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COUR DE CASSATION, CIV .1ER, 1ER JUILLET 2010, SOCIETE DE CONCEPTION DE PRESSE ET D’EDITION (SCPE) / MME X ET CONSORTS Arrêt n°674 (09-15.479) Mots clefs : Droit à l’image – vie privée – dignité humaine – entreprise de presse – liberté d’expression – liberté d’information Faits : La société éditrice du magazine Choc a publié sans autorisation dans ledit magazine une photographie représentant I.X, aujourd’hui décédé, la tête bandée et sous la menace d’une arme. Elle avait été prise par ses tortionnaires et adressée à la famille contre une demande de rançon. Procédure : La Cour d’appel de Paris a condamné le 28 mai 2009 l’éditeur de presse, sous peine d’astreinte, à occulter dans tous les exemplaires du magazine les cinq reproductions de la photographie litigieuse. Ce dernier s’est alors pourvu en cassation en se fondant, d’une part, sur le fait qu’il n’y avait là pas d’atteinte à la dignité humaine, la publication de ladite photographie étant un moyen de sensibiliser le public à l’atteinte subie par la victime. D’autre part, il arguait du fait que cette photographie ayant déjà été communiquée au public dans une émission télévisée, la liberté d’expression ne pouvait être soumise à des ingérences. Problème de droit : Est-il possible pour un éditeur de presse, sur la base de la liberté d’expression et d’information, de reproduire sans y être autorisé, la photographie d’une victime prise par ses tortionnaires contre une demande de rançon ? Considérant de principe : « Mais attendu que les proches d’une personne peuvent s’opposer à la reproduction de son image après son décès, dès lors qu’ils éprouvent un préjudice personnel en raison d’une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort ; qu’à cet égard la Cour d’appel énonce que la photographie litigieuse, dont il est constant qu’elle avait été prise par les tortionnaires de I.X et adressée à la famille pour accompagner une demande de rançon, a été publiée sans autorisation ; (…) ; qu’estimant que la publication de la photographie litigieuse, qui dénotait une recherche de sensationnel, n’était nullement justifiée par les nécessités de l’information, elle en a justement déduit que, contraire à la dignité humaine, elle constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d’expression et d’information.» Cette création par UPCAM-IREDIC est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France. Note : Le droit à l’image, défini par l’article 9 du Code Civil, est une notion dont le contour est encore flou, et souvent confondu avec le droit à la vie privée. Ce droit permet à une personne de s’opposer à la publication et à la diffusion de son image. Mais il se heurte à celui de la liberté d’expression et d’information défini par l’article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) qui permet à toute personne d’exprimer ses opinions et ses idées par tout moyen de communication. En l’espèce, le magazine Choc avait publié la photographie d’un jeune homme de confession juive, Ilan Halimi, torturé à mort en raison de sa religion. Cette photo avait été envoyée à la famille contre une demande de rançon. Les proches de la victime avaient donc fait un procès au magazine pour atteinte au droit à l’image, à leur propre vie privée, ainsi qu’à la dignité humaine et avaient obtenu gain de cause en première instance. L’éditeur de presse, mécontent du résultat, avait alors introduit un pourvoi en cassation, en s’appuyant sur l’article 10 de la CEDH. Il s’était appuyé sur le fait que cette affaire était très médiatisée et que la photographie avait déjà été communiquée au public dans une émission de télévision. Le pourvoi formé par l’éditeur a été rejeté par la Cour de cassation le 1er juillet 2010 estimant que cette photo n’était pas justifiée par les nécessités de l’information et représentait une atteinte à la mémoire, au respect dû au mort et par conséquent, à la vie privée des proches. même, la Cour de cassation en était arrivée à la même appréciation lors de la publication de la photographie de Mitterand sur son lit de mort, dans le magazine Paris-Match. Cependant, un fait d’actualité peut justifier la diffusion d’une photographie sans le consentement de la personne, dès lors qu’il n’y a pas d’atteinte à la dignité humaine. C’est ainsi qu’avait été rejetée la procédure intentée par une jeune femme blessée dans l’attentat du RER de la station St Michel à Paris, suite à la publication de sa photo au moment des faits, dans un magazine. La Cour avait ici rappelé l’importance du droit à la liberté d’expression et d’information en montrant que cette photographie ne faisait que rendre compte de la détresse des victimes dans un contexte d’actualité très important (Arrêt du 20 février 2001). Il en ressort donc que la liberté d’expression l’emporte sur le droit à l’image quand on rend compte d’un sujet d’actualité. Ce principe est toutefois limité par le respect de la dignité humaine d’une personne vivante, ou morte par le biais de sa famille. C’est le juge qui prendra le soin d’évaluer l’atteinte au cas par cas. En l’espèce, il est clair que cette décision semble étendre le droit des proches d’une personne décédée en matière de droit à l’image. Alexandra Guerini Master 2 Droit des médias et des télécommunications UPCAM-IREDIC 2010 Cette décision s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle favorisant la protection de l’image des personnes. En effet, on se rappelle de la photo du préfet Erignac publiée par le magazine Paris Match, son corps gisant sur le sol. La famille de la victime avait introduit une procédure en s’appuyant sur l’article 9 du Code Civil et s’était vue donner raison par la Cour d’appel. Le magazine s’était alors pourvu en cassation mais son pourvoi avait été rejeté (Arrêt du 20 décembre 2000). De Cette création par UPCAM-IREDIC est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France.