123 LE DROIT DE REPRISE A TRAVERS LE CDPF Monia SOUISSI
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123 LE DROIT DE REPRISE A TRAVERS LE CDPF Monia SOUISSI
Le droit de reprise à travers le CDPF LE DROIT DE REPRISE A TRAVERS LE CDPF Monia SOUISSI* Enseignante à la Faculté de Droit de Sfax Sommaire I-La consécration du droit de reprise A-Les fondements du droit de reprise B-L’objet du droit de reprise II-Le réaménagement continu des délais de reprise A-La tentative d’unification des délais B-L’extension des délais de reprise C-Un cadre temporel insuffisamment délimité ********** En droit fiscal tunisien, l’administration fiscale ainsi que le contribuable bénéficient d’un droit qui leur permet de réparer les omissions, insuffisances ou erreurs commises dans l’établissement de l’impôt quelle que soit la nature ou l’importance de ces imperfections et quel qu’en soit l’auteur. Cette possibilité de réparer les imperfections est communément désignée par « droit de reprise » ou « droit de répétition »1. D’une manière générale, les périodes d’exercice du droit de reprise et du droit de contrôle fiscal se confondent, mais la différence entre les deux procédés est tangible. Le droit de reprise, défini comme étant le droit «exercé par l’administration dans le cadre des procédures de contrôle fiscal de redresser les erreurs ou les fraudes commises par les contribuables »2, diffère du droit de contrôle fiscal défini comme étant « l’ensemble des procédés ou des techniques que l’administration peut utiliser pour assurer le contrôle de l’impôt »3. * 1 2 3 [email protected] M. LANGAVANT, « Le droit de reprise du fisc », RSCF, 1965, p. 790. A. BARILARI et Robert DRAPE, Lexique fiscal, Dalloz, 1987, p. 132. J. LAMARQUE, Droit fiscal général, fascicule 2, Les cours de droit, 1994, p.505. 123 Le droit de reprise à travers le CDPF Ce dernier constitue, pour l’administration, une source incontestable d’information qui lui permet d’établir l’impôt normalement dû. Sous peine de prescription, le droit de reprise doit être exercé dans les délais prévus par la loi. La prescription du droit de reprise doit être ainsi distinguée de la prescription de l’action en recouvrement. En effet, s’agissant de la réparation d’une omission ou d’une insuffisance, le montant de la créance du trésor n’est pas définitivement déterminé tant que l’administration n’a pas exercé son droit de reprise. Cependant, pour l’action en recouvrement, la dette fiscale qui est définitivement déterminée cesse d’être exigible après l’écoulement d’un certain délai et après avoir rempli certaines conditions4. Dans l’histoire du droit fiscal tunisien, l’article 3 du décret du 14 septembre 1903, tel que repris par l’instruction du 30 avril 1909, avait prévu que le droit de reprise ne peut pas excéder quatre années grégoriennes à partir de la date de la mise en recouvrement des impôts directs annoncée par le directeur des finances de l’époque5. En vertu du décret du 20 septembre 19176, le droit de reprise s’exerçait dans les mêmes conditions en matière d’enregistrement. En matière agricole, le droit de reprise était régi par les dispositions de l’article 5 du décret du 2 mars 19237. Le code de la patente adopté le 30 mars 1954 avait prévu, dans son article 72-II, sous la section IV intitulé « Recouvrement – privilège- prescription » que « les omissions, totales ou partielles, constatées dans l’assiette de l’impôt ainsi que les erreurs commises dans l’application des tarifs, peuvent être réparées 4 5 6 7 Voir l’article 36 du code de la comptabilité publique. Voir, l’Instruction générale du directeur des finances fixant les attributions des Caïds et des cheiks en matière financière et leurs rapports avec les régies financières, Supplément de 1909, 30 avril 1909, n° 206. L’article 15 du décret du 20 septembre 1917 prévoyait dans son paragraphe 5 : « Les sommes dues en vertu du présent décret seront régies, quant au privilège du trésor par la législation existante et quant à la prescription par le décret du 14 septembre 1903 ». L’article 5 du décret du 2 mars 1923 avait organisé la vérification des dispositions et avait distingué deux cas dans lesquels l’omission a été commise. Si elle n’est pas intentionnelle, le cultivateur n’était tenu de payer que de l’impôt applicable à la différence entre les sommes déclarées et les sommes qui ont été omises. Si la mauvaise foi était prouvée, le cultivateur encourrait les sanctions prévues par le décret du 31 décembre 1910. 124 Le droit de reprise à travers le CDPF jusqu’à l’expiration de la 3ème année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due ». Le code des douanes adopté en 19558 a prévu un délai de cinq ans à l’expiration duquel « l’administration fiscale ne peut formuler aucune demande en paiement ». Avec l’adoption du code de la TVA (CTVA) en 1988, le législateur a prévu la possibilité de réparer les erreurs et omissions commises dans un délai de trois ans9. Une année plus tard et dans le code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’impôt sur les sociétés (CIR), le législateur a prévu que le droit de reprise peut s’exercer dans deux délais qui diffèrent selon que l’omission était partielle ou totale10. Le code des droits d’enregistrement et de timbre (CDET) adopté en 1993, avait prévu plusieurs délais spéciaux de reprise11. Le code des hydrocarbures adopté en 1999 a accordé quant à lui à l’administration fiscale un délai de reprise de quinze ans12. A travers ces différents textes juridiques successifs, le législateur a adopté deux critères qui étaient à l’origine de la pluralité des délais de reprise. Le premier tient compte de la souscription ou non d’une déclaration et le second tient compte de la catégorie d’impôt. Or, la pluralité des délais pourrait affecter gravement la sécurité juridique des contribuables13. Dans le but d’éviter ces effets pervers, une unification des délais de reprise s’est imposée lors de l’adoption du code des droits et procédures fiscaux (CDPF) en août 2000. Pour ce faire, le législateur a consacré une section entière dans le CDPF au « Droit de reprise et délais de prescription »14. 8 9 10 11 12 13 14 Ce code a été promulgué par le décret du 29 décembre 1955 portant refonte et codification de la législation douanière, JOT, n° 104 du 30 décembre 1955, p. 1919. Voir l’ancien article 21 du code de la TVA qui a prévu un délai de reprise de trois ans. Il s’agissait des dispositions de l’article 72 du CIR qui ont étaient à l’origine d’une divergence entre l’administration fiscale et le contribuable, voir, infra. Voir les articles 75, 76 et 130 du CDET. Voir l’article 126 du code des hydrocarbures promulgué par la loi n° 99-93 du 17 août 1999. JORT, n° 67, p. 1464 et s. Mohamed Fathi MRABET, La vérification et la sécurité fiscale du contribuable, Mémoire pour l’obtention du DEA en droit fiscal, 2001-2002, Faculté de droit et des sciences économiques et politiques de Sousse, p. 19. Il s’agit de la section IV qui rassemble les articles de 19 à 27 du CDPF. 125 Le droit de reprise à travers le CDPF Conçu dans un but de simplification du système et d’apporter plus de garanties aux contribuables, l’aménagement du droit de reprise à travers le CDPF n’a-t-il pas abouti à des conséquences inverses par le prolongement des délais et la diversification des événements interruptifs de ces délais ? Avant de présenter le réaménagement continu des délais de reprise (deuxième partie), il convient de s’arrêter sur la consécration même du droit de reprise (première partie). I-LA CONSECRATION DU DROIT DE REPRISE Etant une faculté reconnue à l’administration fiscale de réparer les erreurs et les omissions ou dissimulations commises par le contribuable, le droit de reprise trouve ses fondements (A) dans l’accomplissement de son obligation de déclaration qui, souvent viciée suppose la rectification des imperfections. Lesdites imperfections constituent l’un des deux éléments constitutifs de l’objet du droit de reprise (B). A-Les fondements du droit de reprise « L’administration fiscale n’est pas en mesure de déterminer, seule, la base imposable à partir de laquelle l’imposition sera établie. C’est un fait et cela justifie qu’elle fasse appel au contribuable pour lui fournir l’ensemble des renseignements nécessaires à l’application des lois fiscales »15. Ce choix est d’une importance considérable puisque l’administration fiscale se trouve liée par le contenu des déclarations qui lui sont adressées16. Les déclarations souscrites par les contribuables tendant à l’établissement de l’impôt, reposent sur la bonne volonté et la sincérité du contribuable. La valeur probante de ces déclarations n’étant clairement établie qu’après un contrôle fiscal, celui-ci est le moyen pour le fisc d’apprécier convenablement les facultés contributives du contribuable17. L’efficacité du contrôle fiscal étant forcément limitée puisque ce dernier n’est pas toujours suffisant pour s’assurer de la sincérité des déclarations souscrites. Le droit de 15 16 17 A. BERTRAND, La rétroactivité en droit fiscal, Thèse de doctorat, 1999/2000, p.451. A. PUPIER, « Le contrôle fiscal ; drame ou relation juridique ? », RRJ, droit prospectif, 1997-I, p. 315. Ch. DE LAMARDIERE, « La déclaration fiscale », RFFP, 2000, n° 71, p.114 126 Le droit de reprise à travers le CDPF reprise étant, dès lors, consacré afin de s’assurer de la sincérité de l’accomplissement des déclarations et de réparer les vices commis par le contribuable. Le ministre des finances a indiqué, à l’occasion des débats parlementaires concernant le CDPF, qu’étant donné que les informations contenues dans les déclarations, les contrats, les actes et tout document utilisé pour payer l’impôt sont dictées unilatéralement par le contribuable, sans contrôle préalable de l’administration, les articles 5 à 14 du projet du code ont donc établi le droit de l’administration de contrôler ces déclarations et les actes et si nécessaire de réparer les erreurs et les défauts qui y figurent18. On pourrait, ainsi, définir le droit de reprise comme étant « le droit de rectifier ce qui a été déclaré ou de réclamer l’impôt dû et non déclaré, ceci dans le délai fixé par la loi »19. Dans sa documentation de base, l’administration fiscale française rappelle que le droit de reprise est le droit « accordé à l’administration de réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l’assiette ou le recouvrement de tous les impôts, taxes ou redevances dus au trésor, imputables aux services chargés en vertu des lois fiscales, ainsi que les erreurs susceptibles d’entacher leur détermination. Le droit de reprise permet de réparer non seulement toutes les insuffisances commises par les contribuables, mais encore, les erreurs préjudiciables au trésor, imputables aux services chargés de la liquidation de l’impôt »20. Ainsi, le droit de reprise consacré dans un but de lutter contre la fraude fiscale et de rendre correcte au regard de la législation fiscale une situation qui ne l’était pas, permet à l’administration fiscale de corriger les erreurs de droit et de fait qui affectent la comptabilité de l’entreprise. Le fisc procède, ainsi, à la rectification « selon la théorie de la correction symétrique, et ce, à condition que le contribuable ait 18 19 20 Débats parlementaires, séance du 26 juillet 2000, JORT n° 39, p.1916. Débats parlementaires, séance du 26 juillet 2000, JORT n° 39, p.1916. Voir, Voir, J.SOLLIER et C. de LA RUE de CAN, « Droit spécial de reprise en cas d’insuffisance ou d’omission révélée par une instance devant les tribunaux », BF n°12/2004, p. 867 et s. 127 Le droit de reprise à travers le CDPF régulièrement souscrit sa déclaration mais qu’un contrôle révèle une insuffisance ou une erreur qui lui est préjudiciable »21. Le droit de reprise s’étend, non seulement à l’exercice en cours, mais aussi aux exercices antérieurs pour lesquels une prescription n’est pas encore acquise. Le fisc peut examiner rétroactivement les déclarations souscrites pendant les exercices antérieurs, pour corriger les éventuelles erreurs commises. Ce recul dans le temps, n’est-il pas de nature à violer le principe de l’annualité de l’impôt ? M. LANGAVANT notait que « l’institution d’une telle période semble être contraire en droit constitutionnel, à l’annualité de l’impôt, principe qui exige que les compétences fiscales s’exercent dans le cadre d’une même année ». En effet, concernant les impôts annuels, l’administration fiscale ne peut imposer, pour une année donnée, que les bénéfices dont le fait générateur est survenu au cours de cette année22. Il serait donc contraire à l’annualité d’imposer, en même temps, les résultats d’un exercice en cours et ceux d’un exercice antérieur. Cette remise en cause de l’annualité de l’impôt est cependant, autorisée par la loi. En vertu du droit de reprise, la loi accorde à l'administration fiscale un véritable pouvoir de contrôle rétroactif. Face à un nombre important de déclarations, l'administration fiscale n'est pas en mesure de contrôler de manière immédiate et systématique la sincérité ou l'exactitude de toutes les déclarations fournies. Le fisc doit examiner chaque année un nombre indéterminé de déclarations et procéder à la recherche des éléments d'information indispensables pour déceler l'insuffisance ou l'omission, alors qu’il ne dispose pas de moyens matériels et humains suffisant pour accomplir cette mission. Le système déclaratif induit un déséquilibre structurel entre les déclarations des contribuables et les moyens mis à la disposition de l'administration fiscale pour s’assurer de la sincérité des déclarations déposées. 21 22 Voir dans ce sens Mohamed BEN MAHMOUD, La théorie de la correction symétrique du bilan, mémoire de DEA en droit des affaires, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 2004/2005. P. SERLOOTEN, « Le temps et le droit fiscal », RTD. Com, 1997, p. 180. 128 Le droit de reprise à travers le CDPF On imagine mal un système fiscal dans lequel l'administration pourrait organiser un contrôle immédiat des situations fiscales en cours de constitution ou venant juste d'être constituées. Il apparaît difficile de transposer, en droit fiscal, l'organisation du contrôle a priori existant dans d'autres branches du droit administratif. Une telle organisation nécessiterait la mise sur pied d'une véritable « armée » de fonctionnaires des impôts. L'existence d'un contrôle a posteriori étendu dans le temps est donc avant tout justifiée par une contrainte matérielle23. B-L’objet du droit de reprise Permettant de régulariser ce qui a été déclaré ou de réclamer l’impôt non déclaré, le droit de reprise peut profiter au fisc ainsi qu’au contribuable. Le fisc peut procéder à l’augmentation de l’imposition. De son côté, le contribuable peut, suite à la rectification des imperfections, obtenir une réduction de l’imposition initiale. Quelles sont donc les imperfections susceptibles de répétition et à qui appartient le droit de reprise ? La déclaration souscrite unilatéralement par le contribuable peut conduire à des erreurs ou à des omissions susceptibles de répétition. Aux termes de l’article 19 du CDPF, sont sujettes à répétition les « omissions, erreurs et dissimulations constatées dans l’assiette, les taux ou la liquidation » qui sont le fait du contribuable, mais aussi de l’administration. Cet article, analogue à l’article L. 168 du LPF24, permet de distinguer trois vices sujets à répétition. Il s’agit d’abord de l’omission qui consiste dans le fait que le contribuable s’abstient de présenter, dans ses déclarations, les éléments constitutifs de la base imposable. L’omission est dite partielle lorsque les déclarations déposées ou les actes présentés à la formalité d’enregistrement présentent des insuffisances au niveau de la base d’imposition ou du taux applicable. Elle est dite totale dans le 23 24 A. BERTRAND, La rétroactivité en droit fiscal, Thèse de doctorat, 1999/2000, p.448. L’article L. 168 du LPF prévoit, « Les omissions totales ou partielles constatées dans l’assiette de l’impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d’imposition, peuvent être réparés…». 129 Le droit de reprise à travers le CDPF cas où le contribuable ne satisfait pas à ses obligations de déclaration ou lorsqu’il n’a pas accompli la formalité d’enregistrement25. Il est nécessaire de signaler, toutefois, « l’insensible transition entre l’omission et l’insuffisance susceptible du droit de reprise » 26. L’insuffisance est la lacune donnant lieu à rectification, voire à majoration. Pour apprécier l’insuffisance dans la déclaration, le Conseil d’Etat français a comparé le résultat déclaré à celui qui aurait dû être effectivement déclaré, quelles que soient les erreurs de raisonnement ou de calcul commises par le contribuable27. Ensuite, constitue une erreur et demeure sujette à répétition, la fausse application, par les contribuables ou les agents de l’administration, des dispositions fiscales ou des règles d’impositions et qui provoque une diminution ou une augmentation du montant de l’impôt28. De façon générale, il s’agit d’erreurs commises suite à un raisonnement, soit par l’administration soit par le contribuable29. Toutefois, l’administration ainsi que le contribuable se voient assigner certaines limites, et ne peuvent prétendre tenir pour erreur ce qui constitue pour la première un changement de doctrine, pour le second une décision de gestion. En effet, on se trouve en présence d’erreur, toujours susceptible d’être rectifiée, lorsque le contribuable a commis une irrégularité ou une inexactitude relevant d’une appréciation purement objective30. Au contraire, le contribuable doit être regardé comme ayant pris une décision de gestion lorsque, en présence de plusieurs solutions, il a opté pour l’une d’entre elles31. Enfin, est susceptible de répétition, la dissimulation. Par dissimulation, on vise « la création d’une situation juridique purement artificielle qui camoufle une situation au titre de laquelle des 25 26 27 28 29 30 31 Débats parlementaire, séance du 26 juillet 2000, JORT n° 39, p.1916. Voir aussi les articles 19 et 20 du CDPF. M. LANGAVANT, « Le droit de reprise du fisc », article précité, p. 799. CE., 27 octobre 1958, req, n° 39-767 ; Q.J., 1959, n°14, p.9 Débats parlementaires, séance du 26 juillet 2000, JORT n° 39, p. 1909. M. LANGAVANT, « Le droit de reprise du fisc », article précité, p. 799. M. LANGAVANT, « Le droit de reprise du fisc », article précité, p. 803. La décision de gestion comporte un élément subjectif, elle implique, de la part du chef d’entreprise, au moment où sont arrêtés les résultats de l’espèce, un choix. Ce choix peut normalement s’exercer entre deux ou plusieurs solutions offertes à l’intéressé par la loi ou les règlements fiscaux. 130 Le droit de reprise à travers le CDPF impositions sont dues et qui continue d’exister en réalité derrière les apparences juridiques créées »32. En droit fiscal, la dissimulation consiste à soustraire tout ou partie de la matière imposable en ne la faisant pas apparaître. Elle peut être soit matérielle, soit juridique33. Elle est matérielle lorsqu’« elle porte notamment sur les bénéfices. Elle est obtenue directement par la minoration de recettes ou de stocks et indirectement par la majoration des charges »34. En revanche, elle est juridique « lorsqu’elle s’opère par un acte déguisé ou un acte fictif »35. Il faut donc que l’acte occulte contredise l’acte apparent en ce sens qu’il vient neutraliser ses effets escomptés pour qu’il y ait dissimulation. Ainsi, l’acte réel qui est tenu à être secret, doit démentir l’apparence trompeuse créée essentiellement pour éluder l’impôt normalement dû36. Pouvant commettre des imperfections, par fraude ou de bonne foi, le contribuable peut-il exercer le droit de reprise ? Le droit tunisien n’est pas explicite, mais la généralité de la formule de l’article 19 du CDPF et de l’ancien article 72 du CIR laisse penser que le droit de reprise peut appartenir soit à l’administration, soit aux contribuables37. Dans ce sens, le juge administratif tunisien a reconnu la possibilité, pour le contribuable, d’exercer le droit de reprise en matière de TVA pour pouvoir déduire le trop perçu qui correspond aux achats effectués38. 32 33 34 35 36 37 38 P. LOBRY, Concl. sous C.E, 10 juin 1981, req. 19079, DF, 1981, n° 48-49, comm. 2187, p. 1435 et s, spécialement p. 1438. G. GEST et G. TIXIER, Manuel de Droit fiscal, Paris, LGDJ, 4ème édition, 1986, p.321. J-C. MARTINEZ, La fraude fiscale, Paris, PUF, Collection « Que sais-je ? », 1990, p.85. J-C. MARTINEZ, La fraude fiscale, op.cit, p.85 ; M.COZIAN, « Abus de droit, simulation et planning fiscal », BF n° 12-19 84, p. 623. Mayssoun BOUZID, L’abus de droit en matière fiscale, mémoire de DEA en droit des affaires, 2003-2004, p. 19. Sur ce point voir Abdelmajid ABOUDA, Code des droits et procédures fiscaux, op. cit, p. 62. TA, cass. req. n° 34897 du 15 décembre 2003, Voir. Saoussen JAMMOUSSI AZAÏEZ, « Chronique de la jurisprudence fiscale deuxième semestre 2003 », RTF n° 4, 2006. 131 Le droit de reprise à travers le CDPF Par ailleurs, contrairement à la législation fiscale tunisienne, l’article L. 168 du LPF français précise que ces vices « peuvent être réparés par l’administration des impôts ou par l’administration des douanes et droits indirects, selon le cas… ». Ledit article accorde explicitement ce droit à l’administration fiscale et ne fait pas allusion au contribuable. Néanmoins, le conseil d’Etat français a reconnu aux contribuables, ayant souscrit des déclarations sincères, la faculté de demander dans les limites du délai de reprise la réduction d’une imposition initiale. Cette faculté est, cependant, écartée lorsqu’il s’agit d’une décision de gestion ou si le contribuable est soupçonné de vouloir échapper à l’impôt39. II- LE REAMENAGEMENT CONTINU DES DELAIS DE REPRISE Pour assurer le minimum de stabilité des situations juridiques et afin de rompre avec les imperfections du régime antérieur, une tentative d’unification des délais de reprise semble se dessiner à travers le CDPF (A). Néanmoins, le réaménagement opéré par le CDPF n’a pas aboutit aux résultats souhaités. Les délais de reprise souffrent encore de certaines anomalies, puisque le législateur tunisien, qui paraît plus soucieux du rendement fiscal que d’apporter des garanties aux contribuables, a procédé à l’extension de ces délais (B), sans les avoir suffisamment délimités (C). A-La tentative d’unification des délais Antérieurement à l’adoption du CDPF, les délais de reprise étaient multiples et prévus par des textes éparpillés. On trouvait autant de délais de reprise que de catégories d’impôts. Ainsi, pour les impôts directs, l’ancien article 72 du CIR prévoyait un délai de reprise de trois ans à compter de l’année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due pour les omissions partielles et de cinq ans pour les omissions totales. Ce même délai était également consacré en matière de TVA et ce par application des dispositions de l’ancien article 21 du CTVA. 39 CE, 25 mars 1941, rec, p. 5. 132 Le droit de reprise à travers le CDPF En outre, l’ancien article 75 du CDET avait prévu deux délais de reprise40. Le premier était de trois ans et le second était de quinze ans41. A travers le CDPF, le législateur semble avoir prévu un seul délai de reprise applicable pour les différentes impositions sus indiquées. L’article 19 du CDPF prévoit que l’administration dispose d’un délai de quatre ans pour rectifier les imperfections qui ont touché ces différentes impositions. Il y a lieu de remarquer, cependant, que ce délai ne s’applique que dans le cas où le contribuable aura accompli l’obligation de déclaration. A défaut de déclaration, l’administration fiscale dispose d’un délai de 10 ans pour exercer son droit de reprise42. L’article 19 prévoit donc deux délais de reprise qui diffèrent selon que le contribuable a procédé à la déclaration ou non. Il s’avère ainsi que vis-à-vis du contribuable défaillant, le délai de reprise, qui permet à l’administration d’imposer les revenus et activités du contribuable, est beaucoup plus important. Avec ce délai, le contribuable défaillant aura beaucoup plus du mal à se mettre à l’abri du pouvoir de contrôle fiscal de l’administration. L’article 25 du CDPF prévoit que les pénalités liquidées sur le principal de l’impôt sont soumises aux mêmes délais prévus pour les impositions principales43. 40 41 42 43 L’ancien article 75 du CDET prévoyait : « l’action de l’administration se prescrit : 1) après un délai de trois ans à compter de la date de l’enregistrement de l’acte ou de la déclaration s’il s’agit d’un manque de perception, d’insuffisance de valeur ou d’une fausse déclaration… 2) dans un délai de quinze ans : - à compter de la date de l’enregistrement de l’acte ou de la déclaration, s’il s’agit de dissimulation ; - à compter de la date de l’acte ou du jugement ou de la mutation, s’il s’agit d’actes…. ». L’ancien article 130 du CDET (abrogé par l’article 7 de la loi de promulgation du CDPF) disposait : « les droits de timbre exigible sur les actes et écrits ainsi que les pénalités y afférentes, se prescrivent dans un délai de 15 ans à compter de la date de leur exigibilité ». Voir l’article 20 du CDPF. Cette même idée a été affirmée par le Conseil d’Etat français depuis 1988 : « Lorsque les pénalités sont établies et recouvrées dans les mêmes conditions que les droits simples correspondants, le délai de répétition qui les concerne est déterminé selon les règles applicables à ces droits simples », CE, Plén, 9 133 Le droit de reprise à travers le CDPF A côté du délai général, le législateur a prévu des délais de reprise particuliers. Ainsi, l’article 21 du CDPF prévoit un « délai maximum » de dix ans à compter de la date de l’exigibilité des droits de timbre. Le délai de reprise est aussi fixé d’une année seulement pour « les omissions et erreurs relatives à la taxe de la circulation sur les véhicules automobiles, à la taxe annuelle sur les véhicules de tourisme à moteur à huile lourde, et à l’impôt additionnel annuel sur les véhicules utilisant le gaz du pétrole liquide »44. En outre, la taxe unique de compensation de transport routier due au titre d’une année peut être réclamée jusqu’à l’expiration de la quatrième année suivante, alors que la période considérée pour la liquidation de ladite taxe ne peut excéder six mois pour les véhicules ne bénéficiant pas de la suspension de la taxe à l’occasion du dépôt provisoire du permis de circulation45. La coexistence au sein du CDPF de délais spéciaux à côté du délai quadriennal n’est-elle pas de nature à mettre en échec l’unification souhaitée par le législateur ? Le droit de reprise présente une double facette ; d’une part, il définit l’étendu dans le temps du pouvoir de contrôle et de redressement de l’administration, et d’autre part, il garantit au-delà du délai butoir, un droit à l’oubli pour le contribuable46. Cette caractéristique peut contribuer à expliquer qu’il n’y a pas un seul délai. La pluralité des délais de reprise est fonction des intérêts que le législateur a entendu prévaloir. En effet, même en France, le législateur a primé l’efficacité du contrôle fiscal dans un souci de justice et d’égalité entre les contribuables47 afin que « ceux qui sont 44 45 46 47 novembre 1988, req, 68965 ainsi que par la Cour Administrative d’Appel de Paris, 3° ch., 19 février 1991, req, 98-2537. Cité par J-P CASIMIR, op. cit, p. 281. Voir l’article 23 du CDPF. Voir l’article 24 du CDPF. CE, section 21 décembre 2001, conclusions de M. le commissaire du gouvernement Jean COURTIAL, « Délai de reprise omissions ou insuffisances révélées par une réclamation ou une instance », RJF, 3-2002 ; p. 211. A côté du délai général de trois ans prévu par l’article L. 169 du LPF, le législateur français a prévu un délai particulier de dix ans dans l’article L. 170 du LPF. Voir, J.SOLLIER et C. de LA RUE de CAN, « Droit spécial de reprise en cas d’insuffisance ou d’omission révélée par une instance devant les tribunaux », précité, p. 867 et s. 134 Le droit de reprise à travers le CDPF honnêtes ne restent pas les dindons de la farce puée par ceux qui ne le sont pas »48. L’effort d’unifier les délais et de rassembler les dispositions relatives au droit de reprise n’a pas aboutit aux résultats souhaités. Il existe encore des dispositions en dehors du CDPF qui régissent le droit de reprise. Il en est ainsi de l’article 224 du code des douanes en vigueur jusqu’à nos jours et qui accorde à l’administration fiscale un délai de reprise de cinq ans à partir de la date à laquelle les dits droits sont dus. En outre, l’article 126 du code des hydrocarbures prévoit : « les omissions partielles ou totales constatées dans l’assiette de la redevance proportionnelle et dans celle de l’impôt sur les bénéfices ainsi que les erreurs commises dans l’application des taux d’imposition peuvent être réparées jusqu’à l’expiration de la quinzième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due ». L’existence d’un délai de reprise de quinze ans en dehors du CDPF, n’est pas de nature à unifier le régime du droit de reprise. A-L’extension des délais de reprise Avant son abrogation par l’article 7 du CDPF, l’article 72 du CIR prévoyait que « les omissions partielles constatées dans l’assiette de l’IR ou de l’IS, les erreurs commises dans l’application des taux ainsi que les insuffisances de retenus au titre de l’impôt peuvent être réparées jusqu’à l’expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due ». L’interprétation de cet article était à l’origine d’une divergence entre le juge et l’administration fiscale. Le problème se posait de savoir quel est le point de départ du décompte du délai de l’action en reprise en matière d’IR et d’IS. S’agit-il de l’année de la réalisation du revenu ou de celle de l’imposition ? Le texte était clair et ne nécessitait pas un effort d’interprétation, il s’agissait de l’année « au titre de laquelle l’imposition est due ». Le délai commençait à courir donc à partir de l’année « de déclaration »49. Malgré l’intelligibilité de l’article 72 du 48 49 Jean COURTIAL, « Délai de reprise omissions ou insuffisances révélées par une réclamation ou une instance », précité, p. 211. Habib AYADI, Droit fiscal international, CPU, 2001, p. 83. 135 Le droit de reprise à travers le CDPF CIR, l’administration dans l’ancienne charte du contribuable et dans une note en date du 23 mars 1999, a adopté une interprétation qui avait étendu le délai de reprise à quatre ans pour les omissions partielles et cinq ans pour les omissions totales. En se basant sur les articles 2, 7 et 10 du CIR, l’administration fiscale soutenait que le délai commence à courir à partir de l’année qui suit celle de la réalisation du bénéfice. Elle a fondé son interprétation sur le décalage entre l’année de réalisation du revenu et l’année de la déclaration. Par contre, les commissions spéciales de taxation d’office50 et le tribunal administratif tunisien, juge de cassation fiscale, avaient refusé toute extension illégale du délai de reprise prévu par l’article 72 du CIR. Le juge refusait les arguments sur lesquels l’administration s’est basée pour interpréter l’article 72 susvisé. Il a opté pour une interprétation restrictive selon laquelle l’administration dispose seulement d’un délai de répétition de trois ans à partir de l’année de la réalisation du bénéfice51 et non de celle qui suit cette année. Cette divergence a été à l’origine d’une intervention législative à travers l’article 49 de la loi de finances pour la gestion 200152. Cet article dispose que « l’expression « celle au titre de laquelle l’imposition et due » prévue par l’article 72 du CIR désigne l’année suivant celle de la réalisation du bénéfice soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés ». Cette loi « faussement »53 qualifiée d’interprétative ne constitue en fait qu’« une solution envisagée par les pouvoirs publics pour ne pas remettre en cause, du moins juridiquement, des solutions législatives régissant l’impôt »54. Elle a malheureusement changé l’attitude du juge, puisqu’un 50 51 52 53 54 Juge du fond avant l’adoption du CDPF. Voir TA, 29 mai 1995, req. n° 1143. TA, 1er décembre 1997, req. n°31554. TA, 13 juillet 1998, req. n° 31438. Il s’agit de l’article 49 d la loi n° 2000-98 du 25 décembre 2000, portant loi de finances pour la gestion 2001. Slim BESBES, « Analyse sur la base de droit comparé, des dispositions de l’article 49 de la loi n° 2000-98 du 25 décembre 2000 portant loi de finances pour l’année 2000 », RCF n° 53, Troisième trimestre 2001, p.35. Saoussen JAMMOUSSI AZAÏEZ, « Le bien fondé de la jurisprudence relative à l’article 49 de la LF pour la gestion 2001 », in. RTF n° 1, 2004, CEF, FDS, p.57. 136 Le droit de reprise à travers le CDPF revirement jurisprudentiel est opéré en application de l’article 49 de la loi de finances pour la gestion 200155. Or, peut-on constater qu’afin de faire prévaloir sa doctrine administrative, l’administration a fait voter par le parlement un texte dit interprétatif, a caractère rétroactif, mettant ainsi en cause la sécurité juridique des contribuables. Ce coup de force législatif trouve son explication dans les intérêts du trésor « qu’il appartient au gouvernement et à la représentation nationale de protéger »56. Pour ce faire, les pouvoirs publics n’ont pas hésité à porter atteinte aux principes de légalité fiscale et de séparation des pouvoirs, puisque cette disposition a remis en cause des décisions de justice et a conduit la haute juridiction administrative à se déjuger. La sécurité juridique des contribuables ne peut dans ces conditions qu’en pâtir. Le CDPF, adopté le 9 Août 2000, a tenté d’harmoniser les délais de reprise en prévoyant un délai de reprise de quatre ans. En effet, l’article 19 dudit code prévoit que les omissions partielles « peuvent être réparés jusqu’à la quatrième année suivant celle au cours de laquelle sont réalisés le bénéfice, le revenu, le chiffre d’affaires, l’encaissement ou le décaissement des sommes ou toutes autres opérations donnant lieu à l’exigibilité de l’impôt ». Il est à remarquer toutefois que le délai peut être prolongé pour les entreprises soumises à l’impôt selon le régime réel et pour lesquelles la date de clôture du bilan ne coïncide pas avec la fin de l’année civile. Pour ces entreprises, le délai commence à courir à partir du 1er janvier de l’année qui suit celle de la clôture de l’exercice. 55 56 En se basant sur les mêmes arguments qu’avait présenté l’administration fiscale dans l’application de l’article 72 et qu’il avait refusé au paravent, le juge administratif tunisien a changé sa position dans plusieurs arrêts. TA, req. n° 32904 du 03 juin 2002. TA, req. n° 326558 et req. n°32674, du 17 mars 2003. TA, req. n° 33555 du 03 février 2003. TA, req. n° 33188, 33504 et 33838 du 28 avril 2003. Pour une lecture approfondie sur le changement de la position de la jurisprudence, voir Saoussen JAMMOUSSI AZAÏEZ, article précité, RTF n°1. Thierry LAMBERT, Contrôle fiscal droit et pratique, PUF, p. 336. 137 Le droit de reprise à travers le CDPF Le délai de quatre ans est aussi applicable en matière de TVA et des droits d’enregistrement57. Le décompte du délai de quatre ans applicable en matière des droits d’enregistrement commence à partir de « la date de l’enregistrement de l’acte ou de la déclaration » ou du jugement en cas de succession. L’extension du délai de reprise a concerné aussi bien les omissions partielles que les omissions totales. Alors que l’ancien article 72 du CIR avait prévu que les omissions totales peuvent être réparées dans un délai de cinq ans, le législateur a porté le délai à dix ans. Ce dernier délai commence à courir, en matière des droits d’enregistrement, à partir de la date de l’acte, de la mutation, de l’écrit ou du jugement58. Néanmoins, la date des actes sous seing privé n’ayant pas acquis date certaine au sens de l’article 450 du COC n’est pas opposable à l’administration59. En matière des droits de timbre, l’article 21 du CDPF prévoit que « les omissions et erreurs relatives aux droits de timbre peuvent être réparées dans un délai maximum de dix ans de la date de l’exigibilité des droits ». Ces délais de reprise de quatre ans et de dix ans peuvent apparaître longs et menacer la stabilité des situations juridiques. Conscient de ces répercussions sur la sécurité juridique, le législateur français s’est orienté vers l’abrègement des délais de reprise. Ainsi, l’article 18 de la loi du 11 juillet 1986 a abrégé de quatre à trois ans le délai de reprise de l’administration en matière d’IR ( l’article L.169), des taxes sur le chiffre d’affaires ( l’article L. 176) et des droits d’enregistrement ( l’article L. 180). A-Un cadre temporel insuffisamment délimité Alors que « la protection de la liberté individuelle interdit de faire peser sur un individu sans limitation de temps, le risque d’une remise en cause de ses déclarations fiscales »60, la limitation du droit de reprise est mal organisée par le législateur puisqu’elle est, dans certains cas, inopposable à l’administration fiscale. 57 58 59 60 Suite à l’abrogation des articles 21 du CTVA et 75 et 76 du CDET par l’article 7 de la loi de promulgation du CDPF, précitée. Voir l’article 20 du CDPF. Voir l’article 22 du CDPF. Jean SCHMIDT, L’impôt, 2ème édition, paris, Dalloz, coll « Connaissance du droit », 1995, p. 79. 138 Le droit de reprise à travers le CDPF a-Les limites au droit de reprise Dans le but d’assurer un minimum de garantie au contribuable contre les remises en cause illimitées, inopportunes ou encore malvenues de ses situations fiscales, le législateur peut mettre fin à l’action de reprise de l’administration fiscale par deux procédés au moins. D’une part, étant un moyen d’acquérir ou de se libérer pour un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi61, la prescription limite la période sur laquelle peuvent être effectués les redressements. Après expiration du délai de reprise, le contribuable devrait être à l’abri de toute action de la part de l’administration fiscale. La prescription du droit de reprise constitue « la limitation la plus générale et la plus importante qui soit apportée dans le temps, à l’exercice des compétences de l’administration fiscale »62. Quelle que soit la technique de contrôle mise en œuvre, les impositions supplémentaires destinées à réparer les omissions, erreurs ou insuffisances dans l’assiette de l’impôt ne peuvent porter, en principe, que sur une période non prescrite63. Toutefois, l’administration fiscale s’efforce, en cas de fraude, d’ignorer le caractère automatique de la prescription, et de faire revivre le droit de reprise en principe éteint, et ce « à titre de sanction »64. D’autre part, le législateur peut, par disposition spéciale, paralyser de façon totale ou partielle la mise en œuvre du droit de reprise et ce en instituant une amnistie fiscale. L’amnistie interdit à l’administration fiscale de poursuivre le recouvrement des impôts non payés par erreur ou par omission ou encore des pénalités et ce, pendant une période déterminée. Elle a pour effet « de dispenser les redevables du paiement de l’impôt afférent aux bénéfices omis dans les déclarations souscrites pour les exercices couverts »65. 61 62 63 64 65 C’est un principe énoncé par l’article 2219 du Code civil français. Guy GEST, « De la nature du moyen tiré de la prescription du droit de reprise de l’administration », Mélanges en l’honneur du professeur Paul Marie GAUDEMET, ECONOMICA, 1984, p. 965. Thierry LAMBERT, Contrôle fiscal droit et pratique, op. cit, p. 404 et s. LAGANVANT, « Le droit de reprise du fisc », article précité, p. 823. CE, 27 décembre 1957, cité par M. LANGAVANT, « Le droit de reprise du fisc », article précité, p 822. 139 Le droit de reprise à travers le CDPF Néanmoins, le conseil constitutionnel français a précisé que les mesures d’amnistie définies nécessairement par le législateur ne sont conformes à la constitution que si leur contenu n’implique pas une renonciation manifestement excessive et injustifiée à l’exercice par l’Etat de ses compétences de répression de la fraude fiscale66. b- L’inopposabilité de la prescription du droit de reprise à l’exercice de la vérification L’article 26 du CDPF, autorise l’administration de franchir les délais buttoirs fixés par les articles 19 et 20 et d’effectuer des contrôles sur des périodes prescrites pouvant avoir une incidence sur l’assiette ou le montant de l’impôt dû au titre des périodes non prescrites. Il s’agit de l’imputation du report des déficits67 ou des amortissements réputés différés en périodes déficitaires sur le résultat 66 67 Conseil constitutionnel, décision n° 86-209 du 3 juillet 1986, JORF du 04 juillet 1986. Le droit tunisien a connu plusieurs cas d’amnistie fiscale : L’une des plus importantes a été instituée par la loi n°87-71 du 26 novembre 1987. La deuxième a été prévu par l’article 14 de la loi n° 89-114 du 30 décembre 1989 portant promulgation du CIR. L’amnistie a été aussi introduite par l’article 12 de la loi n°98-72 du 4 août 1998. Il en est aussi de l’amnistie qui a été prévue par la loi n° 2000-98 du 25 décembre 2000, ainsi que de celle prévu par l’article 39 de la loi n° 2001-123 du 28 décembre 2001, portant loi de finances pour l’année 2002. Voir aussi, les articles 5 et 6 de la loi n°2002-1 du 08 janvier 2002 relative à l’institution des mesures d’allègement de la charge fiscale et d’amélioration des ressources collectives locales. Il en est de même pour les articles 26, 27, 28 et 29 de la loi n° 2003-80 du 29 décembre 2003, portant loi de finances pour l’année 2004. Lorsqu’un exercice est déficitaire, ce déficit peut être déduit des bénéfices réalisés au cours des exercices suivants, jusqu’à la quatrième année qui suit l’exercice déficitaire (Art. 8 § II et 48 § IX du CIR tels qu’ils ont été modifiés par les articles 31 et 32 de la loi de finances pour la gestion 2003). L’administration est en droit de remettre en cause le déficit d’un exercice atteint par la prescription lorsque le déficit reporté en avant a influencé les résultats d’autres exercices non prescrits. Mieux encore, l’administration peut vérifier les résultats des exercices suivants, même bénéficiaires, et encore qu’ils seraient eux-mêmes couverts par la prescription, dès lors, que les bénéfices n’ayant pas totalement absorbé le déficit initial, ces exercices ont présenté sur le plan fiscal, un solde déficitaire. 140 Le droit de reprise à travers le CDPF d’un exercice non prescrit68. Cependant, les périodes prescrites ne sont pas imposables. Le Conseil d’Etat français a décidé qu’une telle possibilité offerte à l’administration permet à celle-ci de rejeter la déduction des amortissements des résultats des exercices non prescrits et ce en démontrant que « les résultats des exercices prescrits étaient en réalité suffisamment bénéficiaires pour que puissent en être déduites les annuités normales d’amortissement sans entraîner un déficit »69. Dans tous les cas, la vérification des périodes prescrites n’a d’intérêt que lorsque le crédit reporté sur une année non prescrite peut provenir d’une année prescrite. Seulement, ce contrôle ne peut, en aucun cas, aboutir à la réclamation d’un impôt supplémentaire au titre des périodes prescrites70. 68 69 70 Conformément au paragraphe II de l’article 12 du CIR, les amortissements régulièrement comptabilisés mais, réputés différés en période déficitaire constituent une charge déductible des charges déduites au titre d’une année non prescrite, l’administration est fondée à vérifier le caractère déficitaire de l’exercice prescrit, au cours duquel, les amortissements en question ont été constatés. CE, 13 janvier 1980, req, n° 14.026, RJF, 1980, n° 9, p. 345. Voir, l’article 26 in fine du CDPF. 141