des comparaisons qui assoit ma réflexion s’attache à l’ensemble des mots et notions communs aux deux disciplines, et qui m’apparaissent comme la réponse à mon questionnement. Les notions On retrouve principalement, comme le souligne Claire NOISETTE1, trois notions omniprésentes dans l’art de la danse et l’art de la musique qui sont : le temps, l’espace et l’énergie. Ces trois notions, en danse, sont intrinsèquement liées. Le temps représente à la fois un écoulement métronomique, mais également un espace que le danseur appréhende pendant une durée : plus le temps est court et plus l’espace utilisable dans le mouvement sera petit. En revanche, un temps étiré laissera au danseur la possibilité de s’approprier un espace plus vaste. Enfin, l’énergie déterminera l’écoulement du temps de manière fluide ou saccadée qui induira lui-même un espace de jeu. Comme pour la théâtralisation du geste, ces trois notions peuvent être utilisées à l’envers de ce qu’elles induisent, et le geste chorégraphique doit alors faire évoluer ces trois notions ensemble. En musique, la notion de temps et d’énergie sont présentes clairement dans l’écriture musicale : le musicien sait, ou apprend à savoir, à la lecture d’une pièce, les énergies auxquelles elle va faire référence, mais également le temps et son écoulement quat au caractère de la pièce, voire des indications plus précises telles 1 L’enfant, le geste et le son une initiation commune à la musique et à la danse, édition Cité de la Musique 13 que les tempi indiqués de manière métronomique. Par contre, la notion d’espace n’est pas souvent abordée dans les cours de musique si ce n’est pour parler d’acoustique. Or la musique traduit un ensemble de mouvements plus ou moins intérieurs (mouvement, en musique, signifie plus souvent un caractère induisant un tempo) qu’on appelle geste musical. C’est cette notion précisément, point crucial de ma réflexion, qui n’est pas ou peu abordée dans les cours de musique, et qui se présente comme un atout majeur de la pratique instrumentale ou vocale « éclairée ». Le vocabulaire Les vocabulaires de danse et de musique ont intégré beaucoup de caractères communs tels que la « phrase », empruntée d’abord à la littérature, et qu’on retrouve en musique puis en danse. Du côté des mots communs aux deux arts, on trouve des termes généraux comme les traits de caractère, les notions de poids (lourd, léger...) qui vont entraîner un état artistique particulier. Dans un autre domaine, celui de l’esthétique, on trouve les termes de phrases/phrasé et vitesse tels que lié, saccadé, lent, rapide... Enfin, des termes plus techniques peuvent faire partie des deux disciplines, parfois sans avoir la même signification ; par exemple le « piqué » en musique signifie la réduction du temps d’une note, alors qu’en danse elle signifie un mouvement complexe (similaire au « jeté » ; « entrechats »...) : le geste musical et dansé n’est pas le même. 3. Qualités d’un dispositif commun Un dispositif d’apprentissage commun aux deux disciplines artistiques mettrait en évidence les apports de l’une à l’autre, mais seraient également un moyen de progresser dans des domaines à la fois sensoriels et psychologiques. 14 Qualités éducatives Les matières artistique mettant en avant la pédagogie de groupe se présentent comme le moyen d’exercer l’attention de l’enfant (danse, musique et autres domaines artistiques) : le participant au cours de groupe doit être présent et acteur de la séance sous peine de perturber la qualité du cours et l’attention des autres enfants. L’enfant comprend assez vite la responsabilité que détient chaque élève du cours de l’avancement de celui-ci. D’autre part, le cours de groupe se présente comme une émulation des enfants les uns par rapport aux autres. Ils peuvent ainsi prendre conscience de leur capacité, de celles de leur camarade, de ce qu’ils peuvent faire mieux et avoir ce regard en miroir qui créé une dimension d’apprentissage supplémentaire des élèves les uns vis-à-vis des autres. Le développement physiologique Un dispositif musique et danse proposé dès la première année de pratique artistique serait une « éducation du comportement dans ses modalités temporospatiales, toniques et sensorimotrices »1 Autrement dit, l’enfant s’occupe, dans un contexte de socialisation, des sensations du mouvement en abordant les notions communes à la danse et la musique. Les apprentissages de la danse et de la musique nécessitent une attention particulière au centre de gravité de l’individu. Les objectifs posturaux sont une des priorités des professeurs de musique et danse. L’attention particulière à l’équilibre de l’enfant permettra de relier les qualités physiques nécessaires à l’appréhension et l’affinement de ces deux disciplines c’est-à-dire qu’en faisant souvent appel à ce point d’équilibre, l’enfant peut remettre en perspective les éléments physiques auxquels la musique et la danse font appel, comme la répartition du poids, le contrôle des mouvements, etc. La proprioception, qui désigne l’ensemble des informations du système nerveux « sur les postures et les mouvements venant des muscles et des 1 Véronique DEREUX, L’éveil à la danse chez le jeune enfant, pédagogie éducative et artistique, L’Harmattan 15 articulations »1, se présente comme le 6ème sens, qui permet l’unité du corps sans toujours réfléchir à tous les mouvements à faire pour un résultat simple. Par exemple, si je plie et déplie mon avant-bras, je n’ai pas besoin de réfléchir à l’articulation qui va entrer en jeu, ni aux muscles que je vais solliciter comme le biceps. C’est cette qualité que met particulièrement en avant le lien dansemusique, principalement chez les enfants qui construisent leur identité corporelle. La proprioception se conçoit également comme un lien entre chaque sens : en mettant en avant « l’inné » du mouvement, elle induit un lien entre chaque sens. Si un seul sens venait à manquer, les enfants ne pourraient se mouvoir de la même façon qu’en pleine possession de leurs moyens. Le développement psychomoteur de l’enfant Pour un développement régulier et complet de l’enfant, il faut prendre en compte son âge : l’appréhension de la sensorialité est une des premières zones du cerveau à arriver à maturité, et la plupart des connexions cérébrales sont mises en place avant vingt ans. Il y a donc des périodes plus propices à certains apprentissages. Expérimenter le lien danse et musique dès les premières années d’apprentissage d’une activité artistique permet d’activer des zones du cerveau relatives aux deux hémisphères. La formation réticulée (ou formation réticulaire cf annexe 1) se situe dans le tronc cérébral et se présente comme l’interface de ces systèmes « autonome, moteur et sensitif. Elle intervient dans la régulation de grandes fonctions vitales (comme les cycles veille-sommeil), le contrôle d'activités motrices réflexes ou stéréotypées, comme la marche ou le tonus postural et dans des fonctions cognitives telles que l'attention »2. C’est-à-dire que les fonctions mentales et l’apprentissage du mouvement se développent en parallèle. Ainsi, ne pas se cogner, apprendre à marcher ensemble... sont autant de gestes induits par le mouvement dans les cours de groupe qui favorisent le développement sensoriel et cognitif des jeunes élèves. 1 2 Le Petit Larousse 2003, MAURY imprimeur S.A., 2002 Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Formation_r%C3%A9ticul%C3%A9e 16 4. Le geste Le geste m’est apparu, au cours de mes recherches, comme l’élément le plus important de cette transdisciplinarité proposée. C’est pourquoi il me semble essentiel d’expliquer les différences entre trois gestes qu’on a tendance à confondre, tant en musique qu’en danse. Le geste théâtral Le geste théâtral me semble le plus facile à définir. Il inclut la notion de représentation et de scène. C’est à la fois mettre une intention particulière dans un geste, qui nécessite une attention au mouvement qui est fait à la fois par la personne qui le fait et par la personne qui le regarde. En musique, on trouve un courant musical qui s’en est particulièrement inspiré : le théâtre musical qui met en scène les instrumentistes dans une théâtralisation du geste instrumental, nous dira Mauricio KAGEL, qui propose une distinction de l’opéra : « il est sans doute plus exact de parler, non pas d’un “théâtre musical” mais bien d’un théâtre instrumental, pour faire la distinction nécessaire entre l’action chantée de l’opéra d’une part et la participation théâtrale de l’instrumentiste d’un morceau de musique de chambre de l’autre. »1 Le geste instrumental Le geste instrumental désigne l’ensemble des gestes inhérents à la pratique d’un instrument. Il existe autant de types de gestes instrumentaux que de types d’instruments : on ne peut pas parler de geste instrumental qu’à deux musiciens de même instrument. Ainsi, pour parler de ma spécialité, tout ce qui a trait à l’archet représente un geste instrumental qui n’appartient qu’au violoniste. Le poids de l’archet vertical, la direction de l’archet plus horizontale, la position de la main droite sur hausse sont chacun le point de départ d’un geste instrumental. Cette spécificité instrumentale, qu’on peut associer avec les gestes instrumentaux de l’alto, ne peuvent pas être 1 KAGEL Mauricio, Tam-Tam, edition Christian Bourgois, Paris, 1983 17 des gestes instrumentaux d’autres instruments. Même le violoncelle, pour s’occuper de son archet, utilisera des gestes instrumentaux différents : un poids de l’archet horizontal, une position de la main droite différente de celle des violonistes... Ce geste instrumental s’apparente au geste d’une spécialité et induit généralement un travail de finesse et de technique. Le geste musical Enfin, et c’est cette notion qui nécessite l’éclaircissement des deux précédentes, je souhaite décrire le geste musical. Celui-là ne requiert pas une technique spécifique aux instruments, et se présente plutôt comme un geste d’instrumentistes, de mélomanes, de danseurs... Il s’agit plutôt d’un geste utilisant l’espace. Le geste musical se présente comme une dissection, d’un passage d’une partition, dans une phrase mélodique, des différents paramètres qui composent cet extrait musical et une retranscription dans l’espace de ceux-ci. S’agissant d’une prise de conscience du mouvement, le musicien n’a pas recours à son instrument. Par exemple, une phrase musicale de huit temps sur une partition peut être symbolisée par une ligne composée de huit cerceaux sur le sol d’une pièce. Le tempo fera prendre conscience de la vitesse à laquelle les huit cerceaux devront être franchis. On peut ajouter à loisir des intentions musicales telles que les notions de poids, d’élans... La transposition de ces caractéristiques musicales dans un espace que les musiciens n’utilisent que peu dans le travail instrumental m’est apparue comme une des pistes les plus importantes dans la recherche de transversalité musique et danse. Dans ce questionnement de la complémentarité des deux disciplines, elle m’est apparue comme fondamentale et fondatrice de la construction de dispositifs communs. Non seulement ce geste musical s’impose comme une transposition du ressenti de l’auditeur, et quelques fois du travail technique du musicien, dans une spatialisation de ces spécificités, mais ce travail corporel mené avec des danseurs qui, eux, partent du mouvement, apportera un ressenti complémentaire aux deux spécialistes. 18 III L’interdisciplinarité En parlant d’interdisciplinarité, je souhaite mettre en avant les qualités de chacune des disciplines, danse et musique, et les apports de l’une et l’autre pour les élèves. En tant que professeur d’instrument, je me place du côté d’un cursus musical « traditionnel » pour les différentes réflexions qui vont suivre. 1. « Faire le lien » Les réflexions récentes autour des projets d’établissement ont mis en avant une volonté de créer des liens entre les différentes disciplines enseignées. Dans l’éducation nationale, et plus spécifiquement les collèges, les projets d’établissement visent à proposer aux élèves des ponts entre les différentes matières. On voit ainsi apparaître des cours d’histoire et de français portant sur la même époque, ou encore des professeurs de musique proposant d’étudier des périodes étudiées en cours d’histoire. Dans la mesure du possible et des exigences gouvernementales, les établissements d’enseignement cherchent à renouveler l’approche des apprentissages en créant une cohérence dans les matières qui peuvent rayonner l’une par rapport à l’autre. C’est dans cette optique que les conservatoires cherchent actuellement à créer des liens entre différentes matières qui n’apparaissaient pas comme complémentaires aux élèves. La grande direction du projet d’établissement du CRR de Nantes est actuellement la mise en avant des pratiques d’ensemble. Pour cela, le conservatoire permet de créer des groupes de musique de chambre dès le premier cycle d’instrument ; adapte les pratiques de Formation Musicale à celles de la pédagogie de groupe en créant une séance de FM, avec les instruments, supervisée par le professeur de FM et un professeur d’instrument ; créé des ensembles vocaux pour les premiers cycles encore. En France, nous assistons à une réflexion et remise en question du système d’apprentissage qui m’amène, en tant que pédagogue confrontée à l’ambivalence de mon éducation musicale et de cet état des lieux au début de ma vie 19 professionnelle, à me projeter en tant que membre d’une équipe pédagogique, pouvant être moteur de projets pour les établissements dans lesquels je serai amenée à travailler, dans la difficulté de trouver les moyens de créer une unité entre les différents apprentissages proposés par ces établissements et mon souhait de mettre en œuvre une transversalité musique et danse. 2. La formation des enseignants Au cours de mes réflexions sur les moyens de mettre en place l’interdisciplinarité, me sont apparues les limites que j’allais rencontrer très vite quant à la formation des enseignants. Le corps de l’enseignant L’enseignant d’instrument, comme « personne ressource » pour chacun de ses élèves, est un miroir auquel les enfants vont se référer. On peut souvent reconnaître les élèves de certaines classes, de certains professeurs. Cela ne signifie pas que l’enseignant est bon ou mauvais, mais simplement que le corps permet de faire passer beaucoup de messages de sensations, de ressenti, et que les enfants sont de véritables réceptacles à ces impressions. Le malaise de quelqu’un se transmet par une attitude perceptible inconsciemment. Dans l’optique de créer un transdisciplinarité musique et danse, il me semble qu’une formation des enseignants, visant tout simplement à une prise de conscience de leur corps, est indispensable. Les élèves voient encore trop souvent des enseignants qui n’ont pas la conscience de leur corps, de leurs possibilités comme de leurs limites. Pour un enseignement d’instrument, où la place du corps est prépondérante, il me semble assez préoccupant de renvoyer cette image du « corps-moyen » (ou « corps-objet » au détriment du « corps-pensant » en imaginant, selon un raisonnement cartésien, que le corps n’est que le prolongement du cerveau et sert uniquement à la réalisation des décisions intellectuelles), qui peut créer, par mimétisme, une raideur ,et dans le pire des cas, un malaise, chez l’apprenti 20 instrumentiste, à plus forte raison l’élève enfant qui est en train de construire son identité corporelle. Une formation spécifique Les professeurs de danse n’ont pas le droit d’exercer sans disposer du Diplôme d’État d’enseignant spécialisé en danse. C’est une protection des structures d’enseignement de la danse et de l’état contre toutes les erreurs physiologiques qui se sont produites, et peuvent encore se produire, avec des personnes inexpérimentées et qui n’arrivent pas à jauger les capacités de leur public. Ainsi, la formation au DE de danse comporte un certain nombre d’apprentissages inhérents à l’enseignement de la danse tels que l’anatomie, des cours d’éveil supervisés par les formateurs... afin de ne pas risquer de blesser un de ses élèves par un manque de connaissance ou de capacité. Bien sur, un enseignant de musique ne peut pas prétendre à des résultats aussi catastrophiques, quoique... Par un manque de vigilance, il reste facile aux élèves de se faire mal. Les preuves en sont les tendinites, contractures, etc. résultats de pratiques instrumentales. Sans pousser les enseignants instrumentistes à bénéficier d’une formation aussi pointue que les futurs enseignants de danse, il me semble que des stages, centrés sur le mouvement en parallèle avec une initiation à la psychomotricité, seraient un second moyen, pour le professeur de musique, de prendre conscience de son corps, du corps de l’autre, et des manières d’aborder sa propre pratique instrumentale différemment afin de pouvoir transmettre un enseignement plus complet, au-delà des seuls paramètres instrumentaux et musicaux. 3. Le maître mot L’éveil musique et danse se présente, dans les structures de Nantes et Saint Herblain, comme un des rares dispositifs de transversalité mis en place. Pourtant, c’est un cursus qui ne se prolonge pas : l’éveil à la musique et à la danse va principalement déboucher pour l’élève, au CRR de Nantes, vers le choix de l’une 21 des disciplines. Après avoir appréhendé pendant deux ans le lien entre danse et mouvement, et avoir pu profiter d’un enseignement commun, le dispositif s’arrête brutalement pour revenir à un cloisonnement des arts finalement assez « traditionnel ». Bien sur, le CRR de Nantes a fixé sa priorité sur une complète refonte du cursus musicale et la mise en exergue des pratiques collectives, mais ce dispositif apparaît comme non abouti. Il s’agit en fait d’un moyen de tester les capacités des élèves afin de les intégrer ou non au cursus de leur choix. De l’autre côté, l’association de l’ESTRAN et la Maison Des Arts de Saint Herblain souffrent de problèmes administratifs qui ne permettent pas la mise en place de ce système dans l’ensemble du cursus des deux écoles, alors qu’il a été pensé comme une mise en commun des apprentissages dès 1994. Il me semble que créer des liens entre les différents apprentissages, c’est aussi créer une continuité dans ceux-ci : utiliser un binôme musicien-danseur s’avère être un vrai pas en avant dans l’appréhension des cycles d’éveil, mais il faut que ces dispositions continuent au-delà de ces deux années, pendant le cursus d’enseignement : c’est ce qui va contribuer à créer ce sens entre les matières. 4. Différentes dispositions L’éveil musique et danse L’éveil musique et danse m’apparaît comme la base d’une édification de l’interdisciplinarité de ces deux arts. Par ce terme, je ne sous-entends pas le suivi d’un double cursus pour les élèves, mais bien la mise en commun de valeurs et notions servant les étudiants des deux matières. Pour le cycle d’éveil, plussieurs tranches d’âge apparaissent comme importantes dans le développement de l’enfant, et l’enseignement serait à adapter en fonction de celles-ci. - A trois ans, le jeune enfant se socialise avec l’entrée à l’école, et une vraie démarche d’intégration lui est demandée par rapport à une prise en 22 charge en crèche. Cette introduction dans un groupe favorise une approche sensorielle « dans la tranche d’âge du plaisir du corps vécu par l’enfant »1. - A cinq ans, l’enfant est centré sur lui-même et donc à l’écoute de soi et de son corps. C’est l’âge des premiers apprentissages qui lui sont présentés comme tels et qui apparaissent comme un début d’autonomie de l’enfant vis-à-vis de ses parents. Dans le cadre d’un cycle d’éveil de deux ans, débuter à cinq ans permet d’aborder l’instrument ou la danse dès sept ans, âge moyen des débutants dans un Conservatoire à Rayonnement Régional. - L’éveil à sept ans et, plus largement, en primaire permettrait de mettre très vite en pratique les sensations de son corps avec l’image de soi. C’est le début de la représentation consciente du corps de l’enfant, et les perceptions et sensations permettent cet aller-retour entre le conscient et l’inconscient en participant à la construction de l’image de soi. Un socle d’apprentissages commun Créer une unité entre les apprentissages à travers des liens danse-musique, c’est aussi essayer de créer des enseignements communs aux deux cursus. - Le plus facile à mettre en place semble la transversalité dans les cours de FM, supervisés par un enseignant de FM et un enseignant de danse. A l’instar de ce qui est mené au CRR de Nantes, la FM apparaît comme le socle de beaucoup de pratiques musicales. La danse ne pouvant se passer de musique, elle s’inscrit naturellement dans cette optique - L’inclusion de la danse dans les cours d’instrument, et de la musique dans les cours de danse s présente comme une seconde idée bien moins réalisable, je le conçois. Comment faire cohabiter un cours de danse et d’instrument ? 1 Véronique DEREUX, L’éveil corporel et musical chez l’enfant de 3 ans, vers l’accompagnement de l’instabilité, édition L’Harmattan 23 Le groupe et les pédagogues La possibilité d’un cours d’instrument avec la présence à la fois d’un professeur de danse et d’un professeur d’instrument ne me semble pas être réalisable de manière hebdomadaire. Par contre, faire intervenir un enseignant de danse une fois par mois, dans un format de masterclass ou de pédagogie de groupe, semblerait possible. Pour cela, il convient de fixer certaines modalités inhérentes à la pédagogie de groupe : à qui s’adresse-t-on et à qui peut-on s’adresser ? Dans l’expectative de former un groupe de travail homogène, il s’agit de rassembler des instrumentistes d’âges similaires (il paraît difficile de mélanger les adolescents à d’autres âges) ou de niveaux similaires, d’esthétique identique, et de mêmes classes d’instruments. Ce qui pourrait donner cet exemple : un groupe d’enfants (moins de douze ans), en 1ère et 2ème année (débutants) jouant d’instruments du quatuor. Une plage horaire d’une heure à une heure et demie suivant le nombre d’élèves, ayant pour objectif la découverte du geste chorégraphique induite par le geste musical, et ce geste musical induisant un geste instrumental. La séance se présenterait sous forme d’exploration des sensations du geste avec et sans instrument (sensations du geste de l’autre, et ressenti de son propre mouvement) et la présence de l’enseignant de danse accompagné d’un enseignant d’une des classes de violon, alto ou violoncelle (voire contrebasse). Je souhaite faire part d’un dispositif relativement similaire qui a été mis en place à la demande de Dominique LE VOADEC : assez étonné des carcans physiques dans lesquels se débattaient les élèves d’un atelier d’improvisation, il a proposé à Luisella RIMOLA d’intervenir une fois par mois auprès des élèves afin de proposer un travail corporel adéquat. Là encore, la ligne directrice de ce dispositif me semble être la continuité. Aussi, je suis bien consciente que la mise en place de ce type de cours de groupe pourrait poser certains problèmes quant à certaines tranches d’âge, je pense particulièrement aux adolescents, qui ne présentent pas la même aise corporelle que les enfants. Je pense, par contre, en projetant ce dispositif à moyen terme, pouvoir assurer que les cours de groupe des adolescents seraient plus détendus s’ils avaient fait partie 24 du dispositif dès leur début. Et je ne pense pas m’avancer beaucoup en affirmant que le lien fait entre les gestes, avec et sans instrument, et l’expérimentation de ceux-ci, apporteraient une plus grande aise à chaque instrumentiste. Un partenariat entre écoles Toutes les structures d’enseignement de la musique ne proposent pas forcément de cursus de danse et, à l’inverse, certains conservatoires ne s’adressent qu’aux danseurs. Pour cela, un partenariat entre une école de danse et une école de musique, comme l’idée première qui a guidé la collaboration de l’association de l’ESTRAN et la MDA de Saint Herblain, me semble une bonne alternative à l’essai de mise en place d’un échange entre deux arts et deux conceptions du mouvement. 25 Conclusion Le sujet de mon mémoire me tient particulièrement à cœur quant à la mise en valeur d’un lien entre la danse et la musique, qui me paraît un élément insécable de ces deux arts. J’ai conscience du caractère spécifique de mon questionnement, dû à l’enseignement que j’ai reçu tant au niveau de la danse que du violon, et de toutes les contraintes que nécessiteraient la mise en place de dispositifs transversaux, notamment dans de petites structures. Mais je me prends à penser que nous allons vers une globalisation de l’enseignement qui met en avant le lien entre les différentes apprentissages. Au cours de l’histoire commune de la musique et de la danse, on a pu voir évoluer la vision que chaque spécialité avait de l’autre avec la vision de Marius PETIPA se servant de la musique comme support de la danse, puis avec l’école russe et Rudolf NOUREEV créant une danse au service de la carrure musicale, et enfin la mise en relief des hasards avec notamment les expérimentations de John CAGE et Merce CUNNINGHAM (cf. annexe 2). La démarche actuelle tend à rendre le corps du danseur musical, et j’espère voir apparaître plus fréquemment des musiciens utilisant leurs corps pour danser avec leurs instruments. Mais la réflexion sous-jacente à ce mémoire va bien au-delà de cette recherche d’interdisciplinarité dans la musique, et au-delà des projets pédagogiques d’aborder les différents arts (on pourrait étendre la réflexion aux arts plastiques, au cinéma...). Cette recherche de cohérence dans les enseignements m’amène à une question plus profonde : qu’est-ce-que je souhaite transmettre en tant qu’artiste ? Qu’estce-qu’un artiste peut transmettre de sa passion ? Que peut recevoir un être humain de l’art ? 26 Bibliographie AGOSTI-GHERBAN Cristina, L’éveil musical une pédagogie évolutive, édition L’Harmattan, Paris, 2000 BOREL Vincent, Un curieux à l’opéra, abécédaire impertinent, édition Actes Sud, 2006 COMMANDEUR Laurence, La formation musicale des danseurs, édition Cité de la Musique : centre de ressources musique et danse, 1998 DEREUX Véronique, L’éveil à la danse chez le jeune enfant, pédagogie éducative et artistique, édition L’Harmattan, 2005 DEREUX Véronique, L’éveil corporel et musical chez l’enfant de 3 ans, vers l’accompagnement de l’instabilité, édition L’Harmattan, 2009 HOPPENOT Dominique, Le violon intérieur, éditions Van de Velde, 1981 ISRAEL Lucien, Cerveau droit cerveau gauche, cultures et civilisations, La Librairie PLON, 1995 LAZORTHES Guy, L’histoire du cerveau, genèse, organisation, devenir, édition Ellipses, 1999 NOISETTE Claire, L’enfant, le geste et le son une initiation commune à la musique et à la danse, édition Cité de la Musique : centre de ressource musique et danse, 1997 NONO Luigi, Ecrits, traductions de Laurent Feneyrou, Contrechamps Editions, Genève, 2007 RENARD Claire, Le geste musical, édition Hachette/Van de Velde RICQUIER Michel, L’utilisation de vos ressources intérieures dans votre activité instrumentale, artistique, sportive, etc., Gérard BILLAUDOT Editeur, Paris, 1984 SACKS Oliver, Musicophilia, la musique, le cerveau et nous, traduction de Christian CLER, Editions du Seuil, 2009 SEDEL Frédéric, Professeur LYON-CAEN Olivier, Le cerveau pour les Nuls, Editions First-Gründ et XO Editions, 2010 SIRON Jacques, Dictionnaire des mots de la musique, édition Outre mesure, Paris, 2002 27 Annexes Annexe 1, la formation réticulée Annexe 2, Merce Cunningham 28