Les commissaires européens, Par Jean Joana et Andy Smith. Publié

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Les commissaires européens, Par Jean Joana et Andy Smith. Publié
Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Par Jean Joana et Andy Smith. Publié à Paris, Presses de Science Po, En 2002, 260 P. ISBN 2-­‐7246-­‐0883-­‐6 L’objectif des auteurs de cet ouvrage est non seulement d’analyser une fonction peu connue mais aussi de l’intégrer dans un ensemble complexe qui ne résume pas le métier de commissaire européen aux trois qualificatifs du sous-­‐titre. Leur livre, paru en 2002, arrive à un moment où je cite « la commission a fait couler beaucoup d’encre » (p.13). Les auteurs s’interrogent également sur une échelle plus petite révélant la place et le rôle des Etats membres dominés par, ou dominants les institutions européennes. Le domaine de compétence des auteurs (politique d’intégration, institutions) les amène à prendre en considération le système de globalisation actif au niveau national, européen et mondial. Le choix des auteurs a été d’analyser la fonction de commissaire européen comme entreprise politique (notion revendiquée et empruntée au sociologue Max Weber1, p.18). Par ailleurs, le sous-­‐titre (Technocrates, diplomates ou politiques ?), nous informe que ces trois attributs peuvent être perçus comme des registres de légitimation mobilisés par les commissaires en fonction. La problématique pour cet ouvrage évoqué par les auteurs est de se demander quel est le rapport à sa fonction d’un commissaire ? 1 Sociologue allemand du début du XXe siècle. Les auteurs s’inspirent notamment de sa conférence à Munich de 1919, Wissenschaft als Beruf und Politik als Beruf, publiée en français en 1959 sous le titre Le Savant et le politique. 1 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. Joana et Smith, insistent sur les attributs sociaux hétérogènes de leurs commissaires qui ont, selon leurs recherches, des parcours variés (tableaux p.35 et p.36), tant respectivement au niveau des formations intellectuelles (tableau 2) que de leurs expériences professionnelles (tableau 3). Les commissaires européens ne seraient ainsi pas seulement des technocrates, mais aussi des acteurs avec « des expériences diverses » (p.50). Dans la vision qu’ils donnent du métier, l’expérience politique est ainsi déterminante pour occuper le poste. Pour expliquer la fonction de commissaire européen, les deux professeurs utilisent et revendiquent la sociologie politique comme outil d'étude. Ainsi, ils utilisent l’analyse empirique (104 individus étudiés de 1967 à 1999) combinée à l’analyse qualitative (8 individus des collèges 1989-­‐1992 présidé par Jacques Delors et 1995-­‐1999 présidé par Jacques Santer). Cette dernière montre ses limites quant à la possibilité de généraliser les résultats à l’ensemble des commissaires, mais l’étude de cas reste très instructive. L’origine des commissaires étudiés n’est pas sans surprise : une large domination des cultures anglaises et françaises constituent la base du travail ; ce qui correspond aux domaines de compétences et origines des auteurs. C’est pourquoi, les trois thèmes dominant la fonction de commissaire européen pour Joana et Smith, résident dans les principes de neutralité (vis à vis du pays d’origine), de décision collégiale (vis à vis de ses pairs) et le glissement de l’action publique vers l’entreprise politique. Finalement, les bornes chronologiques (1967-­‐1999) sont justifiées par l’entrée en vigueur du Traité de fusion des exécutifs des Communautés européennes et par conséquent une Commission unique (1er juillet 1967) ; la date de 1999 correspondant à la démission de la commission Santer, respectivement. 2 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. Dans leur première partie consacrée à décrire les origines des commissaires et de leur cabinet, les auteurs se posent la question que se poseraient la plupart des citoyens européens qui finalement connaissent mal cette fonction, à savoir : peut-­‐on comparer les commissaires européens au personnel présent dans les administrations nationales mieux connues? La réponse semble être que non ; les Anglo-­‐Saxons appliqueraient une procédure de sélection du personnel alors que les Français axeraient la représentativité du personnel pour leur recrutement (p.28). C’est pourquoi, le choix d’un commissaire peut être perçu comme le « résultat de marchandages entre les gouvernements, le président pressenti et le Parlement européen », p.29. Quels sont les critères de recrutement ? La réponse n’est pas aisée car beaucoup de facteurs (compétences générales/ particulières, trajectoires, vocations naturelles) entrent en considération. La difficulté de l’étude est mise en avant par les auteurs et est totalement justifiée par « le manque de données précises » (p.33), mais on peut aussi ajouter par le manque de recul. Les auteurs démontrent (p.33) une évolution de la fonction de commissaire : « la présentation en 1999 de la Commission Prodi, montre une politisation croissante de la fonction ». En quoi ceci peut-­‐il être un avantage pour ces derniers ? Le métier de commissaire peut-­‐il être vu comme une étape ultime de l’engagement politique, ou est-­‐il perçu comme un tremplin? Les auteurs nous renseignent que depuis 1967, ¾ des commissaires européens ont une expérience élective ou gouvernementale, avant d’arriver à Bruxelles (p.40). Le tableau 4 p.40 nous indique même que 17,4% des commissaires européens entre 1967 et 1997, avaient dirigé un parti avant leur entrée en fonction. Ces derniers ont pour ainsi dire une expérience politique et idéologique certaine. L’analyse de l’âge des commissaires est d’autant plus judicieuse qu’elle permet 3 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. de démontrer que la recherche de cette fonction est « un choix stratégique pour la carrière personnelle », p.45. Le poste de commissaire est-­‐il une promotion sociale ? Recrute-­‐t-­‐on seulement des personnes compétentes dans un domaine précis, ou qui ont une grande capacité d’adaptation, voire même des compétences au niveau des institutions/ des lois européennes, ou bien encore les trois ? Ainsi, l’âge moyen des commissaires tourne autour de 50 ans et les auteurs constatent « une continuité entre la nature des portefeuilles ministériels nationaux et les responsabilités une fois à Bruxelles », p.49. Les collaborateurs du commissaire européen constituent son cabinet ; on a du mal à décrire leur activité concrètement (p.51). Ces derniers qui possèdent à la quasi totalité, la nationalité du commissaire pour qui ils travaillent, n’ont pas forcément à respecter le principe de neutralité, si cher à la fonction de la Commission. Ceci nous amène à nous posez la question suivante : le principe de neutralité est-­‐il une façade ou est-­‐il bien réel ? Ce principe, permet notamment aux commissaires européens d’accéder à une certaine indépendance vis à vis de leurs gouvernements nationaux. Mais une trop forte indépendance, ne peut-­‐elle pas conduire à un trop fort éloignement, à l’origine de la méconnaissance de cette institution ? Les auteurs sont ainsi amenés à dire que « la logique politique de l’Europe, est distincte de celle qui s’exprime dans les contextes nationaux » (p.75). Ils soulignent de ce fait, « les difficultés pour certains hauts fonctionnaires de poursuivre une carrière nationale de retour en France » (p.79-­‐80). Ce risque est sûrement parfois abandonné par une partie de l’élite, ce qui pousserait à envisager une réduction du vivier de personnes compétentes aux fonctions européennes. Mais cette théorie est à minimiser : l’offre restant largement inférieure à la demande ; « (…) un membre de l’équipe d’Y-­‐T. De Silguy évoque 350 candidatures lors de la 4 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. constitution de son cabinet en 1995 », p.69. On peut à juste titre se demander si l’hétérogénéité mise en avant par les auteurs est plus l’effet de circonstances qu’une volonté marquée dans la constitution d’une équipe autour du commissaire européen. Dans le rapport du commissaire à sa fonction, les auteurs mettent en avant les trois niveaux de compétence d’un commissaire européen, à savoir, la fabrication du droit et des politiques communautaires, la présentation de la position de la Commission et la représentation de l’UE dans les échanges internationaux. Les auteurs ont décidé d’étudier une des parties du travail du commissaire jugé significative, la conclusion des accords. Cette dernière ne peut ainsi pas se dissocier de « la politique de marchandage », p.106, qui passe par l’instauration d’un dialogue. La notion qui reprend l’influence nationale ne doit pas être écarté. Le « comportement COREPER », p.114 peut être assimilé à celui d’un comportement anti-­‐collégial envers les autres commissaires et introduit l’idée de l’influence nationale. Si les commissaires européens se rapprochent trop des gouvernements nationaux pour tenter de « jauger » l’impact d’une mesure européenne au niveau national (ce qui demeure tout de même une des finalités) ils peuvent se faire influencer par ces derniers ; c’est ici que réside une des subtilités de leur fonction. Deux visions de la direction de la Commission peuvent s’opposer : tout d’abord, celle de Jacques Delors, qui estime qu’il faut « faire vivre la collégialité » par le vote ; ceci résulte à des avancées plus lente mais voulue par la majorité. C’est la notion d’incrémentalisme2 ou effet d’engrenage. 2 Changements légers qui permettent d’aboutir à un changement radical. 5 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. Cette période est révolue ; selon Delors, p.121 « si comme sous Santer, on décide sans voter, il n’y a pas besoin de réseaux ». Les cas concrets utilisés par les auteurs permettent de bien comprendre les mécanismes utilisés par les commissaires. Y.-­‐T de Silguy, « problématise la marche vers la monnaie unique en 1995 », p.133 et publie un Livre vert à vocation pédagogique. Oreja, à la p.144, est présenté comme un fin diplomate. E. Cresson, quant à elle, a une façon très politique de traiter les choses, p.146. Concernant la communication et la critique de la Commission, il est utile de préciser qu’avant 1999, « il est rare que les médias sanctionnent ou gratifient les actes des commissaires », p.149. On peut ainsi difficilement récapituler les analyses des interventions des commissaires européens dans « leurs portefeuilles » et parfois aussi en dehors. Leur attribution n’est pas clairement définie. On ne peut pas les comparer à des membres d’un gouvernement, ce qui justifie une fois de plus, l’étude de cas particuliers de la part de Joana et Smith. Il en résulte la question concernant l’approche de la fonction de commissaire (comme technocrate, diplomate ou politique) : tient-­‐elle plus de la personnalité ou du portefeuille à défendre ? Selon les auteurs, c’est la nature du portefeuille qui détermine l’action du commissaire européen. On ne peut ainsi vraisemblablement pas transposer les solutions/problèmes nationaux, à l’échelle européenne, p.170. La finalité de l’étude se porte sur le rapport du commissaire à la représentation communautaire et à celle de l’Europe. Le terme de transparence est à retenir ici, depuis les difficultés rencontrées dans les pays pour faire accepter le traité de Maastricht en 1992, p.177. 6 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. Il en va de même par la suite pour le commissaire chargé de l’euro, Y.-­‐T De Silguy, qui veut « s’approprier le sujet de l’euro », amenant certains à lui donner l’attribut « d’apôtre de l’euro », p.182. M. Oreja, pour mieux faire connaître le traité d’Amsterdam, rédige des lettres mensuelles, « l’objectif était de toucher un large public en contournant les médias traditionnels », p.191. Ces deux exemples nous montrent bien la qualité d’innovation et d’adaptation que semblent devoir posséder les commissaires européens dans une tâche nullement définie par avance. La représentation de l’UE est basée sur deux exemples, français et anglais. Le commissaire Catherine Scrivener est le symbole de l’intégration européenne qui a permis de mettre fin aux conflits armés sur le continent. Cette dernière communique beaucoup avec son pays d’origine (tableau 15, p.209-­‐210). Les commissaires peuvent être ainsi perçu comme des Missi-­‐Dominici3, envoyés de leur pays d’origine pour travailler de concert à la tête de l’UE. Ainsi, ils peuvent exercer la fonction de rapporteur et non celle de « tribuns », p.214. Le commissaire britannique, Leon Brittan, s’est montré indépendant vis à vis de son pays d’origine, p.216. Son rôle a été de convaincre les dirigeants britanniques du bien fondé de l’UE, comme les envoyés précédemment cités qui devaient rédiger un rapport de la situation observée. Finalement, la démission de la commission Santer en 1999, qui marque la fin de l’étude des commissaires dans cet ouvrage, représente « un indicateur de la vulnérabilité de cette institution européenne », p.231. La barrière de la langue entre les pays est évoquée dans un exemple, relatant l’explication des changements apportés par l’euro aux différents Etats membres de la zone. Il ne faut pas voir ceci comme un unique problème de traduction mais il faut 3 Les missi dominici (envoyés du maître). Mis en place par Charlemagne, ce sont de véritables inspecteurs généraux du royaume qui avaient les pleins pouvoirs pour rappeler à l'ordre comtes et marquis, surveiller le fonctionnement de la justice et de l'état des finances. 7 Compte rendu sur l’ouvrage de Joana et Smith, Les commissaires européens, Technocrates, diplomates ou politiques ? Paris, 2002 par Frédéric ALBERT. intégrer les différentes mentalités et manières d’aborder les problèmes suivant le pays, p.232-­‐233. On sait à présent que le point de vue allemand sur l’euro a dominé la politique de la monnaie unique à sa création. Ces derniers, ont en effet une peur constante de l’inflation4 due à une monnaie faible. Depuis 1999 et la crise de la Commission Santer, les critiques politiques et journalistiques sont très présentent. Les commissaires européens contribuent à la création non seulement des politiques publiques communautaires mais aussi à l’espace politique transnational. Les points positifs que l’on peut relever après lecture de l’ouvrage, sont qu’à travers l’étude de la commission européenne, on distingue que le fonctionnement de l’UE est toujours tiraillé entre l’addition des visions nationales, et ainsi l’influence des « grands » Etats, et une politique propre à l’Europe. La crise grecque ou irlandaise le montre encore à l’heure actuelle. Selon les auteurs, la clé pour bien comprendre la fonction de commissaire européen, tient dans le principe de collégialité. Les thèmes et exemples choisis pour expliquer la fonction de commissaire (traité de Maastricht, euro, PAC), sont significatifs et bien choisis pour toucher un public pas forcément spécialiste en la matière. Ce qui m’amène à définir les points négatifs, à savoir, la difficulté de comprendre les « autres » portefeuilles encore moins médiatisés. Ces derniers sont laissés pour compte. Dans la même lignée, le point de vue est quasi central (manière française ou anglaise), alors que le collège de la Commission émane de 27 Etats. Tout réside dans la difficulté de bien choisir les cas dits « représentatifs » propres à l’étude en sociologie politique et empirique. 4 Ceci résulte d’un processus traumatisant dans le pays lié en partie à l’arrivée d’Hitler au pouvoir à la suite d’une forte période d’inflation et de crises. 8