Énoncé d"une politique linguistique relative aux québécismes
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Énoncé d"une politique linguistique relative aux québécismes
ÉNONCÉ D'UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE RELATIVE AUX QUÉBÉCISMES Avant-propos Depuis sa création en 1961, l'Office de la langue française du Québec s'est occupé à plus d'un titre de la question de la langue au Québec. fi a énoncé quelques mesures protectionnistes en faveur de la langue française d'ici, comme le document sur la norme du français parlé et écrit et la liste d'une soixantaine de canadianismes de bon aloi en font foi. À partir du début des années 70, l'accent fut davantage mis sur la terminologie en raison des mandats de francisation de la langue de travail qui furent successivement dévolus au premier Office, puis à la Régie de la langue française et de nouveau à l'Office. Ce dernier a en outre reçu par voie législative un mandat concernant l'étude et le traitement des questions linguistiques et terminologiques reliées à l'administration de la Charte dela langue fra1l{aise. L'évolution rapide des mentalités, au regard de la norme linguistique québécoise à promouvoir, et l'importance prise par le dossier linguistique québécois amènent l'Office à se préoccuper aujourd'hui des québécismes d'une manière beaucoup plus active. Cette action n'a pas seulement un enjeu linguistique théorique, elle s'insère dans le contexte concret de l'évolution générale de la société québécoise depuis vingt-cinq ans et dans la perspective de l'évolution de la francophonie. L'énoncé d'une politique linguistique relative aux québécismes répond à de nombreux besoins. Quotidiennement, l'Office fait face à des questions d'ordre linguistique et terminologique portant sur des éléments spécifiques aux Québécois et pour lesquels il doit proposer des solutions adéquates. Après plusieurs années de recherche terminologique intensive, le moment est venu de produire un document définissant des critères par lesquels des québécismes techniques et scientifiques recevront une reconnaissance officielle. Au moment où la question de la langue au Québec atteint le degré maximum de consensus social, il est approprié que l'Office diffuse, par étapes, un modèle linguistique du lexique québécois officiel. Cela signifie que l'énoncé s'intéresse en priorité au volet terminologique de la langue française au Québec, qu'il donne son avis sur la communication institutionnelle ou officielle dans le cadre délimité par la Charte dela langue française et dans le registre soutenu de la langue française au Québec. L'utilisation privée de la langue ne fait l'objet d'aucune intervention et la liberté individuelle n'est aucunement brimée en ce qui regarde l'usage de la langue générale. Si l'on distingue bien les deux concepts de français général et de français de spécialité (voir les définitions au paragraphe 3.2.), l'énoncé concerne davantage le second, c'est-à-dire qu'il est orienté du côté de l'usage technique et scientifique de la langue française. fi est toutefois inévitable qu'à certains moments la frontière entre la langue courante et la langue spécialisée soit ténue, inexistante même. On retiendra néanmoins que cet énoncé se réfère surtout à des circonstances de discours terminologique. D'une manière plus spécifique encore, ce document n'embrasse que l'aspect lexical, laissant de côté toutes les autres composantes de l'étude de la langue. Un énoncé comme celui-ci recèle par ailleurs un vaste programme de recherche qui ne peut être uniquement pris en charge par l'État, et encore moins par un seul organisme comme l'Office de la langue française. fi y faut l'appui et la contribution de tous les universitaires et de tous les autres chercheurs qui sont préoccupés par la recherche linguistique québécoise. Quoique de nombreux travaux aient déjà été publiés, que de nombreux autres soient en voie d'achèvement et que d'autres encore soient projetés, il reste évident que la connaissance du français québécois demeure lacunaire. À l'heure actuelle, il n'existe aucune description scientifique complète du français utilisé au Québec; seuls quelques résultats partiels sont disponibles ou accessibles. C'est en tenant compte de ces facteurs que le présent texte a été élaboré. 240 Répertoire des avisterminologiques et linguistiques Introduction: un choix terminologique Le choix du terme québécisme mérite une explication et une définition aux fins du présent énoncé de politique linguistique. Ce terme a été retenu en lieu et place d'autres formes linguistiques comme variante,particularisme ou régionalisme. Ceux-ci sont en effet marqués d'un à priori sociolinguistique négatif qui ne facilite pas leur emploi dans un texte comme celui-ci,alors que des contresens peuvent toujours survenir. Au surplus, ils entretiennent encore une idée d'assujettissement à une norme de référence centrale, définie et reconnue pour l'ensemble de la langue française. Le terme québécisme a l'avantage de ne pas comporter de connotation hiérarchique par rapport à une norme. fi caractérise les termes et les mots dont l'usage est propre au Québec. Les récents mouvements de décentralisation de la langue française et d'affirmation des identités nationales ont été à l'origine de réflexions nouvelles et originales sur des concepts clés comme « langue générale ,., « norme» , « régionalisme lO, « québécisme lO, et ainsi de suite. Ces perspectives novatrices ont pour effet de valoriser les aires linguistiques qui forment la francophonie. Entraîné par son propre mouvement interne de changement linguistique, le Québec a adhéré à cette nouvelle manière de percevoir la langue française. Désormais, au Québec, celle-ci sera synchroniquement perçue et identifiée en référence à l'ensemble national contemporain qu'est le Québec, de manière à dénoter clairement l'intention des Québécois d'autogérer cette part qui leur est propre en matière de langue. Le rapport historique à une norme centrale prend ainsi pour chacune des communautés de la francophonie une autre signification, dont cet énoncé est l'une des premières manifestations tangibles, officielles et localisées, même s'il se limite à la portion spécialisée du français. Cette approche de la norme ne signifie nullement une coupure avec le français européen, source première du développement des français régionaux. Elle signifie que le jugement normatif à sens unique fait place à d'autres types de rapports, qui impliquent cependant qu'un point d'ancrage commun à tous les francophones doit persister. Tous partagent l'héritage linguistique de la France, chacun l'ayant fait fructifier suivant ses modalités propres. Perçue ainsi, la langue française du Québec représente l'un des sous-ensembles de la langue française, y compris donc les différences et les ressemblances. Dans cet énoncé, le terme québécisme s'entendra d'un fait lexical (mot, expression ou leur sens) appartenant au franrais régional du Québec. La définition est limitée au niveau lexical, puisqu'une définition complète devrait idéalement inclure tous les aspects linguistiques des québécismes, comme la phonétique, la grammaire, la syntaxe, etc. Ainsi, les québécismes dont l'usage est généralisé dans l'ensemble du Québec ou ceux dont l'emploi est particulier à l'une ou à l'autre de ses régions (québécismes régionaux) forment le sous-ensemble lexical de la langue française telle qu'elle existe au Québec. 1. Préambule Vu la Charte de la langue franraise sanctionnée le 26 août 1977, dont le préambule affirme que la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité et qui décrète que le français est la langue officielle du Québec; Vu le mandat confié à l'Office de la langue française de « définir et conduire la politique québécoise en matière de recherche linguistique et de terminologie» (art. 100), d'intervenir en matière de normalisation terminologique (art. 113 d, 114 b-g, 116, 117 et 118) et en matière de francisation (art. 141 c-g); Attendu que: Depuis plus de vingt ans, des lois visent à promouvoir la correction et l'enrichissement de la langue française au Québec, conformément aux préoccupations de la collectivité québécoise; Le Québec est en rapport étroit et constant avec l'Amérique anglophone et qu'il est soumis à un contact permanent avec la langue anglaise; La société québécoise représente une partie importante de la francophonie; Répertoire deIal/il termin%giqlltl et /inguiltiquel En conséquence, l'Office de la langue française énonce une politique relative aux québécismes, politique fondée sur le principe suivant : le statut de certains termes en usage au Québec doit être déterminé d'une manière officielle, afin de répondre aux besoins identifiés au Québec et dans divers milieux étrangers, notamment chez les lexicographes. Les critères de reconnaissance des québécismes tiennent compte du système de la langue française et de la nécessité de maintenir l'intercommunication avec la francophonie. 2. Problématique Le présent énoncé de politique souhaite répondre à un ensemble de besoins clairement manifestés par la collectivité québécoise et définit un certain nombre d'objectifs réalisables à court, moyen et long terme. 2.1. Objectifs généraux D'une façon générale, cet énoncé vise à répondre aux besoins exprimés par divers milieux d'une prise de position officielle de l'Office de la langue française en matière de norme linguistique pour le Québec. L'énoncé de politique sur les québécismes constituera, avec les énoncés déjà publiés ou à venir, un cadre de référence visant à proposer une norme de la langue française au Québec. Cette norme, qui s'insère dans le processus d'aménagement linguistique du Québec, doit tenir compte du contexte socioculturel et sociolinguistique du Québec, de sa situation géographique et de son appartenance à la francophonie. La norme doit également être définie en rapport avec les concepts de « français général » (langue générale), « français de spécialité» (langue de spécialité) et « français régional », D'autre part, des distinctions très nettes doivent être établies entre l'usage institutionnel (officiel) et l'usage individuel ou privé. Enfin, cet énoncé de politique veut situer le français québécois par rapport à la francophonie et définir le rôle que le Québec entend jouer dans l'enrichissement et le développement de la langue française. 241 2.2. Objectifs linguistiquel Sur le plan linguistique proprement dit, cet énoncé de politique vise des objectifs généraux, mais également des objectifs particuliers à la lexicographie et à la terminologie. 2.2.1. Objectifs linguistiques généraux La présente politique entend: Définir des principes permettant de poursuivre la réflexion sur le lexique québécois contemporain, de participer à sa description et, partant, d'apporter une contribution à la définition de la norme langagière québécoise. Distinguer la communication individuelle ou privée, dans laquelle elle n'intervient jamais, de la communication institutionnelle ou officielle dans laquelle elle pourra intervenir suivant des degrés qui peuvent varier et qui sont explicités plus loin (cf. paragr. 3.). L'intervention préconisée n'aura lieu que dans le seul cadre du registre soutenu et officiel de la langue française au Québec, balises qui sont déjà contenues dans la Charte de la langue fran{aùe. Reconnaître le phénomène des québécismes comme moyen d'enrichissement de la langue française dans son ensemble, tout en affirmant que le français est une langue partagée par les communautés francophones du monde, incluant le Québec. En conséquence, affirmer que la langue d'usage au Québec est le français, langue qui est née en France et qui s'est répandue dans différents pays et États au cours des siècles. Créer un instrument pour faciliter au Québec la recherche des moyens pour dénommer en français des réalités nouvelles, issues pour la plupart de l'Amérique anglophone. La position géographique du Québec lui permet de percevoir rapidement les nombreuses manifestations non seulement techniques et scientifiques, mais aussi socioculturelles qui s'y déroulent. Cette situation stratégique en fait un moteur essentiel de l'activité linguistique de la francophonie, particulièrement en matière de néologie. Définir de façon plus pratique et objective le concept de « québécisme ». En effet, cette question, que ce soit dans ses relations avec les travaux de terminologie ou 242 Ripmoi,., des avistemlinologiqun " JingtiisliqlllS avec les travaux sur la langue générale, ou encore dans ses rapports avec la francophonie, a été jusqu'ici peu étudiée par les organismes voués à la recherche linguistique et terminologique. Établir des lignes directrices guidant l'utilisation de la langue officielle en général et, en particulier,l'emploi des québécismes. Proposer un guide qui serve de point de référence pour les différents intervenants dans le domaine langagier au Québec: milieux de l'enseignement, de l'information, de la culture, de la linguistique, etc. 3. Énoncé de politique 3.1. Principes directeurs 3.1.1. Généralités La politique relative aux québécismes s'appuie sur le principe général suivant, à savoir que la francisation du Québec a nécessité, nécessite et nécessitera un effort intense et continu d'aménagement terminologique et linguistique. Cet aménagement suppose des prises de position multiples à propos de certains fondements linguistiques, comme les niveaux de langue, les modes de créativité lexicale à favoriser, le traitement de l'emprunt, la qualité de la langue, et ainsi de suite. 2.2.2. Lexiçographie Les objectifs d'ordre lexicographique sont de: Répondre de façon objective et fonctionnelle aux demandes des lexicographes qui désirent avoir accès à des corpus de québécismes afin de les inclure dans les dictionnaires de la langue française, notamment dans ceux qui sont ou seront publiés en France. Dans la mesure où les lexicographes incorporent des québécismes dans la nomenclature de leurs dictionnaires, québécismes qualifiés d'officiels, il revient au Québec de fournir une image contemporaine et réelle des unités lexicales les plus acceptées et les plus justifiées. Contribuer concrètement à la mise à jour des dictionnaires du français en participant activement à l'enrichissement collectif de la langue française, facilitant ainsi la communication entre les francophones. 3.1.2. Aspects partiçuliers Les principes directeurs particuliers revêtent deux aspects : des aspects normatifs et des aspects descriptifs. 3.1.2.1. Aspects normatifs Une politique traitant des québécismes doit être à la fois normative et préventive. Normative, elle doit fournir à ses utilisateurs les critères qui permettent de décider si un québécisme est acceptable ou non, et donc proposer un choix cohérent. Préventive, elle doit proposer et promouvoir, s'il est nécessaire, des mécanismes destinés à favoriser l'aménagement du corpus du français québécois. Elle doit faire en sorte que la langue française utilisée au Québec et par les Québécois puisse manifester son autonomie et son universalité. 2.2.3. 1:er7.ninotogie Les objectifs d'ordre terminologique sont de : Définir des critères de reconnaissance et d'acceptation de termes québécois déjà en usage, récemment créés, ou à créer, pour répondre à des besoins spécifiquement terminologiques, c'est-à-dire des termes propres à dénommer des réalités et des découvertes technologiques et scientifiques mises au point ou utilisées au Québec. Identifier les québécismes qui offrent une solution de remplacement pour les termes qui s'intègrent mal ou difficilement aux usages linguistiques québécois. Favoriser la diffusion des québécismes scientifiques et techniques dans les autres aires de la francophonie. L'énoncé de politique part du principe que la langue française du Québec repose sur les mêmes fondements que les autres français régionaux. Le texte ne prône aucunement la formation d'une langue québécoise détachée du français d'Europe, non plus que la mise en valeur d'un dialecte, d'un patois, d'un argot ou d'un jargon particuliers. Les québécismes doivent principalement servir à dénommer des réalités concrètes ou abstraites qui n'ont pas de correspondant ou qui ne sont pas encore dénommées en français, ou pour lesquelles les dénominations québécoises qui les expriment ont acquis un statut linguistique ou culturel qui les rend difficilement remplaçables. Rlpertoi,., des avisterminologiques etlingtlistiques Les termes ou les mots empruntés aux langues autochtones amérindiennes et à l'inuktitur depuis le XVI" siècle sont considérés comme intégrés au patrimoine linguistique québécois. Ce sont donc des québécismes conformes aux principes fondamentaux de la variation linguistique. fi en est de même d'un certain nombre d'emprunts à la langue anglaise qui, ayant pénétré depuis longtemps dans l'usage français du Québec, se sont parfaitement intégrés, donnant même parfois naissance à des dérivés, à des composés ou à des syntagmes. Les catégories d'emprunts aux langues autochtones, à l'anglais ou à d'autres langues, qui sont à rejeter, ou encore qui ne font pas l'objet d'une intervention, sont définies dans l'Énondde politique relative à l'emprunt de formes linguistiques étrangères (paragr. 2.2.2.2. et 2.2.2.3.). L'acceptabilité d'un québécisme est définie à l'intérieur d'une perspective temporelle. Le québécisme récent sera soumis aux critères énoncés ci-après. Le québécisme ancien fait déjà partie du patrimoine linguistique des Québécois, c'est-à-dire qu'il est plus ou moins répandu et intégré dans la langue depuis plus ou moins longtemps. À ce titre, il ne sera pas l'objet d'une intervention si ce n'est de façon très exceptionnelle. De plus, cet énoncé de politique porte exclusivement sur les québécismes qui relèvent du lexique. L'acceptation ou le rejet d'un québécisme doit tenir compte à la fois des structures de la langue française, des aspects sociolinguistiques propres à la collectivité québécoise francophone et des besoins de la communication internationale et francophone. 3.1.2.2. Aspectsdescriptifs Le présent énoncé s'inscrit dans une démarche plus globale qui vise à définir pour le Québec une norme langagière appropriée. Seuls les québécismes répandus ou connus de la plupart des Québécois sont ici pris en considération. fi ne prétend donc pas intervenir ni se prononcer sur les québécismes régionaux, c'est-à-dire les unités lexicales caractéristiques de l'une ou l'autre des régions du Québec. De façon contrastive, l'énoncé met en relief l'absence d'une description scientifique complète du français aujourd'hui utilisé au Québec. 243 3.2. Définitions générales Plusieurs concepts linguistiques doivent intervenir dans un document comme celui-ci. La plupart sont utilisés dans leur sens habituel et leur définition est facilement accessibledans les dictionnaires généraux ou les dictionnaires de linguistique. Quelques-uns d'entre eux nécessitent des définitions renouvelées afin de bien saisir la portée et les limites de l'énoncé. Les définitions ci-dessous ne concernent, le cas échéant, que l'aspect lexical et ne sont données qu'aux fins de faciliter la compréhension du présent document. Elles ne sont ni lexicographiques ni formelles sur le plan de la genèse des langues. • Langue française ou français s'entendra de la langue parlée ou écrite par une majorité d'usagers en France, répandue et utilisée dans d'autres pays, États ou territoires de civilisation ou de culture à prépondérance française ou partiellement française. • Français général ou langue générale s'entendra de la partie de la langue française d'usage courant et qui est comprise par l'ensemble des usagers lorsqu'ils l'emploient dans des activités ordinaires; elle est habituellement décrite dans les dictionnaires de langue. • Français de spécialité ou langue de spécialité s'entendra de la langue française dans ses emplois sociolinguistiques marqués que sont les circonstances de discours scientifiques ou techniques, que l'on appelle ordinairement la terminologie; elle est habituellement décrite dans les dictionnaires terminologiques. • Français régional s'entendra de la partie de la langue française d'usage courant, caractérisant une aire linguistique francophone déterminée et qui est utilisée dans les activités ordinaires. • Québécisme s'entendra d'un fait lexical (mot, terme, expression ou leur sens) appartenant au français régional du Québec. • Communication individuelle s'entendra du discours oral ou écrit qui s'établit entre deux ou plusieurs individus dans le cadre de besoins personnels ou privés. Le terme communication privée est synonyme. 244 Répertoire des avisterminologiques et linguistiques • Communication institutionnelle s'entendra du discours oral ou écrit qui s'établit entre deux ou plusieurs individus dans le cadre de besoins officiels, publics ou professionnels. Le terme communication officielle est synonyme. les québécismes orthographiques, c'est-à-dire les unités dont la graphie diffère de celle qui est utilisée en France ou ailleurs dans la francophonie. 11 sera tenu compte de cet aspect dans les critères de choix des québécismes. 3.3, Les québécismes et la langue Ex. F cocktail / Q coquetel F canoë / Q canoé (variante orthographique) F jogger / Qjoggeur Du point de vue des sciences du langage, les faits linguistiques québécois se répartissent dans différentes branches du domaine de la linguistique. 11 y a des particularismes québécois en phonétique, en grammaire et en syntaxe, tout comme il en existe dans le lexique, la sémantique et même dans l'orthographe. En outre, les québécismes peuvent relever soit de la langue générale, soit d'une langue de spécialité. Conformément à la définition donnée à québécisme dans cet énoncé (cf. 3.2.), on ne traitera ici que des aspects lexicaux, orthographiques et sémantiques. De plus, l'énoncé vise principalement, mais non exclusivement, le lexique spécialisé (terminologie). 3.3.1. Les québécismes Les québécismes qui appartiennent au domaine lexical revêtent deux aspects distincts : un aspect formel et un aspect sémantique. 3.3.1.1. Le québécisme formel est une unité dont le signififiant et le signifié sont tous deux régionaux (ex. épluchme, cégépien), ou encore dont seul le signifiant est régional, Les subdivisions précédentes ne signifient pas que l'utilisation du québécisme formel ou sémantique est restreinte au Québec, aire d'origine du phénomène. 11 peut en effet se répandre et s'intégrer à la langue française d'usage universel, le référent étant alors partagé ou connu par l'ensemble de la communauté francophone (ex. motoneige, terminologue). 3.3.2. Classification des québécismes 3.3.2.1. RPmarques préliminaires Quand il s'agit d'élaborer une typologie linguistique des québécismes, plusieurs options théoriques s'offrent aux chercheurs, par exemple, le recours à une analyse à la fois historique et différentielle. Ici, les québécismes sont présentés selon une typologie qui reflète leur origine. Cette typologie, qui ne prétend pas être la meilleure, a été choisie pour mettre en relief la variété des québécismes et pour faciliter la distribution des exemples présentés. le signifié étant partagé par l'ensemble de la communauté francophone (ex. chiropratique, bande publique, tabagie). Chiropratique et bande publique sont des synonymes géographiques des termes chiropraxie et canal banalisé employés en France. Plusieurs circonstances historiques ont joué un rôle de premier plan dans le développement de la langue au Québec, de sorte que les québécismes peuvent être rattachés à des sources étymologiques diverses. Quatre grands regroupements de langues permettent d'identifier la provenance des unités : 3.3.1.2. Le québécisme sémantique est une unité dont seul le 1. Les langues autochtones (langues amérindiennes et l'inukritut). signifié est régional, le signifiant étant déjà connu dans l'ensemble de la communauté francophone (ex. dépanneur" type d'établissement commercial »; souffleuse " chasse-neige »). 2. La langue anglaise en usage au Québec après la Conquête. 3.3.1.3. 3. Les langues modernes comme l'espagnol, l'allemand, l'italien, etc., mais principalement l'anglais nord-américain contemporain. Parmi les québécismes formels, il existe un groupe particulier qui requiert une attention spéciale. Ce sont Répertoin Ms at/is terminologiques ,tlinguistiques 4. La langue française telle qu'elle s'est développée au Québec depuis l'arrivée des Français au Nouveau Monde. Les québécismes proviennent donc d'emprunts totaux ou partiels à diverses langues ainsi que de créations directes ou indirectes à partir du français. Les unités lexicales peuvent revêtir la forme d'unités simples (ex.: bleuetière, renardière), d'unités syntagmatiques (ex.: courriériste parlementaire, gare de transport intermoda/) ou de locutions (ex.: à frais virés). On distinguera les québécismes anciens, c'est-à-dire ceux qui sont attestés avant 1960, et les québécismes récents, c'est-à-dire ceux qui ont été créés après 1960 (Révolution tranquille). La période de la Révolution tranquille, prise ici comme témoin, marque un tournant dans l'histoire politique, sociale et culturelle du Québec, de même que dans l'évolution de la langue employée par les Québécois. Pour cette raison et aux fins du présent énoncé, l'année 1960 sert à tracer la frontière entre les québécismes anciens et les québécismes récents. Enfin, il faut noter que des unités lexicales créées ou employées au Québec ne sont pas exclusives au territoire québécois. Elles peuvent être connues et en usage dans une partie ou dans l'ensemble de la communauté francophone. Ainsi, doubleur et budgeter sont respectivement utilisés par les Belges et les Rwandais, tandis que didacticiel, nordicité, terminologue ont déjà pénétré dans l'usage francophone universel. 3.3.2.2. TYpologie Les exemples présentés sous chacune des classes illustrent surtout des emplois terminologiques. Mais il ne s'agit pas nécessairement de termes normalisés ou recommandés par l'Office de la langue française. Afin de faciliter leur compréhension et d'indiquer dans quel sens ils sont employés, les québécismes cités sont définis en annexe'. 1. Québécismes originaires dufonds fran(ais a) Arrhaïsme Forme lexicale ancienne, originaire de France, disparue ou en voie de disparition dans le français contemporain, mais encore en usage au Québec et dans certaines régions de la francophonie. Ex.: maner grafigner aplomber cèdre moulin à scie Les archaïsmes sont le plus souvent des unités qui, attestées en français du XVI" siècle ou des siècles antérieurs, n'ont pas survécu en français général, mais qui sont toujours vivantes dans certaines régions francophones. b) Dialectalisme Forme lexicale ancienne, originaire de l'un ou l'autre des dialectes de la France parlés par les premiers Français venus en Amérique et qui a survécu dans l'usage linguistique des Québécois et dans certaines régions de la francophonie. Ex.: bordée de neige godendart demiard c) Québécisme de fréquence Forme lexicale ancienne ou récente, originaire de France ou d'ailleurs et dont la fréquence d'emploi est différente au Québec et dans les autres parties de la francophonie. Ex.: radi«;« poste JO cassonade, " sucre roux JO d) Québécisme orthographique Forme lexicale ancienne ou récente dont l'orthographe québécoise diffère de celle qui est pratiquée ailleurs dans la francophonie. Ex.: coquetel canai 1. Dans le glossaire, les exemples sont précédés de pondération. 245 246 Rlpmoirr Ms avistwm;nologiqlllS '11;ngtlisliqlllS 2. Québécismes demation s'agit ici de formes lexicales de création québécoise ou de sens donné au Québec à des formes lexicales d'origine française ou étrangère (néologismes). n La plus grande partie des emprunts québécois proviennent de l'anglais (1), des langues amérindiennes (amérindianismes) (2) ou de l'inuktitut (inuitismes) (3). À la catégorie des emprunts, il convient d'ajouter les xénismes (4). a) Néologisme deforme Ex.: (1) dralll brunch Forme lexicale ancienne ou récente, créée sur le territoire québécois. Ex.: moton,ig, didactici,1 nordicité ",lationniste voyagiste cégep (2) achigan atoca pimbina toulatii maskinongé bande publique chiropratique tratllt'Si". souffkw, (3) lnuk cométique b) Néologisme desens Forme lexicale ancienne ou récente, d'origine française ou étrangère, et dont au moins un des sens est propre à l'usage linguistique québécois. Ex.: tabagie raquett' nlftar travm' (4) sOllVlaki painpita Les amérindianismes et les inuitismes désignent le plus souvent des réalités géographiques, toponymiques, fauniques ou floristiques, ou encore des traits distinctifs des civilisations de l'Amérique; ils sont en nombre limité et constituent des emprunts anciens. b) Calque Les néologismes sémantiques peuvent provenir d'une base française (1), d'une base québécoise (2) ou d'un emprunt déjà admis (3). Forme lexicale ancienne ou récente, empruntée à une langue étrangère et transposée dans l'usage linguistique des Québécois à partir d'une traduction littérale. Ex.: (1) expmis, Ex.: ,",sonn,-msoll1'f' (angl, ",soum,",son) autobw scolai", (angl, school bw) frime glacée (ang1. iœ mam) portage balis, vérificat,ur (2) épillfhettl cégépi,n (3) coqlleron 3. Québécismes d'emprunt a) Emprunt Forme lexicale ancienne ou récente, originaire d'une langue étrangère et intégrée dans l'usage linguistique des Québécois, avec ou sans adaptation phonétique, graphique, morphologique ou syntaxique. n existe également des calques sémantiques. Dans ce cas, le sens emprunté vient s'ajouter aux sens d'une forme qui est déjà d'usage en français. Ex.: sow-marin (ang1. submarine (sandwich) alignement (ang1. alignment) 3.4. Critèresde choix Les critères ont été divisés en trois catégories : - Les critères d'acceptation; Les critères de rejet; Les critères de non-intervention. Ripertoirr du avisterminologiqras el /inpisliqras Ces critères ne doivent pas être appliqués uo/ément ni individuellement. lis font partie d'un ensemble interactif F gaufn Qgallfnrie constituant en quelque sorte un crible ou un filtre linguistique permettant d'en arriver à un jugement pondéré pour chaque cas de québécisme qui doit faire l'objet d'une décision. F francophone Qfrancophonuer Qfrancophonuation (3) F g/aciel (adj.) 247 Qg/aciel (subst.) 3.4.1. Critères d'acceptation Remarque L'acceptation de québécismes n'entraîne pas le rejet de la forme française lorsqu'elle existe et qu'elle est en usage ou connue au Québec. Seront acceptés : • Les québécismes qui servent à remplacer un emprunt pour lequel il n'existe pas d'équivalent français. Ex.: F ferry-boat Q traversier F drive-in Q ciné-parr F shopping Q magasinage • Les québécismes de sens dont l'usage s'est répandu en français et qui ont ainsi permis la création de sens nouveaux en français général. Ex.: terminologie:" étude systématique des termes • Les emprunts anciens à l'anglais et aux langues amérindiennes ainsi qu'à l'inuktitur et leurs dérivés, composés ou syntagmes. Ex.: drave (de l'angl.) F érable Ex.: (1) Q motoneige atoca (de l'amér.) atocatière kayak (de I'inukt.) kayak de vitesse, kayakable Q nordicité Q nordicitude Qérablière • Les québécismes qui répondent à des besoins terminologiques tout en constituant des néologismes qui obéissent aux modes de formation des mots en français. Ces termes peuvent être des dérivés ou des composés de québécismes (1) ou de termes français (2), ou encore des unités issues d'autres procédés de formation des néologismes (3). draver, draveur canot (de l'amér.) canoteur, canoter, canotage, canotable • Les québécismes qui complètent facilement certaines familles lexicales françaises en produisant des dérivés ou des composés. Ex.: F nord • Les québécismes dont la fréquence d'usage est plus élevée que celle de leurs synonymes français. Ex.: Q traversier Qfin de semaine Q chiropratique Q motoneigume F ferry-boat, transbordeur, bac Fweek-end F chiropraxie, chiropractie Q motoneigute Qbeigne Qbeignerie Qbleuet Q bleueterie Q bleuetièrt (2) F piquet Qpiquetage Qpiqueteur Qpiqueter ». Q banc de neige F congère Qtuque F bonnet Q cassonade F SumrollX 248 Répertoi", tUs tIfIis terminologiques et linguistiques • Les québécismes néologiques qui se sont rapidement répandus dans l'usage francophone. • Les québécismes impropres ou qui ne respectent pas les règles de la formation lexicale en français. Ex.: nordiâté Ex.: dropout didacticiel glaciel ciné-parc terminologue auto-lave fOCtlSser • Les unités qui, tout en ayant le même sens, appartiennent en même temps à deux ou à plusieurs collectivités francophones. Ex.: budgeter(Québec 1 Afrique) souper (Québec 1Belgique 1France régionale Suisse 1Afrique) 1 • Les québécismes qui désignent des particularités québécoises ou nord-américaines (faune, flore, géographie, alimentation, structures administratives et politiques, etc.), ou encore des aspects spécifiques des cultures et des civilisations québécoises ou nordaméricaines. Ex.: beignerie polyvalente cégépien raquette paroisse brûlot blanchon sotlS-minist", Les variantes morphologiques ou orthographiques peuvent exister en concurrence. décrocheur lave-auto focaliser • Les emprunts québécois (directs ou adaptés) à d'autres langues que le français et qui sont inutiles parce qu'il existe des équivalents français ou québécois. Ex.: gradué (angl. graduate) gasoline (angl, gasoline) régulier (angl. rrgular) prérequis (angl. prrrrquisite) institution (angl, institution) diplômé essence ordinairr préalable établissement • Les québécismes qui sont rejetés en vertu de l'énoncé de politique sur l'emprunt de formes linguistiques étrangères. Ex.: matcher (angl. tomatch) principal (angl. principal) pet-shop (angl. petshop) assortir di",cteur animalerie 3.4.3. Critères de non-intervention Ne feront pas l'objet d'intervention: • Les québécismes à caractère argotique ou assimilé, qui font double emploi avec d'autres termes et dont l'utilisation est restreinte à un milieu sociolinguistique ou socioprofessionnel bien déterminé. Ex.: voyageage 1voyagement ~rnàla~rn~~/~rnàla~w~~ Ex.: tablette castonguette 3.4.2. Critères de rejet Seront rejetés : • Les québécismes utilisés dans les langues de spécialité ou dans la communication institutionnelle lorsqu'ils entrent en concurrence avec des termes français ou québécois officialisés. Ex.: liqueur année académique huileà (de) chauffage boisson gazeUse année scolairr mazout • Les québécismes dont l'usage tend à disparaître ou à diminuer au Québec. Ces termes témoignent de moments particuliers des cultures et des civilisations québécoises et nord-américaines. Ex.: oiooir ligne gallon • Les québécismes qui apparaissent sous l'effet d'une mode passagère. Répertoire des avisterminologiques et linguistiques Ex.: capoter tripant • Les québécismes régionaux, c'est-à-dire les termes dont l'aire d'utilisation est limitée à certaines parties du Québec. 249 Corollairement, l'affirmation de l'autonomie normative du Québec y est manifeste, de même que l'attention qu'il porte à l'intercommunication francophone. Cette prise de position théorique et pratique envers les québécismes pose l'adéquation entre l'aspiration à une communauté d'intérêts et la prise en charge de la gestion de ses intérêts spécifiques. Ex.: barachois bombe • Les locutions ou les expressions idiomatiques québécoises, qu'elles proviennent du français ou qu'elles soient calquées ou adoptées d'une langue étrangère. Ex.: par/erà travers son chapeau r€ver encouleurs Iain du pOlICe passer un sapin 4. Conclusion L'énoncé de politique linguistique relatif aux québécismes pose comme principe de base que la langue française, langue d'usage de la majorité des Québécois, permet à tous les francophones de s'identifier collectivement comme groupe linguistique solidaire dans le monde. Toutefois, l'énoncé, qui ne préconise nullement un alignement inconditionnel sur une forme unique de français imposée de l'extérieur, n'entend pas non plus encourager la formation d'une langue québécoise détachée de ses sources européennes. fi veut promouvoir les valeurs linguistiques véhiculées par les différentes ethnies qui composent la mosaïque francophone, justifiant ainsi l'observation et le développement du précepte de l'unité et de la diversité de la langue française dans le monde. Pour le Québec, les québécismes s'avèrent nécessaires à la conduite du processus de francisation, tout en favorisant l'enrichissement de la langue française par des apports originaux. Le présent énoncé de politique canalise davantage certains des modèles d'action linguistique et terminologique dégagés au Québec au cours des vingt dernières années. Les répercussions de ce processus d'aménagement sont loin d'être négligeables pour la langue française. Les critères et les règles formulés dans ce texte visent exclusivement l'usage institutionnel et spécialisé de la langue française. fis n'ont pas pour but d'intervenir, à quelque niveau que ce soit, dans la communication individuelle ou dans l'usage privé de la langue générale. Les principes et les recommandations contenus dans cette politique constituent une étape supplémentaire vers la connaissance globale de la langue des Québécois et pourraient, entre autres, trouver leur suite et leur achèvement dans l'élaboration d'un dictionnaire québécois de la langue française. Le dictionnaire descriptif, qui résulterait des travaux et des recherches des différents groupes d'intervention dans le dossier linguistique québécois, devrait être une œuvre collective, fruit d'une collaboration multidisciplinaire. Enfin, cet énoncé de politique contribue d'une manière tangible et concrète à l'élaboration d'une définition renouvelée des concepts de « langue française », de « régionalisme lexical» et de « québécisme », Texte approuvé par l'Office de la langue française lors de sa 180· séance, le 21 juin 1985 <décision n° 85199-83).